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Théologie Systématique 3.03/3.

04
2012-2013
Notes de cours
La doctrine de Dieu
Création et anthropologie

3.03 Doctrine de Dieu (Flavien Pardigon / Michel Cochat)


La connaissance de Dieu implique une relation personnelle. Le personnalisme de la Réformation. Le
nom et les attributs et de Dieu ont connus dans l’alliance. Exemple : l’amour et la justice. La
doctrine biblique de la Trinité.

3.04 Dieu et l’homme (Flavien Pardigon / James Eglinton)


Le plan de Dieu, la prédestination et la providence. L’œuvre de Dieu dans la création, la création de
l’homme, la chute et la doctrine du péché. La création maintenue à cause de la grâce commune.

Ce polycopié est destiné à l’usage des étudiants de la Faculté et non à une distribution
non-autorisée par photocopie ou internet
A. La doctrine de Dieu

Introduction 2

I. L’incompréhensibilité de Dieu 3

II. Les noms de Dieu 11

III. Noms et attributs de Dieu 14

IV. L’Etre de Dieu et ses attributs 18

V. La doctrine biblique de la Trinité 30

VI. Trinité immanente et économique: discussion théologique des personnes 35

VII. Les relations trinitaires 43

VIII. La Trinité et la vie de l’homme 50

IX. Les actes de Dieu 53

X. La doctrine biblique de l’élection 57

XI. L’élection et l’universalisme du salut 82

XII. La création 90

B. La doctrine de l’homme

Introduction 101

I Origine de l’homme 103

II La nature de l’homme 108

III Etat originel de l’homme 114

IV La chute, révolution contre Dieu 121

V Le problème du péché 125

VI La solidarité dans le péché 134

VII Le péché et la liberté humaine 143

VIII Le problème du mal 145

IX L’image de Dieu dans la théologie moderne 163


Introduction

Connaître Dieu, c’est être en alliance avec lui. Tous les hommes ont conscience de l’existence de
Dieu que ce soit de façon positive ou négative, car Dieu est en alliance avec l’humanité entière. Tous les
membres de celle-ci n’observent pas l’alliance de Dieu; ce faisant, ils se rebellent contre lui. Mais Dieu
rachète son peuple, il se révèle dans l’Ecriture, il grave sa loi sur les cœurs par l’œuvre de son Esprit.
Le peuple de Dieu le connaît par l’Ecriture ; il connaît le seul vrai Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Il
connaît son caractère et les attributs qui expriment ce caractère. Etant en alliance avec lui, son peuple sait
que les questions concernant Dieu doivent être étudiées selon l’Ecriture. Dieu ne se révèle pas pour satisfaire
notre curiosité (Jr 9.23s; 1 Co 1.30s). La vocation chrétienne est de faire honorer en tout la doctrine de Dieu»
(Tt 2.10) «afin d’annoncer ses vertus » (1 P 2.9 ; 2 P 1.3).
L’étude de la doctrine de Dieu n’a pas pour objet d’établir une liste de faits relatifs à Dieu, mais de
mettre en rapport avec le Seigneur de l’alliance. Nous voulons connaître Dieu pour le servir. Mais qui
cherchons-nous à connaître? Dieu nous dépasse tellement; nous parlons de celui qui est incompréhensible.
Tel est le Dieu que nous cherchons à connaître. Avant de parler de Dieu, il faut évoquer son
incompréhensibilité.
Ce cours traite de la doctrine biblique de Dieu. Il ne porte pas sur la question de Dieu telle que les
philosophes la posent. Le Dieu d’Abraham est celui qui nous intéresse , non celui des philosophes. Ce Dieu
est absolu et personnel, incompréhensible et, cependant, connu.
La philosophie, qui n’a pas de point de départ biblique, tend à absolutiser un de ces aspects au
détriment de l’autre. Ainsi le Dieu du déisme est absolu, mais ne s’intéresse pas à nous personnellement; le
Dieu du panthéisme est accessible à l’homme, mais non absolu dans sa transcendance. L’aspect transcendant
de Dieu est masqué par sa manifestation, ou l’image personnelle prend le pas sur la transcendance. Dans les
deux cas, le mystère de Dieu se trouve émoussé, car Dieu est à la fois absolu et connu. Le mystère, c’est que
nous connaissons Dieu comme l’incompréhensible. Cette connaissance est au cœur de la théologie réformée
et revêt deux caractères:
– Elle s’accorde avec les limites de nos formulations humaines. L’hérésie dans l’Eglise et en dehors
d’elle surgit dès qu’on veut dire trop sur Dieu afin de le mettre à notre portée. En parlant de Dieu, nous
devons veiller à ne pas aller au-delà de ce que Dieu nous révèle de lui.
– Elle stimule l’adoration de ce Dieu si grand, en méditant sur ce que nous savons de lui. Cette
connaissance du Dieu incompréhensible, c’est la vie éternelle (Jn 17.3).
Mais comment l’homme peut-il dire quoi que ce soit au sujet de Dieu qui est infiniment élevé au-
dessus de sa créature? Notre recherche biblique commence avec cette question.

I. L’incompréhensibilité de Dieu

A. Le mot
«Incompréhensibilité» est un mot classique de la théologie chrétienne, dérivé du latin
incomprehensibilis, correspondant au mot biblique en mispar (rpsom Nya) utilisé seulement dans le Psaume
147.5 à propos de Dieu.
Dans la théologie réformée, le mot est utilisé dans deux sens:
– Pour se référer à l’immensité de Dieu (1 R 8.27): l’aspect métaphysique.
– Pour indiquer que Dieu n’et pas compréhensible par nous. Cet aspect épistémologique a deux sens:
• Nous ne pouvons pas avoir une perception intelligente, entière de Dieu, parce que Dieu et son
conseil nous dépassent, et qu’ils ne nous sont pas totalement révélés. Impossible donc de saisir la portée
totale des actions de Dieu. Aussi Calvin parle-t-il de la volonté de Dieu, qui est secrète, incompréhensible.
• Le plus souvent, incompréhensible veut dire que nous ne pouvons pas comprendre Dieu
complètement. Nous sommes limités dans notre compréhension et notre connaissance à son sujet. Tel est le
sens du terme «incompréhensible ». Dieu n’est pas incompréhensible comme l’agnosticisme ou le
scepticisme le pense. La connaissance que nous avons de Dieu nous enseigne que Dieu est incompréhensible
par ses créature qui, dans la foi, acceptent les limites de leur connaissance. Etre en alliance avec Dieu, c’est
reconnaître qu’il nous dépasse et qu’il est incompréhensible dans son être, sa volonté et ses œuvres.

B. L’enseignement biblique
L’Ecriture, en énonçant des constatations positives au sujet de la personne de Dieu, reconnaît que ses
perfections sont incompréhensibles pour l’homme. Aucune limite ne peut être fixée à la grandeur des
perfections divines, aucune démarche intellectuelle n’est susceptible d’éliminer l’incompréhensibilité de
notre connaissance de Dieu :
– Exemple des Psaumes 145.3 «Sa grandeur est insondable» et 147.5 «Son intelligence n’a pas de
limite». Ces expressions indiquent, de façon positive, la grandeur et la gloire de Dieu (cf. Ps 147.1-5a). C’est
en considérant cette gloire que nous pouvons comprendre que Dieu est insondable et qu’il n’a pas de limites.
L’incompréhensibilité de sa grandeur est un aspect de la gloire de Dieu.
Psaume 139.7. Dans ce passage, David parle de l’omniprésence divine. L’Esprit créateur ne se limite
pas à la réalité créée. David perçoit la profondeur du mystère de Dieu. Il comprend que Dieu le dépasse dans
sa gloire et que l’homme ne peut pas pénétrer le mystère de l’incompréhensibilité.
– Romains 11.33-36. Que veut dire Paul quand il utilise l’expression «voies insondables de Dieu»? Il
ne décrit pas le conseil de Dieu, mais son plan concernant Israël, sa volonté qu’il réalise dans l’histoire pour
accomplir le salut de son peuple. Tout Israël sera sauvé: tel est le thème de ce chapitre. Ici,
l’incompréhensibilité divine se place dans le contexte de la révélation même de la gloire de Dieu et de son
conseil. C’est précisément dans la révélation de Dieu que nous comprenons qu’il est incompréhensible. C’est
pourquoi, il est impossible de parler de l’incompréhensibilité divine en dehors de la foi en la révélation.

Résumé
Dans la révélation, nous reconnaissons que c’est Dieu l’incompréhensible qui se révèle à nous. Dieu
est, à la fois, insondable et personnel quand il se révèle de cette façon. Ainsi, dans la révélation biblique, le
caractère absolu de Dieu et son unité sont maintenus côte à côte. Dans des systèmes de pensée autre que le
théisme biblique, une de ces caractères se trouve mis en relief au détriment de l’autre. Ainsi le déisme
maintient l’aspect absolu, mais néglige l’unité personnelle de Dieu. Dans le polythéisme, l’absolu est aboli
en faveur de représentations visibles de la divinité.

C. Développement de la doctrine
1. Définition
L’incompréhensibilité de Dieu nous enseigne que nous ne pouvons pas connaître Dieu de façon
complète. L’infinité de Dieu échappe à notre compréhension. Nous ne pouvons pas connaître Dieu comme
lui-même se connaît. Son «auto-connaissance » est proportionnée à son être, sa gloire, son conseil. Elle est
sans borne, car Dieu lui-même est sans borne. La connaissance que Dieu possède de lui-même est donc
unique et exclusive. Notre connaissance du Dieu Créateur et transcendant est toujours «créaturelle » et
dépendante; elle est néanmoins réelle. Voir Calvin, Institution I.10.3 : les attributs de Dieu ne nous donnent
pas une description de Dieu en lui-même, mais celle de ce qu’il est envers nous. Plus loin, Calvin dit, en
III.2.6, que nous ne devons pas nous occuper de savoir comment est Dieu ne soi, mais de ce qu’il est envers
nous. Notre désir de connaître Dieu est voué à l’échec si nous cherchons à connaître Dieu dans les
profondeurs de son Etre ou dans la profondeur de l’Etre (Tillich!). Nous connaissons Dieu dans la mesure où
il lui plaît de se manifester à nous.

2. L’incompréhensibilité et les attributs de Dieu


L’incompréhensibilité n’est pas un attribut spécifique de l’Etre et de l’auto-connaissance de Dieu
(comme sa sainteté et son amour). Dieu n’est pas incompréhensible pour lui-même et les personnes de la
Trinité ne sont pas incompréhensibles les unes pour les autres. L’incompréhensibilité n’est pas un attribut de
Dieu. «Son Etre est sans limite, étant purement Etre, il est infiniment intelligible et donc seulement
compréhensible à une intelligence infinie.»
En 1 Corinthiens 2.10s, nous lisons que la connaissance de l’Esprit n’a pas de bornes; Dieu n’est pas
incompréhensible pour lui-même. Cette incompréhensibilité n’est pas un aspect de l’Etre de Dieu. Elle ne
décrit pas Dieu lui-même, mais Dieu tel qu’il est dans ses rapports avec nous, ses créatures. C’est la divinité
de Dieu qui le rend incompréhensible pour notre perception limitée.
Il faut aussi distinguer entre l’incompréhensibilité divine et notre incompréhension de la réalité
créée, celle-ci dérivant de notre incapacité à connaître à fond même la réalité finie. Dans un sens,
l’incompréhensibilité est également un attribut de la création.
Comment distinguer ces deux sortes d’incompréhensibilité? Question importante, car si nous ne les
distinguons pas, nous considérons comme équivalents le mystère de Dieu et celui de la réalité. Le
panthéisme spinoziste n’est plus loin. En fait, l’incompréhensibilité de Dieu est absolue tandis que celle que
nous avons de la création est relative, étant donné notre intelligence humaine. Pourtant il y a un lien entre
l’incompréhensibilité divine et celle de la réalité finie, car la création est l’œuvre de Dieu. Elle n’a pas de
sens propre en dehors de Dieu et, comme la créature, elle révèle l’infinitude et la divinité de l’Artisan. Pour
comprendre vraiment un aspect de la réalité créée, il convient de percevoir le rapport qui existe entre cet
aspect et son créateur. Et comme cette connaissance n’est accessible qu’à celui qui est infini,le sens de la
réalité finie nous reste en partie voilé. L’incompréhensibilité de la réalité créée provient de celle de Dieu lui-
même. L’incompréhensibilité divine est originelle, celle de la création est dérivée, secondaire.

Dieu COMPRÉHENSION SANS


LIMITES
COSMOS COMPRÉHENSION
homme LIMITÉE, DÉRIVÉE
SECONDAIRE

3. L’incompréhensibilité de Dieu est absolue


Elle ne disparaît pas avec l’accroissement de notre connaissance. Dieu n’est pas plus ou moins
compréhensible en fonction de l’importance de notre connaissance. Son incompréhensibilité demeure
toujours pour la compréhension créée. On peut même dire que plus nous connaissons Dieu, plus nous
cernons mieux ce qu’il faut entendre par son incompréhensibilité. Notre perception de celle-ci devient plus
intelligente, car nous contemplons son mystère (Rm 11.33-36). Ce que Dieu a révélé est un mystère.
L’apôtre Paul a reçu la révélation du Seigneur et, avec cette connaissance, il se rend compte de
l’«insondabilité» divine.

4. L’incompréhensibilité et la révélation
Dieu est incompréhensible non seulement dans son Etre, mais aussi dans ses jugements et ses actes.
Incompréhensible ne veut pas dire que Dieu soit totalement inaccessible, et que nous ne puissions
pas le connaître, ni que Dieu n’ait pas la capacité de se révéler.
Dieu s’est révélé comme celui qui est insondable dans son Etre et ses actes, et pour cette raison, nous
dépasse toujours, même dans sa révélation.
«Plus nous connaîtrons Dieu, plus nous connaîtrons et reconnaîtrons que son secret est
impénétrable.» «La doctrine qui exalte le plus le mystère de Dieu est celle qui se rapproche le plus de la
vérité.» (Emil Brunner)

D. Discussion sur les conséquences théologiques de cette doctrine

1. Incompréhensibilité ne veut pas dire inconnu


La théologie chrétienne a toujours insisté sur l’incompréhensibilité divine. La théologie et la
philosophie récentes ont affirmé que Dieu, est, non seulement incompréhensible, mais également
inconnaissable. Il serait insensé de parler de Dieu comme le catéchisme le fait. Dieu serait au-delà de notre
expérience humaine. Aucune affirmation objective ne pourrait être faite à son sujet. Dieu serait inconnu.
L’idée de Dieu serait un concept pratique ou éthique et non un concept théorique. Le concept de Dieu serait
donc une frontière entre l’homme et Dieu :

Connaissances théoriques idée morale de Dieu le Dieu absolu


humaines (la raison) (foi subjective) inconnu

La pensée moderne n’a rien à dire sur un Dieu absolu. Elle peut seulement aborder la notion de Dieu
comme une hypothèse morale. La foi est l’acceptation irrationnelle de ce dont rien ne peut être affirmé de
façon rationnelle. Ainsi, dans «inconnaissabilité » de Dieu, si la transcendance divine reste affirmée, l’aspect
personnel est éclipsé. Le «mystère » de la théologie courante est donc différent du mystère du Dieu biblique.
C’est le mystère de l’inconnaissable et non le mystère du Dieu connu comme incompréhensible. Dieu est
connu comme inconnu. Ce mystère est irrationnel. Nous pouvons dire avec Herman Bavinck que cet
«agnosticisme» a quatre caractères:
a) La connaissance humaine est, par nature, relative. Rien dans l’univers ne se tient par lui-même. Le
sujet et l’objet sont interdépendants. Tout ce qui est absolu est étranger à cette connaissance.
b) Le caractère inadéquat de notre connaissance de Dieu est radicalisé. L’idée de Dieu est
transcendante et ne peut être de caractère théorique.
c) Etant absolu, Dieu ne peut être personnel. Personnalité et conscience sont des attributs qui se
trouvent en l’homme. Elles ne peuvent être pensées en dehors de limites de la finitude. L’homme limité par
l’espace-temps ne peut pénétrer le monde des réalités non visibles. C’est ainsi que, dans la pensée de Tillich
ou dans la Process Theology, la personnalité divine est niée.
d) La connaissance de l’absolu est impossible car la notion d’absolu implique une absence de
relations.
Cet agnosticisme pousse la religion chrétienne dans deux directions différentes:
– Dieu pensé comme «surhomme », personnel, mais non absolu, supérieur mais non transcendant.
– Dieu comme absolu impersonnel, un point zéro sans contenu.
La première direction correspond sans doute au réalisme pratique de la religion populaire. La
seconde caractérise l’idéalisme de Hegel et de ses disciples théologiens, où l’absolu a besoin du relatif pour
exister et pour être connu. D’où l’affirmation que l’on formule souvent, à savoir que Dieu «contient une
temporalité ou que Dieu est «en devenir» avec le processus historique. Cette notion est fondamentale dans
certaines présentations de la théologie de la libération.
Dans ces «exotismes»théologiques, le Dieu de l’Ecriture a fait place à un autre dieu.

2. Les attributs communicables et incommunicables de Dieu


Les attributs de Dieu sont classés selon qu’ils existent ou non chez les hommes, les premeiers qui
sont parfaits en Dieu contrastent avec les attributs divins qui n’ont aucun équivalent dans la nature humaine,
tels que l’immutabilité, l’éternité ou la simplicité de Dieu.
Pourtant, les premiers attributs, dits «communicables » ne nous sont pas, pour autant,
compréhensibles. Il nous est impossible de comprendre Dieu, même dans un de ses caractères, comme la
vérité, l’amour ou la fidélité; ceux-ci sont tout aussi incompréhensibles, pour nous, que son éternité ou son
aséité.
Cette pensée permet de formuler une antinomie au sujet de l’incompréhensibilité de Dieu, qui
correspond à la vérité biblique: Dieu est incompréhensible, mystérieux, non pas parce qu’il est inconnu, mais
pour la raison inverse. Il est compréhensible pour nous dans sa révélation. C’est, par elle, que Dieu se
manifeste comme l’incompréhensible. Il est connu comme le Dieu dont la science nous dépasse (Ps
139.6,17) ; ce Dieu éternel est celui qui est également personnel et qui me connaît avant même le début de
ma vie (v.1,13,16). Dans la théologie chrétienne, l’incompréhensibilité de Dieu suppose sa révélation dans
tous ses aspects. Sans cette révélation de la vraie nature de Dieu, il n’y a aucune possibilité de connaître Dieu
comme l’incompréhensible (Es 40.18,25ss).

3. La théologie négative et la connaissance de Dieu


Une distinction a été faite entre deux formes d’affirmation théologique au sujet de Dieu:
– La théologie positive affirme quelque chose à propos de Dieu. ce qui est absolu en Dieu est l’objet
d’une constatation positive, telle que «Dieu est éternel» ou «Dieu est omniprésent », etc. il y a là une
affirmation d’un aspect de la réalité divine.
– La théologie négative, en revanche, appartient non au domaine des attributs absolus de Dieu, mais
concerne ses caractères personnels. Des expressions typiques des rapports humains et appartenant à
l’existence finie sont appliquées à Dieu de façon analogique. Mais puisque Dieu est infini, et que l’infini est
l’inverse de ce qui est fini,les termes employés pour parler de Dieu sont une négation du caractère humain.
La théologie négative s’intéresse aux aspects personnels des rapports humains et les applique à Dieu en niant
leur aspect de finitude. Ainsi, la théologie négative affirme que nous pouvons connaître Dieu comme saint,
bon, juste, amour, en appliquant ces caractères à Dieu de façon métaphorique ou négative.
Par la voie de la négation de ce qui est humain dans ces attributs, nous pouvons, selon S. Thomas,
arriver à une compréhension de ce que Dieu n’est pas, même si nous ne pouvons jamais dire ce que Dieu est.
La théologie négative fournit donc le fondement pour la preuve de l’existence de Dieu. Si le caractère absolu
de Dieu ne peut être conceptualisé par la raison humaine, le côté personnel peut être appréhendé par la voie
de la négation.
La difficulté que présente cette théologie négative semble être que, dans un domaine, le langage
humain est supposé adéquat pour la connaissance de Dieu. La théologie négative tend à effacer le caractère
radicalement humain de tout notre langage au sujet de Dieu. Nous pouvons donc remarquer que me^me les
attributs absolus de Dieu saisis dans la théologie dite positive impliquent une négation de la finitude. Ainsi,
l’éternité est la transcendance par rapport au temps; l’immuabilité, l’absence de changement ; l’aséité,
l’absence de dépendance. Même l’unité divine est la négation de la diversité humaine. Nous pouvons dire
que toute la théologie de la Bible au sujet de Dieu est négative dans ce sens que rien n’échappe dans notre
langage ou notre connaissance de Dieu, aux qualifications de la finitude et de la temporalité.
L’Ecriture ne cherche jamais à décrire les perfections divines positivement, c’est-à-dire sans indiquer
leur rapport à l’existence finie.
Rien dans notre connaissance et dans notre langage ne correspond à Dieu lui-même. Si nous
essayons d’éviter cela, nous réduisons Dieu à être le père Noël dans les cieux. Or, Dieu est radicalement
transcendant. Il est incompréhensible.
a) L’inadéquation de toute prédication humaine
Toute notre connaissance et notre langage se limitent au domaine humain. Il n’y a pas dans la Bible
de descriptions de Dieu en lui-même. Toute l’Ecriture est anthropomorphique. Elle ne contient pas de
descriptions utilisant des métaphores humaines et d’autres qui ne le feraient pas. Toute l’Ecriture s’exprime
de façon humaine. Elle porte les marques de l’abaissement de Dieu pour s’adresser à nous. Nous ne
pourrions pas comprendre une communication divine. Le Logos devient chair; la communication de Dieu
devient parole humaine. Il s’incline pour nous parler humainement.
Tous les noms et toutes les paroles de Dieu correspondent à des attributs de la création. Dieu en lui-
même est incompréhensible pour nous et, même s’il nous parle dans un langage humain, il est
incompréhensible jusque dans sa révélation. Notre langage et notre connaissance sont inadéquats pour
décrire Dieu lui-même, car Dieu transcende les limites de notre entendement. Nos affirmations et les
affirmations bibliques au sujet de Dieu sont soumises à l’ordre créé et de facto incomplètes et inadéquates.
Nous ne pouvons pas comprendre le Dieu transcendant. Il n’est comparable à rien:
– De façon qualitative. Tout ce que nous disons au sujet de Dieu est réduit dans sa force
d’affirmation. Dieu est incompréhensible dans son Etre. Quand nous évoquons son éternité, nous ne pouvons
vraiment pas imaginer ce qu’est l’éternité, si ce n’est comme une succession de moments temporels.
L’éternité en soi reste incompréhensible pour nous. De même, la vérité de Dieu n’est concevable par nous
qu’en termes correspondant à la présence ou à l’absence de faute ou de fraude. Il est très difficile de
comprendre comment cela peut s’appliquer à l’Esprit divin.
– De façon quantitative. Notre connaissance est également restreinte en ce qui concerne l’ampleur de
ce que Dieu a manifesté. Les choses profondes de Dieu nous sont inconnues.
De ces deux façons, notre connaissance de Dieu est toujours négative, anthropomorphique, non
exhaustive et inadéquate. Les perfections de Dieu sont présentes seulement en Dieu et connues par lui. Dire
ce qu’est Dieu est impossible. Si Dieu se donne des noms, aucun de ceux-ci n’exprime comment est Dieu.
Dieu n’a pas de nom humain, ce qui pourrait nous inciter à penser que Dieu est inconnaissable. Si la
connaissance humaine de Dieu est toujours inadéquate, est-il possible de dire que notre langage sur Dieu est
autre chose qu’une fiction?
Si toute connaissance de Dieu est inadéquate, la connaissance que nous pouvons avoir de Dieu est-
elle fiable et réelle?
b) Le caractère fiable de la connaissance de Dieu
L’homme peut être certain qu’il connaît Dieu. Même si cette connaissance est inadéquate pour
exprimer l’Etre de Dieu, elle est suffisante, car l’homme ne peut pas évite de connaître Dieu. Etant
incompréhensible dans sa grandeur, Dieu est cependant connu comme tel. Ce que le Dieu tout-puissant fait
en dehors de lui-même, dans la création du monde et dans celle de l’homme, ne peut que le révéler.
L’homme lui-même révèle la gloire de Dieu (Ps 8). Tout donne à l’homme une connaissance de la gloire et
de la vérité de Dieu, de sa fidélité, de son amour et de son unité. Et quand Dieu se révèle à l’homme de façon
verbale, sa transcendance assure que les expressions immanentes de sa révélation donnent une vraie
connaissance de lui. «La connaissance parfaite est de connaître Dieu non pas comme inconnu, mais comme
celui qu’on ne peut pas décrire.» (Hilaire de Poitiers)
L’«appréhensibilité» de Dieu, ou sa «connaissabilité», en théologie chrétienne dépend donc de son
incompréhensibilité. C’est sur le fondement de la révélation du Dieu qui est trop grand pour être compris que
nous pouvons connaître Dieu. Toute la révélation montre que Dieu est incompréhensible; toute la révélation
divine nous fait connaître Dieu comme tel.
Par ses révélations générale et spéciale, Dieu dévoile son caractère. Pourtant ce caractère n’est
jamais compris par l’homme. L’homme connaît la vérité de Dieu et cette connaissance est réelle à cause de la
révélation, mais de façon partielle. La révélation permet à l’homme d’avoir une certaine connaissance de tout
y compris sur la nature de Dieu, sur le monde. Il voit les différents aspects de l’œuvre de la rédemption. Il
voit Dieu à l’ouvrage. Mais il ne perçoit rien de façon intégrale à la différence de Dieu. Sa connaissance est
réelle, mais limitée.
i) La connaissance qu’a Dieu et celle de l’homme portent sur les mêmes choses dans la réalité. Dieu
les connaît parfaitement et sa connaissance divine accorde à chacune sa réalité. L’homme connaît ce qui est
réel de façon incomplète. Partout, l’homme dépend de l’action antérieure de Dieu.
ii) Il n’y a pas identité de contenu entre la connaissance divine et celle de l’homme. Quand notre
connaissance de Dieu grandit, Dieu n’en devient pas moins incompréhensible pour nous. La réalité des
points de contact n’est pas assurée par le fait qu’une identité existe entre ce que l’homme connaît et ce que
Dieu connaît. Elle est assurée par la révélation divine qui s’auto-atteste. Les points de contact sont les mêmes
pour l’homme et pour Dieu. leur réalité tient à la qualité de la révélation; mais la compréhension de l’homme
reste toujours inadéquate, même si elle est réelle. Notre connaissance de Dieu et du monde est réelle, car
Dieu est absolu dans sa révélation.
iii) Notre connaissance de Dieu est réelle également parce que Dieu est personnel. Il parle notre
langage. La théologie réformée este une théologie de l’alliance. Elle ne se prononce jamais sur l’essence de
Dieu. Le seul rapport entre Dieu et l’homme est exclusivement personnel. Nous connaissons Dieu comme le
Dieu qui se place devant nous, comme le Dieu de la grâce. Tout ce qui révèle Dieu dans le monde et dans le
salut est significatif de l’action personnelle de Dieu. Rien n’est impersonnel ici. Tout est auto-affirmation de
la personne divine.

Conclusion
Dieu a une grandeur qui nous dépasse; mais pour cette raison même, il peut se révéler vraiment. Il le
fait en entrant dans des rapports personnels avec nous, ses créatures. En lui-même, Dieu n’est ni éternel, ni
tout-puissant, ni immortel; il est indicible. Il est. Il a chacune de ces qualités envers nous, afin que nous
puissions, dans notre alliance avec lui, comprendre son altérité. Dieu, qui n’a pas de nom, a tous les noms les
plus dignes du langage humain. Nous sommes appelés à le craindre, car il est grand ,et à l’aimer, car sa
gloire appelle notre amour. Notre privilège est de sonder le mystère de ce Dieu, tout autre, notre Père et notre
Dieu. Que notre langue sache parler convenablement du Seigneur; que notre pied ne trébuche pas quand nous
entrons dans sa maison!
«Ainsi parle l’Eternel, le roi d’israêl,
Celui qui le rachète,
L’Eternel des armées:
Je suis le premier et je suis le dernier,
En dehors de moi il n’y a point de Dieu. » (Esaïe 44.6)

Il. LES NOMS DE DIEU

Dans l’Ecriture, les noms sont très souvent descriptifs. Ils ne servent pas simplement à désigner une
personne: Shem révèle le caractère de celui qui le porte. Ainsi Adam nomme-t-il les animaux selon leur
caractère. Les noms d’Abram et de Jacob sont changés. Après sa résurrection, Christ reçoit un nom supérieur
à tout autre (Ph 2.9; Hé 1.4). Dans la nouvelle Jérusalem, les croyants recevront un nom nouveau (Ap 2.17,
3.12, 22.4).

A.
Le nom de Dieu est une révélation de sa personne, qui le fait connaître de façon active et objective.
Les noms de Dieu désignent Dieu lui-même, se révélant dans la plénitude de sa gloire. Le nom n’est pas
Dieu en lui-même, mais Dieu qui se fait connaître à l’homme. Cette révélation est, naturellement conforme
au mystère de son Etre. Dieu se révèle à nous tel qu’il est vraiment. Le nom par lequel Dieu se révèle est le
nom sous lequel nous nous adressons à lui et qui est conforme à son caractère divin. Les noms de Dieu ne
sont pas une expression de la conscience humaine, qui aurait «inventé» les noms d’un Dieu conçu par elle;
ils sont la révélation de Dieu.

B. Le caractère anthropomorphique du nom divin


Toute l’Ecriture est anthropomorphique. La pensée de Dieu prend la forme de la chair humaine. En
Christ, Dieu se manifeste sous forme de chair humaine. Les attributs incommunicables de Dieu sont
exprimés selon les procédés de la négation (infinité, éternité etc.). L’Ecriture recourt à l’anthropomorphisme
pour décrire Dieu de façon encore plus frappante. Tous les aspects de la création dévoilent le caractère du
Créateur. L’anthropomorphisme est donc légitime puisque la création appartient à Dieu. Les noms de Dieu
sont anthropomorphiques. Ils sont adaptés à l’homme et à sa possibilité de compréhension. Dieu en lui-même
est anonyme, mais dans sa révélation il est «polyonyme»(?). Un seul nom est insuffisant pour décrire Dieu.
Pourtant, quand Dieu veut se révéler, il s’adapte l’homme, au niveau de la compréhension de celui-ci.
(Question: si on nie l’anthropomorphicité du Nom, on aboutit au dualisme : pourquoi ?).

C. L’utilité des noms de Dieu


Les noms donnent non une connaissance complète de Dieu, mais une connaissance véritable.
Cependant les noms ne sont pas suffisants pour nous faire comprendre Dieu, ils ne sont pas d’origine
humaine. Autrement dit, notre connaissance de Dieu au moyen de ses noms est réelle et véritable, mais ces
noms ne suffiront jamais à exprimer comment est Dieu. Selon l’analogie, nous comprenons que Dieu est
différent de ce que nous percevons dont le fondement est la révélation divine.

D. Définitions
Les noms de Dieu sont des désignations qui nous permettent de nous adresser à lui, comme à un Etre
transcendant mais personnel. Les juifs ont dénombré 70 noms de Dieu et, dans l’Eglise primitive, les
attributs de Dieu étaient considérés comme des noms de Dieu. Jérôme en indique 10, y compris El, Elohim,
Eloha, Sabaoth, Elyon, Esher Ehye, Adonaï, Shaddaï (pantokrator).
i) El, Elohim: ces termes sont des pluriels. Cependant, dans l’Ancien Testament le pluriel ne peut pas
être considéré ni comme une allusion à la Trinité, ni comme un pluriel de majesté, ni comme un pluriel
reflétant les origines du peuple juif. Il s’agit plutôt d’un pluriel exprimant la plénitude de la puissance divine.
ii) YHWH et la Seigneurie de Dieu: Le nom YHWH exprime l’autonomie de Dieu dans
l’interprétation qu’il fait de lui-même en le transmettant à l’homme. YHWH est le nom de l’alliance qui
évoque la présence de Dieu parmi son peuple présence en bénédiction ou en malédiction (Ex 3. 3-15, 6.8).
a) Signification temporelle du nom
Dieu donne son nom après un silence de 400 ans depuis la première révélation au temps des
patriarches (cf. Ex 2.24). Dieu se souvient de son alliance et vient délivrer son peuple. En Exode 3.14-15, le
«Je suis qui suis» indique que Dieu est au présent, dans le passé et le futur avec son peuple pour le sauver.
«Je suis» ne constitue pas une définition ontologique de Dieu, mais qualifie Dieu tel qu’il vient se manifester
dans le salut. Celui qui est allé à Ur pour appeler Abram, vient en Egypte sauver son peuple. «Je suis»
indique sa présence dans l’accomplissement présent de ses promesses. «Je suis» est donc garant de l’avenir
(cf. Es 41.4, 43.10ss, 46.3ss; Dt 32.39; Ps 135.13; Os 12.4-9; 13.4; Ml 3.6).
Le nom YHWH indique donc la fidélité de Dieu à l’alliance afin d’accomplir ce qu’il a promis. C’est
le nom qui est associé aux apparitions de Dieu lorsqu’il délivre et qui rappelle sa fidélité malgré la fuite du
temps.
Dans le Nouveau Testament, Jésus s’approprie le nom de YHWH en Jean 8.56ss. Les juifs ne sont
pas les vrais fils d’Abraham, parce qu’ils ne se réjouissent pas, avec leur père, de voir le Christ. Abraham a
connu «Je suis» dans la promesse prophétique. Sa foi a été un écho de la fidélité assurée par le caractère de
Yahweh. Désormais, la promesse est accomplie par la présence réelle du «Je suis» en Christ. Au v. 58, il y a
un contraste entre Abraham (genesthai/: aoriste infinitif) et Jésus (ego
eimi/). L’existence d’Abraham qui a un commencement est contrastée avec une autre qui
n’a pas de commencement. Jésus s’identifie à Dieu. Il est Dieu venu sauver son peuple comme il l’avait
promis.
b.) Le nom YHWH indique non seulement le présence de Dieu dans la rédemption, mais aussi sa
souveraineté (cf. Ex 33.19; 34.6). La présence de Dieu est également sa puissance pour délivrer et pour
juger.

iii) Le nom Adon (Kurios) a la même signification que YHWH : ce nom évoque celui qui a la
puissance personnelle de Dieu dans son aspect juridique. Dieu agit et nous le reconnaissons comme Seigneur
(Ex 14.18). Nous connaissons Dieu comme Seigneur légitime et reconnaissons qu’il est notre Seigneur (en
Rm 10.9, nous sommes en alliance avec Christ si nous le connaissons comme Seigneur).

Conclusion
La Seigneurie de Dieu telle que ses noms l’expriment nous aide à comprendre que le Dieu de la
Bible est :
– immanent: comme souverain il est présent avec son peuple, avec l’homme qu’il a créé pour vivre
en communion (Gn 26.3-24, 28.15, 31.3, 46.4, 48.21; Ex 3.12, 33.14; Dt 31.6-8; Jg 6.16; Jr 31.33). Les
institutions de l’Ancien Testament sont des illustrations concrètes de l’immanence de Dieu, pleinement
accomplie dans la présence d’Emmanuel (Jn 17.26). La présence du Dieu transcendant dans le monde est la
spécificité du christianisme et se distingue aussi bien des religions qui nient tout contact entre Dieu et le
monde que de celles qui prônent un immanentisme exclusif, Dieu s’identifiant avec le monde.
– transcendant: Dieu nous dépasse. C’est lui et non l’homme, qui est souverain dans notre salut,
comme dans l’univers. La puissance lui appartient. Notre intelligence comme notre vie entière viennent de
lui. Le Dieu immanent est aussi transcendant. Pour agir, il n’est pas lié par les lois de sa création. Sa volonté
est toujours efficace et il accomplit ce qu’il a déterminé, pour sa gloire et par sa puissance.
III. NOMS ET ATTRIBUTS DE DIEU

Dans la théologie chrétienne, l’incompréhensibilité de Dieu suppose une distinction fondamentale


entre le Créateur et la créature et seule la révélation divine permet de connaître les noms et les attributs de
Dieu. Tout autre conception religieuse la religion est moniste.

A. Monisme, dualisme et le Dieu de la Bible


Dans le monisme, le postulat est que la réalité est aussi ultime que Dieu et totalement contingente.
Ainsi, le panthéisme nie le caractère «tout autre» de Dieu et affirme l’identité de Dieu avec la réalité, ou que
tout existe en Dieu. Dans le monisme panenthéiste de Tillich, la création ex nihilo de la théologie chrétienne
est niée. En revanche, dans les différentes formes de dualisme religieux (par exemple dans ses variantes néo-
kantiennes), la réalité est contingente et autonome, la réalité divine n’est pas accessible à la connaissance
humaine. La connaissance de Dieu est relative, ni vraie ni réelle, car le monde contingent n’es pas perméable
à la révélation. Pourtant, si la réalité est contingente et si une chose arrive en dehors de la volonté divine, la
notion de hasard intervient et apparaît aussi ultime que Dieu lui-même. C’est pourquoi dans les dualismes
primitifs, il existe deux dieux, l’un bon et l’autre mauvais. Le dualisme sous toutes ses formes consiste
essentiellement en une négation de l’affirmation que «Dieu opère tout selon la décision de sa volonté» (Ep
1.12).
Le Dieu de la Bible est différents des divinités monistes ou dualistes. La doctrine chrétienne de
l’incompréhensibilité de Dieu suppose sa «connaissabilité», tout comme l’incompréhensibilité de la réalité
suppose qu’on la connaisse. La «connaissabilité» de Dieu est fondée sur le fait que nous sommes ses
créatures et que toutes choses sont faites par lui. Autrement, il est impossible d’affirmer son
incompréhensibilité. Il faut connaître Dieu dans sa révélation pour affirmer le connaître comme
l’Incompréhensible. Par ailleurs, on ne peut rien connaître du monde phénoménal, si on ne suppose pas la
«connaissabilité» de Dieu. Sans leur statut dans la révélation de Dieu, les réalités sont tout aussi inconnues
que Dieu sans sa révélation. Sans le Dieu incompréhensible qui se fait connaître, tout est ultimement
mystérieux dans un sens païen.
Dans le mystère chrétien, en revanche, toutes choses, y compris la mentalité de l’homme, ce qui
l’entoure et la révélation spéciale de Dieu, sont ce qu’elles sont à cause de l’activité de Dieu. Dieu est connu
parce qu’il se révèle.
La «connaissabilité» de Dieu se réduit donc à cette question: Dieu a-t-il voulu se révéler à l’homme
dans toutes ses œuvres? Nier que la connaissance de Dieu ou de sa réalité soit vraie, c’est refuser la
révélation. Car la révélation d’un Dieu transcendant est la seule source de connaissance que nous puissions
avoir de lui (c’est pourquoi, dans la théologie réformée, la révélation est le «principe-norme» de la
connaissance de Dieu, la foi n’étant qu’un instrument. Il en est autrement dans la néo-orthodoxie). Par cette
révélation, notre connaissance de Dieu peut avoir une réalité dans sa correspondance analogique, est vraie
dans les limites de notre finitude. Une connaissance «finie» (non totale) de Dieu exclut une compréhension,
(complète) en raison même de la révélation. Dire révélation, c’est impliquer une limitation.

B. Le caractère de la limitation divine


Ce caractère est indiqué par la signification, la fonction des noms de Dieu dans la Bible. Comme
nous l’avons dit, Dieu est «anonyme» mais, dans la révélation biblique, il s’attribue une quantité de noms.
Ces noms ne sont pas arbitraires : ils nous indiquent quelque chose de la nature de Dieu qui correspond à la
réalité. Les noms expriment cette nature humainement, sans la décrire exhaustivement. Dieu se nomme, en se
donnant des noms proches de notre caractère.

C. Correspondance des noms


Les noms que Dieu se donne correspondent à sa réalité profonde, même si ces noms sont adaptés à
notre humanité. Nous sommes, ici, devant un problème identique à celui que pose la relation entre la Trinité
économique et la Trinité immanente (ontologique). Si Dieu n’est pas réellement un Dieu trine, pourquoi le
serait-il dans sa révélation? Si nous distinguons radicalement entre l’économique et
l’ontologique, nous établissons une opposition entre Dieu et sa révélation. L’aboutissement de cette
démarche est le nominalisme. La Bible emploie constamment des noms anthropomorphiques pour Dieu; elle
ne nous présente jamais une déité limitée. Dieu peut «s’anthropomorphiser » dans sa révélation, car dans la
création l’homme est déjà «théomorphisée». Ces remarques concernent les attributs bibliques de Dieu.
D. Le nom et l’alliance
L’Ecriture nomme tout ce que nous pouvons connaître de Dieu suite à sa révélation: son Nom. Ce
Nom nous est déclaré dans le Nouveau Testament par Christ. Le Nom de Jésus est garant de notre
connaissance de Dieu et des bénédictions liées à cette connaissance. (Voir la centralité du «nom» dans les
écrits johanniques). Le nom de Jésus indique qu’il sauve son peuple de leurs péchés (Mt 1.22); son nom est
le seul qui ait été donné par lequel nous devions être sauvés (Ac 4.12). Le point culminant de la révélation,
est dans l’Apocalypse où les enfants de Dieu auront son Nom sur leurs fronts (Ap 22.4). Le Nom de Dieu
évoque sa sainteté: le prendre en vain revient à nier cette sainteté.
Ici encore, il faut dire que le Nom de Dieu est une révélation; il ne nous donne pas une image de
Dieu ou une description de Dieu. Le Nom est lié à l’alliance et témoigne du rapport qui existe entre Dieu et
sa créature. Le Nom n’est cependant pas arbitraire, car il révèle comment est Dieu pour nous. La théologie
réformée adopte la voie médiane entre les théologies réalistes (ou idéalistes) qui supposent que les noms sont
adéquats pour décrire Dieu, et les disciples des nominalistes (comme Schleiermacher ou les néo-kantiens)
qui supposent que les noms ne correspondent pas à une réalité en Dieu. Ainsi pour la théologie «éthique» du
siècle dernier (Ritschl et autres) et pour Bultmann, la distinction radicale entre fait et valeur s’applique au
langage sur Dieu. Autrement dit, les affirmations au sujet de Dieu ne seraient pas des constatations
métaphysiques, mais des affirmations sur la nature de l’homme. Par exemple, dire que Jésus est le Christ
n’est pas un «fait» historique mais une indication sur la valeur de notre existence. De même, ce que nous
disons sur l’homme est révélateur de Dieu.

Pour résumer
– Les noms de Dieu comme toute connaissance sont de et par la révélation divine.
– Dieu, en se nommant, s’accommode à notre finitude.
– Cette accommodation divine ne peut être niée; elle est déjà impliquée dans le fait de la création et
de l’existence des êtres finis.
– Notre connaissance de Dieu est donc analogique, fondée sur ce qui existe dans les rapports entre
Dieu et l’homme. Cette connaissance est relative à nous, dans notre rapport avec Dieu; elle ne concerne pas
Dieu en lui-même.
– Notre connaissance est réelle à cause de «l’auto-connaissance» de Dieu qui est premier, et à cause
de son «auto-manifestation» créationnelle.

Application
a) La vraie spiritualité s’édifie sur ces considérations. Ni la raison, ni le mysticisme ne sont adéquats
pour comprendre Dieu. Les deux ne dépassent les limites imposées par l’existence finie. La vraie spiritualité
expérimente Dieu non comme le Tout Autre, mais comme un Père qui nous considère comme ses enfants,
comme le Dieu qui se fait connaître en se nommant, et qui est connu de nous comme notre Père. La prière a
besoin de la révélation et de la réalité du Nom de Dieu pour être réelle. Dieu s’adresse à nous et se nomme
afin que nous nous adressions à lui par le Nom qu’il nous fait connaître.
b) Dieu est notre environnement. Le pécheur et, parfois, le chrétien sont en lutte avec cet
environnement. Dieu est plus prés de nous que nous ne le sommes de nous-mêmes; il comprend ce que nous
ne comprenons pas de nous-mêmes. Même les pécheurs s’en rendent compte, mais ils ne savent pas pourquoi
ils sont en lutte avec leur milieu et avec eux-mêmes. Tout problème humain est, en dernière analyse, lié à ce
problème de relation.
c) La transcendance de Dieu implique également qu’en connaissant Dieu nous transcendions le
monde du péché. Il convient de se conformer à Dieu et non au monde. Connaître Dieu comme
incompréhensible, c’est être libéré des idoles. Sa transcendance fonde notre ascendance sur le monde et ses
absolutisations. Connaître Dieu ainsi, c’est accéder à la nouveauté de la vie éternelle introduite dans le
monde ancien du péché.
IV. L’ETRE DE DIEU ET SES ATTRIBUTS

A. L’Etre de Dieu
L’objet de cette section n’est pas d’effectuer une analyse de la nature de l’Etre que nous appelons
Dieu, mais de constater simplement le fait qu’il est. Dieu est dans le sens le plus absolu, ultime et primordial
de l’existence. L’Etre de Dieu exclut toute idée d’évolution passée ou future. Dieu seul est, éternellement.
Dieu n’est pas ce qu’il est parce qu’il est devenu ainsi; il est purement et simplement. La raison et le sens de
l’existence de Dieu sont en lui-même. L’existence de Dieu ne dépend pas de faits qui lui seraient extérieurs.
Dieu est a se ipso, il a le caractère de l’aséité. Cette pensée a été exprimée ainsi : «Dieu existe en lui-même
et se suffit à lui-même». Pour nous, il en va tout autrement! Dieu-YHWH est est égal à lui-même dans sa
révélation, et Dieu demeure donc le même dans son Etre.
La différence entre Dieu et les autres êtres existants est que ces derniers sont devenus des êtres. La
raison de leur existence ne se trouve pas en eux-mêmes. La chose la plus fondamentale à dire à leur sujet
n’est pas qu’ils sont, mais qu’ils sont devenus. Leur existence ne peut pas être expliquée en dehors de leur
origine, c’est-à-dire l’Etre qui est à leur origine et par qui ils continuent à exister. Leur existence est un fait
qui ne s’explique pas en lui-même. Le Nom «Je suis» est donc particulier à Dieu; tout autre être existe à la
suite d’un fait qui lui est extérieur, est sujet à mutation et ne contient pas en soi son sens.

B. La personnalité de Dieu
Dieu est: il est absolu, ultime, indépendant, sans origine. Ces caractères pourraient suggérer que Dieu
est un Etre impersonnel. Pourtant, considérer Dieu comme une puissance impersonnelle serait un contresens
à la lumière de la vérité exprimée dans le «Je suis». Dieu se présente comme celui qui, loin d’être un principe
immuable, est un Dieu agissant dans l’histoire, et dont l’existence est manifeste tout au long du processus
historique.

C. Dieu est unique


On peut dire de Dieu seul qu’il est, qu’il se connaît et se fait connaître. Le titre «Je suis» appartient à
Dieu et à lui seul. Aucun autre être n’est son égal ou pourrait être au-dessus de lui (Es 44.6-11; 46.9 et chap.
45). Parler de l’Etre de Dieu ne consiste pas à évoquer abstraitement un être immuable, mais à indiquer que
Dieu seul est l’Etre qui existe en lui-même.

D. L’Etre et l’Essence de Dieu


La théologie a traditionnellement fait une distinction entre l’Etre de Dieu et son essence. «Etre» est
employé pour décrire la vie de Dieu manifestée dans ses actions. «Essence» indique la nature même de Dieu,
qui possède l’Etre qui est Dieu. Son sens est donc plus statique. Parler de l’Etre de Dieu semble préférable,
même s’il est légitime d’employer le terme «essence» pour décrire ce que Dieu est essentiellement. Pourtant
il n’est pas souhaitable de séparer Etre et Essence comme si l’Etre de Dieu était un des aspects de son
essence – une addition à ce que Dieu est essentiellement. «Etre» exprime ce que Dieu est, et comment il se
manifeste, tandis que «Essence» indique plutôt quelle est la nature de l’Etre qui se manifeste. Nous ne
connaissons la nature de Dieu que par sa révélation et c’est perdre son temps de chercher au-delà son
Essence. La connaissance de Dieu dans son «Essence» en dehors des actes «pour nous» est une abstraction.

E. L’Etre et les attributs de Dieu


L’Ecriture ne sépare jamais l’Etre et les attributs de Dieu. Autrement dit, l’Ecriture n’établit pas de
distinction entre l’existence ontologique de Dieu et ses manifestations dans l’économie de l’histoire du salut.
Il est possible de parler de la nature de Dieu en considérant ses attributs. La nature divine se manifeste au
moyen de ses attributs, qui sont reconnus par l’homme dans la révélation. La théologie de l’Eglise primitive
associait les attributs de Dieu à son Etre. De même Augustin dit que l’essence divine inclut tous les attributs.
Plus tard, on s’est posé la question de savoir si un attribut était fondamental, et à l’origine des autres:
a) L’essence: l’influence de Platon a poussé Philon et Origène à proposer que le fait d’exister est
l’attribut le plus fondamental de Dieu. pour les penseurs scolastiques et les Réformateurs, l’aséité est à la
racine des autres attributs.
b) La volonté: Dieu est à l’origine de toutes choses, puisqu’il les a voulues ainsi. La volonté serait
l’attribut primordial de Dieu qui conditionne les autres. Cette idée se trouve chez Socinius, elle est aussi
typique du déisme.
c) La justice éthique: La perfection morale est l’élément capital en Dieu. Le christianisme est une
religion de perfection. Cette idée qui sort du piétisme des réveils a influencé sur le libéralisme du XIX e
siècle. Par suite d’un cheminement bizarre, le libéralisme a influencé le christianisme évangélique de telle
sorte qu’aujourd’hui l’amour est considéré, en pratique, comme l’attribut essentiel de Dieu.

F. Les rapports entre l’Etre et les attributs de Dieu


Il est important de comprendre le rapport qu’il y a entre l’Etre et les attributs de Dieu pour bien
maintenir la distinction entre Dieu et les autres êtres. Il y a, semble-t-il, deux extrêmes à éviter:

1) Tout d’abord, il ne faut pas représenter Dieu comme un être composé d’éléments différents, qui
seraient ses attributs. Les Réalistes du Moyen Age ont proposé que les attributs employés pour décrire Dieu
soient plus que des conceptions, qu’ils décrivent une réalité objective et substantielle. L’autre extrême est de
nier l’existence de cette différence en proposant que les attributs de Dieu sont des expressions qui
correspondent aux abstractions de l’intelligence. Ainsi, en parlant des attributs, on emploierait des mots
différents pour décrire une réalité uniforme. La première conception implique que Dieu soit un Etre
composé, complexe; la seconde prive le caractère réel de Dieu des perfections qui sont les siennes. On a
proposé, par opposition, que le rapport entre l’Etre et les attributs de Dieu soit décrit de deux façons :
a) Il y a en Dieu les conditions nécessaires pour que nous puissions représenter Dieu comme
possédant toutes les perfections décrites dans l’Ecriture. Dieu est en lui-même, tel qu’il se révèle dans
l’Ecriture. L’Etre de Dieu est le fondement à partir duquel les représentations faites dans l’Ecriture peuvent
avoir un sens.
b) La conception que nous nous formons des perfections (attributs) de Dieu n’est pas dépendante de
notre esprit elles sont réellement les siennes, puisqu’il se révèle comme ayant ces qualités.

2) Il n’y a donc pas un attribut de Dieu fondamental par rapport aux autres, ni de distinction entre
l’Etre de Dieu et ses attributs. Tous les attributs de Dieu sont des attributs de son Etre. Dieu est ce qu’il a
(chez les créatures, il y a une différence entre ce qu’elles sont et ce qu’elles ont. Une créature humaine reste
une créature de Dieu, même après le surgissement du péché.

Ainsi on pourrait dire : Mais il vaut mieux dire :


Dieu a un esprit Dieu est Esprit Jn 4.24
Dieu a la lumière Dieu est lumière Jn 1.5
Dieu a la vie Dieu est la vie 1 Jn 4.8-16

Spiritualité, lumière, vie, sont des attributs de Dieu et Dieu est chacune de ces choses. Dieu est toute
lumière, il est toute sagesse, tout logos, tout esprit. Ce que Dieu est, il l’est complètement et simultanément.
Cette conception évite les erreurs du panthéisme (déification de la création), du platonisme (il existe à côté
de Dieu des idées qui sont les archétypes des objets qui existent) et du gnosticisme (des aeons émanent de
Dieu, qui se séparent de lui). Toutes ces conceptions obscurcissent la simplicité de la nature divine. Le nom
de YHWH n’évoque pas l’Etre de Dieu séparé de ses attributs, mais révélé dans ses attributs. L’Etre de Dieu
est absolu, mais non abstrait. Dieu montre les perfections qui sont les siennes dans sa révélation. Les attributs
sont donc des identifications de Dieu Lui-même. Quand Dieu dévoile ses perfections, nous connaissons les
perfections de son Etre.

3) Cependant, il y a une distinction à faire entre l’Etre et les attributs de Dieu. Cette différence ne
provient pas de ce qu’il y aurait une différence de substance entre l’Etre et les attributs (comme si les
attributs étaient inférieurs à Dieu, des émanations de son Etre).
Cette distinction n’est pas verbale non plus. La distinction existe dans notre pensée en corrélation
avec la révélation. Les perfections de Dieu que nous discernons dans la révélation sont correctement
attribuées à l’Etre de Dieu, car il Est toutes ces choses. Ainsi nous voyons l’amour de Dieu et sa sainteté, et
nous disons que Dieu est amour ou saint. Il est l’Etre qui possède toutes ces perfections à la fois. Méditer ce
point n’est pas un exercice de logique abstraite, mais permet d’alimenter notre vision de la plénitude de Dieu.
Nous avons dit à propos des noms de Dieu que Dieu est anonyme. Ainsi, il n’y a pas de nom
particulier qui décrive Dieu. Pareillement, il n’y a pas d’attribut qui décrive Dieu. Tous les attributs
manifestent la gloire de son Etre. Ils sont plus que les perfections imaginées par l’homme, mais ils sont
vraiment des perfections de l’Etre de Dieu. Comme Jonathan Edwards l’a dit, l’homme n’est pas appelé à
aimer Dieu à cause de son salut, mais pour la beauté de son caractère. La plénitude de Dieu est plus grande
que ce que l’intelligence humaine peut concevoir. La distinction entre les attributs n’introduit pas une
contradiction Dieu, mais une complémentarité. Toutes ces perfections appartiennent à Dieu et nous
communiquent une impression de sa majesté, qui transcende toutes choses.

G. Le classement des attributs de Dieu


Il n’y a pas de moyen adéquat pour classer les perfections de Dieu. Plusieurs schémas ont été
suggérés :

1. Distinction entre les attributs absolus et relatifs


Les attributs absolus sont essentiels à l’Etre de Dieu et appartiennent à son éternité. Les attributs
relatifs font référence non à l’Etre de Dieu, mais à ses rapports avec le monde; ce sont son omniprésence, sa
grâce, sa miséricorde, sa colère, etc.
Ce classement pose un problème puisqu’il n’est pas possible de parler des attributs de Dieu sans
considérer son Etre. Dieu peut-il «développer» des attributs à partir du moment où la création existe? Est-ce
que son Etre se modifie dans le contexte de la création? Peut-il changer? On pourrait suggérer que son
omniprésence n’est que l’extension de son immensité (c’est-à-dire que ses attributs relatifs seraient des
expressions contextualisées de ses attributs positifs), mais il serait difficile d’éviter la suggestion qu’il existe
une corrélation entre Dieu et l’univers; et l’aséité de Dieu disparaît.

2. La méthode d’analogie
Elle comprend trois aspects. La via negationis: les imperfections que nous trouvons dans la création
ne peuvent être attribuées à Dieu (le mal, le péché, la finitude, etc.). La via eminentiae: les perfections
trouvées dans la création sont attribuées, de la façon la plus éminente, à Dieu. La via causalitatis: Dieu est
considéré comme la cause de tout ce qui existe.
Cette méthode est insuffisant. Elle commence avec la créature et aboutit à des conclusions au sujet
du Créateur. Les attributs de Dieu sont connus dans la révélation, c’est-à-dire communiqués par Dieu à la
créature. Il est impossible de penser à Dieu correctement en agrandissant une image de l’homme jusqu’à un
degré infini.

