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Analyse et vérification des ponts-poutre à l’aide de la méthode des

champs de contraintes

Prof. Dr Aurelio Muttoni, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne


Dr Miguel Fernández Ruiz, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne

1 Introduction fisante selon les normes actuelles. En effet la norme SIA


262 de 2003 est plus prudente que la SIA 162 de 1968
La plupart des ponts de moyenne ou longue portée du
et 1989 pour la prise en compte de la précontrainte. En
réseau autoroutier suisse est constituée de ponts-poutre
outre, la norme de 2003 considère pour la première fois
en béton armé précontraint avec une section en caisson
l’affaiblissement des âmes par la présence des gaines
ou ouverte, voir Figure 1. Dans la quasi-totalité des cas,
de précontrainte.
la précontrainte est disposée dans les âmes et les gai-
nes sont injectées avec du coulis de ciment. L’analyse de la résistance des âmes des ponts dans la
2003
(a) norme SIA 262 est basée sur la méthode de champs
de contraintes. Dans la norme, des formules basées sur
des hypothèses prudentes sont fournies permettant
d’effectuer le dimensionnement des structures nouvelles
de façon simple et du côté de la sécurité. En revanche,
l’application de ces méthodes pour la vérification de
structures existantes peut conduire à une sous-
estimation de la capacité porteuse de la structure et
donc à des renforcements potentiellement inutiles.

Afin d’améliorer l’estimation de la résistance à l’effort


tranchant d’une poutre, des analyses plus raffinées peu-
vent être effectuées, permettant d’exploiter des réserves
de résistance négligées lors du dimensionnement. Ceci
est possible à l’aide du développement des champs de
(b) contraintes plus raffinés. Ces analyses, qui ne s’avèrent
normalement pas nécessaires pour le dimensionnement
des structures nouvelles, demeurent cependant justifiés
pour la vérification des structures existantes, si des ren-
forcements peuvent être évités.

Dans cet article, une démarche possible pour obtenir


des champs de contraintes raffinés selon différents ni-
veaux d’approximation est proposée. La pertinence de
l’approche est validée à l’aide des résultats d’une série
d’essais réalisés en laboratoire sur des poutres de gran-
deur nature, permettant de comprendre l’amélioration de
la précision du calcul pour chaque nouveau niveau
d’approximation. Finalement, un exemple d’application
Fig. 1 Ponts autoroutiers en Suisse: (a) pont à pou- pratique est montré, avec le but de comparer les hypo-
2003
tres précontraints (viaduc de Cantine, Capo- thèses adoptées dans la norme SIA 262 aux valeurs
lago, TI) ; et (b) pont caisson (pont sur la obtenues à l’aide de champs de contraintes plus raffi-
Mentue, VD) nés.
La vérification des ponts existants construits en grande
partie dans les années ’60-’80 montre que souvent la
reprise de l’effort tranchant par les âmes est jugée insuf-

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Analyse et vérification des ponts-poutre à l’aide de la méthode des champs de contraintes

