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La théorie du contrat social et le concept de République

chez Jean-Jacques Rousseau*


PAR MAURIZIO VIROLI, FLORENCE

Au début du XIXème siècle, la doctrine politique de Rousseau est soumise à deux


types de critiques dans lesquelles on peut trouver les paradigmes qui ont influencé
presque toutes les interprétations et les discussions suivantes. J'entends les critiques
de Hegel d'une part et de Benjamin Constant de l'autre.
D'après Hegel, l'erreur fondamentale de la doctrine de Rousseau consiste en la
transposition illégitime d'une institution de droit privé telle que le contrat, dans «une
sphère qui est d'une nature tout à fait différente et plus éminente».1 Par conséquent,
l'Etat n'a d'autre fondement que «le libre arbitre des individus, leur opinion, leur
consentement libre et explicite».2 D'après Rousseau, l'Etat n'est pas «le rationnel en
soi et pour soi», comme le veut Hegel, mais il tire sa rationalité du fait qu'il est la con
dition nécessaire pour la sauvegarde de la liberté, des biens et des personnes; cela signi
fie que l'Etat est rationnel aussi longtemps qu'il accomplit cette fonction. Pour cette
raison la doctrine de Rousseau porte la grave responsabilité d'avoir détruit «le divin
existant en soi et pour soi, son autorité et sa majesté absolues».3 Les doctrines qui,
comme celle de Rousseau, fondent la liberté sur l'«acquiescement des individus», con
duisent l'Etat à la ruine, comme le prouve l'exemple de la diète polonaise, où nulle
décision ne pouvait être prise sans que chaque individu donne son consentement. Plus
dangereuse encore est l'idée que «seul le peuple détient raison et sagesse et sait le
vrai». D'après Hegel, les partisans du principe que la loi n'est pas valable sans le consen
tement unanime des sujets, ne comprennent pas que leurs doctrines conduisent néces
sairement à la dissolution de la Constitution politique: «Wenn das Prinzip des einzel
nen Willens als einzige Bestimmung der Staatsfreiheit zugrunde gelegt wird, daß zu
allem, was vom Staat und für ihn geschehe alle Einzelnen ihre Zustimmung geben
sollen, so ist eigentlich gar keine Verfassung vorhanden.»4 Les conséquences pratiques
des idées de Rousseau sur la liberté furent, à ce que Hegel fait remarquer à la fois dans
la Philosophie du Droit, et dans le chapitre (L'absolue liberté et la terreur) dans la Phé
noménologie, les excès de la Révolution Française.5 Hegel ne se situait pas par rapport
Cet essai est le résultat de la révision substantielle de la dernière partie de la thèse de doctorat
que j'ai défendue à l'Institut Universitaire Européen de Florence, et qui est en cours de publica
tion chez l'éditeur De Gruyter (Berlin) et, en traduction anglaise chez Cambridge University
Press. Je voudrais témoigner toute ma réconnaissance au Prof. Werner Maihofer, Président de
l'Institut Universitaire Européen, qui a été mon directeur de thèse et avec lui les Profs. Quentin
Skinner, Norberto Bobbio, Maurice Cranston et Athanasios Moulakis pour la patience et la com
pétence avec laquelle ils ont suivi mon travail.
G. W. F. Hegel, Grundlinien der Philosophie des Rechts, dans: Werke, Suhrkamp Verlag, Frank
furt am Main 1969, t. VII, S. 75.
Iri, S. 258.
Ivi, S. 100.
G. W. F. Hegel, Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte. Einleitung, dans: Werke, éd.
cit., t. XII, p. 61.
Grundlinien der Philosophie des Rechts, S. 258; Phaenomenologie des Geistes, dans: Werke, éd.
cit., t. III, pp. 431-440.
196 Maurizio Viroli

à Rousseau dans une position de


répondre au défit intellectuel que
une communauté politique et rest
ment convainçu que pour élaborer
derne, il faut employer des instru
du contrat social.6
De même que Hegel, Benjamin Co
trat social et la conception rousse
faut le plus grave de la première
citoyens face au Souverain le défa
que Rousseau méconnaît l'importa
de limiter le pouvoir souverain et
l'erreur de Rousseau n'était pas ce
des individus, mais d'avoir théori
Par le Contrat Social, remarque-t-
absolu et la seule différence qui
attribue un caractère absolu à la s
la légitimité du gouvernement abs
Autant Constant que Hegel étaien
cela n'empêche pas qu'ils aient bie
politique de Rousseau. Pour ces r
maîtres de la philosophie politique
de la pensée de Rousseau qui se pr
mis par la médiation de la pensée

Il est important à ce propos de noter


te der Philosophie, III (Werke, t. XX,
Cf. aussi Z. A. Pelczynsky, Political c
of state, dans: Z. A. Pelczinsky, éd.,
Philosophy, Cambridge, 1984, pp. 6
(1969), dans: I. Fetscher, éd., Hegel in
352-386; J. d'Hondt, éd., Hegel et le
B. Constant, Principes de politique, d
-1072; Pendant le XIXème et le XXè
plusieurs auteurs. Cf. par exemple E.
raineté et liberté, Paris, 1922; voir à
France dans la première moitié du dix
90-110. Cette tendance interprétative
ex. G. Jellinek, Die rechtliche Natur
Jellinek se retrouvent aussi chez E. C
Une position plus modérée entre les
,Staatsabsolutist' est défendue, dans u
des Anarchismus, Berlin, 1894, p. 14
XXème siècle, cfr. G. del Vecchio, Su
La fondazione storica e filosófica de
e la coscienza moderna, Firenze 1954
complète des études sur Rousseau e
bibliografía (1850-1982), dans: ,Stud
B. Constant, Principes de Politique, éd
Théorie du contrat social et le concept de République 197

D'après Rousseau, pour anticiper nos thèses, l'institution et la conservation de la


constitution politique légitime est en même temps la condition principale de la sauve
garde de l'unité de l'Etat et de la liberté des citoyens. L'autorité souveraine de l'Etat
ne se fonde pas sur la volonté arbitraire des individus, mais sur la volonté générale, qui
est, ou mieux doit être, une volonté rationnelle qui s'exprime par des lois universelles.
Si la volonté arbitraire des individus (ou des factions) se substitue à la volonté géné
rale, l'autorité souveraine n'est plus légitime, ce qui signifie à la fois qu'il n'y a plus
d'unité du corps politique ni de liberté. La doctrine politique de Rousseau se fonde sur
le principe de la souveraineté de la loi, et donc de la volonté rationnelle; elle n'est pas
fondée sur la souveraineté de la volonté individuelle en tant que telle, comme le lui
reprochait Hegel. Et par ailleurs, Rousseau ne peut pas être comparé à Hobbes, comme
le veut Constant. En réalité, il s'oppose de la manière la plus nette à Hobbes précisé
ment là où Hobbes déclare que le souverain est au-dessus des lois civiles et où il remar
que sans aucune ambiguïté, que si le souverain est au-dessus des lois civiles, c'est un
despote. Le peuple lui-même, lorsqu'il exerce la souveraineté, est soumis au lois fon
damentales ou constitutives de la République. Constant a très bien compris la néces
sité que tout pouvoir politique soit limité et réglé par des constitutions, mais cette
exigence avait déjà été remarquée par Rousseau, qui ne s'est jamais déclaré partisan
de la démocratie absolue, mais de la démocratie bien tempérée et «tempérée» signifie
réglée par une Constitution politique. La bonne constitution politique, enfin, est chez
Rousseau la condition nécessaire pour cette même «liberté des modernes» ou «négati
ve» que Constant croyait sous-estimée dans la Contrat Social.
Si l'on cherche un bon guide pour interpréter correctement la doctrine rousseau
ienne du contrat social, il est plus utile de s'adresser à Kant plutôt qu' à Hegel ou à
Constant. Kant envisageait la doctrine du contrat social comme une «simple idée de
la raison»9 qui a pour but de déterminer les règles fondamentales d une constitution
politique «entièrement légitime», c'est-à-dire d'«une république». C'est précisément
dans cette perspective que nous entendons analyser la théorie du contrat social: dans
l'intention de son auteur, elle consiste en effet en un artifice conceptuel dont la seule
fonction est la justification rationnelle de la constitution politique légitime. La bonne
Constitution politique seule, la «République» — c'est le deuxième point que nous
nous proposons d'analyser - garantit la liberté individuelle. Enfin, nous entendons
discuter le problème de la stabilisation et de la dissolution de la Constitution légitime,
et suggérer quelques observations sur le républicanisme de Rousseau.

