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La catégorie des PME à l’épreuve de l’histoire longue des

territoires industriels alpins (France. XVIIIe-XXIe siècles)


Pierre Judet
Dans Marché et organisations 2017/3 (n° 30), pages 25 à 45
Éditions L'Harmattan
ISSN 1953-6119
ISBN 9782343132006
DOI 10.3917/maorg.030.0025
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LA CATÉGORIE DES PME À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
LONGUE DES TERRITOIRES INDUSTRIELS ALPINS
(FRANCE. XVIIIE-XXIE SIÈCLES)

Pierre JUDET
Université de Grenoble
judet.pierre@wanadoo.fr

INTRODUCTION

Redécouvertes avec la crise des années 1980, les PME sont aujourd’hui
présentées comme essentielles dans la lutte contre le chômage, pour
développer la flexibilité de l’économie et pour le respect de
l’environnement30. La catégorie des PME/PMI n’a été définie qu’à partir
des années 1960 autour de seuils - entre 10 et 250 employés si l’on en reste
au critère des effectifs. C’est que cette catégorie « s’est construite en négatif
de la grande entreprise » et que le grand nombre des PMI/PME a
longtemps été compris comme significatif du « retard du tissu productif
français »31. De plus, une entreprise de 200 employés n’a pas la même
importance au XIXe siècle qu’aujourd’hui. Enfin les matériaux historiques
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utilisables pour faire leur histoire ne sont ni abondants ni homogènes,
notamment jusque vers 1880. La situation change ensuite progressivement
car, d’une part, l’industrie puis les entreprises modestes deviennent une
préoccupation essentielle pour les administrations centrales et locales et,
d’autre part, certaines des entreprises qui ont grossi ont laissé
d’importantes archives. Faire l’histoire des PMI ne va donc pas de soi. Par
ailleurs, faire l’histoire des PMI dans les Alpes présente une difficulté
supplémentaire : comme les sociétés de montagne sont souvent
considérées comme « archaïques » et que, à l’exception de
l’électroindustrie, l’industrie est bien souvent traitée en « parent pauvre »32,

30 LESCURE, M., 2001, « Histoire d’une redécouverte : les PME », Entreprise et Histoire,

n°28, p. 5-9.
31 LEVRATTO, N., 2009, Les PME. Définition, rôle économique et politiques publiques, De

Boeck, Bruxelles, p. 42.


32JUDET, P., 2010, « Le patrimoine industriel : un parent pauvre ? L'exemple des deux

départements savoyards », dans DELRIEUX, F., et KAYSER, Fr. (dir.), Des plats pays aux

25
les PMI, plus qu’ailleurs, ont longtemps été considérées comme des traces
du passé destinées à disparaître. Faire cette histoire présente cependant un
grand intérêt car le phénomène industriel qui existe dans les Alpes sur la
longue durée s’accompagne d’un certain nombre de spécificités. D’une
part, les formes de développement protoindustrielles 33 - formes
d’industries dispersées antérieures à la « révolution industrielle » qui
groupent de nombreux petits établissements coordonnés dans le cadre
d’une « fabrique » dominée par des donneurs d’ordres, les « marchands-
fabricants » - sont particulièrement importantes. D’autre part, la
« première révolution industrielle » à l’anglaise - caractérisée par la
concentration de la production dans des usines animées par des machines
utilisant l’énergie fournie par le charbon et la machine à vapeur - est
quasiment absente des Alpes. Dans ce cadre, on comprend que le
développement de la seconde industrialisation représentée en montagne
par l’irruption de l’électroindustrie ait pu masquer l’importance des
établissements modestes hérités d’un passé lointain. Or l’effondrement
récent de l’électroindustrie alpine a fait apparaître au grand jour un tissu
de PMI dont l’ancienneté sautait d’autant moins aux yeux que l’intérêt
nouveau pour ce type d’établissement industriel tendait, une nouvelle fois,
à occulter le passé. Il importe donc de revenir sur cette histoire pour
évaluer l’importance des entreprises modestes (ou « PMI » aujourd’hui)
dans l’histoire longue de l’industrie alpine tout en s’interrogeant sur la
pertinence de cette catégorie, en observant d’abord la situation des
entreprises industrielles petites et moyennes avant l’époque de l’électricité
pour apprécier ensuite leur place pendant cette période et examiner enfin
leur situation aujourd’hui.
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1. L’AGE D’OR OUBLIE DES PETITES ENTREPRISES

1.1. L’importance des « nébuleuses protoindustrielles »

Les établissements de taille modeste sont nombreux en montagne car


ils ont été les mieux à même d’exploiter les abondantes ressources
naturelles montagnardes (eau, bois, minerais) bien avant la « Révolution
industrielle » dans le cadre de fabriques dispersées organisées en

cimes alpines. Hommages offerts à François Bertrandy, Université de Savoie, Chambéry, t. 2,


p.239-251.
33 MENDELS, F., 1984, « Des industries rurales à la protoindustrialisation », Annales

E.S.C., n°5, p. 977-1008.

26
« nébuleuses protoindustrielles » 34 . Par ailleurs, le caractère familial des
petites et moyennes entreprises correspond bien au fonctionnement des
sociétés alpines dans lesquelles l’enracinement dans la société locale, le lien
entre l’industrie et le monde rural, et la pluriactivité constituent des faits
saillants. Les enquêtes industrielles des deux premiers tiers du XIXe siècle
sont très décevantes car elles ne prennent en compte que les
établissements de type usinier conforme au modèle de l’industrie moderne
et de la « révolution industrielle » qui s’impose au milieu du XIXe siècle35.
Comme les élites et les voyageurs qui connaissent ou qui traversent les
Alpes le font remarquer, les populations alpines, populations rurales pour
l’essentiel, s’adonnent à d’importantes activités industrielles. Ayant senti,
sans le nommer et sans en analyser le fonctionnement, le caractère
pluriactif des sociétés des régions de montagne, de nombreux écrits - de
ceux de l’ingénieur acquis aux Lumières de la période révolutionnaire,
Albanis-Beaumont, à ceux de Victor Barbier, directeur des douanes
régionales après l’annexion de la Savoie à la France - évoquent
fréquemment une population « industrieuse » 36 . Cette constatation ne
nous aide guère pour identifier les entreprises qui relèvent de notre sujet.
Seuls les effectifs des entreprises importantes et concentrées sont donnés.
Tout se passe comme si les petites et moyennes entreprises n’existaient
pas ou du moins comme si elles n’avaient pas besoin d’être individualisées.
En effet, presque tous les observateurs considèrent les activités
industrielles rurales comme dépendantes de l’agriculture et de son
calendrier. Ce qui est faux, par exemple pour l’horlogerie. Sinon, comment
expliquer que nombre d’horlogers, notamment les petits patrons, engagent
des domestiques pour travailler leurs terres qu’ils délaissent pour
l’industrie, beaucoup plus rémunératrice 37 ? C’est ainsi que les hauts
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fourneaux de Maurienne fonctionnent pour répondre à la demande et non
en fonction des saisons38. Contrairement à ce que les représentants des
élites écrivent, ces activités qui prennent place dans une pluriactivité
souple et polymorphe ne sont pas forcément soumises au calendrier