2 Analyse des éléments à âmes minces par l’augmentation de contraintes dans les câbles de la pré-
la méthode des champs de contraintes contrainte. Éventuellement, si la résistance estimée n’est
toujours pas suffisante, des champs de contraintes élas-
tiques – plastiques peuvent aussi être développés (troi-
2.1 Approche par étapes sième niveau d’approximation). Ce dernier niveau
d’approximation requiert normalement un effort de calcul
Différentes approches peuvent être suivies pour la dé- non négligeable et reste seulement conseillé pour cer-
termination de la résistance d’un élément de structure, la tains cas afin d’éviter des renforcements conséquents.
précision obtenue étant normalement fonction du temps
dédié à l’analyse. Une stratégie conseillée pour le di-
mensionnement et surtout pour la vérification de structu- 2.2 Hypothèses de calcul de la SIA 2622003
res existantes consiste à suivre une approche par éta- (premier niveau d’approximation)
pes, dans laquelle chaque nouvelle étape de calcul amé-
liore le degré de précision dans l’estimation de la résis- La résistance à l’effort tranchant des poutres pré-
tance et du comportement de l’élément (Schertenleib et contraintes avec étriers verticaux peut être calculée
2003
al.2003, Muttoni et Fernández Ruiz2010) voir Figure 2. En selon la SIA 262 comme (voir Figure 3 et § 4.3.3.4.3
général, il est conseillé de commencer par des métho- et § 4.3.3.4.6 de la SIA 2622003) :
des simples et prudentes, en augmentant le temps dédié
à l’analyse et en raffinant la précision s’il s’avère néces- VRd  VRd ,s  VRd , p
saire. Asw
VRd  z  f sd cot( )  P sin(  p )
s
Précision
où Asw est l’aire de la section des étriers, s est son es-
III pacement, z le bras de levier de la section, fsd est la
II valeur de calcul de la limite d’écoulement des étriers, 
est l’inclinaison du champ de compression (qui peut être
I choisie librement entre 25° et 45°), P∞ est la valeur de la
force de précontrainte à temps infini (après pertes) et p
Effort d’analyse est l’angle du câble de la précontrainte par rapport à
l’axe de la poutre.
Fig. 2 Approche par étapes (Schertenleib et al.2003) :
amélioration de la précision en fonction de
l’effort d’analyse (niveau d’approximation)
L’application d’une approche par étapes peut être effec-
tuée aisément pour des poutres précontraintes à l’aide
de la méthode des champs de contraintes. Les champs
de contraintes constituent une solution d’équilibre basée
sur le théorème de la limite inférieure de la théorie de la
plasticité et sont adaptés pour le dimensionnement des
éléments en béton armé et précontraint (Muttoni et
al.1997). La méthode des champs de contraintes est par-
ticulièrement avantageuse pour l’analyse des poutres
précontraintes (Fernández Ruiz et al.2006). Elle permet
de reproduire correctement les différents modes de rup- Fig. 3 Champ de contraintes rigide - plastique admis
par la SIA 2622003 pour le calcul de la résis-
ture potentiellement déterminants et fournit à l’ingénieur
tance à l’effort tranchant
une bonne compréhension du comportement structural
de l’élément. La valeur ainsi obtenue ne doit pas dépasser la résis-
tance à l’écrasement du béton, laquelle est estimée sur
Dans un premier niveau d’approximation, il est norma-
lement suffisant de calculer la résistance sur la base de la base du même champ de contraintes selon :
formules de dimensionnement fournies par la norme SIA VRd  VRd ,c  VRd , p
2622003. Ces formules, basées sur des champs de
contraintes rigides – plastiques simples, donnent une VRd  bw  z  k c  f cd sin( ) cos( )  P sin(  p )
estimation prudente de la résistance et permettent de
Où bw est la largeur de l’âme (à réduire éventuellement
détecter les modes de rupture potentiellement détermi-
nants. Si la résistance estimée après ce calcul n’est pas par la présence de gaines de la précontrainte), fcd est la
suffisante, des champs de contraintes rigides – plasti- valeur de calcul de la résistance à la compression du
ques plus raffinés peuvent aussi être développés dans béton et kc est un coefficient pour réduire la résistance à
un deuxième niveau d’approximation. Ceci requiert un la compression selon l’état des déformations transversa-
effort de calcul supplémentaire mais permet d’exploiter les (normalement kc = 0.6 selon § 4.2.17).
certaines réserves de résistance, comme par exemple

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2.3 Révision critique des hypothèses de calcul sures limite fortement sa rigidité et sa résistance au
de la SIA 2622003 cisaillement.