3. La distinction entre les attributs communicables et incommunicables


La distinction entre attributs communicables et incommunicables est fondée sur la doctrine de la
Trinité. L’essence de Dieu est communiquée aux trois personnes divines, mais leur personnalité est
incommunicable (Le Père est une personne différente de celle Fils). Cette distinction est appliquée aux
attributs :
a) Les attributs incommunicables
Aséite, immutabilité, infinité (éternité; immensité), unicité (numérique = unité; qualitative =
simplicité). Ces attributs indiquent l’Etre de Dieu et ne peuvent pas être transférés à une créature.
b) Il s’ensuit que les attributs communicables caractériseraient également les créatures. Mais est-ce
possible? Dans un sens, il est impossible de dire que nous possédons les mêmes attributs que Dieu, et il est
difficile de soutenir qu’il y aurait communication d’attributs de lui à nous. Mais ne pourrions-nous pas dire
que nous avons les mêmes attributs à un degré inférieur? Dans ce sens, on peut indiquer: la spiritualité,
l’intelligence, la justice (la sainteté) et la volonté.
Cette classification suscite des problèmes et cache des difficultés nombreuses. Si elle a l’avantage de
maintenir que Dieu est à la fois transcendant et immanent, elle risque de diviser Dieu. Pris dans un sens
absolu, les attributs «communicables» sont aussi incommunicables que les autres. Dieu est incompréhensible
dans tous ses aspects.

Conclusion: Il n’y a pas de mode de classification satisfaisant.

H. Les attributs éthiques


Nous rencontrons le Seigneur dans notre histoire. Il est le souverain de l’histoire. Dès avant la
création, il connaît les éventualités. Selon la Confession de Westminster, pour Dieu rien n’est contingent.
Dieu est Seigneur, et il n’est pas un autre aspect de notre expérience. Il n’est pas une partie de notre vie, mais
toute notre vie se déroule sous ses yeux. Il peut être pour nous, avec nous, parce qu’il ne dépend pas de nous.
C’est pourquoi tous les caractères que l’on attribue à Dieu ont deux côtés non pas paradoxaux ou
contradictoires, mais dont l’unité est dans le Père:
– ce que Dieu est en lui-même, comme l’Eternel, en tant qu’Etre indépendant du monde et de
l’histoire est l’aspect a priori de Dieu, qui précède et transcende notre connaissance.
– les attributs de Dieu, tels qu’il se révèle dans notre histoire sot les attributs a posteriori. Ainsi, dans
la révélation, nous reconnaissons les attributs qui décrivent comment est Dieu dans.
Par exemple, les attributs éthiques de Dieu, l’amour et la justice ont deux côtés.

1. L’aspect a priori des attributs éthiques


a) La souveraineté de Dieu est absolue
Comme créatures, nous ne pouvons rien demander à Dieu en dehors de sa promesse. Il est le
Créateur et toutes choses lui appartiennent (Ps 24.1; Job 41.11; Rm 11.35; Dt 10.19; Gn 14.19; Ps 15.10ss).
Nous ne pouvons rien revendiquer puisque devant Lui, nous sommes pécheurs (Es 2.10ss; Rm 3.27; 1 Co
10.31; 2 Co 10.7; Ga 6.14). Même l’apôtre Paul n’est pas digne d’être appelé apôtre; Job qui raisonne juste,
dans le dialogue avec ses «amis», doit faire face aux questions de Dieu.
Dieu a un droit absolu sur nous. Nous n’avons pas à poser de questions à Dieu; sa Parole nous remet
en question et réclame notre obéissance. Notre loyauté envers Dieu doit surpasser toute chose (Dt 6.4ss; Ph
3.8). Le droit de Dieu s’étend sur toute la vie (Col 3.l7; 1 P 4.10; Rm 12.1; 2 Co 10.5; Rm 14.23).
b) La bonté de Dieu est absolue
La nature des actions de Dieu ne peut pas être contestée par ses créatures; «Dieu est bon» constitue
un présupposé: inutile de demander à Dieu des preuves avant de croire cela. Toute l’Ecriture constitue une
théodicée, manifestant la justice de Dieu. Comment affirmer que Dieu est juste et bon, lorsque ses actions
semblent prouver le contraire? La théodicée biblique affirme que la justice de Dieu est a priori et ne peut pas
être remise en question par la foi. En Genèse 3, le diable essaie de mettre en conflit la bonté et la justice de
Dieu. Quand Dieu apparaît, il n’essaie pas d’expliquer pourquoi l’argument de Satan est faux, mais il
manifeste son autorité de Seigneur. Dieu n’a pas besoin de donner des preuves de sa bonté. «Le juge de la
terre n’exercera-t-il pas la justice?» (Gn 18.25) – question rhétorique, Dieu est fidèle à sa promesse. En lisant
Genèse 22, il serait permis de se dire: «Comment un Dieu bon peu-il demander le sacrifice d’un Fils?» Cette
question ne vient même pas à l’esprit de l’auteur biblique. Ce qui est en question, c’est la réponse de
l’homme. La bonté de Dieu est a priori. En Exode 33.19, le nom de Dieu révèle sa bonté, que manifeste sa
souveraineté rédemptrice. Job ne saura jamais pourquoi il est affligé (38.42), malgré son désir de le savoir.
Dieu apparaît à Job et lui pose des questions (42.1-6). Et Job reconnaît la souveraineté de Dieu et se repent!
Dieu ne fournit pas d’explications. Sa justice est a priori. Certains passages développent l’idée du droit
absolu de Dieu (Es 44.9; Mt 20.1-15). Dans l’enseignement de Paul sur la justification, Dieu est juste en
justifiant les pécheurs (Rm 3.27). Les arguments sont a priori: La justice et la bonté divines sont des
présupposés et la créature est formée de sorte qu’elle doive présupposer ces choses et ne pas douter de Dieu
(Dt 32.4).
Si nous comprenons cela, nous sommes déjà préparés à aborder le problème des limitations dans
l’élection ou celui de la souffrance. Ces problèmes n’en sont pas vraiment sauf si nous refusons l’a priori de
l’Ecriture.

2. L’aspect a posteriori de la théodicée


«Dieu est bon» est également une conclusion. Dieu fournit des manifestations de sa bonté, non pour
la prouver, mais pour attester qu’il en est bien ainsi. Dieu ne dit pas simplement qu’il est juste; il le montre
dans ses actions. Dire que «Dieu est bon», est un présupposé qui est formulé dans le cadre d’une
manifestation de la bonté de Dieu. Cette manifestation sert de support à notre constatation que Dieu est bon.
Il n’y a pas de dualisme. La preuve n’existe pas sans le présupposé et le présupposé a besoin d’une
application concrète. Dieu donne les deux. Ainsi, dans l’élection, Dieu choisit de toute éternité, mais cette
élection s’effectue dans des situations où l’homme est appelé à faire un choix. Quelles preuves avons-nous
de la bonté de Dieu ? Quel genre d’évidence trouvons-nous dans l’Ecriture ?
– La loi et la grâce
Dans l’Ecriture, il y a une tension entre loi et grâce pour ceux qui croient. La rédemption est un
processus et dans lequel la promesse divine semble vidée à cause du manque d’obéissance à la loi. Comment
la bénédiction pourrait-elle venir? Si Dieu bénit son peuple en dehors de la loi, est-ce que la loi a perdu sa
force? Il semble que la loi ou la promesse doive céder. A cause de la loi, la promesse semble mise en échec.
Les pécheurs paraissent l’emporter (voir les Psaumes !). Les sacrifices sont sans effet à cause de la
désobéissance.
Solution du problème: Dieu agit lui-même pour sauver son peuple. Il accomplit progressivement la
promesse. La bénédiction de la grâce viendra malgré la désobéissance de l’homme. En Christ, le serviteur de
l’Eternel meurt pour les péchés du peuple. La tension entre la loi et la grâce, entre la bonté et la justice de
Dieu est résorbée en lui. Dieu est juste, et il est celui qui promet le salut à ceux qui croient et mettent leur
confiance en Christ. La grâce accomplit la loi, qui est elle-même comme un catalyseur du salut (Rm 5.20; Ga
3.19). Le chemin du salut est appelé la loi de la foi (Rm 3.27; 8.3s).
Cette tension persiste toujours dans la pensée du croyant. Nous sommes pécheurs et doutons que
Dieu puisse nous sauver. Pourtant la promesse de Christ est certaine.

Conclusion
La justice et l’amour de Dieu sont côte à côte. Nous sommes toujours confrontés, dans notre
expérience chrétienne, à la loi et à la grâce, à la justice et à l’amour. Il n’y a rien dans la loi qui nous
permette de nous justifier; pourtant rien ne peut séparer ceux qui sont en Christ de l’amour de Dieu. Nous
connaissons l’amour de Dieu par la loi, et notre connaissance de sa loi fait grandir en nous notre amour de
Dieu. Dieu est à la fois juste et bon envers ses enfants en Christ.

I. Les attributs épistémologiques


Dans les attributs éthiques, il existe une tension entre la grâce et la justice. La même existe dans les
attributs épistémologiques. L’auto-communication de Dieu et la vérité de ce qu’il dit sont en corrélation avec
ses aspects a priori et a posteriori. Les paroles de Dieu doivent toujours avoir la qualité d’être vraies; et cette
vérité doit pouvoir être communiquée à l’homme et connue de lui.

1. L’a priori de la vérité de Dieu


Dieu étant Dieu, il constitue un absolu pour notre foi et appelle une confiance totale en lui. La vérité
de Dieu doit être présupposée, puisque la Parole de Dieu «s’auto-atteste». Dieu seul peut se vérifier lui-
même. Il n’est pas légitime pour l’homme de demander une preuve.

2. L’a posteriori des attributs épistémologiques


Dieu donne des attestations de sa vérité dans le contexte de sa révélation historique. Dieu n’est pas
seulement la vérité ; mais il agit et parle avec vérité. Ainsi l’homme connaît sa vérité.
a) La parole de Dieu est-elle vraiment la vérité?
Aujourd’hui, on n’accepte plus les dogmes et leur autorité. Les «vérités» reçues sont établies en
accord avec l’expérience rationnelle ou existentielle de l’homme. La «révélation» appartient au noumène et
échappe à la raison, tandis que les vérités du monde phénoménales sont de la compétence de l’homme. Il n’y
a donc pas de vérité(s) révélée(s), ni de propositions de Dieu qui puissent être véritables.
b) Résolution possible de la tension: révélation / vérité
La parole de Dieu se manifeste avec puissance dans le réel, en contraste avec le noumène non
rationnel, ce qui est une sorte de preuve de sa vérité. Elle est une puissance pour convertir l’homme ou pour
produire l’effet inverse qui est la rébellion contre Dieu. La parole de Dieu accomplit le plan de Dieu. Même
si elle semble incroyable, elle s’atteste vraie. Elle anéantit l’impossibilité ultime: les pécheurs sont reçus dans
la communion avec Dieu (2 Pi 3; Pr 30.15).

Conclusion
La sagesse infinie de Dieu nous dépasse. Cette sagesse devient la nôtre par la foi (1 Co 1.3). Dieu est
omniscient: son intelligence est le critère de la vérité; aucune vérité n’est inconnue de lui. Dieu est
omniscient dans le jugement du péché (Hé 4.11-13). Nous ne pouvons pas nous cacher devant la Parole de
Dieu. Rien n’est caché à Dieu (Ps 139.7). Dieu est également omniscient dans la bénédiction (1 Jn 3.l9s); il y
a toujours un critère de jugement plus élevé que celui denos pensées (Rm 8.l5s). Notre assurance se fonde
sur les promesses de Dieu, l’examen de nous-mêmes et le témoignage de l’Esprit.

J. Les attributs métaphysiques


Ces attributs sont les plus difficiles à admettre par la mentalité moderne. La philosophie
existentialiste et la philosophie analytique offrent un soutien puissant à la critique de l’idéalisme
métaphysique. La tendance actuelle en philosophie et en théologie est anti-métaphysique, avec quelques
exceptions notables (le néo-thomisme). Dans l’Ecriture, il n’est pas souvent question de la vie de Dieu, mais
c’est elle qui conditionne le salut et la révélation qui autrement seraient incompréhensibles (Jn 5.26). Dieu a
la vie en lui-même et aussi dans le Fils (cf. Jn 1.4. C’est parce que Jésus a la vie qu’il peut la donner). Dieu
est donc un Dieu vivant; il est la vie qui transcende ses actes de création; et cette vie est infinie, éternelle,
spirituelle, une et manifeste.

1. L’aspect a priori de l’Etre de Dieu


a) Il y a un rapport entre l’Etre de Dieu et son exigence à notre égard. Dieu n’a pas le même être que
nous, son existence se situe à un niveau différent. Puisqu’il est unique (le seul vrai Dieu), il a autorité sur
nous. L’Etre de Dieu est a priori parce qu’il est avant nous. Nous ne pouvons même pas imaginer un
moment où Dieu n’ait pas existé, un moment où Dieu n’existera plus. La vie est un attribut qui appartient à
Dieu. L’exigence éthique que Dieu a sur nous, nous oblige à faire face à l’arrière-plan métaphysique de cette
exigence. C’est parce que Dieu existe nécessairement que nous sommes exhortés à être saints comme Il l’est.
C’est parce qu’il est la vie, qu’il peut agir souverainement par grâce afin de nous donner la vie ou de la
reprendre.
b) Dans l’Ecriture, nous lisons que Dieu n’a pas de dette vis-à-vis de l’univers (Job 41.11; Gn 14.19-
22). L’homme ne peut pas peser sur la volonté divine pour obliger Dieu à se dévoiler (Rm 11.35ss; Ac
17.24ss; Ps 50.13-15). L’existence de Dieu est a se. Nous ne contribuons pas à la vie de Dieu, ni à son
caractère parfait.

2. L’aspect a posteriori de l’Etre de Dieu


Il reste à savoir si, dans sa manifestation, Dieu se montre en conformité avec ce qu’il est vraiment.
Autrement dit, du point de vue :
– éthique: est-ce que Dieu est réellement bon dans ses actions?
– épistémologique: Dieu est-il réellement vrai dans sa révélation?
– métaphysique: Dieu existe-t-il réellement de façon non limitée?
a) L’omnipotence: Nous ne pouvons pas concevoir un effort de Dieu pour faire quelque chose qu’il
ne serait pas capable de faire. Dieu accomplit ce qu’il envisage (Es 51.11). Dans la rédemption, il n’est pas
limité par un manque de puissance ou de contrôle sur la situation. L’omnipotence est un attribut
métaphysique de Dieu qui signifie qu’en lui réside la possibilité de faire ce qu’il veut accomplir.
b) L’éternité de Dieu (immutabilité: omniprésence temporelle
La théologie Réformée a proposé que, bien que Dieu agisse dans l’histoire, il la dépasse. Le temps
régit l’activité créée, mais Dieu n’est pas restreint dans son activité par le passage du temps. Pour lui, il n’y a
ni un avant ni un après, ni une succession de moments. Dieu est toujours le même. Ces concepts ont été mis
en doute. Karl Barth a parlé de la temporalité de Dieu, tandis que Cullmann, dans Christ et le Temps, semble
dire que l’éternité de Dieu n’est pas une idée biblique; l’Ecriture parlerait d’une succession sans fin
d’époques limitées (aiones).
Il faut reposer la question: dans quel sens Dieu est-il éternel? La Bible indique que Dieu transcende
la temporalité de trois façons:
i) Le changement
Temporalité et changement vont de pair. Ce qui est temporel, change, évolue, prend une forme
nouvelle. Dieu, en revanche, ne change pas (Mal 3.6; Ps 102.25ss; Hé 1; Ja 1.17). Négativement, le fait que
Dieu ne change pas indique qu’il n’est pas, comme nous, limité par le temps.
ii) Dieu transcende la limitation de l’ignorance temporelle
Nous ne connaissons pas le futur. Dieu voit le passé, le présent et le futur sans obstacles, de façon
simultanée. Il n’oublie pas son alliance; son élection est éternelle.
iii) Dieu ne connaît pas de progression temporelle (Ps 90.4; 2 Pi 3.8).
Ces aspects ne prouvent pas que Dieu soit au-dessus ou en dehors du temps, mais que le temps a,
pour Dieu, un sens autre que pour nous.
Ces trois aspects sont soutenus par l’enseignement biblique du commencement (Gn 1.1; Jn 1.1; Mt
19.4-8; Hé 1.10).
Le commencement n’indique pas que Dieu commence à s’occuper de quelque chose en dehors de
lui. Ce commencement est celui du temps. Selon James Barr, les chrétiens de l’Eglise primitive pensaient
que le commencement du temps et le commencement de la création allaient de pair. A l’origine le logos
existait déjà. La Parole n’est pas la première création mais celui qui crée. Dans l’Ecriture, il y a, d’une part,
la notion d’un commencement absolu et, d’autre part, celle de la «pré-temporalité» de Christ.
Le rapport entre Dieu et le temps est donc particulier. Dieu est le Seigneur du temps, non son
serviteur. Nous sommes, en quelque sorte, les serviteurs de Dieu, puisque nous contribuons à la progression
de l’histoire. Dieu contribue aussi à cette progression, mais comme celui qui contrôle avec puissance et
dépasse la temporalité; son point de vue est différent. Dieu sait ce qui est «avant» et «après». Sa
connaissance est créatrice. Nous n’évoquons pas le problème comme le font Tillich (en disant que Dieu est le
fond de l’Etre) ou Whitehead et la Process Theology (qui estime que Dieu est le devenir et qu’il fait partie de
ce devenir) ou Hartshorne (qui pense que Dieu est le devenir même et le principe moteur de l’évolution). Le
panenthéisme s’éloigne de la différentiation biblique qui existe entre Dieu et le monde.
c. L’infinité de Dieu
L’immensité de Dieu indique qu’il est Seigneur du monde; l’omniprésence de Dieu signifie qu’il est
Seigneur dans le monde, théâtre de son action.
d. La spiritualité de Dieu
i) La transcendance de Dieu sur les choses créées est spirituelle. En Jean 4.24, Jésus indique qu’il n’y
a pas d’endroit spécial pour adorer Dieu. Pour l’Ecriture, il n’y a pas d’incompatibilité entre la réalité et la
spiritualité de Dieu: Dieu ne connaît pas de limitation corporelle. C’est pour cette raison que Dieu est
invisible. Ainsi le contraste entre le vrai Dieu et les idoles inclut une critique de la représentation physique de
la divinité (Dt 4.15).
ii) Le fait que Dieu soit spirituel et invisible ne veut pas dire qu’il soit impossible de l’identifier dans
l’histoire. Dieu peut, dans sa révélation, revêtir des formes physiques et visibles (Gn 32.30; Rm 1). Les
choses invisibles de Dieu sont manifestes (Jn 8.9; 14.17).
Dieu est connu par les paroles et les actes de Jésus (1 Jn 1; 2 Co 4.8 ; Hé 11.27; 12.14; 1 Co 13.12; 1
Jn 2.2; Ap 22.4). Dieu est invisible, mais nous en voyons les manifestations: il se sert de formes visibles pour
se révéler.
e. L’unité et la simplicité de Dieu
Cet attribut signifie qu’il y a un seul Dieu, dont la nature rend impossible l’existence de plusieurs
dieux. Autrement dit, Dieu est absolument unique; numériquement, il n’y a qu’un Dieu. La doctrine biblique
enseigne qu’il est un (Dt 6.4; 1 Co 6.4 et 6), en contraste avec :
i) Le polythéisme
L’Ecriture réfute l’idée d’un panthéon de dieux. L’unité de Dieu est très clairement enseignée par
rapport à la personne de Christ (Jn 17.3; Ac 17.24; Rm 3.30; Ep 4.5s; 1 Tm 2.5).
ii) L’analyse évolutionniste des textes de l’Ancien Testament
Selon cette opinion, le monothéisme, absent des couches primitives de la tradition juive, aurait été
introduit par les prophètes (cette notion est liée à l’hypothèse documentaire). Il semble plus probable que les
prophètes ont exhorté Israël à retourner à l’ancienne religion. Il est difficile d’imaginer que les prophètes
aient pu introduire une nouveauté. Des textes anciens, tel que Genèse 18.25, apparaissent clairement
monothéistes. De plus, la discipline des religions comparées montre, généralement, que les religions
primitives polythéistes se superposent sur une base monothéiste.
iii) L’unité divine proposée par le panthéisme est en contradiction avec l’Ecriture. Cette unité ne peut
satisfaire ni l’intelligence, ni le cœur de l’homme. La simplicité de Dieu veut dire qu’il n’y a pas de
«composition» avec l’Etre de Dieu. Cette idée est difficile à percevoir et à comprendre. «L’unité» de Dieu
évoque son unicité numérique; sa simplicité évoque sa simplicité qualitative. Tous les attributs de Dieu sont
identiques à son Etre, car chacune de ces vertus est parfaite en Dieu (Jr 10.10; 23.6; Jn 1.4s; 9.14-16; 1 Jn
1.5). Dieu est un dans tous les sens.
On a objecté contre l’idée de simplicité de Dieu:
– qu’elle est une abstraction métaphysique: pourtant l’Ecriture enseigne que Dieu n’est pas composé
de parties, de fonctions différentes.
– qu’elle est en contradiction avec la doctrine de la Trinité: il est difficile de le penser. Le Dieu
trinitaire n’est pas composé de trois personnes séparées. L’existence de trois personnes n’ajoute rien à
l’essence même de Dieu.
V. LA DOCTRINE BIBLIQUE DE LA TRINITE

A. Raisons de l’étude
Hypothèse 1: La doctrine de la Trinité aurait son origine en Babylonie vers 2000 av. J.-Ch. dans la
triade divine de Cush, Semiramis et Nimrod. Cette «Trinité» aurait influencé le développement d’une triade
hindoue de Brahma, Vishnu et Siva. Ainsi, la notion chrétienne aurait son origine dans le paganisme. Satan
est son auteur.
Hypothèse 2: La doctrine de la pluralité des dieux est aussi évidente dans la Bible que dans
n’importe quelle autre système religieux. En ce qui nous concerne, les chefs des dieux ont indiqué un dieu,
afin que nous puissions voir les perfections des dieux. Tel est l’enseignement des Témoins de Jéhovah dans
«Que Dieu soit vrai» et des mormons dans une prédication de Joseph Smith (il semble qu’il y ait une
contradiction entre «le livre de Mormon» et d’autres sources).
Voici deux autres attitudes:
– Dans l’ensemble de la doctrine chrétienne, la Trinité a été de plus en plus marginalisée. C’est un
article de foi séparée des autres aspects de la foi chrétienne. Le résultat en est la stabilité inébranlable de la
doctrine qui n’a guère évolué depuis le Ve siècle et qui a cessé de jouer un rôle prépondérant dans la
réflexion chrétienne. Depuis Saint Thomas, la dogmatique a distingué deux thèses sur Dieu, en évoquant,
d’abord, Dieu, son essence et son Etre et, en deuxième lieu, de la Trinité. Dans la pensée chrétienne, on a
reconnu la validité d’un certain discours sur Dieu en dehors de considérations trinitaires. Le résultat en est
que la première considération, étant l’essence commune à la divinité, la discussion sur Dieu, à son point de
départ, a été dominée par des considérations philosophiques. La doctrine biblique de la Trinité devient une
sorte de parenthèse détachée de l’histoire du salut. L’aspect trinitaire de l’œuvre du salut n’a pas été
développé. Le mystère de la Trinité est devenu une spéculation logique distincte du mystère du salut.
– Les chrétiens, parce qu’ils ne voient pas de lien étroit entre la Trinité et leur salut, restent souvent
monothéistes dans leur vie spirituelle. Ainsi ils croient que «Dieu s’est incarné en Christ» plutôt que le logos
dans lequel le Fils s’est incarné. La grâce de Dieu est considérée comme celle du «Dieu-homme», et non,
premièrement, comme celle du Fils de Dieu. Avons-nous bien conscience qu’en priant c’est à la Trinité que
nous nous adressons? Très souvent nos prières sont des prières monothéistes, qui dans leurs formulations
laissent de côté le caractère du Dieu que nous invoquons.
Dans cette étude, la question de la Trinité sera abordée en considérant la révélation de celle-ci
comme la révélation du salut. Si nous accédons à la foi en un Dieu trine, c’est à cause du caractère du salut.
La nature de Dieu et la nature du salut sont étroitement liées dans la Bible. Enfin, nous essayerons de
montrer que la nature trinitaire de Dieu est une condition sine qua non de l’humanité de l’homme.

B. Evidence biblique

1. L’Ancien Testament
Dans la Bible, la doctrine de la Trinité n’est pas développée de façon systématique. On y trouve de
nombreux indices, mais pas de tentative pour développer une explication de ce que cela implique pour les
trois personnes. L’idée de la Trinité est présente dans l’Ancien Testament, mais ce qui est révélé n’est pas
complet. Elle reste imprécise tout en se dévoilant progressivement. Il y a déjà, en effet, dans l’Ancien
Testament des éléments qui suggèrent qu’il existe des distinctions dans l’essence divine. Le nom Elohim,
pluriel, ne prouve pas l’existence de la Trinité, mais le fait que cette expression a été acceptée dans un
contexte monothéiste est intéressant.
a) Passages dans lesquels la Parole ou la sagesse divine se trouvent personnifiées: (Ps 33.6ss; Job
28.23ss; Pr 8.22ss). Lors de la création, Dieu appelle les choses à exister, non seulement par sa Parole et sa
Sagesse, mais par son Esprit. La Parole agit comme médiateur, mais Dieu est immanent dans sa création par
son Esprit. A l’origine, il y a une trinité d’action: Dieu, la Parole par laquelle il crée, l’Esprit qui soutient ce
qui est créé. L’Esprit de Dieu, dans l’Ancien Testament, est une personne distincte par son action (Gn 1.2; Ps
33.6; 139.7; Jb 26.13; 33.4; Es 63.10).
b) Dans l’œuvre de la rédemption, cette Trinité d’action est plus marquée. YHWH se révèle par un
médiateur, le Mal’akh Yahweh, le messager de l’alliance. Il ne s’agit pas d’un ange créé, mais comme l’ont
expliqué les Pères (en particulier Augustin), d’une théophanie du Logos. Dieu est présent d’une façon
spéciale dans son messager. Distinct de Dieu, l’ange porte son nom (Gn 16.6-13;18.l9s).
c) La Trinité d’action qui existe lors de la création et de la rédemption est mentionnée en Nombres
6.24-26. Certains autres passages font mention de trois «personnes» (Gn 19.24; Ps 45.7; 110.1; Os 1.7) qui
indiquent déjà une sorte de distinction en Dieu.

2. Dans la littérature apocryphe, la Trinité se trouve développée, mais pas toujours de façon
conforme à l’Ancien Testament Dans Philon, la doctrine trinitaire devient un élément dans le dualisme. Le
logos est médiateur à cause du contraste métaphysique entre Dieu et le monde. Le logos n’est pas personnel
et Philon néglige le Saint-Esprit. Dans l’histoire des dogmes, il apparaît que les systèmes qui ont négligé la
divinité du Fils finissent par abandonner la personnalité de l’Esprit.

3. Le Nouveau Testament
Il développe l’Ancien Testament. Son enseignement ne correspond pas à une logique abstraite, mais
se fonde sur le fait de l’incarnation. Le mot theos ne s’applique qu’à un seul Etre (Jn 17.3; 1 Co 8.4), qui se
révèle comme Père, Fils et Esprit. Trinitaire, Dieu se manifeste dans l’incarnation du Fils comme dans
l’effusion de l’Esprit. Ces éléments ne sont pas nouveau; ils développent la notion de création et de
rédemption de l’Ancien Testament.
a) Dieu, le Père, est ainsi nommé à cause de ses relations avec le Fils et ses fils, et il est également
Créateur de l’univers (Mt 7.11; Lc 3.38; Jn 4.21; Ac 17.28; 1 Co 86 ; Hé 12.9). Le Fils est le Logos par qui
Dieu a agi en créant (Col 1.l5ss ; Hé 1.3). L’Esprit, dont la tâche concerne particulièrement l’édification de
l’Eglise, est appelé à achever l’œuvre de la création par la régénération (Mt 1.18; Mc 1.12; Lc 1.35; 4.1 et
14; Rm 1.14). Dans le Nouveau Testament, Pater prend la place de YHWH. Dans l’incarnation du Fils, les
préfigurations de l’Ancien Testament (prophète, prêtre, roi, sacrifice, fils de David, Ange, Sagesse) sont
concrétisées. L’effusion de l’Esprit réalise les promesses de l’Ancien Testament (Ac 22.l6ss).
b) Dans la révélation du Nouveau Testament, le fait que Dieu est trinitaire devient beaucoup plus
clair. Le salut même repose sur la «tri-unicité» de Dieu. Sans la doctrine de la Trinité, il n’y a plus de salut à
proclamer. Pour cette raison le Nouveau Testament a un caractère trinitaire.
i) L’enseignement de Christ est trinitaire… sa naissance et son baptême sont une révélation de la
Trinité. Il proclame le Père comme étant Esprit qui a la vie en lui-même (Jn 4.24; 5.26), et qui est son Père.
Engendré par le Père (Mt 21.37-39), le Fils est égal à lui en gloire, vie, puissance (Jn 1.14; 10.30). Le Saint-
Esprit, qui habite en Christ, est envoyé par le Fils du Père (Jn 15.26). Avant son départ, Christ bénit ses
disciples de façon trinitaire (répétition de l’article dans le grec).
ii) Les apôtres continuent l’enseignement du Christ. Election, puissance, amour et royaume
appartiennent au Père (Jn 3.16; Ep 1.9; Rm 8.29); réconciliation, sagesse et justice appartiennent au Fils (1
Co 1 .30; Ep 1.10); régénération, sanctification, communion sont à l’Esprit (Rm 5.5; 8.l5; 14.I7). De la même
façon, les apôtres n’institue pas de hiérarchie dans la Trinité. Chaque personne est égale aux autres (1 Co 8.6;
12.4-7; 2 Co 13.l4; 2 Th 2.13s; Ep 4.4ss; 1 P 1.2; 1 Jn 5.4ss; Ap 1.4ss).
iii) Le rapport entre les trois personnes: Le nom «père» indique Dieu comme Créateur (Nb 16.22); il
est le Roi d’Israël (Dt 32.6) et des croyants (Mt 6.4). Comme première personne de la Trinité, il est le Père
du Fils (Lc 22.29) – ce qui ne veut pas dire ici créateur. Il est prééminent dans les actes de création et de
rédemption et, pour cette raison, il est appelé Dieu même par Christ. Néanmoins, le Fils et l’Esprit sont aussi
Dieu.
Le Fils est le logos par lequel Dieu se manifeste. Il est appelé le Fils de Dieu par sa nature et son
éternité (Mt 3.17); il est l’image de Dieu (Ga 1.15).
L’Esprit est celui qui donne la vie à la création et qui travaille comme immanent dans la création. II est
saint parce qu’il est Esprit de Dieu (Jb 33.4; Ps 33.6) Il procède du Père et du Fils (Jn 15.26). Qu’il soit une
personne devient évident dans le Nouveau Testament. Les caractères de Dieu sont attribués à l’Esprit (Jn
15.36; 16.13s; 1 Co 3.10ss).

C. Esquisse historique
Les éléments de la révélation néo-testamentaire ne nous donnent pas de doctrine trinitaire tout à fait
définie. Le Nouveau Testament ne fait pas une synthèse de ces éléments. Néanmoins, la présence de ces
données a posé une question à laquelle l’Eglise a trouvé une réponse en formulant la doctrine trinitaire.

D. La doctrine formulée

1. Les trois grandes questions


– Quel est le sens des termes «essence» et «être»? Ces mots évoquent la nature divine (sans
considérer leur mode d’existence) que possèdent également les trois personnes; elles sont distinctes de la
réalité créée et possèdent les attributs de Dieu.
– Que veut-on dire par le mot «personne»? Il indique l’existence, dans l’essence divine, d’une
distinction. Il y a trois modes d’existence qui ne se situent pas côte à côte (comme chez les hommes) mais
dans et pour la Trinité. Dans un être divin, il y a une existence trinitaire. Ces trois personnes ne sont pas trois
manifestations économiques d’une personnalité divine, mais l’Etre divin est tri-personnel. Quand la nature
divine dans le domaine de la personnalité, la plénitude de Dieu est triadique.
– Quel est le rapport entre «essence» et «personne», et entre les trois personnes? Les personnes ne
sont pas des modes de manifestation, mais des modes d’existence de Dieu. Pour cette raison, les personnes
différent l’une de l’autre sur le plan des rapports, dans un sens éternel et immanent. La différence, en ce qui
concerne leurs propriétés personnelles, est éternelle. Père, Fils et Esprit. La différence ne concerne pas une
éventuelle primauté et doit être considérée à la lumière des rapports entre les trois personnes.

2. Introduction aux rapports entre les personnes


B.B. Warfield a dit: «Il y a un seul Dieu. Le Père est Dieu. Le Fils est Dieu. Le Saint-Esprit est Dieu.»
Ceux-ci sont trois personnes distinctes. Ces titres impliquent qu’il y a des distinctions qui doivent être
observées entre les trois personnes. Chacune est dotée d’une fonction propre à sa personnalité. Paternité,
filiation et procession sont les traits distinctifs des Trois. En examinant comment ces rapports sont établis
entre les trois personnes (la génération du Fils et la procession de l’Esprit), il faut admettre que nous sommes
devant le mystère de Dieu. La théologie de l’époque de Nicée affirme que la génération du Fils consiste en la
communication de l’essence du Père au Fils; la procession de l’Esprit est la communication de la nature du
Père et du Fils à l’Esprit. Cette spéculation est dangereuse, car elle n’a aucun soutien dans l’Ecriture. Calvin
a justement critiqué cette formulation et il faut dire, avec lui, qu’il n’est pas possible de définir la nature de
cette génération et de cette procession.
La formulation qui correspond le mieux au donné biblique est celle qui dit que Dieu est une personne
et que Dieu est trois personnes. Ceci garde intact le mystère, maintient la particularité des personnes et leur
unité essentielle, sans courir le risque d’un «subordinationisme».
Il y a trois bien personnes, et les trois sont présentes dans des rapports dont il est question dans
l’Ecriture. Avant d’aller plus dans le détail, résumons la nature individuelle des trois personnes:
a) Le Père ; incréé, «ingénéré»: négativement, on a décrit le Père par le mot agennesia, qui signifie
l’état d’être sans génération. Le Père seul est «ingénéré» et lui seul possède ce caractère (à ne pas confondre
avec agenesia qui veut dire «sans commencement»). Si toutes les personnes de la Trinité sont «agenesia»,
seul le Père peut être désigné comme agennesia,.
Positivement, le Père seul possède les caractères de paternité et il ne s’agit pas de la paternité
humaine. Dieu est Père dans le sens complet du mot: sa paternité diffère de celle des hommes :
- dans son efficacité: Dieu engendre son Fils de et par Lui-même.
- dans sa durée: la paternité de Dieu est sans commencement et sans fin.
- essence: la paternité appartient à l’essence même de Dieu (Ce n’est pas le cas chez les hommes où
masculinité et paternité ne sont pas en corrélation).
Une réflexion sur ces particularités conduit à découvrir la non-applicabilité de la critique freudienne au
Père.
b) Le Fils: la filiation est le caractère distinctif du Fils (Jn 3.16 – monogenes – cf. Jn 1.l4ss; 1 Jn
4.9). Il faut parler avec prudence de la génération du Fils. En Jean 5.26s, nous lisons que le Père a donné au
Fils d’avoir la vie en lui-même. Chez les créatures, la génération est incomplète. Dieu, qui génère le Fils, lui
accorde et même lui donne la même plénitude de vie, présente en sa personne. Cette génération est spirituelle
et n’implique pas une division de l’essence de Dieu ou une séparation en Dieu. Le logos provient de Dieu le
Père comme la parole humaine est inséparable de le pensée. Si le Père existe, le Fils existe aussi. Le
génération est d’essence divine, c’est-à-dire qu’elle est une communication de l’Etre divin (Rm 9.5).
Mais le Fils n’est pas une créature dont l’existence dépend de la volonté du Père. Il est éternellement
avec le Père. Dans l’Ecriture, les désignations Père et Fils sont métaphysiques. Si le Fils n’est pas éternel, le
Père ne peut pas non plus être le Père éternel. Sans le Fils, il n’y a pas de Père (voir la question de Mt 11.24).
Le Père n’est jamais sans générer le Fils. La génération est perpétuelle dans le passé et dans le futur. Dans la
génération éternelle du Fils, Dieu est toujours en action. Dieu n’est pas immobile.
c) L’Esprit procède du Père et du Fils (voir plus loin). Il est personnel, parce que généré par le Père
et le Fils; c’est dans l’Esprit que Père et Fils sont en communion. L’Esprit, en tant que personne de
communion au sein de la Trinité, possède tous les attributs du Père et du Fils.
VI. TRINITE IMMANENTE ET ECONOMIQUE: DISCUSSION THEOLOGIQUE SUR
LES PERSONNES

1. Présentation de la question
a) Dieu se révèle comme une personne. Toute discussion au sujet de Dieu ne peut donc pas se borner
à ce que nous pouvons dire au sujet de Dieu; elle doit également être cohérente avec ce que nous disons à
Dieu. Ainsi:
– La nature de Dieu est le fondement de l’adoration («que ton nom soit sanctifié»).
– La révélation de Dieu nous donne la norme de cette adoration.
– Puisque Dieu s’est manifesté de façon trinitaire, c’est en tant que Trinité que nous devons l’adorer.
Il est évident que ces propositions seraient sans valeur s’il n’y avait pas identité entre Dieu tel qu’il
se révèle et Dieu en lui-même. Pour que la révélation ait un sens, il est nécessaire qu’il y ait continuité entre
la nature divine et la révélation de cette nature. Autrement dit, il faut que la Trinité immanente soit la même
que la Trinité économique. Est-ce le cas? Nous pouvons répondre affirmativement pour deux raisons.
i) Argument fondé sur les œuvres de Dieu: en ce qui concerne les œuvres de Dieu, il y a un ordre
dans la révélation du salut qui correspond à l’ordre qui existe dans la nature divine. Le Père est la source, le
Fils est l’intermédiaire et l’Esprit est l’applicateur. Cet ordre n’est pas arbitraire, comme si le Fils avait pu
concevoir le plan de salut, ou le Père mourir sur la croix. Dans l’accomplissement du salut, dans son
économie, chacun joue le rôle qui est en accord avec la position qu’il occupe dans la Trinité immanente.
Dans l’Ecriture, il y a deux «processions» divines: celle du Fils qui procède du Père comme Logos divin, et
celle de l’Esprit en qui la communion trinitaire est réalisée. Dans le plan du salut, cette connaissance intra-
divine du Logos est celle qui se révèle, et en l’Esprit est celui qui se communique. Le Logos fait connaître le
Père dans la communion de l’Esprit (Jn 14.11, 20 et 23).
En résumé, nous pouvons dire que, dans l’œuvre du salut, la Trinité immanente est la Trinité
économique et vice versa.
ii) Argument fondé sur la grâce divine. Il existe une raison plus profonde à cette identification. Si
l’Ecriture ne nous présente pas une doctrine de «Dieu en lui-même», c’est pour la raison suivante: par le foi,
la Trinité nous est présente. La grâce de Dieu est-elle tout simplement notre rapport avec Dieu ou davantage?
La grâce ne semble pas être pour les écrivains du Nouveau Testament un intermédiaire entre nous et Dieu.
La grâce de Dieu, c’est son «auto-communication» à nous, la vie nouvelle que nous recevons de lui. Aussi la
présence de Dieu est une présence trinitaire et la distinction entre une Trinité immanente absente et une
Trinité économique est abolie. La Trinité immanente est la Trinité qui est présente par sa grâce. Le Père de
Christ est notre Père, parce que nous sommes en Christ, l’Esprit étant en nous. Par la grâce, la vie immanente
du Dieu trinitaire devient notre vie et, en quelque sorte, comme des créatures renouvelées, nous participons à
la vie trinitaire. Dans le salut et dans la grâce, nous éprouvons la vérité profonde que Dieu est tel qu’il se
manifeste.
Notre méthode de discussion consistera donc à partir de ce qui est révélé au sujet de la Trinité pour le
considérer comme le prolongement de ce que Dieu est en réalité. La foi chrétienne et la spiritualité sont donc
renfermées dans la doctrine de la Trinité. Expliquer ce mystère n’est pas le but de la théologie qui cherche
seulement à le préserver.
«La connaissance la plus élevée est celle qui confesse son ignorance.» (Cyrille de Jérusalem)

2. La Trinité comme Père, Fils et Saint-Esprit


Beaucoup de théologiens disent que la doctrine de la Trinité est étrangère aux écrivains du Nouveau
Testament. A la suite de Harnack, on prétend que cette doctrine est une hellénisation du christianisme des
apôtres. La formule baptismale de Matthieu 28 n’est pas considérée comme une parole de Jésus mais comme
une légitimation d’une pratique ecclésiale. Certes, il n’y a pas de système dans le Nouveau Testament. En
revanche, une prise de conscience du problème que pose cette question y existe déjà. La doctrine trinitaire
n’est pas le point d’arrivée d’un développement progressif; elle existe dans le Nouveau Testament en tant
que problème. Les écrivains du Nouveau Testament ont été conscients du problème, et ont aussi formulé, à
leur façon, leurs réponses. Ces réponses ne sont pas celles de la métaphysique grecque, mais celles que
fournit la conscience des fonctions des personnes divines.

A. Le Père
Dieu n’est-il qu’un père exalté, une figure mythique créée à l’image de l’homme? La mort du Fils
est-elle simplement l’expiation du meurtre du père? La religion du Fils succède-t-elle à la religion du Père?
Ces questions posées par Freud illustrent son manque de compréhension de la foi chrétienne et, en
particulier, de la doctrine trinitaire. Pourtant, ces questions sont utiles pour montrer que l’image du Père n’est
pas la propriété du christianisme seul.

1. L’usage religieux de Père


L’idée de paternité religieuse a été développée de différentes façons. Chez Homère, par exemple,
Zeus est le dieu universel, le père des dieux et des hommes, digne de recevoir la prière. Plus tard, dans la
cosmogonie de Platon, l’idée du Bien, qui est au-dessus de tout être, est appelée Père. Dans la Timée, cette
idée personnifiée du bien comme père est l’architecte du monde. Au 1 er siècle, Philon, influencé par Platon,
parle de Dieu comme le père qui génère le cosmos et son âme. Le sage est adopté comme fils de Dieu.

2. Dans le judaïsme
On ne trouve que relativement peu le nom de Père (ab/ba) appliqué à YHWH. La familiarité est sans
doute étrangère au monothéisme juif. Le mot se trouve pourtant dans certains Psaumes (Ps 27.10). Dans le
judaïsme post-biblique, la notion de Père n’est pas cosmique comme dans la pensée hellénique, mais
nationale et théocratique.

3. Dans le Nouveau Testament


Dieu est distingué de Jésus-Christ et appelé Père (Pater). Dieu est un et le Père de Jésus. Il est capital
de noter que Christ lui-même n’est jamais appelé Père, malgré le fait qu’une telle désignation aurait pu être
utilisée sur la base de la royauté divine décrite en Esaïe 9.5. Deux points:
a) Mon Père et votre Père.
Il y a, dans les évangiles, une distinction remarquable entre mon et votre Père qui souligne le
caractère unique du rapport entre Jésus et son Père. «Le vôtre» dépend de «mon» Père. C’est parce que Jésus
peut appeler le Père «mon Père» que les disciples peuvent recevoir le Père comme leur Père. Là où Jésus
utilise «votre» Père, c’est pour décrire les conditions de l’apostolat. Seul, le «mon Père» donne autorité à ces
paroles. Cela est évident en particulier en Luc 12.32, fondé sur 22.29 (cf. Mt 6.14; 18.35), ou en Matthieu
18.10 et 14. Il n’y a pas, dans les Synoptiques, de votre Père qui ne soit pas en rapport étroit avec la
personne de Christ, qui peut dire «mon Père». Jésus, par ce rapport spécial avec le Père, exprime la réalité du
Royaume et confère aux disciples le droit de regarder ce Père comme leur Père. Ainsi Jésus enseigne à ses
disciples à prier le «Notre Père». Jésus ne s’identifie pas à ses disciples dans cette prière. Le mon Père
exprime une relation spéciale qui ne peut pas être assimilée à d’autres relations. Ce «mon Père» est fondé sur
la spécificité christologique de celui qui révèle Dieu.
Il faut remarquer, ici, que, dans les Synoptiques, ces exemples mettent en évidence la particularité de
la paternité divine. Limitée, d’abord, au Fils, cette paternité est relative à ceux qui reconnaissent ce Fils
comme Fils de Dieu. Il n’y a pas, dans les évangiles, une idée de paternité universelle de Dieu. Dieu est Père
de ceux qui reconnaissent Jésus comme Fils (Mt 6.26b, 30b, 32b; dans le contexte de 33). L’idée que Dieu
est le Père de tous les hommes est une pensée hérétique moderne.
b) «Père» dans l’évangile de Jean
Le mot «Père» se trouve ici 115 fois; «notre Père» ne s’y trouve pas, et «votre Père» est utilisé
seulement une fois (!) en Jean 20.17. Jean bâtit sur le fondement synoptique; il ne développe pas l’idée du
Père au sens d’engendrement du Fils mais, presque exclusivement, par rapport à la révélation comme acte
divin. Le Fils est celui qui, sous l’autorité totale du Père, révèle celui qui est supérieur à lui (ho meizon).
Ainsi la paternité divine a un élément fortement christologique et sotériologique, en lien avec le mon de
Jésus. Deux thèmes:
i) Le Fils révèle le Père; nous n’avons qu’à penser à Jean 1.14 et 18 pour voir que le Père est l’auteur
de la révélation et le Fils Celui qui apporte cette révélation. Il agit selon la volonté du Père (5.37).
ii) Cette action du Fils est liée avec le thème de l’unité du Père et du Fils. Cette notion est
approfondie par la référence à l’éternité (1.18, cf. v.1). Le Fils est un avec le Père (10.30); le Père aime le
Fils (3.35). Cet amour implique une connaissance liée, avant tout, à l’œuvre du Fils sous l’autorité du Père
(15 .9; 17.23 et 26). Le rôle du Père est donc celui de donner son Fils, qu’il connaît et aime éternellement,
pour le salut. Le don suprême est accompli à la croix; le Père accepte l’offrande du Fils (10.17) et lui donne à
boire la coupe (18.11). Encore une fois, le même particularisme se manifeste, souligné ici par le seul usage
de «votre Père» en Jean, après la résurrection, précisément au moment où le Ressuscité étend à ses frères la
possibilité de reconnaître son Dieu comme leur Dieu (20.17). Cela explique la parole de 14.6 selon laquelle
le Fils est le seul chemin.
Jean est donc très loin d’un dieu, père de tous, dont l’idée est répandu dans le monde grec.
Conclusion
Dans la Bible, l’idée d’une paternité divine universelle, si elle existe, est très marginale. La notion de
Père n’est pas un symbole religieux à usage généralisé. Son absence relative dans l’Ancien Testament et son
usage dans les évangiles par Jésus témoignent d’un rapport spécifique. «Fils» et «Père» expriment des
rapports dans l’économie du salut. Ce rapport manifeste temporellement une réalité éternelle.
(Les liturgies qui commencent par «Je crois que Dieu est le père de tous les hommes» ignorent que la
paternité de Dieu est particulière. Elles mettent à l’écart l’œuvre du Fils, dont la filialité doit être reconnue
pour que les hommes puissent être en relation avec le Père. Elles sont des expressions modernes de
l’arianisme, car elles nient la spécificité trinitaire de la foi).
Si les chrétiens parlent à Dieu comme à leur Père, ce n’est que par l’Esprit d’adoption (1 P 1.17; Ga
4.6; Rm 8.15). L’expression doxologique «ho theos kai pater» souligne la souveraineté de celui qui est Père.
Ceci est eschatologique; après l’intermezzo messianique, le royaume revient à Dieu (1 Co 15.24). Dans le
présent, l’identité de Père et de Souverain est révélée par le kurios (Phi 2.11).

B. Le Fils
Notre tâche consiste à voir si, dans le Nouveau Testament, Jésus est désigné comme Fils de Dieu. Si
c’est le cas, cette désignation est-elle générale ou particulière? S’il s’agit d’un titre particulier appliqué au
Christ, il faudra voir si, en tant que Fils, Christ est considéré comme étant divin. Ainsi nous pourrions
conclure que le rôle du Christ, dans l’économie du salut, correspond nécessairement à une relation intra-
trinitaire.

1. L’expression «Fils de Dieu»


Dans le monde pagano-hellénique, le titre «fils de Dieu» avait un sens précis. Dans la mythologie
grecque, l’union des dieux et des déesses produit des enfants. Parfois, les dieux engendrèrent des enfants par
une union avec des femmes humaines; d’où l’expression «fils des dieux».
En Egypte, le Pharaon était considéré comme un descendant des dieux par sa naissance. L’empereur
Auguste et ses successeurs s’approprièrent le titre «divi filius». Le titre laissait supposer que le titulaire était
un être divin et, souvent, un dieu.
Bref, les chrétiens avaient toutes les raisons de ne pas employer ce titre pour le Ressuscité, car il aurait
signifié que Christ était un dieu. Pourtant, dans le judaïsme, «fils de Dieu» n’implique pas un caractère divin;
cette expression est employée spécifiquement pour désigner David comme roi. Dans la littérature rabbinique,
le Messie était appelé fils de Dieu. Christ et fils de Dieu étaient donc identifiés l’un à l’autre avant le
Nouveau Testament.
2. Dans les Synoptiques, Jésus semble se désigner comme Fils dans quatre passages: Marc 12.6- 7;
13.32; 14.61-62; Luc 10.22. Le sens de ces passages souligne que les hommes peuvent devenir fils de Dieu,
parce que Jésus est déjà Fils de Dieu. Les apôtres ont repris l’usage de Jésus, ce qui est tout à fait naturel. La
question se pose alors du rapport entre Père et Fils: s’agit-il d’un rapport d’égalité ou d’une subordination du
Fils au Père, basée sur une idée d’adoption?
Dans certains passages de Paul, on a cru discerner un rapport de subordination ou, en allant un peu
plus loin, une filialité fondée sur l’adoption. (Rm 1.3s; 1 Co 15.24-28; Phm 2). La question est mal posée en
ces termes. Dans le premier passage, il ne s’agit pas d’adoption, mais d’un contraste entre la filialité
d’humiliation et celle d’exaltation. Le deuxième n’évoque pas une subordination, mais la domination
temporaire du Seigneur. Le troisième ne parle pas de subordination, mais de la priorité du Père. Loin de nous
donner une christologie «adoptioniste», Paul enseigne que Christ appartient au coté divin de la réalité; mais
dans l’ordre, le Père a la priorité sur le Fils. En Hébreux 1, la même pensée revient: Christ est Seigneur,
Créateur, expression de la gloire divine; mais, comme Fils, il est différent du Père et apprend à lui obéir.
De même, dans la théologie de Jean, les deux aspects coexistent: d’une part, l’autorité du Fils,
d’autre part, son obéissance et sa dépendance vis-à-vis du Père. Si Christ est second par rapport au Père, il ne
lui est pas, pour autant, subordonné dans le sens d’une infériorité ontologique. Cette dépendance fait partie
de l’ordre trinitaire.
3. Jésus était-il considéré comme Dieu par les premiers chrétiens? A l’évidence, une réponse
affirmative doit être donnée à cette question:
a) Le titre kurios est appliqué à Jésus. Ceci est significatif, dès lors qu’on sait que, dans les LXX, le
mot est utilisé 8 000 fois pour Dieu. Il peut avoir un sens d’autorité, de politesse ou un sens religieux.
b) En tant que Seigneur, Jésus est adoré. Il est le sujet des doxologies de l’Eglise, il reçoit la prière
des croyants et des citations de l’Ancien Testament lui sont affectées (Es 8.13s ; voir Rm 9.33; 1 Pi 2.7s). Le
verbe proskunein est utilisé par Jésus pour indiquer l’attitude que les hommes doivent avoir face à Dieu seul
(Mt 4.10); les évangélistes ont choisi ce mot pour décrire l’attitude des hommes vis-à-vis de Jésus.
c) «Jésus-Christ est Dieu»: Jésus est ainsi appelé dans plusieurs passages du Nouveau Testament, qui
sont presque tous discutés par les critiques.
i) En Romains 9.5, Christ est appelé Dieu et la phrase se termine par «Amen». La traduction sera
rendue comme dans la TOB et la Segond. On a suggéré que le point devait être placé après sarka ou epi
panton, donnant «de qui est Christ selon la chair. celui qui est Dieu de tous soit béni…» ou «de qui est Christ
selon la chair qui est sur tous. Que Dieu soit béni...». La grammaire du passage semble, pourtant, soutenir
l’hypothèse que Christ est appelé Dieu.
(a) Si le verset se terminait par une doxologie à l’égard du Père, le mot eulogetos viendrait
normalement au début de la phrase. Si la doxologie concerne le Christ, le «béni» ne peut pas être mis au
début de la phrase, mais vient naturellement plus tard. (b) on est superflu si la doxologie est une phrase à
part; ho epi panton theon aurait été suffisant. Il semble naturel que ho on... theon se réfère à ce qui précède.
(c) Les paroles to kata sarka semblent attendre une antithèse.
ii) Hébreux 1.8 (Ps 45.6): le mot theos est utilisé au vocatif pour attribuer la divinité à Christ en
contraste avec les anges.
iii) Passages dans l’évangile de Jean. –En 1.1, on a proposé que le mot theos soit traduit par «divin»
et non par Dieu. Mais dans le Nouveau Testament, le mot est utilisé pour Dieu avec ou sans article. Aux vv.
6, 12-13, 18, il est sans article. En 1.1, il est utilisé comme attribut. Si Jean avait mis ho theos en ho logos,
cela aurait donné «Dieu était la parole». Jean voulait appuyer sur theos, d’où sa position en début de phrase;
mais pour montrer sa fonction attributive, il a dû omettre l’article.
– 1.18: Il y a un problème de variantes. Doit-on lire monogenes theos ou monogenes huios? Le
mieux attesté est le premier; c’est aussi le plus difficile; il vaut donc mieux l’accepter. S’il en est ainsi, il y a
au début de l’évangile une déclaration de la divinité de Christ, qui est tout aussi frappante que la déclaration
finale avec les paroles de Thomas (20.28). Là, Jésus est à la fois kurios et theos.

Conclusion
Jésus est appelé Fils de Dieu dans un sens spécifique et, en conséquence, il est identifié avec Dieu
lui-même. Cela est clair dans le Nouveau Testament, qui montre que, dans sa révélation, Jésus est présenté
comme celui qui est égal avec Dieu, mais en occupant une position seconde par rapport au Père. Ce fait ne
tardera pas à susciter le problème du rapport des trois personnes entre elles.

C. Le Saint-Esprit
En ce qui concerne l’Esprit, deux problèmes se posent. D’abord, l’Esprit est-il divin? Ensuite, est-il
une personne ou simplement une puissance? Nous allons examiner le premier problème.
Arius a pensé que l’Esprit était une personne, mais une créature engendrée par le Fils. Athanase,
parmi les orthodoxes, a maintenu qu’il était de la même essence que le Père, ayant les mêmes attributs.
Pourtant, ni chez les pères orthodoxes, ni chez les hérétiques, on ne peut dire qu’il y a une doctrine de
l’Esprit aussi développée que celle du Christ. La raison en est assez évidente. L’incarnation actualise le
rapport entre le Père et le Fils de façon concrète. L’œuvre de l’Esprit reste mystérieuse, invisible, en
contraste avec la manifestation visible du Fils sous la forme d’un homme. C’est même la fonction de l’Esprit
de témoigner de Christ et non «de parler de lui-même». Il est donc surprenant que les écrivains du Nouveau
Testament ne se soient pas borné à parler de l’Esprit comme d’une puissance, mais l’aient identifié à Dieu de
façon personnelle. L’Esprit, dans le Nouveau Testament, diffère du pneuma dans le stoïcisme, où il est une
force naturelle immanente et impersonnelle.
Le Nouveau Testament prolonge l’Ancien qui décrit le ruah comme l’expression de la puissance
active de Dieu. L’Esprit actualise la volonté de Dieu dans la création et exprime l’incorruptibilité, la sagesse,
la volonté divines. L’Esprit, c’est la puissance de Dieu qui modèle l’histoire. «L’égyptien est homme et non
El, ses chevaux sont chair et non Ruah (Es 31.3; 11.2). Si la divinité de Christ est attestée dans le Nouveau
Testament, celle de l’Esprit est acquise. Il y a une idée qui dépasse l’Ancien Testament car, par rapport à
Christ, nous voyons qu’il n’est pas l’objet de l’œuvre de l’Esprit, mais celui qui est le sujet d’une action dans
l’Esprit. Il est le Seigneur du pneuma qui reçoit l’Esprit (Lc 4.1, 14 et 18) et qui donne l’Esprit (Lc 24.49; Ac
2.33).
Dans ce don du Seigneur, le Ressuscité lui-même rencontre son peuple (Lc 12.12; cf. 21.15). Ainsi,
l’Esprit est considéré en parallèle avec le Seigneur. Telle est la motivation de Paul lorsqu’il identifie l’Esprit
avec la puissance de la gloire de Christ en le contrastant avec sarx.
– 2 Co 3.17: si ici kurios et pneuma sont identifiés l’un à l’autre, la deuxième partie du verset précise
que, dans la première partie, il n’est pas question d’identifier deux entités personnelles.
– Rm 8.1-11: «L’Esprit de Dieu en vous» est utilisé en alternance avec «Christ en vous». La puissance à
laquelle la nouvelle créature accède est la puissance du Seigneur qui travaille dans la communauté. L’action
de l’Esprit est l’action du Fils.
Cette pensée revient chez Jean, qui met en contraste, lui aussi, pneuma et sarx. En Jean 14.16,
l’Esprit promis est appelé «un autre Conseiller», allon parakleton. Le allon ne peut pas être un consolateur
qui prenne la place du Messie crucifié. L’œuvre de l’Esprit, en étant ainsi assimilée à l’œuvre de Jésus,
confirme notre argument.