34 Sur cette notion voir notamment LEON, P., 1954, La naissance de la grande industrie en

Dauphiné (fin XVIIe siècle-1869), 2 t., Presses universitaires de France, Paris ; et


MENDELS, F., « Des industries rurales à la protoindustrialisation », art. cité.
35 FAURE, A., 1983, « Note sur la petite entreprise en France au XIXe siècle,

représentations d'Etat et réalités », Congrès de l’Association française des historiens économistes.


Mars 1980, Paris, p. 199-215.
36 ALBANIS-BEAUMONT, J.-F., 1802-1806, Description des Alpes Grées et

cottiennes, 3 vol., Paris ; et BARBIER, V., 1875, « La Savoie industrielle », Mémoires de


l'Académie de Savoie, Chambéry, 1875, 2 vol.
37 JUDET, P., 2004, Horlogeries et horlogers du Faucigny (1849-1934). Les métamorphoses d'une

identité sociale et politique, Presses universitaires de Grenoble, Grenoble.


38 JUDET, P., 2014, « Le système Grange : Un système de domination pour l'exploitation

des ressources minières en Maurienne (Savoie, XIXe siècle), Histoire des Alpes, n°19, p.
217-238.

27
agricole mais il est vrai qu’elles ne peuvent être appréhendées que dans le
cadre de territoires industriels. Ce type d’activités donne lieu à des formes
d’organisation de la production caractérisées par l’existence de nombreux
ateliers dispersés coordonnés dans de vastes nébuleuses protoindustrielles
comme la nébuleuse horlogère, transfrontalière, qui s’étend de la vallée de
l’Arve (Haute-Savoie française) à l’arc jurassien franco-suisse et qui
fabrique des pièces pour les fabricants de Genève et de la Chaux-de-
fonds, ou comme la nébuleuse métallurgique alpine qui s’étend d’Annecy-
Cran à Rives sur trois départements français actuels (Haute-Savoie, Savoie
et Isère) et qui approvisionne toute une série de forges locales grandes et
petites – des clouteries des Bauges ou de Matheysine aux forges d’Arvillard
et aux acièries de Rives qui fournissent un excellent « acier naturel » au
premier pôle industriel français, le bassin stéphanois. La ganterie
grenobloise qui distribue du travail à des couturières quelquefois
regroupées dans des ateliers dans le Grésivaudan, la Chartreuse ou le
Vercors, en est un autre exemple.
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Document 1 : La nébuleuse métallurgique alpine au milieu du
XIXe siècle
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Source : Elaboration de Pierre Judet et Fabrice Delrieux

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Document 2 : La vallée de l’Arve dans la nébuleuse horlogère
franco-suisse à la fin du XIXe siècle
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Source : Elaboration de Pierre Judet et Fabrice Delrieux

Dans ce type d’organisation de la production, le donneur d’ordres qui


peut être quelqu’un de riche et puissant localement comme la famille
Grange en basse Maurienne sidérurgique, peut n’avoir directement sous
ses ordres qu’une vingtaine de personnes employées principalement au
haut fourneau, mais il distribue du travail à plusieurs centaines de
personnes (mineurs, charbonniers et transporteurs). Ce système
fonctionne grâce à une solide assise foncière qui permet de mobiliser la
main d’œuvre au moment adéquat grâce à des relations de longue durée
fondées sur le crédit et grâce au caractère pluriactif d’une main d’œuvre
nombreuse composée de micro-propriétaires à la recherche de revenus
complémentaires.

30
1.2. Faire l’histoire des établissements industriels modestes dans les
deux premiers tiers du XIXe siècle

Pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle, les sources utilisables
pour la connaissance des petites et moyennes entreprises sont rares et
donnent très peu de renseignements globaux. Un long travail d’archives
est nécessaire pour saisir l’importance et le type de fonctionnement de ces
nébuleuses protoindustrielles. S’il existe des documents exceptionnels
comme certaines archives familiales de marchands-fabricants 39 , la
connaissance des autres mondes de production, comme les concentrations
cloutières des Bauges et de Matheysine, n’est pas aisée. Très nombreuses
en Savoie et en Isère, les clouteries essaiment dans la première moitié du
XIXe siècle dans les Bauges autour de la commune du Noyer où Victor
Barbier dénombre 300 cloutiers qui travaillent dans une quarantaine de
forges, et dans le canton de la Mure, autour de la Motte-d’Aveillans et de
la Motte-Saint-Martin. L’ingénieur des mines Emile Gueymard compte
environ 600 cloutiers dans le département de l’Isère mais il se refuse à
donner des renseignements plus précis. Selon lui, « cette recherche […]
eût été sans intérêt »40. Sans pousser plus loin ses investigations, Emile
Gueymard attribue arbitrairement deux ouvriers à chaque forge. Or le
dépouillement des mutations par décès concernant les cloutiers des
Bauges montre que certaines « places de cloutiers » emploient jusqu’à dix
personnes 41 . La clouterie est vraisemblablement, avant l’agriculture,
l’activité principale d’une bonne partie de la main d’oeuvre qu’elle occupe
et, tant que cette activité prospère – jusque vers 1850/60 -, les pères de
famille sont nombreux à se déclarer « cloutiers » et non « cultivateurs » sur
les actes de naissance. De même, les « cloutiers » sont nombreux à
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apparaître en tant que tels sur les listes nominatives de La Motte-
d’Aveillans sur le plateau matheysin42. La production est organisée par des
marchands de clous et les propriétaires des « places » les plus importantes.
Quand la concurrence des clous fabriqués en usines devient trop dure, de
nombreux cloutiers des Bauges passent à la production fromagère alors
qu’en Matheysine, ils sont nombreux à profiter des nombreux emplois
créés par les houillères en expansion. Le cas de la famille Bouchayer mérite

39 JUDET, P., « Le système Grange… », art. cité.


40 GUEYMARD, E., 1844, Statistique minéralogique, géologique, métallurgique et minéralurgique
du département de l'Isère, Grenoble, p. 805-807.
41 JUDET, P. (avec GAL, St., et SAINT-MARTIN, J.), 2014, « Histoire, innovation et

territoires de montagne », dans ATTALI, M., DALMASSO, A., et GRANET-ABISSET,


A.-M., Innovation en territoire de montagne, Presses universitaires de Grenoble, Grenoble,
p. 9-50.
42 BOURRET, V., Les reconversions des cloutiers de La Motte d’Aveillans (1836-1876), Mémoire

de M1, JUDET, P. (dir.), Grenoble 2, LARHRA, 98 p.