Les formules de dimensionnement de la SIA 2622003 En revanche, les ailes comprimées ont une capacité a
admettent une série d’hypothèses prudentes mais per- priori non négligeable de transmission de l’effort tran-
fectibles. chant. Cette capacité n’est par contre pas considéré
dans la norme.
2.3.1 Valeurs limites de l’angle du champ de
compression
La limite supérieure à 45° est raisonnable et réaliste 2.3 Améliorations possibles par rapport au
(éléments avec grande quantité d’étriers). En revanche, modèle de la SIA 2622003 (niveaux supé-
la limitation à 25° est une valeur prudente pour le di- rieurs d’approximation)
mensionnement tenant compte des conditions de com-
Sur la base des aspects précédents, les améliorations
patibilité raisonnables entre les déformations transversa-
1997 suivantes peuvent être apportées au modèle de la
les et longitudinales de l’âme (Lüchinger ). 2003
norme SIA 262 :
Des valeurs inférieures à 25° pour l’inclinaison du champ
- Utilisation de champs de contraintes rigides – plasti-
de compression peuvent cependant s’instaurer pour des
ques où le champ de compression dans l’âme est
éléments fortement précontraints (Fernández Ruiz et
2006 dévié au niveau des câbles de précontrainte (aug-
al. ) et sont d’ailleurs reconnues par d’autres normes
2004 mentation de la force dans les câbles)
(par exemple 21° pour l’EC-2 ).
- Utilisation de champ de contraintes élastiques – plas-
tiques avec considération des conditions de compati-
2.3.2 Facteur kc, réduction de la résistance à bilité (déformation, fissuration).
la compression du béton
La première approche permet une amélioration au ni-
La réduction de la résistance à la compression du béton veau de la considération de la force dans les câbles, ce
au moyen du coefficient kc est effectuée de façon forfai- qui pour certains cas peut être suffisant.
taire et constante sur toute la poutre. Cette approche ne
La deuxième approche permet, en plus de la considéra-
tient pas compte de l’état réel de fissuration dans les
tion de l’augmentation de la force dans les câbles, le
différentes zones de la poutre (proche de la zone com-
calcul local du coefficient de réduction de la résistance à
primée, proche des gaines de la précontrainte ou proche
la compression (kc). Ceci est possible car des conditions
de la zone tendue), mais mène à des estimations pru-
de compatibilité sont considérées dans le calcul et l’état
dentes de la résistance pour les angles compris entre
de déformations du béton peut alors être évalué locale-
25° et 45° du champ de compression.
ment. De ce fait, la valeur de l’angle de compression
dans l’âme ne doit pas être limitée a priori, car elle est
déterminée par les conditions d’équilibre, de résistance
2.3.3 Force dans les câbles de la pré-
et de compatibilité.
contrainte à la rupture
Pour la détermination du coefficient kc dans un champ
La force dans les câbles de la précontrainte à la rupture
élastique – plastique, les valeurs des déformations
est admise égale à P∞ (si des études détaillés ne sont
transversales (1) du béton dans chaque point de la
pas effectuées). Ceci est à nouveau prudent et découle
structure peuvent être utilisées. Des études à ce sujet
du champ de contraintes admis (champ non dévié au 2006 2009
(Fernández Ruiz et al. , Breña et al. ) ont montré
niveau de la précontrainte). Des expériences en labora-
que la formulation de la réduction de la résistance pro-
toire montrent cependant que les câbles peuvent aug- 1986
posée par Vecchio et Collins est appropriée :
menter leur contrainte avant la rupture à l’aide de dévia-
tions dans la direction du champ de compression au 1
kc   1.0
0.8  170 1
2006
niveau des câbles (Hars , Fernández Ruiz et Mutto-
2008
ni ).
Il est à noter que, du fait que des conditions de compati-
bilité sont explicitement considérées dans la méthode de
2.3.4 Effort tranchant transmis par les ailes champs de contraintes élastiques – plastiques, le champ
de contraintes obtenu à la rupture est compatible avec
Selon le champ de contraintes admis, les ailes supérieu- 2008
un mécanisme de rupture (Muttoni et al. ). Par consé-
res et inférieures n’ont pas la capacité de transmettre de
quent, la charge de rupture obtenue avec cette méthode
l’effort tranchant. Cette hypothèse est raisonnable par
correspond à la solution exacte selon la méthode des
rapport à l’aile tendue, où l’ouverture importante de fis-

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Analyse et vérification des ponts-poutre à l’aide de la méthode des champs de contraintes

champs de contraintes (mécanisme cinématiquement été extraites et testées en laboratoire à la rupture. Ces
admissible avec un champ de contraintes licite en équili- essais ont été effectués pour étudier le comportement et
bre avec les charges). De ce fait, toutes les éventuelles la résistance à l’effort tranchant des poutres du pont
réserves de résistance (comme l’effort tranchant trans- sous divers chargements, dont la configuration type est
mis par les ailes) des niveaux d’approximation précé- montrée à la Fig. 5. Un résumé détaillé des éléments et
dentes sont considérées dans la détermination de la des principaux résultats des essais peut être trouvé sur
2006
résistance. Hars et Muttoni .

