Vous êtes sur la page 1sur 93

NIVEAUX DE IANGAGE DANS VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

Louis Robitaille

Niveaux de langage dans Voyage au bout de la nuit

de
L.-F. Céline

Thèse de M.A.

Département de langue et
littérature françaises

RESUME

Le premier roman de Céline pose un épineux problème de style que

les critiques ont généralement résulu de facon peu satisfaisante: ils


ont choisi de parler de "foisonnement de styles". En réalité, le Voyage

possède ~ style bien défini, caractérisé par un jeu de discordance sur


les différents niveaux du langage français: ce jeu s'exerce jusque dans
des unités minimales d'énoncé.

Le premier chapitre de ce travail rappelle les opinions for.mulées


~ar les critiques à propos du style de VOyage au bout de la nuit et montre
L'obstacle auquel ces derniers se sont heurtés. Le deuxième chapitre expo-

se une théorie succincte des niveaux de langage. Enfin, le troisième cha-

pitre s'attache à relever, dans 1e Voyage, des phrases (ou des syntagmes)
dont la composition interne révè1e une discordance de niveaux de langage.

Ainsi croit-on prouver que ce jeu sur les niveaux de langage constitue
l'essence même du sty1e du Voyage.
~IVEAUX DE LANGAGE

'dans
VOYAGE AU EOUT DE LA NUIT
,de

T...-F. CELINE

Louis Robitaille

Mars 1972

A Thesis Submitted to the Faculty of Graduate Studies


and Research in Partial Fulfillment
of the Requirements for the Degree
of Master of Arts

Département de langue et
littérature françaises
McGill University
Montréal, Québec

@) Louis Robitaille 1972


" En vérité mon apport aux lettres françaises
a été je crois ceci, on le reconnattra plus
tard rendre le langage français écrit plus
sensible, plus émotif, le désacadémiser - et
ceci par le truc qui. consiste (moins facile
qU'il '7 paratt) en un monologue d'intimité
parlé mais TRANSPOSJS - Cette transposition
immédiate spont.anée voilà le truc -

" ( ••• ) j'aurais voulu qu'on ret.l'Ouve dans


les mots le chant de l'âme - ( ••• )

" n faut s'enfoncer dans ·le eystkne nerveux,


dans l'~tion et '7 demeurer jusqu'A l'arri-
vé" au but. - transposer le parl~ en écrit
n'est pas cc.mmode - ( ••• )

IfLe truc consiste à imprimer au langage


parlé une certaine déformation de telle
sorte qU'une fois écrit, A la lecture, n.
SEMBLE au lecteur qU'on lui parle à l'oreil-
le - Mais le langage parlé réel sténographie
ne dorme pas du tout en réalité cette impres-
sion (voir diSCOurs') Cette distortion est
... )
en vérité lm petit tour de force harmonique -
(

" Resensibiliser la langue, qU'elle palpite


plus gu' elle ne raisorme - TEL FUT MON BUT "

L.-F. Céline, Lettre à Milton Hindus,


15 mai 1947
TABLE DES MATIERES

pages

INTRODUCTION • .... .. ·. 1

CHAPITRE PREMIER La critique de Voyage au bout de 4


la nuit. • • • ••• • • •

CHAPITRE DEUXIEME Niveaux de langage • • • • • ·. 21

CHAPITRE TROISIEME - Discordances de niveaux de langage 50


dans le Voyage ••••••

CONCLUSION • • • • • ·.. .. 75

BIBLIOGRAPHIE ·... 79

NOTES. .. .... ·.. 82


INTRODUCTION
2

que la langue française comport-e plusieurs niveaux distincts, on


admettra aussi facilement que le style de Céline puisse se définir
précisément en tant que travail sur les différents niveaux du lan-
gage.

A la vérité, les critiques n'ont pas manqué de constater la


coe:x:i..stence, dans Voyage au bout de la nuit, de niveaux de langage
hétérog~nes: d'un paragraphe ?i l'autre, ou parfois ~me d'une

phrase ?i l' autre, le style peut passer du "populaire" vulgaire au


"littéraire" le plus recherché. La présence de ces divers nivea.ux
produit naturellement des effets de discordance, et cette constante
rupture de l'unité du style (trait év:ident ?i la lecture de l'oeuvre)
constitue sans aucun doute un caract~re fondamental du Voyage. Ce
phénom~ne assez particulier ad' ailleurs déconcerté (agacé) plus d'un
critique.

Et pourtant, un examen plus attentif du texte de Céline per-

met l'observation suivante: au-del?i (ou plutôt en-deç?i) des dis cor-
dancesissues de la juxtaposition de paragraphes ou de phrases rédi-
gés selon le code de niveaux différents, il s~op~re un jeu de niveaux,

p1us subtil encore, ?i l'intérieur ~me d'énoncés pratiquement réduits


au minimum (par rapport ?i l'ensemble du discours). Autrement dit,
on peut déceler des discordances de niveaux de langage au sein d'une
seule phrase, d'un seuJ. syntagme. Il va sans dire que ce désaccord

ne saurait se produire ?i chaque phrase du Voyage: au contraire, on


y découvre infiniment plus de phrases construites en accord avec un
3

niveau unique que de "phrases ~ discordance :interne". Mais si l'on


parvient ~ prouver que le phénom~ne se manifeste fréquemment et selon
des normes objectives, on aura confirmé ipso facto le caract~re d'u-
biquité du langage cél.inien. Céline écrirait donc selon un style
"polyvaJ.ent"; c"est dans l. 'équivoque que son style se constitue.

Pour accepter cette conclusion, il faut évidemment se défaire du


préjugé stylistique évoqué pl.us haut. Dans le premier chapitre de ce
travail, consacré b. la critique de Voyage au bout de la nuit, on verra
comment l.es critiques se sont continuel.lement heurtés ~ l'obstacle de
ce préjugé et comm~nt ils ont toujours refusé de définir l.e style de
Cél.ine par son ambivaJ.ence.

Le deuxi~me chapitre portera sur la question généraJ.e des ni-


veaux de langage; enfin, dans le dernier chapitre, on donnera un compte-
rendu sommaire des discordances de niveaux de langage relevées dans
Voyage au bout de la nui.t.
CHAPITRE PREMIER

LA CRITIQUE
de
VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT
5

On sait. que, dès sa publicat.ion, le Voyage au bout. de la nuit


remporta \m grand succès de librairie et. qu'il faillit. recevoir le
prix Goncourt, pour se cont.enter finalement. du plus modest.e Renaudot.
Les juges de l'Académie Goncourt reculèrent. devant. la possibilit.é de
couronner \me oeuvre ~ la langue aussi peu convent.ionnelle. Il va
sans dire que cet.t.e hésitat.ion se manifest.a également. dans les juge-
ment.s qu'émirent. les différent.s crit.iques chargés de la "Chronique
des livres" des périodiques: comment. approuver \m roman qui rompait si
brutalement. avec la grande t.radition française du -"style litt.éraire"?
En réalit.é,le livre de Céline const.it.uait. \me vérit.able pierre

d'achoppement.: DIl admira, ou alors on condanma vigoureusement. Il


est. intéressant. d'ailleurs de noter o.ue le vocabulaire des articles
désapprobat.eurs relevait. passablement. du st.yle d'un réquisit.oire d'a-
vocat général: il s'agissait. vraiment. d'obt.enir la mise ~ mort d'\m
criminel, coupable d'avoir t.ransgressé \m ordre, celui du langage dit.
1it.t.éraire. C'est. ainsi que, selon le'- crit.ique ou la revue, Céline
fut. t.our ~ t.our acclamé ou voué aux gémonies.

On trouve donc ~ \m ext~me des protestations franchement idéo-


logiques de conservateurs indignés, dont l'article de François Le
Grixl s'avère le protot.ype: d'après ce journaliste manifestement peu
rompu ~ la pratique de la nuance~gouvernement mieux éclairé que
celui de l'époque aurait tout bonnement interdit la sortie du roman de
Céline. F. Le Grix déplore le succès de cette oeuvre inqualifiable
6

~ en passe de battre les records de vente de Maria Chapdelaine! -,

moins d'un an aprês celui de L'Amant de Lady Chatterley ••• Passons.

Tous ces articles consacrés au Voyage et publiés au moment

même de sa parution ne nous concernent que dans la mesure où ils

s'intéressent au langage employé par l'auteur. Or nous constaterons

qu'il existe un consensus ~ ce sujet entre tous les critiques, indé-

pendamment de leur jugement général sur l'oeuvre.

Dans la Revue des Deux Mondes, André Chaumeix exprime sa dé-

sapprobation face ~ ce roman qui, d'après lui, se donne pour ce qu'il

n'est pas:

Le premier défaut de ce livre est de nous induire


en erreur. Le titre: Voyage au bout de la nuit,
est lyrique, et il nous conduit ~ des étendues
fétides. Six cent vingt pages dont beaucoup sont
orduriêres. Tantôt écrit par un bourgeois, tantôt
pensé par un proléËaire, ce livre déconcerte par
un langage qui est ici de l'argot, l~ du vocabu-
laire populaire, ailleurs du style à formules
cherchées. 2

On pourrait facilement opposer au reproche de Chaumeix un passage

du Voyage même où Céline écrit que la laideur serait un-genre d'art

particulier qui se cultive aussi bien que la beauté;3 mais il ne

s'agit pas de cela ~ présent. Retenons seulement cette expression,

un "langage qui déconcerte" parce qu'insaisissable: langue populaire,

argotique ou littéraire?

Au Mercure de France~ 30hn Charpentier se contente d'une remarque


laconique sur le langage de Bardamu: "Personnage fort débraillé dans
7

ses propos". Une personne déb~ée, c'est une personne dont la

tenue vestimentaire laisse 'à désirer: complet veston, mais pantaJ.on

"en accordéon"; cravate, mais noeud défait. Ainsi, l'observation


du chroniqueur. du Mercure ne nous apporterait rien, si elle ne mettait
l'accent sur le désordre du 1angage de Céline. Henri Martine au , dans
Le Divan, p~te 'à 1'auteur du Voyage- de bien mauvaises intentions:

"En haine de la littérature M. Céline écrit en jargon, et ~me dans


un jargon tr~s prétentieux"~ H. Mart:i.neau aurait probablement été
fort embarassé si on lui avait demandé de préciser en quoi consiste
un jargon prétentieux, le terme figurant ici sous son sens péjoratif
(i.e. "langue incompréhensible"), et non sous son sens ex"c,ensif de
vocabulaire spéciaJ.isé, comme on dit: "le jargon des médecins". In-
capable de caractériser le style de Céline, Martineau en soulitJne

l'équivoque 'à seule fin de la lui reprocher; néanmoins, i l tient pour


certain que cette 1angue n'a rien de 1ittéraire puisque, selon lui,

e11e constitue un défi à la "littérature".

A la lmevue de Paris, dans un article paradoxaJ.ement tr~s pers-


picace mais peu ouvert, Henry Bidou s' offusque de l' ambi guité du
langage de Voyage au bout de la nuit:
On ne sait dans quel langage le roman est écrit.
,Le personnage, qui parle, et qui.. se nomme Bardamu,
emploie tantet un langage popuJ.aire, que personne
n'a jamais parlé et qui. est aus.si faux que le pa-
tois de théatre du XV'llle si~cle, - et tantet un
langage purement littéraire. Quelquefois les deux
façons de par1er .sont bizarrement juxtaposées. A-
pr~s des "Moi j'avais jamais rien dit" et des
"Qu'il me dit" et des ''M~me que je m'en souviens",
8

Qn 1it avec étonnement: "Fiers al.ors d'avoir


:f<üt sonner ces vérités utiles ••• " Le ~me
Bardamu tant~t bégaie comme illettré et tan-
tet comme un mauv<üs instituteur: "A 1 'ombre
des journaux dé1irants d'appe1s aux sacri:rices
uJ.times et patriotiques, 1a vie strictement
mesurée, :farcie de prévoyance, continu<üt ••• "
Quand i1 transcrit 1es paro1es d'un médecin,
il 1ui emprunte son sty1e. Quand il parle
peup1e, il 1e :fait dogc expr~s? Tout ce1a
est assez incohérent9

Si 1e ton désapprobateur de ces 1ignes nous semb1e un peu ridicuJ.e


aujourd'hui, il n'en demeure pas moins que 1es remarques de M. Bidou
sont tr~s intéressantes parce qu'e11es souJ.ignent deux :faits mal. per-

çus: sinon ignorés par 1es autres critiques. Primo, il Y a non seuJ.ement
coexistence de 1angages radical.ement di:f:férents dans l' oeuvre, mais en-
core et surtout juxtaposition immédiate de ces 1angages opposés, d'ob un
e:f:fet des p1us "bizarres"; on touche vraiment ici à 1a notion de discor-
.à...ance. Secundo, 1a 1angue popuJ.<Üre de Cé1ine est purement arti:ficielle.
En re1evant cette caract.éristique comme un dé:faut, H. Bidou attire invo-

10ntairement notre attention sur 1'impossibilité de retrouver une 1angue


par1ée - popul.<Üre ou autre - dans un texte écrit: en e:f:fet, 1es gens
n'ont jamais par1é comme on écrit. Toute tentative d'imitation en ce
sens se borne nécessairement à 1a re-création de 1'e:f:fet de 1a communi-
cation par1ée, à l' aide d'é1éments appartenant à 1a seuJ.e réa1.ité l.inguis-
tique, c'est-à-dire à une réa1.ité :fort app:auvrie par rapport à celle de 1a

communication ora1.e*. Bre:f, Henry Bidou signa1.e deux traits essentie1s

* Cette question de 1angue oral.e/1angue écrite sera étudiée uJ.térieu-


rement.
9

du langage de Céline; mais il n'y voit qu'incohérence •••

C'est Paul Nizan qui, dans un compte-rendu paru dans L'Humanité,

s'aventure le plus loin vers une définition du style du Voyage. Il

n 'hésite pas ~ écrire que "la langue littéraire de Céline est une trans-

position du langage populaire parlé: mais il devient artificiel vers la

fin" • 7 Cette définition se signale par son attribution du statut de "lit-

térature" ~ une langue transposée de la populaire; mais elle ne tient pas

compte de ces passages de style recherché remarqués par tous les autres

critiques. P. Nizan se contente de parler de "l'artificiel" de cette

langue qui se manifeste seulement, d' apr~s lui, ~ la fin du roman. En

somme, cette définition - fausse parce que catégorique - nous démontre

par l'absurde l'impossibilité de classer le style de Céline dans une ca-

tégorie fermée.

Les opinions qui préc~dent ont été extraites d'articles défavo-

rables ~ Voyage au bout de la nuit. On aura remarqué qu'elles s'accordent

pour relever le caract~re ambigu du langage de ce roman: on ne sait

comment appeler ce langage (de fait, c'est bien ce dont la plupart

des critiques se plaignent) ou alors on le définit en tant qU'artifice.

