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EXÉCUTION
SOMMAIRE

Couverture
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Page titre
Warhammer 40,000
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
À Propos de l’Auteur
Un extrait de ‘La Dévastation de Baal’
Une Publication Black Library
Contrat de licence pour les livres numériques
Le 41e millénaire. Depuis plus de cent siècles l’Empereur siège,
immobile, sur le Trône d’Or de Terra. Il est le maître de
l’Humanité, par la volonté des dieux, et le suzerain d’un million de
mondes grâce à la puissance de Ses armées innombrables. Il n’est
qu’une carcasse en décomposition, qui frémit sous l’influx d’une
énergie invisible venue du Moyen Âge Technologique. Il est le
Seigneur Charognard de l’Imperium au nom duquel mille âmes
sont sacrifiées chaque jour afin qu’Il ne meure jamais vraiment.
Suspendu dans cette stase, ni tout à fait mort, ni tout à fait vivant,
l’Empereur poursuit sa veille éternelle. Ses puissants vaisseaux de
guerre naviguent au cœur des miasmes du warp, infesté de
démons. Ce sont là les seules routes qui permettent de relier les
étoiles lointaines, selon des trajectoires éclairées par le phare
qu’est la manifestation psychique de la volonté de l’Empereur :
l’Astronomican. Ses immenses armées livrent bataille en Son nom
sur tant de mondes qu’on ne peut les dénombrer et, de tous, ses
plus grands soldats sont sans doute ceux de l’Adeptus Astartes, la
quintessence du guerrier parfait. Leurs frères d’armes sont légion
: l’Astra Militarum et les innombrables rangs des forces de défense
planétaire, les membres de l’Inquisition dont la vigilance jamais ne
s’endort, et les technoprêtres de l’Adeptus Mechanicus versés dans
les arts obscurs de la technologie, pour n’en nommer que
quelques-uns. Pourtant, ces multitudes suffisent à peine à contenir
les menaces perpétuelles qui pèsent sur l’humanité : démons,
xenos, mutants, hérétiques...
Être un homme en ces temps troublés, c’est être un individu
insignifiant, noyé au milieu de milliards d’autres. C’est vivre sous
le joug du régime le plus cruel et le plus sanguinaire qui soit. Ne
placez pas votre espoir dans les pouvoirs de la technologie et de la
science, car trop a été perdu pour n’être jamais retrouvé. Ne
comptez pas sur les promesses de progrès, de raison et de paix, car,
dans ce lointain futur de sinistres ténèbres, il n’y a que la guerre.
L’espoir n’existe pas au royaume des étoiles, seulement une
éternité de carnages sous le rire moqueur des dieux assoiffés de
sang.
PROLOGUE

Fenris poussa un hurlement d’agonie inarticulé, l’âme torturée par la


présence des envahisseurs.
Une douleur vive courut le long des nerfs de Njal des Tempêtes. La
souffrance de son monde natal lui élançait la poitrine, sa terreur lui
martelait le crâne. Malgré tout, il maintint son contrôle sur le wyrd qui
s’accumulait en lui, canalisé dans son esprit par ses frères prêtres des runes.
Un pouvoir tiré de la psyché tourmentée d’un monde qui se rebellait contre
l’avancée de myriades de démons et de traîtres.
— Damget ! cracha Aedir Brise-Bâton, trahi par le pouvoir psychique qui
s’échappait de sa poigne immatérielle, rendu vivant par les conjurations des
Thousand Sons.
— Résiste, lui intima Njal.
Son regard était fixé sur la grotesque apparition qui leur faisait face. Elle
émergeait d’une marée d’hommes-oiseaux et de déments ricanants.
Le Roi Écarlate. Le Cyclope. Magnus le Rouge. Primarque-démon des
Thousand Sons.
Le prince-démon s’était manifesté dans la réalité en tant qu’imposant
sorcier, à la peau azur et aux ailes de flammes multicolores. De l’énergie
crépitait autour de sa couronne de cornes et chaque éclair imprimait une
image rémanente de pur cauchemar dans la rétine de ceux qui osaient
regarder l’être immortel.
Paré d’une armure dorée forgée de débris d’étoiles mortes et de rêves
brisés, Magnus se tenait sur un contrefort de roche nue, le bras dressé vers
les cieux déchaînés tandis que des flots de lave émergeaient de la terre
fracturée tout autour de lui et incinéraient sans distinction Fenrissiens,
tzaangors et cultistes. Les fidèles de l’Architecte du Destin louaient leur
dieu, et hurlaient prières et remerciements au Maître de la Chance qui les
épargnait.
La poignée de Prêtres des Runes des Space Wolves qui résistait à
l’avancée de la horde folle déchaîna un torrent de rafales glacées et de
spirales de boules de feu. Des explosions de pouvoir pur et des éclats acérés
jaillissaient des doigts et des bâtons. La horde qui se jetait à travers les
plateaux rocheux de la Gorge du Loup se fracassa sur la fureur des Prêtres
des Runes comme une vague éventrée sur un éperon rocheux, l’assaut
tranché jusqu’au cœur.
— En avant ! pressa Njal en pénétrant l’ouragan de pouvoir psychique qui
jaillissait du Roi Écarlate. Cette piétaille va nous vider de nos forces! Il faut
concentrer notre rage sur Magnus.
Mais sa franche exhortation s’avéra vaine. La chatoyante demi-sphère de
warp qui tourbillonnait autour du Primarque des Thousand Sons, une
puissance psychique qui avait balayé la force de frappe des vaisseaux en
orbite, ne se limitait pas à protéger Magnus contre les attaques : elle
brouillait aussi la perception du wyrd de ceux qui se trouvaient à proximité.
Njal lui-même, le plus puissant des seigneurs du wyrdhalle, ne parvenait
pas à détecter la présence du Cyclope dans le warp. Alors même que son
âme brûlait comme un soleil, là où celles des simples mortels n’étaient que
de fugaces éclats, la présence du Roi Écarlate était dissimulée par un millier
de replis obscurs nés d’anciens pactes.
Njal regarda, impuissant, le Primarque s’élever dans les airs, ses ailes
déployées avec insolence, sa lévitation permise par de minuscules bouffées
de télékinésie. De son œil unique et cruel, Magnus toisa le monde qui
s’apprêtait à succomber à son règne, et son regard pourpre sembla croiser
celui du Maître des Tempêtes.
— Les Fils de Russ n’oublieront jamais ! L’un d’entre nous sera ta perte,
Maudit ! cracha Njal, sans toutefois vraiment croire que son serment serait
entendu.
Le rire du demi-dieu fit trembler les monts de Feu. À la grande surprise de
Njal, une voix calme et distinguée se fit entendre dans sa tête. Elle traversa
avec facilité les multiples couches de ses boucliers mentaux et la cage
protectrice de sa coiffe psychique.
+Peut-être. Mais ça ne sera pas toi.+
Ces mots s’accompagnèrent d’une expression de complet dédain, un
mépris réservé habituellement aux moucherons les plus agaçants, de ceux
qui ne renoncent pas en dépit de claques vigoureuses. Njal se rendit alors
compte que malgré tout son pouvoir, un pouvoir qui lui avait permis de
vaincre un puissant démon et lui avait valu le titre de Maître des Tempêtes,
il n’était absolument rien aux yeux du Roi Écarlate.
À ce moment-là, et pour un instant seulement, il connut le désespoir et
craignit pour son monde.
CHAPITRE 1
LES MAUX DE FENRIS

Les échos d’un bâton claquant sur le sol en pierre emplissaient les couloirs
silencieux du Croc. Chaque impact résonnait comme un marteau de guerre
et emplissait le vide de bruits sourds. Place forte creusée à flanc de
montagne, le monastère-forteresse avait accueilli dans le passé des dizaines
de milliers de Space Wolves. Il n’en hébergeait plus désormais que
quelques-uns. Les grands halls qui avaient retenti d’éclats de voix
tonitruants fêtant leurs victoires, et de rares lamentations sourdes de défaite,
absorbaient maintenant le bruit par toute leur étendue. Des centaines de
bannières étaient accrochées aux poutres et des frises décoraient les murs,
étouffant le bruit du métal sur la pierre. Des tranchoirs et des tables, longues
chacune d’une centaine de mètres, attendaient des convives qui ne
reviendraient jamais. Les bancs, et les hautes chaises des seigneurs loups,
polis par dix millénaires à recevoir les plus grands héros de l’Imperium,
étaient maintenant abandonnés.
Le nouvel arrivant passa devant les dortoirs, désormais vides, où les Fils
de Russ s’étaient reposés avant la bataille dix mille années durant. La seule
trace de leur occupation était les runes gravées dans les cadres des
couchettes et les murs nus : fanfaronnades d’accomplissements passés et à
venir, vers de sagas inachevées, blagues subtiles ou graveleuses, visant
ennemis comme maîtres, et, enfin, des hommages dédiés au Père-de-Tout,
l’Empereur-Dieu de l’Humanité, et à Russ et aux Loups Suprêmes qui lui
succédèrent. Tout cela était inscrit en runes fenrissiennes anguleuses,
jalonnant chaque salle comme un prédateur marque son territoire.
L’intérieur n’était pas le seul endroit désert. Il leva son regard psychique
vers les hauts remparts vides, là où le vent glacé hurlait sur la pierre nue et
rognait des défenses qui n’avaient pas été brisées depuis qu’elles avaient été
mises en place, à l’aube de l’Imperium de l’Humanité. Des tourelles de tir
grinçaient et vibraient, leurs mouvements régis par les impulsions neurales
de servitors à moitié conscients, asservis à leur canon, des carcasses d’âmes
incapables de pensées autonomes et inconscientes de la désolation qui les
entourait. Des murs dessinaient des cicatrices de plusieurs kilomètres sur les
imposantes pentes de l’enceinte extérieure du Croc et découpaient de
longues lignes sombres sur les flancs enneigés de la montagne creuse.
Le heurt du bâton s’accompagnait des pas étouffés de pieds souplement
bottés, une allure étonnamment légère au vu de la taille de l’homme qui
marchait. Il était large d’épaules, comme tous les space marines, et faisait
une tête et demie de plus qu’un homme normal. Des lanières de peau tannée
lui enserraient les chevilles. De la vapeur s’élevait de son manteau de
fourrure et de la barbe brune hirsute qui pendait de son menton et de ses
joues. Le givre s’évaporait peu à peu tandis qu’il avançait le long des
coursives et galeries, et laissait derrière lui des flaques et des empreintes de
pieds humides.
Il avait la mâchoire carrée et un large nez épaté comme celui d’un taureau.
Ses yeux ardoise aux éclats verts regardaient droit devant lui et ses sourcils
broussailleux étaient froncés d’inquiétude. La pointe de ses incisives
supérieures dépassait de ses lèvres, la taille de ses crocs indiquait son âge
avancé.
Son bâton était noir, gravé de runes qui brillaient comme le feu d’une
forge. À son sommet était juché le crâne poli d’un loup-blizzard, son totem
personnel. Sur son épaule se tenait un oiseau noir. L’un de ses yeux, qui
luisait d’implants, et les câbles saillants de sa chair trahissaient sa nature.
Aile-de-Nuit, le psyber-familier du Prêtre des Runes, à la fois son oracle et
une extension de ses sens et de ses pensées. Son œil normal, lui, scintillait
des reflets de lumière qui ricochaient sur la bille d’ébène comme des étoiles
filantes sur un ciel noir.
Sa marche solitaire le conduisit devant les grandes portes du Hall Royal.
Elles étaient fermées par d’immenses barres en frêne de haute montagne
enserré dans du plastacier doré et renforcé par des rivets de la taille du
poing d’un d’homme. Des runes argentées avaient été incrustées dans le
bois, porteuses d’un avertissement très simple :
Amis, soyez pour toujours les bienvenus. Ennemis, soyez à jamais maudits.
Deux gardes se tenaient de part et d’autre des poignées de fer, constituées
d’une paire de grands anneaux, représentant chacun le serpent-monde se
mordant la queue. Les gardiens de la porte étaient revêtus des plates
monstrueusement imposantes de l’armure tactique Dreadnought : deux
guerriers de la garde personnelle du loup suprême. Ces armures étaient
peintes en bleu et gris, les couleurs du Chapitre, marquées des symboles de
leur Grande Compagnie, de leur escouade et de leurs propres ornements.
Chacun portait plusieurs talismans et queues de loups : certains insignes de
leurs actions passées, d’autres récompenses et trophées de leurs victoires.
Il s’agissait de vétérans admirés par tout le Chapitre et le Prêtre des Runes
les connaissait bien. À droite, Alrik Tente-le-Sort, sa paire de griffes prête,
mais non activée, l’expression de son visage dissimulée sous son casque. À
gauche se tenait Sven Heaume-Fendu, son marteau Tonnerre dressé pour
barrer le passage, la croix de son bouclier Tempête placée devant son corps.
Il ne portait aucun casque, et la vieille cicatrice qui lui barrait l’œil droit,
courant de sa pommette à son front, était pâle sur son visage tanné.
— Je requiers une audience auprès du Loup Suprême, clama le visiteur.
Sa voix était calme, mais puissante, et il parlait avec l’assurance que lui
conférait son autorité.
— Alors, prononce les mots d’alliance, et tu pourras passer, répondit Alrik.
— Aett-skald. Il murmura le code, son regard passant d’un garde à l’autre.
Une telle information pourrait facilement se voir extraite de l’esprit par
quelqu’un d’autre.
— Logan a besoin d’une meilleure sécurité, s’il pense qu’un simple mot de
passe pourrait empêcher un ennemi d’entrer dans ses quartiers.
— Un problème que nous avons soulevé auprès du Loup Suprême, bien
sûr, dit Sven, écartant son marteau dans un crissement de servomoteurs.
Mais qui, à part les Prêtres des Runes, pourrait nous garder contre les
démons ? Tu nous as manqué, Seigneur des Runes. J’espère que ton voyage
dans les glaces s’est révélé fructueux.
Alrik se tourna et fit signe à un amas de lentilles qui les observait depuis le
linteau au-dessus de la porte. Les mécanismes de la sentinelle cliquetèrent
et bourdonnèrent tandis que le servitor lié à l’entrée accédait à ses
protocoles et étudiait le nouveau venu pour tirer ses propres conclusions.
Plusieurs secondes passèrent avant que le lourd claquement de loquets
manoeuvrant annonce que tout avait été trouvé en règle.
Les portes pivotèrent vers l’intérieur dans un grincement d’engrenages et
laissèrent voir le Hall Royal dans toute sa splendeur. Le visiteur regarda
Alrik faire un pas à l’intérieur et annoncer son arrivée à travers
l’amplificateur de son armure de guerre.
— Un seigneur du Croc est de retour, loup suprême. L’Ouragan en
Marche, Njal des Tempêtes !
Un blizzard faisait rage sur les contreforts du fjord, les volutes de neiges
presque à l’horizontale sous l’assaut des bourrasques qui les poussaient
dans la vallée. Indifférent à la tempête, Arjac, que ses frères connaissaient
sous le nom de Poing de Pierre, se frayait un chemin dans la tourmente. Sa
carrure déjà considérable avait été amplifiée jusqu’au physique surhumain
d’un space marine grâce au génogerme Canis Helix. Dans son armure
tactique Dreadnought, faite de larges plates de guerre conçues pour résister
à des tirs de plasma et au vide glacial de l’espace, il ne remarquait même
pas le vent furieux et la glace qui auraient emporté le plus fort des hommes.
Il suivit un chemin presque invisible pour descendre la côte nord,
louvoyant entre les roches couvertes de neige, se frayant un chemin au
milieu de crevasses glaciaires qui auraient pu avaler des tanks. La silhouette
de pauvres hères se détachait dans la neige de part et d’autre du chemin. Çà
et là, un visage déformé par un rictus, ou bien une main tendue brisaient le
blanc manteau. Il croisa des morts en quantité, gelés sur place, là où ils
étaient tombés. Certains avaient été terrassés par les éléments alors qu’ils
tentaient de ramper chez eux, mais la plupart avaient connu une mort
violente. Leurs tripes pendaient hors de leur corps et leurs artères s’étaient
vidées de leurs dernières gouttes de vie sur la neige indifférente.
De sporadiques bouffées de fumée s’élevaient du fjord et Arjac vit des
bûches calcinées saillir de la glace qui s’était refermée sur la mer : des
restes de bateaux-bûchers, plusieurs douzaines. Ceux qui libéraient encore
de la fumée ne pouvaient pas avoir été allumés très longtemps avant le
début de la tempête, leurs flammes auraient sinon été soufflées par le
blizzard. Il pouvait les apercevoir non loin de la vague frontière entre terre
et mer, posés sur de grands traîneaux parce qu’aucune quille n’aurait pu
briser cette glace. Les cadavres avaient été empilés comme du petit bois sur
les ponts. Jeunes et vieux. Hommes et femmes.
Un grand village de longues maisons s’étalait sur les berges du fleuve, à
l’entrée du fjord, mais seules quelques silhouettes enroulées de fourrures
attendaient dans le port. Les derniers habitants d’Elsinholm.
La neige s’était calmée quand Arjac arriva enfin dans le hameau. Il passa
devant des habitations vides, aux toits tendus de peau de kraken, aux murs
en pierre et d’enduit gelé dressés entre les os de bêtes géantes des abysses.
Les indices de chasse au kraken étaient partout, des épieux à dépecer
abandonnés et gelés dans leurs râteliers sur les quais jusqu’à la gigantesque
voie de traînage au centre du village, où les monstrueuses prises étaient
découpées et réparties entre les habitants.
On l’apostropha : un des endeuillés qui se tenaient au bord de la glace
l’avait remarqué ; quelques secondes plus tard, les personnes réunies sur le
port remontèrent précipitamment la ruelle de terre gelée, remerciant les
dieux et les guerriers célestes.
Ils retrouvèrent leur sens du protocole en se rapprochant d’Arjac. La foule
ralentit, son enthousiasme soudain émoussé, la plupart d’entre eux
s’arrêtant même à bonne distance, et seule une poignée osa s’approcher
davantage. Ces gens avaient l’air hagard, ils étaient en majorité d’un âge
avancé, bien qu’il y ait eu quelques hommes et femmes plus jeunes çà et là.
Leurs visages étaient tendus par le froid et la faim. Ils regardèrent le
terminator Space Wolf avec un mélange d’espoir et de résignation.
L’un d’entre eux, de toute évidence l’ancien du village, dont le Loup
Suprême lui avait dit qu’il s’appelait Rangvaldr, se détacha du groupe pour
s’avancer. Il lui adressa un signe de bienvenue d’une main à trois doigts. Le
sommet de la tête du aettjarl n’atteignait qu’à peine le symbole de loup sur
le plastron d’Arjac, mais il redressa la tête pour regarder le gigantesque
guerrier dans les yeux. Son regard ne manquait pas de courage.
— Bénis soient les fils du Roi Loup. Notre message a été entendu, dit le
chef du village.
— Le Loup Suprême entend et voit tout ce qui se passe en son domaine.
Arjac fit un signe de tête en direction des bateaux-bûchers, puis jeta un
regard vers le chemin de cadavres au-dessus du village.
— Combien ?
— Trois cent quatre, répondit Rangvaldr avec tristesse. Du fait de
l’invasion. Nous ne les avions même pas tous retrouvés avant le dernier
désastre, qui nous en a arraché quarante-deux de plus.
— Votre message parlait d’une bête des hauteurs venue attaquer les vôtres.
— Oui. Un dragon de glace et de fureur. Il nous arrive la nuit. Il reste déjà
si peu d’entre-nous pour nous battre, et pas de quoi armer un navire quand
le dégel sera là. La lumière est son seul point faible, mais les longues nuits
se rapprochent. Si cette bête nous prend encore quelqu’un…
— Où sont les autres ? intervint une femme âgée depuis la foule.
Ses doigts émaciés agrippaient un châle miteux posé sur sa tête et ses
épaules.
— Pourquoi n’êtes-vous pas sur un chariot de fer qui vole ? demanda une
autre, peut-être sa fille, si l’on se fiait à leurs traits communs.
Des boucles brunes émergeaient de sa capuche doublée de fourrure et une
plaie fraîche marquait sa joue tannée.
— Silence, Magnhild, intima Rangvaldr à la vieille femme, avec un regard
noir.
Il tourna alors son agacement vers la plus jeune des deux.
— Garde tes questions, Tyra.
— Non, rétorqua la fille.
Elle traversa la rue à grandes enjambées, mais ses yeux ne se posèrent pas
sur Arjac. Quand elle s’adressa à lui, son regard sembla fixé sur le symbole
de griffe d’ours sur sa jambière gauche.
— Guerrier, nous sommes reconnaissants de votre venue, mais nous avons
besoin de protection. Quand le Loup Suprême va-t-il envoyer les autres ?
— Il n’y aura personne d’autre, répondit Arjac.
Les villageois accueillirent cette déclaration avec des froncements plus
marqués et des hoquets de surprise, mais personne n’émit la moindre
plainte.
— Les Fils de Russ font face à de nombreuses difficultés et les serviteurs
du Père-de-Tout nous appellent depuis l’autre côté du pont des cieux.
— Nous avons donné nos fils et nos filles à la guerre contre les wyrdkine
et les felhird, et une bête laissée par cette bataille-là s’acharne encore sur
nous ! s’exclama Magnhild. Tout ce que nous avons demandé, c’est que le
Loup Suprême nous envoie des guerriers pour nous protéger de cette
terrible ombre de la guerre.
— Ceci est le Marteau à Ennemis, leur dit Arjac en brandissant son
marteau Tonnerre surdimensionné.
Des étincelles d’énergie auréolèrent la tête de l’arme quand il pressa la
rune pour l’activer.
— Il peut briser une forteresse de la plus infime des caresses.
Il leva son bouclier Tempête, tout aussi massif. Son umbo, forgé dans
l’insigne en croix d’un terminator, avec un crâne en son centre, chatoyait
d’un éclat bleu.
— Voici le Bouclier Enclume. Il repousse des tirs qui peuvent briser des
montagnes.
Il avança d’un pas, dominant Tyra de toute sa hauteur.
— Regarde-moi, mon enfant, demanda-t-il avec douceur.
Il exsudait une confiance qui brûlait comme un feu de cheminée capable
de réchauffer le plus mordant des froids. La timidité de Tyra fondit comme
la glace dans sa barbe. Hésitante, elle leva la tête, ses yeux d’un émeraude
saisissant dans son visage coloré par le soleil. Arjac sourit, ses longues
incisives pressèrent sur sa lèvre inférieure.
— Vous avez une bête à terrasser, leur dit-il, tournant son attention vers les
autres. C’est pourquoi le Loup Suprême m’a envoyé, moi.
L’Imperium comptait bien des héros, morts ou vivants. Certains étaient
dignes d’un tel titre, d’autre avaient été reconstruits comme tel par
l’Histoire. N’importe quel historiographe, prêtre, commandeur impérial ou
simple citoyen qui rencontrait Logan Grimnar ne doutait pas un instant
d’être en présence d’un véritable héros de l’Imperium. Force, calme et
assurance émanaient du Loup Suprême. Ses mouvements étaient amples,
incarnant vigueur et maîtrise. Son regard était toujours empreint de respect,
son port reflétait l’intelligence et la réflexion, tandis que ceux qui le
voyaient sur le champ de bataille étaient témoins d’une sauvagerie, d’une
brutalité et d’une violence que rien ne pouvait endiguer.
Njal entra dans le hall et vit que Logan portait son armure Terminator,
couverte de torques runiques et de totems de loups. La tête et la peau de
Griffe-d’enfer étaient accrochées à son dos : les prêtres-loups contaient
souvent les exploits du Loup Suprême qui avait traqué et terrassé le massif
loup-tonnerre lors des épreuves subies pour devenir l’un des héritiers les
plus admirés du Roi Loup. Quelques pas derrière lui, un thrall, vêtu d’un
épais pourpoint et de hauts de chausses gris, portait le casque du maître du
chapitre. Il caressait d’une main distraite le vénéré artéfact comme s’il
s’agissait d’une entité vivante dont il apaisait l’esprit. Le visage de Logan,
encadré par des cheveux qui tiraient désormais plus sur le gris que le noir,
exprimait un intérêt étudié pour ses compagnons.
Près de lui, un autre thrall tenait la Hache Morkai, authentique célébration
des victoires de Logan contre l’obscurité sur la planète Armageddon. Pour
un observateur dépourvu de capacités psychiques, l’arme ressemblait à une
hache double avec des lames rouges argentées, rattachées au manche par
des jointures forgées pour ressembler à Morkai, le loup de mort.
Pour la vision wyrd de Njal, les symboles de protection runiques gravés
sur l’arme brillaient comme des brasiers. La soif de sang de la hache se
tordait et s’enroulait dans la lame, retenue par des onctions d’eau tirée des
glaciers polaires de Fenris et l’art runique du Maître des Tempêtes, afin
qu’elle serve désormais les guerriers du Père-de-Tout comme elle avait jadis
occis Ses serviteurs.
Njal vit en lui un compagnon de plusieurs décennies, le socle sur lequel les
Space Wolves s’étaient appuyés durant les derniers siècles. Il n’avait nul
besoin de talents psychiques pour lire le poids que son seigneur portait sur
les épaules, en dépit des efforts de Logan pour cacher le fardeau que
représentaient les récentes années de malheurs et catastrophes. Il se tenait à
côté du trône, aussi droit et inflexible que le Croc lui-même tandis qu’il
s’adressait à un petit groupe de space marines et d’humains ordinaires.
Ceux avec qui il conversait ne pouvaient avoir remarqué que quelque chose
n’allait pas, mais pour Njal, l’accent particulier d’un occasionnel
froncement de sourcils, l’infime retard dans une réponse ou un geste, et la
grimace à moitié visible derrière chacune des réponses de Logan, tout cela
trahissait l’impact que les dernières années avaient eu sur lui.
Le rôle de Loup Suprême n’était pas une tâche facile, même pour le plus
fort et le plus courageux des fils de Fenris. Mais assumer ce rôle lorsque
Magnus le Rouge avait libéré une guerre dévastatrice sur leur monde natal
était une épreuve dont bien peu seraient sortis victorieux. Être à la hauteur
d’un tel titre, quand les invasions des sombres puissances avaient ouvert la
Grande Faille et que la légion du Fléau avait été libre de parcourir la
galaxie, c’était diriger dans une période d’un péril comme on n’en avait
plus connu depuis la catastrophe de la Nuit-d’hiver, quand Horus s’était
dressé contre le Père-de-Tout. L’Imperium était au bord de la destruction,
tout comme Fenris elle-même. Ses forces combattantes étaient poussées à la
limite de leur capacité, sur le point de se faire déborder. Ses alliances, des
pactes et des décrets honorés depuis des millénaires, brisés par les
machinations de démons et de traîtres.
Oui, Logan avait bien des raisons d’être épuisé, mais il aurait été le dernier
à admettre que cela l’affectait.
Le Loup Suprême ne se tourna pas vers lui quand Njal entra, son attention
dévolue à ceux qui l’entouraient. Njal connaissait bien deux de ces space
marines, car il s’agissait de Space Wolves, de la garde personnelle de
Logan.
Il y en avait un troisième, revêtu de l’armure bleue et des insignes du
chapitre des Ultramarines. L’étranger ou, comme l’auraient appelé les
Fenrissiens, l’utlander, était un géant parmi les géants. Logan Grimnar en
armure de bataille complète était loin d’être une vision insignifiante, mais le
fils de Macragge qui se tenait à ses côtés en imposait plus encore.
Il s’agissait du lieutenant Arlandus Castallor et il faisait partie d’une
nouvelle lignée de guerriers : les space marines Primaris. L’armure qu’il
portait était à sa mesure. Tout comme ses modifications génétiques, elle
était le résultat de dix mille ans de conception secrète. Castallor avait été
envoyé ici, depuis les rivages lointains par-delà les tumultueuses vagues du
warp, par nul autre que Roboute Guilliman en personne, le Primarque
revenu des mâchoires de la mort. C’était l’arrivée de Castallor et la nouvelle
du retour de Guilliman qui avaient poussé Njal à entreprendre son
expédition dans les glaces afin de pouvoir être guidé par une quête de
vision.
En dépit de toute sa masse et de son rang, cependant, Castallor n’avait pas
la présence du Loup Suprême. La taille ne pouvait à elle seule remplacer
des siècles d’expérience, et l’équipement n’était rien face au charisme et la
majesté. L’attitude et l’expression du lieutenant Ultramarine étaient
déférentes envers Grimnar, et même s’il aurait eu le titre de vétéran parmi
des guerriers à l’espérance de vie ordinaire, il y avait quelque chose de naïf
et déplacé dans son visage.
Logan avait accueilli l’émissaire comme il l’aurait fait pour tout le monde
et comme il l’avait d’ailleurs fait pour plusieurs unités de frères Primaris
qui avaient été envoyés par Castallor pour renforcer les rangs des Space
Wolves.
Mais quelque chose chez ces nouveaux guerriers ne passait pas auprès de
Njal et d’autres anciens du Chapitre. Ces recrues étaient éloignées d’un
degré supplémentaire de ceux qu’ils protégeaient et Grimnar avait, en privé,
confié sa crainte de voir à nouveau les Space Wolves se retrouver dans la
position de devoir contenir les ambitions de leurs Chapitres frères.
Quant aux humains, Njal ne les connaissait pas. Ils étaient arrivés après
qu’il ait quitté le Croc. Leurs uniformes et robes lui permirent de déduire
qu’il s’agissait d’un haut gradé de l’Astra Militarum, d’un gardien de la
dîme du Departmento Munitorum et d’un astropathe rattaché à la marine
Impériale.
— … orks ont saisi cette opportunité pour envahir trois systèmes
planétaires pendant que nous sommes assaillis à Gathalamor, expliquait le
commandant de la Garde Impériale.
— Les orks sont des opportunistes, répliqua le Loup Suprême. Il n’y a
aucune stratégie derrière leurs conquêtes, seulement la soif du combat. Les
Space Wolves ne peuvent pas aller étouffer la moindre menace dès qu’un
xenos montre son horrible tête. Au final, nous obtiendrons justice. Une
guerre à la fois. Gathalamor doit être défendue en priorité.
— Je suis certain que l’Adeptus Mechanicus dispose d’une ou deux
légions titaniques qu’ils pourraient envoyer pour régler leur compte aux
peaux-vertes, expliqua Logan avec patience.
Njal ne leur prêta guère d’attention. Il n’avait pas besoin de connaître les
détails de leur conversation. Il pouvait deviner, à voir le regret qui
obscurcissait de temps à autre le visage de Logan, qu’ils insistaient pour lui
demander de l’aide d’une façon ou d’une autre. Une aide que les Space
Wolves auraient de toute façon été dans l’incapacité de leur fournir,
accaparés comme ils l’étaient déjà, bien au-delà de leurs devoirs et
campagnes habituels.
Tandis qu’il observait Logan, le Prêtre des Runes étudiait également son
environnement à travers le regard augmenté d’Aile-de-Nuit.
Sur son épaule, Aile-de-Nuit, le psyber-corbeau regarda tout autour de lui
et saisit l’immensité du Hall Royal. Ce n’était pas l’espace le plus vaste de
la forteresse, plus petit que le Hall du Loup Suprême, où le Chapitre tout
entier pouvait se rassembler aisément, et il était même minuscule par
rapport à certains champs de tir souterrains, longs de plusieurs kilomètres,
que les Longs Crocs utilisaient pour leurs simulations de combat antichars.
Il n’en restait pas moins un lieu impressionnant, recréant par tradition le
long hall dans lequel Russ lui-même avait grandi, mais à une échelle bien
plus vaste.
Il était plus long que large, presque cinq cents mètres sur deux cents, avec
un plafond haut de trente mètres, supporté par trois douzaines de piliers
sculptés pour ressembler à ces grands chênes de fer si prisés par les
charpentiers fenrissiens. Des corbeaux et des chouettes des neiges gravés
observaient la pièce depuis les branches, et des hermines s’agrippaient aux
troncs rainurés et se blottissaient sur les nœuds du bois. Les arbres eux-
mêmes avaient des sortes de visages, représentés comme ceux des géants
ygdras des légendes fenrissiennes. Ils contemplaient la scène devant eux
avec diverses expressions : bienveillance, malice et hostilité. Entre leurs
feuillages ciselés scintillait un plafond de pierre gravé pour rendre la texture
du chaume, chaque brin de paille représenté dans les moindres détails et
doré à la feuille. Là encore se nichaient des sculptures de créatures réelles
comme fantastiques : des félins aux oreilles touffues y chassaient des souris
et des rats tandis que des aelfkid tressaient des wyrdleif protectrices et des
runes d’hospitalité.
Le sol était en ferrobéton coulé, mais façonné en de milliers de pavés
irréguliers, l’espace entre les colonnes creusé de trois énormes foyers dans
le sol. Ils ne contenaient que des braises, la lumière provenait des centaines
de lumibandes, accrochées aux rameaux des arbres artificiels et qui
figuraient les lampes tempête que l’on trouvait à la proue des bateaux-loups
fenrissiens.
Quelques bancs et chaises étaient regroupés et disposés d’une manière
stratégique à différents endroits, créant l’illusion de recoins isolés où on
pourrait avoir une conversation privée en dépit de la taille de l’endroit. Il
s’agissait d’un espace pour discuter et réfléchir, pour coopérer et partager,
contrairement au Hall du Loup Suprême qui servait à mettre en scène la
grandeur et l’autorité.
En dépit de ses dimensions, le hall était bâtit pour laisser le sentiment
d’humbles ressources, les soigneux artifices de l’architecte et des artisans se
rejoignant pour créer l’illusion d’un monde primaire aux habitants primitifs,
mais construit avec toute l’ingéniosité et la technologie du vaste Imperium.
C’était, comme tant de choses chez les Space Wolves, un vernis de barbarie
et d’ignorance qui servait à masquer un état d’esprit bien plus sophistiqué
que ce que leur supposait la plupart des étrangers. Une illusion charmeuse
comme ceux que les wyrdmidons de la légende utilisaient pour attirer les
pêcheurs à leur mort, cachant les roches mortelles sous l’aspect innocent
d’une côte sablonneuse.
Il n’était guère surprenant que Logan ait choisi de recevoir ses requérants
ici, loin de l’ascèse oppressante du Hall du Loup Suprême, dans un lieu où
rien ne rappelait l’armée ou l’Imperium. Le pouvoir des Space Wolves y
était tamisé, ce qui permettait de calmer à la fois les peurs et les attentes de
ses visiteurs.
Le Maître des Tempêtes s’arrêta à quelques pas et attendit patiemment que
Logan finisse sa discussion. Le Loup Suprême y mit fin en indiquant
qu’elle reprendrait plus tard, et avec des mots et une expression rassurants il
congédia les autres, les faisant escorter par Alrik et Sven. Quand le dernier
eut franchi la porte du Hall Royal, Logan tourna enfin l’œil vers Njal.
— On dirait que tu as froid, dit le Loup Suprême.
Njal sourit à la plaisanterie, son inquiétude quant à la santé et à l’état
d’esprit de Logan s’évaporèrent face à ce simple moment d’humour. Quelle
que fut la peine qui étreignait le cœur du Loup Suprême, son corps et son
esprit restaient toujours aussi acérés.
L’expression de Logan se fit sérieuse.
— Ta quête de vision fut-elle un succès ? As-tu trouvé ce que tu cherchais
?
— J’ai découvert bien des choses, mais rien de ce que je cherchais,
répondit Njal. Le gel a été tardif cette année, et les ours des glaces se terrent
dans leurs grottes. Les krakens se sont retranchés au plus profond des
abysses et les dents-de-charogne ne nichent que dans les plus hautes forêts.
Des trolls rôdent en meutes, en nombres encore jamais vus. Leur affligeante
cacophonie résonne désormais dans des vallées où le bruit de l’honnête
travail se faisait jadis entendre. La souillure laissée par Magnus et les siens
entache encore nos neiges, et nous ne la verrons peut-être pas s’effacer de
notre vivant.
— Nous savions déjà tout cela. Tu es parti dans l’espoir d’être guidé par le
Père-de-Tout, pour trouver des réponses dans l’esprit de Fenris. J’ai appris
bien des choses de notre ambassadeur de Macragge, à propos du
rétablissement de l’ordre dans cette galaxie brisée et des plans de son
Primarque.
— Voulait-il que tu prêtes serment ? demanda Njal vivement. Lord
Guilliman souhaite-t-il notre allégeance ?
— Il a eu la sagesse de ne pas le demander, répondit Logan. Bien que je ne
doute pas que le Primarque se considère notre commandant. On prétend
qu’il s’est présenté devant le Père-de-Tout en personne et s’est vu béni
d’une audience.
— Les présages n’ont pas changé, souffla Njal. La tempête éclate partout.
Cela, tu le sais déjà. Le retour de la Treizième, la colère de Magnus, la
Grande Faille… Tout cela fait partie d’un même dessein. Une lune de sang,
la gueule rougie. La guerre, Logan. Une guerre comme l’Imperium n’en a
pas connu depuis des millénaires. Une guerre qui pourrait ne jamais se finir,
car telle est la volonté des forces obscures.
— Mais quoi d’autre ? demanda Logan en se rapprochant, et son insistance
se dégagea de lui en vagues brûlantes. L’Œil s’est ouvert. Qu’en est-il du
Roi Loup ?
Njal ne répondit pas immédiatement, affligé par ce qu’il perçut comme du
désespoir dans le regard de son suzerain. Le Loup Suprême comprit ce que
signifiait ce silence et se renfrogna.
— Aucun signe ?
— Aucun, Seigneur. Il y a des troubles, des tempêtes à travers lesquels
même moi je ne peux voir. Malgré tout, j’ai vu un gisant dormant dans la
roche, et une tornade blanche montée sur un chariot de foudre. Une ombre
se dresse à l’appel des messagers du Père-de-Tout, une ombre qui frappe de
l’intérieur. Les maudits tournent leur attention maléfique vers notre monde :
le Dévoreur de Mondes, le Roi Pestiféré et le Fils Illégitime marchent à
nouveau. Nous avons déjà vu le Monstre Cyclopéen. Même le Doré a
détourné les yeux de l’Empyrée à nouveau. J’ai ressenti son regard comme
une brûlure à l’âme. Mais rien quant aux fils de Fenris. Bien que la
Treizième soit revenue et que l’Œil se soit ouvert, je n’ai rien vu du retour
de Leman Russ.
Logan sembla s’affaisser, si une telle chose était seulement possible dans
une armure Terminator. Ses yeux se tournèrent vers le sol de pierre et il
poussa un profond soupir.
— Nous devrions être reconnaissants, Logan, continua Njal. Notre roi-père
a juré de revenir au Temps du Loup, la fin du monde. Il viendra pour la
bataille finale, cela a été prédit. Qu’il ne nous soit pas revenu signifie donc
qu’il reste de l’espoir. Mince, mais un espoir. Si nous entendons le
hurlement du Roi Loup, alors nous connaîtrons la mort, cela sera la
lamentation du Père-de-Tout et de tous ceux qui le suivent.
— Je suppose que tu as raison, admit Logan. Peut-être était-ce vaniteux de
croire que si l’un revenait… Cela n’importe en rien. Il n’est pas revenu,
mais nous, nous sommes toujours là, et c’est ce qui compte.
— Il semble que la plupart ne soient pas là… Njal regarda autour de lui
d’un air entendu, bien qu’il fut clair que son commentaire visait tout le
Croc. Ces halls sont rarement pleins, et seuls des fantômes parcourent ces
murs en ce moment.
— Il ne reste que peu de guerriers, répondit Logan. Quelques blessés
convalescents, des Griffes Sanglantes en entraînement initial, de vénérables
soldats qui sommeillent. Quelques escouades des Grandes Compagnies qui
sont rentrées après le départ de leur seigneur loup. Il n’y a pas de long jour
qui passe sans que les astropathes ne nous rapportent un nouvel appel à
l’aide.
— Le recrutement ?
— Il se poursuit. Mais nous ne pouvons pas tirer du sang des pierres. Des
douzaines de tribus ont succombé à la colère de Magnus, et les purges du
Grand Maître Aurikon ont encore clairsemé leurs rangs. Il n’y a aucun
intérêt à prendre ceux qui ne passeront pas les épreuves, ni à baisser nos
critères. Nous sommes en plein rétablissement, mais c’est un long
processus, Njal.
— Qu’en est-il des nouveaux venus ?
— Les marines Primaris ? Logan se pinça les lèvres, réfléchissant
sérieusement à la question. Exemplaires. Ils se battent comme on pourrait
s’y attendre. Certaines de nos campagnes auraient tourné au pire sans leur
présence.
— Mais…
— Qui peut dire ce que les manipulations de Cawl sur la souche génétique
ont pu faire au Canis Helix ? Grimnar baissa la voix, pour murmurer sur le
ton de la confidence. La malédiction du wulfen existe toujours, mais les
Primaris y sont-ils plus résistants, ou plus sensibles ?
Le Maître des Tempêtes hocha la tête.
— Et en ces temps troublés, comment cela se fait-il que le loup suprême
reste assis sur son trône ?
— Pas pour très longtemps, répliqua Logan d’un ton sinistre. Tu as vu mes
nouveaux hôtes. L’adjudant-colonel Mastroshka et ses compagnons sont en
route vers le secteur Gasai. Des orks. Comme si les puissances infernales et
leurs serviteurs n’étaient pas déjà une tragédie suffisante. Les peaux-vertes
se sentent en position de s’en prendre aux royaumes du Père-de-Tout.
— Et vas-tu répondre à cet appel ?
— Mes Loups de Nuit absents reviennent victorieux de Gehenna à
l’instant où nous parlons. Je prends un vaisseau dans quelques jours pour
les retrouver en bordure du système.
— Sans même le temps de se ravitailler ?
— Non, je prendrai ce que je pourrai avec moi, mais l’armurerie tourne
déjà à plein régime et notre arsenal est malgré tout presque vide. Si
l’intention de nos ennemis est de nous saigner à blanc, ils y arrivent plutôt
bien.
Njal assimila cette information sans faire de commentaire, tandis que
Logan levait vers lui un regard expectitatif. Le Maître des Tempêtes mit
quelques secondes à comprendre ce que son seigneur se refusait à
demander. Non par manque d’autorité, mais parce qu’il respectait le statut
de Njal.
— Bien sûr, je me battrai aux côtés du loup suprême, annonça le Prêtre des
Runes.
Logan hocha la tête, heureux de l’entendre, et les signes d’inquiétude sur
son front s’estompèrent légèrement.
— D’autres sont là qui veulent s’entretenir avec moi, Njal, dit-il, en jetant
un œil derrière son épaule.
Le Maître des Tempêtes tourna discrètement la tête et vit un attroupement
d’hommes et de femmes en tenue fenrissienne traditionnelle. Leurs yeux
parcouraient leur environnement avec crainte et admiration. Les doigts
serrés nerveusement sur des amulettes et des fétiches, leurs regards se
posèrent sur les deux seigneurs du Croc. Njal pouvait sentir l’espoir qui
émanait d’eux, un espoir qui ne pouvait naître que d’un besoin des plus
impératifs. Il n’aimait pas cette odeur. C’était une présence écœurante dans
ses pensées, si peu familière sur Fenris.
Les anciens de la tribu se recroquevillèrent, frissonnèrent et murmurèrent
entre eux. Njal se rendit compte qu’il avait montré les crocs, non aux
Fenrissiens, mais à l’effroi qui les accablait. Il changea son expression pour
une autre qu’il espérait un peu plus rassurante. Ils ne semblèrent pas
convaincus et il leur tourna le dos afin de les protéger de ses traits si
particuliers.
— Je vais te laisser les civilités, Logan. Redonne-leur de la force. Ces
gens, leur hardiesse et leur capacité à garder courage, sont notre futur. S’ils
perdent foi en notre destinée…
— Je sais.
Les yeux de Logan trahissaient sa préoccupation, mais son expression
restait neutre. Il n’avait probablement même pas conscience de sa maîtrise,
ses talents de diplomate était aussi innés que ceux de chef de guerre.
Le Loup Suprême posa une main sur le bras de Njal. C’était un geste de
solidarité, offrant sa force, mais en puisant aussi. Le lien qui unissait un
Space Wolf à un autre, un frère à un frère, un Fenrissien à un compatriote,
était plus profond que n’importe quel serment à l’Imperium. Seul leur
devoir à l’égard du Père-de-Tout pesait plus lourd que leur dévouement
mutuel.
Le crépuscule approchait à grands pas, et avec lui mourait la lumière dont
les elsinholma prétendaient qu’elle était la seule défense contre le dragon de
glace. Déterminés à se débarrasser coûte que coûte de la créature, les
villageois s’étaient armés et avaient accompagné Arjac dans son ascension
vers les cimes au-dessus du fjord, suivant une piste d’arbres brisés et de
congères étrangement sinueuses qui, d’après Tyra, devaient conduire au
repaire du dragon.
— Quelqu’un a-t-il déjà vu la bête ? demanda Arjac alors qu’ils se
regroupaient sur une arête rocheuse qui surplombait l’entrée du fjord.
Quelques mètres plus avant, Tyra indiqua l’est de la pointe en forme de
feuille de sa lance, en direction d’une austère paroi de falaise.
— Elle arrive dans une brume, dit Thorda, dont la respiration mimait ses
propos. C’est de la glace qui coule dans ses veines, c’est moi qui vous le
dit, Guerrier du Ciel.
— J’ai entendu les craquements de sa peau, dit un autre habitant qui
détourna rapidement le regard, honteux. Son souffle bruissait contre les
murs et les carreaux se couvraient de givre à son passage. Je n’ai pas eu le
courage de sortir l’affronter.
Le groupe s’était équipé d’un assortiment d’armes diverses : certaines
prévues pour la guerre, d’autres improvisées à partir des outils de la pêche
au kraken. Malgré son apparente fragilité, Magnhilde portait un long épieu
à dépecer dont la tête incurvée réfléchissait les derniers rayons du soleil qui
disparaissait derrière les monts lointains. D’autres avaient pris des harpons
dentelés sur les quais. Ceux qui n’avaient plus vraiment confiance dans la
force de leurs bras, le pragmatisme l’emportant sur la fierté, s’étaient
confectionné des pavois à partir des planches de leurs épaves. Ce que ces
boucliers de bois étaient censés faire contre le prétendu souffle de glace du
dragon, Arjac n’en était pas sûr, mais les avoir donnait confiance au groupe.
— Donc, non, dit Poing de Pierre. Aucun de nous n’a jamais vu cette
créature.
— C’est pour ça que nous sommes encore en vie, marmonna Rangvaldr.
Arjac ne put le contredire.
Les indications de Tyra les conduisirent sur une étendue plane du glacier, à
environ un demi-kilomètre du pan de falaise, déchiré de larges fissures
noires. De la vapeur s’élevait d’une large crevasse située près du centre de
la fine paroi de glace. Elle était proche du sol et n’arrivait pas au-dessus de
la taille d’un space marine.
Ils s’approchèrent, les habitants d’Elsinholm heureux de le laisser passer le
premier. Arjac se demanda quelle espèce d’adversaire il s’apprêtait à
affronter. L’invasion de Magnus et de ses Thousand Sons avait amené des
ennemis mortels comme immortels sur Fenris, bien que le départ du
Primarque traître eut, pour autant que le Loup Suprême avait pu le
découvrir, fait disparaître ces menaces. Ce qui n’était pas immédiatement
apparu avaient été les dégâts occasionnés à la structure même de Fenris et
aux forces rivales qui contrôlaient son écosystème unique.
Les pertes subies par les tribus avaient eu pour conséquence que les
chasses de la saison du dégel étaient loin d’avoir tué autant de trolls, ours
des glaces et autres terribles prédateurs que d’habitude. En conséquence, la
vermine et les créatures plus faibles avaient quitté leurs territoires pour
infester les réserves de nourriture, emportant le peu qui avait survécu à la
catastrophe. Les monstres les plus gigantesques, dragons et krakens, fyr-ent
et léviathans, semaient la destruction comme bon le leur semblait,
emportant presque autant de vies que la guerre et les purges brutales des
Grey Knights. Des communautés entières avaient été perdues, et le Loup
Suprême s’en était désolé, alors même qu’il envoyait de plus en plus de ses
guerriers hors de la planète pour combattre les menaces naissantes de
l’autre côté des étoiles.
Cela avait été un petit miracle que le messager d’Elsinholm eût survécu à
son voyage jusqu’au Croc, et le Loup Suprême n’avait pu refuser de
répondre à sa supplique. Alors que d’autres avaient simplement abandonné
leurs terres ancestrales, pour autant qu’une telle chose existe dans l’anarchie
tectonique qu’était le cycle orbital erratique de Fenris, ces gens-là étaient
restés pour défendre leurs territoire et mode de vie. Ils étaient un modèle,
avait dit le loup suprême, et sûrement les géniteurs de futurs Space Wolves.
Et de cette dernière remarque, Arjac avait compris la plus grande peur de
Logan Grimnar. Les Space Wolves étaient issus de leur peuple. Si le peuple
venait à mourir, le chapitre en ferait autant. Le Canis Helix était
inextricablement lié au sang fenrissien. Si le chapitre voulait reconstituer
ses pertes, s’il devait y avoir une nouvelle génération de Space Wolves,
alors chaque village, chaque tribu, chaque hameau était aussi précieux
qu’un diamant.
Voilà pourquoi Arjac se retrouvait à se frayer un chemin dans la neige, sur
une plaine glacière des terres désolées du nord pour affronter un dragon de
glace.
— Attendez là, dit-il aux villageois en levant son marteau en signe d’arrêt.
— Nous combattons à vos côtés, insista Tyra, en brandissant son épieu.
— J’ai besoin de place pour manier mon marteau, essaya de plaisanter
Arjac, qui n’avait vraiment pas envie qu’ils risquent leur vie juste pour
gêner son champ d’action. Se tenir à mes côtés, c’est plutôt dangereux.
Leur honneur préservé par ce refus justifié, ceux d’Elsinholm se
contentèrent de le suivre une douzaine de mètres en arrière. Leur visage se
fit de plus en plus apeuré à mesure qu’ils s’avançaient dans la brume.
Le brouillard scintillait, et pas à cause des cristaux de glace en suspension,
comme Arjac l’avait cru de prime abord. Il n’était pas un wyrdjarl, mais
pouvait tout de même percevoir que quelque chose clochait dans le vent
froid. Sur toute autre planète que Fenris, on aurait qualifié un tel
phénomène de contre nature, mais sur les terres désolées et gelées de son
monde natal, le wyrd faisait tout autant partie de la nature que les arbres, les
poissons et les oiseaux.
Ce brouillard avait définitivement quelque chose de malsain, plus que le
miroitement : une trace de sorcellerie.
C’était peut-être cela le pire. Les batailles, les monstres, les champs
dévastés et le sol blessé avaient été des catastrophes, mais Fenris, avec le
temps, pourrait s’en relever. Mais aux quelques endroits où le wyrdsturm
s’était brisé, là où l’on avait fait usage de sorcellerie, la terre que les pas de
Magnus avaient foulée, à ces endroits-là, l’esprit de Fenris avait été
corrompu.
Arjac espérait de tout cœur qu’il s’agissait simplement d’un monstre
touché par le wyrd. Si c’était autre chose… Ils avaient prêté serment, auprès
du grand maître des Grey Knights, de garder secrètes les informations que
les seigneurs de Titan protégeaient jalousement.
Il jeta un coup d’œil derrière lui vers Rangvaldr, Magnhild et les autres.
Son regard se posa sur Tyra et sa chevelure de flammes. Il n’avait vraiment
pas envie d’avoir à les abattre pour le seul crime involontaire d’avoir croisé
la route d’un démon.
CHAPITRE 2
LÉGENDES.

Njal sortit par l’une des portes périphériques et se dirigea vers sa chambre.
Quand il avait évoqué avec Logan les fantômes qui hantaient le Croc, ce
n’était pas par simple emprunt à la prose des sagas. À travers son wyrd, le
monastère-forteresse débordait d’une exceptionnelle activité. Depuis
l’incursion de Magnus le Rouge, la frontière entre le monde matériel et le
warp, sur Fenris, avait été puissamment amoindrie, et le Croc vibrait d’un
pouvoir balbutiant à la limite de la perception.
Le monde des Space Wolves avait toujours occupé un espace
inhabituellement proche de l’Immaterium. C’était cette proximité avec le
royaume des rêves et des cauchemars qui était la source de leur tradition
runique, et peut-être le secret du Canis Helix présent dans la lignée
génétique des Space Wolves, un présent du Père-de-Tout pour repousser les
tentations des dieux obscurs. Njal avait découvert de nombreuses façons de
voir l’univers au cours de ses années avec les Fils de Russ, auprès des
archivistes d’autres chapitres, des psychomanciens de l’Adeptus
Mechanicus et de leurs algorithmes de warp, ainsi que des habitants et
serviteurs de l’Abysse. Mais dans son cœur demeurait le wyrd de sa
jeunesse, le lien inné avec l’essence de l’univers qui constituait la base de
ses pouvoirs. D’autres parlaient d’ouvertures entre les dimensions, ou de
puiser dans un distant réservoir d’énergie. Mais pour Njal, et ceux qui
avaient grandi comme wyrdfulk sur Fenris, leurs talents ne venaient pas
d’ailleurs, mais faisaient partie d’une substance qui les entourait.
C’était ainsi qu’il percevait le Croc à cet instant : la surface entre le
royaume des mortels et celui du divin tendue à la limite de sa résistance. Il
entendait les murmures des serviteurs morts du Père-de-Tout qui se
lamentaient de n’avoir pas pu Le servir et non pas de leur mort lors des
épreuves pour devenir space marine. Les serments non tenus des frères
tombés retentissaient entre ces murs et leur écho emplissait les tours. Des
cris de bataille ou des grondements d’agonie émis de l’autre côté de la
galaxie se réverbéraient dans tous les recoins de la citadelle.
Il avait pu les voir également, à l’occasion, quand les lunes étaient pleines
au-dessus du Croc et que le ciel de Fenris était éclairé d’étoiles qui n’étaient
pas du royaume des mortels. De brefs aperçus dans l’ombre, des morts
émaciés et des glorieux disparus ; de ceux qui avaient péri dans le
déshonneur et de ceux qui avaient donné leur vie avec bravoure.
Et pas seulement des Space Wolves.
Fenris avait vécu plusieurs invasions au cours de sa longue histoire, des
Thousand Sons de Mangus aux fanatiques enragés du Cardinale Bucharis
en passant par nombre d’autres traîtres et forces xenos. Des milliers
d’années s’étaient écoulées depuis leur siège de la forteresse, mais les
esprits déments des Frateris continuaient à hurler et mugir leurs prières à un
faux Empereur-Dieu. Des cantiques blasphématoires des fils de Prospero
étaient gravés dans les murs, les visages des suppliciants dessinés par les
fissures entre les pierres et les traces du millénaire.
Cela n’avait rien de nouveau. La première fois que Njal avait posé le pied
dans l’aett des Space Wolves, il avait ressenti la présence d’antiques morts,
comme si l’édifice avait été construit non seulement comme une forteresse,
mais aussi comme un conduit pour l’âme des disparus. Sous les lumières
dansantes du pôle, le Croc avait aussi miroité d’une lueur venue d’ailleurs,
alimentée par le pouvoir de demi-dieux et de princes immortels.
Ces derniers temps, l’intensité et la fréquence de ces intrusions s’étaient
accrues. Magnus avait poursuivi plus qu’une simple vengeance lors de son
dernier assaut. Sa légion et ses alliés démoniaques avaient peut-être été
chassés de la surface de Fenris, mais ni Njal, ni Logan ni quiconque ayant
la sagesse de voir ne pouvait appeler l’issue de cette bataille une victoire.
Ça avait été en partie pour échapper à ces distractions que Njal s’était
aventuré à travers les étendues sauvages. Il avait cherché à s’éclaircir les
idées dans les monts enneigés, comptant sur l’effort intense de son périple
pour dissiper le brouillard de doute que Magnus avait laissé dans ses
pensées.
Njal avait cherché à se purger, à revenir à l’état de grâce naturel qui lui
avait donné son wyrd.
Et cela avait fonctionné. Sa vision wyrd était devenue plus perçante que
jamais, mais son esprit en sortait lui aussi renforcé et les apparitions qui
hantaient le Croc ne s’introduisaient donc plus dans ses pensées
conscientes. C’était différent dans son sommeil, mais la physiologie dont
l’avait gratifié le Père-de-Tout était, pour ça, un réel avantage qui lui
permettait de se reposer complètement en un simple quart d’heure. Mais
même ce court repos, il se l’était refusé lors de sa quête. Cela faisait très
longtemps qu’il n’avait pas connu ne serait-ce que le demi-sommeil de son
nodule catalepsen.
Ainsi arriva-t-il dans sa chambre, fatigué jusqu’aux os, mais l’esprit
revigoré.
Le souffle d’Arjac formait de longues bouffées vaporeuses et reflétait la
brume qui s’échappait de la grotte. À une centaine de mètres de l’entrée, il
brandit son marteau et son bouclier et avança d’un pas franc, les yeux rivés
sur la crevasse devant lui.
Il avait douloureusement conscience de l’ombre qui s’allongeait dans son
dos à mesure que le soleil disparaissait derrière la plus lointaine extrémité
du fjord. Les ténèbres l’engouffrèrent quand il ne fut plus qu’à une
cinquantaine de mètres de la fissure déchiquetée. Il se mit à courir à petites
foulées afin de rattraper la ligne de démarcation entre ombre et lumière,
mais il était encore à une trentaine de mètres de l’antre de la bête quand la
pénombre projetée par la montagne en atteignit le seuil. La surface
réfléchissante de la glace fut engloutie par la nuit et plongea le plateau dans
l’obscurité.
— Balka, jura Arjac.
Une salve givrante jaillit de la grotte et couvrit l’armure et le bouclier
d’Arjac de givre. Il cligna des yeux, brisa la pellicule blanche juste à temps
pour voir une forme serpentine se glisser au-dehors. Il pouvait déjà voir une
vingtaine de mètres de la vouivre qui rampait sur le plateau gelé, et
pourtant, l’extrémité de sa queue n’était toujours pas visible. Sa tête était
cerclée d’une collerette dentelée, déployée en signe d’agression, tandis que
sa gueule s’ouvrait pour révéler des crocs en stalactites.
Dans son dos, les villageois crièrent de terreur, mais Arjac sentit une vague
de soulagement l’envahir quand la vouivre monstrueuse glissa vers lui.
Ça n’était pas un démon.
— Ce n’est rien, dit-il en jetant un coup d’œil aux villageois qui reculaient.
C’est seulement une vouivre-tempête infectée par le wyrd !
Arjac porta à nouveau son attention sur la créature qui se dressa à dix
mètres au-dessus de lui. Le champion du loup suprême brandit son bouclier,
tout en tenant souplement son marteau de son autre main.
De la vapeur s’échappait par volutes de la gueule du serpent. Elle vint
envelopper Arjac et se cristalliser sur sa peau et la céramite de son armure.
Le museau vint s’écraser sur le Bouclier Enclume. L’impact projeta Arjac
vers l’arrière dans une explosion d’étincelles libérées par le champ de force.
Il atterrit brutalement, sa lourde armure brisa la glace dans un panache
blanc. Le gigantesque serpent s’approcha de lui en balançant la tête.
Avec un hurlement féroce et dans un tourbillon de neige, Tyra le dépassa
au pas de course. D’autres rescapés du village dévasté la suivirent, crachant
les noms d’être aimés comme autant de malédictions, les titres du Père-de-
Tout scandés comme des invocations de protection.
— Non, non, non, grommela Arjac. Il roula sur le côté pour se redresser
sur un genou. Vous allez seulement me gêner !
Les murs des corridors autour des appartements des graveurs de runes
étaient remplis de wyrdwards : des symboles faits en fer, en pierre et en or,
et des runes d’entrave en silex. Leur aspect était grossier, comme les
offrandes barbares des non-initiés aux forces obscures, mais Njal savait
qu’il convenait de ne pas juger ces talismans à leur apparence. Toute chose
avait une présence dans le warp. Les érudits de l’Imperium lui donnaient
bien des noms : l’âme, l’ombre, l’esprit. Pour les bardes runiques, il
s’agissait d’un reflet, d’où les noms poétiques qu’ils donnaient au warp :
l’Autremer, les Eaux dans la Glace, l’Ailleurs Gelé. Comme une réflexion
sur la paroi striée d’un glacier, la projection du matériel dans le warp était
incomplète et même asymétrique. Les touffes de cheveux ensanglantées et
les os gravés, les icônes runiques forgées, plus anciennes que le Croc lui-
même, étaient l’inverse : des interprétations mortelles et imparfaites de purs
concepts du warp. C’était le langage des dieux, retranscrits dans l’écriture
sommaire des hommes, qu’on ne pouvait lire qu’en surface, leur cœur
relevant d’un langage connu seulement des sombres dieux et du Père-de-
Tout. Il s’agissait d’une traduction rudimentaire, comme les tentatives que
faisaient les étrangers pour parler la langue de Fenris, n’entendant et ne
prononçant que les sons âpres du langage, sans percevoir les intonations et
les silences qui adoucissaient les mots.
Dans le warp, le clou trois fois tordu n’était pas une simple attache, mais
un verrou de l’esprit. Le Nœud de l’Éternité, en bandes d’argent tressées
apparemment à l’infini, était un conduit, amassant de la puissance,
siphonnant l’énergie hors d’atteinte de ceux qui auraient voulu s’en emparer
à des fins infâmes. Les fourrures, crocs et griffes étaient tous l’incarnation
de l’esprit de Fenris, la force primale et inexorable de la planète elle-même.
Aux yeux de Njal, alors qu’il approchait de sa chambre, les murs étaient un
arc-en-ciel aux teintes vibrantes, bariolé de haine et d’espoir, d’amour et de
rage.
La porte ressemblait à toutes les autres portes mécaniques que contenait le
Croc, avec pour seule différence la marque gravée dessus à la dague : celle
du Maître des Tempêtes. Sa rune s’illumina d’or en reconnaissant son
créateur, le sang qui avait servi à sceller sa création était un lien qui ne
pouvait être rompu ou falsifié par des moyens profanes. Njal défit
consciencieusement les verrous du portail et la porte s’ouvrit dans un
sifflement.
La pièce était plus vaste que ne le laissait présager l’apparence banale de
sa porte. Njal ne porta aucune attention aux spirales de runes et aux figures
octogonales gravées dans la roche à nue, mais pour un non-initié, cette vue
aurait été déroutante, voire la cause d’une bonne migraine. Au-dessus de lui
se trouvait un plafond cristallin, à peine visible si ce n’était les fines
nervures qui scintillaient dans les lumières des étoiles perçant la couche
supérieure de l’atmosphère de Fenris. Une lumière prismatique dansait dans
la chambre, brisée par des lignes de géométrie wyrdique.
Vers le centre de la pièce, nimbée d’un halo de wyrd, se dressait une
armure tactique Dreadnought, posée sur un large mannequin articulé en
bois, sa céramite bleu-gris ornée de symboles métalliques. Des fourrures et
des queues de loup, des talismans et des wyrdlodes intensifiaient sa
protection psychique. Sur la tête du mannequin, il y avait un ensemble de
fins câbles entrelacés et de connecteurs en cristal : une coiffe psychique.
Aile-de-Nuit quitta l’épaule de Njal quand la porte se referma derrière lui
pour se poser sur la chaise qui faisait face à la cuirasse du Maître des
Tempêtes. Le trône, dont la taille était si imposante que le terme de chaise
ne lui rendait pas justice, était taillé dans une seule pièce de bois. Des
millénaires de vernis et de patine assombrissaient la plupart des délicats
détails sur lesquels son créateur avait de toute évidence passé des jours.
Plus visibles étaient les os pâles encastrés dans le bois sombre. Ceux-ci
suivaient grossièrement la forme de celui qui s’asseyait dessus, fémur et
tibia dans les pieds du trône, les accoudoirs décorés de même et des
vertèbres courant sur le long dossier étroit. Un crâne lupin était installé au
sommet de la structure, juste au-dessus de la position de la tête de
l’occupant, lui faisant comme une couronne ou un halo.
Quand Njal avait vu le siège pour la première fois, il avait cru le squelette
incrusté dans la structure être celui d’un loup-tonnerre, mais un examen
plus poussé lui avait révélé une vérité bien plus grotesque. Le crâne
trahissait des traits humains et les phalanges comportaient un pouce
opposable, contrairement aux pattes d’un loup. Ces os avaient été ceux d’un
humain, ou d’un être apparenté, corrompu par la malédiction du wulfen.
Njal ignorait à qui ses os avaient appartenu, et son prédécesseur en tant que
Seigneur des Runes ne lui avait pas fourni cette information avant de
trouver la mort. Il pouvait néanmoins percevoir le potentiel psychique
accumulé dans les antiques ossements, et il savait d’instinct qu’ils étaient
probablement plus anciens que le trône dans lequel ils avaient été fixés avec
des cercles d’or et des clous de fer à tête fendue. Il semblait au moins
évident que cet individu avait été un grand wyrdthegn des tribus. Peut-être
même s’agissait-il du légendaire Ighest Baldrkin, dont Gnauril l’Ancien
avait vanté les exploits dans ses chroniques.
Peu importait le but de celui qui s’était un jour approprié cette dépouille,
elle servait désormais de point focal pour la configuration de la chambre
runique. Située dans les hauteurs du Croc, la pièce dévolue au Seigneur des
Runes était à l’abri de la lourdeur matérielle de la citadelle et de son
encombrement psychique, à l’image des tours de wyrd de jadis dans les
grandes villes des rois. Tout était assemblé de manière à concentrer les
énergies de la cascade polaire dans cette pièce, et tout spécialement dans
l’esprit de celui qui s’asseyait sur le trône runique.
Njal envoya Aile-de-Nuit se percher sur le support de son armure et
s’assit. Il se vit brièvement prendre place dans la chaise macabre à travers
les yeux de son familier avant de le mettre en veille. Il posa ses mains sur
les bras squelettiques des accoudoirs et s’adossa. Il sentit la présence de la
colonne vertébrale contre la sienne, plus par un effet de son imagination que
par une véritable sensation physique, ses épaisses fourrures protégeant son
dos d’un contact direct avec le trône.
Il ferma les yeux, avec l’intention de méditer plutôt que de dormir.
Cependant, son corps, même avec sa formidable physiologie, était si fourbu
des épreuves traversées dans les terres sauvages qu’il ne se passa pas même
une minute avant qu’il ne sombre dans l’inconscience. La chambre runique
était façonnée pour protéger et étendre les pensées de l’occupant du trône.
C’était là d’ailleurs son but premier. Dormir dans les bras du trône d’os,
c’était laisser son esprit naviguer sur les vagues de l’Autremer, guidé par les
désirs de l’inconscient et libéré des pensées de l’éveil. Njal l’avait utilisé
maintes et maintes fois dans le cadre de sa fonction, mais il était
malheureux, voire inconsidéré, qu’il le fît dans cet état de quasi-épuisement,
cette nuit-là.
Alors que les ultimes vestiges de sa conscience échappaient au Maître des
Tempêtes, sa dernière pensée fut pour le désir de Logan de voir le retour du
Roi Loup, qui se manifesta dans son esprit à travers le symbole du Loup-
qui-erre-parmi-les-Étoiles, connu par les adeptes sous le nom de lupus
rampant. Son esprit fut filtré à travers l’amas de matériaux chargés
psychiquement autour de lui, à la fois diffusant et amplifiant, le laissant à la
dérive sur l’Autremer.
Il vit l’Œil de la Terreur. Le vortex de désespoir et de terreur dans lequel se
cachaient les légions qui s’étaient retournées contre le Père-de-Tout. Cela
avait jadis été à la fois le territoire et la prison de Magnus et des autres
Primarques-démons, mais ils s’en étaient libérés et apportaient désormais à
nouveau la ruine dans l’Imperium.
Le hurlement d’un loup déchira la galaxie, exprimant non pas de la peine,
mais de la rage. Il devint de plus en plus puissant, jusqu’à détruire des
planètes et éteindre des étoiles. Il en émergeait des flammes bleues et des
épidémies séditieuses, des rivières de sang et une tempête de lames dorées.
Njal vit que la galaxie était ravagée de blessures, chacune une fissure dans
la réalité. Une entaille dans la structure de ce-qui-est et ce-qui-ne-devrait-
pas-être. Dans le lexique de l’Adeptus Terra, cela s’appelait la Grande
Faille mais, pour les Space Wolves, cette catastrophe à l’échelle galactique
portait un autre nom : L’Éternel Crépuscule. La lumière mourante de
l’espoir. Le crépuscule des dieux.
L’Œil devint une gueule acérée, dévorant tout ce qu’elle pouvait, enflant
sans cesse jusqu’à ce que Terra elle-même, sphère d’argent brillante, se
retrouve entre ses mâchoires.
Mais son esprit ne s’aventura pas près du Monde-Trône. Il fut attiré par un
autre courant, dévié de son chemin par une pensée fugace. Son regard
onirique poursuivit sa route vers un tourbillon de lumière au centre de la
galaxie. Il vit une tache d’obscurité qui se détachait de l’arrière-plan
éclatant, d’un noir plus profond encore que celui de l’espace. Njal n’eut
besoin de rien d’autre pour l’identifier. Cette position était bien repérée par
la tradition de son Chapitre, et en particulier dans les sagas des prêtres des
runes.
Prospero.
Un monde mort. Un monde ténébreux. Un monde que le Roi Loup avait
exécuté pour ses transgressions à l’égard du Père-de-Tout.
Le monde d’origine de Magnus et des Thousand Sons.
Au moment où son vaisseau mental prit la direction de Prospero, il
ressentit une connexion instantanée. C’était un monde qui avait été infusé
par le wyrd des Thousand Sons et même par-delà la distance temporelle, il
chantait toujours à travers les vagues de l’Autremer. Les cris d’agonie de
milliards d’âmes résonnaient toujours, les dix mille dernières années
n’ayant en rien calmé le tourment de leur trépas.
Éveillé, Njal aurait détourné son regard mental, car se focaliser trop
longtemps sur un monde comme Prospero, c’était s’exposer à la fascination
et au désastre. Mais ce ne devait pas être et Njal s’attarda un peu plus,
hypnotisé par les réminiscences runiques de la destruction.
Au milieu du fracas des villes qui s’effondraient, il entendit une voix
unique qui se détachait des autres par sa clarté. Une supplique, de prime
abord inarticulée et plaintive. Pas si différente des appels de détresse des
innombrables victimes de l’exécution de Prospero, si ce n’était par sa
proximité. Une chose impossible, Prospero étant morte depuis dix mille ans,
sa charogne nettoyée de toute trace de vie. Et pourtant un esprit répondait à
celui du Prêtre des Runes.
Sans réfléchir, à moitié délirant de fièvre, il établit un contact.
Arjac se remit sur ses pieds alors que Tyra n’était plus qu’à quelques mètres
du monstre. Il pouvait voir son reflet dans les facettes des yeux noirs
comme le charbon, l’image rétrécissant à mesure qu’il se redressait pour
une nouvelle attaque. Aussi clairement que par une prémonition du wyrd, il
eut l’image de la mâchoire bestiale se refermant sur la guerrière, la coupant
en deux.
Il fit un pas et projeta le Marteau à Ennemis. La puissance de sa force
prodigieuse augmentée par son armure Terminator envoya l’arme, droite et
précise comme un tir de laser. La tête étincelante percuta le crâne de la
vouivre des glaces, envoyant voler d’épaisses écailles comme les boucliers
d’une formation brisée.
Le Marteau à Ennemis finit sa course dans le chaos de glace derrière le
monstre.
Le serpent s’effondra sur le côté et se débattit dans les congères. Un torrent
d’éclats de glace fit reculer les Fenrissiens. Du sang s’échappant de la plaie
au-dessus de son œil, le monstre mutant se redressa à nouveau, la mâchoire
grande ouverte pour émettre d’autres vapeurs hivernales. Trois villageois
s’enfuirent du brouillard, hurlant et gémissant tandis que du givre faisait
craquer leurs veines. Ils s’effondrèrent, s’étouffant dans une quinte de toux,
cœur et poumons paralysés par le souffle corrompu par le wyrd de la bête.
— Reculez, rugit Arjac.
De sa main désormais libre, il fit signe aux villageois de faire marche
arrière quand ceux-ci s’avancèrent pour porter secours à leurs compagnons
terrassés par la glace.
— Je suis un Guerrier du Ciel, lui dit Arjac qui avançait d’un pas lourd.
Mes armes sont la volonté des dieux.
Il leva la main et activa la balise de téléportation miniature dans sa main. Il
y eut un éclat de lumière dans l’obscurité de la brume émise par la vouivre
et un instant plus tard le Marteau à Ennemis se matérialisa dans sa poigne.
Tyra le dévisagea, bouche ouverte de surprise, tandis qu’il chargeait, la
dépassant de sa course puissante alors que la vouivre plongeait une nouvelle
fois vers lui.
Cette fois-ci, il contra l’attaque avec son marteau plutôt qu’avec son
bouclier, et porta un coup vertical de la tête aux volutes de tempête. Il y eut
une explosion d’énergie de brouillage moléculaire qui ravagea la mâchoire
inférieure et une partie du museau. Des fragments d’os brûlés et de sang
cristallisé passèrent au-dessus de la tête de Poings de Pierre pour tomber en
pluie sur les villageois ébahis.
La vouivre agonisante s’effondra vers l’avant et obligea Arjac à la frapper
de son bouclier pour détourner sa trajectoire et sauver une nouvelle fois la
vie de Tyra. Le cadavre à moitié décapité fut secoué de quelques spasmes
sur la glace, où il creusa des marques ensanglantées tandis qu’une
répugnante substance huileuse suintait de ses glandes venimeuses engorgées
par le wyrd.
Les yeux de Njal se rouvrirent avec un sursaut et il se réveilla dans un cri
d’angoisse étouffé. Sa respiration dessinait des bouffées de vapeur, la
chambre refroidie par les courants psychiques qui se dissipaient dans le
maillage de la pièce. Les lignes de force et les mécanismes runiques étaient
couverts de givre et traçaient des entrelacs de glace sur les murs et le sol.
Une fine pellicule de gel couvrait sa peau et elle se craquela quand il se
redressa, son corps amélioré endolori par le froid mordant.
Toute chaleur avait disparu de la pièce, la laissant aussi glaciale que les
montagnes alentour. Les yeux de Njal le lançaient et il les frotta de ses
doigts couverts de givre.
Lorsqu’il se remit debout, des éclats de glace tombèrent de sa barbe et de
ses fourrures pour aller se briser sur le sol. Ce bruit lui évoqua vaguement
quelque chose de familier : l’appel à l’aide qui avait conclu son voyage
onirique. Il secoua la tête, pensant à un mirage acoustique, ou une
conséquence de son épuisement. Il n’avait dormi que deux minutes et ne se
sentait pas le moins du monde reposé.
À l’aide !
L’appel était cette fois indéniable, maintenant qu’il n’était plus mêlé ou
masqué par un autre bruit. L’ouïe aiguisée de Njal lui indiqua que sa
faiblesse était due à la distance plutôt qu’à des obstacles.
À l’aide !
Njal se retourna brusquement vers la gauche et la droite, certain qu’il y
avait une autre présence dans la pièce. Il ne vit rien. L’afflux de pouvoir
psychique avait disparu et la glace commençait à fondre.
À l’aide !
La voix n’était pas portée par des ondes sonores, comprit Njal. Son
cerveau l’interprétait comme un appel lointain, mais le message trouvait en
fait son origine à l’intérieur de sa tête. Il se souvint du contact établi à la fin
de son escapade psychique. Ses pensées s’emplirent de malaise. Le Prêtre
des Runes déglutit.
— Pauvre fou, murmura-t-il. Qu’as-tu fait ?
Il ferma les yeux et raffermit ses pensées, protégeant son esprit de
plusieurs couches d’acier psychique pour empêcher toute intrusion
extérieure. Il se sentit disloqué et seul, mais une fois complètement coupé
du warp, il devenait impossible pour la chose qui essayait de le contacter de
pénétrer ses barrières.
+À l’aide !+
Njal chancela et s’agrippa au dossier du trône d’os pour se rattraper. Les
mots étaient les mêmes, mais l’intonation avait changé. Elle n’était plus
suppliante, son interlocuteur se faisait insistant.
+Oui. C’est ça. Réfléchis, Fils de Russ. Concentre-toi !+
L’insistance de la voix déclencha immédiatement un agacement rebelle
chez Njal, un désir instinctif de rejeter cette autorité présomptueuse. Mais
malgré son indépendance toute fenrissienne, le Maître des Tempêtes savait
qu’il devait obéir et il concentra donc son attention vers l’intérieur plutôt
que vers l’extérieur.
Son mur défensif toujours en place, il commença à tâter sa propre
conscience, comme s’il se retranchait dans une citadelle, abaissait la herse
et fermait les portes derrière lui.
Il découvrit l’intrusion.
Elle ressemblait à une étincelle ou à une écharde, une minuscule particule
de quelque chose d’étranger inséré dans son esprit. Un fragment, brisé
quand il s’était arraché de son errance mentale au moment où la connexion
s’était établie.
Njal tenta de purger le morceau invasif, mais il résista à toutes ses
tentatives pour s’en débarrasser. Comme un harpon, il était accroché dans
son essence psychique, son propre pouvoir l’enveloppant comme un arbre
qui pousse autour d’une pierre. Plus il appliquait de force pour l’extraire,
plus l’éclat s’enfonçait.
— Qu’es-tu ? Démon ? grogna le Maître des Tempêtes. Tu n’es pas le
premier à tenter une telle ruse.
+Tes péchés t’ont rattrapé, Fils de Russ+
Njal accepta l’insulte sans réagir, sachant très bien que répondre aux
provocations des démons ne faisait que leur donner plus de pouvoir. Il
réfléchit un peu plus longtemps. Il se redressa en retrouvant son équilibre.
— Un sorcier des Thousand Sons.
Il ressentit une bouffée de surprise disloquée.
— Tu penses que parce que je porte des fourrures, j’ai la cervelle d’un
animal ? C’est ce type d’arrogance qui vous a perdus.
+Tu m’as l’air remarquablement calme, étant donné l’embarras de la
situation.+
— Je n’ai encore jamais rencontré des circonstances où la panique serait la
meilleure solution, sorcier. Je ne vais pas tarder à te détruire.
+Je suis pris au piège.+
— Parfait.
+C’est n’est pas parfait. Je suis pris au piège ici, dans ta tête.+
Le pouls de Njal s’accéléra.
— Comment est-ce possible ?
Un soupir inaudible traversa l’esprit de Njal, une brève sensation de
résignation et de regret.
+Que sais-tu du Portail Labyrinthe de Prospero ?+
— Peu de choses. Mais plus, maintenant que certains de nos frères de la
Compagnie Perdue qui y étaient enfermés nous sont revenus. C’était un
dédale du warp, qui cheminait entre les planètes et les royaumes, qui
permettait à la légion de Magnus de voyager entre leurs enclaves et
domaines sans vaisseaux. Nous l’avons détruit avec ses créateurs.
+C’est en effet bien peu, et ce peu est faux. Le Portail Labyrinthe ne peut
être détruit par les bombardements ou l’Inferno. Il existe hors de la réalité.
Mais l’invasion de vos compagnies a brisé bien des connexions, et fracturé
les ponts entre les destinations. Vos lanceurs de runes ont scellé ce qu’ils
ont pu trouver, mais c’est tout.+
— Je ne comprends toujours pas ce qui te fait croire que cet assaut va
réussir, fils maudit de Magnus. Comment oses-tu être dans mes pensées ?
Il y eut une hésitation frustrée.
+Je suis mort.+
— Pardon ?
+Je suis mort. Un de tes prédécesseurs m’a tué à l’intérieur du Portail
Labyrinthe. Mais à cause de sa maladresse, mon essence n’a pu se dissiper
dans le warp. Mon corps repose, préservé dans le réseau, et mon esprit y
reste prisonnier, incorporel.+
— Cela n’explique pas comment tu t’es retrouvé dans ma tête.
+Je n’en suis pas certain. J’étais délirant jusqu’à ce que tes pensées
touchent les miennes. Tu as agi comme un canal, peut-être en trouvant un
passage dans la barrière qui protège le Portail Labyrinthe. J’ai l’impression
qu’il y a eu un grand bouleversement entre le warp et la réalité. Les choses
ont changé depuis que j’ai été abattu, et je suppose que du temps a passé
depuis.+
— Du temps ? Njal secoua la tête, incrédule. Tu n’as aucune idée du temps
qui s’est écoulé depuis ta mort ?
+Aucune. Tout est confus et brisé. Le temps y est en pièces tout autant que
les connexions temporelles.+
— Dix mille ans, sorcier. Dix mille ans se sont écoulés depuis que les
loups ont brûlé Prospero.
+Je…+
La proximité de la présence s’estompa, bien que Njal put toujours
percevoir son picotement dans son esprit. L’écharde psychique émit de la
confusion qui se glissa dans ses pensées avant d’être remplacée par un
sentiment de tristesse et de perte.
+Dix mille ans ? Je savais qu’il s’était passé plus que quelques instants,
mais autant ? Tout ce que je connaissais n’est plus que poussière.+
Njal éclata d’un rire sans sympathie.
— Bien plus que tu ne le crains, sorcier. Je vais prendre du plaisir à te
conter ce qui est arrivé à ta légion pendant que je cherche comment me
débarrasser de ton intrusion.
+C’est chose assez simple, si tu en as le courage. Tout ce que tu as à faire,
c’est d’entrer dans le Labyrinthe et ce fragment réintégrera le reste de mon
esprit.+
— Entrer dans le Labyrinthe ? Tu veux dire que je dois aller jusque sur
Prospero ?
+Jusqu’à Tizca, pour être exact. La ville où moi-même et tes frères
sommes entrés en dernier.+
— Ton monde a été rasé. Il n’en reste rien.
+Je vais trouver ça pénible, si je dois me répéter. Je peux toujours
percevoir des parties de Tizca. Maintenant que je peux me concentrer, je
vois que ce n’est plus qu’une tombe, mais elle est toujours partiellement là,
et les portails abandonnés n’ont pas disparu.+
— Tout cela ressemble fort à un piège, sorcier. Tu me crois ignorant de tes
ruses ?
+Alors, tu te dois de considérer cela aussi comme un appât, car il est dans
ton propre intérêt de le faire.+
— Les archives du Croc sont immenses et notre sagesse est ancienne,
Prosperin. Je trouverai un moyen de chasser ta corruption sans avoir besoin
de traverser la galaxie.
+Mais, et tes frères perdus ? L’odeur de Fenris a attiré tes pensées
oniriques, Fils de Russ. Négligerais-tu l’opportunité de les libérer eux aussi
?+
Njal inspira profondément et rouvrit les yeux, la pièce lui paraissait
étrangement peu familière maintenant qu’il la regardait aussi à travers les
yeux d’un autre. Il se dirigea vers la porte.
— Je suis sûr qu’il sera assez simple d’incinérer ce qu’il reste de ton âme.
J’ai seulement besoin d’un peu d’aide et d’équipement du Wyrdhall.
+J’ai cru que peu de temps seulement s’était écoulé, car ils sont toujours
là. Dix mille ans ! Je suis sûr que cela ne dérangera pas tes frères de
patienter quelques années de plus. Ils sont piégés avec moi, celui qu’on
nomme Bulveye, et ses compagnons.
Le Prêtre des Runes se figea à quelques pas de la porte.
— Bulveye ?
Njal reconnut immédiatement le nom. Ces dernières années, de plus en
plus de guerriers de la Treizième Compagnie étaient réapparus, chaque frère
et chaque escouade porteur de ses propres récits contant son
emprisonnement dans le Warp et comment ils s’étaient libérés de l’Œil de la
Terreur. Au cours de ces années, Njal avait étudié les plus anciens registres
et rassemblé les noms de ceux qui étaient perdus. Les noms de ceux qui
manquaient toujours à l’appel étaient gravés dans sa mémoire.
— Le Vieux Loup.
+Un sauvage, qui a préféré se condamner lui-même plutôt que d’entendre
raison. Il a choisi l’exil et l’emprisonnement plutôt que la cause commune.+
— Tu connais un nom. Ça ne veut rien dire.
+Il m’a tué d’un tir de plasma et manie une hache énergétique. Tu veux
que je te décrive l’expression exultante qu’il arborait au moment où il
rejetait sa chance d’être libre dans une démonstration d’orgueil borné ? Je
peux te conduire directement jusqu’à eux.+
Était-ce possible ? Les ramifications des propos du sorcier allaient au-delà
du prédicament immédiat du Maître des Tempêtes. Si d’autres de la
Treizième Compagnie pouvaient être libérés, cette possibilité devait être
soumise au loup suprême. Il ne sentait que peu de danger de la part du
sorcier. Dépourvu de son corps, réduit au plus infime morceau de son âme,
il n’y avait guère de choses qu’il puisse faire pour nuire à Njal ou à ses
frères.
C’était trop énorme pour y réfléchir seul.
— Il y a peut-être quelque mérite à ce que tu suggères, concéda Njal.
Un accès de triomphe fleurit dans son esprit, émanant de l’éclat d’âme du
sorcier.
— Ne te crois pas victorieux si vite, maudit de Prospero. Je ne te laisserais
pas profiter de mon erreur.
+Je pense que nous poursuivons le même dénouement, chien de Russ, et
jusque-là, nos sorts sont liés.+
Njal dut lui concéder cela, pour le moment seulement. Il se racla la gorge
pour retenir un grondement de frustration.
— Par quel nom étais-tu connu de ton vivant, sorcier ?
+Je m’appelle Izzakar Orr.+
CHAPITRE 3
DE DURES VÉRITÉS.