31
qu’on s’y arrête. Dans la première moitié du XIXe siècle, les Bouchayer
vivent de la clouterie ; ils possèdent plusieurs forges, commercialisent leur
production et collectent sans doute celle du voisinage. Quand, dans les
années 1840, la situation du secteur commence à se détériorer, Pierre
Bouchayer est embauché comme contremaître dans les charbonnages de
La Mure, non loin de son domicile, et son fils aîné entre en apprentissage
chez un boulanger. Joseph, le cadet, rejoint Grenoble où il est accueilli par
des proches. Après des études techniques, il fonde l’une des entreprises
pionnières de l’aventure de la houille blanche. Comme l’a écrit l’historien
américain Robert J. Smith43, l’entreprise de Joseph peut être considérée
comme l’exemple même de l’entreprise familiale française. Mais cet
exemple est également l’illustration de la filiation entre la protoindustrie et
les PMI modernes et de l’importance des réseaux qui lient les sociétés de
montagne avec l’extérieur, ici, la Matheysine avec Grenoble.

1.3. Des sources plus abondantes dans le dernier tiers du XIXe siècle

Le dernier tiers du XIXe siècle produit des archives plus faciles à


exploiter pour le sujet qui nous intéresse. Il s’agit notamment des enquêtes
sur les établissements industriels menées de façon systématique à partir de
1892 quand est créé le corps des inspecteurs du travail. Ce n’est pas en
tant que « PMI » que les établissements industriels sont cités mais parce
qu’ils sont considérés comme des « manufactures et usines » 44 dans
lesquelles, à la différence de l’atelier artisanal et familial, les lois sociales
s’appliquent, notamment la loi de 1841 qui limite le travail des enfants.
Ainsi l’enquête de 1893 dans la vallée de l’Arve comptabilise 21 entreprises
qui emploient entre 5 et 52 personnes soit un total de 323 ouvriers, soit 15
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employés par établissement en moyenne. Si chaque source a ses faiblesses,
leur recoupement peut donner d’excellents résultats. Selon le périodique
Pages libres, on compte, à peu près au même moment, environ 3 000
ouvriers dans le canton de Cluses dont 1 800 travaillent en famille et 1 200
dans un établissement industriel 45 . Non seulement les effectifs des
entreprises peuvent varier de façon considérable d’une année sur l’autre
en raison du caractère très capricieux du marché horloger, mais, comme
elles font travailler un nombre souvent important de façonniers à domicile,
les effectifs des établissements industriels ne sont qu’une donnée parmi
d’autres qui ne reflète pas leur importance réelle. L’entreprise Cartier du
village d’Arâches, dont on sait qu’elle donne de l’ouvrage dans toutes les

43 SMITH, R. J., 2001, The Bouchayers of Grenoble and French Industrial Enterprise, 1850-1970.
Baltimore, Johns Hopkins University Press.
44 Circulaire n° 11 du 15 juin 1897 du ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes

et des Télégraphes.
45 JUDET, P., Horlogeries et horlogers du Faucigny…, op. cit., p. 162.

32
montagnes qui entourent la moyenne vallée de l’Arve, ne se voit attribuer
que 9 employés par l’enquête de 1893. Il ne s’agit là que des ouvriers
employés à demeure. Non seulement l’idée même d’établissement avec des
employés fixes et tous regroupés au même endroit ne tient pas, mais la
volatilité des entreprises est très importante. Nombreux sont en effet les
horlogers qui rêvent de s’établir à leur compte. Si l’on ne compte que 31
« établissements industriels » à Scionzier dans l’enquête de 1900 46 , les
fabricants suisses dénombrent 46 sous-traitants spécialisés quelques
années plus tard47. On peut donc employer moins de 5 personnes et être
considéré comme un partenaire à part entière par la puissante fabrique
horlogère helvétique. En outre, la différence entre « patrons » et
« ouvriers » n’est pas clairement délimitée dans le monde de l’atelier, pas
plus que la place de l’artisan ou de l’« ouvrier-patron »48 dans la hiérarchie
de la sous-traitance : on peut travailler à la fois pour un donneur d’ordres
qui commercialise la montre complète et pour un donneur d’ordre qui
centralise des pièces brutes ou pour monter des sous-ensembles comme
des mécanismes de montre -pièces ou sous-ensembles qu’il envoie au
premier type de chef d’entreprise. C’est exactement le cas de l’horloger
indépendant François-Marie Pellier de la commune montagnarde du
Mont-Saxonnex dont nous avons pu consulter la correspondance avec ses
donneurs d’ordres parmi lesquels on compte le célèbre fabricant suisse
Lecoultre et Cartier d’Arâches49.
Pour emblématique qu’il soit, le cas de l’entreprise Bouchayer n’est pas
un cas isolé. De nombreuses entreprises petites et moyennes souvent
issues des nébuleuses protoindustrielles font preuve de dynamisme, de
capacité d’innovation et d’adaptation aux multiples demandes locales. Issu
d’une famille de forgerons de la région d’Allevard, Joseph Grasset, installé
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à Arvillard (Savoie), devient l’un des plus importants maîtres de forges-
taillandiers de la nébuleuse métallurgique alpine. Avec une dizaine
d’employés à la veille de l’Annexion 50 , il fournit des outils agricoles
- notamment des socs de charrue adaptés à la demande de chaque client –
de « l’acier naturel » et des fers de qualité pour fabriquer des faux réputées
à une clientèle répartie sur un vaste espace, des Alpes du Nord françaises
au Piémont 51 . Dans la seconde moitié du siècle, il se tourne vers la
production d’outils de travaux publics, de fers pour bandages de roues et

46 Arch. dép. de la Haute-Savoie, 9 M 12, Etablissements industriels.


47 Arch. municipales Cluses (AMC), N.C, Grand bottin complet de l'industrie horlogère
1909 / 1910, Soleure.
48 LEQUIN, Y., 1964, « Aux origines de l'organisation ouvrière en Haute-Savoie », Actes

du congrès des sociétés savantes de Lyon p. 817-827.


49 JUDET, P., Horlogeries et horlogers du Faucigny..., op. cit.
50 BARBIER, V., op. cit., t. 2, p. 99-105.
51 Fonds Grasset, fonds privé non classé, Courrier des clients 1854-56.