C'est comme si la langue de Céline reposait sur un malentendu.

On verra que les articles favorables au Voyage s'en tiennent ~

de semblables observations. Le seul changement réside dans le ton: on

ne perçoit plus cette ambiguité comme un défaut. Dans la Revue de France,

Pierre Audiat déclare son admiration pour un roman qui, en quelque sorte,

brise les r~g1es du jeu (le jeu de la littérature, bien s1lr): "J e vous
10

dis que ce carabin du diable (~éline) a brouillé tous les jeux";

après avoir loué "l'invective remarquaole"de l'auteur, il conclut:

"M. Louis-Ferdinand Céline a violenté la littérature; bien d'autres

écrivains voudraient faire comme lui, mais ils n'osent ou ils ne


8
peuvent". En fait, cet article ne dit pas grand chose: il accen-

tue seulement le malentendu, puisqu'il qualifie le Voyage d'oeuvre

proprement littéraire, mais dont l'existence même constitue une agres-

sion contre la littérature •••

Dans la même revue, le chroniqueur Léon-Pierre Quint s'est

essayé ~ une caractérisation du style de Céline:

L'auteur a pris le style de la conversation


populaire, familière; il écrit littéralement
comme on parle, et comme on parle dans le
peuple. Pas d'argot, ou rarement.9

M. Quint a bien vu que la langue de Céline, dans le Voyage, n'a

pratiquement rien d'argotique; mais sa définition, encore plus res-

trictive que celle de P. Nazan, n'en est que plus erronnée. Il ne

relève aucunement la présence de nombreux éléments de style recher-

ché; pour lui, la langue du roman est franchement populaire. Cepen-

dant, cette définition est faible surtout parce qu'elle se fonde sur

la langue parlée: Céline écrit "littéralement comme on parle", c'est-

à-dire sans imitation, sans transposition. Comment peut-on préten-

dre assimiler de la sorte élocution et écriture ~ une réalité unique?

Au fond, L. -P. Quint nous propose une caractérisation superficielle.


11

Enfin, on doit ~ MarceJ Arland un assez long article paru ~ la

N.R.F., dans lequel il s'efforce de justifier les "anomalies" de Voya-

ge au bout de la nuit: "langue, accent, composition, outrances et

défauts mélmes tout ici sert le dessein de M. Céline" .10 "Complice"

de ses personnages, l'auteur chercherait sur quo;i. "eux et lui peuvent

prendre pied";.

C'est ce qui justifie cette langue, qu'il com-


pose de termes d'argot (dont beaucoup n'ont plus
cours) et de phrases littéraires, langue méllée
de carabin, de concierge, de souteneur et d'hom-
me de lettres, langue élaborée selon le rythme
du livre, recherche, appel, obstination, décou-
ragement, éloquente et qui a honte de son élo-
quence, bavardage mécanique d~s qu'elle n'est
plus soutenue par les faits ou par la passion
de l'auteur, langue de ralliement. Car la pre-
mi~re chose ~ laquelle se raccrochent ces hom-
mes perdus, c'est cette langue, qui leur permet,
tremblants de peur et de solitude, de se prendre
pour auditeurs et de se raconter leur histoire,
avec des gestes, des exclamations, des jurons,
avec ces répétitions et ces phrases sentencieu-
ses où un homme indécis trouve sa seule assuran-
ce, avec, encore, derri~re tout cela, un sens
comique,· forcené et ricanant.ll

M. Arland tient surtout ~ expliquer le fondement psychologique de

la langue de Bardamu (Bardamu n'étant justement pas Céline); ce

faisant, il en dégage d'ailleurs une caractéristique primordiale,

~ savoir son profond cynisme. Mais, aussi juste que soit cette expli-

cation, elle repose avant tout sur une intuition. En ce qui concerne

la composition formelle de langage de Céline, M. Arland en énum~re toutes

les facettes: en somme, comme les autres critiques, il en arrive ~ un

constat de confusion des langages; il souligne également le paradoxe

"littérature - négation de la littérature" de cette langue ("éloquente


12

et qui a honte de son éloquence") "-

On pourrait sans doute poursuivre ce panorama des diverses réac-


(
tions de la critique "journalistique" ~ la parution de Voyage au bout

de la nuit. Mais cet expm~é deviendrait vite insupportablement fas-

tidieux, et surtout parfaitement inutile. Nous savons maintenant


qu'aucun critique n'est parvenu ~ figer le style de Céline en une for-

mule exhaustive et qu'ils se sont refusé ~ caractériser le style de ce

roman par son ubi9.,uité, c' est-~-dire par l ' ambi\aJeme d'un, langage qui.

se situe simultanément ~ différents niveaux. Ce refus s'explique par


l'habitude, en stylistique traditionnelle, de définir le style comme

un travail sur une langue donnée, fermée sur elle~me: la langue re-
cherchée.

Probablement ~ cause de la conspiration du silence qui a entouré


Céline apr~s la guerre, on trouve relativement peu d'études consacrées

'à cet auteur. En ce qui concerne son style, il faut la plupart du

temps se contenter d'un ou deux paragraphes insérés - souvent acces-


soirement dans une étude portant ph. '-at sur les idées de ses oeuvres.

On dirait que la gigantesque polémique sur le Céline antisémite, Céline

"collaborateur", a étouffé presque tout inté~t pour la langue de l'é-

crivain.

Pourtant il est possible de lire ici et l~ des remarques qui

confinnent la "dualité", sinon la "multiplicité", du langage de Céline.


Pierre de Boisdeffre voit en l'auteur du Voyage un éloquent "témoin
1.3

- obsédé mais irrécusable - des malheurs de notre temps"; quant

au style de l'écrivain, il oscille d'un "langage souvent ordurier",

d'un "goût de l'insulte èt de la provocation", jusquO~"des ruses

na!vement littéra~res".12 Manifestement, Boisdeffre ne voit qu'un


mélange incohérent dans la langue de Céline; il est intéressant

toutefois de noter qu'il hésite ~ la qualifier de littéraire: tout

au plus consent-il ~ lui accorder une valeur de "tentative" de lit-

térature. Ce faisant, il accentue l'ambiguité de cette langue qui,

d'après lui, "s'essaierait na!vement" ~ la littérature. Autrement

dit, Céline aurait, dans le Voyage, réussi ~ composer un langage

antinomique: non-littérature versus littérature. Une fois encore,

on doit se rendre compte du manque de profondeur d'une pareille consi-

dération.

Dans son Histoire d'une langue: le français, Marcel Cohen cite

Céline ~ titre d'exemple d'une dualité, celle de la vulgarité et de

la distinction:

Dans ces ouvrages ~ la première personne


(Voyage, Mort â crédit), il y a un curieux
mélange; on est frappé tout d'abord par
les phrases de style de conversation ~ mots
grossiers et â syntaxe vulgaire C••• ); mais
si on regarde de plus près, on trouve beau-
coup d'éléments de style distingué écrit. 13

Cette explication offre une fois de plus le désavantage de se

fonder sur l'opposition langue parlée, langue écrite. On ne saurait

d'ailleurs accepter son contenu implicite, ~ savoir que le style de


la conversation est celui de ~a grossièreté tandis que le style de

l'écriture est celui de la distinction; en fait la vulgarité comme

le plus haut raffinement peuvent se signaler aussi bien dans une con-

versation que dans un texte écrit. L'observation de M. Cohen vaut

d'~tre rapportée parce qu'elle propose un intéress"'..nt schéma du lan-

gage célinien: une langue foncièrement populaire, parsemée d'éléments

littéraires isolés. Evidemment, cette analyse est beaucoup trop ra-

pide; cependant, elle suggère l'existence d'effets surprenants pro-

dui ts par la présence de "troubles-f~te distingués" au sein d'une,

langue d'un autre niveau.

Marcel Arland, on l'a vu, avait esquissé une explication psycho-

logique de la langue du Voyage, expression mal assurée des ~tres en proie

à la peur. D'autres critiques ont plutôt voulu démontrer l'existence

d'une émotion immanente au langage de Céline. Ainsi, Jean-Pierre

Richard écrit:

Faire "sautiller phrases et sentences, cara-


coler et tout, et rebondir vivantes tout
drôlement" (Voyage, p. 317), voilà, imité
du discours de la vieille Henrouille, l'idéal
du style célinien. Cet idéa.l, tout de cadence
et de verdeur, s'oppose aux plates complica~
tions du style moderne puisque la justesse
na1t pour Céline d'une émotion ( ••• ). 14

En d'autres termes, la langue du roman se construit sur un ton:

la langue se met au diapason de l'émotion. C'est bien ce que Céline

a toujours prétendu avoir réalisé. Cependant, indépendamment de la

finesse de cette interprétation, on voit assez facilement qu'elle


15

nous entra1ne sur le terrain glissant d'une métaphysique douteuse;

le tort de J.-P. Richard est de poser l'inhérence de l'émotion

au style de Céline sans justifier cette assertion A l'aide de faits

linguistiques observables. D'autre part, on peut se demander jus-

tement dans quelle mesure la remar~ue de Richard rend compte du

langage de Céline en tant que réalité linguistique: A la limite,


on préfère A sa méthode intuitive l'empirisme cynique d'Henri

Bidou.

Michel Eeaujour, dans un essai intitulé Temps et substances

dans Voyage au bout de la nuit, fait reposer la dualité du langage

célinien sur les deux pôles du bonheur et du malheur:

Style du bonheur où le narrateur, se lais-


sant aller A admirer, se perd de vue et
oublie de dédoubler la phrase par un rap-
pel où se gliss.~nt toujours l'ironie et le
désespoir; style du malheur, où les tics
linguistiques se donnent libre cours et
s'efforcent de mimer la déchéance commu-
ne. 15

On ne saurait prendre trop au sérieux l'opposition stylistique

bonheur - malheur observée par M. Eeaujour. Retenons simplement que,

pour lui comme pour M. Cohen, le style "naturel" de Céline est celui

de la langue populaire; de cette façon les passages de style litté-

raire apparaissent comme des "oublis".

Ce court panorama des différentes idées exprimées par la criti-

que au sujet du langage de Voyage au bout de la nuit suffit amplement

A nous convaincre que rien de vraiment solide n'en a été dit. Certes,
l6

quelques critiques ont procédé A un examen passablement perspicace àe

la langue de Céline; ainsi ont-ils pu rassembler les différents

éléments cons·ti tutifs de cette langue. Malheureusement, ils ont alors

présenté ces éléments non pas comme un ensemble cohérent, mais comme

une série discontinue de caractères opposés qui ne parviendrait jus-

tement pas A former un tout intégré; ils sont impuissants ~ sàisir

le langage célinien dans sa totalité puisque, pour eux, une langue

ne fonctionne que selon un seul niveau ~ la fois,dans un système

bien étanche. Certains ont voulu résoudre ces contradictiai du lan-

gage de Céline; mais on sent assez que cette explication appartient

~ la catégorie de celles qui n'e:1fpliquent rien. Ce qui fait que nous

restons sans définition précise du style du Voyage. Soit que les

critiques applaudissent, soit qu'ils désapprouvent (en s'avouant

"déconcertés lt ) , de toute façon ils nous laissent dans le vague:

dualité, ambivalence, ambiguité, confusion ou juxtaposition de lan-

gues opposées, telles sont leurs conclusions. En un mot, ils

refusent de donner le nom de style A ce qui n'est A leurs yeux qu'un

"foisonnement de styles".

Il convient ~ présent de rapporter une théorie assez originale

sur le langage de Céline, proposée par Jean Guénot dans un article

intitulé VOlage au bout de la parole. A partir d'enregistrements

sur ruban magnétique d'un entretien avec le docteur DestOUChes,

J. Guénot dégage certaines unités de la parole de Céline. Premiè-

rement, les silences: de dérive ("tandis qu'il se déroule, Céline

change de route lt ) ou de reprise (Q'Celine continue son chemin et on


:~'
17

, ùe retrouve un peu plus lo~n"); deuxiêmement, les groupes creux (C'est-


'-
à-dire des charniêres du type "mon vieux", "n'est-ce pas?) de dérive ou

de reprise; enfin troisiêmement, les groupes pleins: a) reliés, de

dérive ("où le sens bifurque") ou de reprise ("où le sens se complête"»)-

et b) isolables (c'est-à-dire toute proposition qui a un sens en elle-

même)~6 Aprês avoir exposé ces unités, Guénot postule leur utilité en

tant qu' "état préalable du texte célinien ":

Pour moi, il y a parenté entre la parole de


Céline et des livres de Céline, non point
que l'expression en soit celle de la parole
(les livres nous parviennent selon le code
de l'impression; leur durée est écrite, récu-
pérable, et peut être recréée dans son identité)
mais parce qu'elle est structurée afin d'en
donner l'impression. Céline n'écrit pas de
la parole, mais son style donne au lecteur
le sentiment d'entendre un homme qui parle.
C'est tout autre chose. 17

Laissons J. Guénot poursuivre sa théorie avant de la critiquer.

A l'aide des unités qu'il vient de dégager et en se fondant sur son

postulat, il croit trouver trois niveaux de style dans la conversa-

tion qu'il a enregistrée: "ils.se hiérarchisent selon une plus ou

moins grande proximité avec la parole". Il y aura donc d'abord le

niveau de la parole elle-même, caractérisée par une abondance de si-

lences et de groupes creux (de reprise ou de dérive, mais surtout

de dérive) et aussi par une três faible représentation des groupes

pleins. Suit le niveau de "l'écrit oralisé", où figurent des grou-

pes pleins reliés et isolables, mais surtout reliés; les phénomênes

de reprise sont maintenant plus nombreux que ceux de dérive. Enfin on

trouve le niveau de la langue écrite, langue "morte" faite de groupes

pleins isolables, qui se distingue du niveau 2 par la présence,


18

18
entre autres, de passés simp1es (on pourrait ajouter d'autres distincr

tions, comme l'emploi de !l2:!!§. plutat que .Q!l pour exprimer le sujet ~ la

premi~re personne du pluriel, et la présence de la particule ~ dans

la négation). D'apr~s Guénot, il y aurait moyen d'appliquer cette

grille de niveaux aux oeuvres de L.-F. Céline.

