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La croisade macharienne
LIVRE 1 : L’ANGE DE FEU
LIVRE 2 : LE POING DE DEMETRIUS
LIVRE 3 : LA CHUTE DE MACHARIUS
L’Éveil de la Bête
MON NOM EST CARNAGE
PRÉDATEUR, PROIE
AU NOM DE L’EMPEREUR
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MONDE TRÔNE
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POUR LES MORTS
LE DERNIER FILS DE DORN
L’OMBRE D’ULLANOR
EXÉCUTION
SOMMAIRE
Couverture
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Page titre
Warhammer 40,000
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
À Propos de l’Auteur
Un extrait de ‘La Dévastation de Baal’
Une Publication Black Library
Contrat de licence pour les livres numériques
Le 41e millénaire. Depuis plus de cent siècles l’Empereur siège,
immobile, sur le Trône d’Or de Terra. Il est le maître de
l’Humanité, par la volonté des dieux, et le suzerain d’un million de
mondes grâce à la puissance de Ses armées innombrables. Il n’est
qu’une carcasse en décomposition, qui frémit sous l’influx d’une
énergie invisible venue du Moyen Âge Technologique. Il est le
Seigneur Charognard de l’Imperium au nom duquel mille âmes
sont sacrifiées chaque jour afin qu’Il ne meure jamais vraiment.
Suspendu dans cette stase, ni tout à fait mort, ni tout à fait vivant,
l’Empereur poursuit sa veille éternelle. Ses puissants vaisseaux de
guerre naviguent au cœur des miasmes du warp, infesté de
démons. Ce sont là les seules routes qui permettent de relier les
étoiles lointaines, selon des trajectoires éclairées par le phare
qu’est la manifestation psychique de la volonté de l’Empereur :
l’Astronomican. Ses immenses armées livrent bataille en Son nom
sur tant de mondes qu’on ne peut les dénombrer et, de tous, ses
plus grands soldats sont sans doute ceux de l’Adeptus Astartes, la
quintessence du guerrier parfait. Leurs frères d’armes sont légion
: l’Astra Militarum et les innombrables rangs des forces de défense
planétaire, les membres de l’Inquisition dont la vigilance jamais ne
s’endort, et les technoprêtres de l’Adeptus Mechanicus versés dans
les arts obscurs de la technologie, pour n’en nommer que
quelques-uns. Pourtant, ces multitudes suffisent à peine à contenir
les menaces perpétuelles qui pèsent sur l’humanité : démons,
xenos, mutants, hérétiques...
Être un homme en ces temps troublés, c’est être un individu
insignifiant, noyé au milieu de milliards d’autres. C’est vivre sous
le joug du régime le plus cruel et le plus sanguinaire qui soit. Ne
placez pas votre espoir dans les pouvoirs de la technologie et de la
science, car trop a été perdu pour n’être jamais retrouvé. Ne
comptez pas sur les promesses de progrès, de raison et de paix, car,
dans ce lointain futur de sinistres ténèbres, il n’y a que la guerre.
L’espoir n’existe pas au royaume des étoiles, seulement une
éternité de carnages sous le rire moqueur des dieux assoiffés de
sang.
PROLOGUE
Les échos d’un bâton claquant sur le sol en pierre emplissaient les couloirs
silencieux du Croc. Chaque impact résonnait comme un marteau de guerre
et emplissait le vide de bruits sourds. Place forte creusée à flanc de
montagne, le monastère-forteresse avait accueilli dans le passé des dizaines
de milliers de Space Wolves. Il n’en hébergeait plus désormais que
quelques-uns. Les grands halls qui avaient retenti d’éclats de voix
tonitruants fêtant leurs victoires, et de rares lamentations sourdes de défaite,
absorbaient maintenant le bruit par toute leur étendue. Des centaines de
bannières étaient accrochées aux poutres et des frises décoraient les murs,
étouffant le bruit du métal sur la pierre. Des tranchoirs et des tables, longues
chacune d’une centaine de mètres, attendaient des convives qui ne
reviendraient jamais. Les bancs, et les hautes chaises des seigneurs loups,
polis par dix millénaires à recevoir les plus grands héros de l’Imperium,
étaient maintenant abandonnés.
Le nouvel arrivant passa devant les dortoirs, désormais vides, où les Fils
de Russ s’étaient reposés avant la bataille dix mille années durant. La seule
trace de leur occupation était les runes gravées dans les cadres des
couchettes et les murs nus : fanfaronnades d’accomplissements passés et à
venir, vers de sagas inachevées, blagues subtiles ou graveleuses, visant
ennemis comme maîtres, et, enfin, des hommages dédiés au Père-de-Tout,
l’Empereur-Dieu de l’Humanité, et à Russ et aux Loups Suprêmes qui lui
succédèrent. Tout cela était inscrit en runes fenrissiennes anguleuses,
jalonnant chaque salle comme un prédateur marque son territoire.
L’intérieur n’était pas le seul endroit désert. Il leva son regard psychique
vers les hauts remparts vides, là où le vent glacé hurlait sur la pierre nue et
rognait des défenses qui n’avaient pas été brisées depuis qu’elles avaient été
mises en place, à l’aube de l’Imperium de l’Humanité. Des tourelles de tir
grinçaient et vibraient, leurs mouvements régis par les impulsions neurales
de servitors à moitié conscients, asservis à leur canon, des carcasses d’âmes
incapables de pensées autonomes et inconscientes de la désolation qui les
entourait. Des murs dessinaient des cicatrices de plusieurs kilomètres sur les
imposantes pentes de l’enceinte extérieure du Croc et découpaient de
longues lignes sombres sur les flancs enneigés de la montagne creuse.
Le heurt du bâton s’accompagnait des pas étouffés de pieds souplement
bottés, une allure étonnamment légère au vu de la taille de l’homme qui
marchait. Il était large d’épaules, comme tous les space marines, et faisait
une tête et demie de plus qu’un homme normal. Des lanières de peau tannée
lui enserraient les chevilles. De la vapeur s’élevait de son manteau de
fourrure et de la barbe brune hirsute qui pendait de son menton et de ses
joues. Le givre s’évaporait peu à peu tandis qu’il avançait le long des
coursives et galeries, et laissait derrière lui des flaques et des empreintes de
pieds humides.
Il avait la mâchoire carrée et un large nez épaté comme celui d’un taureau.
Ses yeux ardoise aux éclats verts regardaient droit devant lui et ses sourcils
broussailleux étaient froncés d’inquiétude. La pointe de ses incisives
supérieures dépassait de ses lèvres, la taille de ses crocs indiquait son âge
avancé.
Son bâton était noir, gravé de runes qui brillaient comme le feu d’une
forge. À son sommet était juché le crâne poli d’un loup-blizzard, son totem
personnel. Sur son épaule se tenait un oiseau noir. L’un de ses yeux, qui
luisait d’implants, et les câbles saillants de sa chair trahissaient sa nature.
Aile-de-Nuit, le psyber-familier du Prêtre des Runes, à la fois son oracle et
une extension de ses sens et de ses pensées. Son œil normal, lui, scintillait
des reflets de lumière qui ricochaient sur la bille d’ébène comme des étoiles
filantes sur un ciel noir.
Sa marche solitaire le conduisit devant les grandes portes du Hall Royal.
Elles étaient fermées par d’immenses barres en frêne de haute montagne
enserré dans du plastacier doré et renforcé par des rivets de la taille du
poing d’un d’homme. Des runes argentées avaient été incrustées dans le
bois, porteuses d’un avertissement très simple :
Amis, soyez pour toujours les bienvenus. Ennemis, soyez à jamais maudits.
Deux gardes se tenaient de part et d’autre des poignées de fer, constituées
d’une paire de grands anneaux, représentant chacun le serpent-monde se
mordant la queue. Les gardiens de la porte étaient revêtus des plates
monstrueusement imposantes de l’armure tactique Dreadnought : deux
guerriers de la garde personnelle du loup suprême. Ces armures étaient
peintes en bleu et gris, les couleurs du Chapitre, marquées des symboles de
leur Grande Compagnie, de leur escouade et de leurs propres ornements.
Chacun portait plusieurs talismans et queues de loups : certains insignes de
leurs actions passées, d’autres récompenses et trophées de leurs victoires.
Il s’agissait de vétérans admirés par tout le Chapitre et le Prêtre des Runes
les connaissait bien. À droite, Alrik Tente-le-Sort, sa paire de griffes prête,
mais non activée, l’expression de son visage dissimulée sous son casque. À
gauche se tenait Sven Heaume-Fendu, son marteau Tonnerre dressé pour
barrer le passage, la croix de son bouclier Tempête placée devant son corps.
Il ne portait aucun casque, et la vieille cicatrice qui lui barrait l’œil droit,
courant de sa pommette à son front, était pâle sur son visage tanné.
— Je requiers une audience auprès du Loup Suprême, clama le visiteur.
Sa voix était calme, mais puissante, et il parlait avec l’assurance que lui
conférait son autorité.
— Alors, prononce les mots d’alliance, et tu pourras passer, répondit Alrik.
— Aett-skald. Il murmura le code, son regard passant d’un garde à l’autre.
Une telle information pourrait facilement se voir extraite de l’esprit par
quelqu’un d’autre.
— Logan a besoin d’une meilleure sécurité, s’il pense qu’un simple mot de
passe pourrait empêcher un ennemi d’entrer dans ses quartiers.
— Un problème que nous avons soulevé auprès du Loup Suprême, bien
sûr, dit Sven, écartant son marteau dans un crissement de servomoteurs.
Mais qui, à part les Prêtres des Runes, pourrait nous garder contre les
démons ? Tu nous as manqué, Seigneur des Runes. J’espère que ton voyage
dans les glaces s’est révélé fructueux.
Alrik se tourna et fit signe à un amas de lentilles qui les observait depuis le
linteau au-dessus de la porte. Les mécanismes de la sentinelle cliquetèrent
et bourdonnèrent tandis que le servitor lié à l’entrée accédait à ses
protocoles et étudiait le nouveau venu pour tirer ses propres conclusions.
Plusieurs secondes passèrent avant que le lourd claquement de loquets
manoeuvrant annonce que tout avait été trouvé en règle.
Les portes pivotèrent vers l’intérieur dans un grincement d’engrenages et
laissèrent voir le Hall Royal dans toute sa splendeur. Le visiteur regarda
Alrik faire un pas à l’intérieur et annoncer son arrivée à travers
l’amplificateur de son armure de guerre.
— Un seigneur du Croc est de retour, loup suprême. L’Ouragan en
Marche, Njal des Tempêtes !
Un blizzard faisait rage sur les contreforts du fjord, les volutes de neiges
presque à l’horizontale sous l’assaut des bourrasques qui les poussaient
dans la vallée. Indifférent à la tempête, Arjac, que ses frères connaissaient
sous le nom de Poing de Pierre, se frayait un chemin dans la tourmente. Sa
carrure déjà considérable avait été amplifiée jusqu’au physique surhumain
d’un space marine grâce au génogerme Canis Helix. Dans son armure
tactique Dreadnought, faite de larges plates de guerre conçues pour résister
à des tirs de plasma et au vide glacial de l’espace, il ne remarquait même
pas le vent furieux et la glace qui auraient emporté le plus fort des hommes.
Il suivit un chemin presque invisible pour descendre la côte nord,
louvoyant entre les roches couvertes de neige, se frayant un chemin au
milieu de crevasses glaciaires qui auraient pu avaler des tanks. La silhouette
de pauvres hères se détachait dans la neige de part et d’autre du chemin. Çà
et là, un visage déformé par un rictus, ou bien une main tendue brisaient le
blanc manteau. Il croisa des morts en quantité, gelés sur place, là où ils
étaient tombés. Certains avaient été terrassés par les éléments alors qu’ils
tentaient de ramper chez eux, mais la plupart avaient connu une mort
violente. Leurs tripes pendaient hors de leur corps et leurs artères s’étaient
vidées de leurs dernières gouttes de vie sur la neige indifférente.
De sporadiques bouffées de fumée s’élevaient du fjord et Arjac vit des
bûches calcinées saillir de la glace qui s’était refermée sur la mer : des
restes de bateaux-bûchers, plusieurs douzaines. Ceux qui libéraient encore
de la fumée ne pouvaient pas avoir été allumés très longtemps avant le
début de la tempête, leurs flammes auraient sinon été soufflées par le
blizzard. Il pouvait les apercevoir non loin de la vague frontière entre terre
et mer, posés sur de grands traîneaux parce qu’aucune quille n’aurait pu
briser cette glace. Les cadavres avaient été empilés comme du petit bois sur
les ponts. Jeunes et vieux. Hommes et femmes.
Un grand village de longues maisons s’étalait sur les berges du fleuve, à
l’entrée du fjord, mais seules quelques silhouettes enroulées de fourrures
attendaient dans le port. Les derniers habitants d’Elsinholm.
La neige s’était calmée quand Arjac arriva enfin dans le hameau. Il passa
devant des habitations vides, aux toits tendus de peau de kraken, aux murs
en pierre et d’enduit gelé dressés entre les os de bêtes géantes des abysses.
Les indices de chasse au kraken étaient partout, des épieux à dépecer
abandonnés et gelés dans leurs râteliers sur les quais jusqu’à la gigantesque
voie de traînage au centre du village, où les monstrueuses prises étaient
découpées et réparties entre les habitants.
On l’apostropha : un des endeuillés qui se tenaient au bord de la glace
l’avait remarqué ; quelques secondes plus tard, les personnes réunies sur le
port remontèrent précipitamment la ruelle de terre gelée, remerciant les
dieux et les guerriers célestes.
Ils retrouvèrent leur sens du protocole en se rapprochant d’Arjac. La foule
ralentit, son enthousiasme soudain émoussé, la plupart d’entre eux
s’arrêtant même à bonne distance, et seule une poignée osa s’approcher
davantage. Ces gens avaient l’air hagard, ils étaient en majorité d’un âge
avancé, bien qu’il y ait eu quelques hommes et femmes plus jeunes çà et là.
Leurs visages étaient tendus par le froid et la faim. Ils regardèrent le
terminator Space Wolf avec un mélange d’espoir et de résignation.
L’un d’entre eux, de toute évidence l’ancien du village, dont le Loup
Suprême lui avait dit qu’il s’appelait Rangvaldr, se détacha du groupe pour
s’avancer. Il lui adressa un signe de bienvenue d’une main à trois doigts. Le
sommet de la tête du aettjarl n’atteignait qu’à peine le symbole de loup sur
le plastron d’Arjac, mais il redressa la tête pour regarder le gigantesque
guerrier dans les yeux. Son regard ne manquait pas de courage.
— Bénis soient les fils du Roi Loup. Notre message a été entendu, dit le
chef du village.
— Le Loup Suprême entend et voit tout ce qui se passe en son domaine.
Arjac fit un signe de tête en direction des bateaux-bûchers, puis jeta un
regard vers le chemin de cadavres au-dessus du village.
— Combien ?
— Trois cent quatre, répondit Rangvaldr avec tristesse. Du fait de
l’invasion. Nous ne les avions même pas tous retrouvés avant le dernier
désastre, qui nous en a arraché quarante-deux de plus.
— Votre message parlait d’une bête des hauteurs venue attaquer les vôtres.
— Oui. Un dragon de glace et de fureur. Il nous arrive la nuit. Il reste déjà
si peu d’entre-nous pour nous battre, et pas de quoi armer un navire quand
le dégel sera là. La lumière est son seul point faible, mais les longues nuits
se rapprochent. Si cette bête nous prend encore quelqu’un…
— Où sont les autres ? intervint une femme âgée depuis la foule.
Ses doigts émaciés agrippaient un châle miteux posé sur sa tête et ses
épaules.
— Pourquoi n’êtes-vous pas sur un chariot de fer qui vole ? demanda une
autre, peut-être sa fille, si l’on se fiait à leurs traits communs.
Des boucles brunes émergeaient de sa capuche doublée de fourrure et une
plaie fraîche marquait sa joue tannée.
— Silence, Magnhild, intima Rangvaldr à la vieille femme, avec un regard
noir.
Il tourna alors son agacement vers la plus jeune des deux.
— Garde tes questions, Tyra.
— Non, rétorqua la fille.
Elle traversa la rue à grandes enjambées, mais ses yeux ne se posèrent pas
sur Arjac. Quand elle s’adressa à lui, son regard sembla fixé sur le symbole
de griffe d’ours sur sa jambière gauche.
— Guerrier, nous sommes reconnaissants de votre venue, mais nous avons
besoin de protection. Quand le Loup Suprême va-t-il envoyer les autres ?
— Il n’y aura personne d’autre, répondit Arjac.
Les villageois accueillirent cette déclaration avec des froncements plus
marqués et des hoquets de surprise, mais personne n’émit la moindre
plainte.
— Les Fils de Russ font face à de nombreuses difficultés et les serviteurs
du Père-de-Tout nous appellent depuis l’autre côté du pont des cieux.
— Nous avons donné nos fils et nos filles à la guerre contre les wyrdkine
et les felhird, et une bête laissée par cette bataille-là s’acharne encore sur
nous ! s’exclama Magnhild. Tout ce que nous avons demandé, c’est que le
Loup Suprême nous envoie des guerriers pour nous protéger de cette
terrible ombre de la guerre.
— Ceci est le Marteau à Ennemis, leur dit Arjac en brandissant son
marteau Tonnerre surdimensionné.
Des étincelles d’énergie auréolèrent la tête de l’arme quand il pressa la
rune pour l’activer.
— Il peut briser une forteresse de la plus infime des caresses.
Il leva son bouclier Tempête, tout aussi massif. Son umbo, forgé dans
l’insigne en croix d’un terminator, avec un crâne en son centre, chatoyait
d’un éclat bleu.
— Voici le Bouclier Enclume. Il repousse des tirs qui peuvent briser des
montagnes.
Il avança d’un pas, dominant Tyra de toute sa hauteur.
— Regarde-moi, mon enfant, demanda-t-il avec douceur.
Il exsudait une confiance qui brûlait comme un feu de cheminée capable
de réchauffer le plus mordant des froids. La timidité de Tyra fondit comme
la glace dans sa barbe. Hésitante, elle leva la tête, ses yeux d’un émeraude
saisissant dans son visage coloré par le soleil. Arjac sourit, ses longues
incisives pressèrent sur sa lèvre inférieure.
— Vous avez une bête à terrasser, leur dit-il, tournant son attention vers les
autres. C’est pourquoi le Loup Suprême m’a envoyé, moi.
L’Imperium comptait bien des héros, morts ou vivants. Certains étaient
dignes d’un tel titre, d’autre avaient été reconstruits comme tel par
l’Histoire. N’importe quel historiographe, prêtre, commandeur impérial ou
simple citoyen qui rencontrait Logan Grimnar ne doutait pas un instant
d’être en présence d’un véritable héros de l’Imperium. Force, calme et
assurance émanaient du Loup Suprême. Ses mouvements étaient amples,
incarnant vigueur et maîtrise. Son regard était toujours empreint de respect,
son port reflétait l’intelligence et la réflexion, tandis que ceux qui le
voyaient sur le champ de bataille étaient témoins d’une sauvagerie, d’une
brutalité et d’une violence que rien ne pouvait endiguer.
Njal entra dans le hall et vit que Logan portait son armure Terminator,
couverte de torques runiques et de totems de loups. La tête et la peau de
Griffe-d’enfer étaient accrochées à son dos : les prêtres-loups contaient
souvent les exploits du Loup Suprême qui avait traqué et terrassé le massif
loup-tonnerre lors des épreuves subies pour devenir l’un des héritiers les
plus admirés du Roi Loup. Quelques pas derrière lui, un thrall, vêtu d’un
épais pourpoint et de hauts de chausses gris, portait le casque du maître du
chapitre. Il caressait d’une main distraite le vénéré artéfact comme s’il
s’agissait d’une entité vivante dont il apaisait l’esprit. Le visage de Logan,
encadré par des cheveux qui tiraient désormais plus sur le gris que le noir,
exprimait un intérêt étudié pour ses compagnons.
Près de lui, un autre thrall tenait la Hache Morkai, authentique célébration
des victoires de Logan contre l’obscurité sur la planète Armageddon. Pour
un observateur dépourvu de capacités psychiques, l’arme ressemblait à une
hache double avec des lames rouges argentées, rattachées au manche par
des jointures forgées pour ressembler à Morkai, le loup de mort.
Pour la vision wyrd de Njal, les symboles de protection runiques gravés
sur l’arme brillaient comme des brasiers. La soif de sang de la hache se
tordait et s’enroulait dans la lame, retenue par des onctions d’eau tirée des
glaciers polaires de Fenris et l’art runique du Maître des Tempêtes, afin
qu’elle serve désormais les guerriers du Père-de-Tout comme elle avait jadis
occis Ses serviteurs.
Njal vit en lui un compagnon de plusieurs décennies, le socle sur lequel les
Space Wolves s’étaient appuyés durant les derniers siècles. Il n’avait nul
besoin de talents psychiques pour lire le poids que son seigneur portait sur
les épaules, en dépit des efforts de Logan pour cacher le fardeau que
représentaient les récentes années de malheurs et catastrophes. Il se tenait à
côté du trône, aussi droit et inflexible que le Croc lui-même tandis qu’il
s’adressait à un petit groupe de space marines et d’humains ordinaires.
Ceux avec qui il conversait ne pouvaient avoir remarqué que quelque chose
n’allait pas, mais pour Njal, l’accent particulier d’un occasionnel
froncement de sourcils, l’infime retard dans une réponse ou un geste, et la
grimace à moitié visible derrière chacune des réponses de Logan, tout cela
trahissait l’impact que les dernières années avaient eu sur lui.
Le rôle de Loup Suprême n’était pas une tâche facile, même pour le plus
fort et le plus courageux des fils de Fenris. Mais assumer ce rôle lorsque
Magnus le Rouge avait libéré une guerre dévastatrice sur leur monde natal
était une épreuve dont bien peu seraient sortis victorieux. Être à la hauteur
d’un tel titre, quand les invasions des sombres puissances avaient ouvert la
Grande Faille et que la légion du Fléau avait été libre de parcourir la
galaxie, c’était diriger dans une période d’un péril comme on n’en avait
plus connu depuis la catastrophe de la Nuit-d’hiver, quand Horus s’était
dressé contre le Père-de-Tout. L’Imperium était au bord de la destruction,
tout comme Fenris elle-même. Ses forces combattantes étaient poussées à la
limite de leur capacité, sur le point de se faire déborder. Ses alliances, des
pactes et des décrets honorés depuis des millénaires, brisés par les
machinations de démons et de traîtres.
Oui, Logan avait bien des raisons d’être épuisé, mais il aurait été le dernier
à admettre que cela l’affectait.
Le Loup Suprême ne se tourna pas vers lui quand Njal entra, son attention
dévolue à ceux qui l’entouraient. Njal connaissait bien deux de ces space
marines, car il s’agissait de Space Wolves, de la garde personnelle de
Logan.
Il y en avait un troisième, revêtu de l’armure bleue et des insignes du
chapitre des Ultramarines. L’étranger ou, comme l’auraient appelé les
Fenrissiens, l’utlander, était un géant parmi les géants. Logan Grimnar en
armure de bataille complète était loin d’être une vision insignifiante, mais le
fils de Macragge qui se tenait à ses côtés en imposait plus encore.
Il s’agissait du lieutenant Arlandus Castallor et il faisait partie d’une
nouvelle lignée de guerriers : les space marines Primaris. L’armure qu’il
portait était à sa mesure. Tout comme ses modifications génétiques, elle
était le résultat de dix mille ans de conception secrète. Castallor avait été
envoyé ici, depuis les rivages lointains par-delà les tumultueuses vagues du
warp, par nul autre que Roboute Guilliman en personne, le Primarque
revenu des mâchoires de la mort. C’était l’arrivée de Castallor et la nouvelle
du retour de Guilliman qui avaient poussé Njal à entreprendre son
expédition dans les glaces afin de pouvoir être guidé par une quête de
vision.
En dépit de toute sa masse et de son rang, cependant, Castallor n’avait pas
la présence du Loup Suprême. La taille ne pouvait à elle seule remplacer
des siècles d’expérience, et l’équipement n’était rien face au charisme et la
majesté. L’attitude et l’expression du lieutenant Ultramarine étaient
déférentes envers Grimnar, et même s’il aurait eu le titre de vétéran parmi
des guerriers à l’espérance de vie ordinaire, il y avait quelque chose de naïf
et déplacé dans son visage.
Logan avait accueilli l’émissaire comme il l’aurait fait pour tout le monde
et comme il l’avait d’ailleurs fait pour plusieurs unités de frères Primaris
qui avaient été envoyés par Castallor pour renforcer les rangs des Space
Wolves.
Mais quelque chose chez ces nouveaux guerriers ne passait pas auprès de
Njal et d’autres anciens du Chapitre. Ces recrues étaient éloignées d’un
degré supplémentaire de ceux qu’ils protégeaient et Grimnar avait, en privé,
confié sa crainte de voir à nouveau les Space Wolves se retrouver dans la
position de devoir contenir les ambitions de leurs Chapitres frères.
Quant aux humains, Njal ne les connaissait pas. Ils étaient arrivés après
qu’il ait quitté le Croc. Leurs uniformes et robes lui permirent de déduire
qu’il s’agissait d’un haut gradé de l’Astra Militarum, d’un gardien de la
dîme du Departmento Munitorum et d’un astropathe rattaché à la marine
Impériale.
— … orks ont saisi cette opportunité pour envahir trois systèmes
planétaires pendant que nous sommes assaillis à Gathalamor, expliquait le
commandant de la Garde Impériale.
— Les orks sont des opportunistes, répliqua le Loup Suprême. Il n’y a
aucune stratégie derrière leurs conquêtes, seulement la soif du combat. Les
Space Wolves ne peuvent pas aller étouffer la moindre menace dès qu’un
xenos montre son horrible tête. Au final, nous obtiendrons justice. Une
guerre à la fois. Gathalamor doit être défendue en priorité.
— Je suis certain que l’Adeptus Mechanicus dispose d’une ou deux
légions titaniques qu’ils pourraient envoyer pour régler leur compte aux
peaux-vertes, expliqua Logan avec patience.
Njal ne leur prêta guère d’attention. Il n’avait pas besoin de connaître les
détails de leur conversation. Il pouvait deviner, à voir le regret qui
obscurcissait de temps à autre le visage de Logan, qu’ils insistaient pour lui
demander de l’aide d’une façon ou d’une autre. Une aide que les Space
Wolves auraient de toute façon été dans l’incapacité de leur fournir,
accaparés comme ils l’étaient déjà, bien au-delà de leurs devoirs et
campagnes habituels.
Tandis qu’il observait Logan, le Prêtre des Runes étudiait également son
environnement à travers le regard augmenté d’Aile-de-Nuit.
Sur son épaule, Aile-de-Nuit, le psyber-corbeau regarda tout autour de lui
et saisit l’immensité du Hall Royal. Ce n’était pas l’espace le plus vaste de
la forteresse, plus petit que le Hall du Loup Suprême, où le Chapitre tout
entier pouvait se rassembler aisément, et il était même minuscule par
rapport à certains champs de tir souterrains, longs de plusieurs kilomètres,
que les Longs Crocs utilisaient pour leurs simulations de combat antichars.
Il n’en restait pas moins un lieu impressionnant, recréant par tradition le
long hall dans lequel Russ lui-même avait grandi, mais à une échelle bien
plus vaste.
Il était plus long que large, presque cinq cents mètres sur deux cents, avec
un plafond haut de trente mètres, supporté par trois douzaines de piliers
sculptés pour ressembler à ces grands chênes de fer si prisés par les
charpentiers fenrissiens. Des corbeaux et des chouettes des neiges gravés
observaient la pièce depuis les branches, et des hermines s’agrippaient aux
troncs rainurés et se blottissaient sur les nœuds du bois. Les arbres eux-
mêmes avaient des sortes de visages, représentés comme ceux des géants
ygdras des légendes fenrissiennes. Ils contemplaient la scène devant eux
avec diverses expressions : bienveillance, malice et hostilité. Entre leurs
feuillages ciselés scintillait un plafond de pierre gravé pour rendre la texture
du chaume, chaque brin de paille représenté dans les moindres détails et
doré à la feuille. Là encore se nichaient des sculptures de créatures réelles
comme fantastiques : des félins aux oreilles touffues y chassaient des souris
et des rats tandis que des aelfkid tressaient des wyrdleif protectrices et des
runes d’hospitalité.
Le sol était en ferrobéton coulé, mais façonné en de milliers de pavés
irréguliers, l’espace entre les colonnes creusé de trois énormes foyers dans
le sol. Ils ne contenaient que des braises, la lumière provenait des centaines
de lumibandes, accrochées aux rameaux des arbres artificiels et qui
figuraient les lampes tempête que l’on trouvait à la proue des bateaux-loups
fenrissiens.
Quelques bancs et chaises étaient regroupés et disposés d’une manière
stratégique à différents endroits, créant l’illusion de recoins isolés où on
pourrait avoir une conversation privée en dépit de la taille de l’endroit. Il
s’agissait d’un espace pour discuter et réfléchir, pour coopérer et partager,
contrairement au Hall du Loup Suprême qui servait à mettre en scène la
grandeur et l’autorité.
En dépit de ses dimensions, le hall était bâtit pour laisser le sentiment
d’humbles ressources, les soigneux artifices de l’architecte et des artisans se
rejoignant pour créer l’illusion d’un monde primaire aux habitants primitifs,
mais construit avec toute l’ingéniosité et la technologie du vaste Imperium.
C’était, comme tant de choses chez les Space Wolves, un vernis de barbarie
et d’ignorance qui servait à masquer un état d’esprit bien plus sophistiqué
que ce que leur supposait la plupart des étrangers. Une illusion charmeuse
comme ceux que les wyrdmidons de la légende utilisaient pour attirer les
pêcheurs à leur mort, cachant les roches mortelles sous l’aspect innocent
d’une côte sablonneuse.
Il n’était guère surprenant que Logan ait choisi de recevoir ses requérants
ici, loin de l’ascèse oppressante du Hall du Loup Suprême, dans un lieu où
rien ne rappelait l’armée ou l’Imperium. Le pouvoir des Space Wolves y
était tamisé, ce qui permettait de calmer à la fois les peurs et les attentes de
ses visiteurs.
Le Maître des Tempêtes s’arrêta à quelques pas et attendit patiemment que
Logan finisse sa discussion. Le Loup Suprême y mit fin en indiquant
qu’elle reprendrait plus tard, et avec des mots et une expression rassurants il
congédia les autres, les faisant escorter par Alrik et Sven. Quand le dernier
eut franchi la porte du Hall Royal, Logan tourna enfin l’œil vers Njal.
— On dirait que tu as froid, dit le Loup Suprême.
Njal sourit à la plaisanterie, son inquiétude quant à la santé et à l’état
d’esprit de Logan s’évaporèrent face à ce simple moment d’humour. Quelle
que fut la peine qui étreignait le cœur du Loup Suprême, son corps et son
esprit restaient toujours aussi acérés.
L’expression de Logan se fit sérieuse.
— Ta quête de vision fut-elle un succès ? As-tu trouvé ce que tu cherchais
?
— J’ai découvert bien des choses, mais rien de ce que je cherchais,
répondit Njal. Le gel a été tardif cette année, et les ours des glaces se terrent
dans leurs grottes. Les krakens se sont retranchés au plus profond des
abysses et les dents-de-charogne ne nichent que dans les plus hautes forêts.
Des trolls rôdent en meutes, en nombres encore jamais vus. Leur affligeante
cacophonie résonne désormais dans des vallées où le bruit de l’honnête
travail se faisait jadis entendre. La souillure laissée par Magnus et les siens
entache encore nos neiges, et nous ne la verrons peut-être pas s’effacer de
notre vivant.
— Nous savions déjà tout cela. Tu es parti dans l’espoir d’être guidé par le
Père-de-Tout, pour trouver des réponses dans l’esprit de Fenris. J’ai appris
bien des choses de notre ambassadeur de Macragge, à propos du
rétablissement de l’ordre dans cette galaxie brisée et des plans de son
Primarque.
— Voulait-il que tu prêtes serment ? demanda Njal vivement. Lord
Guilliman souhaite-t-il notre allégeance ?
— Il a eu la sagesse de ne pas le demander, répondit Logan. Bien que je ne
doute pas que le Primarque se considère notre commandant. On prétend
qu’il s’est présenté devant le Père-de-Tout en personne et s’est vu béni
d’une audience.
— Les présages n’ont pas changé, souffla Njal. La tempête éclate partout.
Cela, tu le sais déjà. Le retour de la Treizième, la colère de Magnus, la
Grande Faille… Tout cela fait partie d’un même dessein. Une lune de sang,
la gueule rougie. La guerre, Logan. Une guerre comme l’Imperium n’en a
pas connu depuis des millénaires. Une guerre qui pourrait ne jamais se finir,
car telle est la volonté des forces obscures.
— Mais quoi d’autre ? demanda Logan en se rapprochant, et son insistance
se dégagea de lui en vagues brûlantes. L’Œil s’est ouvert. Qu’en est-il du
Roi Loup ?
Njal ne répondit pas immédiatement, affligé par ce qu’il perçut comme du
désespoir dans le regard de son suzerain. Le Loup Suprême comprit ce que
signifiait ce silence et se renfrogna.
— Aucun signe ?
— Aucun, Seigneur. Il y a des troubles, des tempêtes à travers lesquels
même moi je ne peux voir. Malgré tout, j’ai vu un gisant dormant dans la
roche, et une tornade blanche montée sur un chariot de foudre. Une ombre
se dresse à l’appel des messagers du Père-de-Tout, une ombre qui frappe de
l’intérieur. Les maudits tournent leur attention maléfique vers notre monde :
le Dévoreur de Mondes, le Roi Pestiféré et le Fils Illégitime marchent à
nouveau. Nous avons déjà vu le Monstre Cyclopéen. Même le Doré a
détourné les yeux de l’Empyrée à nouveau. J’ai ressenti son regard comme
une brûlure à l’âme. Mais rien quant aux fils de Fenris. Bien que la
Treizième soit revenue et que l’Œil se soit ouvert, je n’ai rien vu du retour
de Leman Russ.
Logan sembla s’affaisser, si une telle chose était seulement possible dans
une armure Terminator. Ses yeux se tournèrent vers le sol de pierre et il
poussa un profond soupir.
— Nous devrions être reconnaissants, Logan, continua Njal. Notre roi-père
a juré de revenir au Temps du Loup, la fin du monde. Il viendra pour la
bataille finale, cela a été prédit. Qu’il ne nous soit pas revenu signifie donc
qu’il reste de l’espoir. Mince, mais un espoir. Si nous entendons le
hurlement du Roi Loup, alors nous connaîtrons la mort, cela sera la
lamentation du Père-de-Tout et de tous ceux qui le suivent.
— Je suppose que tu as raison, admit Logan. Peut-être était-ce vaniteux de
croire que si l’un revenait… Cela n’importe en rien. Il n’est pas revenu,
mais nous, nous sommes toujours là, et c’est ce qui compte.
— Il semble que la plupart ne soient pas là… Njal regarda autour de lui
d’un air entendu, bien qu’il fut clair que son commentaire visait tout le
Croc. Ces halls sont rarement pleins, et seuls des fantômes parcourent ces
murs en ce moment.
— Il ne reste que peu de guerriers, répondit Logan. Quelques blessés
convalescents, des Griffes Sanglantes en entraînement initial, de vénérables
soldats qui sommeillent. Quelques escouades des Grandes Compagnies qui
sont rentrées après le départ de leur seigneur loup. Il n’y a pas de long jour
qui passe sans que les astropathes ne nous rapportent un nouvel appel à
l’aide.
— Le recrutement ?
— Il se poursuit. Mais nous ne pouvons pas tirer du sang des pierres. Des
douzaines de tribus ont succombé à la colère de Magnus, et les purges du
Grand Maître Aurikon ont encore clairsemé leurs rangs. Il n’y a aucun
intérêt à prendre ceux qui ne passeront pas les épreuves, ni à baisser nos
critères. Nous sommes en plein rétablissement, mais c’est un long
processus, Njal.
— Qu’en est-il des nouveaux venus ?
— Les marines Primaris ? Logan se pinça les lèvres, réfléchissant
sérieusement à la question. Exemplaires. Ils se battent comme on pourrait
s’y attendre. Certaines de nos campagnes auraient tourné au pire sans leur
présence.
— Mais…
— Qui peut dire ce que les manipulations de Cawl sur la souche génétique
ont pu faire au Canis Helix ? Grimnar baissa la voix, pour murmurer sur le
ton de la confidence. La malédiction du wulfen existe toujours, mais les
Primaris y sont-ils plus résistants, ou plus sensibles ?
Le Maître des Tempêtes hocha la tête.
— Et en ces temps troublés, comment cela se fait-il que le loup suprême
reste assis sur son trône ?
— Pas pour très longtemps, répliqua Logan d’un ton sinistre. Tu as vu mes
nouveaux hôtes. L’adjudant-colonel Mastroshka et ses compagnons sont en
route vers le secteur Gasai. Des orks. Comme si les puissances infernales et
leurs serviteurs n’étaient pas déjà une tragédie suffisante. Les peaux-vertes
se sentent en position de s’en prendre aux royaumes du Père-de-Tout.
— Et vas-tu répondre à cet appel ?
— Mes Loups de Nuit absents reviennent victorieux de Gehenna à
l’instant où nous parlons. Je prends un vaisseau dans quelques jours pour
les retrouver en bordure du système.
— Sans même le temps de se ravitailler ?
— Non, je prendrai ce que je pourrai avec moi, mais l’armurerie tourne
déjà à plein régime et notre arsenal est malgré tout presque vide. Si
l’intention de nos ennemis est de nous saigner à blanc, ils y arrivent plutôt
bien.
Njal assimila cette information sans faire de commentaire, tandis que
Logan levait vers lui un regard expectitatif. Le Maître des Tempêtes mit
quelques secondes à comprendre ce que son seigneur se refusait à
demander. Non par manque d’autorité, mais parce qu’il respectait le statut
de Njal.
— Bien sûr, je me battrai aux côtés du loup suprême, annonça le Prêtre des
Runes.
Logan hocha la tête, heureux de l’entendre, et les signes d’inquiétude sur
son front s’estompèrent légèrement.
— D’autres sont là qui veulent s’entretenir avec moi, Njal, dit-il, en jetant
un œil derrière son épaule.
Le Maître des Tempêtes tourna discrètement la tête et vit un attroupement
d’hommes et de femmes en tenue fenrissienne traditionnelle. Leurs yeux
parcouraient leur environnement avec crainte et admiration. Les doigts
serrés nerveusement sur des amulettes et des fétiches, leurs regards se
posèrent sur les deux seigneurs du Croc. Njal pouvait sentir l’espoir qui
émanait d’eux, un espoir qui ne pouvait naître que d’un besoin des plus
impératifs. Il n’aimait pas cette odeur. C’était une présence écœurante dans
ses pensées, si peu familière sur Fenris.
Les anciens de la tribu se recroquevillèrent, frissonnèrent et murmurèrent
entre eux. Njal se rendit compte qu’il avait montré les crocs, non aux
Fenrissiens, mais à l’effroi qui les accablait. Il changea son expression pour
une autre qu’il espérait un peu plus rassurante. Ils ne semblèrent pas
convaincus et il leur tourna le dos afin de les protéger de ses traits si
particuliers.
— Je vais te laisser les civilités, Logan. Redonne-leur de la force. Ces
gens, leur hardiesse et leur capacité à garder courage, sont notre futur. S’ils
perdent foi en notre destinée…
— Je sais.
Les yeux de Logan trahissaient sa préoccupation, mais son expression
restait neutre. Il n’avait probablement même pas conscience de sa maîtrise,
ses talents de diplomate était aussi innés que ceux de chef de guerre.
Le Loup Suprême posa une main sur le bras de Njal. C’était un geste de
solidarité, offrant sa force, mais en puisant aussi. Le lien qui unissait un
Space Wolf à un autre, un frère à un frère, un Fenrissien à un compatriote,
était plus profond que n’importe quel serment à l’Imperium. Seul leur
devoir à l’égard du Père-de-Tout pesait plus lourd que leur dévouement
mutuel.
Le crépuscule approchait à grands pas, et avec lui mourait la lumière dont
les elsinholma prétendaient qu’elle était la seule défense contre le dragon de
glace. Déterminés à se débarrasser coûte que coûte de la créature, les
villageois s’étaient armés et avaient accompagné Arjac dans son ascension
vers les cimes au-dessus du fjord, suivant une piste d’arbres brisés et de
congères étrangement sinueuses qui, d’après Tyra, devaient conduire au
repaire du dragon.
— Quelqu’un a-t-il déjà vu la bête ? demanda Arjac alors qu’ils se
regroupaient sur une arête rocheuse qui surplombait l’entrée du fjord.
Quelques mètres plus avant, Tyra indiqua l’est de la pointe en forme de
feuille de sa lance, en direction d’une austère paroi de falaise.
— Elle arrive dans une brume, dit Thorda, dont la respiration mimait ses
propos. C’est de la glace qui coule dans ses veines, c’est moi qui vous le
dit, Guerrier du Ciel.
— J’ai entendu les craquements de sa peau, dit un autre habitant qui
détourna rapidement le regard, honteux. Son souffle bruissait contre les
murs et les carreaux se couvraient de givre à son passage. Je n’ai pas eu le
courage de sortir l’affronter.