33
d’essieux pour répondre à la demande croissante en matériels de transport.
Son voisin, Emile Leborgne, développe une entreprise métallurgique un
peu plus importante qui a survécu jusqu’à aujourd’hui dont la branche
spécialisée dans la fabrication du matériel de montagne (piolets Charlet-
Moser) a été récemment cédée au grenoblois Petzl, tandis que la branche
de l’entreprise spécialisée dans la fabrication des outils de jardin, de voirie
et de chantier a été vendue en 2007 au Finlandais Fiskars52. On le voit,
certains établissements industriels petits et moyens issus de la
protoindustrialisation sont donc capables de participer à l’évolution
économique générale en opérant quelquefois de délicates reconversions
parfois occultées par l’irruption massive d’une nouvelle activité, l’électro
industrie.

2. L’AGE DE L’ELECTROINDUSTRIE OU LA NEGATION


DES ENTREPRISES MODESTES

L’image de l’électroindustrie montagnarde, c’est, tout comme celle de


la route ou des stations de ski, celle de la modernité, et la nouvelle industrie
semble s’imposer sur un terrain sans passé industriel. D’emblée liée à la
science, la nouvelle activité repose sur l’utilisation de brevets venus de
l’extérieur qui permettent notamment la création de la cuve d’électrolyse
et du four électrique. Les matières premières sont importées et la main
d’œuvre est en grande partie étrangère. Quant à la production, elle est
exportée parfois fort loin et ses cours varient selon des facteurs largement
internationaux. Vue de haut, l’histoire de l’électroindustrie semble se
limiter à une histoire technique et macroéconomique53 qui exclut de la
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seconde industrialisation les établissements industriels modestes. Pour
donner un aperçu général de cette histoire, on s’appuiera sur l’étude des
petites et moyennes entreprises grenobloises qui accompagnent le
développement de l’électroindustrie, puis sur le cas de la vallée de l’Arve
des années 1880 aux années 1970.

52 Eco des pays de Savoie, n°51-52, 31 déc. 2010-6 janv. 2011, p. 62.
53 JUDET, P., 2014, « La ″ Savoie industrielle ″. Des territoires industriels en
mouvements », dans VARASCHIN, D., BONIN, H. et BOUVIER, Y., Histoire économique
et sociale de la Savoie de 1860 à nos jours, Droz, Genève, p. 245-297.

34
2.1. Des entreprises modestes grenobloises à la base du
développement de l’hydroélectricité

Le développement des grandes entreprises électrochimiques et


électrométallurgiques repose sur une phase papetière préalable qui
s’accompagne d’un véritable foisonnement entrepreneurial concernant
des établissements petits et moyens dans la papeterie, la cimenterie et la
construction mécanique.
« Premier maillon de l’introduction des préoccupations industrielles
modernes », la cimenterie bénéficie dans la région de Grenoble dès le
milieu du XIXe siècle d’une forte demande due aux transformations de la
ville et à l’extension du réseau de chemin de fer54. Elle peut s’appuyer sur
la présence d’un quasi-ciment naturel et exploiter l’énergie de nombreux
torrents avant que le charbon de La Mure ne prenne le relais. Cet essor se
traduit tout d’abord par la présence autour de Grenoble d’une « poussière
de petites usines mal équipées » dont Raoul Blanchard, dans les années
1920, déplore l’archaïsme 55 . Avec une bonne dizaine d’entreprises au
milieu du siècle, la cimenterie de la région grenobloise emploie 130
ouvriers en 1869 et 1500 dans 32 établissements 56 . Très vite quelques
grandes entreprises dominent le secteur, notamment l’entreprise Vicat
fondée par Louis Vicat, élève de Polytechnique (Ponts), qui impose son
ciment artificiel après 1880 et dont l’un des premiers clients sera
l’électroindustrie.
Le développement considérable de la demande en papiers de types
variés pousse la vieille industrie papetière dauphinoise à accélérer sa
transformation qui a débuté au XVIIIe siècle avec l’utilisation de la
machine Robert57. La mécanisation se poursuit avec la mobilisation des
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ressources hydrauliques qui préparent le terrain à l’électroindustrie dès les
années 1860. Déjà bien implantée dans la vallée de la Fure située à l’est de
Grenoble, la papeterie trouve dans le Grésivaudan des ressources
nouvelles ; l’exploitation des nombreux torrents qui dévalent du massif de
Belledonne permet de produire de la pâte à papier avec des défibreurs à
partir de bois que l’on trouve en abondance dans les Alpes, surtout depuis
l’arrêt de la sidérurgie montagnarde au bois dans les années 1860/70. Les
nouvelles techniques sont en général portées par des ingénieurs ou des
54 MORSEL, H. et PARENT, J.-F., 1991, Les industries de la région grenobloise, Presses
universitaires de Grenoble, Grenoble.
55 BLANCHARD, R., 1928, « L'industrie des chaux et ciments dans le Sud-Est de la

France », Revue de géographie alpine, t. 16, n°2, p. 255-376.


56 VATIN-PERIGNON, N., « Chaux et ciments », Histoire d’industries en Dauphiné,

Association pour le patrimoine et l’histoire de l’industrie en Dauphiné, Grenoble, p. 167-


169.
57 ANDRE, L., 2005, « Des moulins aux usines 1780-1860 », in SPILLMAKER, Ch., et

ANDRE, L. (dir.), Papetiers des Alpes, Centre alpin et rhodanien d’ethnologie, Grenoble,
p. 47-56.

35
techniciens étrangers à la région. Les années 1860 voient la mise en
exploitation rapide des chutes d’eaux aménageables à proximité de
Grenoble. Amable Matussière, Alfred Fredet, Jean-Baptiste Neyret, et
Aristide Bergès - l’ingénieur ariègeois inventeur de l’expression « la houille
blanche » - montent des entreprises qui se développent très vite en
aménageant des usines dotées de conduites forcées qui permettent de
disposer de « hautes chutes ». Ces entreprises modifient profondément le
rapport à la ressource, ce qui ne va pas sans d’incessants conflits avec les
paysans du lieu usagers traditionnels de l’eau.
Non seulement la papeterie permet la modernisation des techniques
hydromécaniques, mais elle favorise le développement de l’industrie
métallurgique et d’une construction mécanique « qui a été un pôle de
diffusion des innovations techniques de l’époque à l’échelle régionale »58.
C’est ainsi que, par son association avec André Neyret – fils du
propriétaire de la papeterie de Rioupéroux -, Casimir Brenier qui fabrique
des turbines et des défibreurs pour les papetiers est à l’origine de l’une des
plus importantes entreprises du secteur (la future Neyrpic). Joseph
Bouchayer fournit à Bergès les conduites forcées nécessaires à
l’exploitation de la force hydraulique. Certains sites protoindustriels sont
reconvertis dans les secteurs nouveaux : Jean-Baptiste Neyret établit une
papeterie à Rioupéroux (vallée de la Romanche) sur l’emplacement d’un
ancien haut-fourneau où il occupe très vite jusqu’à 200 ouvriers59.
Le succès de ces entreprises cimentières, papetières ou métallurgiques
est tel que leur croissance les fait vite sortir de la catégorie des petites et
moyennes entreprises, ce qu’elles étaient souvent à l’origine, et risque de
faire oublier leur appartenance à un territoire industriel. En 1891, Brenier
et Cie donne du travail à 149 personnes60. Vers 1900, l’entreprise fondée
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par Joseph Bouchayer compte environ 300 ouvriers ; elle en emploiera dix
fois plus pendant la première guerre mondiale. L’entreprise Neyrpic
connaît une croissance très importante jusque dans les années 1960 ou elle
comptera plus de 3000 employés.

