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QUESTION 1 : Les modalités expressives

La voici mariée, c'est-à-dire lâchée dans les salons. Et maintenant, d'après nos lois, nos usages,
nos règles, il lui est permis d'être coquette, élégante, entourée, adulée, aimée. Elle est femme du
monde. [ Elle est Parisienne. C'est-à-dire qu'elle doit être la séductrice, la charmeuse, la
mangeuse de cœurs ; que son rôle, son seul rôle, sa seule ambition de mondaine doit consister à
plaire, à être jolie, adorable, enviée des femmes, idolâtrée des hommes, de tous les hommes ! ]
Est-ce vrai, cela ? N'est-ce pas le devoir d'une femme de nous troubler ? [ Tous les artifices de la
toilette, toutes les ruses de la beauté, toutes les habiletés de la mode, ne les considérons-nous
pas comme légitimes ? ] Que dirions-nous d'une Parisienne qui ne chercherait point à être la plus
belle, la plus adorée ? Ne sommes-nous pas fiers d'elles, même sans être leurs maris ? Nous
vantons leurs toilettes, nous célébrons leur grâce, nous louons leur coquetterie !
Et vous prétendez, moralistes stupides, que tous ces frais soient dépensés en pure perte. Vous
voulez que ces femmes donnent tous leurs soins, toute leur intelligence, tous leurs efforts à l'art de
plaire, et cela pour rien ? Vous voulez qu'elles nous affolent d'amour sans jamais perdre leur sang-
froid, sans jamais céder à nos obsessions, sans jamais tomber dans nos bras désespérément
tendus ? [ Mais, brutes que vous êtes, ô prêcheurs de fidélité matrimoniale, alors il faut supprimer
du monde la Parisienne telle que l'a faite la civilisation, et n'admettre que la femme du foyer, la
femme toujours occupée des soins du ménage, toujours chez elle à laver les enfants, à compter le
linge, et simplement vêtue et modeste comme une oie. ]
Ce serait plaisant, assurément, une société qui n'aurait point d'autres femmes !
Guy de Maupassant, Un dilemme, 22 novembre 1881

Modalité Modalité interrogative Modalité injonctive


 La modalité injonctive : On relève deux cas d’injonction dans cet extrait.
- Le premier concerne la femme, et l’ordre que lui donne la société, ainsi que
l’auteur lui-même : « elle doit » chercher à plaire, à séduire.
- Le second, « il faut », à la fin du passage est l’ordre absurde que donne
plaisamment Maupassant à ses adversaires, en poussant à l’extrême la
conséquence logique de leur argumentation : supprimer « la Parisienne ».
 La modalité exclamative : Elle ponctue la fin des 1er, 2ème et dernier
paragraphes. Dans les deux premiers cas, elle souligne l’éloge adressé par
Maupassant à ces Parisiennes séductrices. La dernière renforce l’ironie finale
qui, par une hypothèse absurde, ridiculise l’adversaire.
 La modalité interrogative : Elle domine l’ensemble du texte.
- Dans les deux premiers paragraphes, les questions sont destinées au lecteur,
ainsi appelé à réagir, et pris à témoin, auquel Maupassant s’associe d’ailleurs par
le pronom « nous ». Deux de ces questions rhétoriques restent ouvertes, « Est-ce
vrai, cela ? » et « Que dirions-nous…? », mais les autres sont négatives, impliquant
une réponse affirmative, donc obligeant le lecteur à adhérer à l’opinion de
Maupassant.
- Dans le dernier paragraphe, deux questions rhétoriques, « vous voulez »,
familières puisque sans inversion du sujet et du verbe, sont adressées à ses
adversaires, pour souligner leur manque de logique.
QUESTION 2 : Les choix lexicaux
Et vous prétendez, moralistes stupides, que tous ces frais soient dépensés en pure perte. Vous voulez que
ces femmes donnent tous leurs soins, toute leur intelligence, tous leurs efforts à l'art de plaire, et cela pour
rien ? Vous voulez qu'elles nous affolent d'amour sans jamais perdre leur sang-froid, sans jamais céder à nos
obsessions, sans jamais tomber dans nos bras désespérément tendus ? [ Mais, brutes que vous êtes, ô
prêcheurs de fidélité matrimoniale, alors il faut supprimer du monde la Parisienne telle que l'a faite la civilisation,
et n'admettre que la femme du foyer, la femme toujours occupée des soins du ménage, toujours chez elle à
laver les enfants, à compter le linge, et simplement vêtue et modeste comme une oie. ]
Ce serait plaisant, assurément, une société qui n'aurait point d'autres femmes !
 Un réseau de négations parcourt ce passage. Elles marquent la volonté des
adversaires de Maupassant de refuser à la femme le droit à l’adultère : la
femme ne doit « rien » faire d’immoral, ne « jamais » céder aux avances des
séducteurs. La dernière négation, restrictive, limite son rôle à celui de « femme du
foyer ».
 Le lexique péjoratif vise les adversaires, ici quasiment insultés : « moralistes
stupides », « brutes ». Le verbe « prétendez » permet à l’auteur de dénoncer par
avance l’opinion adverse : il sous-entend par là que l’affirmation est fausse.
 Deux adverbes marquent l’implication de Maupassant, et sont chargés
d’ironie. Le premier représente, de façon comique, l’écrivain, et ses partisans,
plongés « désespérément » dans la frustration devant les refus des femmes. Le
dernier renforce son jugement ironique final, déjà souligné par l’exclamation.