Le groupe s’était équipé d’un assortiment d’armes diverses : certaines
prévues pour la guerre, d’autres improvisées à partir des outils de la pêche
au kraken. Malgré son apparente fragilité, Magnhilde portait un long épieu
à dépecer dont la tête incurvée réfléchissait les derniers rayons du soleil qui
disparaissait derrière les monts lointains. D’autres avaient pris des harpons
dentelés sur les quais. Ceux qui n’avaient plus vraiment confiance dans la
force de leurs bras, le pragmatisme l’emportant sur la fierté, s’étaient
confectionné des pavois à partir des planches de leurs épaves. Ce que ces
boucliers de bois étaient censés faire contre le prétendu souffle de glace du
dragon, Arjac n’en était pas sûr, mais les avoir donnait confiance au groupe.
— Donc, non, dit Poing de Pierre. Aucun de nous n’a jamais vu cette
créature.
— C’est pour ça que nous sommes encore en vie, marmonna Rangvaldr.
Arjac ne put le contredire.
Les indications de Tyra les conduisirent sur une étendue plane du glacier, à
environ un demi-kilomètre du pan de falaise, déchiré de larges fissures
noires. De la vapeur s’élevait d’une large crevasse située près du centre de
la fine paroi de glace. Elle était proche du sol et n’arrivait pas au-dessus de
la taille d’un space marine.
Ils s’approchèrent, les habitants d’Elsinholm heureux de le laisser passer le
premier. Arjac se demanda quelle espèce d’adversaire il s’apprêtait à
affronter. L’invasion de Magnus et de ses Thousand Sons avait amené des
ennemis mortels comme immortels sur Fenris, bien que le départ du
Primarque traître eut, pour autant que le Loup Suprême avait pu le
découvrir, fait disparaître ces menaces. Ce qui n’était pas immédiatement
apparu avaient été les dégâts occasionnés à la structure même de Fenris et
aux forces rivales qui contrôlaient son écosystème unique.
Les pertes subies par les tribus avaient eu pour conséquence que les
chasses de la saison du dégel étaient loin d’avoir tué autant de trolls, ours
des glaces et autres terribles prédateurs que d’habitude. En conséquence, la
vermine et les créatures plus faibles avaient quitté leurs territoires pour
infester les réserves de nourriture, emportant le peu qui avait survécu à la
catastrophe. Les monstres les plus gigantesques, dragons et krakens, fyr-ent
et léviathans, semaient la destruction comme bon le leur semblait,
emportant presque autant de vies que la guerre et les purges brutales des
Grey Knights. Des communautés entières avaient été perdues, et le Loup
Suprême s’en était désolé, alors même qu’il envoyait de plus en plus de ses
guerriers hors de la planète pour combattre les menaces naissantes de
l’autre côté des étoiles.
Cela avait été un petit miracle que le messager d’Elsinholm eût survécu à
son voyage jusqu’au Croc, et le Loup Suprême n’avait pu refuser de
répondre à sa supplique. Alors que d’autres avaient simplement abandonné
leurs terres ancestrales, pour autant qu’une telle chose existe dans l’anarchie
tectonique qu’était le cycle orbital erratique de Fenris, ces gens-là étaient
restés pour défendre leurs territoire et mode de vie. Ils étaient un modèle,
avait dit le loup suprême, et sûrement les géniteurs de futurs Space Wolves.
Et de cette dernière remarque, Arjac avait compris la plus grande peur de
Logan Grimnar. Les Space Wolves étaient issus de leur peuple. Si le peuple
venait à mourir, le chapitre en ferait autant. Le Canis Helix était
inextricablement lié au sang fenrissien. Si le chapitre voulait reconstituer
ses pertes, s’il devait y avoir une nouvelle génération de Space Wolves,
alors chaque village, chaque tribu, chaque hameau était aussi précieux
qu’un diamant.
Voilà pourquoi Arjac se retrouvait à se frayer un chemin dans la neige, sur
une plaine glacière des terres désolées du nord pour affronter un dragon de
glace.
— Attendez là, dit-il aux villageois en levant son marteau en signe d’arrêt.
— Nous combattons à vos côtés, insista Tyra, en brandissant son épieu.
— J’ai besoin de place pour manier mon marteau, essaya de plaisanter
Arjac, qui n’avait vraiment pas envie qu’ils risquent leur vie juste pour
gêner son champ d’action. Se tenir à mes côtés, c’est plutôt dangereux.
Leur honneur préservé par ce refus justifié, ceux d’Elsinholm se
contentèrent de le suivre une douzaine de mètres en arrière. Leur visage se
fit de plus en plus apeuré à mesure qu’ils s’avançaient dans la brume.
Le brouillard scintillait, et pas à cause des cristaux de glace en suspension,
comme Arjac l’avait cru de prime abord. Il n’était pas un wyrdjarl, mais
pouvait tout de même percevoir que quelque chose clochait dans le vent
froid. Sur toute autre planète que Fenris, on aurait qualifié un tel
phénomène de contre nature, mais sur les terres désolées et gelées de son
monde natal, le wyrd faisait tout autant partie de la nature que les arbres, les
poissons et les oiseaux.
Ce brouillard avait définitivement quelque chose de malsain, plus que le
miroitement : une trace de sorcellerie.
C’était peut-être cela le pire. Les batailles, les monstres, les champs
dévastés et le sol blessé avaient été des catastrophes, mais Fenris, avec le
temps, pourrait s’en relever. Mais aux quelques endroits où le wyrdsturm
s’était brisé, là où l’on avait fait usage de sorcellerie, la terre que les pas de
Magnus avaient foulée, à ces endroits-là, l’esprit de Fenris avait été
corrompu.
Arjac espérait de tout cœur qu’il s’agissait simplement d’un monstre
touché par le wyrd. Si c’était autre chose… Ils avaient prêté serment, auprès
du grand maître des Grey Knights, de garder secrètes les informations que
les seigneurs de Titan protégeaient jalousement.
Il jeta un coup d’œil derrière lui vers Rangvaldr, Magnhild et les autres.
Son regard se posa sur Tyra et sa chevelure de flammes. Il n’avait vraiment
pas envie d’avoir à les abattre pour le seul crime involontaire d’avoir croisé
la route d’un démon.
CHAPITRE 2
LÉGENDES.
Njal sortit par l’une des portes périphériques et se dirigea vers sa chambre.
Quand il avait évoqué avec Logan les fantômes qui hantaient le Croc, ce
n’était pas par simple emprunt à la prose des sagas. À travers son wyrd, le
monastère-forteresse débordait d’une exceptionnelle activité. Depuis
l’incursion de Magnus le Rouge, la frontière entre le monde matériel et le
warp, sur Fenris, avait été puissamment amoindrie, et le Croc vibrait d’un
pouvoir balbutiant à la limite de la perception.
Le monde des Space Wolves avait toujours occupé un espace
inhabituellement proche de l’Immaterium. C’était cette proximité avec le
royaume des rêves et des cauchemars qui était la source de leur tradition
runique, et peut-être le secret du Canis Helix présent dans la lignée
génétique des Space Wolves, un présent du Père-de-Tout pour repousser les
tentations des dieux obscurs. Njal avait découvert de nombreuses façons de
voir l’univers au cours de ses années avec les Fils de Russ, auprès des
archivistes d’autres chapitres, des psychomanciens de l’Adeptus
Mechanicus et de leurs algorithmes de warp, ainsi que des habitants et
serviteurs de l’Abysse. Mais dans son cœur demeurait le wyrd de sa
jeunesse, le lien inné avec l’essence de l’univers qui constituait la base de
ses pouvoirs. D’autres parlaient d’ouvertures entre les dimensions, ou de
puiser dans un distant réservoir d’énergie. Mais pour Njal, et ceux qui
avaient grandi comme wyrdfulk sur Fenris, leurs talents ne venaient pas
d’ailleurs, mais faisaient partie d’une substance qui les entourait.
C’était ainsi qu’il percevait le Croc à cet instant : la surface entre le
royaume des mortels et celui du divin tendue à la limite de sa résistance. Il
entendait les murmures des serviteurs morts du Père-de-Tout qui se
lamentaient de n’avoir pas pu Le servir et non pas de leur mort lors des
épreuves pour devenir space marine. Les serments non tenus des frères
tombés retentissaient entre ces murs et leur écho emplissait les tours. Des
cris de bataille ou des grondements d’agonie émis de l’autre côté de la
galaxie se réverbéraient dans tous les recoins de la citadelle.
Il avait pu les voir également, à l’occasion, quand les lunes étaient pleines
au-dessus du Croc et que le ciel de Fenris était éclairé d’étoiles qui n’étaient
pas du royaume des mortels. De brefs aperçus dans l’ombre, des morts
émaciés et des glorieux disparus ; de ceux qui avaient péri dans le
déshonneur et de ceux qui avaient donné leur vie avec bravoure.
Et pas seulement des Space Wolves.
Fenris avait vécu plusieurs invasions au cours de sa longue histoire, des
Thousand Sons de Mangus aux fanatiques enragés du Cardinale Bucharis
en passant par nombre d’autres traîtres et forces xenos. Des milliers
d’années s’étaient écoulées depuis leur siège de la forteresse, mais les
esprits déments des Frateris continuaient à hurler et mugir leurs prières à un
faux Empereur-Dieu. Des cantiques blasphématoires des fils de Prospero
étaient gravés dans les murs, les visages des suppliciants dessinés par les
fissures entre les pierres et les traces du millénaire.
Cela n’avait rien de nouveau. La première fois que Njal avait posé le pied
dans l’aett des Space Wolves, il avait ressenti la présence d’antiques morts,
comme si l’édifice avait été construit non seulement comme une forteresse,
mais aussi comme un conduit pour l’âme des disparus. Sous les lumières
dansantes du pôle, le Croc avait aussi miroité d’une lueur venue d’ailleurs,
alimentée par le pouvoir de demi-dieux et de princes immortels.
Ces derniers temps, l’intensité et la fréquence de ces intrusions s’étaient
accrues. Magnus avait poursuivi plus qu’une simple vengeance lors de son
dernier assaut. Sa légion et ses alliés démoniaques avaient peut-être été
chassés de la surface de Fenris, mais ni Njal, ni Logan ni quiconque ayant
la sagesse de voir ne pouvait appeler l’issue de cette bataille une victoire.
Ça avait été en partie pour échapper à ces distractions que Njal s’était
aventuré à travers les étendues sauvages. Il avait cherché à s’éclaircir les
idées dans les monts enneigés, comptant sur l’effort intense de son périple
pour dissiper le brouillard de doute que Magnus avait laissé dans ses
pensées.
Njal avait cherché à se purger, à revenir à l’état de grâce naturel qui lui
avait donné son wyrd.
Et cela avait fonctionné. Sa vision wyrd était devenue plus perçante que
jamais, mais son esprit en sortait lui aussi renforcé et les apparitions qui
hantaient le Croc ne s’introduisaient donc plus dans ses pensées
conscientes. C’était différent dans son sommeil, mais la physiologie dont
l’avait gratifié le Père-de-Tout était, pour ça, un réel avantage qui lui
permettait de se reposer complètement en un simple quart d’heure. Mais
même ce court repos, il se l’était refusé lors de sa quête. Cela faisait très
longtemps qu’il n’avait pas connu ne serait-ce que le demi-sommeil de son
nodule catalepsen.
Ainsi arriva-t-il dans sa chambre, fatigué jusqu’aux os, mais l’esprit
revigoré.
Le souffle d’Arjac formait de longues bouffées vaporeuses et reflétait la
brume qui s’échappait de la grotte. À une centaine de mètres de l’entrée, il
brandit son marteau et son bouclier et avança d’un pas franc, les yeux rivés
sur la crevasse devant lui.
Il avait douloureusement conscience de l’ombre qui s’allongeait dans son
dos à mesure que le soleil disparaissait derrière la plus lointaine extrémité
du fjord. Les ténèbres l’engouffrèrent quand il ne fut plus qu’à une
cinquantaine de mètres de la fissure déchiquetée. Il se mit à courir à petites
foulées afin de rattraper la ligne de démarcation entre ombre et lumière,
mais il était encore à une trentaine de mètres de l’antre de la bête quand la
pénombre projetée par la montagne en atteignit le seuil. La surface
réfléchissante de la glace fut engloutie par la nuit et plongea le plateau dans
l’obscurité.
— Balka, jura Arjac.
Une salve givrante jaillit de la grotte et couvrit l’armure et le bouclier
d’Arjac de givre. Il cligna des yeux, brisa la pellicule blanche juste à temps
pour voir une forme serpentine se glisser au-dehors. Il pouvait déjà voir une
vingtaine de mètres de la vouivre qui rampait sur le plateau gelé, et
pourtant, l’extrémité de sa queue n’était toujours pas visible. Sa tête était
cerclée d’une collerette dentelée, déployée en signe d’agression, tandis que
sa gueule s’ouvrait pour révéler des crocs en stalactites.
Dans son dos, les villageois crièrent de terreur, mais Arjac sentit une vague
de soulagement l’envahir quand la vouivre monstrueuse glissa vers lui.
Ça n’était pas un démon.
— Ce n’est rien, dit-il en jetant un coup d’œil aux villageois qui reculaient.
C’est seulement une vouivre-tempête infectée par le wyrd !
Arjac porta à nouveau son attention sur la créature qui se dressa à dix
mètres au-dessus de lui. Le champion du loup suprême brandit son bouclier,
tout en tenant souplement son marteau de son autre main.
De la vapeur s’échappait par volutes de la gueule du serpent. Elle vint
envelopper Arjac et se cristalliser sur sa peau et la céramite de son armure.
Le museau vint s’écraser sur le Bouclier Enclume. L’impact projeta Arjac
vers l’arrière dans une explosion d’étincelles libérées par le champ de force.
Il atterrit brutalement, sa lourde armure brisa la glace dans un panache
blanc. Le gigantesque serpent s’approcha de lui en balançant la tête.
Avec un hurlement féroce et dans un tourbillon de neige, Tyra le dépassa
au pas de course. D’autres rescapés du village dévasté la suivirent, crachant
les noms d’être aimés comme autant de malédictions, les titres du Père-de-
Tout scandés comme des invocations de protection.
— Non, non, non, grommela Arjac. Il roula sur le côté pour se redresser
sur un genou. Vous allez seulement me gêner !
Les murs des corridors autour des appartements des graveurs de runes
étaient remplis de wyrdwards : des symboles faits en fer, en pierre et en or,
et des runes d’entrave en silex. Leur aspect était grossier, comme les
offrandes barbares des non-initiés aux forces obscures, mais Njal savait
qu’il convenait de ne pas juger ces talismans à leur apparence. Toute chose
avait une présence dans le warp. Les érudits de l’Imperium lui donnaient
bien des noms : l’âme, l’ombre, l’esprit. Pour les bardes runiques, il
s’agissait d’un reflet, d’où les noms poétiques qu’ils donnaient au warp :
l’Autremer, les Eaux dans la Glace, l’Ailleurs Gelé. Comme une réflexion
sur la paroi striée d’un glacier, la projection du matériel dans le warp était
incomplète et même asymétrique. Les touffes de cheveux ensanglantées et
les os gravés, les icônes runiques forgées, plus anciennes que le Croc lui-
même, étaient l’inverse : des interprétations mortelles et imparfaites de purs
concepts du warp. C’était le langage des dieux, retranscrits dans l’écriture
sommaire des hommes, qu’on ne pouvait lire qu’en surface, leur cœur
relevant d’un langage connu seulement des sombres dieux et du Père-de-
Tout. Il s’agissait d’une traduction rudimentaire, comme les tentatives que
faisaient les étrangers pour parler la langue de Fenris, n’entendant et ne
prononçant que les sons âpres du langage, sans percevoir les intonations et
les silences qui adoucissaient les mots.
Dans le warp, le clou trois fois tordu n’était pas une simple attache, mais
un verrou de l’esprit. Le Nœud de l’Éternité, en bandes d’argent tressées
apparemment à l’infini, était un conduit, amassant de la puissance,
siphonnant l’énergie hors d’atteinte de ceux qui auraient voulu s’en emparer
à des fins infâmes. Les fourrures, crocs et griffes étaient tous l’incarnation
de l’esprit de Fenris, la force primale et inexorable de la planète elle-même.
Aux yeux de Njal, alors qu’il approchait de sa chambre, les murs étaient un
arc-en-ciel aux teintes vibrantes, bariolé de haine et d’espoir, d’amour et de
rage.
La porte ressemblait à toutes les autres portes mécaniques que contenait le
Croc, avec pour seule différence la marque gravée dessus à la dague : celle
du Maître des Tempêtes. Sa rune s’illumina d’or en reconnaissant son
créateur, le sang qui avait servi à sceller sa création était un lien qui ne
pouvait être rompu ou falsifié par des moyens profanes. Njal défit
consciencieusement les verrous du portail et la porte s’ouvrit dans un
sifflement.
La pièce était plus vaste que ne le laissait présager l’apparence banale de
sa porte. Njal ne porta aucune attention aux spirales de runes et aux figures
octogonales gravées dans la roche à nue, mais pour un non-initié, cette vue
aurait été déroutante, voire la cause d’une bonne migraine. Au-dessus de lui
se trouvait un plafond cristallin, à peine visible si ce n’était les fines
nervures qui scintillaient dans les lumières des étoiles perçant la couche
supérieure de l’atmosphère de Fenris. Une lumière prismatique dansait dans
la chambre, brisée par des lignes de géométrie wyrdique.
Vers le centre de la pièce, nimbée d’un halo de wyrd, se dressait une
armure tactique Dreadnought, posée sur un large mannequin articulé en
bois, sa céramite bleu-gris ornée de symboles métalliques. Des fourrures et
des queues de loup, des talismans et des wyrdlodes intensifiaient sa
protection psychique. Sur la tête du mannequin, il y avait un ensemble de
fins câbles entrelacés et de connecteurs en cristal : une coiffe psychique.
Aile-de-Nuit quitta l’épaule de Njal quand la porte se referma derrière lui
pour se poser sur la chaise qui faisait face à la cuirasse du Maître des
Tempêtes. Le trône, dont la taille était si imposante que le terme de chaise
ne lui rendait pas justice, était taillé dans une seule pièce de bois. Des
millénaires de vernis et de patine assombrissaient la plupart des délicats
détails sur lesquels son créateur avait de toute évidence passé des jours.
Plus visibles étaient les os pâles encastrés dans le bois sombre. Ceux-ci
suivaient grossièrement la forme de celui qui s’asseyait dessus, fémur et
tibia dans les pieds du trône, les accoudoirs décorés de même et des
vertèbres courant sur le long dossier étroit. Un crâne lupin était installé au
sommet de la structure, juste au-dessus de la position de la tête de
l’occupant, lui faisant comme une couronne ou un halo.
Quand Njal avait vu le siège pour la première fois, il avait cru le squelette
incrusté dans la structure être celui d’un loup-tonnerre, mais un examen
plus poussé lui avait révélé une vérité bien plus grotesque. Le crâne
trahissait des traits humains et les phalanges comportaient un pouce
opposable, contrairement aux pattes d’un loup. Ces os avaient été ceux d’un
humain, ou d’un être apparenté, corrompu par la malédiction du wulfen.
Njal ignorait à qui ses os avaient appartenu, et son prédécesseur en tant que
Seigneur des Runes ne lui avait pas fourni cette information avant de
trouver la mort. Il pouvait néanmoins percevoir le potentiel psychique
accumulé dans les antiques ossements, et il savait d’instinct qu’ils étaient
probablement plus anciens que le trône dans lequel ils avaient été fixés avec
des cercles d’or et des clous de fer à tête fendue. Il semblait au moins
évident que cet individu avait été un grand wyrdthegn des tribus. Peut-être
même s’agissait-il du légendaire Ighest Baldrkin, dont Gnauril l’Ancien
avait vanté les exploits dans ses chroniques.
Peu importait le but de celui qui s’était un jour approprié cette dépouille,
elle servait désormais de point focal pour la configuration de la chambre
runique. Située dans les hauteurs du Croc, la pièce dévolue au Seigneur des
Runes était à l’abri de la lourdeur matérielle de la citadelle et de son
encombrement psychique, à l’image des tours de wyrd de jadis dans les
grandes villes des rois. Tout était assemblé de manière à concentrer les
énergies de la cascade polaire dans cette pièce, et tout spécialement dans
l’esprit de celui qui s’asseyait sur le trône runique.
Njal envoya Aile-de-Nuit se percher sur le support de son armure et
s’assit. Il se vit brièvement prendre place dans la chaise macabre à travers
les yeux de son familier avant de le mettre en veille. Il posa ses mains sur
les bras squelettiques des accoudoirs et s’adossa. Il sentit la présence de la
colonne vertébrale contre la sienne, plus par un effet de son imagination que
par une véritable sensation physique, ses épaisses fourrures protégeant son
dos d’un contact direct avec le trône.
Il ferma les yeux, avec l’intention de méditer plutôt que de dormir.
Cependant, son corps, même avec sa formidable physiologie, était si fourbu
des épreuves traversées dans les terres sauvages qu’il ne se passa pas même
une minute avant qu’il ne sombre dans l’inconscience. La chambre runique
était façonnée pour protéger et étendre les pensées de l’occupant du trône.
C’était là d’ailleurs son but premier. Dormir dans les bras du trône d’os,
c’était laisser son esprit naviguer sur les vagues de l’Autremer, guidé par les
désirs de l’inconscient et libéré des pensées de l’éveil. Njal l’avait utilisé
maintes et maintes fois dans le cadre de sa fonction, mais il était
malheureux, voire inconsidéré, qu’il le fît dans cet état de quasi-épuisement,
cette nuit-là.
Alors que les ultimes vestiges de sa conscience échappaient au Maître des
Tempêtes, sa dernière pensée fut pour le désir de Logan de voir le retour du
Roi Loup, qui se manifesta dans son esprit à travers le symbole du Loup-
qui-erre-parmi-les-Étoiles, connu par les adeptes sous le nom de lupus
rampant. Son esprit fut filtré à travers l’amas de matériaux chargés
psychiquement autour de lui, à la fois diffusant et amplifiant, le laissant à la
dérive sur l’Autremer.
Il vit l’Œil de la Terreur. Le vortex de désespoir et de terreur dans lequel se
cachaient les légions qui s’étaient retournées contre le Père-de-Tout. Cela
avait jadis été à la fois le territoire et la prison de Magnus et des autres
Primarques-démons, mais ils s’en étaient libérés et apportaient désormais à
nouveau la ruine dans l’Imperium.
Le hurlement d’un loup déchira la galaxie, exprimant non pas de la peine,
mais de la rage. Il devint de plus en plus puissant, jusqu’à détruire des
planètes et éteindre des étoiles. Il en émergeait des flammes bleues et des
épidémies séditieuses, des rivières de sang et une tempête de lames dorées.
Njal vit que la galaxie était ravagée de blessures, chacune une fissure dans
la réalité. Une entaille dans la structure de ce-qui-est et ce-qui-ne-devrait-
pas-être. Dans le lexique de l’Adeptus Terra, cela s’appelait la Grande
Faille mais, pour les Space Wolves, cette catastrophe à l’échelle galactique
portait un autre nom : L’Éternel Crépuscule. La lumière mourante de
l’espoir. Le crépuscule des dieux.
L’Œil devint une gueule acérée, dévorant tout ce qu’elle pouvait, enflant
sans cesse jusqu’à ce que Terra elle-même, sphère d’argent brillante, se
retrouve entre ses mâchoires.
Mais son esprit ne s’aventura pas près du Monde-Trône. Il fut attiré par un
autre courant, dévié de son chemin par une pensée fugace. Son regard
onirique poursuivit sa route vers un tourbillon de lumière au centre de la
galaxie. Il vit une tache d’obscurité qui se détachait de l’arrière-plan
éclatant, d’un noir plus profond encore que celui de l’espace. Njal n’eut
besoin de rien d’autre pour l’identifier. Cette position était bien repérée par
la tradition de son Chapitre, et en particulier dans les sagas des prêtres des
runes.
Prospero.
Un monde mort. Un monde ténébreux. Un monde que le Roi Loup avait
exécuté pour ses transgressions à l’égard du Père-de-Tout.
Le monde d’origine de Magnus et des Thousand Sons.
Au moment où son vaisseau mental prit la direction de Prospero, il
ressentit une connexion instantanée. C’était un monde qui avait été infusé
par le wyrd des Thousand Sons et même par-delà la distance temporelle, il
chantait toujours à travers les vagues de l’Autremer. Les cris d’agonie de
milliards d’âmes résonnaient toujours, les dix mille dernières années
n’ayant en rien calmé le tourment de leur trépas.
Éveillé, Njal aurait détourné son regard mental, car se focaliser trop
longtemps sur un monde comme Prospero, c’était s’exposer à la fascination
et au désastre. Mais ce ne devait pas être et Njal s’attarda un peu plus,
hypnotisé par les réminiscences runiques de la destruction.
Au milieu du fracas des villes qui s’effondraient, il entendit une voix
unique qui se détachait des autres par sa clarté. Une supplique, de prime
abord inarticulée et plaintive. Pas si différente des appels de détresse des
innombrables victimes de l’exécution de Prospero, si ce n’était par sa
proximité. Une chose impossible, Prospero étant morte depuis dix mille ans,
sa charogne nettoyée de toute trace de vie. Et pourtant un esprit répondait à
celui du Prêtre des Runes.
Sans réfléchir, à moitié délirant de fièvre, il établit un contact.
Arjac se remit sur ses pieds alors que Tyra n’était plus qu’à quelques mètres
du monstre. Il pouvait voir son reflet dans les facettes des yeux noirs
comme le charbon, l’image rétrécissant à mesure qu’il se redressait pour
une nouvelle attaque. Aussi clairement que par une prémonition du wyrd, il
eut l’image de la mâchoire bestiale se refermant sur la guerrière, la coupant
en deux.
Il fit un pas et projeta le Marteau à Ennemis. La puissance de sa force
prodigieuse augmentée par son armure Terminator envoya l’arme, droite et
précise comme un tir de laser. La tête étincelante percuta le crâne de la
vouivre des glaces, envoyant voler d’épaisses écailles comme les boucliers
d’une formation brisée.
Le Marteau à Ennemis finit sa course dans le chaos de glace derrière le
monstre.
Le serpent s’effondra sur le côté et se débattit dans les congères. Un torrent
d’éclats de glace fit reculer les Fenrissiens. Du sang s’échappant de la plaie
au-dessus de son œil, le monstre mutant se redressa à nouveau, la mâchoire
grande ouverte pour émettre d’autres vapeurs hivernales. Trois villageois
s’enfuirent du brouillard, hurlant et gémissant tandis que du givre faisait
craquer leurs veines. Ils s’effondrèrent, s’étouffant dans une quinte de toux,
cœur et poumons paralysés par le souffle corrompu par le wyrd de la bête.
— Reculez, rugit Arjac.
De sa main désormais libre, il fit signe aux villageois de faire marche
arrière quand ceux-ci s’avancèrent pour porter secours à leurs compagnons
terrassés par la glace.
— Je suis un Guerrier du Ciel, lui dit Arjac qui avançait d’un pas lourd.
Mes armes sont la volonté des dieux.
Il leva la main et activa la balise de téléportation miniature dans sa main. Il
y eut un éclat de lumière dans l’obscurité de la brume émise par la vouivre
et un instant plus tard le Marteau à Ennemis se matérialisa dans sa poigne.
Tyra le dévisagea, bouche ouverte de surprise, tandis qu’il chargeait, la
dépassant de sa course puissante alors que la vouivre plongeait une nouvelle
fois vers lui.
Cette fois-ci, il contra l’attaque avec son marteau plutôt qu’avec son
bouclier, et porta un coup vertical de la tête aux volutes de tempête. Il y eut
une explosion d’énergie de brouillage moléculaire qui ravagea la mâchoire
inférieure et une partie du museau. Des fragments d’os brûlés et de sang
cristallisé passèrent au-dessus de la tête de Poings de Pierre pour tomber en
pluie sur les villageois ébahis.
La vouivre agonisante s’effondra vers l’avant et obligea Arjac à la frapper
de son bouclier pour détourner sa trajectoire et sauver une nouvelle fois la
vie de Tyra. Le cadavre à moitié décapité fut secoué de quelques spasmes
sur la glace, où il creusa des marques ensanglantées tandis qu’une
répugnante substance huileuse suintait de ses glandes venimeuses engorgées
par le wyrd.
Les yeux de Njal se rouvrirent avec un sursaut et il se réveilla dans un cri
d’angoisse étouffé. Sa respiration dessinait des bouffées de vapeur, la
chambre refroidie par les courants psychiques qui se dissipaient dans le
maillage de la pièce. Les lignes de force et les mécanismes runiques étaient
couverts de givre et traçaient des entrelacs de glace sur les murs et le sol.
Une fine pellicule de gel couvrait sa peau et elle se craquela quand il se
redressa, son corps amélioré endolori par le froid mordant.
Toute chaleur avait disparu de la pièce, la laissant aussi glaciale que les
montagnes alentour. Les yeux de Njal le lançaient et il les frotta de ses
doigts couverts de givre.
Lorsqu’il se remit debout, des éclats de glace tombèrent de sa barbe et de
ses fourrures pour aller se briser sur le sol. Ce bruit lui évoqua vaguement
quelque chose de familier : l’appel à l’aide qui avait conclu son voyage
onirique. Il secoua la tête, pensant à un mirage acoustique, ou une
conséquence de son épuisement. Il n’avait dormi que deux minutes et ne se
sentait pas le moins du monde reposé.
À l’aide !
L’appel était cette fois indéniable, maintenant qu’il n’était plus mêlé ou
masqué par un autre bruit. L’ouïe aiguisée de Njal lui indiqua que sa
faiblesse était due à la distance plutôt qu’à des obstacles.
À l’aide !
Njal se retourna brusquement vers la gauche et la droite, certain qu’il y
avait une autre présence dans la pièce. Il ne vit rien. L’afflux de pouvoir
psychique avait disparu et la glace commençait à fondre.
À l’aide !
La voix n’était pas portée par des ondes sonores, comprit Njal. Son
cerveau l’interprétait comme un appel lointain, mais le message trouvait en
fait son origine à l’intérieur de sa tête. Il se souvint du contact établi à la fin
de son escapade psychique. Ses pensées s’emplirent de malaise. Le Prêtre
des Runes déglutit.
— Pauvre fou, murmura-t-il. Qu’as-tu fait ?
Il ferma les yeux et raffermit ses pensées, protégeant son esprit de
plusieurs couches d’acier psychique pour empêcher toute intrusion
extérieure. Il se sentit disloqué et seul, mais une fois complètement coupé
du warp, il devenait impossible pour la chose qui essayait de le contacter de
pénétrer ses barrières.
+À l’aide !+
Njal chancela et s’agrippa au dossier du trône d’os pour se rattraper. Les
mots étaient les mêmes, mais l’intonation avait changé. Elle n’était plus
suppliante, son interlocuteur se faisait insistant.
+Oui. C’est ça. Réfléchis, Fils de Russ. Concentre-toi !+
L’insistance de la voix déclencha immédiatement un agacement rebelle
chez Njal, un désir instinctif de rejeter cette autorité présomptueuse. Mais
malgré son indépendance toute fenrissienne, le Maître des Tempêtes savait
qu’il devait obéir et il concentra donc son attention vers l’intérieur plutôt
que vers l’extérieur.
Son mur défensif toujours en place, il commença à tâter sa propre
conscience, comme s’il se retranchait dans une citadelle, abaissait la herse
et fermait les portes derrière lui.
Il découvrit l’intrusion.
Elle ressemblait à une étincelle ou à une écharde, une minuscule particule
de quelque chose d’étranger inséré dans son esprit. Un fragment, brisé
quand il s’était arraché de son errance mentale au moment où la connexion
s’était établie.
Njal tenta de purger le morceau invasif, mais il résista à toutes ses
tentatives pour s’en débarrasser. Comme un harpon, il était accroché dans
son essence psychique, son propre pouvoir l’enveloppant comme un arbre
qui pousse autour d’une pierre. Plus il appliquait de force pour l’extraire,
plus l’éclat s’enfonçait.
— Qu’es-tu ? Démon ? grogna le Maître des Tempêtes. Tu n’es pas le
premier à tenter une telle ruse.
+Tes péchés t’ont rattrapé, Fils de Russ+
Njal accepta l’insulte sans réagir, sachant très bien que répondre aux
provocations des démons ne faisait que leur donner plus de pouvoir. Il
réfléchit un peu plus longtemps. Il se redressa en retrouvant son équilibre.
— Un sorcier des Thousand Sons.
Il ressentit une bouffée de surprise disloquée.
— Tu penses que parce que je porte des fourrures, j’ai la cervelle d’un
animal ? C’est ce type d’arrogance qui vous a perdus.
+Tu m’as l’air remarquablement calme, étant donné l’embarras de la
situation.+
— Je n’ai encore jamais rencontré des circonstances où la panique serait la
meilleure solution, sorcier. Je ne vais pas tarder à te détruire.
+Je suis pris au piège.+
— Parfait.
+C’est n’est pas parfait. Je suis pris au piège ici, dans ta tête.+
Le pouls de Njal s’accéléra.
— Comment est-ce possible ?
Un soupir inaudible traversa l’esprit de Njal, une brève sensation de
résignation et de regret.
+Que sais-tu du Portail Labyrinthe de Prospero ?+
— Peu de choses. Mais plus, maintenant que certains de nos frères de la
Compagnie Perdue qui y étaient enfermés nous sont revenus. C’était un
dédale du warp, qui cheminait entre les planètes et les royaumes, qui
permettait à la légion de Magnus de voyager entre leurs enclaves et
domaines sans vaisseaux. Nous l’avons détruit avec ses créateurs.
+C’est en effet bien peu, et ce peu est faux. Le Portail Labyrinthe ne peut
être détruit par les bombardements ou l’Inferno. Il existe hors de la réalité.
Mais l’invasion de vos compagnies a brisé bien des connexions, et fracturé
les ponts entre les destinations. Vos lanceurs de runes ont scellé ce qu’ils
ont pu trouver, mais c’est tout.+
— Je ne comprends toujours pas ce qui te fait croire que cet assaut va
réussir, fils maudit de Magnus. Comment oses-tu être dans mes pensées ?
Il y eut une hésitation frustrée.
+Je suis mort.+
— Pardon ?
+Je suis mort. Un de tes prédécesseurs m’a tué à l’intérieur du Portail
Labyrinthe. Mais à cause de sa maladresse, mon essence n’a pu se dissiper
dans le warp. Mon corps repose, préservé dans le réseau, et mon esprit y
reste prisonnier, incorporel.+
— Cela n’explique pas comment tu t’es retrouvé dans ma tête.
+Je n’en suis pas certain. J’étais délirant jusqu’à ce que tes pensées
touchent les miennes. Tu as agi comme un canal, peut-être en trouvant un
passage dans la barrière qui protège le Portail Labyrinthe. J’ai l’impression
qu’il y a eu un grand bouleversement entre le warp et la réalité. Les choses
ont changé depuis que j’ai été abattu, et je suppose que du temps a passé
depuis.+
— Du temps ? Njal secoua la tête, incrédule. Tu n’as aucune idée du temps
qui s’est écoulé depuis ta mort ?
+Aucune. Tout est confus et brisé. Le temps y est en pièces tout autant que
les connexions temporelles.+
— Dix mille ans, sorcier. Dix mille ans se sont écoulés depuis que les
loups ont brûlé Prospero.
+Je…+
La proximité de la présence s’estompa, bien que Njal put toujours
percevoir son picotement dans son esprit. L’écharde psychique émit de la
confusion qui se glissa dans ses pensées avant d’être remplacée par un
sentiment de tristesse et de perte.
+Dix mille ans ? Je savais qu’il s’était passé plus que quelques instants,
mais autant ? Tout ce que je connaissais n’est plus que poussière.+
Njal éclata d’un rire sans sympathie.
— Bien plus que tu ne le crains, sorcier. Je vais prendre du plaisir à te
conter ce qui est arrivé à ta légion pendant que je cherche comment me
débarrasser de ton intrusion.
+C’est chose assez simple, si tu en as le courage. Tout ce que tu as à faire,
c’est d’entrer dans le Labyrinthe et ce fragment réintégrera le reste de mon
esprit.+
— Entrer dans le Labyrinthe ? Tu veux dire que je dois aller jusque sur
Prospero ?
+Jusqu’à Tizca, pour être exact. La ville où moi-même et tes frères
sommes entrés en dernier.+
— Ton monde a été rasé. Il n’en reste rien.
+Je vais trouver ça pénible, si je dois me répéter. Je peux toujours
percevoir des parties de Tizca. Maintenant que je peux me concentrer, je
vois que ce n’est plus qu’une tombe, mais elle est toujours partiellement là,
et les portails abandonnés n’ont pas disparu.+
— Tout cela ressemble fort à un piège, sorcier. Tu me crois ignorant de tes
ruses ?
+Alors, tu te dois de considérer cela aussi comme un appât, car il est dans
ton propre intérêt de le faire.+
— Les archives du Croc sont immenses et notre sagesse est ancienne,
Prosperin. Je trouverai un moyen de chasser ta corruption sans avoir besoin
de traverser la galaxie.
+Mais, et tes frères perdus ? L’odeur de Fenris a attiré tes pensées
oniriques, Fils de Russ. Négligerais-tu l’opportunité de les libérer eux aussi
?+
Njal inspira profondément et rouvrit les yeux, la pièce lui paraissait
étrangement peu familière maintenant qu’il la regardait aussi à travers les
yeux d’un autre. Il se dirigea vers la porte.
— Je suis sûr qu’il sera assez simple d’incinérer ce qu’il reste de ton âme.
J’ai seulement besoin d’un peu d’aide et d’équipement du Wyrdhall.
+J’ai cru que peu de temps seulement s’était écoulé, car ils sont toujours
là. Dix mille ans ! Je suis sûr que cela ne dérangera pas tes frères de
patienter quelques années de plus. Ils sont piégés avec moi, celui qu’on
nomme Bulveye, et ses compagnons.
Le Prêtre des Runes se figea à quelques pas de la porte.
— Bulveye ?
Njal reconnut immédiatement le nom. Ces dernières années, de plus en
plus de guerriers de la Treizième Compagnie étaient réapparus, chaque frère
et chaque escouade porteur de ses propres récits contant son
emprisonnement dans le Warp et comment ils s’étaient libérés de l’Œil de la
Terreur. Au cours de ces années, Njal avait étudié les plus anciens registres
et rassemblé les noms de ceux qui étaient perdus. Les noms de ceux qui
manquaient toujours à l’appel étaient gravés dans sa mémoire.
— Le Vieux Loup.
+Un sauvage, qui a préféré se condamner lui-même plutôt que d’entendre
raison. Il a choisi l’exil et l’emprisonnement plutôt que la cause commune.+
— Tu connais un nom. Ça ne veut rien dire.
+Il m’a tué d’un tir de plasma et manie une hache énergétique. Tu veux
que je te décrive l’expression exultante qu’il arborait au moment où il
rejetait sa chance d’être libre dans une démonstration d’orgueil borné ? Je
peux te conduire directement jusqu’à eux.+
Était-ce possible ? Les ramifications des propos du sorcier allaient au-delà
du prédicament immédiat du Maître des Tempêtes. Si d’autres de la
Treizième Compagnie pouvaient être libérés, cette possibilité devait être
soumise au loup suprême. Il ne sentait que peu de danger de la part du
sorcier. Dépourvu de son corps, réduit au plus infime morceau de son âme,
il n’y avait guère de choses qu’il puisse faire pour nuire à Njal ou à ses
frères.
C’était trop énorme pour y réfléchir seul.
— Il y a peut-être quelque mérite à ce que tu suggères, concéda Njal.
Un accès de triomphe fleurit dans son esprit, émanant de l’éclat d’âme du
sorcier.
— Ne te crois pas victorieux si vite, maudit de Prospero. Je ne te laisserais
pas profiter de mon erreur.
+Je pense que nous poursuivons le même dénouement, chien de Russ, et
jusque-là, nos sorts sont liés.+
Njal dut lui concéder cela, pour le moment seulement. Il se racla la gorge
pour retenir un grondement de frustration.
— Par quel nom étais-tu connu de ton vivant, sorcier ?
+Je m’appelle Izzakar Orr.+
CHAPITRE 3
DE DURES VÉRITÉS.
Lukas s’avança dans le hall, adressa un bref signe de respect aux vétérans
qui s’étaient levés, et un autre au Loup Suprême. Il se dirigea vers le Maître
des Tempêtes, lequel dévisageait le nouveau venu avec les sourcils froncés,
quoique Lukas ne pouvait dire si c’était de la confusion ou de l’agacement.
— Il me semble que ce genre d’effort… mission… quête, requiert toutes
les mains qualifiées, non ?
Lukas se retourna, porta les doigts à ses lèvres et siffla deux fois. Un bruit
de bottes se fit entendre depuis le corridor par-delà les portes et, quelques
secondes plus tard, un groupe de sept jeunes Space Wolves apparut. Ils
portaient la barbe courte, les cheveux en tresses complexes et en pointes, en
l’honneur du style flamboyant de leur chef de meute adoptif. Les marques
de leur armure grise étaient celles des Griffes Sanglantes, le rang le plus
subalterne d’un guerrier après que celui-ci ait reçu sa carapace noire et soit
devenu un authentique space marine.
— J’ai amené quelques amis, ça devrait compter pour quelque chose, non
?
— Où as-tu trouvé ces hommes ? demanda le Loup Suprême.
Il pointa les Griffes Sanglantes, indiquant les emblèmes d’une Grande
Compagnie sur leurs épaulières.