Le sorcier se montra silencieux, au grand soulagement de Njal, alors que ce


dernier parcourait les transporteurs, corridors et halls du Croc. Le Prêtre des
Runes se demanda à quel point Izzakar avait conscience de ce qui se passait
autour de lui, dans quelle mesure son éclat de conscience pouvait ressentir
son environnement à travers son hôte. Contemplait-il avec émerveillement
une vue sur laquelle aucun guerrier des Thousand Sons n’avait jamais posé
les yeux, ni n’était susceptible de jamais le faire ? Voyait-il les nœuds en
bas-relief gravés sur les murs et sentait-il les inscriptions runiques sur les
pavés de ferrobéton sous les pieds de Njal ? Pouvait-il humer la fraîcheur de
l’air recyclé ou entendre le murmure des moteurs lointains et le
bourdonnement des systèmes électriques ? Qu’en était-il de la respiration
du Maître des Tempêtes ? Le sorcier la ressentait-il comme la sienne ?
Il était rassurant qu’aucune réponse ne soit émise face à ses interrogations
silencieuses. Cela voulait dire que les pensées de Njal étaient toujours les
siennes, malgré l’intrusion. Izzakar ne pouvait pas les lire bien qu’il fût
dans son esprit, et ne pouvait percevoir que ce que Njal formulait
volontairement.
Ou bien cela signifiait que le sorcier se satisfaisait de garder cette
information-là secrète afin de pouvoir en faire usage au moment opportun.
Chassant ces pensées-là de son esprit, Njal grimaça, agacé de l’erreur qu’il
avait commise en permettant cette situation incertaine alors que son objectif
lui avait paru si clair à peine quelques minutes plus tôt.
Aile-de-Nuit volait devant lui en éclaireur, il se posait çà et là selon ses
ordres avant de reprendre sa route. Le lien entre le Maître des Tempêtes et
son familier ne semblait pas affecté par la présence d’Izzakar, du moins,
pour autant qu’il en avait conscience. Il n’y avait aucun moyen de savoir si
ses autres capacités pouvaient être impactées, ou sabotées, tant qu’il
n’aurait pas à en faire usage. L’idée que son esprit put être utilisé contre lui-
même, ou qu’il le fut déjà, lui donnait à réfléchir. En tant que Prêtre des
Runes, et archiviste de l’Adeptus Astartes, ses pensées étaient son plus
grand avantage et sa plus grande faiblesse. Il était de son devoir, par-dessus
toute autre chose, de préserver l’inviolabilité de son esprit, et cela n’avait
été que par une incroyable force de volonté qu’il avait pu être accepté dans
la fraternité des Fils de Russ. La plus infime des faiblesses de caractère
l’aurait fait abattre ou, peut-être pire, emmener dans l’un des Vaisseaux
Noirs de l’Inquisition.
Que ses défenses aient été pénétrées était ennuyeux. Pire. Ce n’était pas un
assaut qui avait fracturé la forteresse de son esprit, mais sa propre
négligence. Il avait laissé les portes ouvertes et sans défense pendant un
instant. Après tout ce temps, il avait baissé sa garde.
Qu’il n’y ait rien eu de pire que l’incident du sorcier était d’un maigre
réconfort. Il pouvait sentir de l’hostilité de la part de l’éclat de conscience,
celle-ci bouillonnait au fond de ses pensées. Aussi agaçante qu’elle fût, la
haine du légionnaire des Thousand Sons ne constituait pas une menace
directe. Si l’intrus avait été un démon ou un prédateur du warp…
Il jouait nerveusement tout en marchant avec un chapelet d’os gravés de
runes, les frottant et les laissant cogner contre l’anneau de fer qu’il faisait
tournoyer d’un doigt épais. Plus il pensait à ce qui s’était passé, plus il
devenait anxieux, bien qu’il s’appliquât à maintenir son habituelle
apparence de réflexion bourrue face aux gens qu’il croisait. Il craignait
cependant de rencontrer un frère de bataille qui le connaissait bien, un
membre de la Garde des Loups par exemple, qui aurait pu remarquer que
quelque chose n’allait pas et lui poser des questions gênantes. Sa position
actuelle ne lui permettait pas de confesser son problème à la cantonade,
mais il était toutefois conscient que de le dissimuler serait également une
grave erreur.
Là-dessus, il avait peu à craindre : il restait si peu de ses frères dans le
Croc. Njal ne croisa que quelques thralls accomplissant leurs tâches
subalternes lors de sa traversée de la citadelle des Space Wolves. Vêtus de
tuniques et de braies, arborant pour certains de petits insignes indiquant leur
affiliation à l’une des Grandes Compagnies ou des médailles décernées pour
dévouement à leurs devoirs, ils n’étaient que des silhouettes modestes.
Beaucoup d’entre eux avaient des cicatrices, souvenirs physiques des
épreuves auxquelles ils avaient échoué. D’autres avaient un regard vide, pas
dépourvu d’intelligence, mais terni par de terribles expériences, une quasi-
catatonie qui les plaçait juste au-dessus des servitors esclaves des machines.
Tous reconnurent un seigneur de Fenris et firent preuve de déférence à
l’égard du Maître des Tempêtes, inclinant la tête et portant les doigts à leur
front. Certains des plus jeunes s’agenouillèrent brièvement à son passage,
murmurant des bénédictions en fenrissien.
Son itinéraire le fit passer par une longue galerie au toit de plastek qui
devenait un pont par-dessus une profonde gorge. Les parois du ravin étaient
parsemées de cavernes qui ne lui étaient visibles dans la pénombre que
grâce à sa vision améliorée. D’énormes chauves-souris entraient et sortaient
de ces ouvertures, décrivaient des spirales aériennes entre les faisceaux
lumineux tombant des lampes de la citadelle, offrant de brefs aperçus de
monstres aux crocs acérés qui disparaissaient immédiatement.
Njal marqua un arrêt avant de s’engager sur le pont pour regarder le
bastion qu’il allait atteindre. Tout comme les Halls des Seigneurs des
Runes, il était construit à l’écart, une tour extérieure reliée au reste
seulement par un pont et une chaussée surélevée de pierre enneigée. Il se
dressait sur un pilastre naturel au milieu du large défilé, entouré de toutes
parts du sombre ravin. Des tourelles défensives parsemaient les murs nus du
bâtiment carré. Le toit et les niveaux supérieurs avaient la forme d’une
immense et majestueuse tête de loup à la gueule ouverte, avec entre les
crocs une plate-forme d’atterrissage qui ressemblait à une langue pendante.
Un appareil d’assaut Stormwolf y était posé, noir plutôt que du gris habituel
du chapitre, avec les emblèmes de crânes de loup dorés sur la large proue et
des ailes trapues. Sa présence indiquait que l’occupant le plus éminent de la
tour était présent, comme Njal l’avait perçu dans le wyrd avant de partir.
La mâchoire serrée, nerveux de ce qu’il avait à dire, Njal avança jusqu’à la
porte bardée d’acier de la tour. Un autre emblème de loup ornait l’entrée,
entouré d’épais rivets d’acier portant les blasons des douze Grandes
Compagnies.
Il leva son bâton et frappa trois fois, avec force. Les coups résonnèrent le
long du ravin et à l’intérieur de la tour elle-même.
Des optiques cliquetèrent et vrombirent à l’intérieur du linteau et du
chambranle. Une lumière rouge s’alluma et le scanna brièvement avant de
s’éteindre. Puis, enfin, il y eut un bruit de loquet et la porte s’ouvrit vers
l’intérieur, révélant un bref couloir qui conduisait à un large escalier menant
aux étages.
Se préparant à la difficile conversation qui l’attendait, Njal franchit le seuil
de la Citadelle du Tueur.
Il gravit les marches à contrecœur, les jambes pesantes, non à cause de
l’effort physique, mais par le fardeau de la confession qu’il devrait bientôt
faire. Pour autant qu’elle soit d’importance rituelle, la tour faisait aussi
partie intégrante des défenses du Croc. Comme beaucoup de choses sur
Fenris, la forme n’était pas toujours en accord avec la destination. L’escalier
en colimaçon fit passer le Prêtre des Runes devant des corridors menant aux
batteries d’artillerie, devant les portes lourdement blindées des réserves de
munitions et devant les entrées des salles vox et des centres de contrôles des
systèmes de surveillance. Des élévateurs pneumatiques et des conduits
d’armement automatique tapissaient l’intérieur de la tour, prêts à s’animer à
la moindre impulsion psychique des servitors enfermés dans les systèmes
d’artillerie. Les trappes d’accès étaient condamnées par des sceaux de
l’Adeptus Mechanicus placés à côté des runes de maintenance des servitors,
un étrange voisinage qui témoignait de deux cultures extrêmement
différentes forcées à cohabiter par besoin mutuel.
Ici, aucun candidat malheureux. L’occupant de la tour avait été seul
jusqu’à ce que Njal arrive. Le psyker pouvait sentir la pression du culte du
loup qui remplissait l’atmosphère, le pouvoir brut de Fenris qui imprégnait
les murs, émanant de son seul habitant. Il accéléra le pas, conscient que son
arrivée avait été remarquée et peu désireux de faire attendre le Tueur.
L’escalier débouchait sur un large hall qui occupait toute la surface de la
tour. L’intérieur était un autel dédié à la dualité des Space Wolves,
l’iconographie impériale y était mêlée aux runes fenrissiennes. Des
bannières qui, jadis, avaient flotté sur les remparts du Palais Impérial
côtoyaient désormais les queues de loups et les emblèmes de têtes de
dragon modelés à l’image des trophées de guerre des tribus de Fenris. Une
Aquila impériale était tracée à la feuille d’or sur le sol, entourée de quatre
statues de loups en granite noir, la gueule levée en un hurlement silencieux,
chacune d’entre elles plus grande que le Maître des Tempêtes.
— C’est un bien mauvais vent qui amène le Maître des Tempêtes, seul,
devant le Tueur.
La voix était éraillée par l’âge, mais en rien affaiblie par celui-ci, le timbre
rauque gagné au cours de dix siècles de combats. Son propriétaire n’était
pas visible, mais Njal pouvait le percevoir. Son esprit était le halètement
fébrile d’un loup aux abois et il émanait de l’un des reliquaires en panneaux
de bois qui s’alignaient au fond du hall. Ils étaient posés sur des colonnes
taillées pour ressembler à des piles de crânes, d’humains et de loups en
alternance, et des motifs de nœuds géométriques striaient les blocs de bois
entre eux.
— Perspicace, comme toujours, Ulrik, dit le Prêtre des Runes.
— Je n’ai pas besoin du wyrd pour savoir que seule une grave inquiétude
serait en mesure de te forcer à venir ici plutôt que sur le terrain neutre des
halls de Logan. Je suis le gardien de l’esprit et des connaissances du
chapitre, et tu n’as pas eu besoin de faire appel à moi en privé depuis que tu
as accédé à ton rang. Que tu le fasses maintenant… Eh bien, j’ai vécu bien
des années, et celles-ci sont les plus troubles dont j’ai été témoin. Je ne suis
pas surpris que les choses en soient arrivées là.
L’auteur de ces mots émergea de la collection de reliques avec un crâne
inhumain entre les mains : la structure allongée d’un eldar, avec des rubis
dans les cavités oculaires et des symboles de vengeance gravés dans les os
anguleux de ses pommettes et sur son front. Njal pouvait sentir la rage du
Space Wolf qui avait abattu ce xenos, toujours pulsante dans l’artéfact.
Les mains qui tenaient la relique étaient épaisses, noueuses comme les
branches d’un vieil arbre, aux ongles peints en noir, et chacune arborant sur
son dos un tatouage de loup. D’autres marques ornaient ses avant-bras :
certaines, des têtes de loup, des crânes et des symboles élégamment tracés,
d’autres, des scarifications rudimentaires. Le reste de la peau d’Ulrik était
caché par de longues robes d’une étoffe lourde et noire. À l’image de la
pièce, son apparence était une dichotomie : les ornements d’un gardien des
traditions fenrissiennes sur un habit monacal. La soutane était nouée à la
taille par une corde de laquelle pendaient des insignes impériaux et d’autres
amulettes de loup, et ses manches et son col étaient brodés de motifs de
nœuds en fil d’argent. Il portait un collier de crocs et de crânes d’animaux,
mais dont le pendentif était une Crux Terminatus dont on ne décorait que
les plus grands guerriers de l’Imperium.
Un autre insigne de fonction impériale pendait de sa ceinture : le Crozius
Arcanum d’un chapelain space marine. Les autres ne voyaient dans les
Prêtres-Loups que cette fonction. En vérité, il s’agissait là d’une vision très
sommaire de la place illustre qu’ils occupaient chez les Space Wolves. Cette
étiquette permettait à l’Adeptus Terra de prétendre qu’ils comprenaient la
nature des Prêtres-Loups et ainsi toléraient-ils leur existence et leurs
croyances. Le Crozius contenait un champ de force capable de désintégrer
les chairs et briser les os, mais sa véritable force était qu’il symbolisait
l’union des Space Wolves et de l’Imperium. Le visage d’Ulrik avait des
traits aussi bruts que la roche sur laquelle était posée sa tour, grêlé et
couvert de cicatrices. Des tresses blanches comme de la neige fraîche
pendaient de son crâne et de ses joues. Ses yeux, noirs et perçants,
observèrent Njal avec attention tandis qu’il reposait le crâne antique sur
l’un des podiums de la galerie.
— Parle, dit-il, croisant les bras sur sa large poitrine.
Njal ne savait pas par où commencer.
+C’est le moment de révéler quel idiot tu as été, frustre de Fenrissien.
Parle-lui de ta folie.+
La grimace de Njal le trahit et il dut prendre la parole rapidement, avant
qu’Ulrik ne réagisse.
— J’ai reçu un maléfice, Ulrik, j’ai besoin de ton aide.
— Un maléfice ?
Ulrik eut un léger mouvement de recul, lui jetant un regard soupçonneux.
Ses doigts se crispèrent sur ses bras, faisant blanchir la peau là où ils
agrippaient la chair.
— Tu n’es pas en danger, je te le jure.
Les lèvres pincées et l’expression venimeuse d’Ulrik lui opposèrent sans
un mot qu’il était bien trop tard pour une telle affirmation, mais Njal
poursuivit.
— J’ai commis une erreur. Grave.
Ulrik l’écouta sans l’interrompre, mais son visage s’assombrissait à
chaque seconde du récit de Njal. La mâchoire du prêtre-loup se crispa et ses
joues se creusèrent quand Njal lui fit part de l’affirmation d’Izzakar selon
laquelle Bulveye et la Vieille Garde étaient enfermés avec lui. Le Maître
des Tempêtes conclut sur un léger haussement d’épaules, mi-excuse, mi-
supplique.
— Purge-t’en, dit Ulrik. Tu n’avais pas besoin d’amener cette souillure
jusqu’ici pour découvrir cette vérité. Rien de bon ne peut advenir d’une
quelconque alternative.
— Mais, et Bulveye et les au…
— Purge-t’en ! Ulrik s’avança, les crocs découverts dans un grondement
de défi, le regard féroce.
+Tu ne pourras jamais entrer le Portail Labyrinthe sans mes
connaissances.+
— J’ai l’espoir de pouvoir utiliser ce qu’il sait pour sauver nos frères.
Ulrik secoua la tête, sa colère laissant place à de la tristesse.
— L’espoir ? Sont-ce tes mots ou les siens qui s’écoulent si facilement de
tes lèvres ?
Njal déglutit et le Tueur interpréta l’hésitation à répondre du Prêtre des
Runes comme de la culpabilité. Son ire refit surface.
— Ce sorcier n’a pas besoin de te posséder pour contrôler ton corps ou ton
esprit, pour te convertir à sa sombre cause.
+Sombre cause ? J’ai amené la lumière à bien des mondes, la flamme de la
sagesse de l’Empereur. Si quiconque était sombre, c’était les Fils de Russ.+
— La ferme, dit Njal.
— Pardon ? L’une des mains d’Ulrik s’avança vers son crozius, l’autre se
refermant en un poing. Qu’est-ce que tu viens de me dire ?
— Pas à toi, mon frère, s’empressa d’expliquer Njal.
Il secoua la tête et recula d’un pas. Puis il indiqua sa tempe en guise
d’explication.
— À lui.
— Tu sais ce que je vais te dire, et je vais te le répéter encore et encore, dit
Ulrik d’un ton mordant. Tu le savais avant de venir ici, et pourtant tu me
défies avec tes provocations. Que cherchais-tu d’autre ? Une justification ?
Le pardon ? Tu n’auras rien de tout cela. Tu aggraves ton erreur en
envisageant ne serait-ce qu’une seule seconde de t’allier avec cette créature.
+Créature ?+
Les pensées de Njal furent envahies d’indignation, la véhémence de la
réaction lui fit se demander si elle venait de lui ou d’Izzakar. Cette infection
stimula sa propre frustration, ce qui emplit de fiel ses paroles.
— Tu as raison. Je ne sais pas quel bénéfice je pouvais m’attendre à tirer
de toi. J’avais l’espoir que tu puisses partager quelque sagesse, pas me
recracher la rhétorique de prêtres morts.
À l’instant même où il referma la bouche, Njal regretta son éclat. Les yeux
d’Ulrik s’écarquillèrent et son visage s’empourpra. Le Maître des Tempêtes
rouvrit la bouche pour tempérer ses propos, mais Ulrik se détourna, les
épaules rentrées et les poings tremblants. Il prononça les mots suivants au
prix d’un effort violent.
— Pars. Tout de suite.
La fureur du Tueur, bien que contenue, brûlait comme des flammes
ardentes à travers la vision wyrdique de Njal. Bien qu’il ait espéré avec
ferveur pouvoir réparer l’erreur qu’il venait de commettre, toute parole
supplémentaire de sa part ne servirait qu’à alimenter la colère d’Ulrik, et
non à la calmer. Il venait d’outrager l’honneur d’Ulrik, un ut-geld qu’il
allait être difficile de restaurer. Njal n’avait absolument pas le temps pour
de telles réparations maintenant et Ulrik n’était pas d’humeur à les recevoir.
Silencieusement, dans un nuage de dégoût à l’égard de lui-même et de
honte, le Maître des Tempêtes s’en alla.
La plupart des habitants d’Elsinholm retournèrent au village pour chercher
de la corde et des traîneaux afin de transporter la carcasse. Bien que la
chaire fût wyrdrot, empoisonnée par la corruption, les tendons, os, huile de
foie, écailles et bien d’autres parties allaient leur être des plus utiles lors de
l’hiver à venir. Tyra et quelques autres restèrent pour garder le cadavre des
charognards. À la lueur des flammes d’une demi-douzaine de torches, Arjac
utilisa des poignées de neige pour nettoyer le gros de son armure,
murmurant des remerciements à l’adresse de l’esprit de la cuirasse.
— Je suis désolée d’avoir douté de vous, dit Tyra, à nouveau incapable de
le regarder dans les yeux. Et pour vous avoir fait risquer votre vie pour me
sauver.
— Pas nécessaire, dit-il en parlant de ses excuses. Je vis pour protéger les
royaumes du Père-de-Tout, que ce soit de l’autre côté du pont céleste ou à
proximité de mon propre foyer. Il n’y a pas de dette.
Elle hocha la tête et osa un regard précautionneux.
— Merci, Arjac Poings de Pierre.
— Pourrez-vous survivre à la saison des glaces ? demanda-t-il, mal à l’aise
face à sa gratitude.
— C’est la saison du feu qui inquiète Rangvaldr, répondit Tyra. Le long
froid, ce n’est que ça, long. Mais que vont nous apporter les convulsions de
la terre ?
Arjac n’avait pas de réponse simple à lui fournir, et tout natif de Fenris
savait qu’il n’en existait pas.
— Nous avons un dicton, dit-elle, l’ombre de sa capuche dansant sur son
visage émacié à la lueur des torches. L’eau qui ne s’écoule pas se fait
prendre dans la glace.
— Pourquoi partir maintenant, alors que vous êtes restés malgré toutes ces
épreuves ?
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Nous devons changer, être le
courant. Là où il y a une vouivre, d’autres se cachent. Nous les chasserons,
elles, plutôt que les krakens.
Arjac sourit. S’il écoutait les dires des shamans et des seigneurs des runes,
l’esprit de Fenris était une force surnaturelle, mais il ne s’y laissait pas
tromper. Il l’avait mis dans chacun de ses coups de marteau frappés sur
l’acier runique de son enclume. Il avait été dans l’eau glacée qui avait
refroidi la lame brûlante. Il coulait dans les veines de chaque Fenrissien.
Un esprit indomptable.
Le refus absolu de s’incliner, d’accepter qu’une situation soit désespérée,
d’accepter la moindre aide si elle venait au prix de difficultés pour autrui.
— Les enfants du village… ? demanda-t-il avec précaution, ne sachant
rien de la situation familiale de Tyra.
— Il en reste quelques-uns, répondit-elle en haussant les épaules. Nous
nous tiendrons chaud lors des longues nuits glacées en en faisant d’autres.
Qu’en est-il des guerriers du ciel ? Les sagas contant vos pertes doivent
croître de jour en jour.
— Donnez-nous des gars forts, intelligents et braves, et les Fils de Russ
prévaudront.
— Seulement des fils ? demanda Tyra, l’humour de sa voix contrastant
avec son regard sérieux. Peut-être qu’il y a encore de l’eau qui doit
apprendre à s’écouler.
Arjac regarda cette fière jeune femme, la lance acérée tenue avec aisance
dans sa main et se souvient qu’elle avait maîtrisé sa peur, non suite à un
psycho-endoctrinement, mais avec du courage brut. Elle avait été la
première à courir lui prêter main-forte face à la vouivre, qu’il ait eu besoin
de son aide ou pas. L’esprit de Fenris habitait tout son peuple, vieillard
comme enfant, homme comme femme. Il avait été directement témoin de la
façon dont Roboute Guilliman avait ramené des guerriers miraculeux
depuis l’époque du Père-de-Tout. Des space marines faits d’un acier plus
acéré encore. Si de telles choses étaient possibles, tout l’était. Il rit à cette
idée.
Tyra se renfrogna, pensant qu’il se moquait d’elle. Il se ressaisit et inclina
la tête en signe d’excuse, ses yeux ne quittèrent pas un instant les siens.
— Peut-être, dit-il.
Le trajet suivant à travers le Croc fut encore plus dur pour Njal, et chaque
pas lui demanda un effort de volonté face à sa propre répugnance. Sa
confrontation avec Ulrik courait encore dans ses veines, un battement de
cœur provoquant une poussée de rage brûlante et le suivant un souffle glacé
d’humiliation. Il ne fit aucun effort pour cacher son humeur. L’ombre de
son état d’esprit le précédait, incarnée par les battements d’ailes sinistres
d’Aile-de-Nuit, un nuage sombre, métaphorique, mais également bien réel,
qui entourait le psyker tiraillé. De la glace s’était formée sur ses amulettes
qui luttaient pour endiguer la vague d’émotions qui passait aux yeux des
autres pour de l’activité psychique.
Les thralls ne s’arrêtèrent plus pour le saluer comme auparavant, mais
détalèrent à son approche.
+Comment tes prédécesseurs ont-ils donc fait pour survivre aussi
longtemps avec une nature aussi sanguine ?+
Njal n’était absolument pas d’humeur à débattre avec le sorcier, et n’eut
pour toute réponse qu’un grondement agacé.
La justesse des conseils d’Ulrik s’imposait à lui comme de plus en plus
écrasante à mesure qu’il avançait. Il était insensé d’envisager quelque
entente avec Izzakar. Même si tout ce qu’il affirmait était vrai, il n’y avait
aucune garantie qu’il tiendrait parole dans le futur.
Njal atteignit l’Escalier des Mondes, l’un des principaux points de
convergence de la citadelle, où se rencontraient plusieurs transporteurs,
passages, escaliers et halls. Trois hautes colonnes supportaient le plafond
voûté, un espace caverneux qui résonnait des pas de thralls, des
bourdonnements des servo-familliers en vol stationnaire et des
omniprésents claquements et grincements des générateurs et machines.
Il pouvait continuer à descendre, vers les appartements du loup suprême,
ou remonter vers les Halls des Seigneurs des Runes où il pourrait purger
son esprit de l’éclat d’âme du sorcier.
Il se tint, figé, déchiré entre ces deux options. Il tourna la tête vers les
transporteurs qui le feraient monter jusqu’au wyrdhalle puis vers les
escaliers conduisant chez Logan. Ceux qui traversaient le grand hall
perçurent cette humeur massacrante et lui laissèrent de l’espace. Ils se
réfugièrent dans les ombres, entre les flots de lumière déversés par de
grandes lanternes suspendues par des chaînes au plafond.
Aile-de-Nuit décrivait des cercles, une douzaine de mètres devant lui,
volant sans but alors que les pensées de son maître tourbillonnaient sans
plus de direction.
+Cette décision ne t’appartient pas, esclave des runes. Tu réponds à un
suzerain, n’est-ce pas ? Tu dois t’enquérir de sa volonté, de ses ordres.+
L’insistance d’Izzakar provoqua presque la réaction opposée. Plus le
sorcier recommandait une ligne de conduite, plus Njal s’en méfiait. Il se
retrouva cependant à s’avancer vers les halls du loup suprême, en dépit de
ses suspicions. Il ne pouvait pas permettre à son esprit de contradiction de
prendre le pas sur la logique des conseils d’Izzakar. Il existait une
opportunité de secourir certains membres de la Treizième Légion,
contrebalancée par la traîtrise potientielle et la perte d’encore plus de
guerriers.
Il y avait également une partie de Njal, une partie honteuse, qui voulait
aller voir Logan. Il pouvait le déguiser en la chose honorable à faire pour un
Fenrissien : aller quérir la sagesse de son suzerain. Il pouvait le justifier par
la chaîne de commandement, en tant qu’archiviste en chef de l’Adeptus
Astartes répondant à son maître de chapitre. Il pouvait même se convaincre
lui-même qu’il ne faisait que chercher les conseils d’un ami.
Cependant, Njal avait passé une longue vie d’auto-analyse, examinant sans
cesse ses pensées et motivations à la recherche du moindre signe de
corruption ou d’influence extérieure, quelle ironie, désormais, et il se
connaissait mieux que quiconque. Alors qu’il s’engageait dans le corridor
qui menait aux appartements du loup suprême, il ne pouvait nier la terrible
vérité : il était heureux de pouvoir confier une si terrible décision à
quelqu’un d’autre.
Les passages dans cette partie de la forteresse tenaient plus d’un aett
fenrissien qu’un monastère-forteresse des space marines. Dans les hauts
corridors étaient accrochés des boucliers aux couleurs des clans, un
foisonnement de dragons, krakens tentaculaires, motifs de nœuds et
serpents. Entre eux, les pendentifs dracon des chefs et des champions.
Chaque tribut était conservé, les pièces les plus anciennes et précieuses
dans un champ de stase. Njal, qui progressait en direction des appartements
de Logan, en comprenait très bien la raison. Fenris coulait dans les veines
de chaque Space Wolf, métaphoriquement et, avec le Canis Helix de leur
lignée génétique, littéralement. Pour les guerriers de ce chapitre, ce lien
n’était pas seulement un lien d’émotions, de traditions et de génétique, mais
symbolisait leur appartenance à l’humanité entière.
Perdre son rapport vis-à-vis de ses origines, se penser au-dessus des
individus mêmes qui constituaient l’Imperium, c’était là le plus grand
déshonneur pour un Space Wolf.
Devoir, respect, fraternité. Il devait tout cela non seulement à Ulrik, mais
aussi aux guerriers perdus de la Treizième Compagnie.
Les attributs de la culture fenrissienne n’étaient pas seulement un rappel à
l’ordre, mais aussi un réconfort. Ils promettaient à ceux qui s’aventuraient
dans le domaine du loup suprême qu’ils étaient au milieu d’alliés et de
compagnons, chez eux.
Sa confrontation avec Ulrik se faisait plus lointaine à mesure que Njal se
rapprochait des appartements du loup suprême. Il savait que Logan s’y
trouvait, non seulement par la trace laissée dans le wyrd par ses pensées,
toutes protégées qu’elles étaient, mais aussi par la présence de l’habituelle
paire de gardes-loups devant les hautes portes de chêne du wulfhalle.
Cette fois c’était Odyn Misère-des-Ennemis et Baldin de la Mer Rouge qui
étaient de garde. Les deux vétérans s’écartèrent avant même que Njal ne
s’annonce.
— Il t’attend, Maître des Tempêtes, annonça Baldin.
Odyn secoua la tête avec gravité, son expression dissimulée par la face
peinte de crocs de son heaume.
— Tu as rôdé dans tout le Croc comme un animal enragé avec un balai
dans le…
— Entre, dit Baldin, interrompant son compagnon et attrapant l’anneau
d’une des portes pour l’ouvrir.
L’intérieur était à une échelle bien plus modeste que le Hall Royal ou le
Hall du Loup Suprême, mais restait néanmoins impressionnant. On ne
pouvait douter qu’un roi de Fenris occupât la pièce, dont l’organisation et le
contenu étaient arrangés de manière à concentrer l’attention vers la
personne assise sur le trône au fond, tout en entourant chaque visiteur des
trophées de ses conquêtes et des trophées geld de ses alliés.
Certains Chapitres consignaient leurs hauts faits d’armes dans des
manuscrits ou des bases de données, essayaient de rendre justice à leurs
accomplissements à travers des blasons et des symboles, ou bien
construisaient de hautes statues, des bâtiments et des palais commémoratifs
pour célébrer leurs victoires. Les Space Wolves, eux, vivaient au milieu des
traces de leurs efforts personnels et collectifs. Les vies de leurs guerriers les
plus âgés étaient si glorieuses que, comme dans les appartements de Logan,
des halls entiers étaient nécessaires pour contenir tous leurs trophées. Leurs
batailles étaient aussi préservées dans leurs sagas, qui n’étaient écrites nulle
part, mais vivaient sur les lèvres des prêtres-loups et ceux des runes, étaient
chantées par les escouades, transmises d’une génération de frères à l’autre.
Il y avait pléthore de crânes, d’hérétiques ou d’aliens, ainsi qu’une
profusion de leur matériel de guerre, arrangée avec soin pour que les murs
dirigent le regard vers la silhouette sur l’immense trône. Des bannières de
régiments impériaux, offertes en guise de récompenses de bataille
couvraient le mur du fond. Au centre, une Aquila impériale, ses ailes
déployées couvertes de médailles et de talismans gagnés sur
d’innombrables champs de bataille.
Chaque objet de la pièce avait été offert à Logan Grimnar ou pris par lui,
ses annales de guerre personnelles. Chaque crâne était celui d’un ennemi
qu’il avait terrassé et chaque bannière ou médaille lui avait été décernée
personnellement pour ses prouesses au combat, ses talents de chef de
guerre, ou les deux.
Le récipiendaire de tous ces honneurs se tenait, en armure Terminator, sur
un grand trône de pierre gravé des insignes des compagnies placées sous
son commandement. Il adressa à son visiteur un regard noir qui contrastait
brutalement avec le ton de leur précédente conversation.
— Ulrik m’a informé.
Njal fut stoppé net par cette déclaration abrupte, le bruit de la porte qui se
referma soudainement dans son dos résonnant à ses oreilles comme celui
d’un piège.
— Je n’ai pas compris grand-chose de ses propos enragés, si ce n’est que
tu t’es déshonoré, ainsi que les Space Wolves, reprit Logan. Magnus le
Maudit fut mentionné, ainsi que Prospero, mais tout le reste n’a été qu’une
très longue diatribe.
— Je lui offrirais un ut-geld quand il se sera calmé, répondit Njal. J’ai
commis bien des erreurs dans mon interaction avec le Tueur, mais je
compte les rectifier.
Le visage de Logan s’adoucit quelque peu et, dans la mesure où le lui
permettait sa lourde armure, il se détendit. Njal prit une inspiration et
s’agenouilla, ce qui lui valut un sourcil dressé de surprise.
— Pas une fois depuis que tu as prêté les serments de ta charge tu ne t’es
incliné en signe d’allégeance à mon égard, Njal. Que tu le fasses maintenant
m’inquiète.
— J’ai commis une grave erreur, loup suprême.
Sur ces mots, il expliqua à nouveau la terrible situation dans laquelle il se
trouvait. Contrairement à sa confession à Ulrik, les événements lui parurent
cette fois proches du ridicule. Conter son histoire le fit se sentir encore plus
idiot de son relâchement et il eut l’impression d’être un enfant face à un
parent sévère, mais juste.
Quand il eut fini, Njal fut incapable de regarder Logan dans les yeux et il
fixa plutôt les billes de verres dans les orbites de la peau d’ours posée sous
les bottes renforcées du Loup Suprême. Il savait qu’il rencontrerait du
jugement dans le regard de Logan, en dépit de tous les efforts de ce dernier
pour le cacher, et que ce serait le reflet de la façon dont Njal se jugeait lui-
même.
— Regarde-moi, Njal.
— Je… je ne le puis, mon suzerain.
— Alors, tu ne m’es d’aucune utilité Njal. Dois-je te donner un ordre ?
Le Maître des Tempêtes se força à lever les yeux. Il dut faire un véritable
effort physique pour croiser le regard glacial du seigneur loup. Le visage de
Logan était sévère, ses poings serrés sur les accoudoirs de son trône.
— C’est tout ce que tu as à dire ? demanda Logan.
— Je suis désolé ? tenta Njal, bien que le terme lui sembla insignifiant,
confronté à l’ampleur de sa transgression.
— Je me fous de tes excuses, je veux des réponses ! tonna le Loup
Suprême. Quel est ton plan ? Que pouvons-nous faire ? Redresse-toi et agis
comme le guerrier que tu es censé être !
L’admonestation alla droit à l’hésitation de Njal et révéla le cœur de son
désaccord avec Ulrik.
— En fait, je veux aller sur Prospero. Mais je ne sais pas si c’est la
meilleure décision. Les risques sont nombreux et les bénéfices… incertains.
+Nous savons tous les deux ce que tu veux dire par là ! Je comprends que
tu me prennes pour un traître indigne de confiance, mais pour moi tu n’es
guère plus qu’un vagabond de l’histoire qui encense les guerriers qui ont
détruit la plus vaste collection de savoirs de la galaxie. Ne me prends pas à
la légère quand moi, Izzakar Orr, je jure que je vais t’aider à permettre le
retour de tes frères perdus si tu peux me libérer de cette prison psychique !+
— Et l’alternative ? demanda Logan. Si je décide que tu dois te
débarrasser de ce fardeau ? Est-ce possible ?
— Ça l’est, admit Njal, qui se frotta la barbe en se relevant. Il existe des
techniques de wyrd qui permettent de libérer un esprit d’une possession. Je
pense qu’ils pourraient être mis en œuvre dans ma situation.
— Et disposes-tu des ressources nécessaires ? Tu es le seul frère du wyrd
qui ne soit pas en campagne.
— Les serviteurs du wyrdhalle et mes propres pouvoirs devraient suffire.
+Pas si je décide de résister, je pense.+
— Ils essayent tous de résister, pas un seul n’y parvient.
— Tes mots ne me sont pas destinés, n’est-ce pas ? Entends-tu la voix de
ce sorcier ?
— Oui.
— Et entend-il ce que tu entends ?
Njal attendit, incapable de répondre à cela de lui-même.
+Oui.+
L’admission s’était faite à contrecœur, mais Njal n’était pas certain qu’elle
fut sincère. La seule façon d’en être sûr serait de prendre le sorcier sur le
fait.
+Tes pensées me sont cachées, mais ton ouïe et ta vue, ton sens du goût et
du toucher, je les partage. Ce qui est bien malheureux, car tes fourrures
empestent de tes récents efforts et du gras de ta cuisine barbare.+
— Il peut te voir et t’entendre.
— Alors, réponds à cette question, seigneur du wyrd de Prospero. Logan
regardait Njal comme s’il pouvait voir l’esprit à l’intérieur de sa tête. Ton
labyrinthe, le portail, accède-t-il à l’Œil de la Terreur ?
+Le Portail Labyrinthe relie bien des endroits, au-delà du temps et de
l’espace, et à travers les profondeurs du warp. L’Œil de la Terreur n’est
qu’un gouffre béant traversé par les glorieux artifices issus du savoir
prosperin.+
— Il dit que oui.
+Attends ! Plus que ça, je perçois qu’il s’est produit une grande
perturbation dans le warp, une turbulence comme on n’en avait jamais
observé depuis avant la chute des eldars et le début du règne de l’Empereur
sur Terra.+
— On a appelé cela la Grande Faille, une tempête d’une magnitude telle
qu’elle a déchiré la galaxie, expliqua le Maître des Tempêtes à son passager
clandestin. Des rituels wyrdiques et d’immenses sacrifices ont brisé les
barrières qui séparaient les royaumes.
— Que dit-il ? Demanda Logan, dont les mains s’agitaient de frustration.
Que te dit-il ?
+Le labyrinthe est plus fracturé que jamais. Prospero brûle d’un pouvoir
qui n’est entravé ni par des cristaux ni par des nœuds d’énergie. Et Magnus
! Je peux sentir l’astre ardent de son esprit à portée de main.+
— Magnus est revenu sur Prospero ? demanda Njal. Le Loup Suprême eut
l’air de vouloir prendre à nouveau la parole, mais l’expression intense du
Prêtre des Runes le dissuada de l’interrompre.
+Il n’est pas sur notre planète ancestrale, mais proche.+
— Il existe maintes rumeurs selon lesquelles le Roi Écarlate aurait arraché
la Planète des Sorciers de l’emprise de l’Autremer, dit Logan en devinant
les paroles du sorcier. Est-ce vrai ?
+Je comprends les mots de ton seigneur, mais pas leur sens. De quelle
planète parle-t-il ?+
— C’est une trop longue histoire, sorcier. Pour l’instant, tout du moins.
Njal fixa le Loup Suprême du regard.
— Quel est ton ordre, mon suzerain ? Bravons-nous le labyrinthe de
Prospero ou dois-je tâcher de bannir cette intrusion ?
Logan porta la main à son front, en pleine réflexion. Ses yeux scrutaient
ceux du Prêtre des Runes, comme tentant de voir à l’intérieur de son esprit,
d’observer le fragment de sorcellerie qui s’y était inséré. Sa mâchoire
bougeait machinalement, semblant mâcher les pensées qui tourbillonnaient
dans sa tête. Quand il prit la parole, ce fut de façon mesurée, royale. Le
désespoir et l’empressement avaient disparu, remplacés par la sagesse et le
calme.
— Tu iras sur Prospero. Nous avons prêté serment de ne pas abandonner
un seul de nos frères de la Treizième Compagnie, et nous tiendrons parole.
Et puis…
Le Loup Suprême marqua une pause et son expression se fit désolée.
— Et puis, s’il existe une quelconque façon d’utiliser ce labyrinthe pour
chercher le Roi Loup…
+Que veut-il dire par là ? Où est Russ ?+
— Je serai des plus attentifs, loup suprême, promit Njal. Mais tu parles
comme si j’allais voyager seul. Ne m’apporteras-tu pas ton soutien ?
— Tu as mon soutien plein et entier, dit Logan. Mais ma puissance est déjà
à la limite de sa capacité, et je n’ai que peu à consacrer à cette quête. J’ai
promis des troupes à une autre cause, et j’honorerai cet engagement, mais si
d’aucuns se portent volontaires pour t’accompagner, je les libérerais de
leurs autres devoirs pour qu’ils puissent le faire.
Njal s’affaissa un peu, mais ne pensa pas à se plaindre. De telles faveurs,
pour aussi petites qu’elles fussent, étaient plus qu’il ne méritait. Il hocha la
tête en guise de remerciements.
— Alors, que tous dans le Croc sachent que Njal le Maître des Tempêtes
cherche des compagnons pour une mission qui, un jour, entrera dans la
légende, déclara Logan Grimnar. Les Space Wolves retournent sur les
ruines de Prospero !
CHAPITRE 4
UNE COMPAGNIE SE RASSEMBLE

La volonté du Loup Suprême fut connue à travers le Croc en une heure. En


tant que Roi Loup depuis très longtemps, la parole de Logan était liée à un
code plus solide que le fer, et la même chose était vraie pour le devoir qui
reposait sur les épaules de ses compagnons. Les mots qui avaient franchi
ses lèvres résonnèrent le long des couloirs, murmurés de thrall en thrall et
crachotés par les haut-parleurs vox dans les postes de garde les plus
distants. Dans les forges, son ordre recouvrit le fracas des marteaux et le
claquement de la soudure à l’arc.
Les Space Wolves étaient toujours en guerre, quelque part dans
l’immensité de la galaxie, mais chaque déclaration d’engagement imminent
était communiquée de la même façon. Comme à l’époque où les tribus de
Fenris tambourinaient leurs lances sur leurs boucliers et dégainaient leurs
lames, un seul mot franchit les lèvres de tous ceux qui entendirent l’appel
de Logan :
Bludhaer.
L’Heure du Sang. Le temps de la guerre. Un appel aux armes aussi ancien
que la langue dont le mot provenait.
Le message voyagea plus rapidement que Njal, qui découvrit donc, quand
il se retrouva devant la chambre des runes, Aldacrel le Prêtre de Fer qui
l’attendait devant la porte en compagnie d’une coterie de servitors standards
et d’armes. Njal et Aldacrel s’échangèrent des salutations silencieuses d’un
signe de tête, des décennies de ce rituel rendant les mots inutiles. Le Prêtre
de Fer attacha un heaume aveugle à son armure, peinte de rouge en
l’honneur de ses liens avec l’Adeptus Mechanicus martien. De même, les
servitors liés aux armements avaient la vue bridée par des capuches qui leur
masquaient le visage. Aldacrel indiqua qu’il était prêt et Njal ouvrit le
verrou runique avant de s’écarter pour le laisser entrer avec ses assistants.
Les servitors le suivirent aveuglément d’un pas lourd, leurs sens déjà
chirurgicalement immunisés contre les émanations psychiques qui
inondaient la pièce.
Njal entra et verrouilla la porte derrière lui, tandis qu’Aldacrel et sa suite
préparaient l’armure, se mouvant sans encombre malgré leur absence de
vision. Ils connaissaient par cœur et reconnaissaient au toucher chaque
rivet, chaque segment et chaque soudure de la cuirasse de Njal. Un servitor
se plaça derrière lui et prit ses fourrures et sa coiffe pendant qu’il se
déshabillait, révélant une peau constellée de cicatrices, tendue sur des
muscles puissants. Sous la carnation cireuse se trouvait la sombre couche de
sa carapace noire, le dernier des implants chirurgicaux qui avaient fait du
guerrier tribal qu’il avait été un space marine digne de l’Adeptus Astartes.
Les fiches et interfaces de son armure perçaient la chair en anneaux plissés,
l’éclat du métal se détachait sur la couleur de sa peau.
Il retira ses bottes et les écarta. Il se dirigea à grandes enjambées vers
l’armure et se tourna pour faire face au trône d’os où il avait fait la
rencontre de l’éclat d’Izzakar Orr. La présence du sorcier s’embrasa. Il
semblait plus proche, plus distinct dans cette pièce. Des étincelles d’énergie
dorée crépitèrent le long des conduits runiques, tandis que les autres
continuaient à s’affairer, insensibles à l’activité psychique autour d’eux.
+Tout ce que nous avons toujours voulu dénoncer recouvre désormais
tout.+
Njal pouvait sentir une vague de dégoût monter en lui, bien qu’il n’en fût
pas lui-même à l’origine.
+Les superstitions et les rituels ont remplacé l’étude studieuse et les
cérémonies précises. Tu es aussi aveugle à ce que tu manipules que ces
pantins qui t’habillent.+
Njal ne dit rien, peu enclin à parler devant la suite du Prêtre de Fer. Le
sifflement des plates qui se détachaient derrière lui ramena ses pensées au
moment présent. Il leva les bras en croix et l’assemblage des éléments
intérieurs commença, pour venir d’abord couvrir son abdomen, ses cuisses
et ses biceps.
+Tu peux caparaçonner ton corps, mais ton esprit reste vulnérable, shaman
arrogant. J’entends encore les accusations de tes prédécesseurs, l’hypocrisie
de leur critique de nos traditions. Bande de secoueurs d’os et de
marmonneurs de rêves. Vous ne valez pas mieux que les féticheurs orks.+
Njal continuait de tenir sa langue. Il ne ferait pas à Izzakar le plaisir de se
mettre en colère. Penser à la ruine qu’ils avaient apportée à Prospero pour
ses transgressions lui permettait d’ignorer plus facilement les insultes du
sorcier.
La partie principale de l’armure se fixa dans sa chair percée d’interfaces.
Le vif pincement des connecteurs envoya un élancement le long de ses
nerfs. Une douleur sourde s’installa dans son crâne alors que ses oreilles
bourdonnaient. Ses autosens lui renvoyèrent un bruit blanc à travers la vue
et à l’ouïe, car ils n’étaient pas encore reliés à la batterie de capteurs
sensoriels de l’armure activée, ce qui provoqua un conflit entre sens
naturels et artificiels. Il montra les dents quand des acouphènes lui
agressèrent les oreilles.
— L’entrée auditive est opérationnelle, murmura-t-il.
— Mes excuses, Maître des Tempêtes. Elle a dû être mal désactivée la
dernière fois que nous t’avons retiré ton armure, s’empressa de s’excuser
Aldacrel pendant que ses doigts manipulaient des contrôles à l’intérieur de
la plate arrière. Une seconde plus tard, le bruit perçant prit fin.
+Qu’est-ce que ça fait, de scruter le warp et de ne voir que des mystères
fumeux ? De ne rien voir des sublimes paysages du warp et des mondes de
possible que le Roi Écarlate à mis au jour ? Avec Magnus comme guide,
nous avons traversé le pont arc-en-ciel de vos légendes et veillées et avons
exploré les neuf royaumes, et au-delà. Depuis Prospero, les Thousand Sons
contemplaient un univers de merveilles tandis que les fils de Fenris lisaient
dans des entrailles et jetaient des osselets. Ce que vous, vous regardiez
comme des mythes, nous en avons fait notre réalité.+
Et pourtant, vous ne nous avez pas vus venir, pensa Njal, ses lèvres pincées
pour empêcher le moindre mot de sortir. Izzakar ne réagit pas à ce violent
affront. La preuve, peut-être, qu’il ne pouvait pas entendre les pensées du
Prêtre des Runes. Mais il était évident que le Maître des Tempêtes était
distrait, ses mouvements mal coordonnés à ceux des servitors. L’un d’eux
couina de confusion, cherchant un avant-bras à mettre dans un canon, mais
le trouvant dans une mauvaise position. Njal releva bien vite le bras. Il ne
s’était pas aperçu qu’il l’avait baissé.
+Tu penses pouvoir garder tes pensées des périls de l’Empyrée quand tu as
à peine la discipline requise pour mettre ton corps dans son armure. Il n’est
guère surprenant que mon âme ait été attirée par le vide de ton esprit.+
Le rituel servait autant à se retrouver en phase avec lui-même qu’avec son
armure, et les interruptions d’Izzakar l’en empêchaient. Njal se mit à
chanter les odes de bataille qu’il avait apprises lors de son arrivée dans le
Croc, et elles apportèrent aisance et rythme à ses mouvements et à ses
pensées.
Sa voix adopta un timbre grave, une fréquence en dessous du spectre que
pouvaient percevoir les servitors, bien qu’Aldacrel, lui, se raidît légèrement
en reconnaissant la chanson.
Njal sub-vocalisa plusieurs strophes, se remémorant au gouvernail d’un
vaisseau drac, naviguant sur les flots déchaînés d’une mer agitée. Le rythme
des mots était celui du fracas des vagues sur la coque. Le Prêtre de Fer
ajouta sa propre voix, légèrement plus haute, comme les gémissements du
vent contre le mat et les voiles.
+Je n’arrive pas à imaginer quels effets délétères le combat a eu sur tes
capacités mentales. Si tu…+
Le souvenir étouffa les jacassements d’Izzakar et, pour la première fois
depuis qu’il avait découvert la présence invasive du sorcier, Njal ressentit
un moment de calme et de soulagement.
— Ce qui affecte l’esprit trouble le corps, dit Aldacrel.
— C’est vrai, répondit Njal sans offrir plus d’information.
Il dissimula son trouble intérieur contre la perspicacité inattendue du prêtre
de fer.
Celui-ci n’insista pas et continua l’ajustement de l’armure dans le silence
traditionnel, brisé unqiuement par le couinement des armes, le grincement
des servomoteurs, quand Njal testa la charge de son armure, et les bruits
sourds des bottes des servitors sur le sol cristallin.
Enfin, Njal fut caparaçonné de la tête aux pieds dans la massive armure
tactique Dreadnought : des couches de plastacier, d’adamantium et de
céramite qui en faisait l’égale de la légendaire armure de Logan. Il se saisit
de son bâton, et les doigts de son gantelet se refermèrent sur la hampe
comme sur le poignet d’un ami qui lui serait revenu.
Njal se tourna et souleva le dernier composant, une armature de fins fils
cristallins à l’allure de toile d’araignée, de laquelle se détachaient quelques
câbles plus épais. Il déposa la coiffe psychique sur son crâne, la laissant se
mêler à ses cheveux et ordonna à Aldacrel de connecter l’interface. Les
doigts habiles du Prêtre de Fer s’occupèrent rapidement d’établir la
connexion, puis il se recula, sa vision toujours protégée, tandis que de
l’énergie éthérée se mit à crépiter autour du Prêtre des Runes.
L’esprit de Njal inonda son bâton et son armure. Les runes s’illuminèrent
de pouvoir, brillant rouge, ambre et or en se chargeant. Sous le
vrombissement de puissance de l’armure, un flot subtil d’énergie psychique
murmurait le long des plates. Le Maître des Tempêtes banda ses muscles
mentaux tandis qu’il exerçait une pression sur les amas de fibres et les
servomoteurs. Un arc électrique apparut entre ses doigts et une aura
d’énergie bleue surnaturelle se forma autour de sa silhouette, transformant
la considérable protection offerte par l’armure Terminator en forteresse
personnelle quasi impénétrable. À la limite de son spectre auditif, il entendit
le hurlement des esprits-loups qui guidèrent son esprit dans le warp.
D’une pichenette mentale, il appela Aile-de-Nuit. Le psyber-corbeau se
posa sur son bras tendu, les plumes ébouriffées par l’électricité statique.
— Bats-toi bien, Maître des Tempêtes, énonça Aldacrel avec sincérité.
Puisses-tu faire honneur à cet équipement et apporter la victoire au chapitre.
La coiffe psychique inhibait l’insidieuse irritation d’Izzakar, le réduisant à
une vibration sourde dans les tréfonds des pensées du Prêtre des Runes.
Stimulé par ce calme, Njal des Tempêtes quitta les wyrdhalls à grands pas
pour aller à la rencontre de son destin.
Il existait de nombreux grands halls dans le Croc, mais aussi beaucoup de
dortoirs, d’infirmeries, d’armureries et de batteries d’artillerie. La forteresse
comportait de nombreuses tours de guet, dépôts, loges de chasse et quartiers
wyrdiques, le tout approvisionné par une douzaine de baies d’atterrissage,
de forges et de manufactures. Njal avait l’impression que tout cela avait été
vidé par l’appel aux armes du Loup Suprême. Son équipe d’intervention se
rassembla lentement dans le Hall des Longs Crocs, à proximité des portes
orientales et des hangars à navettes au-dessus d’eux.
Un mélange contradictoire de fierté et de tristesse envahit le Prêtre des
Runes quand les volontaires arrivèrent, certains seuls, d’autres par petits
groupes. Un assortiment de chaque catégorie imaginable d’habitants de la
forteresse.
Il y avait tout d’abord des Space Wolves qui avaient été mutilés et se
retrouvaient incapables d’occuper une position dans une escouade
classique. La plupart avaient au moins une prothèse bionique quelconque,
des artifices grinçants et maladroits de plastacier et de câbles, gainés de
céramite et de bronze polis. Il s’agissait de guerriers qu’on avait remis sur
pieds en pleine bataille, dont la chair et les os avaient subi un bricolage de
fortune comme les réparations d’un vaisseau sous le feu ennemi, rafistolés
juste assez pour continuer le combat, mais consignés à des fonctions de
réserve à leur retour.
Ils se mouvaient avec dignité, les yeux brillants à l’idée de repartir au
front. Leur esprit était bien plus motivé que leur corps n’était capable. Ils se
traînèrent, clopinèrent et claudiquèrent en rangs vaguement ordonnés,
comme pour l’inspection. La pénombre du hall était percée du scintillement
d’yeux bioniques rudimentaires et résonnait du ronronnement des pompes
hydrauliques et des sifflements des encombrants vérins pneumatiques.
Des centaines de thralls avaient également répondu à l’appel, interprétant
la convocation du Loup Suprême comme une raison de laisser derrière eux
les pénibles tâches qui leur incombaient dans le Croc. Des thralls de tous
âges et de tous états physiques servaient le chapitre dans chaque Grande
Compagnie et dans la flotte, et il n’était pas inhabituel de les retrouver
proches du cœur des combats.
Cependant, ces thralls-là étaient ceux que leur initiation ratée n’avait pas
tués, mais laissés, comme les vétérans, incapables de servir au front, ainsi
que ceux trop âgés ou trop jeunes pour pouvoir se rendre utiles en
travaillant dans les salles des torpilles d’un croiseur d’attaque ou les ponts
d’artillerie d’une barge de bataille. Habillés de leurs simples tuniques et
sarraus, ils se rassemblaient comme faire se peut, certains aux cheveux
aussi gris que ceux d’Ulrik, d’autres avec juste un peu de duvet sur les joues
et le menton.
Quelques autres space marines s’étaient arrachés aux soins des assistants
et servitors de l’apothecarion. Des estropiés en marche. Certains arboraient
encore des bandages sanguinolents à la tête ou des moignons, d’autres
avaient dissimulé des blessures internes sous des armures récupérées à la
hâte dans les forges. Njal en remarqua un en particulier, dont un côté du
visage et de la tête était recouvert de bandages et de plastek. Son armure
portait les marques d’un chef de meute des Chasseurs Gris de la grande
compagnie des Tueurs de Dracs. Njal le connaissait. En effet, il s’était tenu
à moins de trois mètres de lui quand une roquette ork lui avait éventré le
heaume et déchiqueté la moitié du visage et du crâne.
— Valgarthr ? Le Maître des Tempêtes s’approcha, la main tendue. Je suis
honoré par ton geste, mais tu n’es pas en état de retourner combattre de
sitôt.
Le chef de meute rencontra le regard de Njal de son unique œil valide,
bleu polaire déterminé.
— Ce n’est pas un simple geste, Seigneur des Runes, dit le sergent.
Il regarda les hommes présents autour de lui pour montrer qu’il parlait au
nom de tous.
— Nous pouvons nous battre. Nous nous battrons, aussi vigoureusement
que n’importe quel frère de Fenris.
Njal cacha son désarroi et envisagea de retourner auprès du Loup Suprême
pour revenir sur sa décision de se rendre sur Prospero.
+C’est ça, les glorieux Space Wolves ? Vous avez dû sentir passer le coup
administré à vos traîtres de cousins pour vous être retournés contre Magnus
et les siens.+
— Ton monde est en ruines, ta Légion en poussière, murmura Njal. J’y
réfléchirais à deux fois avant de te vanter des blessures infligées.
Malgré tout, les railleries du sorcier endurcirent Njal face à la perspective
de ce qui allait se produire. Si telles devaient être ses troupes, soit. Ils
étaient tous des Space Wolves et c’était ça le plus important. Ils étaient tous
prêts à donner leur vie pour le Père-de-Tout et le Chapitre et c’était son
devoir, et son privilège, de les conduire.
D’autres rejoignirent le rassemblement, attendant l’ordre d’embarquer :
des technoprêtres ayant juré allégeance aux Space Wolves, avec des
servitors assemblés en une imitation grotesque d’hommes-machines et trois
Scouts épuisés, tout juste de retour d’une longue patrouille dans les
tempêtes du warp. D’autres reliquats divers d’un Chapitre parti en
campagne.
Plus il pensait à la tâche qui l’attendait, et à la compagnie qu’il aurait, plus
son humeur s’améliorait, de façon inversement proportionnelle à toute
évaluation objective de leurs chances de succès.
Le Maître des Tempêtes identifia, parce qu’il les connaissait
personnellement ou grâce aux marques sur leurs armures, ceux qui avaient
des compétences de commandement, et les chargea de commencer à
organiser tout le monde en meutes de combat. Les discours étaient bels et
bons pour le moral et la fraternité, mais Njal savait d’expérience que
l’organisation et le sens des détails permettaient de gagner plus de batailles.
Cependant, on attendait de l’art oratoire dans une telle occasion.
— Le Loup Suprême a dit que nous entrerions dans la légende, et il a
raison. Le premier venu peut remporter une bataille avec une demi-
douzaine de Grandes Compagnies, des vaisseaux et des tanks. Mais il faut
des héros pour triompher là où tout le reste a échoué. Et des héros, voilà ce
que j’ai sous les yeux. Chacun d’entre vous a été forgé selon les rêves de
guerre de Russ lui-même. Le Roi Loup n’aurait pu souhaiter une plus
grande réunion de courage, de détermination et d’esprit guerrier. Des sagas
seront chantées durant de longues années, qui honoreront ce jour et ceux à
venir.
Les Caveaux des Anciens vibraient d’une étrange atmosphère faite de bruit
blanc et d’impression d’antiquité. Parcourir ces vénérables halls, c’était
approcher l’un des plus grands guerriers de Fenris, encerclé par les
machines ronronnantes qui le maintenaient, lui et ses compagnons moins
respectables, attachés à la sphère des mortels. Njal ne put s’empêcher de
penser au Père-de-Tout, préservé sur le Trône D’or de Terra, alimenté par
une technologie similaire bien qu’inconcevablement plus grandiose.
Un large corridor conduisait au caveau principal, un espace circulaire de
plusieurs dizaines de mètres de diamètre. En son centre se trouvaient les
coquilles vides des Dreadnought, marcheurs blindés aussi hauts que deux
Prêtres des Runes et tout aussi larges. Leurs corps massifs, plats aux deux
extrémités, étaient recouverts de runes, d’emblèmes et de totems de peau de
loup, peints des couleurs qu’ils avaient portées en tant que frères de bataille.
Au milieu, l’un des Dreadnought était un peu à l’écart, les autres disposés
par ordre hiérarchique. Chacun avait en son centre un vide d’où des câbles
et tuyaux déconnectés pendaient comme des entrailles.
Njal choisit de ne pas se rendre vers les carcasses de métal vides des
machines de guerre et se tourna plutôt vers les sarcophages couverts d’acier
qui s’alignaient le long des murs. Comme les engins de guerre dont ils
faisaient partie, ils étaient aussi décorés à la manière de Fenris, ornés de
crânes de loup et de pendentifs en crocs. Njal trouva bien vite celui qu’il
cherchait. La plate principale arborait un crâne de loup sur deux os en croix,
le nom de son occupant inscrit en dessous. Un unique nom, si évocateur
pourtant pour tous ceux qui étaient passés par le Croc. Dans un simple
murmure, il invoquait les sagas des plus grands héros et batailles.
Bjorn.
Njal contempla le panneau à côté des sarcophages. Les signes de vie qu’il
indiquait étaient à peine en dessous de la conscience, l’occupant du
sarcophage n’étant pas replongé profondément dans sa stase depuis
l’invasion de Magnus le Rouge. Njal hésita, se demandant s’il était juste de
réveiller Bjorn à nouveau, si tôt après ses combats récents.
Il n’avait pas le choix. Personne d’autre ne connaissait Prospero aussi bien
que Bjorn, aucun autre Space Wolf n’avait parcouru les légendaires rues de
Tizca.
Il tira lentement le levier adjacent et éteignit le champ de stase projeté dans
la cuve de Bjorn. Des lumières passèrent du rouge à l’ambre, puis au vert,
tandis que dans la tombe Bjorn émergeait de son sommeil. Njal se recula
pour se tenir devant le mécanisme oculaire au-dessus du sarcophage et se
montrer ainsi à l’antique guerrier.
Une voix grésilla de la grille de l’enceinte, lente et déterminée, altérée par
la modulation artificielle, mais cependant riche de son timbre profond.
— Quand le Seigneur des Runes vient à moi, je sais que la situation est
critique. Dis-moi, Maître des Tempêtes, pourquoi troubles-tu mon repos ?
— Les Thousand Sons.
— Sont-ils déjà revenus ? Les Cyclopes ?
Njal crut détecter une note de surprise dans la voix de Bjorn.
— Pas cette fois, Main Terrible. Nous allons à eux. Sur Prospero.
— Rien ne demeure de Prospero, Maître des Tempêtes. Nous l’avons
détruite, dans notre courroux.
Njal hésita, ne sachant pas quoi mentionner de sa situation particulière et
de la présence envahissante d’Izzakar.
— Le Portail Labyrinthe demeure. Le Vieux Loup m’a chargé d’assembler
une force de frappe pour y retourner et y pénétrer, pour en libérer nos frères
qui sont enfermés.
Un bruit étrange sorti des hauts parleurs. Il sonnait comme des
grincements d’engrenages et Njal comprit qu’il s’agissait d’un ricanement.
— Quand j’entends « Vieux Loup », ce n’est pas à Logan que je pense,
mais à un autre. Le premier à porter ce nom. Bulveye Barbe Grise, Jarl de
drekk-ta quand Prospero brûla.
— C’est Bulveye que nous recherchons, Main Terrible. Sa Vieille Garde et
lui ne nous sont pas revenus avec les autres de la Treizième Compagnie. Ils
sont piégés dans le Portail Labyrinthe et ne peuvent s’en échapper.
Bjorn ne dit rien et Njal vérifia sur le io-affichage que les restes de son
enveloppe charnelle étaient toujours conscients dans le sarcophage. Tous les
signes étaient normaux et il se souvint que Main Terrible avait vécu, d’une
certaine manière, dix mille ans. Il n’était pas homme à faire un
commentaire précipité, bien que sur le champ d’honneur, il se battit encore
avec la même furie dont les sagas disaient qu’elle l’animait déjà en tant que
jeune Griffes Sanglantes. Il existait dans une échelle temporelle différente
de celles des guerriers mortels, et sa pensée suivait un rythme plus réfléchi.
Le grésillement du haut-parleur se fit à nouveau entendre, la voix de Bjorn
mesurée, presque mélancolique.
— Je me souviens de pyramides de cristal qui se brisent et d’un ciel de
pluie de feu. D’un vent hurlant et d’éclairs qui sèment la mort. Nous avions
voyagé à travers l’Autremer pour anéantir une autre légion, avec pour nous
la puissance du Père-de-Tout. Peux-tu te représenter le cataclysme qu’est
une légion qui s’écrase comme un ouragan sur la forteresse d’une autre,
Maître des Tempêtes ?
— Je ne le puis. Une telle fureur n’a pas été vue depuis dix mille ans,
Main Terrible.
— Non. La voix de Bjorn était morose, triste. Nous avons brisé les
Thousand Sons ce jour-là, mais quelque chose d’autre s’est aussi brisé. J’ai
croisé le fer avec des guerriers que j’avais autrefois considérés comme les
frères d’un père différent. Nous avons accompli la volonté du Père-de-Tout,
et avec joie, mais il n’est pas décent de déranger les fantômes que nous
avons fait naître sur Prospero.
+Est-ce vrai, ce qu’il dit ? Qu’est-il advenu de Magnus et des Thousand
Sons ? Tout est si obscur à ce sujet, filtré par la brume du voile.+
Njal ignora le sorcier et passa au crible les propos de Bjorn. Il y trouva une
réponse.
— J’imagine que cela signifie que tu ne te joindras pas à cette expédition ?
— Je ne retournerai pas sur Prospero, Maître des Tempêtes. Le passé est le
passé.
Le Prêtre des Runes se garda de plaider sa cause. Aucun nouvel argument
n’aurait pu convaincre Main Terrible, et cela aurait été irrespectueux. Il
avait toujours à l’esprit la dispute qui avait éclaté avec Ulrik, et se força à
accepter la décision du Space Wolf enfermé dans son sarcophage.
— Très bien, Main Terrible. Ta griffe nous manquera beaucoup.
Il fit un geste en direction des appareils de contrôle, mais un raclement de
gorge mécanique l’arrêta.
— Laisse-moi éveillé encore un peu, Maître des Tempêtes. Le haut-parleur
émit une piètre imitation de soupir. Je ne veux pas regagner les limbes tout
de suite. J’informerai les prêtres de la forge quand je souhaiterai dormir.
— Bien sûr, honorable ancien.
— Une dernière chose, dit Bjorn, alors même que Njal allait se retirer.
— Oui, Main Terrible ?
— Ne laisse pas une mission de secours se transformer en quête de
vengeance, ou en un retour à d’anciens combats. Trouve la Vieille Garde et
ramène-la à la maison. Tout le reste n’est que vanité.
Njal indiqua d’un signe de tête qu’il acceptait ce conseil, bien qu’il ne fut
pas certain d’en mesurer l’importance. Bjorn avait manifestement un point
de vue différent de celui de quiconque, excepté du Père-de-Tout, du Roi
Loup et du traître Magnus. Mais ces paroles raffermirent sa résolution, et il
s’en alla et laissa le caveau des presque-morts replonger dans le silence.
Les préparatifs pour l’expédition se poursuivirent. Les maîtres des forges
plongèrent au plus profond de leurs stocks pour équiper le contingent de
thralls. Des vétérans s’entraînèrent avec des aspirants novices tandis que
des technoprêtres ravivaient les esprits de la machine de ces automates
géants endormis dans les profondeurs les plus reculés du Croc. Quarante-
huit heures après la déclaration de Logan Grimnar, l’expédition fut presque
prête à partir.
Le Loup Suprême en personne convoqua les guerriers dans le Grand Hall.
Sous les bannières des générations passées, contemplant les yeux
écarquillés les trophées et reliques exposés, les thralls furent honorés par le
maître du chapitre. La bière fut remontée des celliers par des vétérans vieux
de plusieurs siècles, en reconnaissance du lien avec leurs nouveaux pairs.
Les space marines se servirent chacun d’une chope ou d’un gobelet fait du
crâne ou d’un autre reste d’un ennemi défait. Pour ceux qui ne disposaient
pas du système digestif amélioré d’un space marine, la bière avait été diluée
et servie dans de simples tasses d’acier.
Logan souleva une corne débordante de mousse. L’appendice enchâssé
d’or avait été pris sur une monstrueuse bête ork qu’il avait terrassée de ses
seules mains. L’assemblée disparate leva en retour sa chope.
— C’est ici que les Grandes Compagnies des Space Wolves se
rassemblent, commença Logan en faisant un geste de l’autre main pour
indiquer les tables et le Grand Annulus au centre du hall, gravé sur des
pierres massives et accompagné des symboles des seigneurs loups régnants.
Vous venez de multiples endroits, et pourtant de nulle part, pour chercher
ceux qui sont perdus. Tous les voyages se font vers l’inconnu, car le futur
est une mer trompeuse. Les eaux sur lesquelles vous allez naviguer sont
obscurcies par les plus épais brouillards. Écueils et monstres vous attendent,
sans aucun doute, dissimulés dans l’obscurité. Et, à votre arrivée sur la
berge étrange, vous vous retrouverez dans un pays bien plus étranger.
Il traversa les pierres du Grand Annulus d’un pas vif pour se placer sur son
symbole, celui des champions de Fenris, une tête de loup hurlant sur une
lune sombre. La pierre circulaire au centre lui faisait face, le symbole du
Loup-qui-marche-parmi-les-Étoiles, représentait son titre de Loup Suprême.
Son regard survola les symboles des pierres des autres compagnies :
Gueules Sanglantes, Crinières Noires, Loups d’Acier, Fils de Morkai et les
autres, et s’attarda sur la pierre noire qui représentait la Treizième
Compagnie disparue.
— Vous n’êtes pas représentés ici, et il n’y a pas de place pour que vous le
soyez, mais, dans le fond, vous êtes une Grande Compagnie. En tant que
telle, votre chef est un seigneur loup, parmi tous ses autres titres bien
mérités. Les bardes doivent avoir un nom pour votre saga, dont le chant
emplira ces halls pour bien des générations et accédera à la terre de nos
ancêtres. Ce n’est pas à moi de vous donner ce nom, mais à votre seigneur
de le choisir.
— Je n’oserais pas, protesta Njal, de sa place à la grande table.
— Tu as de trop larges épaules pour les cacher par de la modestie, fit mine
de le réprimander le loup suprême. Tu connais mieux que quiconque ici les
légendes de notre peuple. Choisis ton totem et nomme ta compagnie.
— J’ai un nom, celui de Maître des Tempêtes, insista Njal. J’en ai été
honoré depuis qu’on me l’a attribué.
Logan ne dit rien, mais des murmures et des grondements d’insatisfaction
s’élevèrent de l’assemblée de guerriers. Le chef de meute, Valgarthr, se mit
debout et tira une hache à longue lame de sa ceinture.
— Nous ne pouvons pas traverser l’Autremer sans un nom, Seigneur des
Runes, protesta-t-il.
Nombreux parmi les vétérans furent ceux qui hochèrent la tête et
frappèrent la table, sous le regard incrédule des thralls, qui ne savaient pas
comme réagir. Valgarthr pointa du doigt son épaulière. Njal constata qu’elle
était vierge, le symbole du Tueur de Dracs ayant été recouvert de la peinture
bleu-gris, les couleurs du chapitre. Les autres aussi avaient effacé les
insignes de leur ancienne Grande Compagnie.
— Je me sens nu sans ma rune-aett.
— Très bien, concéda Njal, alors que les revendications se faisaient plus
nombreuses et plus virulentes.
Il fouilla dans son esprit, dans ses souvenirs les plus anciens, remonta à ce
temps avant que les guerriers du ciel ne soient venus le chercher.
— Mon oncle m’avait raconté une histoire, quand je n’étais qu’un môme
sur ses genoux, le soir après que mon père ait été tué au combat. Il m’a dit
que l’esprit de mon père avait été emporté par les valkyrs pour chevaucher
les tempêtes entre les mondes et combattre les ennemis du Père-de-Tout,
pour l’éternité. Nous allons rejoindre nos ancêtres sur cette tempête. Nous
seront… les Chevaucheurs de Tempête !
Les space marines rugirent leur approbation, et la voix moins grave des
thralls vint se mêler à la joie face à cette décision. Logan Grimnar reprima
un large sourire, vida sa corne d’une longue gorgée et la leva, vide, à
l’adresse de l’assemblée.
— Les Chevaucheurs de Tempête ! tonna-t-il.
La réponse faite de vociférations, piétinements et coup de chopes sur les
tables, rivalisa avec celle qu’aurait offerte une compagnie bien plus
nombreuse. Quand le tapage approbateur se fut tu, une voix solitaire
résonna depuis les grandes portes.
— Digne des légendes, tout ça ! J’en suis !
Tous les regards se tournèrent vers le nouveau venu. Il portait l’armure de
combat des Space Wolves. Les marques sur celle-ci étaient celles d’un
Griffes Sanglantes, bien que celui qui les arborait fût manifestement bien
plus âgé qu’on ne s’y serait attendu pour une position de novice comme
celle-ci. Ses cheveux étaient une crinière d’un roux violent. Sa barbe courte
et fine ainsi que sa moustache fournie étaient de la même couleur. Son nez
était pointu et ses traits taillés à la serpe. Mais le plus remarquable chez lui
était le grand sourire narquois qui éclairait son visage.
— Que le Père-de-Tout nous vienne en aide, gronda Njal. Lukas.
CHAPITRE 5
L’APPEL DU ROUBLARD