58 DALMASSO, A., « Papeterie et industrie alpine », dans SPILLMAKER, Ch. et

ANDRE, L. (dir.), op. cit., p.89-90.


59 DUCLUZAUX, A., « Toute l’histoire de l’hyderaulique illustrée à Rioupéroux »,

Histoire d’industries en Dauphiné, op. cit., p. 92-95.


60 DALMASSO, A. et ROBERT, E., 2009, Neyrpic Grenoble. Histoire d'un pionnier de

l'hydraulique mondiale, Association pour le patrimoine et l’histoire de l’industrie en


Dauphiné, Renage, p. 24.

36
2.2. L’affirmation du « district industriel » de la vallée de l’Arve

Malgré leur taille modeste, les entreprises de la vallée de l’Arve ont été
parmi les premières à substituer l’énergie électrique à l’énergie hydraulique.
En revanche, l’adaptation au nouveau contexte généré par la seconde
industrialisation a causé quelques difficultés à la région de Cluses. Dans les
années qui précèdent la première guerre mondiale, la mécanisation de ses
donneurs d’ordres suisses, qui produisent de plus en plus eux-mêmes les
pièces dont ils ont besoin, met l’horlogerie de la vallée de l’Arve en
difficulté 61 . Mais la guerre et les immmenses besoins en munitions,
mécanismes divers et pièces métalliques permettent d’amorcer une
reconversion vers le « décolletage » - production de pièces métalliques de
précision – en adaptant les techniques en vigueur dans l’horlogerie et en
profitant des financements exceptionnels qui stimulent la production
destinée à la Défense nationale. A la fin de l’année 1918, les établissements
Carpano emploient 170 personnes dont une bonne partie de femmes.
Mais l’après-guerre est difficile, les effectifs de l’entreprise passent, de 46
en 1921 à 82 en 1926 et à 106 en 193162. L’entreprise Carpano est en fait
devenue une grande entreprise63. Progressivement, l’essor de l’automobile,
du cycle et des constructions mécaniques et électriques dans les années
1920 oriente la vallée vers des débouchés nouveaux, en France. La
« formation sociale locale » 64 où foisonnent les entreprises petites et
moyennes n’est pas pour autant transformée de fond en comble. L’activité
industrielle reste cantonnée à la sous-traitance, mais ce sont les
établissements les plus importants qui bénéficient le plus rapidement de la
nouvelle situation et de nombreux ateliers disparaissent tandis que des
ouvriers habiles et dynamiques réussissent à s’établir. Après la crise du
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début des années 1930 qui est amortie par la pratique persistante de la
pluriactivité, le réarmement français de la fin des années 1930 fait renouer
avec une croissance que l’Occupation ne casse pas65. La prospérité des
« Trente Glorieuses » et l’entrée dans la société de consommation
permettent l’affirmation d’un solide « district industriel ». Ce territoire
trouve sa cohérence dans le partage des valeurs familiales, la
61 JUDET, P., Horlogeries et horlogers du Faucigny …, op. cit.
62 JUDET, P., 2009, « Un site, des patrons, une mise en patrimoine. De l'usine
hydraulique au musée de l'horlogerie et du décolletage de Cluses (1812-2007) », dans René
FAVIER et alii, Tisser l'histoire. L'industrie et ses patrons XVIe-XXe siècle, Presses
universitaires de Valenciennes, Valenciennes, p.111-122.
63 LESCURE, M. fait débuter le seuil de la grande entreprise à 101 employés pour les

années 1920 (PME et croissance économique, Economica, Paris, 1996, p. 21-22).


64 JUDET, P., Horlogerie et horlogers…, op. cit., p. 126.
65 JUDET, P., 2007, « Le travail et le retournement des valeurs sous l'Occupation », dans

CHEVANDIER, C. et DAUMAS, J.-C., Travailler dans les entreprises sous l'Occupation,


Presses universitaires de Franche-Comté, Besançon, p. 109-129.

37
reconnaissance de la compétence et du travail, et l’attachement au local
car, contrairement à ce qui est dit sur les districts italiens, celui de la vallée
de l’Arve plonge ses racines dans une histoire longue 66 . Au début des
années 1953, la vallée de l’Arve rassemble 67 usines occupant 50 ouvriers
et 780 ateliers occupant 4 personnes en moyenne67. La solidité du tissu
industriel lui-même puise sa force dans la complémentarité de nombreuses
entreprises entre elles en raison d’une sous-traitance à plusieurs étages,
dans la possibilité pour les ouvriers les plus compétents de s’établir à leur
compte, dans le quadrillage du territoire par des institutions comme
l’Ecole d’horlogerie qui a accompagné la reconversion et dans la présence
de la Société savoisienne de crédit commercial et industriel fondée en
1919, appelée aussi la « banque des décolleteurs ».
Alors que la vallée est prise dans une course à la production qui cache
souvent une absence de modernisation et des difficultés pour l’artisanat et
les petites entreprises, la réussite de quelques établissements frappe les
esprits. L’entreprise Carpano est l’une des rares à sortir de la sous-traitance
en produisant des objets complets répondant aux nouvelles opportunités
comme celles qui sont liées au tourisme et aux loisirs. Après avoir installé
un téléski en 1938 dans la montagne qui domine Cluses, l’entreprise
connaît un gros succès avec les moulinets de pêche Mitchell et les moteurs
pour volets et stores (1960). Transformé en un groupe - le Groupe
Carpano et Pons (1965) – qui emploie plus de 2000 personnes 68 ,
l’établissement fait figure de modèle dans la vallée de l’Arve et y joue un
rôle moteur. D’autres entreprises choisissent d’occuper des spécialités
pointues ou des « niches ». Une branche de la famille Anthoine – l’une des
plus vieilles familles horlogères - se lance dans l’instrumentation dentaire
avec la marque Anthogyr (1947). L’entreprise Cartier qui se spécialise dans
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la production de lanternerie pour l’automobile préfigure l’évolution future
en s’installant dans la nouvelle zone industrielle, en rationalisant
l’organisation de la production dès les années 1950 par l’élimination des
« temps morts »69, et en utilisant un tapis roulant au début des années 1960.
Ces établissements sortent des limites strictes de la catégorie PMI qui, de
plus, se révèle bien hétérogène dans un même territoire.