1. La théorie du contrat social

Afin de bien comprendre la doctrine du contrat social, il est utile de nous arrêter un
peu sur la scène, pour ainsi dire, du contrat même. Cette scène a elle aussi, comme
d'ailleurs toute la doctrine du contrat social, les caractères d'une reconstruction
rationnelle, et non historique: «Je suppose les hommes parvenus à ce point où les
obstacles qui nuisent à leur conservation dans l'état de nature, l'emportent par leur
résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans

I. Kant, Sur l'expression courante: il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique cela
ne vaut rien (1793), Paris, 1967, pp. 38-39.
198 Maurizio Viroli

cet état. Alors cet état primitif ne


ne changeoit sa manière d'être».10
Dans ce texte du Contrat Social
description de l'horrible état de g
La scène qui précède le contrat s
ienne de l'état de nature où nul n
Rousseau aussi, le péril auquel to
genre humain. Dans l'état de guer
sûreté ni dans la pauvreté ni dans
d'introduire la description du pac
par l'«homme indépendant» qui
térêt des autres. L'homme indép
le plus grand désordre; mais cela n
Le problème de Rousseau est en
ter le Contrat Social, et encore plu
se propose de prouver que sous ce
d'être justes. Ces conditions peuve
bien ordonnée. Lorsque Rousseau é
que: «je tâcherai d'allier toujours d
règle d'administration légitime et
crit, afin que la justice et l'utilité
gumentation du
deuxième chapit
fondamental que Rousseau soulève
de concilier la justice avec
l'intérê
l'homme indépendant que l'on v
librement à des règles de justice p
tage aux dépens d'autrui: «Il ne s'a
l'homme indépendant; il s'agit de
veut prouver que l'on peut accepte
vue théorique, et aussi, avec toute
théorie du contrat social peut êtr
thèse que Trasimaque défendait, co
(I, 343—344c). Ce que Rousseau v
nécéssairement le sacrifice de l'in
me indépendant» de soumettre sa
définie comme «un acte pur de
sions sur ce que l'homme peut exig
en droit d'éxiger de lui».12
La raison fondamentale pour la
nous l'avons déjà observé, qu'il e
quand les autres ne sont pas justes
et de l'humanité, l'homme indépen

10 Contrat Social, 1.1, ch. V, O.C., III,


11 Discours sur l'Inégalité, O.C., III, p.
12 Manuscrit de Genève, O.C., III, p. 28
Théorie du contrat social et le concept de République 199

autres.13 La même thèse est répétée dans le chapitre du Contrat Social sur la loi,14 et
cela prouve, même du point de vue philologique, que le problème fondamental qui in
spire la recherche de Rousseau sur le bon gouvernement est celui de la justice ou mieux,
la possibilité de concilier la justice avec l'intérêt.
Si nous considérons avec attention le raisonnement de l'homme indépendant,
nous pouvons observer que sa conclusion logique est la nécessité d'un pouvoir, d'un
frein capable de modérer les passions désordonnées. Et il pose en même temps un
autre problème: pour que la justice ne s'oppose pas à l'intérêt, il faut qu'on puisse
garantir la réciprocité dans le respect des principes de la justice. Le bon ordre politique
doit, d'après Rousseau, donner une solution à ces deux problèmes et le contrat social
institue une Constitution politique qui doit satisfaire à la fois l'exigence qu'il y ait une
autorité politique souveraine et que cette autorité soit juste. Le contrat social est en
effet un pacte qui a lieu entre le peuple pris dans son ensemble, comme souverain, avec
les particuliers qui le composent. Chaque individu devient, par la pacte, citoyen, c'est
à-dire membre du Souverain. En même temps il devient sujet, c'est-à-dire soumis aux
lois de l'Etat. Le Souverain envers lequel chaque citoyen s'engage dans le pacte n'est
formé «que des particuliers qui le composent». Ceci est la condition fondamentale
qui fait qu'il est dans l'intérêt des individus de se soumettre à une telle autorité poli
tique: «condition qui fait l'artifice et le jeu de la machine politique, et qui seule rend
légitimes les engagements civils, lesquels sans cela seroient absurdes, tyranniques et
sujets aux plus énormes abus.»15
En s'obligeant envers une autorité souveraine qui consiste en leur propre personne
et qui est à son tour obligée envers eux de délibérer pour le bien commun, les individus
font un choix tout à fait rationnel. Le fait que le corps souverain soit composé par les
mêmes individus est la garantie que l'autorité souveraine n'imposera pas son intérêt
contre l'intérêt des particuliers, «parce qu'il est impossible que le corps veuille jamais
nuire à ses membres». Il est vrai qu'il est difficile que le corps Souverain veuille nuire à
tous ses membres; cela serait encore une fois en contradiction avec la prémisse que ce
corps est composé par des individus qui ne cherchent que leur intérêt. Ces individus-ci
ne pourraient pas délibérer une chose qui nuise à tous. Mais ils pourraient décider quel
que chose qui nuise à quelques-uns et avantage les autres. Ce serait une délibération
inique, mais rien n'empêche qu'elle soit prise. Donc notre «homme indépendant et
éclairé» n'aurait pas la garantie de la réciprocité des droits et des devoirs qu'il avait
demandé afin d'obéir à la volonté générale plutôt qu'à sa volonté particulière. Il ne
serait pas dans son intérêt de se soumettre à une autorité souveraine qui pourrait,
même en le faisant pour le bien commun, peser sur un citoyen plus que sur un autre
ou favoriser l'un plutôt que l'autre. Personne ne peut être sûr qu'il ne sera jamais au
nombre de ceux qui seront défavorisés par les délibérations du Souverain. Le fait qu'il
soit membre du Souverain ne le met pas à l'abri des injustices.

Manuscrit de Genève, O.C., III, p. 285.