Lukas s’avança dans le hall, adressa un bref signe de respect aux vétérans
qui s’étaient levés, et un autre au Loup Suprême. Il se dirigea vers le Maître
des Tempêtes, lequel dévisageait le nouveau venu avec les sourcils froncés,
quoique Lukas ne pouvait dire si c’était de la confusion ou de l’agacement.
— Il me semble que ce genre d’effort… mission… quête, requiert toutes
les mains qualifiées, non ?
Lukas se retourna, porta les doigts à ses lèvres et siffla deux fois. Un bruit
de bottes se fit entendre depuis le corridor par-delà les portes et, quelques
secondes plus tard, un groupe de sept jeunes Space Wolves apparut. Ils
portaient la barbe courte, les cheveux en tresses complexes et en pointes, en
l’honneur du style flamboyant de leur chef de meute adoptif. Les marques
de leur armure grise étaient celles des Griffes Sanglantes, le rang le plus
subalterne d’un guerrier après que celui-ci ait reçu sa carapace noire et soit
devenu un authentique space marine.
— J’ai amené quelques amis, ça devrait compter pour quelque chose, non
?
— Où as-tu trouvé ces hommes ? demanda le Loup Suprême.
Il pointa les Griffes Sanglantes, indiquant les emblèmes d’une Grande
Compagnie sur leurs épaulières.
— Ces guerriers sont des Loups de Fer ! Egil sait-il qu’ils sont avec toi ?
— Je les ai… empruntés, répondit Lukas en choisissant ses mots. Egil
Loup de Fer n’a probablement pas encore remarqué leur absence. De plus,
je crains que nous ne nous écartions du sujet de mon intervention
opportune. Mes amis, anciennement Loups de Fer, et moi-même nous
trouvons dépourvus d’affectation. Cette petite excursion sur Prospero me
semble idéale.
— Excursion ? gronda Njal.
Lukas se dépêcha de reprendre, le regard posé sur Logan.
— À moins que tu ne préfères que nous rejoignons les Loups de Nuit,
Loup Suprême ?
L’expression d’horreur, puis d’indignation qui envahit le visage de Logan
Grimnar fut une récompense à elle seule, mais l’offre, ou la menace, eut
l’effet désiré.
— Le Trompeur a raison, Njal. Ta cause a besoin de tous les guerriers
possibles.
Le regard du Maître des Tempêtes était toujours aussi noir. Il traversa le
hall d’une démarche mesurée. Par quelque effet acoustique, ou peut-être un
usage subtil du wyrd, ses pas résonnèrent comme des coups de tonnerre,
tandis que la lumière des torches et des lumibandes s’affaiblit, dessinant une
longue ombre au Prêtre des Runes qui s’approchait. Ses yeux étaient animés
de petits points de feu quand il plongea son regard dans le crâne de Lukas.
— J’accepte ton offre, Loup-chacal. Les mots de Njal résonnèrent
étrangement dans la tête de Lukas. Même si je l’interdisais, je pense que tu
viendrais malgré tout. Si tu te révèles le moins du monde être une
contrariété, si ta présence dérange nos préparatifs ou contrarie nos plans
pour servir tes propres objectifs, je te ferai subir un sort si funeste qu’il
ferait pâlir le Roi Loup en personne.
— Bien sûr, répondit Lukas, avec un nouveau sourire forcé.
Il faisait de son mieux pour paraître sincère, mais la nature l’avait gratifié
d’un visage et d’une voix qui tendaient au sarcastique en dépit de tous ses
efforts.
— Mon seul souhait est de servir le Père-de-Tout de la manière que je
connais le mieux.
Njal leva vivement un doigt, ce qui fit tressaillir Lukas. Au bout de sa
phalange, du wyrdfeu dansait et formait une image du visage de Lukas,
tordu par des souffrances abominables.
— Le sort le plus terrible qu’un esprit mortel puisse concevoir et infliger
avec le wyrd, Loup-chacal. Me suis-je bien fait comprendre ?
Lukas hocha la tête, n’osant pas dire un mot. Le Maître des Tempêtes
tourna son regard sévère vers les Griffes Sanglantes, toujours regroupés
près des portes, leur enthousiasme douché par le regard foudroyant.
— Vous êtes jeunes et enthousiastes, ce qui n’est pas surprenant, leur dit
Njal. Mais vous portez le fardeau de votre devoir tout autant que chaque
guerrier ici présent. Vous êtes des Space Wolves, Fils de Russ, seigneur de
Fenris. Votre honneur est l’honneur de notre confrérie. Salissez-le et nous
serons tous salis. Je ne vous demanderai pas d’abjurer ce champion
irréfléchi auquel vous vous êtes attachés. Je sais que ses manières semblent
attractives pour les esprits jeunes et impressionnables. Je vous préviens
cependant que la geis que j’ai placée sur lui, vous la partagez. Battez-vous
bien, et vous serez des légendes. Faites-moi du tort et je serai votre ruine.
Intimidés par ces paroles, les Griffes Sanglantes baissèrent les yeux et
piétinèrent nerveusement. Lukas pouvait sentir leur moral décliner, et il
s’attrista que leur enthousiasme ait été si cruellement refréné plutôt que mis
à profit. Il se glissa vers la table la plus proche et chaparda la chope du
premier guerrier, puis se retira vivement quand le Space Wolf grimaçant
tenta de reprendre son bien.
— Buvons à cette mission, et aux ultimes recrues des Chevaucheurs de
Tempête ! lança Lukas en levant sa chope en direction de ses griffes
sanglantes.
Leur état d’esprit se réchauffa un peu quand les autres Chevaucheurs de
Tempête, confrontés au risque de déshonorer la consécration s’ils ne s’y
joignaient pas, levèrent leurs propres chopines avec des grognements.
Beaucoup considéraient Lukas avec cette patience fatiguée à laquelle il
s’était habitué, mais plusieurs le lorgnaient avec un dégoût marqué,
montrant les crocs et leurs yeux lui envoyant des menaces aussi sérieuses
que l’avertissement de Njal.
— Nous avons des préparatifs à faire, dit-il à sa meute, avant de vider la
chope d’une seule gorgée.
Il lança la chopine vide à son propriétaire, qui l’attrapa avec un regard
noir.
— Il nous faut de la peinture et des munitions ! À l’armurerie, mes frères
Griffes Sanglantes !
Il les fit sortir du grand hall avec des gestes empressés, avant que les
choses ne tournent mal. Sur le seuil, il s’arrêta et se retourna et adressa une
profonde révérence à la Grande Compagnie. Ses yeux parcoururent les
visages, il y lut de l’apathie et de l’antipathie. Son attention s’attarda
brièvement sur Grimnar, qui le regardait avec l’expression de celui qui
observe le passage erratique d’une invasion d’insectes. Enfin, il croisa le
regard fixe du Maître des Tempêtes.
Il voulut lui rendre un regard sincère, pour lui promettre d’un coup d’œil
qu’il ne ferait rien pour mettre en danger la mission, et que le but des
Chevaucheurs de Tempête était aussi le sien. Lukas voulait le faire comme
il savait que ça pouvait être fait, ayant été témoin de gens qui échangeaient
de tels messages sans un mot, leur sens compris dans l’instant.
Ce qui s’exprima fut un clin d’œil taquin et un sourire malicieux.
Lukas ravala son sourire, désemparé face à son propre comportement, et
s’en alla rapidement, sans oser observer la réaction du Prêtre des Runes. Il
se hâta de rattraper ses Griffes Sanglantes.
— C’est une malédiction, ma parole, se marmonna-t-il.
On trouva un vaisseau, ce qui améliora considérablement l’humeur de Njal.
Le Longriffe était un rapide bâtiment d’attaque qui avait été laissé en orbite
autour de Fenris faute d’un équipage convenable après l’invasion des
Thousand Sons. Il disposait d’un moteur warp, d’une baie de largage pour
des modules d’atterrissage, de quelques tourelles d’artillerie et de pas
grand-chose d’autre, mais cela suffisait aux Chevaucheurs de Tempête.
Sous la houlette de Valgarthr et du Maître des Tempêtes, l’embarquement
par navettes débuta et les escouades furent transportées en orbite. On
envoya d’abord un petit contingent de servitors adaptés à l’espace pour
qu’ils préparent l’arrivée des autres. Les barges d’approvisionnement
prirent ce qui était disponible pour remplir les arsenaux et les cales, dont la
majorité du volume fut consacrée à l’armement et aux munitions plutôt
qu’aux commodités et provisions.
Le moral de Njal fut aussi remonté par la visite qu’il reçut d’Aldacrel. Le
Prêtre de Fer approcha le Maître des Tempêtes alors que celui-ci regardait
une nouvelle navette de vétérans décoller de la baie.
— Je viens avec toi, annonça le Prêtre de Fer, d’un ton qui n’appelait pas à
la discussion. Quelqu’un doit veiller sur ton équipement de guerre et apaiser
l’esprit du vaisseau.
— Trois technoprêtres voyageront avec nous, répondit Njal. Tu serais plus
utile à la campagne du Loup Suprême.
— Tu as besoin d’un Prêtre de Fer, pas lui, rétorqua Aldacrel.
Et le débat fut clos. Il s’éloigna, les préposés et servitors se mirent en route
sur un ordre silencieux, tandis que leur maître réquisitionnait l’appareil de
liaison suivant, en partance pour l’orbite.
La déclaration du Prêtre de Fer fit penser Njal à un autre individu dont il
aurait besoin. Il quitta le quai et retourna dans le Croc, pour se diriger sans
attendre vers les quartiers réservés aux membres de la Navis Nobilite.
Par delà un large pont qui traversait l’une des nombreuses gorges à
l’intérieur du Croc, une porte barrait le passage. Elle était gardée par une
escouade de soldats fidèles aux navigateurs. Ils portaient des armures
richement ornées, incrustées d’or à l’image de l’auramite des custodiens de
l’Empereur, bien que leurs occupants fussent des hommes et des femmes
ordinaires originaires des basses castes de Terra, leurs familles attachées
aux dynasties des Navis Nobilite par d’anciens pactes. Ils avaient été
entraînés par des frères de bataille du Chapitre avant d’être autorisés à venir
sur Fenris, mais leur loyauté allait d’abord et avant tout à la Maison
Belisarius.
Tout comme les halls wyrdiques et le pilastre des astropathes, les quartiers
des navigateurs étaient lourdement protégés contre le warp. Njal pouvait
sentir la force oppressante des protections psychiques construites dans les
tours et les salles en arrière du poste de garde. Cela pesait sur lui comme
une montagne.
+Je le sens aussi, une pression derrière des yeux que je n’ai plus.+
Les gardes Navis brandirent leurs lances énergétiques en guise de salut
adressé au Space Wolf qui approchait. Leur officier, une femme, s’avança et
s’inclina avec respect, son visage à moitié dissimulé par la visière sombre
de son haut casque. Elle fit voleter sa cape violette quand elle se pencha,
son autre main posée sur le pommeau de l’épée à sa ceinture.
— Bienvenue, Seigneur de Fenris, dit-elle en se redressant. Le périmètre
des navigateurs est actuellement fermé aux visiteurs.
— Qui est en résidence, Dorria ? demanda Njal, retrouvant le nom de
l’officier dans un recoin peu visité de sa mémoire.
— Le navigateur Remeo et la navigatrice-en-second Majula, répondit San
Artis Dorria Lex Vinduleus. Mais ils sont indisposés.
— J’ai besoin d’un navigateur. Nous partons à l’aube.
Dorria trépigna un peu, mal à l’aise.
— Y a-t-il un problème avec ma demande ? insista Njal.
— Le navigateur Remeo m’a fait savoir avant que vous ne veniez qu’il ne
prendrait pas part à votre voyage vers Prospero. Vous ne pouvez pas
demander à un membre de la Navis Nobilite de risquer sa vie pour rien.
— Je vois.
Njal contint sa colère. S’énerver contre Dorria eût été inutile, elle n’était
que la messagère de cette nouvelle, pas sa source.
— Transmets au navigateur Remeo mon insistance pour qu’il respecte les
termes des accords entre la Maison Belisarius et les Space Wolves. S’il est
réticent à être le guide de mon vaisseau, peut-être n’est-il plus le bienvenu
sur Fenris.
À sa décharge, Dorria ne montra aucune réaction face à la menace
implicite et se contenta de hocher la tête.
— Je saurai communiquer au navigateur Remeo votre désir d’avoir sa
compagnie pour le voyage que vous allez entreprendre.
— Je ne t’en demande donc pas plus, Dorria. Tu fais honneur à ton poste.
Et, sans plus à dire sur le sujet, Njal repartit, d’humeur bien plus sombre.
— Le Loup Suprême veut te voir, Arjac.
Il n’y avait rien de déplacé dans les propos d’Alrik Tente-le-Sort, dont la
silhouette se découpait dans l’encadrement de la porte du thegnhalle, son
armure Terminator éclairée par la lumière dansante de l’immense foyer. Il
portait son heaume et rien n’était visible de son visage. De même, son
armure tactique Dreadnought dissimulait tout langage corporel subtil.
Cependant, la sèche convocation, et non pas requête, qui était ce que
Logan préférait d’habitude adresser à son champion, arrivait à un moment
inconvenant. Arjac était de retour depuis moins d’une heure de son
expédition dans l’intérieur des terres et attendait toujours que les servitors
restant à l’armurerie, surchargés de travail, lui retirent sa cuirasse.
— C’est le Maître des Tempêtes, ajouta Alrik, expliquant beaucoup avec
peu de mots.
— D’accord. Je ferais mieux d’y aller, alors, dit Arjac.
Il se leva du banc et de la table renforcés où il avait dévoré un large
plateau, engloutit une dernière chope de bière, puis se dirigea vers la porte.
— Au wulfhalle, le détrompa Alric, alors qu’Arjac s’était dirigé vers la
gauche et le Hall des Rois.
— Je vois, dit Arjac.
Il était rare que Logan lui parle dans l’intimité de ses quartiers personnels.
Arjac était son champion, et bien rarement son conseiller. Ses interactions
avec son seigneur-lige se déroulaient généralement à la vue de tous, lors
d’audiences ou de rassemblements ouverts. Aller voir le Loup Suprême seul
annonçait quelque chose de plus personnel que son devoir en tant que chef
de la garde des Loups de Nuit.
À grands pas et en empruntant des transporteurs brinquebalants, il traversa
les étages du Croc, et remonta depuis les halls des Loups de Nuit. Il était
incommodant que le Loup Suprême soit installé dans ce qui avait jadis été
le domaine du Roi Loup, tandis que sa Grande Compagnie avait son foyer
dans une autre partie du Croc. Cela rendait sa tâche de garde du corps
ardue, mais, malgré les suppliques d’Arjac, Logan se refusait à rompre avec
la tradition et à loger ses vétérans dans les halls centraux.
Arjac constata que Baldin de la Mer Rouge et Odyn Misère-des-Ennemis
étaient de garde. Ils laissèrent sans un mot leur chef de meute entrer chez
leur maître de Chapitre.
Logan se tenait assis sur le côté d’un long bureau recouvert de feuilles de
plastek transparentes et de liasses de parchemins. Il regardait, les sourcils
froncés, des rapports logistiques et des demandes des astropathes en
affichant une férocité habituellement réservée à ses pires ennemis sur le
champ de bataille.
— C’était comment, Elsinholm ? demanda-t-il en se levant de sa large
chaise, avec sur le visage une expression de soulagement d’être libéré un
instant de ses tâches de commandement les plus pénibles.
— Froid, répondit Arjac.
Il faisait froid partout, sur Fenris. La blague était ancienne, mais elle leur
permit de partager un sourire. Le visage d’Arjac s’assombrit.
— Une vouivre des tempêtes mutante, maintenant morte.
— Bon travail.
— Pas vraiment.
Arjac se savait autorisé à parler franchement à tout moment. En tant que
champion, on attendait de lui qu’il ne dise que la vérité, pour défendre
l’honneur de son seigneur-lige tout autant que sa personne.
— Avant Magnus… Avant l’invasion, les habitants d’Elsinholm l’auraient
chassée sans notre aide, même s’ils n’étaient pas nombreux. Partout, le
peuple souffre, pas seulement à cause de ses pertes, mais dans son cœur. Ils
ont tellement souffert. Plus que même un Fenrissien ne peut encaisser.
— Alors, peut-être ont-ils besoin d’une nouvelle saga pour regonfler leur
moral défaillant. Une histoire qui montre que les Space Wolves et Fenris ne
sont pas intimidés.
— Tu as eu vent de victoires ?
C’était typique de Logan Grimnar de se préoccuper de l’espoir de son
peuple tout autant que de leurs besoins physiques.
— Nos forces expéditionnaires s’en sortent bien ?
— Certaines, répondit Logan.
Il traversa la pièce pour se tenir devant la fenêtre à petits carreaux et
contempla la blancheur du dehors. Sa silhouette se découpa dans la pâle
lumière.
— Mais ce n’est pas de ça dont je souhaite te parler.
— Une vision du Maître des Tempêtes ?
— Oui.
Logan sembla hésiter à répondre, ce qui était inhabituel. Il pesait ses mots
avec autant de soin qu’un responsable de l’approvisionnement comptait les
munitions à distribuer aux compagnies.
— Un nouveau développement, une opportunité.
— Ce n’est pas dans tes habitudes d’user d’euphémismes, Loup Suprême.
Parle franchement.
Logan se retourna avec une grimace préoccupée.
— Ce que je vais te dire ne doit être connu d’aucun autre. Tu dois être le
seul à le savoir.
— Sur mon honneur, acquiesça Arjac, dont le cœur se serra.
Il n’aimait pas les secrets. Il n’en sortait que rarement du bien, même s’il
savait que certaines connaissances, la menace du Chaos, par exemple,
étaient dangereuses en elles-mêmes.
— Je ne le comprends pas parfaitement, mais Njal des Tempêtes a piégé le
fragment d’un autre être dans ses pensées.
Arjac manqua s’étouffer et ses poings se serrèrent. Si vite après avoir été
confronté à la perspective d’une activité démoniaque, c’était un choc que
d’en découvrir la menace au cœur même du Croc.
— Quel type d’être ? Il n’arrivait pas à croire devoir poser la question et
ses doutes se firent entendre d’eux-mêmes. Quelle sorte de créature pourrait
posséder le Maître des Tempêtes ?
— Un sorcier des Thousand Sons. Logan passa une main sur son menton.
C’est une grossière erreur de la part de Njal qui a conduit à cette sombre
situation.
Logan attendit tout en observant Arjac pour savoir s’il comprenait. Poing
de Pierre hocha la tête pour que le Loup Suprême reprenne.
— Nous pouvons encore en tirer quelque chose de positif. Njal retourne
sur Prospero, dans le labyrinthe de warp dément qui a pris au piège Bulveye
et sa Vieille Garde de la Treizième Compagnie.
— Encore des Wulfens ?
Logan haussa les épaules.
— Il va nous falloir attendre pour le savoir. Njal pense qu’il peut ouvrir le
labyrinthe et libérer nos frères perdus avec l’aide de son passager wyrdique,
et je lui ai accordé la permission de rassembler des volontaires pour cette
mission. Tu vas te porter volontaire, Arjac.
— Il n’en est pas question, protesta Poing de Pierre. Je suis ton champion,
ton hearthegn, et ton garde du corps doit rester avec toi. Tu vas bientôt
rejoindre les Loups de Nuit, et ma place, le devoir de ma meute, c’est d’être
à tes côtés.
— Cette mission est plus importante.
— Je ne pense pas.
— Je ne t’ai pas demandé ton avis ! s’emporta le loup suprême
Il avait perdu son calme pour la première fois depuis des dizaines d’années
devant Arjac, et jamais encore il ne l’avait fait contre lui. Le champion
recula d’un pas, blessé par la remarque disproportionnée de son seigneur-
lige.
— Je suis désolé, dit Poing de Pierre. Il s’inclina légèrement, les yeux
baissés en signe d’excuse. J’ai dépassé les limites, Loup Suprême.
— En effet, Arjac, dit Logan, dont la colère se calma. J’ai besoin de Njal
en ces temps troublés. Tu dois le protéger comme tu me protégerais, moi.
— Bien sûr. Il y avait quelque chose d’autre, comme un non-dit dans
l’attitude du Loup Suprême. S’il est si important, pourquoi ne lui ordonnes-
tu pas de se débarrasser du sorcier ?
— Nous avons besoin du moindre guerrier. S’il peut ramener d’autres
frères de la Treizième, nous pourrons combattre sur plus de fronts.
— Mais tu espères aussi quelque chose d’autre ?
Grimnar soupira.
— C’est un espoir insensé, admit-il en retournant à son bureau pour
déplacer avec nervosité les papiers qui s’y trouvaient.
Il souleva un crâne d’ork transformé en presse-papier.
— Peut-être… peut-être peut-on retrouver quelque chose sur le Roi Loup.
Le warp a vomi des démons et relâché le Wulfen au bout de dix mille ans.
Est-ce donc folie que d’espérer que le Temps du Loup soit arrivé, et que
Russ puisse nous revenir pour nous mener à nouveau ?
— Ce n’est pas de la folie, dit Arjac.
Il s’approcha pour n’être plus qu’à quelques pas.
— Mais ce n’est pas nécessaire. Ton cœur ne devrait pas connaître le doute
de toi-même. Tu es le plus grand meneur que ce Chapitre ait connu en plus
d’un millénaire. Si quelqu’un peut nous guider en ces temps obscurs, c’est
toi.
— Quelque chose me préoccupe, reprit le Loup Suprême, laissant
retomber le crâne sur le bureau dans un bruit sourd. La présence dans les
pensées de Njal, elle pourrait devenir plus insidieuse. Les décisions de Njal
sont affectées, directement ou non. Ce sorcier a ses propres objectifs, et
nous ne pouvons pas présumer que le Maître des Tempêtes ira à leur
encontre.
— Tu veux que je surveille des signes de déviance ?
— S’il apparaît que Njal a succombé, tu devras agir. Nous cherchons des
alliés, pas plus d’ennemis. Il me semble qu’il est tout aussi probable que
tout cela soit un piège plutôt qu’une opportunité, mais nous devons prendre
le risque. Tu seras ma hache, s’il le faut.
— Je rappellerai au Maître des Tempêtes ses serments et ses devoirs, dit
Arjac. S’il se tourne contre le Chapitre, je le supprimerai.
Logan hocha la tête et se détourna, mal à l’aise avec le sujet.
— Autre chose ? demanda Arjac.
Le Loup Suprême fit non de la tête, congédiant Poing de Pierre de son
silence. Le garde-loup avait presque atteint la porte quand Logan reprit.
— Puisses-tu aller avec honneur.
— Merci, répondit Arjac.
Mais, alors qu’il mettait le pied hors de la pièce et que Baldin refermait la
porte derrière lui, il se dit que l’honneur serait une denrée rare dans les jours
à venir.
Il sentit l’odeur du sang avant de voir les éclaboussures écarlates
révélatrices dans la neige. Marchant d’un pas léger au milieu des congères,
ses pieds nus s’enfonçant dans la fraîcheur bienfaisante de la blancheur
dense, il s’agenouilla près des gouttelettes. Le vent était mordant sur sa
chaire à nu, venant vif et glacial des collines du nord. Ses bourrasques
faisaient ployer les pins qui s’amassaient autour de la rivière gelée un peu
plus loin.
La piste des taches de sang se prolongeait en direction de la forêt. Il tourna
la tête et vit les endroits où la neige avait été tassée, là où la lutte avait eu
lieu, recouverts par de la poudreuse fraîche, mais visibles à son regard
aguerri.
Lukas tendit les mains, prit un moment pour en examiner les ongles en
griffes, et ramassa de la neige constellée de sang. Il renifla à nouveau,
savourant l’odeur. Un renne de feu. Il inspira profondément, puis écrasa la
neige contre son visage pour se délecter du froid, son physique amélioré le
gardant de tout risque d’engelure. Il se passa les doigts dans les cheveux, les
fit se dresser en pointes comme des flammes prisonnières, et frotta des
poignées de neige sur son corps couvert de cicatrices et de tatouages.
Il se remit debout, la glace et l’eau dégoulinèrent le long de son corps,
comme d’un géant des légendes. Lukas tourna son regard vers les ombres
sous les arbres. Il pouvait suivre les empreintes maintenant, la piste de
rouges gouttelettes fondues s’offrant à lui.
Il s’élança d’une foulée souple et traversa l’étendue enneigée sans la
moindre difficulté. Sa respiration laissait des panaches de brume derrière
lui, des volutes qui réfléchissaient la lumière mourante du soleil et faisaient
scintiller l’air en rouge et orange.
Il ralentit en atteignant l’orée du bois.
Les craquements des branches alourdies par la neige étaient parfois
masqués par le bruit sourd d’un amas blanc s’écrasant sur le sol et le goutte-
à-goutte de filets d’eau courant le long des crevasses d’une écorce argentée.
La piste serpentait autour de plusieurs troncs et disparaissait dans la
pénombre. L’odeur du sang était plus fraîche, désormais. Il pouvait entendre
le gargouillement étouffé de la rivière presque prise par les glaces et le
sifflement du vent dans les roseaux sur la berge.
Son odorat amélioré l’avertit d’autre chose.
Une forte odeur, de chair et de mauvaise haleine, de poils mouillés et
d’urine. Un loup-tonnerre.
Choisissant son chemin avec soin, évitant les branches cassées et les
roches aiguisées, Lukas se faufila vers la rivière et se fondit dans les
ombres. Il entendit le bruit d’une mâchoire qui brisait des os, la peau qui se
déchirait et des muscles qu’on arrachait. Le puissant halètement l’emplit
d’énergie, encore plus revigorant que la tempête de neige.
Il se laissa tomber à quatre pattes, son abdomen près du sol et ses muscles
tendus sous sa peau améliorée. Il tendit le cou pour percevoir la silhouette
et l’odeur de sa proie. Contournant le tronc d’un pin, il arriva sur la berge.
Une piste de gibier serpentait entre les rochers et les bouquets de hautes
herbes couvertes de glace. Il avança encore un peu, prit bien garde au sens
du vent, et arriva derrière un rocher proche de l’eau gelée.
Deux yeux jaunes le contemplèrent depuis la cuvette, au-dessus de deux
rangées de crocs encadrées de babines retroussées. Les oreilles plaquées en
arrière et les poils dressés, le loup-tonnerre ne cilla pas quand Lukas se
rapprocha davantage, ni quand il se laissa silencieusement tomber sur le sol
à une courte distance de lui.
La cuvette était jonchée de morceaux du cadavre du renne. Du sang et des
tripes étaient éparpillés parmi la toison et les bois sur la piste et la glace. La
gueule du loup-tonnerre était rougie par son œuvre, mais il pouvait voir la
maigreur de son ventre et la lueur affamée dans ses yeux.
Varg-ulf.
Corrompu par le wyrd, rendu fou par le besoin de se nourrir et son
incapacité à le faire, poussé par un appétit insatiable à tuer au hasard.
Chassé de sa meute pour en avoir attaqué les membres, abandonné à la
démence et une mort misérable.
Lukas s’avança lentement, ne quittant pas le loup-tonnerre des yeux. Ce
dernier était encore plus large que lui, sa tête ne lui arrivant qu’aux épaules.
La fourrure de l’animal était d’un noir argenté, avec des poils blancs autour
de la gueule, du cou et de la queue.
— Tu es un peu vieux pour succomber à la folie du sang, non ? murmura
Lukas, calme et rassurant, ses mouvements soigneusement dépourvus de
toute menace. Je peux t’aider. Oui, je peux aider à vaincre la folie.
Le loup-tonnerre marchait de long en large, incertain de l’attitude à
adopter vis-à-vis de l’intrus. Lukas comprenait son trouble. Lui-même
n’avait jamais vraiment su comment se comporter avec les autres. Trop
rebelle pour la meute, trop grégaire pour être un loup solitaire.
Mais ici, nu sous le ciel et la neige, il était lui-même. Le sang qui courrait
dans ses veines était le fluide de Fenris. L’esprit qui animait son enveloppe
charnelle était le même que celui qui avait amené le Roi Loup, nourrisson,
ici, pour être élevé par des loups. C’était la saga de Russ que Lukas
préférait : son enfance dans la meute, avant qu’il n’apprenne à marcher
comme un homme.
Lukas ramassa un cuissot que le loup avait arraché de la carcasse, puis
abandonné. Un lambeau de chair l’éclaboussa de sang quand il porta la
viande à ses lèvres. Les crocs de Lukas s’enfoncèrent dans la chair crue,
firent jaillir plus de sang qui s’écoula sur sa barbe et les poils roux de son
torse. Il mâchonna brièvement et avala un gros morceau avant de mordre à
nouveau, pour engloutir la portion suivante presque instantanément.
Il laissa la viande sanguinolente lui tomber des doigts.
Le loup-tonnerre gémit. Il sentit la bête à l’intérieur de Lukas et reconnut
un congénère varg-ulf. Deux de ces monstres se seraient normalement
battus, mais l’approche de Lukas confondait l’animal. Il n’y avait pas de
défi à relever, ce qui laissa le loup-tonnerre dans l’indécision.
Lukas referma les doigts autour d’un éclat brisé des bois du renne et
s’accroupit. Ses yeux ne quittèrent pas la bête, mais il inclina la tête
légèrement sur le côté en position de soumission.
Un grondement, une vibration sourde sortie du plus profond de la gorge du
loup-tonnerre l’avertit que de troublé il devenait défensif. Lukas stoppa son
avancée, à deux mètres de la créature, pieds et chevilles couverts du sang
des entrailles dans lesquelles il s’était frayé un chemin. Le monstre à
l’intérieur de Lukas, la malédiction du Canis Helix qui rôdait dans le cœur
de chaque Space Wolf hurla silencieusement dans sa tête. Cela rongeait le
seul cœur qui lui restait et s’époumonait, voulait être libre de la chair
humaine dans laquelle on l’avait enfermée.
Lukas bondit.
L’extrémité brisée du bois trancha aisément la gorge du loup-tonnerre,
arrachant gosier et trachée en un seul geste. Du sang chaud jaillit de la plaie
en un jet puissant. L’élan de Lukas l’entraîna vers l’avant. Il s’écrasa contre
le monstre qui tomba, l’impact le projeta sur le côté.
Ils churent dans la neige et soulevèrent autour d’eux un nuage de débris de
glace et des gerbes de fluide vital écarlate. Lukas libéra son arme
improvisée et frappa à nouveau. Il la plongea dans le cœur et les côtes.
Il laissa tomber le bois et s’écarta en glissant, à l’affut du moindre signe de
vie du loup-tonnerre. Sa gorge était sèche, emplie d’une soif de ce sang qui
ruisselait de la blessure et s’écoulait le long de la pente entre ses jambes.
Il baissa la tête et lapa une fois, puis deux.
Avec un grondement, il s’arracha de la cuvette. Il se retourna et dévala la
berge jusqu’à la plaque de glace qui couvrait les eaux de la rivière. Le
contact de ses pieds avec le froid mordant lui éclaircit un peu les esprits. Il
secoua la tête et abattit ses poings contre la glace. Elle craqua, et il frappa
encore, et encore, martelant de ses phalanges jusqu’à atteindre les eaux
glaciales en dessous.
Lukas plongea la tête et le torse dans la brèche, la sensation similaire à
celle de foncer dans un mur à pleine vitesse. Cela lui assourdit les sens,
chassa l’animisme irréfléchi venu de ses gènes. L’humain finit par émerger
de ces flots écœurants qu’était sa soif de sang.
À bout de souffle, Lukas se laissa tomber sur la glace. Le sang sécha sur sa
peau, tandis que la neige se remettait à tomber. Il contempla le rouge qui
venait se mêler au bleu de la nuit tombante, une poignée d’étoiles toujours
visibles entre les nuages neigeux.
— Père-de-Tout, murmura-t-il.
Lukas s’endormit.
Sur les plus hauts sommets d’Asaheim, la région polaire de Fenris, le
crépuscule était un moment étrange. Njal se tenait sur un promontoire
rocheux, les yeux clos, le visage réchauffé par les derniers rayons du soleil.
Le ciel chatoyait de bleu profond, les étoiles voilées par la danse de
l’aurore. Pendant un bref instant, le soleil illumina les tours supérieures du
Croc, cru et dur. Bientôt, la rotation de Fenris porterait à nouveau le soleil
derrière les nuages, et la pénombre reviendrait avant de se transformer en
obscurité totale.
On mesurait le passage de l’aube et du crépuscule par la lumière du jour
qui tombait sur le symbole du Roi Loup couronnant le pinacle le plus élevé
de la citadelle. À ces moments-là, la forteresse donnait l’impression d’être
un navire sur une mer de flammes, les nuages de vapeur semblables à des
vagues que fendrait la proue.
Il arrivait aux guerriers du Chapitre de venir paresser dehors.
L’amélioration mélanchromatique de leur peau s’assombrissait alors
rapidement sous l’intensité des radiations, tandis qu’ils buvaient de la bière
et rendaient hommage au Ciel de Feu. Mais pas aujourd’hui, et Njal
contemplait seul la tombée du jour, sentant qu’il était sur le point d’être lui-
même plongé dans une très longue nuit.
Il pensa aux Saisons de Feu, quand éruptions volcaniques et tremblements
de terre déchiraient le sol et la mer, donnaient naissance à de nouvelles
vallées et montagnes et dévoraient les anciennes. Un moment de
destruction, mais aussi de création.
Pour les Fenrissiens, cela ne faisait que peu de différence. La naissance
n’était que le début d’un voyage vers la mort, dont il convenait de savourer
et de célébrer chaque moment. Ce monde volatil engendrait un peuple qui
ne croyait qu’en l’instant présent, et acceptait sa propre impermanence
matérielle. Seul l’honneur, seul l’héritage demeurait inchangé.
Njal était plus conscient que la moyenne de la fière histoire de son
Chapitre, les sagas gravées dans sa mémoire aussi sûrement que les runes
de son bâton. Il connaissait les grands héros des différentes époques, depuis
le Roi Loup en personne jusqu’à Logan Grimnar, célébrés pour leur adresse
au combat et la sagesse de leurs conseils.
Seul sur ce promontoire, Njal se savait être un imposteur.
On n’avait rien dit aux Chevaucheurs de Tempête de sa situation, on leur
avait seulement parlé de la tentative de sauvetage de la Vieille Garde de
Bulveye. Il se demanda lesquelles parmi les sagas qu’il connaissait par
cœur avaient eu des déclencheurs d’aussi mauvais augure.
Mais il ne pouvait continuer à s’appesantir sur son incurie. Cette même
culture qui accordait tant d’importance à l’instant présent créait aussi des
opportunistes. L’erreur de Njal était quelque chose qu’il aurait à assumer,
mais la chance de pénétrer le Portail Labyrinthe transformait le fardeau en
un avantage.
Le communicateur vox dans son oreille vibra et interrompit le fil de ses
pensées. Il ouvrit les yeux au moment précis où le nuage de feu atteignait
son apogée, le passage de la nuit au jour. Pendant plusieurs secondes, il se
tint seul au-dessus d’un océan de brouillard enflammé.
Le communicateur vibra à nouveau, comme un moucheron des marais
persistant, insistant et irritant.
— Oui ? répondit-il, le son de sa voix activant l’appareil.
— Notre navigateur est arrivé, Maître des Tempêtes, lui dit Valgarthr.
— Bien.
Njal n’était pas convaincu que cette nouvelle ait été assez urgente pour que
son sergent le contacte. Quelque chose clochait.
— Il y a autre chose ?
— Tu ferais mieux de venir sur la plate-forme de décollage, continua le
chef de meute, le ton de sa voix indiquant que tout ne se passait pas comme
prévu.
Njal réprima un soupir. Il se demanda quels nouveaux travers assaillaient
l’expédition.
— J’arrive, répondit-il sous la lumière du jour qui s’amenuisait.
Quand Lukas se réveilla, il s’assit, s’arrachant la peau et les cheveux pris
dans la glace. Il s’accroupit au-dessus du trou qu’il avait fait et plongea ses
mains dans l’eau. Des cristaux s’étaient déjà formés sur les bords pour
refermer la plaie dans la glace. Il se frotta avec ses griffes pour enlever les
lambeaux de chair de renne, et gratta le sang du loup-tonnerre afin de se
nettoyer de toute trace de son laisser-aller. Quand il fut propre, il se leva et
attendit que l’eau s’apaise.
Son reflet était celui d’un homme.
Un homme façonné par la main d’un antique demi-dieu à moitié mort,
mais un homme tout de même. Grand et mince, en tout cas comparé à ses
imposants semblables, il avait une cicatrice boursouflée sur la poitrine qui
ressortait au milieu des nombreuses blessures de guerre et tatouages
fenrissiens qui constellaient sa peau.
Lukas porta la main à l’ancienne plaie et y palpa les angles durs de
l’appareil implanté en dessous.
— Pas cette fois, frère-loup, dit-il à son reflet. Dors tranquille.
Il étudia son propre visage, à la recherche d’un signe du monstre qui se
cachait derrière ses yeux. Il n’y avait rien, et son habituel petit sourire
narquois put reprendre sa place.
CHAPITRE 6
L’AUTREMER

Le hall d’embarquement était silencieux et donnait l’impression d’être vide


après la ferveur des jours précédents. Njal déboucha en hâte dans la baie,
son regard immédiatement attiré vers un technoprêtre solitaire qui
supervisait un groupe de thralls en plein chargement de la navette en
attente. Le sifflement des pistons et le claquement des pas se réverbéraient
sur le sol métallique, presque inaudibles sous le grondement des turbines
qui tournaient au ralenti.
Valgarthr patientait à proximité en compagnie de cinq autres Space
Wolves, leur épaulière gauche luisait de peinture fraîche, une tête de loup
sur fond d’éclairs croisés ; le symbole des Chevaucheurs de Tempête. Ce
même symbole avait été reproduit sur des badges en fer des thralls, portés
comme des amulettes sur leur demi-armure, et peint sur les quelques
véhicules et escorteurs dont l’armurerie avait pu se séparer au profit de cette
compagnie improvisée.
Les bandages du chef de meute avaient été remplacés par un plaquage en
céramite moulée de telle façon que la moitié de son visage et de sa tête
ressemblait à un crâne. L’orbite émettait la lumière verte d’un simple
implant bionique, ce qui donnait à son étrange apparence une aura encore
plus surnaturelle.
À leur côté se tenait une escouade de la garde des navigateurs, sur deux
rangs. Dorria attendait légèrement en retrait avec une petite silhouette
enveloppée dans une robe d’un rouge sombre et une capuche volumineuse.
Dans l’ombre du capuchon, Njal aperçut le visage d’une jeune femme, qui
ne devait pas avoir plus de huit des Longues Années de Fenris, seize ans
selon le standard de Terra. Ses yeux brillants ressortaient sur sa peau
sombre, cerclés de la même couleur que sa robe, qui était aussi celle de ses
lèvres peintes. La rune de la Maison Belisarius était marquée au fer sur sa
joue gauche, la cicatrice cousue de fil argenté duquel pendait des petits
rubis comme des gouttelettes de sang. Le cercle d’argent autour de son front
confirmait ce que ses sens wyrdiques lui indiquaient : une navigatrice. Ses
pouvoirs étaient étouffés, son fameux troisième œil caché par l’anneau
protecteur, mais à ses yeux, c’était malgré tout comme si elle émettait des
vapeurs d’énergie ondoyante.
L’une de ses narines était percée d’un clou d’argent. La navigatrice regarda
autour d’elle et Njal aperçut des boucles d’oreilles en fugaces éclats dorés
dans l’obscurité de la capuche. Elles pendaient d’oreilles étrangement
petites. Les navigateurs étaient issus d’importantes manipulations
génétiques et de croisements consanguins, et il se demanda quelles autres
particularités physiques pouvait bien dissimuler sa robe.
— Tu n’es pas Remeo, lâcha le Maître des Tempêtes, son regard noir
dirigé aussi bien contre Valgarthr que contre l’adolescente.
— Je suis la navigatrice-en-second Majula. Je vous conduirai à travers le
sous-espace pour ce voyage.
Njal serra les dents en digérant la nouvelle et il tourna son regard vers
Dorria, le sourcil dressé.
— Vous pouvez vous adresser à moi directement, Seigneur des Runes,
insista Majula d’un ton guindé.
Derrière elle, Dorria eut une grimace visible derrière sa visière.
— Je n’attendais pas de permission, dit Njal. Pourquoi Remeo n’est-il pas
là ?
— Je me suis portée volontaire pour cette mission, Seigneur des Runes,
répondit Majula.
— Portée volontaire ?
Une fissure apparue dans la façade d’indifférence supérieure qu’elle
affichait, révélant une certaine nervosité.
— Le Navigateur Remeo a cherché à m’interdire de respecter le pacte
entre la Maison Belisarius et les Space Wolves. J’ai cependant persévéré.
— Tu n’es que navigatrice-en-second. As-tu déjà guidé un vaisseau
auparavant ?
— Bien sûr, Seigneur des Runes.
Elle disait la vérité, mais Njal perçut un certain manque d’assurance et
insista.
— Seule ?
Son hésitation fut la seule réponse dont le Maître des Tempêtes eut besoin,
et il reprit la parole avant que Majula ne puisse répondre.
— Non. Seulement dans le cadre d’une cabale Navis, répondit-il à sa
place.
— Ma lignée remonte directement aux membres les plus puissants de la
Maison Belisarius, insista la navigatrice-en-second.
Ses poings s’étaient crispés dans les larges manches de sa robe. Elle
répondit au regard dubitatif de Njal par un air de défi et celui-ci ressentit
une bouffée de puissance psychique à l’arrière de son crâne, comme un
roulement de tambour. Eut-elle retiré son bandeau, il aurait eu bien du mal à
résister au pouvoir écrasant de son troisième œil.
Il hocha la tête avec un sourire en coin.
— Très bien, navigatrice Majula. Tu seras donc la guide de notre vaisseau.
Un bref sourire fut vite remplacé par le vernis circonspect que Majula
avait affiché auparavant. Avec une attitude impérieuse de façade, elle se
retourna et embarqua dans la navette en attente. Dorria aboya un ordre à son
escouade et ils suivirent le mouvement.
— Qu’est-ce que c’est que cette entourloupe ? glissa Njal à l’officier au
moment où celle-ci passa devant lui.
Elle se retourna et fit signe à la garde Navis de continuer à la suite de leur
maîtresse.
— Majula n’est peut-être que navigatrice-en-second, mais elle est une
interanovus du Celestarch, et par descendance directe.
— Elle est donc de rang supérieur à Remeo ?
— C’est compliqué, répondit Dorria. Dans les affaires de la Maison, oui.
Majula a atteint l’âge de la séparation, une adulte selon la loi de la Maison,
bien qu’elle n’ait pas encore piloté seule un vaisseau ni endossé le rôle
plénier de navigatrice. C’est pour cela qu’elle est si motivée, je pense. Nous
la protégerons, ainsi que nous en avons prêté serment. D’autres sont là pour
protéger Remeo.
Un bruit de pas lourds coupa court à toute réponse et attira l’attention de
Njal, de Dorria et des autres Space Wolves vers le large transporteur au
fond du hall d’embarquement. La porte s’ouvrit pour révéler la forme
massive d’un Dreadnought. Celui-ci émergea dans la lumière de la baie, un
canon d’assaut à plusieurs tubes monté sur un bras, et une longue griffe de
combat sur l’autre : l’incomparable machine de guerre qu’était Bjorn Main
Terrible.
Il s’avança à pas fracassants sur le ponton renforcé, et derrière lui sortirent
du transporteur deux autres marcheurs blindés, arborant poings immenses et
armes lourdes.
— J’ai changé d’avis, Maître des Tempêtes, annonça Bjorn.
Le torse de son armure pivota et sa griffe gigantesque se leva pour
indiquer les deux autres machines de guerre.
— J’ai amené avec moi de vieux compagnons. Grímr Poing-Maudit et
Olaf le Trois Fois Occis.
— Je connais bien leurs sagas, répondit Njal.
Et pour cause, Grímr Poing-Maudit et Olaf le Trois Fois Occis faisaient
l’objet d’une adoration presque aussi forte que Bjorn lui-même. Le Maître
des Tempêtes alla à la rencontre du Dreadnought qui s’approchait et baissa
la voix.
— Je croyais que tu ne voulais plus jamais mettre les pieds sur Prospero ?
Bjorn essaya de répondre en un murmure complice, mais son système de
communication externe manquait de la finesse nécessaire, et ses mots furent
émis au volume d’une conversation humaine normale qui porta donc à
travers toute la baie presque silencieuse.
— Tu te rends sur le monde natal de nos plus grands ennemis, pour
t’introduire dans un labyrinthe de rêves et de cauchemars engendré par le
warp, avec une compagnie dépenaillée de thralls et de cheveux gris. Et, si
mes systèmes auditifs ont bien détecté la conversation qui vient d’avoir
lieu, tu vas aussi faire cela en traversant l’Autremer sur un vaisseau piloté
par une adolescente novice.
L’imposant sarcophage s’inclina un peu plus près et l’enceinte crachota
quand Bjorn essaya de baisser encore la voix.
— Je pense que tu as besoin de toute l’aide possible.
La lumière émise par l’étoile de Fenris n’était plus qu’une des froides
lueurs de l’espace. À onze jours de la sortie d’orbite, le Longriffe atteignit
enfin les limites de l’interférence gravimétrique émise par les corps du
système. Parmi les érudits de l’Empire, on appelait ça le point Mandeville.
Chez les Space Wolves, c’était le Golfe du Non Retour.
De là, un vaisseau activait ses moteurs warp et ouvrait la barrière entre le
réel et l’irréel. Il se glissait alors du matériel à l’immatériel, enveloppé dans
un champ de Geller, une bulle de physique mortelle insérée dans une peau
psychique. Le Longriffe allait s’immerger dans l’Autremer pour dériver sur
ses étranges courants et marées.
Tandis qu’on effectuait les préparations en vue du saut, Njal procéda à sa
propre inspection du vaisseau. Bien que son contingent fut restreint, il
excédait quelque peu la capacité du rapide bâtiment d’attaque, ce qui
obligeait thralls et guerriers à établir leurs quartiers dans les couloirs et les
baies de stockage vides. Ses Space Wolves étaient déjà entièrement dans un
état d’esprit de combat et exploitaient leur nodule catalepsen pour reposer
des zones de leur cerveau à tour de rôle afin de n’avoir pas besoin de
sommeil ordinaire. Ceux de la compagnie qui n’avaient pas reçu
d’améliorations se partageaient des couchettes entre les échangeurs de
chaleur et les tuyaux de refroidissement, sur les boîtiers vibrants des
générateurs de champ Geller et autour des relais plasma bourdonnants. Ils
se relayaient toutes les six heures afin de laisser la place à d’autres et
vivaient dans l’étreinte de leurs chaleurs et odeurs respectives.
Tandis que Njal se cheminait à travers les ponts centraux, les passages
s’éclaircissaient devant lui. Son imposante armure remplissait presque
entièrement l’espace et obligeait tous les autres à lui faire de la place : bien
que le Longriffe ait été construit pour les Adeptus Astartes, il n’avait pas été
conçu pour transporter des terminators. Partout dans le vaisseau, la
circulation des cantines aux autels et salles d’entraînement était supervisée
avec soin pour éviter que de larges groupes de guerriers soient en
mouvement en même temps. À ces moments-là, il régnait une atmosphère
apparemment anarchique, avec des flots de thralls qui se déplaçaient à leur
suite dans les espaces autour des salles des machines ou se déversaient sur
les ponts d’artillerie pour laisser la place aux escouades de Space Wolves
qui se rendaient dans le hall de combat principal pour faire des exercices
d’entraînement au combat rapproché. Mais les apparences étaient
trompeuses. Valgarthr et les autres chefs d’escouade avaient soigneusement
coordonné toute activité, ne laissant rien au hasard et rendant tout désordre
impossible.
Arjac retrouva Njal non loin de ses quartiers. Il l’attendait à une
intersection entre trois couloirs et deux escaliers, un espace suffisant pour
qu’ils s’y tiennent tous les deux.
— Tout est arrimé en prévision du saut, Seigneur des Runes, rapporta le
vétéran de la Garde-Loup. L’équipage et les guerriers transportés se
rassemblent à leur poste. Valgarthr est en charge du jarldek.
Son nez se fronça. L’odeur de tant de gens concentrés était déjà très
puissante, cela poussait les systèmes de filtration à leur limite. Il en allait de
même pour les équipements de toilette, les cuisines et les réserves d’eau.
Pour les thralls et les humains ordinaires de l’équipage, ce n’était qu’une
distraction mineure. Mais pour les space marines améliorés, la puanteur
était une constante.
— Plus vite nous serons hors d’ici, mieux ça sera. Certains des thralls se
plaignent d’avoir le souffle court. L’efficacité de nos guerriers sera affectée
s’ils doivent utiliser leur demi-sommeil trop longtemps. Nous exploitons
déjà les systèmes de recyclage de nos armures pour préserver les capacités
du vaisseau.
À l’échelle de la galaxie, le voyage de Fenris à Prospero n’était pas long.
Dans des circonstances normales, on pouvait couvrir la distance en deux ou
trois courts sauts.
— J’espère que les conditions seront réunies pour nous permettre de faire
le trajet vers Propsero en un seul long saut, deux, si c’est vraiment
nécessaire, dit Njal à l’autre Space Wolf. Le plus rapide sera le mieux. Les
ruines de Tizca ne nous seront pas d’un grand réconfort. L’air y est à peine
respirable, et c’est tout. Quant à l’intérieur du Portail Labyrinthe ? Qui sait
ce que nous y trouverons… Nous ne consommerons que la nourriture et la
boisson que nous aurons apportées.
— Attaquons un problème après l’autre, dit Arjac en se grattant le menton.
Occupons-nous d’abord d’arriver jusque-là.
— Attends mon ordre, dit le Maître des Tempêtes avec un hochement de
tête.
— Bien sûr.
Arjac s’en alla vers le pont principal, laissant Njal monter seul dans l’un
des transporteurs, qui l’amena dans les ponts supérieurs du vaisseau de
patrouille. Il sortit de la lourde cage de levage et se retrouva dans l’une des
deux galeries qui flanquaient les quartiers de la navigatrice.
Devant lui, à travers la vaste baie d’observation en plastek blindé, il
pouvait voir la proue en tête de loup du vaisseau se détacher sur l’arrière-
plan des étoiles. Vers la poupe, la vue était bouchée par l’éclat des
émissions de plasma des moteurs, tandis que la rangée de vitres à côté de lui
ne montrait rien d’autre que la galaxie remplie d’étoiles.
Un quintette de silhouettes dorées montait la garde à l’entrée des quartiers
de Majula et le même nombre de Navis Nobilite surveillaient la galerie
opposée.
— La navigatrice-en-second Majula se prépare à la translation, Seigneur
des Runes, dit Dorria.
Elle modifia légèrement sa posture pour venir s’interposer devant l’arche
fermée qui menait au pilastre.
— Je sais, répondit Njal. C’est pour cela que je suis ici.
Ils restèrent dans l’impasse, en silence, pendant quelques secondes avant
que Dorria ne finisse par céder sous le regard fixe du Maître des Tempêtes.
Il détecta la légère vibration d’une transmission vox, puis la porte s’ouvrit.
— Sage tout autant que diligente, glissa Njal à Dorria. Ta maîtresse a de la
chance de t’avoir à son service.
Il baissa la tête pour se glisser dans l’ouverture. Ses épaules passèrent tout
juste et il se retrouva devant un large escalier aux quelques marches peu
profondes. Il leva les yeux vers une partie d’un large dôme, les étoiles
visibles à travers le plastek blindé. Il pouvait voir de brefs reflets rouges se
détacher du fond noir de Majula qui allait et venait, d’un pas vif et nerveux.
— Si tel est le cas, c’est grâce aux leçons de notre instructeur invité, le
chef de meute Stevr, lança Dorria à Njal. Il nous a toujours dit de faire ce
dont avaient besoin nos supérieurs, même si leurs ordres n’avaient pas
formulé ce besoin explicitement…
— Un enseignement digne du Roi Loup en personne, approuva Njal.
Aile-de-Nuit passa par-dessus son épaule. La porte se referma derrière lui
dans un bruit métallique, et il amorça la montée.
Le hall était circulaire, et le dôme transparent qui le surmontait était bien
plus haut que les murs qui le supportaient, donnant presque l’impression
d’être immergé dans le champ d’étoiles. C’était un grand espace pour le
navigateur, comparé à certains des vaisseaux qu’il avait connus, surtout à
l’aune du manque de place qui frappait le reste du Longriffe. La raison en
était évident par un simple regard, puisque le hall n’était pas juste un dôme
d’observation, mais aussi des chambres, une cuisine et un espace de
détente. Une fois dans l’autre dimension, la vue qu’offrirait la pièce serait
celle du warp à nu du moins, aussi à nu qu’il pouvait l’être à travers les
interférences du champ de Geller. Seuls Majula, Njal et une poignée de
servitors sans yeux seraient capables d’y rester sans être rendus fous par
cette vision. La navigatrice resterait donc là, avec quelques aides à moitié
machines, son existence faite de solitude pour toute la durée du saut.
Majula se tenait près du mur et se retourna quand Njal parvint en haut des
escaliers. Elle portait les mêmes robes et chaperon que lorsqu’il l’avait vu
pour la première fois, mais un châle de dentelle dorée était drapé dessus,
orné de rubis, d’émeraudes et de saphirs scintillants. Chaque pierre
étincelait d’une lueur psychique tout autant que de lumière physique. Njal
n’en avait jamais vu auparavant et supposa qu’il s’agissait d’un
amplificateur conçu pour aider les navigateurs inexpérimentés, quelque
chose de semblable à sa coiffe psychique.
Majula fronça les sourcils sous son garde-oracle et ses yeux se plissèrent.
— J’ai donné l’ordre de ne pas être dérangée.
— Je sais me montrer insistant.
Njal s’approcha, mais pas assez pour que son immense stature n’intimide
pas la jeune dame. Sans ordres de la part du Maître des Tempêtes, Aile-de-
Nuit alla se poser sur la rampe en haut des escaliers, et se mit en veille.
— Il y a plus en jeu avec ce voyage que ta promotion de navigatrice-en-
second à navigatrice. Nous ferons la première translation ensemble.
— Je ne savais pas que les archivistes de l’Adeptus Astartes pouvaient
faire office de navigteurs… Agacée, Majula retroussa les lèvres. Je ne vois
pas pourquoi j’avais besoin de venir, si tel est le cas.
— Je suis puissant, parmi les Prêtres des Runes des Space Wolves, mais
même moi je ne peux que vaguement percevoir les marées de l’Autremer.
La lumière du Père-de-Tout est une présence chaleureuse dans mon esprit,
et en cas de besoin, je pourrais guider le vaisseau sur une courte distance.
Mais ça ne suffira pas. Nous devons passer près de la Grande Faille qui
déchire en profondeur la galaxie si nous voulons atteindre Prospero.
Njal avança encore d’un pas et posa une main sur l’épaule de Majula, aussi
doucement qu’un flocon de neige malgré l’immensité du gantelet qui
recouvrait ses doigts et la potentielle puissance de l’armure qu’il portait.
— Seulement la première translation. Ensemble. Après cela, toi seule seras
ma navigatrice.
Elle se détendit et accepta d’un hochement de tête.
— J’ai tenu la barre sur le bateau de mon oncle lors de ma cinquième
saison de feu et de glace, dit Njal en reculant d’un pas.
Il contempla les étoiles.
— Nous avons chevauché des vagues gigantesques et navigué le long de
côtes escarpées comme les crocs d’un kraken monstrueux. Dans l’écume et
les rafales, nous chassions la baleine geldwhal le long des littoraux de
l’océan nord. Chaque Longue Année, Fenris se brise. Les orbologistes
impériaux appellent cela un bouleversement sismique provoqué par les
astres. Pour un jeune marin naïf, c’était la colère des éléments, pour sûr. Le
ciel était orné de foudre et de nuages. Le tonnerre, c’était les cris de guerre
de dieux géants qui combattaient. Ce jeune homme pouvait bien croire que
le monde touchait à sa fin. Et il aurait pu avoir raison, avec les krakens et
les léviathans des abysses prêts à avaler les navires qui se perdaient en eaux
profondes.
— Comment trouviez-vous votre chemin ? demanda Majula d’une petite
voix alors que ses doigts jouaient avec une fine chaîne d’argent autour de
son cou. Quand rien n’est permanent, comment retrouver la route de chez
soi ?
— Il n’existe aucune carte de Fenris qui vaille qu’on l’étudie. Aucune ne
reste fidèle plus d’une saison. Des îles émergent et s’abîment. Les hauts-
fonds, les criques, les fjords et les volcans sont aussi permanents que de la
neige qui vous fond entre les doigts. Alors, nous apprenons à naviguer à
l’instinct, guidés par l’odeur du vent, le goût du sel et de la glace, et le
rythme des planches sous nos pieds.
— Cela n’a pas l’air d’être très différent de ce qu’un navigateur doit faire,
ajouta Majula. Les courants sur lesquels nous naviguons ne sont jamais
stables. Leur vitesse et leur direction changent et les marées montent et
descendent sans avertissement. Seul l’Astronomican est immuable.
Njal se tint à ses côtés. Son regard parcourut les étoiles au-dessus d’eux
pendant quelques secondes jusqu’à ce qu’il trouve ce qui était à peu près le
sud-est de la galaxie.
— Notre destin nous attend là-bas, fit-il doucement. La lumière de l’astre
de Prospero, vieille de près de huit mille ans désormais, quelque part dans
ce point lumineux.
— Un peu plus à gauche, Seigneur des Runes, rectifia Majula en pointant
la bonne direction du doigt. J’ai effectué les calculs et étudié les cartes. Le
Phare de Terra est fixe dans mes pensées en ce moment même, brillant,
chaud et aimant. Prospero est plus par là-bas.
— Au temps pour moi, Navigatrice, répondit-il.
Un murmure subvocal activa son lien vox.
— Valgarthr, passe le message aux technoprêtres. Activez les moteurs
warp.
— À tes ordres, Maître des Tempêtes. Nous nous préparons à la
translation.
Le Prêtre des Runes et la Navigatrice se tinrent côte à côte en silence
pendant plusieurs secondes, attendant le moment où la puissance du moteur
warp allait être activée.
Le champ de Geller arriva en premier. Dans l’espace naturel, son effet sur
les membres sans prédispositions de la compagnie était négligeable, mais
pour ceux sensibles psychiquement, il créait un écho de wyrd qui allait de la
proue à la poupe. La réalité au sein du champ reflétait l’espace physique
désormais enveloppé, faisant naître une impression anormale de
claustrophobie.
Njal avait été conditionné mentalement et physiquement pour surmonter
toute sensation de peur ou de détresse, mais ses modifications de space
marine et son entraînement d’Archiviste ne pouvaient pas le débarrasser
entièrement de l’impression d’être pris au piège qui lui parcourut l’âme.
Il entendit le cœur de Majula battre à tout rompre et son souffle se faire
court et rapide.
— Calme-toi, navigatrice, dit-il en adoptant un ton impérieux qu’elle ne
pouvait ignorer.
Sa respiration et son pouls s’apaisèrent rapidement.
Le champ de Geller se scella hermétiquement, vibrant légèrement des
pensées catatoniques du pauvre psyker enfermé dans les entrailles du
vaisseau, dont l’âme était consumée pour fournir le bouclier protecteur. Njal
garda ses pensées pour lui. Il ne voulait pas entrer en contact avec
l’expérience cauchemardesque que devait traverser la batterie psychique.
+Nous aurions pu nous débarrasser de cette barbarie si on nous avait
donné plus de temps.+
Njal fut pris d’une bouffée de colère à l’intervention soudaine du sorcier. Il
avait cru la présence d’Izzakar entravée par la coiffe psychique. Majula eut
un mouvement nerveux.
— Vous avez senti ça ?
— Concentre-toi sur ce que nous avons à faire, navigatrice, dit le Prêtre
des Runes. Il pouvait sentir la puissance naissante du moteur warp
s’amplifier, une vibration alterdimensionnelle qui commençait dans un
bourdonnement, mais atteignait la véhémence d’un grondement.
Le moteur warp pressa contre les berges de l’Autremer.
La pression à l’intérieur du champ de Geller s’intensifia quand le warp
essaya de rejoindre de force la réalité.
Majula se tenait droite, les jambes légèrement écartées, une main
enveloppée autour de la fibule de ce manteau qui arborait le symbole de la
Maison Belisarius. De sa main libre, elle attrapa et retira son bandeau, pour
révéler son troisième œil.
Njal détourna vivement le regard, tournant la tête de manière à ne pas voir
son visage, même dans un reflet. Malgré cela, sa mémoire fut hantée par la
vision tournoyante des méandres abyssaux renfermés par le front de la
navigatrice. Il pouvait sentir son regard sur lui, intrusif et indélicat, son
contact semblable à un ongle acéré dans son esprit.
— Ne me regarde pas moi, mais le vide, navigatrice, lui dit-il en résistant à
l’envie de renforcer ses boucliers psychiques.
Dans l’immédiat, il se devait de rester ouvert au warp, de maintenir le
contact à travers l’interface du champ de Geller, d’accorder autant de
confiance à l’intégrité de celui-ci qu’à ses propres défenses.
La sensation de grattement disparut quand Majula détourna le regard.
Des étincelles dorées dansèrent dans le champ d’étoiles par-delà le dôme.
De petits arcs d’énergie serpentèrent sur le marbre veiné de rouge du sol,
allant des murs au duo de psykers. Les systèmes de l’armure de Njal se
mirent en marche, les circuits de chauffage internes s’activèrent pour
compenser la chute de température atmosphérique. Le souffle du psyker se
fit buée.
Des fronts de pression divergents s’opposèrent dans l’esprit de Njal.
Pressante, pressante, la force du briseur de vide contre la répulsion du non-
espace qui reposait à travers la barrière. Il ne put s’empêcher de penser à
une naissance obscène. Il se sentait compressé et manipulé par des forces
émergentes, les plates de son armure Terminator inutiles face à la marée
montante. Il ne pouvait résister, il devait se laisser porter par le courant.
Majula hoqueta, prise de douleur. Njal n’osa pas la regarder. Ses sens
psychiques lui assurèrent que l’inconfort de la jeune fille n’était que
physique, une réaction à la glace qui commençait à se former sur sa peau et
son armure alors que la température chutait encore plus.
Les étoiles dorées devinrent un vortex ondulant derrière la canopée en
plastek blindé, esquissant des visages hurlants et des yeux flamboyants dans
les moments entre les décharges neuronales, existant dans les intervalles
entre la conscience et l’inconscience.
Dans une dernière pulsation d’émanation psychique, le moteur warp libéra
sa pleine puissance et arracha des morceaux de réalité de l’espace à l’avant
du Longriffe. À ce moment-là, les moteurs principaux s’enclenchèrent à
plein et le vaisseau prit violemment vie. Les travées grincèrent sous la
pression, les cloisons vibrèrent. Des flashs d’énergie se répandirent le long
du champ de Geller. Leur contact attirait l’esprit de Njal alors même qu’ils
tiraient le Longriffe dans la plaie entre les mondes.
Aile-de-Nuit émit un puissant croassement, agité par le changement.
Majula murmurait des mantras, ses yeux fixés sur la gueule du warp qui
s’ouvrait devant le vif vaisseau d’attaque. Un vortex multicolore tournoyait,
de plus en plus large. Sauf que l’ouverture ne grandissait pas : c’était eux
qui s’approchaient de plus en plus vite.
Une secousse parcourut la coque et les vibrations firent chanter le dôme.
Le son s’éleva en divines harmonies pendant plusieurs secondes avant que
des dissonances ne brisent la mélodie, des hurlements et glapissements à
moitié audibles quand le Longriffe s’engouffra dans le warp.
Njal sentait le bourdonnement du champ de Geller s’intensifier dans ses
os. L’irréalité exerçait une pression sur la barrière et il ressentait
l’équivalent mental du bois qui craquait et des gréements qui gémissaient
sous les assauts du vent : des souvenirs tirés de son passé pour interpréter
les sensations impossibles des interférences du warp.
Le Longriffe rua soudainement lorsqu’une vague de puissance du warp
jaillit de la brèche. Majula se déplaça sans effort sur le sol incliné, elle alla
prendre place derrière un assortiment baroque d’instruments qui
ressemblaient au mélange entre le compas d’un antique navire, un
planétarium et une toile d’araignée. Elle fit glisser et tourner chaque disque
de cuivre gravé, et tira un petit levier pour ajuster l’orientation psychique du
champ de Geller. Njal le sentit enfler au niveau de la poupe, agissant
comme un gouvernail immatériel et réorientant le vaisseau dans le sillage
du courant qui s’engouffrait dans la brèche.
En cet instant, même ceux qui, dans la compagnie, n’avaient pas de
pouvoirs psychiques devaient être conscients du bouleversement psychique
qui se déchaînait autour d’eux. Une légère sensation de vertige. Une
démangeaison dans le cerveau. Des frissons le long des nerfs.
Njal se demanda si les servitors remarquaient quoi que ce soit de la
translation surnaturelle qui avait lieu. Ils avaient toujours leur âme, après
tout, c’était là tout l’intérêt. Avaient-ils conscience, dans quelque recoin
enfoui et inaccessible de leur cerveau envahi par la machine, qu’ils
quittaient l’univers des mortels et de la raison pour plonger dans quelque
chose que les vivants n’étaient jamais censés savoir ? Alors qu’ils vaquaient
à leurs tâches, la patte traînante et l’équilibre précaire, s’interrompaient-ils
un instant au passage de l’espace matériel au warp, connaissaient-ils un
moment de malaise qu’aucun degré de modifications cybernétiques n’aurait
pu effacer ?
Son esprit divaguait à la recherche d’un but, de quelque chose qui pourrait
détourner son attention de la folie du choc des réalités qui avait lieu de
l’autre côté du dôme.
Un esprit actif maintenait à l’écart les questions les plus révélatrices de
l’âme. Lors d’un saut dans le warp, il ne fallait pas simplement regarder
dans l’abysse, mais se jeter volontairement dans son étreinte.
L’introspection n’était pas une qualité dans un moment pareil.
— Nous avons effectué la translation, annonça avec calme Majula, son
doigt parfaitement manucuré posé sur le bouton de la transmission vox, le
rouge sombre de son ongle comme une goutte de sang sur le symbole doré.
Le warp les enveloppa. Njal ne vit guère plus qu’un courant de formes
scintillantes. La délimitation entre réel et irréel existait à nouveau, et sans
plus de physique matérielle à briser, le warp ne ressemblait plus qu’à un flot
mobile, mais placide, d’énergie.
+Quelles complications inutiles. Savais-tu que l’Empereur avait trouvé une
autre façon de voyager à travers la galaxie ? Qui nous débarrasserait de
notre dépendance à ces abominables mutants ? Le Portail Labyrinthe n’est
qu’un reflet de cette magnificence qui s’étend d’étoile en étoile, une
recherche humaine là où les anciens sont passés.+
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Majula sans se retourner, épargnant à
Njal la vision de son troisième œil. Ces marmonnements ?
— Je n’ai rien entendu, mentit Njal.
+Comme le mensonge coule facilement de ta langue perfide, chien de
Russ.+
— Ça se reproduit.
Majula procéda à quelques ajustements des contrôles sur le panneau
devant elle et transmit ses instructions de navigation à la passerelle
principale. Elle remit son bandeau et se tourna vers le Maître des Tempêtes.
— J’ai perçu une autre présence. Nous devons effectuer un diagnostic
complet du champ de Geller.
— Ce n’est rien, dit Njal.
Il réalisa immédiatement qu’il venait d’en dire déjà trop.
— Qu’est-ce qui n’est rien ? insista Majula, dont l’indignation lui fit
oublier toute notion de rang et de bienséance. Que voulez-vous dire ?
Njal serra la mâchoire. Il n’était pas prêt à partager son histoire d’infamie
avec cette gamine.
— La raison de notre expédition sur Prospero, admit-il en choisissant ses
mots avec soin. Quelque chose laissé par Magnus et les Thousand Sons. Il
faut le ramener. Je l’ai dans mon esprit.
— Vous l’avez introduit sur mon vaisseau ?
— C’est mon vaisseau, Navigatrice.
— Dans ce hall, c’est le mien, Seigneur des Runes. Vous vous trouvez sur
un territoire qui appartient à la Maison Belisarius de la Navis Nobilite.
+Elle est fougueuse. De mon temps, les Navigateurs étaient plus… dociles.
Il semble que vous les ayez laissés devenir arrogants.+
— J’ai commis une erreur, admit Njal en inclinant légèrement la tête en
signe d’excuse. Je n’avais pas pensé que sa présence serait révélée une fois
dans le warp.
— Votre erreur fut de ne pas m’avoir informée en premier lieu, Seigneur
des Runes, répondit Majula, hautaine.
+Ce genre d’arrogance, voilà ce qui se produit quand on se met à dépendre
des reproductions consanguines et de trop de manipulations génétiques.+
— Qu’est-ce qu’il dit, là ? C’est comme si quelqu’un parlait depuis une
pièce voisine, trop bas pour pouvoir distinguer des mots, mais suffisamment
fort pour être audible. Puis-je le voir ?
La question prit Njal par surprise, et Izzakar aussi.
+Quelle idée intéressante. Elle est plus maligne que toi, fils de loup.
Laisse-la essayer ! Découvrons ce qu’elle peut voir avec son troisième œil.+
— Je ne crois pas, dit Njal, embarrassé. C’est profondément enfoui à
l’intérieur de mes défenses psychiques. Je ne te laisserai pas les explorer, au
cas où quelque chose se passe mal.
+C’était quoi, ça ?+
Njal ignora l’exclamation du sorcier, mais ne put réprimer une sensation
soudaine de vigilance accrue, une réponse physique d’inquiétude. Majula
tressaillit également et elle se détourna vivement, arracha son bandeau,
abandonna le cercle d’argent sur le pont et scruta le dôme avec sa vue
psychique.
+Ne peux-tu donc pas le sentir, barbare ? Ouvre ton esprit !+
Piqué à vif par le comportement de la Navigatrice et le sentiment
d’urgence d’Izaakar, Njal libéra un fragment de sa puissance psychique.
Aile-de-Nuit s’envola de son épaule, tournoya lentement sous le dôme
tandis que Njal sondait par la pensée l’immatériel qui se trouvait au-delà.
— Je le perçois, murmura-t-il. Je peux le sentir.
Il envoya ses pensées plus avant dans l’Autremer, comme s’il essayait de
voir à travers une eau boueuse. Quelque chose dans le tourbillon d’énergie
lui rendit son regard.
+Ils nous ont trouvés.+
CHAPITRE 7
INCURSION

