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Le dictionnaire
des sciences sociaLes
Sous la direction de
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Jean-François Dortier
diffusion : seuil
distribution : Volumen
ouverture et interdisciplinarité
Il y a plus d’un demi-siècle déjà, les historiens des Annales
ont voulu désenclaver leur discipline pour l’ouvrir aux autres
sciences sociales. La géographie est sortie de son coninement
pour s’imprégner des autres champs disciplinaires. L’étude de
l’économie ne peut plus être envisagée sans prendre en compte
les soubassements sociologiques, historiques, et psychologiques
des marchés, etc.
Voilà pourquoi ce dictionnaire se veut un moyen non seu-
lement de circuler d’un domaine à l’autre, mais aussi d’aborder
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Le Dictionnaire des sciences sociales
Jean-François Dortier
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notions et concePts
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Notions et concepts
anthropologie dans les années 1940, c’est mettre en avant les choix et déci-
dans le cadre du courant « culturaliste ». sions prises par un sujet social dans un
À une époque marquée par le colonia- contexte donné.
lisme et les transformations opérées au La sociologie contemporaine ofre plu-
sein des sociétés traditionnelles par la sieurs visages de l’acteur :
modernité, on a surtout employé le – l’homo œconomicus, acteur rationnel
terme d’acculturation dans le cas d’une qui agit en calculant au mieux les avan-
culture dominée qui se trouve mise au tages et ses coûts. C’est le modèle de
contact d’une culture dominante, subit l’individu égoïste et calculateur ;
très fortement son inluence et perd de – l’acteur stratège agit en fonc-
sa propre substance originelle. tion d’une rationalité « limitée ».
L’anthropologie contemporaine, qui Le sujet se contente d’agir de façon
a une vision moins homogène des « raisonnable » ;
cultures, met l’accent sur la diversité – récemment, le modèle de l’acteur s’est
des processus de transformation d’une enrichi d’une vision de l’individu incer-
culture au contact des autres, en souli- tain, en quête de lui-même et tiraillé
gnant les phénomènes de syncrétisme, par des motivations multiples.
d’intégration, d’inluence.
action
acteUr
La sociologie de l’action s’est constituée
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Notions et concepts
dans Exit, Voice and Loyalty (Face au Sur une génération, on observe ainsi
déclin des entreprises et des institutions, comment les problématiques de l’action
trad. fr. 1972) trois types de stratégie collective évoluent en fonction des
qui peuvent découler d’un mécontente- problématiques propres aux sciences
ment. Par exemple, lorsqu’un consom- sociales mais aussi des transformations
mateur est satisfait, il n’a aucune raison des mouvements sociaux eux-mêmes.
de « changer de crémerie » et mani- Le mouvement des années 1970-1980
feste donc sa loyauté (loyalty). Mais (analysé par A. Touraine) était marqué
s’il éprouve des mécontentements, il par le recul du mouvement ouvrier, et
peut alors exprimer sa réprobation par l’essor du mouvement féministe, régio-
défection (exit), en choisissant la pro- naliste ou écologiste. Les années 1990
testation ou la prise de parole (voice). ont été marquées par de nouveaux mou-
Dans le même esprit, le sociologue vements comme celui des sans papiers,
Charles Tilly a parlé de « répertoire des homosexuels, des minorités visibles.
d’actions » pour désigner les difé- Les mouvements altermondialistes et les
rentes solutions possibles dans le cadre revendications identitaires ont alimenté
des mobilisations collectives. Celles-ci la thématique de la multitude ou des
peuvent emprunter la voie de la grève, « nouvelles formes d’action collectives ».
de la manifestation, d’actions comman- Nul doute que les révolutions arabes, et
dos, d’insurrections, de pétitions… celles des indignés du début des années
selon les circonstances. 2010, vont alimenter à leur tour de
nouvelles problématiques.
Évolutions récentes
L’analyse des mouvements sociaux s’est
enrichie de plusieurs théories et grilles aGence
d’analyse. Dans les années 1990, R. Ingle- (tHÉorie de L’aGence)
hart considérait que les mouvements Un des postulats de base de la théo-
sociaux allaient désormais passer des rie économique est que l’entreprise
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cherche toujours à faire fructiier ses partage avec Sigmund Freud l’idée
biens, et donc à maximiser son proit, que l’agression est un instinct. Chez
en utilisant au mieux ses ressources. l’animal, il a une fonction adaptative,
Or, l’économiste américain John au service de la survie de celui qui en
K. Galbraith avait déjà remarqué que fait usage. L’agression est nécessaire au
ce constat n’est pas évident. Si les prédateur (pour capturer une proie) ou
actionnaires d’une entreprise sont en à sa victime (pour se défendre). Dans
général à la recherche du maximum de de nombreuses espèces, les mâles s’af-
bénéices, il est possible que le manager frontent pour conquérir les femelles
soit en quête d’autres objectifs : l’aug- ou pour défendre leur territoire. Les
mentation de la taille de l’entreprise conlits sont ritualisés et se résument
par exemple (qui peut se traduire par souvent à des coups, morsures et pos-
des déicits temporaires). Comment tures de menace, et vont rarement
accorder les intérêts de l’actionnaire et jusqu’au meurtre. En revanche, notait
du manager ? Voilà le type de questions K. Lorenz, l’homme ne possède plus de
que se pose la théorie de l’agence. mécanismes régulateurs de l’agression
La relation d’agence représente « un aussi eicaces que ceux des animaux.
contrat par lequel une ou plusieurs En 1974, une observation dramatique
personnes (le principal) engagent une réalisée par Jane Goodall chez les chim-
autre personne (l’agent) pour exécu- panzés de Tanzanie a remis en cause
ter en son nom une tâche quelconque l’idée d’une « ritualisation » systéma-
qui implique une délégation d’un cer- tique de la violence chez les grands
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tain pouvoir de décision à l’agent. » singes. En efet, lors d’un conlit entre
La théorie de l’agence (encore appelée groupes de chimpanzés qui se dispu-
théorie des mandats) remet en cause taient un territoire, l’un des groupes a
le postulat représentant l’entreprise exterminé les membres du clan rival.
comme un acteur unique pour mettre
l’accent sur les divergences d’intérêts Psychanalyse. À partir des années
potentielles entre les diférents par- 1920, S. Freud révise sa théorie des
tenaires (dirigeants, actionnaires et pulsions. Jusque-là, la libido (pulsion
créanciers…). sexuelle) tenait une place centrale dans
son modèle du psychisme. Au lende-
main de la Seconde Guerre mondiale,
aGenda il airme que « l’agressivité constitue
(Fonction d’) une disposition instinctive primitive et
autonome de l’être humain ». Elle est
La fonction d’agenda, présentée la principale expression de l’instinct de
par Maxwell McCombs et Donald mort (hanatos). La civilisation est là
Shaw en 1972 (« he Agenda- pour tenter de refouler cette pulsion
setting Function of Mass-Media », mortifère. Mais elle n’y parvient pas
Public Opinion Quarterly, n° 36), toujours, comme s’en inquiète S. Freud
insiste sur la capacité des médias à dans Malaise dans la civilisation (1929),
focaliser l’attention du public sur tel texte très pessimiste écrit au moment
événement. de la montée du fascisme et quand la
menace de nouveaux conlits com-
mence à planer sur l’Europe.
aGression/aGressiVitÉ
Psychologie sociale. La psycho-
Éthologie. Konrad Lorenz (L’Agression, logie sociale envisage l’agression
une histoire naturelle du mal, 1969) comme une réaction à un stimulus de
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Notions et concepts
souligne le fait que, dans certains secteurs termes, la stratégie débute par un dia-
à risques – les assurances par exemple – gnostic, se poursuit par la formulation
les assurés ont tendance à augmenter la d’un choix et se termine par une phase
prise de risque car ils savent qu’ils sont de mise en œuvre.
protégés par un contrat (« comme ce
n’est pas moi qui paie, je peux prendre
plus de risques »), ce qui a pour efet annaLes (ÉcoLe des)
d’augmenter les coûts imprévus pour la
compagnie d’assurance. C’est un facteur L’« école des Annales » tire son nom
aggravant du risque. Dans le cadre d’un d’une revue Les Annales d’histoire éco-
contrat, l’aléa moral désigne par exten- nomique et sociale, fondée en 1929 par
sion toute modiication du comporte- Marc Bloch et Lucien Febvre. La créa-
ment d’un des contractants contraire tion de la revue des Annales marque,
à l’intérêt général ou aux intérêts des pour ses fondateurs, une rupture avec
autres parties au contrat. la conception de la science historique
du courant positiviste (qui accordait
une primauté à l’événement et à l’his-
anaLYse stratÉGiQUe toire politique). Son but est de fédérer
les sciences sociales autour d’un projet
En sociologie, ces termes désignent la rénovateur, en ayant recours à la géo-
méthode fondée par Michel Crozier et graphie, la sociologie et l’économie
Erhard Friedberg (L’Acteur et le Système, pour éclairer l’histoire. À l’histoire tra-
1977). Cette démarche analyse le fonc- ditionnelle, essentiellement politique,
tionnement des organisations à travers le diplomatique et militaire, se substitue
comportement des acteurs, à partir des une « histoire-questions » à dominante
postulats suivants : ils disposent d’une économique et sociale.
marge de liberté et développent des stra- Au lendemain de la Seconde Guerre
tégies ; leurs conduites s’inscrivent dans mondiale, la revue change de titre et
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ployaient les Anglo-Saxons. Il désigne été critiquée pour son manque de réa-
alors à la fois la connaissance synthé- lisme concernant les comportements
tique de l’organisation des sociétés des acteurs (qui ne sont pas toujours
archaïques et, plus généralement, aussi avisés que le suppose la théorie).
l’étude globale de l’homme. Son mérite est cependant d’avoir attiré
Anthropologie sociale et culturelle : le l’attention sur les capacités d’anticipa-
terme d’anthropologie sociale est plu- tion des agents au sein des marchés et
tôt utilisé par les Anglo-Saxons qui sur les contraintes qu’elles font peser
ont, de fait, plus volontiers étudié sur les politiques économiques.
les dimensions sociales des sociétés
primitives (famille, organisation éco-
nomique, pouvoir) ; les Américains association
parlent d’anthropologie culturelle car
la culture (mœurs, personnalité, etc.) L’association est un phénomène ancien,
fut pour eux un objet d’attentions plus comme en témoignent les associa-
spéciiques. tions monastiques ou les associations
de métiers (corporations, maîtrises,
jurandes, compagnonnages…) au
anticiPations Moyen Âge. Le xviiie siècle vit l’essor
rationneLLes des sociétés savantes, des loges maçon-
niques et autres clubs politiques.
Le prix Nobel d’économie 1995 a Malgré la loi le Chapelier (14 juin
été décerné à l’économiste américain 1791) qui interdit les corporations,
Robert E. Lucas, l’un des piliers de c’est-à-dire les associations de métier, et
la théorie des « anticipations ration- la chasse aux associations illégalement
nelles » qui a eu son heure de gloire constituées, le phénomène associatif
à la in des années 1970. Selon cette survécut tout au long du xixe siècle
théorie, élaborée au début des années sous des formes extrêmement diverses :
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l’origine ethnique), les activités éco- délinquance sous forme de vols, traics,
nomiques (traics et « bizness »), les dégradations y est monnaie courante.
jeux de langage (verlan, joutes ora- Les bandes arborent des sigles, oc-
toires, insultes…), l’univers musical, cupent un territoire et développent une
les tags, comme signes d’appartenance idéologie communautaire forte : avec
au groupe. culte de la virilité, la ierté, le respect.
Ces études permettent aussi de dissiper Des conlits de territoire et bagarres
les équivoques concernant l’univers entre bandes sont fréquents.
de la bande en distinguant des réalités Les gangs. Avec le gang on bascule
voisines : celles des simples groupes de dans un autre univers : celui du crime
pairs, des bandes délinquantes et enin organisé. On est face à une structure
des gangs. maieuse : les vols à grande échelle, les
Les groupes de pairs. Le regroupement braquages, le racket des commerçants,
des jeunes en petits groupes, clans, l’argent qui coule à lot, les armes à feu,
clubs fermés sur eux-mêmes est un une hiérarchie structurée avec un chef,
phénomène assez général que l’on des lieutenants, des rites de passage, des
retrouve dans toutes sortes de sociétés, tatouages. Le gang est une entreprise
et qui s’est généralisé avec l’avènement criminelle dont la structure est celle
de la jeunesse, comme groupe social d’une secte. Les gangs occupent un ter-
relativement autonome. L’enfance et la ritoire et se livrent parfois à des guerres
jeunesse, c’est le « temps des copains » sans merci.
où l’on se regroupe en équipe, clans,
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posantes, propose des déinitions très rés ?), l’avortement et le statut de l’em-
variables de ce qui est bon ou mau- bryon, l’eugénisme, l’acharnement thé-
vais pour elle. On constate un nombre rapeutique, le statut du corps humain
impressionnant de manières locales et (propriété, vente et don d’organes).
nationales de déinir ce que signiie être
en bonne santé. De même, comme le
montre Dario Battistella dans ce même BioGraPHie
ouvrage, la notion de paix (bien public
mondial par excellence) n’a pas une si- La biographie a changé de statut : hier
gniication claire. Toute guerre n’est pas genre littéraire méprisé par la grande
en tant que telle un « mal public » mais histoire, elle arbore aujourd’hui des
peut être au contraire un moyen ration- atours académiques.
nel de poursuivre la politique pour un La biographie fut pendant longtemps
bien plus grand. proscrite des cercles savants. Avec la
professionnalisation de leur métier au
xixe siècle, les historiens se méiaient
BioÉtHiQUe d’un genre jugé trop littéraire. En quête
de scientiicité, ils la toléraient unique-
Ce mot nouveau a été forgé par le ment si elle entendait révéler des traits
cancérologue Van Potter, mais il a fait collectifs qui dépassaient l’individu ou
une entrée remarquée dans les débats quand elle cherchait à montrer que les
de société à partir des années 1990. La grandes igures de l’histoire étaient les
rélexion bioéthique résulte des grandes produits d’une tendance historique
avancées de la biologie : procréation impersonnelle.
artiicielle, génie génétique, clonage, Les biographes « professionnels »
qui ont suscité des problèmes moraux (André Castelot, Henri Troyat, etc.)
en cascade. Face à ces innovations rencontraient un certain succès au-
scientiiques et techniques, les sociétés près du public cultivé mais étaient
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aux réseaux de relations – publiques der les multiples formes qui se sont
ou privées – qu’entretiennent les per- édiiées selon les époques et selon les
sonnes. Ces relations sont un « capi- régions du monde. Au sein d’un genre
tal », car elles peuvent être mobilisées unique, on peut décrire des variétés dif-
pour obtenir un soutien : trouver du férentes.
travail, un logement, disposer d’une
aide. Phases et formes du capitalisme
L’expression « capital social » a été uti- Au cours du temps se sont succédé plu-
lisée avec des inlexions diférentes par sieurs types de régulation. Le capita-
les sociologues. Le sociologue James lisme fut d’abord « marchand » : s’épa-
Coleman l’utilise dans le cadre de la nouissent au xvie siècle des relations de
théorie du rational choice. Il est alors « commerce au loin » d’un continent
vu comme une ressource dans le cadre à l’autre. Parallèlement se développe
de la recherche d’un bien : par exemple, un « capitalisme bancaire » fondé sur
un écrivain recherchant des lecteurs le prêt (par lettre de change, actions,
dispose d’un capital social qui renta- billets à ordre) de riches bourgeois aux
bilise ses investissements initiaux s’il nobles et aux rois. Vient ensuite le « ca-
connaît des amis dans la presse. pitalisme industriel » avec l’essor des
Pierre Bourdieu utilise la notion de ca- grandes manufactures au xixe siècle.
pital pour rendre compte des ressources Le capitalisme contemporain est né du
dont dispose un individu ain d’acqué- mariage de ces trois mondes. Ils cor-
rir une position dans la société. Il dis- respondent toujours à des sphères dif-
tingue alors le capital économique (res- férentes du système économique, bien
sources inancières), le capital culturel qu’elles soient très liées.
(diplômes, maîtrise de la culture légi- On distingue généralement une phase
time) et le capital social qui correspond de « capitalisme libéral », qui a prévalu
aux réseaux des relations personnelles au xixe siècle et jusqu’à la Seconde
et familiales. Guerre mondiale, et une phase qui
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qui souvent prennent soin des autres. étape de cette histoire. Le numérique
En 1994, la politologue Joan Trento a non seulement modiié la manière
s'est élevée contre le fait de considérer de produire les cartes, mais en a aussi
le care comme une « morale féminine » transformé la nature. Ofrant une
et liée à une seule disposition psycholo- masse énorme de données, les systèmes
gique alors qu’il correspond aussi à une d’information géographiques (SIG)
forme de lien social plus global. Le care sont capables de produire une image
est devenu un concept à part entière du monde plus proche de la simulation
dans les sciences humaines, notam- que de la topographie.
ment pour comprendre, en psychologie Le géographe Jean-Paul Bord, dans
du travail, les contraintes propres aux L’Univers des cartes. La carte et le car-
métiers de la santé et aux services à la tographe, 2012, plaide pour un engage-
personne. ment des cartographes jusqu’au bout de
leurs œuvres : une carte n’est pas com-
parable à une œuvre d’art dont on lais-
carte/cartoGraPHie serait libre la lecture et l’interprétation.
Il ne peut donc y avoir de carte sans
« La carte n’est pas le territoire » texte qui l’accompagne. Car si les cartes
(A. Korzybski) Une bonne carte donne sont indispensables, elle sont toujours
l’illusion de fournir une photographie partielles et leur construction guidée
synthétique d’un territoire en mettant par une certaine lecture du monde.
en relief quelques traits principaux.
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vision du monde holiste, caractéris- Une théorie des catastrophes peut trou-
tique des sociétés hiérarchisées dans ver plusieurs sources : en son temps, le
lesquelles l’individu est absorbé dans le naturaliste Cuvier avait défendu une
groupe, et la vision du monde égalitaire thèse « catastrophiste » expliquant la
et individualiste des sociétés occiden- disparition de certaines espèces (les
tales. « mastodontes ») par des grandes catas-
L’industrialisation, l’occidentalisation trophes climatiques comme le déluge
et le colonialisme sont venus boulever- de la Bible). Ces perspectives catastro-
ser le système des castes. Il est oiciel- phistes ont été corroborées par l’exis-
lement supprimé en Inde depuis 1947, tence de grandes extinctions. Cinq ou
mais il a la vie dure : la société n’a pas six grandes extinctions massives ont été
intégré les mesures légales et les discri- repérées au cours de l’histoire de la vie.
minations restent fortes. La plus connue est celle survenue il y
Le terme « caste » est essentiellement a 65 millions d’années qui a vu la dis-
utilisé pour la société indienne, mais parition des dinosaures et des ammo-
des systèmes de castes, plus ou moins nites et de nombreuses autres espèces.
proches du cas indien, se retrouvent Mais ce ne fut pas la plus grave : il y
dans d’autres sociétés, comme chez les a 248 millions d’années est survenue
Touaregs par exemple. la plus grande extinction massive : elle
a éliminé 99 % des êtres vivants et
95 % des espèces, dont les deux tiers
catastroPHe des espèces terrestres (végétaux et ani-
maux). Tous les vertébrés terrestres sont
On peut distinguer deux grands types exterminés. Les causes de cette grande
de catastrophes : celles d’origine natu- extinction font l’objet de débat : météo-
relle et celles d’origine humaine. Les rites, mouvements tectoniques avant
premières sont provoquées par le cli- produit des irruptions volcaniques en
mat : les grandes sécheresses, cyclones chaîne.
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au contact avec les esprits (religion d’un clan qui voue un culte à
Le contact avec l’esprit a lieu durant un animal sacré) et il est destiné, à son
une cérémonie particulière. Au rythme tour, à être remplacé par les « grandes
du tambour, le chaman chante et religions ». Les scènes de possession et
danse, puis entre dans un état qualiié de transe ont beaucoup impressionné
de « transe ». Durant cette phase de les observateurs et, dès le début du
« possession », le chaman efectue un xxe siècle, on évoque une explication
« voyage » dans le monde des esprits psychiatrique. Le chaman serait un ma-
animaux et peut communiquer avec lade mental dont les transes ne seraient
eux. rien d’autre que des crises d’hystérie
Pour les anthropologues, le chama- ou d’épilepsie. Cette explication va se
nisme se déinit par un mode de pensée prolonger jusque dans les années 1960.
caractéristique des sociétés de chasseurs En 1951, Mircea Éliade publie Le
(même s’il s’est propagé par la suite à Chamanisme et les techniques archaïques
d’autres types de sociétés). Les ani- de l’extase, premier livre de synthèse,
maux comme les plantes sont habités qui va contribuer à faire connaître le
par des esprits (qui sont l’équivalent de chamanisme bien au-delà de la com-
l’« âme » humaine), qui sont autant de munauté scientiique. Il présente le
forces et de principes vitaux animant la chaman comme un conducteur des
nature : ils permettent aux plantes de âmes, « un psychopompe, spécialiste
pousser, aux animaux de se reproduire, de la maîtrise du feu, du vol magique
à la pluie de tomber, etc. Ils sont donc et d’une transe pendant laquelle son
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responsables de la vie (et par consé- âme est censée quitter son corps pour
quent de la maladie et de la mort). entreprendre des ascensions célestes.
Circonscrit au départ à la Sibérie, (…) Il entretient des rapports avec les
le terme « chaman » s’est généralisé esprits qu’il maîtrise. » Les spécialistes
à toute une catégorie de pratiques sont aujourd’hui très critiques à l’égard
magico-religieuses, celles des mede- de cette thèse. Il donne en efet une
cine-men, des sorciers, des marabouts, déinition du chamanisme assez vague
des guérisseurs et des prêtres, que l’on et idéalisée, ses sources – toujours de
trouve sur tous les continents. Ce qui seconde main – sont parfois douteuses
ne va pas sans poser des problèmes de et mélangent sans discernement des
déinition. Désormais, le terme tend à données très éloignées les unes des
être utilisé dans un sens beaucoup plus autres.
large. On appelle « chamans » des gué- Aujourd’hui, les études anthropolo-
risseurs qui font appel aux esprits sans giques sur le chamanisme, nombreuses
avoir recours à la transe (en Australie et variées, se veulent plus précises et
et Nouvelle-Guinée) ou pour qualiier circonstanciées. Elles cherchent à ap-
des sorciers guérisseurs qui organisent préhender le phénomène dans toutes
des rituels de possession, où ce sont ses composantes : études des fonctions
les patients – et non les chamans eux- sociales du chaman, de sa vision du
mêmes – qui entrent en transe. monde, de ses conditions de forma-
tion, de l’organisation des cérémonies,
comment expliquer le chamanisme ? du rôle des plantes hallucinogènes, de
Les premières théories scientiiques ses connaissances médicinales, etc.
datent vraiment des années 1930. Pour
les anthropologues évolutionnistes, le La mode du « néochamanisme »
chamanisme serait la première religion Le chamanisme n’aurait-il pas dû dis-
de l’humanité. Fondé sur des pratiques paraître avec les sociétés de chasseurs-
magiques, il succède au totémisme cueilleurs auxquelles il est associé ?
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Notions et concepts
Depuis quelques décennies, on assiste chamans qui n’ont fait que peindre sur
au contraire à une expansion extraor- les parois ce qu’ils voyaient au cours de
dinaire du chamanisme dans le monde. leurs rêves. Avec cette théorie, les clés
Ce renouveau est lié à plusieurs fac- d’interprétation de l’art pariétal préhis-
teurs. torique étaient enin trouvées.
En Amérique latine, chez les Inuits, les La thèse a connu un écho important.
Indiens, en Australie, etc., des mouve- Elle a séduit les médias, mais elle a
ments indigènes s’organisent pour re- aussi attiré les foudres de nombreux
donner vie à leurs traditions, leur mode collègues préhistoriens et anthropo-
de vie et leur culture. Dans ce mouve- logues. Pour certains préhistoriens,
ment militant – où interviennent des J. Clottes et D. Lewis-Williams ont
ethnologues –, le chaman a le vent en largement outrepassé les limites de la
poupe. Il est censé représenter à la fois démarche scientiique en proposant
le prêtre et le médecin-guérisseur, mais une explication unique, unilatérale et
aussi le travailleur social d’un groupe à peu convaincante.
la recherche de ses racines.
Aux États-Unis, la mode chamanique
s’est développée depuis les années 1970. cHaMP
Les ouvrages de Carlos Castaneda, eth-
nologue marginal qui raconte son ini- La notion de champ de force a été
tiation par un sorcier avec le « voyage » inspirée à Kurt Lewin par la physique
dans le monde des esprits sous l’in- des « champs de force ». De même que
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par des lois et des codes qui lui sont Les théories évolutionnistes connaî-
propres : ce sont les lois du « milieu ». tront un déclin au début du xxe siècle.
Les champs journalistique, littéraire ou Les sociologues, plus prudents, pré-
artistique forment des mondes fermés, fèrent mettre en avant certains facteurs
avec des règles de connivence que ne fondamentaux du changement, sans
maîtrisent bien que ceux qui en font prétendre qu’ils soient les seuls et qu’ils
partie. De plus, un champ est aussi un agissent dans un seul sens. Pour Émile
espace de domination et de conlits. Durkheim (1858-1917), la démogra-
C’est un champ de force dans lequel in- phie est un phénomène important :
teragissent des individus pour conqué- c’est dans les villes où se concentrent
rir des positions et des places. Comme les populations que l’on observe les
dans un jeu d’échecs, les positions et les principaux changements économiques,
valeurs de chacun ne valent pas en soi, culturels et politiques. La société rurale
mais en fonction des positions respec- suit. Pitirim Sorokin (1889-1968) et
tives des autres. d’autres émettent, quant à eux, l’hypo-
thèse que les changements suivent une
courbe assez constante qui va de la ville
cHanGeMent sociaL à la campagne, des classes aisées vers les
classes populaires, des pays développés
« Le monde change. » La formule est aux pays en voie de développement
vraie, mais creuse. Les diicultés com- (P. Sorokin, Comment la civilisation se
mencent lorsqu’on veut savoir précisé- transforme, 1941).
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ment ce qui change et quelles sont les On attribue souvent à Max Weber
diférentes causes du changement. (1864-1920) l’idée que la culture est le
moteur du changement, et on l’oppose
Les théories du changement social à K. Marx. L’opposition est caricatu-
Les sociologues ont tenté d’élaborer rale. M. Weber faisait efectivement des
des théories générales du changement valeurs religieuses un élément impor-
social, mettant tour à tour l’accent sur tant de la dynamique sociale, mais sans
des facteurs fondamentaux : la démo- en faire un mobile premier.
graphie, les lois de l’économie, les tech- Dans les années 1960, période de pro-
niques, les mentalités, l’action de l’État, grès technique, on mettait en avant
les conlits sociaux ou encore les indivi- les techniques comme moteur prin-
dus innovateurs. cipal du changement social (voir les
La pensée évolutionniste a prévalu, ouvrages de Jean Fourastié). À la même
chez les premiers penseurs de la so- époque, les conlits et les mouvements
ciété. Hegel, Auguste Comte, Herbert sociaux apparaissent également comme
Spencer et Karl Marx pensent l’histoire des facteurs décisifs pour comprendre
des sociétés en termes d’étapes succes- le changement (Alain Touraine, Ralf
sives quasi invariables et menant vers Dahrendorf ).
un dénouement inal. À la loi des trois De son côté, l’analyse systémique met
états d’Auguste Comte répond la dia- l’accent sur les interactions entre les
lectique historique telle que la conçoit facteurs. Sans doute n’y a-t-il pas un
Hegel (l’histoire avance par paliers qui facteur unique du changement, car,
sont autant de stades de l’esprit hu- dès lors qu’une société s’engage dans la
main). À cette dialectique « idéaliste », voie du changement, une dynamique
K. Marx oppose une vision matéria- s’enclenche et se poursuit bien au-delà
liste. Pour lui, l’essor des forces de pro- des causes initiales. Il y aurait une sorte
duction et la lutte des classes rendent de tourbillon du changement. Talcott
compte de la marche de l’histoire. Parsons (1902-1979) est de ceux qui
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s’acquitter des devoirs et jouir des droits droits culturels ? En France, cette ques-
civils, politiques et sociaux qui s’y at- tion a été, au cours des années 1990,
tachent, et participer ainsi aux « afaires au centre d’intenses débats, notam-
de la cité ». La citoyenneté, depuis la ment entre les sociologues : les uns
Révolution française, est incompatible préconisant un communautarisme
avec toute discrimination fondée sur tempéré, fondé sur la reconnaissance
une inégalité de naissance. Jamais ce d’une action positive en direction des
mot n’a été autant utilisé qu’aujourd’hui minorités victimes de discriminations
– entreprise citoyenne, écocitoyenneté, (M. Wieviorka, Une société fragmentée ?
cybercitoyenneté –, sans que le contenu Le multiculturalisme en débat, 1996) ;
en soit toujours bien déini. les autres, pour qui la citoyenneté mul-
ticulturelle est a priori une contradic-
débats autour de la citoyenneté tion dans les termes, recommandant
La citoyenneté a donné lieu à des de lutter prioritairement contre les
débats durant les années 1990. Le inégalités sociales (D. Schnapper, La
déclin de la participation électorale, Communauté des citoyens, 1994).
du syndicalisme et, selon certains, du Réinterrogée, la citoyenneté l’est éga-
sens civique à travers la perte de la lement dans son rapport à la nationa-
« civilité » (politesse) a fait craindre lité. Classiquement la citoyenneté pré-
à un afaiblissement irréversible de la suppose l’acquisition de la nationalité
citoyenneté. Cela dit, pour tempérer ce du pays où elle s’exerce (en France est
jugement, on a fait valoir aussi l’émer- citoyen toute personne ayant la natio-
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donc pleinement « classe pour soi » que forment parfois un bloc homogène,
lorsqu’elle prend conscience de ses inté- parfois ils se subdivisent en groupes
rêts et s’organise en fonction. d’intérêts distincts (les routiers, les
Dans ses analyses des classes sociales, cheminots…), parfois, au contraire,
K. Marx s’intéresse moins à la descrip- ils peuvent s’unir à d’autres salariés (les
tion précise et objective qu’à l’analyse employés, les fonctionnaires…) pour
de la lutte des classes. Son propos n’est former une classe d’intérêts plus larges.
pas de proposer une analyse ine de la
stratiication sociale, mais de décrire la Y a-t-il toujours des classes sociales ?
dynamique de la lutte des classes qui À partir des années 1960, l’hypothèse
s’opère, selon lui, autour d’un conlit de la « in des classes sociales » s’est
central entre bourgeois et prolétaires. airmée, en même temps que se déve-
loppent la société de consommation
Les analyses de Max Weber et, en son sein, une importante classe
Pour sa part, Max Weber a proposé une moyenne.
analyse des classes sociales où s’entre- Dès 1959, aux États-Unis, Robert
croisent plusieurs dimensions. Dans la Nisbet (« he Decline and Fall of
société, il existe des groupes distincts Social Class », Paciic Sociological
selon le prestige (statut social), le pou- Review) relève plusieurs phénomènes
voir (partis politiques) et les classes qui appuient cette hypothèse : au plan
proprement dites qui rassemblent les économique, le développement du sec-
« groupes d’individu qui ont (…) les teur des services n’entrait plus dans le
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mêmes chances d’accès aux biens et schéma classique des classes sociales ; au
services ». À partir de là, il distingue plan politique, la difusion du pouvoir
trois types de classes : les classes de pos- dans la société mettait in aux hiérar-
session, les classes de production et les chies pyramidales entre groupes ; au
classes sociales proprement dites. plan social, une certaine harmonisation
de la consommation et des niveaux de
classes, couches sociales et groupes vie brouillait les clivages habituels.
d’intérêts À la même époque, nombre de socio-
Aux États-Unis, l’analyse des classes logues constataient un éclatement, puis
sociales doit beaucoup aux travaux du un déclin, de la classe ouvrière, avec
sociologue William L. Warner. À partir un mouvement ouvrier qui perdait de
d’une enquête menée dans une petite son poids politique. En France, Henri
ville américaine (Newburyport), il a Mendras a soutenu, dans les années
proposé une description de la société 1980, la thèse de « l’émiettement des
américaine en six couches sociales : « up- classes », puis d’une « moyennisa-
per upper class, lower upper class, upper tion » des classes. Ainsi, après le déclin
middle class, lower middle class, upper irrévocable de la paysannerie, le monde
lower class, lower lower class » (Yankee ouvrier semblait lui aussi perdre de ses
City Series, 5 vol., 1941-1959). caractéristiques propres face à l’essor de
Ralf Dahrendorf, dans Classes et conlits la classe moyenne.
de classes dans les sociétés industrielles Plus généralement, dans les années
(1959), élargit la notion de classe à celle 1980, les enquêtes d’opinion conir-
de « groupe d’intérêt ». La structure maient que le sentiment d’appartenance
sociale est envisagée sous l’angle d’une à une classe donnée était en net recul.
grande diversité de groupes et de sous-
groupes qui se créent lorsqu’ils ont des Le retour des classes sociales
intérêts communs et selon les enjeux Contre cette analyse assez unilatérale
et les circonstances. Ainsi, les ouvriers d’une « disparition » ou tout du moins
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d’un net réchaufement sur l’Europe et dans une nouvelle ère de l’histoire où
l’Atlantique Nord. La température était ce sont les hommes qui fabriquent le
alors plus élevée d’un degré et demi climat.
par rapport à aujourd’hui. Ce « Petit
optimum climatique » (Pom) a eu des › Catastrophe
conséquences sur l’essor des civilisations.
Il a permis aux Vikings d’Erik le Rouge
d’installer une colonie au Groënland coacHinG
(985) et, à partir de là, de gagner les
côtes du Canada. Le Groënland veut Terme anglo-saxon renvoyant à la no-
dire le « vert pays ». Cette période est tion d’accompagnement, le coaching
celle de la renaissance féodale. vient du domaine sportif. C’est un
Puis un nouveau « petit âge glaciaire » va processus d’accompagnement d’une
s’installer durant quatre siècles. Il débute personne et/ou d’une équipe dans
selon Le Roy Ladurie aux alentours de la réalisation de ses objectifs, dans la
1420 et se termine vers 1850-1960 envi- mobilisation et le développement de
ron. Cette fois, la température moyenne ses ressources, et dans la recherche et
va baisser d’un degré et demi en dessous la mise en application de ses solutions
de son niveau actuel pendant la période propres ; il vise le développement et
la plus froide (entre 1550 et 1730 envi- l’autonomie de la personne. Dans les
ron). Ce fut une époque terrible où se entreprises, le coaching s’est développé
succéderont des années de mauvaises alors que l’aplatissement des structures
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international veut apporter des ré- 1919 et 1933, ils ont créé un modèle
ponses. (dit « modèle Hecksher-Ohlin ») qui
parvient aux mêmes conclusions que
Histoire des théories du ci D. Ricardo (« Les nations ont inté-
Ce n’est pas un hasard si Adam Smith rêt à commercer entre elles. »), mais à
(1723-1790) et David Ricardo (1772- partir d’hypothèses diférentes. Pour
1823), les deux fondateurs de la théorie eux, ce ne sont pas les rendements du
« classique » du commerce internatio- travail qui sont la source de l’avan-
nal, vécurent tous deux en Angleterre. À tage d’un pays, mais ses meilleures
l’époque, c’est la plus grande puissance dotations en « facteurs de production »
marchande et industrielle du monde, le (terre, capital ou travail). Cette loi de
« centre de l’économie-monde », dirait « proportions des facteurs » démontre
l’historien Fernand Braudel. mathématiquement une idée simple : si
De l’avantage absolu à l’avantage com- un pays comme le Canada a des avan-
paratif tages comparatifs dans un secteur (par
Pour A. Smith, la raison pour laquelle exemple la production de bois), ce n’est
les nations ont intérêt à commercer pas du fait que ses travailleurs sont plus
entre elles est simple : « Donnez-moi ce eicaces que les Américains, mais parce
dont j’ai besoin et vous aurez de moi que ce pays est mieux pourvu en res-
ce dont vous avez besoin vous-même » sources forestières par tête d’habitant.
(Recherche sur la nature et les causes de Le modèle Hecksher-Ohlin rejoint
la richesse des nations, 1776). Chaque le sens commun : les fruits exotiques
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pays dispose d’atouts spéciiques pour poussent mieux dans les pays exotiques
produire un bien à moindre coût. Un que dans les pays tempérés… Encore
pays a donc intérêt à se spécialiser et fallait-il que cela soit démontré pour
à exporter cette marchandise (qu’il convaincre les économistes !
s’agisse de thé ou de chaussures). Au P.A. Samuelson enrichira par la suite le
inal, chaque nation tire bénéice du modèle en montrant mathématique-
commerce et « une opulence générale ment que, sous certaines conditions, le
se répand ». Tel est le fondement de la modèle ho (Hecksher-Ohlin) conduit
théorie des « avantages absolus ». à l’égalisation des prix des facteurs de
Mais que se passe-t-il si un pays a beau- production de nation à nation. Ce
coup d’atouts et un autre aucun ? Il modèle enrichi est connu des spécia-
semble alors qu’ils n’ont aucun intérêt listes sous le nom de « modèle hos »
à commercer ensemble : l’un restera (Hecksher-Ohlin-Samuelson).
pauvre, l’autre riche. Des études empiriques réalisées dans
C’est contre cette fausse évidence que les années 1950 par Wassily Leontief –
D. Ricardo a bâti sa « loi de l’avantage autre prix Nobel d’économie (en 1973)
comparatif ». Selon cette loi, même – ont cependant fortement remis en
lorsqu’il est plus eicace dans la pro- cause les résultats prévus par le théo-
duction de beaucoup de biens, un pays rème hos. Alors que la théorie prévoyait
a tout de même intérêt à se spécialiser que les États-Unis devaient importer
dans la production où il est comparati- du Canada des marchandises riches en
vement le meilleur. travail et plus pauvres en capital, les
Le modèle HOS tests empiriques ont abouti au résultat
Au début de ce siècle, deux écono- contraire. C’est ce que l’on a appelé le
mistes suédois, Eli Hecksher et Bertil « paradoxe de Leontief ».
Ohlin (Interregional and International
Trade, 1933) vont renouveler la théo- Hiérarchie et inégalités :
rie du commerce international. Entre regards critiques
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renforcer les inégalités entre nations. ons par exemple), le nombre de pro-
Ce modèle, qui a eu son heure de gloire ducteurs est limité (à cause du coût
dans les années 1970, a ensuite été for- d’investissement). On dit qu’il y a
tement critiqué pour son manque de situation de « concurrence oligopolis-
rigueur, y compris par des théoriciens tique » (c’est-à-dire un petit nombre
marxistes. de producteurs sur le marché). Dans
L’économiste français François Perroux une telle coniguration où un produc-
(1903-1987) a construit une analyse teur ne peut multiplier les gammes de
des systèmes économiques qui ne se voitures (à cause des coûts initiaux), la
réduit pas à un marché libre mais est théorie montre qu’il est avantageux de
marquée par des « champs de forces », commercer entre pays sur des produits
une hiérarchie où les États, les irmes similaires ain de se partager un marché
multinationales et les diférences tech- plus étendu. Les nouvelles théories du
nologiques pèsent de tout leur poids commerce international ont beaucoup
dans les échanges. Tout un courant de fait parler d’elles, parce que certains
pensée s’inscrit dans cette optique. modèles ont conduit à des conclusions
déroutantes. Celui de James A. Brander
Les « nouvelles théories » du ci et Barbara J. Spencer montrait ainsi
À partir des années 1980 se sont déve- que, dans certaines situations, les États
loppées aux États-Unis de nouvelles avaient intérêt à aider leurs entreprises
théories qui remettent partiellement en nationales (par des subventions par
cause les principes classiques. Elles étu- exemple) pour conquérir un marché.
dient particulièrement les conditions C’est ce que l’on a appelé la « poli-
de la « concurrence imparfaite » au tique commerciale stratégique ». Ce
sein des échanges internationaux. Elles qui pose un problème aux économistes,
analysent notamment les échanges au puisqu’un tel « coup de pouce » est en
sein d’une même branche (automo- infraction formelle avec les règles ai-
bile, aéronautique, etc.) entre pays chées par l’Organisation mondiale du
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commerce (OMC) qui est censée faire par la proximité, la chaleur afective,
la loi en ce domaine… la solidarité entre les membres. À l’in-
La mondialisation, la bataille commer- verse, les relations sociétaires, dont les
ciale sans merci que se livrent les pays relations commerciales sont la matrice,
entre eux mais aussi la mise en concur- s’établissent entre individus mus par
rence par les « irmes globales » des dif- des intérêts spéciiques. Elles sont fonc-
férents pays et territoires, augmente la tionnelles et fondées sur le calcul.
complexité de ces phénomènes et invite En anglais, le terme « community »
les économistes à repenser le rôle des désigne toutes les formes de groupe-
États et celui de l’OMC. ments familiaux, amicaux ou locaux
qui existent dans la société moderne.
Le communautarisme est un mou-
coMMon sense vement de pensée né dans les années
1980 aux États-Unis. Il s’oppose à
L’Écossais homas Reid (1710-1796) l’individualisme excessif de la société
fut le principal représentant de ce américaine et prône la reconstruction
courant de la philosophie anglaise des des communautés comme des groupes
Lumières, qui opposait au scepticisme d’appartenance et de reconnaissance.
de Hume des convictions fondées sur En anglais, le terme « community »
leur évidence et leur partage par le plus désigne toutes les formes de groupe-
grand nombre (le sens commun). ments familiaux, amicaux ou locaux
qui existent dans la société moderne.
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les six fonctions du langage qui lui sont non verbale, à l’image et aux médias,
accolées. multipliant les zones de contact avec les
L’école de Palo Alto : Célèbre pour ses sciences de l’information et de la com-
travaux sur la communication inter- munication.
personnelle, l’école de Palo Alto, au
sud de San Francisco, s’est formée innovations techniques et mutations
autour de Gregory Bateson, anthro- socioculturelles
pologue et éthologue spécialiste de Face à l’extension incessante des
la communication animale (voir moyens dont l’homme dispose pour
Y. Winkin, La Nouvelle Communication, communiquer, une question s’est
1981). Inluencé par la cybernétique, posée : quelle incidence ont les inno-
G. Bateson en adopte l’approche sys- vations techniques sur les sociétés qui
témique, la notion d’interaction ou de en ont l’usage ? Il ne s’agit pas ici de
feed-back (Vers une écologie de l’esprit, comprendre l’inluence des contenus
1972). L’école de Palo Alto a forte- de la communication, mais celle des
ment critiqué le schéma de la com- techniques : chaque nouveau mode de
munication proposé par R. Jakobson, communication (écriture, imprimerie,
dont elle déplore la linéarité, allant de radio, Internet, téléphone portable…)
l’émetteur au récepteur, sur le modèle peut en efet engendrer des change-
du télégraphe. Elle y oppose le modèle ments de comportements à grande
de l’orchestre, où les individus parti- échelle, sur le plan social, économique
cipent conjointement à la construc- ou encore idéologique. Selon Jack
tion de l’échange, jouant chacun sa Goody (La Raison graphique, 1977),
propre partition. La simple présence c’est l’écriture qui est à l’origine de la
d’un individu est déjà communication, pensée rationnelle : écrire permet de
comme le souligne la célèbre phrase de trier, de classer et de hiérarchiser, mais
P. Watzlawick : « On ne peut pas ne pas également de comparer des idées, nou-
communiquer. » velles ou anciennes, favorisant ainsi
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Amos Tversky. Ils ont introduit en éco- la question « Pourquoi a-t-il agi ainsi ? »
nomie une démarche originale : l’expé- La démarche de l’« explication »
rimentation (d’où le nom « d’économie consiste à mettre en évidence les
expérimentale » également donné à ce facteurs extérieurs liés au vote, par
courant). exemple la corrélation entre le statut
Ces expériences en situation montrent social, l’âge de l’électeur et son vote.
que lorsqu’on propose à des individus L’opposition compréhension/explica-
réels de décider d’investir ou de dépen- tion provient de la célèbre querelle
ser une somme d’argent dans une situa- des méthodes qui a animé les sciences
tion donnée, ils le font rarement en sociales allemandes au tournant du
suivant les principes de l’agent ration- xixe-xxe siècle. L’explication renvoie à
nel. Les individus réels commettent un modèle causal en physique, la com-
de nombreuses erreurs de jugement préhension renvoie à une démarche
(en surestimant ou sous-estimant les propre aux « sciences de l’esprit ».
risques par exemple). Leur décision est Cette opposition entre les deux dé-
très sensible aux émotions (la peur ou marches est souvent réduite à deux
la coniance), aux normes sociales, aux types de causalité. L’explication ren-
efets d’imitation. verrait à des déterminismes cachés,
Pour l’économie comportementale, la compréhension à des choix libres
l’agent rationnel est une iction théo- et conscients. Cette opposition radi-
rique ; l’Homo œconomicus réel est un cale n’est en rien nécessaire, les deux
consommateur ou un investisseur avisé démarches pouvant être complémen-
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capitalisme, plusieurs chercheurs sou- Romantic Ethic and the Spirit of Modern
lignent l’impact de la demande et de Consumerism, 1987 ; L. Cohen, he
l’évolution des structures de la consom- Consumer’s Republic. he politics of
mation dans la dynamique de l’indus- consumption in postwar America, 2003.)
trialisation des pays occidentaux.
Une « première révolution du consom- Psychologie : Un consommateur
mateur » (dans laquelle l’Angleterre est rationnel ou passionnel ?
igure de proue) se serait produite à par- Dès l’entre-deux-guerres, de nom-
tir des années 1650, avec une demande breuses disciplines de la psychologie se
croissante dans le secteur alimentaire et sont intéressées aux mécanismes de la
celui des textiles. Le sucre, le café, le thé, consommation : le behaviorisme (com-
le chocolat, le tabac font l’objet d’un ment conditionner un sujet lambda
engouement généralisé. La mode des in- pour qu’il associe automatiquement un
diennes, ces cotonnades colorées et im- produit à une émotion ou une idée), la
primées rapportées des Indes orientales psychanalyse (quels sont les liens entre
et au départ réservées aux riches aristo- imaginaire publicitaire, désirs, pulsions
crates, stimule le développement de l’in- et fantasmes), la psychologie de la
dustrie textile européenne à laquelle de motivation (comment transformer du
nombreuses améliorations techniques superlu en besoin)…
permettent de produire en grande quan- Aujourd’hui, la psychologie de la
tité. Pour satisfaire cette nouvelle de- consommation proprement dite est
mande de consommation, les méthodes expérimentale, à la jonction des psy-
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cité, ce qui compte est d’être un expert, 1937 écrit par un jeune économiste
de mettre en œuvre des méthodes et anglais Ronald H. Coase « he nature
d’utiliser des outils opérationnels. Les of the irm ». L’auteur a obtenu le prix
choses doivent y être organisées, mesu- Nobel d’économie en 1991.
rables, fonctionnelles, standardisées et Dans cet article, Coase part d’une
reproductibles. question simple : « Pourquoi y a-t-il des
– La « cité marchande », déinie par organisations ? ». En efet, si l’échange
Adam Smith, est celle où le lien social de biens est le moyen le plus eicace
est assuré par la convoitise partagée pour allouer les ressources, il ne sert à
envers des biens rares. La « grandeur » rien à un chef d’entreprise de recruter
des personnes dépend de leur capa- des salariés, un service comptable, un
cité à s’assurer la possession de biens service de fabrication… Après tout,
désirés par les autres. Dans un monde toutes les fonctions de l’entreprise
marchand, les êtres qui importent sont peuvent être sous-traitées à d’autres
les acheteurs et les vendeurs. Ils sont micro-entreprises indépendantes. En
« grands » quand ils sont riches. Leurs fait, si une telle entreprise virtuelle peut
qualités principales sont l’opportu- exister, elle supposerait un coût énorme
nisme, la liberté d’action et la distance de « transactions ». Chaque ordre qui
émotionnelle. Les relations sont domi- est donné habituellement au sein de
nées par la rivalité. l’entreprise, devrait faire l’objet d’un
– La « cité de l’opinion », inspirée par contrat d’échange, ce système serait au
la description que fait T. Hobbes de inal très coûteux.
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(croissance négative)
durant deux semestres
consécutifs.
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dépression. Par contre, d’autres types « Pourquoi ne nous avoir rien dit ? ».
de crises avaient pris le relais : crise des En fait, la crise de 2008 avait pris de
dettes publiques et crise de l’euro. court la plupart des économistes.
Krach boursier, dépression, récession, Nouriel Roubini peut se targuer d’être
crise monétaire… si l’on veut com- un des seuls économistes à avoir an-
prendre quelque chose aux crises éco- noncé dès 2006 la crise de subprimes.
nomiques, il faut commencer par sortir En 2010, dans son livre Économie de
du scénario univoque pour apprendre à crise, rédigé avec l’historien Stephen
distinguer les phénomènes. Mihm (Crisis Economics : A Crash
Course in the Future of Finance, 2010),
Les explications des crises il rappelle que « les crises ne sont ni
Quand on demande aux économiques des anomalies auxquelles voudrait
les raisons des crises, plusieurs réponses nous faire croire l’analyse économique
sont proposées. moderne, (…). Elles sont au contraire
Pour les théoriciens classiques (et tragiquement banales et répétitives.
néoclassiques) la crise ne devrait pas Elles surviennent après des périodes de
exister. Pour eux, un marché libre et croissance suscitant un emballement
concurrentiel doit être équilibré et suivi d’un éclatement et d’une phase
stable. Les crises surviennent donc de destructrice. » L’histoire du krach des
perturbations extérieures qui entravent tulipes (1637) à celle des subprimes
les règles du marché : rigidité du mar- en passant par celles de 1957, 1973,
ché du travail, politiques économiques la bulle internet, répète le même cycle
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servation des faits. C’est donc surtout Ces théories sont dites « endogènes »
depuis la Seconde Guerre mondiale, car elles prennent en compte des phé-
au moment ou les sociétés industrielles nomènes comme le progrès technique,
étaient dans une phase de croissance les rendements d’échelle, les efets d’ap-
forte et continue que les économistes prentissage, la formation, les dépenses
ont cherché à construire des modèles publiques… qui étaient soit ignorés
de la croissance. soit considérés comme des facteurs
extérieurs (appelées « externalités »)
Les modèles post-keynésiens dans les théories précédentes. Dans les
de r. Harrod et e. d. domar nouveaux modèles, la formation, l’in-
Formulé dans les années 1940, à la novation technique, les infrastructures
suite des travaux de Keynes. Le résultat publiques, sont prises comme des élé-
de ce modèle tient en une formule : g = ments internes au circuit économique,
s/k ou g est le taux de croissance, s, le font l’objet d’investissements spéci-
taux d’épargne et k, le taux d’investisse- iques. La dynamique de la croissance
ment en capital. est donc dite « endogène ».