«A considérer humainement les choses, faute de sanction naturelle les lois de la justice sont vaines
parmi les hommes; elles ne font que le bien du méchant et le mal du juste, quand celui-ci les
observe avec tout le monde sans que personne les observe avec lui», Contrat Social, O.C., III,
p. 378.
Contrat Social, O.C., III, p. 364.
200 Maurizio Viroli

Outre l'identité entre les memb


fondamentale qui doit être respect
cepter le pacte fondamental, est la
au corps politique. D'après Rouss
peuvent être obligatoires. Si chaq
condition que tous les autres le soi
qu'en remplissant ses obligations, i
pour soi».16
Le pacte social établit entre les ci
aux mêmes conditions et ils «doive
se trouvent dans une position de s
souveraine. Dans la condition de l'é
chaque citoyen en tant que membr
s'il veut agir dans son intérêt. Pui
tous également, c'est son propre i
Pour cette raison Rousseau écrit q
jets d'aucune chaîne inutile à la
L'égalité de droit établie par le pac
que les conditions soient égales pou
Justice et égalité de droit nous c
rie du contrat, le principe de la so
séquence du principe de l'égalité d
propos explicite: «C'est à la loi seu
La loi garantit la justice par son u
délibération publique du Souverain
tous les individus d'un ensemble
abstraite. La loi ne peut considérer
La loi est universelle autant du po
L'universalité est ce qui distingue
que la loi réunissant l'universalité
quel qu'il puisse être, ordonne de s
Souverain sur un objet particulier
de souveraineté, mais de magistratu
La volonté du Souverain ne peut
normes universelles et abstraites et
est la condition fondamentale de
nature du pacte — écrit Rousseau —
ou favorise également tous les Cito
corps de la nation et ne distingue a

16 M p. 373.
17 Ivi, p. 374.
18 M p. 373.
19 Lettres écrites de la montagne, O.C.
20 Manuscrit de Genève, O.C., III, p. 31
21 Contrat Social, 1. II, ch. VI, O.C., I
22 Contrat Social, 1. II, ch. IV, O.C., I
Théorie du contrat social et le concept de République 201

Si le corps souverain délibère des préférences pour favoriser un citoyen ou charge


un sujet plus qu'un autre, sa délibération est illégitime. Elle viole les principes du
contrat social. D'après la doctrine du contrat fondamental, l'égalité de droit et la
soumission à des lois universelles représentent la justice et la justice ainsi interprétée
coincide avec l'intérêt public. Chez Rousseau la notion d'intérêt commun, ou public,
a un caractère formel qui n'est autre chose que la justice dans le sens d'équité. Dans
les Lettres de la Montagne il le déclare d'une manière explicite: «Le premier et le plus
grand intérêt public est toujours la justice».23 Par cette affirmation il entend souligner
que c'est dans l'intérêt de tous d'être gouvernés par des lois universelles. Nous sommes
arrivés, pour ainsi dire, au cœur de la doctrine du contrat social. Cette doctrine con
siste en un ensemble d'arguments qui concernent la définition d'un intérêt commun à
partir des intérêts particuliers. Toute l'argumentation de Rousseau s'inspire des critères
de choix rationnels.24 La doctrine du contrat se propose d'expliquer que si les indivi
dus étaient sages et capables de comprendre leur vrai intérêt, ils établiraient une consti
tution politique où les sujets seraient en même temps titulaires de la souveraineté à la
condition que le Souverain ne puisse délibérer que par des lois universelles et abstraites.
La doctrine du contrat suppose donc les hommes «indépendants et éclairés» tels
qu'ils sont décrits dans le Manuscrit de Genève et qui savent calculer leurs intérêts,
non pas des hommes tels que le pauvre sauvage qui «vend le matin son lit de Coton,
et vient pleurer le soir pour le racheter, faute d'avoir prevû qu'il en auroit besoin
pour la nuit prochaine.»25 L'Etat institué par le contrat est donc rationnel dans les
deux sens du terme. L'un concerne la rationalité calculatrice, l'autre la rationalité en
tant qu' universalité. L'Etat légitime est rationnel dans le premier sens parce que c'est
à une pareille constitution politique, et seulement à elle, que des individus capables
de bien calculer leur intérêt donneraient leur consentement rationnel. Il est rationnel
dans le deuxième sens parce qu'il est régi par des lois universelles et abstraites, qui
sont l'expression la plus haute de la raison, c'est-à-dire la «raison publique».26
La théorie rousseauienne de l'Etat peut être considérée, d'une manière schémati
que, comme un hybride entre Hobbes et Hegel, si l'on entend le premier comme le
théoricien de la rationalité de l'Etat au sens de la rationalité calculatrice et le second
comme le partisan de la doctrine qui voit la rationalité de l'Etat dans l'empire de la
raison universelle qui s'exprime par la loi.27 Ces deux formes de rationalité tendent
continuellement à entrer en conflit: d'un côté, le calcul rationnel de l'intérêt individuel
amène les individus à agir contre la loi et à chercher la préférence;28 de l'autre, la rai
son publique devient une abstraite raison d'Etat opposée aux intérêts des individus.29
D'après Rousseau, il est utile d'insister sur ce point, l'Etat légitime se fonde sur l'ac
cord qui peut toujours se rompre. Le Contrat Social est à ce propos explicite: «si
l'opposition des intérêts particuliers a rendu nécessaire l'établissement des sociétés,
c'est l'accord de ces mêmes intérêts qui l'a rendu possible. C'est ce qu'il y a de commun

23 Lettres écrites de la montagne, O.C., III, p. 891 ; cf. aussi Economie politique, O.C.: III, p. 251.
24 Cf. S. Veca, Questionidigiustizia, Parma, 1985, p. 37.
25 Discours sur l'inégalité, O.C., III, p. 144.
26 Economie politique, O.C., III, p. 248.
21 Cf. G. W. F. Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, Paris, 1963, p. 41.
28 Contrat Social, 1. II, ch. I.
22 Economie politique, O.C., III, p. 258.
202 Maurizio Viroli

dans ces différens intérêts qui form


dans lequel tous les intérêts s'accord
Rousseau n'a jamais écrit que la soc
tution politique, exige que les indivi
sans intérêts particuliers ne seraien
ont des intérêts privés et ils continu
Corps Politique. En même temps, il
pour chacun d'eux la condition pour
indépendant et éclairé» exigeait, po
la réciprocité des droits et des de
garantir. Notre «homme indépenda
pacte il accepte l'égalité de droit, qu
son intérêt bien entendu.31 Quan
térêt et la justice», il n'emploie pas
la «société bien ordonnée» instituée
jection de l'homme indépendant qui
à être juste. L'homme indépendan
entreprises injustes des autres, ne d
loi et le contrat social institue préc
être souveraine sur les hommes. Af
volonté d'un pouvoir souverain qui a
de raison ou une loi naturelle. Il ne
qu'ils n'entendent pas. Le problème
sions. Et cela demande de la force; m
la force de la loi, la force d'une auto
se à chacun de respecter les droits d
freiner les passions, imposer des lim
En un mot, c'est la loi seule qui peut

2. La République et la libe

La souveraineté de la loi est à la fois


té. Sur ce point aussi Rousseau est e
Social: «Lisez-le, Monsieur, ce livre
la Loi mise au dessus des hommes
toujours sous l'autorité des loix, san
quelles on est toujours libre, de que
La liberté - écrit encore Rousseau
périt avec elles; je ne sache rien de