Là où il y en avait un, d’autres ne tardaient jamais à arriver. Beaucoup


d’autres.
Ils se comportaient comme des anguilles et des raies, des squales et des
feux follets informes qui serpentaient le long de la surface du champ de
Geller. Des dents immatérielles rongeaient la sphère de réalité, sans bruit
mais laissant une sensation de grattement à l’arrière de la tête. Aile-de-Nuit
revint se poser sur la main tendue de Njal tandis que le Maître des Tempêtes
puisait dans sa concentration psychique derrière les murs de sa forteresse
mentale.
Le warp bouillonnait d’activité, le banc de démons était le plus dense que
Njal ait jamais vu. Composées de la matière de warp qui entourait le
Longriffe, les entités chaotiques se manifestaient et disparaissaient à volonté
en essaims infinis. Leur frénésie se faisait de plus en plus désespérée, un
déchaînement d’activité pour s’infiltrer dans le champ de Geller, et apporter
le royaume du cauchemar avec eux.
+Vous avez fait reprendre du service au vaisseau en urgence au milieu de
son réarmement. À quel point es-tu sûr de ses défenses ?+
— Commande prioritaire. Inspection immédiate de tous les systèmes du
champ de Geller.
— Un problème, Maître des Tempêtes ? grésilla la réponse du Prêtre de
Fer.
— Mieux vaut être inquiets que perdus, répondit Njal en observant du coin
de l’œil les silhouettes désincarnées qui serpentaient derrière le dôme
transparent.
— Si nombreux… marmonna Majula.
Elle avait retrouvé son assurance.
— Leur présence voile l’Astronomican et je ne peux voir les courants du
warp au-delà de leur masse informe.
— Tu ne peux nous diriger ?
+Génial. Nous voilà à la dérive dans le sous-espace, sans pilote. Nous ne
poserons jamais le pied sur Prospero.+
— Non, je ne peux pas nous diriger. Nous sommes pris dans une véritable
tempête de ces créatures.
Njal observa attentivement l’essaim. Il aperçut des yeux noir et or qui le
regardaient en retour, essayant de voir à travers ce qui, pour eux, devait être
un brouillard de réalité, tout comme le warp était une antithèse absolue de
la vue physique. Ils pouvaient sentir les âmes à l’intérieur, leur faim
dévorante les poussaient à percuter de toutes leurs forces le périmètre du
bouclier. Majula n’était pas la seule, Njal non plus ne parvenait pas à
apercevoir quoi que ce soit du warp brut par-delà le flot grouillant
d’apparitions intermittentes.
— Fais au mieux, Navigatrice, dit-il à Majula. Tu as tes cartes.
— Des cartes qui ont été établies avant le retour du Cyclope, soupira-t-
elle. Avant la Grande Faille. Tout est à nouveau en mouvement. L’invasion
a provoqué de nombreux remous dans le warp.
+Que veut-elle dire par là ? De quelle invasion parle-t-elle ?+
Njal s’éloigna de Majula pour lui permettre de se concentrer sur ses
manœuvres. Il parla à voix basse, en dessous du seuil d’audition de la
Navigatrice, mais assez fort pour qu’Izzakar puisse le percevoir.
— Ton Primarque n’est plus la créature dont tu te souviens, sorcier. Il est
tombé bien bas, après que le Roi Loup ait abattu ses créations impies. Il a
vendu votre Légion en échange de pouvoirs sacrilèges et voulu assouvir sa
vengeance à l’encontre de ceux qui avaient cherché à ralentir sa chute dans
la damnation.
+Tu mens ! C’est impossible. Magnus était le plus grand des prodiges. Le
plus sûr guide de tous après l’Empereur lui-même. Ce dont tu parles là,
c’est de la faiblesse, une faiblesse bien en dessous du Roi Écarlate.+
— Le Père-de-Tout vous avait ordonné de vous arrêter et vous ne l’avez
pas fait. Où donc pensais-tu que vos recherches allaient vous mener ? C’est
l’arrogance qui a alimenté votre quête de connaissances, et vous avez
ignoré les avertissements du plus grand d’entre nous. Ton maître s’est fait le
consort des démons et des puissances sombres, et il a apporté cette
obscurité sur Fenris avec lui.
Il n’y eut pas de réponse, un silence maussade qui irritait l’esprit de Njal
au plus profond. Il ne savait pas si Izzakar le croyait ou non, bien que le
sorcier fut bien placé, en un sens, pour distinguer le vrai du faux.
Un frisson redirigea violemment ses pensées vers l’essaim de démons. Ils
avaient commencé à s’organiser, fusionnant en quelque chose de plus ciblé.
Ils se jetèrent par groupes contre le champ de Geller. Des dents d’énergie
crépitantes et des lames immatérielles claquèrent et tranchèrent les défenses
tandis que d’autres percutaient la barrière, puis explosaient en nuages
étincelants qui étaient dispersés par les courants furieux de l’Autremer.
— Ils vont s’introduire dans le vaisseau, Seigneur des Runes, dit Majula
doucement.
— Les champs de Geller sont conçus pour résister à de telles attaques.
— Ce n’est pas une peur infondée qui m’anime, répliqua la Navigatrice.
Elle tendit la main, pour qu’il la saisisse. Njal posa une main gantée
massive contre la sienne, ses doigts fins se refermant autour de deux des
siens, ceints de céramite. Ce fut cet acte d’acceptation, la proximité plus
que le contact physique qui permit à ses pensées de se glisser contre les
siennes.
— Fermez vos yeux, dit-elle.
Il comprit ce qu’elle voulait et fit ce qu’elle demandait. Une seconde plus
tard, il sentit sur lui la chaleur intense de son troisième œil. Il ne s’infiltra
pas dans ses pensées, mais fit plutôt émerger un petit peu de sa conscience,
la modelant en une liane inquisitrice. Majula la libéra, puis s’en servit
comme d’une attache, utilisant sa puissance mentale largement supérieure
comme une ancre tandis qu’elle relâchait ses propres pensées dans le vide.
Son esprit à lui suivit le sien, une étincelle contre le torrent furieux. Ils se
déplacèrent avec précaution mais rapidité, dissimulant chacun leur présence
du mieux qu’ils le pouvaient, peu enclins à attirer l’attention des forces qui
les assiégeaient. Les cris lancés et les bruits de lacérations firent grincer les
dents de Njal.
Une brève lueur qui ne dura pas plus d’une demi-seconde montra à Njal ce
qu’elle avait trouvé.
Une lézarde.
Pas même une fissure, mais un espace disjoint entre les couches du champ
de Geller. C’était infime, mais Njal savait que l’estimation de Majula était
exacte. Si on leur en laissait le temps, les démons trouveraient cette
faiblesse et mettraient alors toutes leurs forces à l’enfoncer.
Il lâcha prise et leurs esprits furent arrachés à leur expédition. Majula eut
une exclamation de douleur, ne s’étant pas attendue à la séparation.
— Pardon, dit Njal, qui se détourna avant de rouvrir les yeux.
— Pouvez-vous réparer la fracture ?
— Je ne saurais comment.
+Moi, oui. Ce n’est pas très compliqué.+
— Aldacrel ? Concentrez vos recherches sur les projecteurs de poupe
tribord.
Il y eut une hésitation avant la réponse du Prêtre de Fer, trahissant son
hésitation.
— Tu as trouvé quelque chose, Maître des Tempêtes ?
Eut-il eu affaire à un équipage d’hommes et de femmes ordinaires, Njal
aurait pu choisir de dissimuler la vérité, de peur de créer une panique, ce
qui aurait nui aux efforts pour faire face à la menace. Aldacrel était
incapable de ressentir une telle peur et devait savoir la vérité.
— La couverture du champ de Geller est imparfaite. J’ai besoin que tu
examines les projecteurs de poupe tribord immédiatement.
— Compris. J’y vais moi-même.
La vox crépita, signalant la fin de la connexion.
+Tu sais que sa mission est une perte de temps. Cette faiblesse ne peut être
réparée à distance. Il existe une autre façon de faire. Tu dois sceller la
fissure toi-même.+
— Tu veux dire que je dois aller là, dehors ?
Il fit un signe de la main en direction de la masse de monstres immatériels
à moitié visibles qui cascadaient sur la surface du champ.
— Pardon ?
Majula se retourna en réaction à son éclat, ne se souvenant qu’au dernier
moment de lever une main pour masquer la puissance de son troisième œil.
Njal fut malgré tout frappé par une vague de puissance, une irruption de
couleurs et de bruit blanc qui lui assourdit les sens pendant plusieurs
secondes.
— La présence dans mon esprit me parle, lui dit-il. C’est l’écho d’un
mortel. Il suggère que je répare le champ de Geller moi-même.
— Est-ce possible, Seigneur des Runes ?
+Les projecteurs ne s’alignent pas correctement, ce qui provoque le défaut.
Cela peut être dû à une panne au sein du système même, un cristal
directionnel ébréché ou décalé. Ou même un problème avec le cœur du
réticule. Je ne pense pas que tu aies le temps de tester toutes les possibilités.
Mais ce ne sera pas long d’altérer télékinétiquement le chevauchement et de
sceller la fracture.+
— Tu as déjà fait cela auparavant ? demanda Njal.
Le silence fut sa seule réponse.
— Tu l’as vu faire ?
+Les Thousand Sons ont construit un réseau psychique qui traversait le
temps et les dimensions. Contemple nos travaux non pas avec jalousie et
peur, mais avec objectivité, et ensuite demande-toi si tu penses que j’ai
raison.+
— C’était peut-être ton plan tout du long. Peut-être as-tu amené ces
créatures ici pour qu’elles te libèrent.
+Je suis mort, lanceur de runes.+
— Tu n’as donc rien à perdre.
+Si tu meurs, mon esprit va dériver dans le warp et être dévoré par ces
monstres. Si je peux revenir au Portail, je pourrais ressusciter mon corps. Je
peux revivre !+
Njal considéra la chose. Tout cela pouvait n’être qu’un mensonge, mais un
mensonge affreusement pratique, répété encore et encore depuis qu’Izzakar
s’était enfermé dans son esprit. Il ne pouvait faire confiance au sorcier, mais
il ne parvenait pas non plus à concevoir un quelconque motif qu’aurait eu le
psyker des Thousand Sons pour vouloir le tuer d’une telle manière. Les
manigances de Magnus et de son ineffable patron étaient certes ésotériques,
mais il paraissait particulièrement vain de mettre en place un plan à la fois
aussi complexe et aussi facile à déjouer que celui-ci. Et c’était d’autant plus
improbable que le Roi Écarlate avait eu l’opportunité de tuer le Maître des
Tempêtes en personne.
— Valgarthr, envoie Arjac et ses gardes-loups me retrouver au Sas numéro
six.
— Tu vas dehors, Maître des Tempêtes ? Le ton du chef de meute était
presque incrédule. Maintenant ?
Majula avait remis son cache frontal et adressa un regard à Njal en
entendant la conversation.
— Les tirs et les coups de gantelets énergétiques ne sont d’aucune utilité
contre les démons dans le warp, Seigneur des Runes.
— S’ils pénètrent le champ de Geller, ils vont devoir se créer des formes
semi-corporelles. Ça les rendra vulnérables à nos armes.
— Je viens aussi, dit-elle résolument.
— Non, répondit Njal. Si j’échoue, quelqu’un doit rester pour guider le
vaisseau.
— Si vous échouez, comment le guiderai-je ? Elle indiqua l’écume
d’énergie démoniaque qui s’écrasait et tambourinait sur le dôme. Vos
guerriers n’ont pas besoin de moi pour activer les moteurs warp. Nous ne
devons pas être à plus de quelques années-lumière de Fenris. Ils peuvent
battre en retraite vers l’espace réel. Mon œil peut vous protéger.
Il baissa les yeux et les plongea dans les siens, assurés, et ne vit aucun
signe d’anxiété. Elle avait été élevée comme quelqu’un de spécial parmi
toute une caste dotée de pouvoirs. Assurance et confiance émanaient
comme une vague de chaleur de son jeune corps et de son âme.
— Très bien. Trouve-toi un scaphandre, et vite.
Njal évalua la force de la tempête démoniaque. Le Longriffe était secoué
de toute part, ruant sous la pression de tant d’activité du warp. Des entités
plus larges se glissaient à travers la masse remuante, guidant, dirigeant et
testant. Les démons avaient commencé à explorer méthodiquement les
défenses du vaisseau, en agissant selon la volonté des individus les plus
puissants de leur panthéon. Il pouvait s’écouler plusieurs heures comme
quelques secondes avant qu’ils ne repèrent la jointure fautive.
Il n’y avait pas de temps à perdre.
Le sas pressurisé numéro six était aussi connu sous le nom de Porte du Roi,
selon la nomenclature traditionnelle de Fenris désignant l’accès principal
d’un village ou d’une forteresse. Il était situé côté proue, au bout de l’artère
de transit principale et se composait d’une double porte scellée de dix
mètres de haut sur vingt de large. Derrière se trouvait un espace juste assez
large pour accueillir un escorteur, fermé par une porte hermétique protégée
par un champ de force ouvrant dans la gueule de la tête de loup qui
constituait la figure de proue du Longriffe. On l’utilisait surtout pour le
ravitaillement, le vaisseau d’attaque ne disposant que de deux baies de
lancement sur ses flancs, chacune presque entièrement occupée par la masse
d’un Thunderhawk.
Arjac arriva avec son escouade. Il avait amené six de ses frères pour la
mission, en laissant deux servir de garde d’honneur à Logan Grimnar. Le
Loup Suprême avait protesté, mais Arjac avait insisté : il était normal qu’il
les laisse monter la garde en l’absence du hearthegn.
Chacun d’eux portait une armure Terminator complète, recouverte de
totems Space Wolves. Ils étaient connectés les uns aux autres par
l’intermédiaire du lien de leur flux de données sensorielles, capables de voir
par les yeux de leurs frères et de percevoir tout ce qui les entourait. Quand
Arjac se retourna pour faire face à son groupe, il put se voir tel qu’ils le
voyaient dans les infrachamps de sa vision.
Le couloir supérieur était assez large pour abriter une demi-douzaine
d’appareils d’assaut Stormwolf et Stormfang, ils étaient alignés côté bâbord
de la large voie d’accès et leurs courtes ailes se touchaient presque. Leur
présence paraissait incongrue, comme des armes laissées à l’abandon, mais
avec les baies dédiées toutes occupées, le conduit principal et la Porte du
Roi attenante étaient les seuls endroits du vaisseau suffisamment spacieux
pour les stocker et les larguer.
Le Maître des Tempêtes émergea de la porte du convoyeur à quelques
mètres de là et Arjac leva son marteau en guise de salut. Le sensorium
grésilla. Sa vision se fit trouble quelques instants, quand l’esprit de l’armure
du Prêtre des Runes communia avec ceux de l’escouade et échangea des
salutations avec les systèmes d’armure.
— Éteignez votre sensorium, leur dit Njal.
Il ne ralentit pas son allure, ce qui obligea les hommes à s’écarter pour le
laisser passer.
— Nous avons une brèche potentielle du champ de Geller. Si l’un d’entre
vous subissait la corruption du wyrd, elle se répandrait dans les autres
systèmes comme un cancer. Restez à proximité les uns des autres et vérifiez
tout deux fois. Votre perception sera probablement altérée. Je vais faire de
mon mieux pour vous protéger de l’attention des habitants du warp, mais je
vais devoir me concentrer sur la localisation et la réparation du dommage.
— Tu peux faire ça, Seigneur des Runes ? demanda Ingvarr l’Ombrageux.
— Couvrez-moi et couvrez-vous les uns les autres, ça doit être votre seule
préoccupation, répondit le Prêtre des Runes, ignorant la question.
Il s’avança vers le tableau de contrôle et pressa d’un pouce ganté la rune
d’activation. Les portes de la baie s’ouvrirent dans un fort grincement et
dévoilèrent le sas. Au bout de celui-ci, les portes extérieures étaient
fermées, triplement barrées et l’on voyait un champ d’énergie luire sur toute
la surface du portail. Sur les murs s’alignaient des vérins pneumatiques et
des verrous explosifs d’urgence, pour qu’en cas d’intrusion on puisse
entièrement éjecter la porte pressurisée, scellant la porte intérieure.
Des images-augures suivirent leurs mouvements de leur lentille rouge,
suivant leur progression sur le sol en ferrobéton en grinçant. Le vox de la
station de contrôle du pont de commandement grésilla.
— Je vous ai en visuel. Aucun signal détecté derrière la porte principale.
À vos ordres pour sceller les portes intérieures.
— Attends, dit Njal à Arjac qui s’apprêtait à demander la fermeture.
Quelqu’un d’autre vient.
Des pas légers sur le pont derrière les portes attirèrent leur attention. Une
petite silhouette dans un scaphandre de thrall qui était un peu trop grand
pour elle, les bras et les jambes plissés, le casque étrangement large sur les
fines épaules. Sous le dôme de verrite on voyait un visage à la peau sombre,
un anneau d’argent autour du front.
— La Navigatrice, marmonna Breda Briseascier. Devrons-nous la protéger
elle aussi ?
— Majula, tu resteras à la Porte du Roi jusqu’à ce que je t’appelle, dit
Njal, ignorant une fois de plus le Garde-Loup.
Arjac n’était pas certain que le Maître des Tempêtes l’ait même entendu. Il
semblait distrait, ce qui inquiétait Poing de Pierre. Il ne pouvait ignorer la
possibilité qu’il pût s’agir d’une ruse de la chose à l’intérieur de la tête du
Maître des Tempêtes pour attirer les autres à l’intérieur du champ de Geller,
où ils seraient affaiblis.
— Où est cette brèche, Maître des Tempêtes ? demanda le chef de meute.
— Quelque part sur le flanc tribord, à environ trois quarts du chemin vers
le poste de pilotage.
— Alors, pourquoi partons-nous d’ici ? demanda Jorn Le Grand. Pourquoi
pas du poste de pilotage ?
— Pour que je puisse voir la brèche avant d’arriver directement dessus,
gronda Njal, sans chercher à cacher son irritation.
Le Prêtre des Runes se tourna vers eux et bien qu’il portât son heaume, son
ton communiquait son regard noir tout aussi efficacement que ses yeux.
— Quelqu’un d’autre veut interroger le Seigneur des Runes ?
Leur silence intimidé fut une réponse suffisante.
— Scellez la porte, transmit Arjac à la passerelle de commandement.
Sirène hurlante, les portes intérieures se fermèrent, laissant l’intérieur du
sas baigné dans une lumière rubis. Le fracas des ancres du système de
verrouillage fit trembler la pièce. Une autre alarme résonna, deux coups
secs. Des signaux d’alerte dans l’armure d’Arjac le prévinrent de la chute
de pression quand l’air fut siphonné hors du sas. Celui-ci mit deux minutes
à atteindre un état de vide total, afin d’éviter une décompression explosive à
l’ouverture des portes extérieures.
— Ouverture des portes extérieures à votre commandement, les informa la
voix du contrôleur.
— Le champ de Geller sera une couche de protection entre le warp brut et
nous, mais il risque d’y avoir des perturbations psychiques et physiques à
proximité de la brèche. Ne regardez pas directement la brèche, surtout pas,
même avec vos autosens. Je peux défendre vos pensées d’une intrusion,
mais je ne peux pas vous empêcher de vous transformer en forcenés
délirants si vous tournez le regard vers les profondeurs de l’Autremer.
— Compris, Maître des Tempêtes, dit Arjac. Il regarda ses compagnons.
C’est clair ?
Ils répondirent par l’affirmative, rendus plus circonspects par
l’avertissement du Prêtre des Runes.
— Ouvrez, ordonna Arjac au contrôleur.
Les bandes lumineuses s’éteignirent, ne leur laissant que la vision
thermique de leurs autosens, presque entièrement noire en absence
d’atmosphère conductrice. Les lumens de leurs armures prirent le relais
l’instant d’après, perçant l’obscurité en cercles d’un jaune pâle. Trois
sonneries de la sirène d’alerte annoncèrent l’ouverture des portes
principales, laissant apparaître non pas un champ d’étoiles, mais un rideau
tourbillonnant de rouges et de verts à une trentaine de mètres du seuil.
— Suivez-moi, dit Njal en se mettant en marche vers l’ouverture. Attends
ici, Majula, rappela-t-il à la Navigatrice, qui s’arrêta à quelques mètres des
portes extérieures.
Ils se trouvaient toujours dans le champ de gravité artificielle du vaisseau
quand ils mirent le pied dans le vide, mais il était beaucoup plus faible,
comme sur un satellite ou une lune. D’une démarche déterminée et
chaloupée, ils firent le tour du flanc de la coque, à la suite du Prêtre des
Runes.
En regardant autour de lui, Arjac ne pouvait voir que la frontière
fantasmagorique du champ de Geller, moirée comme de l’huile sur de l’eau,
un millier de couleurs puis une absence totale, quand le warp et la réalité se
rencontraient. Il avait combattu dans le vide bien des fois, mais jamais alors
qu’il était dans le warp. L’idée était dérangeante. Malgré tout son
entraînement, son expérience et son armure Terminator, si une erreur
l’envoyait s’écraser dans le champ de Geller, il serait perdu. Condamné à
une mort incertaine ou à bien pire dans l’emprise de l’Autremer.
Berda Briseacier avança sur la gauche, son canon d’assaut en position pour
pouvoir fournir un tir nourri à tout moment. Ulfar le Rouge et Jorn le Grand
pointaient leurs fulgurants vers la droite, protégeant le flanc opposé.
— Restez sur vos gardes, dit Arjac aux autres
Il observa les alentours avec de lents mouvements de tête, avançant avec
ses frères, armes à la main. Sur sa gauche, les griffes de loup d’Alrik Tente-
le-Sort laissaient derrière elles une trace actinique. Sven Heaume Fendu
marchait à ses côtés avec son marteau Tonnerre et son bouclier Tempête, de
puissantes armes qui ressemblaient à des jouets comparées à celles d’Arjac.
Dans un infra-affichage, Poing de Pierre vit un espace vide : les données
transmises par Ingvarr, qui gardait leurs arrières.
Un mouvement au-dessus d’eux attira l’attention de tout le monde, une
seconde à peine avant qu’un flash d’un jaune éclatant ne leur fonce dessus.
Une mâchoire pleine de crocs se forma dans la boule de lumière. Derrière
elle d’autres silhouettes miroitaient et virevoltaient, des prédateurs squales
qui se firent pousser des ailes acérées et des queues dentelées, tirant une
forme physique de la poche de réalité.
Aucun ordre ne fut nécessaire. La Garde des Loups ouvrit le feu comme
un seul homme, un torrent de tirs et d’obus de canon d’assaut jaillit pour
aller à la rencontre des démons qui se matérialisaient. Arjac se rapprocha de
Njal, Sven et Alrik restèrent proches.
L’attaque des Terminators laissa les bêtes maléfiques à l’état de restes
déchiquetés. Des globules de sang démoniaque et des morceaux de chair
wyrdique s’éparpillèrent dans le vide. Arjac fit de son mieux pour ne pas
regarder directement vers leur point d’origine, l’avertissement de Njal à
l’esprit. Il maintint plutôt son regard légèrement sur le côté, utilisant la
périphérie de ses autosens pour détecter les prochaines manifestations.
Il vit, ou crut voir, des visages grimaçants, faits de poussière d’étoile et de
taches tourbillonnantes. Des mains aux doigts de flammes griffaient les
marges de la faille. Les démons forçaient leur essence à travers. Un miasme
d’énergie se coagula en face de la Garde-Loup en approche, cela
ressemblait vaguement à des champignons bizarrement éclos avec des
visages ornés de bec.
Face à la puissance de feu des Terminators et aux décharges de foudre du
Maître des Tempêtes, les démons changèrent de stratégie et tentèrent de les
contourner plutôt que de foncer directement devant eux. Comme des
flammes rampant sur un plafond, le pouvoir diaphane des entités se
répandit, une malignité qui s’introduisit dans les pensées d’Arjac comme
une puanteur.
Des démons se formèrent en entités individuelles à partir de la fuite de
matière du warp, des créatures aux corps rachitiques et aux jambes arquées.
Leurs yeux aux pupilles d’étincelles tourbillonnaient comme des nébuleuses
alors qu’ils flottaient vers le Longriffe au milieu du clignotement des tirs et
des décharges d’énergie psychique. De plus en plus d’entre eux émergeaient
du nuage psychique naissant, tombant toujours plus nombreux, leurs
gueules ouvertes en cris silencieux. Des doigts creux jetaient des flammes
bleues et des queues acérées fouettaient l’air.
— Divisez vos tirs. Forcez-les à se regrouper au centre, ordonna Arjac.
Il n’osait pas lancer son marteau, ne sachant pas si la technologie de son
cœur de téléportation warp pouvait fonctionner à l’intérieur d’un champ de
Geller. Il regarda, impuissant, la nitescence grossissante d’énergie
chaotique, Sven et Alrik tout aussi incapables d’intervenir contre leurs
adversaires distants.
— Suivez-moi, dit Njal en levant son bâton.
Son extrémité s’embrasa d’une lame de lumière blanche à la manière
d’une faux, et d’un bond, il s’éloigna de la coque du vaisseau. Bandant ses
muscles organiques et mécaniques, Arjac se propulsa à la suite du Prêtre
des Runes, son marteau Tonnerre crépitant, suivi de près par Sven et Alrik.
Comme des étoiles ascendantes, le Maître des Tempêtes et ses compagnons
s’élevèrent vers la masse de matière démoniaque qui traversait le champ de
Geller.
— Nous avons besoin de ton aide, Navigatrice, dit Njal à travers la vox. Je
ne peux les maintenir à distance et sceller la brèche en même temps.
Dérivant à travers la vague démoniaque en approche, Arjac donna un coup
de marteau, dont la tête parcourue de foudre défonça de la chair
démoniaque tandis que du feu wyrd jaillissait de son bouclier brandi. À son
côté, le marteau de Sven fit des dégâts similaires, brisant des os à peine
formés, écrasant des pseudo-corps avec chaque coup. Alrik le dépassa et ses
griffes de loup ouvrirent un chemin de destruction au milieu de ses
assaillants.
Les démons se mêlèrent et se reformèrent, pas tout à fait individuels, se
séparant et se coagulant au fur et à mesure que leur présence se manifestait
au sein de la bulle de réalité. Des tentacules pourvus de douzaines de mains
et de griffes qui cherchaient à les attraper émergèrent en grouillant de la
masse, constitués d’esprits multiples mais guidés par une même volonté.
Les appendices de warp s’attaquèrent à Arjac et aux deux Gardes-Loups à
ses côtés, les armes et boucliers dressés provoquant une cascade
d’étincelles.
Un pseudopode tortillant planta un crochet de warp dans le plastron
d’Alrik. Celui-ci y donna des coups de griffes et déchira des rubans de
matière d’âme en lambeaux de chair qui se matérialisaient, mais le tentacule
continuait de se reformer sous ses coups, l’entraînant, vers le haut, vers la
brèche.
— Non !
Arjac activa les orifices d’échappement de son armure, juste assez pour
l’envoyer à la poursuite du Garde-Loup touché. À quelques mètres à peine,
Alrik continuait à se battre alors que de plus en plus d’appendices se
plantaient dans son armure, perçant plastron et gorgerin, jambières et
brassards, le tournant et le retournant comme une mouche prise dans la toile
d’une gigantesque et abominable araignée.
D’autres tentacules jaillirent de la gueule de la brèche, des ombres qui se
déroulaient et se précipitaient vers le hearthegn.
Arjac leva à nouveau son marteau, prêt à se propulser encore pour
affronter la masse approchante. Il s’arrêta brusquement, sa cheville prise par
quelque chose. Sa trajectoire s’inversa et son armure lui signala quelque
chose au pied. Il se retourna et voulut se libérer d’un coup de marteau, mais
se contint au dernier moment quand il vit qu’il était sous l’emprise du
Seigneur des Runes.
— Tu seras perdu, toi aussi, lui dit sèchement Njal, les yeux de son
heaume étincelants d’une énergie dorée tandis que des frondes de rage warp
fouettaient et cinglaient contre son armure, les runes gravées dans la
céramite brûlantes comme des braises.
— J’ai besoin que tu me protèges, ou nous mourrons tous.
Arjac ravala une réplique et leva les yeux. Dans un tourbillon infini
d’étincelles jaunes et bleues, il vit des images fugaces d’Alrik, comme s’il
s’enfonçait dans des sables mouvants. Ses griffes fendirent l’air une
nouvelle fois, une dernière tentative désespérée de se libérer et puis il
disparut, entraîné dans l’abysse damné de l’Autremer.
Dans un rugissement de défi, les Gardes-Loups redoublèrent leurs attaques
et firent converger leurs tirs autour de Njal et d’Arjac.
— Ferme la brèche, Maître des Tempêtes ! cria Berda.
Les tubes de son canon d’assaut rougeoyaient de la chaleur accumulée, le
roulement de son feu nourri à peine audible à travers la transmission vox.
Une série de projectiles partit du lance-missile Cyclone d’Ulfar le Rouge,
leurs explosions transformées en bouquets coruscants de courbes blanches
et en étincelles tranchantes par la présence de tant de puissance warp.
Arjac vit qu’au loin les tirs combinés avaient ouvert une déchirure dans la
matière warp qui inondait la brèche.
— Je suis avec toi, Seigneur des Runes, dit-il à Njal. Fais-le maintenant.
Cerné par le feu nourri des Gardes-Loups, Njal s’élança vers la brèche. Au
cœur d’une tempête tourbillonnante de décharges énergétiques et
d’éruptions de puissance, il étendit le bouclier de son esprit pour former une
couronne d’un bleu étincelant qui plongea au milieu des démons qui
s’engouffraient dans la poche de réalité.
+Ne peux-tu donc rien entreprendre sans utiliser la force brute ? Tu manies
ton pouvoir comme une hache pour abattre un arbre quand tu devrais créer
une œuvre d’art avec de délicats cisèlements.+
Njal ignora les critiques du sorcier et faucha l’air de son bâton en un arc
scintillant. Il trancha en deux des horreurs à langues de flammes et découpa
des squales volants qui bavaient des étincelles brûlantes.
Mais pour chaque entité qu’il fracassait et parvenait à bannir de ses coups,
une autre s’introduisait par la brèche. Le barrage de tirs ouvrait de bénignes
estafilades dans leurs corps sans substance et se transformait en rafales
d’éclairs quand ils passaient au-delà du champ de Geller.
Les démons entrèrent en force, leur présence élargit la brèche et permit à
un nombre toujours croissant d’entre eux de pénétrer dans la poche de
réalité. Entouré de l’aura brûlante de son bouclier psychique, le Maître des
Tempêtes dut s’arrêter, sa progression bloquée par la matière de warp qui
s’épaississait et se coagulait contre la barrière de ses pensées.
+Imagine une épée, pas un marteau, tranche-toi un passage, espèce de
sot.+
L’aura démoniaque étouffa toute pensée et raison, envahissant ses sens
aussi bien physiques que psychiques. Essayer de puiser plus de puissance
dans le warp aurait été comme se noyer et essayer de respirer l’eau
suffocante de la mer, accélérant ainsi sa défaite alors même qu’il essayait de
l’éviter.
Njal était sur le point d’ordonner la retraite et le retour dans le vaisseau. Il
était à un souffle d’ordonner, par vox, à Valgarthr de lancer les moteurs
warp à pleine puissance en prévision d’une sortie en urgence dès l’instant
où les Space Wolves seraient de retour à bord.
Il ravala ses mots. Un échec à une étape aussi précoce de leur mission était
impensable. C’était le moindre des obstacles qu’ils auraient à surmonter et
son indomptable fierté l’empêchait de donner cet ordre.
— Nous sommes les Chevaucheurs de Tempête ! rugit-il. Ceci est notre
légende !
Un aveuglant rayon de feu blanc le dépassa d’un trait et transperça les
démons comme un canon laser dans de la chair. Njal n’eut pas besoin de se
retourner pour savoir que Majula était arrivée. Le rayon s’accompagna d’un
harmonieux chœur d’énergie qui déferla aux côtés de ses sens psychiques,
le pouvoir de l’Astronomican redirigé.
Le feu de son troisième œil arrosa toutes les directions et réduisit les
démons en lambeaux d’émotion dispersée. Lévitant près de lui dans son
scaphandre, la Navigatrice aurait semblé sereine sans les pulsations
d’énergie du warp qui fusaient de son regard.
Njal activa les réacteurs d’assiette de son armure quand il sentit Izzakar
l’exhorter au coeur de ses pensées ;
+Maintenant ! Soude les bords de la brèche !+
La tâche était loin d’être évidente, même avec Majula à ses côtés qui
réduisait en cendres tout démon qui apparaissait au bord du champ de
Geller. La déchirure dans la réalité avait des bords inégaux qui échappaient
à ses doigts mentaux chaque fois qu’il essayait de les attraper.
+Concentre-toi, jeteur de runes.+
Njal écarta l’interruption du sorcier et s’imagina sur le pont cahotant du
bateau, la voile déchirée par un ouragan. Avec des mains incroyablement
vastes, il tira les bords l’un vers l’autre et entreprit de recoudre le matériau à
l’aide d’un lien épais invoqué par ses pensées.
Son effort de visualisation porta ses fruits. Il s’accrocha à la capricieuse
barrière et regagna un semblant de contrôle. D’une pensée adroite, il
manipula l’énergie psychique pulsante et agit à la place des projecteurs
défectueux pour rediriger le bouclier et rétablir son intégrité.
— Arrête-toi dès que je te le dirai, Navigatrice, dit-il à Majula. Nous ne
pouvons pas sceller la brèche pendant que ton troisième œil perce le voile.
— À vos ordres, promit-elle.
Njal raffermit ses pensées comme on bande ses muscles. L’interface entre
le warp et la réalité s’amollissait et menaçait de devenir un brouillard qui lui
glisserait des doigts.
— Maintenant ! rugit-il.
Le trait de feu s’éteignit et laissa place pour un moment à une obscurité
aveuglante. Njal n’eut pas besoin de voir pour agir. Il tira les bords du
champ de Geller l’un contre l’autre comme les portes d’une forteresse, ses
pensées comme un arc électrique soudant les morceaux brisés.
— C’est fait, annonça-t-il, la mâchoire crispée par l’effort de maintenir la
bulle en place.
— Bien. Sortons de cet enfer, déclara Arjac.
— Pas tout de suite, lui dit Njal. Aldacrel, tu m’entends ?
— Oui, Maître des Tempêtes. Nous avons trouvé une bobine d’émission
hors d’usage. Les technoprêtres nous font parvenir une pièce de rechange.
— Combien de temps ?
— Trente minutes.
— Nous ne devrions pas rester ici, Seigneur des Runes, insista Arjac.
— Je ne peux pas partir, répondit Njal, lentement. Je dois maintenir la
brèche fermée jusqu’à ce qu’Aldacrel ait fini.
Un silence accueillit sa déclaration, les autres mesurant sa signification,
l’effort déjà évident dans sa voix.
— Très bien. Nous resterons à tes côtés, dit Poing de Pierre.
— Je… Je dois guider le vaisseau, dit Majula d’une petite voix, le visage
caché par la surface réfléchissante de son casque.
Après son insistance pour l’accompagner, son raisonnement sonnait
maintenant comme une excuse, mais il n’en restait pas moins valide.
— Ne perdez pas ces trente minutes. Si ma force me fait défaut, si
j’échoue, faites un saut d’urgence dans l’espace réel immédiatement. Ne
m’attendez pas.
— Je n’attendrai pas, l’assura la Navigatrice.
Elle s’éloigna en flottant et disparut de son champ de vision. Njal ancra
son regard sur l’imperceptible couture qu’il maintenait par la pensée.
Derrière le voile invisible, l’énergie du Chaos commençait à se regrouper.
Bien que la Garde-Loup restait là, à protéger ses arrières, le Maître des
Tempêtes se sentit seul, le regard plongé dans l’énergie informe.
+Tu vois ? Avec moi pour te guider, tu peux accomplir ce que tu veux.+
Pas complètement seul, malheureusement.
CHAPITRE 8
VERS PROSPERO

Le temps passa. Dans les courants temporels en perpétuelle mutation de


l’Autremer, il était impossible de déterminer la durée exacte. Pour Njal et
les autres à bord du Longriffe, causes et effets persistaient. Les jours se
suivaient, rigoureusement répertoriés par les cogitateurs et les
chronothages, chaque quart d’heure, demi-heure, heure complète, étaient
signalés à travers le vaisseau par des sonneries de cornes synthétisées. Le
Maître des Tempêtes savait que ce n’était que des artifices. Le warp était en
dehors de telles contraintes, et ils pouvaient réémerger dans la chronologie
une centaine de Longues Années après être partis. Il était aussi possible,
bien que, heureusement, peu probable, qu’ils arrivent sur Prospero avant
même d’avoir quitté Fenris. Njal essayait d’éviter de trop penser à tout cela,
même son esprit lié au warp étant incapable de se représenter de telles
choses d’une façon tant soit peu lucide.
L’essaim démoniaque les suivait, parfois réuni autour du champ de Geller,
parfois perdu dans le sillage d’irréalité quand Majula guidait le vaisseau
dans des courants plus vifs de pure énergie émotionnelle.
Ils furent pris dans des remous, renvoyés en arrière, redirigés contre les
courants dominants par des contre-courants et encalminés dans des bassins
immobiles. Ils progressèrent cependant, inévitablement et interminablement
dirigés vers Prospero.
Njal passa autant de temps qu’il le put au milieu de ses hommes. Sans
prêtres-loups au sein de l’expédition pour soutenir leur humour et chanter
les sagas qui améliorait leur humeur, la tâche de maintenir le moral des
troupes revenait à Arjac, Valgarthr et lui.
Quand il pouvait se libérer de ces devoirs, il rendait visite à Majula dans
son dôme, lui apportant parfois de la nourriture ; le geste comptant plus que
l’acte en lui-même, car les rations étaient presque identiques à celles que les
servitors lui préparaient dans sa cuisine particulière.
L’humeur d’Izaakar était elle aussi inhibée. Une douzaine de quarts ou
plus pouvait passer sans commentaires de la part du sorcier, mais il était
toujours là, faisant parfois des remarques ou posant des questions aux
moments les plus inappropriés. Il s’obstinait en particulier à faire part de sa
présence lors des incursions de Njal dans les quartiers de la Navigatrice,
sachant très bien que Majula pouvait aussi la percevoir.
Lors de sa précédente visite dans le dôme Navis, le sorcier avait partagé
les yeux de Njal quand le Maître des Tempêtes avait contemplé le warp et
vu un changement dans les flots en perpétuel mouvement. Dans les
profondeurs, pour autant qu’on puisse imaginer une telle chose dans un
royaume sans dimension physique, une tempête plus imposante menaçait,
une obscurité qui pesait sur l’esprit comme le jaunissement du ciel avant
une monumentale tempête.
+Qu’est-ce que c’est ?+
— La Grande Faille, répondit Njal en se rapprochant du mur translucide.
Il contempla l’incommensurablement vaste déchirure dans la réalité.
— Je ne l’avais jamais vue, pas d’aussi près, admit Majula.
Elle était occupée, comme à son habitude, avec les contrôles, à effectuer
de petits ajustements pour les maintenir au centre du vif courant d’énergie
qui les portait pour l’instant. Elle se racla la gorge, mal à l’aise.
— Ce n’était pas à moi que vous vous adressiez, n’est-ce pas, Seigneur des
Runes ?
— Non, confessa le Maître des Tempêtes.
Il observa la vague de front ondulante qui pulsait et grossissait à la limite
de son champ de vision, striée d’étranges aperçus de l’univers réel.
— Magnus fut, en partie, responsable de cela. Et ses traîtres de frères
également. Des rituels sanglants et des sacrifices de masse ont déchiré le
royaume de l’Abysse, l’ouvrant pour leurs maîtres haineux.
+Je ne peux approuver une telle chose. Le Magnus que je connaissais était
un maître de la recherche, de la création, pas de la destruction. S’il agit
comme tu le dis, c’est pour construire quelque chose de plus grandiose que
ce qui existe déjà.+
— Il n’est plus maître de rien, sorcier. C’est un esclave, même s’il
prétendrait le contraire. Un fragment du changement pour le changement,
pris dans les manigances infinies du Grand Architecte. Je ne doute pas qu’il
se mente à lui-même en pensant servir une cause, mais toute signification
derrière ses actions ne serait que pure vanité.
+Dis-moi, liseur d’osselets, qu’est-il arrivé à Prospero ? Je peux toujours
la sentir, un endroit mort, ses bibliothèques silencieuses, les grandes rues
désormais vides de vie.+
— Tu sais mieux que moi ce qui s’est passé sur Prospero. Je n’ai fait que
lire des récits sur sa destruction. Toi, en revanche, je suis sûr que tu en fus
témoin.
+Seule Tizca a survécu, protégée par le bouclier kinétique de mon ordre.
Notre plus grande cité, le plus vaste réservoir de nos connaissances, gardée
en sécurité par la protection de la puissance psychique de notre Raptorae.+
— Tizca aussi a été purgée. C’est une ruine, désormais, sa carcasse
desséchée depuis dix mille ans. Et bon débarras.
Izzakar garda le silence, son habituelle agressivité suffoquée par l’ampleur
des pertes subies par les Thousand Sons. Njal ne ressentit rien d’autre que
du mépris pour l’ancien archiviste, sachant très bien que tout ce qui était
arrivé à sa légion avait été non seulement mérité, mais ordonné par le Père-
de-Tout. Nulle autre justification n’était nécessaire.
Cependant… Izaakar avait été enfermé dans le Portail Labyrinthe depuis le
Sac de Prospero. Il ne savait rien de ce qui s’était produit ensuite. Le Siège
de Terra et la mutation de la légion de Magnus étaient un mystère pour lui.
L’acte final de Corruption, évoqué dans les plus anciennes sagas, mais
jamais entièrement compris, avait eu lieu après la fin funeste du sorcier.
— Vous avez dit « Sorcier », Seigneur des Runes, dit soudain Majula,
sortant le Maître des Tempêtes de sa rêverie. Que transportez-vous dans
votre esprit, exactement ?
— Seulement un vestige, répondit sèchement Njal. L’écho d’un mort qui
ne s’est pas encore estompé.
Le Prêtre des Runes s’attendit à une quelconque réplique d’Izzakar, l’ayant
intentionnellement provoqué, mais aucun commentaire ne vint. À la place,
Njal ressentit un nœud de confusion dans les replis les plus profonds de sa
conscience.
— Je ne m’attends pas à ce que notre voyage vers le système de Prospero
soit aussi agité que notre départ de Fenris, dit-il à Majula, se retournant
pour partir. Nous devrions arriver dans quelques journées de vaisseau. Le
système est vide, non défendu. Magnus l’a abandonné il y a bien longtemps
et n’a montré aucun intérêt à son sujet depuis. Malgré cela, nous prendrons
toutes les précautions habituelles, comme pour n’importe quelle entrée en
espace hostile.
+Je ne serais pas si certain que Prospero soit sans défense.+
— Il ne reste rien à protéger.
+Et pourtant, c’est là que tu vas. Penses-tu qu’il s’agisse d’une
coïncidence si ton vaisseau a été assiégé par de telles forces dès l’instant où
il est entré dans le warp ?+
— Magnus a beaucoup négocié avec son maître infernal et ses hordes
démoniaques. Notre système et bien d’autres ont été ravagés par des armées
engendrées par le warp. Il n’est guère surprenant qu’il s’en attarde encore
aux frontières du royaume du Roi Loup.
+Absurde. Tu ne peux même pas imaginer la volonté nécessaire pour
maintenir une activité aussi intense à un endroit précis. Une manifestation
aussi rapide, à l’endroit et au moment exacts de notre translation, est
virtuellement impossible. Peu importe la masse d’énergie corrompue autour
de votre planète, les chances de se retrouver face à une telle résistance par
pur hasard sont astronomiques.+
— Tu penses qu’ils nous attendaient ? C’est encore plus impossible. À
peine quelques jours avant, je n’avais même pas l’intention de quitter le
système.
+Des jours, des années, hier, demain, tout cela a-t-il la moindre
importance, ici ? La prescience est une seconde nature, pour les fils de
Magnus. Pour ceux d’entre nous qui sont parvenus à une véritable maîtrise
du warp et de son fonctionnement, le futur, le présent et le passé sont
interchangeables.+
— Encore cette arrogance. Tu n’as rien maîtrisé, seulement l’art de te
mentir à toi-même. Les Prosperins ont été défaits par leur manque
d’humilité, punis par le sort et le warp pour leur trop grande confiance en
eux.
+Tu me dédaignes si facilement tout en m’accusant de trop de confiance
en moi. L’hypocrisie du Roi Loup prospère vraiment chez ses chiens de fils
dévoyés.+
— Choisis avec soin chacun de tes mots, sorcier. Chaque insulte que tu
profères à l’encontre des fils du Loup te sera renvoyée dix fois. N’oublie
pas ce qui est arrivé à Prospero.
— Maître des Tempêtes ! Le ton sec de réprimande employé par Majula
choqua Njal, gagnant son attention.
Cela faisait une éternité, depuis une autre vie, que personne ne lui avait
parlé ainsi. Sa réplique furieuse mourut sur ses lèvres quand il remarqua les
petits arcs d’énergie qui crépitaient entre ses doigts écartés.
+Contrôle, déchiffreur d’entrailles. Le contrôle triomphe de la force brute
à chaque fois.+
— Je me retire, dit Njal avec raideur, adressant un signe de tête
respectueux à la Navigatrice. Auras-tu besoin de mon assistance pour la
prochaine translation ?
— Je pense… Majula secoua la tête. Que cela ne sera pas nécessaire,
Seigneur des Runes.
+Tu es en train de bien vite te transformer en handicap. Elle aussi le sait.+
Njal ne répondit rien et s’en alla à grands pas, avec tout le peu de dignité
qu’il lui restait.
En dépit des affirmations d’Izzakar, l’approche du système de Prospero se
fit sans danger particulier. Elle fut, en fait, plutôt calme. Ce fait en lui-
même fut une raison suffisante pour que Majula demande à Njal de se
joindre à nouveau à elle.
La présence grandissante de la Grande Faille retournait insensiblement
l’estomac, une douleur sourde dans les tripes, à peine discernable. Une zone
ressortait du mélange de tempêtes : l’emplacement de Prospero. Un
tourbillon étincelant qui avait pour centre ce qui avait été le monde
d’origine de Magnus.
+Nos défenses sont toujours actives, après tout se temps.+ pavoisa Izzakar.
+Même après notre mort, notre héritage perdure.+
— Tu te trompes, lui dit Njal. Tout a été démantelé, mis en pièce par les
guerrières de la sororité silencieuse. Ceci est nouveau.
— La Planète des Sorciers, Seigneur des Runes, annonça Majula. Elle est
proche, tractée dans l’espace réel à travers le warp. Ceci n’est que le sillage
de son passage, le vortex formé par une translation aussi massive. Toute
l’énergie a été vidée de la zone à la suite de ce traumatisme.
+Intrigant. Quel est ce monde dont elle parle ?+
— Quand Magnus et ses traîtres de frères ont fui la justice des loyalistes,
ils ont conquis de nouveaux domaines dans l’Œil de la Terreur. Le Roi
Écarlate a forgé un monde de la plus noire des magies et de vile
démonologie.
+Tu te sers de mots dont je ne suis pas sûr que tu comprennes exactement
la signification.+
— Cela ne change rien à ce que nous devons faire, dit Njal, agacé par les
constantes interruptions du sorcier. Navigatrice, calcule le point de
Mandeville et prépare la translation.
— Il n’y a pas de point de Mandeville.
Majula enfila son bandeau et se détourna de la console de contrôle. Elle
avait l’air épuisée, affaissée par la fatigue, un tic lui agitant l’œil gauche.
— Le remous de warp a dispersé toute interférence gravimétrique de
l’espace réel.
+Imbécile. Pourquoi ne l’avais-tu pas compris ?+
— À quelle distance pouvons-nous approcher ?
— Pratiquement en orbite, Seigneur des Runes. Si je minute bien le saut,
nous pourrons résorber notre vitesse lors de la translation.
— Et si tu ne le minutes pas bien ?
— Nous risquons d’arriver avec quelques jours de décalage.
Majula détourna le regard, un signe de culpabilité.
— Ou bien… ?
— Il existe une toute petite, absolument infime, possibilité pour que nous
nous jetions dans le puits de gravité de Prospero, Seigneur des Runes.
— Nous écraser. Le mot que tu cherches est « s’écraser », Navigatrice.
Elle hocha la tête, évitant toujours son regard.
Njal se méfiait de tout ce qui pouvait lui rendre la vie plus facile et il
envisagea de donner l’ordre à Majula de faire le saut dans l’espace réel
selon la procédure standard. Il mit cela en balance avec la quinzaine de
jours qu’il leur faudrait pour traverser le système par la propulsion
conventionnelle. Quinze jours de moins qu’il passerait avec Izzakar enfoui
dans son âme.
— Fais-le, ordonna-t-il à la navigatrice. Emmène-nous aussi loin que tu
l’oses.
— Seulement trois ? Arjac adressa un regard noir à Aldacrel.
— Je ne peux faire fonctionner que trois des berceaux.
La réponse du Prêtre de Fer tenait plus de l’accusation que de l’excuse,
comme si c’était la faute du Garde-Loup si les capacités de largage de
modules d’atterrissage, déjà très réduites, du Longriffe étaient compromises.
Il se tourna vers Njal, qui fixait d’un air furieux la rangée de modules
d’atterrissage pendant de leur passerelle de lancement comme des fruits
mécaniques.
— Entre les réparations du champ de Geller, les modifications des baies de
lancement pour réarmer les Thunderhawks et… J’ai beaucoup d’autres
choses à régler. J’ai fait de mon mieux.
— Je suis certain que tu as fait tout ce que tu as pu, dit le Prêtre des Runes.
Le servobras d’Aldacrel sortit de son boîtier dorsal et tapota
affectueusement un des étais métalliques qui supportaient le sommet de la
tour.
— Il devait allait sur Forstex Six pour des réparations lourdes quand nous
l’avons récupéré. Ce vaisseau est aussi combatif que ceux déjà à bord, je lui
accorde ça. Mais trois modules d’atterrissage à la fois, c’est le mieux que je
peux faire si vous voulez les lancer maintenant.
— Qu’en penses-tu ? demanda Njal en adressant un regard à Arjac.
Le champion considéra la question, pensant au nombre et à la répartition
des thralls dans les forces, ainsi qu’aux Chevaucheurs de Tempêtes sous le
commandement de Valgarthr et à ses propres Gardes-Loups. Il émit un bruit
de lèvres pensif, comme un baleinier qui s’apprêterait à marchander le prix
d’une tranche de graisse.
— Nous devrons le faire en deux vagues, finit-il par dire en se frottant la
barbe. Je ne vais pas partir du principe que la cible n’est pas défendue, bien
que ce monde soit déserté depuis des millénaires. Pas même les pillards ne
se donnent la peine d’y venir, à présent. Mais c’est un territoire hostile.
Nous utiliserons les escorteurs et modules d’atterrissage pour permettre à
nos frères de faire une frappe concentrée sur Tizca et créer une tête de pont.
Puis nous enverrons des thralls pour renforcer les effectifs chargés de
contrôler le périmètre. La seconde vague devra se faire sur les ruines du
spatioport, où il y aura toute la place nécessaire pour faire atterrir les
appareils. Nous pouvons utiliser les barges pour déployer plus de thralls en
surface, rapidement. Depuis le port, ils formeront une colonne de soutien
vers la ville.
— La synchronisation ?
— Je vais concentrer nos efforts sur le renforcement du champ d’augure
afin d’avoir une meilleure vision de la ville morte, proposa Aldacrel. Nous
avons quatre torpilles dans les baies, mais un seul tube de lancement. Tout
le reste sert à la défense ou aux contacts spatiaux, pas de canons de
bombardement ou de lances.
— Non. Pas de bombardement préalable, dit Arjac. Surprise et rapidité
sont plus efficaces que la puissance de feu. S’il y a des gens à la surface, ils
ne seront pas tous réunis à un seul endroit qui servirait de cible, et une
frappe de torpille ne servirait qu’à les prévenir de notre arrivée.
— Je suis d’accord, dit Njal, dont l’expression se renfrogna. J’ai essayé de
détecter des présences à la surface, mais, quelle que soit la force qui a
perturbé le Portail Labyrinthe, elle recouvre aussi la zone d’interférences
psychiques. Il ne devrait y avoir personne, mais je ne peux en être certain.
Et il y a toujours l’espoir que la Treizième soit quelque part dans la ville. Je
préférerais éviter de leur envoyer une torpille, si c’est le cas.
Ce rappel arriva fort à propos. Arjac s’était tellement concentré sur les
détails de la mission qu’il en avait presque oublié l’objectif. Il était bien
meilleur garde du corps que commandant, il en était conscient.
— Départ dans une heure ? suggéra-t-il.
— Une heure pour les escorteurs, la seconde vague à ton signal, dit Njal.
— Je dois me mettre au travail, leur dit Aldacrel avant de s’éloigner le
long de la passerelle, rejoint par une coterie de thralls et de servitors.
Njal fit mine de partir dans l’autre direction, mais Arjac l’arrêta d’une
main sur le bras.
— Tu feras partie de la seconde vague, Maître des Tempêtes.
— Pourquoi ça ? demanda le psyker, fronçant les sourcils, mécontent.
Arjac n’avait pas envie de dire au Prêtre des Runes qu’on ne pouvait pas
lui faire confiance pour la phase la plus critique de l’opération. Si son
passager félon prenait le contrôle, la mission allait être compromise. Il ne
pouvait pas mentir, cependant, et se contenta de partager sa raison
secondaire.
— Sans toi, il n’y a plus de mission, Maître des Tempêtes. Pas d’entrée
dans le Portail Labyrinthe, pas de sauvetage de nos frères perdus. Tu es trop
important pour être ainsi mis en danger.
Njal observa Arjac pendant quelques secondes et évalua ses propos, bien
qu’il n’y eut pas de signe de protestation de la part du Prêtre des Runes. Il
se contenta de hocher la tête pour signifier son accord et s’en alla. Quand il
fut trop loin pour l’entendre, une distance considérable étant donné
l’audition d’un space marine, le garde du corps laissa échapper un soupir
tremblant d’agacement.
Les secrets, pensa-t-il. Les secrets tuent.
Arjac regarda son chronomètre.
— Quatre-vingt-dix secondes avant contact, informa-t-il par vox la paire
de Gardes-Loups dans leurs harnais de saut bricolés. Aldacrel avait risqué
la colère du Dieu-Machine en modifiant une paire de modules d’atterrissage
pour qu’ils puissent accueillir chacun trois larges armures Terminator, et
dans le troisième se trouvaient dix Chevaucheurs de Tempêtes vétérans.
Quelque part en dehors des coques tremblantes, un duo de Thunderhawks
plongeait lui aussi vers le sol, pour déployer plus de meutes de vétérans
avec Valgarthr à leur tête, et un contingent de thralls.
Poing de Pierre parcourut des yeux l’intérieur couleur rouille et son regard
rencontra celui d’Ingvarr, qui lui adressa un signe de tête rassurant. À sa
droite, Ulfar le Rouge sommeillait, agité, ses ronflements presque couverts
par le grondement de la descente rapide.
— Aucune activité au sol détectée, leur parvint la voix de l’officier augure
à bord du Longriffe. Rapports négatifs des capteurs de l’escorteur. La zone
d’atterrissage n’est pas disputée.
— On va voir ça, marmonna Ingvarr.
Avec un mouvement souple de son gantelet énergétique désactivé, il glissa
le chargeur dans son fulgurant avec un clic sonore. Le bruit agit comme une
alarme sur Ulfar qui émergea de son demi-sommeil avec un grognement
inarticulé.
— Une minute avant contact, dit Arjac, observant le compte à rebours
dans l’angle de son sensorium. Les autres pouvaient le voir aussi,
synchronisé par la ligne de retour, mais l’entendre dire à haute voix
permettait de se concentrer.
— Calibrages et vérifications finaux.
Le module souffrait un peu sous l’effet d’un vent latéral, les exhalations
des rétroajusteurs les redirigeant vers la zone d’atterrissage. Il ne savait cela
que par les rapports qui défilaient sur l’écran juste au-dessus de sa tête : son
armure compensait presque tous les mouvements et changements de
pression, l’immunisant contre toute sensation de déplacement.
Arjac avait sélectionné une large zone murée qui avait pu être, à l’origine,
un jardin public, mais était maintenant une aire plate de terre sans vie.
C’était suffisamment grand pour accueillir l’atterrissage, une cible presque
idéale pour l’insertion orbitale, à seulement un kilomètre du centre de
Tizca. Se connectant à la télémétrie du module, il vit qu’ils étaient presque
exactement au-dessus du centre de la cible.
— Trente secondes.
Il pressa la commande du Marteau à Ennemis et sa tête se mit à luire de
son potentiel de destruction. Il fit la même chose avec le Bouclier Enclume
et fut récompensé par le scintillement du champ de force. En face de lui,
Ulfar et Ingvarr mirent leurs armes en marche et firent signe qu’ils étaient
prêts.
Même une armure Terminator ne pouvait compenser l’augmentation quasi
instantanée en poids quand les réacteurs d’atterrissage se mirent en marche.
Les occupants subirent une chute de vélocité qui aurait brisé la colonne
vertébrale d’un humain ordinaire, le changement de pression artérielle
capable de le plonger instantanément dans l’inconscience s’il ne le tuait pas.
— Pour le Père-de-Tout, murmura Ulfar, tendant son gantelet énergétique.
Arjac et Ulfar reprirent le serment, présentant leurs armes en salut mutuel.
En dépit des puissants jets de freinage, ils heurtèrent le sol à une vitesse
considérable, la coque fut secouée de tremblements et le bruit strident des
amortisseurs d’impact résonna dans un hurlement de métal torturé. Les
écrous explosifs s’activèrent et libérèrent les rampes de débarquement,
inondant l’intérieur de la violente lumière du jour. Les harnais de saut
s’ouvrirent vers le haut et l’extérieur comme des cages thoraciques, pour se
fracasser contre le toit et les parois du module.
— C’est l’heure du combat, lâcha Ingvarr dans un rire, tout en s’extrayant
de son alcôve.
L’atterrissage fut des plus ordinaires. Comme les augures l’avaient affirmé,
Tizca était déserte. Descendant d’un pas lourd les rampes des modules
d’atterrissage et des escorteurs, les Space Wolves se retrouvèrent au milieu
d’une métropole de pyramides de cristal brisées et de cloîtres effondrés.
Quelques mauvaises herbes sortaient des fissures entre les dalles du sol.
Grêles et épineuses, elles se taillaient une existence grâce à la faible
humidité de l’air. Quand le bouclier cinétique s’était finalement effondré, la
tempête de flammes qui avait incinéré le reste de Prospero avait englouti la
cité dans sa déflagration. Dix mille ans plus tard, la destruction absolue qui
y avait été déchaînée marquait toujours l’écosystème de la planète.
— Par le trône du Père-de-Tout, c’est tranquille, dit Sven en s’approchant
vers eux depuis le second module d’atterrissage à quelques douzaines de
mètres au nord d’Arjac.
Derrière eux les Chevaucheurs de Tempête sortaient du troisième, tandis
que la poussière soulevée par les réacteurs d’assiette dissimulait
l’atterrissage des Thunderhawks, une centaine de mètres plus à l’ouest.
Ce n’était pas seulement tranquille, c’était silencieux. Il n’y avait pas
d’oiseaux ni d’animaux, pas même le bourdonnement d’une mouche ou le
grattement d’insectes rampants. Tandis que la Garde-Loup se mettait en
formation autour d’Arjac, le vrombissement de leurs armures paraissait une
intrusion dans la quiétude sépulcrale.
Une brise intermittente souleva un nuage de poussière le long des murs
blancs qui délimitaient l’ancien parc, et au-delà de ces derniers, le soleil
haut rayonnait sur les flancs réfléchissants des temples pyramides, brisés
par endroits par les sombres blessures d’anciennes batailles. Arjac pouvait
imaginer la splendeur qui avait dû être celle de la cité au faîte de sa gloire…
Une splendeur qui ne l’avait pas préservée de la colère du Père-de-Tout,
déversée par l’entremise du Rout et de leurs alliés.
— Scanners augures négatifs, rapporta Valgarthr, qui émergea d’un autre
nuage de poussière soulevé par les escorteurs qui décollaient. J’ai renvoyé
les Thunderhawks embarquer la seconde vague.
Vêtus de pantalons et de pourpoints bleu-gris sous des armures de cuivre
poli, un peloton de thralls suivit. Plusieurs d’entre eux transportaient des
armes lourdes désassemblées et des trépieds. Suivant les instructions de
leurs kaerls, ils établirent un périmètre autour des modules d’atterrissage,
leurs armes lourdes pointées vers les ouvertures qui brisaient la ligne arrière
formée par le mur d’enceinte du parc.
— L’aller-retour vers l’orbite dure quarante-cinq minutes, dit Arjac. Nous
devrions sécuriser la route vers l’objectif en attendant la deuxième vague.
Les autres se tournèrent quand il pointa le doigt vers le plus haut sommet
artificiel de la ville, dont la cime brisée disparaissait dans les nuages. La
Pyramide de Photep. Jadis, elle avait été le centre du culte de Prospero. Le
lieu de la plus grande et de la plus sanglante des batailles des Space Wolves.
— Là, dit le garde du corps. Là où le Roi Loup humilia le Cyclope.
Njal n’avait pas su à quoi s’attendre quant à Tizca. Les anciennes sagas
dressaient un portrait de dévastation absolue, un choc d’une ampleur telle
qu’elle était digne des batailles des légendes fenrissiennes.
La réalité, quand Njal regarda à travers le plastek blindé des hublots du
Thunderhawk en pleine descente, semblait être bien plus banale.
La grande capitale de Magnus était indéniablement en ruine, mais
dépourvue de tout signe de conflit ou tension. Les rues et places
précisément alignées restaient clairement visibles à cette altitude, parsemées
de taches de lumière à travers la couverture nuageuse. Les temples
pyramidaux qui avaient jadis été polis à la perfection, étaient désormais
noircis de fumée et brisés, avec des trous béants sur leurs flancs vertigineux
comme des fenêtres vers une sombre dimension. Des cratères émaillaient
les murs du grand canal, lequel s’était depuis longtemps vidé dans la mer
qui avait marqué les frontières est et nord de la ville, mais qui n’était plus,
désormais, elle aussi, qu’une plaine asséchée.
Une poussée d’amertume transperça les profondeurs de l’âme de Njal,
mais ce n’était pas sa haine à lui qui brûlait.
+Voici la source de ta fierté, chien de Fenris ! Des bibliothèques qui
renfermaient une sagesse millénaire, détruites et vides. La connaissance des
cultes Eleusis, Pavoni et Anaximenes, dispersée comme des cendres. Les
archives de mon propre Raptorae, perdues dans les flammes. Dans votre
ignorance vous avez détruit ce que l’Empereur recherchait, ce qui aurait pu
sauver l’Humanité d’une longue agonie.+
— C’est le Père-de-Tout qui a ordonné cela. Tu ne sais rien de ce qui
advint ensuite, des trahisons supplémentaires commises par tes frères contre
le Père-de-Tout et ceux qui lui restaient loyaux.
+Je peux en déduire beaucoup de ce que j’ai vu par tes yeux. L’Imperium
n’est que l’ombre du grandiose édifice que nous avions bâti pour
l’Empereur. Les légions ? Elles ne sont plus. Vous manquez d’armes et
d’armures là où toute la puissance du Mechanicum œuvrait jadis à équiper
les armées de l’Empereur. Vous êtes tombés encore plus bas dans le
mysticisme et la superstition, oubliant la Vérité Impériale et le règne des
Lumières. Tu dis que les Space Wolves ont triomphé à Prospero, mais moi
je dis que c’est l’humanité qui a perdu.+
Njal ne répondit pas et regarda la cité devenir de plus en plus grande
derrière le hublot. Il pouvait imaginer à quel point Tizca devait avoir été
impressionnante à son apothéose. L’océan scintillant et les pâles falaises, le
fourmillement des navettes et des appareils atmosphériques comme des
traînées de scarabées à la carapace en joyaux s’éloignant du monticule de
blanc et d’argent. Les sagas parlaient de splendides illuminations qui
dansaient sur les cieux, des arcs-en-ciel moirés qui tombaient des satellites
et des feux de balises allumés sur les hautes tours.
Des quartiers de plusieurs kilomètres carrés occupaient les espaces entre
les édifices pyramidaux hauts comme des montagnes. Des jardins morts
reliés par des boulevards poussiéreux transperçaient des cours emplies de
gravats et des cloîtres hexagonaux.
+Tu ne comprends pas que tu approches les choses quasiment de la même
manière que le Roi Loup. Tu sais si peu de ce qui s’est passé, aveuglé par
l’histoire et tes préjugés.+
— Prospero a brûlé pour ses crimes. Ta survie est la preuve des forces
interdites avec lesquelles tu as pactisé.
+Forces interdites ? Fais attention contre qui tu portes tes accusations,
Archiviste. Tu es tout autant une abomination selon l’Édit de l’Empereur.
C’est bien pratique pour toi d’oublier la loi même selon laquelle tu as mis
mes frères en accusation quand elle s’applique à quelque chose de bien plus
personnel.+
— Tu t’es essayé à la sorcellerie, rien à voir avec les savoirs runiques de
mon peuple. Que tu penses qu’il s’agit de la même chose explique
beaucoup de tes illusions.
+Une loi pour Prospero, une autre pour Fenris. Si cette destruction me
poignarde le cœur comme une lame acérée, c’est la trahison de l’Empereur
qui me blesse le plus. Il a pris Magnus comme acolyte, puis l’a puni quand
ses connaissances ont dépassé celle du maître. Je tenais l’Empereur pour
notre seigneur et guide, je n’avais jamais réalisé qu’il pouvait être si
faible.+
— Le Père-de-Tout a sauvé l’humanité !
Bien que dévoré par la rage que lui inspiraient les propos d’Izzakar, Njal
n’éleva pas la voix, par égard pour Majula. Tout aurait été perdu sans son
sacrifice. Le Thunderhawk diminua la poussée de ses réacteurs et descendit
à grande vitesse vers les larges pistes d’atterrissage du port de transfert
orbital de Tizca. L’endroit était sorti relativement intact des
bombardements, bien que les quartiers et usines voisins aient été réduits à
des murs brisés et des cratères profonds, un rappel de la fureur des Space
Wolves et de leurs alliés avant leur débarquement massif dix mille ans
auparavant.
— Atterrissage dans quatre minutes, Maître des Tempêtes, l’informa le
pilote.
Il fit prendre à l’escorteur un virage serré qui amena le centre de Tizca en
visuel. Les sommets des bâtiments autour du centre paraissaient encore
distants, mais les nuages qui entouraient leurs pointes trahissaient cette
illusion. Ils étaient simplement si énormes que la perspective se jouait du
regard. Le Croc était la seule structure plus grande que cela dans
l’expérience du Maître des Tempêtes ; bien qu’il n’ait jamais vu le Palais
Impérial.
Le Thunderhawk et son duo de Stormwolf d’escorte passèrent une dernière
fois au-dessus de la zone d’atterrissage, artilleurs et guetteurs analysant le
labyrinthe de colonnes effondrées et d’entrepôts en ruines à la recherche du
moindre signe ennemi. Ayant acquis la certitude que l’offensive d’Arjac
avait nettoyé toute résistance, le pilote dirigea son appareil vers le sol tandis
que chacun des Stormwolf qui l’accompagnaient s’éloignait pour déployer
son propre chargement de guerriers.
Njal interpella Majula, qui s’était perdue dans la contemplation silencieuse
de l’extérieur depuis qu’ils étaient passés sous la couche nuageuse. Il
indiqua le Rhino qui occupait quasiment toute la soute, sa trappe
d’embarquement ouverte. Elle détacha son harnais de saut et le rejoignit
devant le transport blindé.
— Vous savez piloter l’un de ces engins, Seigneur des Runes ?
— Bien sûr. Je suis d’abord un space marine avant d’être un archiviste.
J’ai manié le bolter et l’épée, conduit des Land Speeders et porté des
réacteurs dorsaux comme n’importe quel guerrier des Space Wolves.
Il se glissa par la trappe. L’intérieur avait été vidé à la hâte de ses renforts
et de tout ce qui aurait pu être une gêne pour sa massive armure Terminator,
et toute la séparation entre le poste de pilotage et le compartiment de
l’équipage avait été enlevée. Tandis que Majula s’attachait dans l’un des
derniers sièges restants, Njal se fraya un chemin jusqu’aux commandes, ses
énormes poings s’arrêtant au-dessus des colonnes de guidage et des runes
d’allumage pendant qu’il se réaccoutumait avec leur disposition.
— Ça fait longtemps, admit-il. Probablement un siècle que je n’ai pas eu à
le faire moi-même.
À travers la fente de pilotage pratiquée dans le blindage, il put apercevoir
la lumière du jour se faufiler à travers une ouverture de la rampe du
Thunderhawk, puis rapidement baigner tout l’intérieur quand la rampe
d’assaut s’ouvrit. Il pressa une rune et le moteur du Rhino s’anima dans un
grondement. Enclenchant la transmission, il poussa les leviers de contrôle.
Dans un soubresaut, le Rhino descendit la rampe, le moteur toussa quand
Njal passa en mode de combat. Le vrombissement des systèmes secondaires
fit vibrer la coque autour d’eux.
— Facile, comme dans le temps, dit-il à la navigatrice.
Il tourna et traversa l’asphalte de la piste d’atterrissage, tandis qu’autour
d’eux d’autres appareils atterrissaient. Le Longriffe n’était pas conçu pour
se poser à la surface d’une planète, ce qui expliquait pourquoi Arjac avait
dû improviser, et il allait falloir plusieurs heures pour acheminer les thralls
restants au sol.
Fredonnant les vers d’une vieille saga, il dirigea le transport sur les restes
craquelés d’une route qui allait vers les imposantes pyramides.
On avait érigé un poste de commandement temporaire à côté du Sas
Pressurisé Six, pour aider à faire passer les escorteurs et transports par le
quai d’embarquement. Aldacrel était aux commandes, assisté par deux de
ses thralls et un servitor logistae. Les données d’embarquement étaient
marmonnées par les lèvres molles de la demi-machine, tandis que le Prêtre
de Fer pressait des runes sur un plateau de cogitateur qu’il avait branché sur
le système principal via le circuit de commandes du sas. Derrière lui se
tenait Axh-Atarz, vêtu des robes rouges de Mars, supervisant cette
adaptation quasi sacrilège avec un encensoir et un regard noir.
— Cesse donc de faire cette tête, Martien, gronda le Prêtre de Fer sans
lever les yeux de son travail. Les esprits sont apaisés, il n’y a aucun
problème ici.
Le grésillement sorti des haut-parleurs aurait pu être un grognement de
dérision, mais il était impossible d’en être certain. Aldacrel ignora le
technoprêtre, son attention attirée par le Stormfang qui se tenait toujours
dans le sas ouvert. Il activa le vox.
— Croc quatre, ça fait deux minutes que vous avez l’autorisation de partir.
Croc deux sera sur la plate-forme d’atterrissage dans trois minutes. Je vais
fermer les portes intérieures. Il faut que vous partiez maintenant.
— Importants… problèmes vox inattendus.
D’autres grésillements précédèrent un gémissement aigu dans l’oreille
d’Aldacrel. La ligne s’éclaircit quelques secondes plus tard.
— Itinéraire défini, on se prépare à partir. Fermez les portes dès que vous
êtes prêts.
Aldacrel adressa un signe à l’un de ses thralls. L’assistant se retourna et de
ses adroits doigts métalliques, des prothèses acquises suite à une perte subie
lors de son incorporation, il activa la porte intérieure, scellant la baie depuis
le panneau mural derrière eux.
Le sas fut soumis à la procédure d’évacuation de l’air puis, dans le
rugissement des alarmes, les portes extérieures s’ouvrirent.
— Croc quatre, vous avez la…
Aldacrel n’eut pas le temps de finir la transmission. Dans un souffle de
plasma, le petit escorteur bondit du sas, une aile frôlant de près
l’encadrement de la porte extérieure.
— Au moins, il essaye de rattraper le temps perdu, dit Aldacrel, ne
s’adressant à personne en particulier.
Il reporta son attention sur le nouvel afflux de rapports griffonnés par les
doigts-plumes du logistae, mais un cri en provenance du couloir principal
brisa sa concentration. Le Prêtre de Fer leva les yeux pour voir un space
marine courir vers lui, son heaume à la main. Il s’arrêta pour regarder à
travers le hublot de la porte intérieure, observa le sas puis se tourna vers le
poste d’Aldacrel.
— Maître armurier, où est mon appareil ?
Lorsque le Space Wolf s’approcha des vitres en plastek blindé de la petite
station de commandement, Aldacrel reconnut Harkon Pillard Né.
— Je… commença le prêtre de fer.
Il regarda le pilote, puis le sas vide, puis de nouveau Harkon.
— Tu étais supposé être à bord de Croc Quatre.
— Le système de recyclage de mon armure était bloqué pour je ne sais
quelle raison et j’ai dû changer les filtres, expliqua le space marine. Quand
je suis revenu, mon casque avait disparu. Je l’ai trouvé dans la pièce
d’ablutions.
Aldacrel assimila l’information sans faire de commentaire, et ce fut l’un de
ses thralls qui posa la question évidente.
— Maître, si Harkon est ici, qui pilote Croc quatre ?
— Itinéraire modifié. Allons à un endroit plus intéressant, dit Lukas dans un
rire, se tournant à moitié dans le siège du pilote.
Il tira un transpondeur balise de la console et l’écrasa de son poing.
— On ne va pas avoir besoin de ça.
Depuis son siège de copilote, Grubrand eut un sourire amusé.
Le Trompeur tourna la tête pour regarder les six Griffes Sanglantes
harnachés dans le compartiment principal du Stormfang. L’espace y
manquait, occupé en presque totalité par l’imposant canon Helfrost de
l’escorteur. Ils lui rendirent son regard, leurs visages éclairés par les
symboles luisants du réacteur warp qui ronronnait sous leurs pieds.
— Vingt minutes avant contact ! Passons le temps avec quelques chansons.
Qui connaît les paroles de Elle n’était qu’une fille de garde champêtre ?
CHAPITRE 9
LE RÉVEIL DE TIZCA

Les Gardes-Loups ouvrirent la voie, à cinquante mètres au-devant de quatre


escouades de Chevaucheurs de Tempêtes en armures énergétiques, qui se
séparèrent en meutes de combats pour sécuriser intersections et ponts au fur
et à mesure que l’expédition s’aventurait plus avant dans la ville. Dans leur
sillage suivaient la moitié des thralls de la première vague, un peloton fort
de trois douzaines de soldats, et avec eux des Gardes Navis détachés sur
l’insistance de la Navigatrice Majula. La force avançait le long de rues
désertes et par-dessus des viaducs en ruines. La poussière soulevée par leur
passage retombait lentement derrière eux, leurs empreintes laissées dans les
cendres d’un autre âge.
Arjac étudia les schémas du sensorium, prenant en compte les données
transmises par ses frères aussi bien que les dernières informations
récupérées sur le Longriffe avant le lancement du débarquement. La
Pyramide de Photep était au centre d’une large étendue urbaine, son entrée
située en face d’une structure en ziggourat identifiée dans les archives
comme étant la Grande Bibliothèque. Tout autour s’élevaient des édifices
plus petits, à quatre ou six façades, qui avaient abrité les divers cultes et
sectes de la tradition prosperine, chacun abandonné aux affres du temps et
du pillage pendant des générations, comme le reste de la ville.
D’après le Maître des Tempêtes, les récentes perturbations psychiques
émanaient de la pyramide principale, mais le sensorium n’indiquait rien à
ce sujet, pas plus que les dernières informations fournies par le vaisseau
d’attaque qui surveillait la ville depuis sa position en orbite. Malgré cela,
Arjac ne relâcha pas sa vigilance. Non seulement les siècles d’entraînement
et d’expérience ne le lui permettaient pas, mais il pouvait sentir une tension
planer sur les alentours. Rien de spécifique, peut-être simplement le poids
historique et mythique conféré à Tizca par sa place légendaire dans les
sagas des Space Wolves.
Ils marchaient dans les pas du Roi Loup, sur un terrain qui avait été le
champ de bataille de héros tels que Griegor Main Funeste et Thorwal Fléau-
du-Roi. Le Loup Suprême avait vu juste. S’ils pouvaient revenir victorieux
de cette expédition, cela servirait de rappel de la puissance du Rout, une
preuve de la force de Fenris même en des temps aussi troubles.
À quelques centaines de mètres de la Pyramide de Photep, alors que la
formation traversait un pont au-dessus d’un canal à sec, un vrombissement
sourd alerta les hearthegn d’une perturbation sur le sensorium.
L’avertissement venait de l’armure de Berda, à une courte distance sur sa
gauche, son canon d’assaut pointé sur une intersection en bas d’une pente
aride en ferrobéton. Dans une subvision, Arjac observa la transmission
visuelle de Berda tandis que l’autre Garde-Loup regarda à droite et à
gauche, mais il n’y avait rien à voir sur l’étendue de route plane.
— L’esprit s’ennuie, probablement, se plaignit Sven.
La meute s’arrêta pourtant, l’instinct de leurs exercices de combat les
poussant à adopter un demi-cercle défensif même en l’absence de menace
visible.
— Qu’est-ce que c’est ? La voix féminine sortant du vox lui était inconnue
jusqu’à ce qu’Arjac comprenne qu’il s’agissait de la commandante de la
Garde Navis, Dorria.
— Un bug d’esprit. Restez en position.
— Un bug d’esprit ?
— Restez en position, répéta-t-il, se contenant.
Il compatissait un peu avec Dorria, qui était elle aussi une garde envoyée
dans cet endroit désolé par la personne qu’elle devait protéger. Malgré cela
il avait protesté, fermement, à l’inclusion de la Garde Navis, incertain de
leur place exacte dans la hiérarchie de l’expédition.
Un détecteur thermique de l’armure d’Ulfar, sur le flanc droit, émit un
avertissement après avoir détecté une petite élévation de température dans
une haute pyramide de verre à environ soixante-dix mètres de l’intersection.
— Pas la tienne au…
La plainte de Sven s’arrêta net quand des relevés d’énergie apparurent
partout dans la force de frappe, les systèmes d’augure sensibles à la chaleur
et au mouvement venaient de s’activer. Ce n’était pas seulement les armures
qui avaient remarqué que quelque chose n’allait pas. Un frisson de malaise
parcourut Arjac et, à en juger par les marmonnements et murmures de ses
compagnons, il n’était pas le seul dont les instincts de combat s’étaient
réveillés.
— N’importe quelles défenses guidées par l’esprit auraient été arrachées
depuis des millénaires, dit Breda.
— Des signes de vie ! Le rapport fut aboyé par Gardr, le porteur d’auspex
de Valgarthr. Sources multiples !
Les Chevaucheurs de Tempête se divisèrent en petits groupes sans avoir
besoin d’ordres, pour occuper des postes d’observation à l’image de ce
qu’avaient fait les Gardes-Loups, allant rapidement vers le rempart au bord
du viaduc et sur les marches qui descendaient vers les routes.
— Vos ordres ? La voix de Dorria était pressante, mais pas paniquée.
Son escouade vêtue d’or se plaça en formation dense autour de sa
commandante, mais la dispersion des Chevaucheurs de Tempête les avait
laissés exposés au milieu de la place vide en ferrobéton.
— Mettez-vous à couvert, gronda Arjac.
En superposant les données du sensorium sur le plan de la ville, on avait
l’impression que chaque pyramide-temple du centre-ville venait d’être
inondée d’activité, et pourtant il ne voyait rien.
— Là, deux points nord-ouest, lança Ingvarr.
L’affichage de son subécran zooma vers une fissure dans l’un des murs de
pyramide, s’agrandissant rapidement. Une lueur céruléenne brillait depuis
l’intérieur.
Une seconde plus tard, de la lumière jaillit de chaque pyramide, leurs
flancs cristallins illuminés de l’intérieur, des rayons azur, dorés, écarlates et
violets scintillants depuis leurs carcasses brisées.
Une série de sifflements annoncèrent le tir préventif d’Ulfar, une salve de
missiles Cyclone descendit en tournoyant vers l’entrée du temple le plus
proche, juste à temps pour percuter une horde de silhouettes en robes qui
bondissait de l’intérieur. Les projectiles à fragmentation éclatèrent au milieu
d’eux, déchiquetèrent le tissu brodé d’or, transformèrent la chair en charpie
sanglante.
Des rayons rubis jaillirent des positions élevées depuis les étages
supérieurs. Les tirs de laser filèrent sur les routes et murs, ricochant sur les
armures des Space Wolves. Le gémissement des balles et le crépitement
d’armes énergétiques supplémentaires vinrent s’ajouter au bruit de fond
comme le vrombissement d’un puissant générateur.
Les ennemis qui se déversaient soudainement de leurs cachettes étaient
tous vêtus de la même façon, avec de grotesques masques dorés et des
cimiers rouges flamboyants, leurs robes brodées de symboles de flammes et
d’emblèmes représentant un œil avec une spirale en guise de pupille. Arjac
le reconnut immédiatement, il était encore frais dans sa mémoire après la
bataille de Fenris.
— Des cultistes de Magnus, cracha-t-il, luttant contre l’envie de contre-
attaquer en chargeant la foule grossissante de dégénérés qui s’agglutinaient
sur les routes.
Parmi eux s’avançaient des créatures bondissantes et fébriles, plus aviaires
qu’humaines : des mutants touchés par l’influence wyrdique du changement
éternel. Leurs hululements et leurs cris inarticulés rejoignaient le vacarme,
coups de feu et explosions, des tirs de riposte des space marines.
Au-dessus d’eux, deux escorteurs Stormwolf descendirent des nuages en
piqué, leurs canons Helfrost libérèrent des rafales pâles sur la marée de
cultistes. Là où les tirs implacables s’écrasèrent, des cercles d’obscurité
glaciale explosèrent et aspirèrent toute chaleur de la zone d’impact. Des
corps gelés tombèrent sur le sol craquelé et s’y brisèrent, cheveux, robes,
chair et os transformés en poussière. Les bolters lourds frappèrent ceux qui
avaient échappé aux tirs d’ouverture et tracèrent un sillon sanglant à travers
la horde d’acolytes qui se déversaient de la Pyramide de Photep elle-même.
Leurs rampes d’assaut s’ouvrirent comme la gueule d’un loup-de-mort, et
les escorteurs vomirent chacun une escouade de serres sanglantes
Chevaucheurs de Tempête, leurs réacteurs dorsaux s’allumèrent et ils
s’abattirent comme une foudre vengeresse sur le bourbier d’humanité avilie.
Les volées de feu et de rafales de plasma brûlant venus des pelotons de
thralls interceptèrent la charge des cultistes, tandis que les combats
s’engageaient dans tout le périmètre autour de la Pyramide de Photep et de
la Grande Bibliothèque.
— Poussez vers l’objectif, ordonna Arjac. Tuez tout sur votre chemin.
La route fit passer Njal et Majula par-dessus des canaux secondaires et sous
des viaducs en ruines. Les traces du conflit étaient évidentes sur tous les
murs, routes et colonnes, à l’exception des déchets habituels d’un combat
de masse. Il ne restait aucune carcasse de tank, aucun morceau d’armure,
aucune douille. Le cadavre de Tizca avait été la cible régulière des pillards
pendant dix millénaires, et il ne restait rien. Des contrebandiers et des
chasseurs de trésors avaient dévalisé les coffres les plus profonds, affrontant
les antiques malédictions prosperines et les défenses automatiques pour une
chance de mettre la main sur des richesses archéotechnologiques. Les
équipes de purification inquisitoriales avaient rasé les bibliothèques et
effacé le contenu de vastes systèmes de stockage de données, de sorte que
même la mémoire du cogitateur et les répertoires en cristal avaient été
vidées. Et ceux qui se cachaient de la lumière de l’Empereur aussi. Les
xenos et cultistes qui avaient espéré glaner quelque connaissance impie
dans les ombres régnaient maintenant sur le domaine de Magnus.
Les sens psychiques de Njal s’éveillèrent, une inquiétude informe mais
significative qui lui fit activer à distance le fulgurant sur pivot quelques
secondes avant qu’une masse de cultistes mutants n’émerge des ruines
devant eux, hurlant des prières impies tandis que leurs tirs erratiques de
laser et de balles ricochaient sur la coque blindée du Rhino.
Il pressa la commande de tir, et libéra une rafale de projectiles. Les courtes
salves déchiquetèrent les corps en robes, transperçant armures pare-balles,
carapaces et casques hautement stylisés. La marée tzeentchianne ne s’était
manifestement pas attendue à tomber sur des ennemis aussi puissants que
les Space Wolves.
Il tira à nouveau, souriant à la vue des cultistes succombant aux rafales.
Il entendit le hurlement paniqué de Majula à travers le sang qui lui battait
dans les oreilles. Njal comprit que cela faisait plusieurs secondes qu’elle
criait. Il voulut lui aboyer d’arrêter, mais réprima l’instinct à la dernière
seconde, se forçant à réfléchir malgré la vague de stimulants de combats
que son armure avait injectés dans ses veines aux premiers signes d’action.
— Nous sommes en sécurité, lui dit-il, suffisamment fort pour couvrir le
bruit des projectiles et des décharges d’énergie qui percutaient la céramite,
mais avec suffisamment de douceur pour ne pas l’inquiéter encore plus. Ils
n’ont rien qui puisse pénétrer le blindage.
Elle ne répondit pas, non pas qu’il s’y soit attendu. La pensée rationnelle
ne l’habitait pas à ce moment. La meilleure chose à faire était de rouler à
travers la foule, forte désormais d’une cinquantaine d’ennemis, et de
continuer en direction des quartiers intérieurs. Sa main se saisit de
l’émetteur vox longue distance du Rhino pour prévenir ceux de la piste
d’atterrissage de s’attendre à une résistance, mais avant qu’il ne puisse
presser la commande, trois événements s’enchaînèrent rapidement.
Sa prescience lui hurla un avertissement. Une alerte de menace imminente
s’alluma sur le panneau tactique du Rhino. Son sensorium lui indiqua de
porter son attention sur la droite.
Njal fit prendre un virage brutal au Rhino, une chenille bloquée
rebondissant sur le ferrobéton tandis que l’autre écrasait des débris et de la
poussière.
Le missile antichars percuta le transport au centre de son flanc gauche,
presque directement sur la trappe de maintenance. La détonation parut
étrangement étouffée depuis l’intérieur, un bruit sourd plutôt qu’un coup de
tonnerre, mais l’explosion d’éclats de céramite et des alarmes lumineuses
trahirent des dommages considérables. Un son aigu surpassa le
glapissement de Majula lorsque les roues s’embrasèrent contre les
mécanismes à nu. Des étincelles jaillirent sur la route quand le Rhino freina
dans un dérapage en répandant ses maillons de chenille.
— Reste ici ! aboya le Maître des Tempêtes à Majula.
L’ordre n’était pas nécessaire. Son hurlement rauque avait presque stoppé,
et elle se tenait assise figée par la terreur, ses mains blanches de stress
crispées sur son harnais de sécurité et ses yeux regardant sans la voir la
cloison devant elle. Maladroitement, Njal se retourna, arracha le panneau
blindé au-dessus de lui et le fit rentrer dans le compartiment, créant une
barrière supplémentaire entre la navigatrice et l’avancée des cultistes.
Il jeta un coup d’œil par la vitre. Les ennemis prenaient la rue d’assaut et
se rapprochaient rapidement du Rhino. Il vit un autre lance-missile au
milieu de la foule. Il n’avait pas le temps de débarquer en bonne et due
forme, il devait agir immédiatement.
Au milieu du huitième couplet improvisé de Magnagaldr, Lukas s’arrêta
net, ses pensées se tournèrent vers le flux de vox qu’il surveillait
inconsciemment. Il le fit passer sur haut-parleur.
— … coups de feu depuis des districts ouest. Peloton Grimblar en route
pour endiguer leur progrès.
Il reconnut les ordres secs de Valgarthr et refit passer le canal sur son flux
personnel.
— Augmente la puissance des senseurs augures, dit-il à Gudbrand. Voyons
ce qui se passe là, en dessous.
Le copilote hésita, laissant planer ses mains au-dessus des commandes. Il
jeta un regard contrit à Lukas dans une requête muette.
— Ceux-là, lui dit Lukas, pointant du doigt les commandes de l’augure.
Baisse l’intensité et augmente la portée.
Lukas déverrouilla la colonne de contrôle et désactiva l’esprit de la
machine de l’escorteur pour passer en vol manuel. Il dirigea le nez de
l’appareil vers le sol en piqué et traversa la couche nuageuse qui
surplombait Tizca. Le Stormfang trépida sous l’effet d’une soudaine zone
de turbulences.
— Augures à portée maximale, chef de meute, dit Gudbrand.
— Appelle-moi Lukas, répondit le Trompeur par réflexe, et pas pour la
première fois. Chef de meute, on dirait quelqu’un qui sait ce qu’il fait.
Il étudia les schémas confus fournis par les capteurs du vaisseau, déchiffra
les flux de points et de nombres qui défilaient sur un subécran d’un vert
monochrome devant le copilote.
— Signaux thermiques, en nombre, dit-il aux autres. Et des décharges de
plasma. Partout sur le…
Aucun commentaire supplémentaire ne fut nécessaire quand ils émergèrent
de la couverture nuageuse et eurent une vue dégagée de la cité des
Thousand Sons. Elle s’étendait le long de la côte d’une mer asséchée, les
chatoiements du cristal et du verre scintillaient au milieu des gris et bruns
du sol aride. Bien qu’ils fussent encore à une douzaine de kilomètres, les
éclats de coups de feu et des silhouettes de véhicules blindés indiquèrent à
Lukas que la zone de conflit s’étendait sur plusieurs hectares du centre-
ville, et les informations de l’augure les avertissaient que d’autres ennemis
s’amassaient à la périphérie.
— C’est l’heure du choix, dit-il à ses compagnons. Notre objectif, c’est la
Pyramide de Photep, la grande qui est pile au milieu, là. J’ai l’impression
que Valgarthr et Arjac tentent une percée pour la sécuriser. À l’est, pour
autant que je m’en souvienne, il y a le Bastion Argent. Cette grande tour
fortifiée, là, sur le mur d’enceinte. D’importants signaux ennemis viennent
de là. Ou, au nord-ouest, nous avons les installations portuaires. Des
signatures thermiques trahissent une présence grandissante ici aussi. Où
voulez-vous aller ?
Les Griffes Sanglantes le regardèrent, abasourdis. Ce fut Artyn qui
exprima leur préoccupation.
— Tu veux que ce soit nous qui décidions, chef de meute ?
— Nous n’avons pas de chef de meute, répliqua-t-il en commençant à
s’agacer de l’insinuation qu’il était responsable de quoi que ce soit. Nous
décidons ensemble. Appelez-moi Lukas.
Ils s’entreregardèrent et s’enhardirent rapidement.
— Le Bastion Argent ? avança Artyn avec timidité.
— On devrait se poser au port orbital avec le gros des troupes, proposa
Bahrd. Et attendre de nouveaux ordres.
— Attendre des… s’indigna Lukas. Toi et moi, on ne va pas être d’accord
si tu continues comme ça, Bahrd. Allez, il faut choisir une direction !
— Les docks, dit Gudbrand, avec peut-être plus d’assurance qu’il n’en
avait eu l’intention, à en juger par son air surpris l’instant d’après.
— Je savais bien qu’il y avait une raison que tu sois copilote, dit Lukas
avec un sourire amusé. Souvenez-vous, mes petits loups, ayez toujours l’air
confiant, quoi que vous fassiez.
— Même quand on ne l’est pas ? demanda Herlief.
— Surtout quand vous ne l’êtes pas, dit Lukas.
Il actionna le manche de commande et ajusta les réacteurs d’assiette de
manière à leur faire prendre la direction du nord-ouest de la ville.
— Nous allons endiguer les renforts venus du port.
— Tout seuls ?
C’était encore Bahrd. Lukas se gratta l’oreille et refoula la réplique qui
voulait passer ses lèvres. Il jugula sa frustration et eut un sourire
chaleureux.
— Tu vois quelqu’un d’autre ?
— Non, chef… Bahrd s’interrompit face au regard noir de Lukas. Non,
Lukas.
— Alors, oui, tout seuls.
Cette logique ne sembla pas rassurer le Space Wolf nouvellement promu,
et ses doutes risquaient d’infecter les autres. Lukas avait beau ne pas se
soucier de l’autorité et n’avoir avec le devoir qu’une relation très lointaine,
il n’en restait pas moins un Fils de Russ.
— Vous êtes des Space Wolves. Les Griffes Sanglantes du Père-de-Tout.
Et à qui faites-vous face ? À des cultistes de Magnus dévoyés et à des
mutants rebelles dégénérés. Des ennemis dont vous avez triomphé
auparavant. C’est pour cela que vous avez reçu le don du Père-de-Tout,
pour cela que vous avez été élevés au rang de Guerriers du Ciel. À vous
sept, vous êtes une force plus grande que votre nombre. Vous n’êtes pas
seulement des space marines de l’Imperium, vous êtes des fils de Fenris, et
cela vous rend grandioses !
— Pour Russ ! clama Herlief en levant le poing. Pour le Père-de-Tout !
— Pour Russ. Pour le Père-de-Tout, reprit le reste de la meute.
Lukas se frotta le nez et reporta son attention sur les commandes. Il n’était
qu’à quelques kilomètres de la ville et il pouvait voir des combats qui
éclataient de partout. Il n’y avait pour l’instant rien du côté du port, mais les
augures indiquaient clairement que se trouvait là une quantité significative
d’adversaires qui se matérialisaient, il ne savait comment, dans le secteur
nord-ouest de la ville.
Sept Griffes Sanglantes, se dit-il. L’équivalant d’une compagnie entière de
moindres guerriers.
C’était là la matière des sagas.
Njal attrapa son bâton et se dressa tel un géant de glace vengeur. La trappe
du pilote et le toit éclatèrent au-dessus de lui dans un nuage d’éclats acérés.
Il tendit la main et des tourbillons de pouvoir bleu-gris en sortirent. Il
referma le poing comme s’il attrapait quelque chose. Les morceaux de
céramite dans les airs ralentirent puis se figèrent.
Il brandit la main en direction de la foule grimaçante de mutants dégénérés
et fit voler ses projectiles improvisés. L’air fut rempli de gouttelettes de
sang. Les glapissements horrifiés et les hurlements terrifiés des mourants et
des agonisants résonnèrent dans l’espace découvert.
Njal se jeta hors du Rhino fracassé, bâton tendu devant lui. Le crâne à son
extrémité libéra les flammes de sa rage quand il retomba sur la route. La
surface dure du sol se brisa sous le poids de son armure lourde.
L’ennemi qui portait le lance-missile avait survécu à la tempête de
shrapnels et fit feu. Le projectile passa au-dessus des piles de corps dans un
sifflement, dans un sillage de vapeur et de feu bleu. Le Maître des Tempêtes
fit un geste circulaire de son bâton sans avoir besoin d’y penser et une
barrière d’énergie azur se matérialisa quelques mètres devant lui. Le missile
percuta le mur iridescent et tomba au sol, où il tressauta quelques secondes
avant d’exploser sans faire de dégâts.
Njal écarta les doigts de sa main libre et élargit le rayon du bouclier alors
qu’une rafale de balles et de tirs lasers s’abattait sur la route, libérée par des
snipers en position dans les ruines de chaque côté. Depuis le Rhino
immobilisé, Aile-de-Nuit s’éleva, porté par ses plumes et une ombre
dansante de puissance psychique. Le psyber-corbeau s’éloigna et se dirigea
vers l’un des tireurs éloignés tandis que Njal se concentrait sur les ennemis
qui restaient devant lui. À travers les yeux de son familier, il vit le premier
sniper essayer désespérément de suivre l’approche de l’oiseau, incapable de
toucher une cible aussi petite. Le tireur se redressa et leva les bras pour se
défendre, mais il était trop tard. Les serres d’Aile-de-Nuit lui déchirèrent la
gorge. Son bec arracha l’œil qui, quelques secondes auparavant, l’avait
observé à travers sa lunette de visée.
De la foudre bondit du bâton de Njal. Des os calcinés s’effondrèrent en
fracas sur le sol, des nuages de vapeur sanglante émergèrent des orbites
vides et des cages thoraciques éclatées.
De nouveaux cultistes arrivaient toujours, cependant, poussés par la folie
de Chaos.
— Abominations, gronda Njal.
Il déchaîna une nouvelle tempête furieuse. Des rafales en cascades mirent
le feu aux masques et aux robes de ses assaillants. Les cultistes hurlèrent et
se débattirent, mais brûlèrent et se calcinèrent.
+Quelle brutalité. Quel mépris. Bien que j’aie apprécié le tour avec les
éclats de blindage, ça m’a semblé prometteur.+
Les paroles du sorcier vinrent s’ajouter, dans le cœur de Njal, à la
montagne de frustration qui grossissait depuis qu’Izzakar s’était retrouvé
pris au piège dans ses pensées. Les yeux du Prêtre des Runes s’embrasèrent
de flammes dorées et il rejeta la tête pour libérer un hurlement. Des
émotions refoulées se libérèrent et se dressèrent autour de lui sous la forme
d’un monstrueux loup d’étoiles et de foudre. La bête-tempête bondit de
Njal, crocs sortis et griffes promettant la mort. Elle s’abattit sur les derniers
cultistes dans une folie furieuse, arracha des membres, balança les carcasses
en une manifestation grossière du châtiment du Père-de-Tout. Haletant et
grondant, Njal, dans un effort de volonté, fit attaquer le loup-tempête encore
et encore, tandis qu’aux dessus d’eux Aile-de-Nuit, s’étant débarrassé du
dernier des snipers ennemis, voletait en croassant bruyamment.
Sans que personne ne les remarque, les sommets des obélisques qui
s’alignaient le long de la rue s’illuminèrent de flammes rouge sombre,
agissant comme des aimants sur le pouvoir psychique canalisé par le Space
Wolf enragé. Celui-ci ne le ressentit que comme un afflux de puissance, la
force d’une montagne, l’instinct de chasse du loup. De la glace se forma
dans sa barbe et sur les bords des plates de son armure, étincelante
d’énergie psychique.
Le loup s’épanouissait, se nourrissant des petites étincelles d’esprit
laissées par les cultistes mourants. Leur sang était un miasme qui
imprégnait l’air, les morceaux de leurs cadavres éparpillés formaient un
tapis de chair sous ses pieds. L’invocation de Njal enflait sous l’effet de la
victoire, renforcée par le pouvoir qui emplissait le Maître des Tempêtes
grâce aux motifs psychoconducteurs, désormais imparfaitement disposés,
de Tizca.
— Maître des Tempêtes !
Il n’entendit que faiblement le cri d’alerte de Majula. Les grondements du
loup étaient bien plus forts, et ses oreilles presque sourdes à tout le reste.
+Njal !+
Le choc d’entendre son nom prononcé par le sorcier des Thousand Sons le
fit hésiter un instant, un instant où il vit le wyrdsign qui s’étalait sur le sol
autour de lui et transperçait l’air au niveau de son bâton.
Le Maître des Tempêtes inspira de grosses goulées d’air amer et relâcha
son emprise sur la wyrd-bête, la laissant se dissiper sous un vent froid, dans
un dernier hurlement plaintif.
Un bruit de pas le fit se retourner, bâton dressé, prêt pour une nouvelle
attaque. C’était Majula. Il régula le pouvoir qui brûlait dans ses veines. Elle
courait en maintenant son bandeau en place, ses robes fouettant l’air. La
Navigatrice s’arrêta à quelques pas de lui, les yeux écarquillés par la peur.
— Tout va bien, je contrôle, lui dit-il.
+Tu appelles ça du contrôle ? On pourrait aussi bien dire que la feuille
prise dans un ouragan contrôle le vent. Même après tant de siècles, le génie
de Magnus subsiste. Tu te tiens en un lieu infusé de psychomancie, jeteur
de runes. La ville est parcourue de potentiel inexploité, mais, comme pour
le Portail Labyrinthe, tout a été décalé. Une seule pensée parasite suffirait à
déchaîner un nouveau cataclysme.+
— Regardez, regardez, là, s’exclama Majula, pointant par-delà l’épaule de
Njal, vers les immenses pyramides de Tizca.
Njal tourna son attention vers le centre-ville. Autour des plus hauts
sommets, baignés de soleil, les nuages avaient été chassés. À leur place, un
feu vert-bleu brûlait en dessinant de hideux symboles dans l’air.
+Par Photep ! Quelle menace ton intervention a-t-elle donc provoquée ?+
Le Maître des Tempêtes ne dit rien, tandis que les flammes runiques
tournoyaient et s’entrecroisaient pour créer des motifs encore plus
complexes. Njal ne put détourner le regard alors qu’une image émergeait de
leurs intersections a priori aléatoires. Une vision s’imprima, brûlante, dans
ses pensées. Un terrible souvenir qui revint à la vie quand il vit un visage
monstrueux doté d’un œil unique.
+Le Roi Écarlate est de retour à Tizca !+
CHAPITRE 10
LA PYRAMIDE DE PHOTEP