Cette équation signiie que la croissance Parmi ces théories nouvelles, celle de
est en relation directe avec l’investisse- l’économiste américain Paul Romer
ment en capital des entreprises et que met l’accent sur les rendements
cet investissement lui-même dépend de d’échelles et sur l’innovation techno-
l’épargne des ménages. (En efet, pour logique et les dépenses de recherche/
investir, il faut que de l’épargne ait été développement. Le rôle du « capital
dégagée). La conclusion pratique de ce humain » (issus des travaux de Gary
modèle est que l’État peu agir en en- Becker) est pris en compte dans ces
courageant ce montant d’épargne pour modèles, comme celui de R.E. Lucas.
maintenir un taux d’investissement R.J. Barro a montré le rôle des infras-
suisant pour obtenir un taux de crois- tructures publiques.
sance donné. Ces modèles nouveaux semblent plus
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phase de croissance qui va de l’après- les postulats qui gouvernent nos poli-
guerre au milieu des années 1970 tiques économiques Par exemple c’est
repose sur le couple production de la richesse relative, (c’est-à-dire son re-
masse/consommation de masse : la pro- venu comparé à celui des proches) qui
duction de masse fondée sur une orga- compte plus que le montant absolu.
nisation du travail « fordiste » (taylo- R. Layard en tire la conclusion qu’il
risme/séparation des tâches, chaîne de vaut mieux égaliser les revenus plutôt
montage/standardisation des produits. que de croître indéiniment la richesse
Le tout permet des gains de producti- nationale.
vité importants ; la consommation de
masse a ofert des débouchés au nou-
veaux produits fondée sur grâce à une croYance
élévations des revenus, (liées à des rela-
tions professionnelles (rapport salarial) La notion de croyance a une très longue
basées sur la négociation collective et histoire et fut le plus souvent appréhen-
un État providence (Welfare State) qui dée du point de vue de la seule vérité.
redistribue les revenus. « Les croyances sont trompeuses », dit-
on. Peut-être mais il est sans nul doute
de la théorie de la croissance insuisant d’en rester là. Nombreuses
à l’économie du bonheur sont les théories des croyances qui s’at-
La croissance de l’économie a été ad- tachent à comprendre leurs rôles, leurs
mise comme objectif évident pour les causes et leurs raisons. Si la croyance
sociétés industrialisées. De la crois- véhicule une certaine image du monde
sance naît l’emploi et l’enrichissement qui fait sens pour nous ou les autres,
de tous dès lors qu’elle est bien investie. elle est aussi un guide pour l’action.
Mais à partir des années 1970, l’objec-
tif même de croissance a commencé à Peut-on se passer de croire ?
être remis en cause du fait des dégâts Croyance et habitude : Le philosophe
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Notions et concepts
écossais David Hume (1711-1776) ré- vraiment les croyances grâce au raison-
cuse avec force l’opposition toute faite nement et à l’observation.
qui existerait entre croyance et savoir. Peut-on savoir sans croire ? : Dans De
Selon lui, le champ des croyances est la certitude, le philosophe d’origine
bien plus large que ce que nous ne le autrichienne Ludwig Wittgenstein
supposons et ne se limite pas à la su- (1889-1951) montre que les croyances
perstition, aux croyances religieuses ou les plus fondamentales que nous ayons
aux préjugés. Les connaissances scienti- (par exemple, je crois que j’ai deux
iques, mis à part les mathématiques, ne mains, que la Terre existait avant moi
constituent pas des certitudes absolues. ou que j’ai des ancêtres) ne se fondent
Toutes nos connaissances des choses de pas sur des raisons. Elles constituent
fait sont elles aussi des croyances qui une « image du monde » et « je ne l’ai
proviennent de l’habitude. Le prin- pas parce que je me suis convaincu de
cipe de causalité lui-même procède de sa rectitude, ni non plus parce que je
l’accoutumance. Nous sommes habi- suis convaincu de sa rectitude. Non elle
tués à voir tel événement être suivi de est l’arrière-plan dont j’ai hérité sur le
tel autre, et nous en inférons qu’il y a fond duquel je distingue vrai et faux ».
un lien de causalité. Par exemple, « le Douter de ces propositions fondamen-
soleil se lèvera demain » n’est qu’une tales ruinerait la possibilité de toute
croyance : jusqu’à présent, tous les jours pensée.
le soleil s’est levé. Pour D. Hume, faire
ce constat n’a rien de dépréciatif pour La force des croyances
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du style de vie des classes populaires codage » (traduit dans la revue Réseaux,
anglaises et particulièrement de la n° 68, 1994). S. Hall y souligne que les
manière dont les messages des médias messages, en dépit du fait qu’ils sont
(séries télévisées, presse populaire et le plus souvent codés conformément
roman à l’eau de rose) sont « reçus » à l’idéologie dominante, ne sont pas
par leurs membres. Avec ce travail toujours reçus de cette façon. Il dis-
novateur, R. Hoggart donne une des tingue trois types de lecture possibles
premières analyses de la « culture de par le public : dominant (le message
masse ». Contrairement aux thèses est reçu de façon naturelle, évidente),
postulant l’« aliénation » des masses oppositionnel (le message est compris,
(heodor W. Adorno et l’école de mais lu selon un autre code) ou négocié
Francfort), il soulignait la capacité de (lecture à la fois conforme et opposi-
résistance des classes populaires aux tionnelle).
messages qui leur sont adressés. Janice Radway montrera par exemple
Parmi les autres « pères fondateurs », que les lectrices de « romans roses »,
on compte Raymond Williams, pro- bien que conscientes du caractère
fesseur de littérature anglaise, et l’histo- conservateur et de la faible qualité
rien Edward P. hompson. Ce dernier littéraire de ces ouvrages, les reven-
réalise une étude célèbre La Formation diquent néanmoins comme des « actes
de la classe ouvrière anglaise (1963), d’indépendance ». Car ils leur servent
dans laquelle il envisage la conscience à se soustraire à « la routine quoti-
de classe comme « la manière dont ces dienne et aux contraintes de leurs
expériences se traduisent en termes rôles d’épouse et de mère de famille »
culturels et s’incarnent dans des tradi- (J. Radway, Reading the Romance :
tions, des systèmes de valeurs, des idées Women, Patriarchy and Popular
et des formes institutionnelles ». Literature, 1991).
En 1964, R. Hoggart fonde à Outre ces travaux sur la réception, les
Birmingham le Center for Contem- Cultural Studies ont continué à pro-
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assez luctuantes. Ils mettent l’accent a été très active dans les années 1920.
sur les valeurs et les comportements, En 1923, l’anglais Joseph Kitchin
d’autres sur les symboles, les représen- (1861-1932) repère des cycles de
tations et les compétences communes. quatre ans environ (de 3 à 5) dans les
Isabelle Francfort, Florence Osty, économies américaines et britanniques
Renaud Sainsaulieu et Marc Uhalde entre 1890 à 1922. Le cycle court, ne
(Les Mondes sociaux de l’entreprise, présente pas de phase de crise mais plu-
1995) distinguent trois grandes com- tôt de ralentissement.
posantes : les rites, les symboles et les Au même moment, l’économiste russe
codes vestimentaires et linguistiques ; la Nikolaï Kondratiev reprend le pro-
mémoire collective, résultant d’une his- blème mais à une autre échelle. Dans
toire vécue ou mythique ; les attitudes Les Vagues longues de la conjoncture
partagées. (publié en 1926), il repère des cycles
D’autres auteurs insistent sur le économiques longs d’environ un demi-
contenu des connaissances « parta- siècle (de 40 à 60 ans) dans l’histoire du
gées », sur lequel repose la culture de la capitalisme. Ces cycles se composent
irme industrielle. d’une grande phase ascendante (phase
En réalité, tout ce qui fait partie des A) de croissance suivie d’une phase des-
habitudes communes peut être versé au cendante (phase B).
compte de la culture d’entreprise, à ceci N. Krondratiev inscrit ses recherches
près que certaines d’entre elles peuvent dans une perspective marxiste : celle des
aussi renvoyer à d’autres niveaux d’or- crises récurrentes du capitalisme. Mais
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ganisation (la profession, la culture l’idée que des phases de croissance re-
régionale, la culture nationale). prennent après la crise attire les foudres
de Staline. En 1930, il est arrêté et ac-
cusé de conspiration contre révolution-
cYcLes ÉconoMiQUes naire lors d’un procès truqué. Déporté
au Goulag, il y restera sept ans avant de
Par « cycles économiques », on entend mourir fusillé en 1937.
la succession périodique de phases de Simon Kuznets (1901-1985) est un
croissance et de déclin de l’activité. économiste américain, d’origine russe,
Le premier à avoir signalé l’existence qui a contribué à l’élaboration de l’ap-
de tels cycles est le Français Clément pareil statistique (les agrégats). Il sera
Juglar, (1819-1905) dans son livre Des prix Nobel d’économie. Dès les années
crises commerciales et de leur retour pé- 1930, il élabore une théorie des cycles
riodique en France, en Angleterre et aux longs d’une périodicité de l’ordre de
États-Unis (1862). Médecin, écono- vingt ans fondés sur l’étude des prix et
miste et statisticien, C. Juglar met en la production aux États-Unis.
évidence des cycles de à huit à dix ans, Durant l’entre-deux-guerres, la théorie
qu’il nomme « cycle des afaires » com- des cycles est reprise et développée par
posé de trois phases : expansion, crises A. Schumpeter dans héorie de l’évo-
et liquidation (retour à la normale). lution économique (1911, 2e éd. 1926)
Et il émet une hypothèse qui est sans et Business Cycles (1939). L’économiste
doute toujours valable : « La cause pre- autrichien reprend la question sous un
mière de la crise réside dans la hausse nouvel angle : celui de l’évolution. Il
qui l’a précédée » (Juglar). s’appuie sur les données rassemblées
par Juglar et Kondratiev, mais les inter-
Les cycles des trois K. prète dans un nouveau cadre théorique.
(Kitchin, Kondratiev, Kuznets) La thèse centrale de Schumpeter est
La recherche sur les cycles économiques que le capitalisme est un système
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tour des modèles qui introduisent des manière des rythmes naturels (cycles des
rigidités et des imperfections de marché jours et des saisons, les cycles d’inlation
dans la TCR. C’est ainsi que naissent et de crise comme on en trouve dans les
les modèles qui, pour résumer, main- modèles de proie/prédateur en écologie.
tiennent l’idée de cycles liés à des dy- Certains cycles ont alors été repérés,
namiques internes à l’économie plutôt mais de nature très diférentes : certains
qu’à des chocs extérieurs. très courts (Kitchin, Juglar), d’autres
Enin l’idée de long cycle de croissance longs ; certains cycles concernent un
et décroissance va réapparaître dans le pays, un secteur économique, d’autres
cadre des théories évolutionnistes de tentent de repérer des dynamiques glo-
la croissance, inspirées des modèles bales du capitalisme mondial.
de Schumpeter, et qui voient dans les Depuis la Seconde Guerre mondiale
grappes d’innovation technologiques ni les données empiriques ni les mo-
la cause des phases de croissance et de dèles théoriques ne s’accordent pour
déclin de l’économie. repérer des cycles réguliers de l’activité
économiques.
Que retenir de l’idée de cycle ? Au inal donc, la théorie des cycles
Les économies nationales sont des sys- économiques semble avoir épuisé son
tèmes qui se transforment eux-mêmes : programme et ses capacités explica-
avec, sous l’efet des mutations techno- tives. Tout au plus elle conirme qu’il
logiques, des événements boursiers, des existe des phénomènes de croissance
centres de gravité de l’économie qui se suivis de crise (mais la Bible parle déjà
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siles. L’enjeu de la décision est crucial chaque formule, pesé les avantages et
car le risque de déclencher une troisième inconvénients pour retenir inalement
guerre mondiale n’est pas négligeable. celle qui présentait le meilleur rapport
Les discussions sont vives. Il faut tran- coût/eicacité. Cette analyse, en terme
cher entre plusieurs solutions possibles : de calcul rationnel, postule l’existence
– laisser faire, pour ne pas envenimer d’un acteur unique, le gouvernement
les relations Est-Ouest ; des États-Unis, qui agit en vertu de pré-
– engager une procédure diplomatique : férences hiérarchisées en fonction de la
stratégie prudente mais peu eicace ; meilleure utilité.
– et qui risque d’entériner le fait Cependant, l’analyse des étapes de la
accompli ; décision ne correspond pas tout à fait
– proposer un retrait des missiles sovié- à ce séduisant modèle. Tout d’abord,
tiques en échange du retrait des instal- la panoplie des solutions théorique-
lations américaines en Turquie et Italie ; ment possibles était plus large que celle
– envahir Cuba au risque de déclencher envisagée. Les propositions émanaient
une riposte soviétique ; de scénarios préétablis par l’état-major
– lancer une attaque aérienne ciblée des armées et les diplomates. De plus,
visant les bases de missiles ; G. Allison constate que les décideurs
– faire un blocus naval de l’île pour for- ne possédaient que des informations
cer le retrait. limitées et sélectionnées par les ser-
Finalement, après avoir pesé pendant vices secrets. Il soutient que la décision
treize jours les risques et avantages de prise pouvait s’expliquer plutôt par un
chaque proposition, la dernière est modèle organisationnel, tenant compte
retenue. Le blocus est décidé. Il aura des contraintes de l’organisation, des
l’efet attendu. Plutôt que de lancer une informations et du temps limité dont
contre-ofensive, Nikita Khrouchtchev elle disposait pour réagir.
préfère reculer. Les missiles sont retirés Une troisième approche de la déci-
de Cuba. sion, politique celle-là, était possible.
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Notions et concepts
Ici, l’analyse privilégie le jeu des ac- meilleur choix possible dans une situa-
teurs. Parmi les solutions possibles, tion donnée : investissement, gestion
J.-F. Kennedy en a repoussé certaines de portefeuille boursier, décision ma-
pour des raisons électorales : le lais- nagériale. Elles s’appuient sur diférents
ser-faire ou la seule voie diplomatique modèles mathématiques : ceux déve-
auraient été désignés comme des fai- loppés aux xviie et xviiie siècles avec le
blesses ; les solutions « dures » propo- calcul des probabilités (Blaise Pascal,
sées par l’armée étaient trop risquées. Jacques Bernoulli, homas Bayes), puis
Finalement, le président opta pour une avec la théorie des jeux.
solution de compromis entre des posi- Dans un premier modèle de décision,
tions extrêmes. il faut efectuer un choix parmi des
Pour G. Allison, une même décision possibles (par exemple l’achat d’une
peut s’interpréter selon les trois grilles voiture) en évaluant l’utilité relative
de lecture, chacune ayant sa validité re- de chaque solution. On construit
lative. Chacune souligne un aspect du un « arbre de décision » (schéma qui
phénomène. Comme dans un kaléidos- résume les alternatives possibles, par
cope, le phénomène de la décision nous exemple tous les types d’automobiles,
montre diférentes facettes selon l’angle par marque et modèle), puis on afecte
d’observation adopté. Mais les trois à chaque critère (vitesse, confort, prix
modèles passés en revue par G. Allison pour l’achat d’une voiture) une valeur
n’épuisent pas le nombre d’interpréta- donnée. Le meilleur choix peut être
tions possibles. calculé : c’est celui qui obtient la meil-
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des sujets et les solutions logiques. fer peut ainsi rester des heures sur la
A. Tversky et D. Kahneman ont pro- voie. En efet, individuellement, aucun
posé un modèle psychologiquement automobiliste n’a intérêt à s’arrêter dès
plus réaliste de la décision. Ils supposent lors qu’il a contourné l’obstacle. Pour
que l’individu utilise des heuristiques lui, s’arrêter, revenir en arrière et retirer
pour décider. Ainsi, dans l’exemple du l’obstacle est coûteux en temps, inutile
tirage de pièce, les sujets emploient et même dangereux.
une heuristique qui consiste à choisir D’une somme de microdécisions ra-
la solution qui paraît la plus représen- tionnelles, il résulte une macrodécision
tative (la série FPFPPF ressemble plus irrationnelle !
aux résultats habituels des tirages au
sort que la série PPPPPP). Selon Philip
Johnson-Laird, les décisions quoti- dÉconstrUction
diennes se fondent sur des modèles
mentaux (schéma de pensée courant) › Derrida
plutôt que sur des choix logiques.
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sommets qu’apparaît alors son versant il lui faudrait prélever plus des trois
négatif : la maladie du surendettement. quarts de la richesse française.
La dette publique correspond au cumul
Le problème du surendettement de l’ensemble des dettes des adminis-
contemporain trations publiques françaises. Elle est
Le surendettement des ménages amé- constituée de trois blocs : 1) l’État
ricains et les taux exorbitants de rem- central, c’est-à-dire les administrations
boursement de certains prêts immo- centrales (ministères de l’Éducation
biliers sont à l’origine de la crise des nationale, de la Défense, etc.) ; 2) les
subprimes survenue aux États-Unis en collectivités territoriales (régions, dé-
2007. partements, communes) ; 3) la Sécurité
Cette crise des prêts immobiliers s’est sociale. Quelle que soit son origine,
généralisée en 2008 à la inance mon- cette dette est actuellement quasi-
diale créant un des plus graves krachs ment intégralement inancée par des
boursiers de l’histoire du capitalisme. emprunts sur les « marchés inanciers ».
Pour faire face aux défaillances des
banques et éviter une dépression écono- › Crises économiques
mique (comme ce fut le cas en 1929),
les États ont dépensé des centaines de
milliards. Si la dépression a été évitée, dÉVeLoPPeMent dUraBLe
la dette des États occidentaux s’est en
revanche fortement creusée. La crise Concilier la poursuite de la croissance
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déclenchée en 2008 n’a pas créé le pro- économique mondiale avec la préserva-
blème de la dette des États mais elle tion des ressources naturelles pour les
l’a accentué et mis au centre des pro- générations futures et la lutte contre
blèmes économiques contemporains. les inégalités, tel est le pari contenu
La dette des États (dette souveraine) dans l’idée de développement durable
Dès lors l’endettement des États est (« sustainable development » en anglais).
devenu un problème majeur des Deux concepts sont inhérents à cette
économies. notion : celui de « besoins », et plus
La dette d’un État repose sur le même particulièrement des besoins essentiels
principe que n’importe quel particu- des plus démunis, à qui il convient
lier : quand l’on dépense plus que l’on d’accorder la plus grande priorité ; et
a de recette, il faut emprunter, ce qui celui des limites que l’état de nos tech-
est la marque d’un déicit budgétaire. niques et de notre organisation sociale
La dernière année où l’État français a imposent quant à la capacité de l’envi-
présenté un budget excédentaire date ronnement à répondre aux besoins
de 1974. Depuis, chaque année, l’État actuels et à venir.
emprunte pour inancer ses dépenses En usage dès la in des années 1970
excédentaires. Évidemment, la dette dans l’enceinte de certaines organisa-
est formée de la somme empruntée (le tions internationales, l’expression a été
capital), mais aussi des intérêts dus sur popularisée par le rapport Brundtland
cet emprunt. La dette publique de la de 1987, du nom du Premier ministre
France est estimée in 2011 à un peu norvégien qui présidait la Commission
plus de 1 700 milliards d’euros. Elle mondiale sur l’environnement et le
représente 85 % du PIB (ensemble de développement mise en place par
la richesse produite en une année sur l’Assemblée générale des Nations unies.
le territoire national). Cela signiie que Consacrée à l’occasion du Sommet de
si l’État français voulait rembourser en la Terre de Rio, en 1992, la notion
une seule année l’intégralité de sa dette, s’est ensuite très largement difusée
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dance ») du Sud par rapport au Nord. Pendant une quinzaine d’années, plus
Des auteurs marxistes comme Samir de 60 pays d’Afrique, d’Amérique
Amin et Aghiri Emmanuel soulignent latine et d’Asie vont être soumis au
qu’il existe un « échange inégal » dans régime de l’ajustement structurel, avec
le commerce entre le Nord et le Sud qui des résultats très contrastés selon les
contribue à léser systématiquement ce continents. Globalement, les efets des
dernier. Cette vision conduit à prôner programmes d’ajustement sur les pays
un développement autocentré, basé sur d’Asie du Sud-Est, comme la Malaisie,
la substitution d’importations et une la haïlande et l’Indonésie, ont été
forte intervention publique. Les poli- rapides et bénéiques. En revanche,
tiques d’inspiration marxiste sont plus les pays d’Afrique noire (Madagascar,
radicales, elles visent à un découplage Sénégal, Côte-d’Ivoire, Kenya, Nigeria,
et favorisent un développement endo- Cameroun, Ghana, Zimbabwe et île
gène appuyé sur la nationalisation de la Maurice) qui ont subi la même théra-
production et la réforme agraire (col- pie de choc de l’ajustement n’ont pas
lectivisation, redistribution des terres). réussi à sortir de la spirale de leurs
L’approche libérale et le consensus de diicultés. Malgré les aides répétées,
Washington les taux de croissance sont restés très
Vers le milieu des années 1980, après faibles et l’inlation comme le déicit
deux décennies de développement, budgétaire n’ont pas été maîtrisés. À
force est de constater un échec relatif politique unique, les efets sont donc
des stratégies adoptées. L’inlation et très diférents selon les contextes.
une dette énorme pèsent lourdement Des voix vont s’élever au sein même
sur les économies d’Afrique et d’Amé- des instances internationales contre
rique latine. Les emprunts réalisés n’ont l’application unilatérale des stratégies
pas eu l’efet escompté. En Afrique, les libérales d’ajustement structurel. Des
prêts ont souvent servi à alimenter des économistes comme Joseph Stiglitz
« éléphants blancs » : de grands projets (économiste démissionnaire de la
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Banque mondiale et prix Nobel d’éco- parlait alors de NPI (nouveaux pays
nomie en 2001) défendent une autre industriels), même si ce développe-
approche. Un « nouveau paradigme » ment accéléré pouvait cohabiter avec
se dessine donc vers la in des années de fortes distorsions internes (inéga-
1990. lités sociales). Dans les années 1990,
Certes le marché est un stimulant au les deux grands géants d’Asie – Inde et
développement comme le prouve le Chine – sont engagés à leur tour dans
succès des économies asiatiques. Mais la voie du développement. Les NPI,
ces exemples montrent aussi que l’État devenus « pays émergents », ont connu
a joué un rôle : il doit créer les condi- des contrecoups à leur succès avec les
tions de la croissance (en développant crises inancières qui ont émaillé les
les infrastructures et la formation, en années 1990.
stimulant les nouvelles technologies et L’Afrique est restée en marge de cette
l’essor des marchés, en appuyant le sys- dynamique. Depuis cinquante ans, le
tème inancier). niveau de vie a stagné. Le PNB de tout
L’autre facette du nouveau paradigme le continent africain (Afrique du Nord
est qu’une politique du développement incluse et Afrique du Sud exclue) –
ne peut être unilatéralement appliquée 800 millions de personnes – reste trois
à tous les pays « par le haut ». Elle im- fois inférieur à celui de la France qui
plique de mobiliser diférents acteurs ne compte que 60 millions d’habitants.
du changement : la société civile, les La part de l’Afrique dans les échanges
investisseurs, l’État, etc. D’où l’idée mondiaux ne cesse de diminuer. Elle
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Notions et concepts
les plus démunies (Noirs, Hispaniques, nelles, le cadeau n’est pas toujours libre
Indiens). et désintéressé, il fait souvent partie des
contraintes sociales. En 1924, Marcel
Mauss, dans son article « Essai sur le
dissonance coGnitiVe don », rassemble des exemples tirés de
l’histoire ancienne et de l’ethnographie
La théorie de la dissonance cognitive, des peuples exotiques (Mélanésiens,
issue des travaux de la psychologie Australiens, Nord-Américains).
sociale américaine, a été élaborée par Donnant une portée très générale au
Leon Festinger, élève de Kurt Lewin (A concept de don, il montre que ce qui
heory of Cognitive Dissonance, 1957). s’échange, ce ne sont pas tant des pro-
Dès lors qu’une information contradic- duits ou des biens, « ce sont avant tout
toire, la découverte d’une faille logique des politesses, des festins, des rites,
ou d’une grave lacune viennent cho- des services militaires, des femmes,
quer le système de représentations d’un des enfants, des danses, des fêtes, des
sujet, il s’ensuit en lui un état de malaise foires dont le marché n’est qu’un
et d’inquiétude. Il lui faut résoudre la des moments et où la circulation des
« dissonance » : soit en changeant son richesses n’est qu’un des termes d’un
système de croyances, soit en réinter- contrat beaucoup plus général et beau-
prétant diféremment l’information coup plus permanent ». Ces échanges
contradictoire (sans changer le système apparemment volontaires reposent en
de croyances), soit en réaménageant ses fait sur la triple obligation de donner,
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pour créer du lien social, elle prend qu’un individu tire du droit objectif.
aujourd’hui la forme plus moderne Ce sont les « droits à » (par exemple les
– donc plus individualiste –, selon le droits de l’homme).
philosophe Marcel Hénaf (Le Prix de
la vérité. Le don, l’argent, la philosophie, Les règles de droit
2 002), d’une recherche de reconnais- On distingue la loi (votée par le
sance de soi par autrui. Parlement) du règlement (qui émane
Ces dernières années, l’approche tra- du pouvoir exécutif ou de l’administra-
ditionnelle du don – un des ciments tion). Il y a une stricte hiérarchie des
du lien social, distinct et opposé du règles : la Constitution, puis les textes
marché – a fait l’objet de réévaluation et accords internationaux, puis les lois,
de la part d’anthropologues comme puis les règlements (décrets, arrêtés, cir-
Maurice Godelier (L’Énigme du don, culaires…), les contrats…
1996) ou Alain Testart (Critique du
don, 2007). Les subdivisions du droit
Outre le droit international, on dis-
tingue le droit public (rapports entre
droit personnes privées et pouvoirs publics :
droit constitutionnel, administratif,
Aujourd’hui, on assiste à une judiciari- iscal…) et le droit privé (qui se divise
sation de nos sociétés : le droit est par- lui-même en de nombreuses catégo-
tout. Deux facteurs permettent d’expli- ries : droit du travail, de l’assurance,
quer cette inlation du juridique. Le de la consommation…). En outre, le
progrès technique et scientiique tout droit civil régit les rapports entre les
d’abord, lorsqu’il s’agit de dire le droit particuliers (par exemple famille, pro-
concernant des questions touchant à priété, contrats) ; le droit pénal déinit
la bioéthique, la procréation assistée, les infractions et les sanctions qui leur
par exemple. Autre facteur, non moins sont applicables.
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Notions et concepts
donne un sens commun à l’action des liberté des individus) ; 1789 en France
hommes. » Le droit n’émane pas de avec la Déclaration des droits de
Dieu. Il n’émane pas plus de la science, l’homme et du citoyen, énonçant les
dont deux modèles sont souvent utili- droits « naturels et imprescriptibles » :
sés pour fonder le droit : la biologie et liberté, propriété, égalité devant la loi.
l’économie. A. Supiot refuse de consi- Après la Seconde Guerre mondiale, la
dérer les droits uniquement comme des Déclaration universelle des droits de
droits individuels et subjectifs. « On l’homme est votée par l’Assemblée gé-
distribue les droits comme on distri- nérale des Nations unies (10 décembre
buerait des armes, et que le meilleur 1948). La Convention européenne des
gagne ! Ainsi débité en droits indivi- droits de l’homme et des libertés fon-
duels, le Droit disparaît comme droit damentales voit le jour en 1953, et la
commun. » Le droit n’est pas non plus création d’un Tribunal pénal interna-
une simple technique vide de sens, un tional en 1998.
ensemble de procédures mécaniques : Le concept de droits de l’homme
le Droit « est une Parole qui s’impose à recouvre des problématiques très dif-
tous et s’interpose entre chaque homme férentes. On parle parfois de première
et sa représentation du monde. (…) et seconde générations de droits de
C’est une technique de l’Interdit, qui l’homme pour rendre compte de cette
interpose dans les rapports de chacun à situation.
autrui et au monde, un sens comme qui
le dépasse et l’oblige, et fait de lui un La première génération :
simple maillon de la chaîne humaine. » les droits civils et politiques
Droit d’association, droit de vote, droit
d’exprimer librement son opinion
droits de L’HoMMe constituent des droits actifs considé-
rés comme inhérents à l’être humain.
Ensemble de droits considérés comme L’État n’a donc pas à les favoriser, mais
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Notions et concepts
créera le Research Center for Group écouter une conférence sur l’intérêt des
Dynamics au MIT (Massachusetts abats dans le cadre d’une économie de
Institute of Technology) en 1944. Il est guerre, à d’autres une conférence sur
considéré par beaucoup comme le père les bienfaits alimentaires des abats. On
de la psychologie sociale moderne, et it participer d’autres groupes à des dis-
ses expériences et celles de ses disciples cussions collectives, soit sur le thème de
sont devenues canoniques dans ce do- l’économie de guerre, soit sur les bien-
maine. Elles ont porté sur le mode de faits des abats. On constata qu’au bout
commandement : types de leadership d’une semaine, seulement 3 % des
(Ron Lippitt et Robert W. White), femmes qui avaient assisté aux confé-
la conformité aux normes du groupe rences avaient changé leurs habitudes
(Muzafer Sherif et Solomon E. Asch), alimentaires, alors que le tiers de celles
la soumission à l’autorité (Stanley qui avaient participé aux discussions de
Milgram), la déviance et la cohésion groupes avaient modiié leurs achats.
(Leon Festinger et Stanley Schachter), L’eicacité du message dépendait ici de
l’inluence (Claude Faucheux et Serge la forme de communication utilisée.
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mation (I. Illitch, J. Ellul) et des dégâts sée écologique et géographique : Man
du progrès, les aspirations utopistes et and Nature or Physical Geography as
communautaires des mouvements hip- Modiied by Human Action (1864).
pies prônant un retour à la nature (né Inclassable dans les disciplines acadé-
en Californie), la critique de l’énergie miques traditionnelles, cet ouvrage
nucléaire (militaire et civile), de l’agri- est la préiguration de ce que sera au
culture intensive (engrais et pesticides) xxe siècle l’écologie politique.
et de la pollution industrielle. Elisée Reclus, le géographe anarchiste
En 1972, le club de Rome marque un (1830-1905). Cet immense géographe
tournant avec le rapport sur les « limites connu pour sa Géographie universelle
de la croissance » (Halte à la croissance). (1875-1894) fut condamné à la dépor-
L’écologie politique va peu à peu se tation pour son soutien à la Commune
structurer en partis et associations de Paris. Cette peine fut commuée en
écologistes dans de nombreux pays bannissement grâce à l’initiative de
développés. Charles Darwin et l’intervention des
Les études sociologiques de l’école de plus grands noms de la science. Il est
Chicago consacrées à l’impact de l’envi- l’auteur de plusieurs textes remar-
ronnement social pathologique sur le quables soutenant que les progrès des
développement de la délinquance ont sociétés ne sauraient être acquis aux
été désignées sous le terme d’écologie dépens de la Terre qui est leur demeure.
urbaine. Ernst Haeckel, l’inventeur de l’écologie
Le concept d’« écologie industrielle » a (1834-1919). C’est l’inventeur du mot
été développé dans les années 1980 par « écologie » (1867), connu comme
Suren Erkman, biologiste et philosophe biologiste vulgarisateur des idées de
suisse. C. Darwin en Allemagne. E. Haeckel
L’écologie comme mouvement social a est non seulement l’inventeur de l’éco-
donné naissance à plusieurs familles de logie scientiique, mais aussi le premier
pensée. scientiique à prétendre donner ses
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et avoir un diplôme plus élevé est un et qui ont le même désir de les utili-
choix rationnel qui vise à le valoriser et ser devraient avoir les mêmes pers-
à augmenter ses chances sociales. Mais pectives (chances) de succès, ceci sans
dès lors qu’un grand nombre d’indi- tenir compte de leur position initiale
vidus font le même choix, le nombre dans le système social » (J. Rawls)
de diplômés augmente et la valeur du semble faire consensus dans nos socié-
diplôme se dégrade. tés. Mais quelle justice assure-t-il en
réalité ? C’est la dérangeante question
que pose Patrick Savidan dans son der-
eFFet VeBLen nier livre, Repenser l’égalité des chances,
2007. Premier constat : « L’égalité des
La logique de la « consommation os- chances triomphe parce qu’elle paraît
tentatoire » conduit à ce que certaines nous donner l’égalité dans la liberté. »
marchandises de luxe (comme les par- Elle a en fait partie liée avec l’essor d’un
fums, les vêtements, les meubles…) « individualisme possessif » (concept
prennent une valeur qui ne dépend pas emprunté à l’historien Crawford
du travail incorporé ou de l’équilibre B. Macpherson) selon lequel l’indi-
entre ofre et demande. Au contraire, vidu est le propriétaire exclusif de ses
la volonté de distinction attire une facultés et de sa personne. Or en réa-
certaine clientèle vers les prix les plus lité, les talents et les compétences ne se
hauts. C’est ce que l’on nomme depuis développent et n’acquièrent de sens que
« l’efet Veblen », selon lequel le prix dans un cadre social favorable. La no-
de certaines marchandises augmente tion de mérite qui légitime ce « régime
(et non diminue) en même temps social de concurrence généralisée » est
que l’augmentation de la demande, donc plus problématique qu’il y paraît.
contrairement à ce que prédit la théo- La lutte contre les discriminations est-
rie économique classique. T.B. Veblen elle à même d’assurer une réelle égalité
est aussi un pionnier de l’approche des chances, comme le soutient Alain
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Notions et concepts
Renaut ? Non, airme P. Savidan, qui exemple, les travaux du Centre d’études
refuse avec force « l’évacuation de de la vie politique française) même si
la question des inégalités sociales au dans le même temps la science poli-
bénéice de celle des discriminations ». tique s’est très largement diversiiée.
Les politiques d’airmative action
laissent inchangés les rapports de
classes et laissent entendre que les dis- ÉLite
criminations sont les principaux obs-
tacles à l’intégration et à la réussite. La Au sens étymologique, le mot « élite »
redistribution ne peut pas plus assurer désigne ceux qui sont reconnus comme
la justice sociale. Seule une meilleure supérieurs, dans des domaines extrê-
répartition de la propriété des moyens mement variés, et l’élitisme est la pré-
de production et du capital humain férence accordée aux « meilleurs », sans
(éducation et formation) pourra ga- que cette qualité soit a priori trans-
rantir une « égalité des chances sou- missible de génération en génération.
tenable », moins individualiste et plus Au plan politique et social, chaque
solidariste. société comporte en son sein une élite
qui cherche autant que possible, selon
› Inégalités, équité V. Pareto, à transmettre les avantages
acquis à leur descendance, tandis que
la concurrence de nouvelles élites
ÉLections montantes contrecarre leurs eforts, et
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les grands partis est sans doute inévi- moyenne, ceux qui n’ont eu qu’une
table, mais elle ne se confond pas tou- existence éphémère, le nombre d’em-
jours avec les élites économiques. pire se compter par centaines. Entre
2500 ans avant Jésus-Christ et 1800
après, l’histoire a vu déiler plus de 60
eMPire « méga-empires » : des mastodontes
politiques qui ont contrôlé jusqu’à plus
Un empire est une unité politique (chef- d’un million de kilomètres carrés de
ferie, cité-État, royaume, État-nation) surface.
qui a conquis d’autres unités politiques Les empires sont souvent assimilés
et les a soumises (sans les intégrer plei- à des dinosaures de l’histoire. Ils se-
nement dans la structure du centre). raient apparus dans l’Antiquité mais
C’est le cas par exemple d’Alexandre auraient peu à peu disparu avec l’avè-
le grand qui conquiert l’Égypte puis nement progressif des États-nations.
l’empire Perse ou de l’empire romain Les empires coloniaux d’Europe forgés
qui s’étend jusqu’à l’Afrique du nord, au xixe siècle et les empires soviétique
le Moyen Orient et la Gaule ou encore, ou américain du xxe siècle relèveraient
plus près de nous, de la Russie qui do- d’une autre nature.
mine les États satellites pour se transfor- En fait depuis leur apparition, les em-
mer en Union soviétique. pires n’ont pas cessé d’exister et de se
renouveler. Il y a eu des poussées impé-
combien y en a-il eu dans l’histoire ? riales sur presque tous les continents
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Notions et concepts
efondrement sous son propre poids) ciaux non seulement à des droits, mais
sont systématiquement évoqués dans aussi à des savoirs et à des compétences
l’explication de l’efondrement des dont ils étaient ou se croyaient exclus,
autres empires (« l’efondrement des le but ultime d’un tel projet étant que
empires », L. Testot, Sciences Humaines, ces groupes parviennent à se prendre
mai 2013). en charge. Particulièrement nécessaires
dans les sociétés de castes, et partout où
comment sont gérés les empires ? les stratiications sociales ont été pro-
L’histoire des empires a connu un fondément intériorisées par ceux qui en
renouveau récent, notamment axé sur sont les victimes, ces programmes sont
le mode d’administration des empires diiciles à mettre en œuvre et ne se
comparés. Dans Empires. De la Chine développent que sur une longue durée.
ancienne à nos jours, 2010, F. Cooper Mais, ils peuvent entraîner, comme on
et J. Burbank partent du principe l’observe notamment en Inde, de pro-
qu’un empire, à la diférence d’un État- fondes innovations sociétales.
nation, ne cherche pas à intégrer les Selon M. H. Bacqué et C. Biewener
citoyens sur le même mode : un seul (L’Empowerment, une pratique éman-
territoire, une seule loi. Dès lors les cipatrice, 2013), il existe trois modèles
empires doivent gérer la « diférence » type d’empowerment : un modèle radi-
dans les provinces périphériques. Ils cal (féministe et communautaire), qui
distinguent des modèles ou « réper- critique l’ordre capitaliste et envisage
toires » de gouvernement. l’empowerment comme une émanci-
Certains empires comme les Ottomans pation collective et qui révolutionne
administraient leur empire multicon- l’ordre social existant ; un modèle libéral
fessionnel en s’appuyant sur les élites (au sens anglo-saxon), c’est-à-dire « pro-
locales et leurs communautés reli- gressiste », de type keynésien/réformiste
gieuses, sans essayer de les assimiler ou qui cherche à lutter contre la pauvreté
de les détruire. L’Empire britannique en visant à donner aux groupes sociaux
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Notions et concepts
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pourquoi créer une organisation avec partage l’analyse marxiste, ce qui n’est
ses règles, sa hiérarchie, ses contrats de pas courant). C’est à partir de cet ob-
travail stables ? Pourquoi ne pas traiter jectif universellement partagé que les
le personnel comme des sous-traitants, modèles de gestion sont construits : il
en négociant au jour le jour le volume s’agit de calculer la meilleure adéqua-
et le prix du travail en fonction des tion entre capital et travail.
aléas du marché ? Pour R. Coase, la Mais est-ce toujours le cas ? Pour
réponse est simple : une telle méthode nombre d’entreprises familiales, le but
de gestion de la main-d’œuvre suppo- de l’entreprise est autant de main-
serait des transactions permanentes tenir un patrimoine que de faire un
et serait inalement d’un coût élevé. maximum de proit. Il y a aussi des ma-
Conclusion : l’entreprise abolit la loi du nagers qui préfèrent maintenir un bon
marché en son sein pour éviter de trop équilibre entre les proits et les salaires
lourds « coûts de transaction ». Cela ou faire croître l’entreprise que de ver-
révèle un problème qui jusque-là avait ser des dividendes aux actionnaires.
été ignoré par les économistes : dans Ces diférents objectifs ont abouti à des
une relation marchande, la transaction formes historiques et sociales précises.
n’est pas gratuite. Parfois, il vaut mieux – Les entreprises familiales restent la
stabiliser la relation (quitte à négliger forme dominante de l’entreprise au
parfois de meilleures opportunités) que xxie siècle. Et ce n’est pas simplement
de renégocier sans cesse, ce qui est très le cas pour les petites entreprises. Pour
coûteux à terme. elles, la performance est autant dans la
Mais inversement, si le marché suppose pérennité que dans le proit. (« Nature
des coûts de transaction, l’organisa- et performance des entreprises fami-
tion avec ses règles, contrats stables, liales », J. Allouche, in G. Schmidt, Le
routines et rigidité imposent des Management, fondements et renouvelle-
« coûts d’organisation » : la ixité des ment, 2008).
postes, des salaires, des conditions de – Le modèle managérial de l’entreprise
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Notions et concepts
de pensions, hedge funds, etc.) dont clients : les stakeholders). Sur le plan
l’objectif primordial est « la création de organisationnel, certains préconisent
valeur », soit, en termes clairs : dégager de ixer un statut juridique et un mode
le maximum de proits. Cela supposait de gouvernance de l’entreprise qui la
de reprogrammer les managers pour en considère comme une entité propre
fait des représentants zélés de l’action- ayant ses objectifs propres et non
nariat. Sur le plan pratique, cela s’est pas seulement comme une machine
traduit par une présence plus impor- à générer sur proit (B. Segrestin et
tante des actionnaires dans les conseils A. Hatchuel, Refonder l’entreprise,
d’administration, la mise en place 2012).
d’outil de contrôle des comptes (audit,
agences de notation), la distribution
de stock options, indexée sur les béné- entretien
ices. Sur le plan de la théorie, l’étude
des liens de dépendance entre un pro- En 2002, la sociologue Janine Mossuz-
priétaire (ici les actionnaires) et son Lavau s’est livrée à une enquête tota-
mandataire (le dirigeant) a fait l’objet lement inédite sur la sexualité des
d’un développement important connu Français. La plupart des enquêtes me-
sous le nom de théorie de l’agence. La nées jusque-là relevaient de l’enquête
question posée en l’occurrence étant : quantitative consistant à passer un
comment faire en sorte qu’un manda- questionnaire standardisé à un échan-
taire se comporte en représentant loyal tillon de personnes représentatif de la
et dévoué de l’actionnaire ? (O. Bouga- population totale. J. Mossuz-Lavau
Olga, Économie de l’entreprise, 2006). a adopté une autre démarche. Elle a
La corporate governance a conduit aux interrogé 70 personnes, hommes et
méthodes très brutales de gestion. femmes, de tout âge et condition so-
Des clubs d’actionnaires, éloignés de ciale, et leur a proposé de passer avec
la vie de l’entreprise et des centres de eux deux à trois heures en tête à tête :
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leur demandant de raconter leur expé- mais requiert aussi du doigté, de l’ex-
rience sexuelle, leur « première fois », le périence. Le chercheur peut laisser se
nombre de partenaires, etc. dérouler la conversation de façon plus
Cette méthode l’a conduite à découvrir ou moins directive. Il peut chercher à
que derrière les moyennes générales cadrer les propos de son interlocuteur
que donnent les enquêtes statistiques sur certains thèmes ou bien lui lais-
(sur le nombre et l’âge du premier ser la possibilité de prendre librement
rapport sexuel par exemple), il y avait d’autres directions par rapport au
des diférences énormes selon les indi- thème initial. Dans tous les cas, l’entre-
vidus. Alors qu’en France l’âge moyen tien suppose une phase préparatoire où
du premier rapport est de 18,5 ans, l’enquêteur doit prévoir sa grille d’en-
(en 2000), la sociologue a rencontré tretien (liste de thèmes à aborder…),
une jeune femme qui a connu son ain que la rencontre soit fructueuse.
premier rapport à 12 ans, une autre à
33 ans… De même, la notion de « pre- Les biais
mier rapport » n’a pas le même sens Plusieurs biais guettent l’enquêteur.
selon les personnes. La plupart des gens Un premier consiste à enfermer l’inter-
entendent par là un acte sexuel avec viewé dans un cadre préalable d’ana-
pénétration. Au cours des entretiens, il lyse. Dans les entretiens menés auprès
est apparu que des gens évoquent aussi de jeunes des cités (Misère du monde,
des lirts et des caresses très « poussés », 1993), on a reproché à Pierre Bourdieu
qui pouvaient être assimilés à un pre- – pourtant grand sociologue s’il en
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mier rapport. C’est le cas de certaines est – de mener des entretiens « cousus
jeunes femmes musulmanes qui, vou- main », où les participants sont mani-
lant rester vierges jusqu’au mariage, pulés par l’enquêteur qui conduit ses
avait une véritable sexualité active mais enquêtés où il veut les mener. À la in,
sans pénétration. les propos tenus cadrent trop bien avec
L’entretien est donc un moyen privi- l’analyse préalable du chercheur pour
légié d’accès à certaines informations que le lecteur ne ressente pas un certain
sur les gens, leurs modes de vie, leurs malaise…
motivations, leurs représentations L’autre biais, inverse, consiste à se laisser
du monde, etc. L’entretien sert tout entraîner dans le discours de l’interviewé.
d’abord à recueillir des faits auprès Or, un cadre d’entreprise qui parle de
des acteurs impliqués dans un phé- son travail aura tendance à survaloriser
nomène. Dans ce but, l’entretien est son rôle, un responsable politique aura
utilisé autant par le journaliste, l’his- tendance à décrire son action en fonc-
torien du présent qui veut savoir com- tion de la bonne image qu’il veut donner
ment s’est déroulée telle guerre récente, de lui… Inconsciemment ou non, toute
telle insurrection, ou l’ethnologue qui personne qui se raconte aura tendance à
veut savoir comment vit une commu- enjoliver son passé, oublier des épisodes
nauté. De ce point de vue, l’entretien importants, survaloriser certains faits,
n’est qu’un outil parmi d’autres de la etc. C’est pourquoi le chercheur doit
recherche. Il peut se combiner avec toujours être en éveil et maintenir une
l’observation, les données chifrées, les distance critique par rapport aux propos
sources écrites… tenus. Le croisement des sources est utile
Comme toute méthode d’étude, l’en- si on ne veut pas tomber dans ces biais
tretien a ses avantages et ses limites. classiques de l’entretien.
L’entretien est un « art », autant qu’une Dans leur enquête sur les ouvriers
technique. Il suppose à la fois l’appli- de l’usine Peugeot de Montbéliard
cation d’une méthodologie précise, (Retour sur la condition ouvrière, 1999),
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Notions et concepts
Stéphane Beaud et Michel Pialoux pas comment je peux m’en sortir »).
notent : « Les entretiens approfondis À partir de ce matériau, les chercheurs
avec des OS moins politisés que les mi- cernent alors des structures implicites
litants, et surtout avec de jeunes intéri- qui ordonnent le récit. Ainsi, Luc ré-
maires extérieurs à la région, nous ont sume son expérience en invoquant sou-
permis de relativiser la vision de l’usine vent le « tout » ou « rien ». À l’école, il
que nous donnaient les “anciens”. Et n’a « rien appris », et sans travail « on
c’est en croisant systématiquement ces n’est rien ». Par contre, sur le travail en
entretiens que l’on a pu enrichir notre chantier, il sait « tout » : « Électricité
point de vue. » plomberie, peinture, tout quoi ». De
son côté, Sophie découpe l’univers so-
récit d’insertion de jeunes cial en deux catégories dichotomiques :
Luc a 23 ans. Il a quitté l’école sans « ceux qui réussissent » et « ceux qui
diplôme après avoir délaissé sa forma- échouent ».
tion d’ajusteur. Puis il a fait des stages, a Les sociologues dégagent ainsi de
travaillé quelques mois dans une usine chaque récit des thématiques centrales,
de peinture, puis dans une petite entre- souvent ordonnées en couples d’oppo-
prise comme installateur d’antennes sition (« Tout » ou « rien », « moi »
TVmais celle-ci a fermé. Après son et les « autres », « le vrai métier » et
service militaire à Berlin, il a fait des « les petits boulots »). En comparant
chantiers « à droite à gauche » grâce à les récits, en recherchant leurs traits
son voisin, qui lui a appris le bricolage communs et diférences, les auteurs
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Notions et concepts
les mêmes diplômes. Mais chacun part- géographe, à étudier l’implantation des
il dans la vie sur la même ligne de dé- activités, l’organisation des villes, l’amé-
part ? Avec les mêmes chances d’accéder nagement du territoire, le tracé des
aux mêmes ressources ? On sait bien frontières, les réseaux de transports, etc.
que non. En montrant l’avantage des
enfants de familles cultivées, les inéga- La géographie et l’organisation de
lités scolaires sont sur ce point emblé- l’espace
matiques de la rélexion sur l’égalité des Traditionnellement, la géographie
chances. humaine s’est beaucoup intéressée à la
localisation des activités et à l’organisa-
déinir l’équité tion du paysage. « L’Égypte est un don
Ces constats avaient d’ailleurs donné du Nil », disait déjà Hérodote.
naissance, dès les années 1950 aux États- La nature impose bien sûr aux activi-
Unis, aux mesures d’airmative action tés humaines certaines contraintes : les
(rebaptisée chez nous « discrimination ports s’implantent le long des leuves
positive ») accordant, dans certains do- ou au bord de la mer, le type d’agri-
maines, un traitement préférentiel aux culture dépend du climat et du sol,
minorités les plus démunies (d’abord l’industrie prend souvent son essor
les Noirs, puis les Hispaniques, enin dans les régions minières, etc. Voilà
les Native Americans, ou descendants pourquoi les notions de paysage et de
des Indiens)… En 1971, le philosophe milieu étaient au centre de la géogra-
américain John Rawls (1921-2002) phie traditionnelle.
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trie, l’argent attire l’argent). L’étude Inuits ou les nomades du désert pour
des pôles technologiques, des districts circuler dans des espaces homogènes,
industriels, des régions et territoires a sans points de repère évidents.
pris une importance cruciale.
De même, l’étude des réseaux (de anthropologie et modes
transport et communication) a servi d’appropriation de l’espace
à étudier les logiques de difusion des En se penchant sur la façon dont les
innovations, des maladies (modèles hommes occupent leurs habitats, les
épidémiologiques). Des outils nou- lieux de chasse ou de travail, les an-
veaux ont été mis en place pour rendre thropologues ont vite remarqué que
compte de l’organisation spatiale : cho- l’espace n’est pas un support neutre.
rème, SIG (système d’information géo- Certains lieux sont propices aux céré-
graphique), cartes en anamorphose… monies sacrées, certains endroits sont
Ces nouvelles approches ont donné interdits d’accès aux hommes ou aux
de l’espace une image nouvelle. femmes, des lieux sont à éviter car y
L’organisation spatiale d’un pays est rodent des esprits maléiques…
donc loin d’être homogène et se pré- Concernant l’occupation de l’espace,
sente sous la forme de lieux polarisés un des premiers intérêts des anthropo-
reliés par des lux. logues a été la morphologie des villes et
des villages. Dans Les Jardins de corail
espace vécu et représentations (1935), Bronislaw K. Malinowski dé-
spatiales crit comment, chez les Trobriandais, le
Depuis les années 1980, la géographie village est construit autour d’une place
culturelle s’est penchée sur les représen- centrale réservée aux cérémonies, aux
tations de l’espace. Les habitants ne se danses et activités collectives. Les habi-
contentent pas de vivre et circuler dans tations familiales sont disposées selon le
une ville ou une région : ils la visitent, rang de chaque foyer.
ils s’attachent à certains lieux et en Claude Lévi-Strauss, dans Anthropologie
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Notions et concepts
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Notions et concepts
Sud-Est que dans le Nord-Est. tique à partir des xiiie et xive siècles.