Conclusion
Ces quelques passages permettent d’affirmer que l’Esprit partage avec le Père et le Fils l’attribut de
la divinité. Dieu est Esprit dans le sens qu’il est immatériel; ici, nous sommes dans un autre domaine En
Dieu, il existe un Esprit qui se distingue, par ses fonctions, dans la spiritualité de Dieu. L’esprit se manifeste
de façon particulière par rapport aux autres personnes. Il vient de Christ et de Dieu, mais rien ne permet de
dire tout simplement qu’il est le Père ou le Fils. Ce serait introduire une confusion dans le mystère de Dieu,
essayer d’abolir le mystère de l’Esprit Saint.
VII. LES RELATIONS TRINITAIRES

Existe-t-il réellement en Dieu cette distinction trine? Ou s’agit-il simplement d’une façon de parler
pour illustrer la diversité de l’action divine dans le salut? La réponse à cette question constitue la différence
entre l’orthodoxie et l’hérésie. Les ariens et les sabelliens, dans le souci de maintenir l’unité de Dieu, ont
refusé la réalité des distinctions trinitaires. Le problème réside dans le fait que, dès que l’on confesse la
divinité de Jésus, son rapport avec le Père Un devient une question centrale.

A. Le monothéisme juif
L’idée de l’unité de Dieu, exprimée avec beaucoup de puissance en Deutéronome 6.4, est
fondamentale dans la conception juive. Même s’il y avait dans l’Ancien Testament une certaine notion de
pluralité en Dieu exprimée dans les notions de sagesse ou de logos, ces attributs existent comme des
extensions de la personnalité divine et ne constituent pas des hypostases existant dans un rapport réciproque
avec Dieu. Dans le judaïsme post-biblique, il y a eu une tentative pour éliminer cette notion de pluralité
divine. Certains des pluriels dans l’hébreu sont éliminés dans les LXX; dans le «livre des Jubilées», le récit
pluriel de la création est éliminé. Chez Philon, Dieu est seul lors de la création; mais il est aidé par des
puissances angéliques. Ces faits font ressortir un désir, chez les juifs, de maintenir l’unité de Dieu. Il est
intéressant de constater que c’est précisément dans ces passages pluriels que les Pères de l’Eglise ont puisé
des arguments pour la doctrine de la Trinité, contre les juifs. Le Nouveau Testament maintient, dans un
contexte souvent polythéiste, la confession eis theos. Christ reprend Deutéronome 6.4 en Marc 12.29s; Paul
en 1 Corinthiens 8.6. Ce seul Dieu est le Père de Christ, la divinité de Christ est mise à côté de celle du Père.
Les questions posées, en premier lieu, sont celles de l’unité de Dieu et de la divinité de Christ. La question de
l’Esprit vient plus tard.

B. L’unité du Père et du Fils


La confession de la divinité de Christ oblige à préciser son rapport avec le Père. Si l’on peut,
comme le fait le Nouveau Testament, appeler Christ Dieu, quel est son statut vis-à-vis de celui qu’il
a lui-même appelé Père?

1. Dans le judaïsme, on trouve des notions qui peuvent décrire le fait que Christ représente Dieu
auprès des hommes. Les apôtres auraient pu interpréter la venue de Christ comme l’extension de la
personnalité divine en tant que sagesse, logos ou Esprit de Dieu. Ces notions sont insuffisantes de deux
façons:
– Elles ne peuvent pas exprimer de façon adéquate l’humanité de Jésus. Le fait que non seulement il
représente Dieu auprès des hommes, mais aussi l’homme auprès de Dieu.
– Elles ne peuvent pas approfondir l’aspect central de la rédemption; l’unité du Père et du Fils et leur
interaction dans l’œuvre du salut. Autrement dit, l’incarnation était inexplicable en termes strictement
vétérotestamentaires. Il fallait rendre compte de la personnalité de Christ et de sa communion avec le Père.

2. Dans le Nouveau Testament, c’est l’enseignement sur la préexistence du Christ qui montre
l’unité du Père et du Fils. Les intermédiaires juifs sont ou éliminés, ou appliqués à Christ comme le Messie
préexistant. Ainsi la sagesse et le logos de la littérature sapientielle juive deviennent des attributs du Fils
préexistant. Le ruah de Dieu est indépendant et une relation distincte et spéciale par rapport au Père et au
Fils lui est accordée.
Ce rapport est exprimé au moyen de son actualisation dans l’histoire par Paul en Galates 4.4-6. Le
mouvement de ce passage est frappant : Dieu envoie son Fils, expression qui suppose qu’il y avait réellement
quelqu’un à envoyer. Ainsi nous devenons des fils dans une filialité basée sur celle du Fils. La Trinité est
actualisée dans l’adoption des fils. L’agent de cette actualisation est l’Esprit du Fils, que Dieu envoie dans
nos cœurs. Ce qui est remarquable, c’est le fait que l’Esprit du Fils, est l’Esprit qui reconnaît le Père et qui
crie «Abba». Si le Fils est préexistant, l’Esprit l’est aussi, car c’est dans l’Esprit que le Fils reconnaît son
Père. Donc, l’Esprit du Fils, qui fait de nous des fils, agit en nous amenant à dire «Abba».
Il est impossible de dire qu’il s’agit simplement de filialité adoptive en ce qui concerne le Christ. Le
verbe exapostello indique:
La procession du Fils d’un endroit où il était avant et b) le fait qu’il est envoyé avec l’autorité de
celui qui l’envoie. «Cette filialité n’est pas uniquement fonctionnelle, mais indique une relation
ontologique.» Cette interprétation est confirmée dans d’autres passages où l’apôtre enseigne la préexistence
du Fils (1 Co 8.6; 2 Co 8.9; Ph 2.6; Col 1.15).
Ailleurs, Paul applique à Christ les titres de sagesse et de puissance de Dieu (l Co 1.24; 2.7) qui
suppose que Christ manifeste la réalité de Dieu. La préexistence de Christ est clairement enseignée dans les
épîtres de l’apôtre Jean. Là, le titre de logos indique non seulement qu’il révèle Dieu, mais que, en tant que
logos, il est un avec le Père.

Conclusion
Ainsi le problème de l’unité du Père et du Fils dans le Nouveau Testament est considéré non
seulement à partir d’une relation économique dans la révélation du salut, mais aussi de façon ontologique.
Les lignes discernées par les apôtres dans la révélation sont considérées comme l’expression temporelle
d’une relation qui existe déjà dans un autre domaine qui transcende la révélation. Fils indique une relation
qui dépasse l’œuvre de médiateur. Il est préexistant et est en unité avec le Père. Ainsi le Nouveau Testament
ne donne pas d’explication du mystère, mais préserve, dans le contexte de l’unité de Dieu, le mystère des
personnes différentes. Père et Fils sont distincts; c’est le Fils qui s’est incarné, mais dans cette diversité
subsiste une unité du même Dieu.

C. Le rapport entre le Fils et l’Esprit


Dans le judaïsme, l’Esprit n’était pas confessé de façon équivalente à l’unité de Dieu.

1. Dans le Nouveau Testament, on trouve non seulement des confessions de foi expressions de la
messianeté de Jésus ou des confessions de la divinité de Christ à côté de celle du Père, mais aussi, dès le
début, une confession trinitaire. En particulier on peut indiquer Matthieu 28.19; 2 Corinthiens 13.13;
Ephésiens 4.3-6; 1 Corinthiens 12.4-6. Ces formules reviennent trop souvent pour que leur motivation soit
purement liturgique ou littéraire. Pour confesser l’Esprit à côté de Dieu et de Christ, il faut que, pour l’Eglise
primitive, l’Esprit ait acquis un sens théologique nouveau, qui dépasse le sens qu’il avait dans le judaïsme.
C’est à la lumière d’une révélation nouvelle de la personne de l’Esprit et de son œuvre eschatologique
que les chrétiens ont placé l’Esprit dans la Trinité. C’est surtout par rapport à Christ que la personne de
l’Esprit est pleinement révélée comme étant divine.

2. Le Messie et l’Esprit
Sauf en Esaïe 11.2, 61.1, 42.1, le lien entre l’Esprit et le Messie est peu développé dans l’Ancien
Testament. Au début du Nouveau Testament, pourtant, la prophétie concernant la venue du Messie est
étroitement liée, dans la proclamation de Jean-Baptiste, avec l’effusion de l’Esprit. Cet aspect n’est guère
développé dans les Actes, où les références liant le Messie et l’Esprit sont peu nombreuses. Chez Paul, cet
aspect est mis nettement plus en évidence. Plusieurs fois, il attribue des fonctions parallèles à Christ et à
l’Esprit.
a) Romains 8.26b et 34. Christ et l’Esprit intercèdent pour nous (tugchanein/tugcanei). La proximité
de ces versets suggère que Paul parle de la même intercession et de la même personne dans les deux cas.
Mais si on regarde de plus près, on remarque que l’origine de l’intercession est différente. Paul évoque deux
activités différentes, une accomplie par Christ et l’autre par l’Esprit. Le premier passage parle de l’Esprit qui
rend intelligible les prières que suscite notre faiblesse, en intercédant pour nous. Le deuxième traite de
l’intercession de Christ qui plaide pour notre pardon (Es 53.12c; Hé 7.25). Ces prières ne sont pas offertes
par les hommes comme celles où l’Esprit est actif. Ici, Christ et l’Esprit intercèdent l’un et l’autre, mais leurs
fonctions sont différentes; Paul ne les confond pas.
b) Romains 8.9ss. Christ et l’Esprit «demeurent dans», sont dans les membres de l’Eglise. Dans ce
passage, l’Esprit de Dieu et de Christ ont la même fonction. L’Esprit «demeure en vous» (oikei en; 9.11) et
Christ est «en vous». S’agit-il de la même personne? Ce serait ignorer le sens fondamental du passage. Dans
le contexte de l’antithèse de la chair et de l’esprit, Paul souligne le lien entre l’Esprit et la résurrection de
Christ. L’Esprit est l’agent par lequel le Père a ressuscité Jésus. Ainsi, il est différent de Jésus, mais Christ
ressuscité possède l’Esprit appelé le pneuma Christou (9b). De ce fait découlent deux résultats pour la vie du
croyant, sa vie présente et future (10b, 11). L’Esprit qui demeure dans les croyants est l’Esprit de celui qui a
ressuscité Jésus et qui ressuscitera les croyants. A deux reprises, il s’agit du Père comme origine du salut.
L’Esprit demeure dans les croyants comme l’Esprit de Christ, qui est aussi en eux parce que l’Esprit est la
puissance de la résurrection. Il n’y a pas identité entre les deux personnes mais distinction. L’important, c’est
que l’Esprit de Dieu, qui est l’agent de la résurrection, demeure dans les croyants comme l’Esprit de Christ.
Ainsi, l’instrument qui a accompli la résurrection de Christ et accomplira le résurrection future demeure déjà
dans les chrétiens.
3. La personne du Saint-Esprit
Le problème de la personnalité du Saint-Esprit a toujours été difficile à résoudre. Même si la notion
de personne, telle que nous la formulons, n’existait pas chez les Grecs et les Juifs, il n’en demeure pas moins
vrai que le Saint-Esprit est décrit en termes personnels comme le Père et le Fils. Bultmann, dans sa
Théologie et dans l’article pneuma dans le Kittel, conçoit l’Esprit en termes de puissance et explique que
l’Esprit est subordonné au Seigneur; c’est la puissance du kurios dans la communauté. L’Esprit est donc
avant tout dynamique et impersonnel. Ceci dit, il admet qu’il se trouve dans le Nouveau Testament des restes
d’animisme (!) où l’Esprit est présenté comme une puissance indépendante et personnelle. Cette opinion
présente l’inconvénient de ne pas accorder toute leur importance aux nombreuses références à l’Esprit qui ne
peuvent être prises que dans un sens personnel. Pourtant accorder la primauté au personnel n’élimine pas les
références à l’Esprit comme puissance, ce qui n’implique pas nécessairement qu’il soit impersonnel.
Certains ont pensé que les attributs personnels de l’Esprit étaient des exemples de personnification et
ne constituaient pas des preuves de sa personnalité. Ces références sont trop nombreuses pour que l’on puisse
toutes les expliquer de cette façon:
a) Les pronoms personnels sont utilisés, dans le grec, pour représenter l’action de l’Esprit (Jn 15.26;
16.13s). Le pronom personnel ekeinos ne peut être expliqué en dehors d’une compréhension du pneuma
comme étant personnel.
b) L’Esprit est symbolisé par des manifestations visibles: la colombe, le feu; un signe visible indique
une réalité individuelle.
c) Des attributs personnels lui sont attribués: sagesse, compréhension (1 Co 2.10), volonté (Jn 3.18).
L’Esprit enseigne, guide, commande, parle, sanctifie. Ces éléments personnels ne se réfèrent pas uniquement
à son œuvre auprès de nous; ils lui sont attribués dans l’absolu (1 Co 2.10; 12.11).
d) l’Esprit est aussi concerné par les actions humaines. On peut le tenter (Ac 5.9), pécher contre lui
(Lc 12.10). Ces allusions nous incitent à considérer l’Esprit comme étant personnel. Enfin puisque nous
sommes baptisés en son nom au même titre qu’au nom du Père et du Fils, cela conduit à lui accorder le
même caractère qu’à eux. Le personnel n’élimine pas la puissance. Si l’Esprit est versé dans nos cœurs, s’il
est une onction – expressions difficilement conciliables avec la notion de personnalité – cela ne favorise pas
non plus une conception dynamique et impersonnelle; une puissance pas plus qu’une personne, n’est versée.
Il s’agit tout simplement d’une image. Les références au caractère dynamique de l’Esprit ne sont pas en
contradiction avec sa nature personnelle. Au contraire, plus on est conscient du «dynamisme» de l’Esprit,
plus on est conscient d’être en communion avec une personne. Ainsi, remarquons qu’en Actes 2.4, l’Esprit
est d’abord dynamique, mais aussi qu’il est personnel (cf. 11.16; 13.2-9).
Enfin, si l’Esprit est une personne divine, vivante et distincte du Père et du Fils, pourquoi ne trouve-
t-on, dans le Nouveau Testament, aucune prière ou aucune adoration de l’Esprit? S’il est divin et personnel,
ne devrait-il pas y en avoir? La réponse réside, je crois, dans la fonction de l’Esprit, décrite en Jean 15.26s;
16.8. Le consolateur porte témoignage à Christ. De même, le Saint-Esprit ne nous sauve pas; Dieu nous
sauve à cause de Christ par le Saint-Esprit. Il n’est pas la cause de la rédemption, même s’il en est l’agent
efficace pour nous l’appliquer. Mais là où l’Esprit travaille, il laisse ses marques et nous sommes en
communion avec lui, aussi bien qu’avec le Père et le Fils.

Résumé
Nous commençons à voir que si nous connaissons l’amour du Père, la grâce du Fils et la communion
de l’Esprit, nos perspectives s’ouvrent sur la réalité du mystère de la Trinité. La grâce de Dieu exige, en
quelque sorte, la vérité de la Trinité. Nous pouvons remonter la pente de la grâce (qui manifeste la nature de
Dieu par ses actions) jusqu’à une considération de la nature de Dieu dans un sens immanent. Cette démarche
est justifiée, car si les actes de Dieu révèlent Dieu, c’est parce que ces actes ont un caractère volontaire en ce
qui concerne les personnes de la Trinité. Le Père envoie, le Fils témoigne, l’Esprit instruit. Cependant ces
actes, s’ils sont volontairement acceptés dans le plan divin du salut, sont pour cette raison conformes avec
des dispositions intérieures de la Trinité, qui ne sont pas volontaires mais nécessaires. Le Père, à cause de sa
nature, ne peut être qu’amour: d’où l’engendrement du Fils. Le Fils ne peut être que le logos qui connaît le
Père, étant engendré par lui. L’Esprit ne peut être que communion étant l’Esprit des deux autres personnes.
Les relations
trinitaires
Le Père Le Fils L’Esprit
Trinité immanente engendre logos communion
Trinité de révélation envoie prophète, inspire,
prêtre, roi guide,
règne
Trinité du salut élection justification régénération,
sanctification

D. Trois en un; un en trois

Le Catéchisme de Westminster présente la doctrine, d’abord formulée à Nicée et à Chalcédoine, de la


façon suivante:
«Il y a trois personnes en Dieu: le Père, le Fils et le Saint-Esprit; et les trois sont un seul Dieu d’une
même substance égales en puissance et en gloire.»
Quel est le sens de cette formule, qui semble réduire Dieu à un théorème de mathématique?
Posons la question autrement: comment des êtres immatériels, au nombre de trois, peuvent-ils être
un? La première partie de cette question ne se posait pas dans la mentalité des premiers chrétiens. La
révélation du salut présente une triade et ce fait est incontestable. La seconde partie, en revanche, a été le
sujet de longs débats pendant quatre siècles; il s’agissait d’écarter le tri-théisme et de maintenir l’unité de
Dieu dans ses trois personnes. Les personnes sont donc trois; leur unité est dans la possession d’une même
substance ou essence divine. Cette formulation dépasse le vocabulaire biblique. Mais le problème n’est pas
là. Il s’agit plutôt de savoir si ce langage exprime le contenu de sens biblique. Une première remarque est
assez banale, mais très souvent oubliée: les personnes ne sont pas trois dans le même sens qu’elles sont un.
L’Un est trois en ce sens que Dieu existe en trois personnes. Mais les trois personnes mises ensemble n’ont
pas à être additionnées pour faire un Dieu.
1. Un en trois: trois personnes sont Dieu
Le Père est Dieu, le Fils est Dieu et l’Esprit est Dieu. Ainsi ils sont un Dieu. Il y a diversité dans
l’unité de l’un. Cette diversité explique l’autosuffisance divine: il n’a pas besoin du monde pour obtenir la
diversité d’une bipolarité. Cette affirmation n’est évidemment pas évidente. Dans la Bible, le mot
«personne» ne se trouve pas employé de cette façon; il est ambigu si nous l’assimilons à «individu». Nous
savons que trois individus forment une société, mais en Dieu, il n’y a rien de tel. Dieu est Esprit; l’Esprit ne
se divise pas en trois parties. Il vaut donc mieux éviter de dire qu’en Dieu, il y a trois personnes. L’ambiguïté
est en partie écartée dans l’affirmation que Dieu subsiste en trois personnes. Cette terminologie est plus
adéquate et correspond à l’histoire du salut, qui montre à l’œuvre les trois personnes comme Dieu.

2. Trois en un
La formule précédente doit être équilibrée par l’affirmation de l’unité divine. La diversité des trois
n’a de sens que dans une unité. Autrement, le christianisme serait tri-théiste. Ce manque d’unité détruirait
l’unité du salut, et de notre expérience de la rédemption. Comment évoquer cette unité des trois? La
difficulté est qu’a partir de l’idée de personne, les «trois» pourraient être considérés comme trois centres
d’activité en Dieu car, dans le salut, nous expérimentons les trois comme Dieu. Cela oblige à ce qu’ils soient
un. L’économie du salut illustre cette unité: le Père s’exprime par le logos, et le Père et le Fils par l’Esprit.
Dire que les trois sont de même substance ou de même essence, c’est s’exprimer, à propos de Dieu, en
termes d’immanence. Dieu, qui se révèle un dans l’acte du salut, est réellement le même sur le plan
ontologique. A ce niveau, le langage métaphysique des Pères est pleinement justifié.

Conclusion
Nous pouvons dire que le Dieu un se révèle en trois manières différentes de subsistance. La réalité
de Dieu est toujours impénétrable: les formules que nous venons d’examiner sont mystérieuses sans être
illogiques ou impossibles. Il est impossible d’expliquer la Trinité, et il est bien qu’il en soit ainsi à cause de
la nature même de Dieu. Nous pouvons donc constater que Dieu est un et qu’en même temps il est trine.
C’est tout. Impossible de comprendre comment Dieu est un et trine. Cela nous dépasse. C’est pourquoi
l’Eglise a toujours maintenu quatre propositions:
– Il y a un Dieu ou essence divine.
– Cette existence divine est commune aux trois personnes divines.
– Il existe entre les trois personnes un ordre de subsistance ou d’opération. La première personne a la
vie en lui-même et les deux autres ont la vie en référence à elle.
– L’ordre des personnes appartient à l’essence divine avant d’appartenir à l’alliance de grâce.
VIII. LA TRINITE ET LA VIE DE L’HOMME

La Trinité est, à la fois, Créateur et Sauveur de l’homme. En conséquence, rien dans la vie générale
de l’homme, ou dans sa quête religieuse ne peut être compris dans son sens profond en dehors de la réalité de
la Trinité.

A.
Pour notre compréhension de l’homme, il n’est pas nécessaire de recourir à des formules douteuses
au sujet de la nature de l’homme comme corps, âme et esprit afin de trouver un aspect trinitaire dans sa
constitution. De manière plus générale, l’importance de la Trinité apparaît à propos de trois problèmes de
l’homme:
a) L’homme est fini, mais personnel et n’a pas en lui-même ce qui est nécessaire pour comprendre
qui il est. Cette explication, étant donné sa finitude, ne peut être trouvée que par référence à une réalité qui le
transcende. Mais, puisque l’homme est personnel, un point de référence impersonnel en dehors de lui ne
suffit pas à expliquer son existence. Bref, seul un Etre personnel et infini peut rendre compte d’un être
personnel et fini et l’existence d’une réalité impersonnelle en dehors de lui. Dieu se révèle comme le Dieu
trinitaire et personnel qui seul peut nous faire comprendre le caractère fini et personnel de l’homme dans la
diversité impersonnelle de l’univers.
b) L’homme est à la fois noble et cruel aussi bien que fini et personnel. Si nous ne pouvons pas
affirmer une origine personnelle infinie de la réalité, finitude et cruauté sont confondues. L’inhumanité de
l’homme devient un aspect de sa finitude. Sans un Dieu personnel, à l’origine de toutes choses, le problème
de la morale et le problème métaphysique sont confondus. Le bien et le mal ne sont que relatifs.
c) Quelle est l’unité de la connaissance dans la diversité des particuliers. Il faut un point de référence
personnel pour expliquer que nous connaissons ce qui est personnel et impersonnel. Mais ce point doit
également être infini afin de constituer un universel au milieu des particuliers de notre connaissance. Seul, un
Dieu trinitaire a cette autosuffisance qui permet d’expliquer la diversité de notre connaissance du monde,
monde dont Dieu n’a pas besoin.

Conclusion
La doctrine de la Trinité est nécessaire pour situer l’homme dans son contexte réel; elle est vraie en
ce qu’elle correspond aux réalités de notre anthroposphère.

B. La Trinité est nécessaire à une communion vraie avec Dieu


Le salut est celui du Père; il a son origine en lui, dans sa volonté d’avoir des fils.
Christ révèle le Père et, ce faisant, il met en évidence la nature de la vraie filialité. Il nous représente
Dieu et il nous représente devant Dieu, montrant ainsi quelle est la vraie communion avec Dieu. Les prières
de Jésus révèlent le sens de sa mission face à la souffrance. Jésus prie le Père afin que, dans son épreuve, il
montre l’amour du Père. En Jean 17, la prière exprime que Jésus considère son œuvre comme un don du Père
qui doit le glorifier le Père. Reprenant le «mon Dieu» des Psaumes, il glorifie Dieu comme le Dieu vivant qui
délivre. C’est ainsi que la souffrance peut avoir un sens pour nous. Enfin, l’Esprit, par sa présence, nous fait
accéder à la communion du Père et du Fils, du moins pour ceux qui sont des fils. Le Paraclet effectue une
application du rapport Père/Fils aux chrétiens, comme don de la communion perpétuelle. La communion
divine Père/Fils est le modèle de communion chrétienne (Jn 14.18-21). La réalité du rapport Père/Fils dans
la souffrance à la croix apporte, aux disciples, un accès auprès du Père par le Fils. Cet accès est au nom du
Fils, qui l’assure auprès du Père. La prière est le fruit de l’accomplissement complet du salut. La prière dans
l’Esprit est, en tant que fils de Dieu, notre participation au salut. C’est une communion avec et par la Trinité.
Sans la Trinité, nous ne pouvons pas vraiment entrer dans la réalité du salut, ni dans celle du rapport que
Dieu veut pour nous, ses créatures. Sachant que notre adoption – qui nous fait crier Abba – est l’œuvre de la
Trinité, nous adorons Dieu en trois personnes et nous participons à la mission trinitaire en tant que fils, en
amenant des fils à la gloire. C’est en priant notre Père que cette tâche – la délivrance du Dieu vivant –
s’accomplira.
Enfin, la doctrine de la Trinité est profondément liée à la notion biblique de mission. Dans l’Ancien
Testament, l’élection d’Israël fonde sa responsabilité devant les nations (Ex 19.5-6). Mais Israël n’est pas
«missionnaire», le monde considère plutôt Israël comme la présence de Dieu. Les nations doivent venir en
présence de Dieu. C’est avec la mission du Fils de Dieu – où Dieu apparaît excentrique en venant dans
l’histoire – qu’il y a, suivant ce modèle, un apostolat en direction des nations. Pour accomplir l’apostolat, il
faut l’Esprit. La mission-Eglise est fondée sur la présentation du message du salut et par l’appel adressé aux
hommes de devenir, par l’Esprit, fils de Dieu. L’Eglise a comme tâche la mission, car le premier
missionnaire est son chef, Jésus-Christ. L’Eglise et la mission ont pour fondement la réalité trinitaire de
Dieu. Cette doctrine est capitale pour développer une réflexion sur la nature de la tâche de l’Eglise
aujourd’hui.
IX. LES ACTES DE DIEU

A. L’idée d’un acte de Dieu


La théologie moderne a insisté sur les actes de Dieu, en négligeant parfois ses paroles. Pour éviter
une théologie essentiellement «statique», on a cherché à développer une théologie plus existentielle, fondée
sur les actes de Dieu. Cette démarche a été fortement soutenu par le fait que le mot dabhar est polysémique
et peut être traduit «parole» ou «acte». On a donc argumenté que la Bible est le livre des actes de Dieu, qui
permet d’acquérir une compréhension de la foi (G.E. Wright, G.Ebeling).
Personne ne contestera que la Bible traite de Dieu qui agit pour le salut de son peuple.

Quelques remarques
a) La distinction acte/interprétation. L’acte en question peut être naturel et sans intervention directe
de Dieu. Quel est le rapport entre l’acte et son interprétation?
b) Le contenu d’un acte de Dieu. Comment distinguer entre un acte de Dieu et des circonstances
providentielles. Il devient difficile de définir un acte de Dieu. On ne peut pas réellement affirmer qu’une
chose s’est passée telle que la Bible le dit, sauf si l’on croit qu’il y a dans la Bible une interprétation divine
des actes, et c’est la notion que l’on veut éviter.
c) Si la Bible est le livre des actes de Dieu, de qui est le livre?

B. Peut-on définir un acte de Dieu comme étant uniquement extérieur à Dieu?


Le travail de la création – un acte par excellence – ne marque pas le début de l’activité de Dieu, qui
agit éternellement.
a) La communion d’essence dans la génération du Fils et la procession de l’Esprit sont des actes de
Dieu. La communion trinitaire est une manifestation d’activité absolue. Ces actes sont immanents à Dieu. Ils
n’ont pas de rapport avec les réalités qui existent en dehors de Dieu. Dieu est indépendant et se suffit à lui-
même (Ac 17.20). Dieu est l’acte à l’état pur.
b) Le conseil de Dieu exprime le rapport entre les actes internes à Dieu et ceux qui lui sont
extérieurs. Le conseil de Dieu est secret, et concerne les actes de Dieu qui sont dans la création, la
providence et la rédemption:
– Le contenu du conseil divin se réalise en dehors de Dieu, à cause de la connaissance éternelle
qui est la sienne et qui, elle, est secrète. La réalisation du conseil de Dieu dans l’actualité est
inférieure au «possible» selon l’intelligence infinie de Dieu. La sagesse de Dieu en son conseil en
surpasse la manifestation (Mt 19.26).
– C’est la souveraineté absolue de Dieu qui est le cadre de son conseil. Le conseil éternel est celui de
Dieu, qui a la puissance d’accomplir ce qu’il veut (Ap 4.11). Le conseil de Dieu se réalise dans l’histoire et
ainsi constitue le lien entre Dieu et le monde, en maintenant la souveraineté de Dieu et la dépendance de la
créature (Hé 11.3).

c) Le conseil de Dieu ,e présente pas de caractère abstrait dans l’Ecriture, mais se traduit dans la
réalisation historique des actes de Dieu. Quand Dieu agit, il le fait selon son conseil. L’élection est un fait de
l’histoire, non une théorie basée sur une philosophie abstraite.
– l’Ancien Testament présente l’élection de Seth (Gn 4.25s) et le rejet de Caïn comme expression
historique du conseil de Dieu. C’est la vocation d’une lignée, d’un homme, d’un peuple qui nous est
présentée dans sa réalisation, selon la pré-connaissance divine.
Souvent, la prophétie présente la réalisation future sous la forme d’une promesse. Si le conseil de Dieu
est secret et lui appartient, il est révélé aux hommes par son accomplissement (Es 46.10; Ps 33.11; Pr 19.21).
– le Nouveau Testament s’exprime encore plus clairement en précisant la nature éternelle du conseil
de Dieu, son application individuelle et personnelle ainsi que son but final.
Passages à étudier: Ep 1.11: boule/plan, conseil/thelema, la volonté de Dieu comme telle. Lc 2.14;
Ep 1.5-9: eudokia, le «plaisir» de Dieu. Rm 8.28; 9.11: prothesis, le but objectif de la volonté de Dieu. 1 P
1.2: prognosis, la prescience. Mt 13.20; Ac 9.15: ekloge, élection en tant que telle. Ep 3.11; 1.4: proorismos,
prédétermination, ordination. Il semble clair que ces passages, qui ne peuvent être tous négligés, montrent
que le but de l’élection est la vie éternelle, et que le moyen de sa réalisation est le salut accompli par Christ.
Le moyen et le but sont tous les deux inclus dans le plan éternel de Dieu.

C. Définition du conseil de Dieu


Le conseil de Dieu est son décret éternel, par lequel il ordonne tout, selon la décision de sa volonté.
L’Ecriture affirme partout que ce qui se passe dans l’histoire est la réalisation du conseil éternel de Dieu (Job
28.27; Pr 8.22; Ps 104.24; Pr 3.19; Jr 10.12; 51.15; Hé 11.3; Ps 33.11; Es 44.24ss; 46.10; Ac 2.23; 4.28; Ep
1.11).
Les actions humaines découlent d’une délibération humaine et, dans un sens plus élevé, l’histoire a
son origine dans la délibération de Dieu. En dehors de la connaissance et de la volonté de Dieu, rien ne se
passe. Le conseil de Dieu est efficace (Ps 115.3; Es 14.27), immuable (Es 46.10; Jc 1.17) et indépendant (Mt
11.25).
a) Il faut faire une distinction entre le conseil même de Dieu et son accomplissement. Le conseil de
Dieu est son œuvre cachée de l’homme; il reste un mystère pour nous. Comme œuvre de Dieu, il est éternel.
L’éternité diffère par sa qualité de la temporalité. Il ne faut pas penser le conseil comme acte de Dieu
appartient au passé; il en va de même de la génération du Fils. Ces actes de Dieu sont éternellement achevés,
mais se perpétuent toujours, distincts et au-dessus de l’histoire. Le conseil éternel de Dieu comprend, non
seulement ce que nous appelons le passé, mais aussi l’avenir. C’est la volonté divine en action. C’est Dieu
qui délibère et agit.
b) Le conseil de Dieu a pour contenu et objet l’univers créé, dont il est la cause efficace. Le bon
plaisir de Dieu est l’origine ultime des choses que Dieu a créées et appelle à l’existence (So 3.2). La réponse
finale à toutes nos questions se trouve dans la volonté de Dieu. Il y a un conseil de Dieu, mais sa réalisation
dans le temps est multiforme. Sa conception est simple, mais son résultat témoigne de la richesse divine (Ep
3.18s).

D. La providence de Dieu
Il existe aujourd’hui un réalisme – avec le désir d’accepter la situation du monde – qui remplace
l’optimisme en crise, avec son refus de la réalité. Les deux sont athées. L’homme moderne choisit la tragédie
plutôt que la repentance, le désespoir plutôt que la culpabilité.
Peut-on continuer à parler de la providence de Dieu? Les Ecritures nous enseignent que le désespoir
est un des résultats de la rupture qui s’est établie entre l’homme et Dieu. L’homme est étranger dans le
monde d’où il a voulu bannir Dieu. La sécularisation est à la base de cette séparation. Trois motifs expliquent
cela :
– le motif scientifique: la science est le pont que beaucoup ont traversé vers l’incroyance.
L’opposition entre la science et le gouvernement de Dieu (notion pré-scientifique) fonde l’incroyance.
– le motif «projection»: pour l’homme moderne, la religion n’est qu’une projection de la subjectivité
de l’homme. Le religion est une illusion qui aide l’homme à s’échapper de sa misère (Marx et Freud).
- le motif «catastrophe» est le plus contraignant: l’expérience de l’homme moderne, son observation
du non-sens du monde, avec ses cataclysmes, semblent réfuter l’idée qu’il y ait une logique, un sens dans
l’histoire. Ainsi, il n’y aurait pas de terrain neutre sur lequel il serait possible de connaître Dieu. Or, sans
Dieu, il est impossible de connaître sa providence. Aussi, avant de connaître Dieu dans ses actions dans le
monde, faut-il le connaître dans ses actions, dans le renouvellement de notre intelligence.
a) Le côté positif de la providence: le gouvernement (Ep 1.11 ; Hé 1.3). Dieu gouverne le monde par
sa Parole (Ps 147.15), mais aussi par des agents personnels: Christ, les anges et les hommes. Le
gouvernement de Dieu n’est pas une puissance neutre et absolue. Dieu gouverne par des moyens qui
l’engagent personnellement. La providence sert à manifester la grâce de Dieu envers les hommes, dans la
perspective de l’Evangile. Même l’Etat, s’il gouverne avec justice, est au service de l’Evangile, peut-être
sans le savoir. Dieu n’est pas limité par le péché des hommes. Il triomphe du péché en utilisant ses ennemis
des outils en vue du salut.
b) Le côté négatif: la préservation. Dieu n’est pas un propriétaire absent. Il est présent limite le mal
afin d’empêcher la victoire ultime de ceux qui travaillent contre son salut (Né 9.6; Ps 36.6; Col 1.17).
Dieu préserve le monde en vue de l’instauration de son règne. Il est impossible de discerner dans les
événements comment Dieu soutient le cosmos, mais cette action de Dieu est une réalité selon l’Ecriture, elle
est essentiellement une continuation de la création. L’intervention de Dieu est plus nécessaire après le
surgissement du péché qu’avant. Après la chute, la préservation revêt l’aspect de la grâce. A deux reprises,
Dieu a marqué que sa patience avait des limites: lors du déluge où seule la famille de Noé a été sauvée (Mt
24.37) et après la venue de Jésus-Christ, qui a été pour le salut de beaucoup (2 P 3.5). Le monde sera jugé
par la parole . Entre le déluge et le jugement, c’est le temps de la patience divine, de la grâce générale de
Dieu. Cette doctrine est capitale pour aujourd’hui: elle affirme que le monde n’échappera pas à la volonté de
Dieu dans un krach cosmique et que Dieu accomplit son plan jusqu’au terme fixé. C’est pourquoi la foi en
Dieu n’autorise pas une angoisse désespérée face à une catastrophe nucléaire.
E. Les miracles
Les miracles soulève un problème de définition. Hume a dit que les miracles constituaient «une
exception ou une violation de la loi naturelle». Une telle définition permet de nier l’existence des miracles,
en affirmant qu’il n’y a pas d’exceptions à la loi naturelle. Ainsi la science moderne a rejeté la notion de
miracle. L’absolutisme de la science (pas d’intervention dans un monde clos) est le fondement de la pensée
anti-surnaturelle. Les miracles sont des événements mythiques et sont rejetés au fur et à mesure que la
compréhension de l’homme s’accroît. La nature forme une partition entre Dieu et l’homme. Tout peut être
expliqué par des causes secondaires.

1. La position réformée
Un miracle est un événement qui se produit dans le monde extérieur par l’intervention immédiate de
la puissance de Dieu. Le miracle n’est pas, en premier lieu, un acte merveilleux, mais un témoignage de la
puissance de Dieu (l’incarnation est importante non pas comme acte de Dieu, mais comme témoignage de la
présence de Dieu). Les miracles peuvent être des actes directs, mais ils sont parfois indirects.
a) Nous ne savons pas tout sur les puissances à l’œuvre dans la nature. Aussi un miracle à nos yeux
peut-il les faire intervenir. Bavinck rejette l’idée d’une concurrence entre les forces de la nature et l’action de
Dieu.
b) Le chrétien ne peut pas admettre qu’il y ait des réalités explicables sans référence à Dieu. Puisque
toutes choses s’expliquent par leur rapport avec Dieu, il est donc difficile de définir les actes directs et
indirects de Dieu. Kuyper s’attaque à l’idée que les miracles seraient des actes occasionnels. Dieu peut, s’il
le veut, à un moment donné, disposer des faits autrement que jusque-là. Il y a alors un miracle pour nous,
mais pas pour Dieu.

2. Quelques propositions
a) Les miracles ne contreviennent pas aux lois de la nature. L’application de celles-ci n’est pas
suspendue pour créer les conditions d’une intervention miraculeuse de Dieu, mais la puissance de Dieu
dispose de ces lois pour leur donner un ordre nouveau.
b) Les miracles dans l’Ecriture interviennent essentiellement contre le péché. Leur signification
réelle réside moins dans leur caractère étonnant que dans leur aspect rédempteur et instructif. Ce sont des
actes de salut qui concrétisent la confrontation du royaume des ténèbres avec celui de la lumière. Leur sens
se trouve dans la rédemption et l’établissement du royaume de Dieu (Ex

34.10; Ps 72.18; 77.13; 86.10; 136.4; Mt 12.10, 8.13, 9.28s). Les miracles nous étonnent parce que nous
sommes habitués à l’anormalité du péché et à sa malédiction de mort et de peur. Dans le salut en Christ, la
vie est restaurée, la création est renouvelée, la malédiction est vaincue (Mt 11.4-6; Mc 8.9; Lc 10.18) Le
miracle n’est pas une preuve destinée à l’intellect incroyant de l’homme, mais un appel à prendre une
décision au sujet du salut en Christ.

3. Une comparaison
De même que la révélation spéciale se déroule dans le contexte de la révélation générale de Dieu, de
même, les actes miraculeux se déroulent dans le contexte de la providence générale de Dieu. L’homme
pécheur n’est pas capable de comprendre la révélation générale ou le providence, sans un acte spécial de
Dieu.
a) Le salut présuppose la providence comme la Parole de Dieu présuppose la révélation générale.
b) Le miracle dans l’histoire du salut atteste l’action de Dieu et appelle la repentance et la foi. Il
s’accompagne des paroles de salut. Les paroles qui interprètent le salut de Dieu en Christ, donnent aussi le
sens du miracle. Les miracles sont étroitement associés à l’accomplissement du salut. Ceci est frappant dans
l’Ecriture où les miracles ne sont pas distribués également dans toutes les parties de la Bible. Ils sont surtout
présents lors des grands moments de la rédemption, comme l’exode ou l’incarnation. En dehors de ces points
«chauds» où l’opposition du mal est particulièrement forte, les miracles sont assez peu fréquents.
X. LA DOCTRINE BIBLIQUE DE L’ELECTION

A. Les frontières de l’élection

1. Introduction
La question qui se pose à l’Eglise de tous les temps est la suivante: à quel moment situer la décision
de la rédemption de l’homme. Est-elle d’abord une décision de l’homme et de sa volonté dans le cadre de la
grâce générale de Dieu? Ou est-elle ultimement divine ? Les réponses opposent Augustin à Pélage; les
réformateurs aux nominalistes; les calvinistes de Dordrecht aux arminiens; Pascal aux jésuites. Une réponse,
parfois, consiste en un équilibre qui harmoniserait l’acte de Dieu et la décision de l’homme: le synergisme.
On a souvent évoqué les dangers de la doctrine de l’élection. Ces dangers sont non seulement
théoriques, mais aussi pratiques. La doctrine touche à la certitude du salut et, par conséquent, à la pratique de
la vie chrétienne.
– Le salut est-il gratuit par une libre décision de l’amour de Dieu ? S’il en est ainsi, ne risque-t-on
pas de dévaloriser les œuvres?
– En revanche, si les œuvres sont nécessaires au salut, le risque n’est-il pas celui du moralisme? La
certitude du salut ne disparaît-elle pas?
Dans le premier cas, la décision de Dieu, dont la raison profonde est cachée et qui ne dépend pas des
mérites, est une menace pour la certitude. Dans le second, l’obligation de coopérer plonge l’homme dans
l’incertitude. Si l’élection cède la place au moralisme, l’homme est en danger.
Ces deux extrêmes soulignent combien est délicat le sujet de l’élection. Il faut, d’une part, éviter une
élection mystérieuse, occulte, incertaine ou arbitraire et, d’autre part, dépasser une pré-connaissance divine
des œuvres qui mériteraient l’élection. Dans ces deux cas, l’aspect concret du message biblique fait défaut.
Celui-ci propose une élection divine, certes, cachée, mais manifestée en Jésus-Christ qui fonde et certifie
l’élection saisie par la foi. Cette certitude de la foi en Christ suscite une responsabilité: celle d’aimer Dieu.
L’élection divine est, en effet, le fondement de notre amour pour Dieu et non l’inverse: notre amour de Dieu
n’est pas le fondement de notre élection.
Dans la Bible, l’élection divine n’est jamais une cause d’incertitude, mais source de louange et de
gratitude. La question-test: l’élection est-elle la cause de notre certitude? Si oui, il faut réétudier cette
doctrine.

2. Résistances
Plus que toute autre, cette doctrine se heurte à des résistances. Trois raisons:
a) Incompréhensions. Elles sont dues à un manque de compréhension ou de sympathie pour la
position augustinienne. Calvin est souvent appelé à tort: «le théologien de l’élection»; à noter la faible place
de cette doctrine dans l’Institution de la Religion Chrétienne. A rpopos des Canons de Dordrecht, l’article
«prédestination» dans l’Encyclopaedia Universalis est un chef-d’œuvre d’incompréhension: «La victoire de
Gomar sur les arminiens au synode de Dordrecht consacre le triomphe du calvinisme strict, en affirmant la
prédestination «supralapsaire», c’est-à-dire avant la chute.» Or, les Canons de Dordrecht sont
«infralapsaires». Aucune confession de la Réforme n’affirme le «supralapsarisme».
b) Scandale. L’élection divine comprise comme souveraine correspond au skandalon de l’Evangile.
Que la grâce de Dieu soit souveraine est une proposition qui prend à rebrousse-poil, car elle est en
contradiction avec l’idée de la liberté de choix et le désir d’anthropocentrisme. (Jn 6.37-40, 44 et 65s). La
doctrine de l’élection est une atteinte à la fierté de l’homme.
c) Risque de déterminisme. On n’a pas toujours bien parlé de l’élection. Jésus en a parlé
correctement, mais on n’a pas fait comme lui, ce qui alimente encore plus l’incroyance. Il ne faudrait pas
ajouter au scandale de l’Evangile un scandale humain en présentant la doctrine comme un déterminisme
fatal. Cependant, aucune présentation théologique de la doctrine ne correspond à la réalité divine. Tous les
systèmes sont plus ou moins bons. La vérité de l’élection ne réside pas dans un système théologique, dans la
personne de Dieu. La théologie parlera fidèlement du mystère de Dieu en observant les limites de sa
révélation. Calvin fait deux remarques à ce sujet (III.21.3). En commentant Deutéronome 29.28, il dit qu’il
est impossible d’éviter de parler de l’élection dans la prédication; agir autrement impliquerait que le message
biblique est dangereux, et cela priverait les auditeurs des bénédictions de Dieu. Calvin dit aussi qu’il faut en
parler avec modération «en fermant nos bouches là où Dieu a fermé sa bouche». Aller au-delà du message
biblique revient à asservir le peuple de Dieu à une tradition humaine. Il convient de parler de l’élection dans
le cadre de la révélation, par rapport à sa fonction dans l’ensemble du message biblique.
3. L’élection est-elle arbitraire?
Le nominalisme d’Occam (la notion pélagienne du libre arbitre appliquée à Dieu) affirme que Dieu
est une puissance absolue. L’homme plie devant le caractère entier de cette puissance. Dieu est ex lex. Pour
faire contrepoids à un Dieu absolu dont la puissance «désécurise», l’Eglise tend à devenir absolue et elle sert
d’intermédiaire dans la dispensation de la grâce du salut.
a) Comment distinguer entre un Dieu souverain et arbitraire?
Dans ses entretiens avec Ellul, M. Garrigou-Lagrange évoque deux vérités totalitaires, celles de
Calvin et de Marx! Le Dieu de Calvin serait-il totalitaire ou non?
L’acte qu’homme accomplit en défiant toute loi est dit arbitraire. En Israël, le roi était soumis à la loi
du roi (Dt 17) ce qui écarte l’arbitraire. Mais Dieu n’est pas soumis à une loi. Comme l’a dit Occam, Dieu est
ex lex. La souveraineté de Dieu comme celle de l’Etat totalitaire ne peut pas être remise en question. Dieu
serait-il donc arbitraire (Rm 11.34, cf. v. 33)?
Dans l’histoire des doctrines, la notion d’un Dieu arbitraire est refusée. La confession de la
souveraineté de Dieu va de pair avec la contestation de tout arbitraire. Calvin refuse même de dire que Dieu
est ex lex (III.23.20). Il n’existe pas de causes à la volonté divine. Dieu est loi pour toutes les lois, norme de
perfection: il est saint et juste dans sa volonté. Dieu est loi, juste et sainte, à lui-même. La puissance de Dieu
n’est donc pas séparée de sa justice et de sa sainteté.
Autrement dit, si la volonté de Dieu n’a pas de cause, elle a une raison, à savoir la profondeur de Dieu et
de ses richesses. Le Dieu souverain n’est pas arbitraire, car sa puissance n’est pas de pure forme mais
conforme à l’harmonie de son Etre. Ceci ressort du fait que, dans la Bible, notre salut dépend non seulement
de ce que Dieu fait, mais aussi de ce qui est impossible pour lui (2 Tm 2.13; Hé 6.18; 1 Jn 1.5).
b. Romains 9.11 et 20 semblent indiquer un certain arbitraire en Dieu. La libre exousia divine en
l’élection est-elle arbitraire? Dans le contexte, Paul pense non à la liberté arbitraire de Dieu, mais à la liberté
divine contre, ou qui renverse les prétentions de l’homme.
Il faut faire attention à la manière dont Paul parle de cette élection: elle n’est pas soumission
craintive, mais incitation à l’adoration (Rm 11.33s). L’homme n’est pas le conseiller de Dieu : telle est la clef
exégétique de Romains 9-11. La gratuité de l’élection divine n’est pas fondée sur l’arbitraire, mais sur la
liberté de la grâce de Dieu qui provoque l’adoration. Ne pas pouvoir sonder le pourquoi de cette grâce,
n’autorise pas à penser qu’elle est arbitraire, car elle est fondée sur la sagesse profonde de Dieu (Rm 11.34).
L’élection, loin de suggérer quelque chose d’horrible, doit nous pousser à louer la profondeur de la grâce de
Dieu. On est bien loin des profondeurs arbitraires de Satan (Ap 2.24) La profondeur de l’amour de Dieu,
c’est son amour révélé en Christ (Rm 8.39). La «raison» de Dieu n’a rien d’arbitraire dans l’histoire du salut.
Cette histoire est à la fois celle du renversement des mérites humains et de la gratuité de l’acte divin. L’œil
mauvais voit de l’arbitraire dans la générosité divine comme le suggèrent les ténèbres qui règnent dans le
cœur de l’homme (Mt 20.12, cf. 15-16).
L’inversion premier-dernier révèle le scandale de la grâce de Dieu (1 Co 1.23, 26ss; cf. Dt 7.7;
9.4ss).
Dieu manifeste sa sagesse dans l’élection (même dans la croix) face à la réalité du péché et de
l’incroyance que l’accomplissement des œuvres de la loi n’anéantira pas: ainsi il est clair que le salut est par
grâce.

4. L’élection implique-t-elle le fatalisme ?


Fatalisme et prédestination sont souvent confondus. Pour bien parler de la prédestination, il faut les
distinguer clairement. Si nous sommes prédestinés, sommes-nous libres ou inluctablement destinés à quelque
chose?
a) Il existe un point de contact entre la prédestination et le déterminisme païen (le destin). Les deux
attestent une certitude absolue dans la séquence des événements historiques. Selon la théologie chrétienne et
selon l’Ecriture (Ep 1), le conseil de Dieu ordonne tout ce qui se passe. La différence avec le déterminisme
est grande en ce qui concerne:
– le fondement de la certitude de ce qui se passe,
– la nature de l’influence sur laquelle cette certitude est fondée (le personnel de l’Ecriture contre
l’impersonnel).
– le but proposé: dans un cas, la tragédie est ultime et irrévocable; dans l’autre, c’est le triomphe de
la grâce divine.
b) Fatalisme et destin. Le destin comme notion philosophique a deux aspects: les événements sont
réglés par un déterminisme inéluctable, qui conduit à la mort ou au moment de la mort: «C’est la faute à la
fatalité».
La vie et la mort sont liées de façon inéluctable par le destin. D’où une vision tragique de la vie qui
caractérise la pensée grecque et, à travers elle, le romantisme. Le destin est donc la perception du
mouvement qui conduit de la vie à la mort.
L’histoire serait l’œuvre d’un dieu irrationnel ou absurde ou impénétrable qui présiderait à la mise en
scène d’un destin incompréhensible. L’homme n’aurait aucune prise sur les événements; il ne serait qu’une
sorte de marionnette.
Cette conception est présente dans les discours politiques de nos contemporains. Elle comporte une
notion de souffrance. La perspective de la mort fait de la vie une souffrance aveugle jusqu’au moment où
l’on comprend ce qu’est le destin. «Souffrir pour comprendre» que le destin est un accomplissement sûr et
déterminé dans la douleur. La souffrance tragique de l’homme est un mouvement éternel, réglé et continu
vers la mort. Ceci est proche de la notion du karma dans le bouddhisme. En niant tout savoir sur la
matérialité, on pourrait atteindre l’illumination sur la nature de l’homme.
Kierkegaard a beaucoup écrit sur la tragédie en opposition à la philosophie de Hegel, en particulier
dans Ou bien... ou bien. Il met en contraste la notion du tragique et la finalité de la mythologie grecque avec
le destin de Christ, et à travers lui, avec celui du chrétien. La notion chrétienne implique une vocation. Cette
vocation modèle l’individu et modifie sa finalité. La vocation chrétienne a pour finalité interne de faire
participer l’individu à l’œuvre de Dieu. La finalité n’est plus la mort; l’individu, par sa vocation, est inséré
dans la temporalité indéfinie de Dieu. Cette vocation rompt la fatalité par la finalité qui conduit l’appelé dans
l’immortalité.
Nous pouvons maintenant exposer les différences qui existent entre le fatalisme du destin païen et la
prédestination chrétienne.

5. Fatalisme et conseil de Dieu


Le mot «fatalisme» est appliqué à différents systèmes qui admettent ou refusent l’existence d’une
intelligence suprême. En général, il est dit que les événements surviennent sous l’impulsion d’une nécessité
absolue. Voici quelques points de différence avec le message biblique.
a) Le fatalisme n’a pas de concept de finalité. L’eschatologie – un but vers lequel toutes choses
tendent et pour lequel elles existent – lui est étrangère. Selon les Ecritures, tout est ordonné en vue de la
gloire de Dieu. il en est ainsi même s’il est difficile de concilier la perdition de certains avec cette gloire
divine. Par Christ, la race humaine est sauvée, même si tous les individus ne le sont pas.
b) Le fatalisme voit la concaténation (l’enchaînement) des événements selon une relation de cause à
effet dépourvue d’intelligence. L’homme se résigne à subir cette séquence. Le conseil de Dieu, en revanche
comprend l’accomplissement de la volonté de Dieu par des causes secondaires, libres dans leurs actions. Ces
«causes à effets» secondaires existent selon la sagesse et la bonté de Dieu.
c) Le fatalisme ne fait pas de distinction entre les causes nécessaires et les causes libres. Tout est par
nécessité, comme dans le fonctionnement d’une machine. Selon la vision biblique, il existe une nécessité
dans l’accomplissement de la volonté de Dieu, qui n’exclut pas mais inclut la liberté et la responsabilité de
l’homme. Dieu exécute sa volonté en tenant compte de notre nature personnelle de créatures, en respectant la
liberté réelle attachée à cette nature.
d) Le fatalisme donne naissance à l’insensibilité et au désespoir, en supprimant le fondement des
distinctions morales. L’univers du Marquis de Sade est fermé; c’est l’espace clos de l’obsession où le sexe
devient son contraire et l’homme meurtrier collabore à l’œuvre de la nature. La prédestination décidée par un
Dieu sage dépend de son caractère de Père; elle encourage la confiance filiale.

6. Importance de l’élection dans notre situation


Ces considérations peuvent nous aider à ne pas formuler de jugements précipités sur le caractère de
l’élection divine. Contrairement aux apparences, le conseil de Dieu est le vrai fondement de la liberté de
l’homme. Après avoir créé la machine, l’homme est devenue la créature de sa machine; il est réduit à n’être
qu’un élément dans le système. D’où, aujourd’hui, la renaissance du fatalisme et le renouveau du paganisme.
Notre avenir est lié au collectif, mais notre survie est individuelle; notre impuissance à les réconcilier nous
crucifie tous les jours.
Ce paradoxe n’est surmonté que dans le conseil du Dieu omniscient.

B. Les aspects historiques du problème


1. La question fondamentale qui sert de fil conducteur dans tous les débats sur la prédestination est la
suivante: où situer la décision de la rédemption de l’homme? Elle ne porte pas, en premier lieu, sur
l’accomplissement de la rédemption, car tous insistent sur la responsabilité de l’homme et sur
l’accomplissement historique du salut et de la vocation des sauvés. La priorité est celle de savoir comment la
réalité historique s’associer au conseil divin. Les décisions humaines historiques sont-elles prises:
- indépendamment du conseil de Dieu comme étant leur cause première?
- en coopération avec le conseil général de Dieu?
- de façon dépendante du conseil de Dieu qui les précède?
A chacune de ces questions correspond une vision générale du rapport qui existe entre la
souveraineté divine et la responsabilité humaine. La grâce de Dieu est-elle souveraine dans ses actions ou
bien l’homme, dans son état présent, peut-il refuser de façon ultime cette grâce? Ceci soulève la question de
la chute de l’homme. Une discussion sur la localisation de la décision de la rédemption soulève le rapport
existant entre l’anthropologie biblique et la sotériologie, étant donné le caractère de Dieu.
Le point en litige n’est pas la réalisation du salut accompli en Christ que nous nous approprions,
mais la nature du plan divin qui précède cet accomplissement. Le choix à faire est entre ce que Warfield
appelle le naturalisme, qui propose que Dieu a, plus ou moins, laissé l’homme libre d’être l’auteur de son
salut à l’exemple de Christ (le libéralisme est une forme de pélagianisme), et le supranaturalisme, qui atteste
que Dieu intervient d’une façon ou d’une autre pour sauver l’homme. Dans le naturalisme, ce n’est pas Dieu
qui est nié, mais l’idée que l’homme accomplisse son salut par des moyens naturels; la décision lui
appartient, car Dieu l’a laissé libre de le faire. Dans le supranaturalisme, Dieu intervient et décide de tirer
l’homme de sa perdition.