Njal regarda le Rhino et sut immédiatement que celui-ci n’irait plus nulle
part tant que les Prêtres de Fer ne s’en seraient pas occupés. Au loin, il
pouvait voir les escorteurs aller et venir avec la flambée de lumière
psychique en arrière-plan. Ce qui se passait au centre de Tizca était plus
important que sa situation actuelle et il se retint de demander par vox à l’un
des pilotes de venir le chercher.
+La Pyramide de Photep est à plusieurs kilomètres d’ici.+
— J’ai couru à travers les plaines glacées de Fenris des jours durant. Cela
ne me prendra que quelques minutes.
Son regard se posa sur Majula et sa confiance vacilla quelque peu. Elle ne
pouvait espérer tenir le rythme.
— Laissez-moi là, je vous rejoindrai quand je pourrai, lui dit-elle, devinant
ses pensées.
Ses yeux se posèrent cependant sur les montagnes de corps et les ombres
qui habitaient les immeubles en ruines.
— Je trouverai ma route vers vos frères, ajouta-t-elle.
— Ce n’est pas sûr.
Njal réfléchit au problème quelques instants et fit un pas vers la
Navigatrice, tendant sa main libre vers elle.
— Si tu ne crains pas que cela n’attente légèrement à ta dignité, je te
porterai.
— Je ne veux pas vous ralentir, Seigneur des Runes. Quelque chose de
terrible est en cours à Tizca, vous devez le contrer rapidement.
— Tu ne seras en rien un fardeau, la rassura-t-il, lui faisant signe
d’approcher. Nous courrons aussi vite que des loups en chasse.
— Je suis jeune, mais je ne suis pas une enfant. Je trouve cette attitude
paternaliste malvenue.
— Tu m’as mal compris, dit Njal. Tu es la Navigatrice, et si je veux rentrer
sur Fenris, je dois te garder en vie.
+Bien joué, fils de loup ! Tu mets enfin un peu les choses en perspective.+
— Je vois.
Elle se pressa contre la peau de loup qui pendait de sa ceinture et il la
souleva délicatement pour la tenir contre sa poitrine. Avec plus de prudence
que quand il avait attaqué les cultistes, il laissa le warp caresser ses pensées,
couler doucement dans ses veines. Ses cœurs s’emballèrent sous l’effet de
ce pouvoir, son sang rugit et de la sueur couvrit sa peau.
— Comme le loup, lui répéta-t-il, et se mit à courir.
+Qu’il est difficile de croire qu’un peuple aussi réputé pour ses sagas fasse
un usage aussi répétitif de mauvaises métaphores.+
Les premières foulées furent pesantes, l’armure Terminator, qui était
tellement adaptée au combat au corps à corps, n’étant guère idéale pour une
accélération rapide. Quatre enjambées plus tard, Njal et son armure étaient
parvenus à un rythme enfin efficace pour réduire la distance à parcourir.
Inondant d’énergie psychique ses muscles et les fibres de son armure, Njal
continua à prendre de la vitesse. Au mépris des provocations d’Izaakar, il
s’imagina un loup athlétique chassant un cerf à travers la toundra, langue
pendante, fourrure couverte de neige.
Il laissa dans son sillage une ombre de glace et bondit d’une douzaine de
mètres en avant lors de sa foulée suivante, se glissant momentanément hors
de la réalité. Majula s’exclama et il la serra plus fort, tout en faisant
attention à ne pas l’écraser de ses bras amplifiés.
+Remarquable !+
Six enjambées plus tard, il fit une nouvelle glissade wyrdique, et ce saut-là
couvrit une vingtaine de mètres en un instant. Son sensorium fit retentir des
alarmes suite à la brève exposition à l’énergie du warp, tandis que ses
oreilles résonnaient des signaux de menaces provenant des ruines. Il les
ignora et leva les yeux vers la lugubre image cyclopéenne de Magnus le
Rouge qui flottait au-dessus de la montagne pyramidale de son ancien
repaire.
Ils se hâtèrent autant qu’ils le purent.
+Non, non, non ! Que font ces idiots ? Arrête-les !+
La zone autour de la grande Pyramide de Photep était plongée dans
l’anarchie. Le réseau brisé du Portail Labyrinthe avait recraché dans le
secteur des centaines de cultistes de Magnus en embuscade et de bêtes
mutantes. De petits groupes de Space Wolves en armure bleu-gris
contrôlaient les intersections et les positions surélevées, permettant aux
lignes de défense composées de thralls qui les entouraient de tenir, comme
des tours protégeant un mur. Guidés par Aldacrel et ses acolytes, les
servitors d’armes marchaient au milieu des vivants, le crépitement de leurs
armes arcaniques reconnaissable au milieu des tirs de bolter. Le rugissement
des moteurs d’escorteur et des bolters lourds résonnait depuis les appareils
d’assaut Stormwolf qui volaient en cercle, tandis que les Thunderhawk
libéraient leur colossale puissance de tir sur les immeubles qui encerclaient
les Chevaucheurs de Tempête assiégés.
Njal s’arrêta dans un dérapage à environ un demi-kilomètre de la base de
l’immense pyramide revêtue de miroirs, à la limite du champ de bataille
grossissant. De la puissance warp jaillissait en allers-retours, émergeant en
éclairs depuis les grandes pyramides vers les sommets des plus petites,
scintillant le long de leurs flancs brisés en éclats de rouge, noir et vert pâle.
Il posa Majula sur le sol de ferrobéton brut et la poussa en arrière
inconsciemment, la protégeant d’une attaque potentielle par la masse de son
armure Terminator. Alimenté par l’énergie ambiante, le bâton qu’il tenait en
main crépita et les runes de son armure pulsèrent d’une manière aléatoire.
— Nous devons nous défendre, dit Njal, tirant son arme de son étui.
+Non, les escorteurs ! Leurs tirs occasionnent encore plus de dommage au
système central du Portail Labyrinthe. Tout est si tendu que même le plus
petit déséquilibre pourrait briser et ouvrir le réseau entier.+
— Et ?
+Imagine un Œil de la Terreur, mais plus petit, et qui engloutirait toute la
planète. Avec toi dessus.+
— Je vois.
Njal activa le canal vox destiné à la compagnie entière pour s’adresser aux
autres Space Wolves tout en descendant la rue.
— Ne ciblez que les adversaires visibles. Évitez toute attaque structurelle
supplémentaire. Valgarthr, stabilise la situation. Arjac, tu m’as sur le
sensorium ?
— Oui, Maître des Tempêtes. À environ trois cents mètres de notre
position.
— Pouvez-vous me rejoindre ?
— Ça serait mieux si tu venais à nous.
Il y eut une pause et une série de parasites sur la fréquence qui trahirent
des tirs nourris avant qu’Arjac ne reprenne, grognant entre chaque mot.
— Nous sommes à la grande pyramide.
— Tenez la position. J’arrive.
Njal regarda autour de lui, conscient de la Navigatrice sans armure juste
derrière lui. Les projectiles traçants et les étincelles de tirs illuminaient
chaque surface tandis que les rayons rouges des canons laser et les traînées
de missiles déchiraient le bleu sombre du ciel de fin de journée.
— Izaakar, quelle proportion de la cité est au sein du Portail Labyrinthe ?
+Toute la ville. Des portails sont placés partout dans Tizca et à travers
Prospero. Ces… dégénérés peuvent potentiellement émerger du labyrinthe
n’importe où.+
— Ces dégénérés sont les fidèles de ton Primarque, les alliés des Thousand
Sons. Que te faut-il voir d’autre pour croire que ta légion n’a rien du
parangon de vertu ?
+Tu éprouves un plaisir bien cruel à enfoncer le couteau dans la plaie, avec
tes insultes, Fenrissien. Un homme meilleur regretterait la perte de la
sagesse des Thousand Sons plutôt que de s’en réjouir.+
Cette réplique troubla Njal qui continua de s’enfoncer dans le cœur de la
ville, Majula sur les talons. Des abominations à visage d’oiseau sortirent
des immeubles en ruines pour charger une escouade de Chevaucheurs de
Tempête un peu plus loin. Des créatures aux ailes métalliques se laissèrent
tomber des étages sur les Space Wolves qui avaient contre-attaqué. Chaque
assaut s’accompagnait de nouveaux tirs de laser et de rafales de balles
délivrés depuis les hauteurs de la grande pyramide. Les space marines
répliquèrent avec des tirs de bolter et la rage prométhéenne de leurs lance-
flammesss, tandis que les thralls les plus proches opéraient un tir de barrage
contre les attaques venues des niveaux supérieurs.
Même l’air ambiant puait d’énergie mutante et vibrait comme un mirage.
+Tout cela est des plus dérangeant.+
— La partie de toi qui est dans Portail Labyrinthe, peut-elle sentir quoi que
ce soit depuis l’intérieur ? Un quelconque indice sur ce que nous devons
faire ?
+Les combats font rage. Je sens l’odeur du sang dans le vortex, de la haine
et de la peur aspirées par le maelström du cœur du labyrinthe. La stase est
rompue.+
— Ce n’est donc pas par simple curiosité que mes pensées endormies ont
été attirées par le labyrinthe, mais c’est la tentative d’évasion des serviteurs
de Magnus qui a attiré mon regard wyrdique. Le Portail Labyrinthe
s’entrouvrait, et c’est pourquoi ton esprit en a fui.
+Je me trouve dans l’obligation d’adhérer à ton analyse, Maître des
Tempêtes. L’ouverture du Portail Labyrinthe n’était pas un accident.+
Njal fit un signe de bâton en direction de l’image de Magnus qui flottait
bien haut comme un nuage d’orage écarlate et maléfique.
— L’architecte ne cherche pas à dissimuler son implication.
+Cela n’a aucun sens à mes yeux.+
— Qu’y a-t-il à comprendre ? demanda Njal. Les sombres pouvoirs ont
murmuré à l’oreille de ton maître et il les a écoutés. Tout ce qui a suivi est
évident.
+Je… Tous les indices suggèrent que tu as raison. Les Thousand Sons
semblent avoir connu la déchéance. Mais ce n’était point de cela dont je
parlais. Cela ne fait aucun sens à mes yeux que Magnus essaye de reprendre
Prospero. Si ce que tu m’as dit de cette Planète des Sorciers est vrai, alors le
Roi Écarlate n’a que faire de ce monde-ci.+
Le Maître des Tempêtes n’avait rien à répondre à cela, et il n’était pas
d’humeur à débattre alors que la bataille faisait rage. Il se concentra sur un
sujet plus tangible.
— Tu disais que les combats ont repris à l’intérieur du Portail Labyrinthe.
Ce n’est pas cette bataille que tu perçois ?
+Il y a indéniablement un conflit à l’intérieur du périmètre du labyrinthe.
Je pense que ce sont les guerriers que tu recherches et qui se battent de
l’autre côté des portails.+
— C’est une preuve du moral d’acier de Bulveye, qu’il se batte encore
après dix mille ans d’enfermement.
+Ça ne lui en a pas paru autant. Le Portail Labyrinthe n’est pas le warp,
mais il est construit selon des principes similaires. On pourrait dire qu’il est
du warp. On ne peut pas franchir un millier d’années-lumière d’un seul pas
si les lois de l’espace et du temps sont en place. La Vieille Garde peut avoir
l’impression que seuls quelques jours ou même quelques heures se sont
écoulés depuis que ce balourd de Bulveye m’a tué.+
Une série d’explosions secoua la pyramide principale qui se dressait au-
dessus d’eux. Sous une pluie d’éclats de verre, les Gardes-Loups d’Arjac
avaient formé un périmètre autour d’un immense portique. Des panneaux de
cristal ébréchés et des colonnes criblées de trous encadraient une sombre
ouverture. Le sol qui se trouvait devant était jonché des restes déchiquetés
de cultistes en bleu et jaune, leurs cadavres ravagés par des tirs de bolters,
tranchés et mutilés par les armes de corps à corps des Terminators.
Poing de Pierre brandit son marteau en signe de salut. Il tournait la tête de
gauche à droite pour guetter une nouvelle attaque. Njal le salua en retour de
son bâton et s’arrêta juste hors de portée de voix.
— Tu as prétendu avoir les moyens de libérer nos frères. Nous sommes
dans Tizca, désormais. Il est temps que tu remplisses ta part de l’accord.
Dis-moi ce que nous devons faire maintenant, sorcier. Bulveye peut-il
s’échapper sans que nous entrions dans le Portail Labyrinthe ?
+Penses-tu que je te le dirais, cracheur de sagas ? S’il pouvait simplement
partir, cela rendrait la préservation de mon existence inutile à tes yeux.+
— Je suppose que non.
+Mais je t’accorderai ceci, parce que chaque manifestation de ton
ignorance m’horrifie, et que les Thousand Sons ont toujours été des élèves
et des enseignants, avant toute chose.+
Izzakar s’interrompit une seconde, jouissant probablement de cet instant
de dépendance de Njal.
+Je ne pense pas que la Vieille Garde puisse s’échapper par ses propres
moyens, ils doivent être guidés hors du labyrinthe. Si tu veux te débarrasser
de ma présence, tu dois pénétrer le dédale entre les mondes.+
Njal s’en était douté, et accepta ce fait sans commentaire. Il reprit sa route,
impatient de remplir son objectif. Plus vite il pourrait entrer dans le Portail
Labyrinthe, plus vite cet étrange épisode prendrait fin.
Arjac observa Njal avec soin. Le Prêtre des Runes, protégeait de son corps
la Navigatrice, descendait la rue couverte de gravas et lançait des regards
vers l’apparition monstrueuse qui s’était matérialisée au-dessus d’eux, son
bâton laissant des traces crépitantes sur les pavés fendus, un pistolet dans
son autre main.
Il avait assurément le comportement du Maître des Tempêtes. En tant que
garde du corps, Arjac avait mis un point d’honneur à étudier le Loup
Suprême et ses conseillers les plus proches : leur élocution, mouvements et
manières dans des contextes de paix comme de combat. Il connaissait les
heartjarls de Logan et ses Gardes-Loups mieux que son propre reflet, ce qui
lui permettait d’anticiper au mieux toute menace potentielle. Un
changement subtil de comportement l’alerterait immédiatement et trahirait
une pensée félonne ou un méfait potentiel. Mais en regardant Njal, il ne vit
rien d’anormal.
— Ce n’est pas le Roi Écarlate, n’est-ce pas ? demanda Arjac, pointant son
marteau en direction du visage cyclopéen qui surplombait Tizca.
— Non, répondit Njal. Ce n’est ni une intrusion ni une manifestation.
Seulement une projection. Qui ne vient probablement même pas de
Magnus, ce n’est qu’une idole psychique générée par ses cultistes.
Ils reprirent la route de concert, le sensorium s’ajusta pour permettre à la
multivision d’Arjac de faire apparaître un nouveau flux de données auspex
en provenance de l’armure du Prêtre des Runes. Son système confirma à
Poing de Pierre ce qu’il avait vu de ses yeux : Njal avait été pris dans un
combat avant son arrivée au centre-ville.
— Les cultistes n’occupent donc pas uniquement les quartiers centraux,
annonça le hearthegn alors qu’ils rejoignaient son escouade devant le grand
portique. Comment nos forces sur le site d’atterrissage s’en sortent-elles ?
— La zone est toujours sécurisée, d’après le dernier rapport, lui assura
Njal, le regard rivé sur les hautes portes de la pyramide. Mais la seconde
colonne va devoir lutter pour pénétrer le centre-ville.
Un mouvement inattendu sur le sensorium fit se retourner la moitié des
Gardes-Loups, leurs armes brandies. Le trafic vox qu’Arjac avait jusque-là
ignoré s’affola soudain de nombreux avertissements.
— Ne tirez pas ! ordonna Arjac à ses guerriers quand il vit l’éclat
d’armures dorées émerger de la poussière et de la pénombre.
— Mes troupes, dit la Navigatrice Majula en sortant de l’ombre du Prêtre
des Runes.
Son visage était sali, zébré de traces de larmes, ses yeux rougis et fatigués.
En dépit de ses récentes expériences et de son apparence dépenaillée, elle
parla avec confiance.
— J’ai un émetteur, ils vont rejoindre ma position.
La Garde Navis avait perdu quelques-uns de ses effectifs, et les traces de
brûlures et de coups sur leurs plastrons et brassards montraient clairement
qu’ils avaient rencontré l’ennemi de près. Leurs armes vibraient d’énergie,
un éclat argenté dans la poussière soulevée par les combats.
— Navigatrice !
Le cri de Dorria était empreint pour moitié de soulagement et pour moitié
de reproches. Les guerriers en armure d’or se mirent en formation défensive
autour de leur protégée, la séparant subtilement, mais intentionnellement de
la silhouette intimidante de Njal.
— Nous n’avons pas reçu confirmation de votre atterrissage. Votre vox
fonctionne-t-il ?
— Je… j’ai oublié, avoua Majula dans un murmure.
Elle prit un air embarrassé et baissa les yeux sur la route fissurée. Elle
raidit les épaules et s’adressa à la commandante de ses troupes.
— Restez à mes côtés jusqu’à nouvel ordre.
— À vos ordres, Navigatrice, répondit Dorria, faisant montre d’une
patience considérable face à la jeune femme sous sa garde qui la rappelait à
son devoir.
— Et maintenant, Maître des Tempêtes ? demanda Arjac.
Il n’aimait pas rester stationnaire, surtout avec le visage incandescent de
Magnus qui le regardait depuis les hauteurs.
— Nous avons nettoyé le périmètre de la Pyramide de Photep, mais nous
savons tous les deux que ces cultistes et mutants n’étaient pas juste cachés
dans des caves… Ils ont fait usage du Portail Labyrinthe, d’une façon ou
d’une autre.
Njal ne répondit pas immédiatement. Quelqu’un d’autre aurait pu le croire
simplement en train de réfléchir, mais Arjac savait ce que signifiait la légère
inclinaison de sa tête et la façon dont il se tenait. Il était en train d’écouter,
et l’absence d’écho de parasites dans le vox le laissait penser que l’objet de
son attention était une voix dans la tête de Njal.
Il y avait une autre explication, qui inquiéta quelque peu Arjac. Quelqu’un
pensait-il à la place de Njal ?
Il ajusta sa prise sur le Marteau à Ennemis et fit un pas nonchalant sur la
droite, se laissant une ouverture pour un meilleur coup sur le crâne du
Prêtre des Runes. Il n’y avait rien de menaçant dans le comportement du
Maître des Tempêtes, mais Arjac avait déjà combattu des psykers, bien
qu’aucun n’ait été aussi puissant que le runejarl du Chapitre. Il n’aurait
qu’une seule chance de terrasser le psyker possédé avant que l’opportunité
ne disparaisse.
— Oui, le labyrinthe. Je peux sentir ses ouvertures autour de nous, dit
Njal, qui n’avait pas conscience de la direction qu’avaient prise les pensées
d’Arjac.
Le Prêtre des Runes s’arrêta et regarda autour de lui, mettant
involontairement son épaulière entre Arjac et lui. Le Garde-Loup ajusta sa
stratégie et se prépara pour un coup descendant qui viendrait frapper le
sommet de la tête du psyker.
— Elles sont erratiques, incontrôlées. Les cultistes ne comprennent pas
comment tirer parti de sa pleine puissance. Mais tu as raison, il y en a
probablement plus qui se cachent à l’intérieur. Il y a en tout cas un fort
résidu d’énergie wyrdique.
Des thralls arrivèrent avec une escouade de Chasseurs Gris des
Chevaucheurs de Tempête de Valgarthr et sécurisèrent la zone autour des
Gardes-Loups. Arjac les regarda se mettre en position, vifs et précis comme
des coups de dague, en dépit des rafales sporadiques qui continuaient de
pleuvoir des bâtiments voisins.
Njal se dirigea vers les portes, traversa le sol jonché de cadavres avec
indifférence, écrasa torses et membres, brisa des crânes sous ses pas sans
plus d’attention que s’il marchait sur des rochers inégaux. Le crâne au
sommet de son bâton s’illumina, la lueur de son aura se refléta sur les
armures des Gardes-Loups. Derrière eux, Arjac pouvait entendre la Garde
Navis et leur protégée qui les suivaient de près.
Le Prêtre des Runes leva une main et les portes s’ouvrirent vers l’extérieur.
De la lumière se déversa comme si elle venait d’être relâchée d’une prison
et inonda les pavés ensanglantés et les corps empilés, pour danser sur les
armures des Gardes-Loups. Arjac entendit deux de ses frères murmurer des
skaldvers protecteurs à l’idée que la lumière pouvait être elle-même
corrompue par le wyrd.
— Ce n’est que de la lumière, dit Njal, dédaigneux, avant de s’avancer
dans la lueur où sa silhouette ne tarda pas à s’amenuiser. Voyons un peu ce
que ces disciples de Magnus nous préparent.
Selon le balayage effectué par les capteurs, les forces ennemies qui
s’avançaient vers les portes du port comptaient cent à cent cinquante
combattants. Lukas pariait sur le haut de la fourchette. Sous sa direction, le
Stormfang descendit en piqué sur un paysage constellé de fosses et de
tranchées où des conduites de carburant et des cuves de prométhium
s’étaient jadis trouvées. La foule se déversait de deux bâtiments à l’intérieur
du secteur portuaire : un sur les quais eux-mêmes et l’autre plus proche du
mur qui séparait la zone du reste de Tizca.
La plupart étaient des cultistes, vêtus de robes ou de tabards de
cérémonies, armés d’épées, masses et pistolets, quelques-uns disposaient de
pistolet laser ou d’armes automatiques. Parmi eux, Lukas identifia les
magistae, qui arboraient pour certains le symbole de leur nouveau seigneur :
un œil monstrueux avec une pupille en spirale, fait d’or, d’argent et de
bronze. D’autres portaient des bâtons aux pommeaux en forme de têtes de
serpents entremêlées, de flammes sculptées ou de visages lunaires
grimaçants. L’un d’entre eux en particulier attirait le regard : son extrémité
avait la forme d’un oiseau à deux têtes aux ailes déployées avec un unique
œil, rougeoyant, une parodie répugnante de l’Aquila Impériale.
Des silhouettes plus dégingandées au visage aviaire ou à la tête bestiale
couronnée de cornes recourbées les suivaient au pas de course. Chez ceux-
là, les plus dégénérés se mouvaient à quatre pattes, plus chiens qu’humains,
avec des flancs écailleux luisants et des dards incurvés au bout de queues en
fouets.
Il y avait aussi quelque chose de plus gros. Gudbrand fut le premier à le
repérer, à la périphérie de son champ de vision, et hurla un avertissement
éraillé.
La monstruosité qui se fraya un chemin entre deux entrepôts réduits à
l’état de carcasses en férrobéton n’était ni vivante ni machine, mais un
amalgame maudit par le wyrd. Ses six pattes aux multiples articulations
portaient un corps aplati duquel dépassaient de longs appendices qui se
finissaient en ouvertures enflées. Des plaques métalliques sortaient de sa
chaire aberrante, luisantes de runes hérétiques. Des flammes de warp
jaillissaient de ses tubes corporels et laissaient un sillage de fumerolles
multicolores. Sa tête ressemblait à celle d’un scarabée géant avec des
antennes dentelées, rouges et noires, dressées au sommet comme une
phalange de lances. Derrière la créature, quatre mutants à tête d’oiseau la
faisaient avancer avec des cravaches énergétiques, leurs corps à moitié
couverts de plumes drapés dans des robes bleues ouvertes sur le devant et
ornées de festons dorés.
Des flambées sporadiques issues du sol signalèrent que les cultistes
avaient repéré l’approche de l’escorteur. Lukas adressa un autre regard au
sinistre visage démoniaque qui contemplait la cité depuis la Pyramide de
Photep et sut qu’il n’y avait aucun doute sur l’objet de leur allégeance.
— Il pourrait être sage que quelqu’un se mette au poste d’artillerie,
suggéra-t-il, en pressant les commandes qui mettaient en service canon
Helfrost, lances-missiles et bolters lourds.
Les affichages de contrôle s’allumèrent sur la console et baignèrent le
cockpit d’une lumière verte.
— Là, et ici, dit Lukas en indiquant l’augure du canon principal et la
colonne de contrôle en face de Gundbrand. Tu dois amorcer avec le pouce
en pressant la rune pendant cinq secondes puis, sans bouger le pouce,
activer la détente de l’index. Vise les attroupements.
— Oui, Lukas, dit Gundbrand, tout en contemplant le tableau de bord avec
le plus grand sérieux.
Lukas fit virer l’escorteur en direction d’une foule de cultistes convergeant
sur l’une des portes de la muraille, ce qui offrit une cible idéale à son
compagnon. De derrière lui, parvint le claquement des bolters lourds qui
s’armaient avec Elof aux commandes du système d’artillerie tribord et
Jerrik à bâbord. Une seconde plus tard, le vrombissement du générateur
Helfrost emplissait l’espace confiné, vibrant le long de la massive culasse
du canon qui courait sur toute la longueur du vaisseau.
Le rugissement des bolters lourds fut soudain, un tambourinage qui fit
s’emballer le cœur restant de Lukas. Au sol, des explosions de feu
parcoururent les gangs d’hérétiques qui couraient à travers la place. Comme
on lève des filets dans le gras de kraken, le feu mortel de l’escorteur
découpa une ligne nette dans la foule tout à coup paniquée.
— Vite, avant qu’ils se dispersent, dit Lukas à son copilote.
Gundbrand pressa la commande et le Stormfang tout entier fut secoué par
la décharge d’énergie. Ils sentirent le froid même à travers le bouclier
thermique, leur souffle libéra de la vapeur au moment du tir. Une sphère
d’obscurité jaillit du canon, aussi rapide que l’éclair. Elle frappa la place en
plein milieu des cultistes et explosa en arcs d’énergie négative. Fait de
warp, la décharge Helfrost inversait les lois de la physique du royaume des
mortels, ouvrant une sphère de pur néant qui faisait baisser la température
jusqu’au zéro absolu en un instant. La sphère implosa une seconde plus
tard.
Les restes desséchés d’une douzaine de cultistes s’envolèrent dans une
explosion quand l’air environnant, plus chaud, se rua brutalement dans la
poche de vide avec un bruit de tonnerre. La frappe laissa un cratère presque
parfaitement rond, aux bords couverts de givre, et des particules glacées
emportées par la brise.
Gudbrand poussa un cri triomphal, qui fut rejoint par ceux de ses frères
dans le compartiment arrière. De nouveaux tirs de bolters lourds amputèrent
les rangs des cultistes en fuite, éventrant les corps et brisant les crânes,
arrachant des membres dans des explosions en chaîne.
Un avertissement lumineux s’alluma sur la console augure, accompagné
d’un hurlement suraigu. Lukas tourna la tête juste à temps pour voir
l’explosion de feu dévorante monter vers eux dans un cri, lancé par le
monstrueux scarabée démoniaque. Il brutalisa les commandes et fit rouler le
Stormfang violemment vers l’attaque, pour essayer de plonger en dessous.
Le brasier rugit par dessus la verrière et éclaboussa le sommet exposé de
l’appareil. De la céramite fondue jaillit du point d’impact tandis que les
capteurs de chaleur du Stormfang signalaient le mécontentement de l’esprit
du vaisseau.
La manœuvre d’esquive les avait entraînés dans un piqué abrupt, droit vers
le sol. Lukas ajusta l’appareil, inversa l’accélérateur et redressa juste au
moment où une seconde déflagration quittait les mâchoires-appendices de la
machine vivante des cultistes. Le feu warp passa en dessous de l’escorteur
en pleine ascension pour aller s’écraser sur le mur d’enceinte, où il fit
éclater le ferrobéton et pleuvoir les gravats sur le flot de cultistes qui
essayaient de trouver refuge dans son ombre.
— Je n’arrive pas à verrouiller, gronda Gundrand.
Celui-ci luttait avec les commandes du canon Helfrost tandis que Lukas
faisait slalomer le vaisseau entre les décharges tirées du sol.
— J’ai besoin d’un vol stable, ajouta-t-il
Le Trompeur ignora sa plainte, ouvrit d’une pichenette l’accès aux
commandes de sa colonne de direction pour activer les deux missiles
Stormstrike placés de chaque côté de la verrière. Des coulées de céramite
refroidissante glissèrent sur la longue proue du vaisseau quand il vira à
nouveau pour se mettre en vue de la machine insectoïde.
Le gémissement enthousiaste des esprits des missiles résonna dans ses
oreilles à l’instant même où il vit l’explosion d’une nouvelle rafale de feu
warp sortir des canons de l’atrocité wyrdique. Il pressa les deux commandes
de tir. Deux jets de feu blanc engouffrèrent un instant le cockpit, les sillages
des propulseurs à plasma brouillèrent la vue. Guidé par son instinct, Lukas
redressa l’appareil vers tribord et entraîna le vaisseau hors de la trajectoire
des flammes de warp venues du sol.
De nouveaux gémissements de l’esprit de la machine emplirent le cockpit
quand les moteurs et l’aile tribord subirent le gros de la décharge. Une
fumée sale s’échappa des turboréacteurs, accompagnée par un inquiétant
cliquetis quand les gouttelettes de céramite solidifiée passèrent dans les
manches d’entrée d’air. Lukas sentit le regard de son copilote peser sur lui
et se risqua à détourner les yeux un instant, lui adressant un clin d’œil pour
atténuer son inquiétude.
— J’ai connu pire, assura Lukas.
Un craquement sec et le crissement du métal tordu indiquèrent que l’un
des réacteurs faussait compagnie à son support. Il fut arraché juste après
dans un tourbillon de céramite brisée.
— Pas beaucoup pire, admit le Trompeur.
Dans les secondes précédant l’impact, le retour des données provenant des
missiles culmina en une apothéose fiévreuse d’excitation de l’esprit de la
machine. Lukas jeta un regard en arrière vers le canon scarabée, juste à
temps pour voir les deux missiles percuter la tête et la carapace du
monstrueux insecte, le plongeant dans une boule de flammes et de débris.
Quelques secondes plus tard, la double déflagration secoua la verrière en
plastek blindé.
Ils décrivirent un cercle, perdant de l’altitude pour mieux arroser de
projectiles les hérétiques enhardis de Magnus. Mais, alors même que Jerrik
tirait à nouveau avec le bolter lourd, une nouvelle éruption de feu de warp
partit des quais. Elle tomba court et alla exploser au beau milieu de la place
au niveau de la porte, libérant une onde de choc qui projeta les cultistes à
travers l’esplanade et ébranla l’appareil. La fumée de l’attaque des missiles
Stormstrike se dissipa, et Lukas vit que la créature était pratiquement
indemne, avec seulement quelques fissures gluantes d’ichor sur son
exosquelette.
— Cette bête est plus en forme que le onzième tentacule d’un kraken,
gronda Lukas.
Il essaya d’aligner le vaisseau dans la trajectoire du monstre pour
permettre à Gudbrand de tenter sa chance avec le canon Helfrost, mais une
soudaine flambée conjurée par le warp le força à abandonner l’attaque,
évitant de justesse de perdre le moteur de l’autre côté.
— Attendez, j’ai une idée.
Il fit partir le vaisseau en chandelle vrillée, ce qui l’éloigna des
installations portuaires. Quand il se sentit confortablement hors de portée, il
vira vers le sud et choisit sa route avec soin. Devant lui, à presque deux
kilomètres, le scarabée mécanique avançait sur l’une des voies d’accès
principales en direction du mur. Lukas entra des coordonnées pour l’esprit
de la machine et définit un point de repère à suivre pour l’animus du
vaisseau. Poussant les moteurs restants au maximum, et ignorant les
hurlements et claquements de protestation venus de tribord, il fit prendre à
l’escorteur une trajectoire en piqué.
— Dois-je armer, chef… Lukas ? demanda Gundbrand.
— Non, dit Lukas, qui décrocha son harnais et se leva. Débarquement
d’urgence.
À leur décharge, les Griffes Sanglantes l’imitèrent sans poser de question
et se libérèrent des ceintures renforcées de leurs sièges. Lukas activa la
rampe arrière, qui s’ouvrit, dévoilant la périphérie de la ville et les terres
désolées ravagées par l’Inferno qui s’étendaient au-delà. Le vent sifflait et
une traînée de fumée noire libérée par les moteurs malmenés s’étirait dans
le ciel.
— Préparez-vous.
Lukas alla jusqu’à la rampe, jambes prêtes à compenser les vibrations de la
descente. Il regarda par-dessus son épaule, à travers la verrière avant et
calcula le bon moment. Quelques secondes plus tard, l’escorteur était
presque au-dessus du toit de l’entrepôt qu’il avait ciblé.
— Maintenant !
Lukas sauta, et fit confiance aux autres pour faire de même.
Le vent s’engouffra dans ses cheveux et agita les peaux de son armure
dans sa chute. Un clin d’œil et dix mètres plus tard, il percuta le toit de
l’entrepôt, violemment. Les vérins de sa jambière émirent des couinements
de protestation et il pivota sur lui-même, transformant son impact en
roulade. Son élan l’entraîna dans un dérapage de plusieurs mètres sur du
ferrobéton poussiéreux avant de s’arrêter définitivement. Les autres
martelèrent le sol en atterrissant devant lui, tombant de l’escorteur comme
la cargaison mal arrimée éjectée du pont d’un bateau pris dans la tempête.
Debout un instant plus tard, Lukas courut vers le devant du bâtiment.
Il atteignit l’angle de l’entrepôt à temps pour voir le Stormfang s’écraser
sur sa cible, déjà noyé de la proue à la poupe dans la dernière salve
défensive de feu warp de la créature. Le réacteur fut le premier à exploser,
du plasma brûlant s’embrasant en soleil miniature. Dans la demi-seconde
suivante, le cœur du Helfrost se brisa et déchaîna son potentiel destructeur.
Les soudaines températures extrêmes, opposées, détonèrent et réduisirent la
bête et ses maîtres à l’état d’atomes en désintégration. L’onde de choc
percuta les immeubles alentour et alla démolir des espaces de stockage et
des centres de collecte, arrachant leurs fondations sous la violence de la
déflagration.
Lukas contempla son œuvre tandis que les autres se regroupaient autour de
lui. Il n’eut pas beaucoup de temps pour savourer son triomphe. Des éclats
de voix rageurs et quelques tirs de lasers leur parvinrent de la galerie en
face de l’entrepôt. Des cultistes accouraient de partout vers leur position,
plus résolus à faire face aux ennemis au milieu d’eux que d’apporter des
renforts à l’attaque du centre-ville.
— Il doit y en avoir une centaine, ou plus, dit Artyn.
— Ils semblent impatients de rencontrer les Fils de Russ.
Lukas sortit son pistolet à plasma et brandit sa griffe de loup. L’énergie
céruléenne se mit à danser le long des lames. Il dévoila ses crocs dans un
sourire carnassier.
— Allons donc faire les présentations.
CHAPITRE 11
UN PONT BRISÉ

La lumière warp s’épaissit, pour autant qu’une telle chose fut possible.
Comme un organisme vivant, elle se glissa le long des armures des space
marines qui progressaient. Le sensorium la détectait à la fois comme de la
lumière et comme un objet physique, mais elle ne semblait pas gêner les
Terminators avançant dans le couloir derrière les portes. Une analyse assez
floue montrait un large espace entouré de nombreuses pièces et les portes
d’un transporteur, avec, en périphérie, des voûtes au-delà desquelles de
longs corridors s’enfonçaient dans le cœur de la Grande Pyramide de
Photep. Les capteurs détectaient un plafond haut de plus de cent mètres,
strié de travées voûtées et de passerelles-convoyeurs, ainsi que des galeries
et des mezzanines qui s’alignaient le long du mur extérieur en pente douce.
Mais ils n’arrivaient pas à s’accorder sur l’emplacement exact de ces
éléments.
L’armure d’Ulfar situait l’escouade quelque part au centre de la salle
tandis que celle d’Arjac les plaçait sur la droite. Les autosens d’Ingvarr
signalaient un escalier à quelques mètres devant eux, mais le flux en
provenance de Berda l’informait d’une large volée de marches qui
descendait vers un espace qui ressemblait à un amphithéâtre.
Puis, tout autour d’eux, aussi soudainement que la première attaque des
cultistes, des signes de vie se manifestèrent. Des taches rouges firent leur
apparition sur le fond verdâtre du balayage de l’auspex. Des projectiles
traçants et des décharges de laser jaillirent de la lumière ambiante,
percutèrent en une pluie d’étincelles les plates des Gardes-Loups et
laissèrent des traces de brûlure sur la céramite.
Les vétérans ripostèrent du mieux qu’ils purent, leurs fulgurants et canons
d’assaut firent s’abattre un torrent de projectiles sur les cultistes en
embuscade. Des balcons s’effondrèrent sous les ogives antichars du lance-
missiles Cyclone, précipitant vers le sol des douzaines de disciples fous de
Magnus et en broyant d’autres encore sous les chutes de pierres. Des
explosions résonnèrent le long des galeries, désintégrant corps et briques.
Les hurlements des tués se perdirent dans le fracas de la roche pulvérisée et
du ferrobéton défoncé. Du verre et du cristal se brisèrent, puis s’abattirent
en une pluie mortelle sur les serviteurs de Magnus.
— Où sont-ils ? Où ? hurla Jorn en se tournant vers la gauche puis la
droite, essayant de viser de son fulgurant les centaines de cibles qui
apparaissaient et disparaissaient de son sensorium. Les tirs de laser
fureteurs indiquaient que les retours de l’augure n’étaient pas de simples
illusions, mais qu’avec la diversion et la couverture offertes par le miasme,
l’ennemi était si bien camouflé qu’il aurait tout aussi bien pu être un
fantôme.
Une silhouette de flammes blanches apparut à leurs côtés. Arjac était sur le
point de tirer quand il se rendit compte qu’il s’agissait de la Navigatrice.
Des rayons d’obscurité transpercèrent la lumière quand elle dirigea le
regard de son troisième œil vers les cultistes.
Arjac leva son bouclier, Sven l’imitant de l’autre côté, ils offrirent à eux
deux un couvert à leurs compagnons pendant qu’ils rechargeaient leurs
armes.
— Détectons votre… Avançons vers… Avez-vous besoin de…
La question de Valgarthr se perdit dans une éruption de parasites et une
impression de murmures spectraux.
— N’entrez pas dans la Pyramide de Photep ! ordonna Njal.
Il avançait rapidement, sans faire attention au feu nourri qui ricochait
autour de lui.
Il s’arrêta une dizaine de mètres devant Arjac, tourna la tête de gauche à
droite, à la recherche quelque chose. À nouveau, il avait l’air distrait d’un
homme en communion avec un autre. Poing de Pierre crut voir les lèvres du
Prêtre des Runes bouger imperceptiblement. Le Seigneur des Runes reprit
sa progression, ses pas légèrement plus courts que d’habitude.
Les instincts d’Arjac s’éveillèrent. Tout n’était pas conforme aux
apparences. Quelqu’un d’autre marchait dans le corps du Maître des
Tempêtes. Quelqu’un qui n’avait pas l’habitude de la longueur exacte des
enjambées du Prêtre des Runes et qui, à en juger par la légère hésitation à
chaque pas, n’était pas non plus familier des spécificités de la marche en
armure Terminator. De petits détails, mais suffisants pour envoyer le
hearthegn à la poursuite de la silhouette du Prêtre des Runes qui s’éloignait.
— Avec moi, intima-t-il à sa meute.
Il grimaça à l’idée de s’engager plus avant dans les griffes de l’ennemi
sans aucune indication claire d’où ils étaient ni de ce que son objectif était
censé être.
Njal marchait vite, désormais, contraignant Arjac à le poursuivre. Il devait
rester proche, mais il ne voulait pas non plus se séparer totalement de sa
meute alors que des tirs renouvelés transperçaient l’étrange nuage de
lumière. Il semblait y avoir une clarté plus importante au-devant, derrière ce
que le sensorium signalait comme un mur épais, mais visiblement différente
de l’effusion chatoyante qui formait des volutes presque liquides à leur
passage.
— Ça bouge, avertit Ingvarr.
— Qu’est-ce qui bouge ? Faites-moi des rapports clairs ! gronda Arjac,
essayant de jongler entre le cauchemar tactique de la situation présente et
son serment de protéger ou d’exécuter le Seigneur des Runes, si nécessaire.
Une partie de lui voulait battre en retraite, regrouper ses forces et lancer une
attaque plus réfléchie. L’autre partie le poussait à suivre à la trace le psyker
compromis, essayant d’arriver à portée de marteau sans trahir ses intentions
auprès de la conscience qui habitait désormais la dépouille mortelle de Njal
Maître des Tempêtes.
— La lumière wyrdique, chef de meute, dit Ingvarr, quelque peu surpris de
devoir s’expliquer.
Arjac s’arracha à la contemplation du Maître des Tempêtes et constata
qu’il y avait en effet une agitation dans la lueur céruléenne à sa droite. Il
porta son attention de l’autre côté et compris que ce mouvement était
cyclique et qu’il tournait autour de leur position.
— C’est toi qui fais ça, Maître des Tempêtes ? demanda Breda, sa voix
mesurée empreinte d’un doute inhabituel.
— J’essaie de me concentrer. Cesse tes bavardages, répondit le Prêtre des
Runes.
La voix était la sienne en timbre et en registre, mais le ton lui était
étranger. Il lui arrivait parfois d’être sec, mais jamais cassant.
Le tourbillon de la lumière warp s’intensifia, tournoyant autour du Prêtre
des Runes, accompagnant leur progression alors qu’ils arrivaient près du
passage plus lumineux au sein de la lueur azur. Arjac se mit à courir, de
l’énergie emplit son armure tandis que des runes de ciblage dansaient sur la
silhouette de Njal. Le psyker s’était arrêté, bâton tendu bien haut, son autre
main formait des motifs complexes du bout des doigts.
Ce fut comme de plonger dans un maelström. La lumière tournoya de plus
en plus vite, bien qu’elle n’eut aucun impact physique sur l’armure d’Arjac.
Il entendit Ulfrac crier son nom, surpris, mais ignora son compagnon. Le
sorcier, ou la créature quelconque qui s’était fait passer pour tel, était en
train d’ouvrir le portail, Arjac en était certain. Le Prêtre des Runes s’était
fait avoir, son potentiel psychique détourné par une entité du warp pour
briser des barrières déjà affaiblies par les machinations des cultistes.
Le marteau de Poing de Pierre fouettait le tourbillon de warp de langues
d’énergie. Il était trois pas dans le dos de Njal et leva le bras pour frapper,
sans que le space marine corrompu ne semble le remarquer.
Quelque chose percuta son bras de derrière lui et le déséquilibra.
C’était l’un des disciples de Magnus, bondissant à travers la lumière warp,
ballotté dans les airs par l’énergie qui s’accrochait à ses robes et tirait ses
longs cheveux gras. L’homme, pupilles écarquillées derrière la visière de
son masque à bec d’oiseau, s’étira d’une manière invraisemblable quand il
toucha la colonne de lumière blanche.
Il disparut.
Arjac fit un autre pas en avant, coupé dans son élan par sa confusion. Un
autre cultiste fut emporté par le tourbillon, ses hurlements à peine audibles à
travers le sang qui lui rugissait dans les oreilles. D’autres encore furent
aspirés dans la lumière, comme si une main divine les y projetait. Leurs
membres se fracturèrent, leur dos se brisèrent et ils se contorsionnèrent sous
l’effet du torrent surnaturel dont les assauts de puissance occulte
fracassaient et tordaient les corps en tous sens.
— Arjac ?
Sven était à sa hauteur, le reste de la meute non loin derrière. Njal ne
pouvait rien voir du visage du garde-loup, mais la posture et le ton de Sven
trahissaient son intense confusion.
Poing de Pierre se rendit compte qu’il pouvait voir les autres clairement, il
n’y avait plus trace des volutes de pouvoir azur. Il vit ce qu’il restait de la
lumière warp, parsemée des corps encore convulsés des cultistes, qui
disparaissait en tourbillonnant au fond de la colonne centrale comme de
l’eau dans une bonde. Son attention se reporta bien vite sur le Maître des
Tempêtes.
Le Prêtre des Runes fit face à la colonne du portail, son bâton tendu entre
ses deux mains, les dernières étincelles d’énergie dorée dansant le long de
l’arme, dérivant entre lui et l’entaille de warp qui disparaissait rapidement.
Il fut pris d’une convulsion brève, unique, un bruit étranglé leur parvenant
par le vox.
Les sourcils froncés, sa poigne détendue, mais ferme autour du manche du
Marteau à Ennemis, Arjac fit un pas de plus. Njal, ou du moins son corps,
se retourna lentement. Il abaissa son bâton d’une main, l’autre essaya
d’aller agripper quelque chose sur sa poitrine, mais rencontra son armure à
la place.
Ils se regardèrent dans les yeux et pendant un instant, Poing de Pierre sut
qu’il faisait face au regard d’un autre, bien que les yeux lui soient si
familiers. L’ombre d’un sourire moqueur dansa sur les lèvres du Prêtre des
Runes et révéla la pointe d’un croc, avant de disparaître.
Njal se redressa un peu, ses yeux se focalisèrent rapidement sur Arjac
avant d’effleurer le marteau dans sa main. Son regard, entendu et sage,
rencontra à nouveau celui d’Arjac et celui-ci y vit de la compréhension, de
l’acceptation pour ce qui venait de se produire. Il y avait presque de la
gratitude dans l’expression du Maître des Tempêtes.
Arjac attendit une seconde de plus, s’assurant que le Maître des Tempêtes
était bien présent. Il y avait eu de folles rumeurs d’une créature démoniaque
qui avait semé la discorde et les conflits à travers l’Imperium en prenant
l’apparence d’autres. Il se disait même, dans le Croc, que ce changelin était
impliqué dans les terribles événements qui avaient opposés les Dark Angels
aux Space Wolves, affaiblissant les deux groupes avant l’invasion de
Magnus. Il était bien possible que le démon poursuive sa mission de
destruction des fils de Fenris.
Était-ce simplement la menace d’être découvert qui l’avait forcé à relâcher
son emprise ?
Arjac devait avoir confiance en son jugement et croire ce qu’il avait vu sur
le visage de Njal. S’il y avait eu une raison d’agir, Arjac n’avait aucun
doute que le Maître des Tempêtes lui aurait donné l’ordre de porter le coup
fatal ici et maintenant, prêt à se sacrifier s’il pensait que l’expédition
pouvait être compromise.
Le sensorium montrait des ondulations autour de la fracture dans la réalité,
mais le reste du hall redevint reconnaissable, amalgamant les différents
points de vue. L’endroit avait un haut plafond. Les murs étaient couverts de
plates-formes et passerelles, entre lesquelles s’entrecroisaient pontons et
portiques. Des poutres de plastacier soutenaient des sous-plafonds en cristal
qui réfractaient la lumière du soleil couchant en une douce lueur qui
emplissait l’immense pièce. Plus important : il n’y avait aucun signe de vie
inconnue à l’intérieur de la Pyramide.
Et pourtant, Arjac ne put se détendre.
Il observa les changements provoqués à l’intérieur de la Pyramide de
Photep et sut que ses ennuis étaient loin d’être terminés.
L’espace caverneux semblait s’étendre à l’infini, mais les sens wyrdiques de
Njal percevaient une pression immense lui peser dessus en provenance de
toutes les directions, comme s’il avait été coincé dans un endroit bien trop
étroit. La déchirure dans la réalité remplissait tout de son énergie pulsante,
léchant les runes de contention brisées. Loin au-dessus d’eux, bien trop loin
au-dessus d’eux, même si on prenait en compte l’immensité de la Pyramide
de Photep, des silhouettes serpentines ondulaient devant la lumière
éclatante du soleil. D’autres formes, impressions fugaces de flammes et de
visages, de crocs et de griffes, traversaient le rideau de puissance.
Là où s’était dressée la colonne de lumière, se tenait maintenant une
imposante stèle d’un noir de jais. Ses arêtes débordaient de pouvoir, mais
les surfaces planes absorbaient tout comme une lumière négative, plus
sombre même que le vide entre les étoiles.
+Incroyable.+
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Arjac.
— Notre objectif. Une entrée vers le Portail Labyrinthe.
— C’est un pont entre les mondes, dit Majula, replaçant son bandeau
devant son œil mutant. Je n’ai jamais rien vu de tel dans mes lectures. Ce
n’est pas une faille de warp, c’est bien plus minutieusement conçu.
— Nous devons rassembler nos forces avant de continuer, dit le hearthegn,
puis il envoya les membres de son escouade aux points stratégiques,
surveiller couloirs et entrées. Nous pouvons tenir le temple un certain
temps, si besoin.
Njal était impatient de se débarrasser d’Izzakar, mais il pouvait voir les
mérites de la prudence d’Arjac. Il donna son assentiment d’un signe de tête
et activa son vox.
— Valgarthr, établis une ligne vers ma position et opère une jonction avec
la Garde-Loup. Fais maintenir le corridor par les troupes du champ
d’atterrissage. Nous les appellerons quand nous aurons besoin d’eux, inutile
d’avoir tout le monde encerclé dans le centre-ville.
— Bien, Seigneur des Runes. À tes ordres.
Majula fixait d’un regard noir l’ondulant brouillard de pouvoir, presque
rigide, les poings crispés. Elle n’eut aucune réaction quand Njal s’approcha
d’elle.
— Navigatrice ?
Majula l’ignora, ou ne l’entendit pas. Elle posa une main sur le bandeau
qui lui ceignait le front. Le Maître des Tempêtes interrompit son geste aussi
délicatement que possible, d’un doigt sur son poignet.
— Laissez-moi voir, Seigneur des Runes, dit-elle doucement, sans tourner
la tête. Je ne peux sentir la lumière de l’Empereur à l’intérieur. Ça avale les
échos de Terra. Laissez-moi regarder dans le Portail Labyrinthe.
+Je ne pense pas que ce soit sage.+
— Dis-moi ce que tu vois, dit Njal en retirant sa main.
Majula retira sa protection argentée et leva les yeux. Njal évita résolument
de la regarder, fixant plutôt les dalles abîmées du sol. Il pouvait cependant
sentir les clignements de son troisième œil à l’orée de ses sens wyrdiques.
— Je ne vois rien, murmura Majula.
Elle fit un pas en avant, la tête droite, regardant directement dans l’étrange
fissure là ou le magistae s’était tenu.
— Ce n’est rien. Vous aurez essayé.
— Non… je ne vois rien. Ni les volutes du warp, ni la réalité de notre
univers. Le labyrinthe est vide.
+Cela ne se peut pas. Le Portail Labyrinthe est construit autour de brins
d’immatériel. Même réfracté ou déformé, le reflet du royaume des mortels
devrait être là. Peut-être que quelque pouvoir la rend délibérément
aveugle.+
Njal se positionna de manière à ce que seule la Navigatrice puisse voir son
visage.
— Mon passager pense que vous ne voyez pas ce qui se trouve à
l’intérieur.
Majula secoua la tête et croisa les bras.
— C’est vide. Un vide forcé, comme s’il avait été éventré, le cœur arraché,
par quelque incroyable puissance.
— La Planète des Sorciers… dit Njal, s’imaginant la barrière qui s’était
déchirée lorsque la planète démoniaque née du wyrd avait traversé la
structure de la réalité. Magnus a utilisé le Portail Labyrinthe, ou une partie
du Portail, pour l’aider à faire émerger cette planète du warp.
+Pourquoi aurait-il fait une telle chose ? Le Portail Labyrinthe était l’une
de nos plus grandioses créations. L’invasion de tes prédécesseurs a fait des
dégâts, mais tu parles là d’un acte de destruction gratuit.+
L’incrédulité d’Izzakar infiltra les pensées de Njal, des poussées de doute
que le Prêtre des Runes eut à repousser à grande peine avant qu’elles
n’infectent sa propre vision des choses.
+Sauf s’il n’y avait pas d’autre solution.+
— Magnus n’a que faire de ce qui a été construit quand il était mortel. Il a
été damné, fait prince par les Puissances de la Ruine, pour diriger le monde
physique en leur nom. Il serait prêt à sacrifier jusqu’au dernier des guerriers
des Thousand Sons pour cette cause.
— Quelque chose est en train de se produire, prévint Majula.
Elle tendit le doigt, encore hypnotisée par l’entrée du portail à demi active.
Njal libéra son moi psychique et approcha le plan de démarcation crépitant
qui séparait les réalités juxtaposées de son univers et du Portail Labyrinthe.
Il n’osa pas laisser traîner ses pensées dans le périmètre parcouru
d’interférences, mais d’après ces fluctuations, il put percevoir la
perturbation qui avait alerté la Navigatrice.
— Ils avancent, murmura-t-elle. Ils avancent vers nous.
— Qui ? demanda Njal, qui fit signe à Arjac. Gardes-Loups, pointez vos
armes vers la brèche.
Un grincement de vérins et des pas tonitruants annoncèrent l’approche de
Bjorn Main Terrible et ses deux frères Dreadnought. Le canon d’assaut du
vieux guerrier se leva vers le tourbillon de warp.
— Ne fais confiance à rien de ce qui sort de là, Maître des Tempêtes, dit le
Dreadnought.
— Et si c’était la Vieille Garde, demanda Arjac. Nos frères perdus, de
retour ?
— Cela n’est pas, Fils de Fenris, dit Majula, d’un ton tranchant, avant de
prendre une inspiration. Je les vois plus clairement, maintenant. Vêtus de
pourpre, sous la lune et les étoiles. Nés de la foudre, des guerriers de
Prospero.
— Vêtus de pourpre ? s’étonna Arjac, en levant son bouclier, marteau
brandi comme s’il s’attendait à ce qu’une bête monstrueuse jaillisse du
passage pulsant. Quel ennemi est-ce ?
Un frisson d’excitation parcourut Njal, mais ce n’était pas la sienne.
+Serait-ce possible ? Bien sûr, pourquoi penser que je suis le seul de ma
compagnie et de ma cabale à avoir survécu ?+
— Armes au clair ! ordonna Njal. Elle parle des Thousand Sons, dans leur
livrée de Prospero. Ce n’est que depuis leur chute qu’ils ont changé leurs
couleurs pour l’azur et or de leur nouvelle allégeance. Ces guerriers sont
coincés dans le Portail Labyrinthe depuis que nos ancêtres ont rasé cette
ville.
Le désespoir transperça l’esprit du Prêtre des Runes.
+Ne tirez pas ! Ils ne savent rien de ce qui s’est passé depuis que la colère
du Roi Loup s’est abattue sur Tizca.+
— Pourquoi cela devrait-il nous retenir ? répondit Njal, soufflant à peine
ses mots, détournant le visage des autres. Nous sommes ici pour finir la
tâche que la Vieille Garde a commencée.
+Folie ! Nous pouvons forger une alliance. Ils écouteront mes ordres.+
Autour de Njal, les Gardes-Loups pointèrent leurs armes vers le passage.
— Ton cadavre repose quelque part dans le Portail Labyrinthe. Je ne pense
pas qu’ils nous écouteront.
Par delà les fluctuations, on pouvait voir une ombre grossissante : un
groupe de guerriers qui s’approchait, comme venu de loin. Ils portaient des
symboles de lunes et d’étoiles au-dessus d’eux, ainsi que l’avait décrit
Majula, et leurs étendards pendaient des hampes, immobiles. Les armures
rouges et or des Thousand Sons se firent plus nettes, des escouades de
légionnaires d’un âge perdu qui marchaient au pas, leurs armures anciennes
au regard des critères du quarante et unième millénaire.
— Quels sont tes ordres, Maître des Tempêtes ? demanda Arjac. On ouvre
le feu ?
— Pas encore, répondit le Prêtre des Runes. Nos tirs pourraient ne pas
passer la barrière du portail et nos ressources ne sont pas illimitées. Mieux
vaut garder le peu de munitions que nous avons pour quand nous en aurons
le plus besoin.
— Méfiez-vous de leur sorcellerie, avertit Bjorn. Le talent wyrdique était
aussi répandu dans leur légion que le génogerme de Magnus lui-même.
L’armée en rouge, forte d’environ deux cents hommes, ne semblait être
qu’à une douzaine de mètres. Ils ne firent aucune manœuvre suggérant
qu’ils avaient conscience de la présence des Space Wolves de l’autre côté
de la brèche, bien que leur formation montrait qu’ils étaient sur leurs
gardes.
— Répliquez immédiatement à toute action hostile, dit Njal à ses guerriers.
Il glissa son esprit dans Aile-de-Nuit et envoya le psyber-corbeau voler au-
dessus de la fissure entre les réalités. De cet angle, il n’avait pas un champ
de vision plus large sur les Thousand Sons que depuis le sol, l’image était
étrangement plate, comme peinte sur le sol plutôt qu’en trois dimensions.
+Je t’en implore, fils de Fenris, ne fais rien d’inconsidéré. Ne permets pas
à des millénaires de dogme de faire d’une opportunité une tragédie. Ce sont
mes frères. Ils ne savent rien de la déchéance de Magnus.+
— Tu admets donc la trahison de ton Primarque ? murmura Njal.
+Je ne peux ignorer l’évidence. Mais je ne suis pas complice du crime de
Magnus, pas plus que mes guerriers. Ils seront aussi horrifiés que moi du
sort qui s’est abattu sur les Thousand Sons.+
— Il ne s’est pas abattu, sorcier. Ils l’ont choisi. N’oublie jamais que tes
frères se sont rangés aux côtés d’Horus contre l’Empereur. Ils se sont
engagés d’eux-mêmes sur le chemin de la damnation.
Si le sorcier avait voulu débattre de ce point, il fut interrompu quand la
faille du portail fluctua violemment. Des arcs violets jaillirent des bords en
direction du sol, leur éclat fit projeter d’impossibles ombres à la colonne qui
se trouvait dans la brèche.
L’escouade de tête des Thousand Sons s’avança hors de la faille, entourée
d’une aura de puissance azur, le vexillor qui ouvrait la marche brandissant
bien haut l’insigne de leur compagnie. Les crépitements du portail furent
noyés sous le bruit des bottes marchant d’un même pas.
L’ordre d’ouvrir le feu était sur les lèvres de Njal, le bâton qu’il tenait en
main luisant d’énergie psychique alors qu’il préparait des décharges
vengeresses.
La démarche du vexillor se fit hésitante, et le légionnaire à sa droite
trébucha également, le claquement des armures et de la marche au pas
remplacé par un fracas de céramite quand les guerriers se rentrèrent dedans.
Comme s’ils arrivaient soudain sur un terrain instable, l’escouade entière
chancela, sa parfaite coordination perdue en deux enjambées. L’étendard
s’échappa des doigts du porte-drapeau pour s’écraser sur les dalles quand
les jambes du soldat lâchèrent et qu’il s’effondra la tête la première sur le
sol.
Le reste de l’escouade s’effondra de la même manière, sans rien
d’impressionnant ou de théâtral, tombant simplement à genoux puis face
contre terre.
La visière de l’un des légionnaires heurta un bolter abandonné et se brisa.
De la poussière blanche se déversa de la fissure, étincelant un instant
d’énergie wyrdique avant que l’âme ne se dissipe, ne laissant qu’une traînée
résiduelle semblable à des cendres.
Njal éclata d’un rire rauque.
— De la poussière ! Ils ne sont que de la poussière !
Dans la tête de Njal, Izzakar était une boule de souffrance inarticulée qui
brûlait comme de l’acide.
Ignorant ou indifférent au sort de leur avant-garde, le reste des Thousand
Sons continua son avancée résolue. Chaque escouade trébucha sur les restes
de celle qui l’avait précédée, les armures s’effondrant en un fracas de
céramite sans vie. Pas un mot de surprise ne fut prononcé, le seul bruit était
celui, continu, des armures qui s’empilaient et le crissement des plates
frottant les unes sur les autres.
+Que se passe-t-il ? Quelle est cette malédiction ?+
Njal contemplait la scène avec dédain, mais tandis que les armures
s’accumulaient en masse devant l’entrée du portail, la confusion et la
douleur d’Izzakar étaient prégnantes et vives dans son esprit, impossible à
ignorer complètement.
— Le prix de la traîtrise, dit le Maître des Tempêtes. Ils rejoignent les
frères de leur légion dans leur absence de vie.
+Je… qu’est-ce que ça veut dire ?+
Le ton désespéré du sorcier se fit accusateur.
+Que m’as-tu caché, chien de Fenris ?+
L’attention des autres était accaparée par les légionnaires qui
s’effondraient. Njal parla à voix basse, masquant ses mots en se passant les
mains sur le visage.
— Je ne sais pourquoi, et je n’en ai cure, mais cette même malédiction
affecte tous tes frères, à de rares exceptions. Ils ne sont rien d’autre que de
la poussière et des esprits sans conscience, prisonniers dans leur armure. Ta
légion entière, ceux qui ont survécu à leur attaque traîtresse contre
l’Empereur, ne sont que des hôtes vides pour les forces de l’abysse.
Les dernières escouades de Thousand Sons émergèrent du rideau d’énergie
ondulant et s’effondrèrent, en ruines, parmi les restes de leurs frères. Le
silence s’installa, et l’intérieur du Portail Labyrinthe fut à nouveau vide.
Plusieurs Space Wolves s’approchèrent, armes pointées vers les armures
sans vie.
— Que faisons-nous avec ça, Seigneur des Runes ? demanda Arjac avec
un geste du marteau en direction des Thousand Sons immobiles. Ils ne sont
pas morts. Pas vraiment.
— Marteau et poings, mon frère, dit Njal. Conservez vos munitions. Brisez
ces coquilles pour que ces esprits corrompus ne puissent jamais être
réanimés. Alors, nous serons débarrassés de nos ennemis pour de bon.
+Tu m’as trompé, Maître des Tempêtes. Tu m’as laissé croire que ma
légion avait survécu.+
Avec un plaisir évident, le chef de meute des Gardes-Loups fit signe à ses
hommes d’avancer. Quelques secondes plus tard, le crépitement des champs
d’énergie et le bruit sourd des poings énergétiques furent suivis du bruit de
la céramite brisée. Méthodiques et brutaux, les Space Wolves fracassèrent
les monticules de restes de Thousand Sons. Arjac chanta un skelt guerrier
pour s’accompagner, administrant ses coups de marteau au rythme des
mots. Bjorn les rejoignit, sa griffe Éclair couronnée d’une aura de foudre,
chaque frappe ouvrant une plaie béante dans la cuirasse ou le casque d’un
légionnaire maudit.
Autour d’eux, l’air frémissait d’âmes à demi visibles, une brève brise
psychique évoquait des gémissements décousus de désespoir.
— Elle survit, d’une certaine façon, dit Njal à Izzakar, à l’écart des autres
qui continuaient leur tâche brutale. Tu croyais ce que tu voulais bien croire,
traître prosperin. Je t’avais dit que Magnus avait failli, mais tu ne voulais
pas en entendre parler. Contemple ses méfaits et constate la vérité.
Avec les derniers rayons du soleil caressant les flancs brisés de la Pyramide
de Photep, son ombre immense s’étirant sur les plus petits bâtiments et
bibliothèques qui l’entouraient, la colonne venue de la zone d’atterrissage
rejoignit le périmètre protégeant la faille du portail. Des douzaines de
thralls et trois autres meutes hétéroclites de Chevaucheurs de Tempête
renforcèrent les patrouilles et la surveillance des points stratégiques d’accès
à l’édifice colossal.
Njal contacta Valgarthr par vox pour faire le point sur la situation devant la
Pyramide de Photep.
— La zone a été sécurisée, Seigneur des Runes, rapporta le chef de meute
vétéran. L’ennemi s’est dispersé. Je ne lui ai pas donné chasse, préférant
surveiller votre position.
— Oui, tu as eu raison. Il est impossible de savoir combien de ces maudits
traîtres se cachent derrière le voile. Quand nous aurons libéré Bulveye et ses
frères, il est possible que nous ayons la force de purifier ces ruines. Sinon,
Tizca pourra attendre la colère finale des Space Wolves.
Les attaques des cultistes s’étaient pratiquement arrêtées. Çà et là, dans
l’obscurité, un tir de laser jaillissait et un bolter faisait feu en réponse. Avec
leurs autosens multispectres et leurs viseurs traqueurs de mouvements, les
space marines étaient plus que capables de se battre de nuit aussi bien que
de jour. Les cultistes ne l’étaient pas, et limitaient leurs assauts sporadiques
aux zones éclairées par la lueur de warp qui perçait à travers les fissures
dans les murs des pyramides et tombeaux de livres.
Valgarthr rejoignit Njal et Arjac à la faille principale avec une escouade de
Chevaucheurs de Tempête. Leurs armures présentaient des traces de luttes
récentes et étaient souillées de sang versé au combat rapproché. Ils avaient
l’air encore plus dépenaillés qu’à leur départ de Fenris, certains avec des
blessures fraîches, d’autres avec des maux anciens exacerbés par le combat.
Malgré cela, leur moral était excellent, revigoré par le conflit, leurs cœurs
rendus légers par l’opportunité de se battre à nouveau pour le Père-de-Tout
et Russ.
— La situation sur le périmètre s’est calmée, Maître des Tempêtes, dit à
Njal le vieux chef de meute.
On avait dégagé les armures brisées du culte Raptora des Thousand Sons,
dont certaines pièces avaient été mises de côté par les technoprêtres pour un
recyclage ultérieur. On en avait aussi scellées certaines ensemble
rapidement, avec de la mousse de plastek pour créer des barricades
improvisées devant les entrées du temple ; une fin infamante qui servirait
d’avertissement aux cultistes de Tzeentch.
Valgarthr tourna son œil valide vers le miasme ondulant de la brèche.
— Nous devons entrer là-dedans.
Njal savait qu’ils étaient à un moment décisif. Il ne l’avait pas vu, mais
avait repoussé cet instant, se tenant occupé avec les détails de la
sécurisation du site et les ordres aux Chevaucheurs de Tempête. Sa vision
psychique et les vols d’Aile-de-Nuit avaient fourni de précieuses
informations sur les cultistes qui se regroupaient et l’organisation des
bâtiments brisés autour de leur position.
Mais désormais, il fallait avancer dans l’inconnu. Il pensa à ce qui était
arrivé aux Thousand Sons qui avaient émergé de la brèche, et à la Vieille
Garde toujours à l’intérieur. Si les Chevaucheurs de Tempête entraient, en
sortiraient-ils jamais ?
+Je peux te guider. Tout comme j’ai ouvert ce passage, je vais t’aider à
trouver tes frères perdus. Tu dois me faire confiance, Maître des Tempêtes.+
Le soudain enthousiasme d’Izzakar était suspect. Njal était sûr de ne pas
pouvoir faire confiance au sorcier, mais il était tout aussi certain de ne pas
avoir d’autre choix. Peu importaient les intentions d’Izzakar, les Space
Wolves étaient venus sur Prospero dans ce but, et la seule façon de
continuer était d’aller au-delà de la barrière fluctuante.
— Nous entrons, dit-il à ses compagnons.
— J’entre le premier, Maître des Tempêtes, insista Valgarthr.
Sa meute se rapprocha de son chef et offrit silencieusement son appui et
son approbation à sa déclaration.
— Nous sommes la moindre perte, si cela devait mal se passer.
— Aucune perte n’est mineure, chef de meute, dit Bjorn, s’avançant
derrière les Chevaucheurs de Tempête. Et n’importe quel guerrier dont les
valeureux états de service sont comparables aux tiens a la valeur de dix
hommes.
+Envoyez vos thralls,+ suggéra Izzakar. +Ce sont les moins importants de
vos troupes.+
Njal ignora l’opinion froide du sorcier et leva son bâton. Aile-de-Nuit
s’envola de son épaule pour se percher sur l’extrémité en forme de crâne,
croassant bruyamment.
— J’ai des yeux qui peuvent voir derrière le voile. Personne n’a besoin de
risquer sa vie à s’y essayer.
Avec Lukas qui, bien qu’il fût en permanence en tête de ses compagnons,
n’était absolument pas en train de mener l’assault, les Griffes Sanglantes
restaient en mouvement. Ils s’ouvraient un chemin dans les hordes de
cultistes qui se regroupaient, évitaient des embuscades potentielles par la
simple méthode qui consistait à avancer trop rapidement pour que les
ennemis puissent les attendre. Lukas et ses frères de meute bondissaient à
travers les volées de balles et de décharges lasers en faisant feu à tout va. Ils
montèrent en courant des escaliers et sautèrent de mezzanines en galeries
pour atteindre les tireurs d’élite et les commandos qui essayaient de les
viser de loin. Ils plongèrent dans des contre-allées pour éviter des feux
croisés d’armes lourdes et se précipitèrent le long de souterrains pour
prendre à revers des groupes entiers. Faisant des allers-retours, attaquant
comme au hasard, la meute se tailla un chemin sanglant à travers la zone
portuaire, jusqu’à ce que le fracas du combat se taise. Ils ne s’arrêtèrent que
quand les rues furent vides de tout autre ennemi que ceux qui agonisaient en
grognant sous les étoiles indifférentes de la nuit prosperine.
Leurs armures et leurs armes étaient gluantes du sang des cultistes, et ils
avaient utilisé presque la moitié de leurs munitions. Sur les suggestions de
Lukas, ils prirent possession de la cave d’un immeuble d’artisan près de la
darse profonde où les navires les plus grands avaient un jour été amarrés.
On avait vidé les quais des moindres grues et portiques, et même les
boulons de fixation avaient été emportés. Les trous profonds et les rails nus
étaient la preuve de l’industrie massive qui y avait un jour fleuri.
C’est là que les Griffes Sanglantes firent le point sur leur situation.
— Ils doivent utiliser le Portail Labyrinthe, dit Bahdr.
C’était depuis une fortification de l’autre côté de la baie artificielle que
Lukas avait vu surgir la majorité des cultistes et mutants.
— Merci de suivre, répondit Lukas. Bien sûr qu’ils utilisent le Portail
Labyrinthe. Ce grand bâtiment là-bas était jadis le centre de commandement
du port. Il doit y avoir un passage à l’intérieur.
— Comment sais-tu ça ? demanda Jerrik.
— Il se peut que j’aie regardé quelques plans quand nous étions à bord du
Longriffe, répondit Lukas. Personne n’a dit qu’ils étaient secrets.
— Tu les as mémorisés ?
— C’est merveilleux ce que ces cerveaux améliorés dont nous sommes
dotés sont capables de faire pour peu qu’on essaie, dit Lukas en se tapotant
le crâne du bout de sa griffe désactivée, faisant semblant de se l’enfoncer
dans la tempe. Saviez-vous que parmi les tribus de Fernis, il y a au moins
quarante-huit variantes de Le harpon rouillé de Thegn ?
— Nous devons entrer là-dedans et essayer de désactiver ce portail, dit
Gudbrand.
— Une sagesse digne du Père-de-Tout, dit Lukas, qui administra une
claque sur l’épaule du Griffes Sanglantes.
— Hum, Lukas… ?
L’interruption venait de Agthei, qui traçait du doigt quelque chose sur
l’écran de l’auspex que Lukas lui avait donné, un appareil que le Trompeur
avait dérobé à l’une des escouades de Chasseurs Gris de Valgarthr dans
l’idée qu’il lui serait utile à un moment ou à un autre.
— Oui, Agthei ?
— Je viens d’entrer les coordonnées de notre position, et il a tracé la route
que nous avons prise pour venir jusqu’ici.
— Capture de données positionnelles standard, dit Lukas d’un air
innocent. Et ?
— Eh bien… Aghtei bascula l’appareil sur le côté. Si on le tourne comme
ça, notre chemin ressemble un peu à des runes fenrissiennes.
— Elles disent quoi ? demanda Artyn.
— Ce sont les symboles pour un élan qui…
— Quelle coïncidence, l’interrompit Lukas, retournant vers l’encadrement
de la porte extérieure de la cave d’où il pouvait voir tout l’espace des quais.
Viens ici, fais un meilleur usage de ce truc et fais-nous un balayage de cet
immeuble.
Il donna une claque sur l’épaule d’Aghtei et le poussa dans la rue. Le
Griffes Sanglantes ajusta les réglages de l’auspex, tout en marmonnant des
mots apaisants à l’esprit de la machine pour s’excuser des blasphèmes de
Lukas. Le reste de la meute observa les immeubles alentours et ce qui avait
été la façade maritime et qui n’était plus qu’une étendue de terre aride qui
s’étendait jusqu’à l’horizon, cuite par le soleil et craquelée.
— Aucun signe, rapporta Aghtei. Aucun signe de rien.
Lukas jeta un œil par-dessus l’épaule du plus jeune space marine, certain
que le Griffes Sanglantes avait reçu l’entraînement approprié pour utiliser
l’auspex, mais néanmoins surpris. L’analyse était juste : pas une seule
signature n’émanait de la capitainerie. Lukas observa le bâtiment au loin et
essaya de voir dans les ombres à l’intérieur, à travers les grandes ouvertures
où des panneaux de verrite s’étaient jadis trouvés. Il crut voir un éclair
bleuté sur un mur intérieur.
— Il n’y a qu’une seule façon de s’en assurer, déclara-t-il avant de se
tourner et d’adresser un sourire en coin à Gudbrand. Tu penses toujours
qu’on devrait aller enquêter ?
— Oui, dit le Griffes Sanglantes en hochant la tête.
— Parfait. C’est trop calme par ici, allons chercher les ennuis.
CHAPITRE 12
LE DÉDALE DE PROSPERO