Elles demeurent centrales aujourd’hui
encore. Ce qui a changé, ce sont leurs
État modalités d’exercice. En devenant une
démocratie, la France en a progressive-
À l’origine de l’État moderne, qui se ment conié l’exercice à sa représenta-
développe en France, en Angleterre et tion nationale (même si en la matière
en Espagne à partir du xive siècle, il y les prérogatives du président de la
a bien sûr l’airmation d’une autorité République demeurent immenses).
politique centralisée, ainsi que le déve- À ces fonctions régaliennes s’en est
loppement d’une administration. Mais progressivement ajoutée une autre :
ces diférents éléments n’ont rien de garantir la cohésion nationale. Il a
spéciique. On les retrouve dans toute tout d’abord fallu la construire, car,
société sortie de la horde ou de la tribu. en France, la nation est d’apparition
Ce qui fait la singularité du projet éta- tardive. En Allemagne, la nation, en
tique est ailleurs. Elle réside dans une tant que communauté soudée par une
volonté d’harmonisation juridique et langue et une culture communes, a
administrative. Dans l’Empire romain, précédé l’État. En France au contraire,
à côté de la centralisation politique et l’État a précédé la nation, il l’a presque
militaire de l’autorité, il y avait une « inventée » au sens où c’est la poli-
très grande diversité de situations juri- tique menée par les rois d’abord, par la
diques : le droit en vigueur n’était pas République ensuite, qui a permis au il
le même à Rome et dans les colonies. des siècles que s’imposent une langue et
L’organisation administrative avait ses une culture communes, et le sentiment
variantes locales. parmi les peuples dispersés sur le terri-
L’État moderne prétend au contraire toire d’être liés par un passé et un destin
imposer la même législation à toutes les partagés. Bien entendu, les choses sont
populations installées sur son territoire. plus complexes. Il n’est pas impossible,
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Notions et concepts
gulière, que la France n’est ni l’Angle- et régie par un État, constitue le fon-
terre ni l’Allemagne. On parle égale- dement juridique idéal, désormais uni-
ment d’État-nation, pour caractériser versellement accepté par tous les pays
le lien très fort qui unit l’État comme de la planète.
instrument d’organisation du pouvoir Pourtant, le modèle de l’État-nation
et la nation comme identité collective est aujourd’hui en crise. En efet, la
et communauté de destin. Plusieurs mondialisation économique occasion-
auteurs, comme Jürgen Habermas, nerait une perte de souveraineté et de
parlent aujourd’hui de l’avènement capacité d’action de l’État-nation. De
d’une société « postnationale » en plus, cette globalisation s’accompagne
Europe, où s’impose un mode de dans certains domaines de la mise en
gouvernance supranational. Cela place d’organismes de régulation inter-
n’implique pas la in de l’État-nation, nationaux : Organisation des Nations
mais sa recomposition au sein d’unités unies (Onu), Organisation mondiale
plus grandes. Sur d’autres continents, du commerce (OMC), Fond moné-
comme en Asie et en Amérique latine, taire international (FMI), etc., et de la
la vigueur de la forme politique natio- constitution d’ensembles de coopéra-
nale ne se dément pas. Toute nation tion supranationaux (notamment avec
n’est pas forcément démocratique, l’Union européenne). L’identité natio-
mais selon Pierre Manent, la démo- nale apparaît fragile : prise en tenaille
cratie, en Europe et aux États-Unis, d’un côté par des identités locales et de
a prospéré dans le cadre national. Ce l’autre par de nouveaux liens transna-
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chancelier Bismarck, qui, il est vrai, les employeurs et les salariés, mais de
reprend des propositions de la social- l’impôt.
démocratie allemande. En l’espace de
dix ans, trois lois entrent en vigueur et La sécurité sociale française
posent les bases de la protection sociale Créée par ordonnance le 4 octobre
moderne : la loi de 1883, instituant 1945, la Sécurité sociale est organisée
l’assurance-maladie obligatoire pour les autour de trois branches principales : la
ouvriers à bas salaires ; la loi de 1884 maladie, la vieillesse et la famille.
sur l’indemnisation des accidents du C’est un système hybride qui comporte
travail ; la loi de 1889, enin, qui donne un dispositif d’assurances prenant en
naissance aux assurances vieillesse et charge les retraites et les soins des seuls
invalidité. L’Allemagne fait donc igure salariés, qui sont des cotisants (modèle
d’avant-garde et ne tarde pas à être bismarckien), et un système de droits
suivie par ses voisins. Dès la in du sociaux qui repose sur la solidarité,
xixe siècle, la Hongrie, le Danemark, puisqu’il prend en charge des personnes
l’Autriche et la Suède adoptent des dans le besoin qui ne sont pas forcément
législations comparables. L’Angleterre cotisantes : allocations familiales, mini-
attend 1911, suivie des Pays-Bas, de mum vieillesse et CMU (Couverture
la France (1930) et enin du Japon médicale universelle créée en 2000).
(1945). À l’origine, la gestion de la Sécurité
sociale a été coniée aux partenaires
Le moment Beveridge sociaux : État, patronat, syndicats, sur
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Notions et concepts
donc engagés dans des réformes de leur Amérique : les Algonquins, les Apaches,
système de protection sociale. les Navajos, les Iroquois, les Cherokees,
les Cheyennes, etc. À chacun de ces
Les trois modèles d’État providence groupes, on attribue une langue, un
selon Gosta esping-andersen territoire, des traditions ou une mytho-
Dans son livre désormais classique, Les logie qui leur sont propres.
Trois Mondes de l’État providence. Essai Or, beaucoup d’ethnies ne répondent
sur le capitalisme moderne (1990), le qu’imparfaitement à cette déinition.
sociologue Gosta Esping-Andersen Ainsi, en Afrique, on trouve certains
distingue trois grands types d’État Peuls qui ont une origine senufo et qui
providence : ne parlent pas la langue peule. Les noms
– Le Welfare State libéral ou résiduel. Il de Peul, de Bambara ou de Malinké
est inancé par l’impôt et restreint son correspondent en fait à des transcrip-
intervention aux plus démunis (revenu tions coloniales. Le terme « ethnie »
minimum et prise en charge médicale). est donc désormais controversé et les
C’est le modèle américain. anthropologues insistent aujourd’hui
– L’État providence bismarckien, dit sur la variabilité du sentiment ethnique
aussi « conservateur » ou « assuran- (ou ethnicité) et sa dimension idéolo-
ciel ». Il est basé sur l’assurance collec- gique. L’ethnicité n’est certainement
tive des salariés et des membres d’une pas, dans l’Afrique contemporaine et
corporation professionnelle. Parmi passée par exemple, le résidu d’une
les pays dont le système de protection obscure tradition tribale, mais la maté-
sociale est d’inspiration plutôt bismarc- rialisation, sans cesse mouvante, d’une
kienne, on citera l’Allemagne et l’Italie. situation historique, d’où la politique
– L’État providence universaliste, de n’est jamais absente.
type social-démocrate. Le niveau de Depuis l’indépendance, certains États
protection sociale est élevé. Le mode de africains ont entériné administrati-
inancement du dispositif est également vement la notion d’ethnie et lui ont
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xviie et xviiie siècles). Les historiens an- et despotique du père. Tous les enfants
glais de l’école de Cambridge ont mon- vivent dans la maison paternelle, les ils
tré que la famille réduite dominait dans jusqu’à sa mort, les illes jusqu’à leur ma-
une grande partie de l’Europe depuis le riage. Le père a droit de vie et de mort
Moyen Âge. Selon les travaux de Peter sur les femmes (mère, belles-illes), sur
Laslett la taille moyenne des familles les enfants et sur les esclaves.
en Europe a oscillé autour de 4,75 per- Le modèle de la famille-souche a été
sonnes, des Temps modernes au début assez répandu en Europe. On la ren-
du xxe siècle. Les mêmes constats se contrait du nord du Portugal aux
retrouvent pour l’Europe carolingienne pays baltes, en passant par la France
(ixe- xxe siècles). méridionale et les régions alpines.
La famille nucléaire monogame, où Trois générations pouvaient cohabi-
mari et femme vivent toute leur vie une ter : les parents, un ils et son épouse
union stable et « sacrée », est présente et leur progéniture, auxquels venaient
dans de nombreuses sociétés, à toutes s’ajouter les enfants restés célibataires
les époques. D’après Aristote, dans la et les domestiques. La famille-souche
Grèce du ive siècle av. J.-C., la cellule est une institution qui englobe des
de base de la société est l’oïkos, c’est-à- biens matériels et immatériels comme
dire la maisonnée. L’oïkos unit un mari des droits d’usage sur les eaux, les prés
à sa femme, un père à ses enfants et un communaux ou les bois. Il n’y a donc
maître à ses esclaves. Les Mayas et les pas de position sociale individuelle,
Babyloniens connaissaient également la et la « maison » (l’oustal occitan par
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tion que certains principes soient res- que l’amour conjugal tend à devenir
pectés, et notamment le sentiment un investissement à court ou moyen
d’indépendance et d’autonomie des terme, le long terme s’est déplacé sur
membres du groupe familial », airme les relations parents-enfants.
encore F. de Singly.
L’État accompagnateur
Brouillage dans la iliation L’État providence s’est toujours fait
Les progrès scientiiques – avec les le garant de l’institution familiale. Il
procréations assistées, les dons de a pourtant lui aussi su s’adapter et
sperme, les possibilités d’identiication prendre des distances avec le modèle
du géniteur… – ont ajouté à la com- de référence de la famille classique.
plexité des nouvelles familles. Qui est Jacques Commaille montre que, pour
le père ? Depuis la nuit des temps, le la France, la plupart des réformes de
mystère pouvait planer sans jamais être ces dernières décennies répondent à la
résolu. Aujourd’hui, c’est la maternité demande d’autonomie et à la libérali-
biologique qui peut devenir incertaine sation des mœurs. Cela a été le cas avec
(dans le cas du don d’ovocyte) alors que la loi de 1975 instaurant le divorce par
le « père biologique » peut être démas- consentement mutuel.
qué avec certitude ! Il est trop tôt pour Loin pourtant d’abandonner les indivi-
connaître quelles conséquences aura ce dus à eux-mêmes, les États européens
retournement inédit que nous a réservé ont multiplié les mesures de protec-
l’histoire du xxe siècle… tion contre les « nouveaux risques
En déinitive, que ce soit par le jeu familiaux », comme la mise en place
des recompositions familiales ou celui de l’allocation de parent isolé pour
des « manipulations génétiques », on les familles monoparentales. À la in
est confronté aux modèles familiaux du xxe siècle, ils ont été de plus en
les plus divers dans lesquels le lien plus nombreux à se positionner en
biologique ne coïncide plus avec le faveur de la reconnaissance des familles
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sociétés, qui accentuent plus nettement montant des fonds placés chez elle. En
qu’auparavant l’opposition entre ilia- accordant un crédit avec de l’argent
tion et consanguinité. Ces nouvelles dont elle ne dispose pas en caisse, la
iliations ne sont pas toujours faciles banque joue un rôle d’aide à la créa-
à vivre pour l’individu, car elles ne tion des activités économiques. C’est
sont pas encore pleinement reconnues la fonction de création monétaire, qui
socialement : les enfants élevés dans des contribue également à l’investissement.
familles monoparentales ou recompo- La inance n’est donc pas une supers-
sées, les enfants adoptés, ou encore nés tructure parasite mais bien un élément
de mères inséminées artiiciellement ou essentiel de l’économie de marché.
de mères porteuses, ou les enfants éle-
vés par des couples homosexuels. Circuits
Les principaux circuits de la inance
sont : le système bancaire qui accorde
Finance des crédits ; le marché des capitaux (la
Bourse), dans lequel sont émis et échan-
Pour construire son logement, un par- gés des titres (actions, obligations).
ticulier a besoin de fonds qu’il peut em- On distingue généralement le marché
prunter par un crédit à sa banque. Pour primaire, où sont émis de nouveaux
développer ses activités, une entreprise titres (ce qui s’efectue la plupart du
a également besoin de fonds qu’elle temps directement entre entreprises
peut obtenir par un crédit auprès de ou par l’intermédiaire de banques) et
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sa banque, mais aussi en trouvant des qui n’est donc pas localisé en un lieu
capitaux auprès de nouveaux investis- précis, et le marché secondaire, qui
seurs (sous forme d’actions). Financer est celui de la bourse des valeurs où
une activité, c’est donc trouver les s’échangent les titres déjà créés. C’est
fonds nécessaires à la réalisation d’une donc le « marché de l’occasion » des
activité. capitaux.
Le système inancier, c’est l’ensemble
des moyens (banques, établissements La globalisation inancière
de crédit, bourse des capitaux) qui À partir des années 1980, une nouvelle
permettent de mettre en rapport ceux époque s’est ouverte pour la inance
qui veulent placer des fonds et ceux qui mondiale. Une véritable sphère inan-
veulent les utiliser. La banque est le pre- cière autonome s’est constituée liée à la
mier agent ou « intermédiaire » inan- conjugaison de plusieurs phénomènes :
cier. Elle reçoit l’épargne des entreprises – l’explosion des transferts de fonds à
et des ménages, et la met à la disposi- l’échelle internationale. Le montant
tion des entreprises et particuliers. des transactions inancières (achats de
devises, prêts, crédits…) réalisé sur le
Fonctions de la inance marché inancier mondial a décuplé et
Dans les économies contemporaines, représente des dizaines de fois le mon-
les besoins de inancement des entre- tant des échanges de marchandises ;
prises sont largement supérieurs aux – le décloisonnement des marchés. Les
capacités d’épargne des ménages. Les frontières ont été abolies entre marché
banques n’ont pas seulement un rôle inancier et marché monétaire d’une
d’« intermédiation », c’est-à-dire de part, entre marchés nationaux d’autre
mise en correspondance des fonds part ;
épargnés et des fonds demandés. Les – de nouveaux instruments inanciers
banques créent de nouveaux fonds en ont été créés : options, futures, swaps,
accordant des crédits bien au-delà du etc.
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Au départ, la inance servait, comme le pris corps dans les années 1920 et
veut son nom, à inancer des activités, vont connaître leur heure de gloire
la production ou l’achat de biens. Elle dans les années 1940-1950 en linguis-
a permis aussi aux entreprises de faire tique et sciences sociales (sociologie
des paris sur l’avenir, favorisant certes et anthropologie) avant de connaître
la création de richesse mais aussi le un déclin. On a reproché en efet au
découplage avec l’économie réelle. Ce fonctionnalisme une vision organique
« commerce des promesses » suscite de la société où à chaque élément est
de nombreuses interrogations, notam- assigné un rôle précis, en gommant de
ment depuis la crise de 2008 (P.-N. ce fait les contradictions, les conlits, les
Giraud, La Mondialisation, Émergences désordres sociaux.
et Fragmentations, 2008, nlle éd. 2012 ;
Le Commerce des promesses, 2009). anthropologie
Le fonctionnalisme est associé à la
théorie de l’école anglaise de Bronislaw
FonctionnaLisMe K. Malinowski (1884-1942) et Alfred
R. Radclife-Brown (1881-1955). Pour
Répondre à la question « À quoi ça rendre compte de phénomènes sociaux
sert ? », c’est déinir la « fonction » tels que la magie, B.K. Malinowski
d’une chose : un crayon sert à écrire, rejette les explications historiques qui
un rasoir à se raser, une voiture à se voudraient qu’elle soit une survivance
déplacer. Telle est donc leur fonction. du passé. Pour lui, si la magie existe
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On peut transposer dans le monde vi- dans une société, c’est qu’elle y rem-
vant l’approche en terme de fonction : plit un rôle. Il faut donc rejeter les
l’estomac sert à digérer, le cœur sert à approches « pseudo-historiques » pour
pomper le sang dans l’organisme, les rechercher sa fonction au sein d’un
nerfs servent à transférer des informa- ensemble.
tions des organes au cerveau, etc. Dans Dans chaque type de civilisation,
tous les organismes vivants, chaque or- chaque coutume, chaque objet maté-
gane semble avoir une fonction précise riel, chaque idée, chaque croyance
au regard de l’ensemble. remplit une fonction vitale, a une
C’est à partir de ce constat que les dif- certaine tâche à accomplir, représente
férentes théories fonctionnalistes vont une part irremplaçable d’un ensemble
émerger dans les sciences humaines organique. A.R. Radclife-Brown
au début du xxe siècle. Elles partent applique la même règle de méthode.
de l’idée que le langage (et ses élé- Dans Structure et fonction dans la
ments constitutifs), la société (l’école, société primitive (1952), il explique
la famille, l’État, les rites, les mythes) les relations d’évitement instaurées
et les aptitudes mentales (mémoire, entre certains membres de la famille
intelligence, conscience…) peuvent (souvent entre une belle-mère et son
être compris à partir de leur fonction gendre) par le souci d’éviter les conlits
au sein d’un ensemble. La fonction familiaux et de réguler ainsi la vie
des rites et des mythes serait de sou- sociale.
der les hommes entre eux, la fonction
de la religion serait de transmettre des sociologie
valeurs culturelles… Chaque élément Talcott Parsons et Robert K. Merton
ou phénomène social doit être com- sont les tenants d’une approche que
pris comme un élément fonctionnel, l’on qualiie de « structuro-fonction-
comme une pièce d’une machine. naliste ». T. Parsons, au moins dans
Les approches fonctionnalistes ont ses écrits des années 1930-1960, voit
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Europe qu’aux États-Unis, constituent « Depuis le milieu des années 1990, les
aujourd’hui un champ de recherche chercheurs s’intéressent en particulier
nourrissant revues, colloques et dépar- au rôle des politiques publiques dans
tements universitaires. la gentriication et à ses conséquences
sur les classes populaires, la plupart
du temps évincées en périphérie. Avec
GentriFication Neil Smith, géographe marxiste élève
de David Harvey, un fort courant de
Le mot de gentriication (de l’anglais géographie radicale structure le champ
gentry) désigne le processus d’embour- de la gentriication, en lui donnant
geoisement de certains quartiers des une assise critique. » (Anne Clerval,
villes. Le terme a été utilisé par Ruth www.hypergeo.eu).
Glass pour la première fois en 1963, Quelle que soit la forme qu’ils revêtent,
dans une étude consacrée à Londres, ces « retours en ville » des classes
qui décrit l’installation de ménages moyennes aisées marquent aussi le
des classes moyennes aisées dans les retour des villes, ou du moins des
anciens quartiers dévalorisés. Depuis, plus importantes d’entre elles, dans le
le phénomène a gagné en ampleur, en contexte de l’économie mondialisée et
afectant bien d’autres agglomérations post-fordiste.
que les seules villes anglo-saxonnes.
En témoignent ces analyses qui nous
transportent de New York à São Paulo, GÉoGraPHie
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humaine pourrait se résumer ainsi : et les deux pôles ont leurs cohortes de
pourquoi est-ce là plutôt qu’ailleurs ? géographes qui scrutent à leur manière
Au départ, la discipline s’est consti- un bout de la planète. Chaque géo-
tuée autour de deux domaines clés : graphe est implanté quelque part : il a
la géographie rurale et la géographie donc tendance aussi à étudier un espace
urbaine. La première se préoccupait particulier et à construire sa propre
de l’occupation des sols (organisation vision de sa discipline. Voilà ce que
des terres agricoles, forêts, paysages, montrerait aussi une géographie de la
organisation des villages), la géographie géographie.
urbaine s’occupant des plans de villes,
des zones d’activités et réseaux de trans- Méthodes et paradigmes
ports. Mais les frontières se sont un peu Comme les autres sciences sociales, la
estompées avec le phénomène de rur- géographie est également inluencée
banisation ou péri-urbanisation. par les grands axes paradigmatiques qui
La géographie humaine s’est enrichie nomadisent d’une discipline à l’autre.
au il du temps de nombreux autres Durant les années 1960 (époque du
domaines. structuralisme et du formalisme en
La géographie électorale possède une sciences humaines), on a vu émerger
riche tradition française qui remonte une « nouvelle géographie », modélisa-
en France au début du xxe siècle (André trice et soucieuse de mettre en lumière
Siegfried, 1875-1959) elle cherche à des lois d’organisation de l’espace. Le
comprendre les déterminants géogra- marxisme a créé dans son sillage une
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phiques des votes, leur permanence géographie critique, sensible aux phé-
et recomposition. La géographie élec- nomènes de ségrégation et de domi-
torale n’est elle même qu’un des pôle nation (David Harvey). Puis, on a vu
de la zone de la géographie politique : apparaître une géographie cognitive
domaine plus vaste qui se préoccupe (comment les gens s’orientent dans
des relations entre espace et pouvoir. l’espace), une géographie du genre.
La géographie politique est née au xixe Et, avec l’essor de la globalisation, une
avec le géographe allemand Friedrich « géographie globale ».
Ratzel (1844-1904). La géopolitique est Le renouvellement permanent des
une hybridation à mi-chemin en géo- méthodes s’est accompagné d’une
graphie et relations internationales. sophistication des techniques : l’évo-
De nouveaux domaines sont venus lution de la cartographie, de la modé-
enrichir la géographie humaine de- lisation, la numérisation des données
puis une génération : géographie du (SIG), les données satellitaires, sont
développement (G. Wackermann, autant de moyens d’investigation nou-
Géographie du développement, 2005), veaux qui ont renouvelé la discipline.
géo-économie (P. Lorot, Introduction Les données scientiiques et techniques
à la géo-économie, 1999), géogra- sophistiquées n’empêchant pas une
phie culturelle (J.-R. Pitte Géographie géographie plus littéraire et narrative
culturelle, 2004), géographie de l’ali- qui perçoit les évolutions des paysages
mentation (G. Fumey, Géopolitique de et des sociétés à travers une lecture
l’alimentation, 2008), géographie du sensible (J.-C. Bailly, Le Dépaysement.
tourisme, géohistoire, géographie de la Voyages en France, 2011).
santé, de la criminalité, etc.
À ce découpage en spécialités se super-
posent aussi les géographies régionales : GLoBaLisation
l’Afrique, les Amériques, l’Asie, l’Eu-
rope, les îles, les océans, les tropiques › Mondialisation
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ont suscité nombre de rélexions sur les à l’apport des war studies, qui, dans pays
guerres justes (M. Walzer). anglo-saxons en revanche, constituent
Les sciences sociales et la guerre un domaine de recherche très actif. Il
Paradoxalement, la guerre a été un pa- existe aussi des peace studies, fortement
rent pauvre des sciences sociales et lais- implantées dans l’Europe du Nord et
sée à l’histoire militaire et à la stratégie. incarnées par Johan Galtung, fondateur
En France, l’œuvre de Gaston Bouthoul de l’irénologie (ou peace research).
fondateur de la « polémologie » ou celle
de R. Aron (Paix et Guerre entre les na-
tions) et celle de Gérard Chaliand, De la GUerre JUste
guerre, restent le fait d’auteurs isolés. Le
domaine a été réactivé récemment grâce › Michael Walzer
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blables pour les membres d’une même a longuement rappelé que l’habitus
classe. Des individus placés dans des n’était pas quelque chose de monoli-
conditions similaires sont dotés d’habi- thique (il peut parfois être « clivé »),
tus similaires, adaptés aux conditions d’immuable ou de fatal (il ne déter-
dont ils sont issus et diférents de ceux mine pas toutes les actions à venir).
des individus placés dans d’autres condi-
tions. La plongée dans un milieu qui Limites de l’habitus
n’est pas le sien fait sentir la force de ces Des critiques ont été formulées à
dispositions : un ouvrier qui se retrou- l’égard de la théorie de l’habitus.
verait dans une soirée mondaine aurait Bernard Lahire fait valoir que l’habitus,
toutes les chances de ne pas se sentir « à s’il est un phénomène indiscutable de
sa place », parce qu’il ne maîtrise pas les la socialisation individuelle, n’est sans
règles du jeu mondain (façons de se te- doute plus aussi homogène que ne le
nir, de parler, sujets de conversation…) prétend P. Bourdieu. Aujourd’hui, la
que les membres des classes dominantes plupart des individus ne vivent plus
ont, eux, incorporées. dans des univers sociaux homogènes
D’autre part, l’habitus uniie et incor- comme l’était la société kabyle des
pore toutes les dimensions de la pra- années 1960 ou les internats de grands
tique, qu’elles soient culturelles, spor- lycées parisiens des années 1950.
tives, alimentaires, de loisir… Il est ce P. Bourdieu a fondé sa théorie de l’ha-
qui fait que les goûts et les pratiques ont bitus à partir de milieux sociaux clos et
une cohérence en eux et entre eux, qu’ils marqués par un mode unique de socia-
forment un véritable « style de vie ». lisation, alors que chacun d’entre nous
Principe générateur de pratiques, est porteur de plusieurs habitus acquis
l’habitus est également à la base des dans un environnement diversiié (fa-
représentations que nous nous faisons mille, école, télévision…). De même,
de ces pratiques. « L’habitus est (…) à les sociologues insistent aujourd’hui
la fois principe générateur de pratiques sur la capacité rélexive de l’individu
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et une certaine lucidité sur ses propres ses objets ? Quelle administration de
conduites. L’individu n’est peut-être la preuve peut en fonder la légitimité ?
pas aussi aveugle sur les sources de ses L’objectivité peut-elle exister ?
conduites que ne le prétend le modèle Ces questions, en fait, ne sont pas nou-
de l’inconscient social de P. Bourdieu. velles. Les lettrés qui se sont chargés de
Par exemple, l’émancipation des relater les événements de leur époque
femmes s’est faite au prix d’un arrache- ont toujours cherché à justiier leur
ment conscient aux conditionnements démarche. Mais elles se sont posées
sociaux légués par les générations avec une acuité croissante depuis la
antérieures. in du xixe siècle, où sont nées de véri-
tables écoles historiques et avec elles
une rélexion historiographique sur la
Histoire discipline.
L’historiographie, que l’on pourrait dé-
La discipline historique a toujours été inir comme l’histoire de l’histoire, est
fortement liée aux histoires nationales, née au xixe siècle en Allemagne, où se
aux pays et aux peuples dont elle retrace développait une dynamique école his-
le passé. En France particulièrement, torique. Depuis le xxe siècle, l’historio-
l’histoire est une discipline bien-aimée, graphie a pris une place croissante dans
en même temps qu’elle est considérée les préoccupations des historiens de
comme un élément fondamental de la toutes les nationalités qui se sont mis à
culture. Intégrée dans les programmes confronter les manières de « faire l’his-
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scolaires au xixe siècle, elle connaît, toire », et elle est inscrite aujourd’hui
depuis les années 1960, un large succès dans les cursus universitaires.
médiatique : publications et collections
éditoriales leurissent ; les universitaires de Homère à Hérodote
les plus chevronnés participent à la C’est dans la Grèce du ve siècle av. J.-C.
réalisation d’émissions de radio et de que naît l’histoire, avec Hérodote et
télévision (Georges Duby en avait été hucydide. Le premier se donne pour
l’un des initiateurs avec son émission projet de raconter les guerres médiques
« Le temps des cathédrales », en 1973), qui opposèrent Grecs et Perses, et favo-
les magazines grand public leur ouvrent risèrent l’expansion des cités grecques.
régulièrement leurs colonnes… Grand voyageur et esprit curieux,
En efet, l’histoire a ce mérite de ethnographe et géographe par ses
nous raconter des histoires. Pour observations détaillées des peuples
Paul Veyne, elle ne serait rien d’autre qu’il rencontre, Hérodote fonde aussi
qu’un « roman vrai » (Comment on le récit historique ain, explique-t-il,
écrit l’histoire, 1971). Mais c’est juste- « que le temps n’abolisse pas les tra-
ment parce qu’elle est censée raconter vaux des hommes et que les grands
la vérité que la discipline historique a exploits, accomplis soit par les Grecs,
été, tout au long des siècles, porteuse soit par les Barbares ne tombent pas
d’enjeux importants – d’abord d’ordre dans l’oubli » (Histoires, prologue au
religieux ou politique, puis aujourd’hui livre I). Quelques décennies plus tard,
épistémologique – qui l’ont mise, par- hucydide se fera le témoin de la guerre
ticulièrement depuis le xixe siècle, au du Péloponnèse qui oppose Athènes et
centre de débats et de combats parfois Sparte de 431 à 404 av. J.-C.
virulents dans la communauté histo- En recherchant les causes des événe-
rienne. L’histoire peut-elle être une ments, en s’eforçant à l’objectivité
science (sociale) ? Et si oui, quelles dans leurs descriptions et leurs expli-
doivent être ses sources ? ses méthodes ? cations, Hérodote et hucydide sont
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de l’Ancien Testament et des Évangiles. œuvre, posant ainsi les bases de l’éru-
Longtemps méprisée, considérée dition moderne.
comme subordonnée à la théologie et Au xviiie siècle, siècle des Lumières, les
au pouvoir de l’Église, l’histoire médié- philosophes – Voltaire, Montesquieu,
vale a cependant connu au cours du Diderot, Condorcet – manifestent
xxe siècle des réévaluations : à côté des un intérêt passionné pour l’histoire
textes hagiographiques sur la vie des et posent les fondements d’une phi-
saints et autres récits de miracles, les losophie de l’histoire orientée autour
chroniqueurs des puissants de la chré- de questions telles que l’origine des
tienté, qu’ils soient théologiens ou sim- nations, l’histoire des civilisations
plement moralistes, n’en ont pas moins ou la marche du progrès humain. Au
laissé des témoignages intéressants xixe siècle, avec le développement du
sur leur époque. Ainsi, par exemple, rationalisme, les philosophes Kant,
l’évêque Grégoire de Tours (538-594) Hegel et Karl Marx concevront chacun
livre-t-il, dans sa pieuse Histoire des à sa manière toute l’histoire de l’huma-
Francs (Historia Francorum), de pré- nité comme une marche vers la liberté,
cieuses indications sur les croyances de éclairée par la raison.
son temps et des évocations précises sur
des événements comme le récit de la Le XIXe siècle, siècle de l’histoire
peste qui désole Marseille en 588. Au Le xixe siècle est souvent appelé, à
xiiie siècle, les chroniques de Joinville, juste titre, le « siècle de l’histoire ». La
destinées à relater « les saintes paroles Révolution française et la constitution
et les bons faits » de saint Louis, livrent des nations en Europe nourrissent la
une description détaillée des mœurs rélexion des historiens français, alle-
des Bédouins qu’ils rencontrent lors mands, anglais. Des écoles nationales
de la croisade en Égypte, et dévoilent se constituent dont une dynamique
la perception de ces croisés afrontant école allemande avec Leopold von
le monde musulman. Pour décrire Ranke (1795-1886) et son Histoire des
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comme l’ont si élégamment écrit les elle aussi, passée au crible des regards
historiens Caroline Douki et Philippe croisés d’historiens français et algériens
Minard, le but est d’« ouvrir grand les (M. Harbi, B. Stora, La Guerre d’Algé-
fenêtres » du vénérable monument de rie, 1954-2004, la in de l’amnésie,
l’Histoire, de « voir et penser large ». 2004).
Comment expliquer cette prégnance de
L’histoire saisie par la mémoire la mémoire ? P. Nora y voyait une « crise
Journées du patrimoine, cérémonies du mythe national », liée à celle de l’idée
du débarquement des Alliés… Depuis de progrès. En 2003, François Hartog
les années 1980, une véritable défer- poursuit l’analyse en attribuant le phé-
lante mémorielle s’observe dans de nomène mémoriel contemporain à un
nombreux pays sous forme de mul- nouveau rapport au temps des socié-
tiples commémorations, de cultes du tés actuelles. Alors que les deux siècles
patrimoine, d’une loraison de musées passés ont connu une « posture futu-
et autres mémoriaux, mais aussi d’une riste » (tendue vers la construction d’un
médiatisation croissante de la parole de monde meilleur), l’époque contem-
témoins, de la petite histoire ou de la poraine vivrait un « présentisme », qui
grande. Mémoires ouvrières, mémoires conçoit sa mémoire non plus comme
de poilus, mémoires de pieds-noirs ou une mémoire collective permettant de
de harkis… la mémoire ou plutôt les préparer l’avenir, mais comme des mé-
mémoires sont devenues un important moires reconstruites diversement pour
objet d’étude pour les historiens. renforcer les identités de chaque groupe
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selon Hayden White, l’histoire ne serait éléments qui le composent. Dans une
qu’une « iction-making operation ». conception holiste, le tout n’est donc
Si ces positions peuvent conduire à pas un simple agrégat d’éléments. En
un relativisme absolu (laissant la voie sciences humaines, c’est à l’individua-
libre, par exemple, aux lectures révi- lisme qu’on oppose en général l’ho-
sionnistes du nazisme), en France, à la lisme. L’anthropologue Louis Dumont
suite des philosophes Michel Foucault, distingue ainsi les sociétés holistes et
Michel de Certeau et Paul Ricœur, les sociétés individualistes : les socié-
les historiens adoptent aujourd’hui tés holistes (dont le modèle est, pour
une position de « réalisme critique » lui, la société indienne) valorisent la
de la connaissance historique. Pour subordination de l’individu au tout
Antoine Prost (Douze leçons sur l’his- social, tandis que les sociétés modernes
toire, 1996), l’histoire est une « mise occidentales sont individualistes et
en intrigue ». Gérard Noiriel (Sur la privilégient l’égalité, la liberté et la
crise de l’histoire, 1996) airme même satisfaction des besoins de chacun. En
que la question de l’objectivité et de la sociologie, schématiquement, l’holisme
vérité est le principal déi qui est lancé considère la société comme une entité
aujourd’hui à la discipline. Pour Roger propre « englobant » les individus et les
Chartier (Au bord de la falaise, l’histoire déterminant pour une large part. C’est
entre certitude et inquiétudes, 1998), le la conception qu’on prête en général à
discours historique oscille entre iction Émile Durkheim pour l’opposer à l’in-
et science, mais le travail de l’historien dividualisme méthodologique, selon
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lité limitée. Parce que les capacités co- mantation lorsque le champ magné-
gnitives des individus sont inies et que tique n’est plus présent.
leurs connaissances sont imparfaites, ils En économie, ce phénomène a été uti-
ne cherchent pas la solution optimale lisé par Olivier Blanchard et Lawrence
mais celle qui est la plus satisfaisante. Summers en 1986. Leur idée est la
À ce premier coup de canif au modèle suivante : la baisse de l’activité éco-
succède un second dans les années nomique dans les années 1970, due
1970. Pour H. Simon, les choix des aux chocs pétroliers, a conduit à une
individus ne peuvent être compris sans hausse du chômage. La baisse de
entrer dans la boîte noire de leur fonc- l’activité et le chômage persistant ont
tionnement décisionnel. La psycholo- produit des efets structurels : perte
gie vient alors au secours de l’économie de motivation et d’employabilité de
pour décrypter les mécanismes de déci- certains chômeurs, absence d’investis-
sion et la rationalité devient « procédu- sement des entreprises. À long terme,
rale », car elle se révèle dans le proces- ces phénomènes perdurent alors
sus même. L’économie expérimentale même que les causes initiales (du chô-
portée par le prix Nobel 2002 Daniel mage) ont disparu.
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nisent l’Institut de France et jettent les duit de la classe dominante qui tend à
bases de ce qui deviendra le musée de légitimer son pouvoir en le justiiant
l’Homme. avec des valeurs universelles.
Mais, lorsque Napoléon s’empare du La théorie critique de K. Marx ne
pouvoir, le groupe des idéologues se manque pas de force. Le paradoxe
divisera sur l’attitude à adopter face au est que le marxisme, qui voulait al-
nouvel empire. ler contre toute idéologie et être les
Par la suite, Karl Marx (1818-1883) « armes de la critique », est devenu à
emploiera le terme « idéologie » pour son tour l’une des principales idéolo-
désigner les idées des philosophes alle- gies politiques du xxe siècle. À partir
mands post-hégéliens, qu’il critique des années 1950, R. Aron argumen-
vertement dans son Idéologie allemande tera contre les marxistes avec leurs
(1845). Dès lors, ce mot a adopté le propres armes, pour montrer combien
sens actuel. Il servira à désigner les idées le communisme et le marxisme étaient
fausses, principalement dans le do- devenus des « religions séculières »
maine politique. « L’idéologie, ce sont (Marxismes imaginaires : d’une sainte
les idées politiques de mon adversaire », famille à l’Autre, 1969).
note avec humour Raymond Aron. Dans le prolongement de K. Marx,
la théorie de Karl Mannheim (1893-
L’approche marxiste 1947) propose une vision élargie de
K. Marx a jeté les bases d’une analyse l’idéologie. Le philosophe allemand
critique des idéologies qui repose sur insiste sur le fait que l’idéologie est une
plusieurs points. vision globale de la société, une « vision
L’idéologie est d’abord déinie comme du monde ».
l’ensemble des représentations, des Quand elle s’impose à la société tout
idéaux et des valeurs propres à une entière, elle est aliénante. C’est le cas
classe ou à un groupe social. Ainsi, des idéologies dominantes qui tendent
les valeurs individualistes et égalitaires à gommer les contradictions internes
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trop rares et atypiques (il s’agit de naturel la plupart des espèces animales
maintenir à tout prix le pouvoir dans évitent les unions consanguines.
la dynastie) pour remettre en cause La théorie selon laquelle l’inceste est
l’existence d’une règle générale. Plus en fait inhibé naturellement (il y a peu
souvent, l’interdit de l’inceste porte sur d’attraction naturelle entre membres
la parenté proche : cousins, cousines (à de la famille) a connu un renouveau
l’exception du « mariage arabe » qui avec des travaux menés dans les kib-
favorise les unions entre les enfants de boutz israéliens (Y. Talmon, « Mate
deux frères). Selection in Collective Settlements »,
American Sociological Review, vol. 29,
comment expliquer cette prohibition 1964 ; J. Shepher, Incest : A Biosocial
universelle de l’inceste ? View, 1983). Entre les enfants élevés en
Les anthropologues ont d’abord avancé communauté dès la plus petite enfance,
le fait nocif de la consanguinité. Les on constate une répulsion spontanée
unions entre parents, chez l’homme au mariage (alors qu’ils sont encouragés
et chez l’animal, peuvent provoquer à le faire), quoique les études menées
des tares héréditaires et, sur plusieurs par Melford E. Spiro dans les années
générations, des phénomènes de dégé- 1970 aient tendu à relativiser ce constat
nérescence. Puis, en 1891, l’ethno- (Culture et nature humaine, 1995).
logue inlandais Edvard Westermarck L’anthropologue Laurent Barry, auteur
et, en 1906, le sexologue britannique de La Parenté (2008) nuance également
Havelock Ellis soutenaient que la co- les théories de Lévi-Strauss. Pour lui,
habitation prolongée entre membres « la majorité des systèmes de parenté
d’une même famille neutralisait le désir connus dans le monde ne reposent pas
et conduisaient à une inappétence entre sur un dispositif d’échange matrimo-
parents. nial. En revanche, tous ont en commun
Mais l’explication la plus couram- de prohiber certains parents. L’idée
ment admise depuis la Seconde Guerre d’échange comme revers de l’inceste ne
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sur enfants ont permis de parler de ce tion » (perte de contact avec la réalité)
sujet longtemps tabou. L’ampleur du et une amnésie dissociative (incapa-
phénomène est diicilement mesu- cité de se souvenir de certains aspects
rable. D’abord, parce que la déinition traumatisants), voire une incapacité à
des faits varie considérablement (du savoir si ce que l’on a vécu relève de la
simple attouchement au viol répété par- réalité ou du rêve. Ces symptômes sont
fois pendant plusieurs années). Ensuite, accompagnés d’angoisses et de troubles
parce qu’une très petite minorité d’en- du sommeil, ainsi que de diicultés de
fants révèle les faits. Les données les concentration. Par la suite, le syndrome
plus sérieuses estiment à 4 % environ peut évoluer vers un syndrome de stress
le nombre d’enfants ayant subi des vio- post-traumatique (post traumatic syn-
lences sexuelles de la part d’un proche. drom disorder). Cependant, tous les
Le scénario est souvent le même. Les enfants ne connaissent pas ces troubles
parents incestueux sont souvent le père, grâce au phénomène de résilience.
le grand-père ou un oncle. L’enfant qui
subit les abus sexuels reste souvent silen- La diicile évaluation chifrée de
cieux. Parfois parce qu’il a été menacé, l’inceste
mais le plus souvent il garde le secret Il est évidemment diicile de chifrer
spontanément : même s’il sent confusé- la prévalence des actes qualiiables de
ment que ce qu’on lui fait est « mal », il pédophiles dans la société française, et
a peur de dénoncer une personne qu’il encore plus dans le monde. En raison
aime et se sent lui-même coupable. de la clandestinité des faits, on ne peut
Quelles sont les conséquences psy- connaître que ce qui est observé, dé-
chiques de ces abus sexuels ? Bien que noncé à la police ou déclaré à la faveur
l’on dispose d’enquêtes et de témoi- de sondages anonymes. D’autre part,
gnages concordants, les efets psycholo- les seuils de majorité sexuelle varient
giques sur les enfants restent discutés. selon les pays et selon les actes commis.
Dans les années 1980 aux États-Unis, Néanmoins, des données circulent,
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L’âge n’est pas mentionné, mais on peut depuis quelques années sur l’histoire de
le supposer précoce. Rapporté à la popu- l’individu.
lation, ce sondage donnerait 1,8 million
de jeunes abusés (dont 1,5 million de L’individualisme, une invention
illes). Chifre à comparer avec celui, moderne ?
plus important, que donne Dorothée Le grand historien de la Renaissance,
Dussy (L’Inceste, bilan des savoirs, 2013) : Jacob Burckhart (1818-1897) fut le
trois millions de personnes sur les 60 premier à exposer la genèse occidentale
que compte la population française au- de l’individu. Dans son livre classique
raient été victimes d’incestes familiaux La Civilisation de la Renaissance en
dans leur enfance. Italie (1860), il envisage la Renaissance
Des chifres mondiaux circulent, beau- comme l’expression d’un grand mou-
coup moins précis. Selon un rapport vement de civilisation, qui voit l’émer-
de l’Onu (rapport Pinheiro, 2006), sur gence de nouvelles formes politiques,
un panel de 21 pays développés, entre culturelles et sociales. C’est l’époque de
7 % et 36 % de femmes et entre 3 % l’airmation de l’individu comme être
et 29 % des hommes auraient été vic- unique et autonome qui se distingue
times de violences sexuelles dans l’en- de la période du Moyen l’homme
fance. L’OMS pour sa part a publié une où l’individu est englué dans la vie
évaluation en 2007 : dans le monde, communautaire.
20 % des femmes et 5 % à 10 % des L’anthropologue Louis Dumont fut
hommes seraient dans ce cas. Si cela est le premier à avoir esquissé une généa-
vrai, c’est considérable. logie de « l’idéologie individualiste
moderne » (Essais sur l’individualisme,
1983). Sa clé de lecture part d’une
indicateUrs de ricHesse opposition entre « holisme » et « indi-
vidualisme ». Dans les sociétés holistes
› Richesse (primitives, antiques, médiévale)
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souvent évoquées, mais tout aussi de l’égalité des droits politiques et ci-
réelles : entre les beaux et les afreux, les viques, et la possibilité ouverte à tous
bien portants et les handicapés… d’accéder aux positions élevées.
Même dans les sociétés « primitives », Depuis J.-J. Rousseau et son Discours,
dites « égalitaires », où il n’y a pas de qu’a-t-on appris sur les origines des
diférences économiques ou politiques inégalités ?
marquantes, il existe tout de même des La sociologie contemporaine a consa-
inégalités de statut, de pouvoir, de pres- cré de nombreux travaux à cette ques-
tige entre hommes et femmes, entre tion. Personne ne conteste l’existence
parents et enfants. Au sens strict, les d’inégalités naturelles, physiques ou
sociétés totalement égalitaires ne sont intellectuelles. Elles jouent un rôle
pas de ce monde. déterminant dans la réussite scolaire
ou professionnelle. Mais ces inégali-
Pourquoi les inégalités ? tés naturelles ne sauraient gommer les
Dans son Discours sur l’origine et les fon- sources sociales des inégalités : celles
dements de l’inégalité parmi les hommes qui concernent les sociologues.
(1755), Jean-Jacques Rousseau voit Concernant les inégalités de droit, il a
deux sources majeures aux inégalités fallu attendre la in du xxe siècle pour
entre les hommes. L’une, nous dit-il, que les femmes et les Noirs aient accès
est naturelle et physique, elle provient aux droits civiques. Une fois le droit
de la diférence des âges, de la force… acquis, la discrimination efective reste
Mais, ajoute J.-J. Rousseau, ces dif- encore présente, notamment dans l’ac-
férences interindividuelles ne sau- cès à l’emploi.
raient tout expliquer. Pourquoi les uns Les inégalités sociales proprement dites
naissent-ils avec une cuillère en or dans se répartissent ensuite en plusieurs caté-
la bouche et les autres dans la misère ? gories. Pierre Bourdieu distingue trois
La vraie raison est à chercher dans l’or- types de capital : économique, social et
ganisation de la société. Au départ, les culturel, qui jouent chacun à sa façon
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pour l’adapter au problème de son bon (qui fait un retour en force dans
entreprise, chez cet agent d’assurances certains pays). La pilule contraceptive
qui « se débrouille » avec les procé- devait supprimer le préservatif pensait-
dures pour satisfaire son client, chez ce on dans les années 1960, jusqu’à ce que
professeur qui met en place dans son l’épidémie de Sida le remette à jour. Une
collège un projet éducatif autour du autre idée reçue notamment, qui stipule
voyage scolaire… Vue sous cet angle, que l’innovation est la clef du dévelop-
l’innovation ne se limite pas aux tech- pement économique, est également
niques, mais concerne la vie sociale contestée par David Edgerton, ainsi
dans son ensemble (de la recette de cui- que par l’économiste Danièle Blondel
sine à Internet). Elle est surtout, selon (Innovation et bien-être, 2010).
lui, une activité banale et quotidienne.
L’innovation ordinaire se réalise au tra-
vers d’une myriade de petits bricolages institUtion
quotidiens apparemment sans grande
importance. Cette approche micro- Quel est le point commun entre, le
sociologique nous éloigne du modèle mariage, le baccalauréat, l’euro, le
héroïque où les grandes innovations football et le prix Goncourt ? Ce sont
révolutionnaires surgissent du cerveau des institutions. Les institutions sont
d’un inventeur génial. des réalités humaines forgées autour
Elle rend justice à ces bricoleurs du de règles communes, leur permettant
quotidien qui ont peut-être participé, de se comprendre, de coopérer, d’agir
à leur façon, aux grandes révolutions en commun. Sans règles du jeu, au-
techniques et sociales de l’histoire. cun match de foot ne serait possible ;
Les travaux sur l’innovation ont été sans code de la route, la circulation
stimulés par les politiques publiques automobile serait presque qu’impos-
(régions, nations) car elle constitue un sible, sans la monnaie représentant
enjeu important à l’ère de l’économie une valeur conventionnelle donnée,
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l’homme, lui ôter son existence abso- l’indique la plus connue des déinitions
lue pour lui en donner une relative, et qu’il en a laissées : « Une institution est
transporter le moi dans l’unité com- une idée d’œuvre ou d’entreprise qui
mune ; en sorte que chaque particu- se réalise et dure juridiquement dans
lier ne se croit plus un, mais partie de un milieu social ; pour la réalisation de
l’unité, et ne soit plus sensible que dans cette idée, un pouvoir s’organise qui lui
le tout. » La même idée est développée procure des organes ; d’autre part, entre
plus longuement, mais toujours avec la les membres du groupe social intéressé
même force, dans le livre II du Contrat à la réalisation de l’idée, il se produit
Social, ch. 7. des manifestations de communion
La modernisation autoritaire des ins- dirigées par les organes du pouvoir et
titutions administratives de la France réglées par des procédures. » (1925).
par Bonaparte renforcera l’idée très Tout n’est pas limpide, certes, dans
ancienne que celui qui fonde les insti- cette phrase tortueuse au vocabulaire
tutions est « à tous égards un homme parfois étrange, mais elle évoque bien
extraordinaire dans l’État », selon l’ex- le soule et l’enthousiasme de ceux qui
pression de J.-J. Rousseau. « instituent ».
Par la suite la notion d’institution sera
L’institution et les sociologues marginalisée en sciences sociales. Elle
Il faudra les bouleversements éco- va cependant retrouver un éphémère
nomiques et sociaux du xixe siècle, renouveau dans les années 1970 avec
le développement de l’industrie, du « l’analyse institutionnelle ». Puis elle
commerce et des associations, pour revient aujourd’hui en force via le cou-
que la notion d’institution se libère du rant de l’institutionnalisme très pré-
poids de l’histoire et de la politique, sent en économie et science politique.
et devienne pour la quasi-totalité des Elle revient aujourd’hui en force via
fondateurs de la sociologie une no- le courant de l’institutionnalisme en
tion centrale de leur discipline. Selon économie et de nombreuses théories en
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1957) ont publié un ouvrage fondateur avouent tous les deux, ils seront respec-
heory of Games and Economic Behavior tivement condamnés à 5 ans de prison.