Champ lexical Lexique péjoratif Implication de l’auteur


-[ Elle est Parisienne. C'est-à-dire qu'elle doit être la séductrice, la charmeuse, la mangeuse de cœurs ; que
son rôle, son seul rôle, sa seule ambition de mondaine doit consister à plaire, à être jolie, adorable, enviée
des femmes, idolâtrée des hommes, de tous les hommes ! ]
- [ Tous les artifices de la toilette, toutes les ruses de la beauté, toutes les habiletés de la mode, ne les
considérons-nous pas comme légitimes ? ] supprimer
- [ Mais, brutes que vous êtes, ô prêcheurs de fidélité matrimoniale, alors il faut supprimer du monde la
Parisienne telle que l'a faite la civilisation, et n'admettre que la femme du foyer, la femme toujours occupée
des soins du ménage, toujours chez elle à laver les enfants, à compter le linge, et simplement vêtue et
modeste comme une oie. ]

 Dans le 1er passage : On note le contraste entre la brièveté de la 1ère phrase,


qui pose le mot-clé avec la majuscule, « Parisienne », et le rythme oratoire de la 2nde ,
d’abord binaire, avec les 2 subordonnées (« qu’…que… ») et les 2 infinitifs (« à plaire…
à être… »), puis ternaire, avec les expressions soulignées. Ce rythme explicite, mais
surtout amplifie, l’image de cette « Parisienne » séductrice.
 Dans le 2nd passage : La phrase est construite sur une antéposition, car le
triple complément d’objet précède le verbe principal, « considérons », en étant ensuite
repris par le pronom personnel « les ». C’est une façon de souligner les procédés de
séduction mis en œuvre par la « Parisienne ».
 Dans le 3ème passage : Cette phrase est construite sur un rythme binaire,
avec 2 infinitifs antithétiques (« supprimer »/« admettre »), puis la répétition de
« femme » et de « toujours », enfin à nouveau 2 infinitifs compléments (« à laver… à
compter… ») et 2 adjectifs coordonnés : « et… vêtue et modeste ».
La voici mariée, c'est-à-dire lâchée dans les salons. Et maintenant, d'après nos lois, nos usages, nos
règles, il lui est permis d'être coquette, élégante, entourée, adulée, aimée. Elle est femme du monde.
Elle est Parisienne. C'est-à-dire qu'elle doit être la séductrice, la charmeuse, la mangeuse de cœurs ;
que son rôle, son seul rôle, sa seule ambition de mondaine doit consister à plaire, à être jolie,
adorable, enviée des femmes, idolâtrée des hommes, de tous les hommes !
Est-ce vrai, cela ? N'est-ce pas le devoir d'une femme de nous troubler ? Tous les artifices de la
toilette, toutes les ruses de la beauté, toutes les habiletés de la mode, ne les considérons-nous pas
comme légitimes ? Que dirions-nous d'une Parisienne qui ne chercherait point à être la plus belle, la plus
adorée ? Ne sommes-nous pas fiers d'elles, même sans être leurs maris ? Nous vantons leurs toilettes,
nous célébrons leur grâce, nous louons leur coquetterie !
Et vous prétendez, moralistes stupides, que tous ces frais soient dépensés en pure perte. Vous
voulez que ces femmes donnent tous leurs soins, toute leur intelligence, tous leurs efforts à l'art de
plaire, et cela pour rien ? Vous voulez qu'elles nous affolent d'amour sans jamais perdre leur sang-
froid, sans jamais céder à nos obsessions, sans jamais tomber dans nos bras désespérément
tendus ? Mais, brutes que vous êtes, ô prêcheurs de fidélité matrimoniale, alors il faut supprimer du
monde la Parisienne telle que l'a faite la civilisation, et n'admettre que la femme du foyer, la femme
toujours occupée des soins du ménage, toujours chez elle à laver les enfants, à compter le linge, et
simplement vêtue et modeste comme une oie.
Ce serait plaisant, assurément, une société qui n'aurait point d'autres femmes !