Que faut-il penser de cette théorie? On se doit de mentionner que

c'est la prend~re étude qui affirme explicitement que le style de Céline

est un jeu sur différents niveaux. Par a:ü.leurs, il n 'y a rien ~ redire

sur le schéma des 1.llrl.tés de la parole célinienne, - d'autant moins qu'on

ne dispose pas du matériel utilisé par Guénot. Cependant, quelques remar-

ques s'imposent. D'abord, d'un point de vue purement extérieur, on peut

douter sérieusement de la possibilité d'expliquer le langage de toutes les

oeuvres de Céline ~ l'aide d'une seule grille; si, a priori, le schéma

de Guénot peut sembler de quelque utilité dans l'étude de la langue de

D 'un ch~teau l'autre, il appara1.t par:f,aitement inutile ~ l'analyse de

Voyage au bout de la nuit, dans lequel le probl~me du langage est tout

autre.

En considérant la théorie de J. Guénot de l'intérieur, on dé couvre

un défaut plus grave encore: les niveaux de style sont définis par leur

place dans un continuum hypothétique langue écrite - langue parlée. A

l'occasion de certaines observations de critiques, on avait déj~_signa­

lé l'impossibilité de fonder l'étude d'un texte sur l'opposition entre

les langues parlée et écrite. La th~se de Guénot fait ressortir l'absur-

dité d'une telle position: son auteur nous fournit lui-m~me l'instrument
19

de sa rérutation lorsqu'il conS'bate (cf. supra) l'irrémédiable dif'réren-

ce entre le texte d'un livre et celui d'une conversation. Précisément,

il n'existe pas de texte d'une conversation car il est insaisissable par

dérinition, et inséparable de son contenu extra-linguistique. Peu im-

porte l'impression que veut rendre Céline, l'écrivain travaille ~ l'in-

térieur d'une langue écrite. J. Guénot souligne en un autre endroit cette

nécessité, quand :U parle de la difficulté de retranscrire J.a paroJ.e de

CéJ.ine:

Le texte parlé (sic) de Céline, soutenu par sa


présence, était vir et drôle. L'évocation qu'en
donne J.a bande magnétique conserve encore beau-
coup de cette dI'Olerie, car J.a J.angue parlée
transmet (par son intonation, son accentuation,
son rythme) sufrisamment de traits non-équivoques
pour que soit suggérée la situation extra-linguis-
tique~ Mais J.e texte écrit, avouons-le, est dif-
ricile ~ lire. 19

Ces phrases montrent bien J.a dégradation progressive de la paroJ.e

en quelque chose d'inintelligible, ~ mesure qu'eJ.le s'éloigne de son con-

texte original sans se transmuer. C'est ainsi que l'aporie de GU€!lot le

conduit ~ rorger la notion intenable "è. 'écrit oralisé u, moyen terme

virtuel indiscernable dans une oeuvre 0

Derni~re remarque. Pour Guén'ot, les niveaux qu'il a dégagés sont

incommunicants: ils peuvent se juxtaposer d'une phrase ~ l'autre, mais

non co!ncider en une seule. Soit 1 'exemple: "Apr~s ça nous all~es au

cinéma avec Molly pour étrenner mon complet neuf":

Rien n'emp~che d'écrire:" ••• pour l'étrenner,


mon complet neuf", pourr-ait-on penser. Rien
20

~i ce n'est qu'il faudrait alors re-ecrire


toute la phrase en niveau 2, avec un passé
composé: "Après ça, nous sommes allés au
cinéma avec Molly pour l'étrenner, mon complet
neuf". 20

M. Guénot a choisi un bien mauvais exemple. En effet, dans la phrase

originale, on décèle la présence d'éléments de deux niveaux différents:

le passé simple est manifestement de niveau recherché; mais la tournure

Nous ••• avec est strictement populaire. C'est Léo Spitzer qui l'a

relevé:

Le type d'expression populaire nous deux


Bébert="Bébert et moi" est connu - il
repose lui aussi sur une alternance en-
tre une expression synthétique spontanée
et une autre, réfléchie, analytique et ayant
égard au partenaire (on s'est fait un petit
signe tous les deux - Bébert). Cf. le tour
nous avons fait un vo a e avec mon oncle
= "mon oncle et moi" ••• 21

Or il s'agit précisément de ce tour dans le cas qui nous occupe:

le narrateur est seul avec Molly pour cette sortie au cinéma, dans le

Voyage; donc le nous ••• avec Molly s'avère syntaxiquement incorrect, popu-

laire. La phrase de Céline est ainsi constituée d'éléments de niveaux 3

et 2.

On ne devra donc rien retenir de la théorie de Jean Guénot dans ce

travail sur les niveaux de langage de Voyage au bout de la~. Par con-

tre, ce tour d'horizon de la critique du Voyage ne serait pas complet sans

l'article de Léo Spitzer, cité ci-dessus: Une habitude de style (Le rappel)
22
chez M. Céline, paru au Français moderne en 1935. Dans cette étude,

Spitzer se concentre sur une constr~ion syntaxique proprement populaire

\ .. _-
21

employée-par Céline dans le Voya.ge: son analyse nous sera d'ailleurs

fort utile dans lVélaboration d'une théorie des niveaux de langage,

au chapitre suivant. Pour l'instant, il importe de mentionner que

le célèbre stylisticien allemand a bien vu que la langue de Céline

se construit sur des discordances entre niveaux, faisant co!ncider

entièrement le distingué et le vulgaire, puisqu'il écrit:

C'est par un raffinement de littérature que


M. Céline emploie notre tour populaire même
dans les parties les plus relevées de son
roman, l~ où il parle et il pense en son
propre nom ••• 23

Ainsi L. Spitzer remarque, comme beaucoup d'autres~ la dualité

de niveaux de l'oeuvre de Céline; mais il insiste sur la simultanéité,

et non sur la juxtaposition. Enfin, il élève le Voyage au rang de la

littérature précisément dans la mesure où ce livre rompt avec la tra-

dition du niveau unique, celui de la "distinction". Le mélange de


niveaux n'apparaît plus comme une incohérence, mais comme une nouvel-

le espèce de raffinement.
CHAPITRE DEUXIEME

Niveaux de langage
22

On a vu au chapitre précédent comment la critique de Voyage au

bout de la nuit n'a pas cessé de poser, explicitement ou implicitement,

le pro"blême des niveaux du langage deCéline; toutefois, le plus sou-

vent mal posée, la question est demeurée sans réponse. Il oonvient

donc de rassembler les éléments d'une théorie des niveaux de langage

susceptible d'~tre ensuite appliquée rigoureusement au roman que nous

étudions.

Cette question des niveaux de langage n'est pas nouvelle, bien au

contraire; en effet, depuis qu'elle existe, la stylistique s'est

toujours préoccupée de définir des genres littéraires impliquant cha-

cun un style particulier: le style de la poésie n'est pas celui de la

prose, l'élégie n'utilise pas le même langage que l'épopée, etc. Tout

cela est évident et bien connu. On se souviendra également de la célè-

bre "roue de Virgile"; inventée par les commentateurs de la basse

latinité! partir des trois grandes oeuvres de Virgile, elle définit

les trois principaux styles: le gravis stilus de l'Enéide ("le subli-

me") 9 le mediocrus stilus des Géorgiques ( "le neutre" ou "le tempéré" )

et enfin l'humilis stilus des Bucoliques ( "le simple"). On remarquera

que, dans cette théorie, c'est l'objet de l'oeuvre qui commande son

style: on ne peut pas éviter d'employer un style sublime pour racon-

ter les exploits d'un héros, fils de roi, tandis que la simplicité

("l'humilité") s'impose lorsque l'on décrit la modeste vie d'un pay-

san. En d'autres .. termes, on a fina.lement affaire! une hiérarchie


23

éthique plut6t qu'à des catégories esthétiques. Cela n'a pas empê-

ché la roue de Virgile de se perpétuer jusque dans les traités de stylis-

tique du XVIIIe siècle: type de classement dont l'exemple classique

est le cas de ~ace, visage et ~rimousse, termes respectivement subli-

me, neutre et burlesque pour désigner la ~igure humaine.

Cette conception de la subordination du style à l'objet dont

on parle se retrouve encore chez Condillac:

Nous avons vu que le style doit varier suivant


les sujets qu'on tra.ite. Donc autant la poé-
sie aura de sujets à traiter, autant elle aura
de styles di~~érens. l

Il s'ensuit que l'on jugera du na.turel et de l'élégance d'un

style en ~onction de son accord avec le genre prescrit par le "sujet"

de l'oeuvre:

Quand le style n'a pas tout l'art que le genre


d'un ouvrage annonce, il est au - dessous du
sujet; et, au lieu de paro1tre nature1, il
paroît trop ~amilier ou trop commun; quand
il en a plus, il est ~orcé ou a~~ecté. 2

Ainsi, l'ancienne rhétorique ~aisait reposer le problème des ni-

veaux de style sur le lien qui existe entre le langage et son ré~érent.

Et de ~ait il y aurait sûrement moyen d'analyser Voyage au bout de la

~ en ~onction de ce système: on y découvrirait un grand nombre de

discordances de niveaux, autant dans le sens de "l'a~~ectation" que

dans celui de la "~amiliarité" (nous en donnerons d'ailleurs quelques

exemples au chapitre trois). Mais surtout, de ce point de vue, n'y

'.
24

a-t-il pas discordance radicale et fondamentale entre le référent

conceptuel global de l'oeuvre et son langage? Si l'on conçoit le

Voyage comme un "roman tragique" de la misère humaine (au même ti-

tre que La Condition humaine, par exemple), on s'attend ~ ce que sa

langue soit d'une unité recherchée, "sublime" (est-il besoin de rap-

peler que, traditionnellement, la tragédie est le "genre noble" par ex-

cellence~; or le langage du roman ne possède précisément aucune

unité et parait plutôt se définir par son ambiguité. A bien y pen-

ser, voil~ sans doute ce quia tant offusqué certains critiques qui

ont lu le Voyage en 1932. Seul Léo Spitzer a parlé de "raffinement

littéraire" en relevant cet écart entre la langue populaire et son

objet "relevé" (cf. supra).

Pourtant, aussi pertinente que soit cette hypothèse de la dis-

cordance entre le référent lui-même et les signes, elle s'écarte

franchement du but de ce travail qui s'intéresse uniquement aux

signes (au sens large) du discours célinien: il s'agit de montrer

comment l'organisation de ces signes engendre des discordances de

niveaux, tant au plan de la sémantique qu'au plan de la syntaxe.

A. Séries sémantiques:

Bien que cela puisse paraitre surprenant, une étude théorique

des niveaux de langage commence nécessairement par quelques con-

sidérations sur la synomynie. Er. effet, il est évident que, sans


25

l'existence de synonymes, un vocabulaire ne saurait se distribuer

selon différents niveaux; pour que l'on puisse porter un jugement

sur la "qualité" de la langue d'un locuteur ou d'un auteur, il

faut que ceux-ci aient le choix entre divers vocables.

Or une sorte de querelle de la synonYmie oppose deux con-

ceptions apparemment irréconciliables: certains croient A l'exis-

tence de synonymes tandis que d'autres nient la possibilité de trou-

ver un exemple valable de synonymes véritables. En réalité, tout

dépend de l'angle sous lequel on veut bien examiner la question.

Au plan strict du rapport entre le référent et le signe, il est de

fait que l'on peut grouper ensemble deux ou plusieurs signes de la

langue qui renvoient exactement au m~me référent conceptuel: on

dira alors que ce sont des synonymes. Par contre, au plan élargi de

la signification, il faut bien se rendre compte que deux sign'3s,

m~me synonymes, se distribuent chacun selon un emploi défini en pro-

pre et que, par conséquent, ils ne sont jamais vraiment interchangea-

bles. Autrement dit, tout phénomène de synonymie est indissociable

d'un phénomène de différenciation. Aurélien Sauvageot s'exprime ainsi

A ce sujet:

Il existe donc bien réellement des signifiants


distincts qui ont en gros m~me signification.
La différenciation entre ces signifiants est
le plus souvent fondée non sur des raisons sé-
mantiques mais sur leur motivation respective,
et surtout sur les différences qui existent dans
l'extension de leur emploi. 3
26

Evidemment, on voit que Sauvageot se contredit presque lui-

m~me en utilisant fâcheusement le terme signification: précisémen~

les synonymes ont un référent commun mais ils signifient différem-

ment (ils n'interfèrent pas entre eux) car "ils ressortissent cha.-

cun A son aire particulière d'emploi". 4

Soit l'exemple du référent conceptuel "produit pharmaceutique

qui a pour effet de calmer les nerfs": on dispose alors d' au moins

deux signes distincts pour exprimer ce concept, A savoir calmant

et sédatif. Et l'on s'aperçoit aisément que les deux mots, quoique

synonymes, sont loin d'~tre interchangeables. Calmant est un terme

neutre, convenable A n'importe quel contexte, tandis que le terme

sédatif, encore susceptible de ne pas ~tre compris par certaines

personnes (bien que son usage devienne de plus en plus courant), relève

d'un vocabulaire plus savant. Si l'on prend l'exemple d'''action de

prendre la fuite", on aura le terme neutre s'enfuir A côté d'un terme

(d'origine argotique) comme se débiner, qui n'a manifestement pas

la m~me aire d'emploi que s'enfuir; les mots livre et bouquin témoi-

gnent d'un phénomène identique. On voit donc comment les signes

A référent conceptuel commun se distribuent selon ce que Sauvageot

appelle les "étagements du vocabulaire".

On préférera cependant la terminologie de Jean-Paul Vinay A

celle de Sauvageot, trop souvent équivoque. DarJs un article de la

Revue canadienne de LinguistiqUe,5 Vinay montre qu'à chaque concept


27

correspond une série sémantique dont chaque terme fonctionne ~ l'in-

térieur d'un champ particulier:

On a ainsi parlé de champs morpho-sémantiques


qui forment de véritables micro-structures ~
l'intérieur du lexique. Ces micro-systèmes sont
comme de petits systèmes solaire~ avec leur équi-
libre interne, leurs oppositions et leur réparti-
tion d'effets, qui défient toute description non
globale ( ••• ). 6

En résumé, le découpage lexical proposé par Sauvageot et Vinay

pourrait se représenter schématiquement par le tableau suivant (voir

tableau 1), o-a les lettres ,!" b, •••!!. symbolisent les divers champs"mor-

pho-sémantique S " •

TABLEAU 1

Signifiant a / signifié a

REFERENT Signifiant b / signifié b


CONCEPTUEL
Signifiant c / signifié c

Signifiant d / signifié d

Ce schéma se situe dans une perspective strictement ~ssarienne,

puisque les champs morpho-sémantiques auxquels il est fait allusion ne

peuvent pas se définir autrement que par le rapport associatif - ou

paradigmatique dans lequel tout signe linguistique se trouve inclus;

ces rapports associatifs sont ~nsi caractérisés, d'après Saussue, par


28

Georges 11atoré (c'est nous- qui soulignons):

Le mot ••• n'est pas isolé dans la conscience.