66 Voir par exemple CONTI, G. et GIANNETTI, R., 2001, « PME et réseaux


d’entreprises en Italie au XXe siècle », Entreprises et histoire, n°28, p. 20-36.
67 AMC, doc 19, Congrès national du décolletage, Cluses 4 – 7 juin 1953, Revue mensuelle, 2e

année, n°3.
68 CLARET, P., 2010, « Carpano et Pons, une histoire clusienne », Eco des pays de Savoie,

Janv, p. 84.
69 AMC, Fonds Cartier, 41 Z 19, Lettre/rapport de Gaston de Trétaigne, 7 fév. 1952.

38
3. LA CRISE DE LA FIN DU XXE SIECLE ET LA NOUVELLE
IMAGE DES PMI ALPINES

3.1. Crise, globalisation et transformation des mondes de production

La « crise » de 1973 marque le moment où les transformations déjà


visibles auparavant s’accélèrent, ce qui se traduit par une profonde
modification du tissu industriel. Les géants industriels et des entreprises
de toutes tailles qui n’arrivent pas à s’adapter au nouveau contexte en
souffrent, tandis que certains établissements connaissent le succès.
Parallèlement, les sciences sociales portent un nouveau regard sur les
« PME » : désormais elles les valorisent 70 . Ces transformations sont
particulièrement nettes dans les Alpes où, comme souvent, elles sont
amplifiées.
Le premier symptôme du changement est, comme chacun le sait, la
diminution du nombre des emplois industriels. C’est particulièrement net
dans le département manufacturier de la Haute-Savoie où ceux-ci passent
de 44,8 %, à 30,3 % de l’ensemble des emplois71. Même s’il faut relativiser
ces chiffres en raison de l’externalisation de nombreuses fonctions de
services et de l’augmentation de la productivité, les dégâts sont
considérables et la géographie industrielle en est profondément modifiée.
Les grandes vallées alpines où l’électroindustrie régnait sans partage sont
sinistrées. La vallée de la Romanche (Isère) qui avait pourtant été à la
pointe des innovations dans ce secteur ne conserve que l’usine des
Clavaux, sauvée par sa spécialisation dans la fabrication du silicium. La
crise des grands ensembles électroindustriels se répercute sur les sous-
traitants qui sont en général autant de PMI. Dans le seul département de
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la Savoie ils représentent environ 200 entreprises de plus de huit
personnes72.
Si l’industrie se maintient dans les agglomérations en investissant les
zones industrielles et les technopôles, elle est largement distancée par les
activités tertiaires. La création en 1971 de la Zone pour l’innovation et les
réalisations scientifiques et techniques (ZIRST) de Meylan - « Inovallée » -
où l’on cherche à favoriser les « fertilisations croisées » et la naissance et le
développement de « startup », illustre l’investissement des autorités locales
dans la mise en place de territoires industriels susceptibles de favoriser
l’innovation et l’apparition de PME. Ces technopôles - Meylan
(Grenoble), Technolac (Chambéry) et Archamp (Genevois français)

70 En ce qui concerne l’Histoire, voir notamment LESCURE, M. (dir.), 2006, La


mobilisation du territoire, Comité pour l’histoire économique et financière, Paris ; et
DAUMAS, J.-C, Pierre LAMARD et TISSOT, L., 2007, Les territoires de l'industrie en Europe
(1750-2000), Presses universitaires de Franche-Comté, Besançon.
71 « 1968-1998. L’âge des mutations », Eco des pays de Savoie, n°14, avr. 1998, p. 26-30.
72 « Rétrospective 1998 », Eco des pays de Savoie, n°53, 25 déc. 1998, p.17.

39
s’inscrivent dans le projet de réaménagement de l’espace économique et
urbain dans le Sillon alpin de Grenoble à Genève. Spécialisé
essentiellement dans les technologies de l'information et de la
communication avec ses 380 entreprises, dont 46 % de « startup », 12 000
emplois, 900 chercheurs et « 70 % d’entreprises innovantes » et en partie
intégré au pôle de compétitivité Minalogic, le technopôle de Meylan
s’appuie sur le fort potentiel de recherche de l’Université Grenoble-Alpes.
« Inovallée », qui est l’un des premiers technopôles en France, se présente
comme une « véritable ‘Silicon Valley’ à la française »73. Il y a dans ce type
de présentation une part d’autoglorification qui passe par l’idéalisation des
PME considérées comme les plus « modernes » : peut-on qualifier de
« startup » toute entreprise de taille modeste connaissant une forte
croissance ou faut-il réserver ce terme aux entreprises qui créent avec
succès un nouveau modèle de fonctionnement ? Technolac, qui est installé
sur le campus scientifique de l’Université de Savoie, comprend « 230
entreprises innovantes », 1 000 chercheurs et ingénieurs, 3 800 salariés et
4 700 étudiants. Selon Savoie Technolac, 45 emplois et 17 entreprises ont
été créés en 2014 ; et en 2015, le taux de pérennité des entreprises à trois
ans s'élève à 93 % 74 . Les succès de ces technopôles où les PME sont
nombreuses sont réels, mais il y a sans doute dans ces autodescriptions
une tendance à majorer ces succès : certains proposent de réserver le terme
« d’innovation » à l’introduction d’une nouveauté qui change
complétement la situation du marché 75 . Si l’on met de côté le cas
d’Archamp dont le succès n'est pas flagrant, les deux technopôles alpins
ont permis la naissance et le développement des PME mais la durée de vie
de ces entreprises est limitée par les faillites ou par leur absorption dans
un grand groupe76.
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Non seulement la répartition des activités industrielles est modifiée,
mais l’organisation et le périmètre des entreprises le sont également. Pour
répondre à la globalisation et aux nouvelles conditions de la vie
économique, les entreprises - grandes entreprises et petites - évoluent
souvent de façon convergente d’une part dans une tendance à la
concentration sur les « cœurs de métiers » qui pousse les PMI à se

73 http://www.inovallee.com/.
74 http://acteursdeleconomie.latribune.fr/innovation/2016-04-27/savoie-technolac-
revendique-1-000-emplois-crees-en-5-ans.html.
75 PETIT, J., 2016, « Startups, entreprises et innovation : il faut arrêter la confusion ! »,

La Tribune. Acteurs de l'économie, 12 sept.,


http://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/opinion/
76 DALMASSO, A., 2013, « Les "modèles d'innovation grenoblois" », Traditions

industrielles et technologies de l'avenir Grenoble-Alpes- Dauphiné, Académie delphinale, oct., p. 63-


73 ; et intervention de MEZIN, G. (directeur général adjoint de la Sogeti, entreprise
conseil en information d'Inovallée Grenoble), 2013, dans la table ronde « Reconversions,
mutations et créations industrielles », Traditions industrielles et technologies…, op. cit., oct., p.
83-90.