2. Le problème est-il bien posé?


La difficulté est la même pour toute les positions: celle du lien entre le salut révélé et le salut
planifié. Pour toutes les approches, ce qui est révélé est historique, conditionné par le temps, tandis que ce
qui concerne le conseil éternel de Dieu est planifié de façon inconditionnée, même s’il y a des références
temporelles! Pouvons-nous donc percevoir un ordre (un avant et un après) dans le conseil de Dieu à partir
des données de l’histoire? Non, pas vraiment, et c’est en cela que toutes les interprétations sont insuffisantes.
Cependant, la question n’est pas totalement inutile, car les facteurs de l’histoire ont un caractère contraignant
qui dévoile le plan divin. Nous ne voyons pas le plan de Dieu en soi, mais nous ne pouvons pas dire que
l’histoire n’est pas ce que Dieu a voulu. Les faits nous obligent à réfléchir sur notre rapport avec Dieu. La
meilleure interprétation est celle qui conserve le mystère divin et qui refuse de «rationaliser» Dieu.

Chacune des trois hypothèses soulève un problème différent:


– pour le particularisme: si l’élection relève de la seule décision de Dieu, indépendamment des
mérites de l’homme, la décision de Dieu seul peut devenir signifiante. Le problème est de dire comment cette
décision divine engage l’homme sans fatalisme ni déterminisme.
– pour le naturalisme: si la décision du salut est laissée à l’homme dans le contexte d’une grâce
générale de Dieu, peut-on parler du don de la miséricorde divine?
– pour les via media, synergistes – qui essaient de trouver une coopération de Dieu et de l’homme
dans la prescience divine – le problème n’est pas différent. Dieu nous sauve, car il voit des possibilités en
nous.

3. Le pélagianisme
Le problème du pélagianisme se situe dans le cadre du christianisme sociologique, nominal, au début
du Ve siècle. Il insiste, étant donné l’état de licence généralisée, sur la nécessité de l’effort humain et d’une
décision de la volonté pour recevoir le salut. Pélage est aussi en réaction contre le manichéisme qui insiste
sur l’aspect mauvais du côté matériel de l’homme.
Pour Pélage, la part de Dieu dans le salut se limite à donner à l’homme une volonté libre, à lui
permettre de choisir entre le bien et le mal. Les trois éléments d’un choix étant le pouvoir, le vouloir et
l’exécution, seul le premier vient de Dieu; les autres relèvent de l’homme. La nature humaine qui vient de
Dieu est bonne. Il n’est donc pas possible de parler d’une disposition de l’homme à faire le mal. La capacité
de choisir le bien est un don que Dieu fait à chaque homme, car Dieu crée chaque âme à la naissance.
L’âme ne peut donc rien avoir de mauvais congénitalement. Le péché est un acte libre que
l’homme accomplit par imitation. En conséquence:
– Le péché d’Adam n’a pas de signification pour sa postérité. Celle-ci suit des exemples mauvais; il
n’y a pas de solidarité avec Adam.
– La grâce de Dieu est une exhortation externe, qui se trouve dans la loi et l’Evangile, à recevoir la
récompense de Dieu.
– Christ est celui qui nous sauve de nos péchés et un exemple du bien; la grâce est présente sous la
«forme de connaissance».
– L’homme peut, avec ces exemples, «observer les commandements de Dieu sans pécher».
– La prédestination est une prévision divine et la détermination de récompense ou de punir. Il est
possible de ne pas persévérer dans la grâce de Dieu.
Le Concile de Carthage (418) a condamné ces thèses comme une déformation de la grâce. Le semi-
pélagianisme, qui enseigne que l’homme n’est ni saint, ni mort dans ses péchés, mais qu’il est maladif,
modifie la position de Pélage. L’homme ne peut pas mériter la grâce de Dieu, mais il est capable de
l’accepter et de persévérer. Le Synode de Valence (855) a soutenu la position d’Augustin. Ces décisions sont
toujours la doctrine officielle de l’Eglise catholique romaine.

4. Le synergisme à l’époque de la Réforme


a) Le Concile de Trente a semblé s’écarter de la pensée de Thomas et d’Augustin. Il confesse la sola
gratia mais, contre Luther et Calvin, il place le libre arbitre de l’homme en coopération avec la grâce. Celle-
ci est nécessaire et active (praeveniens), mais non irrésistible, car l’homme doit coopérer en la confessant. Ce
Concile de Trente veut maintenir que l’homme n’est pas passif lorsqu’il reçoit la grâce. D’où la question: la
décision divine est-elle, oui ou non, décisive dans le salut?
L’homme peut refuser la grâce s’il le veut (posse dissentire si velit); il ne s’agit plus de la grâce
efficace et irrésistible de Dieu, ni de la seule décision de l’homme, mais de synergisme: la grâce divine et
l’acte humain. Cette perspective est liée avec un système sacramentel, par lequel l’homme reçoit la grâce
suffisante dans les sacrements et persévère dans la grâce.
b) Du côté luthérien, on trouve le même problème dans la pensée de Mélanchton, développée dans
ses Loci Communes (1535). Au début, comme Luther, il refuse toute coopération, car l’homme est incapable
à cause de son péché de prendre une décision propice. La grâce est irrésistible et la prédestination
inconditionnelle. Plus tard, il évoque trois causes au salut: la Bible, l’Esprit et la volonté de l’homme qui ne
rejette pas l’Evangile. Cette position a une incidence sur la prédestination. Tandis que Luther refuse
d’intégrer une prise en considération de la réponse de l’homme dans la décision divine, Mélanchton estime
que le salut s’effectue par l’addition de la volonté de l’homme à celle de Dieu. La prédestination est
conditionnée par la réponse de l’homme. Pour Mélanchton, la différence entre les «sauvés» et les «perdus»
ne provient pas de la décision divine, mais de nous. Ainsi s’opère un rapprochement avec la position du
Concile de Trente. Sont prédestinés ceux qui ne refusent pas les moyens de grâce offerts par Dieu.
c) Synthèse théologique : le synergisme en sotériologie (l’acceptation du salut) implique une
corrélation avec la doctrine de l’élection. La souveraineté divine dans le salut et la coopération humaine sont
en rapport avec la souveraineté dans l’élection ou la prescience. Le synergisme ne concerne pas seulement
une coopération temporelle entre la grâce prévenante et le non-refus de l’homme, mais il implique la
prévision de ceci dans le conseil éternel de Dieu. La coopération temporelle projetée dans l’éternité implique
que l’élection soit conditionnée par une pré-connaissance divine. La décision divine inclut la connaissance
d’un mérite de la part de l’homme. Ainsi on distingue, dans le conseil divin, une volonté antécédente et une
volonté conséquente, conditionnée par la prescience. On a:

Volonté antécédente, de sauver en Christ


ceux qui croient (universelle)
– prescience –
Volonté conséquente, le salut actuel de ceux
qui sont «prévus» par la prescience
(particulière)

Entre ces deux volontés, Dieu prévoit la réponse de ceux qui accepteront l’offre universelle. Il
regarde ceux qui accepteront ou refuseront la grâce, et il élit sur ce fondement.
Entre la décision universelle et la réalisation particulière, il y a une condition: celle de la non-
résistance de l’homme à la grâce universelle. Ce qui se passe dans le temps – la réaction humaine – devient
la condition pour que l’élection se réalise. Le synergisme est «projeté» dans le conseil de Dieu.
Cette position, qui se sépare de celle de Thomas et d’Augustin, est générale dans la théologie non-
réformée: luthérienne, méthodiste, évangélique et catholique (excepté chez les jansénistes et les thomistes
purs).

5. La position des Remonstrants (Arminiens)


La Formule de Concorde (1577) constitue, dans le luthéranisme, le triomphe des disciples de Luther
sur ceux de Mélanchton; du côté réformé, Les Canons de Dordrecht sont l’expression du calvinisme
augustinien contre le semi-pélagianisme des remonstrants. Le synergisme a une attraction magnétique telle
qu’il n’a jamais cesser d’attirer plus de partisans que l’autre position.
Arminius (1560-1609) était un disciple de Th. De Bèze, professeur aux Pays-Bas; il est mort avant
Dordrecht. Sa pensée était représentée par Episcopus et Grotius et fut reprise plus tard par Limborch. Les
remonstrants ont formulé leurs articles avant le Synode de Dordrecht:
i) Lélection et la condamnation sont conditionnées par la prescience de Dieu quant à notre foi ou
notre incroyance.
ii) Christ est mort pour tous les hommes et pour tout homme. Le pardon est offert à tous sous la
condition de leur réponse. Ceci veut dire que la mort de Christ n’est pas le salut des pécheurs, mais que les
pécheurs sont sauvables. La mort de Christ est la clef qui permet à l’homme de répondre.
iii) L’homme est déchu et ne peut pas obtenir la foi sans la grâce,
iv) mais il peut résister à la grâce de Dieu. Pour certains arminiens, le repentir et la foi précèdent la
régénération (ce qui semble nier le caractère total du péché).
v) Le persévérance des saints n’est pas certaine: rien ne prouve que la grâce, une fois accordée,
puisse être perdue.
Cette approche sotériologique implique, en ce qui concerne le plan du conseil de Dieu, que l’élection
divine soit accomplie en accord avec le connaissance des actes futurs des individus libres (scientia media).
Cette «science» n’implique pas de prédestination inconditionnelle.
a) Dieu, qui prévoit la chute de l’homme, détermine d’envoyer Christ comme Sauveur de tous. Cette
grâce générale est suffisante pour tous et la foi permet de se l’approprier. La mort de Christ rend possible le
salut pour tous.
b) Dieu, dans sa prescience, considère comment certains hommes répondent à la grâce, ou la
refusent; cette réponse constitue le fondement de leur acceptation par Dieu.
c) Dieu nous sanctifie en collaboration avec sa grâce. Le saint peut atteindre la perfection dans cette
vie, et ainsi avoir l’assurance du salut. Dans ce schéma, l’élection des individus ne dépend plus de la gratuité
divine, mais du comportement que Dieu prévoit être celui de l’individu. La volonté humaine est l’une des
causes de la régénération.

6. Evaluation
Cette conception du salut semble avoir beaucoup d’avantages. En particulier, elle a celui de
réconcilier la miséricorde et la sincérité de Dieu avec la perte du pécheur. Si l’homme se perd librement,
Dieu ne peut pas être accusé d’injustice. De plus, cette conception insiste sur la responsabilité de l’homme
qui a la capacité de répondre positivement à l’Evangile. Ainsi elle paraît propice à l’évangélisation. Ces
«plus» ne sont qu’apparents: plusieurs problèmes restent sans solution
a) Le conseil éternel de Dieu ne peut pas être conditionné par le temps. Le problème de la scientia
media est le suivant: si Dieu, dans sa prescience, voit les événements futurs de façon certaine, cette certitude
constitue déjà une prédestination de Dieu. Car si Dieu a prévu quelque chose avec certitude, cette prévision
est certaine; pour qu’il en soit ainsi, la cause de cette certitude ne peut être que la volonté libre de Dieu.
Si, en revanche, Dieu a prévu non avec certitude, mais comme une simple possibilité, il est impossible de
parler de prescience.
Il en est ainsi de notre réponse de foi à l’Evangile. Si Dieu prévoit notre réponse avec certitude, cette
réponse fait partie de sa volonté pour nous. Nous sommes donc prédestinés. Si, en revanche, Dieu ne voit pas
notre réponse avec certitude, il n’y a pas vraiment de prescience divine. La scientia media échoue dans les
deux cas.
b) Si l’apôtre Paul avait eu une pensée arminienne, il n’aurait jamais écrit Romains 9. En adoptant
une perspective arminienne, on n’est plus obligé de répondre aux objections qu’il formule lui-même en
Romains 9.14 et 19: Dieu est-il injuste et l’élection détruit-elle la décision humaine?
Paul insiste sur la souveraineté de Dieu. L’arminien, lui, insiste sur la justice de Dieu, les voies de
Dieu étant suspendues à l’utilisation de la grâce suffisante dans le choix de l’homme.
c) La foi, la pénitence et la persévérance en sainteté, qui sont des conditions humaines, motivent
l’élection de l’homme et sont, dans l’Ecriture, des conséquences de la grâce de Dieu, fondée sur l’élection
(Ep 2.8ss; Phi 2.12s). L’homme est élu non à cause de sa sainteté, mais en vue de la sainteté.
d) La raison profonde de la séduction de toutes les formes du synergisme est que l’homme reçoit son
salut non seulement de Dieu, mais aussi de lui-même. A cause de sa décision de croire, le salut est actualisé
dans le temps, mais aussi dans l’éternité. Le vrai problème du synergisme est celui de l’égocentrisme
humain. C’est ce que veut dire Bavinck quand il affirme que le pélagianisme est irréligieux. La séduction de
nos mérites mine le fondement de la vraie spiritualité, de la vie de foi et de prière. Dans nos prières, nous ne
nous glorifions pas; nous glorifions Dieu. Il n’y a que le pharisien qui vante ses mérites. La grâce nous fait
vivre et prier en chrétiens; elle ne s’appuie pas sur nos mérites. Certes, les arminiens sont des gens de prière
zt qui ont une vraie vie chrétienne, mais il y a une contradiction entre leur piété et leur doctrine. Cette
dernière qui est irréligieuse.
Contre le synergisme, il faut affirmer que l’Ecriture ne présente jamais une complémentarité
complémentaire entre le divin et l’humain à l’égard du salut.
L’œuvre de l’homme est la conséquence de l’acte de Dieu. Cet acte crée et appelle notre réponse. II
est l’expression de la dynamique de notre foi. Jean 6.44 parle de l’attraction irrésistible de Christ. helko est
un verbe puissant: Kittel indique son aspect coercitif, compulsif de supériorité irrésistible (cf. Jc 2.44; Ac
16.19). L’acte de «venir» à Christ est fondé sur l’attraction irrésistible de la grâce de Christ. Si nous venons,
c’est que nous sommes attirés; puisque nous sommes le don du Père au Fils (Jr 20.7!).

7. L’élection selon Karl Barth


La doctrine de Barth commence en approuvant Calvin et l’orthodoxie réformée. Mais Barth en est
critique aussi. Pour lui, la doctrine réformée, si sa perspective fondamentale est juste, est abstraite, car Calvin
ne comprend pas vraiment la doctrine biblique de la grâce: «l’élection de la grâce est tout l’Evangile.» Il faut
que l’élection soit révélée comme grâce de Dieu et non comme la décision d’un Dieu abstrait. Ainsi Barth
écrit que le «Dieu de l’élection de Calvin est un Deus nudus absconditus.» Pour lui, le problème est que la
source de l’élection est au-delà de Christ dans une décision qui ne doit rien à Christ et à l’amour de Dieu. La
grâce serait obscurcie par les ténèbres de l’indécision d’un décret absolu. L’élection est souveraine, en
dehors de l’amour de Dieu en Christ C’est pourquoi Karl Barth propose que l’élection ait un fondement
purement christologique.
a) L’Etre de Dieu et la décision primaire
L’Etre de Dieu est en devenir, car c’est la «décision primaire» qui établit la relation en Dieu. La
décision divine de l’élection est en corrélation avec une autre: celle d’être trinitaire. Ainsi l’Etre en Soi de
Dieu est un acte intériorisé et extériorisé. Dieu se correspond à lui-même dans sa décision. Cette historicité
de Dieu fonde l’historicité de la révélation. La grâce de Dieu est Geschichte, car elle a son fondement dans le
décret concret où Dieu se correspond à lui-même. Ainsi K. Barth peut dire «à l’origine, l’élection de
l’homme par Dieu est une prédestination non seulement de l’homme par Dieu, mais de Dieu lui-même.»
Pour cette raison, l’élection fait partie de la doctrine de Dieu, et cela dans un sens supralapsaire. Par sa
décision, Dieu se détermine comme un Etre en acte.
– L’auto-détermination est un acte dans lequel Dieu se correspond à lui-même comme Père, Fils et
Esprit.
– en même temps, elle est la relation entre Dieu et l’homme, fondée sur la décision où Dieu se veut,
et se veut comme amour.
b) Concrétisation christologique
Christ est à la fois le Dieu qui élit et l’homme élu. Il est le sujet et l’objet de l’élection. Cela
détermine le rapport qui existe entre Dieu qui élit et l’homme qui est élu. Ainsi Christ n’est pas seulement
l’objet du bon plaisir de Dieu, mais il est le bon plaisir de Dieu. Le conseil éternel de Dieu est révélé en
Christ qui est sujet et objet de la décision divine. L’Etre de Dieu et son conseil ne sont pas cachés dans un
décret absolu, mais sont concrétisés dans la révélation de Christ. Le conseil divin est transparent et total en
Christ. L’élection ne concerne donc pas le nombre de ceux qui sont compris dans une décision cachée; elle se
restreint à Christ, l’homme élu. Pourtant, l’élection implique la réprobation (comme toujours!) ; K. Barth est
supralapsaire. Le «oui» de Dieu implique la réprobation de Christ et, ainsi, Dieu décide de ne pas être un
Dieu de haine. «Dans le conseil éternel de Dieu, c’est Dieu qui est rejeté en son Fils» (Blasphème ou non,
pensez-y!). Dieu prend au sérieux la menace du néant et il l’assume dans le rejet du Christ. C’est en lui que
Dieu se détermine par la réprobation de Christ d’être pour nous en l’élection. Christ est Dieu rejeté pour tout
homme.
c) Problèmes…
Si Christ est rejeté par la décision divine, n’est-ce pas une explication du péché de l’homme? Le
péché est ce qui est impossible à l’homme car il est rejeté par la décision divine. La liberté pour l’homme
n’est pas la possibilité de suivre une des deux directions. Sa liberté est pour Dieu, car le néant, le chaos et le
péché sont rejetés en l’Elu. Barth nie la possibilité du péché dans la création de l’homme libre (impossibilité
ontologique du péché). Il est donc impossible d’expliquer le péché à la lumière de la liberté de l’homme.
K. Barth établit un autre rapport. Le lien est direct entre l’élection qui implique le rejet et le chaos
qui se manifeste comme péché. Le «oui» de Dieu implique son «non» et, à cause de ce rejet, le chaos et le
péché existent. Le péché a son fondement dans le non-vouloir divin. Le non n’a pas de rapport dialectique
avec le «oui» : si l’élection est éternelle, la réprobation n’existe qu’en fonction d’elle comme une réalité
passagère. Le péché et le chaos sont le revers inévitable de l’élection. Dans un sens, Karl Barth a donné une
explication du péché qui reçoit son existence selon la détermination de ce que Dieu ne veut pas, ce qu’il
rejette comme l’impossibilité ontologique. En Christ, Dieu triomphe dans sa décision primaire, de ce qui est
impossible, en opposition avec lui.
d) Election, rejet et la portée de l’élection
En Christ, le rejet de celui qui est élu est révélé. Dieu choisit pour Lui-même le rejet qui fait du
péché une impossibilité, dès le départ. Il est donc impossible que l’homme soit rejeté, car Christ a
assumé cette impossibilité. Et puisque Christ a été, dans la décision divine, l’homme réprouvé,
l’homme est élu en Lui.
Cela s’applique historiquement: le Messie crucifié d’Israël est le Seigneur ressuscité de l’Eglise. Le
rejet d’Israël est passager, afin de réaliser l’élection du peuple de Dieu en lui. Israël reflète le jugement dont
Dieu délivre Christ. L’Eglise montre l’élection imméritée, réalisée en Christ à travers son rejet. Les individus
sont aussi élus en Christ. Ils acceptent que Christ ait été rejeté pour eux et attestent la vérité de l’élection.
Mais pour qu’il y ait des élus, il faut qu’il y ait des «réprouvés». Ce sont ceux qui persévèrent dans
l’impossibilité de l’incroyance et portent ainsi le témoignage que Christ est le rejeté qui rend nul leur choix.
Les réprouvés manifestent la contrepartie de l’élection, selon la non-volonté divine. C’est un détournement
de l’élection qui atteste indirectement celle-ci. Les «réprouvés» sont élus sans le savoir, car Christ a été le
rejeté pour tout homme. Leur vraie détermination est de cesser d’être des témoins involontaires de l’élection
pour devenir des témoins réels.
e) Evaluation
La doctrine barthienne a un attrait indéniable. Elle est logique… trop! Elle a raison de se centrer sur
Christ et sa fonction centrale dans l’élection. C’est biblique. Refuser une double prédestination symétrique
suit les meilleures lignes théologiques. Augustin a parlé de la prédestination des élus et de la prescience
divine quant aux réprouvés. Calvin affirme que la cause de la réprobation ne doit pas être cherchée en Dieu
mais en nous. Les Canons de Dordrecht insiste sur le non eodem modo. Karl Barth voit juste en affirmant que
l’éternité n’est pas décisive en soi; elle n’est pas une pré-temporalité mais une co-, post- et supra-
temporalité. L’élection éternelle est une décision qui englobe le temps dans toute sa réalité. La présentation
de Karl Barth est utile pour corriger certaines spéculations et aider au réajustement de certains aspects de la
doctrine.
i) Barth, et à sa suite P. Maury, n’ont pas compris le sens de la doctrine réformée. Berkouwer et
Runia nient que Calvin et les Canons de Dordrecht parlent d’un décret absolu. Runia affirme que la notion
d’un décret absolu est étrangère à l’Ecriture et à la pensée des Réformateurs. L’aspect christologique, s’il
doit être accentué, n’est pas absent chez eux. Berkouwer, en particulier, nie que Christ soit seulement celui
qui exécute un conseil abstrait de Dieu. Si les Réformateurs ne font pas de Christ la cause ou le fondement de
l’élection, ils n’ont pas voulu dire que Christ était simplement celui qui exécute le conseil de Dieu. Cette
terminologie ne leur semblait pas adéquate pour le en Christo biblique. En proposant que Christ est le miroir
de l’élection, Calvin n’a pas voulu dire que le conseil de Dieu nous est caché, mais que l’amour
réconciliateur se manifeste en Christ. Il n’y a aucune séparation entre le décret souverain et sa manifestation.
Le conseil de Dieu est en Christ et est révélé en lui. Il n’est pas immuable et abstrait, mais il se réalise
historiquement dans le en Christo et le dia Christo. Dieu est à l’œuvre en Christ pour se réconcilier avec
l’homme:
«Le conseil de Dieu n’est pas un acte qui appartient au passé, pas plus que la génération du Fils ;
c’est un acte divin éternel; toujours complet et pourtant toujours continué, en dehors du temps et surélevé au-
dessus du temps.»
La volonté de Dieu n’est pas autre chose que Dieu voulant et agissant.
ii) La décision primaire de Dieu
Dieu se tourne déjà vers l’homme avant la création. La création est nécessaire pour que Dieu soit
Dieu en relation. Il y a, chez Karl Barth, un point de confusion entre le temps et l’éternité. La décision divine
déterminerait Dieu comme trinitaire car, en elle, le Fils est le sujet et l’objet de l’élection. En tant que rejeté,
le chaos deviendrait en quelque sorte nécessaire pour que Dieu soit Dieu. K. Barth frôle, ici, le dualisme.
Cette historicisation de Dieu, qui impliquerait que la mort de Dieu est nécessaire à sa vie de
communion trinitaire, manifeste que Karl Barth n’a pas observé assez strictement le sens du langage
biblique. Le Père élit; le Fils est élu; cette élection diffère de l’élection humaine. Christ est élu selon son
office de médiateur; notre élection est différente.
iii) Peut-on établir un lien entre le rejet du Christ et l’impossibilité ontologique du péché ? La
conséquence en serait un universalisme hypothétique du salut, car Christ est l’Elu et le rejeté pour tout
homme. La différence entre ceux qui se savent élus et ceux qui attestent ce fait négativement, ne le sachant
pas, ne s’accorde pas avec l’attestation biblique. Dans celle-ci, l’homme qui n’est pas en Christ n’a pas la vie
et est déjà condamné. Quel rapport y a-t-il entre ce «condamné» et celui qui ne sait pas qu’il est élu? En
«expliquant» le péché, K. Barth n’a-t-il pas émoussé la réalité terrible de l’aliénation et de la séparation
d’avec Dieu?

C. L’élection dans le contexte des attributs de Dieu

1. Le rapport entre la connaissance et la volonté divines


Cette question fondamentale fournit le cadre de toute discussion sur la prédestination. Quelle est la
nature de la connaissance divine? Comment comprendre l’action de sa volonté par rapport à cette
connaissance.
– La nature de Dieu et la nature de sa connaissance
L’Ecriture nous enseigne que Dieu est lumière: En lui, il n’y a pas de ténèbres (1 Jn 1.15); Dieu habite
une lumière inaccessible (1Tm 6.16).
i) Cette expression renferme l’idée que Dieu a une connaissance totale de lui-même: il n’y a rien en
lui qui lui soit caché. Sa connaissance a pour objet sa nature divine éternelle. Dans la Trinité ontologique,
nous avons l’expression biblique du sens de cette connaissance divine. Dieu se connaît dans son unité et sa
diversité. Autrement dit, Dieu n’a pas besoin de rien en dehors de lui-même pour trouver un point de
référence universel, ni pour percevoir la réalité des faits particuliers. «L’Esprit sonde tout, même les
profondeurs de Dieu» (1 Co 2.10). Il existe en lui une correspondance totale entre son Etre et son auto-
connaissance. Il n’y a pas, dans l’Etre de Dieu, une puissance, une possibilité qui échappe à son actualité. Si
c’était le cas, la connaissance de Dieu ne serait pas complète. Il y aurait dans l’Etre de Dieu un
indéterminisme, une partie de son Etre qui existerait indépendamment de sa connaissance de Lui-même.
Dieu serait soumis, dans son Etre, à ce qui est indéterminé, au fait brut.
ii) Entre l’Etre de Dieu et sa connaissance, il existe une correspondance de telle sorte que Dieu se
connaît exhaustivement. Cela permet de distinguer la conscience que Dieu, a de lui-même et sa conscience
du monde. S’il n’y avait pas corrélation entre l’Etre et la connaissance de Dieu, l’Etre existerait face à Dieu
dans un rapport de complémentarité. Il n’y aurait plus de distinction entre Dieu et l’être là. Nier la
correspondance entre l’Etre et la connaissance de Dieu reviendrait à nier la Création biblique, comme aussi
la doctrine chrétienne de Dieu comme auto-suffisant dans son unité et sa diversité. Cela soumettrait aussi
l’histoire à l’arbitraire; il n’y aurait plus d’élection, ni de royaume de Dieu, ni de triomphe sur le mal.

2. La connaissance de Dieu est nécessaire


La Bible enseigne que Dieu est éternel: «d’éternité en éternité tu es Dieu» (Ps 90.2). L’éternité de
Dieu est toujours placée en contraste avec la temporalité du monde. Si Dieu se connaît exhaustivement, il se
connaît comme nécessairement existant. Sa connaissance n’est donc pas ajoutée à son Etre, elle est partie
intégrante de lui. L’Ecriture enseigne également que Dieu est le seul Dieu éternel. S’il y avait en dehors de
lui quelque chose indépendamment de lui, il ne serait plus seul Dieu. Le fait brut, le hasard ou la matière
seraient aussi ultimes que lui. Mais puisque Dieu est le seul, son auto-connaissance est nécessaire; il a
connaissance aussi de ce qui n’est pas nécessaire, car il est Maître de la possibilité. Il sait ce qui n’est pas
ontologiquement nécessaire en dehors de lui, Car ceci dépend de son plan Dieu est donc libre de projeter, de
créer en dehors de lui. La connaissance qu’il a de sa créature est ontologiquement non nécessaire, et donc
libre. La créature est contingente.
Cette distinction est importante Elle correspond à la distinction biblique entre la volonté secrète
et la volonté révélée de Dieu (Dt 29.29).

3. Résumé
La correspondance entre la connaissance de Dieu et son Etre distingue le christianisme de tout
panthéisme; la liberté et la nécessité de cette connaissance dressent une barrière entre la foi et la philosophie
réaliste dans laquelle le rapport entre Dieu et le monde est nécessaire (on peut se demander si Hegel a
influencé la doctrine de l’élection chez Barth, précisément sur ce point). Dans l’idéalisme, Dieu n’est pas
libre dans sa connaissance du possible. En réalité, il n’existe plus comme seul vrai Dieu, comme une
personnalité absolue.

4. Application à la prédestination
Puisque la connaissance qu’a Dieu de lui-même est absolue et nécessaire, et que sa connaissance de
la réalité - en dehors de lui est libre, il est maintenant possible d’étudier la question de la volonté de Dieu en
ce qui concerne la prédestination. La pré-connaissance de Dieu, par exemple, ne correspond pas à la
connaissance de quelque chose qui existerait indépendamment de Dieu. A parler correctement, il n’y a pas
de pré-connaissance divine. Cette expression est analogique. Dieu connaît toute chose en dehors de lui. Dans
la Bible, le conseil est au singulier (prothesis). C’est pour que l’idée des arminiens selon laquelle Dieu serait
infini, dans certains cas, est à rejeter. On ne peut pas non plus séparer la pré-connaissance de Dieu de la
prédestination.
Il n’y a que deux possibilités: ou Dieu est l’Etre auto-conscient pour qui il n’y a pas de faits bruts et
qui connaît le monde parce qu’il connaît son plan; ou Dieu dépend lui-même de faits bruts qui le dépassent.

5. L’Etre et la volonté de Dieu (Ps 33.11)


La volonté est définie comme une puissance ou une capacité que nous possédons……….. Cette
dernière notion, qui se rapporte à ce qu’on n’a pas ou n’est pas, ne peut pas être applicable à Dieu. On peut
parler de la volonté de Dieu de deux manières: d’abord, par rapport à son propre Etre; ensuite, à propos des
choses en dehors de lui-même. Il est impossible de considérer la seconde manière sans d’abord évoquer par
la première.
a) A proprement parler, il n’y a pas de volonté de Dieu: la volonté de Dieu est Dieu qui veut.
Comme pour la connaissance, le vouloir n’est pas indépendant de Dieu. Il y a réciprocité entre Dieu qui veut
et la volonté de Dieu. Sa nature divine s’exprime dans sa volonté tout comme sa volonté présuppose sa
nature. Dieu se veut comme seul vrai Dieu, comme l’Eternel. Ce vouloir est nécessaire; étant Dieu, Dieu ne
se veut pas autre que Dieu. Ce n’est pas une forme de déterminisme. C’est plutôt une auto-détermination.
Pour Dieu, la plus grande nécessité est la plus grande liberté. C’est ainsi que Dieu est réellement libre pour
être Dieu.
b) La volonté de Dieu est souverainement libre en ce qui concerne la créature. Il y a donc une
volonté de Dieu, pour la créature, et cette volonté est également nécessaire, mais libre dans la décision de
Dieu. Les niveaux de nécessité sont différents. La volonté de Dieu est nécessaire en ce sens que Dieu est
actuel: Dieu n’existe pas sans sa volonté divine. Sa volonté en ce qui concerne ses actes libres en dehors de
lui-même est nécessaire, mais uniquement dans la potentialité qui découle de l’actualité de l’Etre de Dieu.
Ainsi le conseil de Dieu est éternel, car Dieu est éternel et n’est jamais sans son conseil (cf. la génération du
Fils).

Mais la matière n’est pas éternelle; elle tire son origine du plan de Dieu. Le conseil ou plan de Dieu, pour
moi, se forme à la jonction de la connaissance et de la volonté divines. Ce schéma illustre l’idée de façon
insuffisante :

conseil

Intelligence / Connaissance Liberté / Volonté

nécessaire et libre

Un Dieu sans conseil, dit Bavinck, est inconcevable. Le conseil est la cause efficace et exemplaire du
monde. Efficace, car nulle créature n’existe si ce n’est par la volonté divine; exemplaire, car la conception
globale du monde existe en Dieu avant sa concrétisation historique. Tel est le sens d’Ephésiens 1.11 et des
confessions de foi qui affirment que tout ce qui se passe existe parce que Dieu le veut.
6. La volonté secrète et la volonté révélée (cf. Ex 4.21, 9 .16; Rm 9.16; 1 S 2.25; Ac 3.23; 4.28,
etc.).
a) La volonté secrète est la volonté de Dieu que l’homme ne peut connaître à l’avance; elle sera
révélée et elle se dévoilera progressivement. Nous pouvons connaître, dans ses lignes générales, que la
victoire de Dieu est ultime, mais dans ses détails, nous sommes limités. Dans l’univers créé, tout dérive du
conseil de Dieu (Pr 16.4ss, 2l.l): création (Ap 4.11); providence (Dn 4.35; Ep 1.11); régénération (Jc 1.16);
sanctification (Ph 2.13); la souffrance (1 P 3.17).
b) La volonté révélée est aussi nommée volonté préceptive ou de commandement. La volonté révélée
nous indique ce qu’il faut faire; la volonté secrète exprime ce que fait Dieu par l’intermédiaire des hommes
ou autrement. Quel est le rapport entre les deux ? Bien souvent, la volonté secrète de Dieu est réalisée dans
l’histoire indépendamment de sa volonté révélée. Exception: le cas des créatures rationnelles à qui Dieu
adresse sa volonté de commandement; les deux aspects de la volonté divine fonctionnent alors ensemble.
Il y a opposition entre les deux, si nous on présuppose que la liberté et la responsabilité de l’homme
ont la possibilité de s’opposer absolument à la volonté de Dieu. Mais selon l’Ecriture, la responsabilité
morale de la créature et sa liberté ne résident pas dans sa capacité d’opposition. Si la liberté de l’homme est
autre qu’une liberté d’opposition, la volonté révélée établit et préserve la liberté et la responsabilité
humaines. Le péché de l’homme n’est pas le signe d’une contradiction entre les «deux volontés». Les actions
libres des hommes contribuent à la réalisation de la volonté secrète de Dieu. La liberté de l’homme ne peut
avoir son fondement que dans la doctrine chrétienne de l’indépendance ontologique totale de Dieu. L’homme
a sa signification de par la volonté divine et de son conseil personnel. Autrement, l’homme ne peut échapper
à l’impersonnel ultime qui déterminent sa liberté. Sans le conseil de Dieu, l’homme n’est pas ultimement
libre de la détermination impersonnelle des faits bruts.
La volonté secrète n’est pas une gnose, mais une volonté progressivement portée à la connaissance
de l’homme dans le déroulement de l’histoire, parfois par le moyen de la volonté révélée. Par exemple, avant
l’incarnation, la nature de Christ appartenait au secret de Dieu, mais à la venue de Christ, le secret de Dieu
est connu par l’obéissance de Christ à la volonté révélée de Dieu: Christ accomplit le loi. Ce que nous serons
demain est le secret de Dieu aujourd’hui; demain, le secret sera connu de nous par notre réaction à la volonté
révélée de Dieu. Il convient de distinguer entre les situations où nous ne connaissons pas la volonté de Dieu,
car elle est toujours à venir, et celles où nous ne la connaissons pas parce que nous obscurcissons, par le
péché, la volonté de commandement de Dieu.

7. La volonté de Dieu et la signification de l’histoire


Le conseil de Dieu qui est auto-suffisant, se réalise dans le temps. C’est ce qui donne sa signification
au moment et sa gravité au péché. Le péché d’un moment a une portée éternelle. Le temps ne fait pas partie
de l’éternité, comme s’il était un moment d’un mouvement plus grand. Le temps est créé. Il exprime le
vouloir de Dieu et a une signification réelle à cause de ce vouloir. Le contact entre le temps et la volonté
éternelle de Dieu est établi par la liberté de Dieu dans sa décision de créer. Le temps n’est pas nécessaire
dans le même sens que Dieu. Le conseil éternel de Dieu s’exprime historiquement à cause de la liberté de
Dieu. Une illustration: l’incarnation n’est pas une nécessité ontologique de Dieu, c’est un acte de Dieu qui
exprime sa liberté par rapport au temps. Kuyper, Bavinck et Van Til – Common Grace and the Gospel –
affirment que nous ne pouvons que penser concrètement en ce qui concerne l’histoire. L’histoire réalise le
conseil de Dieu ; elle actualise ce qui est «avant la fondation du monde». L’histoire est donc un processus de
différentiation. En même temps que l’histoire avance et que Dieu se révèle, il y a une progression, l’attitude
des hommes par rapport à Dieu se précisant. La foi ou la non-foi des hommes est actualisée par l’histoire-
différentiation. La grâce de Dieu a un aspect identique pour tous, l’Evangile est communément offert à tous,
mais la différentiation s’accomplit par la réaction de l’homme. L’histoire est une dynamique d’individuation
réalisant le conseil de Dieu. Les décrets du conseil éternel y trouvent une réalité temporelle. L’histoire n’est
pas une idée, mais une réalité concrète faite d’obéissance ou de désobéissance. Le péché a un caractère
déterminant pour le sort de l’homme, de même que l’Evangile et son acceptation. L’histoire a son sens non
pas malgré, mais à cause du conseil de Dieu.

D. Examen de quelques passages bibliques

1. Romains 9 : 6-31
En Romains 9, l’apôtre évoque un problème concret: celui de l’incroyance d’Israël. Ce problème tire son
importance du thème de l’épître, indiqué en Romains 1.16-17. L’Evangile est d’abord pour les juifs. Mais
Israël, malgré les richesses de la grâce divine (9.4-5), s’est séparé de Christ (9.3). S’agit-il d’un échec de la
parole de Dieu? Dieu serait-il frustré par l’homme, ou l’histoire ne serait-elle plus sous son contrôle? Deux
thèmes sont parallèles dans ce passage: Dieu est souverainement libre dans son élection de grâce; il ne fait
preuve d’aucun arbitraire dans cette élection.

a) La souveraine liberté de Dieu se manifeste dans le salut.


Loin de contrarier l’intention divine, l’attitude des juifs est expliquée par référence à l’élection. Dés
le début, Paul établit une distinction parmi les enfants d’Abraham: être de la chair n’équivaut pas à être au
bénéfice de la promesse (9.7-8). En Isaac, le plus jeune, la postérité d’Abraham sera appelée. Le choix
d’Isaac est, de fait, l’exclusion d’Ismaël. Cela suffit pour affirmer que la descendance naturelle ne
correspond pas aux enfants de la promesse. L’élection constitue-t-elle une menace? Ici, c’est en effet le cas
pour celui qui fait de l’appartenance à la descendance naturelle comme une cause méritoire de salut.
L’élection n’est pas une menace pour celui qui s’approprie, dans la foi, la promesse; elle l’est, en revanche,
s’il existe la moindre supposition de mérite devant Dieu. Ce point est illustré par le contraste établi entre la
naissance d’Ismaël et celle d’Isaac: cette dernière est naturelle et miraculeuse (9.9). Ce fait montre le sens de
l’action de Dieu; elle fonde le salut. Le choix d’Isaac n’est pas arbitraire, mais illustre un caractère de Dieu:
Dieu est celui qui est libre dans ses actions. A cela correspond la foi, non la réalité naturelle (Rm 4.12-13);
l’expression ta tekna tes epangnelias souligne ce fait. Le génitif est un génitif d’origine: à la promesse divine
correspond notre foi (Gn 4. ? ). L’élection est donc libre, fondée sur l’intervention divine, la puissance de
sa promesse et l’œuvre de l’Esprit. Le même principe entre en jeu pour Jacob et Esaü, mais de façon
différente. Pour Isaac, il s’agit d’une naissance naturelle après que Dieu soit intervenu. L’accent tombe, dans
ce cas, non sur la promesse, mais sur l’élection en tant que telle. La traduction de la TOB du v. 11 est plutôt
une paraphrase qui inverse, semble-t-il, le sens de he kat’eklogen prothesis ton theou; la Segond révisée
traduit: «le dessein de Dieu selon l’élection». C’est l’élection qui précède l’exécution du dessein de Dieu
dans l’histoire. Le dessein exprime l’élection. S’il y a un ordre, c’est l’élection qui a la priorité. La pensée est
que le dessein de Dieu, loin d’être arbitraire, comporte un aspect électif de la part de Dieu qui est libre et
souverain dans ses choix. Le fait que le dessein soit existant avant la naissance des entants souligne cela
(11a). La vocation ne vient donc pas de ce qui est en l’homme, mais seulement de ce qui est en Dieu (cf. Dt
7.6ss; 9.4s). La haine dont Esaü est l’objet ne doit pas être interprétée comme une réprobation. Les
commentaires y voient l’effet de l’élection de Dieu par rapport à une relation personnelle: Esaü sert Jacob
(12; cf. Mal 1.2ss). Paul n’évoque donc pas la destinée éternelle d’Esaü, mais il montre, par un exemple, la
liberté de l’élection divine indépendamment de l’action de l’homme. Ainsi, la nature de la grâce apparaît
avec évidence; le salut ne s’obtient pas par les œuvres ou les mérites, il est le don libre de Dieu. L’histoire du
salut abolit la vaine gloire de l’homme; dans ce chapitre, celle des juifs.
b. Dieu serait-il arbitraire dans sa libre souveraineté?
A partir du v. 14, Paul maintient la liberté de la grâce divine et sa justice. Le plus étonnant, dans ce
passage, est l’insistance de l’apôtre sur le caractère totalement inconditionné de l’élection divine. Il ne parle
pas, cependant, d’une puissance absolue, neutre ou indéterminée. Loin de lui faire craindre une puissance
arbitraire, la contemplation de la liberté divine le pousse à l’adoration.
Telle est la conclusion en considérant sa première objection: Y a-t-il en Dieu de l’injustice? Paul ne
répond pas à cette question. Tout ce qu’il dit, c’est que Dieu est libre de manifester historiquement son salut.
Il est impossible de se prononcer sur la justice de Dieu; mais il est possible d’avoir foi en sa miséricorde.
Cette foi élimine toute idée de déterminisme ou de hasard. Il n’est ni utile ni nécessaire de plaider la liberté
de l’homme contre celle de Dieu (v. 16); la miséricorde de Dieu dépasse de telles considérations. C’est
l’adoration qui correspond à la liberté de Dieu, non la soumission ou la crainte (cf. 11.33-36). La clef
exégétique de ce passage se trouve ici: l’homme n’est pas le conseiller de Dieu qui est premier en tout,
insondable; à lui la gloire. Ici, la théologie chante Dieu. Après tout, cette profondeur de Dieu n’est pas un
abîme de terreur, mais celle de la richesse de sa grâce profondeur qui sondée par l’Esprit (1 Co 2.10) et qui
exprime la plénitude de Dieu en Christ (Ep 3.19). Tout arbitraire est exclu; le sens de l’histoire est dans les
actes sensés de Dieu pour le salut en Christ. Le «certes non!» de Paul gomme l’indéterminisme dans la
perspective de l’eschatologie (Rm 11.1, 11-12a).
– D’où viennent donc l’accusation d’injustice due à l’arbitraire ou la réticence à laquelle l’apôtre fait
encore allusion au v. 19? Paul voit très bien dans le cœur de l’homme une fierté qui forge l’idée d’un Dieu
arbitraire pour s’excuser. Cet arbitraire, quelle solution idéale pour éliminer toute responsabilité humaine! A
noter que Paul ne répond pas à cette accusation par un contre-argument aussi abstrait. Il s’exprime
concrètement. Il répond, non pas en évitant de parler de la souveraineté de Dieu, mais en affirmant la
réalisation historique de l’élection divine. Pour lui, l’élection ne vide pas l’histoire de son sens, mais lui
donne, au contraire, une signification puissante. Résultat: l’homme ne se dresse plus contre Dieu, mais
découvre le sens la grâce libre. D’où la référence à Pharaon et au potier (vv. 17 et 21). Dieu est libre de se
servir de la résistance de Pharaon pour révéler sa gloire. Comme le potier, Dieu est libre d’agir comme il lui
plait. Et, de nouveau, Paul parle concrètement à propos d’Israël. Il montre les richesses de la grâce de Dieu
envers les païens (vv. 24-3l), envers ceux qu’il a destinés à la recevoir Dieu ne serait-il pas également libre
de manifester sa colère envers ceux qui se perdent, précisément à cause de leur péché?

c. Conclusion
Dans cet argument, l’intention de Paul n’est pas de montrer que tout ce que fait Dieu dans l’histoire
est fixé dès l’éternité et qu’en ce qui concerne sa miséricorde aussi bien que l’endurcissement qu’il suscite,
l’aboutissement est inévitable. Il veut montrer, dans l’omnipotence de Dieu, la vraie intention de ses actes.
La grâce n’est soumise à rien, surtout pas aux calculs humains. Isaac, Jacob, Israël et maintenant les païens...
et Israël, à côté de Pharaon, quand il se trompe sur le caractère de l’élection et cherche le salut dans sa propre
justice. C’est la réprobation historique d’Israël pour que la miséricorde de Dieu soit manifestée (11.7ss, 12 et
15). Paul s’exprime concrètement; la souveraineté de Dieu ne se confond pas avec une fixité éternelle. Dieu
veut provoquer Israël au repentir (11.11ss). L’élection est une élection de grâce. C’est l’élection que nous
devons prêcher, car elle incite à adorer Dieu.

2. Autres passages pauliniens


S’il est vrai qu’en Romains 9, le but de Paul n’est pas uniquement de manifester ce qui a précédé l’action
divine, il ne sépare pas la rédemption historique et le dessein de Dieu qui a un caractère électif. Paul évoque,
à maintes reprises, la nature du dessein de Dieu (Rm 8.28s; 9.23; 1 Co 2.7; Ep 1.5 et 11; 2.10; 2 Tm 1.9); la
rédemption en Christ est la manifestation de la volonté de Dieu. L’élection est en Christ; Dieu exécute le
projet éternel de son salut en Christ (Ep 3.11). Cette élection christique est difficile à définir de façon
adéquate; il est clair que Jésus est l’objet et le centre du dessein de Dieu et que l’accomplissement de la
volonté divine est dans et par lui. A remarquer que l’Eglise est comprise dans ce dessein de Dieu et quelle est
également l’objet de l’élection divine. Christ est «l’objet» de l’élection pour accomplir le dessein de Dieu ;
«nous»/l’Eglise, sommes des «objets» de l’élection en Christ à cause de ce qu’il a accompli.
a) Ephésiens 1
Au v. 5, Paul affirme que, par Christ, nous sommes prédestinés à être fils de Dieu (cf. 11). Cette
élection reçoit sa profondeur au v. 4, pro kataboles kosmou. Christ est une personnalité corporative; avec lui
l’Eglise est comprise, dès avant la fondation du monde, dans l’acte divin de l’élection. Notre bénédiction
avec Christ est aussi bien pré-temporelle que post-temporelle. «En Christ» est à la fois eschatologique et
«eschatologique à l’envers». Comme notre vie est cachée avec Christ en Dieu, de même l’élection de
l’Eglise est cachée avec le Christ pré-temporel. Dans le conseil de Dieu, l’élection de Christ, de la
communauté et de l’individu est simultanée (contre Barth, Bonhoeffer). Cette élection est un aspect plus
vaste du conseil de Dieu. C’est ainsi que la rédemption sort du domaine des choses contingentes. L’aspect
pré-temporel est fort, mais le «pré» n’existe pas sans la priorité de Dieu sur toutes choses. La sainteté, à
laquelle nous sommes appelés, est une conséquence, non une cause de l’élection (Ep 1.4). L’élection est
entièrement gratuite; si nous appartenons au peuple de Dieu, c’est à cause de l’acte antécédent de Dieu, non
de nos œuvres (2 Tm 1.9). La grâce de Dieu n’est pas opposée aux mérites humains, mais elle les précède
totalement (Tt 3.5). Ep 2.10 – élection = création!
b) le rapport entre le proginosko et le proorizo
Un développement de la notion de dessein de Dieu est présente en 8.36 (remarquer la variante qui
met l’accent sur Dieu). Cette référence ne se situe pas dans le contexte d’un débat théorique, car en Romains
8, Paul donne trois encouragements aux chrétiens qui sont appelés à souffrir: cf. 8.18-25, 26s/28-30. La
consolation provient de ce que Dieu agit en tout pour leur bien, à cause de son dessein. Sont compris dans le
dessein la «prescience» et la prédestination, selon l’image de Christ. Quel est le rapport entre le proginosko
et le proorizo? Beaucoup pensent que Dieu connaît d’avance la décision de certains et à cause de cette
prévision les prédestine. Le lien entre les deux serait la foi prévue par Dieu (voir p.45). La foi désignerait
certains comme élus. Dieu sait d’avance qu’ils rempliront la condition du salut. L’élection serait donc
conditionnelle. Cette interprétation est insuffisante même pour un non calviniste. D’ailleurs, même si on
estime que le texte parle de la prévision divine de notre foi, rien ne serait changé en ce qui concerne
l’élection inconditionnelle de Dieu. Si Dieu prévoit la foi, la question devient alors: d’où vient la foi? La
seule réponse biblique est que Dieu prévoit la foi dont il est lui-même la source (Jn 3.3ss; Ep 2.8; Ph 1.29).
Si donc Dieu, dans sa connaissance éternelle, prévoit la foi dont il est la source, on en revient à la réalité de
son élection. Si Dieu prévoit la foi dont il est seul la source, c’est bien qu’il a décidé de donner la foi. Quel
est donc le lien entre ces deux verbes?
A noter que Paul dit hous proeqno (ceux connus d’avance), et non hous proegno ten pistin. S’il y a
différentiation dans la prévision divine, Paul ne situe pas la raison de cette différence en dehors de l’acte de
Dieu. Quel est le caractère de cet acte de Dieu? Dans le Nouveau Testament, connaître d’avance est tout
différent de «connaître + avant». Connaître d’avance marque le sens de l’amour attaché à la connaissance
(Am 3.2; Ps 1.6). Proginosko veut dire, en réalité, «aimer d’avance». La différentiation existe au niveau de
l’amour de Dieu, qui est le moteur de l’élection et non la foi que Dieu discerne en nous. Cette interprétation
maintient une concordance de sens avec les autres éléments de la «chaîne» de Romains 8.29 où c’est Dieu
qui appelle, justifie et glorifie. La prévision de la foi serait radicalement en désaccord avec l’action
déterminante de Dieu dans tous ces autres actes. La différence vient de l’amour de Dieu (cf. Ep 1.5 et aussi le
«mis à part» du v.11 qui semble invalider l’interprétation barthienne). Il est maintenant possible de
comprendre le rapport entre proginosko et proorizo. Il y a une progression dans la pensée de l’apôtre. S’il ne
s’agit pas de la pré-connaissance de notre foi, il s’agit bien de l’amour de Dieu dans lequel l’élection est
accomplie. L’amour est le point de départ dont la prédestination est l’expression déterminante. Dieu décide,
par amour, de nous conformer à l’image de son Fils. Avec cette expression, Paul relie encore l’acte passé de
Dieu et la glorification eschatologique, car il envisage la gloire de la conformité finale lors de la résurrection.
Rien d’arbitraire, dans l’élection qui est centrée sur Christ qui accomplit cet amour.

E. Quelques conclusions

1. Sur la réalisation de l’élection


En parlant du dessein de Dieu, Paul se réfère pas à un décret abstrait, mais décrit la grâce souveraine
de Dieu. Cette grâce est la seule raison de la rédemption historique. Ce dessein ne se limite pas à la façon
dont la rédemption est accomplie, c’est à dire à Christ. Il inclut également ceux qui sont participants à ce
salut. L’Eglise est connue d’avance, prédestinée à l’héritage.
a. L’élection est-elle limitative? S’applique-t-elle à un nombre fixe? Oui, dans un certain sens, mais
cette conclusion ne découle pas de la présentation du dessein de Dieu. Pour Paul, ce n’est pas un nombre fixé
qui retient son attention, mais le salut fixé en Christ. Le caractère immuable de l’élection ne se trouve pas
dans un nombre caché, mais dans l’unité de l’Eglise avec Christ. Dans l’Evangile, qui nous lie à lui par la
foi, se trouve la certitude de notre salut.
b. D’où vient la certitude de l’élection? Cette certitude ne vient pas de la connaissance d’un décret
immuable de Dieu, mais de la connaissance historique de Christ. «Elu en Christ» n’indique pas Christ
comme le moyen d’accomplir une décision divine. La décision divine n’est jamais séparée de la
connaissance de Christ comme Sauveur. D’une part, cette solidarité avec Christ signifie être élu en lui dès
avant la fondation du monde, car Christ est le premier de beaucoup de frères; d’autre part, la nature de ce lien
avec Christ est connue uniquement par la réalisation historique. L’élection en Christ indique quel est le sens
de notre salut. Mais la réalisation historique de ce salut indique la nature du dessein de Dieu. On peut parler
du nombre des élus en Christ, seulement si on respecte l’appel divin à la foi dans l’Evangile.
Deux images des Réformateurs illustrent cette idée: Luther appelle Christ «le livre de la vie» en qui
nous lisons les conditions de notre élection; Calvin dit que Christ est le «miroir de l’élection». En Lui nous
contemplons notre élection.

2. L’élection et la responsabilité humaine


Le «en Christ» dès avant la fondation du monde se réalise dans le «en Christ» du salut historique. A
son tour, celui-ci indique le caractère du dessein de Dieu. Insister sur ce rapport réciproque ne signifie pas
que la décision de l’élection a un sens anthropocentrique. Paul s’exprime ainsi tout en insistant sur la
souveraineté de la décision divine. Pour lui, la liberté de l’homme ne consiste pas à décider comment
l’homme se positionne devant l’Evangile. C’est la volonté de Dieu qui transcende l’homme et le place devant
la prédication de l’Evangile. La vocation de ceux qui croient est une vocation ex nihilo de Dieu (Rm 4.17; Ga
4.28; 2 Co 4.6). La réciprocité entre l’élection et la prédication de Christ n’a pas son point de départ dans la
volonté humaine. Les incrédules ne voient pas resplendir la lumière de l’Evangile (2 Co 4.4).
Le rapport entre élection et prédication, qui réalise le dessein de Dieu, ne met pas en valeur la
décision humaine. Mais il empêche d’avoir une notion automatique ou déterministe de l’élection. La
séparation historique qui s’effectue dans la proclamation de l’Evangile n’est pas, pour Paul, une expression
automatique du nombre limité des élus. Il maintient plutôt la liberté de la grâce de Dieu dans le cadre d’une
rencontre éthique, entre Dieu et l’homme, dans l’Evangile. Ainsi la foi ou la non-foi de l’homme n’est pas la
conséquence d’une élection automatique au salut ou à la perdition. Elle est signe de l’obéissance ou de la
non-obéissance de l’homme. Chez Paul, ces deux aspects de la question sont placés côte à côte. Dieu est
souverain dans son acte de grâce, dans la rencontre entre Dieu et l’homme, dans la proclamation de
l’Evangile. Il y a obéissance ou non-obéissance dont l’homme est responsable.
Nous voyons donc deux lignes: l’omnipotence divine qui fait briller sa lumière dans nos cœurs; la
responsabilité humaine pour répondre dans la foi et par la conversion.
Ces deux constatations maintenues par Paul sont irréconciliables, si nous pensons à une élection
déterministe dans laquelle la réponse de l’homme ne trouve pas sa place; ou si nous pensons que la décision
du salut reste du côté de l’homme. S’il en était ainsi, l’homme ne serait plus une créature aussi bien dans un
cas que dans l’autre. Le déterminisme abolirait la responsabilité de l’homme et s’il décidait lui-même de son
propre salut, il serait autonome. Pourtant la responsabilité de l’homme n’est pas neutre. Elle existe toujours
dans le contexte de son rapport avec Dieu. Ce rapport est concrétisé dans la proclamation de l’Evangile.
L’amour de Dieu manifesté à tous les hommes sans discrimination, son appel à la réconciliation fondent la
responsabilité humaine.
L’Evangile place l’homme dans une position de responsabilité. Même lorsque l’homme est esclave à
cause de son péché, sa responsabilité d’homme envers le Créateur n’est pas enlevée. L’appel à la
réconciliation est adressé à tous les hommes sans discrimination; c’est dans ce rapport avec Dieu que la
responsabilité a son fondement. En plaçant l’homme devant sa responsabilité, Dieu affirme sa liberté. Il fait
miséricorde.

3. Election et réprobation
Y a-t-il une symétrie entre élection et réprobation dans le conseil de Dieu?
A noter que l’Ecriture ne parle jamais d’une réprobation éternelle de Dieu. Elle ne montre donc
aucune symétrie; s’il existe une causalité en ce qui concerne la réprobation, c’est celle du péché de l’homme.
Le péché et l’incroyance n’ont pas leur origine dans le conseil de Dieu, mais en nous. Les mots prothesis,
prognosis, etc., dans la Bible s’appliquent exclusivement au salut, et non à la mort et au jugement. Il en est
ainsi dans la tradition réformée. Personne n’a parlé de prédestination au péché ; Dieu n’est pas l’auteur du
péché; il n’a pas non plus créé l’homme pour sa destruction.
La réprobation est donc, selon l’Ecriture, un acte de Dieu dans le temps dont la cause est le péché de
l’homme. Et même si Paul parle de l’endurcissement d’Israël en Romains 11.7ss, la chute en question n’est
pas définitive. S’il y a un jugement final de Dieu, il n’intervient pas à la lumière d’une prédestination, mais à
cause du péché de l’homme. Il paraît sage d’en rester là!

Conclusion générale
Le rapport entre le conseil de Dieu et l’élection dans le conseil pourrait être le suivant:

Conseil de Dieu Election

1) Sujet du conseil Dieu;  Dieu dans sa souveraineté


Dieu dans sa plénitude morale.