3 Exemples d’application
Deux exemples d’application sont présentés par la suite.
Le premier montre les différences entre les niveaux
d’approximation à l’aide d’une comparaison de ses ré-
sultats pour une série d’essais effectués en laboratoire
Fig. 5: Echantillons et disposition type des charges
sur des poutres précontraints. Dans le deuxième exem-
ple, l’application de la méthode des champs élastiques - Le mode de rupture de tous les échantillons a été
plastiques pour la vérification d’un pont caisson est pré- l’écrasement de l’âme avec éclatement de l’enrobage le
sentée, avec une discussion des résultats principaux et long du câble. La fig. 6 montre à titre d’exemple la fissu-
2003
des hypothèses admises par la norme SIA 262 . ration et la zone de rupture pour la poutre SH3 (Hars et
2006
Muttoni ).
(a)
3.1 Poutres précontraintes
Six essais ont été effectués à l’Ecole Polytechnique
Fédérale de Lausanne sur des poutres provenant du
viaduc « Sopra le Cantine » de l’autoroute A2 au Tessin,
Suisse. Ce pont a été construit en 1967 (fig. 4) en utili- (b)
sant des moyens de construction limités et ceci à cause
du positionnement du pont.
(a)

Fig. 6: Rupture type d’une poutre (essai SH3): (a)


vue de la poutre après l’essai; et (b) détail de
la zone de rupture avec écrasement du béton

Une étude sur la résistance et le comportement obser-


vés lors des essais avec les différents niveaux
(b)
d’approximation déjà discutés est décrite dans Fernán-
2006
dez Ruiz et al. et Fernández Ruiz et Muttoni2008. Ces
études comparent la résistance calculée à l’aide des
champs de contraintes :

- Rigides – plastiques non déviés (selon le premier


niveau d’approximation, voir Fig. 7)

- Rigides – plastiques déviés (selon le deuxième


Fig. 4: Poutres du viaduc « sopra le Cantine »: (a) niveau d’approximation, voir Fig. 8)
Construction, Capolago (TI), 1967; et (b) es-
sais à l’EPFL, 2004 - Élastiques – plastiques (selon le troisième niveau
d’approximation, voir Fig. 9)
Pour cette raison, le poids des poutres a dû être réduit
au maximum. Les âmes des poutres, munies de deux
câbles de précontrainte placés dans des gaines de Ø60
mm, avaient seulement une épaisseur de 125 mm. Lors
du remplacement du tablier en 2003, cinq poutres ont

8
(a) P, VP
P 7a,b et 8a,b. La déviation du champ de compression
P
−x [m] VP permet d’augmenter la force dans le câble (activation
8.25 6.06 2.07 par adhérence) et donc d’augmenter l’effort tranchant
(b) qui est repris par le câble de précontrainte (composante
V
verticale de la force).
C
Les résultats du champ de contraintes élastique – plasti-
N T que sont montrés à la figure 9b. Le champ de compres-
sion dans l’âme est dévié au niveau du câble (Fernán-
V 2008
dez Ruiz et Muttoni ), ce qui confirme l’approche des
(c) champs rigides – plastiques déviés. En plus, des estima-
C1 tions plus réalistes de la valeur du coefficient kc sont

TP z obtenues, voir Fig. 9c.
N
C2 VP
V CL
(a)
V Vst Câbles

Fig. 7: Analyse de la poutre SH3 par un champ de N


contraintes non dévié: (a) force de pré-
contrainte (P) et composante verticale de Relative Stresses
Armature

l’effort tranchant reprise par le câble (VP); (b) V V


champ de contraintes résultant; et (c) équili- (b)
bre du sous-système
N
(a) P, VP
Py

P V
P (c)
VP
−x [m]
8.25 6.06 4.89 2.07 1.04

V 0.95/0.90/0.85/...
(b)
C 0.59

N (d)
T
x [feet]
-15 -10 -5 0
Aile 1
sup. Âme
V Âme
0.8
Aile
(c)
V / Vtot [-]

