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Green Extrait Revue Française de Psychanalyse (... ) Société Psychanalytique bpt6k54521981 PDF
Green Extrait Revue Française de Psychanalyse (... ) Société Psychanalytique bpt6k54521981 PDF
psychanalyse (Paris)
André GREEN
* Cet article est paru dans l'International Journal of Psycho-Analysis(1996), 76. La version française
en a été établie par Christelle Bécant et revue par l'auteur. La Conférence anniversaireSigmund Freud au
cours de laquelle il a été présenté au Centre Anna Freud a eu lieu le 27 avril 1995.
Rev. franç. Psychanal, 3/1996
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évolué en ce qui concerne le sexe, si l'on doit des changements plus radicaux
encore aux progrès de la biologie qui a supprimé nombre de vieilles craintes rela-
tives aux relations sexuelles - exception faite de l'épidémie de Sida récemment
découverte -, on ne peut pas dire que les problèmes relatifs à la sexualité mascu-
line et féminine aient été résolus. Nos patients se plaignent encore de troubles
dans leur vie sexuelle : impuissance partielle ou totale, frigidité, insatisfaction
sexuelle, conflits liés à la bisexualité, à l'union ou à la désunion de la sexualité et
de l'agression, pour ne citer que ceux-là. Quels que soient les changements inter-
venus et les usages sociaux qui guident dorénavant les comportements indivi-
duels, les mentalités n'ont pas évolué au même rythme. Freud pensait même,
d'après les notes retrouvées, écrites à Londres en 1938, confirmant des observa-
tions antérieures, que la sexualité présentait une incapacité intrinsèque qui
empêchait que la décharge et la satisfaction ne soient complètes. Il a même cité
une expression (en français pour la circonstance) : « En attendant toujours
quelque chose qui ne venait point» (Freud, 1937-1938, p. 288). Cela lui a fait
imaginer qu'une inhibition interne empêchait que le plaisir ne soit total, en rai-
son d'un conflit antagoniste fondamentalement enraciné dans le fonctionnement
pulsionnel.
Bien sûr, le changement le plus spectaculaire dans l'oeuvre de Freud est venu
de la prise de conscience progressive, avec l'expérience, de l'influence des fac-
teurs qui s'opposaient à l'épanouissement des pulsions erotiques. Les différentes
phases de son oeuvre semblent témoigner de la progression de facteurs anti-
sexuels, au-delà du refoulement. Il est clair, par exemple, que les pulsions
d'autoconservation ont, dès lors qu'il s'agit de s'opposer à la sexualité, un pou-
voir inférieur à celui des pulsions de destruction. Les pulsions d'autoconserva-
tion n'induisent qu'à la prudence, leur mise en exercice n'implique qu'une limi-
tation de la satisfaction sexuelle. Pour ce qui concerne les pulsions de
destruction, le résultat est plus radical. Si l'on se souvient que, selon Freud, la
destruction primaire est d'abord dirigée vers l'intérieur, la sexualité se trouve
attaquée en tant que telle et, si l'intrication des pulsions n'est pas suffisamment
achevée, une certaine proportion de destructivité est libérée au-delà des combi-
naisons sadomasochistes. Ce qui, dans les faits, conduit à une altération pro-
fonde de la sexualité, comme nous le constatons dans les symptômes présentés
par les sujets borderline au niveau du Moi ou en relation avec la psychopatholo-
gie du narcissisme, ainsi que dans d'autres structures non névrotiques. Ces
caractéristiques cliniques sont aujourd'hui très fréquentes chez les patients que
nous analysons et c'est sans doute la raison pour laquelle nous tenons pour
acquis que ces symptômes n'ont que peu de rapport direct avec la sexualité et
qu'ils s'expliquent davantage en termes de relations d'objet. Il semble qu'on les
comprenne mieux à l'aide d'autres facteurs indépendants de la sexualité, tels
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tous : la sublimation, dans laquelle les buts sexuels de la pulsion initiale sont
abandonnés, les investissements étant désexualisés, et, enfin, le refoulement qui
maintient la tonalité sexuelle du contenu idéationnel aussi éloignée que possible
de la conscience (Freud, 1915).
Ces brèves remarques nous permettent de voir que ce que Freud a effective-
ment décrit par le biais de ces mécanismes, dont je n'ai mentionné qu'un petit
nombre, est en fait un dispositif de transformations que l'on pourrait comparer
à des procédés syntaxiques qui n'utiliseraient pas de mots. On irait même jus-
qu'à supposer que, parallèlement à la création d'une infinie variété de « phrases »
à l'aide d'une telle grammaire, on assisterait au déroulement d'une action oppo-
sée dont le but serait, non seulement de gommer son contenu précédent quand
la censure est à l'oeuvre, mais encore de pousser son activité jusqu'à détruire la
communication qu'elle aurait essayé d'échafauder, à l'aide d'un dispositif de
déliaison des liens établis. Nous faisons allusion ici à la mystérieuse et très discu-
tée idée de pulsion de mort, mais nous ne la développerons pas davantage pour
l'instant.