2) Objet du conseil;  Amour de Dieu en Christ


Création et histoire: Ep 1.11

3) Nature du conseil;  Acte suprême de grâce


éternelle, libre, simple.

4) But du conseil;  «La louange de son amour»


manifester la louange de Dieu
XI. L’ELECTION ET L’UNIVERSALISME DU SALUT

«L’universalisme» pose le problème de la nature des témoignages bibliques qui n’auraient pas toute
la précision nécessaire pour qu’une doctrine exhaustive du sort final des hommes puisse être formulée. La
fonction des écrits bibliques n’est pas, premièrement, de définir une telle doctrine, mais d’exhorter au salut
en Christ. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas question de jugement dans la Bible; il existe des témoignages
très clairs à ce sujet. Le jugement est fortement affirmé dans le Nouveau Testament et même dans l’Ancien
Testament, mais ses modalités – moment, lieu, manière – restent parfois imprécises.
Quatre considérations s’imposent dans l’approche de la question :
– Dieu est saint et juste et, conformément à sa nature, le péché exige une rétribution. Autrement,
Christ n’aurait pas eu à se donner pour les péchés. La question n’est donc pas de savoir, même pour un
universaliste, s’il y aura un jugement, mais si ce jugement sera définitif. Il n’y a que les «sentimentaux»
primaires qui refusent totalement l’idée de jugement. Ce faisant, ils abolissent la notion du salut.
– Dieu, ayant une miséricorde infinie, ne peut pas avoir une compréhension «finie». Cela ne signifie
pas que Dieu annulera le jugement divin à cause de sa miséricorde, comme on pourrait le souhaiter, mais que
le jugement divin est un acte de miséricorde difficile à concevoir, car la justice humaine manque très souvent
de vraie compassion.
– la notion humaine du temps est liée à celle de durée; aussi l’idée d’«éternité» est-elle malaisée à
comprendre.
– Le rapport entre l’amour et la justice de Dieu ainsi qu’entre les autres attributs de Dieu présente
une difficulté pour nous.
Un dogmatisme qui établirait une équivalence entre notre compréhension actuelle et la réalité de
l’éternité doit donc être écarté. Il convient également de rejeter le sentimentalisme qui s’appuis avec
générosité et optimisme sur les silences du témoignage biblique. L’Ecriture en dit assez pour empêcher de
croire que tout sera renversé dans l’éternité. Il y aura une continuité entre le présent et l’état éternel: même la
lecture la plus naïve de Jean 3 doit en convaincre.

Pour résumer
Le problème posé par les données bibliques semble être le suivant : si les élus sont seuls à être
sauvés, pourquoi leur nombre est-il limité? Le châtiment éternel des perdus n’est-il pas hors de proportion
avec leurs crimes, commis pendant une période réduite dans le temps?
Quatre hypothèses sont présentées: toutes soulèvent des problèmes par rapport au témoignage
biblique.

1. La doctrine classique
Elle suit de très près certains aspects du témoignage biblique. Dans l’Ancien Testament, déjà le
sheol, selon R. Charles (Eschatology), est un lieu de punition éternelle et définitive, qui est devenu l’enfer du
Nouveau Testament. Trois aspects du témoignage biblique sont utilisés dans cette construction:
a) «éternelle» (aionios) est appliqué par la Bible à la punition des pécheurs. Le même mot décrit le
sort des perdus et la bénédiction des sauvés (Mt 25.41 et 46; 18.8; Jude 7; Ap 14.11; 19.3; 20.10). Il est
difficile d’affirmer que ce mot s’applique à la qualité et non à la durée de la souffrance ou de la bénédiction.
Le mot est employé pour indiquer la vie éternelle de Dieu et l’éternité du salut (Jn 10.28s). Rien ne permet
de supposer une limitation.
b) Le Nouveau Testament emploie des expressions équivalentes pour soutenir cette idée: «le feu qui
ne s’éteint pas»; «le ver qui ne meurt pas»; les «ténèbres profondes», etc. (Mt 3.12, 8.12; Mc 9.43-48). La
porte est fermée sur ceux qui n’ont pas connu Christ (Mt 25.10 et 12). Il en est de même dans les épîtres (cf.
Hé 2.3, 6.6 et 8, 10.27 et 31, 12.25 et 29). Le blasphème contre l’Esprit ne sera pardonné ni dans ce monde ni
dans le monde à venir (Mt 12 : 32). Entre Lazare et l’homme riche, il y a un gouffre infranchissable. Plus
étonnant est le fait que ce soit dans la bouche de Jésus même que la position classique puise ses arguments.
De telles affirmations sont trop précises pour être de simples avertissements. Et s’il y a avertissement, c’est
que derrière lui se dessine une possibilité terrible. Si Christ avait voulu enseigner la perdition éternelle,
interroge la position classique, aurait-il pu le faire de façon plus explicite ?
c) Le jugement dernier présente deux aspects dans le Nouveau Testament:
– il tient compte de ce qui a été fait pendant cette vie (2 Co 5.10).
– il est décisif (Ap 12.11s). Aucune indication dans la Bible ne permet de penser qu’il sera renversé. Ce
silence soulève une difficulté pour l’universaliste.
Le point de vue classique doit chercher, pour sa part, à résoudre les problèmes suivants :
i) Théologique: Peut-on parler du triomphe de la croix, si des hommes sont perdus? Le fait que le
péché de certains mène à la mort semble remettre en question la sagesse du plan de Dieu. Si les hommes sont
perdus, Dieu est-il définitivement vainqueur du péché et, s’il leur applique une peine éternelle pour un péché
temporel, est-il juste? C’est ce genre de considération qui est à l’origine de l’universalisme hypothétique de
Barth.
ii) Psychologique: Les représentations traditionnelles, accentuant la nature corporelle de la punition,
ont nui à ce point de vue. Les textes bibliques parlent de souffrance spirituelle sous forme d’images; une
interprétation trop littérale de ces images est aliénante (cf. les représentations de l’art du Moyen Age).
iii) Sentimental: C’est là le plus grand obstacle. Un Dieu dont l’amour est infini ne devrait-il pas
sauver tout le monde? Il serait égoïste d’admettre qu’il y a des perdus, même un seul.
2. L’hypothèse de l’annihilation
Plusieurs passages bibliques suggèrent que, lors du jugement, le châtiment de certains sera la cessation
d’existence (Ps 37.20 et 38; 2 Tm 1.7-9; Hé 10.26-28; Ap 20.14, 21.8). Le feu du jugement consume; aussi le
jugement exécuté, la conscience est-elle abolie.
Cette position a été développée surtout au XIXe siècle, même si l’idée a toujours existé pour
répondre au malaise occasionné par l’idée d’une souffrance éternelle. C’est, entre autres, la doctrine des
adventistes. Elle apaise l’inquiétude quant à la durée et maintient la totalité de la victoire divine sur le mal,
qui sera aboli. Elle semble éviter le dualisme suggéré par l’hypothèse traditionnelle où le bien et le mal
subsistent éternellement.
Sa faiblesse provient de l’insuffisance de preuves bibliques La mort, dans la Bible, n’est pas une
annihilation mais une séparation. L’annihilation, en tant que telle, conduit à penser que la création de
millions d’âmes aurait pu être un acte sans importance, anodin, de Dieu. Même si l’on n’accepte pas la
notion grecque de l’immortalité de l’âme, il y a quelque chose, dans l’annihilation, qui ne semble guère plus
acceptable, sur le plan psychologique, que le châtiment éternel.
De plus, le châtiment de Christ mort pour les péchés des élus n’a pas été l’annihilation: pourquoi
donc les hommes souffriraient-ils un tel sort à cause de leurs péchés?
3. L’hypothèse de la punition rétributive limitée
Il y aurait une deuxième chance après la mort. Certains croyants entrent dans la communion avec Dieu
après le jugement, les autres ne le font que progressivement, selon l’apurement de leur dette et leurs progrès
dans la sainteté. Ceux qui persistent dans l’incroyance seront perdus définitivement.
On allègue Matthieu 5.25-26, Luc 12.46-48 et la prédication de Christ aux esprits en prison (1 P 3.19-
20). A propos de celle-ci, il s’agit très probablement d’une fausse interprétation de ce denier passage, qui se
réfère non à une descente aux enfers, mais à l’ascension de Christ.
Cette position ressemble à la conception catholique romaine du purgatoire. Sa faiblesse est qu’elle
applique à Dieu une notion humaine de la rétribution. Pourtant la notion biblique de probation se réfère
toujours à l’existence terrestre. L’Ecriture ne semble jamais parler de conversion ou de rééducation dans
l’au-delà. De plus, une telle position permettrait un salut par les œuvres en dehors du Christ, contredisant
ainsi le thème principal de la Bible.
4. «L’universalisme»
Il inclut deux classes de théologiens. Certains pensent que Christ est mort pour tous les hommes qui
sont donc dispensés de la punition. Le jugement sera une déclaration selon laquelle tous bénéficient du salut.
D’autres pensent (comme au § 3) qu’il y a aura une période de correction éducative, après laquelle tous les
hommes s’inclineront devant l’amour de Dieu.
Plusieurs passages bibliques semblent aller dans ce sens. Jean 3.17 parle de l’intention de Christ: il est
envoyé comme sauveur du monde (1 Jn 4.14). Colossiens 1.20 et Ephésiens 1.10 paraissent indiquer une
réconciliation de toutes choses en Christ. Romains 5.18 traite du don gratuit fait en Christ à tous les hommes
comme de la mort qui atteint tous en Adam. 1 Timothée 2.4-6 fait état de la volonté de Dieu qui vise le salut
de tous les hommes. Finalement, Christ est la propitiation des péchés du monde (1 Jean 2.2).
Deux idées fondamentales caractérisent l’universalisme: premièrement, l’amour de Dieu est infini et,
pour cette raison, finit par annuler toute opposition; l’amour est l’attribut principal de Dieu et a le pas sur sa
justice. Deuxièmement, l’homme est essentiellement bon et change de voie devant la persistance de l’amour
divin.
Tenants de la première idée: Origène et, plus récemment, Schleiermacher et le libéralisme. D’autres
ne prônent pas un universalisme «dogmatique» mais l’adoptent comme un espoir. Parmi les plus tenaces à
défendre un universalisme strict se trouvent J. Hick et J.A.T. Robinson, qui misent tout sur l’amour de Dieu
et excluent de facto la perdition. Barth s’oriente dans 1e sens d’une apocatastase, mais n’affirme jamais le
salut universel. Brunner critique Barth pour son universalisme latent et dit que cette position mine la doctrine
chrétienne.
Dans sa critique de la position de Robinson, T.F. Torrance affirme avec insistance que
l’universalisme n’est pas fondé bibliquement mais qu’il découle logiquement de l’amour de Dieu et de ses
implications. Dire ce que Dieu doit faire dans son amour, détruit l’amour en tant que tel. et remplace la grâce
de Dieu par notre notion de la liberté et de la justice divines.
La deuxième idée soulève un problème non moins grave: devant l’amour de Dieu, le pécheur doit
céder. Hick est très conscient de la difficulté: pour sauver tous les hommes, Dieu devrait également sauver
ceux qui ne veulent pas être sauvés. Aussi envisage-t-il un Dieu thérapeute dont l’analyse conduit l’homme à
la maturité. La liberté de l’homme est ainsi minée et là où la responsabilité n’est pas totale, il est difficile de
parler de l’amour.
Finalement, Torrance allègue une autre raison contre l’universalisme. Il est trop rationnel et, pour
cette raison, ne peut pas admettre que le caractère du péché est, surtout, son irrationalité. La raison ne peut
pas sonder la vraie nature du péché, qui se trouve toujours dans Eli, Eli Lama sabachthani.
5. L’appui exégétique de l’universalisme
Avant le XXe siècle, la notion de châtiment éternel était atténuée par l’affirmation exégétique que la
punition du Nouveau Testament n’était pas définitive. aionios indique une période limitée pour la rétribution.
Actuellement, peu d’exégètes nient que le Nouveau Testament enseigne une division définitive des hommes.
Pourtant cette position est relativisée par la mise en parallèle de ces passages avec les textes qui semblent
proposer une espérance universaliste. Parfois, on dit que ces deux sortes de textes ont des intentions
différentes. L’universalisme est prédominant, car il représente la portée théologique du message; les
avertissements ne sont qu’existentiels. Certains universalistes amplifient cette distinction en disant que
l’universalisme du Nouveau Testament représente l’esprit chrétien alors que les passages qui parlent du
jugement sont d’origine juive.
Il faut donc, examiner les textes «universalistes»:
a) 1 Timothée 2.1-6. Comment comprendre le mot «tous» dans ce passage et dans les autres où il
paraît? Dans ce passage, panton anthropon est répété aux versets 4 et 6. Le mot pas dans le Nouveau
Testament se réfère non seulement à tout individu collectivement, mais peut recouvrir la notion de
catégories. Il peut être traduit «toutes sortes de». Ainsi pas ho laos en Jean 8.2 ne veut pas dire «chaque
individu». Dans ce texte, il n’est donc pas illégitime comprendre que Dieu veut sauver des hommes de toutes
sortes de condition. thelo a un sens fort et indique non pas un désir mais l’intention ferme. Cette
interprétation semble être soutenue par le fait que nous sommes exhortés, dans le contexte, à prier pour des
hommes de classes différentes.
b) De même, en Romains 5.18, le fait que tout homme est justifié en Christ n’indique pas nécessairement le
salut universel. Cette interprétation serait donc «tous ceux qui seraient perdus en Adam seront sauvés en
Christ». Romains 11.32 pourrait être lu dans ce sens. A côté de cette exégèse universaliste, il y a celle qui
consiste à comprendre le «tous» de façon organique. Le sens serait donc que tous les hommes compris en
Adam sont perdus et que tous ceux qui sont récapitulés avec Christ sont sauvés. Christ est le chef d’une
nouvelle humanité qui constitue un corps organique avec lui. «Tous» dans cette humanité-là seront justifiés.
D’où ce schéma:

Adam
«tous»
Christ
«tous»

Il est important de lire ce passage selon l’analogie de la foi; le «tous» est qualifié par l’obéissance de
la foi. Paul précise cette pensée dans le contexte même. La justification qui est le contenu de cette
déclaration est obtenue par la foi (v.17). Dans le Nouveau Testament, la justification est toujours imputable à
la foi, qui est, en même temps, don de Dieu et décision pour Christ. Un peu plus loin, Paul dit que
«beaucoup» seront justifiés. Il envisage une nouvelle humanité organique justifiée par la foi, unie à Christ.
Le pécheur qui n’a pas la foi est toujours identifié à Adam. Cette interprétation est celle de Bultmann qui
insiste sur le fait que la justification de l’impie est liée à sa décision de foi, et qui, pour cette raison, nie le
caractère universliste de ce texte.
c) En Tite 2.11, Paul déclare que la grâce de Dieu «source de salut pour tous les hommes a été
manifestée». Dans le contexte, référence est probablement faite aux classes sociales mentionnées dans la
première partie du chapitre. La grâce de Dieu touche tous les hommes indépendamment de leur classe, y
compris les esclaves qui n’avaient pas de statut social à l’époque du Nouveau Testament (1 Tm 6.10).
d) Un autre passage, sujet de contestation, est 2 Pierre 3. Le verset 9 dit que Dieu ne veut pas la
perdition (boulomaïa indique, à la différence de thelo, le désir de Dieu, et non sa volonté secrète). Ce
passage a pour arrière-plan Ezéchiel 18.23-32. Ainsi la dispense de jugement s’explique par l’occasion
donnée à l’homme de se repentir. Dieu retarde le jugement non parce qu’il espère ce qui ne peut être, mais
parce qu’il est réticent à l’idée de réaliser ce qui doit l’être.
e) Dieu est soter de tout homme en 1 Timothée 4.10. Trois fois, dans les épîtres pastorales, le mot
sozo est utilisé dans le sens d’une «préservation» non sotériologique (2 Tm 4.18; 1 Tm 2.15, 4.6; cf. Mc 8.35,
15.30). Le salut comme préservation de la vie est un thème courant dans l’Ancien Testament,
particulièrement dans les Psaumes.
f) 1 Jean 2.1-2 peut être interprété de trois façons:
– comme une déclaration universaliste.
– la position augustinienne: Christ se sacrifie de façon adéquate pour couvrir les péchés de tous les
hommes, mais sa mort est efficace par grâce pour les élus; Christ est mort pour tous les hommes, mais pas de
manière égale pour tous. Il meurt de façon efficace pour les péchés de son peuple, mais non pour tous, bien
que sa mort soit un appel pour eux aussi (Mt 1.21; Jn 10.15; Ep 5.25).
– une interprétation probable est que Jean écrit pour les juifs convertis. Il s’agit de leur faire comprendre
que Christ est mort non seulement pour eux mais aussi pour les païens (Jn l1.52).
Enfin, les grands appuis des universalistes sont Colossiens 1.20 et Ephésiens 1.10. Ces textes sont loin
d’affirmer le salut de tous les hommes même s’ils parlent de la réconciliation de toutes choses.
L’équivalence entre réconciliation et salut n’est pas démontrée. Cette interprétation oublie que l’on peut
fléchir le genou devant Christ comme juge et être soumis à sa souveraineté dans le jugement sans pour autant
être sauvé.
Les passages «universalistes» le sont uniquement en apparence. L’idée d’E.A. Blum est correcte
quand il commente: «Le soutien principal de l’universalisme n’est pas l’exégèse biblique, mais une idée
humaniste de l’amour. Si nous sommes universalistes, c’est que l’humanisme a pris le pas, dans notre
interprétation, sur le message biblique.»
Il ne faut pas oublier que chaque texte se lit dans le contexte de l’Ecriture entière et qu’aucun texte
isolé ne peut fonder une doctrine de foi. La foi est toujours faite de contradictions apparentes prenant en
compte tous les textes de la Bible.

6. Election et universalisme
Ceci conduit à reconsidérer le paramètre de l’amour divin.
Un problème d’interprétation paraît si on aborde l’Ecriture avec une idée non-biblique
(logique/numérique) de ce que «tous» veut dire, et en l’appliquant à chaque cas.
Dans certains des passages considérés, l’intention de l’apôtre n’est ni d’affirmer, ni de nier un
universalisme de l’amour divin pour des individus. Il est douteux qu’une telle question ait été présente dans
l’esprit d’un juif du Ier siècle. Dans la plupart des cas examinés, les écrivains disent que Dieu manifeste son
amour pour les hommes indépendamment de leurs caractères subjectifs. Il n’est pas dans l’intention des
écrivains de dire si cette offre est efficace pour le salut. Dans d’autres passages, tels que Romains 5, le
«tous» n’est pas incompatible avec l’élection, mais il se définit par référence à la solidarité corporative, le en
Christo qui réalise l’élection. L’élection divine se réalise dans «tous» ceux qui sont en Christ.
Nous pouvons donc examiner un double problème herméneutique.
a) Le rapport entre universalisme et élection
Paul , considéré comme le plus «universaliste» des apôtres (il est l’apôtre des gentils!) peut également
dire en 2 Thessaloniciens 1.7s qu’il y aura une séparation à la fin des temps. On ne peut plaider que par
ignorance qu’il y aura une éducation origénique après la mort, car le Nouveau Testament n’en souffle pas
mot. Mais, il faut être clair, si on adopte la thèse de l’universalisme, la doctrine biblique de l’élection (si bien
attestée) devient un non-sens. Il en est de même pour l’élection de Christ comme “ agneau immolé avant la
fondation du monde» dans le pacte de la rédemption. Si tous doivent être sauvés, pourquoi Christ est-il venu
mourir pour des hommes qui, dans l’histoire, le refusent? L’incarnation est, après tout, un événement
historique qui vise le rachat. La notion biblique d’élection devient incompréhensible: est-il possible de dire
que Dieu choisit quelques uns, mais sauve tout le monde?
Si, par contre, on commence la démarche herméneutique à partir de la notion d’élection, on élimine
l’universalisme illimité et individualiste, car l’Ecriture n’affirme jamais que Dieu a élu tous les hommes. Au
contraire, la notion biblique implique le «choix», même si on ne doit pas utiliser le mot «sélection», comme
le fait Lacueva dans L’œuvre de la grâce.
Dans cette discussion, il convient de commencer par l’aspect le mieux attesté dans le corpus
biblique, à savoir, personne ne le niera, la doctrine de l’élection. La notion de l’universalité est comprise à
partir d’elle. Si on commence avec l’universalisme pour définir notre l’idée de l’élection, on introduit une
contradiction dans le corpus biblique et aussi dans l’enseignement de Jésus et de Paul. Et dans ce cas,
l’universalisme enseigné par l’Ecriture n’est pas digne de confiance: il n’est qu’une idée contredite par
d’autres. Le tissu biblique a éclaté.
b) L’universalité de l’amour de Dieu
L’Ecriture parle de l’amour divin de façon très nuancée. C’est une notion qui a une multitude de facettes
et de degrés. Ces aspects sont présents dans l’Ancien Testament, mais aussi dans l’enseignement de Jésus et
de Paul.
– La philanthropia divine s’étend aux justes et aux injustes selon la grâce commune de Dieu.
L’amour de l’ennemi a pour modèle l’amour de Dieu (Mt 5.43ss).
– Le salut que révèle l’amour divin a une application organique et cosmique dans le Nouveau
Testament. La vie de Christ est donnée pour le salut du monde: pour une humanité et un cosmos recréés. Le
but divin est le palingenesia, mais cette humanité restaurée ne comprend pas nécessairement tous les
individus. En Ephésiens et Colossiens, cet amour comprend la réconciliation de toutes choses. L’élection a
pour but la présence, dans cette récapitulation, des enfants de Dieu. L’Eglise est «la plénitude dont Christ est
le chef» (Ep 1.22-23).
– Un troisième niveau est la manifestation de l’amour de Dieu au travers des bienfaits généraux de la croix,
pour tous les hommes. L’Evangile restreint le mal; c’est le temps de la patience divine. Dieu déclare sa
compassion pour le pécheur, il désire réellement son bien sans rendre efficace ce désir dans tous les cas (voir
Lc 19.41ss). Dieu a de la compassion pour les hommes qu’il ne sauve pas. Sa volonté n’est pas guidée par sa
seule compassion, mais aussi par sa sagesse. Celle-ci est souveraine et détermine la raison profonde pour
laquelle Dieu ne sauve pas tous ceux dont il peut avoir compassion.
– L’amour paternel de Dieu envers ses enfants est spécifique et sotériologique. Christ donne sa vie pour ses
brebis (Jn 10); ceux qui ne sont pas de Christ ne l’écoutent pas (v.26ss). Christ prie particulièrement pour
ceux que le Père lui a donnés. Dans les synoptiques, Jésus parle toujours du Père avec «votre, leur, mon»
mais jamais «du» Père, sauf dans un sens strictement trinitaire. Paul dit que «le Seigneur connaît les siens»;
les enfants spirituels commencent leur vie nouvelle par la justification qui est un acte d’adoption. L’amour-
compassion de Dieu se matérialise pour les saints. Cet amour est enraciné dans la vie éternelle de Dieu.
Ces aspects de l’amour divin sont complémentaires, et il n’est pas faux de les séparer les uns des autres de
façon logique et artificielle. Les formes «inférieures» de la compassion divine mènent l’homme à contempler
la richesse de son amour électif. Pourtant, il ne faudrait pas les confondre et penser que l’amour divin doit
être l’amour qui sauve.
Enfin, l’amour de Dieu et sa colère contre le péché ne s’excluent pas l’un de l’autre. L’amour permet la
punition et, d’une façon mystérieuse et intense, exige la punition. Dieu est un Dieu jaloux. Le pécheur, de
son vivant, connaît l’amour et le déplaisir de Dieu dans les expériences de son existence, parfois de façon
simultanée. En sera-t-il autrement dans l’éternité? Dieu jugera avec amour, mais de façon juste.
Cette conception nous permet de percevoir le vrai universalisme biblique. Il y a un seul Dieu qui ne se
contredit pas, un Evangile et un salut par un médiateur. En Christ, l’amour et la justice divines s’allient pour
notre réconciliation. Ce salut est pour tous les hommes, car Dieu est l’universel ultime.
Mettre l’élection et l’universalisme du salut côte à côte implique qu’il y ait, ultimement, plus d’un salut, plus
d’un sauveur et, peut-être, plus d’un Dieu!
XII. LA CREATION
1. La structure linguistique de Genèse 1
Le chiffre 7 est celui de la perfection. En Genèse 1, les 7 jours représentent une durée parfaite de
temps au cours de laquelle l’action des 6 jours atteint son terme le 7ème jour. Udo Cassuto, dans son
commentaire, remarque l’importance de ce fait en Genèse 1:
- après Genèse 1.1, la section se divise en 7 paragraphes signalés par les mots: «Il y eut un soir, il y eut
un matin»;
- Genèse 1.1 contient 7 mots.
- chaque mot clef de ce verset paraît dans la section dans un multiple de 7 (Dieu / 35; cieux et terre /
21).
- dans le septième paragraphe, il y a trois phrases; chacune a sept mots (2.2 à 3a) et est construite
autour des mots «septième jour». Le paragraphe comporte 35 mots. Il ne s’agit pas d’une coïncidence, mais
d’un effort pour illustrer, de façon numérique, la perfection créée.

2. La relation entre Genèse 1.1 et 1.2-3


Cette question littéraire a un enjeu théologique très grand. En effet, l’interprétation du rapport
existant entre ces versets est décisive pour la compréhension de la nature de la création divine: création ex
nihilo ou création à partir de matière sans forme. Ici, comme ailleurs, l’exégèse norme nos concepts
théologiques.
a) Les traductions possibles
«Au commencement Dieu créa le ciel et la terre...» (Segond);
«Lorsque Dieu commença la création du ciel et de la terre, la terre était déserte et vide et les ténèbres
à la surface de l’abîme; le souffle de Dieu planait à la surface des eaux, et Dieu dit…» (TOB, Ibn Ezra);
«Quand Dieu commença la création du ciel et de la terre et la terre était déserte et vide…» (Rashi).
Qu’est-ce qui différencie ces trois traductions?
– Dans la première, le premier verset constitue une phrase indépendante.
– Dans la deuxième, il y a une phrase introductive, la phrase principale existe au v. 2.
– Dans la troisième, il y a une phrase introductive, la phrase principale existe au v. 3 (le v. 2 est une
parenthèse.
Les traductions 2 et 3 interprètent le mot tyvarb comme un état construit. Ceci est grammaticalement
possible, car cet état peut être suivi par un verbe fini. Mais s’agit-il d’un construit ou de l’état absolu qui
valoriserait la version 1? Dans l’Ancien Testament, dans la plupart des cas, tyvarb est, en effet, à l’état
construit. Dans ce cas, le mot indique la première partie ou la meilleure partie de quelque chose (Dt 26.2; Gn
10.10). Dans certains cas, le mot est à l’absolu (Es 46.10; Né 12.44). Il est donc difficile d’aboutir à une
conclusion à partir des usages. Plusieurs considérations indiquent que l’absolu est l’interprétation probable :
i) Dans les textes massorètes, le mot est accentué d’un tiphca disjonctif. Le mot a une certaine
indépendance dans la lecture, ce qui indique un état absolu.
ii) Dans les versions anciennes (targums), le mot est interprété sans exception comme un absolu.
Voir aussi la Vulgate, la version samaritaine et la peshitto syriaque.
iii) Ni le mot ni le contexte n’imposent la nécessité de l’état construit. Au contraire en Genèse 1.1,
l’absolu semble plus normal à cause du contexte. Il y a une allitération entre tyvarb et awb. Le sens de ces
deux mots est lié et ce verbe au qal a toujours Dieu pour sujet et jamais l’homme. Le mot est employé avec
l’accusatif du produit, mais le matériel utilisé n’est jamais mentionné avec le mot. Ainsi, la Genèse dit que
Dieu a créé l’homme et la femme, mais elle ne dit pas que Dieu a créé l’homme de la poussière: en Genèse
2.7, le mot r y est utilisé, non arb. Le mot barah est donc plus étroit que notre «créer».
L’allitération de Genèse 1.1 indique que «création absolue» équivaut à «commencement absolu». Ce
contexte allitératif est un argument fort pour la cause de l’état absolu.
iv) Ces considérations sont soutenues par l’exégèse du v. 2. Sa construction indique qu’il commence
à traiter un nouveau sujet. Le premier verset est donc l’En-tête qui introduit toute la section. Cette position
est défendue par Cassutto et Von Rad dans leurs commentaires et par E.J. Young dans son livre Studies in
Genesis 1. Le premier verset, pour ces commentateurs, est une phrase indépendante. Von Rad dit que c’est
une «expression résumée» de tout ce qui suit, indiqué par les deux premiers mots:
– que la création est «sans effort» de la part de Dieu.
– qu’elle est ex nihilo. arb exclut toute mention de matière. Ces expressions cachent, sous leur
simplicité, l’intensité de l’idée que Dieu est Maître de l’univers, car Créateur. Toute mythologie, toute
cosmogonie est bannie. Dieu n’est ni Combattant, ni Engendrant dans la création. Von Rad dit que Genèse
1.1 n’est pas symbolique. L’écrivain veut que ces expressions soient comprises comme vraies et exactes. La
construction de Genèse 1.2 isole les 7 mots du v. 1 (voir 7 paragraphes et les 7 jours! !). L’ordre des mots de
Genèse 1.2 montre qu’un nouveau sujet commence à être traité. Ici le sujet haaretz précède le prédicat tohu
wabohu, et accentue l’introduction d’un renseignement nouveau sur la question. Genèse l.2 n’est donc pas
une continuation de Genèse 1.1 mais commence un nouveau sujet.
La structure du v.2 aide à voir la relation avec le v.1. Ici, on a trois phrases circonstancielles (sans
verbe fini) :
– «la terre informe et vide»
– «et les ténèbres sur la surface de l’abîme»
– «et l’Esprit de Dieu se mouvant au-dessus des eaux.»
Ces phrases indiquent une condition existant à un moment particulier, et non une progression
narrative. Le temps de ces conditions doit être établi par référence au verbe fini. Il y a deux possibilités ici:
– barah est le verbe fini. Les conditions du v.2 sont comprises par rapport au v.1. Ainsi, au moment
où Dieu a créé, ces conditions existaient; donc, négation de la création ex nihilo. Cette possibilité est exclue
par le rapport entre les deux premiers mots du v.1 et le fait que ce verbe n’envisage jamais le matériel.
– wayomer du v.3. L’idée serait que ces conditions existait au moment où Dieu a fait surgir la
lumière. Cette deuxième possibilité nous aide à approfondir le sens du rapport entre Genèse 1.1 et 1.3 à 2.3.
Le premier verset est une déclaration du fait de la création du ciel et de la terre, c’est-à-dire de toutes
choses. L’univers est le résultat d’une création de Dieu, qui est absolue. Genèse 1.1 est une narration
complète en elle-même. Le verbe est au parfait et il envisage la totalité de l’œuvre de Dieu.
Les v.2ss constituent une narration complète en eux-mêmes. Dans cette deuxième narration, le
premier verbe est wayomer. Il n’est pas précédé par un verbe au parfait et il indique la première condition de
la terre quand Dieu a commencé à former le monde habitable.

Résumé
Nous avons, dans ces deux narrations, une affirmation de la création absolue. Dieu crée de rien, avec
rien. Le premier acte est celui de créer une terre informe et vide; cet acte est suivi d’autres qui font surgir
l’ordre voulu par Dieu.

3. Les sens du verset 2


En quoi consiste le chaos qui caractérise l’acte original de la création divine? Ce chaos, dans la
pensée de Genèse 1.1, semble bien différent du chaos extra-biblique qui représente l’infini sans norme, une
matière primordiale confuse. Le tohu wabohu biblique est-il un chaos dans ce sens? Dans le contexte de
Genèse 1.2-2.3, cette expression sert à faire ressortir le contraste entre la désolation primitive et le monde
habitable du 7ème jour. Le sens de tohu peut être illustré par Esaïe 45.18, où tohu est contrasté avec
habitable (shabar). bohu a sans doute essentiellement le même sens (Jr 4.23; Es 34.11). Le chaos était désert,
vide et donc inhabitable. Cela ne correspond pas obligatoirement au sens de confusion ou de masse sans
forme. Cela semble plutôt décrire le monde comme eschatologiquement incomplet. A noter les contrastes
entre haaretz/tohu; lumières/hoshek et abîme/ruah YHWH. La troisième phrase renforce cette représentation.
Même dans sa condition inhabitable, le monde est soumis à l’action de l’Esprit de Dieu. Cassuto maintient
que le monde non perfectionné est placé sous la protection paternelle de Dieu. Il ne s’agit pas d’un simple
vent, mais de l’Esprit. Si Moïse avait voulu indiquer un vent, il aurait pu utiliser l’expression ruah gadolah.
Plutôt que d’un vent pour séparer les eaux et la terre, il s’agit de la présence de Dieu qui infuse la vie (Jb
33.4). Le piel du verbe ne décrit pas un vent qui souffle, mais qui s’impose.
Résumé du v. 2: ce verset n’est pas une continuation de Genèse 1.1. Il représente un nouveau
commencement. Pourtant il existe un lien avec le v.1. Ainsi, comme dans le premier verset, il est question de
la terre. Le waw reprend la pensée du premier verset et illustre une certaine continuité, mais aussi une
certaine exclusion. Si en 1.1, l’attention est centrée sur la totalité créée «cieux et terre», en Genèse 1.1, la
terre seule est envisagée. C’est cette terre qui se développe sous l’œuvre divine et qui reste centrale dans
l’Ecriture. La terre créée est le monde que Dieu aime. L’Ecriture est théocentrique: c’est là qu’a lieu le
contact de l’Eternel avec la créature.
En même temps, le haeretz du v.2 est bien différent de celui de 1.1. Il est incomplet, imparfait mais il
est déjà une forme élémentaire de création. Comme le dit Delitzsch, il décrit le monde immédiatement après
la création. Le miracle de la création, selon Von Rad, commence de façon négative, informe. L’opposition ici
n’est pas entre néant-création mais entre chaos-cosmos. Pourquoi ce développement: chaos-cosmos? La
seule réponse semble résider dans le fait que l’auteur insiste sur cette méthode de préparation de la terre
habitable pour mettre en relief la grandeur de l’œuvre de Dieu.
4. Création ex nihilo?
La structure de Genèse 1 est fondamentale pour la doctrine biblique de la création ex nihilo. Elle
n’est pas périphérique, comme semble l’inférer Pierre Gisel dans son livre sur la création, mais capitale.
Résister à la notion de création ex nihilo de Genèse 1, c’est aussi enjamber le témoignage biblique en entier.
Jean 1 est en parallèle avec Genèse 1. L’apôtre reprend cette idée dans le contexte de l’hypostase du Logos:
en arche. On peut paraphraser «avant le début». En Hébreu 11.3 aussi, l’idée de création ex nihilo ressort de
façon claire: la foi est l’assurance de l’espérance, la conviction des choses non visibles que nous croyons par
l’Evangile. Même l’univers visible n’est pas formé de choses visibles. Par la foi, nous savons que les «âges»
ont été formés par la puissance divine. Aiones indique l’univers dans le temps et l’espace; le rhema divin
appelle à l’existence ce qui n’existe pas. L’auteur des Hébreux pense, sans doute, à Genèse 1 mais aussi au
Psaume 33.6 et 9. Ainsi, to blepomenon vient de to me ek phainomenon. Comment le savons-nous? Par la
foi. Il y a ici un refus polémique de spéculer sur l’éternité de la matière. La foi s’appuie sur la révélation
divine et sait que cette spéculation est inutile. Selon la révélation, l’univers n’est pas formé ek phainomenon
mais créé (ktizo) par la puissance divine. Il ne fait aucun doute que l’auteur des Hébreux se réfère au récit de
la Genèse, car les 7 exemples des «héros» de la foi du ch. 11 sont puisés dans la Genèse. Ce verset est un
commentaire sur le récit de la création de Genèse 1 et il prolonge dans le Nouveau Testament l’idée de
création ex nihilo.

5. La création de l’homme et de la femme


a) Le caractère particulier de l’homme: trois idées sont soulignées en Genèse 1 et 2:
– la création a un début; le monde n’est pas éternel, l’éternité appartient à Dieu seul.
– l’idée de progression. La création est un processus qui trouve sa culmination dans l’homme. En
Genèse 1, la création est décrite du point de vue de l’activité divine; Genèse 2 présente le même processus
d’un point de vue différent. L’homme est la conclusion du processus et en Genèse 2, cet homme, pour qui la
création existe, devient le centre de l’histoire. (Gn 2.4: eleh toledot)
7 Le sabbat
3 végétation 6 homme/animaux
«Domaine» ≠ ≠ «Gérant/souverain»
2 firmament 5 créatures
≠ ≠
1 nuit/jour 4 soleil/lune

Genèse 1.26-30: couronnement d’Adam comme roi de la création, ayant domination sur la création
comme le représentant de Dieu.
En Genèse 1, les actes de Dieu créent l’environnement de l’homme. Tout est fait pour que les
créatures entrent dans le repos avec Dieu. Genèse 2 présente ce que fait l’homme dans son histoire-réponse à
Dieu.
– la progression se fait au moyen de commandements de Dieu, son intervention directe (Gn 1.3, 6, 9, 11,
14, 20, 24, 26, 29). L’accomplissement de la création a une structure préceptive: la parole divine, «Dieu
dit»/le fait, «que soit»/ l’accomplissement/le jugement, «c’est bon»/la conclusion, soir/matin. La parole de
Dieu effectue la volonté divine et l’Esprit agit sous la direction de cette parole (Ps 33.6 et 9).
b) L’origine de l’homme. Trois idées sont présentes dans la Genèse:
– avec la création de l’homme, Dieu s’engage personnellement. Son action va plus loin qu’un simple
commandement. La pensée, la sagesse, l’intérêt et le conseil de Dieu s’expriment particulièrement dans la
création de l’homme. L’attention unique de Dieu montre que ce qu’il accomplit est remarquable: l’homme,
dans son mystère, se distingue des animaux. La transcendance est inscrite dans son être. La nature de
l’homme se distingue des autres créatures (cf. Gn 1.25-26: espèce/similitude). Dieu engage sa personnalité
dans le cas de l’homme, parce que, seul, l’homme est son image. L’homme est le miroir de la grandeur de
Dieu (cf. conseil-bénédiction; Gn 1.28).
– l’image de Dieu indique que l’homme est le roi-serviteur dans le cosmos (Gn 1.26). «Avoir
domination» est une référence aux hommes en général et inclut la femme. La communion homme-femme est
aussi une manifestation de l’image de Dieu (cf. la parole divine «créons» et la pluralité de l’homme comme
masculin et féminin). La domination de l’homme correspond à celle de Dieu. La répétition lyrique du v. 26
met l’accent sur l’importance de cet acte.
– le caractère particulier de la formation de l’homme (Gn 2.7). Tandis qu’en Genèse 1, il s’agit d’une
référence générale à l’humanité, ici il s’agit d’un homme particulier dans un environnement restreint.
i) La formation (yatsar) de l’homme de la poussière montre que l’homme a des affinités avec les
animaux et l’environnement physique de l’univers. L’homme vient de la poussière et y retourne: la terre
constitue l’anthroposphère dont l’homme ne peut se libérer. Il est un proche parent des animaux: Dieu les
forme également de la poussière. Comme les fonctions des animaux, celles de l’homme l’orientent vers la
terre (sensation, perceptions, activités de la vie); tout ceci indique que l’homme est mortel (Ec 3.2l). Mais le
caractère corporel de l’homme ne met pas sa valeur en cause. Le corporel/matériel n’est pas mauvais, c’est le
domaine conçu pour l’homme par Dieu dans sa grâce.
ii) Le souffle de Dieu (nefesh hayah; cf. Gn 1.20, 24 et 30). L’action divine engendre la vie de
l’homme. L’hébreu marque tout simplement le fait de devenir vivant. Ce qui est particulier, c’est que
l’homme vit par Dieu. Et ce qui est plus important encore, ce n’est pas à un «hominide» déjà existant auquel
Dieu superimpose son souffle pour le rendre homme (l’homme n’est pas un bricolage sur le thème singe).
C’est par le souffle de Dieu que l’homme sort du néant pour être vivant. L’hypothèse des antécédents
animaux pour l’homme est éliminée par l’Ecriture.

Conclusions
– c’est le souffle infusé qui fait de l’homme une créature vivante.
ce qui fait de l’homme une créature vivante est ce qui le constitue homme.
– cela détruit la distinction traditionnelle qui oppose les deux éléments, âme et corps. L’Ecriture
parle de l’âme de l’homme et le distingue du corps, mais «âme» a beaucoup de sens différents: vie de
l’homme entier, la vie qui anime toutes les actions de l’homme. L’homme n’est pas une combinaison de
deux sortes de vie, mais un être vivant. Par le même acte de Dieu, les aspects corporels et spirituels sont
étroitement liés, de sorte que l’homme est une créature unie dans le sens intellectuel, volontaire et moral.

c) La conformité de l’homme avec Dieu


Il existe des affinités entre l’homme et son environnement, et il existe également une conformité
avec le Créateur. L’homme est unique de deux façons : il est créé à l’image de Dieu et il est appelé à exercer
sa domination sur la création. Cette particularité s’exprime de plusieurs manières:
– Dieu établit une communion avec l’homme qui n’a pas d’égal dans le règne animal. Il n’y a pas
trouvé d’aide pour lui; c’est pourquoi Dieu crée la femme (ish/ishah). La femme n’est ni inférieure ni
supérieure à l’homme; elle est sa semblable. Elle est créée de la chair même de l’homme, mais elle constitue
un vis-à-vis différent. Notez qu’Adam donne des noms descriptifs aux animaux (v. 19), mais la femme est
reconnue comme quelqu’un qui lui correspond entièrement (v. 23: «enfin»). «Dieu lui-même comme le Père
de l’épouse mène la femme à l’homme» (Von Rad). Le mystère de l’homme s’explique par rapport à Dieu.
Ce sens ne peut être défini par rapport à un aspect temporel.
– l’homme a un halo de sainteté qui entoure sa vie, en contraste avec d’autres créatures animées. Un
exemple se trouve dans le récit de ce que Caïn a fait à son frère. La mort d’un animal se trouve impliquée
dans l’acceptation du sacrifice d’Abel. Mais le meurtre d’Abel a été jugé par Dieu: la vie de l’homme est
protégée par la sanction donnée par Dieu (Gn 9.5-6).
– quand on parle de la conformité de l’homme avec Dieu, il semble impossible d’établir un accord entre
la présentation de la Bible et le dogme de l’évolution transformiste. Le «souffle» de Dieu souligne que
l’homme tient directement sa vie de l’animation divine. Le premier principe de l’évolutionnisme appliqué à
l’homme est que l’homme a évolué à partir d’une forme de vie non-humaine. Genèse 2.7 indique le
contraire. Tandis que pour l’évolutionniste, le processus va de l’imperfection à la perfection par la sélection,
le concept biblique de l’homme va de la perfection à l’imperfection morale par la dégradation du péché. La
conversion est une réanimation d’un être qui est moralement mort. Dans la Bible en général, l’homme, dans
son histoire, n’est pas un peu plus haut que les animaux, mais un peu inférieur à Dieu. Au début de la Bible,
l’homme ne doit pas son existence aux puissances qui résident en son propre être en développement, mais à
l’intervention directe de Dieu. Cette intervention est typique d’une autre, celle de l’incarnation. C’est pour
cette raison que certains théologiens appellent la création de l’homme une première incarnation.
B. La doctrine de l’homme