30 Contrat Social, 1. II, ch. I.


31 Contrat Social, 1. II, ch. IV.
33 Contrat Social, 1. II, ch. IV.
33 Lettres écrites de la montagne, O.C. I
O.C., III, p. 112.
34 Lettres écrites de la montagne, O.C.,
Théorie du contrat social et le concept de République 203

volonté générale, la liberté n'est possible que dans l'obéissance à la volonté générale.35
Dans le fragment «Des Loix» Rousseau explique le rapport entre la liberté et la souve
raineté de la loi d'une façon très claire: «On est libre quoique soumis aux lois, et non
quand on obéit à un homme, parce qu'en ce dernier cas j'obéis à la volonté d'autrui
mais en obéissant à la Loiy je n'obéisse qu'à la volonté publique qui est autant la
mienne que celle de qui que ce soit.»36 La liberté qui consiste dans la soumission à
la loi est en premier lieu la liberté qui dérive de l'appartenance au corps souverain.37
Cependant, l'interprétation rousseauienne de la relation entre liberté et loi (en enten
dant par loi toujours l'expression de la volonté générale) ne consiste pas dans la simple
affirmation du principe de la liberté positive, mais implique aussi la liberté négative,
en entendant par liberté négative la protection des interférences.
La liberté, d'après Rousseau, s'oppose à la servitude, c'est-à-dire à la dépendance
de la volonté particulière d'un autre homme, mais ce n'est pas la même chose que
l'indépendance. Le citoyen qui est soumis à la volonté générale n'est pas indépendant
puisqu'il est sujet à l'autorité souveraine, mais il est libre puisqu'il n'obéit à aucune
volonté particulière. Les hommes qui vivent à l'état de nature (celui décrit dans le
Manuscrit de Genève) sont indépendants puisqu'ils ne sont soumis à aucune autorité
politique, mais ils ne sont pas libres puisqu'ils subissent la volonté d'un autre ou qu'ils
imposent leur volonté à un autre. Rousseau sur ce point ne fait que répéter le principe
déjà établi par Montesquieu dans le chapitre de YEsprit des Lois où il donne la défini
tion de liberté politique.38 La volonté générale rend les hommes citoyens et libres
parce qu'elle les protège de toute soumission à une volonté particulière. Dans le pacte
fondamental chacun a accepté de se soumettre à la volonté générale et chacun se don
nant à tous ne se donne à personne puisque la condition est égale pour tous. C'est
pour cette raison qu'une constitution politique où régnent la volonté générale et
l'égalité de droit laisse les hommes autant libres qu'auparavant en leur ôtant l'indé
pendance. Dans une constitution politique où la loi et l'intérêt général sont souverains,
les citoyens obéissent sans que personne ne commande, ils sont sujets, mais ils n'ont
pas de maîtres. Ils sont dans une apparente sujétion mais en fait ils sont libres et en
acceptant d'instituer cette république «nul ne perd de sa liberté que ce qui peut nuire
à celle d'un autre.»39
Les passages qui ont été évoqués à l'appui des interprétations d'un Rousseau
«totalitaire» et ennemi de la liberté doivent au contraire être considérés comme autant
d'affirmations du principe de la liberté comme absence de toute dépendance d'une
volonté particulière. Quand Rousseau écrit que «quiconque refusera d'obéir à la volon
té générale y sera contraint par tout le corps: ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on
le forcera d'être libre», il ajoute aussi que «telle est la condition qui donnant chaque
citoyen à la patrie le garantit de toute dépendance personnelle.» Si «être libre» signifie
absence de toute contrainte empêchant l'individu d'agir comme un être indépendant
qui cherche à atteindre ses seuls buts personnels, il est clair que parler d'une contrainte

35 M, p. 811.
36 Les Loix, O.C., III, p. 492.
37 Cf. I. Berlin, Four essays on liberty, Oxford, 1969, p. 123.
38 Esprit des Lois, 1. XI, ch. VII.
39 Economie politique, O.C., III, p. 248.
204 Maurizio Viroli

à être libre est une contradiction


lonté particulière d'un autre et n
n'est pas une contradiction de di
est forcé d'être libre. Celui qui r
une délibération du Souverain do
cherche par son refus à affirme
rompt l'égalité de droit parce qu'i
tés par les autres mais non par l
qu'une volonté particulière s'imp
moyens pour atteindre ses buts.
plus libres: les uns parce qu'ils
refuse d'obéir à la volonté génér
loi. Il viole la liberté car selon Ro
est au dessus des lois.»
Les mêmes considérations peuvent être répétées pour l'autre passage où Rousseau
explique que la clause fondamentale du pacte est «l'aliénation totale de chaque associé
avec tous ses droits à toute la communauté». Ce texte a été interprété comme la
preuve que la théorie du contrat social n'exprime au fond que la complète subordi
nation de l'individu, avec tous ses droits, à l'état.40 A ce propos il faut remarquer que
l'aliénation totale des droits est d'après Rousseau une condition nécessaire pour pré
venir la dégénération du corps politique en tyrannie. La raison est claire: si chacun
conserve sa liberté naturelle et «un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut
atteindre» (car c'est précisément de ces droits-ci qu'il s'agit), il peut toujours faire
appel à ces droits contre la volonté générale. Cela signifie que des intérêts particuliers
s'imposent contre l'intérêt général, et qu'il y a quelques individus qui peuvent se
placer au dessus de la loi.
Hobbes, dans le Leviathan (II, XXI), avait soigneusement fait la distinction entre la
liberté des individus et la liberté de l'état («the liberty of particular men» et «the liber
ty of the Commonwealth»). «The Athenians, and Roman were free, that is, free
commonwealths: not that any particular men had the liberty to resist to their own
représentative; but that their représentative had the liberty to resist or invade other
people.» Chez Hobbes la liberté des sujets dépend de l'obligation que chacun a acceptée
au moment de la soumision à l'autorité souveraine. Elle consiste dans la liberté de
défendre son corps contre l'agression de quiconque et dans la liberté dont chaque sujet
dispose de ne pas nuire à soi-même. Mais la liberté des sujets se trouve sourtout dans
les choses que le Souverain n'a pas mentionnées, c'est-à-dire dans le silence de la Loi.
Dans son inventaire, Hobbes indiquait la liberté de vendre et d'acheter, la liberté de
choisir où habiter et de donner à ses enfants l'éducation que le sujet juge propre; en

C'est sur cet argument que les théoriciens de la .liberté négative' se sont toujours appuyé pour
critiquer le Contrat Social comme un livre qui se prête à donner des arguments aux partisans de
la tyrannie. «Que signifient, écrivait par exemple B. Constant, des droits dont on jouit d'autant
plus qu'on les aliène plus complètement? Qu'est-ce qu'une liberté en vertu de laquelle on est
d'autant plus libre que chacun fait plus complètement ce qui contraint sa volonté propre? Les
fauteurs du despotisme peuvent tirer un immense avantage des principes de Rousseau»; De
l'Esprit de Conquête, dans: Oeuvres, Paris, 1957, p. 1048. Cf. aussi R. Chapman, Rousseau
Totalitarian or Liberal, New York, 1968, pp. 74-88.
Théorie du contrat social et le concept de République 205