(théorie des jeux et comportement Quelle sera l’issue de ce jeu ? Pour
économique) qui étudie de tels scéna- quelle stratégie les individus A et B
rios stratégiques en les appliquant aux opteront-ils ? À et B vont, chacun de
conduites économiques. leur côté, avouer… et écoper tous les
La théorie des jeux emprunte au mo- deux de cinq ans. C’est la stratégie (5,5)
dèle économique néo-classique deux qui est qualiiée de « dominante ». Or,
hypothèses : 1) la rationalité parfaite ils auraient dû se taire pour ne purger
des individus ; 2) l’information com- qu’un an chacun : stratégie (1,1). Tel est
plète. Tout d’abord, ceci signiie que le fameux « dilemme du prisonnier » :
les individus vont systématiquement au moment où chaque prévenu envi-
chercher à maximiser leurs gains sage de ne pas avouer, il réalise que, si
(hypothèse de rationalité). Ce sont l’autre n’en fait pas autant, il écopera
des « homo œconomicus ». Ensuite, les de neuf ans de prison supplémen-
joueurs savent tout sur les règles du taires. Conclusion, la stratégie choisie
jeu, sur ses diverses issues possibles, sur (avouer, avouer) n’est pas un optimum
les gains attribués à chaque issue…, et de Pareto, car la satisfaction des deux
tous les joueurs savent que les autres prisonniers pourrait être améliorée par
savent aussi. On parle de « connais- le choix stratégique (1,1). Problème :
sance commune » (common knowle- la poursuite de leur intérêt particulier
dge) du jeu. Par conséquent, l’incerti- vient faire échec à leur intérêt com-
tude dans le jeu porte sur la stratégie mun. Comment en sont-ils arrivés là ?
adoptée par les autres joueurs : on ne Mettons-nous à la place de l’individu
sait pas ce qu’ils vont faire. Du coup, A. Pour prendre sa décision, A extra-
même si l’information est complète et pole le choix de B qui, comme lui, est
si les joueurs sont parfaitement ration- un individu parfaitement rationnel. Si
nels, ils ne connaissent pas le résultat A pense que B va nier, il a intérêt à le
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accords ain de maximiser leurs gains. siècles à tenter de déinir une société
Or, ces situations sont courantes dans juste proposant chacun une théorie
le domaine économique lorsque des diférente. Un problème insoluble ? En
entreprises s’allient pour protéger leur 1971, un philosophe américain, John
marché par exemple, ou en matière Rawls, tente à son tour de relever le déi
de stratégie politique quand des partis dans un livre ambitieux, héorie de la
se regroupent pour gagner des élec- justice, qui produit un véritable séisme
tions. L’ouvrage de J. von Neumann et dans le champ de la philosophie poli-
O. Morgenstern (heory of Games and tique. Il faut pourtant attendre 1987
Economic Behavior, 1944) qui traite pour que héorie de la justice soit enin
essentiellement de ces jeux coopératifs traduit en français et dans la foulée les
connaît un rapide et large succès (il est débats suscités par le livre. Au cours des
réédité en 1947 et en 1953). années 1990, la pensée rawlsienne se
Mais il convient de noter que la « coo- difuse dans l’Hexagone avec les deux
pération » ne rime pas avec l’altruisme principes de justice qui en sont la pierre
des individus. Comme le remarque angulaire.
l’économiste Bernard Guerrien (La Le premier établit un droit égal au plus
héorie économique néo-classique. grand nombre de libertés de base, par
Microéconomie, 1999), « coopération exemple le droit de vote et d’éligibilité,
s’entend donc ici au sens de “participa- la liberté d’expression, la protection de
tion intéressée à une coalition”, et rien la personne, le droit à la propriété pri-
d’autre ». vée…
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La théorie des jeux a investi de nom- Le second principe déinit les règles de
breux domaines : l’économie, la science la justice sociale et présente un double
politique, la gestion et même la biolo- versant. D’un côté, il stipule que les
gie. Elle est enseignée dans la plupart inégalités socio-économiques ne sont
des universités de sciences économiques acceptables que si elles bénéicient aux
et elle a permis à J. Nash, Reinhart membres les plus défavorisés de la so-
Selten et John C. Harsanyi de décrocher ciété, de l’autre, il exige le respect de la
le prix Nobel d’économie en 1994… au juste égalité des chances. On voit là tout
grand dam de certains de leurs collègues l’enjeu de ces deux principes : concilier
qui critiquent l’irréalisme de ses hypo- justice sociale et liberté, mais aussi
thèses de base. Il est vrai qu’un autre parvenir à penser une justice sociale
prix Nobel, Herbert A. Simon, avait compatible avec certaines inégalités.
mis en évidence la rationalité limitée Cette pensée est très vite mobilisée en
des individus, en quête d’une solution France par des cercles politiques. Alors
satisfaisante et non pas maximale. que le philosophe américain est un uni-
versitaire discret, peu militant, le voilà
enrôlé, presque malgré lui, comme une
JUstice référence majeure de la social-démocra-
tie. Par le jeu d’une lecture quelque peu
La justice est sans doute l’un des plus orientée, il est perçu comme celui qui
vieux problèmes philosophiques posés est parvenu à concilier justice sociale et
à l’humanité. Aristote dans la Politique économie de marché.
soutenait même que c’est pour dire le Ces débats sont l’occasion en France
juste et l’injuste que le langage existe. de découvrir aussi les autres grands
La vie en société pose en efet nécessai- penseurs américains de la justice dont
rement le problème de la répartition des les théories ont émergé après Rawls.
ressources et des positions. Nombreux En 1991 est traduit Anarchie, État et
furent les philosophes au cours des utopie (1974) du libertarien Robert
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Nozick qui juge la théorie rawlsienne économiques, mais on ne peut pas non
dangereuse parce qu’elle porte atteinte plus la réduire à sa dimension sym-
aux libertés en accordant trop de place bolique. Outre la reconnaissance et la
à l’État. Sphères de justice de Michael redistribution, elle insiste aussi sur un
Walzer (1983) paraît en français en troisième aspect de la justice : la repré-
1997 et défend une conception plura- sentation politique. La justice est donc
liste de la justice. Parce qu’il n’y a pas que multidimensionnelle.
des biens socio-économiques, il défend La justice est décidément une ques-
l’idée d’une « égalité complexe ». Il faut tion complexe. L’enquête menée par
selon lui distinguer dans la société plu- le sociologue François Dubet et ses
sieurs sphères de justice : la politique, collaborateurs sur les injustices au tra-
l’économie mais aussi la famille, l’édu- vail dégagent trois principes de justice
cation, la religion, la santé, le monde auxquels se réfèrent communément les
des loisirs, etc., auxquels correspondent travailleurs : l’égalité, la reconnaissance
des « biens » diférents : le pouvoir, du mérite et le respect de l’autonomie
l’argent, l’amour, la connaissance, la (Injustices, Seuil, 2006). Le racisme, le
grâce divine, la sécurité et la santé, le sexisme par exemple vont à l’encontre
temps libre… On peut être perdant sur du principe d’égalité. Les eforts non
un type de bien mais y gagner ailleurs. reconnus ou les pistons contreviennent
La critique de Walzer témoigne d’un au principe du mérite. Et c’est au titre
changement de perspective important : d’un droit à l’autonomie que l’excès
il apparaît de plus en plus réducteur de stress, l’aliénation, le manque de
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diférentes manières : par une politique 2008 a remis les problématiques key-
de grands travaux, par des commandes nésiennes au goût du jour. La pensée de
publiques, par la distribution de reve- Keynes n’est pas soluble dans quelques
nus aux familles, par des taux d’inté- recettes de politique économique.
rêts faibles qui encouragent les entre- Keynes était tout, sauf un doctrinaire.
preneurs à investir et donc à créer des Son apport principal est de souligner
emplois, par la taxation des droits de l’insuisance du marché à assurer seul
succession qui limite le poids des rentes la croissance. Il accorde à l’État un
improductives… La « théorie géné- rôle régulateur, mais il envisage mille
rale » accorde surtout à la monnaie un façons d’agir. L’auteur de la héorie
rôle central pour encourager la relance. générale refuse l’image d’un marché
Pour Keynes, en efet, la monnaie n’est abstrait et auto-équilibrés et aborde les
pas un instrument « neutre », seule- phénomènes économiques comme un
ment un moyen de paiement et de système vivant en prenant en compte
circulation. Créer de la monnaie, par les facteurs sociaux et psychologiques
l’intermédiaire du crédit par exemple, dans les comportements économiques
ofre aux entrepreneurs la capacité de des entrepreneurs. Ce faisant, il envi-
fonds pour créer de nouvelles activités. sage l’économie comme une science
Au contraire, la « rétention » de liqui- humaine.
dité freinera l’activité. Keynes n’y va
pas par quatre chemins. Très hostile à
l’épargne improductive des rentiers, il KnoWLedGe ManaGeMent
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cadeaux sans grande utilité ni grande B qui partira à son tour en visite chez
valeur décorative comme des bras- ses voisins pour recevoir de nombreux
sards de coquillages. Arrivés sur l’île dons cérémoniels de la part de ceux qui
B, ils vont ofrir ces présents. Les habi- lui sont désormais obligés.
tants de l’île B vont alors, en retour, La kula, qui semble avoir été pratiquée il
ofrir d’autres cadeaux symboliques. y a déjà un millier d’années, se poursuit
Cet échange de dons signiie que de encore aujourd’hui dans les îles mélané-
nouveaux liens se sont créés entre les siennes. Elle porte toujours sur des biens
tribus devenues amies. L’importance sans valeur marchande ni utilitaire.
du cadeau détermine le prestige et la L’institution de la kula, d’abord étudiée
renommée du donateur. Elle crée aussi par Bronislaw K. Malinowski (1884-
une relation de dépendance de celui 1942), a fait l’objet de nombreuses inter-
qui reçoit à l’égard de son hôte, tou- prétations anthropologiques (M. Mauss,
jours plus généreux. Les habitants de « Essai sur le don », L’Année sociologique,
l’île A vont alors continuer leur tournée 1923-1924 ; A. Weiner, La Richesse des
dans d’autres îles de l’archipel. L’année femmes, 1976 ; J.T. Godbout, A. Caillé,
suivante, ce sera une expédition de l’île L’Esprit du don, 1992).
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le cadre de l’armée tout d’abord, puis Qu’est-ce qui fait qu’un pouvoir
dans les entreprises. peut être reconnu et accepté comme
Ces travaux peuvent être classés en plu- légitime ? Selon une célèbre typologie
sieurs catégories. proposée par Max Weber, la légiti-
Certains s’attachent à établir les traits mité d’une autorité peut s’appuyer sur
de personnalité du leader, dans l’op- trois sources : la tradition, le charisme
tique inaugurée par K. Lewin. ou la rationalité : la domination tra-
L’approche de Robert R. Blake et Jane ditionnelle fonde sa légitimité sur les
S. Mouton (he New Managerial Grid, caractères de la tradition, les us et cou-
1978) s’est axée sur les comportements, tumes, l’habitude ; la domination cha-
en partant d’une distinction entre les rismatique est celle d’une personnalité
formes d’encadrement centrées sur exceptionnelle, dotée d’une aura par-
l’activité et l’organisation du travail, et ticulière. Le chef charismatique assoit
celles centrées sur les relations avec les son pouvoir sur sa force de conviction
personnes. et sa capacité à rassembler et mobiliser
Les approches dites de la « contin- les foules ; la domination rationnelle
gence » cherchent à tenir compte à la s’appuie sur le pouvoir du droit formel
fois de la caractéristique des dirigeants, et impersonnel. Elle est liée à la fonc-
des employés (leur degré de qualiica- tion et non à la personne. Dans les
tion, d’implication…) et des caracté- organisations modernes, le pouvoir se
ristiques de l’entreprise. La typologie justiie par la compétence, la rationalité
établie par Paul Hersey et Kenneth H. des choix (guidés par des « experts ») et
Blanchard aboutit à la distinction de non par le poids des traditions ou l’aura
quatre types de leaderships principaux : personnelle d’un chef. La domination
le style directif, motivationnel (tourné rationnelle ou « légale bureaucratique »
vers la recherche de l’implication des passe par la soumission à un code fonc-
employés), participatif et de délégation. tionnel (code de la route, code civil,
L’approche transactionnelle, prônée etc.).
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sions publiques ou d’y prendre part. (2009), s’attache à montrer qu’il existe
(Éloge de la liberté, 1988) un noyau doctrinal commun à tous les
formes de libéralisme, depuis ses formes
Le libéralisme économique premières au xviie siècle jusqu’aux au-
Le « laisser-faire » est le credo des libé- teurs contemporains. Ce noyau doctri-
raux. Le libéralisme économique repose nal est fondé sur trois piliers que sont
sur deux idées simples : la libre entre- la souveraineté de l’individu, la liberté
prise est le meilleur stimulant de la pro- et l’État de droit. Mais ce même fond
duction et le libre-échange le meilleur commun s’accorde ensuite avec des
dispositif de répartition des richesses. positions politiques très diférentes.
Les économistes « classiques » qui ont Dans sa Contre histoire du libéralisme
donné forme au credo libéral sont : Adam (2013), le philosophe Domenico
Smith, David Ricardo, Jean-Baptiste Say, Losurdo mène une charge sévère contre
John Stuart Mill. Leur libéralisme n’est les tenants du libéralisme politique
cependant pas radical. Par exemple, ils en Angleterre, aux États-Unis et en
ne s’opposent pas à toute intervention de France, des pères fondateurs jusqu’au
l’État pour répartir les richesses. seuil du xxe siècle dont les doctrines
Le libéralisme économique a pris par la se sont accordées avec l’extermina-
suite plusieurs formes. tion des Indiens d’Amérique, la traite
Les « néo-classiques », regroupant atlantique, l’esclavage persistant au
les marginalistes de la génération des xixe siècle, la condition faite aux Noirs
années 1870 (Léon Walras et Vilfredo d’Amérique du Nord, l’eugénisme et
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la guerre d’Algérie ne possède pas ses plus) les relations de parenté qui les
mémoriaux. Or, sans ancrage, la mé- unissent. Si un arrière-grand-père pou-
moire a évidemment beaucoup plus de vait rassembler aujourd’hui ses enfants,
chances d’être efacée des consciences. petits-enfants et arrière-petits-enfants,
Voilà l’enjeu des lieux de mémoire : voilà ce qu’on appellerait un lignage.
inscrire dans l’espace sous forme de
marques visibles aux yeux de tous ce qui
pourrait sans cela disparaître des esprits. Loi de L’oFFre
En 1984, Pierre Nora publiait le premier et de La deMande
volume des Lieux de mémoire, une vaste
œuvre collective qui étudiait les multiples « Ofre et demande, ofre et demande,
facettes de la mémoire nationale fran- ofre et demande. Roule la phrase dans
çaise : de La Marseillaise au Panthéon, en ta bouche, comme un bon vin. Ofre et
passant par les cérémonies du 14-Juillet. demande : ce sont les mots les plus uti-
un ouvrage de plusieurs milliers de lisés en économie. Et pour une bonne
pages, dont la publication s’est étalée raison. Ils fournissent à tous les coups
de 1984 à 1992, et qui se présente sous la bonne réponse aux questions écono-
forme d’un triptyque. Au premier volet miques. Essaie : pourquoi le jambon
consacré à La République et ainsi nommé et les oranges sont si chers cet hiver ?
vient s’ajouter La Nation où il est ques- Ofre et demande ! Pourquoi les taux
tion des héritages lointains, des grandes d’intérêt baissent ? Ofre et demande !
constructions historiographiques, de la Pourquoi les taux d’intérêt montent ?
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Notions et concepts
sociale qui a fait du loisir son mode de temps libre en plus soit consacré à la
vie : les rentiers oisifs. À l’époque, seule formation, l’épanouissement person-
une minorité de riches Américains nel, qu’il concevait à travers des activi-
peut partir en voyage et dépenser sans tés sportives, culturelles, éducatives.
compter en vêtements, boissons, armes,
bijoux, etc. Ces dépenses, outrancières À quoi occupe-t-on donc ses loisirs ?
aux yeux de Veblen, sont apparentées Cinquante ans après la prédiction de
à une « consommation ostentatoire ». J. Dumazedier, l’augmentation du
Le loisir est donc socialement discrimi- temps libre a bien eu lieu en France,
nant. Il manifeste et renforce les inéga- surtout du fait de l’allongement des
lités sociales. congés payés, de la diminution de
– Paul Lafargue (1842-1911) : Selon le l’âge de la retraite, de la réduction du
gendre de Karl Marx, le travail est avi- temps horaire hebdomadaire du tra-
lissant, les conditions de son exercice vail. Certes, le temps hors travail n’est
sont déplorables. On étoufe, enfermé pas forcément du temps libre (travail
dans des usines pendant douze à qua- domestique, temps de transport, etc.),
torze heures par jour, au milieu de ma- mais dans l’ensemble et sur le long
chines dangereuses. Le « dogme » du terme, l’accroissement du temps libre
travail a créé des esclaves. Libérons-les, reste une tendance lourde de nos socié-
propose ce militant socialiste, en leur tés depuis les années 1960.
ofrant du temps libre pendant lequel Le sociologue Roger Sue (Le Loisir,
ils goûteront aux joies des spectacles, de 1993) distingue quatre types de loisirs :
la lecture et du bon vin ! C’est Le Droit les pratiques culturelles, le sport, les
à la paresse (1880, rééd., 1999). pratiques de jardinage et de bricolage,
– Robert et Helen Lynd de leur côté et les pratiques sociales (café, restau-
ont réalisé la première enquête sur rant, associations…).
les loisirs des habitants d’une ville Les loisirs culturels. La télévision est, de
moyenne des États-Unis qu’ils nom- loin, le loisir numéro un : trois heures et
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randonnée, vélo, football, golf, nata- moins d’une heure ? Les motifs sont
tion, tennis, ski, golf, équitation, moins légers qu’il n’y paraît lorsque
plongée sous-marine, etc. Le phéno- l’on scrute au plus près l’implication de
mène le plus considérable est l’arrivée chacun.
massive des femmes. Elles sont désor- Le « plaisir du savoir » est, par exemple,
mais presque aussi nombreuses que les une motivation spéciique associée à de
hommes à pratiquer le sport comme un nombreuses activités. Certains mordus
loisir (entre 20 % et 25 %). du jardin sont de véritables experts qui
Le jardinage et le bricolage. Ils maîtrisent de nombreuses connais-
connaissent également un essor impor- sances : techniques botaniques, phyto-
tant, comme en témoigne l’explosion sanitaires. Cette dimension « savante »
des grandes surfaces et des revues spé- faite de recherches, d’enquêtes, de
cialisées sur ces sujets. Ils font d’ailleurs tâtonnements expérimentaux, on la re-
l’objet d’un investissement passionnel, trouve chez les généalogistes, les brico-
étudié par les ethnologues. leurs, les historiens amateurs ou encore
Les pratiques sociales. Autre composante les passionnés de micro-informatique.
des loisirs : les réunions publiques, les L’émotion et le plaisir physique sont
associations, les rencontres diverses. Ici, d’autres dimensions associées à beau-
les données sont plus diiciles à saisir. coup d’occupations. Les jardiniers té-
Le nombre d’associations a augmenté moignent tous d’une certaine « sensua-
considérablement depuis deux décen- lité » qui naît du contact de la terre, des
nies (mais en contrepartie du déclin leurs, de l’herbe ou des arbres. Martine
des syndicats et des partis politiques). Il Segalen, observatrice et pratiquante
faudrait également prendre en compte de la course à pied, évoque les délices
d’autres facettes des loisirs comme le physiques du jogging et la griserie des
voyage et le restaurant, qui ont connu ambiances de compétition. Christian
des développements spectaculaires ces Bromberger décrit les émotions du
dernières décennies. spectateur d’un match de football
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Notions et concepts
qui connaît toute la gamme des émo- aux couleurs de leur équipe et s’échinent
tions que l’on peut ressentir le temps à vouloir marquer leur territoire dans les
d’un match : « La joie, la soufrance, la tribunes. Le désir de reconnaissance est
haine, l’angoisse, l’admiration, le sen- encore un aiguillon majeur de la passion
timent d’injustice », toutes les compo- du jardinier, ier de montrer à ses amis
santes qui, selon Aristote, forment la ses plus belles compositions lorales ou
trame d’une bonne tragédie. la taille de ses légumes.
La projection fantasmatique est un Selon C. Bromberger, (C. Bromberger
autre trait essentiel de toutes ces acti- (dir.), Passions ordinaires : du match de
vités. Le cycliste qui soufre dans une football au concours de dictée, 1998)
côte s’imagine être un champion en dans la comparaison entre ces difé-
course ; les amateurs de voile s’identi- rentes sphères d’activités, on retrouve
ient volontiers à un grand marin… donc quelques constantes. « À travers
D’autres mobiles, comme le plaisir de ces engagements et les solidarités que
la création, la maîtrise de soi, le besoin tisse un engouement partagé se fauile
de contacts comptent également. Une et tend à se résoudre une quête de sens
chose est sûre : la pratique d’un hobby est de l’existence et de nouvelles formes de
donc tout sauf un simple passe-temps. liens sociaux. »
Toutes ces « passions ordinaires » ont L’expansion des loisirs a conduit les
donc un ancrage psychologique très sciences humaines à s’intéresser de
profond. La quête d’identité et de recon- près au phénomène. On a ainsi pu
naissance, on la retrouve dans presque voir la multiplication des recherches
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toutes les activités. Les supporters et des études sur ce thème en écono-
« ultras » de l’équipe de Marseille, qui mie, en histoire, en anthropologie, en
s’approprient ièrement les victoires de sociologie, en psychologie, et même en
leur club, arborent emblèmes et fanions philosophie.
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1870 Socio-économie
Marginalisme
C. Menger R. Luxembourg
(1840-1921) (1871-1919)
L. Walras
(1834-1910)
T. Veblen
V. Pareto Keynésianisme
(1857-1929)
(1848-1923)
A. Marshall
J. Keynes J. Schumpeter
(1842-1924)
(1883-1946) (1883-1950)
1940
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J. Robinson F. Perroux
(1903-1983) (1903-1987)
P. Baran
N. Kaldor J.K. Galbraith (1910-1964)
Néo-classiques
(1908-1986) (né en 1908)
F. von Hayek
A.O. Hirschman
(1899-1992)
(né en 1915) •Tiers mondisme
Synthèse R. Prebish
•Modèle keynésianisme- (1901-1986)
standard néo-classiques C. Furtado
G. Debreu J.R. Hicks (né en 1920)
1970 (né en 1921) (1904-1989)
K. Arrow P. Samuelson
(né en 1921) (né en 1915)
•Monétarisme •École de
M. Friedman la régulation
(né en 1912) Néo-institutionnalisme M. Aglietta
R. Coase R. Boyer
(né en 1910) (né en 1943)
•Anticipations O.E. Williamson
rationnelles
R. Lucas
(né en 1937)
1990
néo-keynésiens institutionnalistes
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morts ou les récits véhiculent ainsi une complexes en idées simples. À l’inverse,
mémoire de groupe qui se transmet Edgar Morin a, dans La Méthode (5 t.
entre générations. 1977-2001), le projet d’une réforme
Dans la perspective ouverte par de la pensée ain de pouvoir appré-
M. Halbwachs, des historiens se sont hender la complexité des phénomènes
intéressés aux lieux de mémoire qui for- humains. Tel est le premier sens que
ment le soubassement imaginaire d’une l’on peut donner au mot « méthode » :
nation ou d’une classe sociale. Des so- la démarche générale de la pensée dans
ciologues se sont penchés sur la façon le domaine scientiique. C’est dans ce
dont s’élabore la mémoire familiale, à sens qu’Émile Durkheim l’emploie
travers les albums de photos que l’on dans Les Règles de la méthode sociolo-
feuillette ou les récits édiiants que l’on gique (1895).
raconte dans les réunions de famille. À un autre niveau, on entend par
La mémoire de groupe est donc un « méthodes » certaines techniques
enjeu politique. Mettre en valeur cer- d’investigation propres à la recherche.
tains épisodes du passé collectif ou en C’est ainsi que l’on parle de méthodes
gommer d’autres, c’est une façon de quantitatives (sondage, questionnaire,
déinir son identité et de construire comparaison statistique, les tests d’in-
son histoire. La mémoire participe de telligence, etc.) ou qualitatives (récit de
ce que Paul Ricœur appelle l’identité vie, observation participante, l’entre-
narrative des individus et des groupes tien non-directif, etc.).
humains (P. Ricœur, La Mémoire, l’his-
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férer les pommes aux poires, où on peut priété, théories de la irme, économie
prendre le bus plutôt que d’acheter une de l’information, etc. La démarche
voiture). Ce modèle sera peu à peu mis micro-économique va s’étendre à de
au point par des chercheurs comme nouveaux domaines comme l’analyse
John R. Hicks ou Paul Samuelson, dans de la vie politique (avec James M.
les années 1930 et 1940, puis Kenneth Buchanan) ou la famille (avec Gary
Arrow, Gérard Debreu, Maurice Allais, Becker). Enin, pour couronner son
dans les années 1950. empire sur la science économique, la
La performance mathématique est no- micro-économie tentera par ailleurs
table. Mais on constate que, dans un tel de proposer des fondements nouveaux
modèle, l’équilibre de marché n’est ob- pour penser les phénomènes macro-
tenu qu’au prix d’hypothèses très restric- économiques avec les travaux de
tives (une ininité d’ofreurs, d’acheteurs Robert Lucas.
capables, une connaissance parfaite de Mais au moment même où elle aichait
la qualité des produits par les protago- une grande vitalité théorique, les hypo-
nistes, la possibilité pour le consomma- thèses de base de la micro-économie
teur de comparer tous les prix…) corres- sur la rationalité des choix étaient re-
pondant assez peu au monde que l’on mises en cause fondamentalement par
rencontre dans l’économie réelle. les recherches menées en économie
Dans le monde réel du marché, si une comportementale.
personne veut investir et hésite entre
acheter un appartement ou des actions,
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ont décrit dans une étude classique s’ajouter les Marocains et les Tunisiens,
le parcours des migrants polonais forment alors, avec les Portugais, les
(Le Paysan polonais en Europe et en nationalités les plus représentées. Ces
Amérique : récit de vie d’un migrant), immigrés vont travailler dans le secteur
un énorme ouvrage en 5 volumes dont industriel (la plupart comme ouvriers
les premiers paraissent en 1918. Cette ou manœuvres). Ils vivent le plus sou-
étude pionnière décrit tout le cycle de vent dans des bidonvilles, cités de tran-
l’immigration. Les premiers volumes sit, des HLM et des grands ensembles
sont consacrés à la situation initiale : la construits pendant cette période.
famille paysanne, le système social, la Les études pionnières d’Abdelmalek
vie économique en Pologne. La suite Sayad sur l’immigration maghrébine
décrit la « désorganisation des groupes se centrent sur la condition du travail-
primaires » (famille, communauté de leur immigré, solitaire et réduit à son
travail), conduisant certains à quitter travail. « Qu’est-ce qu’un immigré ?
leur pays. Enin vient la phase d’ins- Un immigré, c’est essentiellement une
tallation en Amérique qui est marquée force de travail, et une force de travail
par la reconstitution de communautés, provisoire, temporaire, en transit. »
mais aussi leur désorganisation sociale : (A. Sayad, L’Immigration ou les para-
misère, déstabilisation familiale, et par- doxes de l’altérité, 1991). À l’époque,
fois délinquance. La dynamique d’en- le stéréotype de l’immigré est l’ouvrier
semble forme une trame générale sur spécialisé algérien vivant souvent seul
laquelle se tissent des destins singuliers. sans autre existence sociale ou poli-
Dans les études de l’école de Chicago, tique. Il ne fait pas parler de lui.
les grands thèmes liés à l’immigra- Puis, à partir des années 1970, les
tion sont déjà là : les communautés conditions changent. Les politiques
ethniques regroupées en ghettos, la d’immigration connaissent un coup de
désagrégation sociale et la déviance, frein au moment où débute la crise éco-
le racisme. De leur côté, les anthro- nomique. Avec le chômage de masse, la
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moderne, les minorités furent sujettes fait référence à la question du droit des
à l’arbitraire du pouvoir central. La minorités (notamment à l’autodétermi-
« politique des minorités » a principa- nation) et de leur protection juridique.
lement consisté à diviser pour mieux
régner et à subordonner les minorités démocratie et multiculturalisme
en imposant l’allégeance au groupe Même en régime démocratique, où se
dominant. Un régime de protection pose avec une vigueur nouvelle la ques-
pouvait leur ofrir quelques garanties tion du pluralisme culturel, la notion
tout en les tenant dans un rang infé- de minorité n’a pas le même sens selon
rieur. Mais, en raison même de leurs le contexte national. Aux États-Unis
diférences, les minorités, notamment par exemple, terre supposée du melting
celles rassemblées et concentrées en pot, l’adoption d’un modèle majoritaire
milieu urbain (ghettos), furent souvent (à travers l’adoption de l’american way
objet de racisme (ou d’antisémitisme) ; of life) devait théoriquement permettre
elles irent aussi parfois oice de bouc l’assimilation progressive des diférentes
émissaire, avec transfert de violence minorités. Pourtant, c’est d’abord en
(exemples des pogroms contre les Amérique du Nord (Canada et États-
Juifs). Dans les empires multinationaux Unis) qu’on a vu s’élargir la catégorie de
(romain, turc, austro-hongrois ou russe « minorités » puisque d’innombrables
par exemple), un statut paradoxal (des groupes aichant des diférences phy-
sujets de seconde zone) était réservé siques ou culturelles et un mode de vie
aux populations dites « allogènes », particulier (homosexuels, obèses, han-
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réserve le terme « migration » pour les ces dernières années (R. Duhautois,
déplacements d’un pays à l’autre. H. Petit, D. Remillon, La Mobilité
Quantitativement, elle a connu une professionnelle, 2012 et C. Négroni,
explosion du fait de : Reconversion professionnelle volontaire.
– l’augmentation continue des trans- Changer d’emploi, changer de vie. Un
ports quotidiens (due à l’éloignement regard sociologique sur les bifurcations,
entre lieu de vie et de travail) – l’aug- 2007).
mentation du tourisme
– l’augmentation des déménagements.
Cette mobilité accrue se mesure en km MoBiLitÉ sociaLe
parcourus : 14 300 km, c’est la distance
parcourue en moyenne par personne, Le rêve américain est celui de l’ascen-
chaque année, en France (contre envi- sion sociale. Parti de rien, un individu
ron 9 000 au début des années 1980). parvient au sommet de la hiérarchie
C’est un peu plus que la moyenne eu- sociale. Le modèle en est l’histoire du
ropéenne, mais près de deux fois moins magnat des afaires dans le ilm Citizen
qu’aux États-Unis. Les cadres, et dans Kane d’Orson Welles (1941). L’idéal
une moindre mesure les employés, par- du self made man n’est pas qu’un mythe
courent les distances les plus longues, mobilisateur, c’est aussi une réalité
mais celles des ouvriers progressent dont la société américaine peut ofrir de
plus vite et s’en approchent. Les étu- nombreux exemples. En cela, la société
diants et les retraités se déplacent un démocratique s’oppose aux sociétés à
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peu plus souvent et sur des distances ordres ou castes, dans lesquelles l’accès
plus longues. à telle position sociale est strictement
déterminé par le rang de naissance.
La déinition sociologique de la mobi-
MoBiLitÉ ProFessionneLLe lité sociale est inséparable des instru-
ments statistiques qui permettent de
La mobilité professionnelle désigne l’étudier.
tous les changements intervenus dans Les études statistiques s’appuient
la situation d’un individu vis-à-vis de depuis Karl Pearson (1857-1936) sur
l’emploi. Il peut s’agir d’un changement l’exploitation des « tables de mobilité »,
d’entreprise (mobilité d’entreprise), de groupant les individus d’une popu-
métier (mobilité socio-professionnelle). lation selon leur profession en début
On parle de mobilité d’emploi pour et en in de carrière (il s’agit alors de
désigner le passage du statut de chô- « mobilité professionnelle »). La mobi-
meur ou d’inactif vers un emploi (ou lité sociale proprement dite compare la
l’inverse). La mobilité interne concerne profession du père et celle du ils.
un changement de statut ou de salaire Mais qu’en est-il exactement de la réa-
au sein d’une même entreprise. lité statistique du brassage social opéré
Deux tendances dans la mobilité dans les sociétés modernes ? C’est ce
professionnelle sont à considérer : la que les sociologues et les démographes
mobilité forcée due aux licenciements ont tenté de repérer à partir de très
ou restructurations d’entreprise et une nombreuses études.
mobilité volontaire due à des choix de
vie. L’apport de la sociologie américaine
Ces deux tendances (qui se combinent Les premières grandes études de mobi-
parfois : on peut proiter d’une licen- lité proviennent des États-Unis.
ciement pour « changer de vie » et réa- Pitirim Sorokin, sociologue américain
liser un vieux rêve) se sont renforcées d’origine russe, a entrepris, dans Social
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visuelle. Dans d’autres cas, le modèle Une première période est celle de la
(par exemple en démographie et en conquête des libertés politiques et
économie) permet de simuler le fonc- économiques, celle où l’Église, les
tionnement d’un système et de prévoir monarchies absolues et les pouvoirs
son comportement. traditionnels desserrent leur étreinte
sur la société. Survient ensuite, vers la
seconde moitié du xixe siècle, une crise
ModernitÉ de la modernité. Crise économique,
sociale, idéologique qui afecte les fon-
On s’accorde à identiier la modernité dements de la société libérale. À partir
avec la période historique qui s’ouvre de cette époque se mettent en place de
en Occident avec la Renaissance. nouvelles institutions d’encadrement
Cette ère nouvelle est marquée par des et de resocialisation de l’individu des-
transformations de grande ampleur qui tinées à « réinsérer l’individu dans un
ont afecté à la fois les structures so- nouvel ordre social ». L’école, l’asile,
ciales (urbanisation, naissance du capi- l’usine, la prison, la famille, l’État pro-
talisme), les modes de vie et les valeurs vidence, etc., autant d’institutions qui
(individualisme, avènement des libertés forment le tissu d’une seconde moder-
publiques, égalité des droits), les idées nité que P. Wagner nomme « moder-
(essor de la pensée rationnelle, des nité organisée ». Michel Foucault
sciences) et la politique (démocratisa- décrira ces institutions comme de
tion). La raison, l’individu, le progrès, nouveaux dispositifs d’enfermement.
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l’égalité, la liberté : tels seraient donc les Il y a donc eu, selon P. Wagner, une
mots clés de la modernité. ambivalence de la modernité où « li-
Pour les sociologues, la modernité berté et discipline » se conjuguent et
correspond à un basculement sociétal s’enchevêtrent.
majeur fondé sur l’opposition société Loin d’être un mouvement de libéra-
traditionnelle/société moderne. La so- tion uniforme, la modernité a donc
ciété occidentale s’afranchit du poids connu plusieurs étapes et phases d’orga-
des structures sociales anciennes (qua- nisation et de désorganisation sociales,
liiées de traditionnelles). Max Weber qu’une sociologie historique doit retra-
voit dans la rationalisation des activités cer dans le détail pour comprendre les
humaines le trait dominant de la mo- mouvements contradictoires des liber-
dernité. Tous les domaines de l’activité tés. À cette seconde modernité, certains
sociale (l’économie, le droit, la science, sociologues font succéder une nouvelle
les arts) se dégagent de l’emprise de phase historique : la « modernité tar-
la tradition pour suivre leur propre dive » qui, depuis les années 1960,
logique. est marquée par la libéralisation des
mœurs et un nouvel individualisme.
Les trois phases de la modernité
La modernité a souvent été vue comme de la modernité à la postmodernité
un mouvement uniforme et continu Pour les théoriciens de la postmo-
de dissolution des structures tradition- dernité (notamment Jean-François
nelles, aboutissant à l’essor de l’indivi- Lyotard), les sociétés occidentales
dualisme, de la liberté, de l’égalité. sont entrées dans une nouvelle phase
Le sociologue Peter Wagner a cepen- historique à partir des années 1980.
dant proposé de distinguer, en matière Le « grand récit » de la marche impla-
de libertés, deux grandes périodes de la cable du progrès s’épuise. L’idée que
modernité (Liberté et discipline, les deux le développement est identiié au pro-
crises de la modernité, 1996). grès perd de sa consistance. On ne
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croit plus que la raison, la science et la balization en anglais) s’est imposé jus-
technique mettront in aux croyances, tement au seuil des années 1990 pour
aux superstitions, à la religion. Les désigner trois phénomènes majeurs :
grandes idéologies libératrices (utopie – L’interdépendance économique liée
politique, idéologie du progrès, éman- à l’essor de irmes multinationales
cipation du sujet, etc.) s’efacent. La (comme Nike, Coca Cola, Nissan
« condition postmoderne » marquerait ou Apple), des productions transna-
une rupture historique par rapport à la tionales comme les produits textiles,
« modernité ». l’électronique ou certaines denrée ali-
mentaires qui traversent les océans via
des gigantesques containers (P. Rivoli,
MondiaLisation Les Aventures d’un tee shirt dans l’écono-
mie mondialisée, 2007 ou M. Levinson,
En 2008, le symbole de la mondialisa- he Box, Comment le conteneur a changé
tion triomphante fut peut-être l’orga- le monde, 2011), des accords commer-
nisation des Jeux olympiques de Pékin. ciaux internationaux développés dans
Non seulement toutes les nations le cadre du Gatt puis de l’OMC.
étaient réunies autour de mêmes com- – La globalisation inancière qui relie
pétitions sportives, mais les téléspecta- toutes les places inancières du monde
teurs ont pu voir alors des images de par la mise en place progressive aux
Pékin, ville moderne, avec des maga- cours des années 1980, d’un marché
sins et galeries marchandes semblables mondial des capitaux (D. Pilhon, Les
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à celles que l’on trouve dans les grandes Banques, acteurs de la Globalisation
capitales occidentales, et des passants inancière, 2006).
portant le même type de vêtements et – La création du réseau Internet, qu’on
arborant les mêmes téléphones por- appelait encore, au seuil des années
tables que partout ailleurs. Quelques 1990, les « autoroutes de l’informa-
jours seulement après la clôture des tion » (la première page « Web » voit le
Jeux, un autre événement de portée jour en 1990 justement).
mondiale allait secouer la planète. En L’efondrement de l’URSS à la in des
septembre 2008, la crise inancière années 1989 était un autre symbole de
qui avait débuté l’année précédente cette mondialisation en marche. C’est
sur le marché immobilier américain, la in de la guerre froide, mais aussi
allait se propager sur toutes les places l’ouverture du marché à la Russie et
inancières du monde : à la vitesse des au pays de l’Est. Dans les années 1990
réseaux électroniques qui relient toutes et 2000 le mouvement de mondialisa-
ces places de la planète… tion s’est accentué avec l’essor du com-
merce mondial, l’ouverture de la Chine
La mondialisation, qu’est ce que et la forte intégration d’autres pays
c’est ? émergents (Inde, Brésil, Afrique du
Dans un premier temps, la mondiali- sud, Russie) dans l’économie mondiale.
sation peut se déinir par l’uniication La mise en place d’un début de gouver-
partielle de la planète par l’économie, nance économique mondiale (instaura-
(des productions, du commerce, de la tion du G7 et G8, puis G20) partici-
inance) par les moyens de transport pant aussi du mouvement général.
et de communication dont le Web est
le symbole. L’idée de mondialisation Brève histoire de la mondialisation
suggère que nous vivons tous dans un Comment en est-on arrivé là ?
même monde uniié. Ou presque… Les historiens ont commencé à recons-
Le terme de « mondialisation » (ou glo- truire l’histoire de ce mouvement
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M
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Notions et concepts
232
M
Monnaie moyen d’échange commode qui per-
met de convertir n’importe quelle mar-
La monnaie, tout le monde croit savoir chandise en une autre. Elle est ensuite
ce que sait : le dollar, l’euro ou le yen. une réserve de valeur : elle permet de
Mais la monnaie, c’est aussi un lingot stockage des richesses (épargne).
d’or ou simple transfert électronique
d’un compte à un autre. Il ne faut pas héories économiques de la monnaie
confondre argent et monnaie. L’argent, Un grand débat a leu lieux parmi les
au sens courant, ce sont les billets et économistes au xxe siècle pour savoir si
pièces que l’on emploie pour les dé- la monnaie était « neutre » – un simple
penses courantes. Mais un chèque ou un outil utile à la régulation des échanges
paiement avec une carte de crédit repré- – ou au contraire un instrument d’ac-
sente aussi de la monnaie. Plus générale- tion, qui par le biais de la politique
ment, lorsqu’on fait un emprunt à une monétaire (la création d’argent) permet
banque pour payer un gros achat (une de dynamiser l’économie.
voiture), celle-ci crée de la monnaie. Pour le keynésianisme, la création
La monnaie, c’est donc l’ensemble monétaire par la banque centrale a une
des moyens de paiement. Au cours de grande vertu : elle permet de favoriser
l’histoire récente, la monnaie s’est donc le crédit et est donc un stimulant de
dématérialisée : passant de la monnaie l’économie.
métallique, à la monnaie scripturaire La théorie monétariste dont l’écono-
(chèque) et la monnaie électronique. miste Milton Friedman est le représen-
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Notions et concepts
direct sur les prix ; trop de monnaie bien en soi n’existe pas : il réduit donc
conduit à l’inlation. En conséquence, le bien à l’utile et le mal au nuisible,
pour lutter contre l’inlation, l’État doit et indique au lecteur une voie pour se
veiller à ce que la masse monétaire ne libérer de tout ce qui diminue sa puis-
dépasse pas l’évolution du volume de la sance d’agir et pour atteindre la sagesse.
production. Paul Ricœur, dans Soi-même comme un
autre (1990), formalise cette distinction
entre éthique et morale, qui a le mérite
MoraLe de poser clairement certains problèmes.
Il fait donc relever l’éthique de la téléo-
Le français possède deux termes pour logie, de la visée de la vie bonne pour
désigner sensiblement la même chose : un sujet. La morale renverrait pour sa
l’« éthique » (du grec ethos : habi- part à une dimension déontologique,
tude) et la « morale » (du latin mores : c’est-à-dire à un devoir universel.
mœurs). Tous deux en efet renvoient
à l’ensemble des jugements relatifs au responsabilité/conviction
bien et au mal, pour diriger la conduite Si la morale et l’éthique posent la
des hommes. Pourtant, même si elle question des principes qui vont nor-
n’est pas perceptible dans le langage mer la conduite humaine, elles ne
courant, on peut faire une distinction peuvent faire l’économie d’une inter-
entre morale et éthique. rogation sur les conséquences des ac-
tions qui en résultent. Peut-on appli-
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M
quée ». Cette expression recouvre prin- au Japon, de 3,5 pour 1 000 en France,
cipalement trois champs : la bioéthique, mais encore supérieur à 150 pour 1 000
l’éthique professionnelle et l’éthique dans certains pays d’Afrique.
environnementale. L’éthique appliquée
consiste dans l’analyse de situations
précises et concrètes. La rélexion bioé- MoUVeMent sociaL
thique provient des grandes avancées
de la biologie et de la médecine : pro- De la lointaine révolte de Spartacus aux
création artiicielle, génie génétique, révolutions arabes, en passant par les
clonage. Face à ces progrès techniques, sociétés secrètes chinoises et jacqueries
les sociétés humaines sont confrontées paysannes en Europe, les mouvements
à des situations inédites. Les comités sociaux semble jalonner toute l’histoire
de bioéthique constituent un espace où des peuples.
réléchissent ensemble diverses com- Pourtant, pour l’historien Charles Tilly
munautés de pensée et de conviction. (1929-2008), l’un des auteurs majeurs
L’éthique environnementale a, elle, du domaine, les mouvements sociaux
pour objet les répercussions des déve- à proprement parler ne s’identiient
loppements techniques et scientiiques pas à toute révolte ou mouvement de
sur l’environnement. L’écologie occupe foule. Pour qu’un mouvement social
de ce fait une place centrale. Enin, existe en tant que tel, il lui faut un lieu
l’éthique professionnelle tente de déi- et un cadre d’action : le cadre, ce sont
nir ce que doivent être les pratiques les villes où se concentre une popula-
dans les diférentes sphères du travail : tion urbaine, et un certain degré d’ins-
les responsabilités, les droits, la déon- titutionnalisation : des clubs, lieux de
tologie professionnelle… Tous ces sec- réunions, modes d’organisation assez
teurs de l’éthique professionnelle, s’ils stable qui permettent de donner corps
posent des problèmes généraux, néces- aux mouvements collectifs. Alors les
sitent souvent une connaissance tech- mouvements sociaux peuvent se dé-
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Notions et concepts
s’accordent pas forcément sur ces déi- Les théories des mouvements sociaux
nitions limitatives et considèrent les se sont enrichies de nombreuses
mouvements sociaux dans le cadre plus approches portant sur les valeurs et
large de l’action collective : qui peut identités des groupes, les carrières mili-
aller de la simple mobilisation contre la tantes, le rôle des émotions et des « ré-
fermeture d’une classe à la lutte contre voltes morales », l’analyse des réseaux,
l’avortement. les cycles de mobilisation, les efets
L’étude des mouvements sociaux s’est générationnels, le rôle des leaders, et
constituée un champ de recherche à bien d’autres thèmes encore.
part dans le monde des sciences so- Bien qu’elle possède une autonomie
ciales, au conluent de la sociologie, de relative comme champ disciplinaire,
la science politique et de l’histoire. l’étude des mouvements sociaux est à la
Elle possède ses théories de référence et charnière d’autres domaines d’études :
ses notions clés, ses domaines d’étude, les processus révolutionnaires, les
ses revues et manuels. Elle s’enrichit conlits sociaux (syndicalisme), ce-
en permanence d’études consacrées lui des partis politiques et groupes
à l’émergence de « nouveaux mouve- d’intérêts.
ments sociaux » : l’altermondialisme,
les mouvements de sans-papiers, les › Action collective
mobilisations de minorités sexuelles,
le mouvement des indignés, les révolu-
tions arabes, le mouvement des femen, MULticULtUraLisMe
etc.
Les sociétés contemporaines sont com-
Pourquoi on se mobilise ? posées de groupes culturels distincts et
Tout une palette de théorie tente bien peu d’États sont désormais homo-
d’expliquer les raisons des mobilisa- gènes culturellement. Les diférences
tions collectives. Selon la théorie de portent d’abord sur l’ethnicité, mais
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M
aussi de plus en plus sur le sexe et la re- celui du ghetto culturel, d’une accen-
ligion, et s’étendent même à tout mode tuation des rivalités interethniques,
de vie particulier. Dans les démocraties d’une institutionnalisation et d’une
pluralistes, on assiste à une poussée assignation des diférences. L’individu
des revendications identitaires parti- existe alors surtout par rapport au
culières. Les sociétés pluriculturelles groupe donné, qu’il ne s’est d’ailleurs
doivent donc trouver les moyens de pas choisi. La société devient le terrain
faire coexister en leur sein ces groupes de confrontation d’intérêts particuliers.
distincts. Le multiculturalisme, c’est- Dans ce contexte, il est préférable d’être
à-dire le traitement politique de cette en position de victime que de ne pas
diversité culturelle, soulève des enjeux être remarqué. Le libéralisme écono-
importants, notamment en ce qui mique aussi bien que le multicultura-
concerne la citoyenneté : Comment lisme ne reconnaissent la liberté de tous
être citoyen à part entière sans nier sa les partenaires en présence que dans
spéciicité ? la mesure où chacun a les moyens de
s’airmer.
discrimination et défense des Des théoriciens estiment néanmoins
minorités que les droits minoritaires peuvent,
Pour la doctrine multiculturaliste, les pour les membres de ces groupes, pro-
cultures minoritaires sont discriminées mouvoir les conditions culturelles de la
et doivent accéder à la reconnaissance liberté individuelle ou de la socialisa-
publique. Pour ce faire, les spéciicités tion. Pour Michael Walzer (Pluralisme
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Notions et concepts
L’histoire de Sisyphe nous est connue sée rationnelle. Les mythes viseraient à
par le récit qu’en it Homère à partir de expliquer le monde à une époque où
légendes anciennes. Albert Camus en l’on n’a pas encore accédé au stade du
it un symbole d’une destinée humaine savoir scientiique. Ils sont le produit
condamnée à l’absurdité (Le Mythe de d’un imaginaire, proche du rêve, de la
Sisyphe, 1942). folie, de la pensée enfantine.
À partir des années 1920, le regard des
Qu’est-ce qu’un mythe ? anthropologues va changer. Pour les
Chaque grande civilisation possède fonctionnalistes comme Bronislaw K.
sa mythologie qui porte sur l’origine Malinowski ou Albert R. Radclife-
et la fondation du monde. En Inde, Brown, le mythe n’est pas le simple
les grands mythes fondateurs sont produit d’une pensée archaïque encore
rassemblés dans le Mahàbhàrata ; en incapable de penser le monde de façon
Mésopotamie, le mythe de Gilgamesh rationnelle. Sa raison d’être est ailleurs.
raconte la fondation de la première cité Associés aux rites, les mythes assurent
et de son roi. La Grèce et Rome pos- dans les sociétés primitives une fonc-
sédaient leur panthéon peuplé d’une tion sociale. En tant que grands récits
multitude de divinités et leurs légendes de fondation, ils légitiment l’ordre so-
associées. Il n’est pas de société primi- cial, soudent le groupe et modèlent les
tive qui n’ait construit un mythe des conduites. À travers eux, on peut dévoi-
origines. ler l’organisation d’une société. Les di-
vinités animales sont souvent associées
À quoi servent les mythes ? à des clans totémiques ; les récits sur les
L’étude des mythes et des légendes des origines des plantes, des animaux et des
sociétés anciennes va passionner les humains formulent des règles d’organi-
savants à partir du xixe siècle. Une my- sation du mariage, des rites de passage,
thologie comparée naît sous l’impulsion des interdits alimentaires ; les héros
de linguistes, d’anthropologues, d’histo- sont des modèles de conduite pour les
238
M
individus. Loin d’être un stade dépassé universelles. La fonction des mythes est
de la pensée humaine, les mythes sont de donner sens à l’existence humaine
la mise en forme détournée des lois et d’expliquer le monde. Ainsi, pour
d’organisation de la société. M. Eliade, le mythe de « l’éternel
Pour la psychanalyse aussi, derrière son retour », que l’on retrouve dans de
apparente irrationalité, une logique nombreuses sociétés, se rapporte à la
cachée se révèle. Ce n’est pas celle de fois au cycle de la nature et à la destinée
la société, mais des pulsions profondes humaine qui ne prend sens que dans
de l’individu. Sigmund Freud avait vu le cycle des naissances et des morts.
dans l’histoire d’Œdipe la matrice d’un Ce cycle traduit un ordre immanent
complexe originel : le désir du garçon qu’il faut respecter sans quoi la société
d’épouser sa mère et de tuer son père. sombrerait dans le chaos. Le répertoire
Plus tard, Carl G. Jung analysera cer- des mythes est limité parce qu’il tourne
tains thèmes mythiques, comme la autour de quelques thèmes fondamen-
igure du dragon, sous la forme d’un taux relatifs à la vie humaine : la vie,
archétype universel de l’inconscient la mort, l’amour, la santé, les interdits
collectif. sociaux.
De son côté, Roger Caillois propose G. Dumézil avait cru établir, dès la in
une sorte de synthèse entre les ap- des années 1930, une parenté entre les
proches anthropologique et jungienne mythes d’Inde et ceux des diférentes
du mythe. Dans Le Mythe et l’Homme régions d’Europe. Le panthéon des
(1938), il présente la mythologie divinités en Inde, en Grèce, à Rome
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Notions et concepts
gement le cercle des spécialistes. Pour empruntant toujours les mêmes thèmes.
G. Durand – dans la iliation de Gaston Tour à tour, les francs-maçons, les Juifs
Bachelard et C.G. Jung –, les mythes (Europe début xxe siècle), les commu-
reposent sur quelques thèmes invariants nistes (Amérique d’après-guerre), les
– la lumière et l’obscurité, le haut et le trotskystes (Russie stalinienne) furent
bas – qui relèvent des structures fonda- accusés d’ourdir un complot contre la
mentales du psychisme humain. société. À chaque fois, la même constel-
Si, comme le pensait M. Eliade, les lation d’images, la même architecture
mythes n’appartiennent pas au passé mentale, était associée. Les comploteurs
mais sont constitutifs de l’esprit hu- forment une organisation occulte qui
main, alors ils doivent être présents agit en secret pour saper l’ordre en place
dans le monde contemporain, et pas et s’assurer la domination du monde. Ils
seulement sous forme de survivance. agissent dans l’ombre, avancent mas-
De fait, R. Barthes (Mythologies, 1957) qués. Incarnant le mal absolu, l’avancée
et Edgar Morin (L’Esprit du temps, 2 de cet ennemi intérieur sera souvent
tomes, 1962 et 1976 ; Les Stars, 1957) assimilée à celle d’une maladie conta-
vont montrer que la société moderne gieuse – gangrène, peste ou choléra.
regorge de thèmes mythologiques que Comme le Satan de la Bible, qui prend
l’on retrouve dans le cinéma, la science- la igure du serpent, le « processus
iction, la publicité ou encore la bande de démonisation » tend à incarner ce
dessinée. mal absolu sous forme d’une « bête
immonde ». « Immuable, permanent
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sacré, a été séparé artiiciellement par occidentales. À partir des années 1990,
les mythologues d’autres formes de ré- la critique se radicalise. Et si les grands
cit : légendes, contes, récits historiques, mythes que l’on attribue aux primitifs
croyances religieuses. Dans la Grèce n’étaient pas qu’une pure invention
antique, le mythe d’Œdipe ou les aven- d’anthropologues ?
tures d’Hercule et de Zeus peuvent être On commence à suspecter par exemple
lus comme des scénarios de divertisse- Marcel Griaule d’avoir créé de toutes
ment, objets de multiples reformula- pièces le grand récit mythologique
tions, comme le sont la légende du roi des Dogons qu’il rapporte dans Dieu
Arthur ou La Belle au bois dormant. d’eau (1948) et Le Renard pâle (1965).