Introduction
1.La situation de la société d’aujourd’hui montre que nous sommes en train de vivre une crise
spirituelle. La culture d’Occident souffre d’une perte de direction.
a) L’érosion des fondements chrétiens de la culture occidentale.
b) Le «strip-tease de l’humanisme optimiste. Les dogmes de l’humanisme sont remis en question: la
croyance en la raison; le progrès; la science comme clef du progrès – «décréation» de l’univers; la croyance
en la suffisance des forces de l’homme pour atteindre ses buts.
c) La faillite des alternatives: le mouvement de la contre-culture n’a pas débouché sur une solution
(Théo. Rezsack)
Conclusion. Après une époque où l’intérêt de l’homme a été absorbé par la recherche d’une
connaissance du monde extérieur, l’homme est de plus en plus conscient de son problème fondamental:
Qu’est-ce que je suis? Qui suis-je?
2. Ainsi, les problèmes de la société nous obligent à revenir à l’homme. Il n’est pas suffisant
d’imputer à la société technologique, impersonnelle, la crise de la personne humaine. S’il y a une perte de
personnalité dans une société dépersonnalisée, on ne peut pas expliquer ainsi pour autant l’énigme de
l’homme. Si la société est dépersonnalisée, c’est que l’homme moderne est devenu insensible aux valeurs
spirituelles qui l’ont inspiré dans le passé. Ainsi, l’homme a perdu la foi non seulement en Dieu, mais aussi
en l’humanité. (E. Morin) les idéaux démocratiques maintenus en face du communisme sont maintenant
vides de l’esprit qui les a animés à certaines époques du passé; il ne reste que la structure. Le développement
de la technologie qui a contribué au développement des pays de l’Ouest détruira sa civilisation si la
personnalité de l’homme n’est pas restaurée.
3. Face à l’échec de l’idéalisme, la culture occidentale montre une tendance vers le personnalisme
existentiel. Cette philosophie ne considère plus l’intellect comme le centre de la nature humaine. L’homme
est dans une situation concrète. Jeté involontairement dans le monde, il doit affirmer la valeur de son
existence. L’homme est libre de créer son avenir et d’exercer sa liberté en face de la mort, non seulement
dans le sens biologique mais aussi dans sens du néant. L’homme doit lutter continuellement contre le néant
en se rendant compte que sa liberté est une liberté qui aboutit au néant. L’existentialisme est donc pessimiste
dans sa portée.
Comment donc formuler un diagnostic sur la crise spirituelle de l’homme? L’humanisme et
l’existentialisme ont ceci de commun qu’ils ne vont pas jusqu’aux racines du mal. Ils sont tous les deux le
résultat du développement de l’apostasie religieuse qui avait comme point de départ l’idée que l’homme est
suffisant à soi-même et doit finir par la destruction de cette idole.
+++
A. La question «Qui est l’homme?» contient un mystère qui ne peut pas être expliqué par l’homme
lui-même. Les sciences humaines et naturelles, la physique, la chimie, la biologie, la psychologie,
l’historiographie, la sociologie, le droit fournissent des renseignements sur l’homme, mais seulement sur des
aspects de l’homme. A la question «qu’est-ce que l’homme en lui-même?», elles n’offrent pas de réponses.
Elles ne cherchent pas à dire quelle est l’unité centrale de son existence. Certes, tous ces aspects de la vie
temporelle sont en rapport avec l’unité centrale de notre conscience, le moi (ego) qui est le centre de tous ces
aspects, mais qui n’est pas déterminé par l’un d’entre eux. On ne peut pas (l’existentialisme a dit vrai ici)
acquérir une véritable connaissance du moi par la recherche scientifique. La science est liée à l’ordre
temporel de l’expérience et ne peut pas saisir l’unité radicale et spirituelle du «moi». Le «moi» central qui
dépasse le temporel reste un mystère.
L’aspect central de notre «moi» n’est pas déterminé par les aspects différents de notre existence
temporelle. L’ordre temporel diversifie le «moi».
a) Le premier rapport, c’est celui du «moi» avec le «moi» d’autrui. Ce rapport ne nous mène pas à
une vraie connaissance de notre «moi», car ces rapports sont aussi temporels. L’ego d’autrui nous offre la
même énigme que notre ego. Même si l’on réduit le rapport entre deux ego à l’amour, celui-ci présente
toutes les formes diverses du temporel.
b) Le rapport avec celui qui a créé l’ego de l’homme. Cette connaissance est le résultat de la parole-
révélation de Dieu dans le centre religieux de l’homme (cœur) par le Saint-Esprit. Le cœur est la racine
spirituelle des manifestations temporelles de l’homme, le centre religieux de notre existence.
c) Le rapport avec la nature impersonnelle.
L’objet de cette étude est d’examiner comment l’homme fonctionne dans ces dimensions. Seule, la
doctrine biblique qui définit l’homme dans son rapport avec Dieu – créé à son image, déchu et restauré à
cette image – est assez radicale dans son analyse de l’homme. Car elle seule peut remettre l’homme dans le
contexte de son unité spirituelle qui ne laisse rien en dehors de la direction de Dieu.
I. Origine de l’homme
1.Le caractère particulier de l’homme
a) En Genèse 1 et 2, trois idées sont soulignées:
i) La création a un début. Le monde a un commencement; il n’est pas éternel. L’éternité appartient à
Dieu seul.(Mythologies)
ii) L’idée de progression. La création est un processus qui trouve sa culmination avec l’homme. En
Genèse 1 , la création est décrite du point de vue de l’activité créatrice de Dieu; Genèse 2 ne présente pas de
contradiction avec cette description. L’homme est la conclusion du processus de la création et en Genèse 2,
cet homme, pour qui la création existe, devient e centre de l’histoire (cf. Gn 2.4 ; eleh toledot).
En Genèse 1, les actes de Dieu créent l’environnement de l’homme. Tout est fait pour que les
créatures entrent dans un repos de communion avec Dieu.
iii) La progression se fait au moyen des commandements de Dieu, son intervention directe : vv.
3,6,9,11,14,20,24,26,29.
La structure préceptive de l’accomplissement de la création:
(1) La parole divine «Dieu dit». (2) Le fiat «Que soit». (3) L’accomplissement.
C’est ici la parole de Dieu qui effectue la volonté de Dieu et l’esprit qui agit sous la direction de
cette parole (cf. Ps 33.6,9).
b) Le caractère particulier de l’origine de l’homme
– Dieu s’engage dans la création de l’homme; son action va plus loin qu’un simple commandement.
La pensée, la sagesse, l’intérêt et le conseil de Dieu s’exercent dans la création de l’homme. L’attention
unique de Dieu montre que ce qu’il accomplit est aussi remarquable; l’homme se distingue des créatures.
– La nature de l’homme le distingue des autres créatures. Cf. 1.25/1.26, espèce – similitude. Dieu
s’engage dans la création de l’homme d’une façon spéciale. Il engage sa personnalité même ; il crée
l’homme à son image. L’homme est le miroir de la grandeur de Dieu.
Conseil bénédictions (v.28)
– L’image de Dieu indique que l’homme est roi-serviteur de la création (v.26 :qal 3 pl. avoir
domination, mettre sous son pied) La référence au pluriel indique les hommes en général et comprend aussi
la femme. La communion homme-femme est aussi une manifestation de l’image de Dieu (cf. la parole divine
«créons» -- homme et femme). La domination de l’homme correspond à celle de Dieu. La répétition lyrique
du verset 26 met l’accent sur l’importance de cet acte.
– Le caractère particulier de la formation de l’homme. (Gn 2.7) Tandis qu’au chapitre 1, il s’agit
d’une référence générale à l’humanité ; ici, il s’agit d’un homme particulier dans son environnement
restreint.
• La formation de l’homme de la poussière (glaise) : l’homme a des affinités avec les animaux et
l’environnement physique de l’univers. L’homme vient de la poussière et y retourne ; la terre constitue
l’anthroposphère dont l’homme ne peut pas se libérer. L’homme est proche parent des animaux; Dieu les
forme également de la poussière et les fonctions de l’homme, comme celles des animaux, l’orient vers la
terre (sensations, perceptions, activités de la vie, amitiés : animaux, hommes). Tout ceci indique qu’il est
mortel (cf. Ec 3.21). mais le caractère corporel de l’homme ne met pas sa valeur en cause. Le
corporel/matériel n’est pas mauvais; c’est le domaine conçu pour l’homme par Dieu dans sa grâce.
• Le souffle de Dieu. Souffle dans ses narines – souffle de vie – être vivant (nefesh hayah : aussi
des animaux, cf. 1. 20,24,30). L’action divine produit (suscite) la vie de l’homme. Nefesh hayah indique tout
simplement le fait de devenir vivant. Ce qui est particulier, c’est que l’homme vit par Dieu. ce qui est
important encore, ce n’est pas à un être déjà existant que Dieu surimpose son souffle pour le rendre homme
(homme = bricolage sur le thème du singe). C’est par le souffle qu’il sort du néant pour être vivant. C’est
l’homme lui-même qui en est le résultat (cf. 20-21). L’hypothèse d’antécédents animaux pour l’homme est
éliminée par l’Ecriture.
Conclusions. – C’est le souffle insufflé qui fait de l’homme une créature vivante.
– Ce qui fait de l’homme un être vivante est ce qui le constitue homme
– Cela détruit la distinction traditionnelle qui oppose les deux éléments, âme et corps. L’Ecriture
parle de l’âme de l’homme et la distingue de son corps. Mais l’âme a beaucoup de sens différents: vie de
l’homme entier, la vie qui anime toutes les actions de l’homme. L’homme n’est pas une combinaison de
deux sortes de vies, mais un être vivant. Par le même acte de Dieu, les aspects corporels et spirituels sont
étroitement liés, de sorte que l’homme est une créature unis dans le sens intellectuel, volontaire et moral.
c) Conformité de l’homme à Dieu. Nous avons vu, déjà, qu’il existe des affinités entre l’homme et
son environnement; il existe également une conformité de l’homme avec son Créateur. L’homme est unique
de deux façons : d’abord, il est créé à l’image de Dieu et, ensuite, il est appelé à exercer sa domination sur la
création. Ce caractère particulier s’exprime de plusieurs manières.
i) Dieu établit la communion avec l’homme qui ne trouve pas d’égal dans le règne animal. Il n’y a
pas d’aide pour lui et, pour cette raison, Dieu crée la femme (ish – ishah). Ici, la femme n’est ni inférieure ni
supérieure à l’homme, elle est sa semblable. Elle est créée de la chair même de l’homme, mais elle constitue
un être différent. Adam donne des noms descriptifs aux animaux (19), mais dans la femme, il reconnaît, v.23
(enfin!), quelqu’un qui lui correspond entièrement. «Dieu lui-même, comme le père de l’épouse, mène la
femme à l’homme.» (Von Rad)
DIEU Le mystère de l’homme s’explique par rapport à Dieu.
HOMME - FEMME Le «sens» ne peut pas être défini par rapport à l’aspect temporel
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ANIMAUX – PLANTES
ii) Il y a un halo de sainteté qui entoure la vie de l’homme, en contraste avec d’autres créatures
animées. Un exemple se trouve dans le récit de ce que Caïn a fait à son frère. La mort d’un animal se trouve
impliquée dans l’acceptation du sacrifice d’Abel. Mais le meurtre d’Abel par Caïn a été jugé par Dieu. La vie
de l’homme est protégée par la sanction infligée par Dieu (Gn 9.5-6).
iii) Quand on parle de la conformité, il semble impossible d’accorder la présentation biblique et le
dogme de l’évolution, l’homme étant l’aboutissement d’un processus naturel. Le «souffle » de Dieu souligne
que l’homme tient sa vie directement de l’animation par Dieu. le premier principe de l’évolutionnisme
appliqué à l’homme est que l’homme est le résultat d’une évolution faite à partir d’une forme de vie non
humaine. Genèse 2.7 indique le contraire. Tandis que, pour l’évolutionniste, le processus va de
l’imperfection à la perfection par l’amélioration, le concept biblique de l’homme va de la perfection à
l’imperfection (morale) par la dégradation.
Dans la Bible en général, l’homme dans son histoire n’est pas un peu plus haut que les animaux,
mais un peu inférieur à Dieu. Au début de la Bible, l’homme ne doit pas son existence aux puissances qui
résident en son propre être qui se développe, mais à l’intervention directe de Dieu.
Conclusion sur l’image. Image de Dieu – rationalité – sainteté
Créativité
Respect de la vie
Communion
2. Ancienneté et unité de l’homme
L’homme doit son origine à l’acte du Créateur. Or, la science moderne interroge les chrétiens sur la
méthode (mode?) de la création. Quant à cette méthode, deux questions se posent: quand? (ancienneté) et
comment? (unité)
a) Ancienneté de l’homme
Cette question n’a pas de signification théologique. Du point de vue théologique, il n’est pas
intéressant de savoir depuis combien de temps l’homme est sur terre. Cependant, la différence entre les récits
bibliques et la chronologie scientifique nous oblige à examiner l’authenticité de ces récits bibliques. Il s’agit
des généalogies de Genèse 5 et 11 qui posent un problème.
La Bible ne limite pas l’histoire à une époque très courte (seulement par une certaine interprétation).
Genèse 5 et 11 n’ont pas pour but de fournir une chronologie d’Adam à Abraham. Il y a des détails
chronologiques, mais ils n’existent pas pour nous donner une chronologie de cette période. Ces sections
présentent des étapes sélectionnées. Il n’y a pas de raison, malgré le verbe «engendrer», de penser qu’il s’agit
d’un lien père-fils. «Père-fils» peut être utilisé pour un rapport assez éloigné (cf. Mt 1.1); toute la période
Abraham Christ est couverte en deux étapes et Matthieu 1.8: YoramOzias (selon l’Ancien testament, Ozias
vient plusieurs générations après Yoram). Dans Matthieu, nous avons 3 groupes de 14 générations et dans la
Genèse, il y a, dans les chapitres 5 et 11, 2 groupes de 10 générations. Il est possible que, dans ces deux
chapitres, la structure de la Genèse (10 eleh toledot) soit représentée en réduction.
– Ces 10 noms représentent dix individus importants dont la vie est décrite en deux mots. Les détails
chronologiques ne sont pas donnés pour être l’objet d’un calcul mathématique (si on procède à une
évaluation mathématique, Adam aurait vécu jusqu’à Noé et Noé est encore vivant à l’époque
d’Abram – l’alliance avec Abram n’aurait pas beaucoup de sens – hommes idolâtres – tout de suite
après le déluge).
– Ces détails chronologiques sont donnés pour montrer la longévité des patriarches. Cela accomplit
Genèse 1.28 et 9.1 et assure également l’authenticité de la tradition transmise par les patriarches que
l’on trouve dans les récits écrits plus tard. A cette idée, on voit que les récits généalogiques montrent
la perpétuité de l’alliance de Dieu, avant Noé et après lui. Dieu préserve son peuple et préserve
également la parole de l’alliance.
– La longévité des patriarches montre également que les dégâts du péché sont progressifs et la durée
de la vie humaine diminue. Le péché, qui est un état d’aliénation spirituelle, a des conséquences
physiques et matérielles (cf. Ps 90.10). Dieu a fixé la durée de l’existence humaine non pas par
«avarice » mais, dans sa grâce, pour protéger l’anéantissement de la vie humaine sous les effets du
péché.
– La leçon renfermée en Genèse 5 est que, malgré la durée de la vie, la mort est inévitable. Cf. la
répétition «puis il mourut». L’homme peut éviter la mort pendant un certain temps, ais la mort et le
jugement divin sont des réalités inéluctables (Gn 3.10, cf. Rm 6.23). Dans ce tableau sombre du
péché et de la mort, même après une vie longue, la bénédiction d’Enoch est frappante (Gn 5.23: Dieu
le prit; cf. Hé 11.5). La vie devient plus transitoire, mais, à ce moment-là, Dieu atteste la réalité de la
résurrection à ceux qui croient. Avec Enoch, on dispose de la première trace de la doctrine biblique
de la résurrection.
Conclusion. Les chronologies de Genèse 5 et 11 ne limitent pas l’époque AdamNoé à 2000 ans; cette
période pourrait aussi bien être de 20 000 ans. La généalogie n’ests pas complète et chaque «génération»
peut comporter 1000 ans ou davantage.
b) Unité de l’homme. Ce n’est plus un sujet de discussion aujourd’hui comme dans le passé. Cette
question a une importance théologique, car les doctrines du péché originel et de la rédemption reposent sur
l’idée de l’unité des humains, en Abram / en Christ.
En dehors de la religion biblique, dans l’histoire des religions, on voit que le polygénisme est très
courant. Dans les philosophies classiques grecques (sauf dans le stoïcisme), l’unité de la race humaine n’est
pas acceptée. A l’époque de la Renaissance, ces idées polygénistes étaient acceptées avec les recherches
scientifiques naissantes: co-adamisme, pré-adamisme (de la Peyrère XVIIe; Bayle; Schelley). Les idées
adamistes ont été à la source de l’établissement de l’esclavage des nègres américains. On est loin de l’idée
biblique de l’unité des hommes et, encore aujourd’hui, une fierté raciste persiste.
La grâce de Dieu peut se manifester même chez les hommes qui rejettent Dieu lorsque les chrétiens
oublient leurs obligations envers leurs prochains. Une des bienfaits de l’évolutionnisme – un système erroné
– est le maintien de l’unité de la race humaine: différentes sortes (espèces) d’hommes font remonter leur
origine à un ancêtre commun. Avec l’évolution, la négation de l’unité a disparu.
II. La nature de l’homme
La Bible parle de l’homme de diverses manières: de son corps, de son âme, de son esprit. On ne
trouve, de la part des écrivains bibliques, aucune tentative d’analyse de la «composition» de l’homme: le
rapport entre ses aspects physiques et psychiques. La Bible n’analyse pas l’homme ne lui-même comme le
fait la psychologie moderne. Au contraire, on trouve l’homme dans son rapport avec Dieu et avec d’autres
créatures. Les rapports sociaux de l’homme n’excluent pas Dieu, mais dépendent de lui pour être vraiment
humains. Comment l’homme se situe-t-il vis-à-vis de Dieu? Quel est son caractère particulier?
1. La diversité de l’existence de l’homme
a) Genèse 2.7 parle d’un acte de création qui a deux aspects. Dès le début, l’homme est constitué
d’un aspect matériel, physique. L’homme est un corps (il est moins exact de dire qu’il a un corps). Dieu le
crée ainsi. La Bible ne dit pas que Dieu a créé un esprit et puis l’a enfermé dans un corps. Le corps de
l’homme n’est pas un élément secondaire ou inférieur; l’homme est corporel.
i) Le corps n’est pas mauvais, comme s’il était une source de péché que l’homme ne peut pas éviter.
L’homme est créé corporel et, comme toute la création de Dieu, il est bon à sa création.
ii) Corporalité ne veut pas dire nécessairement mortalité. Dans l’Ecriture, la mortalité est toujours
liée au péché. Après la chute, la mort est la conséquence du péché pour chaque pécheur ayant
désobéi à Dieu (Gn 3.5, 19).
iii) Il n’y a pas d’antithèse corps et esprit. Chez certains philosophes grecs, le corps est la prison de
l’esprit et il existe une opposition entre eux. Cette idée a influencé la pensée des Pères et, plus tard,
la théologie catholique, qui parle d’un donum superaditum de grâce qui maintient ensemble ces deux
aspects. L’ascétisme montre une certaine dévaluation de l’aspect corporel de l’homme: quand l’esprit
prend l’ascendant sur le corps, il se libère pour communiquer avec Dieu.
iv) Même la mort ne détruit pas l’identité attachée au corps de l’homme. Le corps reste le corps
d’une personne. Cf. l’enseignement des apôtres; le Christ lui-même est enseveli (Ps 16.10). Après la
mort, la matière en désintégration s’identifie toujours avec la personne. C’est une personne qui se
décompose. Qu’une personne puisse être identifiée à la poussière montre l’anormalité de la mort. «A
la fin ce n’était plus lui/elle.»
b) Genèse 2.7 parle également de la vie de l’homme. L’homme qui est corps est vivant. On emploie
le mot «âme» pour indiquer cette vie : nefesh ou psychè (Mt 6.25, 10.39, 20.28). Le mot psychè est employé
pour désigner une personne, le «soi» (Mt 12.18; Ac 2.27; Rm 2.9, 13.1; Jc 1.21; 1 P 1.9, 2.25). La
personnalité toute entière est en vue, l’homme dans tous les aspects de son existence. Cf. Psaumes 62.2, 63.2.
Le mot psychè n’évoque pas une partie spéciale de l’homme qui serait supérieure et qui serait le lieu de la
religion: ce n’est pas la partie religieuse de l’homme, mais tout l’homme dans l’unité de son existence.
c) La Bible parle aussi de l’esprit de l’homme (pneuma). Le pneuma représente la vie de l’homme
sous un jour différent: le rapport qui existe entre l’homme en tant que personne et Dieu. Même après la mort,
ce rapport n’est pas aboli et l’Ecriture appelle les «personnes» sans corps des «esprits». Les esprits
désincarnés ont une conscience telle que nous avons conscience de notre identité personnelle dans cette vie
(Mt 27.50; Lc 23.46; Jn 19.30; Ac 7.59; Hé 12.23).Cette continuité montre que l’homme avant la mort est
pneuma.
Conclusion. L’homme est corps; il a une vie psychique qui l’anime; il est aussi esprit. Comment
discerner l’unité de l’homme?
2. L’unité de l’existence humaine
a) Puisque l’Ecriture parle de corps, âme et esprit, certains ont avancé que l’homme était composé de
trois parties (trichotomie). Platon dit que l’homme est constitué d’une âme rationnelle (noûs, pneuma, mens),
d’une âme animale (psukè, anima) et d’un corps (sôma, corpus). Entre le visible et l’invisible, contraires,
l’âme animale constitue le lien qui unit deux éléments inconciliables en eux-mêmes. L’arrière-plan en est le
dualisme. Il y a des textes, dans l’Ecriture, qui semblent justifier cette idée (1 Th 5.23; Hé 4.12; 1 Co 15.44).
cependant, dans ces textes, l’Ecriture ne cherche pas à donner une analyse de la constitution de l’homme. En
Hébreux 4, plusieurs expressions sont employées pour indiquer la pénétration du pneuma de Dieu. En 1
Thessaloniciens 5.23, la sanctification est totale. L’apôtre se sert d’une terminologie connue de ses
contemporains (cf. l’influence de la trichotomie dans certaines terminologies. Cf. Darby Scofield, l’idée du
chrétien charnel).
b) Mais est-ce qu’il y a dualisme entre corps (matériel) et esprit (spirituel, invisible)? Entre le
supérieur (le rationnel) et l’inférieur (le sensuel)? L’idée de dichotomie a été incorporée dans la théologie au
Moyen Age suivant le concept grec forme-matière. L’homme est constitué de deux substances: l’âme et le
corps. Pour maintenir l’unité de l’homme, on disait que l’âme était la forme du corps (Conseil de Vienne,
1311): per se et essentialite. Les théologiens protestants ont suivi en parlant de la dualité de l’homme (cf.
Calvin et, plus tard, au XIXe siècle, l’idée libérale de la valeur infinie de l’âme).
Dans l’Ecriture, il y a une distinction, surtout chez Paul entre sarx et pneuma. Sarx a un sens moral
de déprédation (dépréciation?) (cf. Rm7.14, 8.15; 1 Co 3.3; 2 Co 10.3-4). Mais s’agit-il d’établir une
différence entre l’inférieur et le supérieur, en situant le péché de l’homme dans sa corporalité? Non, il n’y a
pas de contraste entre corps et esprit établissant une distinction dans le caractère de l’homme. En Romains
8.5, il s’agit de phronema de la chair «la pensée ou mentalité» de la chair. En 1 Corinthiens 3.3, la mentalité
charnelle touche à la jalousie et à la convoitise qui sont «spirituelles» (et Ga 5.19ss, les œuvres de la chair).
D’ailleurs l’apôtre dit que l’esprit a également besoin de sanctification (1Th 5.23; 2 Co 7.1). Le corps n’est
pas inférieur. Présenter le corps est un service spirituel. Nos corps doivent être au Seigneur (Rm 6.13; 1 Co
6.13,15). Le contraste sarx/pneuma n’évoque pas la nature de l’homme, mais l’orientation totale de la vie de
l’homme: vers Dieu ou éloignée de lui. L’orientation restitue l’unité de l’existence.
c) Le problème peut être considéré en disant que la différence réside dans distinction entre la dualité
et le dualisme. L’existence de l’homme n’est pas uni-dimensionnelle: elle s’oriente au sein de la réalité
cosmique et vers Dieu qui est invisible et vers la création visible ou la nature. Cette dualité de l’existence de
l’homme n’exclut pas l’unité dans l’homme, mais constitue l’unité même de l’homme. Il est mauvais, en
considérant l’homme, de diviser son essence en deux parties: corps/esprit(âme), comme si corps + esprit =
homme! En parlant de corps et d’esprit, on parle de deux moments existentiels de la vie de l’homme. En
essayant de disséquer l’homme en deux parties, on évacue le mystère profond de l’existence humaine.
Le philosophe calviniste Dooyeweerd critique la théologie traditionnelle en ce qu’elle ôte le mystère
de la réalité humaine en voulant faire entrer de force l’homme dans une distinction entre deux catégories de
substance (psychique et physique), qui sont deux aspects fonctionnels de l’homme. «Le cœur» de l’homme,
c’est la totalité de l’homme qui agit dans les aspects divers de la réalité. Le corps est là où se localise cette
fonction totale de l’homme dans le cadre de la réalité temporelle. Comme le dit Barth, «Le cœur, c’est
l’homme entier – non seulement le siège de son activité, mais aussi le sommaire de toute son activité.» (cf.
Pidoux G. L’homme dans l’Ancien Testament pour Genèse 2.7, p. 17)
3. La question de l’immortalité (Cullmann)
Peut-on parler de l’immortalité de l’âme? Cette idée, chère aux philosophes grecs, implique que
l’âme de l’homme soit indestructible et continue à exister après la mort, sans référence à la résurrection en
Christ.
Certains philosophes ont parlé d’une mort naturelle. Dieu a créé l’homme pour entrer en communion
avec lui, la mort est une chose naturelle, un «moment», une transition. Cette idée de mort naturelle est
construite à partir d’une certaine conception de la vie après la mort, qui enseigne que l’immortalité est
naturelle. La destinée de l’homme est l’immortalité.
Dans l’Ecriture, la mortalité caractérise l’homme, mais il n’est pas dit qu’il y a une partie de
l’homme qui résiste, échappe à la mort. En Genèse 2.17, on lit «tu mourras». C’est la personne dans son
unité entière qui meurt (Ez 18.20 et Ps 90).
Le péché produit un fruit amer pour l’homme: la mort. La mort, c’est la destruction, la corruption, la
damnation (Rm 5.12, 6.23). Dans l’Ancien Testament, la mort est mise en contraste avec la richesse que
représente la vie. La mort, c’est l’impuissance, la négation de la vitalité (cf. Es 38.15-19). (cf. Martin-
Achard, De la mort à la résurrection d’après l’Ancien Testament, pp.36ss. E. Jacob, Théologie, pp. 210ss.)
La fin de la vie, c’est le vol de la richesse de la vie (Ps 88.11-13, 19.15-16). Mourir, c’est perdre ses
bien-aimés, être ôté de la vie (Ps 88.8).
L’idée de l’immortalité de l’âme, dans ce cadre, ne nie pas la mort, mais nie le fait que la mort atteint
tout l’homme. L’essence de l’âme consiste en une qualité: le «ne peut pas mourir». En effet, les théologiens
ont dit que la «raison» enseigne que l’homme est immortel et que cette croyance existe dans toutes les
cultures. Platon a enseigné que l’âme est immortelle à cause de sa nature.
Effectivement, les philosophes parlent davantage de l’âme que l’Ecriture. La conception de
l’Ecriture est étonnante. Jamais la Bible ne parle spécifiquement de l’immortalité comme une vérité
chrétienne, ne donne l’impression que c’est une question importante en soi, n’essaie de maintenir l’idée
comme véritable.
Pourquoi? Parce que dans le contraste fait par les hommes entre vie et mort, en termes naturels, vient
s’imposer un contraste entre la «vie» au service du péché et la vie au service de Dieu. La vie qui n’est pas
dans la communion avec Dieu n’est pas une vraie vie selon l’Ecriture; ce n’est qu’une abstraction. La vie,
c’est exister avec Dieu. Celui qui n’est pas en communion avec Dieu est mort dans le péché (Ep 2.1 ; Col
2.13). La vraie vie, c’est la vie éternelle que Dieu donne (Jn 3.36, 5.24,40, 6.40,50,54 etc.). Pour la Bible, vie
et mort sont définies non pas naturellement, mais seulement par rapport à Dieu; non pas visiblement, mais
spirituellement. Cela empêche les écrivains bibliques de parler de l’immortalité car, pour eux, l’acte de
mourir cesse d’avoir une importance primordiale. Le contraste qu’ils font n’est pas entre la vie physique et la
libération psychique accomplie par la transition de la mort, mais entre mort spirituelle et vie spirituelle.
Athanasia, 2 fois, 1 Tm 6.16 (Dieu); 1 Co 15.33 (ici, il s’agit de l’homme tout entier qui est libéré de
la mort). Les paroles de Christ sur la vie et la mort ne sont pas une interprétation figurative, mais doivent être
considérées à la lumière de l’autorité de Christ qui est «la résurrection et la vie», qui a dépouillé la mort de
sa puissance et a montré la vie (2 Tm 1.10; 1 Co 15.57; Col 3.6; Rm 8.3; Ac 2.24). Lazare est mort selon les
définitions humaines, mais pour Christ, il dort. Lazare n’est pas mort car en Christ, il dort, la mort n’a pas de
puissance sur lui (cf. Mt 9.24). Ce qui est un euphémisme pour les Juifs et les Grecs, «dormir» est une réalité
pour les chrétiens! Pour un chrétien, ce qui compte n’est pas l’immortalité, mais l’espérance de la
résurrection du corps.
4. L’état intermédiaire (mort-résurrection)
Si le christianisme ne connaît pas d’immortalité, seulement la résurrection qui est le résultat de l’acte
de Dieu quand Christ reviendra, on peut s’interroger sur le sort de ceux qui sont déjà morts. Leurs «esprits»
sont-ils déjà au ciel ou l’esprit a-t-il été anéanti par la mort et attend-il d’être ressuscité?
Dans la conception populaire, il y aurait dans le ciel une sorte de salle d’attente où les esprits
attendraient de retrouver leurs corps. On cite très souvent «la demeure céleste» de 2 Corinthiens 5.1. Mais
est-ce l’idée biblique de ce qui se passe entre la mort et la résurrection?
En 2 Corinthiens 4.10ss, l’apôtre parle de la réalité du «en Christ» et de la façon selon laquelle elle
s’actualise dans l’individu. a) Il y a une progression dans la conformité à Jésus-Christ dans le corps. La
nouvelle création s’actualise dans la transformation (vv.7, 14). b) L’ancien éon est en train d’être «dépassé»
dans le chrétien. Ceci aussi est un aspect de notre existence en Christ. Nous prenons part à la souffrance de
Christ (2 Co 4.11, 1.5; Ph 3.10). La souffrance et la mort du chrétien ne sont pas, tout d’abord, «en Adam»,
mais «en Christ». Nous mourrons dans le Seigneur (1 Th 4.14). L’espérance est dans la résurrection avec
Jésus.
Il convient d’examiner le sens de trois expressions présentes en 2 Corinthiens 5: la maison des cieux
(v.1), l’état d’être nu (v.3) ou dévêtu (v.4), quitter le corps (v.8).
a) La maison dans les cieux est très souvent interprétée comme la demeure spirituelle des chrétiens.
Mais elle ne semble pas être une référence à une existence individuelle dans le ciel. Le mot oïkedomèn
indique toujours, dans les écrits de Paul, le corps de Christ, l’Eglise (1 Co 3.9 ; Ep 2.21, 4.12,13). La demure
des chrétiens n’est pas une âme céleste, mais le corps de Christ. Cette demeure est réalisée en Chrust et les
chrétiens sont incorporés en lui (ekemen). Ils ont déjà cette demeure, puisque Christ est ressuscité. Au v.2, il
est question de mettre «par dessus» le domicile céleste, c’est-à-dire que la mortalité est engloutie par
l’immortalité quand, à la parousie, le chrétien reçoit le corps spirituel. Revêtir: cf. v.2; 1 Co 15.53-54.
b) Nu (gumnos), dévêtu (eudúö). On pense très souvent que le «nu» est celui qui n’a pas de corps à
la parousie, et le «vêtu» celui qui a toujours son corps. Cependant, dans l’Ancien Testament, «être nu» est un
symbole de culpabilité et de honte. Ici, il s’agit du jugement de Dieu à la parousie de Christ (Mt 22.11; 1 Jn
2.28; Ap 3.17). «Etre nu» ne signifie pas ne pas avoir son corps, mais être nu pour le jugement, c’est-à-dire
ne pas avoir «mis» Jésus-Christ (1 Co 15.44,53s).
c) «Absent du corps». On a toujours pensé que c’était là l’état intermédiaire. L’expression est
qualifiée de «demeurer avec le Seigneur». C’est à la parousie que nous le vivrons. Etre absent du corps, c’est
être délivré de la mortalité à la résurrection. C’est la réalisation, pour le chrétien, de la nouvelle création. Cf.
le v.7 où «être présent avec le Seigneur» = la vie et «être absent» = la foi. Cf. vv. 9-10 où «quitter le corps» =
être devant le tribunal de Dieu.
Nous voyons qu’ici, pour Paul, il ne pouvait pas exister un état intermédiaire dans lequel l’âme
existerait sans le corps. Paul veut quitter le corps pour être avec Christ dans son corps glorifié. Pour lui, la
rédemption du corps est physique. Il n’y a pas de rédemption qui précède la résurrection des corps.
Qu’arrive-t-il aux chrétiens qui meurent? Ils sont avec Christ, non dans le sens d’être conscients dans sa
présence mais dans celui que leur identité est en lui. – il continue à vivre, et ceux qui sont avec lui continuent
à lui être identifiés – sa destinée est aussi la leur, même s’ils «dorment» jusqu’à la résurrection.
III. Etat originel de l’homme
A. Image de Dieu (cf aussi le ch VIII)
La chose la plus fondamentale que l’on puisse dire au sujet de l’homme, c’est qu’il est l’image de Dieu (Gn
5.1, 9.6; 1 Co 11.7; Ep 4.24; Col 3.10; Jc 3.9). L’homme est unique, car même les anges ne sont pas l’image
de Dieu. L’homme est l’image de Dieu; notre rapport avec Dieu n’élimine pas la partie corporelle de
l’homme, ni la partie spirituelle. Il faut comprendre ainsi le deuxième commandement: l’homme ne peut pas
créer une image pour représenter Dieu, car lui-même est à l’image de Dieu (cf. Dt 4.15-16; Es 40.18,25). Il y
a une différence, dans l’Ancien Testament, entre l’anthropomorphisme – qui décrit la révélation libre de
Dieu – et l’idolâtrie qui met Dieu à la disposition de l’homme.
La doctrine biblique empêche de penser que Dieu est une idée que nous formons, lorsqu’elle interdit
de faire une image de Dieu. Dieu n’est pas formé d’après l’homme, mais au contraire l’homme est l’image
de Dieu.
1. Image dans la création et la re-création
En Genèse 1.26, les deux mots sont employés : réalisation au v.27 (cf. l’exégèse d’Origène qui
établit entre image=création/ressemblance=eschaton). Genèse 5.3, tselem et demith, Genèse 9.6=tselem.
Il y a une grande diversité d’interprétations: est-ce que l’image appartient à la création seule, a-t-elle été
perdue lors de la chute?
a) Genèse 5.1,3 (5.11.26). Adam est créé à l’image de Dieu. Cf. 5.3; y a-t-il un contraste ou une comparaison
entre 5.1 et 5.3? le fils d’Adam est-il, lui aussi, à l’image de Dieu, ou à l’image de son père? Genèse 5.1
rappelle 1.26 et 5 ;3 le fait d’une façon plus claire. Adam est à l’image de Dieu, et quand il donne vie à un
fils, ce fils partage son image qui est l’image de Dieu.
b) Cette interprétation semble être confirmée par Genèse 9.6. Dieu a créé l’homme et, même après la chute,
tuer un homme, c’est détruire l’image que Dieu a créé. Cette loi s’applique après la chute: la valeur de
l’homme tient à ce qu’il a une identité propre (l’image) qui donne au crime de meurtre sa gravité. S’attaquer
à un homme pour le tuer, c’est s’attaquer à Dieu lui-même en effaçant la mémoire de son image. Car la vie et
l’identité de l’homme sont modelées sur celles de Dieu! C’est pour cette raison qu’il est important de
maintenir l’intégrité de l’image de Dieu dans l’homme après la chute. Nier que l’homme est l’image de Dieu
est, en quelque sorte, accepter la justice de la violence. Dans le contexte de Genèse 9.6, on ne peut tuer un
homme que si cet homme est un tueur ; cette action existe pour sauvegarder le principe de non-violence.
c) Deux passages dans le Nouveau Testament. 1 Corinthiens 11.7: il ne s’agit pas d’une distinction entre la
nature de l’homme et de la femme. L’homme n’est pas supérieur à cause de ce qu’il est, la femme aussi est
l’image de Dieu. Il s’agit de la position occupée dans l’ordre créé. Ici, l’apôtre affirme que l’homme est
l’image de Dieu. Jacques 3.9: maudire un homme est à l’opposé de la louange que nous devons à Dieu.
Nous pouvons retenir que, même après la chute, l’homme est l’image de Dieu. Dans le sens large,
l’homme retient l’image même après la chute. Mais, en même temps, la Bible enseigne que l’homme n’est
plus le même homme après l’irruption du péché. Il a perdu de son intégrité; il n’est plus juste ou saint ou bon
devant Dieu. Cela montre son besoin de l’Evangile par lequel il est restauré face à la justice de Dieu. Dans le
sens restreint, l’homme a perdu l’image de justice, de sainteté originelles.
2. Restauration de l’image
Quand on parle de l’image, il faut rappeler l’enseignement de Paul en Ephésiens 4.24 et Colossiens
3.10. La restauration consiste à constituer l’homme nouveau que Dieu crée saint et juste par la connaissance
de la vérité. Ainsi, l’image de Dieu reçoit une forme nouvelle en Christ. En Ephésiens, cette restauration est
selon Dieu (kata Théon); en Colossiens, c’est selon l’image du créateur (kat’eikóna). Il y a là une
comparaison entre la création et la nouvelle création. En Colossiens 3.10, le parallèle avec Genèse 1.26-27
est difficile à éviter; l’homme est renouvelé «selon l’image de celui qui l’a créé». La conclusion est que ce
que l’homme a perdu dans la chute est restauré en Christ. Ce qui existe dans la restauration a dû exister dans
la création. Dans la régénération, l’homme reçoit à nouveau ce qu’il a perdu par le péché, c’est-à-dire sa
justice, sa sainteté, sa connaissance de la vérité. L’homme non régénéré vit donc dans un état fait de
contradictions: il est toujours un homme à l’image de Dieu, mais il est l’image de Dieu contre Dieu, vivant
dans l’injustice, la «non-sainteté», en dehors de la vérité.
Il convient, maintenant, d’essayer de préciser en quel sens l’homme continue à être l’image de Dieu
et ne quel sens il est «contre» l’image originelle.
3. Les «restes» de l’image
Ce qui reste de l’image de Dieu en l’homme: l’homme est l’image de Dieu parce qu’il est une
personne. En tant que tel, il représente Dieu et constitue la présence de Dieu dans le monde. L’homme est
toujours un homme après la chute, supérieur aux animaux. La différence entre le genre animal, ou l’espèce
animale, et l’homme, qui est l’image de Dieu, persiste. L’homme, dans sa conscience, est un être
raisonnable, libre, moral et religieux. L’homme a une identité particulière :
a) La liberté. L’homme a la capacité de faire des choix qui expriment sa volonté. Parler de la liberté
de l’homme n’est pas avancer que l’homme peut faire tout et n’importe quoi, mais que ce qu’il fait
est le fruit de sa volonté. L’homme n’est pas forcé par une nécessité absolue, déterminé par sa nature
à réagir d’une certaine façon.
b) La morale L’homme exerce sa responsabilité par des lois selon lesquelles il juge et détermine ce
qui est bon et ce qui est mauvais. Sa conscience le juge ou l’excuse (Rm 2.12-15). La conscience
peut fonctionner parce que l’homme est comme Dieu. Ce que Dieu est constitue le critère de l’action
de l’homme. La loi ne pourrait pas exister si l’homme n’était pas créé à l’image de Dieu, avec
l’obligation de cultiver cette ressemblance.
c) La religion Il y a dans le caractère de l’homme un sensus divinatis qui le pousse à rechercher
Dieu. La communion avec Dieu est le but de toute religion, même si cette religion est pervertie (Rm
1.18-19).
Deux considérations supplémentaires:
– Accentuation. Si les capacités de l’homme présentent des «restes» de l’image de Dieu, est-ce nier
l’idée biblique de dépravation de l’homme? Y a-t-il, en l’homme, une partie bonne et une partie mauvaise?
On pourrait faire de cette idée de «restes» une application fausse pour libérer l’homme de son péché. La
théologie biblique n’emploie pas l’idée de «restes» pour décrire une partie de l’homme exempte de la
corruption, mais pour montrer que même si l’homme se détourne de Dieu, il n’échappe pas à Dieu et sa
rébellion se manifeste d’une façon d’autant plus concrète. La lumière qui reste fait ressortir les ténèbres de
son état apostat. Seul, l’homme qui retient l’image de Dieu peut être responsable de son péché et de sa
culpabilité. C’est dans le cadre de ce qui reste de l’image de Dieu que la totalité de la dépravation se
manifeste. L’homme est constitué à l’image de Dieu; c’est justement ce fait qui rend son péché si grave.
– Limitation. Il ne faut pas penser que ce qui «reste» de l’image de Dieu après la chute n’a pas été
atteint par le péché. Si l’homme reste toujours une personne, il n’en risque pas moins de se dépersonnaliser.
Sa conscience n’est pas toujours juste, sa religion est fausse et sa liberté n’est exercée que par une volonté
soumise au péché. Même le corps qui porte l’image de Dieu devient un corps de péché (Rm 6.6), mis au
service du péché.
Ce qui est perdu de l’image de Dieu est indiqué dans les passages d’Ephésiens et de Colossiens.
Connaissance, qui n’est pas complète, mais compréhension du rapport entre Dieu et l’homme. Justice,
conformité positive à la volonté de Dieu. Sainteté, consécration et pureté. A la création, l’homme possédait
ces caractères, mais il les a perdus dans sa rébellion. Cette transformation est effectuée par Christ, qui est
l’image de Dieu (voir Rm 8.29; 1 Co 15.49; 2 Co 3.18, 4.4; Col 1.15; Hé 1-3).
4. Autres interprétations
Nous avons dit que l’homme est l’image de Dieu et que cette image montre la conformité originelle
de l’homme à Dieu dans les différents aspects de sa personne. Il y a plusieurs autres interprétations (plus ou
moins bibliques) de la création et de l’image de Dieu.
a) Le catholicisme romain distingue quatre étapes à propos de l’homme et de son péché.
i) L’état de nature pure (status naturae purae). L’homme a été créé corps et âme, ayant deux
éléments distincts, avec des dons naturels (propres à la nature humaine), mais sans la grâce. L’homme a des
appétits sensuels, mais il n’y a pas de péché.
ii) Conflit (pugna concupiscentrae). Les désirs sensuels ont tendance à dépasser les limites de la
raison (anima). Certains théologiens disent que la raison maintient les désirs à leur place, d’autres parlent de
conflit entre ce qui est inférieur/supérieur dans l’homme (Bellarmin). Aquin aussi constate qu’il y a une lutte
contradictoire.
iii) Dona superaddita – état de justice originelle. Les dons de la grâce servent à maintenir l’harmonie
entre le corporel et le spirituel. Ces dons sont au nombre de deux: d’abord, l’immortalité et l’intégrité
maintenues dans la nature de l’homme; ensuite, le spirituel, le don de sainteté. La chute est la perte de ces
dons; l’homme après la chute revient à l’état de conflit,
création chute
P…. nature Dona superaddita Pugna
Conflit concupiscentiae
l’homme est maintenant dans un état naturel (contre l’idée de l’anormalité de l’homme pécheur; cf. le salut
dans le catholicisme romain existe par l’addition de la grâce sacramentale à l’homme qui le reçoit.
iv) Imago dei: quelle place a l’image de Dieu dans ce schéma. Il n’y a pas d’unanimité parmi les
théologiens catholiques romains. Beaucoup pensent que l’image de Dieu parle de l’état de pure nature
(l’homme à l’image de Dieu dans son intégrité) tandis que la ressemblance évoque des dons ajoutés. Plus
récemment, il y a une tendance qui rejette cette distinction: image et ressemblance = dona.
Critiques : – Dégradation de la constitution de l’homme.
– Sérieux du péché est limité.
– Fausse opposition entre corporel et spirituel.
b) La conception luthérienne est difficile est difficile à fixer dans un système. En général, l’image
consiste dans l’excellence morale de l’homme (juste, saint) qu’il perd lors de la chute. L’homme pécheur
n’est plus l’image de Dieu, laquelle est restaurée en Christ (certains théologiens, comme J. Gerhard, parlent
de «vestiges»).
B. L’alliance de la création
L’homme créé à l’image de Dieu est en «alliance» avec lui. Les théologiens appellent cette alliance
«l’alliance des œuvres».
Adam alliance des œuvres: non rédemptrice
Ancienne alliance (Moïse) alliance de grâce: salut accompli par Dieu
Nouvelle alliance (Christ) non par l’obéissance de l’homme
1. La providence de Dieu
Dieu a créé en l’homme un être libre, moral, religieux, ayant une conscience. Chez l’homme, il y a
l’obligation d’aimer Dieu et de le servir. Tous les hommes ont été créés ainsi. Le caractère de l’homme créé
par Dieu permet à l’homme de remplir les conditions proposées par Dieu pour son existence et d’obéir aux
demandes de Dieu. Ainsi, l’homme aurait montré sa justice. Dans sa justice, Dieu accepte l’homme qui est
l’image de cette justice (obéissance justification vie). Adam avait tout ce qu’il fallait pour obéir et il aurait
été justifié par Dieu. La justification et la vie dépendent de son obéissance.
Et 1 Corinthiens 15.22, 45-49 : pour Paul, il n’y a pas d’homme avant Adam. Il n’y a pas d’homme
entre Adam et Christ, parce que Christ est AdamII. Il n’y a pas d’homme après Christ, il est le dernier
Adam. Cette pensée de Paul est globale.
Dieu ajoute un acte de providence spécial (Gn 2.17) par lequel l’homme peut, de par son obéissance,
passer à un état définitif de justification et de vie. C’est un test de l’obéissance de l’homme à la volonté de
Dieu. L’homme est créé à l’image de Dieu, mais il doit manifester qu’il est cette image en se rendant
conforme à Dieu.
2. Développement théologique de cette idée
La prohibition de Genèse 2.7 a un caractère spécial par rapport aux autres paroles de Dieu, qui ont un
sens précis: cultiver le jardin, procréation, repos, etc. Dans la vie d’Abraham, l’ordre d’offrir son fils avait un
caractère spécial par rapport à l’alliance que Dieu a fait avec Abraham: un test temporaire d’obéissance.
L’ordre de Genèse 2.7 est dans ce genre: a un caractère probatoire. L’abaissement de Christ a aussi un
caractère probatoire; c’est pour cette raison qu’il est appelé le second Adam. Genèse 3.22 souligne l’idée de
probation d’une façon négative : Adam a échoué et ainsi il doit abandonner ce qui est symbolisé par l’arbre
de vie. Si l’homme avait respecté la prohibition de Genèse 2.17, il aurait certainement reçu la vie symbolisée
par l’arbre de vie.
Tous les rapports de l’homme avec l’homme et avec Dieu sont compris dans une de ces deux
catégories:
En Adam – mort rébellion – aliénés Alliance 1
En Christ – vivant obéissance – réconciliés Alliance 2
Le Christ, par son obéissance, a hérité la vie; Adam, par obéissance, aurait été l’héritier de la vie.
Mais, maintenant, tous les hommes ont rompu l’alliance en lui et héritent la mort. (Illustration)
3. La nature de l’alliance avec Adam
Cette alliance ne prend pas la forme d’un contrat entre Dieu et Adam. Adam reçoit l’ordre de Dieu
comme représentant des hommes. Nous ne sommes pas obligés de penser que toutes les implications aient
été bien claires pour Adam, mais l’Ecriture maintient qu’il a agi comme représentant des hommes.
a) La punition du péché d’Adam, la mort, est connue par toute la race humaine (Rm 5.12-19; 1 Co
15.22).
b) Dans l’Ecriture, l’idée de solidarité est plus fortement développée que dans notre mentalité.
L’individu n’est jamais vu isolément, mais comme solidaire d’une communauté; ceci, dans tous les domaines
de la vie. C’est un aspect du gouvernement de Dieu qui vit, lui-même, en communauté (cf. dans la
rédemption, Jésus est le Dieu-homme qui représente à la fois les deux parties). Entre le premier homme et
nous, il existe une solidarité dans la culpabilité.
4. La condition de l’alliance
La condition est l’obéissance nécessaire comme réponse à ce que Dieu demande. Sur le principe de
cette condition fonctionne l’action probatoire de Dieu et la tentation de Satan.
Action probatoire – prohibition/Arbre
Tentation – sollicitation (Jc 1.14)
En Genèse 3.22-24, on lit que l’homme après la chute a connaissance du bien et du mal. Ces deux
représentent l’alternative présentée à l’homme dans le commandement de Dieu. déjà, avant la chute,
l’homme a une certaine connaissance de la réalité du bien, mais après il existe d’autres éléments dans la
connaissance de l’homme: culpabilité, crainte, honte. Toutes les dispositions de l’homme sont changées. Ce
passage indique non seulement que l’homme connaît le mal en dehors de lui, mais surtout, dans sa
désobéissance, que le mal est en lui à cause de la rébellion de son cœur contre Dieu. La manière dont
l’homme acquiert la connaissance du bien et du mal n’est pas légitime.
Question pratique: Dieu a-t-il perdu le contrôle de la situation? La tentation de l’homme est-elle
contraire à la volonté de Dieu? Il est impossible d’affirmer que la tentation de l’homme est en dehors de
(échappe à ?) la prédestination de Dieu? Cependant, il faut admettre que Dieu n’est pas l’auteur de tout ce
qui fait partie de sa volonté. Dieu n’est pas à l’origine de la tentation. L’homme est libre d’obéir ou de
désobéir.
|_____________Dieu : sa volonté___________|
|responsabilité de Dieu |resp. de l’homme|
La souveraineté de Dieu s’étend sur toutes choses et leur donne leur sens. Et dans cette volonté, la
responsabilité de l’homme a sa place. Dieu n’est pas responsable du péché de l’homme, car l’homme agit
librement.
5. La promesse de Dieu
Cela n’est pas dit explicitement dans l’Ecriture, mais il semble que la promesse de Dieu vise la vie
éternelle. Génèse 2.17: désobéissance-mort/ le contraire vie. L’arbre de vie symbolise la vie éternelle que
Dieu promet, et Genèse 3.22b, la prohibition n’évoque pas l’abolition de la malédiction (cf. 3.22a), mais il y
a un refus de la part de Dieu de donner la vie à l’homme, puisqu’il connaît le mal par une désobéissance.
Dieu ne bénit pas la désobéissance de l’homme, l’homme est expulsé du jardin (cf. Ap 22.14, Jésus est
l’Alpha et l’Oméga, c’est-à-dire il y a une description de la fin au moyen du début).
Il faut préciser qu’Adam n’aurait pas mérité la vie éternelle par ses œuvres. La vie éternelle lui aurait
été donnée comme confirmation de son obéissance. Ce qui permet à Adam d’accéder à la vie, ce n’est pas
son obéissance, mais la fidélité de Dieu à ses promesses
6. La sanction pénale (la mort)
La mort a plusieurs aspects; la séparation, c’est le principe sur lequel agit la mort. Ce principe
s’exprimer de plusieurs façons: judiciaire, morale, psychosomatique.
– Judiciaire: condamnation par Dieu et séparation sont les conséquences du péché (Ep 2.1).
– Morale: l’homme est aliéné de Dieu à cause de son péché (Rm 8.6) : une chose subjective.
– Psychosomatique: cette mort suit les deux autres. La condamnation de l’homme pécheur existe
déjà, mais la mort n’intervient que plus tard. C’est cette mort qui est proclamée en Genèse 2.17 et 3.19, aussi
bien qu’en Romains 5.12,19 et 1Corinthiens 15.22.
La mort d’Adam était déjà scellée au moment où il a reçu la condamnation de Dieu.
7. Conclusion
Pour beaucoup, l’alliance avec Adam n’est qu’une construction mythique qui n’a pas beaucoup de
sens. On pense tout simplement que, bien que le mal existe parmi les hommes, ceux-ci peuvent néanmoins le
surmonter. L’idée est que, bien que l’homme soit mauvais, le mal qui vient de l’homme peut être effacé par
lui. Un mythe peut dire que nous sommes pécheurs, mais n’explique pas pourquoi et ne fournit pas la
solution. La Bible explique cela en plaçant l’homme dans son rapport avec Dieu; c’est le seul moyen
d’expliquer pourquoi le péché est universel et pourquoi l’homme a besoin de salut. Dire qu’Adam constitue
un mythe revient à nier toute la pensée du Nouveau Testament et son enseignement, non seulement sur la
question d’Adam lui-même, mais sur l’homme et son salut.
IV. La chute: révolution contre Dieu
A) La réalité historique de la Chute
L’homme a été créé par Dieu dans un état de justice. Il était bon dans le sens de connaissance, justice
et sainteté et, dans la première alliance, il pouvait authentifier son existence par son obéissance à Dieu.
a) L’activité de Satan
La chute s’explique en référence à Satan; le péché n’a pas son origine à la chute d’Adam. Il existait
déjà une rébellion contre Dieu, ou royaume du mal. Le problème de l’origine du mal et du péché est reporté
au-delà de la capacité de la vie et de l’expérience de l’homme. Cependant, dans la Bible, le péché commence
essentiellement pour l’homme quand il acquiesce aux sollicitations de l’ennemi de Dieu et devient librement
serviteur de son pseudo royaume. A ce moment, l’histoire devient pour l’homme le théâtre du conflit entre
Dieu et Satan. Le péché et le mal dans le monde rend visible l’influence du prince des ténèbres. Il y a une
activité démoniaque dans le monde qui s’exprime très souvent par l’anti surnaturalisme. On nie Dieu et
Satan, le bien et le mal.
b) La cause de la chute
Satan pourtant n’est pas la cause de la chute. La tentation a été l’occasion de la chute et non la cause,
car une puissance extérieure ne peut pas contraindre un être rationnel à pécher. Le péché a été introduit par la
décision prise par Adam de suivre le conseil de Satan. L’homme, selon sa propre volonté, dans sa liberté, a
décidé d’agir contrairement à la volonté de Dieu. Dans un sens, il y a un changement dans la disposition de
l’homme avant même l’acte de pécher. La disposition de l’homme change et passe de sainte à non sainte
lorsqu’il formule une mauvaise intention. La cause du péché, est le changement qui s’est opéré dans le
caractère de l’homme. (Etre tenté n’est pas pécher, mais succomber à la tentation c’est pécher.) Genèse 3.1
retrace cette défection: vit, prit, donna. Cela est la description du doute, de l’incroyance et de la convoitise
qui suscitent l’acte. En agissant ainsi, il y a un rejet de la souveraineté, de l’autorité, de la sagesse, de la
justice, de la bonté et de la vérité de Dieu. Ainsi l’homme a pris conscience (vv. 7-8) de son péché. Jean 3.20
est un commentaire de l’attitude de l’homme révolté. Rupture de l’alliance.
B) Les conséquences de la chute comme révolution
1. Révolution intérieure
Dans le sens subjectif: disposition du cœur et aspect de la mentalité de l’homme. En genèse 3, l’idée
centrale est le changement de l’attitude générale de l’homme envers Dieu (vv.7-10). Au lieu de se réjouir de
la présence du Seigneur, l’homme fuit Dieu. La contemplation de la gloire de Dieu aurait été la gloire de
l’homme, mais maintenant il se cache. Ce comportement indique un changement radical de la constitution
religieuse de l’homme. Cette idée fournit l’arrière-plan qui permet la compréhension du Nouveau Testament.
Dieu est lumière et celui qui «fait le mal a de la haine pour la lumière et ne vient pas à la lumière.» (Jn 3.18-
21)
2. Révolution dans l’attitude de Dieu envers l’homme.
Dieu ne change pas dans son être et ses attributs: son conseil, sa perfection, son essence ne sont pas
sujets à modification. Mais, dans ses rapports ad extra avec ses créatures, son attitude change. La
«révolution» intervenue dans l’attitude de Dieu est, en effet, l’expression de sa sainteté, une sorte de réponse
à la faute de l’homme.
En Genèse 3, il y a un changement de ton, la bénédiction fait place au reproche à l’indignation, à la
malédiction et à la condamnation et Dieu prononce les mots d’inimitié, de souffrance et de peine. Le péché
change non seulement l’attitude de l’homme, mais aussi celle de Dieu envers l’homme. Dieu ôte l’homme de
sa présence et, ce faisant, le prive de sa faveur. Dans l’Ecriture, quand Dieu détourne sa face de l’homme et
l’exclut de sa présence, il exprime sa désapprobation. D’où une séparation, conséquence du changement
radical intervenu dans l’attitude de Dieu envers l’homme.
3. Révolution cosmique
Le péché de l’homme suscite, d’abord, chez lui une désaffection spirituelle, mais des conséquences