Il fait partie d'un contexte, d'une phrase,
qui en partie le déterminent; il est aussi
lié à d'autres mots qui lui ressemblent soit
par la forme ou le son, soit par le sens. 7

Il importe également de rappeler qu'un mot peut évidemment

s'inscrire dans plus d'un micro-système, par un phénomène de polysé-

mie. Par exemple, développement appartient à la fois aux micro-

systèmes liés aux concepts d'''action de défaire une envelcppe", de

"croissance des corps organisés", de '!déroulement (dans le temps)",

etc. (Larousse). Il faudra donc comprendre le corollaire suivant:

chaque inclusion dans un micro-système fait diun mot polysémique

un signe autonome, doté en propre de rapports internes avec son micro-

système et de rapports externes dits associatifs - dont le premier à

s'imposer proviendra nécessairement de l'identité morphologique avec

un ou des signes appartenant à d'autres micro-systèmes.

Forcément, ce découpage structural du lexique ne rend pas compte

de la réalité syntagmatique de la langue: on ne saurait figer ainsi des

unités minimales d'énoncé sans automatiquement les priver d'une part

importante de leur effet stylistique*. C'est pourquoi il est indis-

pensable, d'après Vinay, de replacer tout micro-système dans la

* C'est ainsi que la question des niveaux de langage se trouve


inconfortablem~nt installée à mi-chemin entre la linguistique et
la stylistique-.
29

'totalité de la langue •

Si, par exemple, nous arrivons à définir la


valeur sémantique et stylistique d'individu
dans un micro-système, nous devons envisager
la possibilit€ de voir sa valeur complète-
ment modifiée par une association syntagmatique
avec d'autres él€ments. 8

Vinay en fait la d~onstration justement à l'aide du mot individu.


Dans le Petit Larousse, on trouve à cet article les définitions qui suivent:
a) chaque être, soit animal, soit végétal, par rapport à son espèce;
b) personne considérée isolément, par rapport à une collectivité; et
c) personne indéterminée ou dont on parle avec mépris: quel est cet
individu? C'est dire qu'individu peut s'insérer dans deux micro-systèmes,
a) et b); dans l'exemple de c) la nuance péjorative provient du fait qU'on
a inscrit individu (terme inclus en b) ) dans un macro-système déictique"
(QEel est ce ••• ?) auquel il n'appartient pas normalement:

On remarquera en effet que si l'on substitue


à individu des termes tels que monsieur, ~ .
(Quel est ce monsieur? Quelle est cette dame?),
on n'obtient plus aucun effet péjoratif. 9

Autrement dit, le terme et le macro-système n'ont en eux-mêmes, con-


sid~rps isolément, aucune nuance stylistique dominante: c'est l'embo1tement
de l'un dans l'autre qui produit l'effet. Toute analyse de niveaux de lan-
gage doit donc tenir compte de ce phénomène, si elle veut éviter de fausser
d'avance ses résultats en figeant des unités inséparables de leur contexte.

Revenons à pr~sent à ces micro-systèmes, ou plus simplement à ces


séries sémantiques: ce sont elles qui vont nous permettre de procéder à
30

un classement théorique des niveaux de langage, au plan du leY~que. On


a vu que ces séries, face à un référent conceptuel donné, forment comme
un éventail de signes divers, pourvus de signifiés différents ou, si l'on
veut, de nuances différentes. Précisément, en quoi consiste cette diffé-
rence? D'après A. Sauvageot, le concept lui-même n'est affecté en rien par
la coexistence de différents "vocables" qui l'expriment, - ce qui s'iÏnpose
d'office, car autrement on ne pourrait pas parler de micro-système cor-
respondant à un référent:

C'est seulement l'harmonique associé au concept


qui diffère. Donc, du seul point de vue de la
connaissance des choses, la variété des voca-
bles n'a aucune répercussion. Elle n'affecte
ni notre savoir ni notre expérience, elle ne
concerne que notre attitude vis-à-vis du con-
cept en telle occasion déterminée. 10

Sauvageot est ainsi amené à parler de "coefficients subjectifs" véhi-


culés par les différents "étagements du vocabulaire". En ce qui concerne
la langue parlée, il est indéniable en effet que la choix de tel signe par-
ticulier plutôt que de tel autre signifie avant tout le ton que le sujet
parlant a d~cidé de donner à sa conversation; de ce point de vue, on pour-
rait d'ailleurs ajouter que l'existence de séries sémantiques rend possible
une économie sémiologique extra-linguistique: le locuteur n'a pas besoin
d'ajuster son ton de voix ou ses gestes à un mode réprobateur s'il emploie
un terme qui occupe la "place péjorative" au sein d'une série. Les séries
s~mantiques apparaissent donc ici comme un éventail de niveaux de communi-
cation, fort complexes en raison même de l'extrême hétérogénéité des séries
de la communication orale.
31

En langue écrite, le problème devient plus simple puisqu'on ne

tient compte que de la seule r~alité linguistique. On aura déjà compris que

les spries sémantiques s'articulent sur des niveaux de langage purs. Evi-
demment, comme ces niveaux ne sauraient se définir autrement qu'en fonc-
tion de l'usage, on devra avoir recours autant à l'usage de la lan~Àe

parlée qu'à celui de la langue ~crite; on nevra s'interroger en ter.mes de


classes sociales: qui parle ainsi? Qui ne parle ,jamais ainsi? Il faut
bien voir cependant que ces questions ne nous éloignent en rien de la
réalit~ du langage écrit: il ne s'agit toujours que de classer une langue
figpe,dépouillée de tout élément extra-linguistique; les épithètes utili-
sées pour classer les niveaux, quant à elles, sortent du champ linguistique
pour la raison nécessaire et suffisante qu'on ne dispose pas d'autres
critères généraux d'usage. En somme, dire que tel mot est de niveau ar-

gotique replace forc~ment ce mot dans son origine, essentiellement orale,


mais ne change rien au fait qU'on l'ait lu dans un texte, conçu en tant
que texte. Par contre, on évitera soigneusement de considérer les ni-
veaux de langage c)rmne hiérarchisés selon un continuum langue écrite /
langue parlée: système intenable, dont on a vu l'absurdité au chapitre
précédent.

Quels sont donc les niveaux de langage? Sauvageot distingue trois


niveaux principaux: a) soutenu; b) courant; c) familier (on reconna1t
le schéma ternaire de la roue de Virgile); ce à quoi il ajoute une énu-
mpration confuse de niveaux possibles: savant, technique, poétique, ju-
11
ridique, trivial, argotique, etc. A part la systématisation ternaire
de base, A. Sauvageot ne propose donc aucune classification formelle des
32

différents niveaux de langage. Georges Matoré, au contraire, a

formalisé les niveaux du lexique en six catégories: 1. argot;

2. populaire; 3. grossier; 4. familièr; 5. académique; 6. litté-


12
raire. Malheureusement, Matoré ne s'explique ~ peu près pas sur
son mode de classement; tout au plus souligne-t-il la nécessité de

"distinguer, au moins d'une manière théorique, les trois catégories

argot, pOpulaire, grossier": l'argot serait la langue des malfaiteurs,

le populaire, "le parler traditionnel des ouvrièrs parisiens", tandis

que le grossier regrouperait toutes les expressions triviales ou

vulgaire~ Si l'on veut bien se reporter au tableau l, on obtient le

schéma suivant (tableau Il).

TABLEAU Il

Sa argotique 1 Sé argotique

Sa populaire 1 Sé populaire

REFERENT Sa grossier 1 Sé grossier


CONCEPTUEL
Sa familier 1 Sé familier

Sa académique 1 Sé académique

Sa littéraire 1 Sé li ttéraire i~

Les catégories de Matoré ne vont pas sans présenter certaines

difficultés. D'abord, une ambiguité: où se trouve le niveau neuÉre?

Peut-être est-ce ce qu'il appelle le niveau familier; mais alors, son

système ne rendrait pas compte du niveau de langage proprement familier,

* Faut-il préciser que ces divers niveaux ne se retrouvent pas nécessai-


rement tous pour chaque référent conceptuel? Ce sont des niveaux possi-
bles.
33

c'est-~-dire différent de la no~me mais ni grossier ni populaire.

Ou bien c'est ce qu'il appelle le niveau académique, - au sens strict

de conforme ~ la norme; or dans ce cas, son système accuserait un grave

déséquilibre en subdivisant au maximum tous les écarts "appauvrissants"

par rapport ~ la norme, tandis que tous les écarts "enrichissants" se

retrouvent dans la même catégorie. Par exemple, on peut se demander

s'il y a vraiment lieu de faire du populaire une classe autonome. D'au-

tre part, Matoré ne semble pas prévoir de catégorie pour les langages

spécialisés (droit, médecine, technique, etc ••• ); ainsi ses niveaux

ne seraient pas tout A fait exhaustifs.

Nous proposerons donc les niveaux de langage suivants~imparfaits

sans doute, mais conçus selon un découpage empirique de la langue plu-

tôt que selon des postulats théoriques. En premier lieu, il faut ad-

mettre l'existence d'un niveau neutre du lexique: c'est en quelque

sorte le niveau dont il n'y a rien ~ dire, et sûrement le niveau qui

regroupe de loin le plus grand nombre de mots. Lorsque "j'appelle un

chat un chat", 'par exemple, je me si tue A ce niveau neutre, ou normal;

par contre lorsque j 9 appelle un chaton un minet, on voit tout de suite

que je m'écarte de la neutralité.

Par rapport ~ cette norme, deux types d'écart sont possibles:

un écart "négligé", et un écart"recherché". Du côté de la "négligence",

on pourrait a priori distinguer deux niveaux: le langage populaire et

l'argot. Mais le terme populaire, de nos jours, englobe une réalité

si vaste qu'il n'explique rien; il vaudrait mieux apercevoir que cette


34

langue dite populaire recouvre en fait deux niveaux de langage: celui

de la familiarité et celui de la grossiêreté. Minet serait un bon

exemple de terme familier pour le référent conceptuel "jeune chat",

ou bouquin pour le référent "livre' par contre bâfrer est le terme

grossier du référent "manger avec avidité et excès". Quant ~ l'argot,

qui doit occuper un niveau autonome (comme l'a pertinemment remarqué

G. Matoré), il pose un problème particulier: par définition, l'argot

est une langue secrête; au moment même OÙ le linguiste appose l'éti-

quette "argot" ~ un mot, ce mot cesse d'appartenir au vocabulaire de

l'argot. On lui réservera néanmoins une place dans notre sytème,

pour deux raisons: primo, l'argot ne constitue pas ~ proprement parler

un langage étranger, comme l'ont rappelé récemment les auteurs de

Rhétorique générale dans un article de la revue Communications;13

secundo, un niveau argot doit être prévu pour y classer certains mots

qui, sortis de facto du vocabulaire argotique, demeurent inclassables

selon les catégories grossier ou familier. D'origine argotique, flic

se présente aujourd'hui comme terme grossier pour policie~*; il n'en

va pas de même pour poulet: assimilé depùis relativement peu, ce mot

doit encore figurer sous la rubrique argot. On voit donc comment un

souci d'empirisme nous a imposé cette entorse ~ un formalisme pure-

ment relationnel.

* Flic est d'ailleurs en passe de devenir familier. Au reste, cet


exemple montre clairement que grossier ne signifie pas ici "sans
éducation" (comme dans l'exclamation "grossier personnage!"); par
grossier, on entend plutôt "sans raffinement". Dans le Petit
Larousse, les mots de cette catégorie portent la mention Pop(ulaire)
tandis que les termes familiers sont marqués Fam.
35

',- . De l'autre côté de la norme, on peut distinguer deux niveaux

di~~érents mais impossibles A hiérarchiser l'un vis-A-vis l'autre.

Ce sont les niveaux du langage "littéraire" et du langage savant,

ou spécialisé. On préférera cependant à l'appellation (idéologique)

"littéraire" la dénomination moins compromettante de recherché: par

là, on entend évidemment que ce niveau comprend tous les dignes lin-

guistiques dont la naissance provient d'une recherche qui se contem-

pIe elle-même en tant qu'e~fort sur la forme, en tant qu'objet.

Quant au niveau spécialisé, il englobe tous les vocabulaires liés

à une science ou une pratique précises: vocabulaires technique,

médical, juridique, etc.

Tous ces niveaux se résument dans le schéma du tableau III

(où ~ = signe):

TABLEAU 111

S
,
argotique

REFERENT
S

S
grossier
1
familier
::::::::==- (
"po pu la ire" )
CONCEPTUEL
1
S neutre

S
r
recherché S sPécialisé

On voit donc dans ce tableau (archétype suggéré de toute série séman-

tique) que les divers niveaux se hiérarchisent selon un plus ou moins

grand écart relativement A la "neutralité", sau~ dans le cas des niveaux.


recherché et spécialisé qu'on ne saurait classer réciproquement sans

poser un jugement de valeur subjectif.

Il va de soi que tout référent conceptuel ne comporte pas

automatiquement six signes différents correspondant ~ autant de ni-

veaux; comme on l'a dëj~ remarqué, ce sont l~ des niveaux possibles,

parmi lesquels se répartissent les signes appartenant ~ un m~me ré-

férent. Soit l'exemple du concept "contrariété, difficulté précise",

(Larousse) on a alors les signes ennui, emb~tement et emmerdement,

qui donnent (tableau IV):

TABLEAU IV

S grossier
· emmerdement

"CONTRARIETE" S familier · emb~tement

S neutre ennui

Dans le cas (déj~ cité) de "produit qui calme les nerfs", on

a:
TABLEAU V

neutre calmant
"PRODUIT PHARMACEUTIQUE
QUI CAThIE LES NERFS" {: spécialisé sédatif
37

Soit un dernier exemple: "celui qui vit du proxénétisme";

on aura:

TABLEAU VI

S argotique homme

S grossier maquereau

"CELUI QUI VIT


S f'amilier
DU PROXENETIS~..E"

S neutré souteneur

S recherché et/
ou spécialisé: J2roxén~te

Ces exemples suff'isent ~ montrer qu'il est pratiquement impos-

sible de trouver un réf'érent conceptuel auquel correspondrait un si-

gne de chaque niveau possible. Cependant les possibilités augmentent

singuli~rement si l'on admet que certaines périphrases peuvent être

considérées comme une "voie détournée" d'expression d'un terme unique;

ainsi ces périphrases (inutiles, strictement parlant) nous situent ~

un niveau soit recherché, soit populaire (grossier ou familier). D'une

part, les périphrases recherchées rel~vent la plupart du temps d'un

mécanisme tropologique (peu importe, en demeurant, que le trope soit

f'igure ou catachr~se): ce qui nous permet, dans l'exemple du "sou-


38

teneur", de situer au niveau recherché toute métaphore du type

"marchand de p1ais"ir"*. D'autre part, les périphrases populaires

servent habituellement ~ pallier une insuffisance lexicale et se

mani~estent sous la forme le truc pour ou le machin qui: dans l'exem-

!,~e du "œ1mant", on pourrait donc maintenant remplir le niveau

familier par une périphrase comme pilule qui calme (les nerfs).