Njal observait, par les yeux de son psyber-corbeau, le voile moiré qui se
tenait entre eux et les mondes inconnus du Portail Labyrinthe. Il inspira
calmement et laissa un peu plus de son pouvoir couler dans son familier,
l’emplissant de ses pensées et de sa volonté.
+Laisse-moi voir.+
— Tu ne le peux pas ?
+Seulement avec les yeux qui sont dans ta tête. Tes pensées me sont à
nouveau fermées. Laisse-moi voir ce que tu vois et je t’aiderai.+
Le sorcier avait tenu parole quand il s’était agi d’inverser le portail pour
détruire les cultistes. Comparé à l’abandon provisoire de sa voix et de ses
membres, permettre à une minuscule partie de l’éclat psychique d’Izzakar
de se lier à Aile-de-Nuit lui semblait un risque modéré.
Il rassembla ses pensées, isolant la petite partition qui abritait le fragment
d’âme d’Izzakar, comme il l’avait fait durant l’ouverture du portail. Il laissa
la plus infime particule de conscience traverser le mur qu’il avait érigé,
utilisant son propre pouvoir psychique pour le siphonner dans le système
nerveux du psyber-corbeau.
+Vraiment remarquable. Mes frères de la secte Corvidae seraient…+ La
pensée dériva. +Ils sont morts. Ou corrompus.+
Njal mit Aile-de-Nuit en mouvement avec un effort minime. Le psyber-
corbeau fit des allers-retours devant le trou béant dans la réalité, passa deux
fois devant la faille, yeux et augures psychiques à la recherche du moindre
signe de ce qui se trouvait au-delà.
— Que vois-tu, Navigatrice ?
Majula retira son bandeau, qu’elle avait remis pendant que les Space
Wolves avaient vaqué à leurs tâches. Elle se rapprocha de quelques pas et
plongea son regard dans les profondeurs de la faille. Sous la direction de
Njal, Aile-de-Nuit décrivit des cercles à plus haute altitude, hors de portée
d’un contact accidentel avec le regard provocateur de folie du troisième œil
de la Navigatrice. Cependant, même ainsi, le souffle de pouvoir fit l’effet
d’une brise chaude dans les plumes du familier et les ébouriffa au passage.
— Rien, comme auparavant, Seigneur des Runes, lui dit Majula. Une
obscurité éternelle. Un abîme entre les royaumes.
— Très bien, poursuivons un peu plus loin.
Il inspira à nouveau profondément et dirigea Aile-de-Nuit vers la brèche.
Le peu qu’il restait d’oiseau en lui tenta d’esquiver le mur d’énergie
crépitante, mais le Maître des Tempêtes fit pression sur ses instincts
basiques, et le corbeau s’engouffra dans la brèche.
Traverser le voile était une sensation fugace, très différente de ce à quoi
Njal s’était attendu. Après une vie entière de translations dans le warp, il
avait cru qu’il subirait une sensation de dislocation, peut-être un malaise ou
de la dissociation. À travers les sens d’Aile-de-Nuit, il ne sentit… rien. Rien
de plus que s’il était rentré dans une pièce voisine. Un simple changement
de perspective. Une baisse de température. Un peu moins de lumière
ambiante.
— Sommes-nous vraiment à l’intérieur ?
+Oui, dans la ceinture de démarcation.+
Le hall avait la même apparence que de l’autre côté, sauf quand il se
retourna pour regarder les Space Wolves. Njal vit leur lumière wyrdique
briller à l’intérieur d’eux. Chez la plupart, ce n’était qu’un soupçon de
couleur, leur âme faible et enfermée dans la cage de leur discipline rituelle.
Les Dreadnought luisaient au niveau de leurs peaux de loup et talismans,
alimentés par le ulfwyrd : des millénaires de respect et d’admiration qui
s’étaient accumulés dans ces machines de guerre qui leur servaient de corps
et dans leurs symboles totémiques.
Il vit Majula, avec une étoile de clarté aveuglante au milieu du front,
heureusement étouffée par son bandeau.
Et, à ses côtés, lui-même. Il avait l’habitude d’apercevoir son propre corps,
si imposant à côté d’elle, ses cheveux roux fous et désordonnés. Ce qui le
stupéfia fut l’apparition dorée qui flottait au-dessus de son épaule.
Indistincte, mais gagnant en netteté quand il se concentra, la silhouette
monochrome et parfaitement reconnaissable d’un archiviste des Thousand
Sons. Non pas quelque sorcier à casque à cornes ou hérétique mutant, mais
un space marine au visage grave, avec un tabard brodé de runes par-dessus
son armure et une rangée nette de symboles sur son plastron.
+Remarquable.+
Cette image contredisait l’impression que Njal s’était faite de son hôte.
Pas l’impression, se rendit-il compte. Ses préjugés. L’image qu’il s’était
faite d’Izzakar venait entièrement des sagas de Prospero et de dix mille ans
d’inimitié.
Une inimitié que les Thousand Sons avaient méritée, se rappela-t-il, se
souvenant des ravages que Magnus et ses guerriers avaient causés sur
Fenris. Son humeur s’assombrit.
— Que veux-tu dire par ceinture de démarcation ?
+Le Portail Labyrinthe est construit sur un gradient. Plutôt que de plonger
dans l’abysse, on s’y enfonce par étapes. Ce n’est pas aussi simple qu’une
porte qui en mène à une autre, bien que cela puisse être le cas. Chaque
déplacement peut être utilisé pour s’enfoncer dans le labyrinthe, ou en
sortir. Comme une porte qui ouvre sur un seuil avec deux volées de
marches, laissant le choix de monter ou de descendre. Aller plus profond
veut dire aller plus loin, de telle manière que le troisième ou quatrième
portail peut mener à des dizaines d’années-lumière du point de départ. C’est
pour cela que la Vieille Garde a provoqué autant de dégât avec leur saccage.
Plus ils trébuchaient, plus ils s’enfonçaient, jusqu’à atteindre le cœur du
Portail Labyrinthe.+
Njal dirigea Aile-de-Nuit autour du hall, et sa vision ondula et s’inversa
comme s’il traversait son reflet sur la surface d’une eau agitée. Il vit un
socle, d’une cinquantaine de centimètres de haut, orné de trois symboles
d’argent et auquel menaient deux marches. Il se souvint de la stèle
qu’Izzakar avait activée et en conclut que cette pierre dressée devait être
son équivalent au sein du Portail Labyrinthe.
Le psyber-corbeau voleta autour du socle, mais Njal fut attentif à ne pas
passer au-dessus.
— Ce cœur, c’est là que je trouverai mes frères perdus ?
+C’est là que tu trouveras mon corps. Et le dernier endroit où ils se
trouvaient. Ils étaient proches, pour autant que le concept de proximité
existe à l’intérieur du labyrinthe. Bien que pour eux il ne se soit passé
qu’une fraction de ces dix mille ans, ils ne sont pas restés inactifs dans le
temps qui s’est écoulé pour eux.+
— Nous devons donc nous enfoncer ? Loin dans la ceinture ?
+Oui. Pour atteindre le cœur, il faut franchir au moins huit portes. Enfin, je
devrais dire qu’il m’en a fallu autant. Qui sait quelle nouvelle destruction
l’intrusion de tes guerriers a provoquée ?+
Maintenant qu’il s’habituait au rythme naissant du labyrinthe, Njal pouvait
distinguer plus de choses dans l’encadrement du passage brisé. Il vit une
autre pièce, assez semblable à celle qu’ils occupaient, mais plus petite, avec
des fenêtres en triangles pointant vers le bas et qui montraient les districts
au-delà.
— Les cultistes ne se sont pas jetés à l’aveugle de ces portes. Ils avaient
une idée de ce qu’ils faisaient. Guidés, je dirais.
+Indubitablement. Seul Magnus comprenait véritablement le dédale du
Portail Labyrinthe. S’il les a imprégnés d’une partie de son pouvoir, ces
secrets sont à leur portée. Si les dégâts sont aussi importants que je le
crains, il risque d’y avoir aussi d’autres ennemis.+
— Plus de Thousand Sons ?
+Je pensais plus à des choses semblables à celles qui t’ont attaqué dans le
champ de Geller.+
— Des démons ?
+Oui. Des démons.+
Izzakar prononça le mot comme s’il l’essayait, et Njal se rappela que,
même pour les Thousand Sons, la terminologie du Chaos et des sombres
sbires du warp n’était entrée dans l’usage qu’après la défaite d’Horus. Le
Maître des Tempêtes avait parfaitement conscience que même à son rang
élevé, il y avait plus de choses qu’il ignorait que de choses qu’il savait,
concernant ce sujet. Cependant, du temps du Roi Loup, même le concept de
démons n’avait pas été admis.
— Alors, dis-moi, ce Portail Labyrinthe, est-il réel ou fait de wyrd ?
+Je ne comprends pas la question.+
— Ici, où Aile-de-Nuit se trouve, de l’autre côté du voile. Sommes-nous
réels ou immatériels ? Les démons seront-ils au sein du warp ou devront-ils
conjurer des corps physiques que nous pourrons détruire ?
+Je vois…+ Izzakar réfléchit à la question quelques secondes.
+Réels. Pour l’essentiel. Le Portail Labyrinthe est similaire au champ de
Geller sur certains points. Il crée des couloirs de réalité. Pense à ces
connexions comme à des poches de matérialité physique. Bien que brisé en
maints endroits, il n’est pas constitué de warp.+
— Cela nous facilitera un peu la tâche.
Njal redirigea son attention d’Aile-de-Nuit vers son propre corps, aussi
simplement qu’une personne ordinaire pouvait faire passer son poids d’un
pied à un autre.
— Valgarthr, Arjac, Bjorn. Préparez vos guerriers. Le Portail Labyrinthe
est dangereux, et pas uniquement en raison des adversaires qu’il abrite.
Nous devons rester groupés. Quiconque s’écartera sera perdu. Notre
mission est simple. Nous localisons Bulveye et la Vieille Garde et nous
sortons avec eux. Tout le reste, tout ennemi que nous rencontrerons, sera
secondaire par rapport à cet objectif.
Arjac indiqua son accord d’un signe de marteau et Valgarthr par vox.
— Nous sommes prêts, dit Bjorn. J’irai là où je n’ai pas encore pu aller.
Le Maître des Tempêtes se tourna vers Majula quand celle-ci remit son
bandeau.
— J’espère que tu te joindras à nous. Nous nous aventurons sur un
territoire aussi immatériel que réel, et tes dons nous seront précieux. Je ne
t’y contraint pas et si tu décides de rester ici, mes guerriers tout comme les
tiens assureront ta protection.
La Navigatrice observa la cascade céruléenne. Elle inspira profondément
et Njal remarqua que ses mains tremblaient à l’intérieur de ses longues
manches.
— Reste là, insista-t-il. Personne ne te jugera.
— Non.
Majula leva le menton, ses lèvres sombres pincées fermement. Njal activa
son vox sur le canal de commandement.
— Aldacrel, nous sommes sur le point d’entrer dans le Portail Labyrinthe.
Tu es le plus haut gradé sur Tizca. Le commandement te revient.
— Compris, Maître des Tempêtes. Nous tiendrons le centre-ville jusqu’à
ton retour.
Njal marqua une pause. Il hésita sur la manière de formuler ce qu’il devait
dire ensuite.
— Il se peut que nous ne revenions pas, dit-il au Prêtre de Fer. Je ne sais
pas combien de temps nous serons partis, et je te laisse juge de votre départ
éventuel. Nous sommes venus sur Prospero pour consolider nos forces, pas
pour en sacrifier.
— Par le Père-de-Tout, nous nous battrons aussi longtemps que nous le
pourrons.
— Si tu penses que votre position est intenable, tu dois battre en retraite.
Tu dois maintenir la route vers le champ d’atterrissage ouverte, vous ne
pouvez pas vous permettre d’être pris au piège. C’est une mission de
sauvetage, pas un combat à mort. Je te l’ordonne. C’est clair ?
— Entendu, Maître des Tempêtes. Pas de folies héroïques de notre part,
c’est promis.
— Que votre combat honore le Père-de-Tout.
— Puisse-il vous guider dans les sombres domaines où vous devez vous
rendre, répondit le Prêtre de Fer avant que la communication ne soit
coupée.
— Chevaucheurs de Tempête ! Njal observa ses guerriers, fier d’être en
leur compagnie. Nous nous aventurons sur des mers inconnues, avec
seulement notre intelligence et la sagesse du Père-de-Tout pour nous guider.
Quelles que soient les difficultés qui nous échoiront, nous sommes à leur
hauteur. C’est maintenant que notre saga commence vraiment.
L’escouade de Valgarthr se précipita pour être la première à traverser la
brèche, bien qu’à travers les yeux d’Aile-de-Nuit, Njal ne pouvait détecter
aucune menace de l’autre côté. Alors que les bordures du champ d’énergie
caressaient les armures des Chevaucheurs de Tempête, Arjac eut une
question.
— En parlant de difficultés, quelqu’un a-t-il la moindre nouvelle de ce
feignant de Lukas ?
— Probablement planqué quelque part, Poing de Pierre, répondit Sven
Heaume-Fendu. Tu connais le Loup-chacal, jamais là où on a besoin de lui.
Le centre de commandement du port ressemblait à un cône inversé au-
dessus d’un haut pilier, surplombant tous les autres bâtiments des quais. Les
niveaux les plus élevés n’étaient guère plus que des squelettes de piliers en
ferrobéton et poutres, les immenses fenêtres qui avaient permis aux
contrôleurs d’observer le port avaient été emportées des millénaires
auparavant, si elles avaient seulement résisté à l’attaque du Roi Loup.
Le pilier principal, qui mesurait presque les deux tiers de sa taille
originelle, n’était ponctué que de quelques orifices étroits. L’intérieur était
sombre lorsque les Griffes Sanglantes franchirent le seuil, barré jadis par de
larges portes. Il y avait des traces fraîches dans la cendre et la poussière, des
empreintes de pieds et de griffes sur le sol, mais l’auspex d’Aghtei
continuait à n’indiquer que des analyses négatives. Au centre de la colonne
se trouvait un autre pilier creusé de quatre conduits qui avaient un jour
abrité des transporteurs. Toute trace de mécanisme ou de chaîne, cage et
frein avait disparu. Des trous dans les murs indiquaient l’ancien
emplacement d’échelons métalliques.
— Il y a des escaliers, par là, dit Agthei, les yeux rivés sur l’affichage
hésitant de son scanner.
Il indiqua une ouverture située derrière la colonne de transporteur, qui
ressemblait à une zone de maintenance. Les marches de ferrobéton brut qui
menaient aux étages étaient trop étroites pour qu’ils puissent avancer
autrement qu’un par un, bien qu’un escalier jumeau se situât à l’opposé du
couloir.
— On se sépare ? proposa Bahrd.
— On devrait rester groupés, rétorqua Aghtei.
Il se tourna vers Lukas pour un soutien, ou peut-être une confirmation. Le
Trompeur ne lui offrit qu’un haussement d’épaules nonchalant.
— Ensemble, approuva Gudbrand.
Il se passa quelques secondes pendant lesquelles les autres en débattirent
entre eux, mais on parvint à un consensus quand Lukas s’avança vers les
marches et que les autres le suivirent. Il pointa une griffe vers Agthei.
— Si ton truc fait le moindre couinement, tu me le dis immédiatement.
— Bien, chef… euh, Lukas.
Le Trompeur s’engagea dans l’escalier en colimaçon, son pistolet à plasma
en main, sa griffe prête à frapper. Il traversa de petits paliers ouvrant sur des
couloirs flanqués de petites pièces de chaque côté, qui avaient probablement
été des cellules cléricales à la grande époque de Tizca.
Ils atteignirent le premier étage des niveaux supérieurs, plus larges, et
Lukas perçut un changement, un frisson de tension dans l’air. Comme de
l’électricité statique dans ses cheveux, il put percevoir les émanations
surnaturelles du portail avant de le voir. Il émergea du palier sur le passage
qui menait à l’avant du bâtiment.
Le bip de l’auspex résonna dans l’étroit couloir.
— Lukas ! s’exclama Aghtei au même moment.
Le Trompeur se figea, bougea légèrement son pistolet à plasma et observa
le passage qui bifurquait du couloir juste en face de lui.
— Chaleur et mouvement. Source unique, l’informa Agthei en dépassant
Gudbrand pour aller se tenir aux côtés de Lukas.
Le Griffes Sanglantes manipula les commandes de son scanner afin
d’obtenir une analyse plus précise.
— La signature est en train de changer… non, elle s’est stabilisée. Du
mouvement à vingt mètres. Je dirais une armure énergétique.
— Si vous voyez le moindre signe de bleu, ouvrez le feu, murmura Lukas,
parlant des livrées des traîtres Thousand Sons.
Les bips de l’auspex s’accélérèrent à l’approche de la source. Agthei fit
passer son arme dans son autre main, et sur la gauche de Lukas, Gundbrand
se prépara aussi à agir. Derrière eux, les autres Griffes Sanglantes
sécurisèrent les escaliers et une porte de l’autre côté du palier.
Lukas pouvait apercevoir la lueur diffuse du portail à travers l’arche la
plus éloignée. Une ombre la traversa. Un bruit de bottes résonna dans le
couloir.
La silhouette qui apparut était vêtue de bleu gris. Elle arborait le blason
des Space Wolves sur l’une de ses épaules et celui des Chevaucheurs de
Tempête sur l’autre. La moitié de son visage était un assemblage de
bioniques épars, d’agrafes et de bandages en plastek.
Valgarthr.
Les lèvres du vétéran grimacèrent dans une approximation de sourire.
— Ah, c’est toi, mon frère. Il se tourna à moitié, pointant du menton la
direction dont il venait. Les autres sont par là. Venez.
Le chef de meute disparut au bout du hall. Lukas se pressa à sa suite tandis
que Gundbrand assemblait la meute et le suivait.
Valgarthr les entraîna dans une pièce qui couvrait toute la largeur de
l’étage, une quarantaine de mètres, qui avait peut-être été jadis richement
décorée, mais était désormais dépourvue de tout embellissement ou
commodité.
Sauf pour le portail.
Un socle doré était placé sur un côté, des runes prosperinnes gravées sur
son flanc. Il était surmonté d’une aura miroitante de lumière et d’ombre,
non pas noire et blanche, mais une fluctuation lointaine de la luminosité,
comme les rayons du soleil qui passaient entre des feuilles agitées par le
vent.
Valgarthr se tint devant le portail, un pied sur le socle. Il fit signe à Lukas
de s’approcher.
— Vite.
Lukas s’arrêta à quelques pas de lui et tendit l’oreille pour guetter l’arrivée
des autres. Ses yeux ne quittèrent jamais Valgarthr, et quand celui-ci se
tourna pour saluer le reste des Griffes Sanglantes, Lukas leva son pistolet à
plasma et ouvrit le feu.
La décharge azur frappa Valgarthr à la tête et éclata sur le crâne blessé.
L’explosion ouvrit le space marine en deux et le projeta à l’autre bout de la
pièce.
Les Griffes Sanglantes éclatèrent en cris accusateurs autour de Lukas qui
se précipita vers l’avant, griffe prête. Là où Valgarthr avait chu se trouvait
une créature difforme et grouillante. Elle semblait porter une armure
énergétique grise, mais la blessure ouverte par le tir de plasma était une
masse bouillonnante de bleu, rose et vert, tournoyante sur elle-même.
Un œil se matérialisa à travers le symbole de tête de loup sur le poitrail
détruit et observa Lukas de sa sinistre pupille rouge. Le Trompeur fit un
nouveau pas en avant et la chose fut prise de convulsions quand des
membres tentaculaires jaillirent de son dos pour lui permettre de déguerpir.
Lukas se lança à sa poursuite tout en maudissant la lenteur de la recharge
de son pistolet. Les tirs des Griffes Sanglantes fusèrent et explosèrent contre
la fausse armure et la chair démoniaque qu’elle révélait. Chaque détonation
détruisait un peu plus le déguisement, le mécanique laissait place à une
matière organique grouillante.
Soudain, le démon métamorphe changea de direction et se jeta sur Lukas.
Les éclats de fausse céramite se changèrent en lames de dagues. Il donna un
coup de griffe juste à temps et entra en contact avec la créature là où
l’abdomen de Valgarthr s’était trouvé. De la matière démoniaque
éclaboussa le Trompeur, le fluide gluant s’enroula le long de sa griffe et de
son bras, se tordit, s’enfla et se coula autour de lui. Il frappa à nouveau,
esquiva et para, alors que de plus en plus d’aiguillons et de barbelures
apparaissaient pour s’écraser contre son armure, griffer son visage exposé.
Le grondement douloureusement proche d’une épée tronçonneuse l’avertit
de l’attaque de Bahrd, et il esquiva au moment même où l’arme du Griffes
Sanglantes s’enfonça dans la créature, taillant en profondeur dans son torse
dans un jet de gouttelettes immatérielles. La chose relâcha sa prise et
emporta des fragments de la gorge de Lukas en reculant d’un bond, boitant
sur ses appendices filiformes, les restes atrophiés de ses bras et jambes
traînant derrière elle mollement, comme une combinaison vide alors que de
nouveaux impacts de bolts s’écrasaient sur son torse et ses membres.
Elle tituba, poursuivie par les Griffes Sanglantes, vacilla à droite et à
gauche en cherchant un abri dans le hall vide. Des lambeaux de manteau
bleu volaient dans le sillage de sa monstrueuse silhouette tandis que des
étincelles de feu warp parcouraient ses plaies.
— Gardez vos munitions, suggéra Lukas.
Il bondit, griffe brandie, suivi par le redémarrage des moteurs des épées
tronçonneuses et de tous les autres.
Il ne leur fallut que quelques secondes pour achever le démon. Ils
dispersèrent les morceaux sur le ferrobéton brut. Herlief éradiqua le reste
avec un jet de prométhium de son lance-flammesss. Ils regardèrent les
débris enflammés fondre, personne ne sachant trop quoi dire.
Bahrd rompit le silence.
— Comment savais-tu que c’était un démon ? L’as-tu reniflé, vu quelque
chose, goûté dans l’air sa nature maléfique ?
— Vous avez tous vu comme moi son sourire, dit Lukas.
Il se retourna, inquiet que personne ne surveille le portail. Celui-ci pulsait
comme avant, mais semblait dormant.
— Personne n’a jamais l’air heureux de me voir.
Personne ne contesta cette vérité immuable et ils suivirent Lukas vers le
socle.
— Comment fait-on pour le détruire ? demanda Gundbrand, regardant le
portail pulsatile. Des bombes à fusion ?
— S’il a résisté à la dévastation du Rout, je doute que nous ayons les
moyens de le briser, dit Lukas.
Le reste des Griffes Sanglantes se rassembla autour du portail comme une
meute se refermant sur une proie. Lukas pouvait sentir leur impatience, leur
soif de sang réveillée par le combat contre le démon. C’était ce même
sentiment qui faisait tambouriner son cœur.
Lukas posa un pied sur le socle.
— Cette… chose a essayé de nous attirer dans le portail, averti Agthei.
C’est sûrement un piège.
— Bien sûr que c’en est un, répondit Lukas en faisant un autre pas en
avant, à quelques centimètres à peine de l’aura malsaine qui marquait la
limite du portail. Vous voulez découvrir ce qui nous attend là-dedans ?
— Tous ensemble, une frappe rapide, dit Herlief. Il se plaça à côté de
Lukas, son lance-flammesss libérant quelques flammèches de sa veilleuse
d’allumage. Les autres se rapprochèrent, leurs armes au clair, comme des
crocs découverts.
— Pour Russ ! hurlèrent-ils.
Et ils plongèrent dans le tourbillon.
+Je sais ce que je fais. Pas toi.+
À contrecœur, Njal permit à Izzakar de prendre à nouveau le contrôle de
son corps, juste assez pour parler à voix haute et bouger ses bras et ses
jambes. Il détestait la sensation d’impuissance quand il accordait cette
liberté au sorcier, mais Njal haïssait encore plus sa présence continuelle, et
c’était pour cela qu’il permettait au traître ces brefs moments de contrôle.
C’était, hélas, la seule façon de progresser dans le labyrinthe.
L’Archiviste des Thousand Sons plaça ses doigts écartés dans la lumière
de la porte wyrdique et laissa la lueur blanche étinceler entre eux. Un doigt
tressauta, puis un autre, avec précision plutôt que sous l’effet d’un spasme,
et à chaque mouvement, l’une des runes gravées dans la roche changeait de
forme. Le Maître des Tempêtes sentit grandir la résistance du pouvoir
wyrdique au fur et à mesure qu’Izzakar réglait la porte vers une autre
direction.
— Ahmet aton ahmet utuhl ared autah eitas aret ahmet, entonna Njal, de
sa propre voix, mais sans comprendre les mots. Ses lèvres et sa langue
semblaient maladroites sur les syllabes inconnues.
Aussi étrange que cela fut pour lui, il savait que ça l’était encore plus pour
ceux qui l’entouraient. Il aperçut Arjac tourner brusquement son regard vers
lui, marteau brandi. Les Gardes-Loups répondirent à un ordre que le Maître
des Tempêtes n’entendit pas et s’approchèrent un peu plus. Si on ajoutait à
cela son comportement précédent, il devenait évident que Poing de Pierre
n’avait pas été envoyé par le Loup Suprême uniquement pour protéger Njal,
mais aussi pour le surveiller. À en juger par la réaction d’Ulrik, n’importe
quelle action légèrement inhabituelle pouvait être considérée comme
contraire à l’honneur et au devoir envers le Chapitre. Njal devrait garder
cela à l’esprit au cas où un tel réflexe soupçonneux se révélerait une
entrave, bien qu’il comprît les ordres de Logan Grimnar et la préoccupation
d’Arjac.
Izzakar acheva ses manipulations avec un geste théâtral de la main. Les
symboles avaient tous changé et étincelaient d’une lueur verte sur la pierre.
Il y eut un moment d’hésitation, un instant fugace avant que l’archiviste ne
retire son influence et retourne dans le creux à l’intérieur de l’esprit de Njal
qu’il avait fait sien, telle une araignée se retirant dans son antre après avoir
capturé sa proie.
— Nya fjel wyrd alt, Arjac sleip neva, dit Njal à ses compagnons.
Il leur parla en fenrissien pour les rassurer sur qui était aux commandes.
Poing de Pierre ne se détendit pas, mais se tourna vers la lueur de jade du
portail.
— Ça mène où ? demanda le Garde-Loup.
+En territoire familier. Un endroit que je connais bien, pour me permettre
de retrouver mes marques. La Pyramide d’Ahtep-Luxanhtep, le temple du
culte Raptora.+
— Une autre pyramide, répéta Njal aux autres. Suivez-moi.
Il monta sur le socle et s’enfonça dans la lumière ondulante.
Le hall dans lequel les Space Wolves furent transportés était à ciel ouvert,
les encadrements triangulaires de ses fenêtres vides. Le verre brisé sous
leurs pieds se transforma en poussière quand ils marchèrent. Les sens
wyrdiques de Njal ne remarquaient rien d’étrange, et il en conclut qu’ils
étaient quelque part dans l’univers matériel, comme Izzakar l’avait assuré.
La vue qu’offraient les vitres brisées était celle de la Pyramide de Photep au
loin. La lumière des premières étoiles ricochait sur ses flancs.
— Ne sommes-nous pas dans le labyrinthe ? murmura-t-il.
+Il n’y a pas de labyrinthe dans lequel être, espèce de sauvage. Les portails
existent dans notre monde. Le labyrinthe n’est que le lien entre ici et là-
bas.+
— Mais tu disais que le temps s’écoule différemment à l’intérieur du
labyrinthe, là où toi et Bulveye êtes enfermés.
+Oui. Certains de ces endroits qui peuvent être ici ou là-bas sont à la limite
de l’espace warp, et certains portails sont brisés, ce qui permet à de l’anti-
materium de s’infiltrer. Mais le labyrinthe est une construction physique, à
l’exception de son cœur.+
Un bruit de pas derrière lui fit se retourner Njal. Le socle qu’il avait
traversé n’était plus. À sa place se trouvait une arche de quatre mètres de
haut sur trois de large, sculptée en forme de deux ailes d’aigle déployées, et
qui formait le portail duquel Valgarthr et ses hommes émergèrent, des
étincelles d’énergie verte dansant sur leurs armures. Ensuite, la silhouette
massive de Bjorn traversa le passage. L’imposante machine de guerre
remplit soudain tout le couloir.
Njal tourna son attention sur leur environnement tandis que les deux autres
Dreadnought arrivaient de la Pyramide de Photep, fissurant sous leur poids
les dalles ornementales. Le hall était rempli de rangées d’étagères en pierre
dont les plus hautes atteignaient une douzaine de mètres. Il ne vit ni échelle
ni escalier, et les étagères elles-mêmes étaient vides.
+Tout a disparu.+ gémit Izzakar. +C’était le hierographica raptorae, des
siècles de recherche de notre secte. Détruits !+
— Hérétique, dit Njal en s’éloignant des autres. Corrompu. Purifié pour
protéger les autres.
+La sagesse n’est pas une infection. La connaissance est au-delà des
idéologies, espèce de barbare. L’hérésie n’existe pas, seulement la liberté de
penser et la volonté d’explorer. Pour qu’il y ait hérésie, il faut une foi contre
laquelle aller ! Tu agites ces termes à tort et à travers sans en comprendre la
véritable signification. C’est un réquisitoire sur le déclin de l’Imperium.
L’orthodoxie et le dogme ont écrasé les Lumières et la Vérité Impériale.+
Njal envoya Aile-de-Nuit vers la paroi inclinée et fissurée de la pyramide
qui constituait le plafond de la pièce. D’aussi haut, il put voir que les
archives étaient positionnées en carrés concentriques, traversés d’allées
menant à trois portes dans les autres murs.
— Je ne vois aucune marche vers les étages supérieurs, dit le Prêtre des
Runes.
+Que tu es prosaïque, engeance des bas-fonds. Nous autres Raptorae
sommes maîtres de l’interaction psykaphysique. La télékinésie. Nous
pouvions faire venir à nous, à volonté, cristaux et livres et nous pouvions
faire s’élever ou s’abaisser les plates-formes par la seule force de notre
esprit.+
— Où est le prochain portail ?
Il chercha à travers les yeux du psyber-corbeau quelque chose qui aurait pu
être un passage vers le Portail Labyrinthe, mais ne vit rien.
+Le prochain ? Nous devons utiliser celui-ci, imbécile ! Laisse-moi
recalibrer la destination. Chaque portail nous fait avancer, descendre les
anneaux du labyrinthe, comme des tremplins.+
Sa fierté encore heurtée par les insultes de l’ancien Archiviste, Njal fit
signe à ses compagnons de s’écarter et retourna vers l’arche. Il remarqua
l’expression inquiète d’Arjac et tenta de lui adresser un signe rassurant du
menton. Poing de Pierre ne sembla guère convaincu. Njal passa outre son
malaise et se concentra sur les mécanismes du portail.
Des symboles plus sombres ornaient les extrémités des trois plumes les
plus longues, de façon symétrique de chaque côté. Ils étaient identiques à
ceux qu’Izzakar avait arrangés de l’autre côté du portail, dans la Pyramide
de Photep.
— Donc on se contente de retourner vers là d’où nous venons ? demanda
Arjac.
+Non ! Les portails sont directionnels et contextuels. J’aurais besoin
d’entrer les coordonnées du temple principal, si on voulait y retourner. Mais
ce n’est pas là que nous devons aller, n’est-ce pas ? Laissez-moi juste me
mettre au travail et arrêtez de vous en mêler.+
Njal adressa un signe de tête négatif à Poing de Pierre et ravala sa réplique
au sorcier. Il tendit la main vers l’arche et libéra l’esprit d’Izzakar une
nouvelle fois.
Les deux portails suivants les menèrent à d’autres endroits de Tizca. À
chaque fois, Arjac restait sur les talons du Prêtre des Runes, telle une
ombre, non seulement prête à frapper à tout moment, mais servant aussi
d’avertissement à l’entité, quelle qu’elle fût, qui partageait le cerveau du
Maître des Tempêtes.
Depuis le sommet de la tour hexagonale nord de la Pyramide de Photep,
Poing de Pierre et Njal observèrent la bataille en cours. La plupart des
combats étaient dissimulés, mais le gros du conflit autour du temple
principal était visible le long d’une des grandes avenues.
Conduits par un tank de bataille Predator et trois Rhino, le reste des
Chevaucheurs de Tempête avaient dispersé les cultistes qui avaient essayé
de couper leur accès au centre-ville. D’autres thralls avançaient le long du
corridor tenu par les Space Wolves, des escadrilles d’escorteurs faisant
encore office de repoussoirs supplémentaires pour les fidèles de Magnus.
Un échange de feu nourri faisait toujours rage à l’angle sud-est des routes
d’accès, mais il semblait que la situation était parfaitement sous contrôle.
— En utilisant le portail de Photep et en le stabilisant correctement, nous
avons perturbé le réseau local pour les cultistes, dit Njal.
Les termes n’étaient pas familiers dans ce contexte, mais Arjac pensait que
c’était bien le Prêtre des Runes qui parlait. Il supposait que Njal avait
emprunté ces phrases au sorcier.
— Certains d’entre eux sont pris au piège dans le labyrinthe. Les autres
vont avoir des difficultés à se coordonner jusqu’à ce qu’ils regagnent le
contrôle.
Poing de Pierre ne dit rien, il s’écarta d’un pas pour permettre au Maître
des Tempêtes de s’occuper du réalignement du portail par lequel ils étaient
entrés.
La pièce à l’intérieur de la tour était exiguë et leurs forces étaient
dispersées dans les salles et couloirs environnants. L’espace manquait
particulièrement en raison de la présence de Bjorn et de ses deux frères
Dreadnought, leurs échappements griffaient même le plâtre du plafond à
chacun de leur mouvement.
— Je n’aime pas le fait que nous arrivions toujours à passer, peu importe
la taille du portail, dit Berda.
— Tu devrais savoir que ce n’est pas toujours la taille qui compte, répondit
Ingvarr en levant son fulgurant à côté du fusil d’assaut de Berda.
La mauvaise blague fit soupirer les autres. C’était bon signe, le retour de
leur lien après les événements exceptionnels de ces dernières heures. Arjac
les abandonna à leur bavardage et se rapprocha de Majula, qui se tenait
devant une fenêtre en plaque de verrite et observait la lointaine zone
d’atterrissage. Ses gardes étaient à proximité, mais détournèrent
respectueusement le regard.
Seuls quelques éloquents éclats de plasma trahissaient les derniers
bombardements sur Tizca. La nuit se rapprochait, l’horizon clairement
visible depuis leur poste d’observation à un kilomètre d’altitude. Majula
fixait la scène qui se déroulait en dessous d’eux, ne remarquant presque rien
de ce qui se passait autour d’elle. La Navigatrice avait à peine prononcé un
mot depuis qu’ils avaient quitté la Pyramide de Photep et était clairement
sous pression.
— Je peux toujours vous faire venir un transporteur, lui proposa Arjac. On
peut se passer d’un Rhino et d’une unité de combat pour vous ramener tous
à la zone de départ.
Dorria se rapprocha. La capitaine des gardes ne dit rien, les yeux vers la
fenêtre, mais son langage corporel indiquait clairement qu’elle écoutait leur
conversation.
— Non merci, sergent, répondit Majula.
L’usage de son rang formel d’Adeptus Astartes parut étrange à ses oreilles.
Elle parlait doucement, mais il ne perçut aucune faiblesse dans sa voix.
— Je sers au mieux la Lumière Guide en restant aux côtés du Seigneur des
Runes.
— Peut-être bien, mais ce n’est pas l’endroit le plus sûr.
— Je ne suis pas d’accord, rétorqua Majula en tournant la tête dans sa
capuche pour le regarder du coin de l’œil.
Dans son reflet, le bandeau d’argent qui dissimulait son oracular scintillait
dans le soleil couchant. Arjac réprima un frisson à l’idée de ce qui se
cachait derrière la simple bande argentée, mal à l’aise à l’idée d’être aussi
près d’une représentante de la Maison Belisarius.
— Le Longriffe a été vidé de tout son équipage mis à part ceux qui pilotent
les navettes et s’occupent des systèmes principaux. La mission viendrait-
elle à échouer avec moi à bord, je serais coincée. Sans le Seigneur des
Runes, nous n’avons personne qui pourrait utiliser l’astrotélépathie pour
demander de l’aide. Tout ennemi qui triompherait des Space Wolves
n’aurait aucun mal à se débarrasser de Dorria et de ses compagnons, bien
que je tienne en haute estime leur loyauté et leur application à un devoir qui
doit être ardu.
Arjac vit Dorria sourire légèrement sous sa visière, mais elle ne regarda
pas vers eux.
— Ça pourrait être la dernière opportunité de faire un tel choix, insista
Arjac avec un signe de tête vers le portail. Après cela, nous pourrions ne
plus être nulle part sur Tizca.
— Ou sur Prospero, sergent, ajouta Majula.
Elle était apparemment plus à l’aise à cette idée qu’Arjac. Étant donné sa
nature et son rôle dans l’Imperium, celui-ci supposait qu’il n’était guère
surprenant qu’un voyage vers des terres étranges ne lui pose pas de
problème.
Il ne dit rien d’autre, et retourna vers les autres au moment où la lueur
dorée sous l’arche s’assombrit, signe qu’ils allaient pouvoir se remettre en
route.
CHAPITRE 13
VERS DE SOMBRES LIEUX

L’humeur d’Arjac s’assombrit encore quand le saut suivant les emmena


effectivement hors de Prospero, en haut d’une colline éclairée par des
rayons de lune, au milieu d’antiques menhirs. Tout le cercle de pierres était
baigné dans une lueur de wyrdglim qui provoquait irritations sous la peau et
picotements dans la nuque. Njal, ou son passager, examina les runes
gravées à un mètre de hauteur sur les immenses pierres, les traçant du bout
du doigt tandis que le reste de la force observait le ciel inhabituel ou la mer
qui s’écrasait contre la côte rocheuse, marbrée de violet sous les rayons des
lunes jumelles.
Ce fut ensuite le tour d’une caverne, éclairée seulement par les lampes des
armures Terminators, bien que le balayage du sensorium détectât un réseau
de passages qui s’enfonçaient sous la terre en partant de la zone du portail.
Ce dernier semblait peint sur un mur plein. Les capteurs de l’armure
d’Arjac détectèrent également des traces de sang humain. Les glyphes qui
formaient le passage enflèrent et se déformèrent à mesure que les guerriers
passaient à travers. Les dessins d’un brun sombre ondulaient pour former
une silhouette émergente avant de retrouver sa forme originelle au passage
de chaque space marine.
Njal s’écarta. Arjac fouilla du regard le reste de la caverne, suivant les
scintillements des faisceaux de lumibandes sur les dépôts cristallins et les
stries claires de la roche. Deux des guerriers de Valgarthr allèrent surveiller
les fissures et les passages tandis qu’Arjac et les Gardes-Loups allaient vers
la large entrée de la grotte. Les rangées de stalactites et stalagmites
ressemblaient suspicieusement à des dents fossilisées.
Un paysage mort s’étendait aussi loin que portait le regard, des gris
désolés et des bruns clairs comme de la cendre. Le ciel était dépourvu
d’étoiles ou de lune, la terre elle-même sans collines ni vallées, créant un
horizon étrangement plat sur la perspective naturelle. Il n’y avait presque
pas d’atmosphère, et le peu qui existait ne contenait pas d’oxygène.
— Au nom du Père-de-Tout, quel usage les Thousand Sons avaient-ils
d’un tel endroit ? demanda Ulfar.
— Au nom du Père-de-Tout, exactement, répondit Njal en les rejoignant
depuis l’intérieur de la caverne.
Le Prêtre des Runes avait son casque en place, ce qui rendait la tâche
Arjac, comprendre qui était aux commandes de l’armure Terminator, encore
plus difficile, mais il semblait que le sorcier ne cherchait même plus à
dissimuler sa présence. Les paroles de ce dernier étaient méprisantes, voire
hostiles, et la nature de l’information qu’il leur communiquait était
inconnue de Njal.
— Un poste avancé créé pendant la Grande Croisade. Un point de départ,
pourrait-on dire, pour des endroits plus lointains.
Le Prêtre des Runes marqua une pause, et ses paroles suivantes furent
prononcées à voix basse, peut-être non destinées à Arjac.
— Nous avons un problème. Je ne peux pas modifier les marques sur le
mur de la caverne, la destination est fixe.
— Et ? Arjac refoula ses soupçons, mais il était difficile de ne pas croire
qu’il s’agissait d’une manipulation de la part de l’esprit qui possédait le
Maître des Tempêtes.
Un contretemps fabriqué.
— Qu’est-ce que cela signifie ?
— Cela signifie que nous devons aller là-bas, dit le sorcier, surpris par la
question de Poing de Pierre.
Il pointa son bâton vers le paysage aride.
— Vers l’autre portail. Ou nous repassons par celui-ci, vers une destination
encore plus inhospitalière.
— Je ne pense pas que ce soit une décision que tu doives prendre, dit
Arjac doucement, faisant savoir au traître des Thousand Sons qu’il le
surveillait.
Une seconde passa, un moment d’immobilité qui signalait la transition de
conscience, avant que le Prêtre des Runes ne réponde.
— Nous sortons, annonça Njal à ses troupes. Notre seule façon de
progresser se trouve de l’autre côté de ce désert.
Ils commençaient leurs préparatifs, s’organisaient pour leur expédition
dans l’inconnu, quand Majula les interpella, sa voix filtrée par le masque
pressurisé qu’elle portait sous sa capuche.
— Je peux voir la Lumière des Cieux, Seigneur des Runes, leur dit-elle, un
doigt ganté pointant vers le ciel au-delà de la caverne. Elle est vive. Nous
sommes proches de Terra !
Elle fit un pas entre deux stalagmites, mais se recula avec une
exclamation, comme si elle avait été frappée. Elle fit un vif demi-tour sur
elle-même, paniquée.
— Elle a disparu ! cria-t-elle, trébuchant vers Njal, main tendue vers lui,
l’autre instinctivement levée pour maintenir son bandeau. Il n’y a pas de
voile !
La Garde Navis se rassembla autour de Majula tandis que le Maître des
Tempêtes évitait sa main et allait jusqu’aux pierres qui marquaient l’entrée
de la grotte. Il se tint sur le seuil, les yeux levés, son heaume et son bâton
inondés d’un rayon doré et dansant. Arajc le rejoignit. Il sentit un frisson
d’énergie le parcourir quand il franchit le seuil de la caverne.
— Que veut-elle dire ? demanda Arjac. Quel voile ?
— Comme la faille du champ de Geller, cet endroit se trouve entre les
réalités, répondit le Maître des Tempêtes sans détourner le regard. Ce n’est
pas l’Autremer, mais ce n’est pas non plus dans les confins du monde des
mortels. C’est un pont, coincé entre les deux.
Le Maître des Tempêtes fit un autre pas en avant et Arjac le suivit sans y
penser.
— Que vois-tu ? demanda Njal.
— Rien… Poing de Pierre observa la plaine désolée et le ciel vide. Et toi,
qu’est-ce que tu vois, Maître des Tempêtes ?
— Un œil d’or tourné vers nous. Les mots sortirent en un murmure.
Les suivants furent un cri d’urgence.
— Dépêchez-vous, nous devons trouver l’autre portail ! Notre présence
attire une présence indésirable !
L’obscurité était absolue et étouffait la lumière des projecteurs des
terminators et des Dreadnought au bout de seulement quelques mètres.
Seule une lueur sur le sol cendré était visible, aussi plate que les planches
d’un navire. L’absence de tout pesait sur eux tous, la proximité absolue de
tout comme un poids immense.
Ils n’avaient avancé que de quelques centaines de mètres quand un
hurlement horrifié de Majula poussa Arjac à lever vivement le regard vers
le ciel quand elle leva la main.
Des rubans violets zébraient l’obscurité. Leur rémanence persistait comme
des fissures jaunâtres sur un dôme de verre. Les couleurs changeaient,
comme si une lumière se mouvait derrière ces fissures. Sa teinte ocre
tombait sur les Chevaucheurs de Tempête inquiets.
Le sol trembla, agitant les gravillons en des formes organiques
dérangeantes qui se fondaient les unes dans les autres.
Le tonnerre gronda. Le sol tressauta en réponse. Autour d’Arjac, les Space
Wolves agrippèrent leurs totems et talismans, en appelant au Père-de-Tout.
Ils marmonnèrent aussi des skaldwyrdfeyn qu’ils avaient appris enfants, les
anciens mots de protection jamais vraiment disparus de leur mémoire
malgré les efforts des Prêtres-Loups.
Valgarthr rompit la formation pour pointer sa hache vers ses guerriers.
— Cessez vos gémissements, gronda-t-il.
Il leva l’arme, dont les lames luisaient d’un jaune malsain dans la lumière
du wyrd.
— Il n’y a rien sous le ciel qui ne peut être tué. Nous sommes les griffes
du Père-de-Tout, fils du Roi Loup. Comportez-vous comme tels !
Le spectacle tempétueux se prolongea tandis qu’ils reprirent la route. Les
tremblements se firent plus intenses et ouvrirent des fissures dans le sol
gris. Une pâle lumière en sortait, en reflet des brèches du ciel.
Arjac tenta une calibration de son sensorium, mais le système ne détecta
rien d’autre que les mouvements du sol. Pas de signes de vie, pas de
chaleur, pas de changement de la pression atmosphérique.
Par accord tacite, les troupes avancèrent rapidement, au rythme de la
course pesante des Dreadnought. Au-devant, Njal ouvrait la voie,
l’extrémité de son bâton luisant d’une lumière dorée, une lueur assez
semblable à celle, wyrdique, qui s’insinuait depuis les entrelacs d’énergie
du warp autour d’eux. Aile-de-Nuit émergeait, disparaissait dans l’obscurité
avant d’apparaître à nouveau quelques instants plus tard. Il effectuait des
allers-retours hors de leur champ de vision sous les ordres du Maître des
Tempêtes, lequel utilisait son psyber-familier comme un éclaireur pour
trouver la meilleure route à suivre au milieu des failles grandissantes qui
s’ouvraient sur leur passage.
À seulement un demi-kilomètre de la caverne, la lumière surnaturelle
explosa en une activité intense, elle s’abattit en cascade depuis le ciel et
jaillit telle une aurore furieuse de sous leurs pieds. De ce spectacle
éblouissant émergea une cavalcade de créatures démoniaques dont les
hurlements, glapissements et braillements étaient audibles directement dans
leurs pensées plutôt que par leurs oreilles. Au-dessus de leurs têtes
apparurent des horreurs trapues aux multiples bras avec des bouches
débordantes de crocs effilés, suivies par des bancs de requins aériens aux
nageoires barbées et dont les queues faisaient pleuvoir des jets d’étincelles.
Des bêtes qui n’avaient rien d’humain bondirent, s’élancèrent depuis les
fissures. Leurs visages ricanants aux yeux fous protubéraient de leurs torses
et ils se propulsaient par ondulations comme des pieuvres ou par des sauts
et cabrioles acrobatiques.
— Tirs de couverture ! hurla Arjac, résolu à reprendre l’initiative sur la
horde grossissante de wyrdkin. Contre-attaque, maintenant !
Il se dirigea droit sur un trou béant à quelques pas de là, confiant dans le
fait que ses Gardes-Loups et les Dreadnought allaient suivre. Bouclier en
avant, il percuta la première vague de démons métamorphes et les éparpilla
comme des quilles skitbald percutées de plein fouet par la pierre lancée par
le joueur. Le Marteau à Ennemis brisa les jambes de trois autres et les
envoya à la renverse. Il les écrasa de ses bottes, et poursuivit vers la limite
du précipice.
Son sensorium lui montrait le champ de vision des autres, son armure
massive dressée sur le bord du gouffre, baignée de l’ocre de la lumière
surnaturelle, avec son ombre qui se livrait à une danse folle derrière lui, sur
les restes dispersés des démons. Il entendit les Dreadnought se rapprocher.
Leurs armes repoussèrent sans ménagement la nouvelle vague de démons
qui gagnait du terrain le long de la crevasse d’où ils sortaient.
À l’encontre de la raison et de ses instincts, Arjac regarda vers le bas.
L’abysse semblait sans fond. Les parois disparaissaient rapidement dans la
brume. Une mer d’énergie informe léchait la pierre comme une rivière vive.
Ça bouillonnait comme du goudron brûlant et faisait apparaître des visages
grotesques à la surface. Des essaims d’yeux le fusillaient du regard depuis
le flot immatériel.
Une fontaine d’énergie jaillit soudain vers Arjac et le força à reculer de
plusieurs pas pour éviter d’être pris dans la projection. Le geyser s’éleva
haut par-dessus Poing de Pierre, d’autres visages grimaçants dessinés dans
son miroitement. Des gouttelettes en tombèrent et se transformèrent en
démons qui s’attaquèrent au hearthegn. Ils libérèrent des décharges de
flammes de leurs doigts, puis ils se mirent à sautiller autour de lui en
grimaçant et riant.
Il leva son bouclier et laissa le feu warp s’écraser sur-le-champ de force.
Quelques éclaboussures parvinrent à brûler son armure. Il baissa les yeux,
sidéré, sur les étincelles, chacune dotée d’une petite tête pleine de crocs, qui
se mirent à mordiller et griffer son plastron, comme si elles voulaient
s’enfouir dans la céramite.
À côté d’Arjac, Berda grogna de douleur. Poing de Pierre se tourna vers
son compagnon et vit qu’il était presque submergé par une vague de
démons. Un feu infernal brûla à travers l’armure de Berda comme la lame
laser d’un Prêtre de Fer, tandis que le Garde-Loup éloignait de ses coups
tous les assaillants qu’il pouvait atteindre. Arjac trancha de son arme à
travers la masse démoniaque, mais Berda tomba sur un genou. Sa jambière
se répandit en flaque autour de lui.
Une ombre encore plus massive qu’Arjac frappa la meute démoniaque,
puis Grímr Poing-Maudit fut là, pulvérisant les démons sous ses pieds
griffus, ses bolters lourds crachant la mort. Le poing luisant et rouge du
Dreadnought attrapa l’une des horreurs. Il l’écrasa en une pluie d’étincelles
et dispersa les restes comme on éparpille les braises d’un feu. Grímr fit
pivoter son torse, frappa à revers une autre apparition et la renvoya dans la
brèche de laquelle elle avait émergé.
Debout derrière la massive silhouette de Grímr, Arjac analysa la situation.
Les démons étaient tout autour d’eux et tombaient en pluie drue depuis le
ciel. Les tirs des Chevaucheurs de Tempête allaient à la rencontre de cette
vague de feu constante, et Valgarthr et les autres se tenaient au milieu d’un
véritable nuage d’explosions multicolores. Ailleurs, tout comme Grímr et
lui, les combattants étaient pris dans un combat au corps à corps. Chacun
sectionnait et tranchait de ses lames, enfonçait ses gantelets étincelants dans
le flot constant de créatures maléfiques qui jaillissaient des crevasses.
Les vétérans se battaient avec bravoure, mais beaucoup d’entre eux
souffraient encore des effets de blessures d’anciennes batailles et de récents
combats. Des serments et des hurlements vengeurs résonnèrent dans le vox.
Arjac gronda quand il vit des silhouettes en armures grises qui gisaient au
sol au milieu du champ de bataille. Des frères pour lesquels même un
apothicaire n’aurait rien pu faire.
Il redirigea son attention vers la gorge près de lui. Une explosion de
puissance libérée par son marteau accueillit le démon suivant à l’instant où
il jaillit des profondeurs.
Le vacarme du canon d’assaut tonnait dans les oreilles de Njal et recouvrait
les hurlements des démons et la tempête des tirs de bolter. Njal laissa son
pistolet dans son étui. Les décharges de foudre de son bâton s’avéraient une
arme plus efficace contre les apparitions qui continuaient de tomber de la
fissure dans le ciel. Un flot infini de monstruosités se hissaient des
tranchées que les tremblements incessants ouvraient dans le sol.
Les éclairs psychiques et les explosions illuminaient la scène et créaient
une série de tableaux saccadés, chaque nouvelle image légèrement
différente de la dernière. L’œil amélioré d’Aile-de-Nuit, lui permit de voir
une nouvelle crevasse s’ouvrir entre les Space Wolves et la caverne au
portail derrière eux. De la lumière wyrdique en jaillissait.
Il se retourna et projeta une décharge dévastatrice vers le serpent à têtes
multiples qui émergeait du ravin. L’onde d’énergie réduisit son corps
couvert de plumes rouges en cendres d’or.
Njal se battait en silence, mais le vox résonnait des commentaires secs de
Valgarthr et des jurons crachés par les Chevaucheurs de Tempête. À
l’occasion, le canal retentissait du hurlement d’un blessé, moitié colère et
moitié douleur. Njal ressentait un coup à chaque fois, comme s’il partageait
les blessures de ses frères. À côté de lui, Majula haletait, chacune de ses
respirations était accompagnées d’un petit gémissement de terreur. Pourtant,
même saisie d’une peur intense, elle se battait avec ardeur. La Navigatrice
grimaça sous l’effort et le regard létal de son troisième œil se posa sur un
essaim de démons qui sautillaient vers les meutes depuis les ombres d’un
tas de rochers. Ils se déchirèrent encore et encore en crépitant, leur nombre
se réduisit sous le regard fixe de la Navigatrice, jusqu’à disparaître
complètement dans un nuage de vapeur bleue.
Un soudain nœud de tension se forma dans les pensées de Njal.
+Quelque chose d’autre arrive.+
Libre de la nécessité physique du combat, le sorcier avait senti en premier
ce qui brûla les sens wyrdiques de Njal une seconde plus tard. C’était une
marée sous eux, qui bouillonnait à travers le sol comme de l’eau qui
montait sous une couche de glace. Le Maître des Tempêtes pouvait sentir
cette présence grandissante se déplacer dans une direction puis dans une
autre, comme si elle essayait de viser quelque chose. La chaleur et les
crépitements dans les veines du psyker s’intensifièrent.
+C’est en train de t’utiliser comme un point d’ancrage !+
— Parle clairement, que veux-tu dire ?
+Tes pouvoirs lui offrent un point fixe dans la réalité. Un nœud physique
auquel il peut s’ancrer pour assembler son énergie.+
Njal retint sa décharge de foudre suivante et laissa le pouvoir former des
volutes autour de l’extrémité de son bâton. Quoi que fût cette chose qui
s’approchait, elle était plus forte que tout ce qu’ils avaient déjà affronté.
Face à cette révélation, il eut besoin de tout son psycho-endoctrinement
pour rester calme.
— Un démon majeur… murmura-t-il.
Le vox capta ses mots et les transmit au reste des combattants.
La réaction fut immédiate et brutale. Bien que les guerriers de l’Adeptus
Astartes fussent physiquement incapables de panique, la menace tactique
annoncée par les paroles de Njal modifia leur comportement. Ils
abandonnèrent du terrain plutôt que d’en gagner, se rapprochèrent les uns
des autres dans un instinct instauré par l’entraînement.
Le regard de Njal se tourna à nouveau vers la caverne du portail.
+Non !+ Izzakar sembla deviner ses pensées, bien qu’en cet endroit il fût
possible qu’il les ait simplement entendues.
+Ce portail ne peut nous aider. Nous devons continuer.+
Njal donna un coup de bâton quand une goule à la peau enflammée se jeta
par-dessus Valgarthr, et vint lui lacérer le visage de ses griffes d’obscurité.
La créature explosa au contact de l’arme et loin en dessous d’eux le démon
majeur en approche frémit à la décharge d’énergie psychique.
— On fait demi-tour et on trouve un autre chemin, dit Njal en se tournant à
moitié.
+Tu vas échouer !+ Les mots d’Izzakar résonnèrent dans les synapses du
psyker.
Le démon majeur prit de la vitesse, ou, plus exactement, il accumula une
incarnation matérielle plus rapidement. La distance était une illusion des
sens physiques, mais pour Njal, c’était comme si la bête se rapprochait de
plus en plus. Elle serait sur eux dans quelques minutes.
Le choix était brutal : continuer et tout risquer, ou rebrousser chemin et
abandonner tout espoir de sauver Bulveye et sa Vieille Garde.
— C’est loin ?
+Deux portails au plus, après celui-là. Pas plus, je te le jure. Nous sommes
si près !+
Un rugissement de douleur jaillit du vox. L’un des Chasseurs Gris de
Valgarthr disparut sous une tornade de brouillard emplie de crocs, des
flammes traversant les articulations de son armure. Njal repoussa l’écho de
douleur psychique qui lui transperça les chairs. Les frères de bataille contre-
attaquèrent, découpèrent leurs ennemis avec leurs armes vrombissantes et
leurs longs couteaux. Derrière eux, Bjorn ignora la retraite générale et
continua de donner de violents coups de griffes Éclair à travers la horde de
démons. Il tenait fermement sa position face à la vague d’apparitions.
Njal vit les autres Space Wolves se battre sans faiblir et se sentit honteux
d’avoir envisagé d’abandonner. Impossible d’accomplir quelque chose
d’important sans verser le sang, le sien tout autant que celui de l’ennemi.
— À toutes les escouades, assaut frontal ! rugit-il. Bjorn, tu seras la pointe
de la lance. Valgarthr, tes guerriers seront le manche ! Arjac, ta meute sera
notre bouclier !
Les Space Wolves obéirent sans hésiter. Valgarthr et ses vétérans
survivants se séparèrent en deux groupes, Bjorn entre eux, Olaf le Trois
Fois Occis et Grímr Poing-Maudit sécurisant les flancs. Njal fit signe à
Majula de le suivre et se rapprocha du chef de meute. Les Gardes-Loups
d’Arjac se tournèrent en direction de la caverne et libérèrent des rafales
sporadiques contre chaque groupe de démons qui émergeait de l’éther.
— Ouvrez-nous un passage, gronda Valgarthr à ses meutes, avec un signe
de sa hache en direction de la marée de bêtes du Chaos en face d’eux.
Fyrstrom. Tirs de suppression, intervalles de cinq pas, avance rapide.
Les Chevaucheurs de Tempête dégainèrent leurs bolters et pistolets, leurs
armes se firent silencieuses en attente de l’ordre. Njal sortit son pistolet
bolter et se plia volontairement à la discipline de la meute. Il abaissa le
bouclier psychique qu’il avait projeté et brisa par là même sa connexion
avec le warp. L’équivalent psychique du silence radio. Seul un infime
fragment de ses sens wyrdiques persista, mais c’était suffisant pour qu’il
remarque que le pouvoir démoniaque grandissant s’interrompait, ne laissant
que des vrilles de conscience qui exploraient les limites de la réalité comme
s’il cherchait sa cible.
Le grondement des servomoteurs des Dreadnought et le bruit sourd de
leurs pas parurent étrangement lourds dans ce bref instant de répit.
— Feu !
Poussé à l’action, Njal pressa la gâchette aux côtés de ses frères de
bataille, deux tirs, à une seconde d’intervalle. La trajectoire des projectiles
de la meute fut presque parfaitement synchronisée, deux traits de feu qui
explosèrent sur les corps roses et bleus en mutation de la vague
démoniaque. Chaque tir toucha sa cible et déchira un ennemi en deux. Les
Space Wolves se mirent à courir, à un rythme synchronisé sur cinq longues
enjambées avant de faire à nouveau halte.
Ils tirèrent, deux fois chacun, ouvrant un passage dans la masse adverse.
Les Dreadnought y ajoutèrent leur puissance de feu, et la tempête libérée
par le canon d’assaut, le lance-missiles et les bolters lourds aggrava les
dégâts. Les Gardes-Loups d’Arjac reculèrent dans leur dos, comme aspirés
par le courant. Ils firent en sorte de conserver avec précision la distance qui
leur avait été allouée par rapport au reste des troupes. Entre les salves des
hommes de Valgarthr, les armes des terminators firent entendre leur propre
défiance.
Cinq pas, deux tirs. Encore et encore. Sans se soucier du nombre de
démons, les Chevaucheurs de Tempête avancèrent, implacables, au cœur de
la force adverse.
La férocité de l’assaut des Space Wolves, concentrée par la discipline
acquise par l’entraînement, les emmena loin. Ils s’enfoncèrent
profondément dans le bourbier d’énergie du Chaos. Le flot de pouvoir warp
ne fut pas capable de résister à leurs tirs de bolters et à leur implacable
avancée, et la horde démoniaque se dispersa comme du brouillard sous une
tempête polaire.
Njal enjoignit à sa compagnie de se presser, et ils calèrent leur vitesse sur
celle des Dreadnought et des Terminators, qui, une fois lancés, parvenaient
à se déplacer avec plus de vélocité.
Le paysage n’était pas aussi plat qu’au premier coup d’œil. Des élévations
et des crevasses marquaient les terres désolées, et parfois la route des Space
Wolves les menait dans des gorges presque sans lumière ou au sommet
d’une colline. Njal continua d’étouffer son wyrd et prit garde à dissimuler
leur avancée au démon majeur en chasse. Il pouvait toujours le percevoir,
une faim qui ne pouvait être apaisée, une malice qui ne pouvait être écrasée.
Il ne fut pas difficile de trouver la seconde porte dont avait parlé Izzakar.
Une colonne de lumière dorée qui s’élevait comme une balise, pas plus loin
qu’à quelques kilomètres.
— En avant, dit Njal à ses frères avec un sombre soulagement. Bientôt
nous serons auprès de la Vieille Garde, notre mission presque accomplie.
Une idée lui vient soudain qui fit disparaître son sourire, bien qu’il le
cachât bien vite à ses compagnons. Il parla à voix basse à Izzakar, trop bas
même pour l’audition surhumaine des Chevaucheurs de Tempête.
— Quand nous aurons trouvé Bulveye, devrons-nous nous battre à
nouveau pour nous frayer un chemin dans ces cercles de démence ?
+S’ils sont toujours dans le cœur, je serai capable d’ouvrir un passage
directement vers la Pyramide de Photep.+
— Et s’ils n’y sont plus ?
+Espérons qu’ils y soient toujours.+
Njal se pressa avec ses frères de meute, son espoir en leur succès plus
grand qu’il ne l’avait été depuis leur entrée dans le Portail Labyrinthe.
Plus ils s’approchaient du portail suivant, plus le Maître des Tempêtes le
sentait pulser dans les profondeurs de ses pensées et résonner dans ses
tripes à chaque pulsation de pouvoir. Ce qu’il avait pris pour une colonne de
lumière était en fait une infinité de petits faisceaux s’élevant d’un bassin
circulaire au centre d’une profonde caldera. Il fit signe à ses guerriers de
descendre dans le cratère, inquiet de l’énergie warp dont les volutes
parcouraient encore le paysage aride, prête à se manifester à nouveau. Plus
vite ils seraient partis de ce monde corrompu, mieux cela vaudrait.
Les Fils de Russ rompirent le rang quand ils descendirent dans la
dépression circulaire, puis se dispersèrent pour constituer un périmètre
défensif autour du bassin-portail. Njal s’approcha, accompagné de Majula,
et examina l’eau tachetée de lumière. Les rides à sa surface étaient
étrangement uniformes, chaque minuscule vaguelette composée d’une
séquence d’ondulations runiques interconnectées qui s’éloignaient du
centre.
Majula posa un genou à terre et tendit la main vers l’eau.
— Attends ! s’exclama Njal. Ne touche pas au portail.
Majula lui adressa un regard noir.
— Le bassin est sans danger. Ce n’est qu’une interface métaphysique.
C’est la lumière elle-même, le portail, Seigneur des Runes.
Elle plongea la main dans le liquide ondulant sans attendre sa réponse. Les
formes runiques dorées remontèrent sur la peau de sa main et de son
poignet, puis le long de la manche de sa robe, perdant leur éclat jusqu’à se
fondre dans le tissu.
+Et maintenant vient l’étape la plus dangereuse. Les horreurs hostiles
errent encore près de la frontière. Quand j’accéderai au portail, je créerai
une balise de pouvoir qui attirera tous les regards sur une très vaste zone.+
— Tu parles du démon majeur, n’est-ce pas ? Est-ce que ça veut dire
qu’ouvrir le portail va l’invoquer ?
+Le portail aplanit l’inclinaison du warp. Normalement, avec des
paramètres soigneusement contrôlés. Mais ici, je ne peux pas garantir son
activation sécurisée. Il est possible qu’ouvrir la disjonction crée aussi une
faille immatérielle que l’entité pourra usurper.+
— Que puis-je faire pour l’empêcher de se manifester ?
+Rien. Je suggère que nous agissions vite et partions rapidement.+
Njal n’avait rien à ajouter à la discussion et était sur le point de laisser le
sorcier prendre le contrôle quand le bruit d’une détonation de bolt attira son
attention. D’autres Chevaucheurs de Tempête de Valgarthr ouvrirent le feu
contre des ombres apparues au bord de la caldera. Des corps tentaculaires et
enflammés se formèrent à partir de l’éther brut et lancèrent un nouvel
assaut.
Un frisson de conscience vibra depuis la bête errante.
— Reformez-vous autour de ma position ! ordonna Njal à ses guerriers.
Soyez prêts à entrer dans le portail dès que j’en donnerai l’ordre.
Les Space Wolves reculèrent au rythme d’un barrage nourri de bolters
contre le retour de la horde démoniaque d’assaillants.
— Vite, dit Njal à Izzakar, libérant l’esprit de l’Archiviste des Thousand
Sons.
À l’instant même où il tendit la main vers la lumière pulsatile du portail, la
présence vagabonde du démon cessa de rôder sans but pour filer droit vers
eux comme un javelot lancé par l’un des dieux sombres.
Njal voulait ordonner à son passager clandestin de se presser, mais celui-ci
avait le contrôle de ses lèvres. Il observa alors dans un suspense détaché ses
propres doigts écartés et tordus, s’agiter et danser au bout de ses bras,
comme s’il regardait quelqu’un d’autre et, en un sens, c’est ce qu’il faisait.
Les formes runiques qui s’élevaient dans la colonne de lumière changèrent
et, avec elle, leur reflet surnaturel dans le bassin.
En dépit de toute la précision et de tout le talent supposés d’Izzakar, des
vibrations se répandirent dans le vide immatériel. Comme un requin des
glaces se jetant sur la plus infime des gouttelettes de sang dans l’eau,
l’essence du démon majeur se précipita vers les résidus de warp rejetés par
le rituel de l’Archiviste.
— Sumat aton sumat utuhl nakon autah eras pheton sumat.
Les mots furent scandés au tempo familier, ni plus rapide, ni plus lent que
les incantations précédentes, mais Njal partageait le sentiment d’urgence
d’Izzakar.
Dans toutes les directions, les tirs de bolters s’intensifiaient de seconde en
seconde en réponse à la masse grossissante des démons mineurs et des bêtes
qui dévalaient les parois de la caldera. Les détonations des canons d’assaut
et le sifflement des missiles à fragmentation ajoutaient au vacarme. Njal
fulminait, incapable d’aider ses frères. Il rêvait d’avoir son pistolet à la
main et de terrasser ses assaillants au nom du Père-de-Tout, mais Izzakar
était toujours occupé avec le portail.
La présence toxique du démon majeur fusionna avec le reflet du portail, ne
faisant plus qu’un avec son énergie. Elle se nourrissait du flot immatériel
comme un loup-tempête sur une carcasse d’élan, vorace et insatiable. Le
Maître des Tempêtes eut un sursaut de dégoût quand il le sentit à la marge
de ses sens wyrdiques. Un contact brûlant envahit sa peau et coula le long
de ses nerfs comme un essaim de fourmis dévorantes. Il voulait vomir et
hurler, mais il fulmina dans son immobilité silencieuse, endura la
souffrance, pour qu’Izzakar soit à l’abri de toute distraction pendant qu’il
poursuivait son délicat travail.
+C’est presque prêt.+ déclara l’Archiviste des Thousand Sons.
Une flamme de feu bleu passa devant Njal, projetée depuis l’autre côté de
la caldera, et alla s’écraser sur l’épais blindage d’Olaf le Trois Fois Occis.
La céramite fondit sous l’impact, se détachant du squelette en adamantium
en dessous. Des flammes warp et des bolts s’écrasaient dans tout le cratère.
Le bassin bouillonna violemment et le sol trembla à l’approche du démon
majeur.
Des fils d’argent se brodèrent dans l’or, comme pour former un réseau
veineux à l’intérieur.
+C’est fait !+ annonça Izzakar, retroussant les lèvres de Njal en un sourire
triomphant.
La colonne dorée explosa. Elle submergea le Maître des Tempêtes d’éclats
immatériels. Il tituba en arrière et arracha le contrôle de son corps à Izzakar
au prix d’une douleur sourde à l’arrière de son crâne.
— Dans le portail ! hurla-t-il, mais son ordre arrivait trop tard.
Quelque chose de majestueux et de terrifiant se dressa à travers la plaie
béante du portail et explosa à l’intérieur du plan matériel avec la force d’un
obus de canon Démolisseur. De superbes ailes aux plumes d’or et d’azur se
déployèrent dans un soupir, le souffle de leur mouvement fouetta plus les
pensées de Njal que son armure. Dans les tâches coagulées de puissance
psychique, une face de vautour le dévisagea, ses yeux deux orbes noirs de
chaque côté de son bec recourbé.
Un hurlement inarticulé s’échappa de Njal, réponse instinctive déclenchée
non des pensées conscientes, mais par des siècles de psycho-
endoctrinement. Du pouvoir psychique jaillit de l’extrémité de son bâton.
Une tempête d’explosions blanches et de lames de glace fut jetée contre
l’apparition et projeta sa forme matérielle en cours de matérialisation hors
du portail. Des plumes arrachées et des écailles éparpillées se
transformèrent en poussière étincelante.
— Dans la faille ! ordonna Njal à nouveau
Il fit le tour du bassin et libéra d’autres décharges vengeresses sur le
démon majeur qui chancelait.
Valgarthr fit signe à Majula et à ses Gardes Navis. Quand ils pénétrèrent la
lumière argentée du portail, la Navigatrice et ses guerriers disparurent de
son champ de vision. Des escouades de Chevaucheurs de Tempête se
précipitèrent à leur suite tandis que Njal continuait de foudroyer leur
ennemi.
Njal était à bout de souffle. Sa tête le torturait comme si la coiffe
psychique tressée de cristaux sur son scalp lui compressait le crâne. Au
milieu du torrent de feu céleste, le démon de Tzeentch se tordait, son long
bec s’ouvrait et se fermait, ses injures perdues dans la fureur des échanges
de tirs. Il se força à se ramasser sur lui même, ses longues jambes
écailleuses pliées sous son corps, tandis que son cou longiligne se tordait de
droite à gauche alors qu’il essayait de lever une main griffue contre le flot.
Les Gardes-Loups d’Arjac libérèrent une dernière salve contre l’essaim de
démons et se jetèrent à travers le bassin à la suite des guerriers de Valgarthr.
Olaf et Grimr plongèrent après eux.
Le Duc du Changement poussa un glapissement triomphant, dont l’écho
résonna étrangement sur les cieux, puis déploya ses ailes. Ses plumes
endommagées vinrent constituer un bouclier contre l’assaut du Maître des
Tempêtes. Njal vacilla lorsqu’une contre-décharge se glissa le long de sa
propre frappe de foudre et noya son bâton dans un nuage rouge. Une
douleur ardente explosa dans ses doigts et sa main et il recula, sonné.
Izzakar gronda. Il avait lui aussi senti la douleur de l’attaque.
Le démon majeur se redressa de toute sa stature et baissa ses yeux furieux
vers le Space Wolf. Il fit venir à lui, d’une fissure dans le ciel, un bâton
couronné d’un crâne. Les yeux du pommeau étaient aussi vides que ceux de
son maître. Des puits d’une noirceur sans fond qui aspiraient l’âme de Njal.
+Dans le portail, Maître des Tempêtes.+
Il tenta de répondre, mais l’effet vampirique que le démon majeur avait sur
son âme privait ses membres de toute force.
Les jacassements de la horde démoniaque n’étaient qu’à quelques mètres,
les crissements de griffes et le sifflement des flammes un vacarme pour ses
sens surpuissants. Il pouvait sentir les interférences psychiques picoter les
pointes des poils de sa barbe, chaque fibre de son système nerveux tendue
alors qu’il tentait de combattre l’influence maligne qui se déversait du
démon.
L’intense éclat et le coup de tonnerre du canon d’assaut de Bjorn furent
comme une explosion à côté de sa tête, aveuglante et assourdissante. Njal
cligna des yeux sous un flot de larmes tandis qu’une pluie de projectiles
vint s’écraser sur le Duc du Changement, s’enfonçant dans son poitrail
duveteux et lui arrachant de la chair immatérielle du visage.
La vénérable griffe du Dreadnought partit en arrière et percuta Njal en
plein torse. Le coup l’envoya voler à travers le bassin et dans l’étreinte
chaude du portail-balise. La dernière image que vit le Prêtre des Runes fut
celle de Bjorn qui pivotait. Des démons se jetaient sur son dos et
arrachaient les plates de son armure de leurs doigts enflammés. Des
cascades d’étincelles violettes tranchèrent la ceramite fondue comme des
tirs de canon laser et exposèrent des amas de tuyaux de lubrification qui
ondulèrent comme des viscères. L’antique guerrier poussa un hurlement de
défi.
— Pour le Père de Tous !
CHAPITRE 14
APRÈS LA VIEILLE GARDE