— Ces guerriers sont des Loups de Fer ! Egil sait-il qu’ils sont avec toi ?
— Je les ai… empruntés, répondit Lukas en choisissant ses mots. Egil
Loup de Fer n’a probablement pas encore remarqué leur absence. De plus,
je crains que nous ne nous écartions du sujet de mon intervention
opportune. Mes amis, anciennement Loups de Fer, et moi-même nous
trouvons dépourvus d’affectation. Cette petite excursion sur Prospero me
semble idéale.
— Excursion ? gronda Njal.
Lukas se dépêcha de reprendre, le regard posé sur Logan.
— À moins que tu ne préfères que nous rejoignons les Loups de Nuit,
Loup Suprême ?
L’expression d’horreur, puis d’indignation qui envahit le visage de Logan
Grimnar fut une récompense à elle seule, mais l’offre, ou la menace, eut
l’effet désiré.
— Le Trompeur a raison, Njal. Ta cause a besoin de tous les guerriers
possibles.
Le regard du Maître des Tempêtes était toujours aussi noir. Il traversa le
hall d’une démarche mesurée. Par quelque effet acoustique, ou peut-être un
usage subtil du wyrd, ses pas résonnèrent comme des coups de tonnerre,
tandis que la lumière des torches et des lumibandes s’affaiblit, dessinant une
longue ombre au Prêtre des Runes qui s’approchait. Ses yeux étaient animés
de petits points de feu quand il plongea son regard dans le crâne de Lukas.
— J’accepte ton offre, Loup-chacal. Les mots de Njal résonnèrent
étrangement dans la tête de Lukas. Même si je l’interdisais, je pense que tu
viendrais malgré tout. Si tu te révèles le moins du monde être une
contrariété, si ta présence dérange nos préparatifs ou contrarie nos plans
pour servir tes propres objectifs, je te ferai subir un sort si funeste qu’il
ferait pâlir le Roi Loup en personne.
— Bien sûr, répondit Lukas, avec un nouveau sourire forcé.
Il faisait de son mieux pour paraître sincère, mais la nature l’avait gratifié
d’un visage et d’une voix qui tendaient au sarcastique en dépit de tous ses
efforts.
— Mon seul souhait est de servir le Père-de-Tout de la manière que je
connais le mieux.
Njal leva vivement un doigt, ce qui fit tressaillir Lukas. Au bout de sa
phalange, du wyrdfeu dansait et formait une image du visage de Lukas,
tordu par des souffrances abominables.
— Le sort le plus terrible qu’un esprit mortel puisse concevoir et infliger
avec le wyrd, Loup-chacal. Me suis-je bien fait comprendre ?
Lukas hocha la tête, n’osant pas dire un mot. Le Maître des Tempêtes
tourna son regard sévère vers les Griffes Sanglantes, toujours regroupés
près des portes, leur enthousiasme douché par le regard foudroyant.
— Vous êtes jeunes et enthousiastes, ce qui n’est pas surprenant, leur dit
Njal. Mais vous portez le fardeau de votre devoir tout autant que chaque
guerrier ici présent. Vous êtes des Space Wolves, Fils de Russ, seigneur de
Fenris. Votre honneur est l’honneur de notre confrérie. Salissez-le et nous
serons tous salis. Je ne vous demanderai pas d’abjurer ce champion
irréfléchi auquel vous vous êtes attachés. Je sais que ses manières semblent
attractives pour les esprits jeunes et impressionnables. Je vous préviens
cependant que la geis que j’ai placée sur lui, vous la partagez. Battez-vous
bien, et vous serez des légendes. Faites-moi du tort et je serai votre ruine.
Intimidés par ces paroles, les Griffes Sanglantes baissèrent les yeux et
piétinèrent nerveusement. Lukas pouvait sentir leur moral décliner, et il
s’attrista que leur enthousiasme ait été si cruellement refréné plutôt que mis
à profit. Il se glissa vers la table la plus proche et chaparda la chope du
premier guerrier, puis se retira vivement quand le Space Wolf grimaçant
tenta de reprendre son bien.
— Buvons à cette mission, et aux ultimes recrues des Chevaucheurs de
Tempête ! lança Lukas en levant sa chope en direction de ses griffes
sanglantes.
Leur état d’esprit se réchauffa un peu quand les autres Chevaucheurs de
Tempête, confrontés au risque de déshonorer la consécration s’ils ne s’y
joignaient pas, levèrent leurs propres chopines avec des grognements.
Beaucoup considéraient Lukas avec cette patience fatiguée à laquelle il
s’était habitué, mais plusieurs le lorgnaient avec un dégoût marqué,
montrant les crocs et leurs yeux lui envoyant des menaces aussi sérieuses
que l’avertissement de Njal.
— Nous avons des préparatifs à faire, dit-il à sa meute, avant de vider la
chope d’une seule gorgée.
Il lança la chopine vide à son propriétaire, qui l’attrapa avec un regard
noir.
— Il nous faut de la peinture et des munitions ! À l’armurerie, mes frères
Griffes Sanglantes !
Il les fit sortir du grand hall avec des gestes empressés, avant que les
choses ne tournent mal. Sur le seuil, il s’arrêta et se retourna et adressa une
profonde révérence à la Grande Compagnie. Ses yeux parcoururent les
visages, il y lut de l’apathie et de l’antipathie. Son attention s’attarda
brièvement sur Grimnar, qui le regardait avec l’expression de celui qui
observe le passage erratique d’une invasion d’insectes. Enfin, il croisa le
regard fixe du Maître des Tempêtes.
Il voulut lui rendre un regard sincère, pour lui promettre d’un coup d’œil
qu’il ne ferait rien pour mettre en danger la mission, et que le but des
Chevaucheurs de Tempête était aussi le sien. Lukas voulait le faire comme
il savait que ça pouvait être fait, ayant été témoin de gens qui échangeaient
de tels messages sans un mot, leur sens compris dans l’instant.
Ce qui s’exprima fut un clin d’œil taquin et un sourire malicieux.
Lukas ravala son sourire, désemparé face à son propre comportement, et
s’en alla rapidement, sans oser observer la réaction du Prêtre des Runes. Il
se hâta de rattraper ses Griffes Sanglantes.
— C’est une malédiction, ma parole, se marmonna-t-il.
On trouva un vaisseau, ce qui améliora considérablement l’humeur de Njal.
Le Longriffe était un rapide bâtiment d’attaque qui avait été laissé en orbite
autour de Fenris faute d’un équipage convenable après l’invasion des
Thousand Sons. Il disposait d’un moteur warp, d’une baie de largage pour
des modules d’atterrissage, de quelques tourelles d’artillerie et de pas
grand-chose d’autre, mais cela suffisait aux Chevaucheurs de Tempête.
Sous la houlette de Valgarthr et du Maître des Tempêtes, l’embarquement
par navettes débuta et les escouades furent transportées en orbite. On
envoya d’abord un petit contingent de servitors adaptés à l’espace pour
qu’ils préparent l’arrivée des autres. Les barges d’approvisionnement
prirent ce qui était disponible pour remplir les arsenaux et les cales, dont la
majorité du volume fut consacrée à l’armement et aux munitions plutôt
qu’aux commodités et provisions.
Le moral de Njal fut aussi remonté par la visite qu’il reçut d’Aldacrel. Le
Prêtre de Fer approcha le Maître des Tempêtes alors que celui-ci regardait
une nouvelle navette de vétérans décoller de la baie.
— Je viens avec toi, annonça le Prêtre de Fer, d’un ton qui n’appelait pas à
la discussion. Quelqu’un doit veiller sur ton équipement de guerre et apaiser
l’esprit du vaisseau.
— Trois technoprêtres voyageront avec nous, répondit Njal. Tu serais plus
utile à la campagne du Loup Suprême.
— Tu as besoin d’un Prêtre de Fer, pas lui, rétorqua Aldacrel.
Et le débat fut clos. Il s’éloigna, les préposés et servitors se mirent en route
sur un ordre silencieux, tandis que leur maître réquisitionnait l’appareil de
liaison suivant, en partance pour l’orbite.
La déclaration du Prêtre de Fer fit penser Njal à un autre individu dont il
aurait besoin. Il quitta le quai et retourna dans le Croc, pour se diriger sans
attendre vers les quartiers réservés aux membres de la Navis Nobilite.
Par delà un large pont qui traversait l’une des nombreuses gorges à
l’intérieur du Croc, une porte barrait le passage. Elle était gardée par une
escouade de soldats fidèles aux navigateurs. Ils portaient des armures
richement ornées, incrustées d’or à l’image de l’auramite des custodiens de
l’Empereur, bien que leurs occupants fussent des hommes et des femmes
ordinaires originaires des basses castes de Terra, leurs familles attachées
aux dynasties des Navis Nobilite par d’anciens pactes. Ils avaient été
entraînés par des frères de bataille du Chapitre avant d’être autorisés à venir
sur Fenris, mais leur loyauté allait d’abord et avant tout à la Maison
Belisarius.
Tout comme les halls wyrdiques et le pilastre des astropathes, les quartiers
des navigateurs étaient lourdement protégés contre le warp. Njal pouvait
sentir la force oppressante des protections psychiques construites dans les
tours et les salles en arrière du poste de garde. Cela pesait sur lui comme
une montagne.
+Je le sens aussi, une pression derrière des yeux que je n’ai plus.+
Les gardes Navis brandirent leurs lances énergétiques en guise de salut
adressé au Space Wolf qui approchait. Leur officier, une femme, s’avança et
s’inclina avec respect, son visage à moitié dissimulé par la visière sombre
de son haut casque. Elle fit voleter sa cape violette quand elle se pencha,
son autre main posée sur le pommeau de l’épée à sa ceinture.
— Bienvenue, Seigneur de Fenris, dit-elle en se redressant. Le périmètre
des navigateurs est actuellement fermé aux visiteurs.
— Qui est en résidence, Dorria ? demanda Njal, retrouvant le nom de
l’officier dans un recoin peu visité de sa mémoire.
— Le navigateur Remeo et la navigatrice-en-second Majula, répondit San
Artis Dorria Lex Vinduleus. Mais ils sont indisposés.
— J’ai besoin d’un navigateur. Nous partons à l’aube.
Dorria trépigna un peu, mal à l’aise.
— Y a-t-il un problème avec ma demande ? insista Njal.
— Le navigateur Remeo m’a fait savoir avant que vous ne veniez qu’il ne
prendrait pas part à votre voyage vers Prospero. Vous ne pouvez pas
demander à un membre de la Navis Nobilite de risquer sa vie pour rien.
— Je vois.
Njal contint sa colère. S’énerver contre Dorria eût été inutile, elle n’était
que la messagère de cette nouvelle, pas sa source.
— Transmets au navigateur Remeo mon insistance pour qu’il respecte les
termes des accords entre la Maison Belisarius et les Space Wolves. S’il est
réticent à être le guide de mon vaisseau, peut-être n’est-il plus le bienvenu
sur Fenris.
À sa décharge, Dorria ne montra aucune réaction face à la menace
implicite et se contenta de hocher la tête.
— Je saurai communiquer au navigateur Remeo votre désir d’avoir sa
compagnie pour le voyage que vous allez entreprendre.
— Je ne t’en demande donc pas plus, Dorria. Tu fais honneur à ton poste.
Et, sans plus à dire sur le sujet, Njal repartit, d’humeur bien plus sombre.
— Le Loup Suprême veut te voir, Arjac.
Il n’y avait rien de déplacé dans les propos d’Alrik Tente-le-Sort, dont la
silhouette se découpait dans l’encadrement de la porte du thegnhalle, son
armure Terminator éclairée par la lumière dansante de l’immense foyer. Il
portait son heaume et rien n’était visible de son visage. De même, son
armure tactique Dreadnought dissimulait tout langage corporel subtil.
Cependant, la sèche convocation, et non pas requête, qui était ce que
Logan préférait d’habitude adresser à son champion, arrivait à un moment
inconvenant. Arjac était de retour depuis moins d’une heure de son
expédition dans l’intérieur des terres et attendait toujours que les servitors
restant à l’armurerie, surchargés de travail, lui retirent sa cuirasse.
— C’est le Maître des Tempêtes, ajouta Alrik, expliquant beaucoup avec
peu de mots.
— D’accord. Je ferais mieux d’y aller, alors, dit Arjac.
Il se leva du banc et de la table renforcés où il avait dévoré un large
plateau, engloutit une dernière chope de bière, puis se dirigea vers la porte.
— Au wulfhalle, le détrompa Alric, alors qu’Arjac s’était dirigé vers la
gauche et le Hall des Rois.
— Je vois, dit Arjac.
Il était rare que Logan lui parle dans l’intimité de ses quartiers personnels.
Arjac était son champion, et bien rarement son conseiller. Ses interactions
avec son seigneur-lige se déroulaient généralement à la vue de tous, lors
d’audiences ou de rassemblements ouverts. Aller voir le Loup Suprême seul
annonçait quelque chose de plus personnel que son devoir en tant que chef
de la garde des Loups de Nuit.
À grands pas et en empruntant des transporteurs brinquebalants, il traversa
les étages du Croc, et remonta depuis les halls des Loups de Nuit. Il était
incommodant que le Loup Suprême soit installé dans ce qui avait jadis été
le domaine du Roi Loup, tandis que sa Grande Compagnie avait son foyer
dans une autre partie du Croc. Cela rendait sa tâche de garde du corps
ardue, mais, malgré les suppliques d’Arjac, Logan se refusait à rompre avec
la tradition et à loger ses vétérans dans les halls centraux.
Arjac constata que Baldin de la Mer Rouge et Odyn Misère-des-Ennemis
étaient de garde. Ils laissèrent sans un mot leur chef de meute entrer chez
leur maître de Chapitre.
Logan se tenait assis sur le côté d’un long bureau recouvert de feuilles de
plastek transparentes et de liasses de parchemins. Il regardait, les sourcils
froncés, des rapports logistiques et des demandes des astropathes en
affichant une férocité habituellement réservée à ses pires ennemis sur le
champ de bataille.
— C’était comment, Elsinholm ? demanda-t-il en se levant de sa large
chaise, avec sur le visage une expression de soulagement d’être libéré un
instant de ses tâches de commandement les plus pénibles.
— Froid, répondit Arjac.
Il faisait froid partout, sur Fenris. La blague était ancienne, mais elle leur
permit de partager un sourire. Le visage d’Arjac s’assombrit.
— Une vouivre des tempêtes mutante, maintenant morte.
— Bon travail.
— Pas vraiment.
Arjac se savait autorisé à parler franchement à tout moment. En tant que
champion, on attendait de lui qu’il ne dise que la vérité, pour défendre
l’honneur de son seigneur-lige tout autant que sa personne.
— Avant Magnus… Avant l’invasion, les habitants d’Elsinholm l’auraient
chassée sans notre aide, même s’ils n’étaient pas nombreux. Partout, le
peuple souffre, pas seulement à cause de ses pertes, mais dans son cœur. Ils
ont tellement souffert. Plus que même un Fenrissien ne peut encaisser.
— Alors, peut-être ont-ils besoin d’une nouvelle saga pour regonfler leur
moral défaillant. Une histoire qui montre que les Space Wolves et Fenris ne
sont pas intimidés.
— Tu as eu vent de victoires ?
C’était typique de Logan Grimnar de se préoccuper de l’espoir de son
peuple tout autant que de leurs besoins physiques.
— Nos forces expéditionnaires s’en sortent bien ?
— Certaines, répondit Logan.
Il traversa la pièce pour se tenir devant la fenêtre à petits carreaux et
contempla la blancheur du dehors. Sa silhouette se découpa dans la pâle
lumière.
— Mais ce n’est pas de ça dont je souhaite te parler.
— Une vision du Maître des Tempêtes ?
— Oui.
Logan sembla hésiter à répondre, ce qui était inhabituel. Il pesait ses mots
avec autant de soin qu’un responsable de l’approvisionnement comptait les
munitions à distribuer aux compagnies.
— Un nouveau développement, une opportunité.
— Ce n’est pas dans tes habitudes d’user d’euphémismes, Loup Suprême.
Parle franchement.
Logan se retourna avec une grimace préoccupée.
— Ce que je vais te dire ne doit être connu d’aucun autre. Tu dois être le
seul à le savoir.
— Sur mon honneur, acquiesça Arjac, dont le cœur se serra.
Il n’aimait pas les secrets. Il n’en sortait que rarement du bien, même s’il
savait que certaines connaissances, la menace du Chaos, par exemple,
étaient dangereuses en elles-mêmes.
— Je ne le comprends pas parfaitement, mais Njal des Tempêtes a piégé le
fragment d’un autre être dans ses pensées.
Arjac manqua s’étouffer et ses poings se serrèrent. Si vite après avoir été
confronté à la perspective d’une activité démoniaque, c’était un choc que
d’en découvrir la menace au cœur même du Croc.
— Quel type d’être ? Il n’arrivait pas à croire devoir poser la question et
ses doutes se firent entendre d’eux-mêmes. Quelle sorte de créature pourrait
posséder le Maître des Tempêtes ?
— Un sorcier des Thousand Sons. Logan passa une main sur son menton.
C’est une grossière erreur de la part de Njal qui a conduit à cette sombre
situation.
Logan attendit tout en observant Arjac pour savoir s’il comprenait. Poing
de Pierre hocha la tête pour que le Loup Suprême reprenne.
— Nous pouvons encore en tirer quelque chose de positif. Njal retourne
sur Prospero, dans le labyrinthe de warp dément qui a pris au piège Bulveye
et sa Vieille Garde de la Treizième Compagnie.
— Encore des Wulfens ?
Logan haussa les épaules.
— Il va nous falloir attendre pour le savoir. Njal pense qu’il peut ouvrir le
labyrinthe et libérer nos frères perdus avec l’aide de son passager wyrdique,
et je lui ai accordé la permission de rassembler des volontaires pour cette
mission. Tu vas te porter volontaire, Arjac.
— Il n’en est pas question, protesta Poing de Pierre. Je suis ton champion,
ton hearthegn, et ton garde du corps doit rester avec toi. Tu vas bientôt
rejoindre les Loups de Nuit, et ma place, le devoir de ma meute, c’est d’être
à tes côtés.
— Cette mission est plus importante.
— Je ne pense pas.
— Je ne t’ai pas demandé ton avis ! s’emporta le loup suprême
Il avait perdu son calme pour la première fois depuis des dizaines d’années
devant Arjac, et jamais encore il ne l’avait fait contre lui. Le champion
recula d’un pas, blessé par la remarque disproportionnée de son seigneur-
lige.
— Je suis désolé, dit Poing de Pierre. Il s’inclina légèrement, les yeux
baissés en signe d’excuse. J’ai dépassé les limites, Loup Suprême.
— En effet, Arjac, dit Logan, dont la colère se calma. J’ai besoin de Njal
en ces temps troublés. Tu dois le protéger comme tu me protégerais, moi.
— Bien sûr. Il y avait quelque chose d’autre, comme un non-dit dans
l’attitude du Loup Suprême. S’il est si important, pourquoi ne lui ordonnes-
tu pas de se débarrasser du sorcier ?
— Nous avons besoin du moindre guerrier. S’il peut ramener d’autres
frères de la Treizième, nous pourrons combattre sur plus de fronts.
— Mais tu espères aussi quelque chose d’autre ?
Grimnar soupira.
— C’est un espoir insensé, admit-il en retournant à son bureau pour
déplacer avec nervosité les papiers qui s’y trouvaient.
Il souleva un crâne d’ork transformé en presse-papier.
— Peut-être… peut-être peut-on retrouver quelque chose sur le Roi Loup.
Le warp a vomi des démons et relâché le Wulfen au bout de dix mille ans.
Est-ce donc folie que d’espérer que le Temps du Loup soit arrivé, et que
Russ puisse nous revenir pour nous mener à nouveau ?
— Ce n’est pas de la folie, dit Arjac.
Il s’approcha pour n’être plus qu’à quelques pas.
— Mais ce n’est pas nécessaire. Ton cœur ne devrait pas connaître le doute
de toi-même. Tu es le plus grand meneur que ce Chapitre ait connu en plus
d’un millénaire. Si quelqu’un peut nous guider en ces temps obscurs, c’est
toi.
— Quelque chose me préoccupe, reprit le Loup Suprême, laissant
retomber le crâne sur le bureau dans un bruit sourd. La présence dans les
pensées de Njal, elle pourrait devenir plus insidieuse. Les décisions de Njal
sont affectées, directement ou non. Ce sorcier a ses propres objectifs, et
nous ne pouvons pas présumer que le Maître des Tempêtes ira à leur
encontre.
— Tu veux que je surveille des signes de déviance ?
— S’il apparaît que Njal a succombé, tu devras agir. Nous cherchons des
alliés, pas plus d’ennemis. Il me semble qu’il est tout aussi probable que
tout cela soit un piège plutôt qu’une opportunité, mais nous devons prendre
le risque. Tu seras ma hache, s’il le faut.
— Je rappellerai au Maître des Tempêtes ses serments et ses devoirs, dit
Arjac. S’il se tourne contre le Chapitre, je le supprimerai.
Logan hocha la tête et se détourna, mal à l’aise avec le sujet.
— Autre chose ? demanda Arjac.
Le Loup Suprême fit non de la tête, congédiant Poing de Pierre de son
silence. Le garde-loup avait presque atteint la porte quand Logan reprit.
— Puisses-tu aller avec honneur.
— Merci, répondit Arjac.
Mais, alors qu’il mettait le pied hors de la pièce et que Baldin refermait la
porte derrière lui, il se dit que l’honneur serait une denrée rare dans les jours
à venir.
Il sentit l’odeur du sang avant de voir les éclaboussures écarlates
révélatrices dans la neige. Marchant d’un pas léger au milieu des congères,
ses pieds nus s’enfonçant dans la fraîcheur bienfaisante de la blancheur
dense, il s’agenouilla près des gouttelettes. Le vent était mordant sur sa
chaire à nu, venant vif et glacial des collines du nord. Ses bourrasques
faisaient ployer les pins qui s’amassaient autour de la rivière gelée un peu
plus loin.
La piste des taches de sang se prolongeait en direction de la forêt. Il tourna
la tête et vit les endroits où la neige avait été tassée, là où la lutte avait eu
lieu, recouverts par de la poudreuse fraîche, mais visibles à son regard
aguerri.
Lukas tendit les mains, prit un moment pour en examiner les ongles en
griffes, et ramassa de la neige constellée de sang. Il renifla à nouveau,
savourant l’odeur. Un renne de feu. Il inspira profondément, puis écrasa la
neige contre son visage pour se délecter du froid, son physique amélioré le
gardant de tout risque d’engelure. Il se passa les doigts dans les cheveux, les
fit se dresser en pointes comme des flammes prisonnières, et frotta des
poignées de neige sur son corps couvert de cicatrices et de tatouages.
Il se remit debout, la glace et l’eau dégoulinèrent le long de son corps,
comme d’un géant des légendes. Lukas tourna son regard vers les ombres
sous les arbres. Il pouvait suivre les empreintes maintenant, la piste de
rouges gouttelettes fondues s’offrant à lui.
Il s’élança d’une foulée souple et traversa l’étendue enneigée sans la
moindre difficulté. Sa respiration laissait des panaches de brume derrière
lui, des volutes qui réfléchissaient la lumière mourante du soleil et faisaient
scintiller l’air en rouge et orange.
Il ralentit en atteignant l’orée du bois.
Les craquements des branches alourdies par la neige étaient parfois
masqués par le bruit sourd d’un amas blanc s’écrasant sur le sol et le goutte-
à-goutte de filets d’eau courant le long des crevasses d’une écorce argentée.
La piste serpentait autour de plusieurs troncs et disparaissait dans la
pénombre. L’odeur du sang était plus fraîche, désormais. Il pouvait entendre
le gargouillement étouffé de la rivière presque prise par les glaces et le
sifflement du vent dans les roseaux sur la berge.
Son odorat amélioré l’avertit d’autre chose.
Une forte odeur, de chair et de mauvaise haleine, de poils mouillés et
d’urine. Un loup-tonnerre.
Choisissant son chemin avec soin, évitant les branches cassées et les
roches aiguisées, Lukas se faufila vers la rivière et se fondit dans les
ombres. Il entendit le bruit d’une mâchoire qui brisait des os, la peau qui se
déchirait et des muscles qu’on arrachait. Le puissant halètement l’emplit
d’énergie, encore plus revigorant que la tempête de neige.
Il se laissa tomber à quatre pattes, son abdomen près du sol et ses muscles
tendus sous sa peau améliorée. Il tendit le cou pour percevoir la silhouette
et l’odeur de sa proie. Contournant le tronc d’un pin, il arriva sur la berge.
Une piste de gibier serpentait entre les rochers et les bouquets de hautes
herbes couvertes de glace. Il avança encore un peu, prit bien garde au sens
du vent, et arriva derrière un rocher proche de l’eau gelée.
Deux yeux jaunes le contemplèrent depuis la cuvette, au-dessus de deux
rangées de crocs encadrées de babines retroussées. Les oreilles plaquées en
arrière et les poils dressés, le loup-tonnerre ne cilla pas quand Lukas se
rapprocha davantage, ni quand il se laissa silencieusement tomber sur le sol
à une courte distance de lui.
La cuvette était jonchée de morceaux du cadavre du renne. Du sang et des
tripes étaient éparpillés parmi la toison et les bois sur la piste et la glace. La
gueule du loup-tonnerre était rougie par son œuvre, mais il pouvait voir la
maigreur de son ventre et la lueur affamée dans ses yeux.
Varg-ulf.
Corrompu par le wyrd, rendu fou par le besoin de se nourrir et son
incapacité à le faire, poussé par un appétit insatiable à tuer au hasard.
Chassé de sa meute pour en avoir attaqué les membres, abandonné à la
démence et une mort misérable.
Lukas s’avança lentement, ne quittant pas le loup-tonnerre des yeux. Ce
dernier était encore plus large que lui, sa tête ne lui arrivant qu’aux épaules.
La fourrure de l’animal était d’un noir argenté, avec des poils blancs autour
de la gueule, du cou et de la queue.
— Tu es un peu vieux pour succomber à la folie du sang, non ? murmura
Lukas, calme et rassurant, ses mouvements soigneusement dépourvus de
toute menace. Je peux t’aider. Oui, je peux aider à vaincre la folie.
Le loup-tonnerre marchait de long en large, incertain de l’attitude à
adopter vis-à-vis de l’intrus. Lukas comprenait son trouble. Lui-même
n’avait jamais vraiment su comment se comporter avec les autres. Trop
rebelle pour la meute, trop grégaire pour être un loup solitaire.
Mais ici, nu sous le ciel et la neige, il était lui-même. Le sang qui courrait
dans ses veines était le fluide de Fenris. L’esprit qui animait son enveloppe
charnelle était le même que celui qui avait amené le Roi Loup, nourrisson,
ici, pour être élevé par des loups. C’était la saga de Russ que Lukas
préférait : son enfance dans la meute, avant qu’il n’apprenne à marcher
comme un homme.
Lukas ramassa un cuissot que le loup avait arraché de la carcasse, puis
abandonné. Un lambeau de chair l’éclaboussa de sang quand il porta la
viande à ses lèvres. Les crocs de Lukas s’enfoncèrent dans la chair crue,
firent jaillir plus de sang qui s’écoula sur sa barbe et les poils roux de son
torse. Il mâchonna brièvement et avala un gros morceau avant de mordre à
nouveau, pour engloutir la portion suivante presque instantanément.
Il laissa la viande sanguinolente lui tomber des doigts.
Le loup-tonnerre gémit. Il sentit la bête à l’intérieur de Lukas et reconnut
un congénère varg-ulf. Deux de ces monstres se seraient normalement
battus, mais l’approche de Lukas confondait l’animal. Il n’y avait pas de
défi à relever, ce qui laissa le loup-tonnerre dans l’indécision.
Lukas referma les doigts autour d’un éclat brisé des bois du renne et
s’accroupit. Ses yeux ne quittèrent pas la bête, mais il inclina la tête
légèrement sur le côté en position de soumission.
Un grondement, une vibration sourde sortie du plus profond de la gorge du
loup-tonnerre l’avertit que de troublé il devenait défensif. Lukas stoppa son
avancée, à deux mètres de la créature, pieds et chevilles couverts du sang
des entrailles dans lesquelles il s’était frayé un chemin. Le monstre à
l’intérieur de Lukas, la malédiction du Canis Helix qui rôdait dans le cœur
de chaque Space Wolf hurla silencieusement dans sa tête. Cela rongeait le
seul cœur qui lui restait et s’époumonait, voulait être libre de la chair
humaine dans laquelle on l’avait enfermée.
Lukas bondit.
L’extrémité brisée du bois trancha aisément la gorge du loup-tonnerre,
arrachant gosier et trachée en un seul geste. Du sang chaud jaillit de la plaie
en un jet puissant. L’élan de Lukas l’entraîna vers l’avant. Il s’écrasa contre
le monstre qui tomba, l’impact le projeta sur le côté.
Ils churent dans la neige et soulevèrent autour d’eux un nuage de débris de
glace et des gerbes de fluide vital écarlate. Lukas libéra son arme
improvisée et frappa à nouveau. Il la plongea dans le cœur et les côtes.
Il laissa tomber le bois et s’écarta en glissant, à l’affut du moindre signe de
vie du loup-tonnerre. Sa gorge était sèche, emplie d’une soif de ce sang qui
ruisselait de la blessure et s’écoulait le long de la pente entre ses jambes.
Il baissa la tête et lapa une fois, puis deux.
Avec un grondement, il s’arracha de la cuvette. Il se retourna et dévala la
berge jusqu’à la plaque de glace qui couvrait les eaux de la rivière. Le
contact de ses pieds avec le froid mordant lui éclaircit un peu les esprits. Il
secoua la tête et abattit ses poings contre la glace. Elle craqua, et il frappa
encore, et encore, martelant de ses phalanges jusqu’à atteindre les eaux
glaciales en dessous.
Lukas plongea la tête et le torse dans la brèche, la sensation similaire à
celle de foncer dans un mur à pleine vitesse. Cela lui assourdit les sens,
chassa l’animisme irréfléchi venu de ses gènes. L’humain finit par émerger
de ces flots écœurants qu’était sa soif de sang.
À bout de souffle, Lukas se laissa tomber sur la glace. Le sang sécha sur sa
peau, tandis que la neige se remettait à tomber. Il contempla le rouge qui
venait se mêler au bleu de la nuit tombante, une poignée d’étoiles toujours
visibles entre les nuages neigeux.
— Père-de-Tout, murmura-t-il.
Lukas s’endormit.
Sur les plus hauts sommets d’Asaheim, la région polaire de Fenris, le
crépuscule était un moment étrange. Njal se tenait sur un promontoire
rocheux, les yeux clos, le visage réchauffé par les derniers rayons du soleil.
Le ciel chatoyait de bleu profond, les étoiles voilées par la danse de
l’aurore. Pendant un bref instant, le soleil illumina les tours supérieures du
Croc, cru et dur. Bientôt, la rotation de Fenris porterait à nouveau le soleil
derrière les nuages, et la pénombre reviendrait avant de se transformer en
obscurité totale.
On mesurait le passage de l’aube et du crépuscule par la lumière du jour
qui tombait sur le symbole du Roi Loup couronnant le pinacle le plus élevé
de la citadelle. À ces moments-là, la forteresse donnait l’impression d’être
un navire sur une mer de flammes, les nuages de vapeur semblables à des
vagues que fendrait la proue.
Il arrivait aux guerriers du Chapitre de venir paresser dehors.
L’amélioration mélanchromatique de leur peau s’assombrissait alors
rapidement sous l’intensité des radiations, tandis qu’ils buvaient de la bière
et rendaient hommage au Ciel de Feu. Mais pas aujourd’hui, et Njal
contemplait seul la tombée du jour, sentant qu’il était sur le point d’être lui-
même plongé dans une très longue nuit.
Il pensa aux Saisons de Feu, quand éruptions volcaniques et tremblements
de terre déchiraient le sol et la mer, donnaient naissance à de nouvelles
vallées et montagnes et dévoraient les anciennes. Un moment de
destruction, mais aussi de création.
Pour les Fenrissiens, cela ne faisait que peu de différence. La naissance
n’était que le début d’un voyage vers la mort, dont il convenait de savourer
et de célébrer chaque moment. Ce monde volatil engendrait un peuple qui
ne croyait qu’en l’instant présent, et acceptait sa propre impermanence
matérielle. Seul l’honneur, seul l’héritage demeurait inchangé.
Njal était plus conscient que la moyenne de la fière histoire de son
Chapitre, les sagas gravées dans sa mémoire aussi sûrement que les runes
de son bâton. Il connaissait les grands héros des différentes époques, depuis
le Roi Loup en personne jusqu’à Logan Grimnar, célébrés pour leur adresse
au combat et la sagesse de leurs conseils.
Seul sur ce promontoire, Njal se savait être un imposteur.
On n’avait rien dit aux Chevaucheurs de Tempête de sa situation, on leur
avait seulement parlé de la tentative de sauvetage de la Vieille Garde de
Bulveye. Il se demanda lesquelles parmi les sagas qu’il connaissait par
cœur avaient eu des déclencheurs d’aussi mauvais augure.
Mais il ne pouvait continuer à s’appesantir sur son incurie. Cette même
culture qui accordait tant d’importance à l’instant présent créait aussi des
opportunistes. L’erreur de Njal était quelque chose qu’il aurait à assumer,
mais la chance de pénétrer le Portail Labyrinthe transformait le fardeau en
un avantage.
Le communicateur vox dans son oreille vibra et interrompit le fil de ses
pensées. Il ouvrit les yeux au moment précis où le nuage de feu atteignait
son apogée, le passage de la nuit au jour. Pendant plusieurs secondes, il se
tint seul au-dessus d’un océan de brouillard enflammé.
Le communicateur vibra à nouveau, comme un moucheron des marais
persistant, insistant et irritant.
— Oui ? répondit-il, le son de sa voix activant l’appareil.
— Notre navigateur est arrivé, Maître des Tempêtes, lui dit Valgarthr.
— Bien.
Njal n’était pas convaincu que cette nouvelle ait été assez urgente pour que
son sergent le contacte. Quelque chose clochait.
— Il y a autre chose ?
— Tu ferais mieux de venir sur la plate-forme de décollage, continua le
chef de meute, le ton de sa voix indiquant que tout ne se passait pas comme
prévu.
Njal réprima un soupir. Il se demanda quels nouveaux travers assaillaient
l’expédition.
— J’arrive, répondit-il sous la lumière du jour qui s’amenuisait.
Quand Lukas se réveilla, il s’assit, s’arrachant la peau et les cheveux pris
dans la glace. Il s’accroupit au-dessus du trou qu’il avait fait et plongea ses
mains dans l’eau. Des cristaux s’étaient déjà formés sur les bords pour
refermer la plaie dans la glace. Il se frotta avec ses griffes pour enlever les
lambeaux de chair de renne, et gratta le sang du loup-tonnerre afin de se
nettoyer de toute trace de son laisser-aller. Quand il fut propre, il se leva et
attendit que l’eau s’apaise.
Son reflet était celui d’un homme.
Un homme façonné par la main d’un antique demi-dieu à moitié mort,
mais un homme tout de même. Grand et mince, en tout cas comparé à ses
imposants semblables, il avait une cicatrice boursouflée sur la poitrine qui
ressortait au milieu des nombreuses blessures de guerre et tatouages
fenrissiens qui constellaient sa peau.
Lukas porta la main à l’ancienne plaie et y palpa les angles durs de
l’appareil implanté en dessous.
— Pas cette fois, frère-loup, dit-il à son reflet. Dors tranquille.
Il étudia son propre visage, à la recherche d’un signe du monstre qui se
cachait derrière ses yeux. Il n’y avait rien, et son habituel petit sourire
narquois put reprendre sa place.
CHAPITRE 6
L’AUTREMER
Njal regarda le Rhino et sut immédiatement que celui-ci n’irait plus nulle
part tant que les Prêtres de Fer ne s’en seraient pas occupés. Au loin, il
pouvait voir les escorteurs aller et venir avec la flambée de lumière
psychique en arrière-plan. Ce qui se passait au centre de Tizca était plus
important que sa situation actuelle et il se retint de demander par vox à l’un
des pilotes de venir le chercher.
+La Pyramide de Photep est à plusieurs kilomètres d’ici.+
— J’ai couru à travers les plaines glacées de Fenris des jours durant. Cela
ne me prendra que quelques minutes.
Son regard se posa sur Majula et sa confiance vacilla quelque peu. Elle ne
pouvait espérer tenir le rythme.
— Laissez-moi là, je vous rejoindrai quand je pourrai, lui dit-elle, devinant
ses pensées.
Ses yeux se posèrent cependant sur les montagnes de corps et les ombres
qui habitaient les immeubles en ruines.
— Je trouverai ma route vers vos frères, ajouta-t-elle.
— Ce n’est pas sûr.
Njal réfléchit au problème quelques instants et fit un pas vers la
Navigatrice, tendant sa main libre vers elle.
— Si tu ne crains pas que cela n’attente légèrement à ta dignité, je te
porterai.
— Je ne veux pas vous ralentir, Seigneur des Runes. Quelque chose de
terrible est en cours à Tizca, vous devez le contrer rapidement.
— Tu ne seras en rien un fardeau, la rassura-t-il, lui faisant signe
d’approcher. Nous courrons aussi vite que des loups en chasse.
— Je suis jeune, mais je ne suis pas une enfant. Je trouve cette attitude
paternaliste malvenue.
— Tu m’as mal compris, dit Njal. Tu es la Navigatrice, et si je veux rentrer
sur Fenris, je dois te garder en vie.
+Bien joué, fils de loup ! Tu mets enfin un peu les choses en perspective.+
— Je vois.
Elle se pressa contre la peau de loup qui pendait de sa ceinture et il la
souleva délicatement pour la tenir contre sa poitrine. Avec plus de prudence
que quand il avait attaqué les cultistes, il laissa le warp caresser ses pensées,
couler doucement dans ses veines. Ses cœurs s’emballèrent sous l’effet de
ce pouvoir, son sang rugit et de la sueur couvrit sa peau.
— Comme le loup, lui répéta-t-il, et se mit à courir.
+Qu’il est difficile de croire qu’un peuple aussi réputé pour ses sagas fasse
un usage aussi répétitif de mauvaises métaphores.+
Les premières foulées furent pesantes, l’armure Terminator, qui était
tellement adaptée au combat au corps à corps, n’étant guère idéale pour une
accélération rapide. Quatre enjambées plus tard, Njal et son armure étaient
parvenus à un rythme enfin efficace pour réduire la distance à parcourir.
Inondant d’énergie psychique ses muscles et les fibres de son armure, Njal
continua à prendre de la vitesse. Au mépris des provocations d’Izaakar, il
s’imagina un loup athlétique chassant un cerf à travers la toundra, langue
pendante, fourrure couverte de neige.
Il laissa dans son sillage une ombre de glace et bondit d’une douzaine de
mètres en avant lors de sa foulée suivante, se glissant momentanément hors
de la réalité. Majula s’exclama et il la serra plus fort, tout en faisant
attention à ne pas l’écraser de ses bras amplifiés.
+Remarquable !+
Six enjambées plus tard, il fit une nouvelle glissade wyrdique, et ce saut-là
couvrit une vingtaine de mètres en un instant. Son sensorium fit retentir des
alarmes suite à la brève exposition à l’énergie du warp, tandis que ses
oreilles résonnaient des signaux de menaces provenant des ruines. Il les
ignora et leva les yeux vers la lugubre image cyclopéenne de Magnus le
Rouge qui flottait au-dessus de la montagne pyramidale de son ancien
repaire.
Ils se hâtèrent autant qu’ils le purent.
+Non, non, non ! Que font ces idiots ? Arrête-les !+
La zone autour de la grande Pyramide de Photep était plongée dans
l’anarchie. Le réseau brisé du Portail Labyrinthe avait recraché dans le
secteur des centaines de cultistes de Magnus en embuscade et de bêtes
mutantes. De petits groupes de Space Wolves en armure bleu-gris
contrôlaient les intersections et les positions surélevées, permettant aux
lignes de défense composées de thralls qui les entouraient de tenir, comme
des tours protégeant un mur. Guidés par Aldacrel et ses acolytes, les
servitors d’armes marchaient au milieu des vivants, le crépitement de leurs
armes arcaniques reconnaissable au milieu des tirs de bolter. Le rugissement
des moteurs d’escorteur et des bolters lourds résonnait depuis les appareils
d’assaut Stormwolf qui volaient en cercle, tandis que les Thunderhawk
libéraient leur colossale puissance de tir sur les immeubles qui encerclaient
les Chevaucheurs de Tempête assiégés.
Njal s’arrêta dans un dérapage à environ un demi-kilomètre de la base de
l’immense pyramide revêtue de miroirs, à la limite du champ de bataille
grossissant. De la puissance warp jaillissait en allers-retours, émergeant en
éclairs depuis les grandes pyramides vers les sommets des plus petites,
scintillant le long de leurs flancs brisés en éclats de rouge, noir et vert pâle.
Il posa Majula sur le sol de ferrobéton brut et la poussa en arrière
inconsciemment, la protégeant d’une attaque potentielle par la masse de son
armure Terminator. Alimenté par l’énergie ambiante, le bâton qu’il tenait en
main crépita et les runes de son armure pulsèrent d’une manière aléatoire.
— Nous devons nous défendre, dit Njal, tirant son arme de son étui.
+Non, les escorteurs ! Leurs tirs occasionnent encore plus de dommage au
système central du Portail Labyrinthe. Tout est si tendu que même le plus
petit déséquilibre pourrait briser et ouvrir le réseau entier.+
— Et ?