Les descriptions que Freud a faites de cette grammaire inconsciente sans
mots - il ne m'échappe pas que l'expression est contradictoire, mais je suis sûr
que vous comprendrez que je fais référence aux processus psychiques - devaient
être enrichies de celle des mécanismes de défense dans Inhibition, symptôme et
angoisse (Freud, 1926). En 1915, il ne parlait que de destins des pulsions, pas de
mécanismes de défense. Il allait aussi découvrir d'autres mécanismes de défense
après 1926, tels que le clivage par exemple. La signification clinique de la sexua-
lité dans les névroses ou sa capacité d'échafauder un dispositif de mécanismes
psychiques mettant en jeu les destins des pulsions ne sont pas les seules raisons
qui ont présidé à la sélection de la sexualité pour réaliser un tel dessein. Freud a
choisi la sexualité également à cause de son contenu philosophique, ainsi qu'il l'a
indiqué, citant Empédocle, dans «Analyse finie, analyse sans fin» (Freud, 1937).
On sait que la sexualité et la mort sont les deux grandes « inventions » de l'évo-
lution. La sexualité est liée à la perpétuation et à la complexification de la vie.
Comparées aux fonctions somatiques, celles qu'elle exerce chez l'individu sont
d'une importance sans égale. Qu'une fonction aussi naturelle soit assujettie,
dans l'espèce humaine, à des influences culturelles déterminantes ou à de telles
variations de la destinée - les destins (Schicksal) de Freud - et qu'elle puisse
devenir aussi « dénaturée» est un fait d'une importance considérable, mais qui
ne peut faire oublier son soubassement biologique fondamental. Il convient de
ne pas l'oublier si l'on veut comprendre pleinement les hypothèses élémentaires
de Freud. Mais revenons à la description psychologique au sens strict.
On a considéré que la théorie de Freud était solipsiste. Comme si elle s'ins-
crivait dans un organisme isolé, refermé sur lui-même, dont l'évolution et le
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tence de l'objet dès le début de la vie. Un autre événement s'est produit dans la
psychanalyse. Les psychanalystes ont décidé de quitter le champ de la psychana-
lyse appliquée, en raison des innombrables déconvenues de Freud ou de ses par-
tisans : malentendus, erreurs, négligence de faits importants, fragilité de certaines
hypothèses qui soulevèrent des critiques considérables. On décida un recentrage
sur l'expérience clinique. Jusque-là, tout va bien. Ce changement, conséquence
normale s'appuyant sur le fait que le psychanalyste est toujours présent dans la
séance analytique, fit glisser vers une théorie moins fondée sur le développement
et les ramifications d'une force inconnue posée par hypothèse que sur les
échanges avec l'objet, comme la situation clinique permettait d'en faire l'expé-
rience. En tout état de cause, la théorie de la sexualité aurait pu rester intacte. Il
ne pouvait pourtant en être ainsi.
Depuis les Études sur l'hystérie, Freud avait remarqué que le patient ne fai-
sait que rarement référence à l'élément sexuel. Le refoulement et la résistance
influençaient la communicationdu patient. Mais à présent on les retrouve égale-
ment chez l'analyste. En fait, la théorie des relations d'objet a suivi deux direc-
tions. Tout d'abord, Fairnbairn, en posant que l'activité psychique n'était plus
orientée vers la « quête du plaisir » mais vers la « quête de l'objet », impliquait
une désexualisation de la théorie. Deuxièmement, le courant de Melanie Klein,
tout en invoquant l'importance de l'objet depuis le début, donnait cependant la
priorité à la destruction et, à l'opposition freudienne de plaisir-déplaisir, préfé-
rait un autre couple de contraires : le bon et le mauvais objet. Cette légère diffé-
rence n'était pas sans conséquences puisqu'elle attribuait aux principes de base
de l'activité psychique une orientation qui divergeait considérablement de l'hy-
pothèse freudienne. L'idée d'une relation d'objet démarrant dès le début de la vie
élevait le sein à une position suprême. L'influence s'en est fait ressentir dans des
phases ultérieures. Le modèle du sein s'est étendu à la phase génitale, en recou-
vrant l'organe génital. Désormais, on considéra que le pénis était un organe
oblatif et nourricier, en d'autres termes, un sein. La fellation devenait implicite-
ment l'équivalent le plus proche d'une relation sexuelle pleinement satisfaisante.