L’impact de ses plates s’écrasant sur le sol dur se répercuta dans tout le
corps de Njal, les amortisseurs de pression de l’armure Terminator firent de
leur mieux pour absorber le choc. Il glissa sur une courte distance avant de
s’arrêter. Allongé sur le dos, il put voir le portail et fut surpris d’avoir
devant les yeux une grande arche de plastacier et de cristal. À l’intérieur de
la structure carrée, un rideau immatériel ondulait dans des teintes de bleu et
de vert, sa lumière se reflétait sur la surface intérieure dorée.
Il s’assit et perçut une ombre plus sombre dans le voile d’énergie. Autour
de lui, les hommes d’Arjac dégainèrent leurs fulgurants et leurs armes
lourdes. L’ombre emplit presque tout l’espace du portail et éclipsa sa
lumière. Elle s’assombrit et s’épaissit, quelque chose s’approchait d’eux à
travers le passage.
Dans un nuage d’étincelles, sa griffe baignée de foudre blanche, Bjorn
jaillit du portail. Le voile s’illumina à son passage. Mais seulement pour un
instant. D’autres formes sombres se rassemblèrent rapidement dans le
champ d’énergie.
— Fermez le passage !
Le rugissement métallique du Dreadnought fit passer Njal à l’action. Il se
remit sur ses pieds et laissa l’âme d’Izzakar se couler dans son système
nerveux. L’archiviste des Thousand Sons étendit sa volonté à travers les
doigts tendus de Njal et des flammèches de pouvoir dansèrent au bout du
gantelet. Les formes runiques de la structure cristalline de l’arche se
brisèrent et se reformèrent. Une seconde plus tard, le miasme à l’intérieur
du passage explosa et doucha Njal et les autres d’une tempête d’éclats
tranchants. Une obscurité pulsatile remplit l’espace et vint dissimuler tout
ce qui se trouvait au-delà.
Njal se recula et observa le portail avec méfiance tandis qu’Izzakar
regagnait sa place. Le Maître des Tempêtes eut l’impression de pouvoir
sentir une pression à l’extrémité de la faille, comme si quelque chose
poussait l’air, mais il n’y avait aucune réaction du portail lui-même.
+J’ai entièrement coupé la connexion,+ l’informa Izzakar. +Rien ne peut
plus passer.+
— Nous y compris.
+Nous ne passerons plus par là, non,+ admit le sorcier.
— Si j’étais de nature soupçonneuse, je pourrais croire que c’est une façon
bien pratique de nous piéger ici. Il observa les alentours. Quelque que soit
cet ici…
Le portail les avait conduit dans un hall pas très différent de celui où leur
odyssée avait commencé. Il avait l’apparence d’un endroit encore en
travaux, un grand ouvrage inachevé.
Les murs étaient faits de blocs de ferrobéton brut empilés les uns sur les
autres, armés de renforts en plastacier. Des voûtes du même matériau
soutenaient un plafond rougeâtre et semi-transparent, et de hautes fenêtres
laissaient entrevoir un ciel voilé au-dessus d’un paysage montagneux. De
grandes dalles de pierres couvraient le sol, chacune sertie d’un symbole.
Njal les examina plus attentivement. L’emblème représentait un soleil
stylisé au centre vide, entouré de huit projections de flammes, semblables
aux points cardinaux d’une boussole.
+Le blason de ma légion, mais dans un endroit que je n’ai jamais vu
auparavant.+
— Regarde de plus près.
Njal pouvait distinguer au centre un dessin de serpent qui se mordait la
queue.
+Qu’est-ce que cela signifie ? Cela ne fait partie d’aucune tradition qui
m’est familière.+
— Je pense que ta réponse est là, dit Njal en reportant son attention sur les
deux immenses portes au bout du hall.
Faites de plastacier brut et en attente de décoration, elles emplissaient
presque entièrement le petit mur. Elles étaient ornées d’un homme
gigantesque portant une armure baroque, des cornes sur le front, et de ses
épaules partaient des ailes enflammées à demi déployées. Il arborait une
expression de mépris distant, et avait une cavité, prête à être sertie d’une
gemme, en guise d’œil unique.
— Le Roi Écarlate.
+Magnus se dissimule sous de nombreuses apparences. Sa forme est aussi
fluide que les pensées, mais je ne suis pas familier de celle-ci.+
— C’est Magnus le Prince-démon, commandant de la légion renégate à
laquelle tu appartenais. Voilà le visage de ton maître.
+Cette salle…+ Une bouffée de doute submergea Njal, inhabituelle et
glaçante, venue du nœud de potentiel psychique qu’était son passager
clandestin. +Une salle du trône, peut-être.+
— Surveillez les portes, ordonna Njal, se tournant vers ses frères de
bataille.
Il indiqua de son bâton les entrées les plus petites de l’autre côté du hall.
— Sécurisez toute cette zone. Maintenant.
+Je perçois un usage terrible à tout cela, un schéma dans cette anarchie.+
— Moi aussi.
Pris dans la discussion, Njal parla à voix basse, mais sans se cacher.
Arjac eut un regard de dégoût et les autres lui jetèrent des coups d’œil
surpris. Le Maître des Tempêtes ne s’en souciait pas. Son besoin de partager
ses réflexions avec Izzakar pour démêler les mystères qui entouraient
Prospero surpassait ses autres préoccupations.
— L’émergence de la Planète des Sorciers, la destruction du Portail
Labyrinthe, les armées de cultistes et de démons… tout est lié.
— Tout va bien, Maître des Tempêtes ? demanda Valgarthr.
Il traversa le hall.
— Tu te comportes étrangement. Comment se fait-il que tu en saches
autant sur le labyrinthe du traître ?
Njal ignora la question et fut sur le point de reprendre le fil de sa réflexion
quand Arjac intervint.
— Notre Seigneur des Runes communie avec des esprits du passé, dit-il à
la surprise du Prêtre des Runes. Je ne pense pas qu’il soit sage d’interférer
avec les affaires du wyrd.
L’avertissement arrêta Valgarthr. Bien qu’il ne semble pas entièrement
satisfait de cette explication, il ne dit rien de plus. Arjac se rapprocha.
— Tu dois faire attention, Maître des Tempêtes, l’avertit-il à voix basse.
— Je ne peux pas consacrer plus d’énergie à m’inquiéter de la sensibilité
de nos frères, répondit Njal.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, répliqua Arjac. Tu deviens bien trop
dépendant de cette ombre traîtresse.
— Nous sommes venus pour la Vieille Garde, mais nous avons découvert
quelque chose de bien plus important, dit-il, dans l’espoir que des
explications apaiseraient les doutes d’Arjac. Magnus a mis en avant son
monde démoniaque dans l’espoir d’infiltrer l’antique réseau du portail.
— Et s’il y parvient ?
— Jusqu’où s’étend le Portail Labyrinthe ? La question était pour Izzakar,
qui mit quelques secondes à répondre.
+On ne peut pas mesurer l’interdimensionnel en distance ni en temps.
Mais il est vaste, en théorie. Aux endroits que nous avons conquis au nom
de l’Empereur, nous avons posé les fondations du Portail Labyrinthe. Seule
une fraction était complète quand l’Empereur a envoyé tes prédécesseurs
sur Tizca.+
— Et si Magnus et ses démons en prenaient le contrôle ?
+Il disposerait de passages stables pour ses alliés immatériels à travers une
large partie de l’Imperium.+
— Mais le warp est partout, quelle différence cela fait-il ?
+Ce que tu appelles des démons, je les ai étudiés en tant que formules
intersectionnelles. Ce sont des remous du warp, d’infimes fragments de
conscience fluide nés de tempêtes et tourbillons plus grands. Même quand
ils se manifestent dans l’univers matériel, la plus grande fraction de leur
être doit rester dans les confins de l’espace warp. Le Portail Labyrinthe
comble cette distance. Il la rapproche, si tu veux.+
— Ce qui veut dire : des démons plus puissants.
Njal entendit Arjac gronder tandis qu’il reconstituait la conversation grâce
à la moitié qu’il pouvait entendre.
+Oui. De nouvelles manifestations. Des représentations plus puissantes de
la formule existante. Et si Magnus lui-même est devenu un être lié au warp
suite à sa transition, cela signifierait aussi une moindre dépense de sa propre
énergie inhérente pour maintenir sa forme physique.+
— Nous ne pouvons pas laisser cela se produire.
— Je suis d’accord, dit Arjac. Comment allons-nous faire pour arrêter
Magnus ?
Njal n’avait pas de réponse pour le hearthegn.
+Je ne crois pas que vous ayez ni les informations, ni les guerriers
nécessaires pour intervenir. Même si vous parveniez à vous rallier à
Bulveye, si le Roi Écarlate triomphe, vous ferez face à la pleine puissance
de l’Empyrée et à une vague infinie de démons.+
— Nous trouverons un moyen, lâcha le Maître des Tempêtes, s’adressant à
la fois à Izzakar et à Arjac.
Njal remonta le hall en direction de la meute de Poing de Pierre qui gardait
les portes principales, appuyée par les Dreadnought. Il fut frappé par
l’étrange image des Gardes-Loups qui, à cet endroit, la salle du trône de
Magnus, agissaient de façon aussi semblable à leur rôle de gardiens des
portes dans le Croc. Il chassa cette pensée. Sa mission, déjà des plus
improbables dès le départ, était maintenant à la limite de l’impossible. La
menace que représentait le plan de Magnus était plus importante que de
sauver les guerriers de Bulveye.
Arjac le suivit de près, sa voix un murmure empreint de tension.
— Peut-être que nous n’avons pas les moyens d’intervenir nous-mêmes,
mais nous pouvons faire en sorte qu’un avertissement parvienne à Fenris.
Njal suivit ce nouveau fil de réflexion.
— Ou encore plus loin… au Seigneur Guilliam et peut-être sur Terra elle-
même. La volonté de domination sur le Portail Labyrinthe de Magnus
constitue une menace même pour Ultramar et le Monde-Trône.
Avant qu’Arjac ne puisse répondre, un éclat de lumière passa au-dessus
d’eux. Un instant plus tard, un fracas de tonnerre secoua le hall du sol au
plafond. Quelque chose d’ailé, artificiel et anguleux plutôt que démoniaque
ou organique passa à la suite, une pluie d’étincelles à sa proue. Dans toute
la salle du trône, les guerriers se retournèrent, surpris.
— C’est un escorteur Thunderhawk ? demanda Arjac, le cou tordu pour
suivre l’ombre qui passait au-dessus de leurs têtes.
— C’est plus gros, répondit l’un des longs crocs.
+Tes compagnons ne reconnaissent-ils donc pas un Stormbird quand ils en
voient un ?+
— C’était gris, dit Ulfar, exprimant tout haut les pensées d’Arjac.
— Un de ceux de Bulveye ? demanda le hearthegn avec un regard vers
Njal.
Le psyker arborait une expression d’intense concentration et fixait la
verrite derrière laquelle le vaisseau était passé. Du givre doré ceignait son
front, le signe d’une activité psychique. Il cligna des yeux et tourna son
regard surnaturel vers le Garde-Loup. Ses yeux retrouvèrent leur aspect
normal.
— Oui, dit Njal.
Il se dirigea à grandes enjambées vers les portes principales, son bâton
frappant le sol, Aile-de-Nuit volant en cercle au-dessus des guerriers devant
lui.
— Par là.
Les Gardes-Loups, Dreadnought et Chevaucheurs de Tempêtes se
rassemblèrent rapidement, ils abandonnèrent leurs postes de guet pour se
regrouper derrière le Maître des Tempêtes. Celui-ci projeta son bâton vers
l’avant et, dans un souffle et un claquement retentissant, fit s’ouvrir les
portes sur un couloir. De chaque côté du passage s’alignaient des arches aux
portes de métal brut. Elles étaient ornées de symboles qui s’entrelaçaient
pour former triangles ou hexagones autour de l’emblème d’un œil. Au-delà
de ces portes se trouvaient d’autres pièces, vides de décoration ou de
meuble.
Tout au fond, le passage était barré par un grand portail blindé, les barres
de ses verrous clairement visibles. Ses mécanismes de commandes sortaient
à moitié des piliers qui l’encadraient sur le mur. Des générateurs se mirent à
vrombir à leur approche. Le scintillement d’une nuée dorée se manifesta
autour des commandes de la porte, extension du pouvoir qui enveloppait la
main tendue de Njal. Les deux battants s’ouvrirent dans un bruit de
claquements et un gémissement de rouages. La vive lumière du soleil
s’engouffra par l’ouverture, accompagnée du cliquètement sec de culasses
que l’on armait.
En s’ouvrant, la porte révéla une chaîne montagneuse lointaine, noyée de
brume et de fumée. L’éclat d’échanges de tirs apparut sur le sensorium
d’Arjac même à cette distance, mille deux cents mètres selon son augure.
Le détachement se mit en marche et la raison de la vive lumière ambiante
devint évidente : deux pâles étoiles à mi-chemin entre l’horizon et le zénith,
une de chaque côté. Au-delà de la porte s’étirait un pont, ou plutôt une
jetée, qui partait en ligne aussi droite vers la montagne qu’un tir de bolter.
Vers le milieu de la chaussée, une large ligne de guerriers en armure bleue
résistait à une attaque. Ils exploitaient comme ils pouvaient les couverts
offerts par des excroissances rocheuses qui sortaient du mur, mais plusieurs
armures brisées gisaient déjà sur la pierre dure. Les cadavres en robes d’une
foule de cultistes recouvraient le sol. En face d’eux s’alignait une
compagnie de space marines arborant la marque de Russ sur leurs armures
grises, bien que d’une nuance légèrement différente de celle des armures de
ceux que commandait Logan Grimnar.
Au-dessus d’eux, un appareil plus grand qu’un Thunderhawk effectuait des
cercles dans le ciel, sa proue en forme de tête de loup montrant les crocs, sa
coque peinte d’un camouflage d’éclairs dorés. La lueur du plasma illuminait
l’armure des combattants et la pierre polie, accompagnée des éclats
intermittents des tirs de canon laser et des rafales de bolts. D’autres
décharges d’armes lourdes traversèrent le pont tout au bout, leur source
dissimulée par les échanges de feu et les mêlées qui faisaient rage pour
prendre le contrôle de la chaussée.
Arjac s’avança dans la lumière et éprouva une étrange sensation de
dislocation. Tandis qu’Arjac et les Chevaucheurs de Tempête survivants
s’élançaient, leurs armes pointées sur les poches de Thousand Sons engagés
contre les guerriers de Bulveye, le hearthegn se dirigea vers la rambarde
basse à sa droite. Les données du sensorium n’avaient aucun sens et
suggéraient qu’il n’y avait rien sous la citadelle. Arjac se pencha par-dessus
le parapet et regarda derrière lui.
La forteresse n’était pas beaucoup plus grande que ce qu’ils en avaient vu,
composée en grande partie du hall principal et de l’entrée, flanqués de tours
et de tourelles plus petites. Trois pilastres étroits se dressaient en son centre
et perçaient le ciel comme des doigts noueux. La citadelle était bâtie en
pierre lisse, un marbre poli veiné de violet et de bleu azur, et surmontée de
toits en tuiles rouges hérissés de douzaines de mâts supportant des
drapeaux. Des étendards bleus flottaient là, marqués de l’œil à pupille de
warp de Magnus. Le symbole de ses cultistes.
— Ça n’a pas été construit par Magnus, mais pour lui, dit Arjac à Berda
qui arriva à sa hauteur.
— Sorcellerie, marmonna le Garde-Loup, puis il attira l’attention de son
chef de meute en pointant du doigt la base de la citadelle.
Arjac avait cru voir un contrefort, mais découvrit à la place un sol
infiniment plus bas. Des oiseaux, dérangés par le combat, volaient en
cercles et plongeaient en piqué dans le gouffre sous la forteresse, qui n’était
maintenue dans les airs que par la chaussée. Son regard se posa sur le seuil
et sur chaque côté où mur et pont se rejoignaient. Quelque chose clochait,
comme si l’un n’était pas tout à fait bâti sur l’autre.
La réponse lui vint sous la forme d’un cri d’avertissement de Valgarthr, qui
fit se tourner tous les yeux vers le ciel dominant le champ de bataille
montagneux. Dans l’air flottaient deux citadelles de pierre et ferrobéton,
maintenues dans les airs par une lueur ensorcelée qui pulsait autour de leurs
fondations. Les tours, remparts et arcs-boutants assemblés de façon
improbable reflétaient la lumière des deux soleils et luisaient d’une aura
argentée.
En y regardant de plus près, Arjac put voir un chatoiement d’énergie
danser sur les donjons étranges et, sur les murs, il aperçut des silhouettes en
armure bleues qui se pressaient par douzaines sous les bannières à
l’emblème du serpent qui se mordait la queue, celle des Thousand Sons.
Des langues de feu jaillirent des deux tours avec un sifflement aigu et
s’écrasèrent sur la voie en une série d’explosions céruléennes. Des guerriers
en armure grise furent propulsés en tous sens par la déflagration, éjectés
dans les airs et au-dessus de la rambarde dans les abysses impossibles.
Des blocs de maçonnerie de la taille d’un tank tombèrent en pluie et Njal
projeta un écran de force wyrdique pour protéger Majula et ses gardes, ainsi
que plusieurs des guerriers de Valgarthr. Un rocher déchiqueté percuta le
pont un peu plus loin et écrasa Ingvarr Front-Tonnerre sur le ferrobéton. La
pierre se fendit en trois morceaux qui roulèrent plus loin, laissant le
terminator prostré au milieu des débris.
— Je vais bien, croassa Ingvarr par le vox.
Il se força à se relever sur un genou, haletant. De la poussière et des éclats
glissèrent des plates cabossées de son armure tactique Dreadnought.
— Laissez-moi juste une minute.
Les lasers antiaériens des transports de la Vieille Garde ripostèrent. Des
traits d’énergie couleur rubis allèrent percuter les boucliers psychiques des
citadelles flottantes des adeptes de Tzeentch. Des tirs de canon laser et des
missiles antichars suivirent, tirés par les meutes de la Vieille Garde,
appuyés par les armes lourdes des loups d’Arjac. Les Dreadnought des
Chevaucheurs de Tempête tournèrent eux aussi leurs armes vers les engins
de guerre des Thousand Sons, et au bout de quelques secondes, le duo de
citadelles se trouva au centre d’un ouragan de feu qui convergeait, tiré de
toute la longueur du viaduc. Des bouquets d’énergie noyèrent la tour
d’argent la plus proche et l’allumèrent comme une balise, aussi brillante que
les deux étoiles dans le ciel. L’autre citadelle prit de l’altitude et échappa
ainsi au plus gros de l’attaque des Space Wolves.
Depuis les remparts et les plates-formes, une compagnie de Thousand
Sons tira des salves de bolters. Chaque bolt était un projectile ensorcelé qui
étincelait de feu rouge et vert. Ceux qui touchèrent leur cible traversèrent
sans effort les plates des Space Wolves et se frayèrent avec facilité un
chemin dans la chair et les os, calcinant tout. Le canal vox et l’air
s’emplirent des hurlements des blessés.
+C’est un bouclier kinésique,+ déclara Izzakar.
— Et ? demanda Njal.
Il fit balaya l’air de son bâton, pivota et étira son écran psychique pour
parer une volée de projectiles infernaux qui tombaient en une grêle
mortelle.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
+C’est de l’ouvrage Raptorae, l’œuvre de mes frères de culte. Je sais
comment le contrer.+
— Ce ne sont pas des cultistes de Magnus. Ce sont les frères de ta légion.
+Je n’ai aucune allégeance commune avec eux, Maître des Tempêtes, et ils
se dressent entre ma résurrection et moi.+
— Alors, dis-moi, comment peut-on les contrer ?
Le Maître des Tempêtes avança et transforma son bouclier en une sphère
de foudre. Avec un grondement, il envoya le projectile crépitant vers la plus
basse des tours, mais celui-ci fit que s’éparpiller sur les défenses psychiques
sans causer de dégâts.
— Comment pouvons-nous briser ce bouclier ?
+Donne-moi ton corps. Il me reconnaîtra comme l’un des fils de Magnus
et nous laissera passer.+
La tour la plus haute planait au-dessus de la chaussée, son ombre glissant
sur les meutes de Chevaucheurs de Tempête et de la Vieille Garde. Njal leva
les yeux et vit le soubassement marqué de centaines de runes maléfiques
qui brûlaient d’un feu crépitant. Les Thousand Sons de la citadelle la plus
proche dirigèrent les flammes corrosives de leurs machines sur les
Dreadnought, des étincelles actiniques jaillirent à chaque impact sur leur
sarcophage blindé. Même les épaisses plates de Bjorn et de ses frères
d’armes n’allaient pas résister longtemps à un tel assaut, et toute riposte
restait inutile face au bouclier kinésique.
Était-ce cela qu’Izzakar avait cherché à manigancer depuis le début ?
Livrer Njal à la merci des guerriers de Magnus ? C’était d’une logique
glaçante, qu’il se fasse tuer des mains du Primarque démoniaque, comme
un trophée, ou qu’il connaisse un sort plus sinistre encore.
Njal était extrêmement suspicieux, mais il se devait d’agir maintenant, ou
tout serait perdu.
— Très bien, sorcier…
Il ouvrit sa forteresse mentale et laissa à Izzakar l’accès total à son corps et
à ses pouvoirs.
Tout livrer au psyker des Thousand Sons, c’était devenir un passager dans
son propre corps. Izzakar mit de côté les pensées du Space Wolf et remplit
graduellement l’espace libéré par le retrait de la psychée du Maître des
Tempêtes. Njal regarda autour de lui, mais pas de sa propre volonté, et se
sentit courir. Une marée d’énergie psychique monta autour de lui.
La sensation de l’utilisation du warp par Izzakar était différente de celle
enseignée par ses traditions wyrdiques. Pour Njal, puiser dans le warp avait
toujours eu l’effet d’une action élémentale, qui siphonnait son pouvoir
comme s’il canalisait une tempête dans l’étroit ravin de son esprit.
L’Archiviste des Thousand Sons ne canalisait pas, mais bandait ses muscles
mentaux, ouvrait ses pensées au nimbe de warp, laissait des excroissances
de son esprit s’étendre comme un cristal à la croissance exponentielle,
formait des motifs géométriques dans le tourbillon immatériel.
Une lumière s’embrasa autour du Prêtre des Runes quand il s’éleva. Il
perçut le moment où son poids ne fut plus supporté par le sol, accélérant
sans effort dans un mouvement ascendant, son bâton tendu devant lui, le
crâne à son extrémité rayonnant. La sensation de liberté le rendit
euphorique, mais il ne disposait pas ni des poumons ni de la bouche pour se
mettre à rire.
La ligne de feu dessinée par les bolts Inferno changea de direction quand
les traîtres réagirent à son approche. Aile-de-Nuit le dépassa d’un coup
d’aile en un flash de noir et d’or, plus rapide qu’il n’avait jamais vu le
psyber-corbeau voler. Le familier décrivit des cercles et des boucles au-
dessus de lui et son sillage incandescent traça des runes prosperines dans
l’air. Les projectiles à l’aura écarlate rebondirent sur les symboles
étincelants comme sur un mur solide, puis chutèrent vers le sol telles des
lucioles agonisantes.
Le psyber-corbeau poursuivit sa route. De l’énergie crépita de ses ailes
quand il franchit le bouclier kinésique. Dans des croassements fous, il se
jeta sur les légionnaires traîtres postés à la rambarde d’un balcon qui
surplombait sa position et ouvrit une brèche dans leur ligne de feu. Le
Prêtre des Runes vola à travers cette faille.
Des interférences crépitèrent sur son armure et dansèrent le long de sa
barbe au contact du bouclier kinésique. Puis, celui-ci disparut et la tour ne
fut plus qu’à une douzaine de mètres de lui. Son pistolet bolter cracha en
direction des Thousand Sons, une salve de suppression plutôt qu’une
attaque destinée à tuer, car l’armure des traîtres résistait plutôt bien aux
bolts.
Entre les tirs de son arme et les attaques en piqué d’Aile-de-Nuit, les
rafales se clairsemèrent.
Izzakar lança un coup d’œil de chaque côté et à la limite de son champ de
vision, Njal aperçut des ailes ténébreuses qui se déployaient dans son dos.
Elles se replièrent et s’effacèrent en une absence étincelante quand
l’Archiviste guida la massive armure Terminator au-dessus d’une balustrade
ornementée et au milieu des défenseurs.
Une décharge enflammée jaillit du pommeau de son bâton et arracha le
masque de l’adversaire le plus proche. Izzakar exploita la masse de son
armure Terminator pour s’attaquer physiquement à l’escouade ennemie. À
grands coups d’épaule, il repoussa les adversaires hors de son chemin.
Autour de lui, des tentacules télékinétiques fouettaient l’air et se tortillaient.
Leur contact fit voler des armes des mains, força des articulations d’armure
et arracha métal et pierre de la tour elle-même pour les projeter sur les
guerriers qui se précipitaient vers l’intrus. Des membres d’ombre firent
trébucher un combattant qui les attaquait de dos, son épée fut arrachée de sa
poigne par un autre tentacule psychique avant d’être plongée dans sa
visière.
De la matière d’âme s’échappa de ses victimes. Elle forma. des volutes en
rouge, gris et noir qui se dispersèrent, laissant les armures vides s’effondrer
avec fracas sur le sol de pierre. Quelques secondes après leur arrivée, une
demi-douzaine d’ennemis gisaient, brisés, sur le balcon, mais le même
nombre se tenait encore debout, entre le Prêtre des Runes et la Porte.
+Trouve le sorcier,+ dit Njal à Izzakar d’un ton pressant.
Sa voix résonna dans sa propre tête, différente de tout ce qu’il avait pu
expérimenter jusqu’alors, étourdissante et pourtant distante.
Le Space Wolf avança sans hésitation tandis que les Thousand Sons
formaient une ligne face à lui. Des bolts Inferno explosèrent à mi-chemin
quand ils percutèrent un mur de force invisible dressé autour du Prêtre des
Runes.
Izzakar pressa sa volonté, détruisit le mur extérieur de la tour pour
réassembler les blocs en une barrière plus substantielle contre les tirs. Aile-
de-Nuit se glissa dans le passage ainsi créé et ils le suivirent de près.
À cet étage, une passerelle circulaire suivait la courbe du mur, éclairée
d’une luminescence psychique d’un jaune pâle. Devant eux, des
légionnaires Thousand Sons firent irruption par une porte, à la recherche de
l’intrus.
— C’est le moment d’abattre cette monstruosité, déclara Izzakar.
Njal ne put percevoir entièrement ce que l’archiviste fit ensuite, car il n’y
assista que depuis l’intérieur de ses propres pensées, indirectement. Il suivit
la trace d’une partie du pouvoir d’âme d’Izzakar qui s’écoula à l’intérieur
de la substance de la tour sous leurs pieds. Une autre portion de l’esprit du
psyker s’éleva à travers les murs et le plafond, cherchant… Njal ne savait
guère quoi, incapable de suivre sa rapide progression.
— Rien qu’un petit ajustement, marmonna Izzakar avec la voix de Njal.
La tour d’argent fit une embardée et pivota brusquement à un angle de
quarante-cinq degrés. Izzakar s’y était attendu et sut conserver son
équilibre, mais pas les traîtres. Ils titubèrent, percutèrent le mur et
s’écrasèrent lourdement les uns sur les autres. Njal pouvait s’imaginer de
telles scènes d’anarchie partout dans l’édifice, des guerriers projetés hors de
balcons et de fenêtres, des traîtres qui chutaient dans des escaliers ou se
percutaient avec violence.
La lumière venue de la faille dans le mur vacilla et Njal perçut la sensation
de légèreté d’une descente rapide, comme s’il était dans un module
d’atterrissage. Izzakar leur fit remonter le sol en pente et revenir sur le
balcon, poursuivis par des grêles de bolts quand les Thousand Sons
retrouvèrent leur équilibre, au sens propre comme au figuré.
Vu de l’extérieur, il était évident qu’ils étaient en train de plonger vers
l’extrémité de la chaussée. Des flammèches blanches jaillirent d’en dessous,
dans le sillage de leur chute. Izzakar avança jusqu’à la rambarde et baissa
les yeux. Sur le pont, il vit les Space Wolves s’éloigner de la tour en
perdition.
Ils étaient à peine à vingt mètres de l’impact quand Izzakar se propulsa
dans les airs et déploya des ailes kinésiques pour les mettre à bonne
distance de la tour sur le point de percuter le sol.
La citadelle inclinée s’écrasa contre le mur de la jetée. Un nuage de débris
et de poussière engloutit la construction brisée. Elle bascula de plus en plus
loin, projetant d’autres guerriers de ses tourelles crénelées quand le sommet
passa en dessous de la base. Elle poursuivit son mouvement et finit par
disparaître entièrement dans la brume, ne laissant une nuée d’armures en
chute libre et une traîne de feu sorcier semblable à la queue d’une comète.
L’autre tour d’argent s’éloigna, comme pour fuir la perte sa compagne.
Dans les airs, le Stormbird et les autres appareils se rapprochèrent, enhardis
par la destruction de la tour. Des tirs de canon laser et des missiles vinrent
s’éclater sur le bouclier kinésique de la deuxième tour, ce qui l’obligea à
prendre plus d’altitude encore.
Izzakar les ramena sur la passerelle, à proximité de la section brisée.
Quelques Thousand Sons gisaient sur la pierre fendue là où ils étaient
tombés ou avaient sauté, certains d’entre eux immobiles, d’autres essayant
de se remettre sur pieds, avec lenteur et maladresse. Les Space Wolves
pointèrent leurs armes sur ces coquilles vides sans esprit et fendirent les
armures des guerriers prostrés par leurs tirs nourris.
Njal essaya de reprendre le contrôle pour rejoindre le combat. Son corps
ne répondit pas, dominé par l’esprit d’Izzakar.
+Laisse-moi combattre !+
— Tes frères ont la situation bien en main, Maître des Tempêtes.
Njal laissa sa colère envahir la conscience d’Izzakar, mais le sorcier n’y
prêta pas attention. Le psyker fit danser des étincelles de wyrd sur le
pommeau de son bâton et chacune d’entre elles dessina un petit emblème de
la Légion des Thousand Sons.
— Tellement de puissance, maniée avec si peu de précision.
Njal regarda, impuissant, les Thousand Sons succomber à la rage
combinée des Chevaucheurs de Tempête et de la Vieille Garde. Lorsque le
dernier d’entre eux périt, les combattants de la Treizième Compagnie
reculèrent, leurs armes pointées vers les nouveaux arrivants. Soudain
encerclés, Valgarthr et Arjac firent signe à leurs guerriers de baisser leurs
armes.
+Rends-moi mon corps !+
Pendant quelques secondes, Njal pensa qu’Izzakar allait refuser. Son
regard passa des Space Wolves à la forteresse à moitié construite derrière
eux, comme s’il soupesait ses options. Il n’y avait personne entre eux et
cette porte qu’ils avaient franchie pour atteindre le pont, et tous les regards
étaient tournés vers la Vieille Garde. Njal chercha à deviner les pensées
d’Izzakar, lequel se demandait, peut-être, s’il avait le pouvoir de
commander une telle tour lui-même.
Non sans réticence, l’Archiviste renonça à son contrôle sur le corps de
Njal et s’extirpa du système nerveux et des muscles comme un serpent en
mue. Njal remplit l’espace laissé vide, impatient d’être à nouveau le maître
de sa propre chair.
Il se dépêcha de traverser la chaussée couverte de gravats, jouissant du
retour de ses sensations physiques. Il ne s’était écoulé que quelques
minutes, tout au plus, depuis qu’il s’était abandonné à l’Archiviste des
Thousand Sons, mais chaque seconde avait été chargée de frustration et du
doute constant qu’il ne regagnerait pas le contrôle. Il fut frappé à l’idée que
c’était ainsi qu’Izzakar avait vécu les dernières semaines depuis le début de
ce triste épisode. Il repoussa toute sympathie pour se concentrer sur la
situation en pleine escalade entre les deux factions de Space Wolves.
— Qui commande, ici ?
La question provenait d’un barbe grise dans une armure Terminator d’un
modèle archaïque. La peinture et la céramite étaient très ébréchées, et la
dorure griffée en bien des endroits, mais on pouvait reconnaître l’aettgard
de la Treizième Compagnie. Son langage était lui aussi ancien, mais
compréhensible.
— Votre aettmark m’est inconnu, étranger. Explicitez clairement votre
geldfut, ou mon fyrbrod sera votre perte.
— Je suis Njal Maître des Tempêtes, répondit le Prêtre des Runes d’une
voix assurée. Des Space Wolves.
Le regard acéré du vétéran de la Vieille Garde examina son armure
runique et sa coiffe psychique en un instant, et ses yeux s’étrécirent.
— Wyrd-skaldr ?
— Oui. Il y a bien des choses à expliquer, mais nous n’en avons pas le
temps maintenant. Je cherche Bulveye, votre seigneur loup.
Le légionnaire ne détourna pas le regard de Njal. Il parla en pesant ses
paroles, formulant les mots en Bas Gothique avec précision plutôt qu’avec
une aisance naturelle. C’était comme s’il s’adressait à un enfant, compris
Njal, et non par ignorance du langage.
— Quelles sont les nouvelles du Roi Loup ? Tizca résiste-t-elle encore ?
Avez-vous amené les Sœurs du Silence et les Custodes ? Nous pourrions
avoir besoin d’eux.
— Des questions difficiles, et des réponses qui le sont encore plus,
répondit Njal. Sachez que nous sommes venus pour vous mener hors du
Portail Labyrinthe. Nous devons retrouver Bulveye. Où est votre seigneur
loup ?
L’homme de la Vieille Garde fit un pas en arrière, concédant une pause
dans ses questions. Les servomoteurs sifflèrent quand il agita son combi-
bolter en direction de l’extrémité de la chaussée où le combat faisait
toujours rage. Les traînées de condensation des escorteurs et les boucles
formées par les silhouettes ailées des appareils d’attaque semi-démoniaque
striaient le ciel au-dessus de la chaîne montagneuse. Njal pouvait voir
l’éclat d’une bataille au milieu des monticules rocheux et des piliers où des
formes en armures grises s’opposaient à des taches de bleu.
— Par là, lanceur de runes. Pile là où on s’y attend. Au cœur de l’action.
CHAPITRE 15
LES DERNIERS DES BARBES GRISES

Les deux compagnies de Space Wolves étaient séparées par dix mètres et
dix mille ans, le face à face tendu se prolongea encore un peu. La Vieille
Garde avait clairement l’avantage du nombre et de la puissance de feu, mais
Njal et ses Chevaucheurs de Tempête refusèrent de reculer et formèrent une
poche de résistance au milieu de la Treizième Compagnie.
— Je te connais, tonna Bjorn.
Le Dreadnought fit un pas en avant, la griffe tendue pour la pointer vers le
chef de bataille de la Vieille Garde.
— Je peux voir tes marques, Halvar Trysten, husjarl de Bulveye.
— Je ne peux pas en dire autant, pour toi, vêtu d’acier et d’effroi, répondit
Halvar.
Il continua dans un flot de vieux fenrissien bien trop rapide pour que Njal
puisse vraiment suivre, mais Bjorn répondit de la même manière. L’échange
se prolongea quelque peu et s’acheva avec le recul d’Halvar d’un pas, dans
un geste de concession.
— C’est impossible à croire, mais y croire je le dois, déclara le husjarl en
reportant son attention sur le jarl. Ton guerrier, Bjorn, parle de sujets que
seul l’aett du Roi Loup pourrait connaître. Une centaine de siècles ! Par le
Père-de-Tout, c’est plus difficile à digérer qu’un kraken entier. Tu as raison,
cela me dépasse, il te faut Bulveye. Mettez-vous en route et trouvez-le, nous
avons toujours pour ordre de sécuriser cette citadelle.
— Elle est vide, dit Arjac. Vous nous avez vus en sortir. Il n’y a point
d’ennemi en ces murs. Vos bras seront plus utiles en portant assistance à
votre seigneur loup, là-bas.
Halvar se tourna à moitié vers ses compagnons et Njal entendit le
sifflement d’un échange par vox.
+Ne dis rien de moi,+ insista Izzakar.
— Je n’en avais pas l’intention, murmura Njal en réponse.
Le husjarl se retourna vers eux et hocha la tête.
— Il semblerait que les circonstances prennent le pas sur mes ordres. Nous
allons vous conduire au Vieux Loup.
Cela ne prit que peu de temps d’organiser les troupes. Bien qu’un fossé de
dix mille ans les séparât, la culture et la discipline de combat des Space
Wolves n’avaient guère changé et les Chevaucheurs de Tempête se
retrouvèrent en formation sans vraiment y penser, derrière l’avant-garde des
Barbes Grises et à côté des Terminators d’Halvar.
Ils s’avancèrent à nouveau sur la chaussée, guettant le retour de la tour
d’argent ou l’arrivée d’une nouvelle menace. Au niveau du poste de garde
en ruines à l’entrée du pont, plusieurs transports attendaient. Njal reconnut
trois Rhino, un véhicule dont le modèle omniprésent était encore en usage
après dix millénaires. Plusieurs autres véhicules n’étaient pas aussi
familiers : des variantes des Predator qu’il connaissait bien, mais aussi un
cousin plus grand et aux flancs plats du Land Raider. Une triple rangée de
canons laser sortaient de ses tourelles latérales et son compartiment d’assaut
allongé était protubérant comme le museau d’un molosse.
+C’est un Spartan,+ expliqua Izzakar. +Et ce chasseur de chars, derrière,
est un Sicaran Venator. Ton ignorance est incroyable. Comment peut-on
oublier comment construire un tank ?+
Le Maître des Tempêtes ne le savait pas. Ces choses-là étaient le secret de
l’Adeptus Mechanicus, un crédo imprégné d’encore plus de rituels que les
saints enseignements de l’Adeptus Ministorum. Il reporta son attention sur
Halvar, veillant à ne pas commettre la moindre bévue qui aurait pu alerter le
husjarl qu’il se tramait des choses étranges dans la compagnie venue les
sauver.
— Votre combat contre les Thousand Sons dure-t-il depuis longtemps ?
demanda Njal à son escorte.
— C’est plutôt sporadique, répondit Halvar. C’est… Ce n’est pas facile à
mesurer, dans cet endroit. Je pensais que cela faisait quelques jours, peut-
être deux semaines, que nous étions entrés. Nous avons réglé leur compte à
ces sales chiens que dirigeait le sorcier qui nous a piégés ici, puis sommes
partis à la recherche de la sortie ou d’un autre ennemi. Rien. Aujourd’hui,
les Thousand Sons sont revenus, mais dans des armures différentes de celles
que nous leur connaissions. Ils sont tels que vous les avez vus, avec pour
compagnons d’étranges créatures wyrdiques. Leur armure est vide, mais
pourtant animée, sauf pour quelques-uns de leurs chefs. C’est l’œuvre de
Magnus.
+Il se vante ouvertement d’avoir massacré ma compagnie ! Ce n’est pas
moi qui les ai piégés, mais leur abruti de Vieux Loup.+
— J’ai les moyens de tous nous sortir d’ici, mais nous devons agir
rapidement. Ces dix mille ans n’ont pas amené la défaite de Magnus, et il
concocte un nouveau plan diabolique qui repose sur le Portail Labyrinthe.
Nous devons avertir l’Imperium.
— Oui, c’est ce que nous a dit Bjorn. Dire que ce petit gars des Griffes
Sanglantes est devenu votre guerrier le plus ancien et le plus vénéré.
Qu’est-ce que vous allez faire de la Vieille Garde, hein ?
+Oui, bonne question : que vas-tu faire du barbare meurtrier qui a choisi
de condamner ses hommes plutôt que de négocier avec moi ?+
Ils atteignirent le poste de garde en se frayant un chemin au milieu des
gravats qui recouvraient l’entrée, des monticules de pierro-béton recouverts
de gouttelettes du métal fondu des portes détruites.
Les aboiements des armes des Space Wolves et les sifflements des bolts
Inferno des sorciers étaient désormais plus proches. Des Turboréacteurs
vrombirent au-dessus d’eux quand les escorteurs percèrent les nuages. Les
hurlements aigus de dragons démoniaques répondirent à ce défi. Le vent de
la montagne portait l’odeur du sang et le fumet corrompu de la sorcellerie.
— Tu montes avec moi, wyrdskaldr. Halvar fit un geste vers les
Terminators de Poing de Pierre, puis vers le Spartan. Vous aussi. Nous
avons plein de place là-dedans.
— Maître des Tempêtes ? Valgarthr communiqua sa déception par ce seul
nom, protestant à l’idée d’être laissé derrière.
— Je ne peux diviser mes troupes, husjarl, dit Njal.
— Alors, j’espère que vous ne verrez pas d’inconvénient à voyager sur le
toit, lâcha le Vieux Garde à Valgarthr, en donnant une claque sur le
transport blindé. Je ne peux pas me permettre de vous laisser un Rhino.
Valgarthr fit un signe de la main aux survivants de sa meute et ils
grimpèrent sur les flancs du monstre mécanique, s’installant autour du
dôme de pilotage et à distance des roues.
Halvar conduisit le reste d’entre eux sur la rampe puis se retourna et tonna
quelque chose en vieux fenrissien à Bjorn, qui lui répondit en levant la
griffe. Les Dreadnought, suivant Bjorn, se dirigèrent vers la droite,
descendirent de la jetée et partirent vers la montagne.
— J’ai dit à ton aett-vater de nous rejoindre dans ce ravin, dit le
Terminator en désignant une ligne sombre à flanc de montagne à environ un
kilomètre de distance. Je ferai signe à Bulveye quand nous nous mettrons en
route.
Ils prirent place à l’intérieur d’un compartiment qui faisait presque le
double de celui d’un Land Raider standard. Njal fit monter Majula, la
dirigeant vers l’un des sièges à l’avant. Le harnais de bataille étant trop
grand pour elle, il s’installa à côté d’elle, une main placée contre son torse,
les articulations de son armure la bloquant aussi sûrement que n’importe
quelle sécurité. Dorria et la poignée de Gardes Navis s’accroupirent contre
la rampe d’embarquement.
— Dommage qu’aucun de ces véhicules n’ait survécu, ils seraient très
utiles, dit Arjac, appréciatif, en se plaçant dans l’une des alcôves.
Il rit à cette idée.
— Quinze Gardes-Loups déployés en même temps ! Une force de frappe
équivalente à celle du Roi Loup !
— Il en faut peu pour t’impressionner, dit Halvar qui se dirigeait vers la
console de commandement derrière le poste de pilotage. Mieux vaut qu’on
ne te montre pas le Mastodon…
Le Spartan et son escorte dérapèrent sur les gravats et le terrain argileux
quand ils gravirent la pente. Le vrombissement du moteur était source de
réconfort pour Njal, la pulsation régulière des conduits d’alimentation
comme un battement de cœur. La vibration des décharges de canon laser, le
bruissement des bandes de munitions que le combi-bolter sur le toit avalait,
les craquements et ronronnements des plates de blindage étaient une douce
berceuse.
Il se rendit soudain compte qu’il n’avait aucune idée du temps qui s’était
écoulé depuis qu’il était passé par le portail de la Pyramide de Photep. Le
chronomètre de son armure indiquait un peu plus de dix-sept heures, mais
en raison de l’effet du warp dans le labyrinthe, dix fois plus de temps
pouvait s’être écoulé sur Tizca.
À l’idée de la vieille capitale, son sentiment de sécurité s’évapora aussi
rapidement qu’il s’était installé. Aile-de-Nuit sauta nerveusement de son
épaule sur son avant-bras et donna des coups de bec sur l’armure. Les
forces laissées en défense de la pyramide pouvaient avoir été terrassées. Le
Roi Écarlate lui-même pouvait avoir pénétré le Portail Labyrinthe et être à
ce moment précis à la tête d’une nouvelle tentative d’invasion de
l’Imperium.
Il rejeta cette dernière idée. Il était à l’intérieur du portail, certain qu’il
aurait perçu quelque chose d’aussi majeur. Et dans le cas contraire, Izzakar,
lui aurait sûrement fait une remarque à ce sujet. Quant à la première
menace, elle était bien plus plausible. Des thralls et des vétérans pouvaient
devenir des légendes, mais ils pouvaient tout aussi facilement devenir des
sacrifiés oubliés sur l’autel de la vanité. Plus longtemps ses troupes
demeuraient à l’intérieur du labyrinthe, plus fortes étaient les chances
qu’aucun d’entre eux ne retourne jamais sur Fenris.
— Nous arriverons à la gorge dans une minute, les prévint Halvar en se
détournant de la console de commandement.
Il détacha son combi-bolter de sa cuisse où l’arme avait été fixée
magnétiquement.
— Cette zone de déploiement est plus infecte que les vapeurs du Cyclope.
J’espère que les Fils de Russ n’ont pas oublié comment on se bat.
— Nous n’aurons pas de quoi avoir honte, crois-moi, répondit Arjac.
Un choc de shrapnel sur le blindage du Spartan ramena les pensées de Njal
vers les Chevaucheurs de Tempête installés sur la bête mécanique.
— Valgarthr, comment ça va, là-haut ?
— J’ai connu mieux, Maître des Tempêtes. C’est la folie, par ici.
Une réponse laconique d’autant plus inquiétante que le chef de meute avait
fait l’expérience de la perte de la moitié de son crâne sur le champ de
bataille.
— Accrochez-vous, nous serons à l’objectif dans trente secondes, dit-il à
son commandant. Prépare ton escouade pour un déploiement de combat.
Un rire rauque lui parvint par la vox.
— Ça doit être confortable de voyager dans l’un de ces trucs, Maître des
Tempêtes. On tire sur des ennemis depuis plusieurs minutes !
Njal fut pris d’une bouffée de honte et ne sut que répondre.
— La Vieille Garde d’abord, dit Halvar.
Les Terminators sortirent de leurs alcôves et formèrent un carré devant la
rampe d’assaut avant. Arjac jeta un regard vers Njal et le vox vibra sur un
canal sécurisé.
— Doit-on suivre les ordres de ce lieutenant, Maître des Tempêtes ?
— Il en sait plus qu’aucun d’entre nous sur ce qui se passe ici, répondit
Njal. Donc oui, nous allons suivre le husjarl pour l’instant.
— Compris.
— Reste ici, ajouta Njal à voix haute, à l’attention de la Navigatrice.
Elle remonta ses jambes contre sa poitrine, semblable à une enfant dans un
siège d’adulte, ses bras serrés autour de ses jambes, ses yeux brillants sur sa
peau sombre, baignée dans la lumière rougeâtre de l’habitacle. Elle hocha
faiblement la tête, ses réserves de courages épuisées par tout ce qui s’était
produit depuis qu’elle avait bravé l’entrée dans le Portail Labyrinthe.
— Tu t’en en sors bien, Navigatrice. La Maison Belisarius chantera tes
louanges à notre retour.
Elle se força à sourire, en une grimace qui ne trompa personne.
— Ouverture de la rampe dans cinq… quatre… compta Halvar. Trois…
Les mots furent noyés quand le corps et l’armure de Njal augmentèrent
son niveau de stimulation en préparation de la sortie. Un bruit de bottes
résonna au-dessus d’eux quand les guerriers de Valgarthr se préparèrent à se
déployer depuis le transport qui ralentissait. Les armures des Gardes-Loups
se pressèrent contre son dos, se fermèrent autour de lui comme une seconde
couche de plates, l’enfermant entre eux et la Vieille Garde, devant. Loin
d’une sensation de claustrophobie, il éprouva un sentiment de proximité.
Des frères devant et derrière. Un lien indestructible de fraternité à travers
les générations.
Dans un crissement, les rampes d’assaut s’ouvrirent et la lumière inonda le
compartiment.
Halvar sortit sur la passerelle de métal, son combi-bolter en joue.
— Pour le Pè…
Une décharge de feu blanc et azur passa par l’ouverture. La tête d’Halvar
explosa en un nuage écarlate et le Terminator derrière lui s’effondra, le
torse déchiqueté par l’impact.
Ce fut l’anarchie.
Son instinct propulsa Arjac sur le côté quand une autre décharge étincelante
embrasa l’ouverture de la rampe. Derrière lui, dans une cacophonie de
jurons, Gardes-Loups et Vieille Garde activèrent les trappes des flancs, les
boulons explosifs envoyant les plaques s’écraser dans un champ d’herbe
sèche. Au-dessus d’eux, les guerriers de Valgarthr descendirent d’un bond
pour s’éloigner du feu ennemi, piétinant la terre dure.
— Virage ! les avertit le pilote du Spartan.
Les chenilles se mirent en route et l’imposant transport pivota de manière
à recevoir la décharge de sorcellerie suivante sur son blindage supérieur.
D’autres Space Wolves en armure énergétique bondirent par-dessus les
chenilles vrombissantes, s’entrechoquant avec leurs frères Terminators qui
émergeaient du véhicule. Arjac hésitait entre se tourner vers la trappe du
flanc ou passer directement par la rampe : celle-ci était plus proche, mais
c’était se jeter directement sous la ligne de feu ennemie.
Sa décision fut prise un instant plus tard quand Njal s’avança sur la rampe
d’assaut, nimbé d’énergie psychique qui s’écoulait de l’ouverture comme
une nappe de brouillard. Le Maître des Tempêtes avança et projeta son
bouclier en avant, offrant ainsi une couverture au Spartan et à ses passagers
désorganisés, et laissa assez de place pour qu’Arjac et Ingvarr, ainsi que
deux guerriers de la Vieille Garde, puissent jaillir de la rampe.
Les artilleurs avaient localisé la source de l’embuscade, un bosquet
d’arbres rabougris deux cents mètres plus haut sur la pente. Des cultistes en
robes utilisaient un appareil de cristal et d’acier monté sur quatre jambes
articulées. La gueule de l’étrange canon avait la forme du museau épaté
d’une vache, avec une langue de cristal luisante d’énergie warp. Des amas
de tubes en verre recouvraient les masques des artilleurs qui trouvaient
refuge derrière un mantelet de protection en forme d’ailes déployées.
Autour d’eux, des douzaines d’autres cultistes brandissaient des pistolets
lasers et des armes automatiques. Tous visaient les Space Wolves contraints
de sortir de leur véhicule blindé. Le claquement de balles qui se brisaient
sur la céramite résonna aux oreilles d’Arjac tandis que des éclats de
peinture arrachés à l’épais blindage du Spartan flottaient dans son champ de
vision.
Les autosens d’Arjac faiblirent quand des canons laser à triple suspension
ripostèrent violemment de derrière lui. Leurs rayons rubis brisèrent en deux
le canon arcanique et vaporisèrent son équipage. Les Space Wolves ne
mirent que quelques secondes à s’organiser. Ils se séparèrent en cinq unités
qui libérèrent des tirs de suppression en direction des arbres tandis que la
Vieille Garde s’avançait, leurs combi-bolters crachant la mort sous les
maigres frondaisons grises. Le sensorium s’agita pendant un instant, luttant
pour se fondre avec les unités augures archaïques des autres terminators, ce
qui obligea Arjac et sa meute à désactiver leur connexion. Leurs autosens
modernes restaurés, la vue améliorée absorba la bataille qui faisait rage sur
la colline.
Son expérience lui permit de savoir en un seul coup d’œil ce qui s’était
passé. La Vieille Garde avait sécurisé l’extrémité de la jetée en force, avant
d’envoyer les meutes d’Halvar par la porte. À un moment ou à un autre, les
Thousand Sons et leurs alliés avaient attaqué les deux forces. Une forme de
pouvoir wyrdique leur avait permis d’attaquer en force une seule zone du
front, se téléportant peut-être même directement dans le combat.
Arjac regarda les escorteurs, capables de manœuvrer sans trop de
contraintes. Leurs armes dispersaient les cultistes qui s’étaient amassés pour
l’assaut, et les envoyaient se réfugier dans les ombres comme de la vermine
s’enfuyant sur le sol d’un entrepôt.
Des créatures draconiques, à moitié machines, descendirent en piqué de
sombres nuages en direction des escorteurs. Pris sous leurs décharges de
foudre et de feu tirées de canons rotatifs placés dans leurs gueules, les
appareils Space Wolves furent à leur tour obligés de rompre le combat et de
reprendre de l’altitude.
Des poches de Space Wolves et de Thousand Sons restaient pris dans des
escarmouches autour des positions défensives, coincées dans des échanges
de tirs le long des arrêtes et autour des amas rocheux où le terrain formait
des saignées et défilés naturels. Ces accrochages dressaient un autre
tableau, celui d’une ligne indistincte qui s’étendait tout le long de la
montagne, jusqu’à l’endroit où le dénivelé entrait en contact avec l’épaule
de sa voisine.
Un peu plus haut, Arjac remarqua qu’une ouverture dans le sol formait
l’entrée d’une gorge escarpée. Augmentant sa focale, le hearthegn aperçut
un important contingent de Space Wolves en armures anciennes qui
gardaient le défilé, épaulés par plusieurs tanks de modèles, connus ou non.
La seule explication à cette disposition, c’était que l’objectif était la
protection de la route entre la chaussée et le canyon. Il supposa que les
Space Wolves avaient lancé leur attaque depuis le ravin.
Ses réflexions furent interrompues par la nécessité de passer à l’action. Le
Spartan avait mené la charge depuis la jetée, mais les autres meutes et
véhicules de la Vieille Garde arrivaient dans son sillage, l’ensemble se
réassemblant en une force cohérente et entreprenant de se replier vers la
montagne. Arjac aurait pu être en train de regarder ses propres frères de
bataille, tellement les tactiques et formations de la Vieille Garde lui étaient
familières. De larges tirs et un support de couverture permettaient, en se
chevauchant, à chaque meute de manœuvrer de concert avec sa voisine puis
de se déplacer jusqu’à son transport ou de collaborer avec une autre
escouade. Et tout cela sous une pluie de bolts inferno et wyrdiques, ainsi
que sous le feu d’armes lourdes et légères des cultistes.
— Arrête d’être aussi skald-wisht, gamin, lui dit sèchement un des Vieux
Gardes.
Il pointa un doigt de son gantelet énergétique vers la montagne, où les
autres membres de sa meute avaient mis en place deux tirs convergents de
combi-bolter visant les ennemis qui se cachaient sous des arbres.
— Au boulot, d’accord ?
Arjac savait que ces mots n’avaient pas été prononcés méchamment, mais
son honneur en avait été blessé.
— Skald-wisht, c’est ça, tête grise ?
Arjac se tourna et fit signe à ses guerriers de se joindre à lui. Il sentit son
estomac se serrer quand il remarqua qu’Ulfar n’était pas sorti du Spartan.
— Je suis Arjac Poing de Pierre, marteau du loup, hearthegn de Logan
Grimnar. Certains m’appellent l’Homme-Montagne. D’autres me
connaissent sous le nom de l’Enclume de Fenris. Dans l’aett, je suis le
Champion de Grimnar. Garde-Loup des Loups de Nuit, aujourd’hui, vous
allez gagner vos marques d’honneur !
Leur chef de meute à leur tête, les Terminators remontèrent la colline,
passant entre les deux meutes de la Vieille Garde qui bloquaient l’avancée
des cultistes. Les antiques Space Wolves s’avancèrent aux côtés des
Gardes-Loups et leurs armes se joignirent à la fusillade qui arrosait les
ennemis réfugiés dans l’ombre des arbres. Des bolts Inferno frappèrent
l’armure d’Arjac, des runes rouges d’alerte s’allumèrent sur l’affichage
interne de sa visière. Il sentit du sang s’écouler d’une éraflure sur son
épaule, et quelque chose lui avait pénétré la cuisse droite. Des projectiles à
plasma s’abattirent sur la charge des Terminators, mais s’écrasèrent sur le
bouclier Tempête que Sven brandissait.
Arjac lança le Marteau à Ennemis. Sa tête incandescente enfonça le torse
d’un cultiste et projeta son corps brisé contre un arbre. Le marteau
réapparut dans son poing et il l’envoya à nouveau tout en courant. Quatre
autres dévots de Tzeentch succombèrent à son contact brutal avant qu’Arjac
n’ait atteint l’orée du bosquet.
Les Gardes-Loups poussèrent les cris de guerre des tribus de Fernis en
s’enfonçant dans les bois. Arjac se jeta sur les légionnaires des Thousand
Sons réduits à l’état d’automates, brisa heaumes et plastrons, et fractura des
membres de ses coups précis et contrôlés. Des bolts ricochèrent sur le
Bouclier Enclume et des tirs lasers laissèrent des traînées noires sur le gris
de son armure, scarifièrent la Crux Terminatus sur son épaulière et brûlèrent
les peaux de ses nombreux totems loups.
À ses côtés, ses guerriers n’étaient pas moins actifs. Leurs gantelets
énergétiques et leurs marteaux broyaient et frappaient. Il constituaient le fer
de lance d’une attaque qui entraîna par sa rapide progression la Vieille
Garde dans la mêlée.
Dans la pénombre, sous les arbres, se dressait une ombre qui faisait deux
fois la taille du hearthegn. Arjac la prit d’abord pour un Dreadnought, mais
quand elle émergea à la lumière, elle se révéla être une créature et non une
machine. L’ogryn mutant était aussi large que haut, deux cornes imbriquées
et courbées sortaient de son crâne et sa peau nue était constellée de plaques
osseuses. Des langues de feu chatoyaient dans ses mains griffues. Ses
babines retroussées montraient des crocs de cristal acéré qui réfléchissait les
explosions de tirs de combi-bolter et le feu de warp qui brûlaient dans ses
veines.
— Celui-là est pour moi, gronda un des guerriers derrière Arjac.
Trois traînées lumineuses de missiles déchirèrent l’air, explosant coup sur
coup sur au visage, au torse et au ventre de l’ogryn. Des têtes conçues pour
percer le blindage d’un tank lui défoncèrent les côtes, des éclats tranchants
comme des rasoirs lui lacérèrent la chair et le crâne et l’ouvrirent en deux.
Des flots d’énergie actinique sortirent de la blessure et la bête décapitée
trébucha en arrière. Des langues de feu s’échappèrent dans toutes les
directions de ses mains tendues. Il s’écrasa contre un arbre et se consuma
lentement sous l’ardeur de son propre feu wyrdique. Les flammes
embrasèrent finalement l’écorce brun sombre.
Arjac se retourna, surpris, et se retrouva nez à nez avec Ulfar, qui n’avait
plus de heaume. Son armure était fissurée de toute part, l’armature
renforcée déformée en plusieurs endroits. Le Garde-Loup se donna un
grand coup sur le plastron.
— La meilleure armure de nos forges ! déclara-t-il avec un sourire en coin.
— Je te croyais mort… s’exclama le hearthegn.
— Pour une fois, c’est une joie de te décevoir, Homme-Montagne, lança
l’autre Garde-Loup.
Il leva un poing qu’Arjac frappa du manche du Marteau à Ennemis en
guise de salut.
— Alors, on transpire déjà, marteau des loups ? C’est un bon nom, mérité.
Le guerrier qui l’avait rappelé à l’ordre plus tôt sortit des frondaisons,
tirant de son combi-bolter sur les ennemis qui s’enfuyaient dans les bois.
— Et quel est le tien, tête grise ?
— Vigga Coup Fatal. Et nous sommes les Barbes Grises, pas les têtes
grises.
— Vigga Coup Fatal… répéta Arjac dans un souffle. Le premier hearthegn
? Le guerrier qui se tenaient aux côtés du Roi Loup sur Marthrax et tua près
d’une centaine d’orks en une seule nuit ?
— Lui-même. Et c’était cent quatre, pour être précis. Ç’aurait été plus, si
Russ n’avait pas exprès persisté à achever ceux que j’avais blessés.
Demande à n’importe lequel de mes frères. Russ est connu pour voler les
mise à mort des proies des autres.
Viggar parvint à se retenir de rire pendant environ cinq secondes, mais
finit par s’esclaffer à gorge déployée. Arjac avait, au cours de sa longue vie,
était le témoin de choses horribles comme exaltantes, mais rien ne l’avait
jamais laissé autant sans voix que de se tenir devant le premier guerrier à
avoir porté le titre de Champion. Il sursauta quand Coup Fatal frappa son
poing contre son plastron.
— Reste avec moi, marteau des loups. Allons tuer d’autres fils de chienne
impies de Prospero.
Les cris de guerre moururent sur leurs lèvres. Lukas et les Griffes
Sanglantes s’arrêtèrent en chancelant, ce qui n’était pas une mauvaise chose
étant donné que le promontoire sur lequel ils se trouvaient se terminait
d’une manière abrupte juste devant eux, en un gouffre qui descendait…
quelque part.
La scène derrière le portail rappela à Lukas ses pires expérimentations
avec le cocktail de skaldroot et de wyrshrum, un breuvage destiné
submerger sa physiologie de space marine, dans l’espoir de recréer les
occasionnels voyages psychotropes de sa jeunesse. Dans un premier temps,
il lui fut impossible de comprendre ce que ses sens essayaient de lui dire et,
à en juger par leurs exclamations et jurons, les autres Griffes Sanglantes
vivaient la même chose.
Ce qu’il avait pris pour un promontoire était en fait un palier de pierre
claire, avec une volée de marches qui descendaient sèchement vers la
droite. Et une autre montait vers la gauche. Sauf que le haut et le bas
n’étaient pas des notions opérantes. L’endroit était immense, infini, peut-
être, et baigné d’une lueur diffuse verte et jaune. Il pouvait voir un nombre
incalculable d’autres escaliers, rampes, galeries et passerelles à des angles
qui auraient été, dans un endroit moins dément, sur les murs et le plafond, et
à travers les espaces intermédiaires.
Les occupants étaient aussi incroyables que les lieux. Des nuées de
démons, depuis des créatures rosâtres presque aussi grandes que Lukas,
jusqu’à des horreurs céruléennes qui ne faisaient que la moitié de leur taille
et des douzaines d’entités plus petites qui couraient et sautaient entre les
jambes de leurs cousins plus imposants. Ils avaient tous des corps ronds et
trapus sur des jambes arquées, avec des pieds griffus qui frappaient la pierre
en produisant des échos constants et superposés, à rendre fou. Certains
avaient des queues, couvertes de piques ou de barbillons ou qui se
finissaient en rangées de doigts ou… Lukas frémit, incapable de digérer la
plus grande partie de ce qu’il voyait. Nombre d’entre eux disposaient de
deux bras, avec des doigts tendus et creux dont émanait une lueur wyrdique.
Leurs visages étaient placés sur leurs torses, tordus en grimaces, sourires
maniaques et expressions ombrageuses, et l’air était saturé d’une
cacophonie de glapissement et de sifflements, tandis que les démons
caracolaient.
Certains ne marchaient pas, mais montaient des disques démoniaques qui
fendaient l’air entre les passages et passerelles inter-niveaux. Lukas essaya
de suivre leurs mouvements, afin de percevoir le moment où ils
s’inversaient ou pivotaient pour s’aligner avec la géométrie brisée de leur
destination. Il ne saisit jamais l’instant de transition, un clignement d’œil ou
une distraction le lui dissimulant à chaque fois.
Par-delà les murs éloignés, des murs qui pouvaient être des miroirs, des
surfaces aquatiques ou des panneaux de verre, s’étiraient de longs tunnels
semblables aux entrailles d’une bête immense, leurs parois pulsatiles
veinées d’obscurité. Des éclats de lumière aurique parcouraient ces
passages, s’allumant à l’entrée de démons et disparaissant dans le lointain à
leur sortie.
Le simple fait de regarder aux confins de la salle lui faisait tourner la tête,
malgré ses auto-sens. Le vertige artificiel menaçait de le faire tomber, de
l’envoyer basculer dans le gouffre qui se trouvait à quelques pas à peine.
Autour de lui, les Griffes Sanglantes se soutenaient mutuellement, fixant
délibérément le sol sous leurs pieds pour calmer leurs troubles de la
perception.
Et rien ne semblait permanent. Les démons se métamorphosaient, mutaient
et se transformaient sous ses yeux, comme des hololithes détraqués
alternant entre plusieurs projections. La salle elle-même était comme une
illusion d’optique. Escaliers et paliers disparaissaient à la périphérie de son
champ de vision, remplacés par de longs corridors ou de vastes alcôves dès
qu’il tournait le dos. Rien n’était jamais deux fois pareil.
— On devrait repartir, dit Bahrd, la voix rauque.
Il recula vers le portail derrière eux. De l’énergie s’enroula autour de son
armure, déforma son image et aspira le Griffes Sanglantes dans l’étreinte du
portail.
— Non ! Lukas bondit en avant et attrapa le poignet de Bahrd.
La main se détacha et laissa un sillage d’étincelles bleues et rouges qui se
dissipèrent. Elle tenait toujours l’épée tronçonneuse.
Le cri de Lukas résonna dans l’immense salle et se réverbéra depuis des
directions étranges. Son volume augmenta au lieu de s’atténuer.
— Non ! appelait l’écho, mais sur différents tons de choc,
d’émerveillement et de surprise heureuse, puis en des voix totalement
différentes.
Les voix de Grimnar et de Valgarthr, de Njal et de Bjorn, lui crièrent toutes
dessus. Elles se fondirent ensemble, devant un bruit inarticulé qui s’acheva
en hurlement.
— Lukas ! siffla Gudbrand.
Le visage du Trompeur lui fit mal quand le Griffes Sanglantes lui
administra un second coup. Il eut à nouveau l’esprit clair. Lukas se
découvrit accroupi sur le sol, une main sur la pierre, la tête rejetée en
arrière, les lèvres retroussées sur ses crocs, sa griffe dressée au-dessus de sa
tête. Choqué, il se redressa rapidement.
— Ça ne sent pas bon, lâcha Elof en regardant autour d’eux.
Partout dans le hall les démons s’étaient figés, leurs regards s’élevant vers
les intrus. Tout se fit silencieux et immobile pendant plusieurs secondes. La
tension était palpable.
En remontant la côte, le Maître des Tempêtes vit que la gorge était encore
plus longue et profonde qu’il ne l’avait cru, très vite plongée dans
l’obscurité, un gouffre d’ombre qui transperçait la montagne. Piétinant des
cultistes morts, Njal et quelques autres Chevaucheurs de Tempête
rejoignirent une meute de la Vieille Garde à proximité de l’entrée de la
gorge. D’autres Space Wolves remontaient la pente derrière lui au pas de
course, redoutant une contre-attaque de cette armée vêtue de bleu dans leur
sillage et qui cherchait à les encercler.
Majula suivait, à peine visible au sein du cercle protecteur de ses Gardes
Navis. Ils s’arrêtèrent à quelques pas à peine et la Navigatrice croisa le
regard de Njal. Bien qu’il puisse voir de la fatigue sur ses traits, il y vit
aussi de la force. Dorria et les survivants de son escouade balayaient la
montagne de leurs armes, sur leurs gardes.
L’un des guerriers de la Vieille Garde s’éloigna de sa meute. Son visage
était aussi anguleux que les rochers du Croc, sa barbe et ses cheveux
flottaient en vagues désordonnées. La hache dans sa main était encore
chaude du sang de ses ennemis qui s’écoulait le long de la lame.
— Seigneur Loup Bulveye ? demanda le Prêtre des Runes.
— Tu dois être Njal Maître des Tempêtes, répondit-il, la voix rauque.
Celui dont m’a parlé Halvar. Qui vient du futur. Une étrange saga, que j’ai
encore du mal à croire.
+Techniquement, c’est cet abruti qui vient du passé…+
— Je suis Njal, répondit le Maître des Tempêtes. Nous sommes là pour
vous ramener dans l’univers des mortels.
+Nous sommes dans l’univers des mortels, jeteur de runes. Simplement
dans une partie dont tu n’as jamais entendu parler.+
— Un messager du Père-de-Tout venu me sortir du champ de bataille
comme un Chevaucheur de Tempête des légendes ?
— C’est amusant que tu dises ça, dit Valgarthr qui venait de rejoindre Njal.
Le chef de meute fit claquer son bolter contre son épaulière ornée de
l’emblème de la compagnie.
— C’est eux que nous avons pris comme weregost.
Bulveye n’eut pas l’air amusé, son regard noir calculateur observant les
troupes clairsemées de Njal.
— Dis-moi, Njal, comment comptes-tu nous sortir de là ?
+Nous devons retourner dans le cœur, là où je suis mort. Je peux soigner
ma dépouille mortelle et rouvrir le portail vers Tizca. Celui que cette brute à
refusé de prendre quand il a choisi de m’occire.+
— Nous avons besoin d’un portail vers le centre du labyrinthe, expliqua
Njal. Dans le cœur, nous pourrons franchir la barrière vers Tizca où, si le
Père-de-Tout le veut, mes guerriers tiennent toujours la sortie. J’ai des
escorteurs qui attendent de nous emmener à l’instant où nous serons libres.
— Alors, nous avons de la chance, répondit Bulveye en pointant sa hache
vers les profondeurs du ravin. Un portail repose dans cette gorge. Ces
laquais de Magnus ont essayé de nous le reprendre. J’ai pensé que s’ils
voulaient y entrer, mon devoir était de les en tenir éloignés.
+Et qu’en est-il du Roi Écarlate ? S’il cherche à pénétrer le cœur, il
pourrait venir en personne.+
— As-tu vu le moindre signe de Magnus, Vieux Loup ? Il ne devrait pas
être loin de ses minions.
— Aucun signe, pas depuis que nous sommes entrés dans le labyrinthe.
Qu’il soit toujours en vie est une très mauvaise nouvelle.
— Son absence est peut-être une bonne nouvelle, intervient Arjac. Nous
devrions partir avant que le Roi Écarlate ne décide de se montrer.
— Je ne peux abandonner une bataille qui n’a pas encore été gagnée. La
hache de Bulveye décrivit un large mouvement, englobant le combat qui
faisait rage à flanc de montagne. Mes guerriers ont versé leur sang pour
cette cause.
— Nous devons vraiment partir tout de suite, insista Njal. Cette bataille
n’est qu’une petite partie d’une guerre bien plus grande. Le combat contre
les Thousand Sons ne sera pas gagné ici, pas aujourd’hui. Fais-moi
confiance. Durant dix mille ans, les Space Wolves ont pris part à cette
guerre. Si on pouvait y mettre fin aussi facilement, je sauterais sur
l’occasion.
— J’ai prêté serment devant le Roi Loup et le Père-de-Tout, jurant de ne
pas laisser un seul fils de Prospero échapper au Rout.
+Je te l’avais dit ! Têtu et imbécile, la pire des combinaisons. Il a choisi
d’être pris au piège dans le labyrinthe plutôt que de laisser s’échapper
quelques-uns de mes frères. Tu n’arriveras pas à le convaincre.+
— Russ n’est plus, intervint sèchement Arjac en s’avançant. Le Père-de-
Tout… L’univers que tu connaissais est mort il y a cent siècles de cela,
Vieux Loup. Ton serment ne veut plus rien dire, désormais.
— Il veut tout dire, gronda Bulveye en montrant de longs crocs et en
secouant la tête. Si ce que tu dis est vrai, tout ce qu’il me reste, c’est ce
serment.
+Je t’avais prévenu. Il n’est pas seulement obtus, il est fou. Retrouve-moi
mon corps et nous pourrons nous débarrasser de son maudit entêtement.+
— Vous êtes pris au piège dans ce labyrinthe, insista Njal.
Il devait choisir ses mots avec autant de soin qu’il aurait mis à suivre un
chemin de montagne pris dans les glaces. Un seul écart pouvait avoir des
conséquences désastreuses.
— Les Thousand Sons ne le sont pas. Si tu veux vraiment pouvoir tenir ta
promesse, ce n’est possible qu’en venant avec nous. À l’intérieur du
labyrinthe, tu ne parviendras à rien.
Cette déclaration tempéra le Vieux Loup. Il se tassa légèrement, les traits
de son visage reflétèrent son abattement. Il regarda Njal d’un œil sombre,
mais hocha la tête en signe d’acceptation de la logique du Maître des
Tempêtes. Njal retint un soupir de soulagement.
— On y va tous ensemble ? demanda Bulveye.
— Oui, ensemble.
CHAPITRE 16
DES MORTELS ET DES DÉMONS

Une cacophonie de rires, hurlements, huées et cris résonna dans le hall et


alla rebondir sur les espaces invraisemblables au-dessus et en dessous
d’eux. La horde démoniaque fut prise d’une activité frénétique et se mit à
bondir et courir le long des passerelles, échelles, escaliers et murs, fit des
cabrioles impossibles tout en se recouvrant de flammes démoniaques et en
ricanant avec délice. Dans l’espace intermédiaire, les chevaucheurs de
disques filèrent en direction de la meute. Ils virevoltèrent et tournoyèrent,
créant des tourbillons surnaturels dans l’étincelante brume ocre.
Les Griffes Sanglantes lancèrent des grenades à fragmentation dans la
masse qui leur arrivait dessus puis ouvrirent le feu avec leurs pistolets. Les
bolts franchirent les abysses incompréhensibles, des explosions de feu
dispersèrent des membres démoniaques et des entrailles dans le vide. Lukas
courut vers les marches à sa droite, juste à temps pour intercepter une vague
de démons prismatiques qui lui arrivaient aux genoux et qui déboulèrent par
en dessous… ou était-ce par-dessus… ou depuis l’avant ?
Il secoua la tête et appuya sur la détente de son pistolet à plasma,
incinérant complètement le premier adversaire. Sa griffe vint cueillir le
second et le troisième et il bondit en avant, piétinant un quatrième pour
transpercer le visage de poitrine d’un cinquième. Il donna un violent coup
de crosse sur le flanc du suivant et le projeta hors de l’escalier inversé.
Lukas n’osa pas regarder en arrière, conscient que s’être éloigné du palier
voulait dire qu’il était certainement à un angle bien étrange par rapport aux
autres Griffes Sanglantes, et qu’en avoir la confirmation serait
probablement malavisé. Il choisit plutôt de trancher de sa griffe le flot de
créatures qui dévalait les escaliers, tout en reculant prudemment jusqu’à
regagner le promontoire.
Les autres s’étaient regroupés dos à dos, pistolets et épées tronçonneuses
aboyaient et sifflaient tandis que des démons leur sautaient dessus et
jaillissaient sur leurs disques, leurs doigts laissant échapper des torrents de
feu wyrdique. Gudbrand recula en chancelant, tomba sur un genou, son bras
pris dans des flammes mystiques, la peinture et la céramite fondirent en
cascade. Jerrik bondit pour défendre le Space Wolf à terre, planta son épée
tronçonneuse dans un corps qui passait au-dessus lui sur un disque et le
trancha en deux de sa tête grimaçante à sa queue filiforme.
À travers le maelström, Lukas aperçut quelque chose d’étrange, ou plutôt
quelque chose qui paraissait étrange par contraste avec le bizarre ambiant :
un signe de normalité. Les démons se pressaient contre eux, se jetaient
continuellement sur les armes des Griffes Sanglantes, sans se préoccuper de
leur propre mort. Or, il savait que, bien qu’ils fussent inhumains dans leur
morale et leur ambition, ils tenaient à leur existence tout autant que
n’importe quelle créature mortelle. Ils ne se sacrifiaient que rarement, sauf
quand ils y étaient poussés par une force démoniaque plus puissante, et si la
vague d’apparitions surnaturelles mourait en masse, c’était pour protéger
quelque chose.
Il fit un pas de côté, brisa les jambes d’une monstruosité rose et fit
exploser l’assaillant suivant d’un tir de plasma pour créer une brève fenêtre
d’opportunité. S’avançant dans le bourbier de chair, Lukas fouilla la salle
du regard. Ses instincts de chasseurs bouillonnaient en lui.
Le Trompeur aperçut ce qu’il cherchait à un peu plus bas. Un disque
légèrement plus grand que les autres, couvert de piles de livres et de
parchemins, qui flottait près d’une fissure dans le mur. Sur la corniche la
plus proche se trouvaient deux horreurs au corps bleu. Les démons jumeaux
traînaient quelque chose, le tiraient hors de son orifice éclairé de warp
jusqu’à leur monture grotesque.
— Pas de temps à perdre, où cet endroit sera notre tombe, lança sèchement
Lukas aux autres.
Il dégagea d’un coup bien placé une incarnation de la folie à la chair rose,
sa griffe détachant trois de ses quatre bras qui partirent tourbillonner au loin
dans un nuage étincelant.
— Suivez-moi sans regret !
Il repoussa de l’épaule deux créatures bleuâtres là où une horreur rose
avait été découpée par une rafale de tirs une seconde plus tôt et dégagea
d’un coup de pied un démon plus petit en sautant du promontoire. Lukas
atterrit sur un disque qui s’était rapproché de la corniche et fit tomber son
occupant. Il sauta à nouveau, latéralement, atterrit de façon impossible sur
un escalier qui avait été à angle droit par rapport à lui un instant à peine
auparavant. Il monta les marches et découvrit qu’il se dirigeait en fait vers
le disque qu’il avait repéré. Il entendit le bruit sourd de ses frères de meute
qui atterrissaient derrière lui.
Le saut suivant, vers le bas cette fois, l’envoya sur un autre disque, le
démon qui s’y trouvait réduit par l’impact en pulpe de chair parsemée
d’éclat d’os. Lukas s’accroupit, jeta un regard vers les démons près du
coffre et bondit à nouveau. Il atterrit dans une roulade sur une passerelle de
pierre juste au-dessus de là où ils étaient. Il essaya de suivre leurs
déplacements avec son pistolet, chercha une fenêtre de tir tout en courant le
long de la jetée, mais ils passèrent directement en dessous et hors de portée.
L’humeur d’Arjac s’améliora considérablement quand il vit les appareils de
la Vieille Garde voler en rase-mottes au-dessus des collines. Leurs ombres
glissèrent sur les forces Space Wolves qui se rassemblaient. Ils n’hésitèrent
pas à libérer un tir de barrage intense au sol, une tempête d’obus et de
décharges d’énergie ouvrant des tranchées sanglantes dans l’armée qui se
rassemblait autour de la position du hearthegn. Tandis que le reste de la
Vieille Garde se retirait vers la gorge, les Terminators et Dreadnought des
deux compagnies firent office de véritables bastions dans la ligne. Leurs
feux convergents repoussèrent une contre-attaque des Thousand Sons et de
leurs alliés cultistes. Arjac s’avança, son Bouclier Enclume illuminé par le
feu ennemi tandis qu’il protégeait ses cousins en armure énergétique.
Meute par meute, l’armée du Rout se recroquevilla sur elle-même. Une
fierté féroce brûla dans le cœur d’Arjac devant leur exécution parfaite du
plan, en dépit des dix millénaires qui les séparaient de lui. Il éprouvait une
immense joie à l’idée que ses frères et lui avaient préservé les plus grandes
traditions guerrières des fils du Roi Loup.
La retraite fut aussi régulière que chaque tir et coup porté lors de son
exécution et fit mentir l’idée préconçue selon laquelle les Space Wolves
n’étaient qu’une horde d’abrutis indisciplinés. Aussi méticuleusement
qu’elle s’était déployée, la ligne de front recula jusqu’à ce que ne restent,
pour tenir l’entrée de la gorge, que quelques meutes des guerriers les plus
lourds, ainsi que Bulveye, qui refusait d’y entrer tant que la quasi-totalité de
ses forces n’aurait pas atteint la sécurité du portail qui se trouvait en ses
tréfonds. Les quelques véhicules blindés restants escortèrent les autres
quand ils se replièrent, leurs armes lourdes dissuadèrent l’ennemi de
s’aventurer dans les hauteurs.
— Et maintenant, la partie difficile commence, dit Arjac en envoyant le
Marteau à Ennemis vers une escouade de Thousand Sons qui se déplaçait
sur le flanc de la montagne dans le sillage du repli.
Des tirs d’armes lourdes fournis par ses compagnons déchirèrent les rangs
des hordes de cultistes qui se pressaient sur le flanc opposé.
— Dès l’instant où nous entrerons dans ce défilé, nous serons la cible
d’attaques à revers et au-dessus.
— Peut-être pas aussi difficile que tu le croies, jeune loup, dit Bulveye.
C’est peut-être un signe de mon grand âge, mais j’évite de marcher, si je
peux faire autrement.
Son plan devint vite évident quand un bombardement intense secoua tout
le flanc de la montagne, accompagné du rugissement des turboréacteurs à
plasma. Deux Thunderhawk se croisèrent tout en faisant pleuvoir la mort de
leurs bolters lourds et canons laser. Dans leur sillage descendit le Stormbird,
qui ajouta la colère de ses armes à la cascade de tirs. Des bouffées de
fumée, des nuages de cendre et une ligne de cratères furent tout ce qui resta
de la ligne de front ennemie quand l’appareil massif se posa. La poussière
soulevée par son atterrissage enveloppa les Space Wolves et vint recouvrir
leurs armures d’une couche brunâtre.
— Griffe Tranchante, mon chariot, déclara Bulveye.
Un espace profond s’ouvrit, plus que suffisant pour accueillir les guerriers
restants de la Vieille Garde et des Chevaucheurs de Tempêtes. La rampe
était si large que Bjorn et l’un de ses vénérables frères pouvaient y entrer de
front. Comme avant, Bulveye insista pour passer en dernier, et Njal pressa
donc Majula à l’intérieur, avec Dorria et le reste de ses gardes du corps. Le
gémissement des réacteurs s’amplifia, le pilote se préparait à redécoller.
Bulveye se tenait, défiant et immobile, en bas de la rampe, tandis que sa
meute de commandement embarquait, sa hache dressée en signe de défi à
l’adresse des Thousand Sons et de leurs alliés cultistes : des ennemis qui
n’étaient plus que de vagues silhouettes dans la brume et la poussière.
Son honneur satisfait, ou peut-être sa fierté, il se retourna et grimpa à
l’intérieur tandis qu’un Thunderhawk effectuait une dernière attaque.
Dans l’interstice de la rampe qui se refermait, tandis que le Stormbird
pivotait, Njal aperçut leurs ennemis : une marée d’hérétiques en robes avec
à leur tête un groupe de légionnaires en armure. Le nez du Stormbird
plongea vers la gorge, le vrombissement de ses moteurs résonna contre les
parois abruptes alors qu’il plongeait vers l’obscurité.
Tandis que les autres s’harnachaient, Njal rejoignit Bulveye dans le poste
de pilotage. À travers la verrière, derrière une rangée de servopilotes dirigés
par un Prêtre de Fer solitaire, il vit les parois de la gorge défiler dans la
lumière brute des lumens principaux. Les étincelles bleues des moteurs des
Thunderhawk en pleine accélération scintillaient devant eux.
Il retint sa respiration quand l’équipage biomécanique fit prendre au
massif appareil un virage serré pour suivre le coude de la gorge, les larges
ailes n’étant à certains moments qu’à quelques mètres de distance des
parois. Les systèmes de lecture crachaient des retours de capteurs, mais les
servitors étaient branchés directement au système d’augure, l’esprit vivant
du Stormbird lui-même.
— J’espère que vous avez correctement apaisé l’esprit du véhicule, il
serait gênant qu’il décide d’être revêche maintenant, dit Njal.
Bulveye le regarda bizarrement.
— Tu parles comme un Prêtre du Mechanicum, wyrdskaldr.
Njal oublia de répondre quand les lumières des projecteurs des escorteurs
devant eux illuminèrent des parties d’un imposant édifice. Le fond de la
gorge avait été taillé en une surface plane, et un relief massif avait été
sculpté dans la pierre brute. Il était impossible d’en estimer la taille totale
d’après les quelques détails aperçus à la lueur des phares, mais les cercles
erratiques de lumière traversèrent un énorme œil sans paupière qui regardait
directement vers eux.
— Faisons-lui une belle cicatrice, gronda Bulveye.
Le Prêtre de Fer hocha la tête et donna un ordre aux servitors branchés sur
la batterie de canons laser du Stormbird. Des rayons d’énergie pourpres en
jaillirent et creusèrent trois tranchées à travers la pupille du gigantesque
cyclope.
Les pilotes firent plonger l’appareil, passèrent devant le nez, pour se
diriger dans une bouche ouverte emplie de crocs qui rivalisaient avec les
colonnes du Hall du Roi. Plus brillant que les jets de plasma, le portail placé
là luisait d’or et de rouge comme un feu dans la gorge du Primarque. Le
Stormbird s’inclina et se positionna pour une approche perpendiculaire. Des
étincelles tombèrent comme une cascade de rubis dans la gorge du
monument, et des lianes d’énergie se jetèrent sur les Thunderhawk pour les
enserrer, tandis que d’autres tentacules s’attaquèrent au Stormbird.
Des sirènes d’alerte retentirent et des rangées de signaux lumineux
s’allumèrent pour les avertir de dangers. Le portail attira l’énorme aéronef
dans le fossé entre les réalités.
+Dans la gueule du Roi Écarlate.+
Le symbolisme n’échappa pas à Njal.
Lukas atterrit dans un tourbillon de grimoires, pots d’encre et parchemins.
Le disque se cabra, essaya de faire tomber le Space Wolf, puis partit en
piqué et accéléra dans le vaste espace vide au milieu du hall, avant de filer
en flèche vers une ouverture pulsatile.
— Frappe-le et brise-le, épuise-le et tue-le ! cracha l’une des horreurs
bleues, pointant Lukas du doigt.
— Carbonise-le et pulvérise-le, ensorcelle-le et charme-le ! répondit
l’autre, dont les doigts creux étaient entourés de taches psychiques.
Lukas leva sa griffe pour frapper, mais le disque partit soudain en tonneau.
Ses instincts forcèrent Lukas à s’accrocher à quelque chose pour éviter la
chute, et il planta sa griffe dans la chair de la monture sous les ricanements
des démons, sans se soucier d’être la tête à l’envers. Il remarqua qu’ils
n’étaient pas aussi identiques qu’il l’avait cru : l’un avait trois bras et l’autre
seulement deux. Le démon au membre surnuméraire ouvrit le coffre qu’ils
avaient récupéré et révéla un unique parchemin à l’intérieur.
— Cherché et trouvé, sain et sauf, déclara la créature grimaçante, puis
elle arracha la page du compartiment renforcé d’acier du coffre.
Il écarta le conteneur d’un coup de pied, la boîte partit vers le haut, si
Lukas en croyait ses sens, quand elle tomba du bord du disque.
— On l’a trouvé dans une boîte cachée… ricana le démon à deux bras.
— … un joli cadeau pour Sa Majesté ! finit le second.
Lukas était parfaitement conscient qu’il pouvait se mettre debout, ses yeux
lui apportaient la preuve indéniable que les démons le faisaient sans
difficulté, mais la partie primitive de son cerveau lui disait qu’il devait
continuer à s’agripper au disque à l’envers sous peine de plonger dans des
abysses infinis. Il se risqua à jeter un œil de côté, juste assez pour voir que
le reste des Griffes Sanglantes, qui n’étaient plus que quatre, s’était
regroupé sur le balcon-corniche, dos au mur. Leurs épées tronçonneuses
dessinaient un tourbillon flou au milieu de la masse de corps démoniaques
qui se pressaient devant eux.
Grinçant des dents, Lukas ferma les yeux. Son inconfort se calma
rapidement, et il put se remettre sur un genou, quelque peu déséquilibré sur
le disque qui se cabrait et ruait de façon imprévisible. Il pouvait sentir le
vent siffler à ses oreilles et ébouriffer ses cheveux, mais il n’y avait pas
d’autre sensation de mouvement.
Un sourire triomphant se dessina sur son visage quand il se remit debout et
rouvrit les yeux. De l’énergie crépita le long de sa griffe de Loup et les deux
horreurs lui adressèrent un regard noir. Le flamboiement de son arme se
refléta dans leurs yeux immortels.
Avant qu’il ne puisse frapper, ils plongèrent dans un tunnel-gosier. Son
champ de vision fut inondé d’une teinte rougeâtre, et il fut englouti par une
soudaine étroitesse qui contrastait violemment avec l’impossible immensité
de la pièce. Le démon à deux bras profita de son instant de distraction et
l’attaqua. Une gueule s’ouvrit dans la paume de sa main avant de lui
cracher de la vapeur scintillante au visage.
Lukas tituba, déséquilibré alors que de petites flammèches lui dansaient
devant les yeux, accompagnées d’un chœur de voix angéliques et aiguës qui
ricanaient et sifflaient dans ses oreilles.
Son pied glissa sur une pile de parchemins et cela le fit basculer vers le
rebord du disque. Il reprit pied et fit un pas vers les horreurs, ce qui laissa
juste le temps au démon à trois bras de l’intercepter et de le frapper de la
tranche d’un grimoire gigantesque en pleine figure. Le coup ne fut pas
violent, mais, déjà déséquilibré, Lukas tituba à nouveau et son pied rata le
bord du disque.
Lukas chercha alors désespérément à se raccrocher à quelque chose, il
saisit le démon, éparpilla parchemins, grimoires et rouleaux en basculant du
disque. Ses efforts pour se rétablir furent vains et il tomba à la renverse de
la monture maléfique, droit dans la gueule démoniaque, un bout de papier
serré dans sa main.
Il fut englouti par l’obscurité, suivi par deux voix.
— Il fit de son mieux, notre hôte disgracieux. Mais ne m’a pas ébloui
par ses pitreries.
— Un adversaire terrassé, son moral abîmé, par le Cyclope piégé.
CHAPITRE 17
LE CŒUR DE PROPSERO