+Imagine un Œil de la Terreur, mais plus petit, et qui engloutirait toute la
planète. Avec toi dessus.+
— Je vois.
Njal activa le canal vox destiné à la compagnie entière pour s’adresser aux
autres Space Wolves tout en descendant la rue.
— Ne ciblez que les adversaires visibles. Évitez toute attaque structurelle
supplémentaire. Valgarthr, stabilise la situation. Arjac, tu m’as sur le
sensorium ?
— Oui, Maître des Tempêtes. À environ trois cents mètres de notre
position.
— Pouvez-vous me rejoindre ?
— Ça serait mieux si tu venais à nous.
Il y eut une pause et une série de parasites sur la fréquence qui trahirent
des tirs nourris avant qu’Arjac ne reprenne, grognant entre chaque mot.
— Nous sommes à la grande pyramide.
— Tenez la position. J’arrive.
Njal regarda autour de lui, conscient de la Navigatrice sans armure juste
derrière lui. Les projectiles traçants et les étincelles de tirs illuminaient
chaque surface tandis que les rayons rouges des canons laser et les traînées
de missiles déchiraient le bleu sombre du ciel de fin de journée.
— Izaakar, quelle proportion de la cité est au sein du Portail Labyrinthe ?
+Toute la ville. Des portails sont placés partout dans Tizca et à travers
Prospero. Ces… dégénérés peuvent potentiellement émerger du labyrinthe
n’importe où.+
— Ces dégénérés sont les fidèles de ton Primarque, les alliés des Thousand
Sons. Que te faut-il voir d’autre pour croire que ta légion n’a rien du
parangon de vertu ?
+Tu éprouves un plaisir bien cruel à enfoncer le couteau dans la plaie, avec
tes insultes, Fenrissien. Un homme meilleur regretterait la perte de la
sagesse des Thousand Sons plutôt que de s’en réjouir.+
Cette réplique troubla Njal qui continua de s’enfoncer dans le cœur de la
ville, Majula sur les talons. Des abominations à visage d’oiseau sortirent
des immeubles en ruines pour charger une escouade de Chevaucheurs de
Tempête un peu plus loin. Des créatures aux ailes métalliques se laissèrent
tomber des étages sur les Space Wolves qui avaient contre-attaqué. Chaque
assaut s’accompagnait de nouveaux tirs de laser et de rafales de balles
délivrés depuis les hauteurs de la grande pyramide. Les space marines
répliquèrent avec des tirs de bolter et la rage prométhéenne de leurs lance-
flammesss, tandis que les thralls les plus proches opéraient un tir de barrage
contre les attaques venues des niveaux supérieurs.
Même l’air ambiant puait d’énergie mutante et vibrait comme un mirage.
+Tout cela est des plus dérangeant.+
— La partie de toi qui est dans Portail Labyrinthe, peut-elle sentir quoi que
ce soit depuis l’intérieur ? Un quelconque indice sur ce que nous devons
faire ?
+Les combats font rage. Je sens l’odeur du sang dans le vortex, de la haine
et de la peur aspirées par le maelström du cœur du labyrinthe. La stase est
rompue.+
— Ce n’est donc pas par simple curiosité que mes pensées endormies ont
été attirées par le labyrinthe, mais c’est la tentative d’évasion des serviteurs
de Magnus qui a attiré mon regard wyrdique. Le Portail Labyrinthe
s’entrouvrait, et c’est pourquoi ton esprit en a fui.
+Je me trouve dans l’obligation d’adhérer à ton analyse, Maître des
Tempêtes. L’ouverture du Portail Labyrinthe n’était pas un accident.+
Njal fit un signe de bâton en direction de l’image de Magnus qui flottait
bien haut comme un nuage d’orage écarlate et maléfique.
— L’architecte ne cherche pas à dissimuler son implication.
+Cela n’a aucun sens à mes yeux.+
— Qu’y a-t-il à comprendre ? demanda Njal. Les sombres pouvoirs ont
murmuré à l’oreille de ton maître et il les a écoutés. Tout ce qui a suivi est
évident.
+Je… Tous les indices suggèrent que tu as raison. Les Thousand Sons
semblent avoir connu la déchéance. Mais ce n’était point de cela dont je
parlais. Cela ne fait aucun sens à mes yeux que Magnus essaye de reprendre
Prospero. Si ce que tu m’as dit de cette Planète des Sorciers est vrai, alors le
Roi Écarlate n’a que faire de ce monde-ci.+
Le Maître des Tempêtes n’avait rien à répondre à cela, et il n’était pas
d’humeur à débattre alors que la bataille faisait rage. Il se concentra sur un
sujet plus tangible.
— Tu disais que les combats ont repris à l’intérieur du Portail Labyrinthe.
Ce n’est pas cette bataille que tu perçois ?
+Il y a indéniablement un conflit à l’intérieur du périmètre du labyrinthe.
Je pense que ce sont les guerriers que tu recherches et qui se battent de
l’autre côté des portails.+
— C’est une preuve du moral d’acier de Bulveye, qu’il se batte encore
après dix mille ans d’enfermement.
+Ça ne lui en a pas paru autant. Le Portail Labyrinthe n’est pas le warp,
mais il est construit selon des principes similaires. On pourrait dire qu’il est
du warp. On ne peut pas franchir un millier d’années-lumière d’un seul pas
si les lois de l’espace et du temps sont en place. La Vieille Garde peut avoir
l’impression que seuls quelques jours ou même quelques heures se sont
écoulés depuis que ce balourd de Bulveye m’a tué.+
Une série d’explosions secoua la pyramide principale qui se dressait au-
dessus d’eux. Sous une pluie d’éclats de verre, les Gardes-Loups d’Arjac
avaient formé un périmètre autour d’un immense portique. Des panneaux de
cristal ébréchés et des colonnes criblées de trous encadraient une sombre
ouverture. Le sol qui se trouvait devant était jonché des restes déchiquetés
de cultistes en bleu et jaune, leurs cadavres ravagés par des tirs de bolters,
tranchés et mutilés par les armes de corps à corps des Terminators.
Poing de Pierre brandit son marteau en signe de salut. Il tournait la tête de
gauche à droite pour guetter une nouvelle attaque. Njal le salua en retour de
son bâton et s’arrêta juste hors de portée de voix.
— Tu as prétendu avoir les moyens de libérer nos frères. Nous sommes
dans Tizca, désormais. Il est temps que tu remplisses ta part de l’accord.
Dis-moi ce que nous devons faire maintenant, sorcier. Bulveye peut-il
s’échapper sans que nous entrions dans le Portail Labyrinthe ?
+Penses-tu que je te le dirais, cracheur de sagas ? S’il pouvait simplement
partir, cela rendrait la préservation de mon existence inutile à tes yeux.+
— Je suppose que non.
+Mais je t’accorderai ceci, parce que chaque manifestation de ton
ignorance m’horrifie, et que les Thousand Sons ont toujours été des élèves
et des enseignants, avant toute chose.+
Izzakar s’interrompit une seconde, jouissant probablement de cet instant
de dépendance de Njal.
+Je ne pense pas que la Vieille Garde puisse s’échapper par ses propres
moyens, ils doivent être guidés hors du labyrinthe. Si tu veux te débarrasser
de ma présence, tu dois pénétrer le dédale entre les mondes.+
Njal s’en était douté, et accepta ce fait sans commentaire. Il reprit sa route,
impatient de remplir son objectif. Plus vite il pourrait entrer dans le Portail
Labyrinthe, plus vite cet étrange épisode prendrait fin.
Arjac observa Njal avec soin. Le Prêtre des Runes, protégeait de son corps
la Navigatrice, descendait la rue couverte de gravas et lançait des regards
vers l’apparition monstrueuse qui s’était matérialisée au-dessus d’eux, son
bâton laissant des traces crépitantes sur les pavés fendus, un pistolet dans
son autre main.
Il avait assurément le comportement du Maître des Tempêtes. En tant que
garde du corps, Arjac avait mis un point d’honneur à étudier le Loup
Suprême et ses conseillers les plus proches : leur élocution, mouvements et
manières dans des contextes de paix comme de combat. Il connaissait les
heartjarls de Logan et ses Gardes-Loups mieux que son propre reflet, ce qui
lui permettait d’anticiper au mieux toute menace potentielle. Un
changement subtil de comportement l’alerterait immédiatement et trahirait
une pensée félonne ou un méfait potentiel. Mais en regardant Njal, il ne vit
rien d’anormal.
— Ce n’est pas le Roi Écarlate, n’est-ce pas ? demanda Arjac, pointant son
marteau en direction du visage cyclopéen qui surplombait Tizca.
— Non, répondit Njal. Ce n’est ni une intrusion ni une manifestation.
Seulement une projection. Qui ne vient probablement même pas de
Magnus, ce n’est qu’une idole psychique générée par ses cultistes.
Ils reprirent la route de concert, le sensorium s’ajusta pour permettre à la
multivision d’Arjac de faire apparaître un nouveau flux de données auspex
en provenance de l’armure du Prêtre des Runes. Son système confirma à
Poing de Pierre ce qu’il avait vu de ses yeux : Njal avait été pris dans un
combat avant son arrivée au centre-ville.
— Les cultistes n’occupent donc pas uniquement les quartiers centraux,
annonça le hearthegn alors qu’ils rejoignaient son escouade devant le grand
portique. Comment nos forces sur le site d’atterrissage s’en sortent-elles ?
— La zone est toujours sécurisée, d’après le dernier rapport, lui assura
Njal, le regard rivé sur les hautes portes de la pyramide. Mais la seconde
colonne va devoir lutter pour pénétrer le centre-ville.
Un mouvement inattendu sur le sensorium fit se retourner la moitié des
Gardes-Loups, leurs armes brandies. Le trafic vox qu’Arjac avait jusque-là
ignoré s’affola soudain de nombreux avertissements.
— Ne tirez pas ! ordonna Arjac à ses guerriers quand il vit l’éclat
d’armures dorées émerger de la poussière et de la pénombre.
— Mes troupes, dit la Navigatrice Majula en sortant de l’ombre du Prêtre
des Runes.
Son visage était sali, zébré de traces de larmes, ses yeux rougis et fatigués.
En dépit de ses récentes expériences et de son apparence dépenaillée, elle
parla avec confiance.
— J’ai un émetteur, ils vont rejoindre ma position.
La Garde Navis avait perdu quelques-uns de ses effectifs, et les traces de
brûlures et de coups sur leurs plastrons et brassards montraient clairement
qu’ils avaient rencontré l’ennemi de près. Leurs armes vibraient d’énergie,
un éclat argenté dans la poussière soulevée par les combats.
— Navigatrice !
Le cri de Dorria était empreint pour moitié de soulagement et pour moitié
de reproches. Les guerriers en armure d’or se mirent en formation défensive
autour de leur protégée, la séparant subtilement, mais intentionnellement de
la silhouette intimidante de Njal.
— Nous n’avons pas reçu confirmation de votre atterrissage. Votre vox
fonctionne-t-il ?
— Je… j’ai oublié, avoua Majula dans un murmure.
Elle prit un air embarrassé et baissa les yeux sur la route fissurée. Elle
raidit les épaules et s’adressa à la commandante de ses troupes.
— Restez à mes côtés jusqu’à nouvel ordre.
— À vos ordres, Navigatrice, répondit Dorria, faisant montre d’une
patience considérable face à la jeune femme sous sa garde qui la rappelait à
son devoir.
— Et maintenant, Maître des Tempêtes ? demanda Arjac.
Il n’aimait pas rester stationnaire, surtout avec le visage incandescent de
Magnus qui le regardait depuis les hauteurs.
— Nous avons nettoyé le périmètre de la Pyramide de Photep, mais nous
savons tous les deux que ces cultistes et mutants n’étaient pas juste cachés
dans des caves… Ils ont fait usage du Portail Labyrinthe, d’une façon ou
d’une autre.
Njal ne répondit pas immédiatement. Quelqu’un d’autre aurait pu le croire
simplement en train de réfléchir, mais Arjac savait ce que signifiait la légère
inclinaison de sa tête et la façon dont il se tenait. Il était en train d’écouter,
et l’absence d’écho de parasites dans le vox le laissait penser que l’objet de
son attention était une voix dans la tête de Njal.
Il y avait une autre explication, qui inquiéta quelque peu Arjac. Quelqu’un
pensait-il à la place de Njal ?
Il ajusta sa prise sur le Marteau à Ennemis et fit un pas nonchalant sur la
droite, se laissant une ouverture pour un meilleur coup sur le crâne du
Prêtre des Runes. Il n’y avait rien de menaçant dans le comportement du
Maître des Tempêtes, mais Arjac avait déjà combattu des psykers, bien
qu’aucun n’ait été aussi puissant que le runejarl du Chapitre. Il n’aurait
qu’une seule chance de terrasser le psyker possédé avant que l’opportunité
ne disparaisse.
— Oui, le labyrinthe. Je peux sentir ses ouvertures autour de nous, dit
Njal, qui n’avait pas conscience de la direction qu’avaient prise les pensées
d’Arjac.
Le Prêtre des Runes s’arrêta et regarda autour de lui, mettant
involontairement son épaulière entre Arjac et lui. Le Garde-Loup ajusta sa
stratégie et se prépara pour un coup descendant qui viendrait frapper le
sommet de la tête du psyker.
— Elles sont erratiques, incontrôlées. Les cultistes ne comprennent pas
comment tirer parti de sa pleine puissance. Mais tu as raison, il y en a
probablement plus qui se cachent à l’intérieur. Il y a en tout cas un fort
résidu d’énergie wyrdique.
Des thralls arrivèrent avec une escouade de Chasseurs Gris des
Chevaucheurs de Tempête de Valgarthr et sécurisèrent la zone autour des
Gardes-Loups. Arjac les regarda se mettre en position, vifs et précis comme
des coups de dague, en dépit des rafales sporadiques qui continuaient de
pleuvoir des bâtiments voisins.
Njal se dirigea vers les portes, traversa le sol jonché de cadavres avec
indifférence, écrasa torses et membres, brisa des crânes sous ses pas sans
plus d’attention que s’il marchait sur des rochers inégaux. Le crâne au
sommet de son bâton s’illumina, la lueur de son aura se refléta sur les
armures des Gardes-Loups. Derrière eux, Arjac pouvait entendre la Garde
Navis et leur protégée qui les suivaient de près.
Le Prêtre des Runes leva une main et les portes s’ouvrirent vers l’extérieur.
De la lumière se déversa comme si elle venait d’être relâchée d’une prison
et inonda les pavés ensanglantés et les corps empilés, pour danser sur les
armures des Gardes-Loups. Arjac entendit deux de ses frères murmurer des
skaldvers protecteurs à l’idée que la lumière pouvait être elle-même
corrompue par le wyrd.
— Ce n’est que de la lumière, dit Njal, dédaigneux, avant de s’avancer
dans la lueur où sa silhouette ne tarda pas à s’amenuiser. Voyons un peu ce
que ces disciples de Magnus nous préparent.
Selon le balayage effectué par les capteurs, les forces ennemies qui
s’avançaient vers les portes du port comptaient cent à cent cinquante
combattants. Lukas pariait sur le haut de la fourchette. Sous sa direction, le
Stormfang descendit en piqué sur un paysage constellé de fosses et de
tranchées où des conduites de carburant et des cuves de prométhium
s’étaient jadis trouvées. La foule se déversait de deux bâtiments à l’intérieur
du secteur portuaire : un sur les quais eux-mêmes et l’autre plus proche du
mur qui séparait la zone du reste de Tizca.
La plupart étaient des cultistes, vêtus de robes ou de tabards de
cérémonies, armés d’épées, masses et pistolets, quelques-uns disposaient de
pistolet laser ou d’armes automatiques. Parmi eux, Lukas identifia les
magistae, qui arboraient pour certains le symbole de leur nouveau seigneur :
un œil monstrueux avec une pupille en spirale, fait d’or, d’argent et de
bronze. D’autres portaient des bâtons aux pommeaux en forme de têtes de
serpents entremêlées, de flammes sculptées ou de visages lunaires
grimaçants. L’un d’entre eux en particulier attirait le regard : son extrémité
avait la forme d’un oiseau à deux têtes aux ailes déployées avec un unique
œil, rougeoyant, une parodie répugnante de l’Aquila Impériale.
Des silhouettes plus dégingandées au visage aviaire ou à la tête bestiale
couronnée de cornes recourbées les suivaient au pas de course. Chez ceux-
là, les plus dégénérés se mouvaient à quatre pattes, plus chiens qu’humains,
avec des flancs écailleux luisants et des dards incurvés au bout de queues en
fouets.
Il y avait aussi quelque chose de plus gros. Gudbrand fut le premier à le
repérer, à la périphérie de son champ de vision, et hurla un avertissement
éraillé.
La monstruosité qui se fraya un chemin entre deux entrepôts réduits à
l’état de carcasses en férrobéton n’était ni vivante ni machine, mais un
amalgame maudit par le wyrd. Ses six pattes aux multiples articulations
portaient un corps aplati duquel dépassaient de longs appendices qui se
finissaient en ouvertures enflées. Des plaques métalliques sortaient de sa
chaire aberrante, luisantes de runes hérétiques. Des flammes de warp
jaillissaient de ses tubes corporels et laissaient un sillage de fumerolles
multicolores. Sa tête ressemblait à celle d’un scarabée géant avec des
antennes dentelées, rouges et noires, dressées au sommet comme une
phalange de lances. Derrière la créature, quatre mutants à tête d’oiseau la
faisaient avancer avec des cravaches énergétiques, leurs corps à moitié
couverts de plumes drapés dans des robes bleues ouvertes sur le devant et
ornées de festons dorés.
Des flambées sporadiques issues du sol signalèrent que les cultistes
avaient repéré l’approche de l’escorteur. Lukas adressa un autre regard au
sinistre visage démoniaque qui contemplait la cité depuis la Pyramide de
Photep et sut qu’il n’y avait aucun doute sur l’objet de leur allégeance.
— Il pourrait être sage que quelqu’un se mette au poste d’artillerie,
suggéra-t-il, en pressant les commandes qui mettaient en service canon
Helfrost, lances-missiles et bolters lourds.
Les affichages de contrôle s’allumèrent sur la console et baignèrent le
cockpit d’une lumière verte.
— Là, et ici, dit Lukas en indiquant l’augure du canon principal et la
colonne de contrôle en face de Gundbrand. Tu dois amorcer avec le pouce
en pressant la rune pendant cinq secondes puis, sans bouger le pouce,
activer la détente de l’index. Vise les attroupements.
— Oui, Lukas, dit Gundbrand, tout en contemplant le tableau de bord avec
le plus grand sérieux.
Lukas fit virer l’escorteur en direction d’une foule de cultistes convergeant
sur l’une des portes de la muraille, ce qui offrit une cible idéale à son
compagnon. De derrière lui, parvint le claquement des bolters lourds qui
s’armaient avec Elof aux commandes du système d’artillerie tribord et
Jerrik à bâbord. Une seconde plus tard, le vrombissement du générateur
Helfrost emplissait l’espace confiné, vibrant le long de la massive culasse
du canon qui courait sur toute la longueur du vaisseau.
Le rugissement des bolters lourds fut soudain, un tambourinage qui fit
s’emballer le cœur restant de Lukas. Au sol, des explosions de feu
parcoururent les gangs d’hérétiques qui couraient à travers la place. Comme
on lève des filets dans le gras de kraken, le feu mortel de l’escorteur
découpa une ligne nette dans la foule tout à coup paniquée.
— Vite, avant qu’ils se dispersent, dit Lukas à son copilote.
Gundbrand pressa la commande et le Stormfang tout entier fut secoué par
la décharge d’énergie. Ils sentirent le froid même à travers le bouclier
thermique, leur souffle libéra de la vapeur au moment du tir. Une sphère
d’obscurité jaillit du canon, aussi rapide que l’éclair. Elle frappa la place en
plein milieu des cultistes et explosa en arcs d’énergie négative. Fait de
warp, la décharge Helfrost inversait les lois de la physique du royaume des
mortels, ouvrant une sphère de pur néant qui faisait baisser la température
jusqu’au zéro absolu en un instant. La sphère implosa une seconde plus
tard.
Les restes desséchés d’une douzaine de cultistes s’envolèrent dans une
explosion quand l’air environnant, plus chaud, se rua brutalement dans la
poche de vide avec un bruit de tonnerre. La frappe laissa un cratère presque
parfaitement rond, aux bords couverts de givre, et des particules glacées
emportées par la brise.
Gudbrand poussa un cri triomphal, qui fut rejoint par ceux de ses frères
dans le compartiment arrière. De nouveaux tirs de bolters lourds amputèrent
les rangs des cultistes en fuite, éventrant les corps et brisant les crânes,
arrachant des membres dans des explosions en chaîne.
Un avertissement lumineux s’alluma sur la console augure, accompagné
d’un hurlement suraigu. Lukas tourna la tête juste à temps pour voir
l’explosion de feu dévorante monter vers eux dans un cri, lancé par le
monstrueux scarabée démoniaque. Il brutalisa les commandes et fit rouler le
Stormfang violemment vers l’attaque, pour essayer de plonger en dessous.
Le brasier rugit par dessus la verrière et éclaboussa le sommet exposé de
l’appareil. De la céramite fondue jaillit du point d’impact tandis que les
capteurs de chaleur du Stormfang signalaient le mécontentement de l’esprit
du vaisseau.
La manœuvre d’esquive les avait entraînés dans un piqué abrupt, droit vers
le sol. Lukas ajusta l’appareil, inversa l’accélérateur et redressa juste au
moment où une seconde déflagration quittait les mâchoires-appendices de la
machine vivante des cultistes. Le feu warp passa en dessous de l’escorteur
en pleine ascension pour aller s’écraser sur le mur d’enceinte, où il fit
éclater le ferrobéton et pleuvoir les gravats sur le flot de cultistes qui
essayaient de trouver refuge dans son ombre.
— Je n’arrive pas à verrouiller, gronda Gundrand.
Celui-ci luttait avec les commandes du canon Helfrost tandis que Lukas
faisait slalomer le vaisseau entre les décharges tirées du sol.
— J’ai besoin d’un vol stable, ajouta-t-il
Le Trompeur ignora sa plainte, ouvrit d’une pichenette l’accès aux
commandes de sa colonne de direction pour activer les deux missiles
Stormstrike placés de chaque côté de la verrière. Des coulées de céramite
refroidissante glissèrent sur la longue proue du vaisseau quand il vira à
nouveau pour se mettre en vue de la machine insectoïde.
Le gémissement enthousiaste des esprits des missiles résonna dans ses
oreilles à l’instant même où il vit l’explosion d’une nouvelle rafale de feu
warp sortir des canons de l’atrocité wyrdique. Il pressa les deux commandes
de tir. Deux jets de feu blanc engouffrèrent un instant le cockpit, les sillages
des propulseurs à plasma brouillèrent la vue. Guidé par son instinct, Lukas
redressa l’appareil vers tribord et entraîna le vaisseau hors de la trajectoire
des flammes de warp venues du sol.
De nouveaux gémissements de l’esprit de la machine emplirent le cockpit
quand les moteurs et l’aile tribord subirent le gros de la décharge. Une
fumée sale s’échappa des turboréacteurs, accompagnée par un inquiétant
cliquetis quand les gouttelettes de céramite solidifiée passèrent dans les
manches d’entrée d’air. Lukas sentit le regard de son copilote peser sur lui
et se risqua à détourner les yeux un instant, lui adressant un clin d’œil pour
atténuer son inquiétude.
— J’ai connu pire, assura Lukas.
Un craquement sec et le crissement du métal tordu indiquèrent que l’un
des réacteurs faussait compagnie à son support. Il fut arraché juste après
dans un tourbillon de céramite brisée.
— Pas beaucoup pire, admit le Trompeur.
Dans les secondes précédant l’impact, le retour des données provenant des
missiles culmina en une apothéose fiévreuse d’excitation de l’esprit de la
machine. Lukas jeta un regard en arrière vers le canon scarabée, juste à
temps pour voir les deux missiles percuter la tête et la carapace du
monstrueux insecte, le plongeant dans une boule de flammes et de débris.
Quelques secondes plus tard, la double déflagration secoua la verrière en
plastek blindé.
Ils décrivirent un cercle, perdant de l’altitude pour mieux arroser de
projectiles les hérétiques enhardis de Magnus. Mais, alors même que Jerrik
tirait à nouveau avec le bolter lourd, une nouvelle éruption de feu de warp
partit des quais. Elle tomba court et alla exploser au beau milieu de la place
au niveau de la porte, libérant une onde de choc qui projeta les cultistes à
travers l’esplanade et ébranla l’appareil. La fumée de l’attaque des missiles
Stormstrike se dissipa, et Lukas vit que la créature était pratiquement
indemne, avec seulement quelques fissures gluantes d’ichor sur son
exosquelette.
— Cette bête est plus en forme que le onzième tentacule d’un kraken,
gronda Lukas.
Il essaya d’aligner le vaisseau dans la trajectoire du monstre pour
permettre à Gudbrand de tenter sa chance avec le canon Helfrost, mais une
soudaine flambée conjurée par le warp le força à abandonner l’attaque,
évitant de justesse de perdre le moteur de l’autre côté.
— Attendez, j’ai une idée.
Il fit partir le vaisseau en chandelle vrillée, ce qui l’éloigna des
installations portuaires. Quand il se sentit confortablement hors de portée, il
vira vers le sud et choisit sa route avec soin. Devant lui, à presque deux
kilomètres, le scarabée mécanique avançait sur l’une des voies d’accès
principales en direction du mur. Lukas entra des coordonnées pour l’esprit
de la machine et définit un point de repère à suivre pour l’animus du
vaisseau. Poussant les moteurs restants au maximum, et ignorant les
hurlements et claquements de protestation venus de tribord, il fit prendre à
l’escorteur une trajectoire en piqué.
— Dois-je armer, chef… Lukas ? demanda Gundbrand.
— Non, dit Lukas, qui décrocha son harnais et se leva. Débarquement
d’urgence.
À leur décharge, les Griffes Sanglantes l’imitèrent sans poser de question
et se libérèrent des ceintures renforcées de leurs sièges. Lukas activa la
rampe arrière, qui s’ouvrit, dévoilant la périphérie de la ville et les terres
désolées ravagées par l’Inferno qui s’étendaient au-delà. Le vent sifflait et
une traînée de fumée noire libérée par les moteurs malmenés s’étirait dans
le ciel.
— Préparez-vous.
Lukas alla jusqu’à la rampe, jambes prêtes à compenser les vibrations de la
descente. Il regarda par-dessus son épaule, à travers la verrière avant et
calcula le bon moment. Quelques secondes plus tard, l’escorteur était
presque au-dessus du toit de l’entrepôt qu’il avait ciblé.
— Maintenant !
Lukas sauta, et fit confiance aux autres pour faire de même.
Le vent s’engouffra dans ses cheveux et agita les peaux de son armure
dans sa chute. Un clin d’œil et dix mètres plus tard, il percuta le toit de
l’entrepôt, violemment. Les vérins de sa jambière émirent des couinements
de protestation et il pivota sur lui-même, transformant son impact en
roulade. Son élan l’entraîna dans un dérapage de plusieurs mètres sur du
ferrobéton poussiéreux avant de s’arrêter définitivement. Les autres
martelèrent le sol en atterrissant devant lui, tombant de l’escorteur comme
la cargaison mal arrimée éjectée du pont d’un bateau pris dans la tempête.
Debout un instant plus tard, Lukas courut vers le devant du bâtiment.
Il atteignit l’angle de l’entrepôt à temps pour voir le Stormfang s’écraser
sur sa cible, déjà noyé de la proue à la poupe dans la dernière salve
défensive de feu warp de la créature. Le réacteur fut le premier à exploser,
du plasma brûlant s’embrasant en soleil miniature. Dans la demi-seconde
suivante, le cœur du Helfrost se brisa et déchaîna son potentiel destructeur.
Les soudaines températures extrêmes, opposées, détonèrent et réduisirent la
bête et ses maîtres à l’état d’atomes en désintégration. L’onde de choc
percuta les immeubles alentour et alla démolir des espaces de stockage et
des centres de collecte, arrachant leurs fondations sous la violence de la
déflagration.
Lukas contempla son œuvre tandis que les autres se regroupaient autour de
lui. Il n’eut pas beaucoup de temps pour savourer son triomphe. Des éclats
de voix rageurs et quelques tirs de lasers leur parvinrent de la galerie en
face de l’entrepôt. Des cultistes accouraient de partout vers leur position,
plus résolus à faire face aux ennemis au milieu d’eux que d’apporter des
renforts à l’attaque du centre-ville.
— Il doit y en avoir une centaine, ou plus, dit Artyn.
— Ils semblent impatients de rencontrer les Fils de Russ.
Lukas sortit son pistolet à plasma et brandit sa griffe de loup. L’énergie
céruléenne se mit à danser le long des lames. Il dévoila ses crocs dans un
sourire carnassier.
— Allons donc faire les présentations.
CHAPITRE 11
UN PONT BRISÉ
La lumière warp s’épaissit, pour autant qu’une telle chose fut possible.
Comme un organisme vivant, elle se glissa le long des armures des space
marines qui progressaient. Le sensorium la détectait à la fois comme de la
lumière et comme un objet physique, mais elle ne semblait pas gêner les
Terminators avançant dans le couloir derrière les portes. Une analyse assez
floue montrait un large espace entouré de nombreuses pièces et les portes
d’un transporteur, avec, en périphérie, des voûtes au-delà desquelles de
longs corridors s’enfonçaient dans le cœur de la Grande Pyramide de
Photep. Les capteurs détectaient un plafond haut de plus de cent mètres,
strié de travées voûtées et de passerelles-convoyeurs, ainsi que des galeries
et des mezzanines qui s’alignaient le long du mur extérieur en pente douce.
Mais ils n’arrivaient pas à s’accorder sur l’emplacement exact de ces
éléments.
L’armure d’Ulfar situait l’escouade quelque part au centre de la salle
tandis que celle d’Arjac les plaçait sur la droite. Les autosens d’Ingvarr
signalaient un escalier à quelques mètres devant eux, mais le flux en
provenance de Berda l’informait d’une large volée de marches qui
descendait vers un espace qui ressemblait à un amphithéâtre.
Puis, tout autour d’eux, aussi soudainement que la première attaque des
cultistes, des signes de vie se manifestèrent. Des taches rouges firent leur
apparition sur le fond verdâtre du balayage de l’auspex. Des projectiles
traçants et des décharges de laser jaillirent de la lumière ambiante,
percutèrent en une pluie d’étincelles les plates des Gardes-Loups et
laissèrent des traces de brûlure sur la céramite.
Les vétérans ripostèrent du mieux qu’ils purent, leurs fulgurants et canons
d’assaut firent s’abattre un torrent de projectiles sur les cultistes en
embuscade. Des balcons s’effondrèrent sous les ogives antichars du lance-
missiles Cyclone, précipitant vers le sol des douzaines de disciples fous de
Magnus et en broyant d’autres encore sous les chutes de pierres. Des
explosions résonnèrent le long des galeries, désintégrant corps et briques.
Les hurlements des tués se perdirent dans le fracas de la roche pulvérisée et
du ferrobéton défoncé. Du verre et du cristal se brisèrent, puis s’abattirent
en une pluie mortelle sur les serviteurs de Magnus.
— Où sont-ils ? Où ? hurla Jorn en se tournant vers la gauche puis la
droite, essayant de viser de son fulgurant les centaines de cibles qui
apparaissaient et disparaissaient de son sensorium. Les tirs de laser
fureteurs indiquaient que les retours de l’augure n’étaient pas de simples
illusions, mais qu’avec la diversion et la couverture offertes par le miasme,
l’ennemi était si bien camouflé qu’il aurait tout aussi bien pu être un
fantôme.
Une silhouette de flammes blanches apparut à leurs côtés. Arjac était sur le
point de tirer quand il se rendit compte qu’il s’agissait de la Navigatrice.
Des rayons d’obscurité transpercèrent la lumière quand elle dirigea le
regard de son troisième œil vers les cultistes.
Arjac leva son bouclier, Sven l’imitant de l’autre côté, ils offrirent à eux
deux un couvert à leurs compagnons pendant qu’ils rechargeaient leurs
armes.
— Détectons votre… Avançons vers… Avez-vous besoin de…
La question de Valgarthr se perdit dans une éruption de parasites et une
impression de murmures spectraux.
— N’entrez pas dans la Pyramide de Photep ! ordonna Njal.
Il avançait rapidement, sans faire attention au feu nourri qui ricochait
autour de lui.
Il s’arrêta une dizaine de mètres devant Arjac, tourna la tête de gauche à
droite, à la recherche quelque chose. À nouveau, il avait l’air distrait d’un
homme en communion avec un autre. Poing de Pierre crut voir les lèvres du
Prêtre des Runes bouger imperceptiblement. Le Seigneur des Runes reprit
sa progression, ses pas légèrement plus courts que d’habitude.
Les instincts d’Arjac s’éveillèrent. Tout n’était pas conforme aux
apparences. Quelqu’un d’autre marchait dans le corps du Maître des
Tempêtes. Quelqu’un qui n’avait pas l’habitude de la longueur exacte des
enjambées du Prêtre des Runes et qui, à en juger par la légère hésitation à
chaque pas, n’était pas non plus familier des spécificités de la marche en
armure Terminator. De petits détails, mais suffisants pour envoyer le
hearthegn à la poursuite de la silhouette du Prêtre des Runes qui s’éloignait.
— Avec moi, intima-t-il à sa meute.
Il grimaça à l’idée de s’engager plus avant dans les griffes de l’ennemi
sans aucune indication claire d’où ils étaient ni de ce que son objectif était
censé être.
Njal marchait vite, désormais, contraignant Arjac à le poursuivre. Il devait
rester proche, mais il ne voulait pas non plus se séparer totalement de sa
meute alors que des tirs renouvelés transperçaient l’étrange nuage de
lumière. Il semblait y avoir une clarté plus importante au-devant, derrière ce
que le sensorium signalait comme un mur épais, mais visiblement différente
de l’effusion chatoyante qui formait des volutes presque liquides à leur
passage.
— Ça bouge, avertit Ingvarr.
— Qu’est-ce qui bouge ? Faites-moi des rapports clairs ! gronda Arjac,
essayant de jongler entre le cauchemar tactique de la situation présente et
son serment de protéger ou d’exécuter le Seigneur des Runes, si nécessaire.
Une partie de lui voulait battre en retraite, regrouper ses forces et lancer une
attaque plus réfléchie. L’autre partie le poussait à suivre à la trace le psyker
compromis, essayant d’arriver à portée de marteau sans trahir ses intentions
auprès de la conscience qui habitait désormais la dépouille mortelle de Njal
Maître des Tempêtes.
— La lumière wyrdique, chef de meute, dit Ingvarr, quelque peu surpris de
devoir s’expliquer.
Arjac s’arracha à la contemplation du Maître des Tempêtes et constata
qu’il y avait en effet une agitation dans la lueur céruléenne à sa droite. Il
porta son attention de l’autre côté et compris que ce mouvement était
cyclique et qu’il tournait autour de leur position.
— C’est toi qui fais ça, Maître des Tempêtes ? demanda Breda, sa voix
mesurée empreinte d’un doute inhabituel.
— J’essaie de me concentrer. Cesse tes bavardages, répondit le Prêtre des
Runes.
La voix était la sienne en timbre et en registre, mais le ton lui était
étranger. Il lui arrivait parfois d’être sec, mais jamais cassant.
Le tourbillon de la lumière warp s’intensifia, tournoyant autour du Prêtre
des Runes, accompagnant leur progression alors qu’ils arrivaient près du
passage plus lumineux au sein de la lueur azur. Arjac se mit à courir, de
l’énergie emplit son armure tandis que des runes de ciblage dansaient sur la
silhouette de Njal. Le psyker s’était arrêté, bâton tendu bien haut, son autre
main formait des motifs complexes du bout des doigts.
Ce fut comme de plonger dans un maelström. La lumière tournoya de plus
en plus vite, bien qu’elle n’eut aucun impact physique sur l’armure d’Arjac.
Il entendit Ulfrac crier son nom, surpris, mais ignora son compagnon. Le
sorcier, ou la créature quelconque qui s’était fait passer pour tel, était en
train d’ouvrir le portail, Arjac en était certain. Le Prêtre des Runes s’était
fait avoir, son potentiel psychique détourné par une entité du warp pour
briser des barrières déjà affaiblies par les machinations des cultistes.
Le marteau de Poing de Pierre fouettait le tourbillon de warp de langues
d’énergie. Il était trois pas dans le dos de Njal et leva le bras pour frapper,
sans que le space marine corrompu ne semble le remarquer.
Quelque chose percuta son bras de derrière lui et le déséquilibra.
C’était l’un des disciples de Magnus, bondissant à travers la lumière warp,
ballotté dans les airs par l’énergie qui s’accrochait à ses robes et tirait ses
longs cheveux gras. L’homme, pupilles écarquillées derrière la visière de
son masque à bec d’oiseau, s’étira d’une manière invraisemblable quand il
toucha la colonne de lumière blanche.
Il disparut.
Arjac fit un autre pas en avant, coupé dans son élan par sa confusion. Un
autre cultiste fut emporté par le tourbillon, ses hurlements à peine audibles à
travers le sang qui lui rugissait dans les oreilles. D’autres encore furent
aspirés dans la lumière, comme si une main divine les y projetait. Leurs
membres se fracturèrent, leur dos se brisèrent et ils se contorsionnèrent sous
l’effet du torrent surnaturel dont les assauts de puissance occulte
fracassaient et tordaient les corps en tous sens.
— Arjac ?
Sven était à sa hauteur, le reste de la meute non loin derrière. Njal ne
pouvait rien voir du visage du garde-loup, mais la posture et le ton de Sven
trahissaient son intense confusion.
Poing de Pierre se rendit compte qu’il pouvait voir les autres clairement, il
n’y avait plus trace des volutes de pouvoir azur. Il vit ce qu’il restait de la
lumière warp, parsemée des corps encore convulsés des cultistes, qui
disparaissait en tourbillonnant au fond de la colonne centrale comme de
l’eau dans une bonde. Son attention se reporta bien vite sur le Maître des
Tempêtes.
Le Prêtre des Runes fit face à la colonne du portail, son bâton tendu entre
ses deux mains, les dernières étincelles d’énergie dorée dansant le long de
l’arme, dérivant entre lui et l’entaille de warp qui disparaissait rapidement.
Il fut pris d’une convulsion brève, unique, un bruit étranglé leur parvenant
par le vox.
Les sourcils froncés, sa poigne détendue, mais ferme autour du manche du
Marteau à Ennemis, Arjac fit un pas de plus. Njal, ou du moins son corps,
se retourna lentement. Il abaissa son bâton d’une main, l’autre essaya
d’aller agripper quelque chose sur sa poitrine, mais rencontra son armure à
la place.
Ils se regardèrent dans les yeux et pendant un instant, Poing de Pierre sut
qu’il faisait face au regard d’un autre, bien que les yeux lui soient si
familiers. L’ombre d’un sourire moqueur dansa sur les lèvres du Prêtre des
Runes et révéla la pointe d’un croc, avant de disparaître.
Njal se redressa un peu, ses yeux se focalisèrent rapidement sur Arjac
avant d’effleurer le marteau dans sa main. Son regard, entendu et sage,
rencontra à nouveau celui d’Arjac et celui-ci y vit de la compréhension, de
l’acceptation pour ce qui venait de se produire. Il y avait presque de la
gratitude dans l’expression du Maître des Tempêtes.
Arjac attendit une seconde de plus, s’assurant que le Maître des Tempêtes
était bien présent. Il y avait eu de folles rumeurs d’une créature démoniaque
qui avait semé la discorde et les conflits à travers l’Imperium en prenant
l’apparence d’autres. Il se disait même, dans le Croc, que ce changelin était
impliqué dans les terribles événements qui avaient opposés les Dark Angels
aux Space Wolves, affaiblissant les deux groupes avant l’invasion de
Magnus. Il était bien possible que le démon poursuive sa mission de
destruction des fils de Fenris.
Était-ce simplement la menace d’être découvert qui l’avait forcé à relâcher
son emprise ?
Arjac devait avoir confiance en son jugement et croire ce qu’il avait vu sur
le visage de Njal. S’il y avait eu une raison d’agir, Arjac n’avait aucun
doute que le Maître des Tempêtes lui aurait donné l’ordre de porter le coup
fatal ici et maintenant, prêt à se sacrifier s’il pensait que l’expédition
pouvait être compromise.
Le sensorium montrait des ondulations autour de la fracture dans la réalité,
mais le reste du hall redevint reconnaissable, amalgamant les différents
points de vue. L’endroit avait un haut plafond. Les murs étaient couverts de
plates-formes et passerelles, entre lesquelles s’entrecroisaient pontons et
portiques. Des poutres de plastacier soutenaient des sous-plafonds en cristal
qui réfractaient la lumière du soleil couchant en une douce lueur qui
emplissait l’immense pièce. Plus important : il n’y avait aucun signe de vie
inconnue à l’intérieur de la Pyramide.
Et pourtant, Arjac ne put se détendre.
Il observa les changements provoqués à l’intérieur de la Pyramide de
Photep et sut que ses ennuis étaient loin d’être terminés.