Serais-je en train de minimiser le rôle de la métaphore ? Peut-être. Il n'en reste
pas moins que le rôle d'une relation sexuelle n'est pas de nourrir et d'alimenter
mais d'atteindre l'extase dans une jouissance mutuelle.
Il m'est difficile de penser que la capacité qu'une femme a à éprouver un
plaisir sexuel vient du souvenir inconscient d' « avoir aimé, chéri le mamelon et
d'en avoir joui en toute quiétude dans la succion active» (Hoffer, 1991, p. 696,
qui cite cette opinion sans la partager). Si c'est là la seule condition, je vois déjà
la frigidité se profiler en toile de fond. Et si malgré tout existait une jouissance
dénuée de fixations orales, on supposerait qu'elle constitue une défense contre
l'angoisse, cette dernière étant toujours liée à l'agression. En fin de compte, que
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ajouter d'autres qui n'impliquent pas directement les pulsions mais qui, telle
l'identification, interviennent entre le Moi et l'objet.
Rappelons-nous l'exemple que Freud décrit dans «Le Moi et le Ça». Le
Moi transformé, s'adressant au Ça, dit : « Écoute, tu peux m'aimer aussi - il
n'y a pas de différence entre l'objet et moi» (1923, p. 30). L'identification, en
tant que modalité impliquant l'objet, participe au processus transformationnel
relatif au Moi.
Par l'analyse des diverses conceptions de la sexualité, nous mettons au jour
des différences culturelles et nous constatons que la sexualité constitue, de par la
diversité de ses manifestations au cours d'une vie, un stimulus extraordinaire
pour la pensée, générateur de multiples constructions imaginaires et mythiques.
A l'échelle de l'individu, le fantasme joue un rôle similaire. De son potentiel de
transformation résulte une pensée complexe qui constitue la plus puissante inci-
tation au travail psychique. Cette sorte de pensée - celle à laquelle Freud se
réfère à la fin du cas de l'Homme aux loups -, fondée sur l'intuition, met néan-
moins en jeu des opérations inconscientes et mérite qu'on la qualifie de primaire.
Elle s'oppose au type de pensée qu'il est impossible d'atteindre autrement qu'à
travers le langage et les processus secondaires. On le voit, aucune autre fonction
psychique ne peut jouer un rôle similaire. Il semble raisonnable de penser que la
place et l'influence de la sexualité ne peuvent être diminuées, en dépit du carac-
tère obscur de ses manifestations, cachées pour nombre d'entre elles. Il ne s'agit
pas uniquement d'un changement des usages ou de la morale imputable au Zeit-
geist. Ce que nous mettons, de fait, en lumière, c'est l'enracinement corporel du
psychique hé aux objets, l'ensemble étant immergé dans une culture. Et lorsque
finalement nous constatons que les expressions du psychisme inconscient sont
très éloignées de son contenu conscient, cela nous conduit à postuler une rela-
tion entre le sexe et la vie.
En discutant les opinions de Freud, il m'a semblé que l'on avait négligé un
important changement survenu dans son oeuvre. En 1920, la dernière théorie des
pulsions, formulée dans «Au-delà du principe de plaisir», a introduit de nou-
velles façons de penser qui n'ont pas été prises en compte. Les collègues de
Freud ont, pour la plupart, concentré leur attention sur le postulat de l'existence
d'une pulsion de mort, selon eux discutable et, en consacrant toute leur énergie
à contredire ses orientations, ont ignoré les modifications significatives qu'il
avait apportées à sa théorie de la sexualité.
Dans cet ouvrage, Freud introduit l'idée d'Éros. Au heu de parler de pul-
sions sexuelles, il parle à présent de pulsions de vie, changement qui trouve son
évidence et sa justification dans leur antithèse, la pulsion de mort. La sexualité
semble ici posée comme équivalant à la vie, alors que les pulsions non sexuelles
sont supposées se précipiter vers le but final de la vie : la mort. Mais plus tard
La sexualité a-t-elle un quelconque rapport avec la psychanalyse ? 841
Le sens de la sexualité
Stoller confirment un point sur lequel j'ai moi aussi insisté, fondé sur mon expé-
rience psychanalytique : la relation de la sexualité avec ce que j'appelle la folie,
en la différenciant de la psychose.