Rappelons une fois pour toutes que ces observations sur les

périphrases témoignent bien de notre intention de ne pas procéder

~ un découpage théorique du langage mais plutôt de suggérer une

méthode opératoire de classement en niveaux des nombreuses unités du

langage qu'on a sous les yeux, notamment du texte de Céline. Que

l'on admette simplement que tout signe signifie un niveau intrinsè-

que, indépendant de son référent.

B. Syntaxe:

Ainsi il est possible d'apercevoir des niveaux de langage au

plan du lexique; on peut probablement dégager aussi des niveaux de

construction syntaxique. Cependant, le problème est ici beaucoup

plus délicat et risque facilement de nous faire tomber dans le piège

* Notons que les termes de l'argot véritable sont effectivement des


figures (tropes ou non-tropes), selon les membres du groupe de Liège.
Cependant, tandis que les figures de la langue non-argotique ten-
dent à masquer l'obscénité d'un référent (référents scatologiques),
les figur.es de l'argot tendent au contraire à acce!ltuer le carac-
tère grossier de ces référents. 14
39

d'un empirisme subjectif. S'il suffit de consulter pratiquement

le premier dictionnaire venu pour se renseigner sur le niveau d'un

terme, on ne s'en tire pas aussi simplement quant ~ l'organisation

syntaxique d'un énoncé.

On écartera donc au départ l'illusion de la subjectivité qui

nous ferait tenter de poser des jugements de valeur sur le degré de

"culture" d'un langage; on ne doit pas s'attendre non plus ~ décou-

\v.rir des niveaux aussi nombreux et aussi délimités que ceux du lexi-

que. Contentons-nous de constater qu'il existe en français une nor-

me de base de l'organisation de la phrase: ce sont les règles de la

syntaxe. Cependant, on peut s'écarter de cette norme, soit en enfrei-

gnant la règle, soit en la "dépassant".

Comment définir un degré zéro de la syntaxe? Tout comme pour

le niveau neutre du lexique, c'est justement le niveau dont il n'y a

rien ~ dire. A peine est-il possible de formuler quelques considé-

rations générales sur la norme: seuls les écarts par rapport ~ cette

norme sont en mesure de lui faire prendre une consistance (n'est-ce

pas toujours l'exception qui confirme l'existence d'une règle?). On

peut tout de même avancer deux ou trois observations. D'abord, le

niveau normal de la phrase est nécessairement celui de la correction

absolue au point de vue des règles de syntaxe énoncées par la gram-

maire, "gardienne de la langue". D'autre part, aux termes de Luc ien

Tesnière dans Eléments de syntaxe structurale, toute phrase doit

être considérée structuralement comme un procès (le verbe: r) qui

comporte des actants (les substantifs: 0) et des circonstants


40

(les adverbes: ): les actants peuvent eux-mêmes être précisés

par des adjectifs (A);5 Il faut bien comprendre que l'infinité

de phrases possibles en français (comme dans toutes les langues,

d'ailleurs) se résume toujours ~ ce schéma strncturc.l de be.se (voir

tableau VII).

TABLEAU VII

o
l
A
/'''' E 0

\
A

Tel Cluel, ce schéma ne reDrésente évià.emment qu'une phrase

simple comme Les jeunes enfants aiment beaucoup les beaux contes,ou

(Tableau VIII):

TABIEAU VIII

.aiment

les enfants beaucoup les contes


\
jeunes
1
beaux
4l

Mais, de toute façon, l'ordre structural d'une phrase se ré-

duit toujours ~ ce schéma de connexions entre divers nucléus: toute

complication s'explique alors par des phénom~nes de jonction ou de

translation. La jonction oomplique la phrase sirnplede façon quan-

titative: on ajoute des nucléus en les juxtaposant (joncti~s zéro)

ou en les coordonnant (adjonotifs positifs et; adjonctifs négatifs

ni; disjonctifs ~, ou bien, soit)~6 Notons que les phrases elles-

mêmes peuvent être jonctées entre elles par: mais, par contre, certes,

~, donc, ~, c'est que, etc. Quand ~ la translation, elle compliqueia

phrase quali tawement·: en transformant la catégorie grammaticale

d'un mot, elle change la fonction de ce mot~7 Ainsi, dans l'exemple

ci-dessus, on pourrait écrire les beaux contes de fées: et l'on

sfaperçoit que le substantif ~ est transformé par le translatif~e


...
en un adjectif. De fées remplit en effet une fonction essentiellement

adjectivale aupr~s du substantif contes; cette opération se repré-

sente ainsi (tableau lX):

TABlEAU lX

aiment

les oontes

jeunes beaux
/"'-A
, deJfée:
42

A l'aide de la théorie de la translation, on peut compren-

dre les "propositions relatives" comme une translation vers la fonc-

tion d'adjectif (voir tableau X), les "propositions ci.r.constanciel-


les" comme une translation vers la fonction d'adverbe (voir tableau

Xl), etc.

TABLEAU X

"Les soldats qui étaient fatigués se reposèrent!'

~Sê~
les IOldats se

~
A
____- r________________-JI
1 qui J
étaient fatigués

TABLEAU Xl
"Lorsqu'i4 étaient fatigués, les soldats se reposaient!'

... ...
....
... lorsqu' étaient fatigués

1
.. - .. __ ils *

* La ligne pointillée indique une connexion anaphorigue, c'est-à-dire


une "connexion sémantique supplémentaire à laquelle ne correspond
aucune connexion structurale". 18
43

Connexion, jonction et translation constituent donc, d1après

L. Tesnière, les seuls ~ondements de l'organisation syntaxique de

la phrase. On verra dans un instant l'utilité de ces considérations

dans l'observation de certaines anomalies syntaxiques dites populai-

res.

Intéressons-nous donc A présent A ce que l'on appellera le

niveau de la syntaxe anormale. Ses incidences les plus évidentes sont,

on 1 'a ~nnoncé, des incorrections grammatica.les pures et simples;

citons-en quelques exemples courants: a) l'omission de la particule

ne dans la négation ~ ••• pas; b) la substitution de l'impersonnel

on au pronom de la première personne du pluriel~; c) tout man-

quement A la syntaxe des modes et des temps du verbe; notamment, le

refus (parfois systématique) d'employer l'impar~ait du subjonctif, lA

où lui seul serait correct.

Cependant il existe des tournures syntaxiques particulières

susceptibles de figurer, strictement parlant, au niveau de la syntaxe

anormale. C'est le cas du "tour binaire" étudié par Léo Spitzer

dans un article dont on a parlé plus haut. Ce tour binaire consiste

A écrire. par exemple, au lieu de La porte est ~ermée, Elle est

fermée, la porte. Spitzer explique que ce tour en rappel procède

d'une démarche en deux temps: déclaration / explication (ou mieux

substanti~ication de la déclaration). Et il ajoute:


44

Ces rappels sont nettement populaires ou


enfantins: l'homme-du peuple ou l'enfant
qui ne savent pas et qui ont peur de mal
construire leur _phrase, intercalent des
rappels ( ••• ).
C'est tr~s peuple de ne pas supposer chez
l'interlocuteur assez de sagacité pour
établir les rapports nécessaires suggérés
par la phrase (cf. les qu'i(l)-dit répé-
tés dans la reproduction populaire d'un
discours direct, parce qu'on ne juge pas
le partenaire capable de "maintenir le
courant Il) .19

Spitzer ne mentionne pas un fait évident: c'est que la démar-

che déclarationjexplicationpeut être exactement inverse. On peut

aussi bien écrire: La porte, elle est fermée que Elle est fermée,

la porte.

Cette -tournure syntaxique est également passée en revue par L.

Tesnière, qui lui donne le nom de projection des actants. Dans la

phrase Le loup, il a mangé l'agneau (voir tableau XII), "l'accent

loup n'appartient au stemma* de la phrase que par la connexion ana-

phorique qui le relie ~ l'indice personnel il, lequel indice est ~

20
son tour relié au verbe ll : dépour1ru de connexion structurale, l'ac-

tant est alors projeté ~ l'une ou l'autre extrémité de la phrase.

TABLEAU XII

a mangé

le loup
"'- ..... _.. ".,i~
..
~eau

* Stemma schéma de l'ordre structural d'un énoncé (Te·sni~re).


45
.,---,

(On peut également projeter un circonstant: Je vais souvent

il Paris devient Paris, j 'y vais souvent


21 ) • Pour Tesniêre, la pro-

jection des actants est un tour familier ou enfantin, qui "frise le

vulgarisme" lorsque deux actants sont projetés: Mon doigt, elle l'a
21
piqué, l'abeille ou L'abeille, mon doigt, elle l'a piqué,etc.

En ce qui nous concerne, retenons que cette construction, puisqu'elle

rompt l'ordre structural, constitue une anomalie syntaxique.

Au chapitre I, on a vu une autre anomalie: c'est la tournure

nous deux :Bébert = :Bébert et moi. Cette expression boiteuse et con-

fuse entre évidemment dans le niveau de la syntaxe anormale.

Finalement, il convient d'inclure dans cette classe la majorité

des phrases constituées d'un seul mot: ce sont les interjections.

Lucien Tesnière montre bien en effet que les interjections ne sont

pas des mots, mais des phrases. Aïe!, expression de la douleur,

équivaut il une phrase autonome; le cas est pius patent encore avec

Parbleu!, qu'on ne saurait rendre que par une longue périphrase:

"expression spontanée et enthousiaste d'approbation de quelque chose

qui manifestement va de soi, etc ••• ". Or "plus une langue est pri-

mitive, plus elle a de 6hance d'~tre constituée par des motsphra-

ses encore inarticulés syntaxiquement,,~2 C'est ce oaractêre d'inar-

ticulation syntaxique qui permet aux mots phrases de se placer au

niveau de la syntaxe anormale.

Il reste ~ parler d'un dernier niveau; comme il s'écarte de

la norme en la dépassant plutôt qu'en la brisant, on lui réservera


46

le nom de syntaxe surnormale. Le ~?t est très inélégant, nous nous

en rendons compte, mais nous ne voyons pas d'autre terme capable

d'exprimer le dépassement de la norme qui caractérise ce niveau.

La syntaxe surnormale recouvre ce que l'on appelle traditionnellement

et aristocratiquement "le style". "Faire du style", c'est en effet

accomplir ce travail "noble" qui consiste à renouveler le langage

en s'écartant de son état propre ou normal (définition même de figure),

mais sans jamais enfreindre les canons élémentaires de l'expression.

Il sera facile d'indiquer quelles constructions syntaxiques

appartiennent au niveau de la syntaxe surnormale: elles ont à peu

près toutes été récensées par les tnaités d'ancienne rhétorique.

Chez Fontanier (dont le traité possède la plus grande rigueur taxi-

nomique), ce sont les figures de construction (inversion, hypallage,

apposition, zeugme, etc •)•


23

Voilà les trois niveaux qué nous proposons, au plan de la syn-

taxe: combinés entre eux et avec les niveaux du lexique, ils vont

nous permettre d'observer des effets de discordance dans un texte.

c. Discordances:

En utilisant les différents niveaux de lexique et de syntaxe

dégagés ci-dessus, il est maintenant possible de présenter formelle-

ment tous les modèles de discordance que l'on pourra rencontrer dans

Voyage au bout de la nuit.


47

Il faut tout d'abord distinguer trois grands types de dis-

cordance. Premi~rement, il peut se présenter des discordances

sémantiques, issues de la juxtaposition, dans un énoncé, de mots.

appartenant ~ des niveaux différents; 2. des discordances syntaxi-

~, issues de la combinaison de niveaux étrangers, en syntaxe;

3. des discordances sémantiques - syntaxiques: ce type de désac-

cord se produit chaque fois qu'il y a coexistence Qe niveaux de

langage étrangers d'un plan ~ l'autre*.

En détail, ces discordances se formalisent de la façon sui-

-vante:

1. Discordances sémantiques

â· Niveau argotique/Niveau gro$sier


È.:o Niveau argotique/Niveau familier
Q..p Niveau argotique/Niveau neutre
9-r Niveau argotique/Niveau recherché
~. Niveau argotique/Niveau spéCialisé
L Niveau grossier /Niveau familier

~ Niveau grossier /Niveau neutre


!la Niveau grossier /Niveau recherché
!.: Niveau grossier /Niveau spécialisé
j. Niveau familier /Niveau neutre
k: Niveau familier /Niveau recherché
1.: Niveau familier /Niveau spécialisé
l!.t Niveau neutre /Niveau recherché
!'!.: Niveau neutr~ /Niveau spécialisé
2.= Niveau recherché/Niveau spécialisé

* Puisqu'il existe une homologie immanente entre le niveau de la


syntaxe surnormale et le niveau recherché du lexique d'une part,
entre le nivsau de la syntaxe anormale et les nive~lX lexicaux
familier, grossier et argotique d'autre part.
48

Remarques: On a reproduit tgQtes les discordances possibles théo-

riquement. Mais les oppositions de proche ~ proche posent un pro-

bl~me particulier: il est difficile d'imaginer, m~me théoriquement,

un véritable effet de discordanoeentre le grossier et l'argotique,

tandis que le recherché peut souvent "jurer" quand il est juxtaposé

au neutre. Seul le niveau spécialisé bénéficie d'une sorte de statut

d'extra-territorialité r un terme savant paraîtra ~oujours incongru

dans un contexte autre que le sien.

2. Discordance syntaxique

Syntaxe anormale / Syntaxe su~no~male

Remarque: La coexistence, en syntaxe, de la norme et de la non-norme

est un phénom~ne constant et nécessaire; il ne saurait donc .y avoir

d'autre discordance que celle entre les deux types d'écart.

3. Discordances sémantiques - syntaxiques


~ Syntaxe anormale/Niveau recherché

-
b.
Q..=.
Syntaxe anormale/Niveau spécialisé
Syntaxe su'rnorma le /Nive au argotique
$h Syntaxe ~u.~ormale/Niveau grossier

Remarques:
-
e. Syntaxe sUrnorma le/Nive au familier

On n'a pas prévu de discordance possible impliquant une

syntaxe normale, puisque ce niveau est en quelque sorte un niveau

standard, "insipide". D'autre part, dans ce type-ci de discordc..nce,

le niveau neutre du lexique ne joue lui non plus aucun rôle; une or-

ganisation syntaxique anormale de termes neutres ne fait ressortir que

l'anomalie de la syntaxe: il ~'y a pas de discordance. M~me phéno-


49

dans la combinaison S. surnormale/ N. neutre.