même temps il adresse aux écrivains politiques grecs et romains la critique d'avoir
autorisé la confusion entre la liberté de l'Etat et la liberté des sujets. Par contre Rous
seau s'inspire directement de ces mêmes écrivains pour rétablir l'identification entre la
liberté des citoyens et la liberté de la Cité et pour définir la liberté de l'individu d'une
façon tout à fait analogue à la liberté de la Cité. La liberté dont parle Rousseau est,
de toute évidence, la liberté politique, c'est-à-dire la liberté du peuple ou de la Cité.
Le principe que la meilleure forme de gouvernement est celle où la loi est souveraine
sur les hommes et en freine l'arbitre se trouve déjà présenté et défendu — avec diffé
rents arguments - chez Aristote {Pol. 1286a) et chez Platon {Leg., 715d; Pol., 249ab
296e). En ce qui concerne l'idée que l'obéissance à la loi est la vraie et la seule garantie
de la liberté, Rousseau a dû très probablement s'inspirer du célèbre passage de Cicéron:
«Ut corpora nostra sine mente, sic civitas sine lege, suis partibus, ut nervis, ac sanguine
et membris, uti non potest. Legum ministri, magistratus: legum interpretes, iudices:
legum denique idcirco omnes servi sumus ut liberi esse possimus.»41
Si le peuple n'est pas libre, les individus ne le sont pas non plus. Si la cité est domi
née par un despote qui impose son intérêt contre l'intérêt commun, cela signifie que la
plupart des individus ne peuvent pas atteindre leur intérêt comme ils le voudraient.
Mais s'ils ne peuvent pas atteindre les buts qu'ils voudraient obtenir, cela signifie qu'ils
sont contraints à ne pas agir en accord avec leur volonté. Donc les individus ne sont
pas libres, même pas selon la définition que Hobbes donne de la liberté des sujets,
c'est-à-dire «l'absence d'opposition». Ils trouvent devant eux une opposition qui ne
leur permet pas de poursuivre leurs buts. La distinction posée par Hobbes entre la li
berté de l'Etat et la liberté des sujets ne pourrait donc pas s'appliquer à la conception
rousseauienne de la liberté.42 Si le peuple n'est pas libre, et qu'il n'est libre qu'en
obéissant à la loi, il est serf d'un homme (ou d'une puissance étrangère); et si le peuple
est serf les individus le sont également.
La liberté du citoyen ne consiste pas dans le seul exercice du droit de souveraineté.
Elle implique aussi la protection contre les offenses et les invasions. Les bornes de la
liberté de chaque individu sont l'égale liberté des autres. La sauvegarde des bornes
réciproques est justement la finalité de la loi. La souveraineté de la loi rend possible
le respect des limites de la liberté de chacun grâce à l'universalité et à la réciprocité
qui en sont les caractères essentiels. Puisque la loi ne permet pas à l'un ce qu'elle dé
fend à l'autre, elle impose que personne n'élargisse les bornes de sa liberté aux dépens

M. Tulli Ciceronis, Pro Cluentio Avito, Oratio Quartadecima, 53, 146, dans Marci Tullii Cicero
nis, Opera quae extent Omnia, Studio atque industria Jani Guglielmi et Jani Grutari, additis
eorum notis integris nunc demo recognita ad Jacobo Grenovio, Laudanum, 1690, Partis Quarta,
tome II, p. 1269. Il s'agit de l'édition possédée avec toute probabilité par Rousseau, cf. Rous
seau à J. Barillot, libraire de Genève, avril-octobre 1736, dans: Correspondance Complète,
R. A. Leigh, éd., vol. I, n. 13, pp. 37-42. Pour l'histoire de l'idée du gouvernement des lois cf.
F. A. Hayek, The Constitution of Liberty, Chicago 1960; voir aussi: N. Bobbio, Il futuro délia
democrazia, Torino, 1984, en particulier le dernier chapitre: «Governo degli uomini o governo
delle leggi?»
Cf. à ce propos Q. Skinner, The idea of negative liberty: philosophical and historical perspecti
ves, dans: Philosophy in History, R. Rorty, J. B. Schneewind, Q. Skinner (éds.), Cambridge,
1984, pp. 193-221, en particulier les pages 212-213 où l'auteur remarque que «Hobbes has
either failed to grasp the point of the classical republican argument (. . .) or eise (a far more
probable hypothesis) is deliberatedly attempting to distort it.»
206 Maurizio Viroli

des autres. Quand la liberté de l'u


té au premier. Par conséquent
qui est, chez Rousseau, la négatio
sentées par l'égale liberté des aut
sonne: «Dans la République - R
cun est parfaitement libre en ce
soumettre à la volonté générale
politique, «nul ne perd de sa libe
signifie qu' en ce qui concerne le
doit rendre compte ni à l'Etat,
l'état civil. Mais son éloge se limi
loi. Par le contrat social, l'homm
ce qui le tente et qu'il peut attei
de tout ce qu'il possède.»44 En re
les hommes font un échange ava
elle n'a d'autres garanties que la
très précaire et peut à chaque ins
civile est limitée et elle a des bor
des autres. Mais elle assure à cha
sûreté et la protection de sa vie e
mier lieu, la sûreté et cela marqu
leurs, les hommes acceptent le
«manière de vivre incertaine et p
Ceci dit, Rousseau ajoute: «On p
civil la liberté morale, qui seule
du seul appétit est esclavage, et
Mais j'en ai déjà que trop dit sur
pas ici de mon sujet.»
Même si le texte peut donner l'
importance à la liberté morale, i
tance dans sa théorie de l'ordre p
intérieure: tandis que la liberté c
té morale concerne le rapport en
est celui qui sait être maître de
qu'il se donne lui-même. Seul l'h
propre conscience est «libre en ef

43 La citation de Rousseau ne corre


dans ses Considérations sur le Gou
Michel Rey, 1764. Le passage qui a
peut-être jamais pensé à cette mésu
doivent laisser à ceux qui sont soum
aux grandes choses, mais qui réprim
tout est gêne ou tout est désordre» p
44 Contrat Social, O.C. 1.1, ch. VIII.
45 M 1. II, ch. IV.
46 Emile, O.C., IV, p. 818.
Théorie du contrat social et le concept de République 207

lement libre obéit à une loi qui est à l'intérieur de lui-même, non pas à l'extérieur. Il
est juste et modéré parce qu'il aime la justice et la modération, non parce qu'il craint
les sanctions de la loi civile. Même si, par hypothèse, il n'y avait plus de lois civiles,
plus d'autorité politique, plus de tribunaux, l'homme moralement libre agirait de
la même manière. On peut forcer un homme à être libre au sens de la liberté civile,
mais on ne peut forcer personne à être moralement libre. Un peuple moralement libre
serait un peuple où les mœurs suffisent à rendre les citoyens justes et modérés. La
liberté morale n'appartient qu'à l'homme qui sait trouver la force suffisante pour
vaincre ses propres passions. Elle n'appartient qu'à l'homme vertueux.47
L'homme vertueux n'est pas celui qui a su anéantir les passions, mais celui qui sait
en rester le maître. D'après Rousseau, il n'y a pas de passions permises et de passions
défendues. Les passions sont toutes mauvaises quand elles assujettissent l'homme;
elles sont bonnes quand elles sont contrôlées par la raison.48 Rousseau s'inspire visible
ment de l'idéal de la vertu morale que Plutarque avait expliqué dans ses Oeuvres
Morales. La vertu morale est une qualité imprimée dans la partie irraisonnable de l'âme
humaine par l'effet d'un long travail, et c'est pour cette raison, écrit Plutarque, que les
philosophes ont parlé d'«Ethos» ou de «Mœurs». En effet la vertu morale demande la
longue «demeure» et la longue «accoutumance» et elle ne consiste pas en l'annihi
lation immédiate des passions. La raison ne veut pas du tout «ôter ni déraciner la pas
sion, parce qu'il n'est ni possible, ni utile, mais seulement lui trace à la limite quelques
bornes, et lui établit quelque ordre, faisant en sorte que les vertus morales ne soient
pas impossibilités, mais plutôt règlements et modération des passions et affections de
nôtre âme, ce qu'elle fait par le moyen de la prudence, laquelle réduit la puissance de
la partie sensuelle et passible à une habitude honnête et louable.»49
Dans l'homme vertueux la raison règne sur les passions, mais elle sait plutôt se faire
obéir qu'imposer l'obéissance. Elle règne comme un roi sage, non comme un des
pote.50 C'est précisément au sens de Plutarque que Rousseau qualifie l'homme morale
ment libre comme étant «bien ordoné».51 L'homme vertueux est l'homme qui sait gou
verner les passions et conserver l'équilibre entre les facultés et les désirs. En vivant bien
ordonné, l'homme se réconcilie avec sa vraie nature, puisque «l'homme,écrit Rousseau
dans la Lettre à L'Archevêque de Beaumont, est un être naturellement bon, aimant
la justice et l'ordre.»52 Tandis que la soumission à l'amour-propre l'avait mis en con
flit avec sa vraie nature, l'atteinte de la liberté morale rétablit l'harmonie de l'homme
avec soi-même. Seul l'homme moralement libre est vraiment soi-même et pleinement
émancipé de l'apparence. La liberté qui est propre de la nature de l'homme53 ne
consiste pas dans la simple indépendance de la volonté d'un autre homme. Elle est
atteinte lorsque l'homme agit d'une certaine manière, c'est-à-dire lorsqu'il se conduit
<en ordre). L'analogie entre 1'«homme bien ordoné» et la Cité bien ordonnée est évi