40
concentrer pour s’imposer sur le marché grâce à des spécialités redéfinies
appuyées sur la recherche-développement, et d’autre part autour du
principe de management qui vise à rationaliser au maximum le travail (lean
production) en abandonnant des formes de gestions fondées sur la
proximité, notamment dans les PMI. Ces évolutions sont particulièrement
nettes dans le plus ancien territoire industriel alpin, la vallée de l’Arve.

3.2. Le cas exemplaire de la vallée de l’Arve

Toujours première concentration mondiale de décolletage, le vieux


territoire industriel de la vallée de l’Arve avec son tissu de PMI conserve
en 2010 un pourcentage d’emplois industriels de plus de 40 %. Avec ses
14 000 salariés et ses 600 entreprises dont une majorité de TPE et de PME,
la vallée de l’Arve, qui a retrouvé en 2013 son niveau de production de
2008, a résisté à la crise qui dure depuis les années 1970 et qui a anéanti
un géant industriel comme Pechiney. Mais les nouvelles conditions de la
vie économique ont confronté le décolletage savoyard à la concurrence
des nouveaux pays industriels, à l’utilisation de matériaux nouveaux –
plastiques et composites notamment –, et au développement de nouveaux
procédés de fabrication - frappe à chaud ou à froid, emboutissage,
moulage sous pression. Ainsi, les avantages attribués aux « districts
industriels » en général et à la vallée de l’Arve en particulier qui sont liés à
la compétence accumulée pendant des générations, aux valeurs
communes, mais aussi à l’emploi – relativement récent - d’une main
d’œuvre immigrée peu payée, ont perdu de leur valeur.
Comme cette industrie est devenue au cours des années de prospérité
de plus en plus dépendante de l’automobile qui a externalisé une bonne
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partie de ses activités, les donneurs d’ordres (fabricants automobiles ou
sous-traitants de premier ordre) ont augmenté considérablement leurs
exigences sur les prix, en s’immisçant dans l’organisation du travail et en
exigeant la fusion de sous-traitants considérés comme trop petits. La
structure entrepreneuriale a donc évolué vers plus de concentration, plus
de coordination entre les divers éléments de la chaîne de production et
donc plus de dépendance vis-à-vis des donneurs d’ordres. Dans ce
contexte, l’autofinancement pratiqué jusque-là avec bonheur devient
insuffisant pour conserver durablement le leadership mondial. Conjuguée
avec cette nécessité d’investir de gros capitaux, une certaine dévalorisation
de l’activité, qui se traduit par des difficultés de transmission de l’entreprise
dans la famille, a favorisé la pénétration de capitaux internationaux qui
contrôlent environ 30 % de l’appareil productif. Bien souvent téléguidées
par des fonds de pensions, ces prises de contrôle, qui sont attirées par la
bonne santé des PMI de la vallée de l’Arve, se sont traduites par
l’imposition de gros dividendes qui ne favorisent pas l’investissement à
long terme. Ces phénomènes ont constitué une menace sérieuse non
seulement sur le contrôle de l’activité par des acteurs locaux mais

41
également sur la pérennité même de l’industrie qui manque de main
d’œuvre qualifiée. La vallée qui ne forme pas d’ingénieurs sur place doit
non seulement les attirer, mais les retenir, attirés qu’ils peuvent être par les
salaires helvétiques. Par ailleurs, l’équilibre social de la vallée est
doublement menacé. La mise à son compte qui assurait la régulation des
tensions dans ce monde de production ne peut plus avoir l’ampleur qu’elle
avait précédemment, et les licenciements qui concernent surtout la partie
non qualifiée de la main d’œuvre, ont généré un malaise qui touche
notamment les quartiers des agglomérations de la vallée où sont installées
de nombreuses familles issues de l’immigration.
Face à ces menaces, la riposte s’est organisée à la fois au niveau des
entreprises et au niveau du territoire. Pour les entreprises, il ne s’agit plus
simplement de produire. De nouvelles fonctions prennent une place de
plus en plus importante : service qualité, bureau d’études et bureau des
méthodes ; et une nouvelle organisation s’impose avec le management, le
« juste à temps » et le contrôle qualité - ce dernier étant exigé par les clients
qui restent à 60 % des constructeurs automobiles ou leurs sous-traitants
de premier ordre. Ainsi, de nombreux producteurs de pièces fournissent
désormais des sous-ensembles ou quelquefois des ensembles entiers à
leurs donneurs d’ordres. Autrefois redoutée, l’électronique est aujourd’hui
intégrée dans le processus productif et la vallée de l’Arve se présente
comme spécialiste de la « mécatronique ». Cette transformation touche
toutes les entreprises, des TPE aux grandes entreprises. Entamée dès les
années 1980, cette transformation a été efficace : la valeur ajoutée par
emploi a augmenté de 23 % entre 1986 et 198977. Les débouchés se sont
élargis et les entreprises les plus dynamiques arrivent à exporter plus de la
moitié de leur production. Enfin, certaines entreprises, notamment des
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PMI très spécialisées, peuvent délocaliser une partie de leurs activités tout
en conservant le cœur de métier sur place. Spécialisée dans les implants
dentaires, l’entreprise Anthogyr emploie 330 personnes dans le monde
dont environ 200 sur place. Elle a ouvert récemment une filiale de
distribution à Pékin. La « mondialisation » peut assurer de beaux succès :
Anthogyr exporte près des deux tiers de sa production78. L’importante
proportion de cadres et de techniciens qui représentent environ le quart
de ses effectifs lui permet de pratiquer la micromécanique avec des
contraintes de type médical. En 2006, l’entreprise Baud comptait environ
170 employés répartis en sept usines installées à Zabkowice Slaskie en
Pologne, aux Verrières dans le canton de Neufchâtel, et en Haute-Savoie.