0.6 sup.
C1 Câbles 0.4
0.2 Aile
Ph,1 Vst,1 inf Câbles
N Pv,1 Aile
inf
0
-6 -5 -4 -3 -2 -1 0
C3 Vst,1 x [m]
C2
C1 Fig. 9: Champ de contraintes élastique-plastique
V Pv,1
Ph,1 pour la poutre SH3: (a) modèle de calcul; (b)
Ph,2
C3 Pv,2
C4 V directions principales des compressions (noir
Vst,2 C signifie écrasement du béton) et contraintes
C2
Pv,2
dans les armatures; (c) coefficient kc; et (d) ef-
Vst,2
Ph,2 T
fort tranchant transmis par les différents élé-
C4 ments
V Les valeurs du coefficient kc varient entre 1.0 et 0.59
(d)
C
selon la position du béton dans l’âme, permettant
N
d’améliorer sensiblement la valeur admise pour les
T
champs rigides – plastiques (kc = 0.6 dans toute l’âme,
V considération donc prudente) et donc d’augmenter la
résistance de l’élément. La zone déterminante pour la
Fig. 8: Champ de contraintes dévié pour la poutre rupture (voir figure 6b) est aussi correctement estimée
SH3: (a) force de précontrainte (P) et com- par cette approche (Figure 9c, valeur minimale de kc). Il
posante verticale de l’effort tranchant repris
est également intéressant de noter que cette approche
par le câble (VP); (b) champ de contraintes
adopté; (c) analyse de la zone critique; et (d) permet de considérer la contribution des ailes à la re-
modèle de treillis équivalent prise de l’effort tranchant (Fig. 9d). Celle-ci est particuliè-
rement importante pour l’aile comprimée, ce qui peut
Les différences entre le champ non dévié et le champ
être observé par l’inclinaison de l’effort de compression
dévié peuvent clairement être appréciée dans les figures

9
Analyse et vérification des ponts-poutre à l’aide de la méthode des champs de contraintes

dans la membrure comprimée dans la Figure 9b. Une Lors d’une évaluation préliminaire de la capacité por-
comparaison de la précision des différents niveaux teuse du pont (application de formules de dimensionne-
2003
d’approximation est montrée dans le Tableau 1 (Fernán- ment de la SIA 262 , premier niveau d’approximation),
2006
dez Ruiz et Muttoni ). une insuffisance potentielle de résistance à l’effort tran-
chant avait été détectée dans les âmes à proximité des
Tableau1 : Comparaison des différents niveaux culées et de l’appui central. De ce fait, une analyse raffi-
d’approximation aux résultats des essais (niv.
née de la résistance du pont fut effectuée à l’aide des
I : voir Fig. 7 ; niv. II : voir Fig. 8 ; niv. III : voir
Fig. 9 ; CoV : Coefficient de Variation) champs de contraintes élastiques - plastiques.
(a)
Vtest Vtest Vtest
Essai
VI VII VIII

SH1 1.21 1.07 0.95

SH2 1.06 1.00 1.05

SH3 1.23 1.08 0.96

SH4a 0.92 0.91 0.92

SH4b 1.29 1.28 0.96


(b)
SH5 1.40 1.22 1.02

MOYENNE 1.19 1.09 0.98

CoV 0.14 0.13 0.05

Les résultats montrent des estimations prudentes pour le


premier niveau d’approximation (valeurs au-dessus de
1.0). En moyenne, la résistance est sous-estimée de
19% avec un coefficient de variation des résultats de
14% (valeur acceptable). Cette estimation de résistance
peut déjà être sensiblement améliorée à l’aide d’un Fig. 10 Pont sur la N4 - Mosi : (a) vue en plan et élé-
champ de contraintes dévié (sous-estimation de la résis- vation du pont ; et (b) section transversale
tance de seulement 9%), ce qui montre l’importance de Les résultats de ce calcul raffiné, voir figure 11 montrent
la précontrainte pour la transmission de l’effort tranchant les aspects suivants :
dans ce type de poutres.
1. Des angles inférieurs à 25° (limite proposée par la
Finalement, le calcul avec les champs de contraintes norme SIA 2622003) s’instaurent localement dans les
élastiques – plastiques confirme que les différentes ré- âmes, voir figures 11a,d. Ceci permet d’augmenter
serves de résistance des autres méthodes peuvent être la résistance à l’effort tranchant par rapport aux es-
considérées. Les prédictions correspondent assez fidè- timations de la norme.
lement aux valeurs mesurés lors des essais (2% de
différence en moyenne) avec une grande fiabilité du 2. La valeur du coefficient kc proposée par la norme
2003
calcul (5% de coefficient de variation). SIA 262 pour les âmes des ponts (kc = 0.6) est
atteinte dans certaines zones de l’âme, figure 11c.
En revanche, d’autres zones peuvent avoir des va-
3.2 Vérification d’un pont caisson leurs sensiblement supérieures, ce qui signifie que
les recommandations de la SIA sont réalistes mais
L’application de la méthode des champs de contraintes légèrement prudentes dans ce cas.
élastiques – plastiques est appropriée pour l’analyse de
structures existantes. À titre d’exemple, la figure 10 3. L’inclinaison de la compression dans la membrure
montre la vue en plan, l’élévation et la section transver- comprimée (dalle de roulement dans ce cas) permet
sale d’un pont caisson (N4 Mosi - Hauptstrassenbrücke) de reprendre une partie de l’effort tranchant, voir fi-
avec une forte précontrainte longitudinale. Le pont, gure 11d
construit dans les années ‘60 ne présente pas de signes 4. L’augmentation des forces dans les câbles de pré-
de dégradation ou de manques de résistance évidents. contrainte, figure 11e, permet d’augmenter l’effort
tranchant qu’ils transmettent. La considération de la