« Poisson soluble dans les eaux de la L’anthropologue aurait en fait assemblé
mythologie, le mythe est une forme auprès de divers informateurs des bribes
introuvable. » de récits, puis les aurait tissés ensemble
Paul Veyne prend le relais deux ans en un grand récit de fondation, censé
plus tard avec Les Grecs ont-ils cru à représenter la mythologie dogon. Mais,
leurs mythes ? (1983). L’historien y sou- en aucun cas, les Dogons n’auraient
tient que les Grecs n’étaient pas aussi entendu parler de ces mythes avant que
crédules qu’on le croit à l’égard de leurs M. Griaule ne les reconstitue.
propres mythes. Cicéron croit peut-être Cette prise de distance avec les anthro-
que hésée a réellement existé, mais il pologues de la génération précédente
tient sa descente aux Enfers pour une s’accompagne d’une relecture critique
pure iction. Platon sait qu’ils ont une de l’œuvre des grands de la mythologie.
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comportements seraient régis par des ments animaux ne sont pas aussi igés
instincts, igés. Une série de décou- par l’instinct que ne supposait l’étholo-
vertes récentes remettent en cause ce gie à l’époque de Konrad Lorenz.
partage. On admet aujourd’hui que
les animaux possèdent des cultures, les Perfectionnement. Quand
humains des compétences innées mais l’apprentissage prolonge l’instinct
surtout : les liens entre inné et acquis Dans certains cas, l’apprentissage ne se
peuvent prendre plusieurs modalités. substitue pas à l’absence de l’instinct,
mais le prolonge. Le cas des pinsons
inachèvement. Quand la culture fournit un bon exemple : à la difé-
remplace la nature rence du pigeon (au chant inné) et
L’existence de cultures (ou protocul- du canari (dont le chant est appris) :
tures) animales a été mise au jour les pinsons disposent au départ d’un
par les primatologues japonais dès les embryon de chant inné qui se régule
années 1950. Sous les yeux des observa- au il du temps. Il faut à peu près dix
teurs, une femelle macaque s’était mise mois au petit pigeon pour acquérir les
à laver ses patates douces dans l’eau de six thèmes diférents de son chant. Et
mer avant de les manger. L’innovation cette acquisition progressive, passe par
avait été rapidement adoptée par des premiers gazouillis de sollicitation
quelques individus, puis transmise à (chirp) puis un pré-chant (subsong)
tout le groupe : cette recette de cuisine désordonné, qui va devenir progressi-
élémentaire relevait donc à la fois de vement et au contact d’un modèle, un
l’innovation et de la transmission, ce chant structuré avec des notes, varia-
que l’on pouvait considérer comme tion et séquences.
une forme élémentaire de culture L’acquisition du chant chez les pinsons
acquise. Auparavant, les chercheurs ne correspond pas à une grefe sur un
britanniques avaient repéré aussi une cerveau où tout serait possible. Il doit
forme d’innovation culturelle chez plutôt être conçu comme un « perfec-
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Notions et concepts
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Notions et concepts
les barres de métal qui actionnaient familles de pensée et pratiques ont été
les lettres ne se coincent entre elles. qualiiées de néolibérales depuis les
Voilà pourquoi la irme Remington années 1970.
décida de commercialiser le modèle de
C.L. Sholes. Il se trouve que la pre- Les courants de pensée « néolibéraux »
mière école de dactylographie, créée en Ils forment une galaxie hétéroclite plu-
1880, avait acheté des Remington pour tôt qu’une école de pensée unique. Ils
ses élèves. Le modèle devint donc une sont représentés notamment par :
référence pour les dactylographes et se – Les promoteurs de l’économie de
répandit rapidement. marché et critiques de l’intervention-
Quelques années plus tard, les pre- nisme étatique, tel Friedrich Hayek
mières machines à écrire électriques qui a eu une inluence grandissante
avaient résolu le problème technique sur nombre d’économistes à partir des
initial et des claviers beaucoup plus années 1970.
adaptés ont été inventés : des positions – Le monétarisme promu par Milton
de lettres beaucoup plus commodes Friedman et l’école économique de
pour la frappe ont été expérimentées. Chicago (action sur les taux d’intérêt
Mais il était déjà trop tard, les concur- ain de lutter contre l’inlation).
rents avaient perdu la bataille de la for- – L’« économie de l’ofre » (dont Arthur
mation des dactylos. Le clavier qwerty Lafer a résumé l’esprit avec sa formule
et la norme Remington s’étaient déjà « trop d’impôt tue l’impôt ») promeut
répandus dans le monde entier. la baisse des impôts, la réduction des
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Notions et concepts
milieu. Dans un article devenu clas- nies, les relations qui se nouent entre
sique « he Agricultural Revolution », idées et contraintes du milieu restent
(Scientiic American, septembre 1960), diiciles à démontrer.
il invoque une innovation culturelle
dans de petites communautés isolées, Les nouveaux néolithiques
puis une difusion de ces innova- Depuis les années 1990, une nou-
tions. « C’est en termes de cultures velle phase de recherches part dans de
que l’origine de l’agriculture doit être nombreuses directions, complexiie
envisagée. (…) À mon avis, il n’y a pas les schémas de développement et rend
besoin de compliquer les choses avec plus diicile la production d’un modèle
des “causes” externes. (…) Vers 8 000 unique de néolithisation :
av. J.-C., les habitants des collines Longtemps associée à l’invention de
dominant le Croissant fertile étaient l’agriculture, l’approche de la néolithi-
parvenus à une si bonne connaissance sation est enrichie par l’étude de l’éle-
de leur habitat qu’ils commencèrent à vage qui avait été un peu vite assimilé
domestiquer les plantes et les animaux à une processus commun à domesti-
qu’ils avaient jusque-là cueillies et cation des plantes (J.-D. Vigne, Les
chassés. » Débuts de l’élevage, 2012).
Alors que la sédentarisation était consi-
du nouveau sur le néolithique dérée comme le stade premier de la
Depuis quelques années, la vision du néolithisation, la découverte d’un sanc-
néolithique a subi de profonds rema- tuaire religieux fait de grandes pierres
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niements dus aux découvertes archéo- sculptée à Göbekli Tepe, (en Turquie)
logiques et aux comparaisons entre et qui précède la sédentarisation ren-
diférents foyers de néolithisation force l’idée que certaines transforma-
(en Chine, Afrique, Amérique latine, tions politiques et sociales ne sont pas
Proche-Orient). reliées directement à l’invention de
On sait aujourd’hui qu’au Moyen- l’agriculture.
Orient la sédentarisation a précédé Dans certaines régions du Moyen-
l’agriculture (de deux mille ans envi- Orient, on a assisté à des processus d’in-
ron). La formation de centres de pou- volution (la régression au viie millénaire
voir et d’une hiérarchie sociale s’est de Cités vers des villages plus restreints).
déroulée très rapidement dans certains Au Japon, l’invention de la céramique
lieux, et non au terme d’un processus et la sédentarisation date de -10 000 ans
lent et continu. Donc, une révolution (période jomon) en absence d’agricul-
politique a pu précéder ou accom- ture et d’élevage : ce qui brise la relation
pagner une révolution villageoise et établie entre agriculture-élevage, séden-
urbaine. Des transformations cultu- tarisation et poterie.
relles, comme l’apparition de nouvelles Enin les sociétés horticoles (notam-
divinités féminines, ont accompagné ment en Nouvelle-Guinée ou en
très tôt les transformations écono- Amérique) décrivent un stade de déve-
miques et sociales. Ce qui fait dire à loppement intermédiaire entre les chas-
Jacques Cauvin (Naissance des divinités. seurs-cueilleurs et les agriculteurs.
Naissance de l’agriculture. La révolution
des symboles au néolithique, 1997) que
la révolution culturelle aurait précédé norMe
les transformations économiques.
Si le poids de l’idéologie comme Jusque dans les années 1980, en
moteur de la néolithisation n’a cessé de France, il était courant, mais socia-
se renfoncer ces deux dernières décen- lement admis, de rouler au-delà de la
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intrusif, de se faire accepter, voire de alors sur le terrain, comme Franz Boas,
se faire oublier. Ainsi on lui livrera recueillent généralement, sous la dictée
plus facilement les informations qu’il d’érudits autochtones, des textes codi-
recherche et il sera à même d’expéri- iés ; on parle alors d’« armchair anthro-
menter physiquement un autre rapport pologists », d’anthropologues en fauteuil
au monde. Car il s’agit de pénétrer de ou en chaise longue…
l’intérieur une culture non seulement Bronislaw K. Malinowski a donné
grâce à l’observation visuelle directe, le premier une place prépondérante
à l’écoute et l’échange verbal (hôtes, à l’enquête directe in situ, sans inter-
amis, informateurs, etc.), mais aussi médiaire : il recueille lui-même les
en expérimentant un autre rapport au données à analyser et partage la vie des
corps (gestes, empathie, interactions Trobriandais dont il étudie l’organisa-
sociales ines, etc.). L’observation parti- tion sociale. En ce sens, il est l’inven-
cipante relève plus de méthodes infor- teur de l’anthropologie de terrain et de
melles (entretiens ouverts, observation sa méthode, l’observation participante.
tous azimuts et participation aux activi- Les méthodes de terrain de Malinowski
tés) que de méthodes formelles (entre- vont devenir une sorte de modèle pres-
tiens structurés, protocoles d’analyse). crit, et l’observation participante un
C’est d’abord l’expérience directe qui préalable à toute enquête et rélexion
compte dans l’étude des individus et de anthropologiques. Au terme de ce
leur culture. Le terrain est à la fois le terrain prolongé et approfondi, l’eth-
lieu d’une expérience vécue et le lieu de nographe pourra produire un texte de
matérialisation d’un objet scientiique, genre monographique.
l’observation participante apparaissant S’il a existé une ethnologie sans terrain
alors comme une procédure d’objecti- (au sens expérimental), et donc sans
vation. Ainsi se révèle, très progressive- observation participante, un modèle
ment, la rationalité d’une réalité sociale ayant gardé une certaine pérennité
et culturelle diférente. (Claude Lévi-Strauss, dans une certaine
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Notions et concepts
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Notions et concepts
émancipées. Puis, au xixe siècle, avec la ne suisent pas à nier l’existence même
création de partis politiques, de syndi- d’une opinion. En somme, si le ther-
cats, la multiplication des journaux, la momètre est imparfait, cela ne signiie
possibilité de faire grève, de signer des pas que la température soit inexistante.
pétitions, de déiler dans les rues, l’opi-
nion publique devient aussi la manifes- Quelques théories explicatives
tation de l’expression populaire. L’opinion publique ne se réduit pas au
Mais c’est au xxe siècle, avec la nais- sondage. Tout d’abord, elle s’exprime
sance des sondages, que l’opinion par d’autres canaux : la presse et les mé-
publique va devenir à la fois un objet dias (courrier des lecteurs ou l’audimat,
d’études et d’inquiétude. Les premiers par exemple), les manifestations, les
sondages sont créés aux États-Unis pétitions et simplement par l’enthou-
dans les années 1930, par des psycho- siasme ou la grogne générale.
sociologues comme Gordon Gallup et Pour rendre compte de la formation
Paul F. Lazarsfeld. À partir de l’après- de l’opinion publique, plusieurs théo-
guerre, les instituts de sondages qui ries ont vu le jour. On a évoqué le
portent sur la politique, la consomma- poids des médias et de la propagande.
tion et les valeurs vont se développer. Il a été relativisé par les recherches de
P. Lazarsfeld, qui montre que le public
Critique des sondages n’est pas aussi perméable qu’on le croit
Le poids de l’opinion publique dans la aux médias. Les gens ne changent pas
vie politique a été souligné comme un d’opinion au gré des discours publics,
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est une répartition des ressources dispo- Trois auteurs ont jeté les fondements
nibles entre les membres de la société, de la science des organisations. Le plus
telle qu’il n’est pas possible de modi- connu est Frederick W. Taylor (1856-
ier cette répartition pour améliorer le 1915), fondateur de l’organisation
bien-être d’un individu sans détériorer scientiique du travail (OST). Dans
celui d’au moins un autre. En d’autres La Direction scientiique des entreprises,
termes, changer de répartition revient à publié en 1911, il prône l’organisation
déshabiller Paul pour habiller Jean. scientiique des tâches, fondée sur une
stricte division du travail : division ho-
rizontale (chacun est afecté à une tâche
ORGANISATION précise et unique) et verticale (la direc-
tion planiie les activités de chacun,
Un hôpital, un parti politique, une les ouvriers se contentent d’exécuter).
école, un corps d’armée, un syndicat, Dans une volonté similaire de ratio-
une banque, un ministère, une entre- nalité du travail, l’ingénieur français
prise, etc., quels sont les caractères Henri Fayol (1841-1925) conçoit la
communs de ces groupes humains « fonction administration » des entre-
qu’on appelle « organisation » ? prises autour des tâches de planiica-
Le premier trait de l’organisation est tion, d’organisation, de commande-
l’existence d’une mission explicite à ment, de coordination et de contrôle
accomplir : soigner, éduquer, produire, de l’activité. Le troisième « père fonda-
défendre un idéal, etc. ; le second trait teur » de la sociologie des organisations
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est la division des tâches en fonctions est le sociologue Max Weber, avec sa
spécialisées ; le troisième est la présence théorie de la bureaucratie.
d’une hiérarchie et de règles formelles de Cette première phase de rélexion sur
fonctionnement. De cette ossature com- l’organisation est donc dominée par
mune découlent des logiques de fonc- une vision de l’organisation comme
tionnement, des schémas de compor- une machine bien huilée et régie par
tement, des mécanismes généraux assez des règles d’organisation rationnelles.
communs. Voilà pourquoi les organisa-
tions se ressemblent toutes un peu. Du L’organisation comme être vivant
collège à l’entreprise, du club sportif À partir des années 1930, la vision
à l’ONG, on y trouve des dirigeants de l’organisation change de perspec-
craints et/ou respectés, des subordonnés tive. Le courant dit des « relations
qui ont souvent le sentiment de ne pas humaines » (dont Elton Mayo fut l’un
être compris ou reconnus, des inégali- des fondateurs) se préoccupe, comme
tés de statuts, des règlements formels et son nom l’indique, des dimensions
des petits arrangements invisibles, une humaines de l’organisation. De 1927
culture commune et des conlits person- à 1932, les expériences menées aux
nels, des problèmes de communication, usines de la Western Electric situées à
des désirs de changement et des forces Hawthorne tendent à montrer que la
d’inertie, des choix mûrement calculés productivité des salariés dépend plus
et des décisions à l’emporte-pièce, etc. des bonnes relations humaines dans
le travail (ambiance et motivation des
L’organisation comme machine salariés, coopération) que d’une organi-
Le besoin de comprendre et de mettre au sation rationnelle décidée uniquement
jour la logique des organisations s’est af- « en haut ».
irmé avec l’essor des grandes entreprises Le courant des relations humaines,
industrielles et des grandes administra- qui prend en compte les « besoins
tions au passage du xixe au xxe siècle. humains fondamentaux » que sont les
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O
travail obéissent à des codes de valeurs gies et les innovations sont faibles, elles
diférents en France, aux États-Unis et sont liées aux actions collectives. Il y a
en Hollande. La culture d’entreprise une forte autonomie dans l’exercice des
peut être vue aussi comme un ensemble tâches ;
de connaissances partagées, de savoirs – innovatrice. Typique des petites
et savoir-faire formalisés, ou encore structures créées autour d’un pro-
comme la cristallisation de règles et de jet, elle fonctionne sur le principe de
conventions, plus ou moins explicites. « l’adhocratie » (de ad hoc), c’est-à-dire
Au sein d’une grande organisation, un collectif de travail très soudé formé
chaque communauté de travail peut d’experts. La communication est très
développer aussi sa propre sous-culture. importante, la hiérarchie faible, l’esprit
de groupe très prégnant. L’organisation
Les sept modèles d’organisation est dynamique mais épuisante ;
(selon henry Mintzberg) – missionnaire. Elle est caractérisée par
Henry Mintzberg, grand spécialiste une idéologie forte. Le pouvoir est sou-
américain du management (voir Le vent charismatique et la participation
Management : voyage au centre des est fondée sur l’adhésion volontaire.
organisations), distingue plusieurs Les schismes, les ruptures et les clivages
types d’organisations ayant chacune un sont très fréquents. Elle n’a qu’une
type de pouvoir, un rapport à l’envi- faible capacité d’innovation ;
ronnement, un mécanisme de décision, – politique. Elle est marquée par les
une organisation du travail et des pro- conlits, les alliances et la concurrence
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fois par le père et la mère), bien que femmes ». Pour l’auteur des Structures
ces formules soient assez rares. Par élémentaires de la parenté, la structure
exemple, chez les Yakos du Nigeria, la plus élémentaire de la parenté est
l’héritage des terres et des maisons se celle dans laquelle la société est divisée
fait en lignée paternelle, alors que celui en deux clans A et B – comme dans
des biens mobiliers (le bétail, l’argent) certaines sociétés aborigènes d’Austra-
se fait par la mère. lie. Dans ce cas, les hommes du clan A
Enin, dans le mode de transmission doivent prendre épouse dans le clan B
indiférencié (dit aussi « cognatique »), et inversement. Épouser une personne
la descendance s’efectue indiférem- de son propre clan serait commettre un
ment selon l’un des deux parents. À inceste. La règle universelle de la pro-
partir des années 1950, la découverte hibition de l’inceste reviendrait en fait
en Océanie de systèmes cognatiques a à une obligation : celle d’échanger des
porté un coup à l’idée, jusque-là ad- femmes entre groupes. À partir de ce
mise par les ethnologues anglo-saxons système originel, qu’il considère comme
comme W.H. Rivers ou Alfred R. l’atome de la parenté, il va élargir l’ana-
Radclife-Brown (1881-1955), que les lyse à d’autres systèmes d’échange.
iliations étaient universellement uni- Dans l’échange généralisé, les hommes
linéaires (soit patrilinéaires, soit matri- de la section A prennent femme dans la
linéaires). Cette classiication, établie section B, ceux de la section B épousent
à partir du cas africain, a donc dû être dans la section C, qui épouse dans D,
abandonnée. Cette découverte a obligé et ainsi de suite… Celui qui est au bout
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Oscar Lewis. Dans l’ouvrage classique pauvreté et des problèmes sociaux dans
Les Enfants de Sanchez (1961), l’anthro- les ghettos noirs (transformation des
pologue décrit le mode de vie d’une fa- emplois qui a conduit les jeunes noirs
mille pauvre d’Indiens immigrés vivant à la drogue ; déclin du taux de mariage
à Mexico. Selon lui, la pauvreté produit des Noirs ; développement de l’air-
une « personnalité » particulière dont mative action, forme de discrimination
les traits principaux sont : le sentiment positive qui a poussé la classe moyenne
de dépendance et d’infériorité, le fata- des Noirs à s’installer dans les banlieues
lisme, le manque de contrôle de soi, la et a été responsable de la concentration
faible capacité à se projeter dans l’avenir de la pauvreté et d’autres problèmes
et une attitude tournée vers le présent. sociaux dans les ghettos ; les efets de
Au cours d’autres études menées à Porto voisinage).
Rico ou dans les taudis de New York, La notion de « culture de la pauvreté »
O. Lewis constate des « similarités a été utilisée par Richard Hoggart
remarquables » dans les structures fami- dans un tout autre sens (La Culture
liales, les comportements individuels du pauvre, 1957). Dans cette étude, le
et les valeurs des pauvres. Voilà ce qu’il sociologue anglais décrit les styles de
nomme la « culture de la pauvreté ». vie et les croyances associés aux classes
La thèse sur la culture de la pauvreté populaires en Angleterre. Il ne s’agit
fera l’objet d’un grand débat aux pas ici à proprement parler d’exclus
États-Unis dans les années 1960-1970 et de marginaux, mais des couches
(E.B. Leacock, he Culture of Poverty : les plus populaires de la société (dont
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sans retraite. On pense alors que la tion de pauvreté, jugée non pertinente
modernisation des structures sociales, scientiiquement.
la croissance du niveau de vie, les poli- L’évaluation de la pauvreté dépend
tiques sociales (instauration d’un mini- des outils utilisés. En Europe et en
mum vieillesse et du Smic, essor des France, le seuil de pauvreté monétaire
allocations familiales et de logement, est ixé à à 60 % du revenu médian
construction de logement sociaux) (revenu qui sépare la population en
vont peu à peu absorber les poches de deux parties égales, une moitié ayant
misère résiduelles. À partir des années des revenus supérieurs, l’autre moitié
1970, ces formes de pauvreté com- des revenus inférieurs). Le seuil est
mencent à se réduire nettement. ixé à 954 euros (pour les revenus de
Mais, à partir des années 1980, le pro- 2009) par mois pour une personne
blème de la pauvreté va resurgir sous seule. Jusqu’en 2008, avant l’harmo-
une forme nouvelle et inattendue, celle nisation européenne des instruments
des « nouveaux pauvres » : chômeurs de mesure, la France établissait le seuil
et personnes en in de droits, SDF de pauvreté, non à 60 % mais à 50 %
(sans domicile ixe), mères célibataires, du revenu médian. Une diférence de
jeunes sans emploi… La misère et l’ex- taille puisqu’elle fait passer (en 2012) le
clusion, que l’on croyait en voie d’éra- seuil de pauvreté de 820 (seuil à 50 %)
dication, refont donc leur apparition à 980 euros (seuil à 60 %) et le nombre
dans les sociétés modernes. En France, de pauvres de 4,4 millions à 8,2 mil-
l’instauration du RMI, du Samu social lions de Français. Louis Maurin, direc-
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élites, la déinition du peuple non pas La notion de PIB a fait l’objet de deux
seulement comme démos, mais aussi grands types de critique. L’une consi-
comme ethnos. » (P. Perrineau, Entre- dère d’abord que le PIB ne relète
tien in La Démocratie, Histoire, théories, qu’une partie de la production (l’éco-
pratiques, 2010). C’est ce phénomène nomie informelle du travail au noir, le
qu’étudie D. Reynié dans son ouvrage travail domestique, l’économie de la
Populisme, la pente fatale, 2012, où il drogue, etc.) échappe aux statistiques.
analyse la percée des partis populistes Mais plus fondamentalement, dans les
et xénophobes en Europe. années 1990, des chercheurs ont cher-
Le « populisme » a une connotation ché à mettre au point des indicateurs de
négative car il semble lié à des excès dan- développement qui ne se limitent pas à
gereux. Dans La Raison populiste (2008) la croissance économique.
Ernesto Laclau revisite le concept. Pour
lui, le rejet méprisant du populisme › Richesse
relève surtout « du rejet du politique
tout court ». Le peuple est bien une
catégorie politique à part entière et « le POLITIQUE PUBLIQUE
populisme est, tout simplement, une
manière de construire le politique ». Réformer l’école, la santé, la justice,
décider une politique du logement,
de lutte contre le tabagisme…, voilà
PIB/PNB autant de domaines qui concernent les
politiques publiques.
Indice de mesure de la production d’un En science politique, leur analyse vise
pays. Techniquement parlant, le PIB à comprendre les conditions dans les-
est la somme des valeurs ajoutées des quelles l’État agit. Elle veut déterminer
diférents secteurs économiques. Il est les acteurs et les conditions de l’action
formé du PIB marchand (qui corres- publique ainsi que ses efets : qui dé-
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Notions et concepts
raliste.
– De quoi ? Un autre domaine d’étude Dans la République, Platon présente le
des politiques publiques concerne la meilleur régime possible comme celui
« mise en agenda » d’un problème poli- de l’aristocratie : un petit groupe de
tique : pourquoi tel ou tel programme magistrats-philosophes doivent gou-
de réforme est-il mis à l’ordre du jour ? verner la Cité en fonction de ce qu’ils
Sous l’efet de contraintes extérieures, estiment être le Bien et le Vrai. Cette
de groupes de pression ? L’approche politique idéale a tout les contours d’un
cognitive des politiques publiques s’in- régime totalitaire. Les philosophes gou-
téresse, à partir des années 1990, aux vernent ; la classe des gardiens-guerriers
poids des idées et des représentations (la police et l’armée) fait respecter la
dans la détermination des priorités loi ; enin la classe des producteurs doit
(P. Hall, he Political Power of Economic travailler et obéir. Et tout sera pour le
Ideas, 1989). mieux.
– Dans quelles conditions ? L’État n’est Après Platon, bien d’autres philosophes
pas une machine bien huilée où les vont s’intéresser à la politique. Aristote,
décisions prises au sommet se réper- Bodin, Hobbes, Locke, Montesquieu,
cutent sans déformation vers la base. jusqu’aux contemporains Léo Strauss
L’administration est soumise à des ou Carl Schmidt, se sont donné pour
pesanteurs : statuts, routines, réglemen- but de comprendre la nature profonde
tation, résistance des personnels, de de la politique et d’analyser les types de
sorte que les changements importants régimes, pour déterminer in ine quel
ne surviennent que dans des situations serait le meilleur. Mais il faut attendre
exceptionnelles. De plus, une fois enga- le début du xxe siècle pour que naisse
gée dans une direction, l’organisation une science politique qui se démarque
ne peut évoluer que dans un « sentier de la philosophie. Son but : dissocier les
de dépendance » balisé. Ces logiques valeurs des faits. Il ne s’agit plus de dé-
institutionnelles ont été bien analysées inir le meilleur régime politique mais
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rents dans les universités françaises pelé aussi « behavioriste ») qui veut
depuis que la science politique y a été rompre avec les spéculations de la phi-
enseignée : dans les années 1970, une losophie politique. Sous l’impulsion de
partie des enseignants et chercheurs Charles Merriam et de ses étudiants,
souhaitant délimiter rigoureusement les sciences politiques se veulent une
son périmètre et ses méthodes. D’autres science, au sens fort du terme : fon-
au contraire, préfèrent donner à l’étude dée sur les faits empiriques, les statis-
du politique la plus grande ouverture tiques et la rigueur démonstrative. Il
possible, et utiliser l’ensemble des faut savoir qu’en 1920 l’« Association
sciences humaines. Dominique Reynié, américaine de science politique »
professeur à l’Institut d’études poli- comprend déjà 1 300 membres. Cette
tiques de Paris s’exprime ainsi, en 1996, puissante association va donner à la
sur l’avenir de la Science politique : discipline une grande homogénéité
« Son objet est clairement identiiable, dans la démarche. Le vote, les partis
mais elle n’en a pas le monopole. Sa politiques, les groupes de pression, les
méthode n’existe pas, en tant qu’elle mécanismes de décision, la propagande
serait capable d’une démarche originale et l’inluence deviennent des sujets
à l’intérieur des sciences sociales. D’un d’étude. Dans ce contexte, qui n’est
point de vue historique, les disciplines pas forcément favorable à l’originalité,
les plus proches de la science politique quelques œuvres vont se distinguer.
ont été successivement la philosophie, Dans les années 1930, les ouvrages
puis le droit et enin la sociologie. Mais du jeune prodige Harold D. Lasswell
il serait naïf et trop simple de confondre vont fortement marquer la discipline.
ce mouvement d’apparentements avec En 1927, à l’âge de 25 ans, il publie
une marche vers la meilleure alliance Propaganda Technique in the World War,
possible. La science politique ne fera ja- qui inaugure les recherches sur la pro-
mais de mariage heureux, parce qu’elle pagande et les mécanismes d’inluence.
est fondamentalement polygame. » Un autre de ses ouvrages, Politics : Who
269
Notions et concepts
Gets What, When, How (1936), se pré- à l’autre (monarchie, démocratie, auto-
occupe de la capacité des élites à mobi- ritarisme, etc.), ce sont les diférentes
liser l’opinion autour d’enjeux et de va- formes que prennent ces fonctions
leurs spéciiques. Dans cette optique se sociales. G.A. Almond s’est employé à
situent les travaux de Paul F. Lazarsfeld, faire une étude comparative des divers
Bernard R. Perelson, Angus Campbell régimes politiques, notamment ceux
ou encore Philip E. Converse. Après la du tiers-monde et ceux des pays indus-
Seconde Guerre mondiale, la théorie trialisés. (G.A. Almond et G.B. Powell,
politique va être marquée par les grands Comparative Politics, 1966).
paradigmes qui inluencent alors les Développementalisme. Une des ques-
sciences sociales : l’analyse systémique, tions longuement débattues à partir
le fonctionnalisme, le développementa- des années 1960, parmi les spécialistes
lisme, le rational choice, etc. de sciences politiques, est celle de sa-
L’analyse systémique. David Easton voir s’il existe des étapes universelles de
est le promoteur d’une approche qui développement de l’État, des sociétés
envisage la sphère politique comme un traditionnelles aux sociétés modernes.
système. Dans ses livres he Political Cette approche développementaliste,
System (1953), A Framework for Political d’abord abordée dans une perspective
Analysis (1965) et A Systems Analysis of progressiste, s’est orientée vers une
Political Life (1965), le monde politique approche complexe intégrant la diver-
fonctionne comme un « système » qui sité des dynamiques nationales (voir
reçoit des informations de l’extérieur notamment David Apter). Ce débat a
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publics. Par exemple, à la veille des libéral (R. Aron, G. Freund, René
élections, les hommes publics ont in- Rémond). À partir des années 1980,
térêt à distribuer des avantages à leurs les études se diversiient et deviennent
électeurs et à engendrer des travaux plus techniques : étude de sociologie
publics. Certains électeurs (dits « élec- électorale (P. Perrineau, N. Meyer),
teurs médians ») sont particulièrement études comparatives (B. Badie), théo-
choyés, car ils peuvent faire basculer rie politique (J. Baechler, P. Manent,
une majorité dans un sens ou un autre. C. Lefort, P. Rosanvallon), analyse des
politiques publiques (J.-C. hoenig,
Traditions nationales et P. Muller, B. Jobert…), l’analyse des
problématiques internationales relations internationales (P. Hassner).
Contrairement à certaines craintes, la Au total, les thèmes privilégiés des
science politique anglo-saxonne n’a sciences politiques sont multiples :
jamais été assez homogène pour impo- ils concernent l’étude des élites, des
ser des problématiques et des méthodes régimes politiques, de la nation et les
de recherche strandardisées, mais elle se nationalismes, les comportements élec-
situe au carrefour de la plupart des ten- toraux, les mobilisations collectives, les
dances actuelles de la recherche. politiques publiques et les idéologies
On pourrait diicilement en dire au- politiques.
tant de la France qui conserve en la ma- À partir des années 1990, de nouveaux
tière des traditions solidement ancrées. thèmes sont apparus, liés à l’évolution
En 1871, est créée l’École libre des sociétés : la construction euro-
des Sciences politiques, rue Saint- péenne, les conlits inter-ethniques, le
Guillaume, à Paris. Elle est l’ancêtre terrorisme, les politiques de santé, la
de « Sciences po ». Le géographe gouvernance mondiale, le rôle des mé-
André Siegfried y enseignera (à partir dias et d’Internet… D’autres perspec-
de 1911). Son Tableau politique de la tives se dessinent aujourd’hui à travers
France de l’Ouest (1913) donne nais- l’approche « pragmatique » des phé-
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lancé, vers 1980, par des universi- celles de la montée des revendications
taires issus de pays anciennement culturelles des minorités, notamment
colonisés enseignant dans divers pays des Noirs, qui ne réclament plus seule-
anglophones (États-Unis, Angleterre, ment l’égalité, mais une reconnaissance
Australie, Canada). Parmi eux, des de leur passé et de leur culture. En
littéraires, des philosophes et des his- Europe, les minorités sont bien sou-
toriens : la constellation aujourd’hui vent d’anciens « sujets des empires ».
abondante de leurs travaux est éclec- C’est aussi la décennie de naissance des
tique. Qu’y a-t-il de commun derrière gender studies portées par des militantes
ces formules ? féministes. Minorités locales ou étran-
Essentiellement trois soucis : celui gères, femmes, rebelles en demande
de contester l’hégémonie de la pen- de reconnaissances sont autant de
sée et des savoirs occidentaux (« pro- motifs, pour les universitaires qui s’y
vincialiser l’Europe », écrira Dipesh intéressent, d’élargir l’horizon du fait
Chakrabarty), celui de redonner une « postcolonial ». La notion qui s’im-
place propre à l’histoire et à la culture pose alors est celle d’identité, emprun-
des pays ex-colonisés, et de manière tée aux anthropologues.
générale de faire l’archéologie culturelle Troisième composante, enin, du pro-
du fait colonial. gramme postcolonial : la French theory
Première pierre posée à l’édiice post- (telle qu’on la nomme aujourd’hui)
colonial, Edward Saïd, professeur conquiert les départements de lettres
de littérature à Columbia, publie en et de philosophie américains. Au il
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1978 un livre très inluent, intitulé des années 1980, elle amène les outils
L’Orientalisme. Il y décrit la manière sophistiqués de la critique poststructu-
dont les savants et poètes occidentaux raliste (Jacques Lacan, Roland Barthes,
ont, depuis le xviiie siècle, construit M. Foucault, Pierre Bourdieu, Jean-
l’image d’un Orient mythique et François Lyotard, Gilles Deleuze,
obscur, une antithèse des Lumières, Jacques Derrida). Les théoriciens
propre à justiier sa colonisation. Pour les plus pointus, comme Gayatri C.
lui, loin d’être une science universelle, Spivak à Columbia ou Homi Bhabha
« l’orientalisme a plus de valeur en tant à Chicago, développent une critique en
que signe de la puissance européenne règle du culturalisme classique et des
et atlantique sur l’Orient qu’en tant identités conçues comme des essences.
que discours véridique sur celui-ci ». Toute production culturelle est un
Premier point, donc, E. Saïd lance texte à déconstruire, sa signiication ne
un pavé dans la mare des savoirs aca- peut être que contingente à la situation
démiques construits par l’Occident du sujet qui l’énonce. Les gros concepts
sur le reste du monde, et insiste sur la de la philosophie (progrès, moder-
persistance de ce regard idéologique. nité, démocratie, nation, voire lutte
Palestinien engagé, E. Saïd voit dans de classe) sont invalidés. Le sujet qui,
l’orientalisme la source des préjugés par excellence, incarne ce point de vue,
anti-arabes des Américains. Son ana- est celui des diasporas, des réfugiés, des
lyse, qui en appelle à Michel Foucault, migrants, des minorités, dont la culture
porte donc sur les représentations, les et l’identité sont « hybrides », et les tra-
« discours », plutôt que sur les condi- jectoires sinueuses. « Contingence »
tions objectives du fait colonial. Cette et « hybridité » deviendront des leit-
approche à la fois culturelle et engagée motive de l’écriture postcoloniale.
sera un élément essentiel des études Critique des savoirs occidentaux sur le
postcoloniales. monde, expression du point de vue du
Les années 1970 sont, aux États-Unis, dominé (à travers la littérature notam-
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ment appliqué par la France à ses colo- çais ». On peut, selon le cas, déplorer
nies n’a cessé de croître. ce manque d’audace, ou au contraire,
Toutefois, il est diicile de leur attri- se réjouir du caractère probablement
buer une orientation « postcoloniale ». moins éthéré des travaux qui, peut-
La plupart conservent une facture clas- être, feront s’épanouir le postcolonial
sique, et s’abstiennent d’extrapoler à la en France.
situation vécue aujourd’hui. Ni l’ana-
lyse textuelle, ni le point de vue des
colonisés, sinon à titre de témoignage, POSThUMAIN
ne sont placés au centre de l’analyse.
Le premier plaidoyer notoire en faveur L’homme est-il en train de prendre les
d’une approche ouvertement postco- commandes de sa propre évolution ?
loniale paraît en 2003. Dans un livre Nanotechnologies, génétique, théra-
remarqué, La République coloniale, pies géniques, prothèses cognitives,
Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et clonage, cellules souches, etc., les évo-
Françoise Vergès soulignent l’urgence lutions récentes des biotechnologies
de créer en France une « école de re- pourraient le laisser penser. Les études
cherche à l’image de ce qui s’est passé sur les mécanismes du vieillissement
aux États-Unis, en Asie, en Inde, en cellulaire (appelé « apoptose ») laissent
Afrique, en Angleterre autour des post- aujourd’hui entrevoir la possibilité –
colonial studies) ». Constatant l’écart peut-être pas si éloignée – de prolonger
entre le discours républicain et ses le temps de l’existence humaine. Et –
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L’État peut, en dernier ressort, enfer- nir leur puissance d’un objet magique
mer les récalcitrants et les hors-la-loi. – le kwaimatnié –, qui est censé avoir
Les parents peuvent au besoin dominer été donné par le soleil et la lune aux
leur enfant par la contrainte physique. ancêtres, et qu’ils se transmettent de
La force et la menace sont un des piliers génération en génération. Cet objet
du pouvoir. magique comporte une partie des pou-
Mais la force ne saurait suire. Les voirs que le soleil et la lune délèguent
principales sources de la puissance pro- à ceux qui le possèdent. Les pharaons
viennent d’ailleurs : de la maîtrise des d’Égypte, les empereurs de Chine et
ressources stratégiques, l’argent, l’infor- du Japon ainsi que les royautés sacrées
mation ou encore les biens matériels. d’Afrique se sont proclamés d’essence
Si le chef d’entreprise détient un grand divine, tout comme les rois d’Europe
pouvoir vis-à-vis de ses salariés, c’est qui ont toujours recherché l’onction
qu’il a les moyens d’embaucher et de de Dieu.
débaucher. Le professeur, lui, distribue Des rituels
des notes qui vont déterminer l’avenir L’imaginaire du pouvoir s’accompagne
de l’enfant. C’est un instrument très aussi de tout un arsenal de « pratiques
puissant pour imposer sa loi. La maî- symboliques », c’est-à-dire de rituels ou
trise des ressources, voilà qui suit à de mises en scène. Couronne, trône,
mettre les personnes en situation de uniforme, tribune oicielle, tapis
dépendance et de subordination. rouge, palais et eigies, etc., cette pano-
L’imaginaire plie d’objets est là pour rappeler, mon-
L’imaginaire vient se surajouter à la trer et marquer dans les esprits la puis-
force brute et à la maîtrise des ressources sance du chef. Au décorum s’ajoutent
pour asseoir le pouvoir. Alors que la des pratiques rituelles typiques qui
force s’impose au corps, l’imaginaire démontrent la force magique du souve-
vise à embrigader les esprits. La police rain. Autrefois, on pratiquait l’adoube-
de la pensée s’appuie sur l’idéologie, la ment et la bénédiction. Aujourd’hui,
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on distribue des médailles, on pose les En somme, pour asseoir un État il faut
premières pierres, on coupe les rubans des instruments de coercition accom-
ou encore on pratique la grâce présiden- pagnés d’une sorte de puissance sacrée
tielle. Derrière son apparente diversité, qui donne au pouvoir une assise idéo-
le pouvoir imaginaire et symbolique est logique.
assez universel dans ses manifestations Du pouvoir d’État, passons aux échelons
et constant à travers les époques. inférieurs.
Michel Foucault a porté un nouveau
de l’état aux organisations regard sur le pouvoir, qui ne prend
Longtemps l’étude du pouvoir a été as- alors plus seulement le visage de l’État.
similée au domaine politique et à l’ana- Pour lui, la modernité occidentale s’est
lyse du pouvoir d’État. Ce fut un des construite par la mise en place de dis-
grands domaines de rélexion de la phi- positifs de domination qui traversent la
losophie politique. « D’où vient le pou- société tout entière. Dans son Histoire
voir d’État ? », se demandent les philo- de la folie à l’âge classique (1961), puis
sophes de l’époque moderne. Comme dans Surveiller et Punir. Naissance de
ils ne croient plus en une origine divine la prison (1975), M. Foucault décrit
de l’autorité politique, les réponses se dans le détail comment, du xvie au
distribuent selon tout un spectre qui va xixe siècle, furent pensés et édiiés
de la contrainte pure (homas Hobbes) l’asile et la prison, « dispositifs d’enfer-
à la soumission volontaire (Étienne de mement » ayant pour but de mettre à
La Boétie), en passant par la volonté l’écart les fous, les déviants, les délin-
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de l’entreprise détient une parcelle de Chez les loups, la meute est sous la
pouvoir qui ne provient pas seulement coupe d’un couple de dominants. Leur
de son statut, mais de la maîtrise d’une statut de « chefs » leur donne des privi-
« zone d’incertitude ». Par exemple, lèges : ils sont les seuls à pouvoir se re-
l’agent de maintenance peut acquérir et produire, ils se servent en premier lors
défendre un certain pouvoir, au regard des repas… Mais cette position confère
des autres services ou de sa hiérarchie, aussi des « devoirs » : le loup dominant
par la connaissance exclusive du fonc- conduit la meute dans ses déplace-
tionnement interne des machines. Il ments, assure la défense du groupe en
peut ainsi décider s’il faut arrêter une cas d’attaque, intervient pour faire ces-
machine ou combien de temps durera ser le combat lorsqu’une bataille dégé-
la réparation. Il est le seul expert dans nère entre deux membres, etc.
le domaine. Or, détenir seul une infor- Chez les poissons et les mammifères
mation utile à tous, c’est maîtriser une qui vivent en société, la hiérarchie est
« zone d’incertitude ». partout présente sous des formes plus
L’entreprise est un lieu permanent ou moins rigides : de la structure féo-
de confrontation entre des individus dale chez les poules de basse-cour au
qui n’ont ni les mêmes intérêts ni les véritable potentat chez les lions, les
mêmes stratégies. La maîtrise de sa dromadaires et les autres espèces qui
zone d’incertitude laisse à chacun la vivent en harems.
possibilité d’agir de façon stratégique. Chez les poules, ce sont les coups de
Le degré de celle-ci détermine en par- bec (ou « pecking order », analysé par
tie le rapport de force. Le cadre est la Norvégienne T. Schjelderup-Ebbe
sous la dépendance de l’informaticien dans une étude classique de 1922)
qui connaît sa machine et est le seul à qui servent à réairmer l’ordre hiérar-
même de dire ce qui est possible et im- chique. Dans la plupart des espèces, les
possible. Ici encore, le savoir est source coups, les corrections et les autres pos-
de pouvoir. tures d’intimidation servent de rappel à
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l’ordre. La violence physique est donc Chez les futurologues chargés d’antici-
le principal instrument du pouvoir. per l’avenir, la prospective a remplacé
Chez les mammifères sociaux (loups, la prévision. Plus personne ne croit
lions, dromadaires, chimpanzés et qu’il est possible de prédire l’avenir
autres cerfs), quand un mâle a réussi à en matière économique, politique et
imposer sa domination sur un groupe sociale. Dans les années 1950, les « pré-
– après avoir détrôné l’ancien chef par visionnistes » traçaient des scénarios
un combat –, il va alors acquérir un (de croissance, d’évolution démogra-
« statut » qui le place au-dessus des phique, de développement…) en pro-
autres individus. Il n’a pas besoin de longeant les tendances en cours. Les
surveiller, contrôler et corriger en per- modèles de prévision tablaient sur une
manence pour imposer son pouvoir. vision déterministe du changement
Les subordonnés adoptent ensuite une social (selon une évolution continue ou
attitude de soumission à son égard. marquée par des seuils et des étapes).
Chez les loups, on rentre la queue entre L’avenir semblait programmé et la pla-
les jambes, on tient les oreilles basses et niication possible.
on léchit la tête. On évite aussi de ixer Aujourd’hui, les prospectivistes rem-
le chef dans les yeux, car c’est un signe placent la prévision par la prospective
de provocation. Chez les chimpanzés, pour deux raisons.
il existe des rituels de salut à l’égard du On admet d’abord que le futur est ou-
dominant. Le dominé le salue d’abord vert et largement indéterminé. Au lieu
par des grognements courts (pant- de prévoir, on crée des scénarios plus
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minorités nationales ; en Inde, les niques étaient sans nuance. Les Noirs
« intouchables » sont mis à l’écart de étaient jugés « paresseux et violents »,
la société ; au Japon, les Aïnous et les les Juifs « intéressés et sournois », les
Burakumins sont des minorités mépri- Chinois, les Philippins et autres mino-
sées ; en Afrique, les peuples bantous rités n’étaient guère mieux servis. Les
ont toujours considéré leurs voisins psychologues sociaux auront recours
pygmées avec condescendance. Cette aux notions de « préjugés » et de « sté-
logique du « nous » et du « eux » réotypes » pour expliquer le racisme.
semble bien être un trait constant des heodor Adorno (1903-1969), juif
groupes humains. allemand immigré aux États-Unis,
Le racisme peut cependant prendre plu- dirigera une grande enquête sur les
sieurs formes et avoir plusieurs degrés. motifs psychologiques qui pouvaient
La forme mineure relève de la simple conduire les gens au racisme. Ces résul-
moquerie : celle qui passe à travers les tats semblaient montrer que les préju-
histoires drôles comme les « histoires gés racistes étaient fortement liés à un
belges » ou les « histoires juives » et proil de « personnalité autoritaire »
autres « histoires écossaises » brocar- (he Authoritarian Personality, 1950).
dant un peuple, par exemple, pour sa Les personnes ayant une personnalité
bêtise ou sa cupidité. Dans sa forme de type « autoritaire » pensent par cli-
radicale, le racisme relève de l’exclu- chés et ont tendance à utiliser des sté-
sion et de la ségrégation systématique réotypes qui caractérisent les gens en
d’une partie de la population. Comme fonction de leur ethnie. Ces personnes
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ce fut le cas avec l’apartheid en Afrique ont des opinions fermes et une pensée
du Sud. Entre ces deux extrêmes, tout rigide ; elles ont reçu une éducation
un spectre d’attitudes intermédiaires autoritaire et seraient de ce fait plus en-
peut exister. Si on considère le racisme clines à des préjugés à l’égard des autres
comme toute forme d’exclusion ou de groupes. L’enquête aura un très grand
mépris à l’égard d’autrui, alors il peut retentissement en psychologie sociale
être apparenté à d’autres formes de rejet et fera l’objet de nombreux prolonge-
telles que l’homophobie, le sexisme ou ments. Par la suite, des études compa-
le « racisme de classe » (c’est-à-dire le ratives ont relativisé cette conclusion
rejet d’une classe sociale par une autre). de T. Adorno (R. Christie, M. Jahoda,
Selon les circonstances, il n’y a pas tou- Studies in the Scope and Method of « he
jours correspondance entre les discours Authoritarian Personality », 1954).
racistes et les pratiques discriminatoires. T.F. Pettygrew montrera notamment
que, si la personnalité des Américains
Pourquoi le racisme ? du sud des États-Unis était efective-
Au sein des sciences humaines, plu- ment plutôt de type autoritaire (par
sieurs types d’explications ont été avan- rapport au nord des États-Unis), ce
cés pour rendre compte du racisme. n’était pas le cas en Afrique du Sud où
Les premiers travaux scientiiques sur le racisme était pourtant omniprésent.
le sujet apparaissent aux États-Unis dès Ce qui remettait en cause la corrélation
les années 1920. Terre d’immigration entre personnalité et racisme.
et creuset pluriethnique, en Amérique
du Nord, les préjugés raciaux tenaient « Eux et nous »
(et tiennent encore) une place impor- Par la suite, les travaux de psychologie
tante dans les relations sociales. Les sociale vont élargir leur champ : pas-
enquêtes d’opinion menées pendant sant des préjugés raciaux à l’analyse
l’entre-deux-guerres montraient que générale des opinions et des attitudes
les attitudes à l’égard des minorités eth- intergroupes.