CHAPITRE TROISIEME

DISCORDANCES DE NIVEAUX DE LANGAGE


dans

VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT


51

Au chapitre Il, on a esquissé une théorie - la plus opératoi,

re possible des niveaux de langage et des possibilités de discor-

dance entre niveaux. Il convient maintenant de procéder à l'appli-

cation de cette théorie à Voyage au bout de la nuit: ce travail per-

mettra de découvrir une caractéristique essentielle du langage de Céline,

dans ce roman.

Cependant, avant d'entreprendre cette tâche, on se rappellera

qu'à propos de la notion de niveaux de style en ancienne rhétorique

(où la nature même du référent présuppose un langage donné), on avait

dit qu'il existe effectivement des discordances de ce type (langage

versus référent) chez Céline. On décèle ce phénomène par exemple dans

ce pa3sage remarquable où le narrateur, Bardamu, peint le caractère

franchement héro~que du sergent Alcide, aux colonies:

Evidemment Alcide évoluait dans le sublime


à son aise et pour ainsi dire familièrement,
il tutoyait les anges, ce garçon, et il n'a-
vait l'air de rien.( ••• ) Qa serait pourtant
pas si bête s'il y avait quelque chose pour
distinguer les bons des méchants. l

Sans céder à une analyse "empirico-subjective", il est facile de voir

que cet extrait met en présence deux niveaux bien différents: un réfé-

rent sublime (le mot lui-même est em:ployé) et un langage familier (pro-

jection actancielle i l ... ce garçon, omission du ~ dans Ça serait pas,

sans compter la familiarité des expressions ne pas être bête et tutoyer


.--_._-------------

52

les anges). La na~veté ou la canaeur de l'expression vis-à-vis le

niveau relevé du référent peut donc nous faire dire,comme Condillac,

que "le style n'est pas à la hauteur de son sujet". Mais, évidemment,

ce n'est pas cette espèce de discordance qu'il faut étudier ici; d'ail-

leurs, on l'aura deviné, cette analyse est fort périlleuse puisqu'elle

pose le problème de la motivation du signe. Comme, jusqu'à nouvel

ordre, rien ne permet d'affirmer qu'il y a une motivation int~ne entre

le signe linguistique e.t son référent, il vaut mieux renoncer à toute

analyse qui se fonderait sur l'existence de cette motivation. On a

donné l'exemple ci-dessus à seule fin de prévenir un danger: cel~i de

voir une discordance de niveaux de langage là où en fait notre subjec-

tivité perçoit un désaccord entre la chose "parlée" et la façon dont

l'auteur en parle.

Il faut se défier également de la fausse démarche qui consiste

à relever des discordances référentielles. Dans la phrase "Je reçus


2
ainsi tout près du derrière de Lola le message d'un nouveau monde" ,

on sent naturellement un désaccord, une dissonance; pourtant il ne s'a-

gi t auc:unement d'une discordance de langage, mais uniquement d'une dis-

cordance entre un référent scabreux ("derrière") et un référent "subtil"

("le message d'un nouveau monde"): d'où le comique évident de la phra-

se. On trouve un phénomène identique, quoique moins marqué, dans le

passage suivant:

On s'engueulait ferme entre escouades à propos


de graisses, et de rognons surtout, au milieu
des mouches comme on.en voit que dans ces mo-
53

ments-là, importantes e!;... musicales comme


de's pet:îli>'il" oiseaux. 3

Point de discordance de niveaux de langage dans cette phrase, mais

seulement une comparaison dissonante entre un référent dégoûtant

(les mouches attroupées autour des viandes que l'on dépèce) et un

référent au contraire "invitant" (les petits oiseaux).

Il nous semble que ces quelques mises au point s'imposaient pour

préciser une dernière fois que les phénomènes de discordance étudiés

dans ce travail ne relèvent que du langage en tant que signe, indé-

pendamment de son référent.

A. Discordances sémantiques:

On appelle discordances sémantiques celles qui mettent en pré-

sence des éléments de niveaux lexicaux différents, au sein d'une syn-

taxe d'un niveau donné, invariable. Puisqu'on a dégagé six niveaux

de lexique, il s'enSuit que quinze sortes distinctes de discordances

sont possibles, du moins théoriquement. Or, précisément, certaines

discordances ne possèdent sans doute qù'une existence théorique:

c'est le cas des discordances de niveaux "voisins", ou de proche à

proche. On commencera donc par relever les occurrences de ces modèles

de discordance.

(Mentionnons toutefois que nous réservons pour la fin de ce

sous-chapitre tous les cas impliquant le niveau spécialisé du lexique;


54

en effet, comme nous l'avons déjà expliqué, nous considérons que ce

niveau occupe une place difficile à situer dans l'archétype des séries

sémantiques.)

1. Discordances de proche à proche:

Dans cette section se regroupent les discordances suivantes:

Niveau argotique / Niveau grossier


Niveau grossier / Niveau familier
Niveau neutre / Niveau recherché
Niveau neutre / Niveau familier

Comme on l'avait prévu, il ne s'est trouvé aucun exemple de discordance.

entre les niveaux argotique et grossier dans le roman de Céline; c'est-à-

dire que l'argot et le langage grossier coexistent sans engendrer d'effet

particulier. Cette constatation est d'autant moins surprenante que le

niveau grossier, par définition, recouvre beaucoup de termes issus de

l'argot. Par ailleurs, on aurait pu s'attendre à rencontrer des cas

de discordance entre le grossier et le familier, entre le neutre et

le recherché: on en a décelé aucun.

Quant à la discordance neutre/familier, on en a relevé une seule

occurence, douteuse, au demeurant: "On m'aurait jugé le soir même,

très vite, à la bonne franq'.lette, dans une classe d'école licenciée",

dit Bardamu en songeant après coup au Conseil de guerre qui l'attendait

sûrement, s'il s'était fait prendre en escapade, à la guerre. Dans


55

,la phrase citée, l'expression familière à la bonne fran~~ette surgit

devant l'expression neutre- sérieuse serait plus approprié - classe

d'école licenciée. Mais on est en droit de se demander si l'effet

discordant - indéniable - de la phrase ne résulte pas plutôt de

l'opposition entre la familiarité des signes juger ~. la bonne fran-

guette et le sérieux du référent (le Conseil de guerre). Le pro-


blème n'est pas simple; néanmoins, l'exemple valait la peine d'être

rapporté.

Il faut donc conclure à la fragilité pratique de la notion de

discordance entre niveaux,voisins.

2. Discordances (autres que de proche à proche) impliquant le


niveau neutre:

Puisque le niveau neutre se définit - difficilement - par

une absence de caractère propre (c'est le niveau dont il n'y a rien à

dire), on pourrait croire qu'il ne peut exister de discordance impli-

quant le niveau neutre; en théDrie, cette observation paraît assez

juste. Mais elle ne se vérifie pas en pratique; en effet, un élément

de niveau non-neutre, introduit dans un contexte strictement neutre,

peut engendrer un effet de discordance. On vient d'ailleurs d'en

montrer un exemple, ambigu malheureusement à cause du rôle possible

du référent (voir ci-dessus). En ce qui concerne les discordances

N. neutre/No argotique et N. neutre/No grossier (deux seules possibi-


lités de cette section 2), leurs occurrences sont respectivement

inexistantes et fréquentes. (L'inexistence de discordances N. neutre/

N. argot tient. sûrement au fait, amplement souligné par les critiques>

que le langage du Voyage renferme bien peu d'éléments argotiques.)

On ne retiendra que deux exemples de discordance N. neutre/No grossier:

Il ne faut jamais se montrer difficile sur


le moyen de se sauver de l'étripade, ni
perdre son temps non plus à rechercher les
raisons d'une persécution, dont on est
l'objet. 4

Bien que très pr1S par la boustifaille je


ne pouvais m'empêcher de noter au passage
qu'il s'agissait de mariages très spéciaux. 5

Dans chaque citation, un mot de niveau grossier (étripade,

terme grossier de la série sémantique lié~ au concept de· "mise à mort";

boustifaille, terme· grossier du référent conceptuel "nourriture") vient

troubler la neutralité de l'ensemble de la phrase.

Même si ces deux derniers exemples s'avèrent convaincants, il

faut noter que, jusqu'ici, on a seulement découvert des discordances

assez faibles; s'il fallait se contenter de cela, on ne serait pas

vraiment justifié de parler de discordances de niveaux de langage chez

Céline. Il est donc temps de passer à des discordances plus marquées,

qui mettent en présence deux niveaux véritablement étrangers, voire

opposés.
57

3. Discordances marquées: (N. argotique/No familier


N. argotique/No recherché
N. familier /N. recherché
N. grossier /N. recherché)

On n'a trouvé aucune discordance entre l'argotique et le

familier; deux explications de cette absence viennent à l'exprit.

Premièrement, il se pourrait peut-être que ces deux niveaux ne soient

jamais discordants, de la même façon que les niveaux grossier et

argotique; mais cette hypothèse n'est pas fondée: d'après les définitions

du chapitre II, familier et argotique correspondent à deux réalités

totalement distinctes. Mieux vaut s'en tenir à une seconde hypothè-

se, plus plausible: l'absence de cette sorte de discordance relève

tout simplement d'une co~ncidence, liée à la " pauvreté" extrême du

texte de Céline en matière d'argot.

C'est ainsi qu'on a relevé seulement deux discordances N. ar-

gotique/No recherché dignes de mention. D'abord, citons "Coeur battant,


t:.
je me relevai et m'apprêtai à recevoir un sale coup da:1.3 le buffet'·'"

où buffet, terme d'argot (renforcé par lYexpression grossière un sale

coup), s'oppose à je m'apprêtai, terme recherché pour je me préparai.

Citons également cet exemple:

C'est préférable le pâtissier juste avant de


passer la grille du jardin, le beau magasin
du coin fignolé comme un décor de bobinard,
avec des petits oiseaux qui constellent les
miroirs à larges biseaux. 7
58

Dans cette phrase, l'argot bobinard se juxtapose à la métaphore recherchée

constellent.

En ce qui a trait aux discordances N. familier/No recherché,

les occurrences sont très nombreuses; on n'en rapportera ici que les

cas les plus évidents. Dans la phrase "Les indigènes du village

vinrent s'asseoir autour du foyer, furieusement jacasseurs", l'adverbe

furieusement figure dans un emploi recherché*, accolé à jacasseurs,

terme familier dans la mesure où il est créé par Céline, à partir

de Jacasser et jacasserie, - mots qui eux-mêmes ne s'appliqueraient

en propre qu'au cri de la pie. Au moment où le narrateur retrouve

Lola en Amérique, il lui raconte toutes sortes d'histoires afin de

lui soutirer de l'argent, "Et encore bien d 'autres bénignités et

fadaises que je lui débitai,,8; ainsi, bénignités et fadaises figurent

.côte à côte comme termes respectivement recherché et familier du ré-

férent conceptuel "niaiserie".

A un autre endroit, en parlant de la constipation dont une res-

pectable dame se vante de souffrir, Céline écrit qu'elle a une "réten-

tion de caca,,9, expression qui combine de plaisante façon un mot re-

cherché (rétention)et un mot familier ou enfantin (~).On trouve

une discordance semblable dans la phrase "Et la façon fameuse surtout

dont Baryton nous avait plaqués pour s'en aller vadrouiller dans les

* Dans Les Précieuses ridicules, Môlière se moque du langage prec~eux,


et entre autres del~fl'ectation. dans cet emploi de l'adverbe furieu-
sement: Magdelon se déclare "furieusement pour les portraits", trou-
ve le ruban de MascariJ.le "furieusement bien", etc.
59

septentrions!,,:lO vadrouiller, terme familier du référent voyager,

s'oppose ici à Septentrions, terme recherché du référent "région

nordiques". Incidemment, le mot vadrouille (familier pour "voyage,

promenade, escapade") est particulièrement affectionné par Céline

qui le fait couramment entrer dans un contexte recherché, comme dans

la phrase suivante:

On observait encore de longues et brusques


vagues de frénésie qui venaient secouer
de temps à autre les groupes d'aliénés,
à propos de rien, au cours de leurs va-
drouilles interminables, entre la pompe,
les bosquets et les bégonias en massifs. Il

A présent on commence à saisir la pertinence de la notion de

discordance de niveaux de langage, appliquée au discours célinien.

Pourtant, les discordances sémantiques les plus marquées et les plus

nombreuses restent encore à voir: ce sont celles du modèle N. grossier/

N. recherché. Très variées, les occurrences de ce type ont une por-

tée que quelques citations ne suffiront malheureusement pas à épui-

sel':

En voici un premier exemple:

Il existe pour le pauvre en ce monde deux


grandes manières de crever, soit par l'in-
différence absolue de vos semblables en
temps de paix, ou par la passion homicide
des mêmes en la guerre venue. 12

Dans ce passage, la discordance saute aux yeux; elle est issue de l'in-

troduction de crever, mot grossier pour "mourir", au sein d'une con-


60

jugaison de syntagmes recherchés: indifférence absolue, passion

homicide (sans compter la construction syntaxique en la guerre venue

qui confirme leur niveau recherché). Parfois, un terme grossier

vient briser le caractère recherché d'une expression, ici rompre un

charme: "Je ne pouvais compter que sur moi-même pour rompre ce mer-·

deux charme,,~3 Le contraire peut aussi se produire, comme dans "Un

radin d'ailleurs, ce compère, qui m'agréa pour un tout petit sa1aire.~1",


où agréer, signe recherché du concept "accepter, embaucher", voisine

avec radin, grossier pour "avare".

Dans bien des cas, la phrase ne possède pas de niveau dominant

et semble reposer sur une discordance. "Mais ces sportives polémiques

finissaient elles aussi souvent assez mal en torgnoles diverses ••• ,,15:

impossible d'attribuer un niveau particulier à cette proposition qui

combine polémiques (niveau recherché de "discussions") et torgnoles

(niveau grossier de "coup de pOing"). Ce phénomène s'observe à l'oc-

casion dans un syntagme unique, que l'on pourrait par conséquent

nommer syntagme discordant; par exemple, "ce grand fricotage épisto-

laire,,16 constitue un syntagme discordant, formé de fricotage (ni-

veau grossier de "combinaison louche") et de épistolaire (adjectif

recherché pour "relatif à des lettres").

Enfin, peut-être faudrait-il citer à part le cas du terme viande,

grossier lorsqu'il est mis pour "chair humaine", que Céline introduit

souvent dans un conteÀte recherché. Ainsi, dans cette description


6l

appliquée du métro aérien de New York,

Il (le métro) bondissait en face, entre


deux rues, comme un obus, rempli de viandes
tremblotantes et hachées, saccadait à tra-
vers la ville lunatique de quartier en
quartier. 17

le terme viande apparaît à titre de synecdoque grossière de "être

humain", parmi des métaphores recherchées comme bondissait, sacca-

dait, ville lunatique.