47 Emile, O.C., IV, p. 817.


48 Emile, O.C., IV, p. 819.
49 Plutarque, Oeuvres Morales, trad. J. Amyot, Genève, De l'imprimerie de François Estien, 1582,
ch. III, «De la vertu morale», p. 32.
50 Plutarque, o. cit., p. 33.
51 Emile, O.C., IV, p. 304.
52 M p. 935.
53 M p. 857.
208 Maurizio Viroli

dente: dans la «société bien ordonnée» la r


les passions des hommes; dans l'homme
une loi que l'homme se donne lui-même en
perdrait son ordre aussitôt que les passions
encore l'avarice des citoyens) s'imposent co
devient esclave de ses passions et de ses
seulement aux lois qu'elle se donne; l'ho
obéit à la loi qu'il se donne et ne tombe
et l'autre perdent, avec le bon ordre, la libe
D'après Rousseau, le vrai ordre politiqu
Une République, explique-t-il, est «tout
d'administration que ce puisse être: car alor
chose publique est quelque chose. Tout G
Si la loi est souveraine, cela assure déjà que
té de la loi garantit en premier lieu la li
grand bien de tous» et doivent être «la fin
dans une République «la chose publique e
par République tout gouvernement guidé p
but du gouvernement est le plus grand bie
privés, aussi forts qu'ils puissent être.56
La notion rousseauienne de la Constitutio
quable avec le concept du «vivere libero» d

Contrat Social, O.C., III, pp. 379—380. Dans


«république proprement dite» la forme de gouv
l'Etat en vue de l'utilité commune; cependant
mun à toutes les constitutions (correctes)». C
chez Machiavel et chez Rousseau. Sur le problè
la pensée de Rousseau et dans les théories mode
pien freiheitlicher Demokratie. Handbuch des V
Ivi, p. 391.
Dans l'Economie politique, à la place de «répu
mie publique légitime ou populaire». Le sens est
nement «qui a pour objet le bien du peuple» e
O.C., III, p. 247; la distinction entre gouvernem
la distinction d'Aristote entre les bonnes et les
clair que toutes les constitutions qui ont en vue
justice absolue; celles qui n'ont en vue que l'inté
sont toutes des déviations des constitutions cor
cité c'est une communauté d'hommes libres», P
Dans l'édition 1782 du Contrat Social, il a été a
f. 52, qui est révélatrice de l'opinion que Rou
honnête homme et un bon citoyen: mais atta
l'oppression de sa patrie de déguiser son amour
Heros manifeste assés son intention secrette et
à celles de ses discours sur Tite-Live et de son h
politique n'a eu jusqu'ici que des Lecteurs supe
rement défendu son livre, je le crois bien; c'est
Social, O.C., III, p. 409. Rousseau, d'autre part
vélisme) (qu'il déteste) et la pensée de Machiav
Théorie du contrat social et le concept de République 209

libero» se caractérise principalement par l'affirmation du bien commun sur les intérêts
particuliers. La raison par laquelle les peuples anciens aimaient le «vivere libero», écrit
il dans les Discorsi, est «facile a intendere»: «perché non il bene particulare, ma il bene
comune è quello che fa grandi le città. E sanza dubbio questo bene comune non è
osservato se non nelle repubbliche: perché tutto quello che fa a propositio suo si
esequisce; e quantunque e' torni in danno di questo o di quello privato, e' sono tanti
quegli per chi detto bene fa, che lo possono tirare innanzi contro alla disposizione di
quelli pochi che ne fussero oppressi.»58
Tandis que l'opposition entre le «vivere libero» et la tyrannie est tout à fait éviden
te, on ne peut conclure que pour Machiavel le «vivere libero» coïncide nécessairement
avec le gouvernement républicain. Certains passages des Discorsi, comme celui cité
ci-dessus, témoignent en faveur de la thèse que le «vivere libero» peut se réaliser seule
ment par un gouvernement républicain. D'autres passages, par contre, laissent envisager
la possibilité que le «vivere libero» puisse se réaliser, du moins en partie, même sous le
gouvernement d'un roi.59 Le républicanisme de Machiavel se caractérise donc par le
principe de la souveraineté du bien commun qui constitue, avec la liberté, la qualité
propre du «vivere libero». Ce sont les mêmes caractères que Rousseau insérera dans le
concept de République. Chez l'un comme chez l'autre, il est possible, dans l'abstrait,
d'avoir un «vivere libero» ou une «République» gouvernée par un Roi. Mais l'histoire
prouve que cela est très difficile et que le «vivere libero» ou la «République» exigent la
souveraineté du peuple. Tandis que l'opposition entre la monarchie et la République
est une opposition de facto, celle entre la tyrannie et la République est une opposition
de principe.
Chez Rousseau être républicain signifie donc, en premier lieu, s'inspirer de l'idéal de
la République, entendue comme la constitution politique où la loi est souveraine sur
les hommes et où l'intérêt commun s'impose sur l'intérêt particulier. En deuxième lieu,
son républicanisme se caractérise par l'option en faveur du gouvernement des plus
sages et des plus vertueux, en petit nombre, comme le moyen le plus apte à réaliser
l'idéal de la République. Etre républicain signifie être à la fois ennemi des tyrans et
adversaire de la monarchie, sans que cela comporte un choix en faveur de la démocra
tie entendue comme gouvernement (au sens de l'exercice du pouvoir exécutif) du
peuple. Le républicanisme de Roùsseau est donc une théorie de la bonne constitution
politique plus qu' une théorie de la meilleure forme de gouvernement et le problème
de la meilleure forme de gouvernement correspond à la recherche du moyen le plus
apte à réaliser une bonne constitution politique.

le 4 déc. 1758, il écrivait, à propos de Frédéric II: «Je ne puis estimer ni aimer un homme sans
principes, qui foule aux pieds tout droit des gens, qui ne croit point à la vertu, mais la regarde
comme un leurre avec lequel on amuse les sots et qui commence son Machiavélisme par réfuter
Machiavel»; cit. in O.C., I, p. 1567, n. 4.
Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, 1. II, ch. 2, p. 280.
Discorsi, 1. I, ch. II, où il observe que Romolo et les autres rois «fecero moite e buone leggi, con
formi ancora al vivere libero», mais ils ne pouvaient pas ordonner toutes les lois nécessaires pour
le «vivere libero» parce que «il fine loro fu fondare un regno e non una república».
210 Maurizio Viroli