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chinoise ». Ainsi, ceux-là mêmes qui pitaliste, avec un calcul comptable, une
déclaraient refuser les clients chinois les division « scientiique du travail » et
avaient reçus quelques semaines plus des techniques modernes, traduit cette
tôt dans leur propre établissement. emprise croissante des valeurs d’eica-
Albert Memmi considérant que la cité sur les valeurs traditionnelles.
notion de racisme est trop limitative, L’avènement de l’action et de la pen-
avance celle « d’hétérophobie » qui sée rationnelle aurait donc permis le
désigne plus généralement toutes les développement des sciences, des tech-
réactions agressives ou méprisantes niques, de la gestion et d’un droit.
dirigées contre des populations déi- Selon Vilfredo Pareto (1848-1923),
nies par des critères psychologiques, l’action est rationnelle (V. Pareto dit
culturels, sociaux ou métaphysiques. « logique ») par le fait que les moyens
Ainsi l’homophobie, la misogynie, mis en œuvre sont en adéquation avec
le « racisme de classe » des bourgeois les buts que se ixe l’individu. En pro-
contre le peuple ou du peuple contre posant cette déinition étroite de la
les gros, sont des formes d’hétéropho- rationalité, l’auteur du Traité de socio-
bie dont le racisme, au sens biologique, logie générale (1916) a dans l’esprit les
n’est qu’une variante. (A. Memmi, Le comportements économiques visant
Racisme, 1994). l’eicacité : ceux de l’entrepreneur, du
fonctionnaire ou du technicien qui
agissent en cherchant le moyen le plus
RATIONALITé eicace pour atteindre leurs buts. A
contrario, le comportement du magi-
C’est au début du xxe siècle dans les cien se livrant à des incantations pour
sciences sociales que s’est forgé un faire tomber la pluie est considéré
discours sur la rationalité des acteurs comme « illogique ».
agents économiques. Max Weber faisait On le voit, dans l’esprit des premiers
de la rationalité un des traits marquants sociologues, la rationalité est donc
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déinie de façon assez générale comme mais de lui indiquer ce qu’il devrait
un type de conduite qui s’oppose aux faire. Ce n’est que par la suite que les
actions routinières guidées par la tradi- théories mathématiques de la décision
tion, aux actions émotives guidées par ont été utilisées comme un modèle ap-
les passions ou encore aux croyances prochant des situations réelles (théorie
guidées par les préjugés. Être rationnel, des anticipations rationnelles).
c’est se livrer à des calculs, soupeser,
mesurer et évaluer en vue d’atteindre Vers une « rationalité limitée »
une in donnée. Le modèle de l’action proposé par la
théorie du « rational choice » se heur-
La théorie de l’acteur rationnel tait à une diiculté : la quasi-impossi-
La théorie de l’acteur rationnel va bilité de traduire les données réelles
prendre une place importante en éco- en formules rigoureuses. Chacun s’en
nomie et en théorie des organisations aperçoit lorsqu’il s’agit d’acheter une
à partir des années 1950. En 1951, voiture. Il est impossible d’établir une
avec la publication de Social Choice liste de critères exhaustive, de les quan-
and Individual Values, l’économiste tiier et de les comparer systématique-
Kenneth J. Arrow formalise une nou- ment. Une telle méthode aboutirait à
velle approche : la théorie du « rational une « explosion combinatoire », c’est-
choice » (choix rationnel). Elle aura de à-dire un nombre ahurissant de calculs
nombreuses applications en microéco- et de choix possibles. Prenant acte
nomie, puis en sciences politiques. En de cette impasse – à la fois théorique
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de son manque de réalisme. Pour elles, rents ouvrages, J. Elster s’intéresse aux
la rationalité a peu de pertinence et ne « ruses de l’action » employées par les
serait qu’un mythe. La critique la plus individus pour parvenir à leurs ins :
forte est venue des travaux expérimen- comment on s’y prend par exemple
taux menés par Amos Tversky et Daniel pour dompter ses propres émotions ou
Kahneman. Leurs expérimentations piéger sa volonté défaillante dans le but
ont montré que les sujets soumis à des d’arrêter de fumer ou d’organiser son
situations où l’on doit choisir le meil- travail (Ulysse et les sirènes, 1979).
leur investissement, parmi plusieurs Le sociologue Raymond Boudon
solutions possibles, font de nombreuses adopte une perspective assez proche
erreurs de raisonnement et se laissent de celle de J. Elster. Comme lui, il se
facilement tromper selon la façon dont refuse à considérer que nos actions
le problème est formulé. Par exemple, sont dirigées par les croyances irration-
au jeu de pile (P) ou face (F), si l’on nelles ; comme lui, il se démarque de
demande quelle est la série de tirage qui l’approche du « rational choice » qu’il
a le plus de chances de sortir dans les juge irréaliste et il utilise aussi la théo-
deux séries PFPFPPF ou PPPPPPP, la rie des « biais cognitifs » (A. Tversky)
plupart des gens répondent la série 1, pour rendre compte de la formation
alors que ce n’est pas le cas (les deux des idéologies. Dans L’Idéologie ou l’ori-
séries sont équivalentes). gine des idées reçues (1986) puis L’Art
Il est maintenant bien établi que les in- de se persuader (1990), R. Boudon
dividus confrontés à des raisonnements entreprend d’expliquer les idéologies
logiques se laissent aisément piégés par politiques ou les préjugés en faisant
des « biais cognitifs ». Leurs raisonne- appel à des processus de raisonnement
ments, leurs calculs, leurs déductions et logiques. En somme, pour lui, on peut
leurs estimations ne sont pas exempts toujours avoir de « bonnes raisons »
de nombreuses erreurs. de se tromper. On peut expliquer les
Prenant acte que l’acteur social n’est erreurs de jugement et les croyances
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ment de nous faire basculer dans un 1980 à un regain d’intérêt pour les
univers ictif, c’est aussi un moyen d’ac- formes plus descriptives et narratives en
céder à la condition humaine : décrire sciences humaines. Cette redécouverte
les milieux sociaux, les trajectoires indi- s’est faite en plusieurs étapes.
viduelles, explorer les sentiments, suggé- Dans les années 1970-1980, l’his-
rer l’expérience et le vécu des personnes. toire redécouvre la biographie sous
Au côté de la fonction récréative, le récit une forme enrichie, sorte de synthèse
possède aussi une fonction explicative… entre l’approche des Annales et l’« his-
Il a sa façon à lui de nous faire découvrir toire-événement ». En sociologie et
et connaître la condition humaine. en anthropologie, le retour de l’acteur
Or, c’est justement contre cette force s’accompagne d’une redécouverte d’un
suggestive de l’approche littéraire, genre jusque-là oublié : l’histoire de vie.
contre les pièges de l’intuition et des Dans la lignée des travaux du philo-
images trop évocatrices que se sont sophe Paul Ricœur (Temps et Récit,
constituées la plupart des sciences 3 vol., 1983-1985), une rélexion épis-
humaines. En forçant à peine le trait, témologique s’est amorcée autour du
on peut considérer que la perspec- rôle du récit en sciences de l’homme.
tive scientiique dans les sciences P. Ricœur insiste sur l’importance de
de l’homme avait consisté, depuis la « mise en intrigue » qui agence des
un siècle, dans une vaste entreprise éléments singuliers et hétérogènes dans
d’expulsion de la subjectivité et de la une suite d’événements pour en faire
description vivante des phénomènes une histoire. Par ailleurs, il cherche à
humains au proit d’un regard objectif. mettre en évidence les liens de corres-
L’école des Annales, par exemple, s’est pondance qui unissent le récit avec la
édiiée contre une histoire dite « événe- façon dont l’être humain expérimente
mentielle », jugée suspecte car fondée mentalement ses expériences de vie.
sur le récit au détriment de l’analyse En somme, l’attrait pour le récit serait
des forces souterraines. À l’« histoire- l’expression d’une forme de pensée
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qui peuplent notre esprit. T. Todorov reconnaissance tel qu’il s’exprime dans
appelle « maître de reconnaissance » ce les relations personnelles, le travail et la
« juge intérieur qui sanctionne positi- politique. Elle rejoint alors les travaux
vement ou négativement nos actes ». de psychologie sociale qui montrent
C’est souvent en fonction de ce person- combien la reconnaissance d’autrui
nage imaginaire – conscience morale, compte dans la construction de l’iden-
ange gardien ou surmoi, qui prennent tité personnelle (George H. Mead),
souvent la igure d’une image paren- dans les relations de travail (Christophe
tale – que nous agissons. Le regard de Desjours) ou dans la communication
l’autre est si décisif dans nos conduites avec autrui (Erwing Gofman).
qu’il en devient une instance psychique
de notre personnalité profonde.
RéFLEXIVITé
Les communautés en quête de
reconnaissance George Soros, le célèbre inancier hon-
Avec le philosophe Charles Taylor, on gro-américain, est connu pour avoir
passe du besoin de reconnaissance indi- réalisé d’énormes proits inanciers
viduel à la reconnaissance des groupes. dans la gestion de ses hedge funds
Si l’identité individuelle se construit (fonds de placement) sur les marchés
dans le regard de l’autre, cela est éga- boursiers. On sait aussi qu’il soutient
lement vrai des communautés. Les mi- dans les pays de l’Est de nombreuses
norités ethniques au sein d’une nation actions de développement par le biais
revendiquent aussi leur droit à la « re- des fondations qu’il a créées dans les
connaissance ». Et le déni de reconnais- années 1980. On sait encore que c’est
sance peut être considéré comme une un esprit iconoclaste et pourfendeur du
forme d’oppression. Le sujet est très libéralisme économique depuis qu’il a
sensible aux États-Unis et au Canada, publié La Crise du capitalisme mondial
où C. Taylor vit et s’exprime. (1998).
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On sait moins que cet ancien étudiant tions, opinions). Dans ce jeu de miroir
en philosophie, reconverti dans la que constitue la rélexivité boursière,
inance, nourrit par ailleurs un projet celui qui gagne est celui qui anticipe
théorique : penser l’économie et l’his- sur les tendances non de l’économie
toire contemporaines à partir d’une réelle, mais de l’opinion. Pour gagner
« théorie de la rélexivité » (L’Alchimie gros, il faut être à la tête du troupeau et
de la inance, 1998). Son idée centrale investir au début d’une courbe ascen-
est qu’on ne peut étudier les phé- dante. Pour ne pas tout perdre, il faut
nomènes humains comme des phé- ensuite savoir abandonner ses positions
nomènes physiques, car les sciences en sentant la chute venir. G. Soros a
humaines étudient un être pensant qui proité de sa théorie de la rélexivité
agit et réagit en fonction de ses repré- des marchés, de sa connaissance de la
sentations de la situation (et non seu- « courbe de l’opinion » pour en tirer
lement à partir de données objectives). d’extraordinaires bénéices.
La rélexivité n’est autre que cette in-
teraction entre pensée et action – qui Une société rélexive
suppose, selon G. Soros, d’aborder sans A. Giddens développe une idée simi-
cesse les actions humaines sous l’angle laire à propos des phénomènes sociaux.
du milieu et des représentations que les La rélexivité ne concerne pas unique-
humains s’en font. ment l’économie des marchés inan-
L’ambition théorique de G. Soros pour- ciers. La société tout entière est en
rait n’être vue que comme un hono- permanence soumise à un lux d’infor-
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gestion de soi, on peut alors relier cette traité avec méthode des diférentes
notion à celles d’« auto-eicacité » formes de gouvernement en ont distin-
(Albert Bandura), de « gouvernement gué trois, savoir la royauté, l’aristocra-
de soi »(Michel Foucault), de métaco- tie et la démocratie : on ne voit pas si
gnition (psychologie cognitive). par là ils ont voulu nous faire entendre
qu’il n’y en avait point d’autres, ou
que c’étaient là les trois meilleures ;
RéGIME mais quoi qu’il en soit, j’ose dire qu’ils
se sont trompés sur l’un et l’autre
La typologie des régimes politiques point. Ce ne sont point les meilleures,
est très ancienne et remonte à l’anti- puisque non seulement la raison mais
quité grecque. Elle n’a jamais cessé de encore l’expérience nous apprennent
s’ainer et de s’adapter à l’évolution des que la forme de gouvernement la plus
sociétés jusqu’à aujourd’hui. parfaite est celle qui est composée des
Le premier et le plus illustre des clas- trois qu’ils citent. » Polybe, Histoire
siicateurs est Aristote, qui analyse les romaine, VI.
régimes en fonction de la nature du Ce goût pour le bricolage des formes
pouvoir (qui gouverne) et des formes politiques existe aussi aujourd’hui.
qu’il prend dans la réalité, la façon Dans les vieilles démocraties comme
dont il s’exerce au quotidien et à qui la France, chaque constitution, si on la
il proite. Aristote distinguait, dans sa regarde de près, porte les cicatrices de
Politique, trois types de régimes : la mo- toutes celles qui l’ont précédée. Celle
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in, le mode d’insertion d’un pays dans accumulation intensive (avec la mise
l’économie internationale. en place du taylorisme) dans un cadre
À partir de là, il est possible de décrire où la régulation reste encore de type
diférents modes de régulation écono- concurrentiel.
mique qui se sont succédé au cours de Le blocage est levé dans les années
l’histoire ou qui se distinguent d’un 1930 avec la lente mise en place d’un
pays à l’autre. mode de régulation monopolistique.
Celui-ci s’érige sur de nouveaux piliers :
Phases et types de capitalismes force accrue des organisations syn-
R. Boyer et M. Aglietta ont tout dicales de salariés, cartellisation des
d’abord établi une distinction devenue grandes entreprises, développement de
canonique entre le mode de régula- l’intervention étatique, indexation des
tion concurrentiel, qui a prévalu dans salaires sur la productivité… Toutes
la seconde moitié du xixe siècle, et le ces modiications provoquent une rigi-
mode de régulation fordiste, qui lui a dité des prix sur les marchés. La crois-
succédé. sance rapide et régulière des salaires
Dans le capitalisme concurrentiel, la qu’accompagne le développement du
ixation des salaires et des prix est très crédit permet aux salariés d’accéder à
lexible : ceux-ci varient en fonction un niveau de consommation supérieur.
des conditions du marché. La forte Se met ainsi en place, aux États-Unis
concurrence induit une instabilité de et en Europe, un nouveau mode de
l’emploi ; les luctuations économiques régulation macro-économique que les
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centrale du courant réaliste à partir présente chez des auteurs réalistes, pour
des années 1950. Les thèses d’H.J. qui les systèmes de régulation sont de
Morgenthau peuvent tenir en trois nature à paciier les relations interna-
propositions essentielles : « Il y a un tionales et à empêcher l’hégémonie.
déterminisme applicable aux faits po- Ainsi, l’« internationalisme libéral »
litiques dont les règles et les lois sont ou « idéalisme libéral » (en référence
indépendantes de nos préférences. » ; à la doctrine du président américain
« La politique internationale, comme homas W. Wilson) a joué un rôle
toute politique, est une lutte pour le important après la Première Guerre
pouvoir. » C’est-à-dire que les États mondiale dans la création d’une Société
mènent une lutte pour défendre leurs des Nations). À partir des années 1950,
intérêts et accroître leur pouvoir ; à par- un courant dit « fonctionnaliste » s’ins-
tir de là, il faut admettre que les États crit dans cette tradition. Il a inspiré
sont en situation de concurrence ou, la mise en place de la Communauté
au mieux, de coexistence, jamais de économique européenne : il envisage
paix harmonieuse. Ils peuvent gérer des accords limités entre États sur des
leurs antagonismes par le conlit ou la « fonctions »(marché commun, coo-
négociation. Mais la politique interna- pération industrielle, etc.) ain que des
tionale n’est, in ine, rien d’autre que processus irréversibles de coopération
l’ajustement des antagonismes. entre les États s’enclenchent.
À partir de 1945, la vision réaliste du Mais l’idée d’une interdépendance
système international est devenue pré- globale s’est airmée surtout à partir
pondérante au sein de la théorie des des années 1970 avec, entre autres,
relations internationales. Elle analyse la Robert O. Keohane et Joseph S. Nye,
coniguration d’alors comme un équi- auteurs de Transnational Relations
libre entre deux systèmes d’alliances do- and World Politics (1970), et James
minés chacun par une superpuissance : N. Rosenau (Linkage Politics : Essays
en l’occurrence l’Otan dominée par les on the Convergence of National and
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théisme (comme dans le panthéon grec, cela, il doit bien exister quelques formes
romain ou hindou) ; et enin le mono- fondamentales qui les composent.
théisme (judaïsme, islamisme et chris-
tianisme). Cette vision évolutionniste La variété des expériences religieuses
n’a plus cours aujourd’hui. On sait Une autre façon d’aborder les formes
que les religions africaines, longtemps de religion consiste à ne pas partir des
considérées comme « fétichistes » et institutions religieuses mais du vécu
« primitives », comportent pour la plu- des croyants. Dans Les Formes multiples
part un Dieu créateur avec des divinités de l’expérience religieuse (1902), le psy-
locales. À l’opposé, on peut se deman- chologue William James s’est intéressé
der si le christianisme est vraiment un aux convertis (les « deux fois nés ») et
monothéisme avec sa panoplie de dieux avait distingué en leur sein plusieurs
(le Père, le Fils et le Saint-Esprit), le proils caractéristiques : les bienheu-
culte de Marie, les saints, le cortège des reux (qui ont tendance à voir le monde
anges et la présence ambiguë du diable comme merveilleux), les mystiques, les
(P. Gisel, G. Emery, Le christianisme ascètes, les saints, etc. Par la suite, les
est-il un monothéisme ?, 2001). psychologues, les sociologues et les his-
Les sociologues allemands du début du toriens vont se pencher sur les diverses
xxe siècle, rompant avec l’évolution- modalités de la croyance. Gabriel Le
nisme et la volonté de classer les cultes Bras (1891-1970) a ainsi initié de
selon une progression chronologique, grandes enquêtes sur l’évolution des
ont tenté d’établir diférentes classii- croyances en Europe. Constatant le
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ter toute une série de phénomènes (du étude sur l’organisation du marché du
maillage du territoire par les réseaux travail, M. Granovetter a montré que la
routiers aux réseaux d’amis) donnant réussite dans la recherche d’emploi est
lieu à diférentes théories élaborées ces conditionnée par les réseaux de rela-
dernières décennies. tions, et qu’il vaut mieux disposer d’un
carnet d’adresses bien fourni, même de
Quelques théories des réseaux contacts supericiels, que de posséder
L’analyse des réseaux s’est développée un réseau plus solide mais trop étroit.
dans plusieurs domaines scientiiques : En bref, cette étude démontre que le
en neuroscience et intelligence artii- marché du travail ne correspond pas
cielle à travers l’analyse des réseaux de à une rencontre entre « ofre » et « de-
neurones ; en sciences de l’ingénieur, mande » de travail, issue d’agents ano-
(modélisation des réseaux de commu- nymes. Elle s’inscrit dans des réseaux
nication (télégraphe, chemin de fer, sociaux – parents, amis, connaissances
téléphone…) ; en mathématique. La – qui permettent de proiter des oppor-
notion de « rhizomes » de G. Deleuze tunités.
et F. Guattari visait même à donner Mais l’analyse sociologique des réseaux
une conceptualisation philosophique à a vraiment pris corps avec l’essor d’in-
l’idée de réseau. ternet qui a revitalisé les recherches
En psychologie sociale, la sociométrie (Pierre Mercklé, La Sociologie des ré-
de Jacob Moreno visait à modéliser les seaux). Les réseaux sociaux sont alors
liens privilégiés entre certains individus devenus à la fois un objet d’étude, une
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Notions et concepts
Smith, ne prend pas la peine de déinir D’où l’idée que la croissance indéinie
ce qu’est la richesse : car c’est une évi- n’était pas forcément l’objectif le plus
dence. Pour une nation, être riche, c’est souhaitable pour une nation, qu’il fal-
posséder des ressources, les faire fructi- lait en réexaminer les inalités et adop-
ier par le travail, échanger avec d’autres ter des indicateurs de richesse – ou de
nations, et ainsi enrichir les popula- bien-être – qui ne se résument pas à la
tions. Et pour les individus l’abondance seule croissance économique.
signiie pouvoir bien se nourrir, s’habil-
ler, se chaufer, se loger, se soigner, etc. du PIB aux nouveaux indicateurs
Cette vision de la richesse fait rêver des de richesse
millions d’hommes, de femmes, d’en- Longtemps les indicateurs de richesse
fants, de familles de par le monde. Et ont été strictement quantitatifs : le PIB
il semble que posséder des biens, vivre (produit intérieur brut) étant le plus
dans le confort et à l’écart des soucis utilisé. Le PIB mesure la production de
matériels était la base du bien-être. biens et de services, marchands et non
Ce n’est qu’à partir des années 1960 marchands, d’un pays. Il permet de
avec l’avènement de la société de comparer les pays entre eux.
consommation que l’on a commencé Cependant, le PIB ne prend pas en
à prendre conscience des « dégâts du compte un certain nombre d’éléments
progrès ». Non seulement parce que la (comme les services domestiques ou
croissance indéinie n’était plus possible le bénévolat) qui entrent en compte
à cause de la limitation des ressources, dans le bien-être des populations. Il ne
non seulement parce qu’elle contri- prend pas en compte les aspects quali-
buait à polluer l’environnement et à tatifs comme le niveau d’éducation, par
la détérioration du cadre de vie, mais exemple.
parce qu’au fond aussi, elle ne rendait Ces critiques ont alimenté la recherche
pas heureux. Les enquêtes sur le niveau d’autres indicateurs sortant des lo-
de bien-être des populations les plus giques purement économiques et qui
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série de seize indicateurs sociaux comme dans son célèbre ouvrage La Société du
la une moyenne de seize indicateurs risque, paru en 1986 (la même année
sociaux comme le niveau d’éducation, que l’explosion du réacteur de la cen-
la mortalité infantile, l’usage de drogues, trale de Tchernobyl). Le sociologue
le taux de suicide, l’espérance de vie des allemand constate la tendance de ces
plus de 65 ans, l’accès au logement, etc. sociétés à produire, à travers leurs sys-
L’indice de bien-être économique tèmes productifs et scientiiques, de
(Ibee) des Canadiens Lars Osberg et nouveaux risques devant lesquels les
Andrew Sharpe mêle données moné- individus ne sont pas égaux. Mais la
taires et non monétaires portant sur la société du risque peut renvoyer à une
consommation courante, la pauvreté autre tendance : celle de la « mise en
et les inégalités de revenus, et enin la risque » de dangers jusqu’ici mécon-
sécurité économique (le niveau d’assu- nus ou auxquels on ne prêtait guère
rance contre le chômage, la maladie, la attention (par exemple des maladies
vieillesse, etc.). professionnelles), liée elle-même à l’ex-
Le Néerlandais Ruut Veenhoven, tension des mécanismes d’assurance.
de son côté, propose une mesure du Cependant, des risques subsistent
« bonheur national brut » dans lequel il dont on ne peut apprécier, en l’état
croise des données objectives sur le ni- actuel des connaissances scientiiques,
veau de vie et de santé des populations le degré de probabilité. Comment les
avec des déclarations de satisfaction. prévenir sans contrarier le dévelop-
Tous ces indicateurs aboutissent à des pement des sociétés ou l’innovation ?
classements internationaux qui ne C’est tout l’enjeu des débats autour
recoupent que partiellement les indi- des organismes génétiquement modi-
cateurs de niveau de développement et iés (OGM) et, par-delà, du principe
de croissance d’un pays. (J. Gadrey et de précaution.
F. Jany-Catrice, Les Nouveaux Indica-
teurs de richesse, 2005) › Catastrophe
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Notions et concepts
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accorder les intentions des participants. expiation, expulsion) ont été oppo-
À la même époque, le sociologue sés aux rites préventifs (conjurations,
Erving Gofman était lui aussi in- propitiations). Les rites d’installation
luencé par l’éthologie. Il dénomme (intronisation des rois, ordination des
« rites d’interaction » les règles de poli- prêtres) peuvent être opposés aux rites
tesse, les façons de se tenir, les gestes d’inversion (carnavals, fêtes des morts,
protocolaires et les postures tournées Halloween). On distingue également
vers autrui. E. Gofman envisage la vie les rites de séparation (deuil) des rites
sociale comme une scène de théâtre où d’agrégation (baptême), les deux pou-
chacun endosse un rôle. Dans ce jeu, il vant s’enchaîner pour former des sé-
s’agit de se mettre en valeur, d’adopter quences plus complexes.
une posture avantageuse. Pour que l’in- La classiication la plus célèbre des
teraction soit possible, il faut que l’in- rites est due au folkloriste Arnold Van
dividu ne se contente pas d’airmer son Gennep. En 1909, il décrivit les « rites
propre statut, mais marque de la défé- de passage » comme étant des rites où
rence à l’égard de l’autre et ne lui fasse les participants étaient soumis à une
pas « perdre la face ». Pour atteindre séquence d’actes en trois temps : sépa-
ce double résultat (auto-airmation et ration (d’avec le groupe d’origine) ;
reconnaissance d’autrui), les rites quo- « liminarité » (séjour hors du monde
tidiens ont une importance particu- social) ; agrégation (entrée dans un
lière. Ils peuvent être verbaux, gestuels nouveau statut). Ce schéma s’applique
ou comportementaux : la « bonne dis- particulièrement bien aux rites d’ini-
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tance » entre les personnes ou le fait de tiation des sociétés primitives et des
céder le chemin en sont des exemples. sectes, où il prend souvent la forme
E. Gofman distingue les « rites d’évi- d’une séquence symbolique mort/ges-
tement » destinés à préserver à chacun tation/nouvelle naissance. Mais il s’ap-
sa sphère d’intimité et les « rites de pré- plique également, bien au-delà de ce
sentation » qui précisent « ce qu’il est champ restreint, aux fêtes calendaires,
convenu de faire ». Les transgressions aux bizutages et à d’autres cérémo-
de ces règles sont des « profanations nies comme le mariage précédé, dans
rituelles » (insultes, gestes obscènes). l’usage populaire, par un « enterrement
de la vie de garçon ».
des rites cycliques aux rites de
passage Les rites, le sacré et la société
La compréhension moderne du rite « Les rites sont des règles de conduite
doit beaucoup à l’étude comparée des qui prescrivent comment l’homme doit
cultures. Au xixe siècle, les historiens et se comporter avec les choses sacrées »,
les anthropologues ont recherché des écrivait Émile Durkheim (Les Formes
similitudes dans les rites religieux et élémentaires de la vie religieuse, 1912).
profanes pour en établir la liste. On a Pour lui, comme pour Marcel Mauss,
alors classé les rites selon qu’ils étaient le rite religieux par excellence est le
cycliques – cycle de vie (naissance, pu- sacriice, qui permet la conjonction
berté et mort), cycles naturels (saisons, d’une assemblée humaine avec un dieu
passage des astres) et cycles sociaux ou des ancêtres par l’intermédiaire d’un
(fêtes, commémorations) – ou liés à objet. Toutefois, la fonction du rite est
des événements inattendus (maladie, sociale : le sacré est pour Durkheim une
malheurs climatiques, guerres), qu’on projection de la société, et la force du
appelle depuis Victor Turner des « rites rite est de créer une « communauté
d’aliction » (Les Tambours d’aliction, morale », à la fois intellectuelle et afec-
1972). Les rites curatifs (puriication, tive.
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Notions et concepts
qui, dans une société donnée, « com- tinés à répondre à des besoins, qui eux,
porte un élément expressif ou symbo- semblent universels.
lique » est susceptible, selon Alfred R.
Radclife-Brown*, de constituer un
rite (Structure et fonction dans la société RÔLE
primitive, 1952). Cette évolution très
importante a repoussé au second plan Le mot « rôle » appartient initialement
la distinction sacré/profane et a consi- au vocabulaire du théâtre : un acteur qui
dérablement élargi l’usage des mots joue le rôle de Napoléon va, pendant la
« rite » et « rituel », désormais suscep- durée de la représentation, adopter un
tibles de désigner toute action ayant ensemble de comportements – paroles,
une dimension signiiante possible. gestes, etc. – qui va donner au public
Sur le plan des fonctions, l’apport l’illusion qu’il se trouve devant l’empe-
spéciique des anthropologues britan- reur ; si l’incarnation est convaincante,
niques a été de montrer en quoi des le public dira qu’il a « bien joué ».
cérémonies agraires et des rituels, reli- Les sciences humaines, notamment
gieux ou profanes, pouvaient gérer des la psychologie sociale et la sociologie,
conlits dans des sociétés sans État ou ont récupéré ce terme de « rôle » pour
réguler des tensions internes dans des indiquer un phénomène jugé, par de
organisations hiérarchiques. Ainsi, les nombreux auteurs, comme fondamen-
Zoulous du Swaziland, par exemple, tal dans toute société : dans un contexte
organisent des fêtes saisonnières où donné, chacun des membres de cette
les femmes se comportent en hommes société tend à aicher un ensemble de
et où les esclaves miment le roi, tan- conduites qui caractérise un person-
dis que ce dernier est insulté : ces rites nage, comme au théâtre. Le rôle peut
servent, selon Herman M. Gluckman, être psychologique (tel individu se
à airmer l’unité des membres du comporte comme un « clown » de la fa-
groupe qui, ordinairement, vivent des mille) ou social (professeur autoritaire,
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ou employé modèle) mais, dans les ser. Les rôles d’enseignant, de manager,
deux cas, il présente la caractéristique de médecin, de père ou mère de famille
fondamentale qui justiie ce terme de n’ont plus, depuis les années 1970, le ca-
« rôle » : il est joué pour un public, ractère aussi contraignant et stéréotypé
composé d’une ou de plusieurs per- qu’ils avaient dans les générations précé-
sonnes ; c’est un comportement social. dentes. Cette instabilité des rôles sociaux
La notion de rôle renvoie à une réa- crée une incertitude sur la façon dont un
lité assez courante. Chaque jour, nous professeur doit se comporter vis-à-vis de
sommes amenés à endosser un certain ses élèves, un manager avec les salariés,
nombre de « rôles » en fonction de les parents avec les enfants, les hommes
notre position sociale. Être père ou avec les femmes, etc.
mère de famille, professeur ou méde- La notion de rôle, souvent associée à
cin, député ou militant d’un parti celle de « statut », a eu son importance
politique, arbitre dans une équipe de en psychologie sociale et en sociolo-
football, voisin, etc., voilà autant de gie dans les années 1960, mais elle a
« rôles » sociaux déinis en fonction été largement oubliée par la suite, au
des attentes de l’entourage. Car un point aujourd’hui de disparaître prati-
rôle correspond toujours à un modèle quement de la littérature des sciences
de conduite assez stéréotypé et suscite humaines. Elle a été remplacée – en
des obligations. Par exemple, le rôle du partie seulement – par le terme d’iden-
médecin est de soigner, mais il doit être tité sociale.
respectueux de ses patients et préserver
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les clivages (entre sciences « exactes » désuètes aujourd’hui, il n’est pas sûr
ou « dures » et sciences humaines par que les distinctions courantes entre
exemple). sciences exactes et sciences humaines,
La perspective change radicalement si ou entre sciences formelles et sciences
on aborde l’univers des sciences dans empiriques, soient plus pertinentes.
leur pluralité et leur diversité. Assimiler les sciences de la nature à des
sciences exactes fait bon marché de la
Les classiications des sciences diversité des objectifs au sein de disci-
La classiication platonicienne des plines comme la botanique ou l’ento-
sciences servira de fondement à l’en- mologie, l’éthologie ou la physiologie,
seignement des arts majeurs dans la chimie ou la géologie. Par exemple,
l’université du Moyen Âge : aux côtés il existe au sein de l’astrophysique ou
des facultés de théologie, de droit et de la biologie des tendances théoriques
de médecine, la faculté des arts ensei- et « modélisatrices », et des démarches
gnait le trivium (dialectique, gram- plus descriptives et comparatives. Et
maire, rhétorique), puis le quadrivium l’on retrouve le même clivage dans les
(musique, arithmétique, géométrie et sciences humaines, au sein de la lin-
astronomie). Cette classiication des guistique, de l’économie ou de la psy-
sciences nous apparaît aujourd’hui bien chologie.
exotique.
Le philosophe anglais Francis Bacon Philosophie des sciences
(1561-1626), promoteur de la dé- Le but de la philosophie des sciences
marche expérimentale, proposera dans (ou épistémologie) est de mettre au
son projet d’une réforme radicale des jour la nature et les fondements de la
sciences de distinguer les sciences de démarche scientiique.
la mémoire (comme l’histoire), les La philosophie des sciences peut être di-
sciences de la raison (comme la phi- visée en deux grandes époques. La pre-
losophie, qui intégrait ce que l’on mière couvre en gros la première moitié
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Notions et concepts
du xxe siècle. Dans une première étape, sa capacité à soumettre ses hypothèses
les théoriciens de la science (comme à réfutation. Mais, en même temps,
Henri Poincaré, Pierre Duhem, Ernst il dévoile une facette inattendue de la
Mach et Rudolf Carnap) s’interrogent, science. Selon K.R. Popper, les théories
dans une approche normative, sur les scientiiques ne seront toujours qu’un
principes qui guident ou doivent gui- tissu d’hypothèses, plus ou moins
der la science pour aboutir à la vérité. valides, mais toujours en sursis. En
Les rélexions portent sur l’établis- admettant cela, il ouvrait une brèche
sement des faits, les raisonnements dans la conception traditionnelle de la
rigoureux, la formation des hypothèses, science.
la recherche de la preuve et les condi- Ainsi, la science possède en son sein des
tions de validité d’une théorie. On vérités qui seront toujours provisoires,
débat alors sur l’imbrication des faits et des postulats « indémontrés » et indé-
des théories (le « conventionnalisme » montrables. La voie est donc libre pour
d’H. Poincaré, le « phénoménisme » une étude des soubassements concep-
d’E. Mach, le « positivisme logique » tuels qui orientent les recherches.
du cercle de Vienne). On s’interroge homas S. Kuhn (1922-1996) air-
alors sur la possibilité de réduire les mera que, à chaque époque, la science
mathématiques à la logique (Bertrand s’appuie sur des « paradigmes » ou
Russel, Alfred N. Whitehead). On se des conceptions dominantes, qui sont
demande comment passer de l’obser- renversés par des révolutions, comme
vation aux hypothèses (H. Poincaré, le sont les monarchies ou les empires.
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Notions et concepts
Jones périssent dans ce qui restera l’un Or, la secte religieuse n’est que la
des plus grands suicides collectifs de radicalisation de tendances et formes
l’histoire. En 1994, quelques dizaines d’organisation, de croyances plus com-
de membres de la secte des chevaliers munes et présentes dans la plupart
du temple solaire sont retrouvés morts, des sociétés. On remarquera que cer-
suite à un suicide collectif. En 1995, taines caractéristiques sectaires (gou-
des membres de la secte Aum, dirigée rou, croyances messianiques) ne sont
par Shoko Ashara, commettent un pas spéciiques aux groupes religieux.
attentat au gaz sarin dans le métro de Il est aisé de l’appliquer à des sectes
Tokyo. Fin 2002, Raël, le gourou de la politiques et révolutionnaires ou à des
secte raëlienne fait les titres de la presse communautés utopiques. De même,
mondiale en annonçant avoir réussi le de nombreuses religions et Églises ins-
premier clonage d’un être humain. tituées peuvent comporter en leur sein
Régulièrement, l’actualité braque ses des éléments sectaires.
projecteurs sur les méfaits des sectes
les plus radicales. Lorsque les sectes ne Sociologie des sectes
font pas peur, elles prêtent à sourire. La Le sociologue allemand Ernst Troeltsch
secte du Mandarom était dirigée par (1865-1923) a donné une déinition
un « messie cosmoplanétaire », Gilbert des sectes devenue canonique en socio-
Gourdin, qui prétendait chaque logie des religions. Dans ses travaux
matin au réveil avoir tué durant la sur le christianisme, il oppose la secte
nuit des milliers d’« Atlantes et autres aux Églises par trois critères : les sectes
Lémuriens », démons interstellaires qui représentent des hérésies par oppo-
viennent menacer la terre (M. Duval, sition aux croyances orthodoxes ; ses
Un ethnologue au Mandarom. Enquête membres s’engagent volontairement
à l’intérieur d’une secte, 2002). Raël, dans la secte alors que pour le membre
alias Claude Vorilhon, le fondateur du d’une Église l’adhésion est transmise
mouvement raëlien, prétend avoir été culturellement ; enin, la secte tend à
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nues » qui donne des repères positifs moderne où l’urbanisation et les rela-
dans lequel les salariés peuvent se re- tions marchandes ont rendu les rela-
connaître. La stratégie donne des orien- tions entre personnes plus distantes,
tations claires et lisibles pour l’action de formelles et supericielles.
chacun. La structure codiie les rôles, Pourtant, dès les années 1890, le socio-
règles, procédures et doit expliciter ce logue Charles H. Cooley avait montré
que l’on attend de chacun. que, dans les sociétés modernes, ne ces-
Pour expliquer la création de sens, le saient de se recréer de nouvelles com-
psychosociologue américain s’est inté- munautés d’appartenance : les bandes
ressé aux situations de catastrophes en de jeunes, les communautés de travail
étudiant, entre autres, l’accident de ou encore les relations de voisinage.
Challenger et l’accident mortel d’une Georg Simmel (1858-1918) fut l’un
équipe de pompiers lors d’une inter- des premiers sociologues à parler de so-
vention. ciabilité. Il entendait par là l’ensemble
Weick identiie quatre sources de rési- des relations sociales qui « se déploient
lience des organisations : « l’improvisa- pour elles-mêmes », c’est-à-dire qui
tion et le bricolage » (ne pas se replier n’ont pas de fonctions utilitaires. Se re-
sur les réponses habituelles même trouver entre amis, parler à son voisin,
sous la pression) ; les systèmes de rôles participer à un club, une association,
virtuels : le système de rôles, même voilà autant d’occasions de nouer des
lorsqu’il n’est plus opérationnel dans la relations « électives » ou « ainitaires ».
réalité, demeure intact dans l’esprit des
individus ; la sagesse comme attitude : Les réseaux de sociabilité
savoir être curieux, ouvert, aborder de On dispose désormais de grandes en-
nouveaux domaines complexes, savoir quêtes statistiques sur les réseaux de
douter de ses connaissances ; l’interac- sociabilité : qui rencontre qui ? À quelle
tion respectueuse : la coniance, l’hon- occasion ? Avec quelle fréquence ? Et
nêteté et le respect de soi. pour faire quoi ?
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ierté et sans cette soif d’amour que l’on dans lequel on pensait le monde social.
appelle la quête de reconnaissance ? La La société était plus ou moins assimi-
quête de reconnaissance est ainsi envi- lée à un système social homogène avec
sagée comme un besoin humain (indi- sa tête, un État-nation, avec ses classes
viduel et collectif ) fondamental. Pour sociales aux contours bien déinis,
le philosophe allemand Axel Honneth, structuré par des institutions stables : la
cette lutte pour la reconnaissance peut famille, l’école, l’Église.
s’appliquer à trois sphères de la socia- À partir des années 1990, les sociolo-
bilité humaine : le cercle des relations gues ont remis en cause cette vision
primaires (famille, amis) ; la sphère du intégrée de la société. L’idée de société
travail (la reconnaissance du travail s’est efacée au proit d’une vision du
accompli) ; la sphère publique (recon- monde social moins homogène ou la
naissance des minorités, des victimes). société n’est plus un grand organisme,
mais un emboîtement de sphères
Pourquoi les sociétés se déchirent- d’activités qui s’enchevêtrent, un tissu
elles ? de réseaux, avec un contrat de travail
La logique des sentiments est pré- plus lexible, une famille qui vole en
sente à tous les étages de la vie sociale, éclats, des formes d’emprises politiques
notamment dans notre société de ser- ou religieuses moins prégnantes sur les
vice où les activités de soins (le care) individus.
prennent une place considérable, de la Le sociologue Zygmunt Bauman a
garde des enfants à la prise en charge qualiié cette société de « liquide » pour
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Notions et concepts
libérale, notamment chez A. Ferguson, ciales, institutions, tels sont donc les
elle se déinit comme l’autre face de la mots-clés de cette nouvelle socioéco-
société, cette part variable des activités nomie.
humaines qui sait et qui peut s’orga- La sociologie économique peut se
niser sans aide ni impulsion de l’État, prévaloir d’une longue tradition. Au
comme les deux faces d’une même début de ce siècle, Georg Simmel avec
monnaie. La société civile devient la sa Philosophie de l’argent (1900), Max
sphère des associations, des échanges, Weber, dans son fameux Économie et
et des organisations spontanées, que le Société (1922), mais aussi horstein B.
libéralisme aime voir prospérer. Veblen ou Werner Sombart avaient jeté
les bases d’une sociologie des relations
marchandes. Mais, dans les années
SOCIO-éCONOMIE 1930, un fossé s’est creusé entre les
économistes et les sociologues, à la fois
Qu’est-ce que la socio-économie (ou aux États-Unis et en Europe. De fait,
sociologie économique) ? Un courant de 1920 à 1960, seules quelques indivi-
de pensée assez disparate qui rassemble dualités comme Joseph A. Schumpeter,
des sociologues et des économistes Karl Polanyi ou Albert O. Hirschman
autour d’une même préoccupation : vont maintenir un pont entre les deux
repenser l’économie de marché non disciplines. Il faudra attendre le début
comme un simple jeu de l’ofre et de la des années 1970 pour voir le renouveau
demande mais en y intégrant les règles d’une sociologie économique. Celle-ci
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et les normes sociales ainsi que les orga- renaît comme une alternative à la théo-
nisations qui structurent toute relation rie économique néo-classique, en inté-
marchande. grant divers apports.
La théorie économique « orthodoxe » Dans les années 1970, le néomarxisme
(ou « néo-classique »), dominante et les théories du développement se
en science économique, propose un sont nettement démarqués de l’écono-
modèle abstrait du marché ayant des mie néo-classique en analysant les phé-
caractéristiques très précises. C’est le nomènes de pouvoir nichés au cœur du
lieu de rencontre entre individus et/ système économique.
ou entreprises, dont les caractéristiques De son côté, l’analyse des « réseaux »
sont d’être des agents rationnels, bien montre que le marché réel (comme
informés, cherchant à maximiser leurs le marché du travail ou celui de la
intérêts au cours de la transaction, et inance) est en fait rarement ouvert et
libres à tout moment de « changer de s’inscrit dans un tissu social très com-
crémerie ». Or, ces conditions ne sont partimenté. Mark Granovetter est un
pas toujours présentes dans la réa- des représentants de ce type d’analyse.
lité. Par exemple, le marché du travail L’économie des coûts de transaction,
ne correspond pas à ce modèle pur. ou « néo-institutionnalisme », se situe
Lorsqu’un employeur embauche un à mi-chemin entre économie classique
salarié, il ne sait pas quel va être le ren- et socioéconomie. L’idée centrale en est
dement exact du travail efectué ; il ne la suivante : la logique du marchandage
peut faire varier le salaire en fonction n’est pas toujours la plus eiciente du
du rendement. Le marché du travail est fait des coûts de transaction (prix à
encadré par un contrat, des relations de payer pour s’informer, négocier, rené-
« coniance », des conventions collec- gocier…) ; l’existence de contrats et
tives…, qui se substituent en partie à la d’une hiérarchie stable entre parte-
négociation permanente. naires au sein d’une institution éco-
Contrats, coniance, conventions so- nomique peut s’avérer plus judicieuse.
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Par exemple, une entreprise a parfois davantage sur la rationalité des acteurs
intérêt à intégrer certaines fonctions au ou analysant l’expérience ordinaire du
sein de ses services plutôt que de jouer social.
sans cesse la concurrence entre sous- Si l’on évite de donner le titre de « so-
traitants. ciologie » à toutes les rélexions sur les
L’école de la régulation ainsi que formes collectives de l’existence (ce qui
l’« économie des conventions » sont nous ferait remonter au moins jusqu’à
également parties prenantes de la Platon !), on date généralement les
démarche socioéconomique. Toutes débuts de la sociologie de la seconde
deux cherchent à prendre en compte moitié du xixe siècle. Une période où
les imbrications entre les systèmes so- les sociétés européennes, mais aussi les
ciaux et la logique des marchés. D’une États-Unis, connaissent de profonds
certaine façon, on peut considérer que bouleversements, avec la combinai-
la « constellation socioéconomique » son de trois révolutions : politique (la
pourrait regrouper aussi les auteurs Révolution française), économique (la
keynésiens et postkeynésiens ou des révolution industrielle) et intellectuelle
économistes hétérodoxes, tels que John (avènement de la science moderne).
K. Galbraith ou François Perroux, qui Cette combinaison met in à l’idée que
se sont démarqués de l’optique néo- l’organisation des sociétés relève d’un
classique pour prendre en compte le ordre divin ou naturel. Quelques pré-
rôle central des institutions et des orga- curseurs se sont d’ailleurs mis à explo-
nisations, et les comportements psy- rer la manière dont les hommes font
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chologiques des agents dans la conduite l’histoire : Karl Marx évidemment, qui
des afaires économiques. montre que « l’histoire de toute société
Le courant de pensée socio-économique jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la
s’est doté depuis les années 1990 d’une lutte des classes » (Manifeste du parti
assise institutionnelle avec ses associa- communiste, 1848), ou encore Alexis de
tions professionnelles (Society for the Tocqueville et son étude de la démo-
Advancement of Socio-Economics), cratie américaine (De la démocratie en
ses revues (Socio-Economics Reviews), Amérique, 2 vol., 1835-1840). On voit
ses congrès et manuels de référence également se développer de grandes
(R. Swedberg, Histoire de la sociologie enquêtes statistiques et des monogra-
économique, 1993 ; M. Granovetter, phies, comme celles de Frédéric Le
Sociologie économique, 2008). Play, lequel, dans une visée générale-
ment humaniste et hygiéniste, s’inté-
› Institutionnalisme resse aux nouveaux phénomènes de
pauvreté urbaine et tente de les quan-
tiier et de les décrire. Reste que, si les
SOCIOLOGIE prémices sont bien là, aucun de ces
hommes n’ambitionne de fonder une
Née dans les tourments des sociétés nouvelle discipline.
occidentales au xixe siècle, la sociolo- C’est tout le mérite d’Émile Durkheim
gie s’est d’emblée trouvée en prise avec que d’avoir accompli cet efort. Il est en
les grands problèmes de son temps. efet le premier à mettre en évidence la
Multipliant les terrains d’investiga- nécessité d’une sociologie (terme qu’il
tion (la ville, la famille, la communi- reprend à Auguste Comte, qui l’utilise
cation…), elle a vu se confronter des dès 1839) entendue comme une science
approches très diverses, les unes insis- rigoureuse des faits sociaux. Son apport
tant sur les régularités et le poids des principal est d’avoir montré, contre les
déterminations, les autres insistant idées dominantes de son temps, que ces
333
Notions et concepts
faits sociaux (le langage, les normes, la logique se conçoit à l’époque comme
religion) possèdent une nature propre une connaissance pour l’action : il
distincte des faits psychologiques. s’agit d’aider la société à se réformer et
Posant que ces faits sociaux « consistent à résoudre les problèmes qui se posent
en des manières d’agir, de penser et de à elle.
sentir extérieures à l’individu, et qui
sont douées d’un pouvoir de coerci- de l’Europe à l’Amérique
tion en vertu duquel elles s’imposent à La première moitié du xxe siècle sera
lui » (Règles de la méthode sociologique, une période diicile pour la sociologie
1895), il crée un nouveau domaine de européenne. En France, décimée par la
recherche qui, comme les faits de na- guerre, elle perd également sa igure la
ture, peut et doit être soumis à l’inves- plus illustre, É. Durkheim, dès 1917.
tigation scientiique. Prestigieuse, reconnue, mais faible-
En Allemagne, d’autres chercheurs ment institutionnalisée, l’école fran-
contribuent à jeter les bases de la nou- çaise survit à travers quelques igures
velle discipline, mais sans se considérer marquantes. Outre François Simiand,
pour autant comme sociologues. Le qui s’intéresse à la sociologie écono-
plus célèbre d’entre eux est évidem- mique (Le Salaire, l’évolution sociale et
ment Max Weber, qui se présente la monnaie, 1932), on trouve Maurice
comme un économiste mais propose Halbwachs qui prolonge de manière
dans Économie et Société une déinition critique l’héritage durkheimien, en
de la sociologie orientée vers la compré- jetant des ponts vers la psychologie et
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S
Les précurseurs
1800
A. Comte
(1798-1857)
K. Marx
(1818-1883)
A. de Tocqueville
(1805-1859) H. Spencer
(1870-1903)
F. Le Play
(1806-1882)
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Etats-Unis Italie
Les fondateurs
1900
G. Tarde C.H. Cooley V. Pareto
(1843-1904) (1864-1929) (1848-1923)
R. Worms G.H. Mead G. Mosca
(1869-1926) (1863-1932) (1858-1941)
G. Le Bon
(1841-1931)
L’Ecole
allemande
L’Ecole de sociologie
durkheimienne M. Weber L’Ecole
de sociologie (1864-1920) de Chicago
E. Durkheim G. Simmel A. Small
(1858-1917) (1858-1918) (1864-1926)
M. Mauss F. Tönnies W. Thomas
(1872-1950) (1855-1936) (1863-1947)
M. Halbwachs W. Sombart R. Park
(1877-1945) (1863-1941) (1864-1944)
C. Bouglé E. Troeltsch E.W. Burgess
(1870-1940) (1865-1923) (1886-1966)
335
Notions et concepts
une très forte immigration. La ville analyse les « mythes » dont est porteuse
est le lieu de rencontre et de mise en la culture de masse naissante (Les Stars,
tension de tous ces facteurs, et les so- 1957 ; L’Esprit du temps, 1962) ; Jofre
ciologues de Chicago (Robert E. Park, Dumazedier, lui, souligne la mutation
Nels Anderson, William I. homas…) que constitue l’accroissement du temps
partent observer en ethnographes la vie libre et dessine les contours d’une « ci-
des quartiers, des migrants et des com- vilisation des loisirs », tandis qu’Henri
munautés, les phénomènes de margi- Mendras diagnostique La Fin des pay-
nalité, de délinquance et de ségréga- sans (1967).
tion. Une seconde « école de Chicago » La discipline connaît également ses
apparaîtra dans les années 1930, sous premiers coups d’éclat : Alain Girard
la houlette d’Herbert Blumer et Everett montre dès 1959 que, malgré la moder-
C. Hughes, jetant les bases de l’« inte- nisation et la libéralisation des mœurs,
ractionnisme symbolique » qui, sous l’homogamie reste toujours aussi forte
l’inluence de George H. Mead, va s’in- en France. Et, en 1964, Pierre Bourdieu
téresser au rôle de la communication et et Jean-Claude Passeron, en mettant en
de la signiication dans les interactions évidence dans Les Héritiers la dimen-
de face à face. Cette approche va ins- sion symbolique des inégalités devant
pirer une bonne partie de la sociologie l’enseignement supérieur, alimenteront
américaine de la seconde moitié du les slogans de mai 1968.
xxe siècle. Sur le plan théorique, on assiste à une
explosion des paradigmes. En France,
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S
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Notions et concepts
organe, assure une fonction spéciali- nées. Puis enin l’interprétation des
sée. Cependant, pense É. Durkheim, résultats, qui elle, relève d’une analyse
cette solidarité organique, fondée sur postérieure.
la division du travail, est insuisante La critique des sondages d’opinion est
pour assurer la cohésion sociale. Il faut un sport aussi fréquent que leur usage.
rétablir une nouvelle base morale à la Certaines de ces critiques sont plus per-
société. La morale des groupes profes- tinentes que d’autres. « Les sondages se
sionnels (corporations) doit y pourvoir, trompent toujours » est une mauvaise
car ils assurent le lien entre l’individu critique Si le sondage a été construit
et la société dans son ensemble. La selon les règles de l’art, sa iabilité est
morale laïque, l’éducation civique sont plus ou moins grande, mais les erreurs
aussi, pour É. Durkheim, des éléments proviennent souvent de la volatilité de
fondamentaux de cette nouvelle morale l’opinion des sondés – un biais impor-
sociale. tant en période électorale – non de la
faiblesse de l’outil. Quant à l’argument
selon lequel « on peut faire dire ce
SONdAGE qu’on veut aux chifres », cette critique
ne porte que sur l’interprétation des
Le sondage ne sert pas seulement à résultats et non sur la pertinence des
connaître les intentions de vote des données elles-mêmes.
électeurs, c’est une technique utilisée
par les démographes, les sociologues › Enquête
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Jusqu’aux années 1970, la psychologie fard auront plus d’impact sur l’opinion
sociale s’est principalement centrée sur qu’un chifre anonyme (le nombre de
le contenu des stéréotypes en invento- morts par an sur les routes) ou qu’un
riant les traits associés à divers groupes concept abstrait (la violence routière).
sociaux. Inspirée par la psychologie Prenant acte de cette technique nar-
cognitive, son attention se concentre rative courante en journalisme, les
aujourd’hui davantage sur les processus conseillers en communication ont,
cognitifs impliqués dans l’utilisation dans les années 1990, importé la tech-
des stéréotypes (le « stéréotypage »). nique du storytelling dans le domaine
On considère le stéréotypage comme de la politique, du marketing et du
un processus normal, automatique et management.
indispensable pour tout être humain : Dans Storytelling. La machine à fabri-
les stéréotypes permettraient d’une quer des histoires et à formater les esprits
part de gérer la masse d’informations (2008), C. Salmon fait du storytelling
à propos des individus qui nous en- une « arme de distraction massive ».
tourent (par exemple, en catégorisant Le procédé est utilisé par les grandes
un inconnu comme « polytechnicien », marques pour redorer leur blason. Les
on peut lui associer toute une série de hommes politiques y ont recours pour
traits stockés en mémoire – doué en séduire l’électorat, mettant en avant
mathématiques, a fait des études supé- leur vie privée ou des historiettes édi-
rieures – sans devoir « réapprendre » iantes destinées à émouvoir et mani-
toute ces caractéristiques à chaque puler l’opinion.
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Notions et concepts
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Notions et concepts
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la démarche structuraliste possède des des styles de vie (le bourgeois, le par-
signiications précises, mais très difé- venu, le banquier, l’aristocrate, le pay-
rentes d’un auteur à l’autre… san, le professeur, l’écrivain, etc.).