Ce bref aperçu des discordances entre les niveaux grossier et

recherché du lexique démontre sans équivoque l'importance, dans Voya-

ge au bout de la nuit, de ce jeu constant entre les différents niveaux

du langage.

4. Discordances impliquant le niveau spécialisé:

Contrairement aux autres, le niveau spécialisé est difficile

à cl~sser dans la hiérarchie que constitue la série sémantique ou

micro-système. A la limite, on devrait sans doute exclure la langue

spécialisée de notre archétype, puisqu'elle est une langue en elle-

même; cependant, comme l'argot, c'est une langue partielle, qui doit

s'appuyer sur le français courant. On a donc placé par convention

le niveau spécialisé à côté du niveau recherché, tout en soulignant

son "statut particulier".

Mais c'est à l'analyse pratique qu'on se rend compte du bien-

fondé de la solution que l'on avait adoptée. Le niveau spécialisé


semble en effet occuper une place voisine (i.e. ni inférieure,

ni supérieure) de celle du niveaU,recherché: juxtaposé ~ ce dernier,

il ne crée jamais d'effet de discordance (du moins, on n'en a pas trou-

"lé de manifestation chez Céline), tandis que, accolé aux autres niveaux

de langage, il produit des effets de discordance semblables ~ ceux

qu'engendre le niveau recherché. Ce qui le caractérise plus particu-

lièrement, c'est sa "faculté" de paraître discordant vis-à-vis le

niveau neutre du lexique, comme dans la phrase suivante:

Autour du métro, près des bastions croustille,


endémique, l'odeur des guerres qui traînent,
des relents de village mi-brûlés, mal cuits,
des révolutions qui avortent, des commerces
en faillite. 18

On voit bien que endémique "se dit d'une maladie permanente dans

une contrée déterminée. Fig: Qui sévit constamment" (Larousse) -

"jure" dans le contexte lexica.l neutre de la phrase.

On a aussi trouvé des discordances du modèle N. spécialisé /

"T. familier, par exemple, "Ca lui faisait très mal quand je le tri-

potais ainsi juste a.u-dessus des conjonctives,,:19 tripoter versus

con jonc tive.

On n'a décelé aucune discordance du type N. spécialisé / N.

argotique, sans doute encore ~ cause du peu d'argot que contient

le roman. Par contre, au chapitre des discordances entre le spécia-

lisé et le grossier, il s'en est trouvé quelques unes, dont nous ne

citerons que la plus intéressante parce qu'elle est signalée par l'au-
teur (à l'aide des guillemets']:

Des "honoraires"? En voilà un mot! Ils


n'en ont déjà pas assez pour bouffer et
aller au cinéma les malades, faut-il en-
core leur en prendre du pognon pour faire
des "honoraires" avec? 20

Dans cet extrai t d.~un cynisme comique, Céline joue sur l 'oppo-

sition de niveaux de langage entre honoraires, signe spécialisé du

référent conceptuel "rémunération des médecins, avocats, etc.", donc

du concept "argent" en dernière analyse, et pognon, signe populaire

grossier du même concept.

Ce sont là tous les modèles de discordances sémantiques que nous

avons pu relever dans Voyage au bout de la nuit.

B. Discordances syntaxiques:

En ce qui a trait aux discordances syntaxiques, on avait prévu

ne découvrir que des discordances du seul modèle Syntaxe anormale /

Syntaxe surnormale. Or cette hypothèse théorique ne correspond pas

à la réalité empirique: il est apparu qu'un segment de phrase cons-

truit selon UL~e syntaxe anormale peut parfois créer une discordance

réelle, ajouté à (ou inséré dans) un ou d'autres segments dont la syn-

taxe est d'un niveau rigoureusement normal. C'est effectivement ce

qui se produit dans le cas suivant:

La ville de San Tapeta était plaquée à


flanc de rocher en plein devant la mer,
et verte fallait-voir comme. 21
64

On admet facilement que le segment et verte fallait voir comme

(expression anormale de "et il fallait voir comme elle était verte")

rompt la"normalité" indiscutable du reste de la phrase. Cette obser-

vation nous parait importante dans la mesure où elle infirme notre

postulat d'indifférence du niveau normal de la syntaxe. Sans doute

existe-t-il également, dans le discours en général, des exemples de

discordance S. normale / S. surnormale (bien qu'on n'en ait trouvé au-

cun dans le voya-ge).

Néanmoins, il reste que cette section concerne avant tout les

discordances entre les niveaux anormal et surno~ma1 de la syntaxe.

Les occurrences qui reproduisent ce mod~le son~ très nombreuses;

chaque cas est patent.

Dans la plupart des cas, la discordance repose sur une opposi-

tion entre une inversion, tournure surnormale, et une anomalie syn-

taxique, souvent une projection actancielle, comme par exemple "A dis-

simuler, il n'avait jamais été fort RObinson,,22 où l'on voit intime-

ment liés les deux niveaux extrêmes de la syntaxe. Cet exemple est

vraiment pertinent car il permet de démontrer l'absence de subjectivité

dans notre méthode. Si Céline avait écrit: "A dissimuler, Robinson

n'avait jamais été fort", on aurait hors de tout doute une syntaxe

surnormale; si, par contre, l'auteur avait écrit: "Il n'avait jamais

été fort à dissimuler Robinson", on aurait alors une syntaxe anormale.

On voit à prés~ que le fait de dire que la phrase de Céline poss~de


65

une syntaxe discordante relève d'une analyse objective de ces élé-

ments.

Dans l'exemple qui suit, la phrase débute encore par une in-

version, pour se terminer sur un mode anormal, résultat de la sup-

pression du ne de la négation:

A me cacher la peine que je lui faisais,


elle se donnait bien du mal mais c'était
pas difficile ~ voir quand même qu'elle
en avait. 23

Dans certains cas, la phrase est construite selon une syntaxe

~ dominante anormale, au sein de .laquelle un ou deux faits de syntaxe

surnormale paraissent discordants:

Le Directeur se levant alors, agacé,


d'une détente, le reçut le boy, d'une
formidable pa-ir.e de gifles et de deux
coups de pied dans le bas ventre et qui
sonnèrent encore. 24

Dans l'exemple cité, l'apposition agacé et l'inversion d'une détente

troublent l'unité anormale de la syntaxe (projection actancielle:

le reçut le boy; coordination illicite d'une proposition relative qui

normalement "s'accroche" directement ~ la proposition principale: "et"

qui sonnèrent encore).

En d'autres occasions, l'inverse se produit; ainsi dans la der-

nière phrase du roman:

Il appelait vers lui toutes les péniches


du fleuve toutes, et la ville entière, et le
66

'--
ciel et la campagne et nous, tout qu'il
emmenait, tout, qu'on n'en parle plus. 25

Le niveau de la syntaxe surnormale domine dans cette phrase (zeugme:

il appelait ••• les péniches ••• la ville '.Q le ciel et la campagne

et nous; rappels insistants: toutes les ••• toutes, tout ••• tout;

"surcoordination": et ••• et); par conséquent, le segment anormal tout

qu'il emmenait provoque une discordance très nette par rapport à l'en-

semble.

On terminera cette section en citant rapidement deux exemples

particulièrement pertinents: "D'une péniche ça venait le son, une belle


26
péniche amarrée à cet endroit du fleuve" (inversion, projection ac-

tancielle, apposition); et: "Sur le quai de la gare, comme nous atten-

dions le train avec Molly, passèrent des hommes ••• ,,27 (inversion, tour-

nure nous ••• avec Molly = Molly et moi, inversion).

C. Discordances sémantiques - syntaxiques:

Cette section regroupe les discordances qui mettent ~n présence

un niveau lexical et un niveau syntaxique dissemblables. Il y a donc

d'une part les discordances entre une syntaxe anormale et un niveau

lexical recherché ou spécialisé, et d'autre part les discordances

entre un niveau syntaxique surnormal et un vocabulaire de niveau ar-

gotique, grossier ou familier.

Une seule occurrence du modèle S. anormale / N. spécialisé

s'est présentée dans le roman de Céline:


67

Il avait des dents bien mauvaises, l'Abbé,


rancies, brunies et haut. cerclées de tartre
verdâtre, une belle pyorrhée alvéolaire en
somme. 28

Cette description véritablement clinique des dents de l'Abbé Protiste

est "véhiculée" par une construction syntaxique caractéristique du

niveau anormal: projection actancielle Il ••• l'Abbé, et surtout ce

segment une belle pyorrhée alvéolaire en somme, petit résumé savant

juxtaposé anaphoriquement à l'ensemble de ce qui précède - et non

à un mot précis -, de sorte qu'on ne peut pas dire qu'il sl ag it d'une

véritable apposition.

Quant au modèle S. anormale / N. recherché, il se réalise très

souvent dans le Voyage. Par exemple, dans "La tante à Bébert en a pro-

f'ité comme les autres de mon désintéressement or~ueilleux,,29, le syn-

tagme métonymique mon désintéressement orgueilleux (N. recherché)

s'inscrit dans une construction syntaxique anormale: projection

actancielle en a profité ••• de mon désintéressement, en plus de

l'anomalie la tante à Bébert (au lieu de la tante de Bébert).

On trouve ailleurs cette phrase, qui combine une formule recher-

chée du lexique et la tournure anormale nous ••• avec: "Et puis, nous

nous mimes à discourir sur les âges avec le curé"~O Ou encore: "Il

le faut bien dire oui, à cette soigneuse et lente caricature burinée

par deux ans" (le visage vieilli, d'une personne qu'on n'a pas recon-

nue tout d'abord)~l Dans ce dernier exemple, opposée à la métaphore


68

Ë,.u"t'inée, la pro jection actanc'i'elle est elle-m~me anormale, si l'on

peut dire, puisque le ~devrait figurer devant ~; on a donc une

transformation vers l'anormal en dé~.étapes: de il faut bien

dire oui à il faut bien le dire oui, d'où il le faut bien dire oui.

Il convient d'ajouter que souvent Céline procède à des des-

criptions recherchées, hautement métaphoriques, en des phrases

excessivement lonsues, très segmentées, et dans lesquelles juxta-

position, coordination, connexions structurales ou anaphoriques échap-

pent complètement à la norme. En voici un exemple frappant (il s'agit

du voyaSe en pirogue de Eardamu, à partir de Topo):

Un bout de pale à l'eau d'abord et puis deux .


ou trois hurlements cadencés et la for~t qui
répond, des remous, ça glisse, deux rames,
puis tro is, on s.e cherche encore, des vagues,
des bafouillages, un regard en arrière vous
ramène à la mer qui s'aplatit là-bas, s'éloigne
et devant soi la longue étendue lisse contre
laquelle on s'en va labourant, et puis Alcide
encre un peu sur son embarcadère que je per-
çois loin, presque repris déjà par les buées
du fleuve, sous son énorme casque, en cloche,
plus qu'un morceau de t~te, petit fromage
de figure et le reste d'Alcide en dessous
à flotter dans sa tunique comme perdu déjà 32
dans un drôle de souvenir en pantalons blancs.

D'autre part, on a relevé quelques occurrences du modèle d.e dis-

cordance S. surnormale/N. familier. Ainsi, Céline écrit: "Nul ne

fut à bouffer jamais plus discret que moi,,~3 qui place en inversion

le terme familieL' bouffer, inversion compr'ise elle-même dans une

tournure syntaxique surnormale: nul ne fut jamais ••• Un phénomène


semblable s'observe dans "J'aurais aimé vadrouiller de sexe en

sexe, mais force me fut de me décider à rechercher un endroit où on

me donnerait du boulot,,~4 on sent assez que la formule force me fut ...


s'oppose à vadrouiller et à boulot. Cependant, l'exemple le plus

saisissant de ce modèle de discordance apparaît dans la phrase sui-

vante:

Ils (les vie illards d'un hospice) s'en allaient


crachoter leurs cancans avec leurs caries d'une
salle à l'autre, porteurs de petits bouts de
ragots et médisances éculées. 35

On y trouve deux termes familiers du concept "bavardage médisant":

cancans et ragots; le premier fait partie intégrante d'un zéugme (~­

choter leurs cancans avec leurs caries), et le second d'une apposition

(porteurs ••• ).

Enfin, on a évidemment pu relever des discordances du modèle

S. surnormale!N. grossier. Dès le début du roman, on lit: "Toutefois,

~~ n'arrivais ~ le plaindre parce que c'était un bien grand saligaud

comme officier,,~6 Dans cette phrase, la suppression du ~ de la négation

situe la syntaxe ~ un niveau surnormal (contrairement ~ la suppression

du ne seul adverbe de négation ~ l'origine, le pas étant plutôt un

adverbe positif - qui la situerait évidemment à un niveau anormal);

par contre, saligaud y n.gure ~ titre de signe grossier du référent

conceptuel "être .. moralement dégoûtant". Ailleurs on trouve cette

imitation de la syntaxe elliptique des "Béatifications", mais ap-

puyée sur un terme grossier: "Heureux ceux auxquels le bordel suffit!"


70

(Cette exclamation permet une fois de plus d'expliciter la notion

de discordance; dans cet exemple il faudrait lire, pour qu'il y ait

accord entre la syntaxe et le niveau de lexique, quelque chose com-

me: "Ils sont heureux ceux qui se contentent du bordel!").

On pourrait citer encore: "Parmi les clientes dont on m'avait

plus spécialement confié la garde, les plus baveuses me donnaient un

foutu tintouin,,;7 qui met en présence l'inversion Parmi ••• et les

mots grossiers baveuses, foutu tintouin. En certains cas, Céline

compose de longues phrases ~ syntaxe surnormale, remplies de terme

grossiers; c'est ce que l'on est ~ même de remarquer dans l'exemple

qui suit, où le parallélisme étudié de la construction syntaxique

véhicule des termes grossiers (en plus de certains mots familiers):

Le même pinard, le même cinéma, les mêmes


ragots sportifs, la même soumission enthou-
siaste aux besoins naturels, de la gueule
et du cul, referaient (des tuberculeux de
la Garenne-Rancy) l~-bas comme ici la mê-
me horde lourde, bouseuse, titubante d'un
bobard ~ l'autre, hâb1arde toujours, tra-
fiqueuse, malveillante, agressive entre
deux paniques. 38

Tous ces exemples de discordance du type sémantique-syntaxique

suffisent ~ démontrer l'ampleur et l'importance de ce phénomène,

quoiqu'ils soient très loin de rendre un compte exhaustif de ses di-

verses manifestations.
71

D. Discordances multiples:

A partir de la dernière citation de la section précédente, on

aura sans doute deviné qu'il se présente des exemples de discordance

A plus d'un point de vue ~ la fois. Ainsi, dans la phrase rapportée

immédiatement ci-dessus, on peut observer que certains termes ou

expressions recherchés comme soumission enthousiaste (métonymie),

horde, titubante s'opposent ~ gueule, cul, hâblarde, etc. Si cette op-

position de niveaux de lexique n'était littéralement engloutie par

la discordance dominante N. grossier / S. surnormale, on dirait que

de fait il.1 y a deux discordances "simultanées".