Notons, bien que Freud ne l'ait pas ignoré, à travers le travail de Havelock
Ellis par exemple, le large éventail des troubles de la sexualité. Cependant il n'a
jamais considéré la bizarrerie du travestisme ou du transsexualisme, qui sont deve-
nus relativement fréquents à notre époque et dans notre société. Un fois encore,
nous n'aurons pas la possibilité en ces lieu et place d'analyser les implications de
cette omission. Il est cependant évident qu'on ne saurait considérer ces états psy-
chopathologiques du seul point de vue du comportement ou en tant que perver-
sions, du moins pour autant que le transsexualismesoit concerné. Nombre de psy-
chanalystes considèrent que le transsexualisme devrait être considéré comme une
psychose, donc au-delàde ce que je nomme folie. Même si cette question contro-
versée donne lieu à des débats, il est clair que la sexualité présente,de par sa nature,
certains éléments qui la rattachent à la passion et qui peuvent s'exprimer même
dans les perversions. Ils ne sont pas seulement liés à l'objet de la perversion en tant
que personne, qui la plupart du temps disparaît pour laisser place à un objet par-
tiel. Dans les cas dont nous parlons, les gratifications perverses viennent au pre-
mier plan avec des accents de passion qui vont de pair avec l'attachement à l'objet
partiel d'une façon qui évoque un trouble de l'esprit. De cela Freud n'a pas assez
parlé. Ce queje tente de dire, c'est que les régressions du transvestismeou du trans-
sexualisme ne créent pas entièrement ces symptômes, de sorte qu'il doit y avoir
quelque chose dans la sexualiténormale qui rende compte de la possibilitéde leur
survenue et du fait qu'ils monopolisent l'esprit du patient.
Conclusion
1. Le texte de la Standard Edition traduit le mot « indice » par exponent (exposant) qui nous semble
mieux éclairer le contexte, en raison surtout de sa polysémie qui renferme les idées de présentation, d'in-
terprétation, d'exécutant et de représentant ; sa valeur symbolique est indissociable de la puissance affec-
tée à un facteur. C'est cette dernière dimension qui disparaît, en français, avec la préférence donnée au
mot indice.
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D'après cette citation nous voyons que Freud fait une distinction entre l'Éros
(les pulsions de vie et d'amour) et la sexualité qui n'est plus qu'une fonction (tout
comme l'inconscient est alors devenu une simple qualité), et que la libido est l'ex-
posant de l'Éros. Ainsi nous avons une chaîne liant le concept : Éros (pulsions de
-
vie et d'amour) son exposant (la libido) sa fonction (la sexualité). Freud sou-
-
ligne que la sexualité ne doit pas être confondue avec l'Éros, mais si nous en venons
maintenant à la relation entre la vie et l'amour, nous aboutissons à la conclusion
que l'Éros, s'exprimant au nom d'une pulsion de vie, agit en tant que fixation psy-
chique. Qualifiant une pulsion d'amour, la fixation signifie l'union à un objet. La
référence à la sexualité souligne que l'objet d'amour est essentiellementun objet de
plaisir. Nous impliquons par conséquent que l'objet assure la sécurité, la paix, la
tranquillité, l'aise, etc., qui sont les conditions préalables au plaisir ; mais celles-ci
ne font qu'ouvrir la voie à son expérience, une expérience qui lie étroitement le
jeune Moi à son objet nourricier.
Le lien qui unit l'amour, la vie et le plaisir est très puissant. Cette
connexion implique l'existence, tôt ou tard, de la conscience de l'autre, séparé
du jeune Moi avec toutes les conséquences que cela entraîne quant aux
angoisses qui peuvent surgir à ce moment. En outre, le passage inexorable du
temps amènera une conséquence encore plus spectaculaire : la découverte de ce
que le jeune bébé et sa mère ne sont pas seuls au monde, que l'objet a son
propre objet, qui n'est pas le bébé et que j'appelle l'autre de l'objet, en d'autres
termes le troisième élément que symbolise le père. Désormais, le bébé devra
non seulement se soucier de ses propres impulsions sexuelles, mais aussi s'in-
terroger et fantasmer sur les relations secrètes des deux partenaires, qui de fait
l'excluent afin de jouir mutuellement du plaisir de leur relation intime. Et, en
fin de compte, cette prise de conscience de la discontinuité de l'existence de
l'objet, de sa disparition périodique, de son indisponibilité sporadique ainsi
que de l'existence d'autres objets de plaisir, explique l'importance du désir. A
cause des circonstances tragiques, mais très ordinaires, que j'ai décrites, l'in-
contournable nécessité du déplacement du désir, que nous appelons sublima-
tion, doit être accomplie. La sublimation, dont le champ s'étend bien au-delà
de celui auquel nous le réduisons d'ordinaire, est ce qui explique notre pré-
sence ici, la vôtre et la mienne, réunis pour célébrer la sublimation qui a per-
mis à Sigmund Freud de créer la psychanalyse, voilà un siècle.
Bon anniversaire, cher Sigmund.
André Green
9, av. de l'Observatoire
75006 Paris
848 André Green
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Marilia AISENSTEIN