Henri Lefebvre critique lui aussi la dé- Au début du xxe siècle, les sociologues
rive « ahistorique » du structuralisme. allemands vont faire entrer les styles
D’autres auteurs, comme Edgar Morin, de vie dans le domaine des sciences
se déclareront sceptiques sur la volonté sociales. En utilisant la méthode de
d’enfermer le monde dans le cadre de l’idéal-type, Max Weber décrit le mode
quelques lois simples. de vie et la vision du monde prototy-
Mais ces critiques auront sans doute piques du prophète ou du capitaliste
moins d’importance qu’une certaine puritain (Sociologie des religions, 1996,
usure des idées qui va survenir. Après textes parus entre 1910 et 1920).
avoir connu une période faste, la mode Georg Simmel trace des sortes de por-
intellectuelle du structuralisme com- traits-robots de l’« étranger » ou du
mence à s’essouler à partir du milieu « pauvre ». Werner Sombart peint la
des années 1970. Le structuralisme igure typique de l’innovateur ou du
connaît alors son « chant du cygne » bourgeois.
(F. Dosse, Histoire du structuralisme, À la même époque, le psychologue
1991). Alfred Adler propose une conception
du style de vie fondée sur la personna-
lité individuelle. Il le conçoit comme
STYLE dE VIE un système de règles de conduite déve-
loppé par un individu pour atteindre
La notion de « style de vie » est em- ses buts dans la vie.
ployée surtout dans le cadre des études C’est aux États-Unis que les premières
de marketing pour tenter de cerner les typologies empiriques ont vu le jour
catégories de population en fonction dans les années 1960. Les premiers
de leurs attitudes, de leurs valeurs et styles de vie sont alors utilisés dans le
343
Notions et concepts
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T
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Notions et concepts
gauche (la Fraction armée rouge) ou les Pour Gérard Chaliand, le terrorisme
groupuscules d’extrême droite (attentat a une « fonction publicitaire » (faire
de Bologne en 1980), ou encore par connaître la cause, être à la une, etc.)
les palestiniens de l’OLP (attentats de comme dans les détournements d’avion
Munich, 1972) ou à Munich lors des Jeux olympiques
Pour Jean-François Daguzan, (Terro- de 1972. Le terrorisme international a
risme(s). Abrégé d’une violence qui dure, aussi été utilisé par divers États (Syrie,
2006), chaque époque produit son Libye, Irak) comme diplomatie coer-
« démiurge roublard », de Jules Bonnot citive. Avec le terrorisme djihadiste, il
à Oussama Ben Laden en passant par tend, lorsqu’il le peut, à provoquer un
Andreas Baader et Carlos. Le terroriste nombre de victimes élevé. Dans ce cas,
disqualiie toujours la parole, prône il ne s’agit plus seulement d’être vu,
l’action directe, pratique l’inversion des mais d’inliger des pertes à l’adversaire.
valeurs politiques, sociales et morales, la
réiication de l’adversaire et considère sa
lutte comme sans merci ni in. totaLitarisMe
Ce qui est nouveau désormais est la
place importante qu’a prise le phé- La notion de totalitarisme a été utilisée
nomène depuis une cinquantaine pour désigner des types de régimes poli-
d’années à l’ère de la communication tiques nouveaux apparus au xxe siècle :
de masse. L’attentat du 11 septembre le nazisme et le communisme. Ces ré-
2001 contre les Twin Towers de gimes sont marqués non seulement par
Manhattan a été vu en direct par des la dictature d’un parti, mais aussi par la
millions de spectateurs… Le terrorisme monopolisation de tous les moyens de
actuel, transnational, reste cependant pouvoir (idéologiques et militaires) et
assez conventionnel (il recourt aux l’usage de la terreur. Un des traits dé-
explosions spectaculaires comme arme terminants est le poids d’une idéologie
de prédilection). messianique « totalisante » qui prétend
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T
transformer l’homme et créer une nou- pose une déinition à partir de cinq ca-
velle société. Cette idéologie totalitaire ractéristiques du régime : le monopole
se veut révolutionnaire. Elle agit au du parti ; une idéologie absolutiste ; un
nom de la race (nazisme) ou de la classe double monopole étatique des moyens
ouvrière (communisme). Enin, les ré- de force et de persuasion ; la soumission
gimes totalitaires ont mis en œuvre des à l’État des activités économiques ; les
pratiques d’élimination de population liens consubstantiels entre l’État, les
à grande échelle : les camps d’extermi- partis et l’idéologie.
nation nazis, le goulag pour le régime Les politistes américains Carl J.
communiste… Friedrich et Zbigniew Brzezinski
(Totalitarian Dictatorships and
Qu’est-ce qu’un système totalitaire ? Autocracy, 1956) ont proposé une déi-
La notion de totalitarisme, utilisée nition du totalitarisme en six points :
pour la première fois par le dictateur l’existence d’une idéologie oicielle qui
fasciste italien Benito Mussolini, a été porte sur tous les aspects de la vie ; un
introduite ensuite dans le vocabulaire parti de masse unique conduit par un
de la science politique. guide charismatique ; le contrôle poli-
Le terme est utilisé par le philosophe cier de la population ; la monopolisa-
Karl R. Popper dans La Société ouverte tion de tous les moyens d’information ;
et ses ennemis (1945). Il voit le totalita- la direction de l’armée ; le contrôle de
risme comme le mariage de deux dévia- l’économie.
tions idéologiques majeures : l’« histori-
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Notions et concepts
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création assez récente. Il ne fut éla- lation augmente fortement. Elle s’est
boré que bien après l’union de 1707 déroulée en Europe à partir de la deu-
avec l’Angleterre, contre laquelle il est, xième moitié du xviiie siècle pour se
en un sens, une marque de protesta- terminer dans les années 1930-1940, et
tion. » Depuis nombre de travaux sur depuis les années 1960 dans les pays en
les traditions régionales, nationales ont développement.
fait l’objet d’études (D. Dimitrijevic,
Fabrication des traditions, invention de L’exemple européen
modernité, 2004) Jusqu’au milieu du xviiie siècle, l’espé-
L'ancienneté souvent faible des tra- rance de vie est d’environ 25-30 ans.
ditions nationales ou populaires La mortalité infantile étant très élevée,
(quelques dizaines d’années) montre il faut six ou sept enfants par femme
que leurs contenus pouvaient avoir subi pour assurer le remplacement des gé-
des changements importants. nérations. La population n’augmente
La notion de tradition comporterait que dans les périodes fastes, qui sont
donc une part d'illusion entretenue à annihilées par les périodes de famines
des ins symboliques et normatives. En et d’épidémies.
efet, les traditions ne sont surtout pas Première étape. À partir de la seconde
des routines quelconques (telles que moitié du xviiie siècle et au xixe siècle,
se lever le matin et se coucher le soir), la mortalité recule en raison du déve-
mais des savoirs ou des actes porteurs loppement économique, des progrès
de valeur et de signiication pour un de l’alimentation, de la médecine et de
groupe humain particulier. l’hygiène. Dans cette première période,
Le paradoxe est que l’invention des la natalité se maintient ou augmente,
traditions n’échappe donc aux sciences ce qui produit une explosion démogra-
sociales elles-mêmes, qui se prétendent phique. Dans l’Europe du xixe siècle,
pourtant illes de la modernité. La l’accroissement naturel est de 10 à 15
sociologie a sa tradition disciplinaire pour 1 000.
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Notions et concepts
352
T
Le travail est aussi pensé comme une les années 1950, sous l’impulsion
catégorie autonome dès lors qu’il se sé- de Georges Friedmann et de Pierre
pare des autres sphères de la vie sociale : Naville. À ses débuts, elle est mar-
les activités familiales notamment, ce quée par de grandes enquêtes empi-
qui n’est pas le cas à la ferme ou dans riques, dont celle d’Alain Touraine sur
les activités artisanales d’autrefois où L’Évolution du travail ouvrier aux usines
vie de famille et travail sont très imbri- Renault (1955). Très vite, des publica-
qués (« encastrés », dira Karl Polanyi). tions de référence déinissent les cadres
Lorsqu’il faut quitter le domicile pour de rélexion : la revue Sociologie du
aller à l’usine, le travail devient une travail est créée en 1959 et le premier
sphère autonome et peut être pensé Traité de sociologie du travail paraît
comme telle. en 1961-1962 (2 tomes, sous la direc-
Cette conception restreinte du tra- tion de G. Friedmann et P. Naville).
vail (assimilé au salariat) a l’intérêt Le monde de la grande industrie va
d’attirer l’attention sur le processus de imprimer à la discipline ses thèmes et
diférenciation des activités humaines : ses problématiques. Des années 1960
la séparation progressive entre activi- aux années 1980, les grands domaines
tés domestiques et économiques, la d’étude vont concerner : les incidences
division du travail entre propriétaires de la technique sur le travail ; les conlits
des moyens de production et ceux qui sociaux et les relations professionnelles ;
vendent leur force de travail, la divi- la succession des modèles productifs
sion entre la direction et l’exécution, (taylorisme, fordisme, toyotisme et
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etc. Mais cette conception restreinte leurs variations nationales) ; les formes
du travail, assimilée au salariat laisse de cultures et d’identité au travail, ainsi
dans l’ombre le travail du paysan, de que l’étude des relations informelles
l’artisan, le travail domestique et celui qui se nouent entre les salariés.
de l’étudiant dont l’activité s’apparente À partir des années 1980, le secteur in-
bien à un travail, même s’il n’est pas dustriel entre en déclin, le mouvement
rémunéré. ouvrier perd de sa force, les syndicats
se vident et les grands centres indus-
La sociologie du travail triels (sidérurgie, textile, automobile)
La sociologie du travail s’est construite qui avaient été le centre de gravité
autour du monde ouvrier et de la du mouvement ouvrier connaissent
grande industrie. Cette inscription les restructurations et la fermeture de
sociale de la discipline permet de com- sites. Le symbole est la in de Renault
prendre ses thèmes fondateurs, son Billancourt en 1990. La sociologie du
évolution et sa crise actuelle. travail va subir les contrecoups de cette
Aux États-Unis, la sociologie du tra- crise. Ses problématiques tradition-
vail n’existe pas. On parle plutôt de nelles s’eilochent. Les grands débats
« sociologie industrielle » (P. Desmarez, autour du taylorisme et de la division
La Sociologie industrielle aux États- du travail perdent de leur consistance.
Unis, 1986). Le terme est signiicatif : Le morcellement et la « segmentari-
il indique bien que le travail est pensé sation » du monde ouvrier sont deve-
et analysé à partir de l’usine. Qu’en nus un thème majeur de la discipline.
est-il du travail artisanal, de celui des Depuis les années 1990, à la recherche
bureaux, du travail domestique et des d’une nouvelle identité, la sociologie
professions libérales ? À l’époque, ils du travail va tenter de se renouveler en
n’existent pas, en tout cas dans l’uni- abordant de nouveaux domaines. Les
vers mental des sociologues. En France, sociologues commencent à s’intéresser
la sociologie du travail apparaît dans aux professions comme les avocats, les
353
Notions et concepts
354
T
des Indiens des plaines aux tribus des plaines. Histoire, culture, société,
afghanes 1998). Au xixe siècle, plusieurs tribus
Certains anthropologues soutiennent d’Indiens appartenant à la famille lin-
pourtant que la tribu correspond à guistique iroquoise se rassemblèrent
une réalité sociale précisément identi- dans la grande confédération tribale
iable. En terre d’Islam, en Mélanésie des Iroquois.
ou encore chez les Indiens d’Amérique
du Nord, la tribu correspond à une Pratiques néotribales
communauté très concrète. Ainsi chez Dans nos sociétés, des phénomènes de
les Baruya de Nouvelle-Guinée, nous type « tribal » sont identiiés. Ainsi le
dit Maurice Godelier, une tribu porte sociologue M. Mafesoli publie en 1988
un nom et occupe un territoire qu’elle un ouvrage devenu classique, Le Temps
est prête à défendre par les armes si né- des tribus : le déclin de l’individualisme
cessaire. Autre exemple, les Pachtouns dans les sociétés postmodernes, dans lequel
d’Afghanistan considèrent que la tribu il analyse le « retour des tribus » dans
correspond à un nom, à un territoire nos sociétés contemporaines, tribus qui
et à une unité politique, dirigée par se créent et se solidarisent autour du par-
un chef. En Amérique du Nord, les tage d’images et de goûts (pour telle ou
Indiens des plaines (Sioux, Cheyennes, telle musique, par exemple). Le terme a
Comanches, Kiowas, Pieds-Noirs, etc.) fait, depuis, son retour en sociologie.
ont longtemps été organisés en tribus Valérie Fournier, par exemple, a ana-
formées de petites bandes qui se dis- lysé les milieux underground suisses
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U
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Notions et concepts
L’utilitarisme est une doctrine morale (cf. J.-S. Mill, L’Utilitarisme. Essai
développée par les philosophes britan- sur Bentham, 1861) ont fait entrer la
niques Jeremy Bentham (1748-1832) notion d’utilitarisme dans le champ de
et John Stuart Mill (1806-1873). Elle l’économie politique. La vision utilita-
postule que le bonheur des hommes riste de l’homme est celle de l’Homoœ-
consiste dans la meilleure répartition conomicus, qui est à la base de la micro-
du total de leurs plaisirs et de leurs économie contemporaine.
peines. La doctrine utilitariste repose
d’abord sur le principe du « calcul de Critiques de l’utilitarisme
leurs plaisirs et leurs peines » (J. Ben- Les critiques portées à l’utilitarisme
tham). sont de plusieurs types.
Un premier type est méthodologique.
du bonheur personnel au bonheur Les principes utilitaristes seraient tou-
collectif jours vrais et irréfutables. En efet, à un
L’individu agit d’abord en fonction de certain degré de généralité, il est tou-
ses intérêts personnels. Et ses compor- jours possible d’airmer qu’une action
tements étant rationnels, il recherche est guidée par la recherche du seul plai-
une satisfaction maximale pour un sir. Même le comportement apparem-
coût minimal. On a souvent présenté ment altruiste et coûteux, comme celui
l’utilitarisme comme une doctrine qui de la mère qui se sacriie pour sauver ses
relète la morale du bourgeois, égoïste enfants, peut être interprété en termes
et calculateur. Cette vision de l’action d’intérêts. Il suit d’admettre – comme
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Notions et concepts
de vie particulier ou commence à émer- nautés de toutes sortes : elle est le creu-
ger une sociabilité urbaine particulière set des inventions, des créations cultu-
(Y. Grafmeyer, Sociologie urbaine, relles.
2005). Voilà la ville : une sociabilité, La ville est aussi le lieu de la tentation
des lux, des lieux, une unité politique, avec rues commerçantes, ses vitrines,
une histoire, un imaginaire. ses galeries marchandes et super-
marché : lieu de désir et de frustration
Un mode de vie : La ville moderne est (W. Benjamin, Le Livre des passages, éd.
devenue le creuset d’un nouveau genre 1997, Marc Berdet, Fantasmagorie du
de vie. Les premiers sociologues ont capital. L’invention de la ville marchan-
cherché à dégager les traits de cette dise, 2013).
sociabilité urbaine fondée sur l’oppo- La ville est criminogène : en 1939,
sition ville/compagne ou société tradi- Robert L. Faris et Henry W. Dunham
tionnelle/moderne. La ville a été alors (Mental Disorders in Urban Areas,
considérée comme le lieu d’avènement 1939) cherchent à mettre en évidence
d’un homme nouveau (T. Pacquot, l’existence de pathologies mentales très
Homo urbanus, 1990). Ses caractères diférentes selon les quartiers d’habita-
sont changeants puis la ville a été vue tion à Chicago. Preuve, selon eux, qu’il
comme lieu de l’individu déraciné existe un impact de l’environnement
comme celui ou se forme des foules sur la personnalité.
compactes. La ville, c’est le règne la
vitesse et du stress (la « nervosité » Une organisation de l’espace. Le plan
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V
La Ville des lux, 2013) : lux de gens, tion quotidienne, la gouvernance d’une
de marchandises, de biens collectifs, de ville peut impliquer aussi de grandes
déchets, Tout cela demande une logis- ambitions et projets de développement.
tique : réseaux de transport (axes rou- Si la diversité des problèmes, l’imbrica-
tiers, métro, tramway, rues piétonnes, tion des niveaux de responsabilité rend
passages souterrains, gare, aéroport, etc.) particulièrement complexe la gouver-
réseaux de gaz, d’électricité, d’eau. nance d’une ville, le pouvoir municipal
La ville forme aussi un ensemble de est aussi un niveau de pouvoir et de
lieux, avec ses monuments, ses jardins, décision privilégié pour promouvoir
ses quartiers typiques ses immeubles, des projets de développement locaux
ses résidences, ses lieux de prestiges et (B. Jouve, La Gouvernance urbaine en
ses zones reléguées : celle des bidon- question, 2004). D’où une prolifération
villes, favelas, taudis. de rélexions et publication sur la gou-
Elle est un pôle d’attraction pour les vernance urbaine où se mêlent les poli-
activités économiques et les services. Le tiques territoriaux, le développement
géographe allemand Walter Christaller durable, l’innovation, la prospective.
avait imaginé que tout territoire natio- Qui implique sociologues, géographes,
nal devait être constellé de ville bien urbanistes, architectes, paysagistes, res-
répartie comme les mailles d’un ilet. ponsables sociaux. P. Le Galès, « Du
Son schéma de répartition uniforme gouvernement des villes à la gouver-
correspondait bien à la disposition des nance urbaine », Revue française de
villes en Allemagne. Son modèle a été science politique, n° 1, 1995).
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Notions et concepts
absorber tout sur son passage. Elle être naturellement brutal et malfai-
concentre toutes les activités humaines sant, que seule la culture parvient à
et tous ses problèmes. Ce qui la rend dompter partiellement. Dans ce cadre
insaisissable pour des concepts simples théorique, on peut ranger la thèse de
et une grille de lecture unique. Konrad Lorenz sur l’instinct agressif
non ritualisé (L’Agression, une histoire
› Gentriication, Mégapole/ naturelle du mal, 1963) et les théories
mégalopole, Peri-urbain, psychanalytiques sur l’existence d’une
Urbanisation pulsion destructrice (hanatos). La
théorie de René Girard sur la violence
fondatrice, liée au désir mimétique (La
VIOLENCE Violence et le Sacré, 1972), relève de ce
genre d’analyse.
Dans les sociétés humaines, la vio- À l’inverse, tout un pan des sciences
lence prend de multiples formes : celle humaines soutient que la violence est
de la guerre (interethnique, interéta- une afaire de société. C’est le cas de
tique, civile, de conquête), des crimes l’anthropologie culturaliste qui voit
et des actes délictueux (passionnels, dans la violence un phénomène de
politiques, crapuleux), de la violence culture. Ainsi, Ruth Benedict veut
d’État (répression, torture, enferme- montrer que la culture apollinienne
ment), celle plus difuse des rixes et des Indiens pueblos est plus commu-
des bagarres entre individus (en cour nautaire et paciique que la culture dio-
de récréation ou entre bandes), des vio- nysiaque des Indiens des plaines, plus
lences cachées (violence conjugale, viol, passionnés et agressifs (Échantillons de
maltraitance sur enfants), des punitions civilisation, 1934). La psychologie so-
corporelles inligées par le clergé, les ciale penche globalement en faveur des
parents, les éducateurs et autres maîtres thèses sur l’impact du milieu. Les en-
d’esclave… quêtes sur l’inluence (Albert Bandura,
362
V
de la société s’est traduite par une plus violence collective (celle des révoltes
grande civilité : l’apprentissage de la paysannes ou des grèves ouvrières,
politesse, des règles de savoir-vivre, la insurrections qu’on réprimait souvent
régulation des passions. dans le sang).
Les études historiques ultérieures
ont conirmé cette régression histo- Retour de la violence ?
rique de la violence privée. Robert À partir des années 1980, on a assisté
Muchembled, dans La Violence au à une remontée des violences urbaines
village (1989), avait montré que la dans les sociétés occidentales. Elle
brutalité régnait dans les campagnes s’est traduite par une spectaculaire
françaises jusqu’au xviie siècle. Le dé- hausse des crimes dans les villes amé-
pouillement systématique des lettres ricaines, notamment dans les ghettos.
de rémission – par lesquelles les princes En France, la progression régulière
accordaient le pardon pour crime de des actes violents, des années 1950
sang – conduit à un constat sans appel : aux années 1980, a connu ensuite une
la violence était le lot quotidien des accélération.
communautés villageoises. L’historien a Les atteintes contre les personnes (agres-
repéré les motifs et les lieux de conlits sions physiques, menaces, rackets) ont
qui aboutissaient à des crimes de sang. triplé depuis trente ans. Cependant, il
La violence était le fait de toutes les faut préciser qu’elles représentent une
couches de la société. Les hommes part minime de la délinquance : moins
vivaient armés et se battaient souvent de 14 pour 10 000 habitants.
pour des raisons de voisinage, de pa- S’agirait-il d’une remise en cause du
trimoine, de querelle de clochers, de processus séculaire de civilisation des
jalousie, d’honneur blessé, ou plus ba- mœurs ? Certains sociologues le pen-
nalement sous l’empire de l’alcool dans sent, mais la plupart relativisent le
les fêtes populaires. Les conlits se ter- phénomène. La lambée de violence
minaient souvent par mort d’hommes. a régressé aux États-Unis, une fois
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Notions et concepts
siques : lien entre violence et télévision, quatre grands modèles pour expli-
violence des jeunes, violences urbaines. quer les comportements électoraux.
De nouveaux thèmes sont apparus à la Toute élection au sufrage univer-
in des années 1990, accompagnant les sel semble à première vue le résultat
préoccupations de la société envers de d’autant de choix individuels qu’il y a
nouvelles formes de violence : conju- d’électeurs. Or, même si les vainqueurs
gale, sexuelle, scolaire, les guerres d’une élection particulière difèrent à
civiles. chaque fois, ses résultats ressemblent
beaucoup à ceux de celles qui l’ont
précédée. Comment expliquer de telles
VIOLENCE LéGITIME régularités au il du temps dans la ré-
partition des sufrages, sinon par des
« Qu’est-ce que l’État ? » dans une logiques tout aussi permanentes au ni-
conférence de 1919 (Le Savant et le veau des choix des électeurs ? La science
Politique, Plon, 1963) le sociologue politique a distingué de fait quatre
Max Weber écrit : « Le pouvoir poli- mécanismes – non exclusifs les uns des
tique, c’est le monopole de la violence autres – qui inluencent le choix élec-
légitime ». Weber y airme qu’« il faut toral des individus : la géographie, la
concevoir l’État comme une commu- sociologie, l’identiication politique et
nauté humaine qui (…) revendique la rationalité économique.
avec succès pour son propre compte Dis-moi où tu habites…
le monopole de la violence physique La première source de régularité dans le
légitime ». Pratiquement, cela veut dire vote tient à la répartition des électeurs
que seuls les membres de la police ou dans l’espace, à la géographie. Dis-moi
de l’armée ont le droit d’exercer une où tu habites, je te dirai pour qui tu
violence publique (prison, peine de votes. C’est au Français André Siegfried
mort, guerre). Une notion fondatrice que nous devons la première grande dé-
de toute la science politique moderne. monstration en ce sens avec son célèbre
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V
Tableau politique de la France de l’Ouest, tient aussi au fait que les grands partis
paru dès 1913. A. Siegfried indique politiques se sont, respectivement, « so-
que, si les électeurs votent « conser- cial-démocratisés » ou « déconfessiona-
vateur », « républicain », ou « répu- lisés ». Malgré tout, cette ligne d’expli-
blicain avancé », pour reprendre les cation reste valable, surtout si l’on
termes de l’époque, c’est en raison des adapte la notion de « classe sociale »
inluences sociales qu’ils subissent sur aux actuelles conditions de la vie écono-
leur lieu d’habitation. Par cette notion mique – par exemple en tenant compte
d’inluence sociale, il souligne toutes de la détention par certains électeurs
les pressions, économiques ou morales, d’un patrimoine investi sur les marchés
que peut alors subir un électeur rural, inanciers –, ou celle de « religion » aux
aussi bien celles du curé de son village nouvelles manières de croire et aux nou-
que celles du grand propriétaire terrien. velles religions présentes en Europe.
De fait, cette découverte des régularités Dis-moi pour qui ton père votait…
géographiques dans les résultats élec- La troisième source de régularité dans
toraux ne sera jamais démentie par la les choix des électeurs est l’identiica-
suite. tion partisane. Aux États-Unis, dans les
Dis-moi quelle est ta place dans la années 1960, en se fondant sur des son-
société… dages d’opinion, des chercheurs basés à
La deuxième source de régularité dans l’université du Michigan se sont rendu
les choix des électeurs n’est autre que compte que le facteur le plus impor-
le poids de la classe sociale, du sexe et tant du point de vue statistique pour
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Notions et concepts
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sion et airment les droits de la vie, de rien soutient que l’enfance est une
la création, de la pensée, contre le poids notion récente en Occident. Avant les
écrasant d’un système. xvie-xviie siècles, les enfants ne sont pas
conçus comme une période de la vie qui
La condition de l’homme moderne suscite un intérêt particulier. Durant la
Le totalitarisme n’est pas la seule petite enfance, nous explique P. Ariès,
machine à étoufer la vie. Dans ses on s’attachait assez peu à l’enfant, car la
ouvrages suivants, H. Arendt marque mortalité était forte. Puis, rapidement,
aussi un certain pessimisme face à la vie l’enfant des classes populaires était inté-
moderne dans son ensemble : la tech- gré dans le monde des adultes.
nique, le travail mécanisé et la société À partir du xvie siècle, les choses
de consommation ne sont-ils pas aussi changent. Une nouvelle conception mo-
des puissances asservissantes ? rale de l’enfant apparaît alors. Désormais
Avec La Condition de l’homme moderne on voit en lui un être faible et on associe
(1958), H. Arendt tente de cerner la cette faiblesse à son innocence, vrai relet
condition de l’homme comme être de la pureté divine, et qui place l’édu-
agissant sur le monde (la « vita ac- cation au premier plan des obligations.
tiva »). Cette activité humaine prend Par la suite, les travaux des historiens
trois formes principales : le travail de l’enfance ont continué à relativiser
(« labor »), qui est une activité néces- cette opposition entre notre concep-
saire à la survie et est soumis au cycle tion de l’enfance et celle du Moyen
de la vie, à la routine ; « l’œuvre », qui Âge. À l’époque médiévale déjà, il
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est une activité créative, qui s’exprime existait des mères poules et même des
principalement dans l’art, l’artisanat, « papas poules » qui s’attachaient ten-
l’écriture ; l’action politique, qui met drement à leur enfants.
en rapport les hommes entre eux et crée P. Ariès se considérait comme un « his-
un « espace public ». torien du dimanche ». C’est au terme
H. Arendt s’interroge alors sur les d’une carrière professionnelle dans une
liens entre ces trois types d’activité société privée qu’il a intégré l’École des
dans le monde moderne où le travail hautes études en sciences sociales, en
a pris une importance essentielle. Elle 1979.
s’inquiète du fait que le cycle produc- Principaux ouvrages : L’Histoire des
tion-consommation prenne le pas sur populations françaises et de leurs attitudes
« l’œuvre » et l’action politique, sur- devant la vie depuis le XVIIIe siècle, 1948 ;
tout dans le contexte d’après guerre où L’Enfant et la Vie familiale sous l’Ancien
s’airme l’American way of life. Régime, 1960 ; L’Homme devant la
Principaux ouvrages : Les Origines du mort, 1977.
totalitarisme, 1951 (publié en France › Histoire, Mentalités
en trois volumes : Sur l’antisémitisme,
L’Impérialisme et Le Système totali- ARON, RAYMONd
taire) ; La Crise de la culture, 1954 ; La (1905-1983)
Condition de l’homme moderne, 1958. Normalien (compagnon de Jean-Paul
Sartre à l’École normale supérieure),
ARIÈS, PhILIPPE Raymond Aron est l’auteur d’une œuvre
(1914-1984) abondante et multiforme qui porte sur
Philippe Ariès est un de ceux qui, en la philosophie de l’histoire, l’analyse de
France, ont le plus contribué à pro- la société industrielle, les relations inter-
mouvoir l’histoire des mentalités. Dans nationales et l’histoire de la sociologie.
son ouvrage L’Enfant et la Vie familiale Aron fut également un intellectuel en-
sous l’Ancien Régime (1960), l’histo- gagé (une droite éclairée), qui a cepen-
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dant toujours voulu garder une certaine mondiales, l’opposition entre capita-
lucidité, refusant de subordonner sa lisme et socialisme ; une génération qui
pensée à l’impératif idéologique. s’est enlammée pour les idéologies. On
Sa philosophie de l’histoire repose sur fut tour à tour socialiste, paciiste, sur-
un double refus : celui d’un historicisme réaliste, existentialiste, marxiste, struc-
qui enferme l’histoire et la société dans turaliste, etc. R. Aron lui est toujours
des lois implacables, et refus symétrique resté un sceptique. Il était certes libéral,
d’une vision désincarné de l’être hu- mais ne fut jamais un doctrinaire, pro-
main, qui serait libre par essence. Sur le phète d’un « libéralisme » idéologique.
plan sociologique, il est le tenant du plu- L’esprit de système lui est étranger et
ralisme causal (la réalité ne se laisse ja- c’est là une ligne directrice de sa pensée.
mais enfermé dans une logique unique), Principaux ouvrages : Introduction
ce qui le conduit à adopter le pluralisme à la philosophie de l’histoire, 1938 :
interprétatif sur le plan de la méthode L’Opium des intellectuels, 1955 ; 18
(chaque théorie est un point de vue qui Leçons sur la société industrielle, 1962 :
révèle une partie du réel). Paix et Guerre entre les nations, 1962 ;
De là, découle une démarche intellec- La Lutte des classes, 1964 ; Démocratie
tuelle qui consistera toujours à confron- et Totalitarisme, 1965 ; Les Étapes de la
ter les idées, les modèles – particulière- pensée sociologique, 1967 ; Mémoires :
ment celles des grands auteurs (Marx, 50 ans de rélexion politique, 1983.
Tocqueville, Weber, etc.) aux grandes
évolutions du monde contemporain. ARROw, KENNETh J.
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pas convaincante. De même, s’il prend nente dont le monde social fait l’objet,
en compte les phénomènes de difu- ainsi que les capacités des individus à se
sion (des techniques, des cultures) référer à des principes de justice pour
pour expliquer certains faits tech- fonder, dans tous les domaines, des
niques ou culturels, il n’adhère pas compromis acceptables.
pour autant aux thèses difusionnistes Il propose donc de passer d’une socio-
qui ont alors cours en Allemagne et logie critique, qui revendique le mono-
en Angleterre. Très vite devenu la pole de la lucidité sur le monde social,
principale igure de l’anthropologie à une « sociologie de la critique » qui
américaine, F. Boas formera toute une prend pour objet les capacités critiques
génération d’anthropologues. que les individus mettent en œuvre de
Principaux ouvrages : he Mind of façon quasi perpétuelle dans le cours de
Primitive Man, 1911 ; L’Art primitif, la vie sociale. Dans De la justiication
1927 ; Race, Language and Culture, (1991, avec Laurent hévenot), il pro-
1940. posera une typologie des principes de
justice auxquels les personnes peuvent
BOdIN, JEAN se référer lorsqu’ils portent une critique
(1529-1596) ou qu’ils se justiient dans des situa-
Juriste et théoricien du politique fran- tions publiques de dispute.
çais, humaniste, esprit encyclopédique, Dans Le Nouvel Esprit du capitalisme
il écrit des ouvrages philosophiques et (réed. 2011, avec Ève Chiapello), les
économiques dans lesquels l’homme auteurs montrent comment le capita-
tient toujours une place centrale ; on lisme a intégré les valeurs d’autonomie,
lui doit notamment la formule : « Il n’y de créativité et d’initiative au nom du-
a ni richesse ni force que d’hommes. » quel il avait été critiqué – en particulier
Considéré comme le père des théories au moment de mai 1968. Parallèlement
de la souveraineté moderne, qu’il ana- à cette réappropriation de la critique
lyse, dans Les Six Livres de la république « artiste », la critique « sociale » du
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raliser le monde social », dévoiler les Chacun de nous est bien le produit
règles du jeu du monde des intellec- de son milieu et le prisonnier de rou-
tuels, des savants et des penseurs. tines d’actions. Mais nos habitudes et
Dans La Reproduction (avec J.-C. nos routines fonctionnent comme des
Passeron, 1970), P. Bourdieu décrit ce programmes et possèdent des capacités
mécanisme invisible de la sélection so- créatrices et stratégiques dans un milieu
ciale par l’école. Les sociétés d’Ancien donné. La théorie de l’habitus renvoie
Régime transmettaient un rang, un dos à dos deux modèles de l’action
titre et un statut. La société bourgeoise opposés : d’un côté le déterminisme
délivre à ses enfants un capital, un héri- sommaire qui enfermerait nos actions
tage. La République, au nom de l’éga- dans le cadre de contraintes imposées,
lité de tous, a rétabli insidieusement, de l’autre la iction d’un individu auto-
sans le savoir, une nouvelle barrière nome, libre et rationnel.
de classe : celle de la culture, transmise Le « champ » est une autre notion cen-
par le diplôme. L’héritage culturel est trale de la théorie de P. Bourdieu. Le
d’autant plus précieux qu’il n’est pas vi- terme est utilisé à propos du monde
sible. Il est vécu sur le mode du don, de littéraire, artistique, politique, reli-
l’intelligence innée et des idées pures. gieux, médical, scientiique… Pour
Par la suite, le sociologue étendra une fois, P. Bourdieu en a donné une
son analyse de la domination aux déinition assez simple : « Le champ est
pratiques culturelles, dans Un art un microcosme autonome à l’intérieur
moyen (avec L. Boltanski, R. Castel, du macrocosme social. » (Propos sur le
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M. Castells prétend brosser un por- tiques, etc. – sont des piliers constitu-
trait du monde nouveau qui émerge tifs de tout ordre social.
à la in du xxe siècle. Ce nouveau L’un des thèmes dominants de cette
monde tient en une formule géné- pensée foisonnante – qui touche à
rale : « la société en réseau ». Cette la psychanalyse, au fondement de la
nouvelle société résulte de processus démocratie, à la nature du capitalisme
indépendants : la révolution infor- ou à celle de l’Union soviétique – est
matique (économie de l’information, la notion d’« autonomie » du social.
communication en réseau), la réor- L’autonomie des sociétés consiste à
ganisation du capitalisme (lexibilité concevoir l’organisation sociale comme
et innovation technique), la crise de une auto-création. Sur le plan théo-
l’étatisme (déclin de l’État face à la rique, cette auto-institution suppose de
mondialisation) et les transformations penser le social sans recours à des lois
et mutations culturelles (revendica- immanentes (la nature, les lois de l’his-
tion libertaire, féminisme, déclin du toire, les lois économiques). La consti-
patriarcat). Ces processus se com- tution de la société suppose une « auto-
binent pour donner naissance à une gestion » qui permet à la fois l’ordre, la
nouvelle forme sociale marquée par création et la réorganisation consciente
de nouveaux modes de production, de par les hommes eux-mêmes.
communication et de relation sociale. Principaux ouvrages : L’Institution
Une société pyramidale laisse place imaginaire de la société, 1975 ; Les
à une société en réseau, plus luide, Carrefours du labyrinthe, t. 2 : Domaines
plus souple, plus instable aussi. Elle de l’homme, 1986.
s’accompagne de changement dans les
identités des groupes humains. COMTE, AUGUSTE
Principaux ouvrages : L’ère de l’infor- (1798-1857)
mation, 3 vol., 1998-1999 ; La Galaxie A. Comte est le théoricien du positi-
Internet, 2001. visme et l’un des fondateurs de la socio-
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logie. Le positivisme est une philoso- tions propres à l’état normal de l’humanité ;
phie de la science qui accorde aux faits Calendrier positiviste ou Système général
« positifs » la place première dans la de commémoration publique.
connaissance (contre la démarche mé-
taphysique qui ne fait que construire CONSTANT, BENJAMIN
des systèmes de concepts). (1767-1830)
Auguste Comte fut l’assistant de Saint- Homme politique et écrivain français,
Simon. Comme ce dernier, il a vu dans Benjamin Constant, témoin à la fois
l’émergence de la société industrielle et passionné et désabusé des boulever-
l’essor des sciences l’avènement d’une sements politiques de son temps, est
nouvelle ère de l’humanité. Dans son rangé à juste titre parmi les fondateurs
Cours de philosophie positive (1830- de la pensée libérale. Mais sa sensibilité
1842), il envisage le développement de personnelle et son style lui permettent
la pensée humaine comme une succes- de toucher toujours un peu plus loin
sion de trois phases ou « états » : un âge que sa pensée. Il était favorable aux
théologique noyé dans l’esprit magique régimes représentatifs, car il considé-
(pour Comte, ce temps est celui de rait la représentation comme la seule
l’Antiquité et des primitifs) ; un âge forme de liberté que les hommes de son
métaphysique (ou « abstrait ») ; enin, temps pouvaient exercer, faute d’éner-
vient « l’âge positif » qui rejette la re- gie et d’enthousiasme, en se satisfaisant
cherche du pourquoi ultime des choses « d’être représentés et de concourir à
pour considérer les faits et « leurs lois cette représentation par (leur) choix ».
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efectives ». Cette troisième époque est Parmi ses textes les plus connus, citons :
l’époque contemporaine, marquée par Principes de politique applicables à tous
l’essor des sciences et des techniques. les gouvernements représentatifs (1815)
C’est Auguste Comte qui, le premier, a et son célèbre discours « De la liberté
baptisé la nouvelle science de la société des anciens comparée à celle des mo-
« sociologie ». Selon la petite histoire, il dernes » (1819).
avait envisagé d’abord un autre nom :
celui de « physique sociale ». Mais au CROZIER, MIChEL
moment où Comte allait proposer le (1922-2013)
nom de « physique sociale », un savant Michel Crozier est l’un des rares so-
belge, Adolphe Quetelet (1796-1874), ciologues français dont l’audience a
s’empara de ce nom pour baptiser lui- dépassé les frontières de l’Hexagone.
même une discipline dont il est le pro- Fondateur du Centre de sociologie des
moteur : la démographie. Comte joua, organisations, membre de l’Académie
vis-à-vis de la sociologie, plus le rôle des sciences morales et politiques, il
d’architecte que celui de véritable bâtis- a enseigné dans plusieurs universités
seur : il a bâti les plans d’une discipline américaines, notamment à Harvard
sans réaliser de travaux empiriques, et à l’université de Californie. Il est le
ce qui était l’inverse même de l’esprit père de l’« analyse stratégique », expres-
positiviste. Sur la in de sa vie Comte a sion qui désigne à la fois une approche
voulu faire du positivisme une sorte de sociologique spéciique et une méthode
religion laïque de l’humanité. Mais, à d’analyse des organisations. Son œuvre
ce stade, il n’était plus suivi que par de peut se décliner en plusieurs étapes.
rares disciples. Ses premières enquêtes de terrain
Principaux ouvrages : Cours de philo- cherchent à rendre compte du fonction-
sophie positive, 1830-1842 ; Système de nement (et des dysfonctionnements)
politique positive, 1851-1854 ; Synthèse des systèmes bureaucratiques. Dans Le
subjective ou Système universel des concep- Phénomène bureaucratique (1963), il
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un grand succès aux États-Unis. Dans Déconstruire, donc, ce n’est pas réha-
Qu’est ce que la philosophie ? Gilles biliter l’écriture contre la parole, c’est
Deleuze assigne à la philosophie une réfuter l’opposition qui est faite entre
tâche centrale : « créer des concepts ». deux catégories. Beaucoup de dis-
Ce qu’il it notamment avec le concept cours philosophiques et de sciences
de « rhizome », utilisé aujourd’hui pour humaines sont fondés sur une dicho-
penser les réseaux. tomie (nature/culture, corps/esprit,
Principaux ouvrages : Diférence et intelligible/sensible, réalité/apparence,
répétition, 1969 ; La Logique du sens, masculin/féminin). Chaque notion
1969 ; (avec F. Guattari) L’Anti-Œdipe : appartient à un couple et est en fait
capitalisme et schizophrénie, 1972 ; (avec marquée par cette opposition. La dé-
F. Guattari) Mille plateaux, 1980 ; (avec construction est un travail de remise
F. Guattari), Qu’est-ce que la philoso- en cause de ces oppositions. La notion
phie ? 1992. de réalité n’a de signiication que dans
son opposition à la notion d’appa-
dERRIdA, JACQUES rence. J. Derrida appelle la « difé-
(1930-2004) rance », ce principe d’opposition des
Normalien et agrégé de philosophie, termes qui produit les diférences par-
Jacques Derrida a enseigné à l’École ticulières.
normale supérieure, à l’École des hautes La pensée de J. Derrida a inluencé un
études en sciences sociales et aux États- courant de critique littéraire aux États-
Unis. Il a fondé en 1983 le Collège inter- Unis. Relayant le New Criticism, ces
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national de philosophie. Formé à la phé- auteurs ont mis en avant une véritable
noménologie, s’inspirant de Friedrich « éthique de la lecture », qui consiste à
Nietzsche et de Martin Heidegger, il remettre en cause la présupposée cohé-
adopte très tôt une démarche de cri- rence de la pensée de l’auteur et les
tique de la métaphysique en tant que efets de vérité qu’il prétend produire.
discours prétendant au savoir absolu, à la Principaux ouvrages : L’Écriture et la
vérité, à la connaissance ultime de l’être. Diférence, 1967 ; De la grammatologie,
J. Derrida, lui, s’applique à déconstruire 1967 ; Marges de la philosophie, 1972 ;
toute une tradition de pensée occidentale Glas, 1974 ; La Carte postale. De Socrate
qui occulte le rôle médiateur et structu- à Freud et au-delà, 1980 ; Du droit à la
rant que l’écriture peut avoir sur la pen- philosophie, 1990.
sée elle-même. Celle-ci est tributaire de
son support – la voix ou l’écriture –, qui dIAMONd, JAREd
la structure et participe de sa construc- (Né en 1937)
tion. Le monde des idées créé par les Professeur de géographie à l’univer-
humains se présente comme un monde sité de Californie (Los Angeles). Ses
de purs concepts. Mais c’est une illusion ouvrages récents portent sur le destin
de croire que l’esprit accède au sens sans des civilisations. Il s’emploie à montrer
la médiation du langage, parlé ou écrit. comment des facteurs environnemen-
Dès lors, J. Derrida se propose de taux ont une incidence décisive sur leur
mettre en lumière les formes invisibles développement et leur déclin, notam-
par lesquelles l’écriture construit la pen- ment à cause de la surexploitation des
sée. La « déconstruction » est un travail ressources.
de sape de la pensée qui consiste à pas- Principaux ouvrages : De l’inégalité
ser au crible les textes philosophiques parmi les sociétés, Gallimard, 2000 ;
ou littéraires pour montrer comment Efondrement. Comment les sociétés déci-
les « efets de vérité » sont le produit de dent de leur disparition ou de leur survie,
jeux de langage ou d’écriture. Gallimard, 2006.
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sur une distinction entre explication inir comme une anthropologie com-
et compréhension. W. Dilthey oppose parée des modes de pensée, s’organisera
deux méthodes scientiiques : L’« expli- à partir de sa rélexion sur les catégories
cation » (erklären), qui est propre aux de la culture lele.
sciences de la nature. Cette méthode De la souillure (1966) est devenu un
consiste à rechercher les causes d’un classique. En étudiant les interdits du
phénomène en lui recherchant des anté- Lévitique, elle fait connaître à un texte
cédents. Elle procède de façon objective biblique les rigueurs de l’analyse struc-
en établissant des liaisons causales entre turale. Cet ouvrage, qui convoque aussi
phénomènes. Elle vise à dégager des lois. les Nuers des travaux d’Evans-Pritchard
La « compréhension » (verstehen) est une ou les Azandé du Soudan (pour la sor-
méthode propre aux sciences de l’esprit. cellerie), est considéré comme une nou-
L’histoire ne peut se réduire à une simple velle exploration des théories anthropo-
collection de faits et à l’établissement de logiques des rites, religieux ou non.
lois objectives. D’une part, les hommes Au tournant des années 1980,
sont des êtres de conscience, porteurs de M. Douglas reporte son « regard éloi-
culture, de valeurs, de représentations. gné » vers les sociétés modernes et
D’autre part, l’homme étant à la fois centre ses rélexions sur le rapport
le sujet et l’objet de la recherche, la dé- qu’entretiennent nos sociétés avec le
marche des sciences de l’esprit consiste risque et la consommation. L’ouvrage
à reconstituer, par empathie, les motifs Comment pensent les institutions
conscients et le vécu des sujets agis- (1986), paru en français en 2000, est
sants. Alors que l’explication procède issu d’articles publiés dans les années
par analyse (décomposition des causes 1980. M. Douglas le considère comme
en facteurs), la démarche compréhen- une « introduction après coup » de ses
sive adopte une démarche synthétique travaux précédents sur les activités sym-
visant à restituer le sens que les hommes boliques et la logique des catégories de
donnent à leur action. pensée des sociétés humaines.
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les milieux où la communauté est moins soin les problèmes théoriques des pro-
présente (protestants par rapport aux ca- blèmes pratiques, ce n’est pas pour né-
tholiques, célibataires, veufs ou divorcés gliger ces derniers : c’est, au contraire,
par rapport au groupe familial, etc.), le pour nous mettre en état de les mieux
taux de suicide est plus important. résoudre », airme-t-il dans la préface
Pour lui, un comportement apparem- de De la division du travail social.
ment aussi personnel et subjectif que
le suicide est donc lié à l’existence Un père fondateur de la science
de forces sociales. Il en résulte deux sociale moderne
conclusions essentielles dans sa dé- Esprit républicain, Durkheim était ob-
marche. Le rôle de la sociologie est de sédé par le problème de la dissolution
dévoiler le poids que les « contraintes des liens sociaux dans la société indus-
sociales » – souvent invisibles – font trielle (c’était, à l’époque, un des grands
peser sur les comportements indivi- motifs de rélexion des penseurs sociaux
duels. De plus, pour révéler l’existence et des politiques). À l’importance de la
de ces contraintes sociales, il ne faut pas morale au sein de son œuvre s’est ajouté
s’en tenir à la méthode de la psycholo- son intérêt pour le fait religieux qui,
gie introspective. C’est par la méthode selon lui, constituait un des ciments
comparative, qui est aux sciences de de la société : « Dieu, c’est la société »,
l’homme ce qu’est la méthode expéri- airme-t-il dans Les Formes élémentaires
mentale pour les sciences de la nature, de la vie religieuse. Constatant le déclin
que l’on peut aboutir à des conclusions de l’Église, il prônait le développement
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pure et simple multiplication des inter- un fait avéré sur tous les continents.
dits touchant au sexe, à la propreté, à Mais n’y a-t-il pas d’autres façons
la politesse et à l’usage de la violence. d’accéder à la civilisation que de se sou-
Ce n’est pas un simple code, c’est aussi mettre à un pouvoir étatique ? Les récits
une culture. L’évolution des mœurs, des ethnologues, notamment, ne décri-
dans sa partie moderne, est surtout vent-ils pas l’existence de sociétés aux
caractérisée, écrit N. Elias, par une in- mœurs policées en l’absence de pouvoir
tériorisation croissante des normes qui étatique ? D’autre part, certains histo-
rend de plus en plus superlus les méca- riens mettent en doute non pas qu’il y
nismes sociaux de répression. N. Elias, ait des variations dans le niveau de dé-
dans une interview donnée en 1974, cence exigé d’une société à l’autre, mais
donnera un exemple on ne peut plus que ce niveau soit lié, comme dans la
actuel : le quasi-nudisme sur plage, en théorie de N. Elias, à l’émergence des
plein essor, ne marquait-il pas un ren- classes de courtisans et, au-delà, de
versement dans le processus de civilisa- l’État moderne.
tion, un retour à l’impudeur et à la per- La situation actuelle des mœurs révèle
missivité ? Pas du tout, explique-t-il, le plutôt une certaine complexité : pen-
bikini exprime avant tout la libération dant que certaines femmes se dénu-
de la femme, c’est-à-dire l’égalisation dent, d’autres endossent de nouveau
des conditions. Par ailleurs, il suppose, le voile islamique. Comment déceler
de la part de chacun, un contrôle accru une orientation quelconque dans ce
de ses émotions et de ses comporte- qui apparaît comme un beau désordre ?
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ments, ainsi que de nouvelles habitudes N. Elias, lui, répondait que si la société
de conduite : une femme se dénudera contemporaine libère les mœurs, c’est
la poitrine à la plage, mais jamais chez que la répression est devenue inutile :
le coifeur. l’individu est devenu son propre cen-
L’œuvre de N. Elias sur le proces- seur, et il n’est pas devenu libre pour
sus de civilisation, redécouverte dans autant. Cette réponse est-elle satisfai-
les années 1970, a été accueillie en sante ? En tout cas, quoi que l’homme
France avec enthousiasme par des fasse ou ne fasse pas, son comporte-
historiens comme François Furet, ment exprime un même fait, à savoir
André Burguière et Emmanuel Le Roy que la culture est fondée sur l’inhibi-
Ladurie. Elle relétait, en efet, leur tion des instincts.
propre efort pour faire de l’histoire
une science des mentalités. Elle incar- EVANS-PRITChARd, EdwARd E.
nait aussi une sociologie historique et (1902-1973)
inaugurait une forme d’histoire des Élève de Malinowski et de Radclife-
mœurs qui, depuis, a fait école. Brown, Edward E. Evans-Pritchard est
l’une des grandes igures de l’anthropo-
Les critiques logie sociale et plus particulièrement
Du côté des sociologues, l’accueil est de l’école fonctionnaliste britannique,
resté plus sceptique et les critiques sont même s’il s’en démarque par son souci
apparues très tôt. Pourrait-on faire des facteurs historiques.
naître la « civilité » à la Renaissance, Spécialiste des populations sud-sou-
comme si d’autres époques et d’autres danaises de la région du Nil blanc, il
continents n’avaient pas eu des mo- mène à partir de 1926 beaucoup de
ments de civilisation avancée ? Dans recherches de terrain qui donneront
La Dynamique de l’Occident (1939), lieu à de nombreuses monographies. Il
N. Elias s’eforce de montrer que publie Sorcellerie, oracles et magie chez
l’émergence de « sociétés de cour » est les Azandé en 1937 où, refusant l’évolu-
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versel du normatif » avec ses agents que préhender une histoire de la subjecti-
sont le professeur, l’éducateur, le méde- vité à travers les techniques du corps,
cin et le policier. Cette société de sur- c’est-à-dire le gouvernement de soi qui
veillance doit de plus isoler les déviants. règle également les relations à autrui.