Figures par opposition

Figures par amplification Figures par analogie


Ce passage présente trois catégories de figures de style :
 Les figures par analogie :
• On note une comparaison péjorative, à la fin du passage, « comme une oie »,
révèle le mépris de Maupassant pour la « femme du foyer ». Cette animalisation
souligne à la fois son innocence morale, mais aussi, traditionnellement, la bêtise.
• Cette comparaison répond à la métaphore, « ô prêcheurs », elle aussi
péjorative, qui assimile les adversaires de Maupassant aux partisans d’une
religion, voulant guider leurs fidèles vers la morale, en suggérant que leurs sermons
sont longs et ennuyeux.
• Les deux autres métaphores concernent la « Parisienne ». Déjà le participe
« lâchée » nous laisse imaginer une sorte de bête fauve, de lionne, ou d’oiseau de
proie qui, après avoir été longtemps en cage, serait laissée libre dans une foule.
Puis une autre métaphore joue sur le double sens du mot « frais », associé à
« dépensés ». D’un côté, le mot est à prendre au sens propre : les « toilettes », la
« coquetterie » féminine coûtent cher… Mais, de l’autre côté, il s’agit aussi de tous
les efforts que font les Parisiennes pour séduire d’éventuels amants : tout se passe
comme s’il leur fallait à tout prix présenter une vitrine élégante pour mieux se
vendre…
 Les figures par amplification :
Ce sont les plus nombreuses dans ce texte, construit sur des séries de
gradations.
 La plupart permet d’insister sur la séduction des femmes, et tous les moyens qu’elles
mettent en œuvre pour plaire.
 Deux d’entre elles renvoient, au contraire, à un pronom « nous » qui englobe
Maupassant, ses partisans, « nous vantons… nous célébrons… nous louons… », et
même la société parisienne dont ses adversaires sont exclus : « nos lois, nos usages,
nos règles ». Il s’agit, pour l’écrivain, d’amener les lecteurs à se reconnaître dans ce
« nous ».
Certaines d’entre elles sont renforcées par une anaphore. La reprise de « Vous
voulez » insiste sur l’interpellation des adversaires, chacun de ses verbes
introduisant lui-même une anaphore.
 La première (« tout… toutes… toutes… ») souligne l’ampleur des efforts déployés
par les Parisiennes pour séduire, correspondant à leur nature même.
 La seconde, répétition de « sans jamais », s’oppose à la première. Cette formule
négative met en valeur les interdictions faites par les moralistes, les adversaires de
Maupassant.
Maupassant montre donc l’absence de logique d’une société qui permettrait aux
femmes de plaire, mais viendrait ensuite leur interdire de cueillir les fruits de leur
séduction. D’où le titre de cet essai, « Le Dilemme ».
 Les figures par opposition :
Une seule accentue la conclusion du passage. Les analyses précédentes sur
ce passage nous permettent d’identifier l’ironie par antiphrase, critique
adressée par Maupassant à ses adversaires.
- L’emploi du conditionnel montre, en effet, qu’il s’agit là d’une hypothèse :
« ce serait… qui n’aurait point »… Elle correspond, en fait, à l’opinion
adverse, qui juge immoral qu’une femme mariée puisse chercher à séduire :
ces « femmes » seraient celles qui se consacreraient uniquement à leur
« foyer ».
- Mais tout le texte met en place un double mouvement dans l’argumentation
de Maupassant :
• un éloge de la femme séductrice, de sa « grâce »…
• un blâme de la « femme du foyer », comparée à « une oie ».
On comprend alors que le terme « plaisant » vient contredire son opinion.
Maupassant ne juge « assurément » pas « plaisant » que les Parisiennes
renoncent à toute coquetterie, pour adopter une tenue « modeste », qu’elles
renoncent à briller dans la vie mondaine, et qu’elles se refusent aux hommes
qui cherchent à les conquérir. N’oublions pas d’ailleurs que cet écrivain fut lui-
même un grand amateur de femmes !

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