apparaissent dans le monde physique. A cause d’Adam, «le sol est maudit». Cette malédiction prend des
dimensions cosmiques dans la pensée de Paul : «la création (ktisis) souffre » (Rm 8.22) et v. 20, la création
est soumise à cause de celui qui l’a soumise. En Genèse 3, l’homme a accepté, par l’intermédiaire de sa
femme, une utilisation de la réalité créée qui n’était pas celle de Dieu et, maintenant, dans la malédiction,
Dieu l’oblige à poursuivre dans cette voie. La malédiction de Dieu ne tombe pas sur l’homme directement,
mais indirectement. La promesse de Satan «vous serez comme des dieux » se concrétise en épines, ronces et
poussière.
Pourquoi cette malédiction? Dieu ne permet pas que le cosmos soit considéré par l’homme comme
son habitation ultime. La malédiction du cosmos, comme l’indique Romains 8.20, existe pour l’espérance de
la libération. La réconciliation accomplie par Christ n’est pas pleinement consommée avant la libération de
la création, de l’intervention pour la liberté des enfants de Dieu. C’est ainsi que Paul parle de l’enfantement.
Le péché a des conséquences cosmiques, et la rédemption aussi.
4. Révolution dans la famille
Le péché mène non seulement à la désintégration de la personnalité dans la mort, mais à une
révolution dans les rapports familiaux. En Genèse 3.16, le rapport homme/femme est décrit se porter,
dominer décrit un rapport qui a glissé du domaine de la considération personnelle au domaine des passions
de l’instinct. Au lieu d’«aimer» et «chérir», on a «désirer» et «dominer». (Gn 3.16, cf. 4.7b, se porter vers) et
Genèse 6, la corruption, la violence et la guerre montrent la rupture dans les rapports humains, aussi dans la
famille.
C) Profondeur du péché
Toute la Bible enseigne la dépravation de l’homme dans tous ses actes, mais il y a trois passages de
l’Ancien testament qui expriment très clairement cette idée : Genèse 6.5,12, 8.21. Quel principe ces textes
énoncent-ils au sujet de l’homme?
– La profondeur du péché chez l’homme; l’iniquité de l’homme est grande .
– Le péché est totalitaire; ne formait que / la longueur de la journée.
– Le péché est à l’intérieur de l’homme, «de mauvais desseins».
Quand l’Ecriture dit que le cœur de l’homme est mauvais, elle indique que ce qui est le plus
fondamental dans la vie de l’homme est mauvais (Ps 51.10).
– Le péché est exclusif: ne que.
– Le péché est construit (le long de la journée); il n’y a pas de progrès moral, par lequel l’homme se
sortirait de la fange. Il n’y a pas de sortie de secours pour l’homme, lui permettant de s’échapper de son
péché.
– Le péché est extensif (v.12).
En Genèse 8.21, nous avons le texte complémentaire. Genèse 8.21 confirme que le texte de Genèse 5
ne parle pas tout simplement de la période située avant le déluge, mais d’une situation permanente de la race
humaine. Le péché est une condition et une conséquence sans remède extérieur. Dieu ne détruit plus pour
faire une nouvelle création libérée du péché; pour sauver, il va emploiyer des méthodes différentes (cf.
l’holocauste).
Romains 3.10-11. Paul fait trois constatations au sujet de l’homme: pas juste, pas sensé, ne cherche
pas Dieu. Quelles en sont les implications? Tout d’abord, Paul explique quel est l’état de l’homme devant
Dieu, son intellect, sa motivation. Ce qu’il y a ;de définitif dans la condition de l’homme est exclu de sa vie.
Ce qui est indiqué dans ce texte, c’est que l’homme ne peut pas de lui-même chercher Dieu. Car, sa
nature est détournée de Dieu. L’homme va dans la direction opposée. S’il commence à chercher Dieu, c’est
que le Saint-Esprit agit en lui. Jésus-Christ est venu «chercher» et «sauver» ce qui était perdu.
Trois autres passages soutiennent cet enseignement sur l’homme : Ephésiens 2.1-3; Jean 3.6;
Romains 8.5-8.
i) Le péché caractérise notre nature déchue. Les hommes sont morts à cause de leurs fautes; ils sont
par nature enfants de la colère.
ii) Jean 3.6. Cette déclaration de Jésus touche à l’universalité du péché dans l’homme. La chair est,
ici, la nature humaine, contrôlée par le péché, qui est le contraire de l’Esprit de la nouvelle naissance.
iii) En Romains, 8.5-8, l’apôtre Paul précise que ce qui est chair – c’est-à-dire la nature humaine
soumise au péché – ne peut pas plaire à Dieu.
– L’homme ne peut pas plaire à Dieu parce que la dépravation de sa nature éloigne de lui cette
possibilité (8.8) Il ne peut pas obéir à la loi de Dieu, c’est-à-dire faire ce qui est bien (v.7).
– L’homme s’occupe plutôt de ce qui concerne la chair (Rm 8.5), de ce qui l’enferme dans son
péché. Son action est celle de la révolte contre Dieu, ekthra, inimitié, hostilité. Le péché n’est pas
seulement négatif (l’homme s’éloigne de Dieu), mais aussi positif (il y a hostilité entre lui et Dieu). Il
est impossible d’expliquer autrement la nature du péché
On peut, certes, refuser d’accepter le témoignage de l’Ecriture. Mais si on l’accepte, on peut
s’exprimer positivement :
– De la grandeur de l’amour de Dieu qui, malgré l’hostilité totale de l’homme, sauve l’homme.
– De la perfection de Jésus-Christ qui a vécu comme un homme réel, pur, juste devant Dieu, non
seulement pour donner un exemple, mais pour porter nos péchés.
– De la puissance de l’Evangile qui révèle à l’homme non seulement la réalité de son péché, mais
aussi celle de son salut.
– De la délivrance par la régénération. Le changement du chrétien est radical si Dieu fait de lui un
homme nouveau.
Ainsi nous pouvons glorifier Dieu à cause de la grandeur de son salut face à la profondeur du péché
de l’homme.
V. Le problème du péché
Il n’y a pas de connaissance neutre du péché, même si l’on peut reconnaître que le mal existe
indépendamment de Dieu. Le mal se dévoile; le péché se cache. Il concerne le rapport avec Dieu, rapport qui
est personnel. Le péché est une réalité du cœur et se dévoile ultimement à la croix.
A) La connaissance du péché et la révélation
a) Toute religion digne de ce nom affirme que «Dieu est connu uniquement par Dieu. Le péché est
connu également comme une distance par rapport à Dieu et dépend de la révélation.
La foi chrétienne est à la fois liée et opposée à la révélation générale qui constitue «le terreau» des
religions.
En ce qui concerne la révélation générale, la religion peut revêtir deux aspects:
– «C’est l’élément métaphysique et non l’historique qui nous sauve» (Fichte); la religion est
détachée de l’histoire: une idée qui a sa valeur en elle-même.
– La religion est liée à des éléments de la nature, aux manifestations naturelles.
Si la foi chrétienne a une parenté avec ces deux aspects, elle est néanmoins opposée à eux. Sa
différence repose sur un fait unique, qui ne la rend pas plus vraie, mais qui établit une différence qualitative
entre elle et toutes les religions et philosophies. Ce caractère unique est fondé sur le eph hapkax de
l’incarnation. Cet événement est unique et final, et ne peut avoir eu lieu qu’une seule fois.
La philosophie moderne est fondée sur la révélation générale qui est universelle et sans temporalité:
une forme d’idéalisme qui cherche à interpréter la réalité selon une idée.
La théologie moderne, qui a souvent suivi l’idéalisme, tend à oublier le caractère unique du
christianisme et de faire de la révélation chrétienne une forme de la révélation générale ayant quelques
caractères particuliers. (Brunner, 38, Mediator)
b) Dans cette perspective, le monde et l’homme sont considérés comme participant à la divinité. Le
péché n’est qu’une contradiction à dépasser par l’affirmation de ce qui est bon en l’homme. Si la réalité du
péché était admise, cela détruirait l’autonomie et l’assurance de l’homme.
Tous les systèmes philosophiques finissent, tôt ou tard, par nier le mal et le péché. La contradiction
n’est pas réelle; le péché n’existe pas ultimement. Le mal serait «une distance» à combler par la réunion avec
Dieu ou une inertie à combler de façon morale.
Parmi les penseurs idéalistes, Kant fait exception dans son ouvrage, La religion dans les limites de la
raison seule. Il y admet que le mal est une résistance positive à la loi du bien. Le mal est radical; il est un
acte personnel qui engage toute la personnalité, laquelle en est responsable. Goethe a détesté cela: même les
chrétiens seront tentés d’embrasser les bords de la tunique de Kant! Pourtant dans la deuxième partie de son
ouvrage, Kant divise la volonté en deux parties – bonne et mauvaise – et accorde à la bonne partie le pouvoir
de vaincre la mauvaise. Ainsi Kant a retenu la possibilité de l’autonomie, la capacité pour le «moi» de
répondre à la sollicitation morale et de vaincre le mal. En cela, la connaissance du mal est refusée; et Kant
n’a pas contribué à la chute de l’idéalisme, mais l’a maintenu.
Ce n’est que si on reconnaît qu’il n’y a aucune solution au problème du mal comme contradiction
irréductible de la nature que l’on comprend que rien, dans la sphère des idées ou de la nature, n’est capable
de le résoudre.
Le christianisme le reconnaît avec sa doctrine du médiateur. Si on ne le fait pas, on tend à limiter la
nature du péché en le confinant au sens (Schleiermacher), ou à «la nature animale» (Hegel, éliminé avec
l’évolution), ou à l’ignorance de l’amour divin, etc.
B) Le péché et la culpabilité dans la perspective chrétienne
a) Le péché est singulier avant d’être pluriel: il ne concerne pas des actes isolés de la volonté, mais la
corruption de l’existence. Il n’est pas subjectif, mais a un côté objectif, en référence à Dieu et à sa colère
(une idée tabou pour l’idéalisme!); il est non seulement individuel, mais aussi social.
Brunner estime que la notion moderne du péché – en contradiction avec tous ces points – est
essentiellement pélagienne (138).
Le péché n’appartient pas à la révélation générale, ais à la révélation pséciale qui le décrit en termes
de rébellion, de chute, de péché originel, de corruption et de condamnation. Le péché ne concerne pas une
partie de l’homme, ou certaines de ses décisions, mais les racines de son existence, son «moi». L’homme est
un pécheur qui pèche en tous ses actes.
Citer Brunner, p. 142. Ces notions ne donnent pas une explication du péché, mais décrivent son
caractère désastreux.
b) Critique de Kant
Il parle du mal radical comme d’une désobéissance à la loi morale. Cette doctrine reste dans le
domaine de la raison et ainsi n’arrive pas à dépasser ce qui est impersonnel. Le mal n’est pas personnel alors
que le péché est une infraction dans le domaine des rapports privés. L’enjeu pour le christianisme est que la
volonté humaine n’est pas contre la loi, mais contre la volonté divine et, ainsi, est essentiellement personnel.
c) Le péché comme offense contre Dieu
Il ne faut pas perdre de vue que, bibliquement, le péché consiste à s’opposer à Dieu et à sa volonté.
C’est établir une distance avec son origine et se placer en contradiction avec Dieu. En soi, faire du mal à son
prochain n’est pas un mal. Pourquoi ne pas le faire ? C’est un mal parce que Dieu montre le caractère
«sacré » du prochain et indique que l’offense faite contre celui-ci est, en réalité, faite contre lui.
L’idée kantienne de «totalité» n’est pas non plus à oublier. Le péché est la forme actuelle de
l’existence humaine.
Notre conviction de péché dépend de notre foi. Elle est en corrélation avec le degré de notre foi. Plus
grande est notre foi, plus grande est la conscience du péché. Esaïe 6. Conscience du péché = conscience de la
culpabilité et de la colère de Dieu. Edwards: pécheurs dans les mains d’un Dieu en colère.
C) Le péché, la punition
Le péché constitue un obstacle entre l’homme et Dieu qu’il faut enlever. La connaissance du péché
est le préalable de la théologie de la croix et du médiateur. «Il porta nos péchés en son corps sur la croix» est
l’affirmation centrale du christianisme. Pourquoi?
1. La croix n’est pas l’expression d’une idée : l’idée que Dieu est amour lequel vainc celle de sa
colère (libéralisme). La croix est beaucoup trop horrible pour être une idée. La croix est personnelle tout
comme notre péché est une offense personnelle contre Dieu.
2. La croix exprime la sainteté et la justice de Dieu et dévoile notre péché et note culpabilité.
3. La culpabilité concerne lé péché passé qui est non éradicable. Citer Brunner 443: l’attitude de
Dieu envers nous a changé, elle dévoile la subjectivité de notre péché comme une réalité objective. Face à
Dieu, ce caractère non éradicable est sans fin car Dieu est infini. Ces deux réalités empêche que nous nous
défassions de notre péché nous-mêmes.
Plus notre rapport avec Dieu est personnel, plus la réalité de notre culpabilité ressort.
4. Pourquoi Dieu doit-il punir le péché? Puisqu’il y a un rapport d’alliance entre Dieu et l’homme :
– Le péché est une horreur pour Dieu dont la sainteté est infinie ;
– Une atteinte à l’honneur de Dieu car le péché déforme sa création ;
– Un refus de son amour, car le péché est une rupture.
On ne peut pas se moquer de Dieu. Si dieu ne jugeait pas le péché, il n’y aurait pas de bien et de mal;
rien ne serait sérieux dans le monde. Si Dieu ne jugeait pas le péché, il ne serait pas Dieu, car il doit être
défini comme juste, saint et bon face au monde du péché.
La colère de Dieu correspond à notre culpabilité. Luther dit même que Dieu prend plaisir à détruire
toute résistance à sa volonté. Plus nous sommes sérieux, plus nous comprenons ce que veut dire la colère de
Dieu.
D) L’obstacle et le médiateur
Le pardon de Dieu n’est pas bon marché (Bonhoeffer).
De notre côté, nous ne pouvons pas enlever l’obstacle du péché, car nous sommes nous-mêmes en
révolte. De notre côté, l’obstacle est insurmontable. Ce n’est que du côté de la sainteté, de l’amour et de la
justice que leurs contraires peuvent être effacés.
Dieu enlève l’obstacle en épuisant sa colère contre Jésus-Christ qui assure le respect de sa sainteté.
Le pardon est établi de telle sorte que la sainteté de Dieu, le caractère immuable de sa loi et la
conséquence de la faute soient pris en compte. C’est pourquoi le christianisme confesse le rapport qui existe
entre la subjectivité de Christ et l’objectivité du salut qui est en lui. Christ est :
– réellement saint et il satisfait les exigences de la loi
– vraiment homme et il subit une justice humaine
– vraiment Dieu et il est en accord avec le caractère infini de Dieu
Il subit la condamnation à notre place et enlève ainsi l’obstacle de la mort. Christ est réellement tout
cela subjectivement et il répond au besoin d’une relation sainte et personnelle entre Dieu et l’homme. Le
salut objectif qu’il accomplit ôte l’obstacle réel qui nous sépare de Dieu. Ainsi, il est le Médiateur.
Pourquoi Christ a-t-il agit de la sorte? Aucune obligation de l’ordre «Dieu pardonnera, c’est son
métier» ne peut être invoqué sans faire preuve d’impiété. Il agit ainsi à cause de son amour pour nous.
E) La nature du péché
Pouvons-nous dire ce qu’est le péché? Il est difficile d’en parler. Avec H. Blocher, on peut dire que
le péché n’a pas d’essence (p. 33). C’est pourquoi le caractère du péché reste inexplicable. Les efforts pour
trouver un centre au péché (l’orgueil, la paresse, la convoitise) sont vains. La nature du péché reste
mystérieuse. Elle est négative mais son sens est très clair. Le péché nous éloigne de Dieu. Il se manifeste de
plusieurs façons.
Le péché est le mal réel de l’homme. Il manifeste la réalité de son état. Il ne s’agit pas simplement de
la privation d’un bien, d’une absence… l’homme est réellement et concrètement mauvais. Ceci apparaît avec
évidence dans le cadre de l’alliance. Cet état revêt au moins quatre aspects.
1. Le péché introduit une rupture dans la relation avec Dieu, il est nuisible à la communion avec
Dieu et avec les autres. Ceci a une très importante conséquence: la première victime du péché n’est
pas l’homme mais Dieu qui est le premier offensé, celui à qui nous avons porté tort (Ps 51.3-4). C’est
pourquoi il est Juge.
2. Puisque Dieu est l’offensé, c’est lui qui doit être réconcilié avec nous en tant que coupables Tel est
le contexte de la grâce de Dieu, qui est le Dieu de la réconciliation.
3. Le péché n’est pas connu naturellement. Même si les hommes reconnaissent que quelque chose ne
va pas, ils ne reconnaissent pas pour autant le péché contre Dieu. Ils ne reconnaissent pas leur
culpabilité. Le pécheur admettra qu’il n’est pas pur, mais pas qu’il a offensé Dieu.
4. La connaissance du péché dépend de la révélation qui nous informe qu’une alliance est rompue.
Nous connaissons la réalité de notre péché non par nos sentiments ou par une vague perception de
culpabilité, mais à cause de ce que Dieu dit à ce sujet. La connaissance de notre péché est une des
aspects de notre foi en Dieu (Rm 3.19 ; 1 Jn 1.8). La révélation du péché fait donc partie du salut. La
connaissance du péché et celle du pardon vont toujours ensemble, comme la mort et la résurrection.
Christ est mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification. La connaissance de nos
offenses et de notre vie nouvelle vont de pair. Dieu révèle que la mort de Christ est la conséquence
du péché.
Conséquences :
1. Le péché est une attitude spécifique et fondamentale qui est à la racine de tout. Il faut distinguer
entre le péché qui est une attitude du cœur et les actes qui en découlent : la mort, la maladie, les détresses qui
ne sont pas des expressions du péché mais qui en sont la conséquence. Le péché correspond, tout d’abord, à
une attitude qui se traduit dans des actes (ex. le divorce = un péché). Le péché est une caractéristique du
cœur de l’homme, de son esprit et de son être.
Existent-ils des actes «indifférents», qui ne sont pas en eux-mêmes des péchés? Quelle attitude faut-
il avoir vis-à-vis des films, des romans, des pièces de théâtre dont les thème tournent autour de péchés?
L’homme qui prend plaisir au vice et trouve la vertu un sujet de douleur ou d’ennui n’a d’expérience vraie ni
de l’un ni de l’autre.
2. Le péché est spécifique par nature, car il correspond à une révolte morale, à un refus d’accepter
une obligation morale (Jn 3.4). La défaillance se produit principalement dans le domaine moral. (Delumeau).
Le péché exprime la dépravation innée de l’homme. Cela ne veut pas dire que les hommes n’accomplissent
que des actes mauvais, mais qu’ils sont tous capables d’en commettre. Le chrétien est un homme qui lutte
contre sa capacité à faire le mal. Pourquoi ? Parce qu’il sait que chaque acte mauvais est une offense contre
Dieu et qu’il doit donc résister à la tentation de cesser de lutter, et pire encore à celle de nier qu’il soit enclin
au mal.
Les sciences sociales et les sciences humaines incitent parfois à nier le péché. C’est ainsi que
l’alcoolisme et d’autres addictions peuvent être guéris médicalement. Le vandalisme serait le résultat d’un
mal être dû à des conditions sociales défavorables. On s’efforce en conséquence de guérir en niant toute
responsabilité personnelle ou en rejetant toute culpabilité. Mais supprimer la culpabilité en rejetant la
responsabilité, c’est refuser de faire face au problème fondamental du péché.
3. Le péché est une pollution de la vie humaine et sociale. Cette pollution est l’envers de l’amour qui
une obligation pour l’homme (Mt 22.37-40). Là où cette orientation positive fait défaut, les aspects du
caractère de l’homme qui le pollue lui-même ainsi que la société prennent le dessus. Le péché est une
pollution qui s’installe entre l’homme et Dieu et qui suscite culpabilité et mort.
– Nous devons éprouver une vraie tristesse en considérant comment notre existence est opposée à
Dieu. La vie du pécheur est une négation de la vie et de la sainteté de Dieu (1 Jn 1.5-7).
– Le chrétien, dont les péchés et la culpabilité qui s’ensuit sont abolis, se doit de lutter contre tout ce
qui est étranger à la communion avec Dieu de prier pour que Christ soit présent dans sa vie.
F) Le péché originel
Le terme de «péché originel» a été inventé par Augustin. Il désigne l’état de péché dans lequel se
trouve tout être humain du fait de son origine, de son appartenance à une humanité pécheresse. Cette origine
remonte à Adam, le chef de sa race. Le péché originel évoque la déchéance de toute l’humanité comme
conséquence de la désobéissance d’Adam. Cette notion inclut, implique une solidarité de l’humanité avec
son représentant, le premier homme. Deux questions se posent:
– Quelle est la nature de cette solidarité entre Adam et sa descendance (la race humaine)? Comment
admettre l’implication à nous d’une faute d’Adam?
– Comment pouvons-nous être reconnu coupable d’une faute dont la responsabilité ne peut pas nous
être imputable?
La réponse à la seconde question dépend de la réponse à la première. On peut formuler le contenu
des deux questions de la façon suivante: Quel lien moral y a-t-il entre Adam et l’humanité, qui rende la race
humaine, individuellement et collectivement, participante de la culpabilité du péché et de la pollution qui en
résulte?
a) Le péché comme symbole. Une première réponse évacue la question. C’est celle de Ricœur, sur la
ligne de Hegel. Pour Hegel, l’histoire d’Adam n’est pas une histoire contingente, mais une histoire
nécessaire. C’est l’histoire éternelle de l’esprit humain dans son devenir. L’état d’innocence est l’état animal,
matériel. Le mot «esprit» signifie connaissance et immédiateté du bien et du mal. Pour Ricœur, le récit de la
Genèse n’indique pas une chute hors d’un état de perfection initiale. Il exprime symboliquement la
conscience que le mal concerne les rapports entre humains. Le péché nous précède; nos actes sont seconds.
Pour la théologie de la crise, pour la théologie existentialiste, la chute n’est pas intervenue à une moment de
l’histoire. Elle se situe dans une pré-histoire. Tout individu historique a conscience de son état de pécheur.
b) Aetéologique (Kierkegaard et Brunner). La chute est l’illustration d’un fait universel.
c) Augustin: solidarité par l’hérédité. Pour Augustin, Dieu, en créant Adam, a aussi créé la race
humaine de façon séminale. Avec l’homme, il y a l’humanité en puissance. En péchant, le premier homme a
corrompu la nature humaine. Pour Augustin, la solidarité est d’ordre naturel. Il ne pose pas la question légale
(la deuxième question). Il affirme que les hommes sont coupables à cause de leur rapport naturel avec Adam.
Cette position est reprise par Thomas d’Aquin. Comme la main participe aux actions du corps, nous sommes
partie prenante à l’acte d’Adam. A cet aspect réaliste, Thomas d’Aquin ajoute une solidarité légale. Sur le
fondement de l’union avec Adam ; la race humaine subit un jugement légal fondé sur l’état de corruption.
Calvin n’a guère retouché ce point de vue. Le péché originel est, pour lui, «une corruption héréditaire de
notre nature» et une perte des dons de Dieu.
Cette position réaliste se trouve, en général dans le catholicisme romain comme aussi dans la
théologie réformée (W. Shedd). Ses faiblesses sont :
Selon l’Ecriture, l’âme des hommes n’est pas une individualisation d’une substance spirituelle
présente en Adam. L’union naturelle entre Adam et nous, en ce sens, n’existe nulle part dans
l’Ecriture; la culpabilité de l’homme déchu ne peut pas être expliqué ainsi.
Si le rapport entre Adam et l’humanité est naturel, comment les hommes sont-ils jugés justement à
cause du péché d’Adam?
d. La théologie fédérale. Cette théologie a été développé après la Réforme. Elle représente une
tentative pour définir de façon plus satisfaisante le rapport entre le caractère naturel de la solidarité avec
Adam et son caractère légal. Nous allons exposer cette idée avant d’examiner si elle correspond bien à
Romains 5.
La théologie fédérale n’est pas l’objet d’un consensus dans la théologie réformée. Différentes façons
de formuler le rapport entre la solidarité naturelle et la solidarité légale avec Adam ont été émises. Mais tous
les théologiens réformés sont d’accord pour reconnaître une relation double entre Adam et l’humanité :
Adam est à la fois le chef naturel de l’humanité et son représentant légal.
– Le rapport naturel
Adam est l’homme en qui l’humanité a sa source naturelle. Son péché a pour conséquence la
corruption de sa propre humanité et, par voie de conséquence, celle de l’humanité tout entière.
– Le rapport représentatif
Adam se tient non pas seul mais en tant que représentant désigné de l’humanité. Le line entre cet
homme et les hommes est, non seulement parental, mais aussi fédéral. A cause de la représentativité, la
rupture de la communion avec Dieu et la corruption d’Adam infectent tous les descendants de celui-ci. Dieu
impute la culpabilité du premier pécheur à ceux qu’il représente et qui, pour cette raison, sont dans une
condition de corruption. Pourtant, le péché d’Adam ne nous est as imputé en tant que tel.
Cette position unit la réalité de la transmission du mal, prônée par la position réaliste, et le lien
fédéral selon lequel nous sommes rendus coupables devant Dieu avec Adam. En effet, (Henri Blocher) nous
ne sommes pas punis pour le péché d’Adam mais, avec Adam, nous sommes coupables pour nos propres
péchés. Comme le dit H. Blocher: «C’est à cause du péché d’Adam que nous sommes punis pour les nôtres.»
(p. 103). Ainsi à cause du double lien fédéral et naturel, nous sommes coupables, morts et punis avec Adam
et compté avec lui par Dieu, non à cause de sa désobéissance, mais à cause de nos fautes réelles. Notre faute
n’est pas une faute qui nous serait étrangère, elle est la nôtre, mais à cause de notre humanité commune avec
Adam, Dieu nous considèrent comme un avec lui dans la culpabilité à son égard.
Voyons la correspondance avec l’Ecriture.
F) Les données bibliques
Il n’est pas difficile d’établir, à partir de l’Ecriture, le lien naturel avec Adam. Job 14.4; Jean 3.6;
Psaume 5.17 et Ephésiens 2.3 parlent de la condition naturelle de l’homme comme étant corrompue. 1
Corinthiens 15.22 va plus loin. Tous sont morts en Adam. Le passage le plus explicite est Romains 5.12-20.
Le verset 12 est une comparaison sans conclusion. Kai outos n’achève pas la comparaison; elle la continue.
La première partie du verset mène à l’apodose qu n’est pas terminée. Après le verset 12 et jusqu’au verset
18, il y a une ou plutôt deux parenthèses. Comment pourrait-on, ici, comprendre le péché de l’homme ? Eph
hõ (12) est bien traduit par la TOB. Le sens du verset présente une difficulté; comment concilier les deux
idées qui y sont présentes?
– La mort atteint tous les hommes car ils ont péché ;
– La mort atteint les hommes à cause du péché d’un seul.
S’agit-il de deux situations différentes? Ma proposition est qu’il s’agit des deux résultats d’un même
événement:
Le péché d’Adam apporte la mort à tous les hommes (14) ; il a un aspect universel. L’acte d’Adam
est la porte par laquelle la mort entre dans le monde: v.15, faute d’un seul, beaucoup meurt; v.16, jugement
d’une faute, condamnation; v.17 la mort règne; v. 18, condamnation de tous.
Le péché d’Adam a produit la mort d’Adam, au singulier.
Le péché d’Adam est le péché de tous les hommes, car tous sont solidaires avec lui à cause de leurs
propres péchés. C’est aspect naturel de transmission du péché. Mais Adam nous a représentés comme
médiateur de l’alliance. Il y a là un rapport légal. A cause de notre propre péché, nous sommes solidaires
avec Adam.
Quelle conclusion peut-on tirer? Quelle est l’importance de ces notions?
– Le péché est une chose universelle. Tous les hommes sont pécheurs devant Dieu, non seulement à
cause de leurs fautes individuelles, mais aussi à cause de leur culpabilité puisqu’ils otn rompu l’alliance avec
Dieu.
– Le caractère collectif du péché est individualisé dans chacune de nos vies. Nous avons tous besoin
de salut. Le péché d’Adam, le péché de la rupture est personnalisé en chacun de nous.
– Le contexte de Romains 5. Paul veut montrer que la faute d’Adam aboutit à la mort. Pourquoi?
Parce qu’il veut montrer que la vie éternelle est acquise en Christ. Luc 18.9-14. A la place de la faute se
trouve la justification d’un seul. (caractère irrévocable) La vie éternelle est aussi définitive en Christ que la
mort l’est pour ceux qui sont en Adam. La justification en Christ assure la vie éternelle comme la mort l ‘est
en Adam. Le parallèle entre Adam et Christ ne porte pas sur l’imputation d’un acte étranger, mais par
l’intervention d’Adam, la condamnation à mort, et par l’intervention de Christ, la vie. La mort en Adam est
parallèle à la conversion et à la vie en Christ, qui nous assurent de la justice de Christ.
Le péché est universel comme mode d’existence de l’homme dans le monde. Cela touche à tous les
aspects de son existence.
VI La solidarité dans le péché
Aujourd’hui plus qu’auparavant, nous sommes plus conscients du caractère collectif du péché. Lee
christianisme, qui avait tous les moyens de développer l’idée de l’universalité du péché, ne l’a pas fait. Il a
presque toujours insisté sur le caractère individuel du péché par rapport à Dieu. Pourquoi?
«La chrétienté» a sans doute favorisé cette lacune. Une société «chrétienne» pouvait avoir la
prétention d’être organisée de façon conforme à la volonté de Dieu. Les «dérapages» étaient alors seulement
individuels, devaient être confessé individuellement, autrement on risquait la perdition. La société médiévale
est un assez bon exemple de cela. L’homme y était «placé» dans une situation immuable par la société,
miroir du Royaume de Dieu sous la gérance de l’Eglise.
Le problème dans cette situation est celui de la théodicée. Pourquoi cette société n’est-elle pas
parfaite? Quelle est la responsabilité de Dieu à cet égard? L’homme, lui, est responsable.
Aujourd’hui, le problème est inverse. L’individu est considéré comme conditionné par le milieu à tel
point que sa responsabilité est contestée. La situation est celle de l’«anthropodicée». Pourquoi l’homme fait-
il le mal? La réponse donnée à cette question s’exprime en terme de structures aliénantes. Ainsi, on insiste
sur la nature collective du mal. L’individu est une sorte de mastic modelé par la société.
Entre ces deux perspectives, celle de l’individu, unique responsable (très souvent, la position du
capitalisme individualiste à la Adam Smith) et l’individu non responsable à cause des structures aliénantes
(position marxiste), où est la vérité? Sommes-nous responsables des péchés de la société sous prétexte que
nous en sommes membres? Ou sommes-nous tout à fait libres de nous déterminer? Quelles conséquences
pour notre comportement? Réfléchissons à cela dans le cadre des deux grands défis posés par la notion
chrétienne de péché.
1. Marx et la macro-aliénation
a) La question que se pose Marx vient des Lumières au travers de Rousseau. Si l’homme est la
mesure de toutes choses, il devrait pouvoir créer une société sans aliénation. Pourquoi l’homme, dès qu’il est
en société, «embrouille-t-il» tout? Pour Marx, la réponse à cette question se trouve dans le système
économique forgé par l’homme moderne. Ce système, généré par l’homme, est un facteur de macro-
aliénation qui opprime les individus, qu’ils soient oppresseurs ou opprimés.
Une des idées centrales de Marx est, à la suite de Rousseau, que pour comprendre l’homme, il faut le
considérer par rapport aux conditions sociales auxquelles il est soumis. L’homme n’est pas un être à la nature
déterminée; celle-ci peut devenir ce que permet la société. C’est ainsi qu’il dénonce les individualistes qui
prétendent que chaque individu a des capacités que la pression sociale n’affecte pas . pour Adam Smith, la
société commerciale ne fait que refléter des différences naturelles. La structure économique ne fait que
mettre en évidence la différence des dons reçus par chacun. Le système économique du «laissez faire» doit
être maintenu politiquement.
b) La critique de Marx revêt deux aspects. D’abord, l’inégalité sociale ne correspond pas à l’inégalité
individuelle, mais à des «intérêts» sociaux et politiques. L’individu est opprimé par une structure aliénante.
D’autre part, Marx argumente que le développement historique de l’Etat moderne centralisé institutionnalise
l’injustice. L’Etat est devenu une force qui incarne une puissance injuste. C’est sur cette idée que Marx a
fondé sa grande loi sociologique, celle de la lutte des classes qui cherche à restaurer la nature humaine par un
renversement de l’ordre social. Il faut abolir l’Etat et, avec lui, la structure de domination. L’analyse des
marxistes montre à quel point l’Etat est une structure de macro-aliénation, la puissance politique,
bureaucratique, militaire et sociale mène au maintien d’un statu quo injuste. Dans cette situation, l’individu
n’est plus maître de son existence. L’homme est manipulé par des puissances impersonnelles qui lui sont
extérieures. Pour Marx, ces puissances sont démoniaques.
c) Dans l’Etat moderne, pour Marx, l’individu est aliéné par le groupe économico-social, sans qu’une
vraie communauté ne se constitue. Ainsi l’Etat industriel élimine à la fois l’individu et la communauté. Par
aliénation, il faut entendre que les moyens de vivre n’appartienne pas à l’individu que toute l’existence
humaine subit une transformation et devient inhumaine par des moyens de production et des institutions
impersonnelles. Il y a exploitation quand quelqu’un prend pour lui-même ce qu’un autre à produit. Ainsi,
celui qui travaille perd sa véritable identité pour de l’argent (exemple : une prostituée) ou bien ne le fait pour
jouir du résultat recherché, mais pour l’argent qui lui sera donné en échange. Le marxisme veut éliminer
cette nature aliénée.
d) Le but de l’action marxiste est donc la restauration de la vraie humanité de l’homme. Le résultat
sera que l’individu pourra contrôler sa propre destinée en exerçant une critique contre les institutions en
place. Le moyen de faire apparaître cet homme nouveau consiste à ôter ce qui fonde l’antagonisme entre les
classes. Une société sans classe issues de la lutte des classes actuelles implique également la disparition de
l’appareil étatique.
e) La doctrine chrétienne du péché originel et de la dépravation est, pour Marx, une rationalisation de
l’oppression économique accompagnée d’une promesse fantasmagorique d’un autre monde. La religion est
une illusion (fausse conscience) qui correspond à la nature aliénée de l’homme. La religion, dans l’analyse
faite par Marx de la philosophie du droit chez Hegel, est l’esprit d’une situation non spirituelle. Elle est le
soupir de l’opprimé.
2. Une évaluation morale de la critique marxiste
a) La critique marxiste de la solidarité dans le péché, en particulier l’aliénation, se rapproche de la
vision chrétienne de l’homme, en particulier l’évaluation de la convoitise de la nature humaine et
l’oppression de l’égoïsme individualiste caractéristique du matérialisme moderne.économique. Le système
économique qui enseigne la primauté accordée à la recherche de l’avantage individuel ne peut qu’affecter
toutes les relations humaines. Ce matérialisme oublie le fait que les hommes appartiennent à Dieu. Le
marxisme, lui, conçoit l’humanité comme une communauté, même s’il ne croit pas en Dieu.
b) La vision marxiste d’une humanité restaurée est très proche du christianisme, comme sa
compréhension du mal que représente l’exploitation d’une homme par un autre. Dans les deux visions de
l’humanité, le travail doit être un processus de création. Il est possible d’être aliéné par des frères et des
sœurs dans le monde économique.
c) Il existe, chez Marx, une vision de la liberté de l’homme proche de celle du christianisme. S’il est,
pour Marx, opprimé par des situations sociales, l’homme n’est pourtant pas fatalement déterminé par ces
conditions: il peut espérer les changer; il est son propre créateur. Même si le chrétien veut accorder ce rôle à
Dieu, il ne peut pas ignorer qu’il existe chez Marx une forte affirmation de la liberté morale.
– Pourtant il reste un grave problème. Si nous sommes libres en tant qu’êtres humains, comme le dit
Marx, pouvons-nous réduire tous les problèmes humains à celui de la structure sociale? Si l’aliénation tenait
uniquement à une cause structurelle, l’élimination de celle-ci éliminerait aussi la convoitise et l’égoïsme
humains à jamais (mystère du péché). Le royaume de l’homme parfait est à la portée de la main de celui qui
tient le fusil révolutionnaire dans l’histoire. Pour le christianisme, la solidarité dans le mal est plus
importante que pour le marxisme. C’est là la grande différence entre le marxisme et le christianisme.
– Le marxisme ne prend pas en considération le fait que le péché est permanent dans la nature
humaine et qu’un changement de structure n’enlèvera pas la convoitise fondamentale de la nature humaine.
Une changement matériel ne changera pas ce qui est dans le cœur de l’homme. Le chrétien indiquera que les
révolutions conduisent à de nouvelles oppressions et à la formation de nouvelles élites (p.ex. le paternalisme,
la Chine). Le marxiste mettra en cause l’individualisme. Le chrétien remarquera que la question n’est pas
d’abord l’individualisme, mais celle de savoir qui peut changer l’homme.
– La révolution. Pour le marxiste, elle est le moyen de briser les structures de l’injustice, qui
concentrent le pouvoir dans les mains d’une classe dominante. La démocratie politique n’est qu’illusoire
(voir Marcuse).
– Sur la libération. Le système lui-même est sa propre force dynamique; le débat politique n’est pas
le lieu de la puissance. Le chrétien peut ne pas suivre: l’argument marxiste selon lequel la démocratie
politique n’est qu’apparente puisqu’elle est contrôlée par des intérêts économiques, n’est pas convaincant. Il
ne prend pas en considération le fait qu’aussi bien dans un système démocratique que dans un système
marxiste, la politique et l’économie peuvent favoriser la convoitise et l’égoïsme. L’analyse marxiste ne prend
pas au sérieux le caractère fondamental et profond du péché dans l’homme. L’aliénation, pour le chrétien, est
plus grave; elle n’est pas seulement matérielle, mais aussi spirituelle, c’est-à-dire concerne tout l’être.
d) Quelques conséquences
i) Que doit faire le chrétien face aux mouvements révolutionnaires dans le tiers-monde? Il ne peut
pas soutenir le statu quo, car les Etats actuels dans ces pays sont presque tous des dictatures oppressives et
irresponsables. Il est impossible d’y défendre la liberté. Ile st clair que ces institutions sont tout aussi
indéfendables que les Etats de l’Est. Impossible de les soutenir activement. Mais peut-on soutenir la
révolution? Deux questions se posent:
– La révolution violente est-elle la seule solution dans ces situations? Ou d’autres voies peuvent-elles
être recherchées pour obtenir une meilleure situation? (alphabétisation, aide aux démunis : agriculture, etc.)
– La révolution cherche-t-elle à établir un système vraiment démocratique ou un système qui ne fera
que transférer le pouvoir à une autre élite, laquelle refusera, par la suite, tout changement, en plaidant le
révisionnisme? Le chrétien doit refuser l’autoritarisme socialiste tout autant que la dictature anti-
démocratique. Autrement dit, la révolution n’est pas l’objet de la même espérance pour le chrétien et pour le
marxiste.
ii) Sur le plan pratique, quelle la responsabilité de l’Occident du nord?
2. Freud et la micro-aliénation
Dans la pensée de Marx, l’aliénation vient de l’esclavage auquel le groupe social soumet l’individu.
Il existe une solidarité matérielle dans le mal. La libération doit être matérielle.
Chez Freud, l’aliénation de l’individu est également le fait d’un groupe, le groupe familial. Il y a une
solidarité psychique dans le mal, aussi la libération doit-elle être psychique. Avec Marx, Freud estime que la
société estropie ses membres dans leur développement psychique. Le mal est universel puisqu’il est fondé
sur un endoctrinement commencé dès la jeunesse. Le caractère d’un individu n’existe pas à sa naissance; il
est façonné pour lui. Le développement de notre caractère, selon Freud, est façonné par rapport à la loi du
complexe d’Œdipe. (complexe d’Œdipe? origine de la religion? quels livres?)
a) Dans le développement du caractère (l’ego), Freud cherche à comprendre pourquoi nous
continuons à ressentir des obligations alors que les autorités qui nous ont formés ont disparu. Kant a parlé de
la loi morale innée tandis que d’autres ont évoqué les habitudes acquises. La théorie de Freud cherche à être
universelle. Dans le développement de l’individu, l’ego est ballotté entre le sens de l’obligation morale formé
en nous par les normes du groupe auquel nous appartenons et les pulsions qui s’y opposent. L’enfant cherche
à plaire à ses parents en se soumettant aux obligations qu’ils lui imposent. Il évite ainsi l’inquiétude en
devenant leur image. Même grand, l’enfant continue à être la copie de ses parents, même quand ils ne sont
plus là. L’ego se soumet à ses propres obligations. «ne me punis pas, papa, je suis assez âgé pour me punir
moi-même.»
b) L’enfant apprend donc à être performant selon les codes que lui appliquent ses parents (ex. garçon
et devoirs). La névrose provient de ce que les obligations reconnues par le super-ego ne conviennent pas
comme réponses aux choix variés de la vie adulte. Le sacrifice ainsi exigé se traduit en inquiétude qui va
empêcher de contrôler les instincts. On est inhibé.
La névrose correspond à une dichotomie fondamentale dans l’expérience humaine; une
incompatibilité entre notre enfance et notre expérience d’adulte, entre le super-ego et le «ça». La
psychanalyse cherche à discerner le développement de cette dichotomie et à permettre à l’individu d’être
responsable, non seulement vis-à-vis d’une partie de sa nature, mais de sa totalité. D’où l’importance qu’il y
a à renforcer l’ego dans le sens de son indépendance du super-ego et dans la colonisation du «ça». «Là où
était le ‘ça’, là sera l’ego» (la santé psychique ).
c) Le bien-être psychique se trouve dans la perception des motivations profondes, l’obligation
sociale et l’action du moi. Il y a une contradiction (opposition) profonde et inaltérable entre la nature
humaine avec ses pulsions et la société. L’objectif de l’analyse est d’éviter la régression de l’ego face à une
crise correspondant un stade de dépendance émotionnel avancé et de permettre une plus grande liberté de
choix devant la vie.
Remarque: Le problème fondamental avec Freud est le même qu’avec Marx : le rapport entre
l’individu et la société. Marx est plus fidèle à la tradition des Lumières, car il met l’homme au centre comme
étant celui qui est maître de son destin et peut donc se libérer.
Chez Freud, il existe une contradiction entre l’homme comme objet de la société et l’homme comme
sujet de la vie sociale. Placé contre la société comme objet, l’homme semble subir le destin, est incapable et
déterminé. La nature humaine est fixe et il n’y a pas d’espérance de libération. Comme sujet de la vie
sociale, comme celui qui génère des valeurs, l’homme protège son existence avec des garde-fous. Le
paradoxe est que pour assurer cette protection, il est obligé de récuser ses instincts profonds. L’homme est
donc déterminé à récuser socialement les pulsions – eros et thanatos – qui constituent sa personne. Cela
explique qu’Emmanuel Mounier ait dit qu’en essayant d’humaniser la psychologie, Freud a fini par la
déshumaniser. C’est aussi la raison de l’opposition acharnée d’Adler contre Freud.
– Un point positif. Freud a montré la solidarité de l’humanité dans le mal et, en particulier, combien
de valeurs sociales ou humaines correspondent au besoin de se déculpabiliser qui est en l’homme. Dans ses
créations, l’homme tente en vain de se défaire de son mal qui, selon Freud, est profond et atteint toutes les
parties de son être – les instincts comme aussi la raison: c’est la doctrine de la dépravation totale. Freud a
raison, en un sens, d’être pessimiste et de dire que l’être humain ne peut pas se changer mais seulement se
soulager.
– Un point négatif. Freud semble nier les notions de liberté de détermination, d’autonomie et de
responsabilité individuelle. L’Ecriture, en revanche, insiste sur le péché de tous les hommes et sur la
responsabilité de l’individu devant sa faute. S’il est vrai que nous sommes influencés par notre milieu, nous
n’en sommes pas pour autant déterminés. Chaque homme reste image de Dieu et responsable devant lui et
dans la société. (Le rôle de la conscience) Avec deux enfants à qui on a donné la même éducation, on obtient
des résultats différents.
d) La culpabilité
1. Une explication anthropologique
La notion de culpabilité est centrale chez Freud. A ce point de vue, il est intéressant, car il est un des
rares scientifiques à avoir voulu considérer une notion religieuse comme fondamentale dans son système.
Ainsi, dans sa pensée, ce ne sont ni l’inconscient ni la sexualité en tant que telle qui dominent, mais le sens
de la culpabilité. Cette préoccupation met en évidence à la fois la proximité de Freud avec le christianisme
mais aussi ses différences, car il dissocie culpabilité et péché, lesquels sont liés de façon fondamentale dans
la pensée chrétienne. Pour Freud, la culpabilité est fondamentale puisque l’homme, malgré ses progrès, reste
«un pécheur misérable». Mais, comme homme de science, il n’évoque pas le problème de la relation avec
Dieu; il limite sont analyse à un compte-rendu anthropologique.
Quelques précisions sur la position fondamentale de Freud.
– Pour lui, les sentiments de culpabilité sont «la perception dans le moi qui correspond à la critique
exercée par le sur-moi». Cette critique n’est pas en elle-même pathologique. C’est une expérience de l’être
humain qui le constitue en tant que sujet. Il est donc inexact d’affirmer, comme on le fait parfois, que pour
Freud la culpabilité est une mauvaise chose en soi.
– Freud reconnaît au moins trois sortes d’angoisse: réelle, névrotique et morale. L’angoisse réelle
concerne les dangers du monde extérieur qui nous font peur. L’angoisse névrotique exprime notre crainte de
ne pas pouvoir dompter nos instincts et d’accomplir un acte qui mérite une punition. L’angoisse morale est
suscitée par la peur de contrevenir à notre code (peur du noir/ peur d’accomplir un acte que ressent un
criminel avant d’agir/peur de faire une chose jugée mauvaise). Dans ces cas (les deux derniers), la culpabilité
est l’expression de la tension entre l’ego et le super-ego.
– La culpabilité est avant tout un sentiment. On n’est pas pécheur parce qu’on a fait quelque chose de
répréhensible au détriment d’autrui (le point de vue chrétien); ce sont les pulsions qui sont à l’origine de la
culpabilité. C’est le désir – eros et thanatos – qui cause les sentiments de culpabilité et conduit à la névrose.
Si on demande à un névrosé ce qu’il a fait pour être coupable, on ne trouvera pas d’acte, mais des pulsions et
des émotions ayant de mauvais objectifs; rien n’est accompli. Derrière le sens de la culpabilité, se trouvent
des réalités psychiques, pas des réalités concrètes. Ainsi Freud indique que le sentiment de culpabilité a une
justification; il est fondé sur le souhait, peut-être inconscient, de la mort de certains de nos prochains.
– Freud précise aussi que le divorce entre le sentiment de culpabilité et la réalité de la faute peut être
radical. Le sujet (ou la culture, en général) élabore un univers fantasmagorique qui permet de déplacer la
culpabilité. (cf. le ressentiment contre les pauvres, la culpabilité et les dons faits aux œuvres de charité)
Ainsi, dans les cas graves, un monde fantasmagorique est élaboré pour effacer la culpabilité et l’on vit
déconnecté de la réalité. Cela se passe lorsque le super-ego est trop rigoureux. Le résultat en est que la
culpabilité, en grande partie inconsciente, soulève des problèmes émotionnels qui peuvent susciter à un
comportement violent ou masochiste.
– La solution psychanalytique est de faire ressortir le déséquilibre entre la culpabilité et d’une part,
ses symptômes apparents et d’autre part, la faute. Si une solution psychanalytique d’un symptôme est
trouvée, celui-ci peut disparaître. Le but est donc de réduire la puissance du super-ego et d’augmenter celle
de l’ego. L’ego ne peut pas se renforcer aux dépens du «ça», car le «ça» est fait de pulsions non modifiables.
L’ego se renforce en réduisant la puissance de la conscience que l’on a de contrôler le comportement et de
punir ce qui est illégal. Ce but est atteint lorsque les contrôles effectifs sur le comportement sont réduits. Les
pulsions s’expriment plus librement sans culpabilité et, ainsi, une réalisation plus grande de la personne est
accomplie. Ces pulsions sont, très souvent, considérées comme amorales en elles-mêmes, et expriment une
demande d’affection. Ainsi, les coups que donne un fils à sa mère peuvent être l’expression de sa culpabilité
inconsciente, car il la désire, ce qui est une atteinte à la dignité de son père à qui il veut vraiment du mal; ces
coups sont, en fait, une demande d’affection. (groupes de rencontre)
Parallèles avec le christianisme.
Freud indique que le christianisme est une religion qui s’accorde avec sa théorie. Il y a des parallèles
entre les deux.
– «Ça» = la vieille nature de l’homme avec sa volonté faussée. Ego = la mentalité de l’homme au
sens large de disposition. Super-ego = la conscience.
– Dans le christianisme, les deux théâtres du désir sont la sexualité et l’agressivité. Les deux
traduisent le désir de l’être humain de s’affirmer en prenant la place de Dieu. De cette rébellion
initiale découle la convoitise d’une autre espèce (Jc 1.11-12).
– Se reconnaître pécheur permet de se situer devant Dieu comme sujet et de voir son état avec
réalisme.
– Voir les symptômes du péché caractéristique de son dérèglement exprime une demande d’affection
de la part de l’homme qui, malgré sa faute fait le bien.
2. La culpabilité version chrétienne
a) Les éléments de la position biblique
Il y en a trois:
– La responsabilité qui dépend de l’individu et de sa liberté
– La culpabilité comme démérite, la réalité de la faute
– La culpabilité juridique: la punition (cause, mobile et crime: état - contre-loi: peine)
La culpabilité peut être collective ou individuelle ; elle correspond toujours à une réalité objective.
Comme violation de la loi de Dieu, elle rend l’individu susceptible de subir une peine, qu’il connaisse ou non
sa faute.
Ainsi, en Lévitique 4.13 et 5.2, on voit que la violation des commandements implique la culpabilité
(Jc 2.10) La culpabilité appelle une réparation (Lv 5.15-17).
Dans l’enseignement des prophètes, la notion de responsabilité individuelle est évidente (Jr 31.29-
30).
Dans l’Ancien Testament, les notions de péché/culpabilité et de blâme sont proches l’une de l’autre,
sans distinction très nettes.
Dans l’enseignement de Jésus, l’accent est mis sur l’attitude intérieure du pécheur. La rémission du
péché implique l’abolition de la culpabilité (Lc 18.8-14, dedikaioomenos, seulle référence à la justification
légale dans les évangiles). Mais, dans l’enseignement de Jésus, on voit aussi des degrés dans la culpabilité
qui dépendent de la connaissance et de la motivation de l’homme (lc 11.29-32, 12.47-48 et 23.34). La
transgression est un péché contre Dieu et implique que la culpabilité est objective (Lc 15.21, cf. Ps 51).
L’apôtre Paul ne fait que reprendre cette perspective fondamentale. Le péché est le contraire de la foi (Rm
14.23).
Une approche théologique de la culpabilité ne peut donc pas se limiter à un sentiment; elle doit
aborder le problème de sa cause qui est notre opposition contre Dieu/ la motivation de démérite dans nos
intentions ou actes et la conscience de l’injustice et de la punition. Hé 10.26.
b) Conséquence théologique (voir Blocher, p. 44)
La distinction entre le reatus culpae et le reatus poenae est importante. L’aspect personnel de notre
culpabilité réside dans la rémission des péchés. La mort de Christ est la prise en charge, de façon judiciaire,
de notre culpabilité. Christ ne devient pas pécheur personnellement à notre place, mais il assume notre
culpabilité en ce qui concerne la peine juridique. Nos péchés restent les nôtres, mais nous sommes libérés de
leurs conséquences et, ainsi, de la mort. Cette libération veut dire que ma peine est enlevée et que je ne peux
pas être accusé une seconde fois pour mes fautes contre Dieu. C’est là le sens du simul justus et peccator de
Luther.
c) Trois différences peuvent être indiquées entre la culpabilité en théologie et en psychologie:
i) Quel est le rapport entre péché et culpabilité? Pour la théorie freudienne, la culpabilité est le
résultat du conflit entre le «ça» et le super-ego. Ce conflit est largement inconscient. Il constitue le
sujet.Freud, qui ne peut pas accepter la référence religieuse de la culpabilité cherche à la comprendre comme
une réalité biologique, non pas morale et anthropologique. La référence théocentrique de la culpabilité est
enlevée. Le présupposé de Freud est que la science n’accepte pas de présupposés pré-théoriques qui sont
religieux. La culpabilité humaine ne suppose ni une loi, ni un péché, ni un crime ; c’est une réalité à laquelle
l’homme ne peut échapper. La culpabilité est illusoire; il faut le reconnaître et s’en décharger. La
conséquence tirée, par certains disciples de Freud, du caractère biologique, inévitable, des sentiments de
culpabilité est que nous ne sommes pas responsables de nos actes. La vision chrétienne, en revanche, affirme
que la culpabilité est réelle, concerne notre relation avec Dieu et est la conséquence de notre séparation
d’avec lui. Elle cherche à enlever la culpabilité non en la reconnaissant comme illusoire, mais en prenant sa
réalité au sérieux.
ii) Quelle est la différence entre la culpabilité et le sentiment de culpabilité? Les deux termes sont
confondus dans la littérature psychologique. Pour la vision chrétienne, la culpabilité peut comporter des
sentiments, mais ne peut pas se réduire à un sentiment. La culpabilité réelle par rapport au péché de l’homme
est le fondement d’un sentiment de culpabilité. Celui-ci provient de quelque chose de réel. Si c’est le cas, il
est insuffisant de simplement viser le sentiment pour dire qu’il s’agit d’une fausse culpabilité. Il est même
dangereux d’agir ainsi, car la présence de la culpabilité peut indiquer une réalité à aborder pour résoudre le
problème. Ex. Si je touche un réchaud, j’éprouve une douleur qui constitue un avertissement et je ne touche
plus cet objet. Je n’essaye pas d’étouffer mes sensations de douleur pour pouvoir continuer à justifier mon
action. On supprime la douleur en l’écoutant, non en la niant ou en disant qu’elle n’existe pas.
iii) Quelle est la différence de traitement ? Il y a une différence entre les symptômes et leurs causes.
Eliminer le symptômes ne fait rien. Il faut aller jusqu’à la cause. Il ne faut pas détruire le signal d’alarme.
Une distinction importante est à faire. Si nous allons contre notre norme, nous commettons un péché, même
si ce n’est pas contre Dieu. Contrevenir à nos normes, c’est aller contre les normes de Dieu, même si notre
norme n’est pas contre la norme de Dieu. Même si la norme n’est pas biblique, c’est une violation de la loi
de Dieu. Si nous pensons qu’une chose est un mal et si nous la faisons, même si ce n’est pas contre Dieu, elle
est cause de culpabilité. (Rm 14.23)