Or on a relevé des cas de discordance multiple dans le roman

de Céline. Pour dissiper toute équivoque, on n'en rapportera que

deux exemples 2rréfutables; mais il est évident que le phénomène

survient fréquemment, aisément repérable, sans que la subjectivité

du lecteur s'en mêle.

Lorsque Bardamu se trouve ~ bord de la galère de San Tapeta,

Céline fournit au lecteur quelques précisions A propos du nom de la

galère, l'Infante Combitta:

Elle patronnait, m'expliqua-t-on par la suite,


cette Royauté, de son nom, de ses nichons, et
de son honneur royal le navire qui nous empor-
tait. 39

On voit bien que cette phrase combine les niveaux discordants suivants:

S. anormale dans la projection actancielle Elle ••• cette Royauté;


72

s. surnormale dans le zeu~~e patronnait de son nom, de ses niohons

et de son honneur royal; enfin, nichons appartient au niveau gros-

sier du lexique. Il y a donc discordance multiple, ~ savoir: S.

surnormale / S. anormale et, en même temps, S. surnormale / N. gros-

sier.

Par ailleurs, dans "C'est des barbares ~ la manque ces biffins

pleins de litrons et de fatigue"~O on découvre les niveaux de lan-


gage suivants:

S. anormale C'est des ( au lieu de ce sont);

S. surnormale pleins de ••• et de (zeugme);

N. grossier ~ la manque ("mauvais");


biffins ("Chiffonniers");

N. spécialisé litrons ("un seizième de boisseau").

Il s'ensuit que cette phrase ne comporte pas moins de quatre discor-

dances distinctes: s. anormale / S. surnormale; S. anormale / N. spé-

cialisé; S. surnormale / N. grosè~er; N. grossier / N. spécialisé.

C'est pourquoi on a jugé indispensable de créer la catégorie des dis-

cordances multiples: on ne pourrait classer ailleurs ces discordan-

ces au sein desquelles les niveaux du lexique et les niveaux de la

syntaxe s'opposent en un complexe chassé-croisé.

Voil~ donc achevé un exposé sans doute un peu fastidieux. Pour-

tant, on a réduit au minimum <Je compte-rendu de tous les exemples qui

prouvent que le langage de Voyage au bout de la nuit renferme un


73

nombre indéfini de discordances de niveaux, à l'intérieur d'une

phrase ou d'un syntagme uniques.


CONCLUSION
75

Au ~remier chapitre, on a rappel~ succinctement les diverses opi-


nions émises par la critique au sujet du style de Céline; l'élaboration
et l'application rigoureuse à Voyage au bout de la nuit d'une théorie
des niveaux de langage nous permettent maintenant de formuler les quel-
oues remarques qui suivent.

A la limite, certaines discordances de niveaux ne sont probable-


ment que de pures fantaisies théoriques (par exemple: N. f~ilier/ N.
neut~e). Cependant, on a indubitablement découvert chez Céline un jeu
subtil et constant sur des niveaux de langage hétérogènes; niveaux gros-
sier ou familier versus niveau recherché, syntaxe anormale versus syntaxe
surnormale, syntaxe anormale versus niveau recherché et enfin syntaxe
surnormale versus niveaux familier ou grossier constituent en somme les
modèles v~ritablement représentatifs de discordance de niveaux que l'on

observe dans le Voyage. C'E~st plus qu'il n'en faut pour nous convaincre
de l'ampleur du phénomène.

Il est vrai que la majorité des descriptions de la forêt tropi-


cale pChapnent à cette caractéristique: le style de l'auteur y semble
dotp d'une unitp toute littpraire (c'est-à-dire que le lexique y est
avant tout recherchp, la syntaxe surnormale); d'autre part, les obser-
vations cyniques faites à propos de la Garenne-Rancy et de sa misère
sont plutôt populaires. Mais ces deux réserves confirment par leur minceur
même l'importance des discordances de niveaux de langage dans l'oeuvre;
76

~ un autre point de vue, elles font partiellement apparaître l'absence

de pertinence d'une sorte d'analyse statistique su~ la densité des oc-

currences du phénomène étudié dans ce travail. De fait, il est inutile

de tenter d'établir quelque rapport (occulte mais spécifique) entre

ce "tic" linguistique et la chose parlée chaque fois ~ travers le tic,

dans le roman, car les manifestations de discordance s'y répartissent

~ peu près également, donc indifféremment, compte tenu des deux excep-

tions - insignifiantes - mentionnées ci- dessus.

Il convient maintenant de répondre ~ l'objection que de nombreux

lecteurs du Voyage ne manqueraient pas d'opposer ~ notre étude sur les

niveaux de langage chez Céline: on songe ici à l'accusation globale

de futilité.

Il ne fait pas de doute qu'une semblable recherche revêt un

aspect bien minutieux, - au sens péjoratif du terme. Cependant, repla-

cée dans le contexte général d'une problématique du langage célinien,

cette étude se justifie aisément. On aura avant tout montré ceci: alors

que certains critiques se sont scandalisés du dénuement complet d'uni-

té dans le style de Voyage au bout de la nuit, d'autres ont essayé

d'expliquer ce manque par quelque vague raison "psychologique"; mais

tous, ils n'ont parlé que des ruptures de niveau de style d'un pas-

sage ~ un autre, ou d'une phrase à une autre. Pourtant beaucoup d'entre

eux ont a.ppelé "fausse" ou "artificielle" la langue populaire de Céline,


77

et "mauvaise" sa langue littéraire (cf. Henry Eidou). En un mot,

ils n'ont pas clairement vu (tout au plus certains l'ont-ils pres-

senti) que le langage de Céline est foncièrement discordant, jusque

dans ce que l'on pourrait appeler des espaces syntagmatiques minimums.

Soyons précis: on a vu au chapitre trois que même un syntagme de

deux mots seulement peut constituer une discordance de niveaux de

langage (voir l'exemple fricotage épistolaire).

C'est dire que, dans leur embarras perplexe ou choqué, ces cri-

tiques étaient encore loin de soupçonner jusqu'où s'étend l'équivo-

que du langage de Voyage au bout de la nuit; au lieu de parler de

"curieux mélange de styles", il faudra désormais parler du style

de Céline comme d'un jeu de discordances de niveaux de langage.

On saisit mieux à présent l'utilité du travail un peu fasti-

dieux auquel on s'est livré. En effectuant cette recherche formelle,

on a dégagé un aspect fondamental du style du Voyage et on a mis en

lumière son raffinement extrême. L'exercice pratiqué par Céline re-

présente un travail considérable sur la langue, comme jamais on ne

l'avait fait auparavant. En effet, avant ce roman, c'est le niveau

recherché qui conférait au "style" son essence, qui le consacrait;

Céline a renouvelé la conception même du style, perçu maintenant en tant

que travail sur le langage, considéré selon tous ses niveaux. La pos-

téri té de "Eardamu" (Raymond Queneau, Christiane Rochefort, etc.)

atteste le bi~ondé de cette affirmation.


78

Enfin, si le docteur Destouches manquait lui-même de discernement


face à son oeuvre - la "petite musique", dont il s'est sans cesse vanté
de posséder "le secret", est une magie que l'on peut démystifier -, cet-
te oeuvre n'en a pas moins éclairé un fait encore méconnu de nos jours:
le langage ne serait pas tant un système de signes constitué et utilisé
consciemment par l'homme qu'un être autonome, aux mille facettes, sus-
ceptible de se transmuer, de travailler (comme on dit que l'humidité
fait "travailler" le bois). En dernière analyse, Louis- Ferdinand Cé-
line appara1t nettement comme l'un des premiers écrivains à avoir "in-
troduit un doute sur la langue": on ne saurait être plus littéraire.
BIBLIOGRAPHIE
80

Louis-Ferdinand CELINE: vo)age au bout de la nuit, Paris, Ga1li-


mare, (Livre de Poche , 1952, 498 p.

Michel BEAUJOUR: Temps et substances dans Voyage au bout de la


nuit, Paris, L'Herne, no 5, 1965, pp. 173-188.

Pierre de BOISDEFFRE: Une anthologie vivante de la littérature


d'aujourd'hui, Paris, Perrin, 1965, 835 p.

Marcel COHEN: Histoire d'une langue. Le Français, Paris, Editions


sociales, 1967, 508 p.

Etienne Bonnot de CONDILLAC: Traité de l'art d'écrire correctement


la langue française, Paris, Dufart, 1812, 322 p.

Jacques DlffiOIS et alii: Figures de l'argot, in Communications,


no l~, 1970, pp. 71-93.

Jean GUENOT: Voyage au bout de la parole, Paris, l'Herne, no 5,


19~5, pp. 246-267.

Georges MATOHE: La Méthode en lexicologie, Paris, Didier, 1953.

Jean-Pierre RICHARD: La Nausée de Céline, in N.R.F., année 10,


juillet - août 1962, pp. 33-47 et 235-252.

Aurélien SAUVAGEOT: Portrait du vocabulaire français, Paris,


Larousse, 1964, 285 p.

Léo SPITZER: Une habitude de style (Lo9 rappel) chez M. Céline,


Paris, L'Herne, 1965, pp. 153-164.

Lucien TESNIERE: E1éments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck,


1959, (,70 p.
8l

Jean-Paul VIlITAY: Séries sémantiques et niveaux stylistiques, in


La Revue canadienne de Linguistique, automne 1962, 8:l,
(University of Toronto Press), pp. 9-25.

Périodiques cités ("Chroniques des livres"):

Le Divan (Henri Martineau), tome 20, 1932-1933, p. 338.

L'Humanité (Paul Nizan), 9 décembre 1932.

Le Mercure de France (John Charpentier), 15 décembre 1932.

La Nouvelle Revue Française (Marcel Arland), no 234, tome XL,


pp. 514-518.

La Revue de France (Pierre Audiat), 15 janvier 1933.


(Léon-Pierre Quint), 1er février 1933.

La Revue de Paris (Henry Eidou), 15 décembre 1932.

La Revue des Deux Mondes (André Chaume ix), 1er janvier 1933.
82

NOTES

CHAPITRE PREMIER:

1. Revue Hebdûmadaire, 4 ~évrier 1933.

2. Revue des deux Mondes, 1er janvier 1933.

3. L.-F. CEL~~: Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard


(Le livre de Poche), 1952, p. 82.

4. Mercure de France, 15 décembre 1932.

5. Le divan, tome 20: 1932 - 1933, p. 338 (Slatkine Reprints).

6. Revue de Paris, 15 décembre 1932.

7. L'Humanité, 9 décembre 1932.

8. Re,~e de France, 15 janvier 1933.

9. Id., 1er ~évrier 1933.

10. Nouvelle Revue Française, no 234, tome XL, janvier-juillet


1933, p.514.
11. Ibid., p. 515.

12. Pierre de BOISDEFFRE: Anthologie vivante de la littérature


d'aujourd'hui, p. 45.

13. I;~arcel COHEN": Histoire d'un langage. Le Français, p. 300


14. Jean-Pierre RICHARD: La Nausée de Céline, Il, N.R.F., août
62, p. 2400
15. :Michel BEAUJOUR: Temps et substances dans Voyage au bout de
la nuit, in Cahiers de l'Herne, no 5, p. 177.

16. Cahiers de l'Herne, no 5, 1965, p. 263

17. Jean Gù~NOT: ibid., p. 263

18. Id., ibid., p. 263-265


83

19. Id., ibid., p. 260.

20. id., ibid., p. 265.

21. Cahiers de l'Herne, no 5, 1965, p. 161.

22. Reproduit dans l'Herne, no 5, 1965, pp. 153-164.

23. Léo SPITZER, ibid., p. 163.

CHAPITRE DEUXIEME:

1. CONDILLAC: Traité de l'art d'écrire correctement la langue


française, Paris, Dufart, 1812, p. 261.

2. id., ibid., p. 267.

3. A. SAUVAGEOT: Portrait du vocabulaire français, Paris,


Larousse, 1964, p. 79.

4. Id., ibid., p. 207.

5. J.-P. VINAY: Séries sémantiques et niveaux stylistiques, in


Revue canadienne de Linguistique, automne 1962.

6. J.-P. VINAY, loc. cit., p. Il


7. G. MATORE: La méthode en lexicologie, Paris, Didier, 1953.
p. 63

8. J.-P. VINAY, loc. cit., p. 12.


9. Id., ibid., p. 239.

10. A. SAUVAGEOT, op. cit., p. 243.

Il. Id., ibid., p. 239.

12. G. MATORE: op. cit., p. 73.

13. Groupe~: Rhétoriques particulières. Figures de l'argot,


in Communications, no 16, 1970, pp. 71 à 93.

14 • Id., ibid., P • 92.

15. L. TESNIERE: Eléments de syntaxe structurale, Paris,


Klincksieck, 1959, p. 102~
84
16. Id. , ibid. , pp. 323 et suivantes.

17. Id. , ibid. , p. 364.

18. Id. , ibid. , p. 85.

19. L. SPITZER, 10c. ci t., p. 158.

20. L. TESNIERE, op. cit., p. 172.

21. Id., ibid., p. 174.

22. Id.,ibid., p. 95.

23. P. FONTANIER: Les figures du discours, Paris, Flammarion,


1968, pp. 283-322.

CHAPITRE TROISIEME: Dans ce chapitre, toutes les citations sont


tirées de l'édition du Livre de Poche de
Voyage au bout de la nuit.

1. P. 162.
2. P. 59.
3. P. 26.

4. P. 122.

5. P. 217.
6. P. 172.

7. P. 379.
8. P. 215.

9. P. 381-
10. P. 437.
Il. P. 412.
12. P. 86.
85

'-~
13. P. 261.
14. P. 410.
15. P. 269.
16. P. 358.

17. P. 200.
18. P. 24l.

19. P. 328.
20. P. 265.
21. P. 181.

22. P. 304.

23. P. 236.

24. P. 131.
25. P. 498.
26. P. 395.
27. P. 237.
28. P. 334.
29. P. 246.
30. P. 376.
31. P. 81.
32. p. 163.

33. P. 121.
34. P. 130.
35. P. 92.

36. P. 27.
86

37. P. 426.
,~.-

38. P. 344.

39. P. 183.

40. P. 241.

Vous aimerez peut-être aussi