L’incarcération est donc l’institution Cette Histoire de la sexualité reste ina-
qui désigne les illégalités qui mena- chevée : M. Foucault meurt du sida
cent l’ordre bourgeois (vols, agressions, en 1984 avant d’avoir pu terminer un
crimes…). En canalisant les délinquants quatrième volet : Les Aveux de la chair.
et en les stigmatisant, elle renforce le
pouvoir des classes dominantes. Une œuvre débattue
Les travaux de M. Foucault ont irrité de
Une « microphysique du pouvoir » nombreux historiens qui lui reprochent
En fait, c’est bien à toute une concep- souvent de prendre ses aises avec l’his-
tion du pouvoir que remet en cause de toire pour la plier à ses problématiques.
la sorte M. Foucault. Le pouvoir n’est Par exemple, dans Les Médecines de la
pas l’attribut d’un groupe de personnes folie (1985), Pierre Morel et Claude
ou d’une classe. Il n’est pas non plus Quétel montrent, à partir d’études
le privilège de l’État. Le pouvoir n’est statistiques, que le « grand renferme-
pas uniquement politique. Il faut, se- ment » dont parle M. Foucault dans
lon M. Foucault, penser en termes de Histoire de la folie n’a pas eu lieu au
« micro-pouvoirs », lesquels sont obser- xviie siècle, mais au xixe siècle. Le point
vables partout, de l’école à la famille, de vue très critique de M. Foucault vis-
en passant par les ateliers, les prisons à-vis des institutions, et notamment
ou l’armée. Là réside également leur du système carcéral ou psychiatrique,
force : le pouvoir est omniprésent et il a lui aussi été très contesté. La thèse
vient de partout à tout moment pour de Surveiller et punir selon laquelle la
favoriser l’ordre public grâce à la sur- prison créerait la délinquance, légiti-
veillance et au dressage. « Il faut sans mant ainsi le pouvoir des classes do-
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minantes, semble ainsi dépourvue de les années 1880-1882 (que Freud n’a
validité scientiique pour le sociologue jamais rencontrée) et dont les troubles
Raymond Boudon. hystériques révéleraient, selon Freud,
Gladys Swain et Marcel Gauchet se un désir incestueux tourné vers le père.
sont pour leur part opposés à l’inter- La talking cure (cure par la parole) pra-
prétation que fait Histoire de la folie tiquée sur Anna serait une nouvelle
de l’asile. Loin d’être l’expression d’un voie thérapeutique, découverte par J.
pouvoir répressif et de l’exclusion de Breuer, presque à son insu. Mais Breuer
l’autre, l’institution asilaire constitue- ne partage pas ces interprétations et les
rait selon eux un projet d’intégration deux hommes vont bientôt se brouiller.
sociale dont la visée s’inscrirait dans Freud est alors engagé sur une voie
l’esprit démocratique. qu’il ne quittera plus. Dans les années
Force est de constater en tout cas que qui suivent, il élabore les principaux
les thèses de M. Foucault ont été à l’ori- concepts de la psychanalyse (le mot
gine de nombreux débats féconds, no- apparaît pour la première fois sous sa
tamment sur les rapports entre savoir plume en 1896) : l’inconscient, la libido,
et pouvoir ou sur la fonction des insti- le complexe d’Œdipe, la technique de
tutions psychiatriques et disciplinaires. l’association libre, la sexualité infantile,
Principaux ouvrages : Histoire de la fo- les mécanismes de défense, etc.
lie à l’âge classique, 1961 ; Les Mots et les
Choses. Une archéologie des sciences hu- L’inventeur de la psychanalyse
maines, 1966 ; L’Archéologie du savoir, En 1896, le mot « psycho-analyse »
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1969 ; Surveiller et Punir. Naissance de est employé pour la première fois par
la prison, 1975 ; Histoire de la sexualité S. Freud, au départ pour désigner une
(3 tomes, 1976-1984). technique thérapeutique, mais qui va
bientôt englober la théorie du psy-
FREUd, SIGMUNd chisme qu’il est en train d’élaborer.
(1856-1939) Chez S. Freud coexistent en fait trois
Après avoir efectué des études de sources principales d’inspiration : les
médecine, Sigmund Freud s’oriente observations de patients ; les inluences
vers la recherche en neurologie, puis théoriques de l’époque, marquées
en psychiatrie. Dans les années 1885- par une nouvelle idée, celle de l’exis-
1886, il vient étudier à la Salpêtrière, tence d’un « inconscient » (sous des
à Paris, où Jean-Martin Charcot mène acceptions diverses, selon qu’elles pro-
ses célèbres études sur l’hystérie. De viennent de philosophes, de psycholo-
retour à Vienne, Freud ouvre un cabi- gues ou de psychiatres) ; enin de son
net de médecine, spécialisé dans les auto-analyse, que S. Freud entreprend
maladies nerveuses. C’est au cours d’un à la mort de son père en 1896.
voyage à Nancy, en 1889, où enseigne Pour lui, les rêves sont la voie royale
le psychiatre Hippolyte Bernheim, qu’il pour accéder aux pulsions incons-
commence à concevoir une nouvelle cientes de la personne. Il commence à
théorie du psychisme. « C’est là que je analyser ses propres rêves – qui compo-
reçus les plus fortes impressions rela- seront, avec ceux de ses patients, le ma-
tives à la possibilité de puissants pro- tériau rédactionnel de L’Interprétation
cessus psychiques, demeurés pourtant des rêves, paru en 1899 – selon les
cachés à la conscience des hommes. » techniques d’association libre. Ce tra-
En 1895, il publie avec Joseph Breuer vail introspectif lui permet d’avancer
ses Études sur l’hystérie. On y trouve no- l’hypothèse du complexe d’Œdipe.
tamment décrit le cas de Anna O, une Au début des années 1900, dans le
jeune femme soignée par J. Breuer dans prolongement de ces premières éla-
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également à réprimer leur agressivité. qu’il va difuser ses thèses sur la mon-
Sans pour autant faire l’éloge du bon naie, plus précisément sur l’inlation
sauvage, S. Freud estime que ce que et la politique monétaire et s’imposer
l’homme civilisé a ainsi gagné en sécu- comme le mentor des recettes libé-
rité, il l’a perdu en bonheur. rales. Quel est le projet de Friedman ?
Réhabiliter la théorie quantitative de
Retour sur Freud et la psychanalyse la monnaie d’Irving Fisher… qui pos-
Aujourd’hui, la psychanalyse est tulait une relation de causalité entre
contestée et supplantée par l’arri- deux variables : la quantité de mon-
vée des nouvelles thérapies, et des naie et le niveau général des prix. La
sciences cognitives. Si Freud reste un relation étant: les variations de la masse
personnage controversé, à l’image des monétaire génèrent des variations sur
afrontements qui subsistent entre ses l’inlation. Autrement dit, les causes
partisans et ses détracteurs, force est de de l’inlation sont toujours monétaires.
constater que la psychanalyse a eu une Pour établir cela, M. Friedman étudie
inluence considérable : le xxe siècle fut les évolutions de la masse monétaire et
freudien (comme tend à le monter le des prix sur la période 1964-1973 aux
livre d’E. Zaretsky, Le Siècle de Freud, États-Unis, l’Allemagne, au Royaume-
2007). Et son œuvre a une une in- Uni et au Japon. Pour les États-Unis, il
luente déterminante y compris sur les se livre même à une étude débutant à la
sciences sociales (P. L. Assoun, Freud et in du xixe siècle.
les sciences sociales, 1997 et Freud et la Ayant constaté une relation statistique
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puis Ronald Reagan, ou ailleurs, au Albert Soboul. Pour lui, l’épisode révo-
Chili après la chute de Salvador Allende, lutionnaire de 1789 (plutôt que la dicta-
ou en Grande-Bretagne sous le gou- ture jacobine de 1793) marque une pro-
vernement de Margaret hatcher. Les fonde rupture qui continuera longtemps
politiques économiques d’inspiration à secouer la vie politique française. Il
monétariste ont certes permis de juguler rompt en outre avec l’idée des marxistes
l’inlation dans les années 1980-1990 qui voyaient dans la révolution bour-
dans de nombreux pays développés… geoise une matrice des autres épisodes
révolutionnaires à venir comme celui de
FURET, FRANÇOIS la révolution russe de 1917.
(1927-1997) Directeur d’études à l’École des hautes
L’historien François Furet fait partie de études en sciences sociales, F. Furet
cette génération de jeunes intellectuels est devenu un historien du politique
de l’après-Seconde Guerre mondiale reconnu.
qui ont adhéré au parti communiste Principaux ouvrages : (avec D. Richet)
(qu’il quitte en 1956). En prenant ses La Révolution française, 2 vol., 1965 ;
distances avec l’univers marxiste, il Penser la Révolution française, 1978 ;
s’éloigne aussi de l’histoire sociale ensei- L’Atelier de l’histoire, 1982 ; La Gauche
gnée par son maître Ernest Labrousse : et la Révolution française au milieu du
« Je n’ai plus partagé l’idée que le social XIX e siècle. Edgar Quinet et la question du
est l’instance qui explique tout. » jacobinisme (1865-1870), 1986
Une grande partie de ses travaux porte Marx et la Révolution française, 1986 ;
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par son style empreint de références nation est le produit de la société indus-
littéraires et philosophiques. trielle. Celle-ci exige une plus grande
C. Geertz a voulu montrer (Ici et là-bas. mobilité et une plus grande polyva-
L’anthropologue comme auteur, 1988) lence des individus, donc une « culture
que la qualité des textes des ethnolo- supérieure » (« high culture »). Le sys-
gues, leur pouvoir de persuasion, tient tème éducatif va permettre de répondre
beaucoup plus à la manière dont ils à ces besoins, tout en construisant une
travaillent leur écriture qu’à la rigueur conscience nationale qui se difusera
de leur méthode ou à la justesse de leur progressivement dans toute la société.
théorie. En ce sens (la culture comme Le nationalisme n’est donc pas un ar-
construction et comme produit litté- chaïsme mais la conséquence même de
raire), C. Geertz a anticipé la critique l’organisation des sociétés modernes.
postmoderniste qui s’est développée à Principaux ouvrages : Saints of the
partir des années 1980. Atlas, 1969 ; Muslim Society, 1981 ;
Principaux ouvrages : he Religion of Nations et Nationalisme, 1983 ; La Ruse
Java, 1963 ; he Interpretation of Culture. de la déraison. Le mouvement psychana-
Selected essays, 1973 (partiellement tra- lytique, 1985.
duit en français, Bali : interprétation
d’une culture) ; Savoir local, savoir global : GIddENS, ANThONY
les lieux du savoir, 1983 ; Ici et là-bas. (Né en 1938)
L’anthropologue comme auteur, 1988. Le sociologue anglais Anthony Giddens
est l’un des principaux théoriciens de la
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puissance par les États dans un contexte les années 1960 : la micro-histoire, qui
d’industrialisation de la guerre). part de l’analyse des stratégies indivi-
duelles pour faire émerger des pratiques
Le conseiller du prince sociales et culturelles.
A. Giddens a par ailleurs été le conseil- › Micro-histoire
ler de Tony Blair, ancien Premier mi-
nistre britannique. Ensemble, ils ont GOdELIER, MAURICE
cosigné un livre (La Troisième Voie, (Né en 1934)
1998) qui expose leur philosophie poli- Maurice Godelier est l’une des grandes
tique. Avec le déclin relatif du travail igures de l’anthropologie française
salarié, l’augmentation de la précarité, contemporaine. Directeur d’études à
les mutations de la famille, l’augmen- l’École des hautes études en sciences
tation des coûts et des risques sociaux, sociales, il a été impliqué dans l’orga-
l’État providence ne peut plus fonc- nisation recherche française en sciences
tionner sur une même base, il faut humaines et sociales. Il a dirigé no-
donc le réformer. Tel est l’horizon de tamment le département des sciences
la « troisième voie » entre libéralisme de l’homme et de la société, dont
et dirigisme. Il faut introduire une part M. Godelier sera le directeur de 1982
de risque et de responsabilité dans la à 1986. En 1995, il crée le Centre de
gestion de l’État providence pour évi- recherche et de documentation sur
ter les efets pervers de l’assistanat et la l’Océanie.
complète « déresponsabilisation ». La À travers ses nombreux ouvrages,
protection de l’environnement – un M. Godelier reprend les grandes inter-
des rôles de l’État providence – sup- rogations de l’anthropologie sociale
pose une certaine gestion du risque française qu’il éclaire d’un jour nouveau
et doit engager la responsabilité des grâce à sa très bonne connaissance de
polueurs comme celle des citoyens. La l’œuvre de Karl Marx. Son anthropolo-
pluralité des logiques à l’œuvre au sein gie est avant tout politique, puisque ses
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Cette domination, grâce à laquelle les scène). Dans ce jeu de rôle perpétuel,
hommes chercheraient à minimiser le il s’agit pour chacun de se mettre en
pouvoir naturel des femmes à enfanter valeur, en posture avantageuse et de ne
et à nourrir les enfants, s’exprime dans pas « perdre la face ». Erving Gofman
des domaines aussi divers que l’écono- étudie donc dans le détail, les « rites »
mie (les femmes sont exclues de tous les de face-à-face.
rapports de production), la parenté (la Ce qu’E. Gofman nomme « les rites
société baruya est patrilinéaire), mais d’interaction », ce sont les règles de po-
aussi la sexualité et même l’idéologie litesse, les façons de se tenir, les gestes
de la procréation (les femmes n’étant protocolaires, les postures qui sont
considérées que comme de simples ré- tournés vers autrui et sont destinés à la
ceptacles, alors que l’homme « nourrit » fois à marquer sa place, sa position et à
l’enfant à naître par son sperme lors des accorder sa considération à autrui. Cela
coïts quand sa femme est enceinte). permet une interaction, la relation so-
À partir de ce travail, M. Godelier cialisée. Pour atteindre ce double objec-
en vient à réévaluer, dans L’Idéel et le tif (auto-airmation et reconnaissance
Matériel (1984), l’idée marxiste du pri- d’autrui), les rites et règles de cérémo-
mat des infrastructures sur les supers- nie quotidienne ont une importance
tructures (selon laquelle l’économie particulière. Ces rituels peuvent être
déterminerait l’idéologie). Selon lui, linguistiques (formules de politesse,
idéologie et économie s’inluencent compliments), gestuels ou spatiaux (la
mutuellement. distance tenue entre personnes, le fait
Par la suite, dans Au fondement des socié- de céder le chemin à quelqu’un…).
tés humaines (2007), M. Godelier sou- Dans Les Rites d’interaction (1967), une
tient que les communautés humaines série d’articles issus de sa thèse, il aine
(des tribus aux nations) sont fondées sa théorie. La déférence et la tenue sont
sur un ordre « politico-symbolique ». présentées comme deux concepts cen-
Ni la parenté, ni l’échange ou le don ne traux des actes cérémoniels. La défé-
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rence peut s’exprimer selon toute une montrent les versions successives et va-
diversité de styles, qui peuvent d’ail- riables d’un mythe, les traditions orales
leurs varier selon les modes. La tenue sont changeantes, en perpétuelle (re)
participe également à la mise en scène création. L’écrit, à l’inverse, introduit
du moi. Un individu qui se « tient la perception du changement, il rend
bien » manifeste sa maîtrise du rituel visible la contradiction, il permet donc
et son degré de socialisation ; celui qui de confronter et de recouper les infor-
se « tient mal » aiche son manque de mations.
civilité ou sa marginalité. Dans La Logique de l’écriture, J. Goody
En conclusion, les règles cérémonielles a mis en évidence les coïncidences his-
remplissent une fonction sociale : elles toriques qui existent entre les usages
peuvent s’insérer dans n’importe quelle de l’écriture et le développement des
interaction sans entraîner aucuns « frais grandes religions, du commerce et des
substantiels ». La fonction du rituel administrations étatiques.
est de faciliter le rapprochement avec
le minimum de risques pour que les Une anthropologie comparative
personnes qui interagissent puissent J. Goody a aussi mené une ambitieuse
« garder la face ». Cette analyse est ina- analyse des rapports entre cultures et
lement assez proche de l’éthologie de la sociétés d’Orient et d’Occident, mon-
communication animale. trant qu’on ne pouvait pas parler à juste
Principaux ouvrages : Stigmates. Les titre d’« exception européenne », que ce
usages sociaux des handicaps, 1963 ; Les soit en termes de spéciicité culturelle,
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1651. Habermas.
Aux origines, selon Hobbes, celle-ci fut Pour Honneth, la société n’est pas un
coniée par les hommes, lassés des dan- agrégat d’individus égoïstes mus par
gers de l’état de nature (« l’homme est le calcul rationnel de leurs intérêts.
un loup pour l’homme »), à un étrange Les hommes ont des attentes morales.
souverain, formé de la volonté de tous, Les mobilisations et les luttes sociales
qu’il surnomme Léviathan – méta- apparaissent alors sous un jour très dif-
phore biblique de la force brutale – férent : elles ne visent pas seulement à
chargé d’assurer leur sécurité, mais sans obtenir des avantages matériels, elles
plus. À travers ce nouveau mythe fonda- sont des « luttes pour la reconnais-
teur enin dégagé de toute connotation sance ». Cette conception de la société,
religieuse ou morale, on peut analyser Honneth l’assoit sur une certaine com-
le pouvoir politique et l’État objective- préhension de l’homme, celle d’un être
ment, en tant qu’institutions humaines. qui pour être épanoui, pour avoir une
relation harmonieuse à lui-même, a
hOBSBAwM, ERIC J. besoin des autres. De leur amour, de
(1917-2012) leur considération, de leur respect, tant
L’historien anglais Eric John dans leur regard que dans leurs juge-
Hobsbawm s’était attaché à décrire ments et leurs comportements.
l’évolution du capitalisme dans les Honneth distingue trois principes de
sociétés modernes et industrielles. reconnaissance dans nos sociétés mo-
L’originalité de Hobsbawn est de s’être dernes, qui déterminent les attentes
réclamé du marxisme tout au long de légitimes de chacun. Dans la sphère de
son œuvre, même si ses anaiyses restent l’intimité, l’amour, qu’il soit familial,
toujours nuancées et ne cède jamais à conjugal ou amical, est indispensable
un déterminisme implacable. Dans pour parvenir à la coniance en soi.
son analyse du xxe siècle, il parle du Dans la sphère des relations politiques
marxisme-léninisme comme d’une et juridiques, le principe de l’égalité
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prévaut : chacun doit avoir les mêmes marque une transition entre les géo-
droits que les autres pour avoir le sen- graphes classiques – explorateurs-en-
timent qu’on le respecte. Enin dans cyclopédistes – et les géographes mo-
la sphère collective, l’individu doit dernes, plus soucieux d’explications.
pouvoir se sentir utile à la collectivité Son œuvre est imposante par sa diver-
et avoir le sentiment que l’on prend en sité et son étendue : minéralogie, géo-
considération sa contribution, que ce logie, botanique, ethnologie, histoire,
soit par son travail ou par ses valeurs. mythologie… il n’est pas un domaine
Principaux ouvrages : La Lutte pour de la géographie physique ou humaine
la reconnaissance, 2000 ; La Société du auquel il n’ait apporté de contributions.
mépris, 2006 ; La Réiication. Petit traité Grand voyageur, esprit encyclopé-
de théorie critique, 2007 ; Les Pathologies dique, il mit à proit une fortune léguée
de la liberté, 2008. par sa mère (il était le ils d’une grande
famille aristocratique prussienne) pour
hUMBOLdT, A. von organiser une grande expédition scien-
(1769-1859) tiique en Amérique centrale. À son
Père fondateur de la géographie mo- retour, A. von Humboldt va publier
derne. Par la rigueur de ses observa- un immense traité de trente volumes :
tions, la place accordée à la rélexion Voyage aux régions équinoxiales du
autant qu’à la description, le souci d’ar- Nouveau Continent (1807-1834). La
ticuler entre eux les éléments et les fac- moisson scientiique de cette expédi-
teurs explicatifs (climat, reliefs, végéta- tion (ainsi que d’autres voyages réalisés
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ne peut répondre à ce déi. En efet, au contraire une peur qui dépiste les
elle est centrée sur les rapports entre dangers de la technique. Cette pensée
les hommes alors qu’il faut désormais de la technique et de l’environnement
songer à nos obligations vis-à-vis de connaîtra un grand succès et aura une
la nature, et elle envisage le présent inluence décisive sur les courants envi-
là où il faut également penser notre ronnementalistes et écologistes.
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4 tomes, 1964, 1967, 1968 et 1971 ; de jeunes, etc. On conçoit qu’il existe
La Potière jalouse, 1985. entre les personnes des phénomènes
d’attraction et de répulsion compa-
LEwIN, KURT rables à des champs de forces. Le but
(1890-1947) de la dynamique des groupes sera donc,
Après avoir fait ses études de psycho- selon K. Lewin, d’étudier explicitement
logie à Berlin dans les années 1910, des champs de forces à l’intérieur des
où régnait alors la psychologie de la petites communautés humaines.
« Gestalt » (ou théorie de la forme),
Kurt Lewin devint professeur et cher- Les trois styles de leadership
cheur dans cette même université de Dans une expérience célèbre, réalisée
1924 à 1935. À l’arrivée du fascisme, à la in des années 1930, K. Lewin et
K. Lewin, qui est Juif, quitte l’Alle- ses collègues, Ron Lippitt et Robert
magne en 1935 pour les États-Unis. W. White, ont cherché à mesurer
C’est là qu’il réalise de nombreuses l’inluence d’un type de direction
expériences sur la motivation, les styles sur un groupe de jeunes garçons de
de commandement, la dynamique des 10-11 ans. L’expérience consiste à for-
groupes. En 1944, il fonde le « Research mer trois groupes dirigés respective-
Center for Group Dynamics » au ment par un leader de style autoritaire
Massachusetts Institute of Technology (il est directif, n’écoute pas les sugges-
(MIT). Il meurt trois ans plus tard, en tions du groupe et prend les décisions
1947. Il a jeté les bases de la psycholo- seul), un leader de style démocratique
gie sociale en laissant derrière lui non (qui écoute le groupe, propose plus
seulement une œuvre théorique, mais qu’il ne commande, suscite l’accord et
aussi en ayant mis la discipline sur la l’adhésion du groupe) et enin un leader
voie de l’expérimentation et formé de de style laisser-faire (qui intervient très
nombreux chercheurs de renom (Leon peu, se contentant au besoin de donner
Festinger, heodore Newcomb…). des conseils). Ayant confrontés ces trois
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gressiste, il était aussi très soucieux de est clair, airme Locke, « que la mo-
l’utilité sociale de la recherche en psy- narchie absolue, considérée par cer-
chologie sociale. tains comme le seul gouvernement
Principaux ouvrages : A Dynamic au monde, est en fait incompatible
heory of Personality, 1935 ; Principles of avec la société civile et qu’elle ne peut
Topological Psychology, 1936 ; Authority même pas, par suite, constituer une
and Frustration, 1944. forme de gouvernement civil ». Pour
lui, « dans tous les États, la première
LOCKE, JOhN et fondamentale loi positive est celle
(1632-1704) qui établit le pouvoir législatif », mais
Philosophe anglais, il est considéré ce pouvoir lui-même reste soumis au
comme l’un des fondateurs du libé- peuple qui l’a créé et qui conserve
ralisme en politique. Il est également toujours « le pouvoir suprême de
l’un des fondateurs de l’empirisme en dissoudre et de changer la législature
théorie de la connaissance. John Locke quand il s’aperçoit que celle-ci agit
n’a encore rien publié lorsqu’il revient d’une manière contraire à la mission
en janvier 1689 d’un exil de six années qui lui a été coniée ».
en Hollande (Secrétaire particulier du
comte de Shaftesbury, il s’est réfugié héorie empiriste de la connaissance
avec ce cernier en Hollande en 1682, Locke est également considéré comme
au moment de la réaction Tory, lorsque le père de l’empirisme. Il critique la
la situation politique devenait dange- doctrine cartésienne selon laquelle il
reuse pour les gens d’opinion modé- existe en l’homme une raison innée, qui
rée). Il a avec lui deux manuscrits : les est source de ses capacités à connaître.
Traités du gouvernement civil, qui paraî- Pour Locke notre esprit est au départ
tront en décembre sans nom d’auteur, comme une page blanche sur laquelle
et un Essai philosophique sur le gouver- viennent s’inscrire les connaissances
nement humain, publié la même année, par l’expérience. Les idées simples nous
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viennent des sens. Pour autant, il n’est 1973), Jean-François Lyotard s’éloigne
pas « sensualiste » : les idées simples se du marxisme et devient le penseur
composent entre elles pour former des de la postmodernité (La Condition
catégories générales. postmoderne, 1979 ; Le Postmoderme
expliqué aux enfants, 1986 ; Moralités
LYOTARd, JEAN-FRANÇOIS postmodernes, 1993). La postmoder-
(1924-1998) nité est déinie comme une époque de
Après avoir fondé le groupe Socialisme l’histoire contemporaine marquée par
ou Barbarie, avec Cornelius la « in des métarécits » de la moder-
Castoriadis et Claude Lefort, avoir nité, c’est-à-dire la croyance en la vertu
dérivé « autour de Marx et de Freud » du progrès, de la raison et de l’avenir
(Dérive à partir de Marx et de Freud, meilleur.
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secret des dérives modernes. Claude façon, son travail de terrain dans une
Lefort, au contraire, considère l’œuvre communauté mélanésienne ne pouvait
de Machiavel comme l’antidote à ces que l’éloigner de toute rélexion histo-
dérives de la politique moderne : au- rique.
delà de la duplicité, de l’usage de la
force, c’est l’autonomie du peuple, dif- Le théoricien et l’homme de terrain
icile et longue, que vise Machiavel, qui Son principal apport méthodologique
contribue par là à faire accepter l’idée est « l’observation participante ». Elle
moderne et laïque de l’État. consiste en une immersion complète
Principaux ouvrages : Le Prince, 1513 dans la population étudiée, dont il faut
Discours sur la première décade de Tite- apprendre la langue, partager la vie
Live, 1513-1520 ; L’Art de la guerre, quotidienne et observer les faits les plus
1521. menus. Cette méthode permet non
seulement de comprendre de l’intérieur
MALINOwSKI, BRONISLAw K. les conduites, mais aussi de distinguer
(1884-1942) les discours et les règles énoncés par le
Anthropologue anglais d’origine polo- groupe des pratiques réelles.
naise (il est né à Cracovie). Avec sa
thèse de doctorat en anthropologie sur Malinowski est un observateur hors
la famille chez les Aborigènes (1913), pair, soucieux du détail. Malinowski a
il prend conscience du rôle central de élaboré une théorie « fonctionnaliste »
la famille dans l’organisation sociale et de la culture. Il critique les interpréta-
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tion. C’est alors que « commence une K. Marx pensait que ces crises devaient
ère de révolution sociale ». Les exégètes s’aggraver au il du temps jusqu’à, ina-
ont beaucoup discuté sur ce qu’il faut lement, devenir insurmontables. De
exactement entendre par « base maté- plus, la paupérisation allait conduire,
rielle de la société », sur la façon dont selon lui, à la révolte des masses. Ici, la
s’articulent les « forces productives » logique économique laisse place à une
et les « rapports de production ». Sur logique sociale : la révolte des opprimés
ce point, les textes de K. Marx sont contre le système.
souvent imprécis, ambigus et variables.
K. Marx professe parfois un détermi- Les classes sociales, l’état,
nisme économique sommaire et une les idéologies
mécanique implacable des lois de l’his- On oppose souvent le Manifeste du
toire. À d’autres moments, il propose parti communiste, dans lequel K. Marx
une vision plus ouverte et complexe de déclare qu’il n’existe que deux classes
l’organisation sociale. fondamentales, et Les Luttes de classes
en France, 1848-1850, dans lequel
La critique du capitalisme il décrit sept classes et fractions de
L’auteur du Capital a voulu à la fois classes diférentes. En fait, il n’y a pas
faire œuvre critique et scientiique. de contradiction, ces interprétations
K. Marx pense mettre au jour des lois n’ayant pas le même statut. Dans le
d’évolution qui minent le capitalisme Manifeste du parti communiste (qui est
et le condamnent à la disparition. un texte de propagande), K. Marx se
La concurrence conduit les capitalistes préoccupe en premier lieu de la lutte
à une accumulation permanente. De entre classes sociales qui met aux prises
cette loi d’accumulation, K. Marx dans la société capitaliste deux classes
déduit plusieurs tendances d’évolu- fondamentales (qui sont toutes deux
tion : la tendance à la mécanisation de porteuses d’un projet historique) : la
plus en plus grande de la production ; bourgeoisie et le prolétariat. Entre les
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K. Marx défend dans certains textes une posée d’articles publiés dans diverses
vision instrumentale. L’État se trouve revues. C’est une œuvre ouverte et non
réduit à un rôle simple, direct et bru- systématique, interrogeant les champs
tal : c’est un instrument aux mains de de la sociologie, de l’ethnologie et de
la classe dominante (la bourgeoisie) des- l’anthropologie. Il faudra attendre
tiné à dominer la classe des prolétaires. 1950 pour que Georges Gurvitch
La police et l’armée sont là d’abord rassemble les principaux articles de
pour mater les insurrections populaires ; M. Mauss dans Sociologie et anthropo-
la justice est au service des puissants… logie. Sociologue en même temps que
L’analyse est peu nuancée. Il faut dire socialiste, il mena une vie politique in-
que K. Marx écrit cela en 1848 en tense, fut l’ami de Jean Jaurès et rédigea
France, à une époque où une répres- de nombreux articles dans L’Humanité
sion sévère s’est abattue contre le peuple ou Le Populaire.
insurgé. Dans d’autres textes, il nuance
ses propos. Pour assurer sa domination, L’inluence de l’oncle durkheim
la bourgeoisie conie la gestion de ses Né à Épinal en 1872 dans une famille de
intérêts généraux à une superstructure rabbins, M. Mauss étudie d’abord la phi-
étatique qui bénéicie d’une certaine losophie à Bordeaux (agrégé en 1893),
autonomie. Parfois, l’État s’élève même avant de rejoindre le groupe de socio-
« au-dessus des classes » pour rétablir un logues réunis par son oncle maternel
ordre social menacé. C’est le cas avec le É. Durkheim, dont il deviendra le pre-
bonapartisme. mier collaborateur. M. Mauss se dis-
On trouve aussi chez K. Marx des élé- tingue cependant d’É. Durkheim en
ments pour une théorie des idéologies, introduisant une dimension anthropo-
de la religion de l’aliénation. Ces théo- logique de cette sociologie naissante.
ries, qui ne sont pas systématisées, vont
donner du il à retordre aux exégètes Le père de l’ethnologie française
marxistes. Contre l’évolutionnisme, M. Mauss nie
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la coupure, très forte à l’époque, entre du « fait social total » à l’« homme
civilisés et sauvages ou barbares. Il sou- total »
ligne l’historicité de toutes les sociétés, C’est l’étude centrée sur l’échange et
même archaïques, et refuse la catégo- le don qui va servir de modèle théo-
rie de mentalité primitive de Lucien rique à la démonstration que les socié-
Lévy-Bruhl. Le paradoxe veut que cet tés sont des totalités fonctionnelles.
« Ethnologue de cabinet », qui n’est ja- Comprendre le don oblige à s’intéresser
mais allé sur le terrain pour observer les à tous les aspects de la vie sociale. Mais
peuples primitifs ait rédigé un Manuel découper la réalité sociale, isoler un élé-
d’ethnographie (1947), dans lequel il ment pour l’étudier n’est qu’un premier
défend la monographie comme mode temps de l’analyse, le but de la socio-
d’étude le plus apte à rendre compte anthropologie de M. Mauss étant de
des diférentes complexités sociales. restituer la dynamique de l’ensemble,
Grand inspirateur des enquêtes de ter- de saisir les réalités dans leur totalité.
rain, M. Mauss a formé une génération Forgée par M. Mauss dans la lignée
d’ethnologues. du fonctionnalisme d’É. Durkheim,
Alfred R. Radclife-Brown et B.K.
Le don et l’échange Malinowski, la notion de « fait social
Le texte le plus célèbre de M. Mauss, total » est centrale dans son œuvre.
« Essai sur le don. Forme et raison de Chaque fait social est total en ce qu’il
l’échange dans les sociétés archaïques » concentre toutes les dimensions (éco-
(L’Année sociologique, 1923-1924), ana- nomique, juridique, religieuse, esthé-
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tir de sources peu iables et interprétées a un sens mais nous ignorons si c’est
de façon partiale. D. Freeman est re- vrai. »
tourné à Samoa et a refait l’enquête. Il Ayant ainsi brocardé les deux attitudes
a rencontré ses interlocuteurs et arrive opposées, Merton s’emploie alors à
à un constat très diférent de celui de montrer l’inluence réciproque de la
M. Mead. L’afaire déclencha une théorie et de la recherche empirique.
grande polémique dans le milieu de
l’anthropologie américaine. Mais Les théories de moyenne portée
M. Mead n’a pu y participer : elle était En ce qui concerne les modèles théo-
décédée cinq ans plus tôt. Mais en 2001, riques, Robert Merton met en garde
l’ethnologue Serge Tcherkezof recueille contre les théories à portée trop géné-
des témoignages actuels des Samoas. Il rale et défend avant tout l’intérêt des
conclut que les critiques de D. Freeman « théories de moyenne portée » (middle
étaient excessives (S. Tcherkezof, Le range theory).
Mythe occidental de la sexualité polyné- Un autre axe des « Éléments » concerne
sienne 1928-1999, 2001). la construction d’une typologie.
Principaux ouvrages : Coming of Merton part d’un exemple : les modes
Age in Samoa, 1927 (trad. fran- d’intégration sociale. En croisant les
çaise partielle Mœurs et sexualité en données empiriques issues d’enquêtes
Océanie) ; Growing Up in New Guinea. et les conceptualisations logiques, on
À Comparative Study of Primitive peut construire cinq types d’adapta-
Education, 1930 ; Sex and Temperament tions individuelles à la société : « le
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que Max Weber, montrant les liens contribue à la créer, Robert K. Merton
entre le protestantisme et le capitalisme décrit le mécanisme de prophétie
naissant, Merton soutenait dans sa autoréalisatrice (self-fulilling prophecy) :
thèse que l’essor des sciences anglaises « La prophétie autoréalisatrice est
pouvait être rapporté, au moins en par- une déinition d’abord fausse d’une
tie, à des valeurs véhiculées par le puri- situation, mais cette déinition erronée
tanisme protestant. En 1942, Merton suscite un nouveau comportement, qui
précisera quelles valeurs véhiculées par la rend vraie. »
le protestantisme sont propices à l’es- Merton en donne de nombreux
prit scientiique. Quatre principes lui exemples. Celui du krach boursier : si
paraissent essentiels : l’universalisme, les détenteurs d’actions imaginent à
qui admet que les connaissances scien- tort que le marché va connaître une
tiiques sont indépendantes des indi- forte baisse et décident de vendre leurs
vidus, de leurs opinions, leur culture, actions, ils précipitent ainsi le marché
leur nationalité ou leur religion ; le à la baisse. C’est donc leur diagnostic
« communalisme », qui défend l’idée qui provoque le krach. Autre exemple,
du partage du savoir au sein d’une la névrose d’échec : si un étudiant est
communauté ; le désintéressement, qui convaincu qu’il ne peut pas réussir à un
suppose que le savant travaille pour examen, le stress et la démobilisation
la connaissance pure, qu’il est intègre pourront le conduire à l’échec efectif.
et honnête vis-à-vis des résultats qu’il Voici un autre cas qu’a développé
avance ; le scepticisme enin, qui est Merton. Dans les syndicats américains,
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de la nature, 1977 ; t. 2, La Vie de la leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur
vie, 1980 ; t. 3, La Connaissance de la organisation, 1991 ; t. 5, L’Humanité de
connaissance, 1986 ; t. 4, Les Idées : l’humanité. L’identité humaine, 2001.
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North est le chef de ile d’un courant Change in Economic History, 1981 ;
de la science économique nommé Institutions, Institutional Change and ;
« New Institutional Economics » (NIE). Economic Performance, 1990.
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La théorie de J. Rawls tolère ces inéga- velle norme morale. P. Ricœur s’inter-
lités tout en justiiant le recours à une rogera aussi sur l’histoire, la iction et
politique de redistribution en faveur des le temps (Temps et Récit, 3 vol., 1983-
plus démunis. Cette philosophie, qui 1985) à travers l’analyse des romans
puise dans la pensée sociale-démocrate, de Marcel Proust, homas Mann et
s’inspire pourtant de la démarche du Virginia Woolf, aboutissant à l’idée
« rational choice ». De nombreuses cri- d’une unité de structure entre le récit
tiques ont été apportées. À sa gauche, de iction et l’histoire racontée. Cette
les communautariens lui ont reproché rélexion contribuera au développe-
de faire de l’individu le socle premier de ment d’une nouvelle historiographie,
la société, alors que ce sont les commu- qui correspond à l’essoulement de
nautés qui sont la cellule de base de la l’école des Annales.
société. À l’inverse, les théoriciens ultra- Principaux ouvrages : Le Conlit des
libéraux (comme Robert Nozick) lui interprétations, 1969 ; Temps et Récit,
ont reproché de justiier des politiques 3 vol., 1983-1985 ; Soi-même comme
sociales qui vont à l’encontre du libéra- un autre, 1990.
lisme. J. Rawls s’est attaché à répondre
à leurs critiques dans Political Liberalism RITTER, KARL
(Le Libéralisme politique, 1993). (1779-1859)
› Justice Karl Ritter occupa la première chaire
de géographie à l’Université de Berlin.
RICARdO, dAVId Le titre de son ouvrage le plus connu,
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charges sans cesse croissantes) qu’une parmi les hommes (1755), le philosophe
crise de légitimité : quelles sont les li- explique d’où vient le mal dont soufre
mites de l’État en matière de garantie l’homme moderne. Prenant pour point
des droits sociaux ? de départ un état originel, dans lequel
P. Rosanvallon est l’auteur d’un trip- l’humanité était innocente, il retrace les
tyque consacré à l’histoire de la repré- étapes du processus de civilisation qui
sentation démocratique en France : ont conduit à la dépravation prévalant
Le Sacre du citoyen (1992), Le Peuple à son époque.
introuvable (1998) et La Démocratie
inachevée (2000). La lutte contre les mauvais penchants
Principaux ouvrages : La Crise de de la civilisation
l’État providence, 1981 Le Sacre du Malgré sa virulente critique de la so-
citoyen, 1992 ; Le Peuple introuvable, ciété, Rousseau n’envisage pas un retour
1998 ; La Démocratie inachevée, 2000 à l’état de nature. Il cherche plutôt les
Pour une histoire conceptuelle du poli- principes d’un ordre social susceptible
tique. Leçon inaugurale au Collège de canaliser les mauvaises tendances
de France, 2003 ; Le Modèle politique de la civilisation. Son œuvre princi-
français. La Société civile contre le jaco- pale, Du contrat social (1762), pro-
binisme de 1789 à nos jours, 2004 ; La pose ainsi les principes d’un nouveau
Société des égaux, 2011. droit politique. Dans la continuité de
Montesquieu et de Voltaire, il souhaite
ROUSSEAU, JEAN-JACQUES préserver la dialectique de la liberté et
(1712-1778) de l’égalité. Il propose ainsi l’idée d’un
Né à Genève dans une famille calviniste, pacte, vrai contrat légitime, que chaque
Jean-Jacques Rousseau vit une enfance citoyen accepterait et qui permettrait à
mouvementée. Orphelin de mère et la volonté générale du peuple d’exercer
abandonné par son père, il fait son ap- sa souveraineté. Cette volonté géné-
prentissage sur le tas, au gré de ses fugues rale est la règle de la conscience, un
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jugement du bien et du mal qui est aussi en garde les hommes modernes
en chaque individu lorsqu’il écarte ses contre l’idée que le progrès suit à faire
désirs égoïstes. Le citoyen dessiné par le naître la vertu et la morale.
Contrat Social accepte de se soumettre L’héritage rousseauiste perdure tout au
à la volonté générale en se persuadant long du xixe siècle dans l’ensemble des
qu’elle est la sienne. sciences humaines. Il remet au goût
Si l’homme peut résister au mal grâce du jour la sensibilité, la rêverie et la
à la politique, il doit pouvoir le faire contemplation de la nature que déve-
dès son enfance, par l’éducation. lopperont les romantiques. Ils s’inspire-
Dans Émile ou De l’éducation (1762), ront de sa critique de la raison et de son
Rousseau tente d’établir une pédagogie naturalisme teinté de spiritualisme. Au
naturaliste qui essaye de prouver que xxe siècle, Claude Lévi-Strauss le consi-
l’homme peut se sortir des mauvais dérera dans Tristes tropiques (1955)
penchants de la civilisation en revenant comme le fondateur de l’ethnologie.
à une éducation naturelle adaptée aux En refusant de comparer l’état de na-
besoins de l’enfant. ture avec les populations primitives de
son époque, Rousseau a rompu avec le
Un héritage marquant mythe du « bon sauvage » et permis à
Rousseau a laissé un héritage marquant. l’ethnologie de se constituer.
Son Contrat social inspirera les révolu- Principaux ouvrages : Discours sur
tionnaires et la Déclaration des droits les origines et les fondements de l’iné-
de l’homme, dont il devient après sa galité parmi les hommes, 1755 ; Lettre
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mort l’un des pères spirituels pour à d’Alembert sur les spectacles, 1758 ;
avoir mis en avant les idées de liberté Julie ou La nouvelle Héloïse, 1761 ;
et d’égalité. La souveraineté appartient Émile ou l’éducation, 1762 ; Le Contrat
au peuple et non à une institution ou social, 1762 ; Les Confessions, 1770 ; Les
un individu particulier. Rousseau met Rêveries du promeneur solitaire, 1782.
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pas toutes les données du problème, mier ouvrage, héorie des sentiments
le nombre de paramètres en jeu ren- moraux, qui a un grand retentisse-
dant impossible un calcul exact de la ment. Dans ce livre, il défend l’idée
solution optimale. Bref, la rationalité que la recherche de reconnaissance et
du sujet est limitée. Pour résoudre de considération est un des besoins
les problèmes, le sujet n’explore donc fondamentaux de l’être humain. Être
pas toutes les solutions possibles pour pris en considération par autrui serait
trouver la meilleure, il s’en tient à « l’espérance la plus aimable » et « le
quelques heuristiques habituelles, des désir le plus ardent de l’âme humaine ».
solutions raisonnables plutôt que tota- Pour A. Smith, la recherche du regard
lement rationnelles. d’autrui est si puissante qu’on est prêt
En introduisant le concept de ratio- à en perdre sa vie : « Les hommes ont
nalité limitée, H.A. Simon invite à souvent renoncé volontairement à la
repenser les liens entre l’économie, les vie, pour acquérir, après leur mort, une
sciences cognitives et les autres sciences renommée dont ils ne pouvaient plus
humaines. jouir. » La recherche des biens matériels
Principaux ouvrages : Administrative est même souvent commandée par le
Behavior : A Study of Decision- regard de l’autre plus que par le besoin :
Making Processes in Administrative « C’est principalement cette attention
Organizations, 1947 ; (avec J.-G. aux sentiments des gens qui nous fait
March) Les Organisations. Problèmes rechercher la richesse et fuir l’indi-
psychologiques, 1958 ; Science des sys- gence. » horstein B. Veblen appel-
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noble, un traumatisme : une grande par- avait débuté longtemps avant, durant
tie de sa famille a disparu dans la tour- l’Ancien Régime.
mente révolutionnaire. Pour autant, le Tocqueville n’était pas un théoricien,
jeune homme ne s’est pas tourné avec mais un in observateur soucieux de
nostalgie vers l’Ancien Régime en espé- comprendre son époque. Ses analyses
rant la restauration d’un ordre ancien. comparatives des sociétés américaine
Car il avait compris que la Révolution et française restent étonnamment éclai-
française et la Révolution américaine rantes près de deux siècles plus tard.
exprimaient un mouvement profond et Aux États-Unis, A. de Tocqueville a
irréversible des sociétés contemporaines : toujours été considéré comme un au-
la montée de la démocratie. teur majeur.
Pour lui, la démocratie n’est pas seule- Principaux ouvrages : De la démocra-
ment un régime politique, c’est d’abord tie en Amérique, 2 vol., 1835-1840 ;
un mouvement global, à la fois social L’Ancien Régime et la Révolution, 1856.
et politique. Sous l’angle social, c’est la
revendication vers l’égalité des condi- TÖNNIES, FERdINANd
tions, c’est-à-dire l’abolition d’une (1855-1936)
société aristocratique dans laquelle le Ferdinand Tönnies est célèbre en socio-
rang dans la société est assigné par le logie pour son livre Communauté et
rang à la naissance. Sur le plan poli- Société, publié en 1887 mais qui sera
tique, c’est le droit pour tous (et non vraiment connu avec sa seconde édition
seulement pour une élite) de participer de 1902. L’auteur y oppose deux types
à la vie publique. de liens sociaux. La « communauté »
Cette revendication démocratique est, – celle de la famille, du village, de la
selon Tocqueville, un mouvement qui communauté religieuse –, dans laquelle
ne peut être arrêté. Elle est perceptible les relations sociales sont marquées par
en Amérique et dans toute l’Europe. la proximité, l’afectivité ainsi que par
Mais sur les deux continents, ce mou- la fusion des activités et des esprits.
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d’un grand déi (« challenge ») à rele- déchifrer. Il n’y a pas chez A. Toynbee
ver. En efet, « la facilité est nuisible à la une contrainte ou un déterminisme de
civilisation ». Les grandes civilisations l’histoire. C’est bien la capacité de rele-
se sont édiiées dans un cadre rude et ver le déi qui va engager les hommes
contraignant, qu’il a fallu combattre. dans la construction d’une civilisation
Ce combat va marquer les traits essen- nouvelle. Cette notion de civilisation
tiels de la civilisation. C’est le cas par qui se forme à partir d’un soule ori-
exemple des États-Unis, qui se sont ginel est équivalente aux « cultures »
édiiés sur un immense continent à d’Oswald Spengler (1880-1936).
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ferme de son père pendant sept ans. classe de loisir, 1899 ; he heory of
Puis il obtient enin un poste à l’uni- Business Enterprise, 1904.
versité de Chicago. › Efet Veblen
À partir de là, il mène une carrière
d’universitaire atypique aux frontières VIdAL de la BLAChE, PAUL
de la sociologie et de l’économie. Ses (1845-1918)
écrits et ses cours sont très critiques et Père de l’école géographique française.
sarcastiques. Son premier livre, héorie Inluencé par les Allemands (Ratzel,
de la classe de loisir (publié en 1899), est Ritter) il s’intéresse aux liens entre mi-
le plus connu. Il y présente une féroce lieux et genre de vie et fonde la géogra-
et corrosive analyse des comportements phie humaine. Il enseigne la géographie
économiques de la classe des rentiers, à la Sorbonne à partir de 1898. Il est
des parvenus et autres inanciers qui l’auteur du Tableau de la géographie de
ont la mainmise sur l’économie amé- la France, 1903.
ricaine. Alors que les classes moyennes Il a soutenu une théorie que l’on
sont mues par l’« instinct » d’artisan, nomme « le possibilisme ». La nature
centrées sur le travail et le désir de bien ne fait qu’ofrir une gamme de possi-
faire, les inanciers, les propriétaires et bilités, mais ce sont les hommes qui
les actionnaires délaissent leur pou- imposent leurs choix. « À tous les
voir aux mains des managers pour se degrés, la nature ofre des possibilités ;
repaître de « consommation ostenta- entre elles, l’homme choisit. La géo-
toire », d’« émulation pécuniaire ». La graphie fournit le canevas, l’homme y
logique de la « consommation ostenta- brode son destin. » Il n’existe pas de
toire » conduit à ce que certaines mar- contraintes absolues du milieu naturel,
chandises de luxe (comme les parfums, mais seulement des potentialités que les
les vêtements, les meubles…) prennent hommes se chargent ou non de mettre
une valeur qui ne dépend pas du travail en œuvre.
incorporé ou de l’équilibre entre ofre › Géographie
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la physique, fondée sur des modèles, lui, le modèle théorique n’était qu’un
des calculs et des démonstrations irré- instrument commode pour raisonner
futables. de façon rigoureuse, mais il ne relétait
Pour cela, L. Walras opère en ingénieur qu’imparfaitement la réalité. « L’état
mathématicien. Il cherche à construire d’équilibre de la production est comme
un modèle théorique du marché, fondé l’état d’équilibre de l’échange, un état
sur quelques hypothèses de base : le idéal et non réel. »
marché est concurrentiel (il n’y a pas Sur le plan pratique, L. Walras n’était
de monopole) : L. Walras parle de pas, comme on peut le croire, un
« régime hypothétique de libre concur- partisan d’un laisser-faire généralisé.
rence absolue » ; il existe des interdé- Esprit contestataire et rebelle, il fut un
pendances entre les marchandises (si le partisan de l’économie sociale (Études
prix de la bière augmente trop, certains d’économie sociale. héorie de la répar-
consommateurs lui préféreront le vin tition de la richesse sociale, 1896). Il a
rouge…) ; les prix peuvent luctuer notamment proposé la nationalisation
librement en fonction de l’ofre et de de nombre de propriétés privées. Il
la demande. fut aussi un farouche défenseur de la
À partir de ce modèle, L. Walras veut nationalisation des chemins de fer, qui
démontrer mathématiquement qu’il relevaient, selon lui, du service public
existe un « équilibre général », c’est- (L’État et les chemins de fer, 1875).
à-dire une situation idéale où tous
les produits trouvent acheteurs sans wALZER, MIChAEL
qu’il y ait ni surproduction, ni sous- (Né en 1935)
consommation, ni crise (ni croissance Michael Walzer est un philosophe
d’ailleurs). Ce point d’équilibre, que engagé. Professeur à l’Institute for
l’on peut trouver mathématiquement Advanced Studies de l’université de
par la résolution d’un système d’équa- Princeton, il fut militant contre la
tion, est, dans la réalité, obtenu par guerre du Vietnam, puis l’un des chefs
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dus dans des communautés d’appar- La science ne saurait fonder les valeurs
tenance concrètes) ni privilégier une qui guident la politique.
seule de ces sphères (ce qui conduirait M. Weber est mort en 1920 en lais-
à une morale strictement communau- sant derrière lui une œuvre abondante
taire). – mais en friche – qui touche à la dé-
Dans Guerres justes et injustes (1977), marche des sciences sociales, à l’histoire
le philosophe s’interroge sur les justii- économique, à la sociologie des reli-
cations morales de la guerre. À quelle gions, etc. Son grand traité Économie et
condition un État démocratique peut-il Société (1922) restera inachevé et sera
s’engager dans un conlit, à l’extérieur publié deux ans après sa mort.
de ses frontières, sans être lui-même
menacé ? Si certaines guerres – colo- Une sociologie de la modernité
niales par exemple – sont injustiiables, Pour M. Weber, la sociologie est
moralement parlant, répond le philo- d’abord une science de l’action sociale.
sophe, d’autres, comme la lutte contre La société est le produit de l’action des
les totalitarismes, sont justes. hommes, qui agissent en fonction de
Principaux ouvrages : Guerres justes et valeurs, de motifs, de calculs rationnels.
injustes, 1977 ; Sphères de justice, 1983 ; Expliquer le social, c’est donc rendre
La Soif du gain, 2010. compte de la façon dont les hommes
orientent leurs actions. « Nous appe-
wEBER, MAX lons sociologie une science qui se
(1864-1920) propose de comprendre par interpré-
Max Weber fait partie de cette généra- tation l’activité sociale » (Économie
tion qui, avec Émile Durkheim (1858- et Société). Armé de cette orientation
1917), Georg Simmel (1858-1918) méthodologique (comprendre l’action
et Ferdinand Tönnies (1855-1936), des agents à partir de leurs valeurs et
va donner corps à la discipline socio- de leur rapport au monde) et de la
logique, lui forger ses outils d’analyse méthode de l’idéal-type, M. Weber
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