3. La stabilisation et la dissol

Bien qu'il soit dans le plus grand in


tion politique, la République est co
lité qui naissent spontanément au
bon ordre seulement si elle est capa
culier la tendance à la formation d
politiques, Rousseau insiste sur la r
tution économique de la société. Un
fortunes» n'est pas compatible av
ployer une expression du vocabulai
mentales qu'il faut réaliser afin qu
mais elle est en même temps une d
grande sagesse politique. La difficu
un des droits fondamentaux des ci
que la liberté même». La propriété
vrai fondement de la société civile,
Pour cette raison il ne propose ja
sociales, des mesures d'expropriati
à prévenir la formation d'immenses
Les mesures indiquées dans YEcon
fiscale. D'après Rousseau, par le mê
loi fondamentale, chaque individ
aux besoins publics.63 Les «cotisati
être décidées par la volonté généra
sort du Souverain et doit être régl
favoriser l'égalité sociale, les tax
soulager l'agriculture et l'industrie
rapprocher «insensiblement toutes
force d'un état.»64
Un Etat bien constitué doit donc
une condition sine qua non pour la
de modération graduelle, la Républ
par les pouvoirs privés fondés sur
«populace séditieuse et inconstante
Dans sa réflexion sur les moyens l
Rousseau s'inspire visiblement de
d'une «république modérée» la m
stabilité d'une république modér

60 Economie politique, O.C., III, p. 258


61 Ivi, p. 263.
62 Ivi, p. 258; cf. aussi Contrat Social, O.C., III, p. 292; Projet de constitution pour la Corse, O.C.,
III, pp. 936-937.
63 Economie politique, O.C., III, p. 270.
64 Ivi, p. 277.
65 Politique, IV, 1295e.30-35; V, 1302a. 10-15.
Théorie du contrat social et le concept de République 211

moyennes est en premier lieu la conséquence de l'application du principe de l'égalité


proportionnelle selon le mérite. Le principe de l'égalité proportionnelle représente
pour Aristote la justice absolue, mais il arrive souvent que les hommes, puisqu'ils sont
égaux en quelque chose (par exemple égaux devant la loi), se croient égaux en tout
(par exemple en ce qui concerne leur participation au pouvoir souverain). Ou bien,
puisqu'ils sont inégaux sur quelques points (par exemple la richesse), ils se croient
inégaux en tout. Dans le premier cas, la constitution républicaine dégénère en un
«gouvernement populaire», dans le deuxième en une oligarchie.66 Mais l'une et l'autre
sont également des constitutions fort instables et toujours sujettes aux dissensions. Par
contre, la constitution politique qui s'inspire du principe du juste milieu est à l'abri des
révolutions qui troublent la démocratie «exubérante et l'oligarchie parce qu'elle peut
compter sur une forte classe moyenne composée de citoyens qui ne possèdent ni trop,
ni trop peu.»67 Ces hommes qui jouissent d'une prospérité modérée sont les piliers les
plus solides de la république puisqu'ils savent obéir à la raison et modérer leurs pas
sions. Ces citoyens-ci sont bien différents de ceux qui n'acceptent de se soumettre à
aucune autorité (comme c'est le cas de ceux qui possèdent de grandes fortunes) et ils
diffèrent aussi de ceux qui savent seulement obéir comme des esclaves (comme ceux
qui vivent dans l'extrême pauvreté). C'est précisément pour ces raisons que cette classe
moyenne et modérée est le vrai appui d'un Etat d'hommes libres.68
Cependant, les mesures économiques et sociales ne suffisent pas d'après Rousseau
à garantir à jamais la République de la dissolution.69 La dissolution de la République
peut être retardée, mais non pas évitée.70 Par «mort du corps politique» Rousseau
entend la dégénération de la République en despotisme. Il définit cette tendance
comme «la pente naturelle et inévitable des Gouvernements les mieux constitués».
Pour contraster avec cette tendance Rousseau recommande, outre les politiques
de modération des inégalités sociales, la nécessité de renforcer les liens qui lient les
individus à la communauté politique. L'exemple est tiré encore une fois des anciens:
«Le même esprit guida tous les anciens Législateurs dans leurs institutions. Tous cher
chèrent les liens qui attachassent des Citoyens à la patrie et les uns aux autres, et ils
les trouvèrent dans des usages particuliers, dans des cerenomies religieuses qui par
leur nature étaient toujours exclusives et nationales (voyez la fin du Contrat Social),

Ivi, V, 1032a.
Ivi, IV, 1295b-1295b.5.
Ivi, IV, 1295b.30-35.
Le thème de la dissolution de l'Etat est présent aussi dans les traités des jusnaturalistes; le cha
pitre qui traite de la dissolution de l'Etat se trouve toujours à la fin; cf. Grotius, Du Droit de
la Guerre et de la Paix, 1. II, ch. IV, 5 et Pufendorf, Du Droit de la Nature et des Gens, 1. VIII,
ch. XII (<Des changements et de la destruction des Etats)). Chez Hobbes, dans le De Cive et
dans le Leviathan, le chapitre qui concerne la dissolution de l'Etat vient après l'analyse des for
mes du gouvernement et avant les chapitres où sont indiqués les devoirs que ceux qui sont à la
tête de l'Etat doivent accomplir pour retarder le plus longtemps qu'il est possible la dissolution
de l'Etat dûe soit à des causes internes, soit à des causes externes.
Contrat Social, O.C., III, p. 424; dans le Jugement sur la Polysnodie, O.C., III, p. 639, Rousseau
écrit: «Car s'il est vrai que la pente naturelle est toujours vers la corruption et par conséquent
vers le Despotisme, il est difficile de voir par quelles ressources de Politique le Prince, même
quand il le voudroit, pourroit donner à cette pente une direction contraire qui ne put être
changée par ses successeurs ni par leur Ministres».
212 Maurizio Viroli

dans des jeux qui tenoient beauco


augmentoient avec leur vigueur et
dans des spectacles qui, leur rappel
vertus, leurs victoires, interessoien
et les attachoient fortement à cett
Les jeux, les fêtes, l'éducaton ci
ractères communs d'un peuple et s
du sentiment d'une identité com
quelle on appartient. C'est justem
pour la patrie que Rousseau suggèr
sans importance que Rousseau a éc
civile au verso du chapitre sur le L
de renforcer l'unité du corps politi
au sentiment plutôt qu'à la raison
bien pour tous, mais souvent les h
prendre la valeur; «la justice est au
qui n'inspire point d'enthousiasme,
Puisque les bonnes lois et la justice
et l'amour pour la patrie, il est né
religion qui apprenne surtout à aim
présenter la solution définitive au
Civile risque de devenir elle aussi u
sans doute l'amour pour la patrie,
elle n'est pas aussi intolérante qu
envers les autres peuples. La Relig
sociales renforce l'unité intérieure
tre les Etats. Mais les rapports entr
le maintien de la République, que l
social.

A l'intérieur de chaque Etat civil, les hommes sont soumis aux lois, mais les Etats
entre eux se trouvent dans une situation de liberté naturelle tout à fait semblable à la
situation des hommes avant l'institution de la société civile.74 En instituant les sociétés
civiles, les hommes ont accompli seulement une partie de l'œuvre puisque la permanen
ce de l'état de nature dans les rapports internationaux rend précaire et vacillante l'exis
tence de chaque Etat. Dans une condition de parfaite indépendance réciproque, chaque
Etat est forcé de considérer sa propre position par rapport aux autres Etats.75 La

Considérations sur le gouvernement de Pologne, O.C., III, p. 958.