L’espace caverneux semblait s’étendre à l’infini, mais les sens wyrdiques de
Njal percevaient une pression immense lui peser dessus en provenance de
toutes les directions, comme s’il avait été coincé dans un endroit bien trop
étroit. La déchirure dans la réalité remplissait tout de son énergie pulsante,
léchant les runes de contention brisées. Loin au-dessus d’eux, bien trop loin
au-dessus d’eux, même si on prenait en compte l’immensité de la Pyramide
de Photep, des silhouettes serpentines ondulaient devant la lumière
éclatante du soleil. D’autres formes, impressions fugaces de flammes et de
visages, de crocs et de griffes, traversaient le rideau de puissance.
Là où s’était dressée la colonne de lumière, se tenait maintenant une
imposante stèle d’un noir de jais. Ses arêtes débordaient de pouvoir, mais
les surfaces planes absorbaient tout comme une lumière négative, plus
sombre même que le vide entre les étoiles.
+Incroyable.+
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Arjac.
— Notre objectif. Une entrée vers le Portail Labyrinthe.
— C’est un pont entre les mondes, dit Majula, replaçant son bandeau
devant son œil mutant. Je n’ai jamais rien vu de tel dans mes lectures. Ce
n’est pas une faille de warp, c’est bien plus minutieusement conçu.
— Nous devons rassembler nos forces avant de continuer, dit le hearthegn,
puis il envoya les membres de son escouade aux points stratégiques,
surveiller couloirs et entrées. Nous pouvons tenir le temple un certain
temps, si besoin.
Njal était impatient de se débarrasser d’Izzakar, mais il pouvait voir les
mérites de la prudence d’Arjac. Il donna son assentiment d’un signe de tête
et activa son vox.
— Valgarthr, établis une ligne vers ma position et opère une jonction avec
la Garde-Loup. Fais maintenir le corridor par les troupes du champ
d’atterrissage. Nous les appellerons quand nous aurons besoin d’eux, inutile
d’avoir tout le monde encerclé dans le centre-ville.
— Bien, Seigneur des Runes. À tes ordres.
Majula fixait d’un regard noir l’ondulant brouillard de pouvoir, presque
rigide, les poings crispés. Elle n’eut aucune réaction quand Njal s’approcha
d’elle.
— Navigatrice ?
Majula l’ignora, ou ne l’entendit pas. Elle posa une main sur le bandeau
qui lui ceignait le front. Le Maître des Tempêtes interrompit son geste aussi
délicatement que possible, d’un doigt sur son poignet.
— Laissez-moi voir, Seigneur des Runes, dit-elle doucement, sans tourner
la tête. Je ne peux sentir la lumière de l’Empereur à l’intérieur. Ça avale les
échos de Terra. Laissez-moi regarder dans le Portail Labyrinthe.
+Je ne pense pas que ce soit sage.+
— Dis-moi ce que tu vois, dit Njal en retirant sa main.
Majula retira sa protection argentée et leva les yeux. Njal évita résolument
de la regarder, fixant plutôt les dalles abîmées du sol. Il pouvait cependant
sentir les clignements de son troisième œil à l’orée de ses sens wyrdiques.
— Je ne vois rien, murmura Majula.
Elle fit un pas en avant, la tête droite, regardant directement dans l’étrange
fissure là ou le magistae s’était tenu.
— Ce n’est rien. Vous aurez essayé.
— Non… je ne vois rien. Ni les volutes du warp, ni la réalité de notre
univers. Le labyrinthe est vide.
+Cela ne se peut pas. Le Portail Labyrinthe est construit autour de brins
d’immatériel. Même réfracté ou déformé, le reflet du royaume des mortels
devrait être là. Peut-être que quelque pouvoir la rend délibérément
aveugle.+
Njal se positionna de manière à ce que seule la Navigatrice puisse voir son
visage.
— Mon passager pense que vous ne voyez pas ce qui se trouve à
l’intérieur.
Majula secoua la tête et croisa les bras.
— C’est vide. Un vide forcé, comme s’il avait été éventré, le cœur arraché,
par quelque incroyable puissance.
— La Planète des Sorciers… dit Njal, s’imaginant la barrière qui s’était
déchirée lorsque la planète démoniaque née du wyrd avait traversé la
structure de la réalité. Magnus a utilisé le Portail Labyrinthe, ou une partie
du Portail, pour l’aider à faire émerger cette planète du warp.
+Pourquoi aurait-il fait une telle chose ? Le Portail Labyrinthe était l’une
de nos plus grandioses créations. L’invasion de tes prédécesseurs a fait des
dégâts, mais tu parles là d’un acte de destruction gratuit.+
L’incrédulité d’Izzakar infiltra les pensées de Njal, des poussées de doute
que le Prêtre des Runes eut à repousser à grande peine avant qu’elles
n’infectent sa propre vision des choses.
+Sauf s’il n’y avait pas d’autre solution.+
— Magnus n’a que faire de ce qui a été construit quand il était mortel. Il a
été damné, fait prince par les Puissances de la Ruine, pour diriger le monde
physique en leur nom. Il serait prêt à sacrifier jusqu’au dernier des guerriers
des Thousand Sons pour cette cause.
— Quelque chose est en train de se produire, prévint Majula.
Elle tendit le doigt, encore hypnotisée par l’entrée du portail à demi active.
Njal libéra son moi psychique et approcha le plan de démarcation crépitant
qui séparait les réalités juxtaposées de son univers et du Portail Labyrinthe.
Il n’osa pas laisser traîner ses pensées dans le périmètre parcouru
d’interférences, mais d’après ces fluctuations, il put percevoir la
perturbation qui avait alerté la Navigatrice.
— Ils avancent, murmura-t-elle. Ils avancent vers nous.
— Qui ? demanda Njal, qui fit signe à Arjac. Gardes-Loups, pointez vos
armes vers la brèche.
Un grincement de vérins et des pas tonitruants annoncèrent l’approche de
Bjorn Main Terrible et ses deux frères Dreadnought. Le canon d’assaut du
vieux guerrier se leva vers le tourbillon de warp.
— Ne fais confiance à rien de ce qui sort de là, Maître des Tempêtes, dit le
Dreadnought.
— Et si c’était la Vieille Garde, demanda Arjac. Nos frères perdus, de
retour ?
— Cela n’est pas, Fils de Fenris, dit Majula, d’un ton tranchant, avant de
prendre une inspiration. Je les vois plus clairement, maintenant. Vêtus de
pourpre, sous la lune et les étoiles. Nés de la foudre, des guerriers de
Prospero.
— Vêtus de pourpre ? s’étonna Arjac, en levant son bouclier, marteau
brandi comme s’il s’attendait à ce qu’une bête monstrueuse jaillisse du
passage pulsant. Quel ennemi est-ce ?
Un frisson d’excitation parcourut Njal, mais ce n’était pas la sienne.
+Serait-ce possible ? Bien sûr, pourquoi penser que je suis le seul de ma
compagnie et de ma cabale à avoir survécu ?+
— Armes au clair ! ordonna Njal. Elle parle des Thousand Sons, dans leur
livrée de Prospero. Ce n’est que depuis leur chute qu’ils ont changé leurs
couleurs pour l’azur et or de leur nouvelle allégeance. Ces guerriers sont
coincés dans le Portail Labyrinthe depuis que nos ancêtres ont rasé cette
ville.
Le désespoir transperça l’esprit du Prêtre des Runes.
+Ne tirez pas ! Ils ne savent rien de ce qui s’est passé depuis que la colère
du Roi Loup s’est abattue sur Tizca.+
— Pourquoi cela devrait-il nous retenir ? répondit Njal, soufflant à peine
ses mots, détournant le visage des autres. Nous sommes ici pour finir la
tâche que la Vieille Garde a commencée.
+Folie ! Nous pouvons forger une alliance. Ils écouteront mes ordres.+
Autour de Njal, les Gardes-Loups pointèrent leurs armes vers le passage.
— Ton cadavre repose quelque part dans le Portail Labyrinthe. Je ne pense
pas qu’ils nous écouteront.
Par delà les fluctuations, on pouvait voir une ombre grossissante : un
groupe de guerriers qui s’approchait, comme venu de loin. Ils portaient des
symboles de lunes et d’étoiles au-dessus d’eux, ainsi que l’avait décrit
Majula, et leurs étendards pendaient des hampes, immobiles. Les armures
rouges et or des Thousand Sons se firent plus nettes, des escouades de
légionnaires d’un âge perdu qui marchaient au pas, leurs armures anciennes
au regard des critères du quarante et unième millénaire.
— Quels sont tes ordres, Maître des Tempêtes ? demanda Arjac. On ouvre
le feu ?
— Pas encore, répondit le Prêtre des Runes. Nos tirs pourraient ne pas
passer la barrière du portail et nos ressources ne sont pas illimitées. Mieux
vaut garder le peu de munitions que nous avons pour quand nous en aurons
le plus besoin.
— Méfiez-vous de leur sorcellerie, avertit Bjorn. Le talent wyrdique était
aussi répandu dans leur légion que le génogerme de Magnus lui-même.
L’armée en rouge, forte d’environ deux cents hommes, ne semblait être
qu’à une douzaine de mètres. Ils ne firent aucune manœuvre suggérant
qu’ils avaient conscience de la présence des Space Wolves de l’autre côté
de la brèche, bien que leur formation montrait qu’ils étaient sur leurs
gardes.
— Répliquez immédiatement à toute action hostile, dit Njal à ses guerriers.
Il glissa son esprit dans Aile-de-Nuit et envoya le psyber-corbeau voler au-
dessus de la fissure entre les réalités. De cet angle, il n’avait pas un champ
de vision plus large sur les Thousand Sons que depuis le sol, l’image était
étrangement plate, comme peinte sur le sol plutôt qu’en trois dimensions.
+Je t’en implore, fils de Fenris, ne fais rien d’inconsidéré. Ne permets pas
à des millénaires de dogme de faire d’une opportunité une tragédie. Ce sont
mes frères. Ils ne savent rien de la déchéance de Magnus.+
— Tu admets donc la trahison de ton Primarque ? murmura Njal.
+Je ne peux ignorer l’évidence. Mais je ne suis pas complice du crime de
Magnus, pas plus que mes guerriers. Ils seront aussi horrifiés que moi du
sort qui s’est abattu sur les Thousand Sons.+
— Il ne s’est pas abattu, sorcier. Ils l’ont choisi. N’oublie jamais que tes
frères se sont rangés aux côtés d’Horus contre l’Empereur. Ils se sont
engagés d’eux-mêmes sur le chemin de la damnation.
Si le sorcier avait voulu débattre de ce point, il fut interrompu quand la
faille du portail fluctua violemment. Des arcs violets jaillirent des bords en
direction du sol, leur éclat fit projeter d’impossibles ombres à la colonne qui
se trouvait dans la brèche.
L’escouade de tête des Thousand Sons s’avança hors de la faille, entourée
d’une aura de puissance azur, le vexillor qui ouvrait la marche brandissant
bien haut l’insigne de leur compagnie. Les crépitements du portail furent
noyés sous le bruit des bottes marchant d’un même pas.
L’ordre d’ouvrir le feu était sur les lèvres de Njal, le bâton qu’il tenait en
main luisant d’énergie psychique alors qu’il préparait des décharges
vengeresses.
La démarche du vexillor se fit hésitante, et le légionnaire à sa droite
trébucha également, le claquement des armures et de la marche au pas
remplacé par un fracas de céramite quand les guerriers se rentrèrent dedans.
Comme s’ils arrivaient soudain sur un terrain instable, l’escouade entière
chancela, sa parfaite coordination perdue en deux enjambées. L’étendard
s’échappa des doigts du porte-drapeau pour s’écraser sur les dalles quand
les jambes du soldat lâchèrent et qu’il s’effondra la tête la première sur le
sol.
Le reste de l’escouade s’effondra de la même manière, sans rien
d’impressionnant ou de théâtral, tombant simplement à genoux puis face
contre terre.
La visière de l’un des légionnaires heurta un bolter abandonné et se brisa.
De la poussière blanche se déversa de la fissure, étincelant un instant
d’énergie wyrdique avant que l’âme ne se dissipe, ne laissant qu’une traînée
résiduelle semblable à des cendres.
Njal éclata d’un rire rauque.
— De la poussière ! Ils ne sont que de la poussière !
Dans la tête de Njal, Izzakar était une boule de souffrance inarticulée qui
brûlait comme de l’acide.
Ignorant ou indifférent au sort de leur avant-garde, le reste des Thousand
Sons continua son avancée résolue. Chaque escouade trébucha sur les restes
de celle qui l’avait précédée, les armures s’effondrant en un fracas de
céramite sans vie. Pas un mot de surprise ne fut prononcé, le seul bruit était
celui, continu, des armures qui s’empilaient et le crissement des plates
frottant les unes sur les autres.
+Que se passe-t-il ? Quelle est cette malédiction ?+
Njal contemplait la scène avec dédain, mais tandis que les armures
s’accumulaient en masse devant l’entrée du portail, la confusion et la
douleur d’Izzakar étaient prégnantes et vives dans son esprit, impossible à
ignorer complètement.
— Le prix de la traîtrise, dit le Maître des Tempêtes. Ils rejoignent les
frères de leur légion dans leur absence de vie.
+Je… qu’est-ce que ça veut dire ?+
Le ton désespéré du sorcier se fit accusateur.
+Que m’as-tu caché, chien de Fenris ?+
L’attention des autres était accaparée par les légionnaires qui
s’effondraient. Njal parla à voix basse, masquant ses mots en se passant les
mains sur le visage.
— Je ne sais pourquoi, et je n’en ai cure, mais cette même malédiction
affecte tous tes frères, à de rares exceptions. Ils ne sont rien d’autre que de
la poussière et des esprits sans conscience, prisonniers dans leur armure. Ta
légion entière, ceux qui ont survécu à leur attaque traîtresse contre
l’Empereur, ne sont que des hôtes vides pour les forces de l’abysse.
Les dernières escouades de Thousand Sons émergèrent du rideau d’énergie
ondulant et s’effondrèrent, en ruines, parmi les restes de leurs frères. Le
silence s’installa, et l’intérieur du Portail Labyrinthe fut à nouveau vide.
Plusieurs Space Wolves s’approchèrent, armes pointées vers les armures
sans vie.
— Que faisons-nous avec ça, Seigneur des Runes ? demanda Arjac avec
un geste du marteau en direction des Thousand Sons immobiles. Ils ne sont
pas morts. Pas vraiment.
— Marteau et poings, mon frère, dit Njal. Conservez vos munitions. Brisez
ces coquilles pour que ces esprits corrompus ne puissent jamais être
réanimés. Alors, nous serons débarrassés de nos ennemis pour de bon.
+Tu m’as trompé, Maître des Tempêtes. Tu m’as laissé croire que ma
légion avait survécu.+
Avec un plaisir évident, le chef de meute des Gardes-Loups fit signe à ses
hommes d’avancer. Quelques secondes plus tard, le crépitement des champs
d’énergie et le bruit sourd des poings énergétiques furent suivis du bruit de
la céramite brisée. Méthodiques et brutaux, les Space Wolves fracassèrent
les monticules de restes de Thousand Sons. Arjac chanta un skelt guerrier
pour s’accompagner, administrant ses coups de marteau au rythme des
mots. Bjorn les rejoignit, sa griffe Éclair couronnée d’une aura de foudre,
chaque frappe ouvrant une plaie béante dans la cuirasse ou le casque d’un
légionnaire maudit.
Autour d’eux, l’air frémissait d’âmes à demi visibles, une brève brise
psychique évoquait des gémissements décousus de désespoir.
— Elle survit, d’une certaine façon, dit Njal à Izzakar, à l’écart des autres
qui continuaient leur tâche brutale. Tu croyais ce que tu voulais bien croire,
traître prosperin. Je t’avais dit que Magnus avait failli, mais tu ne voulais
pas en entendre parler. Contemple ses méfaits et constate la vérité.
Avec les derniers rayons du soleil caressant les flancs brisés de la Pyramide
de Photep, son ombre immense s’étirant sur les plus petits bâtiments et
bibliothèques qui l’entouraient, la colonne venue de la zone d’atterrissage
rejoignit le périmètre protégeant la faille du portail. Des douzaines de
thralls et trois autres meutes hétéroclites de Chevaucheurs de Tempête
renforcèrent les patrouilles et la surveillance des points stratégiques d’accès
à l’édifice colossal.
Njal contacta Valgarthr par vox pour faire le point sur la situation devant la
Pyramide de Photep.
— La zone a été sécurisée, Seigneur des Runes, rapporta le chef de meute
vétéran. L’ennemi s’est dispersé. Je ne lui ai pas donné chasse, préférant
surveiller votre position.
— Oui, tu as eu raison. Il est impossible de savoir combien de ces maudits
traîtres se cachent derrière le voile. Quand nous aurons libéré Bulveye et ses
frères, il est possible que nous ayons la force de purifier ces ruines. Sinon,
Tizca pourra attendre la colère finale des Space Wolves.
Les attaques des cultistes s’étaient pratiquement arrêtées. Çà et là, dans
l’obscurité, un tir de laser jaillissait et un bolter faisait feu en réponse. Avec
leurs autosens multispectres et leurs viseurs traqueurs de mouvements, les
space marines étaient plus que capables de se battre de nuit aussi bien que
de jour. Les cultistes ne l’étaient pas, et limitaient leurs assauts sporadiques
aux zones éclairées par la lueur de warp qui perçait à travers les fissures
dans les murs des pyramides et tombeaux de livres.
Valgarthr rejoignit Njal et Arjac à la faille principale avec une escouade de
Chevaucheurs de Tempête. Leurs armures présentaient des traces de luttes
récentes et étaient souillées de sang versé au combat rapproché. Ils avaient
l’air encore plus dépenaillés qu’à leur départ de Fenris, certains avec des
blessures fraîches, d’autres avec des maux anciens exacerbés par le combat.
Malgré cela, leur moral était excellent, revigoré par le conflit, leurs cœurs
rendus légers par l’opportunité de se battre à nouveau pour le Père-de-Tout
et Russ.
— La situation sur le périmètre s’est calmée, Maître des Tempêtes, dit à
Njal le vieux chef de meute.
On avait dégagé les armures brisées du culte Raptora des Thousand Sons,
dont certaines pièces avaient été mises de côté par les technoprêtres pour un
recyclage ultérieur. On en avait aussi scellées certaines ensemble
rapidement, avec de la mousse de plastek pour créer des barricades
improvisées devant les entrées du temple ; une fin infamante qui servirait
d’avertissement aux cultistes de Tzeentch.
Valgarthr tourna son œil valide vers le miasme ondulant de la brèche.
— Nous devons entrer là-dedans.
Njal savait qu’ils étaient à un moment décisif. Il ne l’avait pas vu, mais
avait repoussé cet instant, se tenant occupé avec les détails de la
sécurisation du site et les ordres aux Chevaucheurs de Tempête. Sa vision
psychique et les vols d’Aile-de-Nuit avaient fourni de précieuses
informations sur les cultistes qui se regroupaient et l’organisation des
bâtiments brisés autour de leur position.
Mais désormais, il fallait avancer dans l’inconnu. Il pensa à ce qui était
arrivé aux Thousand Sons qui avaient émergé de la brèche, et à la Vieille
Garde toujours à l’intérieur. Si les Chevaucheurs de Tempête entraient, en
sortiraient-ils jamais ?
+Je peux te guider. Tout comme j’ai ouvert ce passage, je vais t’aider à
trouver tes frères perdus. Tu dois me faire confiance, Maître des Tempêtes.+
Le soudain enthousiasme d’Izzakar était suspect. Njal était sûr de ne pas
pouvoir faire confiance au sorcier, mais il était tout aussi certain de ne pas
avoir d’autre choix. Peu importaient les intentions d’Izzakar, les Space
Wolves étaient venus sur Prospero dans ce but, et la seule façon de
continuer était d’aller au-delà de la barrière fluctuante.
— Nous entrons, dit-il à ses compagnons.
— J’entre le premier, Maître des Tempêtes, insista Valgarthr.
Sa meute se rapprocha de son chef et offrit silencieusement son appui et
son approbation à sa déclaration.
— Nous sommes la moindre perte, si cela devait mal se passer.
— Aucune perte n’est mineure, chef de meute, dit Bjorn, s’avançant
derrière les Chevaucheurs de Tempête. Et n’importe quel guerrier dont les
valeureux états de service sont comparables aux tiens a la valeur de dix
hommes.
+Envoyez vos thralls,+ suggéra Izzakar. +Ce sont les moins importants de
vos troupes.+
Njal ignora l’opinion froide du sorcier et leva son bâton. Aile-de-Nuit
s’envola de son épaule pour se percher sur l’extrémité en forme de crâne,
croassant bruyamment.
— J’ai des yeux qui peuvent voir derrière le voile. Personne n’a besoin de
risquer sa vie à s’y essayer.
Avec Lukas qui, bien qu’il fût en permanence en tête de ses compagnons,
n’était absolument pas en train de mener l’assault, les Griffes Sanglantes
restaient en mouvement. Ils s’ouvraient un chemin dans les hordes de
cultistes qui se regroupaient, évitaient des embuscades potentielles par la
simple méthode qui consistait à avancer trop rapidement pour que les
ennemis puissent les attendre. Lukas et ses frères de meute bondissaient à
travers les volées de balles et de décharges lasers en faisant feu à tout va. Ils
montèrent en courant des escaliers et sautèrent de mezzanines en galeries
pour atteindre les tireurs d’élite et les commandos qui essayaient de les
viser de loin. Ils plongèrent dans des contre-allées pour éviter des feux
croisés d’armes lourdes et se précipitèrent le long de souterrains pour
prendre à revers des groupes entiers. Faisant des allers-retours, attaquant
comme au hasard, la meute se tailla un chemin sanglant à travers la zone
portuaire, jusqu’à ce que le fracas du combat se taise. Ils ne s’arrêtèrent que
quand les rues furent vides de tout autre ennemi que ceux qui agonisaient en
grognant sous les étoiles indifférentes de la nuit prosperine.
Leurs armures et leurs armes étaient gluantes du sang des cultistes, et ils
avaient utilisé presque la moitié de leurs munitions. Sur les suggestions de
Lukas, ils prirent possession de la cave d’un immeuble d’artisan près de la
darse profonde où les navires les plus grands avaient un jour été amarrés.
On avait vidé les quais des moindres grues et portiques, et même les
boulons de fixation avaient été emportés. Les trous profonds et les rails nus
étaient la preuve de l’industrie massive qui y avait un jour fleuri.
C’est là que les Griffes Sanglantes firent le point sur leur situation.
— Ils doivent utiliser le Portail Labyrinthe, dit Bahdr.
C’était depuis une fortification de l’autre côté de la baie artificielle que
Lukas avait vu surgir la majorité des cultistes et mutants.
— Merci de suivre, répondit Lukas. Bien sûr qu’ils utilisent le Portail
Labyrinthe. Ce grand bâtiment là-bas était jadis le centre de commandement
du port. Il doit y avoir un passage à l’intérieur.
— Comment sais-tu ça ? demanda Jerrik.
— Il se peut que j’aie regardé quelques plans quand nous étions à bord du
Longriffe, répondit Lukas. Personne n’a dit qu’ils étaient secrets.
— Tu les as mémorisés ?
— C’est merveilleux ce que ces cerveaux améliorés dont nous sommes
dotés sont capables de faire pour peu qu’on essaie, dit Lukas en se tapotant
le crâne du bout de sa griffe désactivée, faisant semblant de se l’enfoncer
dans la tempe. Saviez-vous que parmi les tribus de Fernis, il y a au moins
quarante-huit variantes de Le harpon rouillé de Thegn ?
— Nous devons entrer là-dedans et essayer de désactiver ce portail, dit
Gudbrand.
— Une sagesse digne du Père-de-Tout, dit Lukas, qui administra une
claque sur l’épaule du Griffes Sanglantes.
— Hum, Lukas… ?
L’interruption venait de Agthei, qui traçait du doigt quelque chose sur
l’écran de l’auspex que Lukas lui avait donné, un appareil que le Trompeur
avait dérobé à l’une des escouades de Chasseurs Gris de Valgarthr dans
l’idée qu’il lui serait utile à un moment ou à un autre.
— Oui, Agthei ?
— Je viens d’entrer les coordonnées de notre position, et il a tracé la route
que nous avons prise pour venir jusqu’ici.
— Capture de données positionnelles standard, dit Lukas d’un air
innocent. Et ?
— Eh bien… Aghtei bascula l’appareil sur le côté. Si on le tourne comme
ça, notre chemin ressemble un peu à des runes fenrissiennes.
— Elles disent quoi ? demanda Artyn.
— Ce sont les symboles pour un élan qui…
— Quelle coïncidence, l’interrompit Lukas, retournant vers l’encadrement
de la porte extérieure de la cave d’où il pouvait voir tout l’espace des quais.
Viens ici, fais un meilleur usage de ce truc et fais-nous un balayage de cet
immeuble.
Il donna une claque sur l’épaule d’Aghtei et le poussa dans la rue. Le
Griffes Sanglantes ajusta les réglages de l’auspex, tout en marmonnant des
mots apaisants à l’esprit de la machine pour s’excuser des blasphèmes de
Lukas. Le reste de la meute observa les immeubles alentours et ce qui avait
été la façade maritime et qui n’était plus qu’une étendue de terre aride qui
s’étendait jusqu’à l’horizon, cuite par le soleil et craquelée.
— Aucun signe, rapporta Aghtei. Aucun signe de rien.
Lukas jeta un œil par-dessus l’épaule du plus jeune space marine, certain
que le Griffes Sanglantes avait reçu l’entraînement approprié pour utiliser
l’auspex, mais néanmoins surpris. L’analyse était juste : pas une seule
signature n’émanait de la capitainerie. Lukas observa le bâtiment au loin et
essaya de voir dans les ombres à l’intérieur, à travers les grandes ouvertures
où des panneaux de verrite s’étaient jadis trouvés. Il crut voir un éclair
bleuté sur un mur intérieur.
— Il n’y a qu’une seule façon de s’en assurer, déclara-t-il avant de se
tourner et d’adresser un sourire en coin à Gudbrand. Tu penses toujours
qu’on devrait aller enquêter ?
— Oui, dit le Griffes Sanglantes en hochant la tête.
— Parfait. C’est trop calme par ici, allons chercher les ennuis.
CHAPITRE 12
LE DÉDALE DE PROSPERO
Njal observait, par les yeux de son psyber-corbeau, le voile moiré qui se
tenait entre eux et les mondes inconnus du Portail Labyrinthe. Il inspira
calmement et laissa un peu plus de son pouvoir couler dans son familier,
l’emplissant de ses pensées et de sa volonté.
+Laisse-moi voir.+
— Tu ne le peux pas ?
+Seulement avec les yeux qui sont dans ta tête. Tes pensées me sont à
nouveau fermées. Laisse-moi voir ce que tu vois et je t’aiderai.+
Le sorcier avait tenu parole quand il s’était agi d’inverser le portail pour
détruire les cultistes. Comparé à l’abandon provisoire de sa voix et de ses
membres, permettre à une minuscule partie de l’éclat psychique d’Izzakar
de se lier à Aile-de-Nuit lui semblait un risque modéré.
Il rassembla ses pensées, isolant la petite partition qui abritait le fragment
d’âme d’Izzakar, comme il l’avait fait durant l’ouverture du portail. Il laissa
la plus infime particule de conscience traverser le mur qu’il avait érigé,
utilisant son propre pouvoir psychique pour le siphonner dans le système
nerveux du psyber-corbeau.
+Vraiment remarquable. Mes frères de la secte Corvidae seraient…+ La
pensée dériva. +Ils sont morts. Ou corrompus.+
Njal mit Aile-de-Nuit en mouvement avec un effort minime. Le psyber-
corbeau fit des allers-retours devant le trou béant dans la réalité, passa deux
fois devant la faille, yeux et augures psychiques à la recherche du moindre
signe de ce qui se trouvait au-delà.
— Que vois-tu, Navigatrice ?
Majula retira son bandeau, qu’elle avait remis pendant que les Space
Wolves avaient vaqué à leurs tâches. Elle se rapprocha de quelques pas et
plongea son regard dans les profondeurs de la faille. Sous la direction de
Njal, Aile-de-Nuit décrivit des cercles à plus haute altitude, hors de portée
d’un contact accidentel avec le regard provocateur de folie du troisième œil
de la Navigatrice. Cependant, même ainsi, le souffle de pouvoir fit l’effet
d’une brise chaude dans les plumes du familier et les ébouriffa au passage.
— Rien, comme auparavant, Seigneur des Runes, lui dit Majula. Une
obscurité éternelle. Un abîme entre les royaumes.
— Très bien, poursuivons un peu plus loin.
Il inspira à nouveau profondément et dirigea Aile-de-Nuit vers la brèche.
Le peu qu’il restait d’oiseau en lui tenta d’esquiver le mur d’énergie
crépitante, mais le Maître des Tempêtes fit pression sur ses instincts
basiques, et le corbeau s’engouffra dans la brèche.
Traverser le voile était une sensation fugace, très différente de ce à quoi
Njal s’était attendu. Après une vie entière de translations dans le warp, il
avait cru qu’il subirait une sensation de dislocation, peut-être un malaise ou
de la dissociation. À travers les sens d’Aile-de-Nuit, il ne sentit… rien. Rien
de plus que s’il était rentré dans une pièce voisine. Un simple changement
de perspective. Une baisse de température. Un peu moins de lumière
ambiante.
— Sommes-nous vraiment à l’intérieur ?
+Oui, dans la ceinture de démarcation.+
Le hall avait la même apparence que de l’autre côté, sauf quand il se
retourna pour regarder les Space Wolves. Njal vit leur lumière wyrdique
briller à l’intérieur d’eux. Chez la plupart, ce n’était qu’un soupçon de
couleur, leur âme faible et enfermée dans la cage de leur discipline rituelle.
Les Dreadnought luisaient au niveau de leurs peaux de loup et talismans,
alimentés par le ulfwyrd : des millénaires de respect et d’admiration qui
s’étaient accumulés dans ces machines de guerre qui leur servaient de corps
et dans leurs symboles totémiques.
Il vit Majula, avec une étoile de clarté aveuglante au milieu du front,
heureusement étouffée par son bandeau.
Et, à ses côtés, lui-même. Il avait l’habitude d’apercevoir son propre corps,
si imposant à côté d’elle, ses cheveux roux fous et désordonnés. Ce qui le
stupéfia fut l’apparition dorée qui flottait au-dessus de son épaule.
Indistincte, mais gagnant en netteté quand il se concentra, la silhouette
monochrome et parfaitement reconnaissable d’un archiviste des Thousand
Sons. Non pas quelque sorcier à casque à cornes ou hérétique mutant, mais
un space marine au visage grave, avec un tabard brodé de runes par-dessus
son armure et une rangée nette de symboles sur son plastron.
+Remarquable.+
Cette image contredisait l’impression que Njal s’était faite de son hôte.
Pas l’impression, se rendit-il compte. Ses préjugés. L’image qu’il s’était
faite d’Izzakar venait entièrement des sagas de Prospero et de dix mille ans
d’inimitié.
Une inimitié que les Thousand Sons avaient méritée, se rappela-t-il, se
souvenant des ravages que Magnus et ses guerriers avaient causés sur
Fenris. Son humeur s’assombrit.
— Que veux-tu dire par ceinture de démarcation ?
+Le Portail Labyrinthe est construit sur un gradient. Plutôt que de plonger
dans l’abysse, on s’y enfonce par étapes. Ce n’est pas aussi simple qu’une
porte qui en mène à une autre, bien que cela puisse être le cas. Chaque
déplacement peut être utilisé pour s’enfoncer dans le labyrinthe, ou en
sortir. Comme une porte qui ouvre sur un seuil avec deux volées de
marches, laissant le choix de monter ou de descendre. Aller plus profond
veut dire aller plus loin, de telle manière que le troisième ou quatrième
portail peut mener à des dizaines d’années-lumière du point de départ. C’est
pour cela que la Vieille Garde a provoqué autant de dégât avec leur saccage.
Plus ils trébuchaient, plus ils s’enfonçaient, jusqu’à atteindre le cœur du
Portail Labyrinthe.+
Njal dirigea Aile-de-Nuit autour du hall, et sa vision ondula et s’inversa
comme s’il traversait son reflet sur la surface d’une eau agitée. Il vit un
socle, d’une cinquantaine de centimètres de haut, orné de trois symboles
d’argent et auquel menaient deux marches. Il se souvint de la stèle
qu’Izzakar avait activée et en conclut que cette pierre dressée devait être
son équivalent au sein du Portail Labyrinthe.
Le psyber-corbeau voleta autour du socle, mais Njal fut attentif à ne pas
passer au-dessus.
— Ce cœur, c’est là que je trouverai mes frères perdus ?
+C’est là que tu trouveras mon corps. Et le dernier endroit où ils se
trouvaient. Ils étaient proches, pour autant que le concept de proximité
existe à l’intérieur du labyrinthe. Bien que pour eux il ne se soit passé
qu’une fraction de ces dix mille ans, ils ne sont pas restés inactifs dans le
temps qui s’est écoulé pour eux.+
— Nous devons donc nous enfoncer ? Loin dans la ceinture ?
+Oui. Pour atteindre le cœur, il faut franchir au moins huit portes. Enfin, je
devrais dire qu’il m’en a fallu autant. Qui sait quelle nouvelle destruction
l’intrusion de tes guerriers a provoquée ?+
Maintenant qu’il s’habituait au rythme naissant du labyrinthe, Njal pouvait
distinguer plus de choses dans l’encadrement du passage brisé. Il vit une
autre pièce, assez semblable à celle qu’ils occupaient, mais plus petite, avec
des fenêtres en triangles pointant vers le bas et qui montraient les districts
au-delà.
— Les cultistes ne se sont pas jetés à l’aveugle de ces portes. Ils avaient
une idée de ce qu’ils faisaient. Guidés, je dirais.
+Indubitablement. Seul Magnus comprenait véritablement le dédale du
Portail Labyrinthe. S’il les a imprégnés d’une partie de son pouvoir, ces
secrets sont à leur portée. Si les dégâts sont aussi importants que je le
crains, il risque d’y avoir aussi d’autres ennemis.+
— Plus de Thousand Sons ?
+Je pensais plus à des choses semblables à celles qui t’ont attaqué dans le
champ de Geller.+
— Des démons ?
+Oui. Des démons.+
Izzakar prononça le mot comme s’il l’essayait, et Njal se rappela que,
même pour les Thousand Sons, la terminologie du Chaos et des sombres
sbires du warp n’était entrée dans l’usage qu’après la défaite d’Horus. Le
Maître des Tempêtes avait parfaitement conscience que même à son rang
élevé, il y avait plus de choses qu’il ignorait que de choses qu’il savait,
concernant ce sujet. Cependant, du temps du Roi Loup, même le concept de
démons n’avait pas été admis.
— Alors, dis-moi, ce Portail Labyrinthe, est-il réel ou fait de wyrd ?
+Je ne comprends pas la question.+
— Ici, où Aile-de-Nuit se trouve, de l’autre côté du voile. Sommes-nous
réels ou immatériels ? Les démons seront-ils au sein du warp ou devront-ils
conjurer des corps physiques que nous pourrons détruire ?
+Je vois…+ Izzakar réfléchit à la question quelques secondes.
+Réels. Pour l’essentiel. Le Portail Labyrinthe est similaire au champ de
Geller sur certains points. Il crée des couloirs de réalité. Pense à ces
connexions comme à des poches de matérialité physique. Bien que brisé en
maints endroits, il n’est pas constitué de warp.+
— Cela nous facilitera un peu la tâche.
Njal redirigea son attention d’Aile-de-Nuit vers son propre corps, aussi
simplement qu’une personne ordinaire pouvait faire passer son poids d’un
pied à un autre.
— Valgarthr, Arjac, Bjorn. Préparez vos guerriers. Le Portail Labyrinthe
est dangereux, et pas uniquement en raison des adversaires qu’il abrite.
Nous devons rester groupés. Quiconque s’écartera sera perdu. Notre
mission est simple. Nous localisons Bulveye et la Vieille Garde et nous
sortons avec eux. Tout le reste, tout ennemi que nous rencontrerons, sera
secondaire par rapport à cet objectif.
Arjac indiqua son accord d’un signe de marteau et Valgarthr par vox.
— Nous sommes prêts, dit Bjorn. J’irai là où je n’ai pas encore pu aller.
Le Maître des Tempêtes se tourna vers Majula quand celle-ci remit son
bandeau.
— J’espère que tu te joindras à nous. Nous nous aventurons sur un
territoire aussi immatériel que réel, et tes dons nous seront précieux. Je ne
t’y contraint pas et si tu décides de rester ici, mes guerriers tout comme les
tiens assureront ta protection.
La Navigatrice observa la cascade céruléenne. Elle inspira profondément
et Njal remarqua que ses mains tremblaient à l’intérieur de ses longues
manches.
— Reste là, insista-t-il. Personne ne te jugera.
— Non.
Majula leva le menton, ses lèvres sombres pincées fermement. Njal activa
son vox sur le canal de commandement.
— Aldacrel, nous sommes sur le point d’entrer dans le Portail Labyrinthe.
Tu es le plus haut gradé sur Tizca. Le commandement te revient.
— Compris, Maître des Tempêtes. Nous tiendrons le centre-ville jusqu’à
ton retour.
Njal marqua une pause. Il hésita sur la manière de formuler ce qu’il devait
dire ensuite.
— Il se peut que nous ne revenions pas, dit-il au Prêtre de Fer. Je ne sais
pas combien de temps nous serons partis, et je te laisse juge de votre départ
éventuel. Nous sommes venus sur Prospero pour consolider nos forces, pas
pour en sacrifier.
— Par le Père-de-Tout, nous nous battrons aussi longtemps que nous le
pourrons.
— Si tu penses que votre position est intenable, tu dois battre en retraite.
Tu dois maintenir la route vers le champ d’atterrissage ouverte, vous ne
pouvez pas vous permettre d’être pris au piège. C’est une mission de
sauvetage, pas un combat à mort. Je te l’ordonne. C’est clair ?
— Entendu, Maître des Tempêtes. Pas de folies héroïques de notre part,
c’est promis.
— Que votre combat honore le Père-de-Tout.
— Puisse-il vous guider dans les sombres domaines où vous devez vous
rendre, répondit le Prêtre de Fer avant que la communication ne soit
coupée.
— Chevaucheurs de Tempête ! Njal observa ses guerriers, fier d’être en
leur compagnie. Nous nous aventurons sur des mers inconnues, avec
seulement notre intelligence et la sagesse du Père-de-Tout pour nous guider.
Quelles que soient les difficultés qui nous échoiront, nous sommes à leur
hauteur. C’est maintenant que notre saga commence vraiment.
L’escouade de Valgarthr se précipita pour être la première à traverser la
brèche, bien qu’à travers les yeux d’Aile-de-Nuit, Njal ne pouvait détecter
aucune menace de l’autre côté. Alors que les bordures du champ d’énergie
caressaient les armures des Chevaucheurs de Tempête, Arjac eut une
question.
— En parlant de difficultés, quelqu’un a-t-il la moindre nouvelle de ce
feignant de Lukas ?
— Probablement planqué quelque part, Poing de Pierre, répondit Sven
Heaume-Fendu. Tu connais le Loup-chacal, jamais là où on a besoin de lui.
Le centre de commandement du port ressemblait à un cône inversé au-
dessus d’un haut pilier, surplombant tous les autres bâtiments des quais. Les
niveaux les plus élevés n’étaient guère plus que des squelettes de piliers en
ferrobéton et poutres, les immenses fenêtres qui avaient permis aux
contrôleurs d’observer le port avaient été emportées des millénaires
auparavant, si elles avaient seulement résisté à l’attaque du Roi Loup.
Le pilier principal, qui mesurait presque les deux tiers de sa taille
originelle, n’était ponctué que de quelques orifices étroits. L’intérieur était
sombre lorsque les Griffes Sanglantes franchirent le seuil, barré jadis par de
larges portes. Il y avait des traces fraîches dans la cendre et la poussière, des
empreintes de pieds et de griffes sur le sol, mais l’auspex d’Aghtei
continuait à n’indiquer que des analyses négatives. Au centre de la colonne
se trouvait un autre pilier creusé de quatre conduits qui avaient un jour
abrité des transporteurs. Toute trace de mécanisme ou de chaîne, cage et
frein avait disparu. Des trous dans les murs indiquaient l’ancien
emplacement d’échelons métalliques.
— Il y a des escaliers, par là, dit Agthei, les yeux rivés sur l’affichage
hésitant de son scanner.
Il indiqua une ouverture située derrière la colonne de transporteur, qui
ressemblait à une zone de maintenance. Les marches de ferrobéton brut qui
menaient aux étages étaient trop étroites pour qu’ils puissent avancer
autrement qu’un par un, bien qu’un escalier jumeau se situât à l’opposé du
couloir.
— On se sépare ? proposa Bahrd.
— On devrait rester groupés, rétorqua Aghtei.
Il se tourna vers Lukas pour un soutien, ou peut-être une confirmation. Le
Trompeur ne lui offrit qu’un haussement d’épaules nonchalant.
— Ensemble, approuva Gudbrand.
Il se passa quelques secondes pendant lesquelles les autres en débattirent
entre eux, mais on parvint à un consensus quand Lukas s’avança vers les
marches et que les autres le suivirent. Il pointa une griffe vers Agthei.
— Si ton truc fait le moindre couinement, tu me le dis immédiatement.
— Bien, chef… euh, Lukas.
Le Trompeur s’engagea dans l’escalier en colimaçon, son pistolet à plasma
en main, sa griffe prête à frapper. Il traversa de petits paliers ouvrant sur des
couloirs flanqués de petites pièces de chaque côté, qui avaient probablement
été des cellules cléricales à la grande époque de Tizca.