Blancheur.
Silence.
Le double battement des cœurs de Njal se fit plus audible. Le flot de sang
dans ses artères et ses veines sifflait pour remplir le vide. Ses yeux ne
voyaient qu’une lueur rougeâtre.
Njal recouvrit ses sens dans un fracas soudain de couleurs et de bruits
quand le Stormbird émergea dans le cœur du Portail Labyrinthe. La vue
qu’offrait la large verrière lui coupa le souffle. Un hall couvert d’un dôme,
d’une ampleur impossible. Il avait conscience de l’existence d’un intérieur
et d’un extérieur, et de la taille du premier inséré dans le deuxième. Les
distances normales étaient étirées à leurs extrêmes limites. Même le plus
grand des aetthalle du Croc aurait pu tenir, plusieurs fois, dans cette
caverne artificielle.
Et, oui, il s’agissait bel et bien d’un espace physique. De fins nuages se
formaient et avec la distance, sa vision se faisait floue. Il y avait une
courbure sur la ligne d’horizon, plus prononcée que sur Fenris, peut-être
celle d’une lune ou d’une station artificielle.
Puis la raison pour laquelle tout lui semblait si étrange le frappa.
C’était inversé. La courbe montait, plutôt que de descendre, délimitant
l’intérieur d’une large sphère. Le cœur était contenu au sein d’une bulle de
panneaux de cristal anguleux et des colonnes de diamants étincelantes qui
ressemblaient à des stalactites.
+Le cœur.+
La révérence dans les pensées d’Izzakar était compréhensible, bien que
son admiration semblait provenir non pas d’une expérience de première
main, mais de quelque chose de plus profond.
+Une telle majesté dans la construction. Une telle ambition qui a pris
forme. Le plus incroyable des accomplissements du culte Prosperin, chacun
travaillant de concert sous la direction du Roi Écarlate. Une perfection que
même Fulgrim apprécierait. Le Magnus Opus.+
Njal s’écarta de Bulveye et souffla à peine ses mots suivants.
— Où sommes-nous ? Je veux dire, où se trouve ce cœur ? Nous ne
sommes pas à l’intérieur du warp, ça, je peux le percevoir. C’est un endroit
physique, avec un espace et du temps.
Le Maître des Tempêtes s’arrêta sur le seuil du compartiment principal,
une main levée pour dissimuler les infimes mouvements de ses lèvres.
— Fulgrim s’est lui aussi détourné de l’Empereur, ajouta-t-il. C’est un
prince-démon, tout comme Magnus.
+Cela me surprend moins… Mais pour répondre à ta question : à quel
autre endroit aurions-nous pu construire le cœur de l’empire prosperin ?
Nous nous tenons au centre de Prospero elle-même, évidé, bâti grâce à la
technique du Merveilleux Cyclopéen.+
À travers l’une des baies vitrées renforcées, le Maître des Tempêtes vit le
portail duquel ils étaient sortis, lorsque le pilote du Stormbird lui fit prendre
un virage serré en piqué vers ce qui se trouvait en dessous, quoi que ce fut.
Il n’y avait pas de visage géant de Magnus, même pas une pointe
d’architecture classique. À la place, seul un pilier de cristal s’élevait depuis
le lointain sol de la caverne, avec un nombre incalculable de facettes qui le
faisait presque ressembler à une spirale de lumière pure.
— Cela semble… improbable. Et le cœur de votre planète ? Cette
excavation ne la déstabilise-t-il pas ?
+Le cœur du Portail n’a pas plus de quelques mètres de large, mais replié
sur lui-même de façon suffisamment dense pour contenir tellement plus.+
— Cela me semble encore plus incroyable, mais je ne vois pas pourquoi tu
me mentirais à ce sujet.
Njal regarda dans le cockpit derrière lui, et vit que l’atterrissage était
imminent, sur un sol d’un gris sombre, incrusté de lignes dorées qui
s’entrecroisaient en un motif d’une complexité impossible et
incroyablement gigantesque pour former un arrangement hexamétrique
d’endiguement psychique, assez semblable aux protections arcaniques
gravées dans les murs de sa propre chambre sur Fenris, quoique bien
supérieur en précision et en taille.
Il jeta un coup d’œil derrière lui et vit le pilier-portail rétrécir, devenir une
ombre sur l’arche brillante de l’impossible horizon. De l’autre côté, non
loin de là où les Thunderhawk s’apprêtaient à se poser, il aperçut un cercle
de chatoiements à demi transparents. La vue tout à droite était celle d’une
Tizca enveloppée de fumée, sous un ciel crépusculaire illuminé par des tirs
et des sillages d’obus.
+Dis-toi cela, fils de paysans. Si on les étalait, tes poumons couvriraient
environ soixante-dix mètres carrés, et pourtant ils sont aisément contenus
dans ta cage thoracique. En étendant le plan spatial du cœur, nous avons pu
faire un usage bien plus efficace de l’espace-temps. C’est assez fabuleux,
maintenant que j’y pense, mais le pliage dimensionnel faisait partie de
l’évidence pour qui grandissait sur Prospero.+
Njal se rendit compte de quelque chose et revint dans le poste de pilotage
pour s’approcher de Bulveye.
— Vous défendiez le portail que nous venons tout juste d’utiliser.
— Oui, répondit le Vieux Loup, sans se retourner, son attention rivée sur la
scène en cours sous leurs pieds, son visage figé par la concentration. On
dirait qu’ici, les chemins conduisent toujours au point de départ, pas comme
les autres portails. Si nous partons, nous pouvons revenir, bien que là où
nous allons change à chaque fois. J’ai réussi à réunir des meutes et des
guerriers dispersés depuis ces derniers… Enfin, depuis que nous avons
poursuivi les Thousand Sons jusque dans ce bazar. J’ai fait de cet endroit
notre aett de guerre.
Les Thunderhawk débarquèrent les derniers des guerriers de la Vieille
Garde au milieu des tanks et des autres meutes. Njal ne les avait pas encore
vus tous rassemblés et il se rendit compte qu’il y avait près de deux cents
space marines et plusieurs véhicules blindés rassemblés sous le
commandement de Bulveye. Parmi eux se trouvaient des chars et des
transports plus grands que Njal ne reconnut pas, et même des marcheurs
blindés qui avaient disparu au fil de l’Histoire. Le Vieux Loup remarqua sa
stupéfaction. Il soupira, une pensée soudaine vint manifestement le peiner.
— La Vieille Garde n’est pas la seule chose à avoir disparu en dix mille
ans, n’est-ce pas ? Votre champion loup, Poing de Pierre, m’a dit que
l’Imperium que je connaissais n’est plus. Que s’est-il passé ?
La réponse de Njal fut retardée par le moment du contact, un bruit sourd et
un raclement du train d’atterrissage sur le sol plat, suivis par le
gémissement de l’ouverture de la rampe et le sifflement des harnais de
sécurités qui relâchèrent les Terminators et les Dreadnought embarqués. Un
souffle d’air froid pénétra à l’intérieur, il portait une odeur clinique de
nettoyant et d’ozone, viciée par de l’huile de moteur et des gaz
d’échappement.
— Horus. Voilà ce qu’il s’est passé, dit le Maître des Tempêtes.
— Quel est le rapport entre le Maître de Guerre et la trahison de Magnus ?
Njal avait l’estomac noué à l’idée de cette terrible trahison, déchaînée sur
l’Imperium à l’époque de ses plus grandes conquêtes.
— Horus s’est retourné contre le Père-de-Tout, Vieux Loup. Il a essayé de
détruire le Seigneur de l’Humanité et de prendre la tête de l’Imperium.
— Le Maître de Guerre ?
Tout le sang abandonna le visage de Bulveye, son visage empreint d’une
horreur abjecte, quelque chose que Njal n’avait jamais vu chez un space
marine. Bulveye s’agrippa à la console la plus proche, physiquement
déstabilisé par la révélation. Il secoua la tête, ouvrit la bouche pour parler
puis la referma sans un mot. Un autre mouvement de tête, comme pour
remettre de l’ordre dans les pensées qui l’assaillaient.
— Nous avons beaucoup à apprendre. Mais ce n’est pas le moment.
La voix du Seigneur Loup se brisa presque d’émotion, mais il serra les
dents et reprit le contrôle de lui-même.
— Je peux voir Tizca, dit Njal en pointant de son bâton les portails visibles
à travers la verrière principale. Pourquoi n’êtes-vous pas simplement partis
?
— Deux raisons, répondit Bulveye. Regarde de plus près.
Njal s’avança vers la vitre de verrite et regarda par-delà son vague reflet. Il
reconnut les sommets des pyramides de la cité déchue qui perçait le ciel
orangé. Des explosions, silencieuses, soulevaient des panaches de fumée et
de poussière au-dessus d’eux.
Mais elles ne bougeaient pas. C’était la même scène que celle qu’il avait
regardée une minute auparavant, comme une capture-pict projetée sur un
miroir. Quelque chose n’allait pas.
+C’est bloqué dans une stase. Quand ce sauvage m’a tué, le portail que
j’avais ouvert s’est mis en veille. Ma résurrection partielle a pu restaurer le
lien que j’avais créé, mais il a besoin d’être aligné et calibré correctement
pour prendre en compte la modification temporelle de dix mille ans.+
— L’armée ennemie que nous avons laissée derrière nous, peut-elle nous
suivre ?
Njal paraissait poser cette question à Bulveye, mais ses mots étaient
destinés à l’Archiviste niché dans son esprit.
— Oui, bien que nous leur aurions montré ce qu’il leur en coûte d’essayer.
+Bien sûr. Si, parmi eux, il y en a encore qui se souviennent de telles
choses, ils peuvent amener des renforts depuis d’autres portails. Et,
évidemment, d’autres démons.+
— Nous devons faire vite si nous voulons partir, dit Njal, pointant vers
Tizca puis vers l’autre portail. Nous ne pouvons pas être coincés à utiliser
un portail pendant qu’ils attaquent de l’autre.
— Partir ? Pourquoi partirais-je ? Bulveye fit signe au pilote de s’en aller
et fixa Njal du regard. Je vous ai amenés ici pour que vous n’ayez pas à
partager mon sort. Mon serment demeure. Je dois purifier le Portail
Labyrinthe de notre ennemi juré. Cela ne m’importe guère si un passage
vers Tizca est ouvert. Je n’irai pas avec vous.
— Et tes guerriers ? Les condamneras-tu eux aussi à ce sort ?
Bulveye hésita puis se rendit dans le compartiment, désormais vide.
— Ils m’ont juré fraternité, ainsi que des serments d’allégeance à la Vieille
Garde et aux autres. Là où je vais, ils me suivent.
Il se dirigea vers la rampe, sa hache luisante à la main, et, de là, aboya ses
ordres aux meutes qui attendaient. Njal le suivit et parcourut le
rassemblement des yeux. Certains des guerriers de la Vieille Garde
formaient un cordon défensif autour du portail qui donnait sur la citadelle
des Thousand Sons. Parmi eux s’en trouvaient qui arboraient des marquages
différents, des survivants d’autres compagnies que Bulveye avait
rassemblés au cours de ses incursions hors du cœur. D’autres se faisaient
assister par des légionnaires apothicaires et un trio de Prêtres de Fer, se
réarmant pour une nouvelle mission.
Il retrouva Majula qui levait un regard admiratif vers le plafond sans
substance. À son approche, elle porta ses yeux sur lui, un léger sourire
flottant sur ses lèvres.
— Je n’ai jamais rien vu de tel, dit-elle avec excitation, frappant ses doigts
les uns contre les autres comme si elle s’applaudissait. Je perçois la balise
de Terra, mais elle est comme amplifiée et se répercute dans ma tête. C’est
magnifique…
Avant que Njal ne puisse répondre, il ressentit une bouffée d’angoisse.
+Mon corps… Il devrait être là. Je ne peux pas le voir.+
Le Maître des Tempêtes interpella Bulveye avant que celui-ci ne
disparaisse parmi ses barbes grises.
— Vieux Loup, qu’est-il advenu de l’Archiviste que tu as tué ?
Bulveye pencha la tête sur le côté, fronçant les sourcils, suspicieux.
— Comment peux-tu savoir cela ?
— Wyrdknak, s’empressa de dire Njal, tapotant sa tempe. Une vision m’a
amené ici.
— Je vois. Bulveye fit un signe de sa hache en direction du plus petit des
portails. Nous avons jeté les corps des traîtres par là-bas.
+Vite, nous n’avons pas beaucoup de temps avant que l’armée de Magnus
ne nous suive dans le cœur.+
Njal laissa Bulveye à ses préparatifs et partit à grandes enjambées vers le
portail. Ses Chevaucheurs de Tempête le suivirent sans avoir besoin
d’ordre. Chacun observa les incroyables guerriers et machines autour d’eux.
À quelques mètres du portail circulaire, Njal s’arrêta et regarda à travers. Il
pouvait voir que les pyramides étaient moins abîmées et que les vaisseaux
figés dans leur traversée du ciel crépusculaire, les engins de guerre qui
fondaient à travers les rues, étaient des modèles qui n’avaient plus été vus
depuis des millénaires.
— Le Roi Loup, murmura-t-il en tendant une main vers le portail. Est-il
possible de revenir à cette époque ?
+Peut-être, mais je n’ai ni les compétences ni l’envie de sauver Russ pour
toi. Je t’ai conduit à ta compagnie perdue, mais cette bête meurtrière est
mieux confinée dans un passé révolu.
La propre incertitude de Njal quant au sort du Roi Loup tempéra la colère
qu’il ressentit face aux insultes d’Izzakar à l’égard de son Primarque. Le
Prêtre des Runes se remit en marche, cependant que Valgarthr et plusieurs
autres s’arrêtaient pour contempler la scène, fascinés par la guerre
historique qui se déroulait de l’autre côté du portail. Njal trouva la pile de
cadavres en armures arborant la livrée pré-Hérésie de la légion de Magnus.
Il ressentit un pincement de colère de la part de son passager clandestin.
— Tu as ouvert les portails sans ton corps, dit Njal, écartant des space
marines morts. Pourquoi en as-tu besoin maintenant ?
+Je n’en ai pas besoin. Mais je le réclame, comme prix pour vous sauver.
Je serai restauré, c’est tout.+
Njal continua à mettre de côté les cadavres brisés, leurs corps et armures
raides, heurtaient le sol dur en un bruit retentissant.
+Celui-là !+
Un spasme d’excitation fit bouger légèrement le bras de Njal vers la
gauche, une contraction momentanée alimentée par la force de la volonté
d’Izzakar. Il retira son bras, choqué par la perte de contrôle. La soif
dévorante qu’avait l’Archiviste d’être rendu à son enveloppe mortelle
pulsait en lui comme un faux instinct.
— Lequel ?
+Celui avec une robe et un trou dans la poitrine, imbécile de Fenrissien.+
Njal repéra le corps, un manteau sans manches d’un bleu profond passé
au-dessus de l’armure, brûlé par endroits. Sa poitrine et son plastron étaient
percés par la décharge qui avait tué l’Archiviste. Il se souvint du pistolet à
plasma à la ceinture de Bulveye.
— Comment suis-je censé m’y prendre ? Ce corps n’est plus en état pour
personne, et encore moins pour une âme errante. Tu vas mourir à l’instant
même où tu le regagneras.
+Je peux me soigner. Ne te préoccupe pas de ça.+
— Et ensuite ? Tu iras rejoindre Magnus ?
L’idée perturbait Njal, et pas seulement parce qu’il s’agissait de laisser
s’échapper un ennemi. Cela lui paraissait une manière inadéquate de quitter
Izzakar qui, en dépit de ses remarques acerbes et de ses insultes, s’était
avéré être, non seulement fidèle à sa parole, mais un allié compétent au-delà
de la simple nécessité.
+Ma légion est perdue pour moi, Maître des Tempêtes.+ Une tristesse
profonde glaça le cœur de Njal. +Mais peut-être pas toute ma compagnie.
Comme tes aïeux, nombre d’entre eux ont été dispersés à l’intérieur du
Portail Labyrinthe par les maladresses de cette brute et de ses compagnons.
Peut-être en reste-t-il certains à être toujours loyaux aux idéaux prosperins.
Je n’aime guère ce qu’est devenu le Roi Écarlate, et je pourrais entreprendre
de nuire à ses projets corrompus si j’en ai les moyens.+
Njal se mit à genoux et l’ombre projetée par son armure vint couvrir le
corps ravagé par le plasma d’Izzakar Orr. Il posa son bâton contre le thorax
mortellement blessé et sa main sur le front de la tête couverte d’un heaume.
Ouvrant sa conscience, il permit aux esprits de le traverser. Il les laissa
recouvrir ses pensées comme de la neige, peu à la fois, mais l’accumulation
pouvait finir par enterrer un homme et briser des arbres. Il fit grandir ce
pouvoir, devant le soleil chaud de Fenris, instillant la vie de son monde
dans l’enveloppe physique brisée devant lui.
Les cellules se régénérèrent, poussées dans une vie renouvelée par les
encouragements de Njal. Os, chair et organes se reformèrent, bien que la
carapace noire qui les avait jadis protégés au sein de l’épiderme fût
synthétique et ne se guérisse donc pas, ce qui laissa une marque pâle sur la
surface des muscles pectoraux et de l’abdomen. L’armure, elle non plus, ne
put être ressoudée : ses bords fondus entourèrent la chair repoussée en un
cercle presque parfait.
Dans un soupir, Njal se redressa, laissant le corps soigné, mais encore
vide.
+Tu n’avais pas besoin de faire ça…+
Njal ne dit rien, mais ouvrit ses pensées, ouvrant une minuscule portion de
sa forteresse mentale, une poterne dans ses défenses pour permettre à
l’Archiviste de partir. Une étincelle émergea de ses pensées, invisibles de
tous, sauf des sens wyrdiques du Maître des Tempêtes. Elle voyagea le long
de son bras et sortit par l’extrémité de son bâton. Aile-de-Nuit croassa et
piétina sur son épaulière, héraut de l’esprit des morts.
Comme une braise, le fragment d’Izzakar tomba sur sa dépouille inanimée.
Le corps frémit par deux fois, ses membres tressautèrent sous le coup de
l’arrivée soudaine d’une énergie vitale.
Une main gantée trembla au-dessus de la pile de cadavres jusqu’à ce que
les doigts trouvent une prise et tirent l’archiviste en position assise. Une
respiration saccadée par l’effort s’échappa du heaume et des lentilles
oculaires ocre se tournèrent vers Njal.
— Que se passe-t-il ici ?
Le cri d’un des guerriers de la Vieille Garde résonna à travers la distance
qui les séparait alors même que Njal aidait Izzakar à se relever. Un soudain
tumulte derrière le Maître des Tempêtes l’avertit que des guerriers se
tournaient dans sa direction avec des cris d’incrédulité et des appels au
Vieux Loup. L’Archiviste des Thousand Sons ignora l’agitation et se pencha
pour ramasser un plastron intact sur l’un des cadavres, le sifflement qu’il
émit en se détachant noyé sous le brouhaha grandissant de cris accusateurs.
Orr rit doucement.
— Te moques-tu donc de moi ? demanda Njal, la main crispée sur son
bâton.
Aile-de-Nuit se redressa sur son bras, prêt à fondre sur l’archiviste.
— Je viens juste d’essayer de te parler dans ma tête.
La voix d’Izzakar était plus rauque qu’elle ne l’avait été dans ses pensées,
éraillée et grave.
— J’ai perdu l’habitude d’utiliser ma propre voix. Je voulais te remercier.
Valgarthr et le reste des Chevaucheurs de Tempêtes formèrent une ligne
entre Njal et plusieurs meutes de la Vieille Garde. Les vétérans jetèrent des
regards méfiants à Orr, mais il était clair que leur loyauté allait d’abord à
leur Seigneur des Runes, en lequel ils avaient une confiance absolue. Les
armes des guerriers de Bulveye étaient pointées sur les étrangers parmi eux.
Le Vieux Loup s’approcha, accompagné de plusieurs de ses vétérans. Njal
entendit le gémissement des servomoteurs et un pas lourd, ainsi que la
masse des Dreadnought dans son dos.
Le Maître des Tempêtes surprit Majula en train d’observer le sorcier. Son
expression reflétait la curiosité plutôt que la colère, maintenant qu’elle
pouvait enfin voir celui qu’elle n’avait jusqu’alors que vaguement perçu.
Dorria se plaça devant la Navigatrice et essaya de l’amener à l’écart de la
Vieille Garde qui avançait. Majula fit un pas de côté, elle évita la main
tendue de Dorria pour venir se tenir aux côtés des Chevaucheurs de
Tempête.
Njal la vit trembler quand elle s’arrêta devant l’une des Barbes Grises en
croisant les bras, une minuscule figure de défi face à la présence imposante
du space marine. Le Space Wolf fit un pas en arrière et envoya à son chef
de meute un regard incertain, auquel ce dernier répondit d’un haussement
d’épaules.
— Ne dis rien, dit sèchement Njal à Izzakar, conscient que la moindre
parole insultante de l’Archiviste pouvait déclencher un regrettable incident.
— Quelle sorte de Space Wolf peut lever ainsi son arme contre un autre,
dans une intention meurtrière ? demanda Arjac, ses Terminators se joignant
à la meute de Valgarthr pour former une barrière physique de légionnaires.
— Quelle sorte de Space Wolf s’abaisse à pratiquer la nécromancie sur un
ennemi mort ? demanda Bulveye en écartant ses guerriers pour se placer
face à Njal.
Il pointa sa hache en direction du Prêtre des Runes.
— Je t’ai pris pour mon frère, et tu me remercies en t’associant à la
traîtrise de ce chien ?
— Son nom est Izzakar Orr, dit Njal d’un ton ferme, en tenant son bâton
près de lui. Sans ses connaissances, nous sommes tous condamnés à mourir
dans cet endroit maudit.
— Qu’il en soit ainsi, déclara le Vieux Loup, dont la main se posa sur le
pistolet à plasma à sa ceinture. Je pense qu’il va mourir aussi facilement la
seconde fois que la première.
Il dégaina son arme et la leva. Njal vit la lueur de la décharge énergétique
un dixième de seconde avant qu’elle ne soit dissimulée par une forme
massive. La détonation du tir lui parut assourdissante sur l’instant, son
explosion éclatante derrière la silhouette du Terminator qui s’était déplacé.
Le bruit de l’impact envoya des décharges le long des nerfs de Njal, un
hurlement fut arraché à sa gorge alors que la sphère de plasma percutait le
guerrier qui était intervenu.
Secoué par la décharge, le Terminator se tourna à moitié et le Maître des
Tempêtes vit le visage d’Arjac tordu dans une grimace choquée, son
plastron presque entièrement désintégré par le tir de plasma, le visage et son
crâne tatoué éclaboussés de gouttelettes de céramite.
Une bouffée d’énergie psychique et un sifflement de bruit blanc alertèrent
Njal de la réaction d’Izzakar, et il agit par instinct, d’un coup de bâton à
l’aveugle. Le pommeau percuta le visage de l’Archiviste au moment où
celui-ci levait des mains entourées d’éclairs verts. Le coup envoya Izzakar à
terre, sa foudre psychique absorbée sans dommages par le sol.
Njal s’avança, à la fois pour protéger le légionnaire des Thousand Sons
d’une nouvelle attaque et pour cacher Bulveye à Izzakar.
— Assez ! rugit le Vieux Loup en chargeant, la hache brandie pour
attaquer.
L’un de ses vétérans lui sauta dessus, bloquant le bras de Bulveye avec le
sien, et tira le Seigneur Loup en arrière et à l’écart. Les deux guerriers de la
Vieille Garde churent dans un fracas d’armures, l’intrus se mettant à cheval
sur son supérieur, un pied sur le poignet du Vieux Loup pour bloquer la
main qui tenait la hache.
— Ça suffit ! aboya le vétéran de la Treizième Compagnie. On en a fini,
ici, Bulveye.
— Toi aussi tu me défies, Jurgen ? Il y avait plus de peine que de colère
dans la voix de Bulveye, qui ne fit aucune tentative pour déloger son
assaillant, sa volonté de se battre évaporée suite à l’intervention de son
compagnon.
— Par les saintes rafales du Père-de-Tout, oui, je te défie, dit Jurgen. Si
c’est pour t’empêcher de commettre une autre grave erreur.
Les rangs de la Vieille Garde s’ouvrirent pour laisser passer l’un des leurs,
qui alla s’occuper d’Arjac. Le Garde-Loup déclina son aide d’un signe de la
main et se remit sur ses pieds en grimaçant.
— C’est bon, c’est mon armure qui a encaissé le plus gros.
Poing de Pierre jeta un œil vers le Seigneur Loup à terre.
— Heureusement que tu es un très mauvais tireur.
— Nos serments… Les ordres du Père-de-Tout …
— Nous avons déjà été trahis, Vieux Loup. Jurgen se mit debout, sans
enlever son pied du poignet de Bulveye. J’ai entendu ce que t’a dit le
runekast. Horus s’est retourné contre le Père-de-Tout. Réfléchis à ça,
Bulveye. Horus s’est retourné contre le Père-de-Tout.
— Nous n’avons rien fait de mal, cracha Izzakar. Je vous l’avais dit,
imbéciles, que votre châtiment était mal placé. Vous n’avez pas voulu
écouter. Vous nous avez forcés à nous défendre.
— Et alors ? Nous obéissons à la volonté du Père-de-Tout, ici. Il a décidé
de votre…
Le Vieux Loup n’acheva pas sa phrase en se rendant compte de quelque
chose, et il grimaça de consternation. Le guerrier du nom de Jurgen donna
ses explications en se reculant et en aidant Bulveye à se relever.
— C’est exact, Vieux Loup. Nos ordres, ils venaient d’Horus. Le Roi Loup
n’a pas parlé au Père-de-Tout directement, l’ordre d’exécution a été
transmis par le Maître de Guerre.
Njal sentit ses tripes se serrer, comme prises dans la glace, car il
connaissait les détails de la terrible saga qui avait suivi. Aile-de-Nuit
s’envola dans un cri de désarroi et alla tournoyer autour des meutes
rassemblées.
— Tout ça n’était qu’un mensonge, murmura le Maître des Tempêtes. Le
Père-de-Tout n’a jamais ordonné la mort de Prospero. Le Maître de Guerre,
trois fois maudit, avait déjà sombré et a conspiré pour ouvrir la voie à sa
trahison en retournant les Fils de Russ contre ceux de Magnus.
Un silence abasourdi suivit cette déclaration, les guerriers des
Chevaucheurs de Tempête, ceux de la Vieille Garde et même Izzakar
assimilant les conséquences monumentales de cette simple, efficace,
odieuse, tromperie.
Le Vieux Loup avait l’air brisé, sa hache lui pendant mollement de la
main, la tête basse sous l’effet de la honte. Njal aida Izzakar à se redresser.
Les deux adversaires, qui, quelques jours à peine, et pourtant dix mille ans
auparavant, étaient déterminés à s’exterminer mutuellement, se faisaient
face, unis par cette révélation soudaine.
— Vous n’aviez pas tort, souffla l’Archiviste des Thousand Sons, ses mots
à peine audibles. Vous avez été trompés, et nous pouvons désormais voir où
Magnus a conduit les miens.
— Toi non plus, admit Bulveye, ses lèvres bougeant à peine. Si le Rout
n’avait pas détruit Prospero, aurions-nous pu être alliés ? C’était sûrement
le pari d’Horus.
Ils se regardèrent, se comprenant mutuellement.
Un tintement soudain retentit dans le hall aux dimensions impossibles à
appréhender, distant, mais pourtant fort. Le visage casqué d’Izzakar se
tourna vers l’autre portail.
— Magnus arrive, dit-il, sa voix empreinte de révérence.
Il reporta son attention sur Bulveye.
— Je sens sa présence qui emplit le portail. Comme auparavant, c’est moi
qui contrôle les moyens de votre départ.
Ils se tournèrent vers le pilier blanc comme s’ils s’attendaient à voir le
Primarque renégat en jaillir à l’instant.
— Ou bien, vous pouvez rester ici et vous battre, continua l’archiviste,
d’un ton qui exprimait le doute méprisant qu’il ressentait pour un tel plan.
— Nous avons besoin de toi, Vieux Loup, dit Arjac.
Il désigna de la main l’armée rassemblée sous le commandement de
Bulveye.
— Là-bas, dehors, les héritiers du Maître de Guerre cherchent à accomplir
ce que leur maître n’a pu faire, une guerre qui aboutit après dix mille ans.
Ne nous parle pas de serments. Les Fils de Russ ont passé une centaine de
siècles à honorer de telles promesses. Tu souhaites détruire Magnus ? Viens
avec nous. Rejoignez les frères que nous avons déjà retrouvés.
Un intérêt nouveau s’alluma dans les yeux de Bulveye.
— Déjà retrouvés ? Des guerriers de la Treizième ?
— Oui, dit Njal, interrompant la conversation avant que trop de détails ne
soient divulgués.
Bulveye n’avait pour l’instant pas besoin de savoir que la majorité des
légionnaires de la Treizième Compagnie qu’ils avaient secourus du warp
avait succombé à la malédiction du Wulfen.
— Ils auront besoin d’un chef.
— Fais-le, dit Bulveye à Izzakar. Renvoie-nous sur Tizca, comme tu
l’aurais fait si je n’avais pas fait preuve de fierté aveugle.
L’Archiviste s’approcha du portail, les bras tendus, les paroles de
l’incantation calculae jaillissait déjà de ses lèvres. La lueur à l’intérieur du
cercle d’énergie se brisa, avança de façon saccadée à travers les âges, des
vies entières passant en un instant jusqu’à ce que la distorsion temporelle
entre le labyrinthe et Tizca soit alignée. Le ciel était celui d’une nuit plus
profonde, proche de celui que les Chevaucheurs de Tempête avaient quitté.
Quelques mots de plus et le passage s’élargit, révélant une vue de la
Pyramide de Photep. De l’autre côté, des escouades de thralls et des Space
Wolves dispersés se retournèrent, surpris par l’activité soudaine.
— Désires-tu toujours que je me rende ? demanda Orr.
— Je crois que non. Bulveye se tourna vers son armée et leva sa hache
bien haut. Nous marchons à nouveau sur Tizca, les crocs acérés de Fenris
une nouvelle fois autour de la gorge du Cyclope !
CHAPITRE 18
LE CYCLOPE ET LE LOUP-CHACAL

Avalé par le gosier démoniaque, Lukas perdit toute sensation de


mouvement. Il avait franchi une sorte de limite, atteint un espace nul, sans
directions ni vélocité, bien qu’il fût toujours, il ne savait comment,
conscient de bouger. En fait, c’était plutôt une transition, un état de
transposition d’un endroit à un autre.
Il était bel et bien dans le ventre d’une bête, décida-t-il. Une entité
démoniaque si énorme qu’on ne pouvait la comprendre, et d’une façon ou
d’une autre liée à ce Portail Labyrinthe dans lequel ses frères du passé
avaient contre tout bon sens choisi de s’aventurer. Ses tripes, membres,
nerfs et artères étaient les connexions cachées entre les portails, dissimulées
dans une science du warp qui avait rejeté l’existence du démoniaque.
Cet état de gracieuse intuition se dissipa rapidement quand il fut recraché
de la monstrueuse dimension interne et s’écrasa brutalement sur le sol dur.
Ses narines furent assaillies par cette puanteur de sang, de sueur et de fumée
propre à un champ de bataille. L’obscurité était totale.
Il se rendit compte que l’absence de lumière était due à ses yeux clos et il
les ouvrit lentement, pas certain de vouloir découvrir où il avait atterri.
Le retour de sa vision le conforta dans cette opinion quand il vit les géants
bleus qui l’encerclaient. Leurs armures étaient incrustées d’or au niveau du
plastron et des jambières, leurs heaumes intégraux ornés de flammes et
d’armoiries dorées. Les Rubricae, qu’il reconnaissait sans peine depuis les
combats sur Fenris, agirent de concert, leurs bolters dirigés vers son visage,
la lueur d’un maléfice inferno luisant à l’extrémité de leur canon.
Une autre silhouette se fraya un chemin à l’avant, à la tenue encore plus
flamboyante, portant une robe tabard de bleu et de blanc brodée de
symboles prosperins et de la marque du Seigneur du Changement. Dans les
lentilles du casque du sorcier, Lukas put voir le reflet du portail dont il était
tombé et son propre visage horrifié.
Le sorcier de Tzeentch frappa de son bâton la poitrine de Lukas et une
flamme luisante le plaqua au sol.
La voix du traître avait un fort accent et était déformée par le vocalisateur
de son casque.
— Qu’avons-nous là ? Un éclaireur, envoyé pour nous traquer ? Un espion
de Fenris ? Je pense que tu t’es un peu perdu, mon ami qui pue le loup.
Les Space Wolves mirent un certain temps à sortir du Portail Labyrinthe,
temps durant lequel Njal lia une nouvelle fois son esprit à celui d’Izzakar,
cette fois-ci pour dévier les énergies du portail opposé. Des filaments de
pouvoir du warp s’insinuèrent dans le circuit arcanique, cherchant à ouvrir
de force ce que les cultistes ne pouvaient séparer normalement. Le front de
Njal était baigné de sueur chaude alors qu’il concentrait tout son pouvoir
pour maintenir le portail fermé. À ses côtés, l’Archiviste des Thousand
Sons chantait un psaume constant d’ordres psychebraïques, maintenant le
portail légèrement mal aligné en dépit des efforts de ceux qui se trouvaient
de l’autre côté.
Seules quelques meutes de la Vieille Garde étaient encore là, ainsi que les
Gardes-Loups d’Arjac, qui avaient refusé de partir sans le Maître des
Tempêtes, quand une nouvelle présence se manifesta dans le plan entre la
citadelle tzeentchienne et le monde du cœur. Dans un premier temps, Njal
crut qu’il s’agissait d’un démon majeur, sa puissance évidente même de
loin, comme la première lueur d’un incendie qui faisait rage derrière la crête
d’une colline.
L’être qui se trouvait de l’autre côté du pont de warp fit une démonstration
de sa puissance et le Maître des Tempêtes fut traversé par une vague
d’appréhension.
— Je ne vais pas pouvoir tenir très longtemps, dit Njal en grimaçant.
Magnus est trop puissant.
— Je suis également au bout de mes forces, confessa Orr.
Des torrents d’étincelles coulaient le long de son armure tandis qu’il
s’épuisait, Njal pouvait, grâce à sa vision wyrdique, voir l’aura autour de
l’Archiviste qui s’assombrissait à mesure que sa connexion au warp
s’amenuisait sous l’effort.
— Encore quelques minutes, dit Njal, en observant l’avancée de
l’évacuation.
Il savait qu’ils n’auraient pas assez de temps. Un nouvel assaut déterminé
suffirait à forcer le passage et Magnus pourrait conduire son armée à travers
la brèche.
Aussi soudainement qu’elle s’était manifestée, la présence se dissipa.
— Nous nous sommes peut-être trompés, dit Njal.
— C’était lui, insista Izzakar. Le Roi Écarlate est à notre poursuite.
— Je ne suis pas un expert, mais tu as dit que Magnus avait construit ce
labyrinthe. Je ne pense pas que nous soyons en mesure de lui résister s’il
veut y entrer.
— Non, nous ne le pouvons pas, ses mots effleurés par un soupçon de
sourire secret. Je conseille une retraite rapide avant le retour du Primarque.
Ils rompirent le contact à l’unisson, et envoyèrent une dernière poussée
psychique pour affoler l’alignement du portail. Aile-de-Nuit fila devant
Njal, croassant vigoureusement vers les derniers guerriers, irradiant du désir
qu’ils partent. Ils comprirent le message et tout le monde sauf le Prêtre des
Runes et l’Archiviste disparut à travers l’autre portail.
Aile-de-Nuit plongea dedans et Njal heurta le cercle chatoyant à pleine
vitesse et sauta dans le voile avec un cri étranglé.
Montrez-moi l’intrus.
Les mots vibrèrent à travers le sol et les membres de Lukas, sans même
passer par ses oreilles. Un flot de stimulants se répandit dans ses artères
quand son système limbique modifié et son armure firent de leur mieux
pour calmer la vague d’appréhension qui lui envahit les tripes. Le mélange
d’hormones et de produits dopants lui fit légèrement tourner la tête, ce qui
pour quelqu’un avec un tempérament insouciant comme le sien n’était
guère une amélioration.
Sur un ordre muet du sorcier, les rangs des Rubricae s’ouvrirent pour
révéler l’approche du Cyclope, Magnus le Rouge, une apparition
gigantesque de pouvoir immortel et de sorcellerie infernale. Le sorcier
s’agenouilla, offrant son obéissance à son seigneur, et ce faisant, retira son
bâton du corps de Lukas. Le Trompeur se releva vivement, les yeux rivés
sur le Primarque démoniaque. Il était impossible de comprendre l’ampleur
de la majesté et de l’aura de Magnus, et cela ne laissa à Lukas que quelques
vagues impressions et des images rémanentes imprécises.
Un sentiment puissant d’effroi mêlé d’admiration menaça de noyer la
moindre pensée dans la tête du Trompeur, mais il refusait de se laisser
intimider par le Primarque, et il parvint à esquisser un faible sourire.
— Salut à toi !
Quelle est ta mission, Fils de Russ ?
Lukas regarda autour de lui et vit qu’il se trouvait dans le hall d’une sorte
de citadelle, aux murs tendus de bannières, suffisamment grand pour être
envahi d’une armée de sorciers, Rubricae, cultistes et mutants, forte de plus
d’un millier de combattants. Bien que la présence de Magnus lui fasse
toujours l’effet de coups de boutoir sur son crâne, Lukas ne pouvait rester
bien longtemps privé de sa confiance en lui. Que le Cyclope ne sache
manifestement pas tout affaiblissait son aura d’infaillibilité.
— Je n’agis pas vraiment selon un but précis, expliqua-t-il. Je suis plutôt
du genre à faire des trucs, puis à improviser.
Ce n’est pas le Maître des Tempêtes qui t’a envoyé ? Je perçois sa trace.
Il n’est plus très loin.
L’aura du Primarque était envahissante, elle bloquait pensées et sensations.
Lukas eut besoin de toute sa force de volonté pour formuler une réponse.
— Njal ? Il ne m’a pas envoyé. Je veux dire, oui, j’étais avec lui, un
certain temps, sur le vaisseau. Mais je ne l’ai pas vu depuis que nous
sommes arrivés à Tizca.
L’apparition se solidifia quand Magnus se pencha en avant et dessina un
corps d’un rouge profond revêtu d’une armure d’or. Un visage grimaçant
dévisagea Lukas de son œil unique, l’autre orbite était comme un vortex
sans fond d’obscurité tourbillonnante. Mais même comme ça, quelque
chose semblait ne pas aller chez le prince démon, comme un projecteur-pict
mal réglé. Des fragments de Magnus apparaissaient et disparaissaient, le
tout luttant pour maintenir un semblant de cohérence.
Tu vas me dire quelles sont les intentions du Maître des Tempêtes. Tu vas
tout me révéler.
— Bah je n’en sais rien, insista Lukas. Je n’ai vraiment pas la moindre
idée de l’endroit où se trouve le Maître des Tempêtes ni de ce qu’il compte
faire. Je ne suis pas le genre de personne à qui il se confie.
Il haussa les épaules.
Tu ne vas pas contrecarrer mon ascension, fils de Fenris. Je vais aligner
l’omnimatrice et m’élever à ma pleine place divine. Les planètes
s’embraseront à mon arrivée. Les étoiles pleureront d’horreur.
Contrairement à l’instant d’avant, Lukas désirait ardemment rester
silencieux. Tout ce qu’il avait de rationnel lui hurlait de ne rien dire, de ne
pas provoquer la colère de ce demi-dieu. Magnus avait le pouvoir de mettre
fin à sa vie en un instant. Et pourtant… un tel pouvoir devait être défié.
C’était la mission que Lukas s’était lui-même attribuée que de saboter
l’autoritarisme et la tyrannie du commandement.
Lukas ne pouvait jamais s’empêcher d’ouvrir la bouche, même quand le
contraire eût été ce qu’il y avait de plus sage pour lui. Un sourire moqueur
et nonchalant étira ses lèvres.
— Il faut bien avoir un peu d’ambition.
Te moques-tu de moi ?
— Je me moque de tout le monde.
Je peux te terrasser d’une seule pensée. Transformer ton corps en un
cadavre grotesque. Arracher ton esprit des amarres de ton cerveau et le
livrer en pâture aux démons pour l’éternité. Tu…
— Non, tu ne peux pas, contra Lukas.
Le visage que se donnait Magnus arbora une expression de rage absolue et
le Trompeur se dépêcha de lever la main, le poing serré autour du morceau
de parchemin.
— Pas si tu veux ceci.
Magnus eut un mouvement de recul, ce qui projeta des Rubricae en tous
sens dans son geste de colère.
Comment t’es-tu procuré cela ? Le Sortilège de Déverrouillage
m’appartient !
Le Primarque se reprit et se pencha à nouveau vers Lukas, un index griffu
tendu vers lui.
Je l’arracherai à ton cadavre pendant que je torturerai ton âme pour cet
outrage.
— Mais non, répondit Lukas. On dit que ta capacité à voir l’avenir dépasse
l’imagination. Alors, vas-y regarde, maintenant, regarde dans le futur. Vois
ce qui va arriver.
Magnus fronça les sourcils. Son œil unique devint un orbe doré dans
lequel se refléta le crâne sans chair de Lukas. Il sentit une connexion et
l’esprit du Primarque-démon s’enfonça dans le sien. Contre la puissance
psychique du Roi Écarlate, toute son adaptation et tout son entraînement
mental de space marine ne s’avérèrent pas être une défense plus efficace
qu’une paroi de papier contre une épée énergétique.
Un rayon de pouvoir noir jaillit de la main tendue de Magnus, il frappa
Lukas, écorcha peau et muscles en un instant. Son cœur, le seul qui lui
restait, fut incinéré par la décharge. Au moment même où il s’arrêtait,
l’engin qui se trouvait à la place du cœur qu’on lui avait volé s’activa.
La bombe de stase explosa autour du corps du Trompeur qui chutait,
scellant pour l’éternité l’instant de sa mort. La pile à combustible au cœur
du générateur de stase durerait un millier d’années, invulnérable même aux
ruses des engeances du warp et aux plus grands esprits de l’Adeptus
Mechanicus.
Et dans son poing, le morceau de parchemin dérobé, inaccessible pour un
millénaire.
Magnus recula à nouveau, se méfiant de Lukas.
Donne-le-moi et je ferai en sorte que tes désirs deviennent réalité.
— N’importe quoi ?
Tout ce qui est en mon pouvoir.
— Des suggestions ?
Le Primarque sourit, ce qui envoya des frissons de malaise parcourir
Lukas. Le Roi Écarlate tendit un dard massif et effleura à peine de sa pointe
noire le plastron de Lukas. Le cœur du Trompeur tambourina comme un
batteur fou. Lukas s’attendit à ce que la griffe pénètre plus profondément
malgré le pari qu’il avait tenté. Au lieu de ça, elle tapota doucement contre
la céramite marquée par les flammes.
Le changement n’est pas un concept qui m’est étranger. Je peux voir ce
qui sommeille en toi, cette même chose qui se cache dans l’âme de tous
les Fils de Russ. Je sais quel nom vous lui donnez. Wulfen.
Magnus retira sa main et croisa les bras, une expression de compassion
clémente sur le visage.
Je peux te débarrasser de cette malédiction. Te libérer du sort qui te
guette.
— Ah, c’est tentant ça, avoua Lukas.
Cela l’était, réellement. Il connaissait cette bête qui le poursuivait, la
malédiction qu’il ne pouvait ni tromper, ni semer. Les autres pensaient que
la bombe de stase n’était qu’un artifice, mais c’était bien plus que cela.
C’était une protection, une ultime chance d’éviter de devenir ce qu’il
méprisait le plus chez lui.
Tu as triomphé du changelin, béni de mon dieu. Tu as dérobé l’une des
neuf incantations de flexion intérieure des Scribes Bleus, les Archivistes
du Seigneur du Changement. Je vois ton esprit, le désir qui te dirige. Tout
est mouvement. Ta bombe de stase, un dernier rire, une ironie délibérée.
La stase, c’est l’antithèse de tout ce que tu recherches.
Je vois bien tes pensées. Trompeur, car c’est ainsi que tu te nommes toi-
même, mais tu as un autre nom, celui que les autres utilisent avec dédain.
Le Loup-chacal. Le charognard qui fait affront à leur honneur. La
créature inférieure. Ils te méprisent, alors même que tu es meilleur
qu’eux.
Jure-moi fidélité, voue ton âme à l’Architecte du Destin, et tu connaîtras
l’immortalité. Tu passeras l’éternité à jouer tes tours, à rabattre le caquet
de seigneurs régnants sur des mondes entiers, une incarnation du revers
de l’hubris, de la fierté retournée. Mon dieu prend au piège ceux qui se
veulent puissants, inconscients que toute ambition est dénuée de sens et
qu’aucun héritage ne survit à la mort.
Mais toi… Lukas… Tu n’as d’autre ambition que de déformer celle des
autres, de rappeler à l’univers que rien n’a de sens.
Cela, je peux te le donner.
— Mes frères ? Sont-ils toujours en vie ? demanda Lukas.
Magnus réfléchit à la question, sans que son regard surnaturel ne quitte pas
Lukas.
Ils vivent, mais sont sur le point d’être anéantis.
— Épargne-les.
Une vision se dessina dans l’air, elle montra à Lukas les Griffes Sanglantes
dans le hall impossible. Le sol se tordit autour d’eux et projeta les démons
dans l’abysse, des pierres mouvantes les ramenèrent devant le portail par
lequel ils étaient entrés. La lueur du voile dans le passage se dissipa et
révéla la pièce vide du centre de commandement portuaire. Lukas ne
pouvait rien entendre, mais il paraissait évident que les Griffes Sanglantes
hésitaient.
— Sortez, espèces d’idiots, gronda Lukas.
Ils levèrent les yeux, comme s’ils entendaient sa voix.
— Sortez !
Les survivants de la meute se ruèrent dans le portail et débouchèrent dans
les ruines de Tizca, sains et saufs. Derrière eux, le portail se figea en un
solide mur de marbre noir.
Ils sont libres.
— Et si je persiste à dire non ?
Lukas perçut un changement chez le Primarque, une expression rusée sur
son visage. Le Trompeur leva sa griffe en réponse, une lame crépitante
pointée sous son plastron, dirigé vers son cœur restant.
Magnus se figea, craignant à juste titre que Lukas ne déclenche la bombe
de stase lui-même.
Je suis immortel. Le temps ne s’écoule pas de la même manière pour moi
que pour toi. S’il le faut, je peux attendre dix mille ans.
— Si tu essayes d’utiliser le moindre de tes pouvoirs, je jure sur le trône
du Père-de-Tout que je me tuerai d’abord.
Lukas parlait rapidement, mais avec assurance, et rassembla toute sa force
de volonté pour affronter le regard immortel du demi-dieu. Il laissa
échapper un rire bref, son inquiétude relâchée sous forme de mépris.
— Je pense que tu bluffes mal, Magnus. La galaxie se fait mettre en pièces
et tu as transféré ta planète démoniaque dans le royaume des mortels, mais
tu as besoin de quelque chose d’autre. Le Portail Labyrinthe en fait partie,
et ce wyrdhex que je détiens en est la clef, n’est-ce pas ? Tu ne peux pas
attendre un millier d’années. Tes frères déchus se seront taillés leurs
domaines mortels, auront pris leurs morceaux de choix sur la carcasse de
l’Imperium, et tu devras te contenter des restes. Tu auras perdu, Magnus.
Tu ne peux résister !
Lukas sentit des filaments de pensées intruses percer son esprit. Il essaya
de plonger la griffe dans sa poitrine, mais son bras refusa de lui obéir. Il
serra les dents et regarda le Seigneur des Thousand Sons tendre une main,
prêt à prendre le parchemin des doigts sans défense de Lukas.
Le Trompeur éclata de rire et jeta le morceau de sortilège en l’air.
Toute l’attention de Magnus se concentra sur l’incantation qu’il désirait et
libéra Lukas de la poigne de son enchantement. Le Trompeur plongea vers
le portail derrière lui. Il se rétablit sur ses pieds à l’aide d’une roulade juste
devant le rideau de pouvoir et jeta un regard derrière lui. Le morceau de
parchemin volait, porté par une brise céruléenne vers la main tendue du
Cyclope. Il atterrit dans sa main et ses doigts se crispèrent dessus, levant le
papier. Il parcourut la page du regard en un instant et ses sourcils se
froncèrent profondément. L’œil unique de Magnus se tourna vers Lukas,
son visage refléta une confusion absolue.
Ce n’est pas le Sortilège de Déverrouillage…
— Je n’ai jamais dit que ça l’était, rit Lukas. C’est toi qui l’a dit.
Le Trompeur bondit. Le crépitement de la décharge sorcière et un
hurlement de rage assourdissant le suivirent lorsque le portail l’enveloppa.
Arjac monta la garde avec les survivants de sa meute, ordonnant à des
escouades de thralls d’escorter les Space Wolves qui jaillissaient de la
gueule tourbillonnante du portail ouvert. Majula émergea parmi eux, seuls
quatre de ses Gardes Navis avec elle. Ils s’écartèrent du mouvement général
le long de l’avenue. La Navigatrice paraissait épuisée, soutenue par l’épaule
de Dorria, mais elle se redressa en s’approchant de Poing de Pierre. Elle
défroissa sa robe et arrangea les pendentifs autour de son cou, mais elle
n’affichait plus aucun maniérisme. La fierté de son maintien se retrouvait
désormais aussi dans son regard.
— Dans le futur, nos sagas célébreront ce que tu as fait pour les Space
Wolves, dit le hearthegn à la représentante de la Maison Belisarius. Mais à
présent nous avons encore quelque chose à te demander : que tu nous
ramènes sains et saufs à travers les tempêtes.
Majula jeta un regard noir en direction de l’entrée du Portail Labyrinthe.
— Après cela… Naviguer sur les mers du warp sera d’un familier
bienvenu, Champion de Grimnar.
Dorria confia doucement la tâche de prendre soin de Majula à l’un de ses
gardes et resta en arrière tandis qu’ils s’éloignaient.
— J’ai vu ce qui s’est passé avec le sorcier, dit la capitaine des gardes.
Vous auriez pu mourir en protégeant un traître.
— Nous aurions tous été prisonniers de ce labyrinthe s’il était mort. Et
franchement, nous devrions être surtout reconnaissants au Barbe Grise
Jurgen pour avoir empêché Bulveye de porter un second coup au kraken.
Elle digéra cela en silence, présenta ses respects d’un signe de tête et suivit
rapidement les autres.
Arjac inspira un grand coup, les sourcils froncés en la regardant partir. Les
autres pensaient-ils, comme elle, qu’il avait risqué sa vie pour l’Archiviste
des Thousand Sons ? L’idée l’offensait, mais il ne savait pas laquelle des
deux versions était la meilleure. Le mensonge : il avait sauvé l’Archiviste
pour protéger tout le monde. Ou le mensonge… il avait pensé que le tir
visait Njal et tout le reste n’avait été que conséquences inattendues.
Un raclement de bottes sur le sol d’un cloître au-dessus de lui le fit se
retourner vivement, son dilemme oublié, marteau prêt à frapper.
Une aura indistincte s’ouvrit pour révéler un visage souriant encadré de
tresses rouge vif et des doigts gantés triturant une barbe fine. L’expression
du space marine, un sourire entendu, rendit Arjac soupçonneux, comme si
le nouveau venu pouvait savoir ce qu’il pensait, la perplexité qui l’avait
étreint quelques instants auparavant. L’irritation remplaça son embarras.
— Qu’est-ce que tu veux, Loup-chacal ? Où donc te faufilais-tu alors qu’il
y avait une vraie bataille à mener ?
— Par-ci, par-là, répondit Lukas, en faisant un geste aérien de la griffe
vers les pyramides. Çà et là.
Arjac grogna.
— Et qu’est-ce que tu trafiquais là-bas, fléau de l’honneur ?
— Je trafiquais, lâcha le Trompeur avec un air rusé.
Il referma son manteau en peau de doppelgangrel autour de lui et se fondit
à nouveau dans les ombres, un dernier éclat de son sourire moqueur visible
avant que seule sa voix ne demeure.
— Comme tu l’as dit.
Le Maître des Tempêtes atterrit sur le sol fissuré de Tizca, les détonations
sporadiques de bolters et le vrombissement des escorteurs qui mitraillaient
paraissant clairs et irréels à ses oreilles, alors que c’était la réalité qui le
submergeait après la platitude dimensionnelle du cœur du labyrinthe. Il
s’arrêta dans un dérapage et se retourna, s’attendant à voir arriver Izzakar.
Njal pouvait voir à travers le cercle, aussi clairement que s’il s’était agi
d’un trou dans le mur. Izzakar se tenait devant la faille, tandis que derrière
lui le portail de l’autre côté du cœur luisait plus fort et plus brillamment.
Il lui était difficile de comprendre ce qu’il ressentait, déchiré qu’il était
entre les serments qu’il avait prêtés de tuer les fils de Magnus et son
expérience personnelle avec Izzakar. Il était fou d’espérer qu’ils puissent se
forger une cause commune. Avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit,
Izzakar prit la parole depuis l’autre côté du portail.
— Je vais briser le sceau, déclara l’Archiviste. Il faudra du temps, même à
Magnus, pour corréler les mesures précises pour passer, et vous serez loin
de Propsero d’ici là.
— Tu peux fermer le portail depuis ce côté, dit Njal, qui se souvenait
comment Orr avait brisé la connexion depuis les terres désolées. Tu n’as
pas à te piéger.
— Mon monde est mort il y a dix mille ans, Fils de Russ. Je n’appartiens
pas au tien. Je préférerais chercher à savoir s’il me reste des frères qui n’ont
pas succombés à cette malédiction de poussière. Préviens tes maîtres du
plan de Magnus.
Le portail se referma, une obscurité le coupa de l’Archiviste des Thousand
Sons qui se fondit dans la fumée du champ de bataille qui flottait dans la
faible brise de Tizca.
Njal resta là, à contempler l’arche vide du portail pendant encore plusieurs
secondes, incapable d’absorber toutes les ramifications les événements les
plus récents.
Il repoussa ses doutes et ses inquiétudes, les enferma à un endroit d’où ils
ne pourraient pas interférer, dans l’attente d’un examen ultérieur. Il y avait
des choses plus importantes à gérer que sa confusion.
Il envoya un signal à Aldacrel par vox.
— Béni soit le Père-de-Tout, j’ai cru que nous t’avions perdu, Maître des
Tempêtes, répondit le Prêtre de Fer. Je n’étais plus qu’à quelques minutes
d’ordonner notre retour en orbite.
— Retraite générale vers la zone d’atterrissage, mon frère. Envoie un
signal au Longriffe et fais-lui diriger toutes nos pièces d’artillerie navale sur
ces coordonnées. Lance la frappe dans cinq minutes.
Il regarda la Pyramide de Photep et la lueur des dimensions brisées qui
émanait de l’intérieur. L’image du Cyclope avait disparu, mais il savait que
loin derrière les portes du labyrinthe, Magnus cherchait toujours à entrer, à
récupérer Prospero pour son sinistre plan.
— Qu’il n’en reste que poussière et cendres.
À PROPOS DE L’AUTEUR

Gav Thorpe est l’auteur du roman de l’Hérésie d’Horus Délivrance


perdue, des Anges de Caliban et de la nouvelle « Le Lion », laquelle
faisait partie du recueil Les Primarques, nommé best-seller du New
York Times. Gav est en particulier connu pour ses récits concernant les
Dark Angels, incluant sa série L’héritage de Caliban. Il a également
signé Au nom de l’Empereur et La Bête doit mourir pour la série
L’Éveil de la Bête. Son répertoire Warhammer 40,000 compte
également la série La voie de l’Eldar, les récits audio Le vol du
corbeau, Honneur aux morts et Rapace pour l’Hérésie d’Horus, ainsi
que de multiples histoires courtes. Dans l’univers de Warhammer, Gav
a écrit le roman The Curse of Khaine pour The End Times, la trilogie
de la Déchirure dans la collection Les Chroniques du Vieux Monde, et
bien d’autres titres, dont certains lui ont valu des prix, l’un aussi
prestigieux que le David Gemmell Award. Il vit et travaille à
Nottingham.
Un extrait de La Dévastation de Baal.
Les gongs du matin résonnaient déjà quand Uigui, marchand d’eau de son
état, se leva pour entamer une autre journée de dur labeur.
Uigi se leva déjà tout habillé, il partit se vider la vessie dans une unité de
purification bricolée dans un coin de la pièce. Chaque goutte d’eau était
précieuse sur Baal Secundus, quelle que soit sa provenance.
La seule et unique pièce disposait de trois couchages, d’une table, de
l’unité de recyclage et guère plus. De vieilles palettes de transport tendues
de couvertures élimées faisaient office de lits. Uigui se dirigea vers l’unité
de recyclage et passa devant son plus lourd fardeau : son imbécile de fils.
Le gamin était allé, empli d’espoir, participer aux épreuves de sélection du
Chapitre, et en était revenu diminué intellectuellement.
— Debout ! Lève-toi ! Mais tu vas te lever, petit imbécile !
Uigui gratifia les pieds de son fils d’un solide coup de botte. Le gamin se
réveilla en sursaut et leva ses bras pour se protéger. On pouvait deviner un
visage effrayé entre ses doigts sales.
— Debout, gronda Uigui. L’aube se lève. Tu n’entends donc pas le chant
des Anges ?
Il regarda par la fenêtre en albâtre grossier percée dans l’un des murs
d’adobe brut. Le lever du jour aurait dû faire s’y déverser une lueur rosâtre.
À la place, une pénombre écarlate se répandait au-dehors.
La plupart des matins étaient froids mais splendides, le ciel immaculé
teinté de ce rose profond libéré par la Cicatrice Rouge. Parfois, ce spectacle
suffisait à faire s’arrêter Uigui et lui faire oublier combien il détestait
son existence.
— Pas qu’on puisse la voir, grogna Uigui. Une Brume Rouge. Et une
bien épaisse.
— On… on… on… doit y aller ne… ne… nous aussi, p’pa ? demanda
le garçon.
Tout en urinant dans le tuyau de recycleur, Uigui lui décocha un
regard mauvais.
— Ou… ou… oui, cracha-t-il en se moquant du bégaiement de l’enfant.
Maintenant, debout ! J’ai besoin d’aide pour remplir ces flasques. Je suis
trop vieux pour le faire tout seul. Ou je te laisse à la Pitié de l’Empereur et
je serai enfin débarrassé de toi !
Il ajusta ses habits crasseux et tituba, cambré, vers la porte de planches mal
ajustées qui séparait la seule pièce de sa maison de l’extérieur. Il tendit une
main vers la poignée de la porte tout en se massant avec l’autre pour
dissiper la douleur dans son dos. En vain. Son humeur s’assombrit encore
un peu plus.
— Sois plus patient avec le petit. C’est le fils de ma fille, tout de même,
croassa d’une voix âgée le tout dernier occupant de la masure.
La forme sous les couvertures du troisième lit bougea et des bras émaciés
et des mains noueuses émergèrent, ceux d’une femme, encore plus courbée
et usée qu’Uigui.
— Tu lui dois quand même un peu d’amour ne serait-ce qu’en souvenir
d’elle, même si tu n’en as pas pour lui-même.
La vieille femme se mit à tousser pour évacuer la mucosité épaisse qui
encombrait sa gorge. Uigui la regarda avec dégout. Son visage était aussi
ridé que la peau d’un fruit desséché, comme si le temps avait rongé ses
chairs, autrefois plaisantes, pour ne laisser que la surface craquelée de son
âme à la vue de tous.
— Et où est ta fille, aujourd’hui, vieille sorcière ? demanda-t-il. Morte.
Partie en me laissant pour seule compagnie un idiot et une bique.
— Tu es cruel, siffla la vieille dame.
Ses traits étaient marqués par le carcinome et elle n’avait probablement
plus que quelques mois à vivre, mais son regard restait vif et aiguisé. C’était
d’ailleurs ces yeux qu’Uigui détestait le plus.
— L’Empereur te punira pour ça, ajouta-t-elle.
Uigui laissa échapper un bref ricanement.
— Nous serons tous morts de faim bien avant que l’Empereur ne le
remarque, si ton précieux petit-fils et toi traînez au lit. Nous devons être aux
portes avant qu’ils ne les ouvrent pour la journée.
La femme se laissa retomber parmi ses couvertures.
— Avec la Brume Rouge, tu n’auras aucun client.
Uigui laissa la main sur le morceau de ferraille qu’il avait transformé en
poignée de porte. Il était usé, presque lisse. Il avait déterré ce fragment alors
qu’il était encore tout jeune, dans l’une des cités en ruine de la lune. Un
artefact impossible à identifier sorti du passé paradisiaque du système. Cela
aurait pu être une ancienne œuvre d’art ou un élément d’une machine
fantastique. Cela aurait pu être n’importe quoi, en fait. Là, c’était vieux, laid
et brisé, uniquement bon pour les usages les plus basiques. Tout
comme Uigui.
— Alors, nous mourrons tous de faim. Debout. Nous avons du boulot.
Il ouvrit la porte et la laissa claquer contre la paroi pour montrer
son impatience.
Cette Brume Rouge était la pire qu’il ait jamais vue, une vapeur épaisse et
étouffante chargée de particules de sable. Il n’y avait que sur des mondes à
faible gravité, comme Baal Secundus, qu’un tel phénomène était possible,
même si Uigui l’ignorait. Sa vision du monde était forcément limitée. Lui
ne voyait qu’une journée de travail gâchée. La Brume Rouge portait avec
elle une odeur et une texture métalliques. Un brouillard qui lui lacérait les
narines. Il toussa et tira son écharpe pour se couvrir la bouche et le nez. Il
n’avait pas d’épingle pour la maintenir en place, alors il l’appuya sur son
visage de sa main gauche.
Sa demeure était modeste, mais le terrain autour recelait une véritable
fortune. Quatre énormes urnes de terre cuite, plus hautes que des hommes et
trop imposantes pour que deux individus puissent les prendre dans leurs
bras, étaient alignées contre le mur. Avec autant de richesse à protéger, la
cour était bien mieux construite que sa maison. Les murs étaient en pierre,
et non en briques de terre séchée, hauts, leur sommet hérissé de piques
rouillées et de tessons de verre. Solidement barrée, la porte était
délibérément étroite, recouvertes de plaques de métal de fortune. Quand la
lumière le voulait bien, les marques des anciens étaient toujours visibles sur
leur surface piquetée de rouille.
Il n’y avait pas de soleil. Le jour naissant n’était qu’une pénombre rouge
sang. Les urnes n’étaient que des ombres imposantes, on ne distinguait pas
les murs. La cour faisait à peine six mètres de côté, mais la Brume Rouge
était ce jour-là si dense qu’Uigui ne voyait pas l’enceinte.
Il s’arrêta. Le brouillard devait au moins être empli de ces toxines libérées
par les océans empoisonnés de Baal Secundus. Si les sables transportés
provenaient de l’une de ces anciennes cités, le niveau de radiation devait
être élevé. Uigui se dit qu’il ferait mieux de retourner chercher son
compteur, mais franchement, il n’arrivait pas à se motiver assez pour cela. Il
était vieux. Une dose de radiations provenant des terres empoisonnées ne
risquait plus de lui faire grand mal, et dans le cas contraire, quelle
importance ? Il était fatigué de vivre. Son existence était dure
et impitoyable.
Il envisageait parfois de mettre lui-même un terme à tout cela, à cette
misère, à cette pénibilité, et à la compagnie pesante de son fils et de sa
belle-mère. Il ne se faisait aucune illusion sur le fait que sa mort lui
accorderait une vie meilleure aux côtés de l’Empereur ; non, il n’aspirait
qu’à la paix. Mais il n’était jamais parvenu à franchir le pas. Une inexorable
pulsion génétique, aveugle, l’obligeait à continuer à vivre, et il la suivait
à contrecœur.
Il cligna des yeux pour en enlever cette humidité irritante et se dirigea vers
l’appentis où il rangeait sa charrette. Une paire de hautes roues encadrait
deux plateaux de transport, l’un au-dessus de l’autre. Trois douzaines de
flasques de terre étaient posées sur chaque niveau. Il prit la plus proche et
l’approcha du robinet fixé sur la première urne. Il dut laisser tomber son
écharpe pour pouvoir la remplir. La poussière lui chatouilla le nez et il
poussa un juron. Une eau couleur rouille s’écoula dans le récipient, cela lui
donna à nouveau l’envie de pisser. Sa vessie aussi lui menait la vie dure.
— Gamin ! Hé, gamin ! Sors et viens me donner un coup de main !
La porte s’ouvrit en craquant, mais ce fut la vieille femme qui sortit, le
visage protégé de cette ridicule manière qu’avaient les tribus du désert.
Uigui n’aurait jamais dû se chercher une épouse hors des limites de la cité.
— Où est ce foutu gamin ? grogna-t-il.
— Laisse-le manger tranquille, vieux radin. Il sera bientôt dehors.
— Il ne sert qu’à gâcher de la nourriture et de l’eau, grommela Uigui.
Il referma le robinet, ferma le bouchon de la jarre et en prit une autre.
— Ça n’est pas sa faute, dit la vieille femme.
— Je pense que nous savons tous que c’est celle des Anges,
murmura Uigui.
— Shhht ! dit-elle. C’est de l’hérésie. Serais-tu donc prêt à le laisser sans
père, en plus de son esprit ?
— Il s’est rendu à leurs foutues épreuves jeune et fort, et en est revenu en
idiot. Qui d’autre devrais-je blâmer ?
— Le sort, répondit-elle. Il n’était pas destiné à les rejoindre, et son état ne
cesse de s’améliorer.
— Pas du tout, répliqua Uigui d’une voix amère.
Il rangea une nouvelle jarre pleine sur sa charrette et en prit une troisième.
La vieille traversa la cour pour le rejoindre, ses longues robes soulevant
des volutes de sable humide au sol. Elle s’arrêta là, mais n’aida pas, elle se
contenta duregarder, tel un spectre de jugement au milieu de la brume.
Uigui lui jeta un regard de travers.
Entre ses doigts noueux, un petit paquet d’autotarots cliquetait de manière
insupportable. Elle appuya sur un bouton sur le côté. Les cartes sous le
panneau ébréché vinrent prendre leur place. Elle étudia longuement les
petites icônes qui s’étaient affichées, puis appuya à nouveau sur le même
bouton. Puis encore une fois. Uigui lutta contre l’envie de la frapper, de lui
arracher l’appareil des mains et de la jeter au sol. Le tarot était l’instrument
de l’Empereur. Même lui n’oserait pas commettre pareil blasphème.
— Aide-moi, alors, dit-il. Il tourna le regard au ciel. Le soleil se lève.
Le brouillard ne se levait pas, mais les lumières au-delà se faisaient
plus vives.
— Nous sommes en retard, ajouta-t-il.
La vieille femme accrocha son jeu de tarot à sa ceinture, prit une flasque et
se dirigea vers la deuxième urne.
— C’est un jour de bons présages, annonça-t-elle.
— Tu dis ça tous les jours.
Elle haussa les épaules.
— Aujourd’hui, c’est vraiment le cas.
— Ridicule, rétorqua-t-il.
Mais ce qu’elle venait de lui dire ne le laissa pas indifférent. Elle avait un
don pour la lecture des tarots. Il la croyait même un peu sorcière. En réalité,
il avait peur d’elle. Il rangea brutalement le dernier récipient dans la
charrette, faisant fit tinter les autres entre eux.
— Où il est, ce foutu gamin ?
Le gamin poussait la charrette. Ça, au moins, il le faisait bien. Uigui et la
vieille femme suivaient. Les flasques s’agitaient dans leurs casiers et ce
tintement annonçait leur arrivée. C’était une bonne annonce, mais sous cet
épais brouillard, ce son rendait Uigui nerveux. Angel’s Fall était sous
l’administration directe des Blood Angels, mais les possibilités de se faire
dérober son chargement existait tout de même durant ces jours brumeux.
Ils ne firent aucune mauvaise rencontre quand ils empruntèrent la rue qui
allait de l’Allée de l’Abreuvoir jusqu’à la Chaussée Sanguinienne, rue
principale de la modeste cité. Les passants étaient rares. Les silhouettes qui
apparaissaient brusquement du brouillard, emmaillotées de la tête aux pieds,
disparaissaient tout aussi rapidement.
— Plus vite, gamin, grogna Uigui. Il nous faut un bon emplacement. Je
veux arriver avant que tout le monde ne soit parti.
Ils s’engagèrent sur la Chaussée Sanguinienne. À son extrémité s’ouvrait
la Place des Choix, là où la statue géante du Grand Ange ouvrait ses bras et
déployait ses ailes pour faire face au ciel oriental. L’effigie de Sanguinius
était immense, ce qui n’empêchait pas le brouillard de la dissimuler en
totalité. Sans la vision de cette majestueuse statue, les bâtiments exigus et
bas de plafond d’Angel’s Fall paraissaient plus sordides que jamais. Cela ne
ressemblait en rien à une cité sainte. Le brouillard obligeait à porter son
attention juste autour de soi, et même la Chaussée Sanguinienne était mal
proportionnée et tortueuse. Sans Sanguinius, Angel’s Fall aurait pu être
n’importe quelle bourgade sur n’importe quel monde arriéré et aride de
la galaxie.
Des gongs résonnaient depuis des tours invisibles, annonçant l’ouverture
du marché du Jour de Repos. Seule une poignée d’étals avait été montée sur
le bord de la chaussée, et la fréquentation était faible. Uigui comprit que les
visiteurs d’Angels Fall seraient moins nombreux qu’à l’habitude, même s’il
y en avait toujours quelques-uns. La Brume Rouge décourageait les
voyageurs. Elle était non seulement toxique, mais les formes de vie
sauvages et violentes de Baal en profitaient pour y chasser. Il maudit sa
malchance. L’eau était une denrée chère, tant pour l’acheteur que pour le
vendeur. Le prix qu’il tirerait de son chargement couvrirait à peine ses frais,
et il devait de plus une belle somme d’argent à Anton, le régulateur. Anton
prenait très au sérieux le paiement rapide des dettes. Uigui se frotta le
moignon qu’il restait de son petit doigt gauche, souvenir de la dernière fois
où il avait été en retard dans ses remboursements. Anton s’était presque
excusé et avait prétendu qu’il n’avait pas d’autre choix.
Uigui se dit qu’il leur faudrait rester plus tard afin de vendre son eau aux
gens qui quittaient la cité pour voyager dans la fraîcheur nocturne. En
supposant que cette brume finisse par se lever, ajouta-t-il en son for
intérieur. Un brouillard d’une telle densité était rare. Baal Secundus était
généralement balayée par les vents et les tempêtes de sable. Il n’y avait pas
la moindre brise ce jour-là.
— Ce temps n’est pas naturel, lâcha-t-il.
— Un jour de présages, répondit sa belle-mère, non sans une pointe
de satisfaction.
— Ferme-la, lui renvoya-t-il. C’est un jour comme les autres. Gamin ! Là !
Uigui avait pointé un espace dégagé au pied du Temple de l’Empereur. Ce
temple occupait la totalité du pâté de maisons, et une voie importante
d’Angel’s Fall y coupait la Chaussée de Sanguinius.
— Ça suffira. Les gongs continuaient de sonner. Mais pourquoi tout ce
raffut ? demanda Uigui.
— Les événements. Baalfora nous en réserve beaucoup en ce jour, dit la
vieille femme en utilisant le nom que donnaient ses habitants à
Baal Secundus.
Elle s’assit par terre. Ses articulations protestèrent et elle grogna en retour
à leur intention pour forcer ses jambes à se croiser. Sur ses robes tendues
entre ses genoux, elle posa son jeu de tarot et se mit à actionner le bouton.
Uigui lui montra les dents, puis passa son irritation sur le garçon.
— Grouille-toi, gamin ! Mets la table en place ! Où sont les gobelets ? Par
l’Empereur, on serait tous déjà morts si c’était toi le chef ici !
— Dé… dé… désolé, p’pa, répondit le pauvre garçon.
— Ne m’appelle pas comme ça, lui rétorqua-t-il. Mon fils est mort. Volé
par les anges. Plus personne ne sera en mesure d’hériter de mon affaire à
ma mort. Ne t’attends pas à quoi que ce soit.
Le garçon baissa la tête pour dissimuler ses larmes et montra la vilaine
cicatrice qui courait en travers du sommet de son crâne. Uigui la haïssait
plus particulièrement. Il était persuadé que si son garçon n’avait pas fait
cette chute, il serait là-haut, sur Baal, comme guerrier de l’Empereur. Il la
fixait alors que le garçon déployait la petite table qu’il avait prise sur un
côté de charrette, puis y déposait quelques gobelets de bronze. Quelque
chose proche du chagrin le frappa et il y répondit par de la colère.
— Plus vite ! dit-il sèchement.
Les gongs continuaient de sonner alors qu’ils auraient dû se taire depuis un
bon moment. Il tendit l’oreille. Il y avait un autre bruit, un grondement
lointain qui rampait sous la clameur des gongs.
— Qu’est-ce que c’est que ça encore ? soupira-t-il.
— Des… des… des vaisseaux du vide ? tenta le garçon.
— Tais-toi !
Mais alors même que son mouvement d’humeur s’échappait, il se dit que
le garçon avait peut-être raison. Il arrivait parfois qu’Angel’s Fall reçoive la
visite des Anges. Et il y avait aussi ces étrangers qui venaient là pour rendre
hommage à ce lieu où Sanguinius, le plus pur parmi les fils de l’Empereur,
avait été retrouvé. Mais il était rare qu’ils viennent en si grand nombre, au
point que le bourdon de leurs atterrissages soit aussi permanent.
Uigui perçut le crissement du sable sous de lourdes bottes qui
s’approchaient. Il jura intérieurement. Les Anges. Ils n’auraient que faire de
son eau.
— Inclinez-vous ! Inclinez-vous ! siffla-t-il.
Lui-même baissa la tête et obligea son imbécile de fils à poser un genou
à terre.
Une imposante silhouette en armure émergea de la brume. Une cuirasse
noire, un casque en forme de crâne. Un prêtre space marine. La mort
incarnée. Uigui tressaillit. Il tomba à genoux, effrayé, et attendit que la
silhouette le dépasse.
En vain. Les bruits de pas s’arrêtèrent juste devant la petite charrette.
Uigui sentit sur lui le regard de l’Ange. Sa vessie se rappela à lui
de nouveau.
— Soyez en paix, fils bénis de Baal Secundus, dit le guerrier d’une voix
d’une profondeur inhumaine teintée d’un lourd accent.
Uigui releva les yeux. Le crâne grimaçant le dévisageait. Des évents
sortaient de part et d’autre des dents stylisées, et des lentilles oculaires
brillaient d’un vert vif sous un front sévère. L’armure siffla et gémit en
réponse aux légers changements dans la posture du space marine, ce qui ne
fit qu’effrayer Uigui un peu plus.
Le guerrier promena son regard le long des chaussées qui constituaient
le carrefour.
— La Grand-Place. Où se trouve-t-elle ?
Même déformée et amplifiée par son système d’émission vocale, la voix
du guerrier restait bienveillante. Mais Uigui ne put dépasser cette
impression terrible qu’imposait ce visage qui l’observait d’un air sévère. Il
ne put que le dévisager en silence.
— Marchand d’eau, je ne te veux aucun mal, reprit l’Ange. Je suis venu ici
pour rendre hommage à mon seigneur. Où se trouve sa statue ?
Uigui leva un bras tremblant. Il aurait voulu dire : « Dans cette direction,
monseigneur ». Mais seul un étrange gargouillis sortit de sa bouche.
— Je te remercie. Sois béni, répondit le chapelain. Que l’Empereur veille
sur toi.
Il leva les yeux vers le grand temple et s’en alla.
— Co… co… comment peut-il l’ignorer ? demanda le garçon.
— Je n’en sais fichtre rien, répondit Uigui, toujours à genoux et suivant de
ses yeux effrayés le géant qui s’éloignait.
— Do… do… d’autres ! bredouilla le gamin, puis il alla se réfugier
derrière la charrette.
Uigui suivit le doigt tremblant de son fils. D’autres space marines
approchaient, par dizaines. Jamais Uigui n’avait vu tant d’Anges à la fois et
son corps tomba sous l’emprise de la terreur. Ils passèrent devant eux, leurs
armures resplendissantes en cette journée brumeuse. Uigui en voyait
cependant assez pour se rendre compte qu’il ne s’agissait pas de Blood
Angels. Leurs armures étaient pourtant décorées de la même manière que
celles des maîtres de Baal. Les lourdes plates harmonieuses, couvertes de
parchemins et d’embellissements délicats, arboraient des gouttes de sang
enchâssées dans de l’or, mais à la place du rouge habituel, leurs casques et
certains bords étaient blancs. Les marquages étaient étranges eux aussi.
Stupéfait, Uigui regarda passer la colonne devant lui. Ils défilèrent en
silence, ne laissant entendre que les bourdonnements réguliers de leurs
armures. Il n’était pas inhabituel de voir d’autres anges venir rendre
hommage au Grand Ange à Angel’s Fall, mais seulement par un, ou par
deux. Quand un deuxième groupe passa devant lui, portant cette fois-ci des
armures noires et rouge sang, Uigui ouvrit la bouche, ébahi. Les gongs ne
cessaient de résonner. En provenance de l’extérieur des murs, le hurlement
des tuyères ne fit que s’amplifier.
— Il… il… il y en a des centaines ! bégaya le garçon.
Uigui oublia sa colère l’espace d’un instant et posa un bras protecteur
autour des épaules de son enfant.
— Pou… pou… pou… pourquoi si nombreux ?
— Ils viennent rendre grâce à leur père. Ils viennent prier, répondit Uigui.
Quelle merveille.
La vieille femme émit un gloussement, puis un grondement de félin sur le
point de mordre. Le jeu de tarot cliqueta.
— Quoi, encore ? lui demanda Uigui.
— La tour en flammes, l’ange ensanglanté, l’étoile qui chute, répondit-elle
d’une voix à l’évidence amusée. Le naufrage du vaisseau spatial ; tout
autant de terribles présages.
Uigui lui décocha un regard mauvais.
— Que veux-tu dire ?
La vieille regarda à travers le tissu de son voile.
— Qu’ils ne sont pas venus ici pour rendre hommage, pauvre imbécile. Ils
sont venus ici pour mourir

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À Josh, un des hommes les plus doux et travailleur que je connaisse.
Puisses-tu trouver ta voie et ne jamais abandonner tes rêves. Avec
amour, Ellie.
UNE PUBLICATION BLACK LIBRARY
Version anglaise originellement publiée en Grande-Bretagne en 2018
par Black Library.
Cette édition est publiée en France en 2018 par Black Library
Games Workshop Ltd, Willow Road, Nottingham NG7 2WS UK.
Produit par Games Workshop à Nottingham.
Titre Original : Ashes of Prospero.
Traduit de l’Anglais par : Anaïs Sidhoum.
Illustration de couverture : Neil Roberts.
Cette traduction copyright © Games Workshop Limited 2018.
Les Cendres de Prospero © Copyright Games Workshop Limited
2018. Les Cendres de Prospero, Space Marine Battles, GW, Games
Workshop, Black Library, The Horus Heresy, le logo The Horus
Heresy, le symbole de l’œil pour The Horus Heresy, Space Marine,
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Traduction
La version française de ce document a été fournie à titre indicatif. En cas
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