Cf. à ce propos: M. Launay, Jean-Jacques Rousseau écrivain politique, Cannes, 1971, pp. 404
-405; R. Derathé, La religion civile selon Rousseau, dans: {Annales de la Société Jean-Jacques
Rousseau), XXXV, 1959-1962, pp. 161-180; G. Masson, La religion d'après Jean-Jacques
Rousseau, Genève, 1970, ch. <Le problème de la religion civile); B. Groetuysen, J.-J. Rousseau,
Paris, 19149, pp. 263-281.
Considérations sur le gouvernement de Pologne, O.C., III, p. 955; cf. aussi Discorsi sopra la
prima deca di Tito Livio, 1. I, ch. XVI, où Machiavel écrit que «quella comune utilità che dal
vivere libero si trae non è da alcuno, mentre che ella si possiede, conosciuta».
L'état de guerre, O.C., III, p. 610.
Ivi, p. 605.
Théorie du contrat social et le concept de République 213

sûreté et la conservation de chaque Etat exige que chacun se rende plus puissant que
ses voisins et ceci est une tendance qui n'a pas de limites naturelles. Chaque Etat se
trouve donc dans une «disposition mutuelle» à détruire l'Etat ennemi ou à l'affaiblir
«par tous les moyens possibles».
Aussi longtemps qu'il y aura un état de nature entre les Etats, il est très difficile
qu'une bonne constitution politique puisse être conservée. La réalisation et la conser
vation de la Constitution républicaine demande donc qu'on établisse un ordre juri
dique international et que tous les Etats reconnaissent une autorité supérieure. D'après
Rousseau un tel projet, élaboré par l'Abbé de Saint-Pierre, n'était pas du tout une idée
absurde.76 Si les Souverains étaient raisonnables et capables de se conduire en accord
avec leurs «vrais intérêts», ils n'hésiteraient point à le réaliser.77 Mais le problème est
justement que les hommes ne sont pas raisonnables, et sourtout que les princes ne sont
pas raisonnables. Ils auraient tout à gagner de la paix perpétuelle, mais ils préfèrent
accepter les risques de la fortune plutôt que l'empire et la protection de la loi. La
sagesse indiquerait au Prince la voie de la fédération des Etats, mais l'ambition lui fait
préférer l'indépendance absolue: «semblable à un pilote insensé qui, pour faire montre
d'un vain savoir et commander à ses matelots, aimeroit mieux floter entre des rochers
durant la tempête que d'assujetir son vaisseau par des ancres.»78
Le Prince sait que dans l'état de guerre, il court des risques, mais le mirage de tirer
des avantages exclusifs lui fait préférer de défier la fortune et de ne pas se soumettre à
une autorité supérieure. Si les individus raisonnaient comme les princes, le contrat
social serait inconcevable. Chacun jugerait plus profitable de vivre dans l'indépendance
naturelle plutôt que de se soumettre à une loi commune. Afin que les hommes don
nent leur consentement à une constitution républicaine, il ne faut pas qu'ils soient
bons; il suffit qu'ils soient des égoïstes raisonnables et que l'ardeur des passions ne les
rende pas aveugles.
Pour cette raison la constitution républicaine est, pour employer les mots de Kant,
«la plus difficile à établir et même il est plus difficile encore de la maintenir.»79
Cependant, pour Kant le problème de l'institution et de la conservation d'une consti
tution républicaine doit pouvoir se résoudre «même s'il s'agissait d'un peuple de dé
mons (pourvu qu'ils aient quelque intelligence).»80 D'après Kant la nature vient au
secours de la raison dans la solution du problème du bon ordre entre les hommes. Elle
a donné aux hommes des penchants égoistes, mais ces mêmes penchants peuvent être
employés les uns contre les autres afin de les modérer réciproquement et de permettre
l'institution d'une constitution politique conforme au droit. Et c'est encore la nature
qui semble indiquer les moyens pour ramener les Etats eux-mêmes sous l'idée du Droit
et assurer aussi bien la paix intérieure que la paix extérieure.81 Chez Kant comme chez
Rousseau il est nécessaire, pour que les hommes puissent développer leur disposition
morale, d'établir la souveraineté de la loi même entre les Etats. Mais si les Etats demeu

76 Extrait du projet de Paix Perpétuelle, O.C., III, pp. 588-589.


77 Ivi, p. 589.
78 Jugement sur le projet de Paix Perpétuelle, O.C., III, p. 592.
79 I. Kant, Projet de Paix Perpétuelle. Esquisse philosophique, (1795), Paris, 1948, p. 44.
80 Ibidem.
81 Ivi, pp. 46-48.
214 Maurizio Viroli

rent entre eux dans la plus totale


qu'être précaire.82
L'issue de la «condition mixte» dem
les moyens de l'institution d'une c
envisagée par l'Abbé de Saint-Pierre.
plus difficile encore à réaliser qu'un
pas assez raisonnables pour cela et t
l'emporter sur les passions et les in
employer des moyens «violents et
explicitement à Rousseau pour rema
les Etats au droit. L'idée d'une ligue
apparaît — écrit-il dans Vidée d'un
tique — fantastique aux yeux de l'
mais cela n'empêche pas que la seu
politiques est celle de «forcer les Et
plus difficile) que celle de l'homme
laliberté naturelle et de chercher la
Bien que Kant se pose le problème
termes posés par Rousseau, il donne
soit à la finalité interne de la natu
qu'en faisant appel à la finalité de la
le s'éloigne de la position de Rous
Kant, c'est la loi morale qui fonde le
chez Rousseau ce sont les relations e
vidus, qui représentent le théâtre du
serait vain de vouloir ordonner ces r
y a aussi une autre différence, qui es
matique qui nous intéresse ici: la loi
l'humanité et elle est autre chose qu
dans sa théorie politique. La prem
l'humanité;86 la deuxième dans le
républicaine suppose toujours la p
puissance étrangère ou encore les pa
cent de l'asservir.87 Les horizons
citoyens. Elle apprend aux hommes
de la Patrie, mais elle ne prêche pas
bien fonder le bon ordre politique d
problème d'un ordre légal entre les
ordre politique entre les Etats est la

L'état de guerre, O.C., III, p. 610.


Jugement sur le projet de Paix Perpétue
I. Kant, Projet de Paix Perpétuelle, éd. c
Cf. à ce propos V. Goldschmidt, Anthro
I. Kant, La religion dans les limites d
p. 85.
Ivi, pp. 81-84.
Théorie du contrat social et le concept de République 215

bonne constitution politique, Rousseau laisse ce problème en héritage à la philoso


phie politique contemporaine.
Il nous semble donc que Rousseau ne puisse pas être considéré ni comme un imita
teur des anciens incapable de définir une théorie de la liberté conforme aux exigences
des hommes modernes (comme le croyait Constant), ni comme l'auteur d'une doctrine
qui amène nécessairement à la dissolution de l'Etat (comme le lui reprochait Hegel).
Rousseau a au contraire élaboré une doctrine moderne de la légitimité de l'Etat et de la
liberté. En même temps, il a insisté sur les périls qui menacent la Constitution politique
légitime et a répété que la liberté est à la fois le bien le plus précieux et le plus difficile
à conserver. Si nous savons aborder Rousseau autrement que par les mythologies qui
ont altéré la signification correcte de sa théorie politique, sa leçon peut nous être en
core très utile.

Adresse de l'auteur: Dr. Maurizio Viroli, Institut Universitaire Européen, Badia Fiesolana, Viadei
Roccettini, 1-50016 S. Domenico di Fiesole, Italie.

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