Ils atteignirent le premier étage des niveaux supérieurs, plus larges, et
Lukas perçut un changement, un frisson de tension dans l’air. Comme de
l’électricité statique dans ses cheveux, il put percevoir les émanations
surnaturelles du portail avant de le voir. Il émergea du palier sur le passage
qui menait à l’avant du bâtiment.
Le bip de l’auspex résonna dans l’étroit couloir.
— Lukas ! s’exclama Aghtei au même moment.
Le Trompeur se figea, bougea légèrement son pistolet à plasma et observa
le passage qui bifurquait du couloir juste en face de lui.
— Chaleur et mouvement. Source unique, l’informa Agthei en dépassant
Gudbrand pour aller se tenir aux côtés de Lukas.
Le Griffes Sanglantes manipula les commandes de son scanner afin
d’obtenir une analyse plus précise.
— La signature est en train de changer… non, elle s’est stabilisée. Du
mouvement à vingt mètres. Je dirais une armure énergétique.
— Si vous voyez le moindre signe de bleu, ouvrez le feu, murmura Lukas,
parlant des livrées des traîtres Thousand Sons.
Les bips de l’auspex s’accélérèrent à l’approche de la source. Agthei fit
passer son arme dans son autre main, et sur la gauche de Lukas, Gundbrand
se prépara aussi à agir. Derrière eux, les autres Griffes Sanglantes
sécurisèrent les escaliers et une porte de l’autre côté du palier.
Lukas pouvait apercevoir la lueur diffuse du portail à travers l’arche la
plus éloignée. Une ombre la traversa. Un bruit de bottes résonna dans le
couloir.
La silhouette qui apparut était vêtue de bleu gris. Elle arborait le blason
des Space Wolves sur l’une de ses épaules et celui des Chevaucheurs de
Tempête sur l’autre. La moitié de son visage était un assemblage de
bioniques épars, d’agrafes et de bandages en plastek.
Valgarthr.
Les lèvres du vétéran grimacèrent dans une approximation de sourire.
— Ah, c’est toi, mon frère. Il se tourna à moitié, pointant du menton la
direction dont il venait. Les autres sont par là. Venez.
Le chef de meute disparut au bout du hall. Lukas se pressa à sa suite tandis
que Gundbrand assemblait la meute et le suivait.
Valgarthr les entraîna dans une pièce qui couvrait toute la largeur de
l’étage, une quarantaine de mètres, qui avait peut-être été jadis richement
décorée, mais était désormais dépourvue de tout embellissement ou
commodité.
Sauf pour le portail.
Un socle doré était placé sur un côté, des runes prosperinnes gravées sur
son flanc. Il était surmonté d’une aura miroitante de lumière et d’ombre,
non pas noire et blanche, mais une fluctuation lointaine de la luminosité,
comme les rayons du soleil qui passaient entre des feuilles agitées par le
vent.
Valgarthr se tint devant le portail, un pied sur le socle. Il fit signe à Lukas
de s’approcher.
— Vite.
Lukas s’arrêta à quelques pas de lui et tendit l’oreille pour guetter l’arrivée
des autres. Ses yeux ne quittèrent jamais Valgarthr, et quand celui-ci se
tourna pour saluer le reste des Griffes Sanglantes, Lukas leva son pistolet à
plasma et ouvrit le feu.
La décharge azur frappa Valgarthr à la tête et éclata sur le crâne blessé.
L’explosion ouvrit le space marine en deux et le projeta à l’autre bout de la
pièce.
Les Griffes Sanglantes éclatèrent en cris accusateurs autour de Lukas qui
se précipita vers l’avant, griffe prête. Là où Valgarthr avait chu se trouvait
une créature difforme et grouillante. Elle semblait porter une armure
énergétique grise, mais la blessure ouverte par le tir de plasma était une
masse bouillonnante de bleu, rose et vert, tournoyante sur elle-même.
Un œil se matérialisa à travers le symbole de tête de loup sur le poitrail
détruit et observa Lukas de sa sinistre pupille rouge. Le Trompeur fit un
nouveau pas en avant et la chose fut prise de convulsions quand des
membres tentaculaires jaillirent de son dos pour lui permettre de déguerpir.
Lukas se lança à sa poursuite tout en maudissant la lenteur de la recharge
de son pistolet. Les tirs des Griffes Sanglantes fusèrent et explosèrent contre
la fausse armure et la chair démoniaque qu’elle révélait. Chaque détonation
détruisait un peu plus le déguisement, le mécanique laissait place à une
matière organique grouillante.
Soudain, le démon métamorphe changea de direction et se jeta sur Lukas.
Les éclats de fausse céramite se changèrent en lames de dagues. Il donna un
coup de griffe juste à temps et entra en contact avec la créature là où
l’abdomen de Valgarthr s’était trouvé. De la matière démoniaque
éclaboussa le Trompeur, le fluide gluant s’enroula le long de sa griffe et de
son bras, se tordit, s’enfla et se coula autour de lui. Il frappa à nouveau,
esquiva et para, alors que de plus en plus d’aiguillons et de barbelures
apparaissaient pour s’écraser contre son armure, griffer son visage exposé.
Le grondement douloureusement proche d’une épée tronçonneuse l’avertit
de l’attaque de Bahrd, et il esquiva au moment même où l’arme du Griffes
Sanglantes s’enfonça dans la créature, taillant en profondeur dans son torse
dans un jet de gouttelettes immatérielles. La chose relâcha sa prise et
emporta des fragments de la gorge de Lukas en reculant d’un bond, boitant
sur ses appendices filiformes, les restes atrophiés de ses bras et jambes
traînant derrière elle mollement, comme une combinaison vide alors que de
nouveaux impacts de bolts s’écrasaient sur son torse et ses membres.
Elle tituba, poursuivie par les Griffes Sanglantes, vacilla à droite et à
gauche en cherchant un abri dans le hall vide. Des lambeaux de manteau
bleu volaient dans le sillage de sa monstrueuse silhouette tandis que des
étincelles de feu warp parcouraient ses plaies.
— Gardez vos munitions, suggéra Lukas.
Il bondit, griffe brandie, suivi par le redémarrage des moteurs des épées
tronçonneuses et de tous les autres.
Il ne leur fallut que quelques secondes pour achever le démon. Ils
dispersèrent les morceaux sur le ferrobéton brut. Herlief éradiqua le reste
avec un jet de prométhium de son lance-flammesss. Ils regardèrent les
débris enflammés fondre, personne ne sachant trop quoi dire.
Bahrd rompit le silence.
— Comment savais-tu que c’était un démon ? L’as-tu reniflé, vu quelque
chose, goûté dans l’air sa nature maléfique ?
— Vous avez tous vu comme moi son sourire, dit Lukas.
Il se retourna, inquiet que personne ne surveille le portail. Celui-ci pulsait
comme avant, mais semblait dormant.
— Personne n’a jamais l’air heureux de me voir.
Personne ne contesta cette vérité immuable et ils suivirent Lukas vers le
socle.
— Comment fait-on pour le détruire ? demanda Gundbrand, regardant le
portail pulsatile. Des bombes à fusion ?
— S’il a résisté à la dévastation du Rout, je doute que nous ayons les
moyens de le briser, dit Lukas.
Le reste des Griffes Sanglantes se rassembla autour du portail comme une
meute se refermant sur une proie. Lukas pouvait sentir leur impatience, leur
soif de sang réveillée par le combat contre le démon. C’était ce même
sentiment qui faisait tambouriner son cœur.
Lukas posa un pied sur le socle.
— Cette… chose a essayé de nous attirer dans le portail, averti Agthei.
C’est sûrement un piège.
— Bien sûr que c’en est un, répondit Lukas en faisant un autre pas en
avant, à quelques centimètres à peine de l’aura malsaine qui marquait la
limite du portail. Vous voulez découvrir ce qui nous attend là-dedans ?
— Tous ensemble, une frappe rapide, dit Herlief. Il se plaça à côté de
Lukas, son lance-flammesss libérant quelques flammèches de sa veilleuse
d’allumage. Les autres se rapprochèrent, leurs armes au clair, comme des
crocs découverts.
— Pour Russ ! hurlèrent-ils.
Et ils plongèrent dans le tourbillon.
+Je sais ce que je fais. Pas toi.+
À contrecœur, Njal permit à Izzakar de prendre à nouveau le contrôle de
son corps, juste assez pour parler à voix haute et bouger ses bras et ses
jambes. Il détestait la sensation d’impuissance quand il accordait cette
liberté au sorcier, mais Njal haïssait encore plus sa présence continuelle, et
c’était pour cela qu’il permettait au traître ces brefs moments de contrôle.
C’était, hélas, la seule façon de progresser dans le labyrinthe.
L’Archiviste des Thousand Sons plaça ses doigts écartés dans la lumière
de la porte wyrdique et laissa la lueur blanche étinceler entre eux. Un doigt
tressauta, puis un autre, avec précision plutôt que sous l’effet d’un spasme,
et à chaque mouvement, l’une des runes gravées dans la roche changeait de
forme. Le Maître des Tempêtes sentit grandir la résistance du pouvoir
wyrdique au fur et à mesure qu’Izzakar réglait la porte vers une autre
direction.
— Ahmet aton ahmet utuhl ared autah eitas aret ahmet, entonna Njal, de
sa propre voix, mais sans comprendre les mots. Ses lèvres et sa langue
semblaient maladroites sur les syllabes inconnues.
Aussi étrange que cela fut pour lui, il savait que ça l’était encore plus pour
ceux qui l’entouraient. Il aperçut Arjac tourner brusquement son regard vers
lui, marteau brandi. Les Gardes-Loups répondirent à un ordre que le Maître
des Tempêtes n’entendit pas et s’approchèrent un peu plus. Si on ajoutait à
cela son comportement précédent, il devenait évident que Poing de Pierre
n’avait pas été envoyé par le Loup Suprême uniquement pour protéger Njal,
mais aussi pour le surveiller. À en juger par la réaction d’Ulrik, n’importe
quelle action légèrement inhabituelle pouvait être considérée comme
contraire à l’honneur et au devoir envers le Chapitre. Njal devrait garder
cela à l’esprit au cas où un tel réflexe soupçonneux se révélerait une
entrave, bien qu’il comprît les ordres de Logan Grimnar et la préoccupation
d’Arjac.
Izzakar acheva ses manipulations avec un geste théâtral de la main. Les
symboles avaient tous changé et étincelaient d’une lueur verte sur la pierre.
Il y eut un moment d’hésitation, un instant fugace avant que l’archiviste ne
retire son influence et retourne dans le creux à l’intérieur de l’esprit de Njal
qu’il avait fait sien, telle une araignée se retirant dans son antre après avoir
capturé sa proie.
— Nya fjel wyrd alt, Arjac sleip neva, dit Njal à ses compagnons.
Il leur parla en fenrissien pour les rassurer sur qui était aux commandes.
Poing de Pierre ne se détendit pas, mais se tourna vers la lueur de jade du
portail.
— Ça mène où ? demanda le Garde-Loup.
+En territoire familier. Un endroit que je connais bien, pour me permettre
de retrouver mes marques. La Pyramide d’Ahtep-Luxanhtep, le temple du
culte Raptora.+
— Une autre pyramide, répéta Njal aux autres. Suivez-moi.
Il monta sur le socle et s’enfonça dans la lumière ondulante.
Le hall dans lequel les Space Wolves furent transportés était à ciel ouvert,
les encadrements triangulaires de ses fenêtres vides. Le verre brisé sous
leurs pieds se transforma en poussière quand ils marchèrent. Les sens
wyrdiques de Njal ne remarquaient rien d’étrange, et il en conclut qu’ils
étaient quelque part dans l’univers matériel, comme Izzakar l’avait assuré.
La vue qu’offraient les vitres brisées était celle de la Pyramide de Photep au
loin. La lumière des premières étoiles ricochait sur ses flancs.
— Ne sommes-nous pas dans le labyrinthe ? murmura-t-il.
+Il n’y a pas de labyrinthe dans lequel être, espèce de sauvage. Les portails
existent dans notre monde. Le labyrinthe n’est que le lien entre ici et là-
bas.+
— Mais tu disais que le temps s’écoule différemment à l’intérieur du
labyrinthe, là où toi et Bulveye êtes enfermés.
+Oui. Certains de ces endroits qui peuvent être ici ou là-bas sont à la limite
de l’espace warp, et certains portails sont brisés, ce qui permet à de l’anti-
materium de s’infiltrer. Mais le labyrinthe est une construction physique, à
l’exception de son cœur.+
Un bruit de pas derrière lui fit se retourner Njal. Le socle qu’il avait
traversé n’était plus. À sa place se trouvait une arche de quatre mètres de
haut sur trois de large, sculptée en forme de deux ailes d’aigle déployées, et
qui formait le portail duquel Valgarthr et ses hommes émergèrent, des
étincelles d’énergie verte dansant sur leurs armures. Ensuite, la silhouette
massive de Bjorn traversa le passage. L’imposante machine de guerre
remplit soudain tout le couloir.
Njal tourna son attention sur leur environnement tandis que les deux autres
Dreadnought arrivaient de la Pyramide de Photep, fissurant sous leur poids
les dalles ornementales. Le hall était rempli de rangées d’étagères en pierre
dont les plus hautes atteignaient une douzaine de mètres. Il ne vit ni échelle
ni escalier, et les étagères elles-mêmes étaient vides.
+Tout a disparu.+ gémit Izzakar. +C’était le hierographica raptorae, des
siècles de recherche de notre secte. Détruits !+
— Hérétique, dit Njal en s’éloignant des autres. Corrompu. Purifié pour
protéger les autres.
+La sagesse n’est pas une infection. La connaissance est au-delà des
idéologies, espèce de barbare. L’hérésie n’existe pas, seulement la liberté de
penser et la volonté d’explorer. Pour qu’il y ait hérésie, il faut une foi contre
laquelle aller ! Tu agites ces termes à tort et à travers sans en comprendre la
véritable signification. C’est un réquisitoire sur le déclin de l’Imperium.
L’orthodoxie et le dogme ont écrasé les Lumières et la Vérité Impériale.+
Njal envoya Aile-de-Nuit vers la paroi inclinée et fissurée de la pyramide
qui constituait le plafond de la pièce. D’aussi haut, il put voir que les
archives étaient positionnées en carrés concentriques, traversés d’allées
menant à trois portes dans les autres murs.
— Je ne vois aucune marche vers les étages supérieurs, dit le Prêtre des
Runes.
+Que tu es prosaïque, engeance des bas-fonds. Nous autres Raptorae
sommes maîtres de l’interaction psykaphysique. La télékinésie. Nous
pouvions faire venir à nous, à volonté, cristaux et livres et nous pouvions
faire s’élever ou s’abaisser les plates-formes par la seule force de notre
esprit.+
— Où est le prochain portail ?
Il chercha à travers les yeux du psyber-corbeau quelque chose qui aurait pu
être un passage vers le Portail Labyrinthe, mais ne vit rien.
+Le prochain ? Nous devons utiliser celui-ci, imbécile ! Laisse-moi
recalibrer la destination. Chaque portail nous fait avancer, descendre les
anneaux du labyrinthe, comme des tremplins.+
Sa fierté encore heurtée par les insultes de l’ancien Archiviste, Njal fit
signe à ses compagnons de s’écarter et retourna vers l’arche. Il remarqua
l’expression inquiète d’Arjac et tenta de lui adresser un signe rassurant du
menton. Poing de Pierre ne sembla guère convaincu. Njal passa outre son
malaise et se concentra sur les mécanismes du portail.
Des symboles plus sombres ornaient les extrémités des trois plumes les
plus longues, de façon symétrique de chaque côté. Ils étaient identiques à
ceux qu’Izzakar avait arrangés de l’autre côté du portail, dans la Pyramide
de Photep.
— Donc on se contente de retourner vers là d’où nous venons ? demanda
Arjac.
+Non ! Les portails sont directionnels et contextuels. J’aurais besoin
d’entrer les coordonnées du temple principal, si on voulait y retourner. Mais
ce n’est pas là que nous devons aller, n’est-ce pas ? Laissez-moi juste me
mettre au travail et arrêtez de vous en mêler.+
Njal adressa un signe de tête négatif à Poing de Pierre et ravala sa réplique
au sorcier. Il tendit la main vers l’arche et libéra l’esprit d’Izzakar une
nouvelle fois.
Les deux portails suivants les menèrent à d’autres endroits de Tizca. À
chaque fois, Arjac restait sur les talons du Prêtre des Runes, telle une
ombre, non seulement prête à frapper à tout moment, mais servant aussi
d’avertissement à l’entité, quelle qu’elle fût, qui partageait le cerveau du
Maître des Tempêtes.
Depuis le sommet de la tour hexagonale nord de la Pyramide de Photep,
Poing de Pierre et Njal observèrent la bataille en cours. La plupart des
combats étaient dissimulés, mais le gros du conflit autour du temple
principal était visible le long d’une des grandes avenues.
Conduits par un tank de bataille Predator et trois Rhino, le reste des
Chevaucheurs de Tempête avaient dispersé les cultistes qui avaient essayé
de couper leur accès au centre-ville. D’autres thralls avançaient le long du
corridor tenu par les Space Wolves, des escadrilles d’escorteurs faisant
encore office de repoussoirs supplémentaires pour les fidèles de Magnus.
Un échange de feu nourri faisait toujours rage à l’angle sud-est des routes
d’accès, mais il semblait que la situation était parfaitement sous contrôle.
— En utilisant le portail de Photep et en le stabilisant correctement, nous
avons perturbé le réseau local pour les cultistes, dit Njal.
Les termes n’étaient pas familiers dans ce contexte, mais Arjac pensait que
c’était bien le Prêtre des Runes qui parlait. Il supposait que Njal avait
emprunté ces phrases au sorcier.
— Certains d’entre eux sont pris au piège dans le labyrinthe. Les autres
vont avoir des difficultés à se coordonner jusqu’à ce qu’ils regagnent le
contrôle.
Poing de Pierre ne dit rien, il s’écarta d’un pas pour permettre au Maître
des Tempêtes de s’occuper du réalignement du portail par lequel ils étaient
entrés.
La pièce à l’intérieur de la tour était exiguë et leurs forces étaient
dispersées dans les salles et couloirs environnants. L’espace manquait
particulièrement en raison de la présence de Bjorn et de ses deux frères
Dreadnought, leurs échappements griffaient même le plâtre du plafond à
chacun de leur mouvement.
— Je n’aime pas le fait que nous arrivions toujours à passer, peu importe
la taille du portail, dit Berda.
— Tu devrais savoir que ce n’est pas toujours la taille qui compte, répondit
Ingvarr en levant son fulgurant à côté du fusil d’assaut de Berda.
La mauvaise blague fit soupirer les autres. C’était bon signe, le retour de
leur lien après les événements exceptionnels de ces dernières heures. Arjac
les abandonna à leur bavardage et se rapprocha de Majula, qui se tenait
devant une fenêtre en plaque de verrite et observait la lointaine zone
d’atterrissage. Ses gardes étaient à proximité, mais détournèrent
respectueusement le regard.
Seuls quelques éloquents éclats de plasma trahissaient les derniers
bombardements sur Tizca. La nuit se rapprochait, l’horizon clairement
visible depuis leur poste d’observation à un kilomètre d’altitude. Majula
fixait la scène qui se déroulait en dessous d’eux, ne remarquant presque rien
de ce qui se passait autour d’elle. La Navigatrice avait à peine prononcé un
mot depuis qu’ils avaient quitté la Pyramide de Photep et était clairement
sous pression.
— Je peux toujours vous faire venir un transporteur, lui proposa Arjac. On
peut se passer d’un Rhino et d’une unité de combat pour vous ramener tous
à la zone de départ.
Dorria se rapprocha. La capitaine des gardes ne dit rien, les yeux vers la
fenêtre, mais son langage corporel indiquait clairement qu’elle écoutait leur
conversation.
— Non merci, sergent, répondit Majula.
L’usage de son rang formel d’Adeptus Astartes parut étrange à ses oreilles.
Elle parlait doucement, mais il ne perçut aucune faiblesse dans sa voix.
— Je sers au mieux la Lumière Guide en restant aux côtés du Seigneur des
Runes.
— Peut-être bien, mais ce n’est pas l’endroit le plus sûr.
— Je ne suis pas d’accord, rétorqua Majula en tournant la tête dans sa
capuche pour le regarder du coin de l’œil.
Dans son reflet, le bandeau d’argent qui dissimulait son oracular scintillait
dans le soleil couchant. Arjac réprima un frisson à l’idée de ce qui se
cachait derrière la simple bande argentée, mal à l’aise à l’idée d’être aussi
près d’une représentante de la Maison Belisarius.
— Le Longriffe a été vidé de tout son équipage mis à part ceux qui pilotent
les navettes et s’occupent des systèmes principaux. La mission viendrait-
elle à échouer avec moi à bord, je serais coincée. Sans le Seigneur des
Runes, nous n’avons personne qui pourrait utiliser l’astrotélépathie pour
demander de l’aide. Tout ennemi qui triompherait des Space Wolves
n’aurait aucun mal à se débarrasser de Dorria et de ses compagnons, bien
que je tienne en haute estime leur loyauté et leur application à un devoir qui
doit être ardu.
Arjac vit Dorria sourire légèrement sous sa visière, mais elle ne regarda
pas vers eux.
— Ça pourrait être la dernière opportunité de faire un tel choix, insista
Arjac avec un signe de tête vers le portail. Après cela, nous pourrions ne
plus être nulle part sur Tizca.
— Ou sur Prospero, sergent, ajouta Majula.
Elle était apparemment plus à l’aise à cette idée qu’Arjac. Étant donné sa
nature et son rôle dans l’Imperium, celui-ci supposait qu’il n’était guère
surprenant qu’un voyage vers des terres étranges ne lui pose pas de
problème.
Il ne dit rien d’autre, et retourna vers les autres au moment où la lueur
dorée sous l’arche s’assombrit, signe qu’ils allaient pouvoir se remettre en
route.
CHAPITRE 13
VERS DE SOMBRES LIEUX
L’impact de ses plates s’écrasant sur le sol dur se répercuta dans tout le
corps de Njal, les amortisseurs de pression de l’armure Terminator firent de
leur mieux pour absorber le choc. Il glissa sur une courte distance avant de
s’arrêter. Allongé sur le dos, il put voir le portail et fut surpris d’avoir
devant les yeux une grande arche de plastacier et de cristal. À l’intérieur de
la structure carrée, un rideau immatériel ondulait dans des teintes de bleu et
de vert, sa lumière se reflétait sur la surface intérieure dorée.
Il s’assit et perçut une ombre plus sombre dans le voile d’énergie. Autour
de lui, les hommes d’Arjac dégainèrent leurs fulgurants et leurs armes
lourdes. L’ombre emplit presque tout l’espace du portail et éclipsa sa
lumière. Elle s’assombrit et s’épaissit, quelque chose s’approchait d’eux à
travers le passage.
Dans un nuage d’étincelles, sa griffe baignée de foudre blanche, Bjorn
jaillit du portail. Le voile s’illumina à son passage. Mais seulement pour un
instant. D’autres formes sombres se rassemblèrent rapidement dans le
champ d’énergie.
— Fermez le passage !
Le rugissement métallique du Dreadnought fit passer Njal à l’action. Il se
remit sur ses pieds et laissa l’âme d’Izzakar se couler dans son système
nerveux. L’archiviste des Thousand Sons étendit sa volonté à travers les
doigts tendus de Njal et des flammèches de pouvoir dansèrent au bout du
gantelet. Les formes runiques de la structure cristalline de l’arche se
brisèrent et se reformèrent. Une seconde plus tard, le miasme à l’intérieur
du passage explosa et doucha Njal et les autres d’une tempête d’éclats
tranchants. Une obscurité pulsatile remplit l’espace et vint dissimuler tout
ce qui se trouvait au-delà.
Njal se recula et observa le portail avec méfiance tandis qu’Izzakar
regagnait sa place. Le Maître des Tempêtes eut l’impression de pouvoir
sentir une pression à l’extrémité de la faille, comme si quelque chose
poussait l’air, mais il n’y avait aucune réaction du portail lui-même.
+J’ai entièrement coupé la connexion,+ l’informa Izzakar. +Rien ne peut
plus passer.+
— Nous y compris.
+Nous ne passerons plus par là, non,+ admit le sorcier.
— Si j’étais de nature soupçonneuse, je pourrais croire que c’est une façon
bien pratique de nous piéger ici. Il observa les alentours. Quelque que soit
cet ici…
Le portail les avait conduit dans un hall pas très différent de celui où leur
odyssée avait commencé. Il avait l’apparence d’un endroit encore en
travaux, un grand ouvrage inachevé.
Les murs étaient faits de blocs de ferrobéton brut empilés les uns sur les
autres, armés de renforts en plastacier. Des voûtes du même matériau
soutenaient un plafond rougeâtre et semi-transparent, et de hautes fenêtres
laissaient entrevoir un ciel voilé au-dessus d’un paysage montagneux. De
grandes dalles de pierres couvraient le sol, chacune sertie d’un symbole.
Njal les examina plus attentivement. L’emblème représentait un soleil
stylisé au centre vide, entouré de huit projections de flammes, semblables
aux points cardinaux d’une boussole.
+Le blason de ma légion, mais dans un endroit que je n’ai jamais vu
auparavant.+
— Regarde de plus près.
Njal pouvait distinguer au centre un dessin de serpent qui se mordait la
queue.
+Qu’est-ce que cela signifie ? Cela ne fait partie d’aucune tradition qui
m’est familière.+
— Je pense que ta réponse est là, dit Njal en reportant son attention sur les
deux immenses portes au bout du hall.
Faites de plastacier brut et en attente de décoration, elles emplissaient
presque entièrement le petit mur. Elles étaient ornées d’un homme
gigantesque portant une armure baroque, des cornes sur le front, et de ses
épaules partaient des ailes enflammées à demi déployées. Il arborait une
expression de mépris distant, et avait une cavité, prête à être sertie d’une
gemme, en guise d’œil unique.
— Le Roi Écarlate.
+Magnus se dissimule sous de nombreuses apparences. Sa forme est aussi
fluide que les pensées, mais je ne suis pas familier de celle-ci.+
— C’est Magnus le Prince-démon, commandant de la légion renégate à
laquelle tu appartenais. Voilà le visage de ton maître.
+Cette salle…+ Une bouffée de doute submergea Njal, inhabituelle et
glaçante, venue du nœud de potentiel psychique qu’était son passager
clandestin. +Une salle du trône, peut-être.+
— Surveillez les portes, ordonna Njal, se tournant vers ses frères de
bataille.
Il indiqua de son bâton les entrées les plus petites de l’autre côté du hall.
— Sécurisez toute cette zone. Maintenant.
+Je perçois un usage terrible à tout cela, un schéma dans cette anarchie.+
— Moi aussi.
Pris dans la discussion, Njal parla à voix basse, mais sans se cacher.
Arjac eut un regard de dégoût et les autres lui jetèrent des coups d’œil
surpris. Le Maître des Tempêtes ne s’en souciait pas. Son besoin de partager
ses réflexions avec Izzakar pour démêler les mystères qui entouraient
Prospero surpassait ses autres préoccupations.
— L’émergence de la Planète des Sorciers, la destruction du Portail
Labyrinthe, les armées de cultistes et de démons… tout est lié.
— Tout va bien, Maître des Tempêtes ? demanda Valgarthr.
Il traversa le hall.
— Tu te comportes étrangement. Comment se fait-il que tu en saches
autant sur le labyrinthe du traître ?
Njal ignora la question et fut sur le point de reprendre le fil de sa réflexion
quand Arjac intervint.
— Notre Seigneur des Runes communie avec des esprits du passé, dit-il à
la surprise du Prêtre des Runes. Je ne pense pas qu’il soit sage d’interférer
avec les affaires du wyrd.
L’avertissement arrêta Valgarthr. Bien qu’il ne semble pas entièrement
satisfait de cette explication, il ne dit rien de plus. Arjac se rapprocha.
— Tu dois faire attention, Maître des Tempêtes, l’avertit-il à voix basse.
— Je ne peux pas consacrer plus d’énergie à m’inquiéter de la sensibilité
de nos frères, répondit Njal.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, répliqua Arjac. Tu deviens bien trop
dépendant de cette ombre traîtresse.
— Nous sommes venus pour la Vieille Garde, mais nous avons découvert
quelque chose de bien plus important, dit-il, dans l’espoir que des
explications apaiseraient les doutes d’Arjac. Magnus a mis en avant son
monde démoniaque dans l’espoir d’infiltrer l’antique réseau du portail.
— Et s’il y parvient ?
— Jusqu’où s’étend le Portail Labyrinthe ? La question était pour Izzakar,
qui mit quelques secondes à répondre.
+On ne peut pas mesurer l’interdimensionnel en distance ni en temps.
Mais il est vaste, en théorie. Aux endroits que nous avons conquis au nom
de l’Empereur, nous avons posé les fondations du Portail Labyrinthe. Seule
une fraction était complète quand l’Empereur a envoyé tes prédécesseurs
sur Tizca.+
— Et si Magnus et ses démons en prenaient le contrôle ?
+Il disposerait de passages stables pour ses alliés immatériels à travers une
large partie de l’Imperium.+
— Mais le warp est partout, quelle différence cela fait-il ?
+Ce que tu appelles des démons, je les ai étudiés en tant que formules
intersectionnelles. Ce sont des remous du warp, d’infimes fragments de
conscience fluide nés de tempêtes et tourbillons plus grands. Même quand
ils se manifestent dans l’univers matériel, la plus grande fraction de leur
être doit rester dans les confins de l’espace warp. Le Portail Labyrinthe
comble cette distance. Il la rapproche, si tu veux.+
— Ce qui veut dire : des démons plus puissants.
Njal entendit Arjac gronder tandis qu’il reconstituait la conversation grâce
à la moitié qu’il pouvait entendre.
+Oui. De nouvelles manifestations. Des représentations plus puissantes de
la formule existante. Et si Magnus lui-même est devenu un être lié au warp
suite à sa transition, cela signifierait aussi une moindre dépense de sa propre
énergie inhérente pour maintenir sa forme physique.+
— Nous ne pouvons pas laisser cela se produire.
— Je suis d’accord, dit Arjac. Comment allons-nous faire pour arrêter
Magnus ?
Njal n’avait pas de réponse pour le hearthegn.
+Je ne crois pas que vous ayez ni les informations, ni les guerriers
nécessaires pour intervenir. Même si vous parveniez à vous rallier à
Bulveye, si le Roi Écarlate triomphe, vous ferez face à la pleine puissance
de l’Empyrée et à une vague infinie de démons.+
— Nous trouverons un moyen, lâcha le Maître des Tempêtes, s’adressant à
la fois à Izzakar et à Arjac.
Njal remonta le hall en direction de la meute de Poing de Pierre qui gardait
les portes principales, appuyée par les Dreadnought. Il fut frappé par
l’étrange image des Gardes-Loups qui, à cet endroit, la salle du trône de
Magnus, agissaient de façon aussi semblable à leur rôle de gardiens des
portes dans le Croc. Il chassa cette pensée. Sa mission, déjà des plus
improbables dès le départ, était maintenant à la limite de l’impossible. La
menace que représentait le plan de Magnus était plus importante que de
sauver les guerriers de Bulveye.
Arjac le suivit de près, sa voix un murmure empreint de tension.
— Peut-être que nous n’avons pas les moyens d’intervenir nous-mêmes,
mais nous pouvons faire en sorte qu’un avertissement parvienne à Fenris.
Njal suivit ce nouveau fil de réflexion.
— Ou encore plus loin… au Seigneur Guilliam et peut-être sur Terra elle-
même. La volonté de domination sur le Portail Labyrinthe de Magnus
constitue une menace même pour Ultramar et le Monde-Trône.
Avant qu’Arjac ne puisse répondre, un éclat de lumière passa au-dessus
d’eux. Un instant plus tard, un fracas de tonnerre secoua le hall du sol au
plafond. Quelque chose d’ailé, artificiel et anguleux plutôt que démoniaque
ou organique passa à la suite, une pluie d’étincelles à sa proue. Dans toute
la salle du trône, les guerriers se retournèrent, surpris.
— C’est un escorteur Thunderhawk ? demanda Arjac, le cou tordu pour
suivre l’ombre qui passait au-dessus de leurs têtes.
— C’est plus gros, répondit l’un des longs crocs.
+Tes compagnons ne reconnaissent-ils donc pas un Stormbird quand ils en
voient un ?+
— C’était gris, dit Ulfar, exprimant tout haut les pensées d’Arjac.
— Un de ceux de Bulveye ? demanda le hearthegn avec un regard vers
Njal.
Le psyker arborait une expression d’intense concentration et fixait la
verrite derrière laquelle le vaisseau était passé. Du givre doré ceignait son
front, le signe d’une activité psychique. Il cligna des yeux et tourna son
regard surnaturel vers le Garde-Loup. Ses yeux retrouvèrent leur aspect
normal.
— Oui, dit Njal.
Il se dirigea à grandes enjambées vers les portes principales, son bâton
frappant le sol, Aile-de-Nuit volant en cercle au-dessus des guerriers devant
lui.
— Par là.
Les Gardes-Loups, Dreadnought et Chevaucheurs de Tempêtes se
rassemblèrent rapidement, ils abandonnèrent leurs postes de guet pour se
regrouper derrière le Maître des Tempêtes. Celui-ci projeta son bâton vers
l’avant et, dans un souffle et un claquement retentissant, fit s’ouvrir les
portes sur un couloir. De chaque côté du passage s’alignaient des arches aux
portes de métal brut. Elles étaient ornées de symboles qui s’entrelaçaient
pour former triangles ou hexagones autour de l’emblème d’un œil. Au-delà
de ces portes se trouvaient d’autres pièces, vides de décoration ou de
meuble.
Tout au fond, le passage était barré par un grand portail blindé, les barres
de ses verrous clairement visibles. Ses mécanismes de commandes sortaient
à moitié des piliers qui l’encadraient sur le mur. Des générateurs se mirent à
vrombir à leur approche. Le scintillement d’une nuée dorée se manifesta
autour des commandes de la porte, extension du pouvoir qui enveloppait la
main tendue de Njal. Les deux battants s’ouvrirent dans un bruit de
claquements et un gémissement de rouages. La vive lumière du soleil
s’engouffra par l’ouverture, accompagnée du cliquètement sec de culasses
que l’on armait.
En s’ouvrant, la porte révéla une chaîne montagneuse lointaine, noyée de
brume et de fumée. L’éclat d’échanges de tirs apparut sur le sensorium
d’Arjac même à cette distance, mille deux cents mètres selon son augure.
Le détachement se mit en marche et la raison de la vive lumière ambiante
devint évidente : deux pâles étoiles à mi-chemin entre l’horizon et le zénith,
une de chaque côté. Au-delà de la porte s’étirait un pont, ou plutôt une
jetée, qui partait en ligne aussi droite vers la montagne qu’un tir de bolter.
Vers le milieu de la chaussée, une large ligne de guerriers en armure bleue
résistait à une attaque. Ils exploitaient comme ils pouvaient les couverts
offerts par des excroissances rocheuses qui sortaient du mur, mais plusieurs
armures brisées gisaient déjà sur la pierre dure. Les cadavres en robes d’une
foule de cultistes recouvraient le sol. En face d’eux s’alignait une
compagnie de space marines arborant la marque de Russ sur leurs armures
grises, bien que d’une nuance légèrement différente de celle des armures de
ceux que commandait Logan Grimnar.
Au-dessus d’eux, un appareil plus grand qu’un Thunderhawk effectuait des
cercles dans le ciel, sa proue en forme de tête de loup montrant les crocs, sa
coque peinte d’un camouflage d’éclairs dorés. La lueur du plasma illuminait
l’armure des combattants et la pierre polie, accompagnée des éclats
intermittents des tirs de canon laser et des rafales de bolts. D’autres
décharges d’armes lourdes traversèrent le pont tout au bout, leur source
dissimulée par les échanges de feu et les mêlées qui faisaient rage pour
prendre le contrôle de la chaussée.
Arjac s’avança dans la lumière et éprouva une étrange sensation de
dislocation. Tandis qu’Arjac et les Chevaucheurs de Tempête survivants
s’élançaient, leurs armes pointées sur les poches de Thousand Sons engagés
contre les guerriers de Bulveye, le hearthegn se dirigea vers la rambarde
basse à sa droite. Les données du sensorium n’avaient aucun sens et
suggéraient qu’il n’y avait rien sous la citadelle. Arjac se pencha par-dessus
le parapet et regarda derrière lui.
La forteresse n’était pas beaucoup plus grande que ce qu’ils en avaient vu,
composée en grande partie du hall principal et de l’entrée, flanqués de tours
et de tourelles plus petites. Trois pilastres étroits se dressaient en son centre
et perçaient le ciel comme des doigts noueux. La citadelle était bâtie en
pierre lisse, un marbre poli veiné de violet et de bleu azur, et surmontée de
toits en tuiles rouges hérissés de douzaines de mâts supportant des
drapeaux. Des étendards bleus flottaient là, marqués de l’œil à pupille de
warp de Magnus. Le symbole de ses cultistes.
— Ça n’a pas été construit par Magnus, mais pour lui, dit Arjac à Berda
qui arriva à sa hauteur.
— Sorcellerie, marmonna le Garde-Loup, puis il attira l’attention de son
chef de meute en pointant du doigt la base de la citadelle.
Arjac avait cru voir un contrefort, mais découvrit à la place un sol
infiniment plus bas. Des oiseaux, dérangés par le combat, volaient en
cercles et plongeaient en piqué dans le gouffre sous la forteresse, qui n’était
maintenue dans les airs que par la chaussée. Son regard se posa sur le seuil
et sur chaque côté où mur et pont se rejoignaient. Quelque chose clochait,
comme si l’un n’était pas tout à fait bâti sur l’autre.
La réponse lui vint sous la forme d’un cri d’avertissement de Valgarthr, qui
fit se tourner tous les yeux vers le ciel dominant le champ de bataille
montagneux. Dans l’air flottaient deux citadelles de pierre et ferrobéton,
maintenues dans les airs par une lueur ensorcelée qui pulsait autour de leurs
fondations. Les tours, remparts et arcs-boutants assemblés de façon
improbable reflétaient la lumière des deux soleils et luisaient d’une aura
argentée.
En y regardant de plus près, Arjac put voir un chatoiement d’énergie
danser sur les donjons étranges et, sur les murs, il aperçut des silhouettes en
armure bleues qui se pressaient par douzaines sous les bannières à
l’emblème du serpent qui se mordait la queue, celle des Thousand Sons.
Des langues de feu jaillirent des deux tours avec un sifflement aigu et
s’écrasèrent sur la voie en une série d’explosions céruléennes. Des guerriers
en armure grise furent propulsés en tous sens par la déflagration, éjectés
dans les airs et au-dessus de la rambarde dans les abysses impossibles.
Des blocs de maçonnerie de la taille d’un tank tombèrent en pluie et Njal
projeta un écran de force wyrdique pour protéger Majula et ses gardes, ainsi
que plusieurs des guerriers de Valgarthr. Un rocher déchiqueté percuta le
pont un peu plus loin et écrasa Ingvarr Front-Tonnerre sur le ferrobéton. La
pierre se fendit en trois morceaux qui roulèrent plus loin, laissant le
terminator prostré au milieu des débris.
— Je vais bien, croassa Ingvarr par le vox.
Il se força à se relever sur un genou, haletant. De la poussière et des éclats
glissèrent des plates cabossées de son armure tactique Dreadnought.
— Laissez-moi juste une minute.
Les lasers antiaériens des transports de la Vieille Garde ripostèrent. Des
traits d’énergie couleur rubis allèrent percuter les boucliers psychiques des
citadelles flottantes des adeptes de Tzeentch. Des tirs de canon laser et des
missiles antichars suivirent, tirés par les meutes de la Vieille Garde,
appuyés par les armes lourdes des loups d’Arjac. Les Dreadnought des
Chevaucheurs de Tempête tournèrent eux aussi leurs armes vers les engins
de guerre des Thousand Sons, et au bout de quelques secondes, le duo de
citadelles se trouva au centre d’un ouragan de feu qui convergeait, tiré de
toute la longueur du viaduc. Des bouquets d’énergie noyèrent la tour
d’argent la plus proche et l’allumèrent comme une balise, aussi brillante que
les deux étoiles dans le ciel. L’autre citadelle prit de l’altitude et échappa
ainsi au plus gros de l’attaque des Space Wolves.
Depuis les remparts et les plates-formes, une compagnie de Thousand
Sons tira des salves de bolters. Chaque bolt était un projectile ensorcelé qui
étincelait de feu rouge et vert. Ceux qui touchèrent leur cible traversèrent
sans effort les plates des Space Wolves et se frayèrent avec facilité un
chemin dans la chair et les os, calcinant tout. Le canal vox et l’air
s’emplirent des hurlements des blessés.
+C’est un bouclier kinésique,+ déclara Izzakar.
— Et ? demanda Njal.
Il fit balaya l’air de son bâton, pivota et étira son écran psychique pour
parer une volée de projectiles infernaux qui tombaient en une grêle
mortelle.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
+C’est de l’ouvrage Raptorae, l’œuvre de mes frères de culte. Je sais
comment le contrer.+
— Ce ne sont pas des cultistes de Magnus. Ce sont les frères de ta légion.
