Je hais Octave Mirbeau. Je hais ses histoires, ses
personnages, ses convictions, ses combats, ses mots. Parce que ce sont des histoires cruelles et maculées de boues, où les héros se débattent, sont rarement heureux, perdent toujours, l’âme broyée, le cœur en poussière. Et sa pensée est corrosive, létale comme le suc du mancenillier. Et sa croisade est violente, implacable, sans concessions, appelant à l’émeute, à l’anarchie même. Et ses mots brûlent. Oh, comme ils brûlent et giflent ! N’épargnant rien, ne saluant personne, ils ne se complaisent à aucune mollesse, ils ne donnent à mordre que la vérité, l’amère vérité qui persiste comme un poison sur la langue et dans le souvenir, et les blessures qu’ils causent sont pareilles à celles du fil de fer barbelé, atroces, hideuses, inguérissables. A-t-il eu peur ? A-t-il seulement tremblé ? Il a craché sa révolte sur le monde pour le chambarder, il a fustigé avec du feu tout ce qu’il refusait, il s’est vautré dans l’horrible, cet horrible qui est le réel, chaud, frémissant comme un renard qu’on vient de tuer et qui rougeoie encore, et il nous a barbouillés de son sang, et c’est définitif, et c’est indélébile. Mirbeau, c’est la hache qui fend notre inertie de haut en bas, la bombe qui fait exploser nos lâchetés, le chaudron qui déborde d’une colère intarissable et douloureuse, se nourrissant de la veulerie humaine, ne nous trouvant aucune excuse, et hurlant sans fin contre tout, contre tous, mouchant toutes les étoiles. On respire Mirbeau, et c’est des puanteurs d’abattoir, des parfums de cocottes, des effluves poivrés de bourgeoisie à coller la migraine. 2
On mange Mirbeau, et c’est de la viande, que de la
viande à canon, qui envoie dans nos muscles et notre cerveau tout le sang nécessaire à la bonne vie. On entend Mirbeau, et il y a des cris par-dessus les campagnes, des plaintes sourdant des villes comme une eau sale, des larmes muettes dévorées par les rejetés, les rafalés, les proies de la froide machine sociale. Et, finalement, on voit ce qu’il nous montre, qui nous crève les yeux, dame, on ne peut faire autrement que de voir sa réalité, notre réalité, de souffrance, d’iniquités et de crime, pleine de créatures chargées de tares jusqu’à la caricature, jusqu’au détail déchirant et inattendu qui nous oblige à comprendre que nous sommes tous un peu, beaucoup, passionnément, ceux qu’il décrit sans même les juger. Oui, l’abbé Jules s’exaspère en nous, Sébastien Roch pleure au fond de nous, et Clara qui nous fascine, et Dingo, sauvage et libre, qui dort près de nous après avoir semé la mort. Il ne nous reste plus qu’à plonger les mains dans le charnier. Au pire, on y coulera, on ira féconder de notre sang la terre du jardin des supplices, et les fleurs y pousseront plus belles, leurs couleurs chatoieront davantage, on ne pourra que nous remercier. Mais si on est fort, on en émergera encore plus fort. Plus capables de survivre à ce que nous avons nous-mêmes créé, plus forts pour résister au noir entonnoir de la surconsommation, pour lutter contre ce qui nous écrase, la course au pouvoir, la malbouffe de pauvres, salauds de pauvres, la nature assassinée, la bêtise, la paresse – et combien de guerres a-t-il fallu pour en arriver là ? Et combien d’éléphants morts, d’avancées technologiques, d’additifs alimentaires, de progrès médicaux, d’Internet et de Secret Story ? Peut-être, en effet, serai-je plus forte de tous les mots d’Octave Mirbeau fichés dans ma chair comme des millions d’épingles, peut-être aurai-je envie un jour de lever une barricade, de combattre, de collaborer à cette société fraternelle, intelligente et humaine dont il rêvait. Ou peut- 3
être, tellement dégoûtée, tellement désespérée de mon
prochain, aurai-je acquis, grâce à lui, la force de ne rien faire du tout pour l’humanité.
Parce que ça fait parfois si mal, Mirbeau, qu’on ne s’en
remet pas, ou pas bien, que l’on garde des séquelles de son pessimisme, de son tourment, de ses mots à lacérer les armures, à laisser pantelant et noyé de larmes sur le bord de la vie. Alors, oui, je hais Octave Mirbeau. Je le hais d’avoir tout senti, tout prévu, tout compris et que cela n’ait servi à rien – que rien n’a changé. Je le hais de m’avoir rouée de coups. Je le hais de toute cette lave rouge et furieuse qu’il a versée en moi pour toujours. Je le hais surtout d’être ce soleil au baiser étincelant, cuisant, immortel. Et je le hais plus encore de ne jamais pouvoir lui pardonner d’avoir raison. Anne DECKERS
Karol Cytrowski, L'Abbé Jules D'octave Mirbeau en Tant Qu'exemple de L'influence de Fiodor Dostoïevski Sur Le Roman Français de La 2e Moitié Du XIXe Siècle
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