10
2003
SIA 262 à ce sujet (utiliser la valeur à temps infi- 1. La méthode des champs de contraintes constitue
ni, négligeant l’augmentation des forces avec la dé- une base rigoureuse et adéquate pour la vérification
formation à la rupture) est par conséquent prudente. de la résistance à l’effort tranchant des ponts pou-
tres

2. Les champs de contraintes utilisés pour le dimen-


(a)
sionnement de structures nouvelles adoptent nor-
malement des hypothèses prudentes. Cependant,
pour la vérification de structures existantes, il est
conseillé de considérer tous les mécanismes de
transmission des charges à disposition, afin
(b) d’obtenir des estimations plus précises de la résis-
tance et ainsi éviter des renforcements inutiles.

3. Une stratégie conseillée pour la vérification de


structures existantes consiste en la détermination
de la résistance par étapes, suivant différents ni-
(c) kc = 0.90, 0.80, 0.70, ... veaux d’approximation. La précision de l’analyse est
grandissante pour chaque nouveau niveau
x= 2 4 6 8
d’approximation, mais le temps à y dédier est aussi
accru.

4. Pour la vérification à l’effort tranchant, un premier


niveau d’approximation peut être un champ de
contraintes rigide – plastique non dévié, tel que pro-
(d) 2003
2 2 2 2 posé dans la norme SIA 262 pour le dimension-
1.6 1.6 1.6 1.6

nement de structures nouvelles. Ce calcul donne


y [m]

y [m]

y [m]

y [m]

1.2 1.2 1.2 1.2

0.8 0.8 0.8 0.8

0.4 0.4 0.4 0.4 une estimation prudente mais relativement correcte
0 0 0 0
0 10 20
 [o]
30 0 10 20
 [o]
30 0 10 20
 [o]
30 0 10 20
 [o]
30
de la résistance et permet de découvrir le mode de
(e)
rupture déterminant

5. La considération de la déviation du champ de com-


pression au niveau des câbles de précontrainte peut
constituer un deuxième niveau d’approximation.
Ceci, peut être aussi résolu à l’aide d’un champ de
2
p = 301 N/mm
contraintes rigide – plastique, et permet de tenir
compte de l’augmentation de la force dans les câ-
Fig. 11 Résultats des champs de contraintes élasti-
bles à la rupture, augmentant l’effort tranchant qu’ils
ques-plastiques pour l’âme du pont critique à
l’effort tranchant (zone d’appui sur la culée) : peuvent transmettre.
(a) directions principales des compressions 6. Pour des cas spéciaux, des analyses avec champs
(noir signifie écrasement du béton) ; (b)
de contraintes élastiques – plastiques peuvent aussi
contraintes dans l’acier d’armature (brun si-
gnifie plastification dans l’armature) ; (c) coef- être effectués. Ceci constitue le niveau le plus raffi-
ficient kc ; (d) angle du champ de compres- né d’approximation, permettant de déterminer la so-
sions ; et (e) augmentation de contrainte dans lution exacte selon la méthode des champs de
les câbles de la précontrainte contraintes et de tenir compte de tous les mécanis-
mes possibles de transmission des charges.

4 Conclusions
Dans cet article, la vérification de la résistance à l’effort
tranchant des ponts poutres autoroutiers est étudiée.
Les principes et la méthodologie d’une approche par
niveaux d’approximation basée sur la méthode des
2003
champs de contraintes compatible avec la SIA 262
sont décrits. Les conclusions les plus importantes de cet
article sont les suivantes :

11
Analyse et vérification des ponts-poutre à l’aide de la méthode des champs de contraintes

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