+Je n’ai aucune allégeance commune avec eux, Maître des Tempêtes, et ils
se dressent entre ma résurrection et moi.+
— Alors, dis-moi, comment peut-on les contrer ?
Le Maître des Tempêtes avança et transforma son bouclier en une sphère
de foudre. Avec un grondement, il envoya le projectile crépitant vers la plus
basse des tours, mais celui-ci fit que s’éparpiller sur les défenses psychiques
sans causer de dégâts.
— Comment pouvons-nous briser ce bouclier ?
+Donne-moi ton corps. Il me reconnaîtra comme l’un des fils de Magnus
et nous laissera passer.+
La tour la plus haute planait au-dessus de la chaussée, son ombre glissant
sur les meutes de Chevaucheurs de Tempête et de la Vieille Garde. Njal leva
les yeux et vit le soubassement marqué de centaines de runes maléfiques
qui brûlaient d’un feu crépitant. Les Thousand Sons de la citadelle la plus
proche dirigèrent les flammes corrosives de leurs machines sur les
Dreadnought, des étincelles actiniques jaillirent à chaque impact sur leur
sarcophage blindé. Même les épaisses plates de Bjorn et de ses frères
d’armes n’allaient pas résister longtemps à un tel assaut, et toute riposte
restait inutile face au bouclier kinésique.
Était-ce cela qu’Izzakar avait cherché à manigancer depuis le début ?
Livrer Njal à la merci des guerriers de Magnus ? C’était d’une logique
glaçante, qu’il se fasse tuer des mains du Primarque démoniaque, comme
un trophée, ou qu’il connaisse un sort plus sinistre encore.
Njal était extrêmement suspicieux, mais il se devait d’agir maintenant, ou
tout serait perdu.
— Très bien, sorcier…
Il ouvrit sa forteresse mentale et laissa à Izzakar l’accès total à son corps et
à ses pouvoirs.
Tout livrer au psyker des Thousand Sons, c’était devenir un passager dans
son propre corps. Izzakar mit de côté les pensées du Space Wolf et remplit
graduellement l’espace libéré par le retrait de la psychée du Maître des
Tempêtes. Njal regarda autour de lui, mais pas de sa propre volonté, et se
sentit courir. Une marée d’énergie psychique monta autour de lui.
La sensation de l’utilisation du warp par Izzakar était différente de celle
enseignée par ses traditions wyrdiques. Pour Njal, puiser dans le warp avait
toujours eu l’effet d’une action élémentale, qui siphonnait son pouvoir
comme s’il canalisait une tempête dans l’étroit ravin de son esprit.
L’Archiviste des Thousand Sons ne canalisait pas, mais bandait ses muscles
mentaux, ouvrait ses pensées au nimbe de warp, laissait des excroissances
de son esprit s’étendre comme un cristal à la croissance exponentielle,
formait des motifs géométriques dans le tourbillon immatériel.
Une lumière s’embrasa autour du Prêtre des Runes quand il s’éleva. Il
perçut le moment où son poids ne fut plus supporté par le sol, accélérant
sans effort dans un mouvement ascendant, son bâton tendu devant lui, le
crâne à son extrémité rayonnant. La sensation de liberté le rendit
euphorique, mais il ne disposait pas ni des poumons ni de la bouche pour se
mettre à rire.
La ligne de feu dessinée par les bolts Inferno changea de direction quand
les traîtres réagirent à son approche. Aile-de-Nuit le dépassa d’un coup
d’aile en un flash de noir et d’or, plus rapide qu’il n’avait jamais vu le
psyber-corbeau voler. Le familier décrivit des cercles et des boucles au-
dessus de lui et son sillage incandescent traça des runes prosperines dans
l’air. Les projectiles à l’aura écarlate rebondirent sur les symboles
étincelants comme sur un mur solide, puis chutèrent vers le sol telles des
lucioles agonisantes.
Le psyber-corbeau poursuivit sa route. De l’énergie crépita de ses ailes
quand il franchit le bouclier kinésique. Dans des croassements fous, il se
jeta sur les légionnaires traîtres postés à la rambarde d’un balcon qui
surplombait sa position et ouvrit une brèche dans leur ligne de feu. Le
Prêtre des Runes vola à travers cette faille.
Des interférences crépitèrent sur son armure et dansèrent le long de sa
barbe au contact du bouclier kinésique. Puis, celui-ci disparut et la tour ne
fut plus qu’à une douzaine de mètres de lui. Son pistolet bolter cracha en
direction des Thousand Sons, une salve de suppression plutôt qu’une
attaque destinée à tuer, car l’armure des traîtres résistait plutôt bien aux
bolts.
Entre les tirs de son arme et les attaques en piqué d’Aile-de-Nuit, les
rafales se clairsemèrent.
Izzakar lança un coup d’œil de chaque côté et à la limite de son champ de
vision, Njal aperçut des ailes ténébreuses qui se déployaient dans son dos.
Elles se replièrent et s’effacèrent en une absence étincelante quand
l’Archiviste guida la massive armure Terminator au-dessus d’une balustrade
ornementée et au milieu des défenseurs.
Une décharge enflammée jaillit du pommeau de son bâton et arracha le
masque de l’adversaire le plus proche. Izzakar exploita la masse de son
armure Terminator pour s’attaquer physiquement à l’escouade ennemie. À
grands coups d’épaule, il repoussa les adversaires hors de son chemin.
Autour de lui, des tentacules télékinétiques fouettaient l’air et se tortillaient.
Leur contact fit voler des armes des mains, força des articulations d’armure
et arracha métal et pierre de la tour elle-même pour les projeter sur les
guerriers qui se précipitaient vers l’intrus. Des membres d’ombre firent
trébucher un combattant qui les attaquait de dos, son épée fut arrachée de sa
poigne par un autre tentacule psychique avant d’être plongée dans sa
visière.
De la matière d’âme s’échappa de ses victimes. Elle forma. des volutes en
rouge, gris et noir qui se dispersèrent, laissant les armures vides s’effondrer
avec fracas sur le sol de pierre. Quelques secondes après leur arrivée, une
demi-douzaine d’ennemis gisaient, brisés, sur le balcon, mais le même
nombre se tenait encore debout, entre le Prêtre des Runes et la Porte.
+Trouve le sorcier,+ dit Njal à Izzakar d’un ton pressant.
Sa voix résonna dans sa propre tête, différente de tout ce qu’il avait pu
expérimenter jusqu’alors, étourdissante et pourtant distante.
Le Space Wolf avança sans hésitation tandis que les Thousand Sons
formaient une ligne face à lui. Des bolts Inferno explosèrent à mi-chemin
quand ils percutèrent un mur de force invisible dressé autour du Prêtre des
Runes.
Izzakar pressa sa volonté, détruisit le mur extérieur de la tour pour
réassembler les blocs en une barrière plus substantielle contre les tirs. Aile-
de-Nuit se glissa dans le passage ainsi créé et ils le suivirent de près.
À cet étage, une passerelle circulaire suivait la courbe du mur, éclairée
d’une luminescence psychique d’un jaune pâle. Devant eux, des
légionnaires Thousand Sons firent irruption par une porte, à la recherche de
l’intrus.
— C’est le moment d’abattre cette monstruosité, déclara Izzakar.
Njal ne put percevoir entièrement ce que l’archiviste fit ensuite, car il n’y
assista que depuis l’intérieur de ses propres pensées, indirectement. Il suivit
la trace d’une partie du pouvoir d’âme d’Izzakar qui s’écoula à l’intérieur
de la substance de la tour sous leurs pieds. Une autre portion de l’esprit du
psyker s’éleva à travers les murs et le plafond, cherchant… Njal ne savait
guère quoi, incapable de suivre sa rapide progression.
— Rien qu’un petit ajustement, marmonna Izzakar avec la voix de Njal.
La tour d’argent fit une embardée et pivota brusquement à un angle de
quarante-cinq degrés. Izzakar s’y était attendu et sut conserver son
équilibre, mais pas les traîtres. Ils titubèrent, percutèrent le mur et
s’écrasèrent lourdement les uns sur les autres. Njal pouvait s’imaginer de
telles scènes d’anarchie partout dans l’édifice, des guerriers projetés hors de
balcons et de fenêtres, des traîtres qui chutaient dans des escaliers ou se
percutaient avec violence.
La lumière venue de la faille dans le mur vacilla et Njal perçut la sensation
de légèreté d’une descente rapide, comme s’il était dans un module
d’atterrissage. Izzakar leur fit remonter le sol en pente et revenir sur le
balcon, poursuivis par des grêles de bolts quand les Thousand Sons
retrouvèrent leur équilibre, au sens propre comme au figuré.
Vu de l’extérieur, il était évident qu’ils étaient en train de plonger vers
l’extrémité de la chaussée. Des flammèches blanches jaillirent d’en dessous,
dans le sillage de leur chute. Izzakar avança jusqu’à la rambarde et baissa
les yeux. Sur le pont, il vit les Space Wolves s’éloigner de la tour en
perdition.
Ils étaient à peine à vingt mètres de l’impact quand Izzakar se propulsa
dans les airs et déploya des ailes kinésiques pour les mettre à bonne
distance de la tour sur le point de percuter le sol.
La citadelle inclinée s’écrasa contre le mur de la jetée. Un nuage de débris
et de poussière engloutit la construction brisée. Elle bascula de plus en plus
loin, projetant d’autres guerriers de ses tourelles crénelées quand le sommet
passa en dessous de la base. Elle poursuivit son mouvement et finit par
disparaître entièrement dans la brume, ne laissant une nuée d’armures en
chute libre et une traîne de feu sorcier semblable à la queue d’une comète.
L’autre tour d’argent s’éloigna, comme pour fuir la perte sa compagne.
Dans les airs, le Stormbird et les autres appareils se rapprochèrent, enhardis
par la destruction de la tour. Des tirs de canon laser et des missiles vinrent
s’éclater sur le bouclier kinésique de la deuxième tour, ce qui l’obligea à
prendre plus d’altitude encore.
Izzakar les ramena sur la passerelle, à proximité de la section brisée.
Quelques Thousand Sons gisaient sur la pierre fendue là où ils étaient
tombés ou avaient sauté, certains d’entre eux immobiles, d’autres essayant
de se remettre sur pieds, avec lenteur et maladresse. Les Space Wolves
pointèrent leurs armes sur ces coquilles vides sans esprit et fendirent les
armures des guerriers prostrés par leurs tirs nourris.
Njal essaya de reprendre le contrôle pour rejoindre le combat. Son corps
ne répondit pas, dominé par l’esprit d’Izzakar.
+Laisse-moi combattre !+
— Tes frères ont la situation bien en main, Maître des Tempêtes.
Njal laissa sa colère envahir la conscience d’Izzakar, mais le sorcier n’y
prêta pas attention. Le psyker fit danser des étincelles de wyrd sur le
pommeau de son bâton et chacune d’entre elles dessina un petit emblème de
la Légion des Thousand Sons.
— Tellement de puissance, maniée avec si peu de précision.
Njal regarda, impuissant, les Thousand Sons succomber à la rage
combinée des Chevaucheurs de Tempête et de la Vieille Garde. Lorsque le
dernier d’entre eux périt, les combattants de la Treizième Compagnie
reculèrent, leurs armes pointées vers les nouveaux arrivants. Soudain
encerclés, Valgarthr et Arjac firent signe à leurs guerriers de baisser leurs
armes.
+Rends-moi mon corps !+
Pendant quelques secondes, Njal pensa qu’Izzakar allait refuser. Son
regard passa des Space Wolves à la forteresse à moitié construite derrière
eux, comme s’il soupesait ses options. Il n’y avait personne entre eux et
cette porte qu’ils avaient franchie pour atteindre le pont, et tous les regards
étaient tournés vers la Vieille Garde. Njal chercha à deviner les pensées
d’Izzakar, lequel se demandait, peut-être, s’il avait le pouvoir de
commander une telle tour lui-même.
Non sans réticence, l’Archiviste renonça à son contrôle sur le corps de
Njal et s’extirpa du système nerveux et des muscles comme un serpent en
mue. Njal remplit l’espace laissé vide, impatient d’être à nouveau le maître
de sa propre chair.
Il se dépêcha de traverser la chaussée couverte de gravats, jouissant du
retour de ses sensations physiques. Il ne s’était écoulé que quelques
minutes, tout au plus, depuis qu’il s’était abandonné à l’Archiviste des
Thousand Sons, mais chaque seconde avait été chargée de frustration et du
doute constant qu’il ne regagnerait pas le contrôle. Il fut frappé à l’idée que
c’était ainsi qu’Izzakar avait vécu les dernières semaines depuis le début de
ce triste épisode. Il repoussa toute sympathie pour se concentrer sur la
situation en pleine escalade entre les deux factions de Space Wolves.
— Qui commande, ici ?
La question provenait d’un barbe grise dans une armure Terminator d’un
modèle archaïque. La peinture et la céramite étaient très ébréchées, et la
dorure griffée en bien des endroits, mais on pouvait reconnaître l’aettgard
de la Treizième Compagnie. Son langage était lui aussi ancien, mais
compréhensible.
— Votre aettmark m’est inconnu, étranger. Explicitez clairement votre
geldfut, ou mon fyrbrod sera votre perte.
— Je suis Njal Maître des Tempêtes, répondit le Prêtre des Runes d’une
voix assurée. Des Space Wolves.
Le regard acéré du vétéran de la Vieille Garde examina son armure
runique et sa coiffe psychique en un instant, et ses yeux s’étrécirent.
— Wyrd-skaldr ?
— Oui. Il y a bien des choses à expliquer, mais nous n’en avons pas le
temps maintenant. Je cherche Bulveye, votre seigneur loup.
Le légionnaire ne détourna pas le regard de Njal. Il parla en pesant ses
paroles, formulant les mots en Bas Gothique avec précision plutôt qu’avec
une aisance naturelle. C’était comme s’il s’adressait à un enfant, compris
Njal, et non par ignorance du langage.
— Quelles sont les nouvelles du Roi Loup ? Tizca résiste-t-elle encore ?
Avez-vous amené les Sœurs du Silence et les Custodes ? Nous pourrions
avoir besoin d’eux.
— Des questions difficiles, et des réponses qui le sont encore plus,
répondit Njal. Sachez que nous sommes venus pour vous mener hors du
Portail Labyrinthe. Nous devons retrouver Bulveye. Où est votre seigneur
loup ?
L’homme de la Vieille Garde fit un pas en arrière, concédant une pause
dans ses questions. Les servomoteurs sifflèrent quand il agita son combi-
bolter en direction de l’extrémité de la chaussée où le combat faisait
toujours rage. Les traînées de condensation des escorteurs et les boucles
formées par les silhouettes ailées des appareils d’attaque semi-démoniaque
striaient le ciel au-dessus de la chaîne montagneuse. Njal pouvait voir
l’éclat d’une bataille au milieu des monticules rocheux et des piliers où des
formes en armures grises s’opposaient à des taches de bleu.
— Par là, lanceur de runes. Pile là où on s’y attend. Au cœur de l’action.
CHAPITRE 15
LES DERNIERS DES BARBES GRISES
Les deux compagnies de Space Wolves étaient séparées par dix mètres et
dix mille ans, le face à face tendu se prolongea encore un peu. La Vieille
Garde avait clairement l’avantage du nombre et de la puissance de feu, mais
Njal et ses Chevaucheurs de Tempête refusèrent de reculer et formèrent une
poche de résistance au milieu de la Treizième Compagnie.
— Je te connais, tonna Bjorn.
Le Dreadnought fit un pas en avant, la griffe tendue pour la pointer vers le
chef de bataille de la Vieille Garde.
— Je peux voir tes marques, Halvar Trysten, husjarl de Bulveye.
— Je ne peux pas en dire autant, pour toi, vêtu d’acier et d’effroi, répondit
Halvar.
Il continua dans un flot de vieux fenrissien bien trop rapide pour que Njal
puisse vraiment suivre, mais Bjorn répondit de la même manière. L’échange
se prolongea quelque peu et s’acheva avec le recul d’Halvar d’un pas, dans
un geste de concession.
— C’est impossible à croire, mais y croire je le dois, déclara le husjarl en
reportant son attention sur le jarl. Ton guerrier, Bjorn, parle de sujets que
seul l’aett du Roi Loup pourrait connaître. Une centaine de siècles ! Par le
Père-de-Tout, c’est plus difficile à digérer qu’un kraken entier. Tu as raison,
cela me dépasse, il te faut Bulveye. Mettez-vous en route et trouvez-le, nous
avons toujours pour ordre de sécuriser cette citadelle.
— Elle est vide, dit Arjac. Vous nous avez vus en sortir. Il n’y a point
d’ennemi en ces murs. Vos bras seront plus utiles en portant assistance à
votre seigneur loup, là-bas.
Halvar se tourna à moitié vers ses compagnons et Njal entendit le
sifflement d’un échange par vox.
+Ne dis rien de moi,+ insista Izzakar.
— Je n’en avais pas l’intention, murmura Njal en réponse.
Le husjarl se retourna vers eux et hocha la tête.
— Il semblerait que les circonstances prennent le pas sur mes ordres. Nous
allons vous conduire au Vieux Loup.
Cela ne prit que peu de temps d’organiser les troupes. Bien qu’un fossé de
dix mille ans les séparât, la culture et la discipline de combat des Space
Wolves n’avaient guère changé et les Chevaucheurs de Tempête se
retrouvèrent en formation sans vraiment y penser, derrière l’avant-garde des
Barbes Grises et à côté des Terminators d’Halvar.
Ils s’avancèrent à nouveau sur la chaussée, guettant le retour de la tour
d’argent ou l’arrivée d’une nouvelle menace. Au niveau du poste de garde
en ruines à l’entrée du pont, plusieurs transports attendaient. Njal reconnut
trois Rhino, un véhicule dont le modèle omniprésent était encore en usage
après dix millénaires. Plusieurs autres véhicules n’étaient pas aussi
familiers : des variantes des Predator qu’il connaissait bien, mais aussi un
cousin plus grand et aux flancs plats du Land Raider. Une triple rangée de
canons laser sortaient de ses tourelles latérales et son compartiment d’assaut
allongé était protubérant comme le museau d’un molosse.
+C’est un Spartan,+ expliqua Izzakar. +Et ce chasseur de chars, derrière,
est un Sicaran Venator. Ton ignorance est incroyable. Comment peut-on
oublier comment construire un tank ?+
Le Maître des Tempêtes ne le savait pas. Ces choses-là étaient le secret de
l’Adeptus Mechanicus, un crédo imprégné d’encore plus de rituels que les
saints enseignements de l’Adeptus Ministorum. Il reporta son attention sur
Halvar, veillant à ne pas commettre la moindre bévue qui aurait pu alerter le
husjarl qu’il se tramait des choses étranges dans la compagnie venue les
sauver.
— Votre combat contre les Thousand Sons dure-t-il depuis longtemps ?
demanda Njal à son escorte.
— C’est plutôt sporadique, répondit Halvar. C’est… Ce n’est pas facile à
mesurer, dans cet endroit. Je pensais que cela faisait quelques jours, peut-
être deux semaines, que nous étions entrés. Nous avons réglé leur compte à
ces sales chiens que dirigeait le sorcier qui nous a piégés ici, puis sommes
partis à la recherche de la sortie ou d’un autre ennemi. Rien. Aujourd’hui,
les Thousand Sons sont revenus, mais dans des armures différentes de celles
que nous leur connaissions. Ils sont tels que vous les avez vus, avec pour
compagnons d’étranges créatures wyrdiques. Leur armure est vide, mais
pourtant animée, sauf pour quelques-uns de leurs chefs. C’est l’œuvre de
Magnus.
+Il se vante ouvertement d’avoir massacré ma compagnie ! Ce n’est pas
moi qui les ai piégés, mais leur abruti de Vieux Loup.+
— J’ai les moyens de tous nous sortir d’ici, mais nous devons agir
rapidement. Ces dix mille ans n’ont pas amené la défaite de Magnus, et il
concocte un nouveau plan diabolique qui repose sur le Portail Labyrinthe.
Nous devons avertir l’Imperium.
— Oui, c’est ce que nous a dit Bjorn. Dire que ce petit gars des Griffes
Sanglantes est devenu votre guerrier le plus ancien et le plus vénéré.
Qu’est-ce que vous allez faire de la Vieille Garde, hein ?
+Oui, bonne question : que vas-tu faire du barbare meurtrier qui a choisi
de condamner ses hommes plutôt que de négocier avec moi ?+
Ils atteignirent le poste de garde en se frayant un chemin au milieu des
gravats qui recouvraient l’entrée, des monticules de pierro-béton recouverts
de gouttelettes du métal fondu des portes détruites.
Les aboiements des armes des Space Wolves et les sifflements des bolts
Inferno des sorciers étaient désormais plus proches. Des Turboréacteurs
vrombirent au-dessus d’eux quand les escorteurs percèrent les nuages. Les
hurlements aigus de dragons démoniaques répondirent à ce défi. Le vent de
la montagne portait l’odeur du sang et le fumet corrompu de la sorcellerie.
— Tu montes avec moi, wyrdskaldr. Halvar fit un geste vers les
Terminators de Poing de Pierre, puis vers le Spartan. Vous aussi. Nous
avons plein de place là-dedans.
— Maître des Tempêtes ? Valgarthr communiqua sa déception par ce seul
nom, protestant à l’idée d’être laissé derrière.
— Je ne peux diviser mes troupes, husjarl, dit Njal.
— Alors, j’espère que vous ne verrez pas d’inconvénient à voyager sur le
toit, lâcha le Vieux Garde à Valgarthr, en donnant une claque sur le
transport blindé. Je ne peux pas me permettre de vous laisser un Rhino.
Valgarthr fit un signe de la main aux survivants de sa meute et ils
grimpèrent sur les flancs du monstre mécanique, s’installant autour du
dôme de pilotage et à distance des roues.
Halvar conduisit le reste d’entre eux sur la rampe puis se retourna et tonna
quelque chose en vieux fenrissien à Bjorn, qui lui répondit en levant la
griffe. Les Dreadnought, suivant Bjorn, se dirigèrent vers la droite,
descendirent de la jetée et partirent vers la montagne.
— J’ai dit à ton aett-vater de nous rejoindre dans ce ravin, dit le
Terminator en désignant une ligne sombre à flanc de montagne à environ un
kilomètre de distance. Je ferai signe à Bulveye quand nous nous mettrons en
route.
Ils prirent place à l’intérieur d’un compartiment qui faisait presque le
double de celui d’un Land Raider standard. Njal fit monter Majula, la
dirigeant vers l’un des sièges à l’avant. Le harnais de bataille étant trop
grand pour elle, il s’installa à côté d’elle, une main placée contre son torse,
les articulations de son armure la bloquant aussi sûrement que n’importe
quelle sécurité. Dorria et la poignée de Gardes Navis s’accroupirent contre
la rampe d’embarquement.
— Dommage qu’aucun de ces véhicules n’ait survécu, ils seraient très
utiles, dit Arjac, appréciatif, en se plaçant dans l’une des alcôves.
Il rit à cette idée.
— Quinze Gardes-Loups déployés en même temps ! Une force de frappe
équivalente à celle du Roi Loup !
— Il en faut peu pour t’impressionner, dit Halvar qui se dirigeait vers la
console de commandement derrière le poste de pilotage. Mieux vaut qu’on
ne te montre pas le Mastodon…
Le Spartan et son escorte dérapèrent sur les gravats et le terrain argileux
quand ils gravirent la pente. Le vrombissement du moteur était source de
réconfort pour Njal, la pulsation régulière des conduits d’alimentation
comme un battement de cœur. La vibration des décharges de canon laser, le
bruissement des bandes de munitions que le combi-bolter sur le toit avalait,
les craquements et ronronnements des plates de blindage étaient une douce
berceuse.
Il se rendit soudain compte qu’il n’avait aucune idée du temps qui s’était
écoulé depuis qu’il était passé par le portail de la Pyramide de Photep. Le
chronomètre de son armure indiquait un peu plus de dix-sept heures, mais
en raison de l’effet du warp dans le labyrinthe, dix fois plus de temps
pouvait s’être écoulé sur Tizca.
À l’idée de la vieille capitale, son sentiment de sécurité s’évapora aussi
rapidement qu’il s’était installé. Aile-de-Nuit sauta nerveusement de son
épaule sur son avant-bras et donna des coups de bec sur l’armure. Les
forces laissées en défense de la pyramide pouvaient avoir été terrassées. Le
Roi Écarlate lui-même pouvait avoir pénétré le Portail Labyrinthe et être à
ce moment précis à la tête d’une nouvelle tentative d’invasion de
l’Imperium.
Il rejeta cette dernière idée. Il était à l’intérieur du portail, certain qu’il
aurait perçu quelque chose d’aussi majeur. Et dans le cas contraire, Izzakar,
lui aurait sûrement fait une remarque à ce sujet. Quant à la première
menace, elle était bien plus plausible. Des thralls et des vétérans pouvaient
devenir des légendes, mais ils pouvaient tout aussi facilement devenir des
sacrifiés oubliés sur l’autel de la vanité. Plus longtemps ses troupes
demeuraient à l’intérieur du labyrinthe, plus fortes étaient les chances
qu’aucun d’entre eux ne retourne jamais sur Fenris.
— Nous arriverons à la gorge dans une minute, les prévint Halvar en se
détournant de la console de commandement.
Il détacha son combi-bolter de sa cuisse où l’arme avait été fixée
magnétiquement.
— Cette zone de déploiement est plus infecte que les vapeurs du Cyclope.
J’espère que les Fils de Russ n’ont pas oublié comment on se bat.
— Nous n’aurons pas de quoi avoir honte, crois-moi, répondit Arjac.
Un choc de shrapnel sur le blindage du Spartan ramena les pensées de Njal
vers les Chevaucheurs de Tempête installés sur la bête mécanique.
— Valgarthr, comment ça va, là-haut ?
— J’ai connu mieux, Maître des Tempêtes. C’est la folie, par ici.
Une réponse laconique d’autant plus inquiétante que le chef de meute avait
fait l’expérience de la perte de la moitié de son crâne sur le champ de
bataille.
— Accrochez-vous, nous serons à l’objectif dans trente secondes, dit-il à
son commandant. Prépare ton escouade pour un déploiement de combat.
Un rire rauque lui parvint par la vox.
— Ça doit être confortable de voyager dans l’un de ces trucs, Maître des
Tempêtes. On tire sur des ennemis depuis plusieurs minutes !
Njal fut pris d’une bouffée de honte et ne sut que répondre.
— La Vieille Garde d’abord, dit Halvar.
Les Terminators sortirent de leurs alcôves et formèrent un carré devant la
rampe d’assaut avant. Arjac jeta un regard vers Njal et le vox vibra sur un
canal sécurisé.
— Doit-on suivre les ordres de ce lieutenant, Maître des Tempêtes ?
— Il en sait plus qu’aucun d’entre nous sur ce qui se passe ici, répondit
Njal. Donc oui, nous allons suivre le husjarl pour l’instant.
— Compris.
— Reste ici, ajouta Njal à voix haute, à l’attention de la Navigatrice.
Elle remonta ses jambes contre sa poitrine, semblable à une enfant dans un
siège d’adulte, ses bras serrés autour de ses jambes, ses yeux brillants sur sa
peau sombre, baignée dans la lumière rougeâtre de l’habitacle. Elle hocha
faiblement la tête, ses réserves de courages épuisées par tout ce qui s’était
produit depuis qu’elle avait bravé l’entrée dans le Portail Labyrinthe.
— Tu t’en en sors bien, Navigatrice. La Maison Belisarius chantera tes
louanges à notre retour.
Elle se força à sourire, en une grimace qui ne trompa personne.
— Ouverture de la rampe dans cinq… quatre… compta Halvar. Trois…
Les mots furent noyés quand le corps et l’armure de Njal augmentèrent
son niveau de stimulation en préparation de la sortie. Un bruit de bottes
résonna au-dessus d’eux quand les guerriers de Valgarthr se préparèrent à se
déployer depuis le transport qui ralentissait. Les armures des Gardes-Loups
se pressèrent contre son dos, se fermèrent autour de lui comme une seconde
couche de plates, l’enfermant entre eux et la Vieille Garde, devant. Loin
d’une sensation de claustrophobie, il éprouva un sentiment de proximité.
Des frères devant et derrière. Un lien indestructible de fraternité à travers
les générations.
Dans un crissement, les rampes d’assaut s’ouvrirent et la lumière inonda le
compartiment.
Halvar sortit sur la passerelle de métal, son combi-bolter en joue.
— Pour le Pè…
Une décharge de feu blanc et azur passa par l’ouverture. La tête d’Halvar
explosa en un nuage écarlate et le Terminator derrière lui s’effondra, le
torse déchiqueté par l’impact.
Ce fut l’anarchie.
Son instinct propulsa Arjac sur le côté quand une autre décharge étincelante
embrasa l’ouverture de la rampe. Derrière lui, dans une cacophonie de
jurons, Gardes-Loups et Vieille Garde activèrent les trappes des flancs, les
boulons explosifs envoyant les plaques s’écraser dans un champ d’herbe
sèche. Au-dessus d’eux, les guerriers de Valgarthr descendirent d’un bond
pour s’éloigner du feu ennemi, piétinant la terre dure.
— Virage ! les avertit le pilote du Spartan.
Les chenilles se mirent en route et l’imposant transport pivota de manière
à recevoir la décharge de sorcellerie suivante sur son blindage supérieur.
D’autres Space Wolves en armure énergétique bondirent par-dessus les
chenilles vrombissantes, s’entrechoquant avec leurs frères Terminators qui
émergeaient du véhicule. Arjac hésitait entre se tourner vers la trappe du
flanc ou passer directement par la rampe : celle-ci était plus proche, mais
c’était se jeter directement sous la ligne de feu ennemie.
Sa décision fut prise un instant plus tard quand Njal s’avança sur la rampe
d’assaut, nimbé d’énergie psychique qui s’écoulait de l’ouverture comme
une nappe de brouillard. Le Maître des Tempêtes avança et projeta son
bouclier en avant, offrant ainsi une couverture au Spartan et à ses passagers
désorganisés, et laissa assez de place pour qu’Arjac et Ingvarr, ainsi que
deux guerriers de la Vieille Garde, puissent jaillir de la rampe.
Les artilleurs avaient localisé la source de l’embuscade, un bosquet
d’arbres rabougris deux cents mètres plus haut sur la pente. Des cultistes en
robes utilisaient un appareil de cristal et d’acier monté sur quatre jambes
articulées. La gueule de l’étrange canon avait la forme du museau épaté
d’une vache, avec une langue de cristal luisante d’énergie warp. Des amas
de tubes en verre recouvraient les masques des artilleurs qui trouvaient
refuge derrière un mantelet de protection en forme d’ailes déployées.
Autour d’eux, des douzaines d’autres cultistes brandissaient des pistolets
lasers et des armes automatiques. Tous visaient les Space Wolves contraints
de sortir de leur véhicule blindé. Le claquement de balles qui se brisaient
sur la céramite résonna aux oreilles d’Arjac tandis que des éclats de
peinture arrachés à l’épais blindage du Spartan flottaient dans son champ de
vision.
Les autosens d’Arjac faiblirent quand des canons laser à triple suspension
ripostèrent violemment de derrière lui. Leurs rayons rubis brisèrent en deux
le canon arcanique et vaporisèrent son équipage. Les Space Wolves ne
mirent que quelques secondes à s’organiser. Ils se séparèrent en cinq unités
qui libérèrent des tirs de suppression en direction des arbres tandis que la
Vieille Garde s’avançait, leurs combi-bolters crachant la mort sous les
maigres frondaisons grises. Le sensorium s’agita pendant un instant, luttant
pour se fondre avec les unités augures archaïques des autres terminators, ce
qui obligea Arjac et sa meute à désactiver leur connexion. Leurs autosens
modernes restaurés, la vue améliorée absorba la bataille qui faisait rage sur
la colline.
Son expérience lui permit de savoir en un seul coup d’œil ce qui s’était
passé. La Vieille Garde avait sécurisé l’extrémité de la jetée en force, avant
d’envoyer les meutes d’Halvar par la porte. À un moment ou à un autre, les
Thousand Sons et leurs alliés avaient attaqué les deux forces. Une forme de
pouvoir wyrdique leur avait permis d’attaquer en force une seule zone du
front, se téléportant peut-être même directement dans le combat.
Arjac regarda les escorteurs, capables de manœuvrer sans trop de
contraintes. Leurs armes dispersaient les cultistes qui s’étaient amassés pour
l’assaut, et les envoyaient se réfugier dans les ombres comme de la vermine
s’enfuyant sur le sol d’un entrepôt.
Des créatures draconiques, à moitié machines, descendirent en piqué de
sombres nuages en direction des escorteurs. Pris sous leurs décharges de
foudre et de feu tirées de canons rotatifs placés dans leurs gueules, les
appareils Space Wolves furent à leur tour obligés de rompre le combat et de
reprendre de l’altitude.
Des poches de Space Wolves et de Thousand Sons restaient pris dans des
escarmouches autour des positions défensives, coincées dans des échanges
de tirs le long des arrêtes et autour des amas rocheux où le terrain formait
des saignées et défilés naturels. Ces accrochages dressaient un autre
tableau, celui d’une ligne indistincte qui s’étendait tout le long de la
montagne, jusqu’à l’endroit où le dénivelé entrait en contact avec l’épaule
de sa voisine.
Un peu plus haut, Arjac remarqua qu’une ouverture dans le sol formait
l’entrée d’une gorge escarpée. Augmentant sa focale, le hearthegn aperçut
un important contingent de Space Wolves en armures anciennes qui
gardaient le défilé, épaulés par plusieurs tanks de modèles, connus ou non.
La seule explication à cette disposition, c’était que l’objectif était la
protection de la route entre la chaussée et le canyon. Il supposa que les
Space Wolves avaient lancé leur attaque depuis le ravin.
Ses réflexions furent interrompues par la nécessité de passer à l’action. Le
Spartan avait mené la charge depuis la jetée, mais les autres meutes et
véhicules de la Vieille Garde arrivaient dans son sillage, l’ensemble se
réassemblant en une force cohérente et entreprenant de se replier vers la
montagne. Arjac aurait pu être en train de regarder ses propres frères de
bataille, tellement les tactiques et formations de la Vieille Garde lui étaient
familières. De larges tirs et un support de couverture permettaient, en se
chevauchant, à chaque meute de manœuvrer de concert avec sa voisine puis
de se déplacer jusqu’à son transport ou de collaborer avec une autre
escouade. Et tout cela sous une pluie de bolts inferno et wyrdiques, ainsi
que sous le feu d’armes lourdes et légères des cultistes.
— Arrête d’être aussi skald-wisht, gamin, lui dit sèchement un des Vieux
Gardes.
Il pointa un doigt de son gantelet énergétique vers la montagne, où les
autres membres de sa meute avaient mis en place deux tirs convergents de
combi-bolter visant les ennemis qui se cachaient sous des arbres.
— Au boulot, d’accord ?
Arjac savait que ces mots n’avaient pas été prononcés méchamment, mais
son honneur en avait été blessé.
— Skald-wisht, c’est ça, tête grise ?
Arjac se tourna et fit signe à ses guerriers de se joindre à lui. Il sentit son
estomac se serrer quand il remarqua qu’Ulfar n’était pas sorti du Spartan.
— Je suis Arjac Poing de Pierre, marteau du loup, hearthegn de Logan
Grimnar. Certains m’appellent l’Homme-Montagne. D’autres me
connaissent sous le nom de l’Enclume de Fenris. Dans l’aett, je suis le
Champion de Grimnar. Garde-Loup des Loups de Nuit, aujourd’hui, vous
allez gagner vos marques d’honneur !
Leur chef de meute à leur tête, les Terminators remontèrent la colline,
passant entre les deux meutes de la Vieille Garde qui bloquaient l’avancée
des cultistes. Les antiques Space Wolves s’avancèrent aux côtés des
Gardes-Loups et leurs armes se joignirent à la fusillade qui arrosait les
ennemis réfugiés dans l’ombre des arbres. Des bolts Inferno frappèrent
l’armure d’Arjac, des runes rouges d’alerte s’allumèrent sur l’affichage
interne de sa visière. Il sentit du sang s’écouler d’une éraflure sur son
épaule, et quelque chose lui avait pénétré la cuisse droite. Des projectiles à
plasma s’abattirent sur la charge des Terminators, mais s’écrasèrent sur le
bouclier Tempête que Sven brandissait.
Arjac lança le Marteau à Ennemis. Sa tête incandescente enfonça le torse
d’un cultiste et projeta son corps brisé contre un arbre. Le marteau
réapparut dans son poing et il l’envoya à nouveau tout en courant. Quatre
autres dévots de Tzeentch succombèrent à son contact brutal avant qu’Arjac
n’ait atteint l’orée du bosquet.
Les Gardes-Loups poussèrent les cris de guerre des tribus de Fernis en
s’enfonçant dans les bois. Arjac se jeta sur les légionnaires des Thousand
Sons réduits à l’état d’automates, brisa heaumes et plastrons, et fractura des
membres de ses coups précis et contrôlés. Des bolts ricochèrent sur le
Bouclier Enclume et des tirs lasers laissèrent des traînées noires sur le gris
de son armure, scarifièrent la Crux Terminatus sur son épaulière et brûlèrent
les peaux de ses nombreux totems loups.
À ses côtés, ses guerriers n’étaient pas moins actifs. Leurs gantelets
énergétiques et leurs marteaux broyaient et frappaient. Il constituaient le fer
de lance d’une attaque qui entraîna par sa rapide progression la Vieille
Garde dans la mêlée.
Dans la pénombre, sous les arbres, se dressait une ombre qui faisait deux
fois la taille du hearthegn. Arjac la prit d’abord pour un Dreadnought, mais
quand elle émergea à la lumière, elle se révéla être une créature et non une
machine. L’ogryn mutant était aussi large que haut, deux cornes imbriquées
et courbées sortaient de son crâne et sa peau nue était constellée de plaques
osseuses. Des langues de feu chatoyaient dans ses mains griffues. Ses
babines retroussées montraient des crocs de cristal acéré qui réfléchissait les
explosions de tirs de combi-bolter et le feu de warp qui brûlaient dans ses
veines.
— Celui-là est pour moi, gronda un des guerriers derrière Arjac.
Trois traînées lumineuses de missiles déchirèrent l’air, explosant coup sur
coup sur au visage, au torse et au ventre de l’ogryn. Des têtes conçues pour
percer le blindage d’un tank lui défoncèrent les côtes, des éclats tranchants
comme des rasoirs lui lacérèrent la chair et le crâne et l’ouvrirent en deux.
Des flots d’énergie actinique sortirent de la blessure et la bête décapitée
trébucha en arrière. Des langues de feu s’échappèrent dans toutes les
directions de ses mains tendues. Il s’écrasa contre un arbre et se consuma
lentement sous l’ardeur de son propre feu wyrdique. Les flammes
embrasèrent finalement l’écorce brun sombre.
Arjac se retourna, surpris, et se retrouva nez à nez avec Ulfar, qui n’avait
plus de heaume. Son armure était fissurée de toute part, l’armature
renforcée déformée en plusieurs endroits. Le Garde-Loup se donna un
grand coup sur le plastron.
— La meilleure armure de nos forges ! déclara-t-il avec un sourire en coin.
— Je te croyais mort… s’exclama le hearthegn.
— Pour une fois, c’est une joie de te décevoir, Homme-Montagne, lança
l’autre Garde-Loup.
Il leva un poing qu’Arjac frappa du manche du Marteau à Ennemis en
guise de salut.
— Alors, on transpire déjà, marteau des loups ? C’est un bon nom, mérité.
Le guerrier qui l’avait rappelé à l’ordre plus tôt sortit des frondaisons,
tirant de son combi-bolter sur les ennemis qui s’enfuyaient dans les bois.
— Et quel est le tien, tête grise ?
— Vigga Coup Fatal. Et nous sommes les Barbes Grises, pas les têtes
grises.
— Vigga Coup Fatal… répéta Arjac dans un souffle. Le premier hearthegn
? Le guerrier qui se tenaient aux côtés du Roi Loup sur Marthrax et tua près
d’une centaine d’orks en une seule nuit ?
— Lui-même. Et c’était cent quatre, pour être précis. Ç’aurait été plus, si
Russ n’avait pas exprès persisté à achever ceux que j’avais blessés.
Demande à n’importe lequel de mes frères. Russ est connu pour voler les
mise à mort des proies des autres.
Viggar parvint à se retenir de rire pendant environ cinq secondes, mais
finit par s’esclaffer à gorge déployée. Arjac avait, au cours de sa longue vie,
était le témoin de choses horribles comme exaltantes, mais rien ne l’avait
jamais laissé autant sans voix que de se tenir devant le premier guerrier à
avoir porté le titre de Champion. Il sursauta quand Coup Fatal frappa son
poing contre son plastron.
— Reste avec moi, marteau des loups. Allons tuer d’autres fils de chienne
impies de Prospero.
Les cris de guerre moururent sur leurs lèvres. Lukas et les Griffes
Sanglantes s’arrêtèrent en chancelant, ce qui n’était pas une mauvaise chose
étant donné que le promontoire sur lequel ils se trouvaient se terminait
d’une manière abrupte juste devant eux, en un gouffre qui descendait…
quelque part.
La scène derrière le portail rappela à Lukas ses pires expérimentations
avec le cocktail de skaldroot et de wyrshrum, un breuvage destiné
submerger sa physiologie de space marine, dans l’espoir de recréer les
occasionnels voyages psychotropes de sa jeunesse. Dans un premier temps,
il lui fut impossible de comprendre ce que ses sens essayaient de lui dire et,
à en juger par leurs exclamations et jurons, les autres Griffes Sanglantes
vivaient la même chose.