77 COURLET, C., 1996, Les relations interentreprises dans la vallée de l’Arve, Institut de
recherche économique sur la production et le développement, Grenoble, 28 p.
78 BONAZZI, R., Vie économique et histoire des entreprises de Haute-Savoie de 1815 à 2012,

Chambéry, 2013, Portrait n°69 ; et SERRAZ, G., « La vallée de l'Arve, terre du


décolletage en pleine renaissance », Les Echos, http://www.lesechos.fr/15/04/2014/.

42
L’entreprise Baud qui réinvestit chaque année environ 15 % de son chiffre
d’affaires79 emploie aujourd’hui 450 salariés.
Le territoire industriel est un acteur de premier plan. Du fait de la
longueur et de la densité de son histoire, la cohérence socio-économique
du bassin de Cluses reste forte : à la fin des années 1990, plus de 40 % des
achats étaient effectués sur place par les entreprises80. A côté d’une culture
sociotechnique commune, les décolleteurs bénéficient de services et
d’institution dans la vallée même. C’est en 1919 qu’a été fondée la « banque
des décolleteurs », la Société savoisienne de Crédit devenue Banque
populaire. Fondé à Paris en 1897, le Syndicat des tourneurs décolleteurs
producteurs de vis cylindriques qui deviendra le Syndicat national du
décolletage (SNDec) s’installe à Cluses en 1989 en raison de la part prise
par la vallée dans cette spécialité. Le Centre technique des industries
mécaniques et du décolletage (CTDEc), fondé en 1962, qui s’est fixé
comme mission de « promouvoir le progrès des techniques, contribuer à
l’amélioration de la productivité et à l’innovation dans l’industrie du
décolletage » 81 , a développé ses compétences et ses liens avec les
entreprises. Cet héritage est aujourd’hui fécondé par des initiatives
centrales comme la création du pôle de compétitivité Arve Industrie
Savoie Mont-Blanc, qui est un des rares pôles de compétitivité à faire une
très large place aux PMI, et dont le CTDec et le SNDec sont des
partenaires essentiels. Ces institutions sont influentes. Pendant la crise de
2008, l’action du SNDec a permis à l’industrie de la région de Cluses de
bénéficier du dispositif « former plutôt que licencier »82. De plus, certaines
entreprises se mettent à travailler ensemble et certains de leurs dirigeants
peuvent échanger leur expérience dans des clubs spécialisés comme le club
connectique ou le club matériel médical. La mutualisation des achats, des
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ressources humaines et du marketing prend de l’ampleur.
Après une période où les fonds de pensions rachetaient les entreprises
les unes après les autres, de nouveaux acteurs sont apparus et sont passés
à l’offensive en bénéficiant souvent du soutien des pouvoirs publics. Marc
Horellou a racheté Enricau-César Vuarchex à la Bank of America83 et le
groupe Maike a racheté Frank et Pignard puis EMT technologies. A la fin
des années 2000 ce groupe compte 1600 salariés avec un chiffre d’affaires

79 KETELS, O., 2007, « Baud parie sur une croissance européenne », L’Usine nouvelle,
n°3052, 19 avril, p. 28.
80 COURLET, C., 2002, « Globalisation et territoire. Le cas du district industriel de la

Vallée de l'Arve », in GRANGE, D. (dir.), L'Espace alpin et la modernité, Presses


universitaires de Grenoble, Grenoble, p. 93-103.
81 http://www.ctdec.com/cetim_ctdec-fr22.html.
82 Ecomeca, Eco des pays de Savoie, n° 42, fév. 2010, p. 6.
83 Eco des pays de Savoie, n°51-52, 31 déc. 2010-6 janv. 2011, p. 62.

43
de 220 millions d’Euros84. Même s’il ne s’agit plus de PMI, ces entreprises
évoluent dans un territoire fortement marqué par ce type d’entreprises.
Malgré son manque de main d’œuvre qualifiée et la faiblesse de ses liens
avec la recherche universitaire, la vallée de l’Arve s’efforce de sortir des
difficultés « par le haut » grâce à une formule vertueuse qui combine « taille
[des entreprises], spécialisation et innovation »85, et dans ce cadre les PMI
non seulement tiennent une place essentielle, mais ne peuvent guère être
séparées de l’ensemble du système productif.

CONCLUSION

Le terrain alpin est un terrain d’autant plus intéressant pour étudier


l’histoire des PMI qu’il grossit certains traits de la question. Malgré les
apparences, l’électroindustrie, le tourisme hivernal et les grands
équipements de transport n’ont pas été les seuls vecteurs du « progrès ».
Les entreprises modestes ont largement pris leur part dans ce mouvement.
Par ailleurs, si les PMI sont particulièrement nombreuses dans les Alpes
du nord, elles ne peuvent être détachées des territoires industriels auxquels
elles appartiennent et des grandes entreprises et des TPE qui s’y trouvent.
L’histoire de la vallée de l’Arve le montre abondamment. Pour intéressante
qu’elle soit, la vogue actuelle des PME doit être analysée sur la longue
durée en notant bien que pendant chaque période historique des choix
idéologiques s’imposent et obscurcissent la réalité. Largement ignorées au
XIXe siècle en raison de leur non-conformité au modèle usinier anglais et
au modèle théorique de la « première révolution industrielle », les
entreprises de taille modeste qui ont manifesté leur importance dans le
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développement de la « seconde révolution industrielle » - par exemple
dans les débuts de l’automobile -, ont été ignorées dans l’espace alpin en
raison du développement fulgurant de l’électroindustrie. Ce n’est
qu’aujourd’hui que certaines de ces entreprises sont considérées comme
porteuses d’une « modernité » renouvelée. En réalité, toutes ne réussissent
pas et si certaines s’en tirent mieux que les autres, il leur faut souvent ouvrir
leur capital pour réaliser d’importants investissements. Sans doute, après
les modèle anglais et américains ou japonais, sommes-nous influencés par
le modèle allemand des grosses PMI innovantes. Ceci ne doit pas nous
faire perdre de vue que nombre de ces PMI deviendront de grandes
entreprises, que beaucoup d’autres disparaîtront et que l’emprise des
grands groupes ne cesse de se faire sentir. Une approche de longue durée

84 « 2000-2010. A l’épreuve de la mondialisation », Eco des pays de Savoie, n°51-52, p. 29.


85 CHELINI, M.-P, 2012, « Introduction », in CHELINI, M.-P et ECK, J.-F., PME et
grandes entreprises en Europe du Nord-Ouest XIXe – XXe siècle, Presses du Septentrion,
Villeneuve d’Ascq, p.9 -29.

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territoriale – particulièrement sur le terrain alpin - conduit donc à
relativiser l’autonomie de la catégorie des PME/PMI.

BIBLIOGRAPHIE

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