Ce qu’il avait pris pour un promontoire était en fait un palier de pierre
claire, avec une volée de marches qui descendaient sèchement vers la
droite. Et une autre montait vers la gauche. Sauf que le haut et le bas
n’étaient pas des notions opérantes. L’endroit était immense, infini, peut-
être, et baigné d’une lueur diffuse verte et jaune. Il pouvait voir un nombre
incalculable d’autres escaliers, rampes, galeries et passerelles à des angles
qui auraient été, dans un endroit moins dément, sur les murs et le plafond, et
à travers les espaces intermédiaires.
Les occupants étaient aussi incroyables que les lieux. Des nuées de
démons, depuis des créatures rosâtres presque aussi grandes que Lukas,
jusqu’à des horreurs céruléennes qui ne faisaient que la moitié de leur taille
et des douzaines d’entités plus petites qui couraient et sautaient entre les
jambes de leurs cousins plus imposants. Ils avaient tous des corps ronds et
trapus sur des jambes arquées, avec des pieds griffus qui frappaient la pierre
en produisant des échos constants et superposés, à rendre fou. Certains
avaient des queues, couvertes de piques ou de barbillons ou qui se
finissaient en rangées de doigts ou… Lukas frémit, incapable de digérer la
plus grande partie de ce qu’il voyait. Nombre d’entre eux disposaient de
deux bras, avec des doigts tendus et creux dont émanait une lueur wyrdique.
Leurs visages étaient placés sur leurs torses, tordus en grimaces, sourires
maniaques et expressions ombrageuses, et l’air était saturé d’une
cacophonie de glapissement et de sifflements, tandis que les démons
caracolaient.
Certains ne marchaient pas, mais montaient des disques démoniaques qui
fendaient l’air entre les passages et passerelles inter-niveaux. Lukas essaya
de suivre leurs mouvements, afin de percevoir le moment où ils
s’inversaient ou pivotaient pour s’aligner avec la géométrie brisée de leur
destination. Il ne saisit jamais l’instant de transition, un clignement d’œil ou
une distraction le lui dissimulant à chaque fois.
Par-delà les murs éloignés, des murs qui pouvaient être des miroirs, des
surfaces aquatiques ou des panneaux de verre, s’étiraient de longs tunnels
semblables aux entrailles d’une bête immense, leurs parois pulsatiles
veinées d’obscurité. Des éclats de lumière aurique parcouraient ces
passages, s’allumant à l’entrée de démons et disparaissant dans le lointain à
leur sortie.
Le simple fait de regarder aux confins de la salle lui faisait tourner la tête,
malgré ses auto-sens. Le vertige artificiel menaçait de le faire tomber, de
l’envoyer basculer dans le gouffre qui se trouvait à quelques pas à peine.
Autour de lui, les Griffes Sanglantes se soutenaient mutuellement, fixant
délibérément le sol sous leurs pieds pour calmer leurs troubles de la
perception.
Et rien ne semblait permanent. Les démons se métamorphosaient, mutaient
et se transformaient sous ses yeux, comme des hololithes détraqués
alternant entre plusieurs projections. La salle elle-même était comme une
illusion d’optique. Escaliers et paliers disparaissaient à la périphérie de son
champ de vision, remplacés par de longs corridors ou de vastes alcôves dès
qu’il tournait le dos. Rien n’était jamais deux fois pareil.
— On devrait repartir, dit Bahrd, la voix rauque.
Il recula vers le portail derrière eux. De l’énergie s’enroula autour de son
armure, déforma son image et aspira le Griffes Sanglantes dans l’étreinte du
portail.
— Non ! Lukas bondit en avant et attrapa le poignet de Bahrd.
La main se détacha et laissa un sillage d’étincelles bleues et rouges qui se
dissipèrent. Elle tenait toujours l’épée tronçonneuse.
Le cri de Lukas résonna dans l’immense salle et se réverbéra depuis des
directions étranges. Son volume augmenta au lieu de s’atténuer.
— Non ! appelait l’écho, mais sur différents tons de choc,
d’émerveillement et de surprise heureuse, puis en des voix totalement
différentes.
Les voix de Grimnar et de Valgarthr, de Njal et de Bjorn, lui crièrent toutes
dessus. Elles se fondirent ensemble, devant un bruit inarticulé qui s’acheva
en hurlement.
— Lukas ! siffla Gudbrand.
Le visage du Trompeur lui fit mal quand le Griffes Sanglantes lui
administra un second coup. Il eut à nouveau l’esprit clair. Lukas se
découvrit accroupi sur le sol, une main sur la pierre, la tête rejetée en
arrière, les lèvres retroussées sur ses crocs, sa griffe dressée au-dessus de sa
tête. Choqué, il se redressa rapidement.
— Ça ne sent pas bon, lâcha Elof en regardant autour d’eux.
Partout dans le hall les démons s’étaient figés, leurs regards s’élevant vers
les intrus. Tout se fit silencieux et immobile pendant plusieurs secondes. La
tension était palpable.
En remontant la côte, le Maître des Tempêtes vit que la gorge était encore
plus longue et profonde qu’il ne l’avait cru, très vite plongée dans
l’obscurité, un gouffre d’ombre qui transperçait la montagne. Piétinant des
cultistes morts, Njal et quelques autres Chevaucheurs de Tempête
rejoignirent une meute de la Vieille Garde à proximité de l’entrée de la
gorge. D’autres Space Wolves remontaient la pente derrière lui au pas de
course, redoutant une contre-attaque de cette armée vêtue de bleu dans leur
sillage et qui cherchait à les encercler.
Majula suivait, à peine visible au sein du cercle protecteur de ses Gardes
Navis. Ils s’arrêtèrent à quelques pas à peine et la Navigatrice croisa le
regard de Njal. Bien qu’il puisse voir de la fatigue sur ses traits, il y vit
aussi de la force. Dorria et les survivants de son escouade balayaient la
montagne de leurs armes, sur leurs gardes.
L’un des guerriers de la Vieille Garde s’éloigna de sa meute. Son visage
était aussi anguleux que les rochers du Croc, sa barbe et ses cheveux
flottaient en vagues désordonnées. La hache dans sa main était encore
chaude du sang de ses ennemis qui s’écoulait le long de la lame.
— Seigneur Loup Bulveye ? demanda le Prêtre des Runes.
— Tu dois être Njal Maître des Tempêtes, répondit-il, la voix rauque.
Celui dont m’a parlé Halvar. Qui vient du futur. Une étrange saga, que j’ai
encore du mal à croire.
+Techniquement, c’est cet abruti qui vient du passé…+
— Je suis Njal, répondit le Maître des Tempêtes. Nous sommes là pour
vous ramener dans l’univers des mortels.
+Nous sommes dans l’univers des mortels, jeteur de runes. Simplement
dans une partie dont tu n’as jamais entendu parler.+
— Un messager du Père-de-Tout venu me sortir du champ de bataille
comme un Chevaucheur de Tempête des légendes ?
— C’est amusant que tu dises ça, dit Valgarthr qui venait de rejoindre Njal.
Le chef de meute fit claquer son bolter contre son épaulière ornée de
l’emblème de la compagnie.
— C’est eux que nous avons pris comme weregost.
Bulveye n’eut pas l’air amusé, son regard noir calculateur observant les
troupes clairsemées de Njal.
— Dis-moi, Njal, comment comptes-tu nous sortir de là ?
+Nous devons retourner dans le cœur, là où je suis mort. Je peux soigner
ma dépouille mortelle et rouvrir le portail vers Tizca. Celui que cette brute à
refusé de prendre quand il a choisi de m’occire.+
— Nous avons besoin d’un portail vers le centre du labyrinthe, expliqua
Njal. Dans le cœur, nous pourrons franchir la barrière vers Tizca où, si le
Père-de-Tout le veut, mes guerriers tiennent toujours la sortie. J’ai des
escorteurs qui attendent de nous emmener à l’instant où nous serons libres.
— Alors, nous avons de la chance, répondit Bulveye en pointant sa hache
vers les profondeurs du ravin. Un portail repose dans cette gorge. Ces
laquais de Magnus ont essayé de nous le reprendre. J’ai pensé que s’ils
voulaient y entrer, mon devoir était de les en tenir éloignés.
+Et qu’en est-il du Roi Écarlate ? S’il cherche à pénétrer le cœur, il
pourrait venir en personne.+
— As-tu vu le moindre signe de Magnus, Vieux Loup ? Il ne devrait pas
être loin de ses minions.
— Aucun signe, pas depuis que nous sommes entrés dans le labyrinthe.
Qu’il soit toujours en vie est une très mauvaise nouvelle.
— Son absence est peut-être une bonne nouvelle, intervient Arjac. Nous
devrions partir avant que le Roi Écarlate ne décide de se montrer.
— Je ne peux abandonner une bataille qui n’a pas encore été gagnée. La
hache de Bulveye décrivit un large mouvement, englobant le combat qui
faisait rage à flanc de montagne. Mes guerriers ont versé leur sang pour
cette cause.
— Nous devons vraiment partir tout de suite, insista Njal. Cette bataille
n’est qu’une petite partie d’une guerre bien plus grande. Le combat contre
les Thousand Sons ne sera pas gagné ici, pas aujourd’hui. Fais-moi
confiance. Durant dix mille ans, les Space Wolves ont pris part à cette
guerre. Si on pouvait y mettre fin aussi facilement, je sauterais sur
l’occasion.
— J’ai prêté serment devant le Roi Loup et le Père-de-Tout, jurant de ne
pas laisser un seul fils de Prospero échapper au Rout.
+Je te l’avais dit ! Têtu et imbécile, la pire des combinaisons. Il a choisi
d’être pris au piège dans le labyrinthe plutôt que de laisser s’échapper
quelques-uns de mes frères. Tu n’arriveras pas à le convaincre.+
— Russ n’est plus, intervint sèchement Arjac en s’avançant. Le Père-de-
Tout… L’univers que tu connaissais est mort il y a cent siècles de cela,
Vieux Loup. Ton serment ne veut plus rien dire, désormais.
— Il veut tout dire, gronda Bulveye en montrant de longs crocs et en
secouant la tête. Si ce que tu dis est vrai, tout ce qu’il me reste, c’est ce
serment.
+Je t’avais prévenu. Il n’est pas seulement obtus, il est fou. Retrouve-moi
mon corps et nous pourrons nous débarrasser de son maudit entêtement.+
— Vous êtes pris au piège dans ce labyrinthe, insista Njal.
Il devait choisir ses mots avec autant de soin qu’il aurait mis à suivre un
chemin de montagne pris dans les glaces. Un seul écart pouvait avoir des
conséquences désastreuses.
— Les Thousand Sons ne le sont pas. Si tu veux vraiment pouvoir tenir ta
promesse, ce n’est possible qu’en venant avec nous. À l’intérieur du
labyrinthe, tu ne parviendras à rien.
Cette déclaration tempéra le Vieux Loup. Il se tassa légèrement, les traits
de son visage reflétèrent son abattement. Il regarda Njal d’un œil sombre,
mais hocha la tête en signe d’acceptation de la logique du Maître des
Tempêtes. Njal retint un soupir de soulagement.
— On y va tous ensemble ? demanda Bulveye.
— Oui, ensemble.
CHAPITRE 16
DES MORTELS ET DES DÉMONS
Blancheur.
Silence.
Le double battement des cœurs de Njal se fit plus audible. Le flot de sang
dans ses artères et ses veines sifflait pour remplir le vide. Ses yeux ne
voyaient qu’une lueur rougeâtre.
Njal recouvrit ses sens dans un fracas soudain de couleurs et de bruits
quand le Stormbird émergea dans le cœur du Portail Labyrinthe. La vue
qu’offrait la large verrière lui coupa le souffle. Un hall couvert d’un dôme,
d’une ampleur impossible. Il avait conscience de l’existence d’un intérieur
et d’un extérieur, et de la taille du premier inséré dans le deuxième. Les
distances normales étaient étirées à leurs extrêmes limites. Même le plus
grand des aetthalle du Croc aurait pu tenir, plusieurs fois, dans cette
caverne artificielle.
Et, oui, il s’agissait bel et bien d’un espace physique. De fins nuages se
formaient et avec la distance, sa vision se faisait floue. Il y avait une
courbure sur la ligne d’horizon, plus prononcée que sur Fenris, peut-être
celle d’une lune ou d’une station artificielle.
Puis la raison pour laquelle tout lui semblait si étrange le frappa.
C’était inversé. La courbe montait, plutôt que de descendre, délimitant
l’intérieur d’une large sphère. Le cœur était contenu au sein d’une bulle de
panneaux de cristal anguleux et des colonnes de diamants étincelantes qui
ressemblaient à des stalactites.
+Le cœur.+
La révérence dans les pensées d’Izzakar était compréhensible, bien que
son admiration semblait provenir non pas d’une expérience de première
main, mais de quelque chose de plus profond.
+Une telle majesté dans la construction. Une telle ambition qui a pris
forme. Le plus incroyable des accomplissements du culte Prosperin, chacun
travaillant de concert sous la direction du Roi Écarlate. Une perfection que
même Fulgrim apprécierait. Le Magnus Opus.+
Njal s’écarta de Bulveye et souffla à peine ses mots suivants.
— Où sommes-nous ? Je veux dire, où se trouve ce cœur ? Nous ne
sommes pas à l’intérieur du warp, ça, je peux le percevoir. C’est un endroit
physique, avec un espace et du temps.
Le Maître des Tempêtes s’arrêta sur le seuil du compartiment principal,
une main levée pour dissimuler les infimes mouvements de ses lèvres.
— Fulgrim s’est lui aussi détourné de l’Empereur, ajouta-t-il. C’est un
prince-démon, tout comme Magnus.
+Cela me surprend moins… Mais pour répondre à ta question : à quel
autre endroit aurions-nous pu construire le cœur de l’empire prosperin ?
Nous nous tenons au centre de Prospero elle-même, évidé, bâti grâce à la
technique du Merveilleux Cyclopéen.+
À travers l’une des baies vitrées renforcées, le Maître des Tempêtes vit le
portail duquel ils étaient sortis, lorsque le pilote du Stormbird lui fit prendre
un virage serré en piqué vers ce qui se trouvait en dessous, quoi que ce fut.
Il n’y avait pas de visage géant de Magnus, même pas une pointe
d’architecture classique. À la place, seul un pilier de cristal s’élevait depuis
le lointain sol de la caverne, avec un nombre incalculable de facettes qui le
faisait presque ressembler à une spirale de lumière pure.
— Cela semble… improbable. Et le cœur de votre planète ? Cette
excavation ne la déstabilise-t-il pas ?
+Le cœur du Portail n’a pas plus de quelques mètres de large, mais replié
sur lui-même de façon suffisamment dense pour contenir tellement plus.+
— Cela me semble encore plus incroyable, mais je ne vois pas pourquoi tu
me mentirais à ce sujet.
Njal regarda dans le cockpit derrière lui, et vit que l’atterrissage était
imminent, sur un sol d’un gris sombre, incrusté de lignes dorées qui
s’entrecroisaient en un motif d’une complexité impossible et
incroyablement gigantesque pour former un arrangement hexamétrique
d’endiguement psychique, assez semblable aux protections arcaniques
gravées dans les murs de sa propre chambre sur Fenris, quoique bien
supérieur en précision et en taille.
Il jeta un coup d’œil derrière lui et vit le pilier-portail rétrécir, devenir une
ombre sur l’arche brillante de l’impossible horizon. De l’autre côté, non
loin de là où les Thunderhawk s’apprêtaient à se poser, il aperçut un cercle
de chatoiements à demi transparents. La vue tout à droite était celle d’une
Tizca enveloppée de fumée, sous un ciel crépusculaire illuminé par des tirs
et des sillages d’obus.
+Dis-toi cela, fils de paysans. Si on les étalait, tes poumons couvriraient
environ soixante-dix mètres carrés, et pourtant ils sont aisément contenus
dans ta cage thoracique. En étendant le plan spatial du cœur, nous avons pu
faire un usage bien plus efficace de l’espace-temps. C’est assez fabuleux,
maintenant que j’y pense, mais le pliage dimensionnel faisait partie de
l’évidence pour qui grandissait sur Prospero.+
Njal se rendit compte de quelque chose et revint dans le poste de pilotage
pour s’approcher de Bulveye.
— Vous défendiez le portail que nous venons tout juste d’utiliser.
— Oui, répondit le Vieux Loup, sans se retourner, son attention rivée sur la
scène en cours sous leurs pieds, son visage figé par la concentration. On
dirait qu’ici, les chemins conduisent toujours au point de départ, pas comme
les autres portails. Si nous partons, nous pouvons revenir, bien que là où
nous allons change à chaque fois. J’ai réussi à réunir des meutes et des
guerriers dispersés depuis ces derniers… Enfin, depuis que nous avons
poursuivi les Thousand Sons jusque dans ce bazar. J’ai fait de cet endroit
notre aett de guerre.
Les Thunderhawk débarquèrent les derniers des guerriers de la Vieille
Garde au milieu des tanks et des autres meutes. Njal ne les avait pas encore
vus tous rassemblés et il se rendit compte qu’il y avait près de deux cents
space marines et plusieurs véhicules blindés rassemblés sous le
commandement de Bulveye. Parmi eux se trouvaient des chars et des
transports plus grands que Njal ne reconnut pas, et même des marcheurs
blindés qui avaient disparu au fil de l’Histoire. Le Vieux Loup remarqua sa
stupéfaction. Il soupira, une pensée soudaine vint manifestement le peiner.
— La Vieille Garde n’est pas la seule chose à avoir disparu en dix mille
ans, n’est-ce pas ? Votre champion loup, Poing de Pierre, m’a dit que
l’Imperium que je connaissais n’est plus. Que s’est-il passé ?
La réponse de Njal fut retardée par le moment du contact, un bruit sourd et
un raclement du train d’atterrissage sur le sol plat, suivis par le
gémissement de l’ouverture de la rampe et le sifflement des harnais de
sécurités qui relâchèrent les Terminators et les Dreadnought embarqués. Un
souffle d’air froid pénétra à l’intérieur, il portait une odeur clinique de
nettoyant et d’ozone, viciée par de l’huile de moteur et des gaz
d’échappement.
— Horus. Voilà ce qu’il s’est passé, dit le Maître des Tempêtes.
— Quel est le rapport entre le Maître de Guerre et la trahison de Magnus ?
Njal avait l’estomac noué à l’idée de cette terrible trahison, déchaînée sur
l’Imperium à l’époque de ses plus grandes conquêtes.
— Horus s’est retourné contre le Père-de-Tout, Vieux Loup. Il a essayé de
détruire le Seigneur de l’Humanité et de prendre la tête de l’Imperium.
— Le Maître de Guerre ?
Tout le sang abandonna le visage de Bulveye, son visage empreint d’une
horreur abjecte, quelque chose que Njal n’avait jamais vu chez un space
marine. Bulveye s’agrippa à la console la plus proche, physiquement
déstabilisé par la révélation. Il secoua la tête, ouvrit la bouche pour parler
puis la referma sans un mot. Un autre mouvement de tête, comme pour
remettre de l’ordre dans les pensées qui l’assaillaient.
— Nous avons beaucoup à apprendre. Mais ce n’est pas le moment.
La voix du Seigneur Loup se brisa presque d’émotion, mais il serra les
dents et reprit le contrôle de lui-même.
— Je peux voir Tizca, dit Njal en pointant de son bâton les portails visibles
à travers la verrière principale. Pourquoi n’êtes-vous pas simplement partis
?
— Deux raisons, répondit Bulveye. Regarde de plus près.
Njal s’avança vers la vitre de verrite et regarda par-delà son vague reflet. Il
reconnut les sommets des pyramides de la cité déchue qui perçait le ciel
orangé. Des explosions, silencieuses, soulevaient des panaches de fumée et
de poussière au-dessus d’eux.
Mais elles ne bougeaient pas. C’était la même scène que celle qu’il avait
regardée une minute auparavant, comme une capture-pict projetée sur un
miroir. Quelque chose n’allait pas.
+C’est bloqué dans une stase. Quand ce sauvage m’a tué, le portail que
j’avais ouvert s’est mis en veille. Ma résurrection partielle a pu restaurer le
lien que j’avais créé, mais il a besoin d’être aligné et calibré correctement
pour prendre en compte la modification temporelle de dix mille ans.+
— L’armée ennemie que nous avons laissée derrière nous, peut-elle nous
suivre ?
Njal paraissait poser cette question à Bulveye, mais ses mots étaient
destinés à l’Archiviste niché dans son esprit.
— Oui, bien que nous leur aurions montré ce qu’il leur en coûte d’essayer.
+Bien sûr. Si, parmi eux, il y en a encore qui se souviennent de telles
choses, ils peuvent amener des renforts depuis d’autres portails. Et,
évidemment, d’autres démons.+
— Nous devons faire vite si nous voulons partir, dit Njal, pointant vers
Tizca puis vers l’autre portail. Nous ne pouvons pas être coincés à utiliser
un portail pendant qu’ils attaquent de l’autre.
— Partir ? Pourquoi partirais-je ? Bulveye fit signe au pilote de s’en aller
et fixa Njal du regard. Je vous ai amenés ici pour que vous n’ayez pas à
partager mon sort. Mon serment demeure. Je dois purifier le Portail
Labyrinthe de notre ennemi juré. Cela ne m’importe guère si un passage
vers Tizca est ouvert. Je n’irai pas avec vous.
— Et tes guerriers ? Les condamneras-tu eux aussi à ce sort ?
Bulveye hésita puis se rendit dans le compartiment, désormais vide.
— Ils m’ont juré fraternité, ainsi que des serments d’allégeance à la Vieille
Garde et aux autres. Là où je vais, ils me suivent.
Il se dirigea vers la rampe, sa hache luisante à la main, et, de là, aboya ses
ordres aux meutes qui attendaient. Njal le suivit et parcourut le
rassemblement des yeux. Certains des guerriers de la Vieille Garde
formaient un cordon défensif autour du portail qui donnait sur la citadelle
des Thousand Sons. Parmi eux s’en trouvaient qui arboraient des marquages
différents, des survivants d’autres compagnies que Bulveye avait
rassemblés au cours de ses incursions hors du cœur. D’autres se faisaient
assister par des légionnaires apothicaires et un trio de Prêtres de Fer, se
réarmant pour une nouvelle mission.
Il retrouva Majula qui levait un regard admiratif vers le plafond sans
substance. À son approche, elle porta ses yeux sur lui, un léger sourire
flottant sur ses lèvres.
— Je n’ai jamais rien vu de tel, dit-elle avec excitation, frappant ses doigts
les uns contre les autres comme si elle s’applaudissait. Je perçois la balise
de Terra, mais elle est comme amplifiée et se répercute dans ma tête. C’est
magnifique…
Avant que Njal ne puisse répondre, il ressentit une bouffée d’angoisse.
+Mon corps… Il devrait être là. Je ne peux pas le voir.+
Le Maître des Tempêtes interpella Bulveye avant que celui-ci ne
disparaisse parmi ses barbes grises.
— Vieux Loup, qu’est-il advenu de l’Archiviste que tu as tué ?
Bulveye pencha la tête sur le côté, fronçant les sourcils, suspicieux.
— Comment peux-tu savoir cela ?
— Wyrdknak, s’empressa de dire Njal, tapotant sa tempe. Une vision m’a
amené ici.
— Je vois. Bulveye fit un signe de sa hache en direction du plus petit des
portails. Nous avons jeté les corps des traîtres par là-bas.
+Vite, nous n’avons pas beaucoup de temps avant que l’armée de Magnus
ne nous suive dans le cœur.+
Njal laissa Bulveye à ses préparatifs et partit à grandes enjambées vers le
portail. Ses Chevaucheurs de Tempête le suivirent sans avoir besoin
d’ordre. Chacun observa les incroyables guerriers et machines autour d’eux.
À quelques mètres du portail circulaire, Njal s’arrêta et regarda à travers. Il
pouvait voir que les pyramides étaient moins abîmées et que les vaisseaux
figés dans leur traversée du ciel crépusculaire, les engins de guerre qui
fondaient à travers les rues, étaient des modèles qui n’avaient plus été vus
depuis des millénaires.
— Le Roi Loup, murmura-t-il en tendant une main vers le portail. Est-il
possible de revenir à cette époque ?
+Peut-être, mais je n’ai ni les compétences ni l’envie de sauver Russ pour
toi. Je t’ai conduit à ta compagnie perdue, mais cette bête meurtrière est
mieux confinée dans un passé révolu.
La propre incertitude de Njal quant au sort du Roi Loup tempéra la colère
qu’il ressentit face aux insultes d’Izzakar à l’égard de son Primarque. Le
Prêtre des Runes se remit en marche, cependant que Valgarthr et plusieurs
autres s’arrêtaient pour contempler la scène, fascinés par la guerre
historique qui se déroulait de l’autre côté du portail. Njal trouva la pile de
cadavres en armures arborant la livrée pré-Hérésie de la légion de Magnus.
Il ressentit un pincement de colère de la part de son passager clandestin.
— Tu as ouvert les portails sans ton corps, dit Njal, écartant des space
marines morts. Pourquoi en as-tu besoin maintenant ?
+Je n’en ai pas besoin. Mais je le réclame, comme prix pour vous sauver.
Je serai restauré, c’est tout.+
Njal continua à mettre de côté les cadavres brisés, leurs corps et armures
raides, heurtaient le sol dur en un bruit retentissant.
+Celui-là !+
Un spasme d’excitation fit bouger légèrement le bras de Njal vers la
gauche, une contraction momentanée alimentée par la force de la volonté
d’Izzakar. Il retira son bras, choqué par la perte de contrôle. La soif
dévorante qu’avait l’Archiviste d’être rendu à son enveloppe mortelle
pulsait en lui comme un faux instinct.
— Lequel ?
+Celui avec une robe et un trou dans la poitrine, imbécile de Fenrissien.+
Njal repéra le corps, un manteau sans manches d’un bleu profond passé
au-dessus de l’armure, brûlé par endroits. Sa poitrine et son plastron étaient
percés par la décharge qui avait tué l’Archiviste. Il se souvint du pistolet à
plasma à la ceinture de Bulveye.
— Comment suis-je censé m’y prendre ? Ce corps n’est plus en état pour
personne, et encore moins pour une âme errante. Tu vas mourir à l’instant
même où tu le regagneras.
+Je peux me soigner. Ne te préoccupe pas de ça.+
— Et ensuite ? Tu iras rejoindre Magnus ?
L’idée perturbait Njal, et pas seulement parce qu’il s’agissait de laisser
s’échapper un ennemi. Cela lui paraissait une manière inadéquate de quitter
Izzakar qui, en dépit de ses remarques acerbes et de ses insultes, s’était
avéré être, non seulement fidèle à sa parole, mais un allié compétent au-delà
de la simple nécessité.
+Ma légion est perdue pour moi, Maître des Tempêtes.+ Une tristesse
profonde glaça le cœur de Njal. +Mais peut-être pas toute ma compagnie.
Comme tes aïeux, nombre d’entre eux ont été dispersés à l’intérieur du
Portail Labyrinthe par les maladresses de cette brute et de ses compagnons.
Peut-être en reste-t-il certains à être toujours loyaux aux idéaux prosperins.
Je n’aime guère ce qu’est devenu le Roi Écarlate, et je pourrais entreprendre
de nuire à ses projets corrompus si j’en ai les moyens.+
Njal se mit à genoux et l’ombre projetée par son armure vint couvrir le
corps ravagé par le plasma d’Izzakar Orr. Il posa son bâton contre le thorax
mortellement blessé et sa main sur le front de la tête couverte d’un heaume.
Ouvrant sa conscience, il permit aux esprits de le traverser. Il les laissa
recouvrir ses pensées comme de la neige, peu à la fois, mais l’accumulation
pouvait finir par enterrer un homme et briser des arbres. Il fit grandir ce
pouvoir, devant le soleil chaud de Fenris, instillant la vie de son monde
dans l’enveloppe physique brisée devant lui.
Les cellules se régénérèrent, poussées dans une vie renouvelée par les
encouragements de Njal. Os, chair et organes se reformèrent, bien que la
carapace noire qui les avait jadis protégés au sein de l’épiderme fût
synthétique et ne se guérisse donc pas, ce qui laissa une marque pâle sur la
surface des muscles pectoraux et de l’abdomen. L’armure, elle non plus, ne
put être ressoudée : ses bords fondus entourèrent la chair repoussée en un
cercle presque parfait.
Dans un soupir, Njal se redressa, laissant le corps soigné, mais encore
vide.
+Tu n’avais pas besoin de faire ça…+
Njal ne dit rien, mais ouvrit ses pensées, ouvrant une minuscule portion de
sa forteresse mentale, une poterne dans ses défenses pour permettre à
l’Archiviste de partir. Une étincelle émergea de ses pensées, invisibles de
tous, sauf des sens wyrdiques du Maître des Tempêtes. Elle voyagea le long
de son bras et sortit par l’extrémité de son bâton. Aile-de-Nuit croassa et
piétina sur son épaulière, héraut de l’esprit des morts.
Comme une braise, le fragment d’Izzakar tomba sur sa dépouille inanimée.
Le corps frémit par deux fois, ses membres tressautèrent sous le coup de
l’arrivée soudaine d’une énergie vitale.
Une main gantée trembla au-dessus de la pile de cadavres jusqu’à ce que
les doigts trouvent une prise et tirent l’archiviste en position assise. Une
respiration saccadée par l’effort s’échappa du heaume et des lentilles
oculaires ocre se tournèrent vers Njal.
— Que se passe-t-il ici ?
Le cri d’un des guerriers de la Vieille Garde résonna à travers la distance
qui les séparait alors même que Njal aidait Izzakar à se relever. Un soudain
tumulte derrière le Maître des Tempêtes l’avertit que des guerriers se
tournaient dans sa direction avec des cris d’incrédulité et des appels au
Vieux Loup. L’Archiviste des Thousand Sons ignora l’agitation et se pencha
pour ramasser un plastron intact sur l’un des cadavres, le sifflement qu’il
émit en se détachant noyé sous le brouhaha grandissant de cris accusateurs.
Orr rit doucement.
— Te moques-tu donc de moi ? demanda Njal, la main crispée sur son
bâton.
Aile-de-Nuit se redressa sur son bras, prêt à fondre sur l’archiviste.
— Je viens juste d’essayer de te parler dans ma tête.
La voix d’Izzakar était plus rauque qu’elle ne l’avait été dans ses pensées,
éraillée et grave.
— J’ai perdu l’habitude d’utiliser ma propre voix. Je voulais te remercier.
Valgarthr et le reste des Chevaucheurs de Tempêtes formèrent une ligne
entre Njal et plusieurs meutes de la Vieille Garde. Les vétérans jetèrent des
regards méfiants à Orr, mais il était clair que leur loyauté allait d’abord à
leur Seigneur des Runes, en lequel ils avaient une confiance absolue. Les
armes des guerriers de Bulveye étaient pointées sur les étrangers parmi eux.
Le Vieux Loup s’approcha, accompagné de plusieurs de ses vétérans. Njal
entendit le gémissement des servomoteurs et un pas lourd, ainsi que la
masse des Dreadnought dans son dos.
Le Maître des Tempêtes surprit Majula en train d’observer le sorcier. Son
expression reflétait la curiosité plutôt que la colère, maintenant qu’elle
pouvait enfin voir celui qu’elle n’avait jusqu’alors que vaguement perçu.
Dorria se plaça devant la Navigatrice et essaya de l’amener à l’écart de la
Vieille Garde qui avançait. Majula fit un pas de côté, elle évita la main
tendue de Dorria pour venir se tenir aux côtés des Chevaucheurs de
Tempête.
Njal la vit trembler quand elle s’arrêta devant l’une des Barbes Grises en
croisant les bras, une minuscule figure de défi face à la présence imposante
du space marine. Le Space Wolf fit un pas en arrière et envoya à son chef
de meute un regard incertain, auquel ce dernier répondit d’un haussement
d’épaules.
— Ne dis rien, dit sèchement Njal à Izzakar, conscient que la moindre
parole insultante de l’Archiviste pouvait déclencher un regrettable incident.
— Quelle sorte de Space Wolf peut lever ainsi son arme contre un autre,
dans une intention meurtrière ? demanda Arjac, ses Terminators se joignant
à la meute de Valgarthr pour former une barrière physique de légionnaires.
— Quelle sorte de Space Wolf s’abaisse à pratiquer la nécromancie sur un
ennemi mort ? demanda Bulveye en écartant ses guerriers pour se placer
face à Njal.
Il pointa sa hache en direction du Prêtre des Runes.
— Je t’ai pris pour mon frère, et tu me remercies en t’associant à la
traîtrise de ce chien ?
— Son nom est Izzakar Orr, dit Njal d’un ton ferme, en tenant son bâton
près de lui. Sans ses connaissances, nous sommes tous condamnés à mourir
dans cet endroit maudit.
— Qu’il en soit ainsi, déclara le Vieux Loup, dont la main se posa sur le
pistolet à plasma à sa ceinture. Je pense qu’il va mourir aussi facilement la
seconde fois que la première.
Il dégaina son arme et la leva. Njal vit la lueur de la décharge énergétique
un dixième de seconde avant qu’elle ne soit dissimulée par une forme
massive. La détonation du tir lui parut assourdissante sur l’instant, son
explosion éclatante derrière la silhouette du Terminator qui s’était déplacé.
Le bruit de l’impact envoya des décharges le long des nerfs de Njal, un
hurlement fut arraché à sa gorge alors que la sphère de plasma percutait le
guerrier qui était intervenu.
Secoué par la décharge, le Terminator se tourna à moitié et le Maître des
Tempêtes vit le visage d’Arjac tordu dans une grimace choquée, son
plastron presque entièrement désintégré par le tir de plasma, le visage et son
crâne tatoué éclaboussés de gouttelettes de céramite.
Une bouffée d’énergie psychique et un sifflement de bruit blanc alertèrent
Njal de la réaction d’Izzakar, et il agit par instinct, d’un coup de bâton à
l’aveugle. Le pommeau percuta le visage de l’Archiviste au moment où
celui-ci levait des mains entourées d’éclairs verts. Le coup envoya Izzakar à
terre, sa foudre psychique absorbée sans dommages par le sol.
Njal s’avança, à la fois pour protéger le légionnaire des Thousand Sons
d’une nouvelle attaque et pour cacher Bulveye à Izzakar.
— Assez ! rugit le Vieux Loup en chargeant, la hache brandie pour
attaquer.
L’un de ses vétérans lui sauta dessus, bloquant le bras de Bulveye avec le
sien, et tira le Seigneur Loup en arrière et à l’écart. Les deux guerriers de la
Vieille Garde churent dans un fracas d’armures, l’intrus se mettant à cheval
sur son supérieur, un pied sur le poignet du Vieux Loup pour bloquer la
main qui tenait la hache.
— Ça suffit ! aboya le vétéran de la Treizième Compagnie. On en a fini,
ici, Bulveye.
— Toi aussi tu me défies, Jurgen ? Il y avait plus de peine que de colère
dans la voix de Bulveye, qui ne fit aucune tentative pour déloger son
assaillant, sa volonté de se battre évaporée suite à l’intervention de son
compagnon.
— Par les saintes rafales du Père-de-Tout, oui, je te défie, dit Jurgen. Si
c’est pour t’empêcher de commettre une autre grave erreur.
Les rangs de la Vieille Garde s’ouvrirent pour laisser passer l’un des leurs,
qui alla s’occuper d’Arjac. Le Garde-Loup déclina son aide d’un signe de la
main et se remit sur ses pieds en grimaçant.
— C’est bon, c’est mon armure qui a encaissé le plus gros.
Poing de Pierre jeta un œil vers le Seigneur Loup à terre.
— Heureusement que tu es un très mauvais tireur.
— Nos serments… Les ordres du Père-de-Tout …
— Nous avons déjà été trahis, Vieux Loup. Jurgen se mit debout, sans
enlever son pied du poignet de Bulveye. J’ai entendu ce que t’a dit le
runekast. Horus s’est retourné contre le Père-de-Tout. Réfléchis à ça,
Bulveye. Horus s’est retourné contre le Père-de-Tout.
— Nous n’avons rien fait de mal, cracha Izzakar. Je vous l’avais dit,
imbéciles, que votre châtiment était mal placé. Vous n’avez pas voulu
écouter. Vous nous avez forcés à nous défendre.
— Et alors ? Nous obéissons à la volonté du Père-de-Tout, ici. Il a décidé
de votre…
Le Vieux Loup n’acheva pas sa phrase en se rendant compte de quelque
chose, et il grimaça de consternation. Le guerrier du nom de Jurgen donna
ses explications en se reculant et en aidant Bulveye à se relever.
— C’est exact, Vieux Loup. Nos ordres, ils venaient d’Horus. Le Roi Loup
n’a pas parlé au Père-de-Tout directement, l’ordre d’exécution a été
transmis par le Maître de Guerre.
Njal sentit ses tripes se serrer, comme prises dans la glace, car il
connaissait les détails de la terrible saga qui avait suivi. Aile-de-Nuit
s’envola dans un cri de désarroi et alla tournoyer autour des meutes
rassemblées.
— Tout ça n’était qu’un mensonge, murmura le Maître des Tempêtes. Le
Père-de-Tout n’a jamais ordonné la mort de Prospero. Le Maître de Guerre,
trois fois maudit, avait déjà sombré et a conspiré pour ouvrir la voie à sa
trahison en retournant les Fils de Russ contre ceux de Magnus.
Un silence abasourdi suivit cette déclaration, les guerriers des
Chevaucheurs de Tempête, ceux de la Vieille Garde et même Izzakar
assimilant les conséquences monumentales de cette simple, efficace,
odieuse, tromperie.
Le Vieux Loup avait l’air brisé, sa hache lui pendant mollement de la
main, la tête basse sous l’effet de la honte. Njal aida Izzakar à se redresser.
Les deux adversaires, qui, quelques jours à peine, et pourtant dix mille ans
auparavant, étaient déterminés à s’exterminer mutuellement, se faisaient
face, unis par cette révélation soudaine.
— Vous n’aviez pas tort, souffla l’Archiviste des Thousand Sons, ses mots
à peine audibles. Vous avez été trompés, et nous pouvons désormais voir où
Magnus a conduit les miens.
— Toi non plus, admit Bulveye, ses lèvres bougeant à peine. Si le Rout
n’avait pas détruit Prospero, aurions-nous pu être alliés ? C’était sûrement
le pari d’Horus.
Ils se regardèrent, se comprenant mutuellement.
Un tintement soudain retentit dans le hall aux dimensions impossibles à
appréhender, distant, mais pourtant fort. Le visage casqué d’Izzakar se
tourna vers l’autre portail.
— Magnus arrive, dit-il, sa voix empreinte de révérence.
Il reporta son attention sur Bulveye.
— Je sens sa présence qui emplit le portail. Comme auparavant, c’est moi
qui contrôle les moyens de votre départ.
Ils se tournèrent vers le pilier blanc comme s’ils s’attendaient à voir le
Primarque renégat en jaillir à l’instant.
— Ou bien, vous pouvez rester ici et vous battre, continua l’archiviste,
d’un ton qui exprimait le doute méprisant qu’il ressentait pour un tel plan.
— Nous avons besoin de toi, Vieux Loup, dit Arjac.
Il désigna de la main l’armée rassemblée sous le commandement de
Bulveye.
— Là-bas, dehors, les héritiers du Maître de Guerre cherchent à accomplir
ce que leur maître n’a pu faire, une guerre qui aboutit après dix mille ans.
Ne nous parle pas de serments. Les Fils de Russ ont passé une centaine de
siècles à honorer de telles promesses. Tu souhaites détruire Magnus ? Viens
avec nous. Rejoignez les frères que nous avons déjà retrouvés.
Un intérêt nouveau s’alluma dans les yeux de Bulveye.
— Déjà retrouvés ? Des guerriers de la Treizième ?
— Oui, dit Njal, interrompant la conversation avant que trop de détails ne
soient divulgués.
Bulveye n’avait pour l’instant pas besoin de savoir que la majorité des
légionnaires de la Treizième Compagnie qu’ils avaient secourus du warp
avait succombé à la malédiction du Wulfen.
— Ils auront besoin d’un chef.
— Fais-le, dit Bulveye à Izzakar. Renvoie-nous sur Tizca, comme tu
l’aurais fait si je n’avais pas fait preuve de fierté aveugle.
L’Archiviste s’approcha du portail, les bras tendus, les paroles de
l’incantation calculae jaillissait déjà de ses lèvres. La lueur à l’intérieur du
cercle d’énergie se brisa, avança de façon saccadée à travers les âges, des
vies entières passant en un instant jusqu’à ce que la distorsion temporelle
entre le labyrinthe et Tizca soit alignée. Le ciel était celui d’une nuit plus
profonde, proche de celui que les Chevaucheurs de Tempête avaient quitté.
Quelques mots de plus et le passage s’élargit, révélant une vue de la
Pyramide de Photep. De l’autre côté, des escouades de thralls et des Space
Wolves dispersés se retournèrent, surpris par l’activité soudaine.
— Désires-tu toujours que je me rende ? demanda Orr.
— Je crois que non. Bulveye se tourna vers son armée et leva sa hache
bien haut. Nous marchons à nouveau sur Tizca, les crocs acérés de Fenris
une nouvelle fois autour de la gorge du Cyclope !
CHAPITRE 18
LE CYCLOPE ET LE LOUP-CHACAL