VII Le péché et la liberté humaine


Luther Du serf arbitre
Calvin Institution II,2,3
Barth Dogmatique IV.II
Merleau-Ponty Phénoménologie de la perception (1945), dernier chapitre sur la liberté
Les théories qui existent pour expliquer l’idée de liberté peuvent être classées en trois groupes :
i) Nécessité. Tout ce qui se passe est nécessaire en ce sens qu’elles sont déterminées par des
considérations extérieures :
– Le fatalisme. Cette idée supprime la distinction entre les lois physiques et la liberté humaine. Le
destin gouverne la nature et les hommes. La nécessité se base sur la loi des conséquences.
–La nécessité mécanique. L’homme n’est pas la cause ultime de ses actes. Il est soumis à des
circonstances. Sa responsabilité est limitée par son environnement (Hobbes, Sade, Encyclopédistes).
– La nécessité qui se base sur l’influence directe des premières causes (il n’y a plus de deuxième
causes); ex. le panthéisme. Dieu seul agit dans l’homme et dans le monde (Spinoza, etc.)
ii) Le hasard (contingence) Contre a), l’idée que, au moment de la décision, l’homme est libre dans
sa volonté pour déterminer son action. L’homme a la capacité du choix contraire. La volonté, c’est la
puissance de faire le contraire. Ainsi la liberté est l’indépendance de la volonté appelée «liberté
d’indifférence». Cette idée s’oppose non seulement à la nécessité, mais aussi à la certitude.
iii) La certitude (indéterminisme). L’homme est vraiment libre si ses actes sont déterminés non
seulement par sa propre volonté mais s’ils sont vraiment exempts d’influence extérieure. Ses choix se font
spontanément à partir de sa propre influence et sous sa propre responsabilité morale (ex. la philosophie
optimiste; ou Leibniz; même le péché n’est qu’un moyen au service du plus grand bonheur de l’homme; cf.
la critique de Candide. L’humanisme optimiste refuse le péché de l’homme et croit à sa capacité naturelle au
bien).
DETERMINISME INDETERMINISME
Première question
1. Quelle est la conception biblique du péché de l’homme par rapport à sa liberté? Est-ce que ce
péché le détermine dans ses choix? (déterminisme) ou est sa volonté reste-t-elle libre après la chute
‘indéterminisme)?
Le déterminisme et l’indéterminisme, au sens philosophique, reposent sur des analyses qui excluent
Dieu. La question est toujours «de quoi l’homme est-il libre?» ou «de quoi est-il esclave?»; autrement dit,
liberté totale ou manque de liberté, tel est le dilemme (Merleau Ponty). Dans ces deux cas, le concept de
liberté manque de normes. La liberté est uniquement celle de … (quelque chose). Le chrétien ne peut pas
adopter la position déterministe ou indéterministe pour en faire une synthèse avec la doctrine biblique. Trop
souvent, au nom de la souveraineté de Dieu, on a adopté la position déterministe ou, par réaction, on a
relativisé la souveraineté de Dieu pour préserver la liberté de Dieu.
Dans la Bible, il n’est pas question d’opposer la souveraineté de Dieu et la liberté de l’homme,
comme si un choix devait être fait. (cf. Bible et Coran) ce qui limite ou ôte la liberté de l’homme n’est pas la
souveraineté de Dieu, mais son péché. L’homme est-il libre d’accepter la grâce de Dieu? Augustin, Luther et
Calvin disent «non», non parce que la souveraineté de Dieu empêche l’homme d’agir, mais parce que, dans
son choix, l’homme est un pécheur. L’homme en choisissant et en agissant manifeste son aliénation de Dieu.
C’est précisément en choisissant, en agissant en tant qu’homme libre qu’il manifeste que sa volonté ne l’est
pas. Ce n’est pas la capacité de l’homme qui est mise en cause par ce «non» des Augustiniens, mais sa
condition. C’est «l’être » avec lequel il fait son choix qui n’est pas libre de choisir. Volonté libre?
La croyance des réformateurs quant à l’incapacité de l’homme de choisir le bien dans chque situation
nouvelle n’est pas fondée sur une conception déterministe de l’homme, mais sur une compréhension de son
état en tant qu’être déchu. Leur critique du libre-arbitre n’avait pas comme motif une idée de nécessité
fondée sur la souveraineté de Dieu, mais sur la confession que les hommes ont le cœur détourné de Dieu, ce
qui le pousse sur le chemin de sa perte dont il ne peut pas sortir par un acte de sa propre volonté.
La chute est l’événement qui a affecté l’homme en ce qui concerne sa liberté.
Les Pères latins avaient l’habitude de parler de la liberté de homme comme si celui-ci était toujours
pur et sans péché. Les Pères grecs étaient plus présomptueux en disant que l’homme était autonome.
Augustin, Luther, Calvin disent que bien qu’il ait été créé avec une pleine liberté de choix, l’homme
a perdu cette liberté à cause de son péché. (Calvin II.1.10) perversité de nature; perversité naturelle. Avant la
chute, liberté. Après la chute, esclavage du péché. Cette constatation brise tout déterminisme. Ce n’est pas à
cause de l’omnipotence divine que l’homme est limité dans ses actions, mais à cause de son péché. La
liberté, donnée à la créature comme un don de Dieu, a été perdue par elle dans sa rébellion contre Dieu.. La
liberté de l’homme est centrée sur son rapport avec Dieu. Quand le rapport avec le Créateur est restauré, la
liberté de la créature est retrouvée.
C’est ainsi que Jésus parle de la puissance libératrice de la vérité (Jn 8.32-36). Le contraste est ici
entre l’esclavage du péché et la liberté du Fils; cf. Rm 6.6, 19; Ga 4.3; Tt 3.3. C’est l’Evangile de Christ qui
nous libère (Ga 5.1). La liberté, dans le Nouveau Testament, n’est pas celle de choisir entre deux options,
une sorte de possibilité formelle; c’est plutôt l’actualité de la libération qui se concrétise en Christ; c’est être
au service de Dieu (Rm 6.22). Plus nous sommes en communion avec Dieu, plus grande est notre liberté.
Notre dépendance de Dieu, loin de limiter notre liberté, lui donne son vrai sens.
Karl Barth dit que le fondement de l’amour est aussi le fondement de la liberté (1 Jn 4.10). L’amour
de Dieu doit nous libérer afin que nous puissions être vraiment libres pour aimer les autres.
La vraie liberté est dans le service de la vérité qui mène à l’amour. L’erreur est l’esclavage, un acte
qui est contre l’amour. Si nous enseignons l’erreur à des hommes, nous els rendons esclaves, nous ne les
aimons pas (2 P 2.16). Comme disait Luther, là où il n’y a pas de vérité, il ne peut pas y avoir de charité. La
vraie liberté de l’homme se réalise dans la soumission à Christ.
La liberté du chrétien a quelque chose de paradoxal: moins elle existe pour lui-même, plus il est
libre.
Seconde question
2. Dans quel sens l’homme est-il libre après la chute?
Emil Brunner distingue la liberté formelle (l’homme peut toujours faire des choix) et la liberté
matérielle (perdue; l’homme ne peut pas choisir Dieu). Il y a, en effet, une liberté humaine qui existe après la
chute.
– La réalité de l’action humaine. L’homme est réellement libre de faire ses choix dans des actions
concrètes. Nous pouvons parler de l’autodétermination de la personne.
– Responsabilité de son action. Dieu juge les actes des hommes, donc l’homme doit être responsable,
résultat de l’image de Dieu. Lois, sinon pas de prescience.
– Liberté de l’action dans le sens d’engagement de la volonté. La volonté est une partie de la
disposition totale de l’homme. Le cœur de l’homme est cette disposition; c’est pourquoi la liberté s’exprime
souvent de façon mauvaise (Mt 12.35, 15, 19-20). Cette disposition n’est pas imposée ; elle dépend de ce que
nous sommes en tant qu’êtres humains. Nous ne pouvons pas imputer la faute à Dieu à cause de ce que nous
sommes (Jc 1.13-14, entraîner, séduire : c’est la convoitise de l’homme qui agi.
L’homme agit, sans contrainte du dehors, de sa propre volonté mais celle-ci exprime ce qui est
fondamental dans le cœur et l’intelligence de l’homme.
– La différence entre 1) le choix contraire et 2) le choix alternatif.
• La puissance de choisir ce qui est l’antithèse de sa nature.
• La puissance de choisir entre des actions d’un degré différent mais avec la même qualité naturelle.
Ultimement, l’homme pécheur ne peut pas plaire à Dieu sans être renouvelé; il peut cependant
limiter son péché dans son expression. Autrement dit, même pécheur, il a des alternatives dans le domaine de
sa nature déchue, mais il ne peut pas en sortir sans la grâce.
Cela n’a rien à voir avec la prédestination. L’homme n’a pas le choix contraire à cause de ce qu’il
est, non pas à cause d’un déterminisme fatal.
• C’est Adam lui-même qui a abusé de la liberté que Dieu lui a donnée.
• L’individu est responsable comme si le péché d’Adam était le sien; il agit selon cette disposition.
• Pour l’homme bénéficiaire de la grâce, la liberté est retrouvée, et il ne peut pas perdre son salut à
cause du péché. Il doit agir selon sa nouvelle disposition.
VII. Le problème du mal
Le sujet est vaste et il n‘y a aucun espoir de découvrir une réponse. Le mal est pour nous qui le
subissons une énigme insondable. Expliquer le mal reviendrait en quelque sorte à le justifier, à lui donner
une raison d’être. On finirait ainsi par le rendre acceptable.
Le mal est un problème pour toutes les religions. Ce problème est humain et universel.
Certaines religions nient l’existence réelle du mal et de la souffrance. Ainsi, dans le bouddhisme, la
négation de l’existence personnelle ou individuelle des hommes et des choses (doctrine du non-atman)
permet à ceux qui cherchent à se libérer du karma mauvais et à se transcender en prenant la voie consistant à
nier l’apparence de la réalité.
Le dualisme, religion de Zoroastre, de Mani ou des gnostiques accepte la réalité ultime de deux
principes dans le monde.
Le monisme, qui propose une seule réalité, finit souvent par accepter le mal comme étant une
apparence qui sera absorbée par le principe ultime du bien. A cet égard, il faut nommer Spinoza parmi els
philosophes récents.
Les développements ci-après se limiteront au problème du mal dans le christianisme.
– Le problème et la portée de la question ainsi que les types de théodicée chrétienne
– «Explication» spécifique du problème (même s’il «le mal» est inexplicable), celle de Karl Barth
qui a le plus étudié cette question dans les années récentes. L’explication qu’il donne est
fondamentale pour sa théologie.
– A partir de quelques conclusions tirées de la pensée de Barth, les mêmes questions seront
examinées à la lumière des données bibliques.
A. Le problème
Y a-t-il un problème? Certains ont affirmé que la théodicée – la tentative pour faire ressortir la
justice de Dieu face au mal – est un effort ambigu. Tout d’abord, n’est-il pas impie, pour un homme pécheur,
de chercher à montrer comment Dieu serait juste en évaluant ses actes à partir de considérations humaines?
L’homme peut-il justifier Dieu? Pour justifier Dieu, ne faudrait-il pas trouver une explication au péché, à
savoir expliquer quelque choses de fondamentalement inexplicable? Ainsi, pour utiliser le mot de Gabriel
Marcel, nous ramenons le mystère du mal à un problème qui fait de nous, non pas des participants, mais des
spectateurs.
Les deux remarques suivantes peuvent être faites :
Si le mal n’est pas un problème pour nous en tant que chrétiens – et il semble que cela soit le cas
pour beaucoup sur le plan du «vécu» – il reste une question pour la foi des chrétiens face aux incroyants en
ce qui concerne leur conception du monde dans ses rapports avec Dieu.
Si le problème du mal tel qu’il est posé dans les débats intellectuels théoriques diffère de la manière
dont il se pose dans «le vécu», cela ne signifie pas qu’il s’agisse de deux niveaux distincts, ni que le
problème intellectuel soit irréel. Ceci contre la distinction de G. Marcel.
1. Définition du problème
Commençons avec la question pratique et tellement délicate pour tout pasteur devant la souffrance:
pourquoi Dieu a-t-il permis cela? Voici quelques réflexions sur le sens de cette question.
– Cette question est relativement correcte sur le plan théologique. Elle reconnaît au moins que Dieu
est ultimement souverain dans sa création et que rien ne s’y passe sans lui ou en dehors de son contrôle.
– Cependant, même si elle révèle une reconnaissance implicite de la souveraineté de Dieu, elle
correspond davantage à l’idée populaire de Dieu qu’à celle de l’Ecriture, car, dans l’Ecriture, la souveraineté
de Dieu n’est pas séparée de son amour pour ses créatures. Le problème de celui qui pose cette question ne
réside pas dans le fait qu’il ne croit pas en Dieu, mais dans celui qu’il n’arrive pas à voir que la miséricorde
de Dieu est manifeste dans ce qui est arrivé. Il ne peut pas faire le lien entre la mort de sa femme ou la
maladie de son enfant et la miséricorde divine. Il ne voit pas que ces malheurs peuvent être bons pour Dieu et
pour lui. (N.B. La question «S’il y a un Dieu, pourquoi a-t-il fait cela?» est toute différente et révèle une
autre mentalité)
La tâche du pasteur consiste à encourager la foi non seulement en la souveraineté de Dieu, mais aussi
en sa bonté. Il doit chercher à faire comprendre que même si nous savons pas pourquoi Dieu a fait «cela», il
n’y a pas de raison pour nier la bonté ultime de Dieu. Notre ignorance ne doit pas être une occasion pour
remettre Dieu en question, mais plutôt une occasion, à cause précisément de notre ignorance, d’exercer notre
foi en lui faisant confiance.
Laissant de côté ces questions pratiques – qui intéresse effectivement la théologie – étudions la
question à une autre niveau. Trois propositions peuvent être formulées qui résument la théodicée:
• Si Dieu était bon, il voudrait abolir le mal, c’est-à-dire nous rendre heureux.
• S’il était tout-puissant, il le ferait, car étant bon et tout-puissant, il ne pourrait pas agir autrement.
• Mais le mal existe et nous ne sommes pas heureux. Donc, Dieu manque d’amour ou de puissance,
ou des deux.
La difficulté ainsi exposée semble insurmontable. Sommes-nous destinés à vivre avec un Dieu
«superman» ou avec un Dieu bon mais impuissant? Beaucoup dépend du sens donné aux mots «bon» «tout-
puissant» et «heureux». D’où les questions ci-après:
– La souffrance est-elle toujours mauvaise (pas bonne)?
– La toute-puissance divine est-elle toujours inconciliable avec le mal? On peut, ici, en particulier,
défendre la position (ce que je ferai plus loin) selon laquelle la toute-puissance divine n’est pas
inconciliable avec le mal à cause du libre-arbitre de l’homme. Dieu est souverain et le mal relève de
la responsabilité de l’home qui a mal usé de sa liberté. Cet argument s’appelle, en philosophie des
religions, «la défense par la volonté libre»; il est courant, dans le christianisme, depuis Augustin.
– Ne peut-on pas être heureux malgré la souffrance ou, dans certains cas, à cause de la souffrance?
Ou Dieu serait-il obligé de rendre heureux en dépit du péché?
Ces considérations font que, dans le théisme chrétien, on maintient cinq thèses fondamentales: 1.
Dieu existe. 2. Dieu est omnipotent. 3. Dieu est omniscient. 4. Dieu est tout bon. 5. Le mal existe. Toutes les
théodicées chrétiennes, y compris celle de Barth (qui sera étudiée en détails), sont des tentatives pour
montrer que ces cinq thèses ne sont pas incompatibles, autrement dit, que Dieu est amour, tout-puissant et
que le mal existe.
+++
Examen de deux principales théodicées chrétiennes et de deux échappatoires.
a. Ces deux formes principales de théodicées, qui datent des premiers siècles de l’Eglise, se trouvent
dans la théologie de s. Augustin et de s. Irénée. En voici les principaux traits.
Augustin (voir La cité de Dieu, Les Confessions, l’Enchyridon) Il s’approche du problème sous
quatre angles:
i) Le mal est, avant tout, défini comme une privation du bien. La création est bonne, l’homme créé
est parfait, le mal est un manque de bien qui s’élève contre Dieu. Le mal est privatio, deprivatio, corruptio,
amissio, vitium, defectus, negatio. L’idée de privation qu’Augustin emprunte au néo-platonisme, se définit
par rapport à la plénitude de Dieu. Le mal est un manque par rapport au bien ou à la plénitude d’être qu’est
Dieu. Il existe, dans la création, après la chute ; il n’est pas créé par Dieu et n’appartient pas à la création; il
est second et parasitaire. Augustin exprime très souvent cette pensée à l’aide de l’idée de Platon que le néant
est me on, bien qu’il rejette catégoriquement l’idée néo-platonicienne d’émanation. Cette privation explique,
ou tente d’expliquer, la tendance de l’homme au mal et sa finitude.
Cette formulation a fortement influencé la théologie, en particulier la pensée catholique au Moyen
Age (thomiste) et, plus récemment, Barth et Tillich dans leurs œuvres. Les réformateurs, même s’ils ont
parlé du mal comme une privation, ont écarté les sous-entendus méontiques de cette expression et se sont
généralement limités à une vocabulaire plus exclusivement biblique.
ii) En ce qui concerne l’origine du mal, Augustin rejette l’idée que le mal serait une nécessité
impliquée par la nature de la matière. Le mal existe plutôt comme le choix fait par les créatures rationnelles.
C’est le rejet volontaire du bien par l’homme qui est à l’origine du mal. Celle-ci se cache donc dans le ;
mystère de la liberté finie de l’homme.
iii) La diversité dans l’univers est, pour Augustin, une illustration du principe de plénitude. Chez
Platon, la plénitude du cosmos serait l’expression des idées dans le monde sensé. Rejetant le rapport entre
Dieu et le monde décrit par Platon et Plotin, Augustin se sert du principe de plénitude comme clef de la bonté
de Dieu que révèle la variété de l’univers.
iv) Ce dernier point se précise, chez Augustin, dans le thème de l’esthétique à propos du monde.
Dans la variété (diversité) liée à la plénitude, les côtés sombres contribuent à la perfection du tout. Comme,
dans les tableaux de Rembrandt, le noir est indispensable pour apprécier totalement le sujet, dans le monde,
la décomposition dans la sphère végétale contribue, de façon négative, à l’esthétique de l’ensemble. Ainsi,
même après la chute, le péché de l’homme n’a pas aboli le caractère global de l’univers et son attestation de
la bonté divine ; il la fait ressortir de façon plus éclatante. Dieu tourne en bien même le mal accompli par
l’homme.
Appartenant à la tradition augustinienne, à propos de la théodicée, on peut signaler, dans la tradition
catholique romaine, s. Anselme et s. Thomas qui ont très peu modifiée en la raffinant la position de départ.
Cette tradition se retrouve, de nos jours, avec des modifications secondaires, dans les ouvrages de Journet et
de Sertillanges. Dans le protestantisme, la théodicée augustinienne a été dominante malgré le refus des
aspects philosophiques de ce système. Luther et Calvin ont développé la pensée d’Augustin avant tout dans
un sens paulinien. L’optimisme des théodicées des Lumières apparaissent assez souvent comme une sorte
d’augustinisme sécularisé, représenté principalement par la pensée de Leibniz.
Irénée (voir Contre les hérésies)
Nous avons observé que la théodicée d’Augustin insiste fortement sur la perfection de la création de
Dieu et sur la chute comme l’origine du mal. Elle est axée sur le passé, sur le péché d’Adam. Sans vouloir la
mettre en contraste radical, la théodicée d’Irénée tend plutôt à être téléologique dans son orientation. Chez
Irénée, il n’y a pas une théodicée systématique; on peut cependant tracer deux ou trois lignes de pensée que
l’on trouve chez les Pères helléniques.
i) La distinction entre l’image et la ressemblance de Dieu en l’homme. Dieu a créé l’homme à son
image: Irénée discerne en cela la nature rationnelle de l’homme. Pourtant, par sa création, l’homme n’a pas
la ressemblance divine qu’est seulement la perfection du Saint-Esprit. L’homme est personnel mais pas
parfait.
ii) Appliqué à la création, ceci veut dire que l’homme n’a pas été créé parfait même s’il a été créé
perfectible. Irénée suggère que l’homme créé était imparfait et immature. Très souvent, les Pères grecs
considèrent Adam et Eve comme des enfants. La créature de Dieu peut donc connaître un développement
moral. La chute s’est produite dans l’enfance de la race, un lapsus attribué au manque de maturité. Le mal
provient de l’immaturité de la créature, mais le but de la création est la perfection. Cette formulation pose
plusieurs problèmes; entre autres, celui du rapport entre un créateur parfait et une créature imparfaite.
Dans la tradition d’Irénée, on peut nommer Schleiermacher qui est presque le seul théologien à avoir
affirmé que Dieu est responsable du péché en ce sens qu’il existe en rapport étroit avec la rédemption qui,
pour lui, est la conscience immédiate de Dieu dans l’homme d’où le blocage du péché est éliminé. Le péché
est un manque de conscience de Dieu, lié au caractère sensuel de l’homme.
On trouve dans l’œuvre de J. Hick (Evil and the God of love) une conception téléologique de la
théodicée qui adopte cette dernière position de façon très modifiée.
b. Deux échappatoires
i) Le dualisme comme négation de la souveraineté totale de Dieu.
Jésus répond à Pilate «Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, s’il ne t’avait été donné d’en haut.» le mal
ne dépasse donc pas les frontières de la puissance de Dieu. De même, en Amos 3.5, on lit: «Arrive-t-il un
malheur dans la ville sans que l’Eternel en soit l’auteur?», en parlant du jugement de Dieu. La tentation a
toujours été, pour les chrétiens, de remplacer la souveraineté de Dieu par une bonté unilatérale. Mais, pour
que la prière ait un sens, il faut accepter que Dieu ait le dernier mot même, et peut-être surtout, en ce qui
concerne le mal; autrement, lui faire confiance n’a plus de sens. la confiance en Dieu n’a de sens que si c’est
lui qui permet et peut envoyer le malheur aussi bien que le bonheur.
Le dualisme, en niant la souveraineté de Dieu, établit une antithèse ultime entre le mal et le bien.
Ainsi on explique le destin de l’homme mais pas sa culpabilité.
Si le dualisme philosophique est rejeté, en pratique, par les chrétiens, il est à craindre que dans, bien
des cas, ils tombent dans un dualisme pratique, plus dangereux, qui accorde une puissance démesurée aux
forces du mal. Il existe, chez certains chrétiens, une fascination malsaine au sujet du diable. Ces chrétiens
croient davantage en lui qu’en Dieu. Pourtant, le mal n’est pas un absolu dans un sens sui generis; il existe
seulement comme un anti. Sans Christ, pas d’antichrist, sans Dieu, pas de diable! Le dualisme s’écarte de la
structure de la pensée biblique sur Dieu s’il limite la puissance de Dieu. Platon, lui aussi, a limité la
puissance de Zeus et a cherché une autre cause au mal.
ii) Le monisme comme négation de la bonté absolue de Dieu.
Spinoza maintient que la réalité forme un tout parfait dans lequel tout se tient par la nécessité d’une
substance divine. Rien n’est contingent; tout est déterminé par la génération de la substance divine. Les
chrétiens de l’époque ont été très durs avec Spinoza; ils l’on considéré comme étant un athée. Ils avaient
raison car, du point de vue de la révélation biblique, dire que tout est Dieu équivaut à ne plus avoir de Dieu.
Le problème avec ce système est que le mal aussi existe et s’accommode de la structure générale de
la réalité. Mais établir ce lien revient à traverser le pont qui sépare théisme et panthéisme.
Si le monisme n’a pas de prise sur le christianisme, il reste toujours un danger pratique chaque fois
que nous acceptons notre péché ou les conditions du monde actuel comme normaux; en domestiquant le mal,
nous nions la bonté de Dieu comme principe ultime dans l’univers. Autrement, comme d’autres qui se
trompent, nous serions théistes dans notre croyance et panthéistes en pratique.
Conclusion
Il n’est pas possible d’écarter ou la souveraineté divine ou l’amour divin tout en restant chrétien.
Mais, pourquoi, demande-t-on, un Dieu souverain, agissant sans aucune contrainte extérieure, aurait-il
permis, même temporairement, le mal et la souffrance? Cette question est sans réponse dans la Bible et il est
impossible d’y répondre. Les considérations précédentes indiquent, pourtant, que le chrétien, face à la
perplexité que lui cause cette situation, trouve une façon de faire sur le plan de sa vie affective. Il comprend
sa finitude face à la puissance de Dieu et croyant que Dieu est souverain, il l’adore. Avec Job, il cherche à ne
pas répondre à la question «Où étais-tu quand je fondais la terre?» et il reconnaît son créateur. De même, il
comprend son péché et, en le confessant avec David et Paul, il est ravi par la sainteté de Dieu.
Dieu est amour, Dieu est souverain et nous souffrons parce que Dieu nous aime.
2. Le mystère du mal selon Karl Barth (cf. Dogmatique (t. 14, éd. fr., § 50)
Pour Barth, le problème du mal est celui du néant. Ce néant n’est rien, car Dieu lui fait face et s’y
oppose. En choisissant ce mot pour décrire le mal, Barth se situe à la fois dans la tradition augustinienne – la
tradition de la philosophie méontique du néo-platonisme – et par rapport à la pensée existentialiste de
Heidegger et de Sartre. Il convient, d’abord, de présenter le problème tel que Karl Barth le fait et, ensuite, de
le suivre dans son développement.
a. Le problème
Barth le présente dès le début. Le néant est étranger à la providence, car il est hostile à la volonté de
Dieu. Dans sa providence, Dieu doit garder sa création contre lui. Il affirme ainsi sa volonté telle qu’il l’a
exprimée au moment de la création, la volonté de séparer la créature du chaos. Le danger que présente le
néant est donc écarté de la création, mais il persiste comme puissance hostile au plan de Dieu. Concilier cette
puissance et la volonté de Dieu, tel est le problème. Il s’agit de placer entre Créateur et créature ce troisième
facteur. Dans la citation de la page 4, Barth considère le néant comme un troisième aspect de la réalité pour
deux raisons:
– Si on traite le néant comme une créature issue de la volonté positive de Dieu, Dieu en est
responsable.
– Si on l’impute à celle de la créature seule, celle-ci est tout aussi ultime que Dieu, dont la
souveraineté est niée.
C’est ainsi que Barth fait ressortir la nécessité de maintenir à la fois la sainteté et la toute-puissance
de Dieu.
Le juste moyen de reconnaître la souveraineté de Dieu consiste à admettre que toute affirmation
théologique est «condamnée à user d’une réflexion et d’un langage brisés.» (p.6), est une ébauche qui ne
peut pas aboutir à un système. Cette pensée est magnifiquement résumée pages 6-7. Il est interdit à la
théologie de dégénérer en système, ce qui illustrerait le fait que, dans ses formulations, elle est sous
l’emprise du néant. Si Barth adopte cette position, ce n’est pas pour se défendre de ne pas être arrivé à
trouver la conciliation tellement recherchée, mais parce que la théologie aussi est sous l’influence du néant
qui s’oppose à Dieu.
Il y a là un point souvent ignoré dans les discussions sur le mal. Même si on a vu que le problème
reste entier après une réflexion suivie car Dieu nous dépasse, on n’a pas vu qu’il n’est pas seulement
question de distinguer entre Créateur et créature, mais que la créature elle-même est gênée puisqu’elle pèche
et participe donc à l’opposition contre Dieu. (Pluralisme; pas de révélation objective). Ainsi Barth commence
en remettant l’homme à sa place, ce qui est une bonne chose.
b. La méconnaissance du néant
Il est naturel qu’après ces réflexions, Barth commence ainsi.
– Le monde créé a un aspect positif et un aspect négatif. L’aspect négatif est tourné vers le néant ; il
n’est pas le néant puisqu’il n’est pas dressé contre la volonté de Dieu. Cette expression de Barth est ambiguë.
Qu’entend-il par «l’aspect négatif de la création est tourné comme vers le néant»? (p.8) Barth semble vouloir
dire qu’il y a, dans la création, sous la volonté de Dieu, un aspect sombre qui indiquerait une diversité décrite
à la page 9. Sombre = sous la volonté de Dieu. Dans ce passage et aussi un peu plus loin, lorsque Barth parle
de la création bonne «parce que toutes choses existent en elle dans cette différentiation et cette
contradiction», on voit qu’il frôle l’idée augustinienne de la plénitude. Celle-ci a été utilisée par les Pères
occidentaux et les théologiens catholiques pour décrire le mal métaphysique qui s’attache non au péché
éthique de la chute, mais à l’existence finie des créatures, ce qui ne constitue pas nécessairement un mal en
soi. Barth semble penser que la mort de l’homme et de la matière n’est pas en elle-même une chose mauvaise
et qu’il en aurait été ainsi même si la chute n’avait pas eu lieu. Mais il ne faut pas en tirer la conclusion que
la création a part au chaos du néant pour cette raison; faire cette confusion serait méconnaître le vrai néant.
Cf. la citation sur Mozart, p.11. Barth exhorte à éviter de confondre le néant et le côté sombre de la création,
mais il arrive que son langage le conduise inconsciemment à ne pas respecter les bornes qu’il veut poser.
– Le comble de la confusion serait d’identifier tout simplement le côté négatif (sombre) et le néant.
Le néant n’existe pas comme un des éléments de la création de Dieu et une synthèse entre ces deux réalités
différentes est impossible. Le dualisme offre une telle confusion. Il ne faut pas mettre le néant dans la
création de Dieu. Néant = contre la volonté de Dieu.
Pourquoi Barth s’est-il élevé si violemment contre cette confusion? Si on lit attentivement cette
section on ne peut pas manquer de remarquer la place importante occupé par le thème christocentrique. Barth
veut éviter de rendre Dieu responsable du mal, ce qu’il fait en niant le caractère créé du néant. Mais ce n’est
pas tout. Le point central, le moteur de tout l’argument de Barth est qu’en Christ, Dieu s’est fait homme et a
donc sanctionné le double aspect de la création. Si on confond l’aspect sombre de la création avec le néant,
on arrive à dire que Dieu a, en Christ, sanctionné le néant. (cf. pp. 14,12,9,8).
Conclusion
Barth nie l’identification du néant avec le côté sombre de la création. Le contact entre les deux est
impossible. Cette idée s’éclairera lorsque le lien sera fait avec deux autres aspects de sa pensée: 1) le rejet du
chaos lors de la création et b) l’impossibilité ontologique du péché.
c. La connaissance du néant
i) Révélation du néant par Christ
La méconnaissance du néant est profondément liée, dans la théologie de Barth, à son rejet de la
théologie naturelle. Le vrai néant n’est pas connu de façon naturelle, par une connaissance immédiate, mais
seulement de façon indirecte par celui que Dieu a choisi, c’est-à-dire par Jésus-Christ. Le discernement du
véritable néant n’est pas naturel à la créature. Le néant doit lui être révélé par Jésus-Christ. Chercher à
connaître le néant en dehors de Christ, dans la création, signifierait que celle-ci est déjà soumise au néant. Le
motif christologique est fortement développé ici. Le néant existe d’abord devant Dieu – pas de rapport
spécial entre le néant et la création ; il devient une réalité pour nous si Dieu le révèle en faisant apparaître le
rapport critique qu’il entretient avec lui. En Christ, le vrai néant est dévoilé comme étant en opposition avec
Dieu et son Fils qu’il a choisi. Le néant ne s’intègre pas à la volonté de Dieu comme s’il était une partie de la
création. Il est une puissance totalement négative, en opposition avec le Créateur et la création, mise en
lumière par la révélation de l’élection de Jésus-Christ. Voir la définition du néant, p. 17, nb. le mot «double
détermination». On connaît ainsi la nature du néant, à savoir «le mal, la mort, le diable» (p.18). C’est donc
«sans contredit de Jésus-Christ que découle inévitablement la connaissance du fait que, comme pécheurs,
nous sommes tombés sous la coupe du néant…» (p.18)
Barth résume sa position à la page 18 sur ces deux points: 1) l’homme ne peut pas par lui-même
connaître le néant véritable mais 2) Dieu le lui révèle, en tant que son ennemi, en Jésus-Christ. Autrement
dit, Barth insère ici un autre aspect de sa pensée théologique: on ne connaît pas son péché par la loi de Dieu,
mais on connaît le péché et le néant par la grâce de Dieu, c’est-à-dire par l’Evangile.
On commence à voir comment la notion de néant s’intègre dans la totalité de la pensée de Barth:
d’abord, par rapport à la doctrine de la création et à l’impossibilité ontologique du péché, mais aussi par
rapport au péché dans la loi et la grâce. Cela signifie que cet aspect de sa pensée ne peut pas être reçu
isolément. Notre évaluation se fera aussi par rapport aux autres éléments qui sont sous-jacents et
indispensables à la compréhension du néant.
ii) Notre connaissance du néant
Vers la fin de cette section, Barth devient beaucoup plus concret en expliquant le néant. Puisque
c’est en Jésus-Christ que Dieu a révélé le vrai caractère du néant, on comprend que celui-ci n’a rien à voir
avec la différence entre créateur et créature, mais avec notre péché en tant que révolte contre Dieu. «…Le
péché est la forme concrète du néant parce que c’est dans le péché que le néant devient une action et une
culpabilité de l’homme.» Ainsi, le néant qui s’oppose à Dieu est une action, une opposition de l’homme.
Mais le péché n’épuise pas les terreurs du néant. Le néant est aussi la souffrance du mal et la mort, qui
appartient au côté sombre de la création, devient l’effet du néant. La maladie et la souffrance, la mort et
l’anéantissement font partie de l’aspect négatif mais innocent de l’existence; s’ils se situent dans le cadre
d’une existence de péché, ils deviennent des manifestations de la puissance du néant en opposition à Dieu et
à l’homme.
Problème. Il est possible, maintenant, de discerner comme une énigme dans la pensée de Barth.
Parlant du néant, il dit: »(Dieu) l’a vaincu comme son ennemi, comme le non qui s’élève, d’abord et
essentiellement, contre lui, comme le néant qui, précisément parce qu’il se dresse contre lui, contre sa
volonté et son œuvre, est le néant véritable.» Quel est donc le statut du néant par rapport à Dieu? le néant se
dresse contre Dieu, mais dans son opposition, il semble presque avoir une existence indépendante de Dieu.
Par moment, Barth paraît frôler le dualisme qu’il rejette pourtant avec vigueur ailleurs. Le problème, on peut
le noter en passant, est donc là: si on n’associe pas le néant à la volonté de Dieu – en quelque sorte comme
les réformateurs l’on fait avec l’idée du mal qui existe avec la permission de Dieu – le néant se libère et
prend l’apparence d’une force d’opposition indépendante de la volonté de Dieu. Une solution différente, une
troisième voie, dépasse notre capacité de penser.
d. La réalité du néant
Barth aborde ce point au début de sa dernière section. Le néant, tel qu’il est décrit, n’est pas rien,
mais on ne peut pas dire non plus qu’il «est» (p.61) Barth propose qu’il existe d’une tierce manière. Le néant
n’est pas rien, il a sa propre essence et sa propre existence; on ne peut pas le nier sans nier Dieu lui-même,
car le néant existe devant Dieu. Comment éclairer le caractère de cette tierce manière d’exister? Au §4, Barth
aborde ce dilemme. Le contexte ontique du néant est celui de l’élection. Le néant existe seulement en raison
de l’élection de Dieu sous son aspect négatif. Il est ce que Dieu n’a pas voulu en créant une réalité bonne. Le
néant exprime la non-volonté de Dieu, ce qu’il n’a pas voulu. «Ce dont Dieu se sépare, la réalité en face de
laquelle il s’affirme pour faire triompher sa volonté, c’est le néant.»
Barth reprend la notion de Luther et de Calvin selon laquelle l’élection est double, mais il fait subir à
la doctrine traditionnelle une métamorphose complète. Le néant est ce qui subit la réprobation de Dieu, car
Dieu ne le veut pas et s’en sépare.
Ce passage est le plus paradoxal, le plus contradictoire même de toute la section. Dieu serait la cause
et le maître du néant qui n’existe pas par hasard, car c’est Dieu qui ne le veut pas et qui exprime cette volonté
dans son élection d’une création bonne (p.64). Le néant est ce que Dieu ne veut pas.
Il y a ici un problème de taille: Barth veut-il dire que Dieu est la cause de ce qu’il ne veut pas? Cause
de son ennemi? Il le semble, mais une telle conclusion est embarrassante et on n’ose presque pas proposer
une interprétation de ce passage. Si Dieu était réellement la cause de ce qu’il ne veut pas, il y aurait en Dieu
une sorte de schizophrénie, difficile à concilier avec la perfection divine.
Barth cherche à appuyer son exposition sur Genèse 1.2 (p.65). Le chaos est ce que Dieu exclut par
son acte de création. Que le tohu et bohu du texte de la genèse veuillent réellement dire ceci est une toute
autre question. Certains, comme Hick, contestent que l’interprétation de ce texte donnée par Barth soit une
exégèse énorme.
Ayant ainsi défini le caractère ontique du néant, Barth précise que le mal, ou l’expression du chaos
dans le monde, comme on le voit dans le péché est, avant tout, le fait d’être hostile à la grâce divine. En
d’autres termes, c’est être privé du bien. Le néant est donc une privation. En tant que tel, il est anormal,
inconcevable et inexplicable. Barth se montre assez platonicien dans sa définition du mal. Le néant est décrit
selon des catégories méontiques comme une privation Non vouloir—privation?
Pourtant, le but de l’histoire est d’éliminer le néant. (peut-on éliminer une privation?) Ceci est le
problème de Dieu, car le néant s’oppose surtout à son honneur et à sa justice. Cette présentation de Barth
soulève, de nouveau, des problèmes d’interprétation. Dieu est, comme nous l’avons vu, la cause du néant en
raison de son élection; le néant est, d’abord, le problème de Dieu, même s’il constitue une privation pour
l’homme. Le néant est contre l’honneur de Dieu, aussi Dieu cherche-t-il à l’éliminer. Cause. Quelque chose
contre son honneur? Il est difficile de comprendre comment tant de tensions peuvent exister à l’intérieur
d’une même pensée sans que toute rationalité ne s’en trouve désintégrée! A la page 68, Barth parle de la libre
grâce de Dieu… mais en quoi ce qualificatif de «libre» peut-il consister si Dieu a rejeté le néant?
Barth termine son exposition en resituant la question par rapport à la providence et à la souveraineté
de Dieu. Le néant est un corps étranger, autre que la créature en ce qui concerne la volonté de Dieu, mais
subordonné à son gouvernement. Barth pense avoir résolu le problème de la théodicée. Dieu, peut-il dire, est
à la fois bon et souverain, lorsqu’il définit le néant comme le tiers exclu (p.78). Les problèmes traditionnels
sont écartés, en évitant une façon abstraite de penser. Barth pense qu’en considérant ces questions à partir du
centre, c’est-à-dire par référence à l’élection de Jésus-Christ, le néant reçoit sa vraie réponse. On voit que le
néant est déjà jugé, que s’il continue à exister, ce n’est que comme une apparence dangereuse et seulement
en vertu de la disposition de Dieu; il doit, malgré tout, servir Dieu.
Nous allons analyser la formulation de Barth afin de voir si elle apporte quelque lumière nouvelle
pour éclairer la noire réalité du mal.
e. Evaluation de la position de Barth
Elle soulève un des problèmes les plus importants de sa pensée. Barth traite le problème du péché de
façon similaire à la pensée réformée ou catholique romaine. Les réformateurs parlent, eux aussi, du caractère
inexplicable du péché. Ils ont rejeté, en particulier, l’idée que le péché puisse trouver place dans un système
de cause à effet de sorte qu’il reçoive une justification rationnelle. Dans la pensée catholique augustinienne,
on trouve également de telles idées. Par exemple, dans le livre de Sertillanges (II, 10ss), «le mal n’a pas de
cause première». Le mal a un caractère «innaturel».
i) Le mal inexplicable pour notre pensée
Lorsqu’il parle de l’absurdité du péché, Barth va plus loin parce qu’il ne se limite pas à parler du mal
comme étant inexplicable pour notre pensée. Si la pensée chrétienne affirme, en général, que le péché et le
mal sont essentiellement sans explication, le péché étant contre Dieu, mais comme un élément étranger sous
son contrôle, Barth en évoquant cette énigme lui donne un contenu plus spécifique.
ii) Description du contenu du mal = explication
Barth va trop loin dans son explication. Il ne parle pas tout simplement du mystère de l’impiété; il
décrit le mal comme étant néant, absurde, chaotique. En cherchant ainsi à préciser son contenu, il donne une
sorte d’explication. Cette explication consiste à établir un lien direct entre le chaos, qui prend une forme
concrète dans le péché, et l’élection de Dieu qui implique son rejet du néant. Même si le néant n’est pas une
créature de Dieu mais un troisième facteur, il existe, non pas de façon indépendante, mais en vertu de ce que
Dieu ne veut pas. Le néant a son fondement dans la non-volonté divine. Il a donc une existence temporaire et
succombe lorsque Dieu réalise son dessein. Le problème persiste pourtant dans toute son ampleur, car Barth
parle du néant comme du contraire inévitable impliqué par l’élection de Dieu. Le néant existe en rapport
avec l’auto distinction éternelle en Dieu par laquelle il se sépare de ce qui n’est pas Dieu. Par son élection,
Dieu témoigne à la fois de ce qu’il veut et de ce qu’il ne veut pas.
iii) Mal non en Dieu, mais contre
Il est évident que cette formulation est une tentative d’explication négative du mal. L’objection à
élever contre elle n’est pas qu’elle manque de logique, mais qu’elle est, au contraire, trop logique. Le danger
est de distinguer la confrontation en Dieu et de tirer des lignes de nécessité à partir de la volonté divine
jusque dans l’histoire. Barth s’éloigne de l’antithèse biblique qui n’est pas en Dieu, mais qui existe entre
Dieu et le mal. Entre la manifestation historique du mal, du péché, et Dieu et sa volonté, il est impossible de
tirer des lignes de nécessité; nous discernons la rupture des lignes, l’éclatement des rapports.
Tu n’es point un Dieu qui prend plaisir au mal. Ps 5.5
Dieu n’est point un homme pour mentir, ni le fils d’un homme pour se repentir. Nb 23.19
Loin de Dieu l’injustice, loin du tout-puissant l’iniquité. Dieu ne commet pas l’iniquité, ne viole pas
la justice. Jb 34.10,12
Il est impossible que Dieu mente. Hé 6.18
Dieu est lumière, il n’y a pas en lui de ténèbres. 1 Jn 1.5
Le problème réel que pose cette formulation est que, malgré le fait que Dieu puisse vaincre le péché,
il ne semble pas pouvoir l’empêcher. Dieu paraît permettre le mal en d’un but qui est bon, la rédemption. Sa
solution est verbale; le problème subsiste.
f. Evaluation et conclusions
Après cet examen de la pensée de Barth, il reste à reposer les trois questions qui reviennent toujours
dans cette discussion – celle du mystère du mal, celle de l’origine du mal et celle de Dieu et le mal – et de
tirer quelques conclusions d’ordre pratique.
i) Le mystère du mal
La démarche de Barth nous enseigne au moins une chose : le danger qu’il y a à aller trop loin dans
notre explication du mal. Le danger ne consiste pas uniquement à rendre Dieu responsable du mal, mais de
trouver une raison, de conférer une certaine rationalité à ce qui est au-delà du rationnel.
Dans le cas du mal, le mystère diffère des autres mystères. Le salut est un mystère révélé en Christ;
on en sonde le sens en connaissant Christ par l’Evangile. En ce qui concerne le mal, il est impossible
d’acquérir une connaissance ou d’avoir une révélation qui donnent la clef du mystère. Le mal doit rester
énigmatique pour nous. Il est inexplicable. Aucune raison n’existe pour nous aider à surmonter le mal. Même
la foi en Dieu, si elle nous aide à voir le manque de consistance et le caractère provisoire du mal, ne nous
donne pas une explication de sa présence. L’énigme du mal est précisément celle du manque de sens et de
cause du péché.
La parole du Christ au sujet des Juifs est tout à fait remarquable à cet égard: «Ils m’ont haï sans
cause.» (Jn 15.25) Il en va de même pour l’attitude du monde vis-à-vis des disciples. En présence de la
lumière qu’est le Christ, le péché est encore plus insensé et inexcusable : ceci met en relief le caractère tout à
fait «gratuit» du péché. Jésus cite le Psaume 69.4-5 où le psalmiste se désespère car ses ennemis le haïssent
sans raison, d’une haine qui jaillit de leurs cœurs qui se détournent de Dieu. Cette haine n’a pas de
fondement dans le péché du psalmiste; elle est sans cause et sans signification. A fortiori, dans le cas du
Christ, il n’y a pas en lui une cause qui justifie la haine des Juifs; cette haine n’exprime rien d’autre que le
vice de leurs cœurs.
Ce manque de cause correspond à un thème familier de l’Ancien Testament: la folie du péché.
L’insensé est celui qui nie Dieu (Ps 14.1), qui blasphème contre lui (Ps 74.18,22) et refuse la sagesse et
l’instruction (Pr 1.7). Dans les Proverbes, les mots pour «fou» (nabal) et «folie» sont réservés pour les
pécheurs endurcis, les pervers. Le nabal est celui qui rompt l’alliance de façon délibérée. En revanche, les
hommes sont généralement stupides. La stupidité est le fait de ne pas voir la sagesse; elle est donc in-sensée.
Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas…
Le mal, le péché sont insensés et stupides; ce sont des actes commis par les hommes et ils n’ont ni
raison, ni cause. Le mal reste donc une énigme. Il est impossible de supprimer cela, on peut seulement
confesser ce mal et ce péché comme étant les nôtres. Par cette confession, nous reconnaissons que nous ne
pouvons ni expliquer le péché, ni nous justifier. Le mal et le péché sont sans cause et stupides, le confesser
est la seule réaction possible.
Il est important de comprendre que, dans l’Eglise, le mal n’est ni expliqué, ni nié ; il est reconnu
comme sans cause et confessé. L’Eglise n’est pas appelé à percer le mystère du péché, mais à reconnaître le
mal comme un mystère et à confesser qu’il est celui que nous faisons.
ii) L’origine du mal
Le mal ne vient pas de Dieu. Nous avons vu comment Barth rejette toute corrélation entre le mal et
la création de Dieu. Pour lui, le mal ne s’explique pas non plus par rapport à la créature; le mal ne vient ni de
Dieu, ni de la créature, il existe comme un tiers exclu.
Le mal est pour nous un mystère qui ne peut être atténué en expliquant le péché en référence à son
origine. On ne peut pas alléguer, par exemple, une origine diabolique, car cela ne ferait que déplacer la
question: pourquoi Satan existe-t-il? La question de l’amour et de sa relation avec la toute-puissance de Dieu
reste entière.
Dès qu’on réfléchit au problème de l’origine du péché et du mal, nous voyons que ne nous sommes
pas déculpabilisés ; nous sommes devant le problème de notre propre culpabilité. Rechercher une relation
causale, à propos du mal, est une manière de rechercher une excuse, ce qui, pour Paul, est exclu (Rm 1 et 2).
Unde malum?, d’où vient le mal? Ce que l’on peut répondre à cette question est exprimée par la
phrase de Bavinck: «Le péché n’a pas d’origine, il a seulement un commencement.» Poser la question de
l’origine du péché est déjà aller trop loin dans une démarche visant à découvrir un secret qui doit en rester un
pour nous, les hommes. Ceci ne doit pas être considéré comme une fuite dans l’irrationnel. La question unde
malum? est illégitime dès lors qu’elle cherche une explication qui donne un sens à ce qui est insensé, une
rationalité à ce qui est irrationnel.
C’est pourquoi il n’y a pas, dans l’Ecriture, de tentative pour découvrir l’origine du mal; on y trouve
uniquement la reconnaissance que le mal qui existe est le mien et que la seule solution, pour moi, est d’en
accepter la responsabilité. Le silence devant Dieu est convenable; la solution est de faire connaître notre
péché. C’est là un thème constant des Psaumes (cf. Ps 32.3-5) Péché particulier souffrance.
iii) Dieu, l’homme et le mal
Le problème fondamental aux multiples aspects qui est le nôtre est: Dieu serait-il tout-puissant si le
mal n’existait pas en quelque sorte par rapport à sa permission? Si tel était le cas, comment ne pas conclure
qu’il en est, au moins indirectement, responsable? Le mal est-il dans la volonté de Dieu? Si oui, comment
pourrait-on affirmer qu’il est bon?
– Dieu et le mal. Jacques 1.13-14 est typique du témoignage biblique à ce sujet. Il est impossible de
dire que Dieu est l’auteur du mal; la sainteté de Dieu est a priori. (cf. la Confession de Belgique, 13;
Dordrecht I.15; Heidelberg, 7; La Rochelle,8).
– L’homme et le mal. Si Dieu n’est pas l’auteur du mal, qu’en est-il de l’homme? Si l’homme est
créé parfait par Dieu et si Dieu n’est pas responsable du mal et du péché de l’homme, comment celui-ci en
est-il arrivé, étant parfait, à se révolter contre son Créateur et à devenir le persécuteur de ses prochains? La
seule réponse possible à cette question, réponse qui n’est que partielle, se situe dans le caractère de la
créature. L’homme a été créé libre, avec une volonté qui n’était pas prédéterminée par le Créateur. Cette
liberté faisant partie du caractère de la créature est, pour Dieu et pour l’homme, une chose bonne. Mais en
créant un homme libre, il est évident que Dieu ne le détermine pas à faire ce qui est bon, autrement cet
homme, cette créature, ne serait pas libre. Pour que l’homme puisse être libre et donc capable de choisir le
bon, il faut aussi qu’il soit capable de choisir le mal. Pour que ses caractères soient réels, l’homme créé bon
et libre doit avoir la possibilité, étant libre, de faire un autre choix que le bon; autrement, il n’est pas
vraiment libre.
Le fait que des créatures libres chutent n’indique rien sur la toute-puissance ou l’amour de Dieu; le
mal commis par l’homme ne les met pas en doute. Le commencement du mal relève de la responsabilité de
l’homme qui a mal utilisé sa liberté dans un cadre où il a été immédiatement privé de la gloire de Dieu.
– Le mal est donc le résultat d’une décision contre Dieu ou contre Celui ou ceux qui représentent
Dieu. Les Juifs en refusant le salut ont agi contre Dieu et son Fils (Mt 12.39) ; cette décision est celle d’une
génération mauvaise (porneros) placée sous le signe du jugement eschatologique. De même une décision
contre le message apostolique est l’expression mauvaise du cœur de l’homme impie (2 Tm 3.13; 2 Th 3.2).
Séparé de (en opposition avec) Dieu, les hommes accomplissent des œuvres mauvaises (Col 1.21-22; 2. Tm
4.18). Pour l’apôtre Jean, être pour les ténèbres contre la lumière conduit au mal. Ce qui se qualifie de
porneros est contre Dieu et traduit l’attitude fondamentale du pécheur. D’où la prière dominicale – délivre-
nous du mal – qui est la prière de l’homme qui reconnaît le caractère réel du mal.
– Eschatologie du mal. Si Dieu ne peut pas être considéré comme la cause du mal, il existe
cependant un certain rapport entre Dieu et le mal. Le mal existe, mais la gloire de Dieu se manifeste dans et
par le péché de l’homme. Le mal contribue à la venue du Royaume de Dieu. Le sens et le non-sens du péché
se manifeste dans le jugement de Dieu qui détruit le péché. On le voit dans l’Ancien Testament. Le mal, qui
est une punition de Dieu à cause du péché apostat, est envoyé par Dieu afin d’orienter (d’inciter) son peuple
vers le (au) bien. Le chemin de l’opposition à Dieu est celui du jugement, mais par ce jugement, Dieu
cherche la paix. Il y a comme une sorte de cycle:
Culpabilité sainteté de Dieu maux miséricorde de Dieu.
Dieu envoie le mal et en délivre. (Job 2.10! Juges….). Ce cycle est la clef qui permet de comprendre la croix
où Dieu, dans sa justice applique notre péché sur son Fils qui en meurt afin de vaincre le péché. Dans un
certain sens, le mal existe en raison de la volonté bonne de Dieu, non par nécessité ni de façon immédiate,
mais avec pour but ultime la gloire de Dieu.
Pour décrire cela, la théologie a souvent eu recours à des distinctions très fines. Dieu ne veut pas le
péché en tant que tel, mais il permet que le mal soit. Dieu est la cause négative du péché, la causa per
accidens du mal; la cause réelle est en l’homme. Ces distinctions vont peut-être trop loin (ceci est à reprendre
au moment où l’étude du conseil de Dieu sera faite). Pour le moment, retenons l’affirmation difficile que le
mal n’échappe pas à la volonté de Dieu mais que, de façon mystérieuse pour nous, il sert la volonté de Dieu
et son Royaume. Cette affirmation n’a pas à être prouvée; elle ressort avec évidence de l’Ecriture (Ac 2.23).
Conclusion
Dieu n’est pas l’auteur du mal. Nous sommes responsables. Dieu utilise le mal pour le
vaincre.
iv) Quelques réflexion pratiques
– Le lien entre la souffrance et la condition de déchéance peut être salutaire. La douleur
physique peut avoir pour effet de nous faire nous écarter d’une action mauvaise dirigée contre nous-
mêmes ou contre notre prochain. La souffrance étant liée au péché, la conséquence du péché est
douloureuse pour nous, non seulement à cause du mal ressenti, mais aussi parce que cela nous éclaire
sur l’anormalité de notre état. La souffrance est un témoin sombre de la rupture qui est intervenu
avec Dieu et un appel négatif à la réconciliation.
– La souffrance peut, dans certains cas, être liée au péché comme une sorte de rétribution
Elle est non seulement une avertissement mais une punition. Si l’homme est libre et responsable de
ses actes, la rétribution est un droit pour le Seigneur. Comme on le voit dans l’Ancien Testament, le
jugement de Dieu est un appel adressé aux hommes d’avoir à reconsidérer la miséricorde divine.
Autrement dit, la souffrance remet en question la bonté ou l’amour de Dieu seulement là où nous
adoptons une conception frivole à leur égard. La profondeur de l’amour de Dieu est telle que la
souffrance et la punition ne sont pas éliminées. Christ est la manifestation concrète de cette vérité
profonde. L’amour de Dieu est exigeant et jaloux.
– L’homme est constitué de telle sorte que la souffrance est limitée en intensité et en durée.
La souffrance humaine est limitée. (Lewis)
– La souffrance n’est jamais bonne en elle-même. Ce qui est positif dans la souffrance, c’est
notre manière de la reconnaître et de l’accepter comme expression de la volonté divine. Ce qui est
mauvais en elle est tourné en bien pour nous au sens le plus profond de notre être. La souffrance
nous oblige à reconnaître Dieu comme notre seul bien et notre seule espérance. Le péché et le mal,
ce qui s’oppose à Dieu, contribuent de façon mystérieuse au bien. Ce qui est mauvais en soi peut être
utilisé par Dieu comme moyen de grâce pour nous. Dans la souffrance, Dieu nous sanctifie et scelle
notre foi. Les expériences les plus éprouvantes, celles qui incitent les hommes à maudire Dieu, sont
sanctifiantes, fortifient la foi et suscitent en nous l’humilité et les autres fruits de l’Esprit. La plus
grande bénédiction que Dieu puisse accorder à quelqu’un est de le soumettre au mal qui, loin de
l’anéantir, tourne en bien dans la foi. C’est là la vraie victoire de la foi: pouvoir regarder le mal en
face et l’utiliser pour la gloire de Dieu et l’édification du prochain. C’est ce qu’a fait le Christ en
acceptant de mourir pour nous. Notre bien suprême est venu par sa souffrance, et si Dieu veut que
nous expérimentions la souffrance à notre tour, c’est ultimement pour nous bénir.
– Cette dernière pensée débouche sur la conclusion qui est de nature eschatologique. La
souffrance, le mal sont temporaires et doivent, un jour, succomber par la puissance de Christ.
L’amour et la toute-puissance de Dieu seront eschatologiquement validés.
IX L’IMAGE DE DIEU DANS LES THEOLOGIES MODERNES

La nature de l’humanité pose un problème. L’avancée rapide des sciences a fait éclater les idées reçues. Il
semble, à présent, plus facile de se prononcer sur ce que l’humanité n’est pas que de marcher sur la glace
fragile des définitions hardies. M. Foucault n’a-t-il pas suggéré que la notion d’« homme » n’a rien
d’immuable ? Elle serait une invention moderne destinée à disparaître, balayée par les vagues du temps
comme un château de sable sur la plage.

Notre sujet invite à une humilité certaine, car il est difficile de définir précisément ce qu’est l’image
de Dieu en l’homme. Les discussions théologiques à ce sujet, anciennes ou récentes, semblent échouer sur
les récifs de mille qualifications et distinctions, y compris dans les tentatives les plus rigoureuses.

Devant le souhait d’avoir une vision claire de l’image, une image photographique, il faut faire le
triste constat que nous ne disposons de rien de tel, malgré la facilité avec laquelle les théologies ont utilisé le
terme « image de Dieu ». Pourtant, à ce sujet, H. Bavinck a pu affirmer, dans sa Dogmatique, au début du
siècle dernier, que « l’essence de la nature humaine est d’être (créé) à l’image de Dieu ». Mais pouvons-nous
aller plus loin et préciser ce qu’est cette essence? Projet hasardeux !

Pourquoi éprouve-t-on quelque embarras, aujourd’hui, à propos de l’image ? Il semble que des
définitions évidentes et acceptables sur l’image du Dieu, sur la nature humaine, héritées des théologies ou
des philosophies classiques, appartiennent à des époques où il y avait une certaine stabilité sociale
caractérisée par des rôles clairement définis. Il en est ainsi de la question du masculin/féminin humain par
rapport à l’image de Dieu, question qui n’a guère été abordée pendant presque 2000 ans de christianisme.
Aucune démonstration n’était à faire. L’appui de quelques textes bibliques ou de traditions suffisait alors.

Les définitions évidentes de l’image de Dieu se sont effondrées au cours de la tragédie humaine que
représente le XXe siècle.

En bref, dans la théologie chrétienne, toutes tendances confondues, on est passé d’une définition de
l’homme s’appuyant sur une certaine ontologie à une définition plus fonctionnelle de l’humanité sous
l’influence de M. Buber, d’E. Brunner, de K. Barth ou de K. Rahner, avant d’arriver à une approche
simplement fonctionnelle de l’image. Nous en sommes, maintenant, paraît-il, à la déconstruction de la notion
de l’humanité. Cette vision pessimiste quant aux universaux est compréhensible après le siècle le plus
meurtrier de l’histoire. Enfin, le bouddhisme vient exercer son influence en Occident avec des ouvrages
comme Le moine et le philosophe et la notion que l’homme n’est qu’un assemblage de « tas ».

Comment dire, désormais, l’homme, l’humanité, l’image de Dieu ? Nous sommes dans l’embarras,
sans être trop décontenancés cependant. Pour deux raisons :
– Comme J. Frame l’a récemment indiqué, nulle part la Bible ne nous propose une définition de
l’image de Dieu. Ce fait même peut nous conduire à une réserve bénéfique quant aux définitions trop
massives, qui ont été acceptées dans le passé comme des évidences dans des systèmes théologiques où les
angles étaient nets. Cette prudence peut être utile...
– Les déconstructionismes nous remettent en question : avons-nous, en tant que chrétiens, une vision
de l’homme comme humain qui s’applique à notre monde ? L’islam en a une, certes ! Mais en quoi la vision
chrétienne se distingue-t-elle du relativisme ou du scepticisme ambiants ?

Dans ce qui suit, le fil conducteur sera le suivant : parler de l’image de Dieu, c’est essayer
d’élucider ce qui est constitutif de l’humanité en tant que telle. Nous nous proposons, donc, d’aborder, de
façon schématique, les points ci-après :
– L’image de Dieu : quelques approches ;
– L’image de Dieu : le poids de l’histoire ;
– Quelques propositions pour une construction théologique ;
– Une perspective théologique avec des axes pratiques.

1. L’image de Dieu : quelques approches

Dès son premier chapitre, l’Ecriture nous dit que l’homme est créé à l’image de Dieu. Je ne pense
pas que nous puissions, aujourd’hui, vraiment mesurer à quel point cette affirmation, replacée dans son
contexte historique et culturelle, est étonnante.

Quel est le sens de cette expression ? Evidemment, il s’agit d’un usage métaphorique, car l’homme
n’est pas semblable à une reproduction de Dieu à taille inférieure, comme celle de César sur la monnaie
romaine.

Une interprétation envisageable est que l’homme est le reflet de Dieu ou la représentation
substantielle de sa réalité, de son essence. Cette notion ne permettrait pas, de prime abord, d’expliquer
comment la corporalité de l’homme peut appartenir à la ressemblance de Dieu. Une autre proposition est que
l’image n’est pas un duplicata, une copie de Dieu, mais une correspondance de la réalité divine sur le plan du
créée. Ainsi, par exemple, l’homme se déterminerait et se transcenderait dans sa liberté, à l’image de celle de
son archétype céleste. Une autre possibilité serait que l’image est une représentation visible d’une réalité
invisible. M.G. Kline a indiqué la place des statues cultuelles comme représentations de la puissance du
suzerain dans le Moyen Orient ancien. Ainsi comme image de Dieu, l’homme serait investi d’une fonction
de représentation dans la création en tant que prophète, prêtre et roi. Ici, l’accent tombe sur la vocation dont
l’homme est investi. J. Frame peut ainsi dire que « l’image de Dieu embrasse tout ce qui est humain. »

S’il fallait choisir, nous accepterions cette dernière interprétation qui se contextualise bien dans le
milieu culturel de la Genèse. C’est précisément parce que l’homme lui-même est la « statue cultuelle » de
Dieu dans la création, qu’il lui est interdit dans les Dix paroles de se « faire des image taillées ». Tout cela
est cohérent et montre, par anticipation, que l’homme qui trahit cette image devient de ce fait idole lui-
même. Mais là, nous brûlons des étapes !

En effet, l’idée selon laquelle l’image se précise par rapport à la vocation de l’homme s’écarte, sans
doute, plus des interprétations traditionnelles qui définissent l’image comme quelque chose en l’homme,
appartenant à sa nature essentielle. Voyons maintenant ces interprétations.

2. L’image de Dieu : le poids de la tradition théologique

Dans ce qui suit, nous nous limiterons à évoquer quelques-unes seulement des conceptions de
l’image dans la tradition théologique du christianisme.

2.1. L’Orthodoxie

J. Barr a indiqué que, selon les lois du parallélisme hébraïque, et contrairement aux distinctions de la
théologie de l'Eglise Orientale, les mots tselem et demuth, image et ressemblance, sont synonymes. Mais
depuis Origène et jusqu’à Athanase, les Pères ont utilisé cette distinction pour dire que l’homme, créé à
l’image de la divinité doit conquérir la ressemblance avec elle. Ce qui a été fait par l’Incarné. Si les
fondements de l’anthropologie Orthodoxe sont exégétiquement critiquables, elle a l’avantage de rendre
centrale l’incarnation et de montrer qu’une eschatologie a été instaurée avec la création, thème repris dans la
théologie de l’alliance dans le protestantisme. Christ accomplissant, dans sa vie et sa mort, la ressemblance à
Dieu.

2.2. Le catholicisme romain

La position de l’onto-théologie est devenue, à travers la Somme de Thomas d’Aquin, la position


Catholique romaine. Ici, la notion de l’image concerne la nature de l’homme dans la création, avec des dons
spéciaux (donum superadditum naturae) qui permettent à l’homme créé d’accomplir sa tâche. L’image est
surnaturelle, l’homme étant devenu naturel a perdu ses qualités plus que naturelles. Ces dons étant enlevés,
l’homme retombe dans une situation de pure nature ou de la lutte de la concupiscence, dans laquelle la chair
lutte contre l’esprit. Les sacrements restaurent les dons de sainteté en l’homme.

Cette position présentent les inconvénients :


– de favoriser une opposition chair/esprit, nature et grâce ;
– d’interpréter l’image et l’humanité à la lumière de la philosophie aristotélicienne de l’Etre.
J. Maritain peut écrire :
« La métaphysique s’élève... au-dessus de l’agnosticisme et du rationalisme ; montant à partir de
l’expérience jusqu’à l’Etre incréé, elle rétablit dans l’esprit humain la juste hiérarchie des valeurs
spéculatives, commence en nous l’ordre de la sagesse. »

L’avantage de cette position est de valoriser la notion de Loi naturelle par rapport à la création et
d’indiquer le caractère normatif de la loi pour la création.

2.3. La Réforme classique

La Réforme classique définit l’image de Dieu à la lumière d’une notion de conformité à Dieu. Cette
conformité n’est pas naturelle ou surnaturelle, mais éthique. Nous pouvons voir ce qu’était l’image par ce qui
a été perdu et ce qui est restauré en Christ : la justice, la sainteté et la vérité (Col 3.10, Ep 4.24).

Dans la création, le fait que l’homme est créé à l’image veut donc dire qu’il est créé « dans la
sainteté, la justice et la vérité », mais dans une situation eschatologique du posse peccare. Ainsi on a
généralement indiqué que l’image de Dieu a trois aspects : formel (l’essence spirituelle de l’âme humaine),
matériel (les facultés humaines – la sainteté originelle dans la justice, la connaissance et l’amour) et, en
conséquence, le dominium d’Adam. A la Chute, l’image a été dépravée jusqu’à l’effacement – comme
Calvin peut l’affirmer – dans le sens matériel, le sens restreint et dans le sens de la vocation l’homme qui est
de servir Dieu comme son représentant de Dieu dans la création. Calvin précise :
« Bien que nous confessons l’image de Dieu n’avoir pas été entièrement anéantie et éffacée en
lui, cependant elle a été si fort corrompue, que tout ce qui en est de reste est une horrible déformation... »

L’homme reste, de par sa nature, un homme à l’image de Dieu. Une telle distinction peut déjà être critiquée
comme « scolastique », car il est difficile, chez l’homme, un être caractérisé par une unité psychosomatique,
de dire où le formel s’arrête et où le matériel commence...

L’avantage de cette position est de permettre d’affirmer que l’homme reste toujours un homme à
l’image de Dieu, avec la dignité que cela implique, dans la sainteté de la vie humaine, par exemple, et ce
même après la Chute.

Son désavantage est que la distinction entre le formel et le matériel, entre la nature et la personne est
difficile à décrire dans son contenu. Les critiques de la position classique, tel que G.C. Berkouwer, s’en
donneront à cœur joie ; ils exploiteront les faiblesses de la position sans, nécessairement, pouvoir mieux faire
eux-mêmes.

2.4. Le virage théologique du XXe siècle

Le XXe siècle présente une nouvelle approche avec l’arrivée de l’existentialisme et de la


phénoménologie en philosophie et en théologie. Nous pourrions l’appeler, de façon simpliste, « fonctionnelle
». On se préoccupe moins de la nature et plus des fonctions de l’humain pour définir l’image de Dieu. E.
Brunner, avec ses ouvrages Natur und Gnade (1934), Der Mensch im Widerspruch (1937) et sa Dogmatique,
présente une sorte de passerelle entre ce qui précède et ce qui va suivre.

K. Barth ouvre la brèche et d’autres s’y engouffreront. Nous considérerons quatre « cas » à titre
d’illustrations, sachant que notre description ne peut pas faire justice à la richesse de pensée de ces
théologiens :

2.4.1. Brunner veut maintenir, dans sa Dogmatique, la distinction classique entre l’image intacte et
ses restes. En ceci, il est augustinien comme les Réformateurs. Cependant, il affirme que la création est
supra-historique et que la Chute est historique – donc, il n’y a pas de justice originelle, ni de loi humaine
pour la création... L’expérience de l’homme, de chaque homme, commence avec le péché... l’influence de S.
Kierkegaard est tangible dans cette formulation.

2.4.2. Barth introduit un accent différent dans sa construction de la doctrine et montre ainsi
l’originalité de sa pensée, qui sera incontournable par la suite. Nous allons nous efforcer de la décrire, dans
sa complexité, en seulement quelques coups de pinceau très insuffisants. La différentiation sexuelle humaine,
contre l’androgynie des grecs, se trouve enracinée dans l’imago Dei. Genèse 1.27b est un commentaire de
1.27a. L’image de Dieu est, depuis le départ, mutualité et réciprocité. Dieu est en relation, et il en est donc
ainsi pour l’homme. L’humanité est partagée par une décision de Dieu, parce que Dieu a décidé d’être un
Dieu pluriel. Ainsi, il y a une analogie, analogia relationis, entre le Dieu trinitaire et l’homme, mâle et
femelle. L’homme trouve ainsi son existence dans la différentiation, comme homme et femme. Il s’agit, dit
Barth, d’une analogie entre Dieu dans ses relations trinitaires, un et multiple, et l’homme créé. Mâle et
femelle constituent donc un mode de l’image de Dieu.

Voici maintenant le problème dévoilé par des commentateurs de Barth. Même s’il s’agit d’une
analogie et si les personnes sont égales dans la Trinité, il y a un ordre dans la nature divine, Père, Fils et
Saint-Esprit, qui accorde la primauté au Père. Si l’homme est créé à l’image de Dieu, cela implique, selon
l’analogie trinitaire, un rapport homme et femme avec une primauté et une subordination. Nous pouvons
schématiser :
• Dieu, le Père le Fils et le Saint Esprit sont égaux dans la nature ;
• Dieu, le Père le Fils et le Saint Esprit sont différents dans leurs fonctions.
Au niveau de l’image de Dieu, cela veut dire que :
• l’homme et la femme sont égaux en ce qui concerne leur nature créée ;
• et différents dans leurs fonctions.

Cela implique la subordination personnelle de la femme par rapport à l’homme, car sur le plan
personnel le Fils est subordonné au Père. Les post-barthiens essaient de « rectifier le tir », même du côté
évangélique. P. Jewett affirme qu’il n’y a pas de hiérarchie en Genèse 1 et 2 et qu’il n’y a pas de rôles
supérieur et inférieur dans la création. La femme n’est pas inférieure mais différente.

2.4.3. La proposition de Barth – à savoir que l’image de Dieu existe dans les relations entre l’homme
et la femme à l’image de la Trinité – si elle a le mérite de faire entrer la question de la relation sexuelle dans
les débats sur l’image de Dieu, n’est pas sans ses critiques, qui deviendront plus nombreux avec le
développement des théologies féministes. Cette proposition est trop étroite et réduit les rôles masculin et
féminin au mariage, un homme et une femme (le titre célèbre du film de C. Lelouche est de l’époque), et
peut être taxée de «bourgeoiserie»...

J. Moltmann a profité de l’approche de Barth, mais a redéfini l’image de Dieu en l’homme comme
étant à l’image de la Trinité sociale. Moltmann construit sur la perspective de Barth tout en étant critique des
théologies de la « monarchie » du Sujet absolu, et dit que la Trinité est une communauté. Dans leur livre
Dieu homme et femme, E. et J. Moltmann affirment que, contrairement à l’équivalence entre monothéisme et
souveraineté de Dieu, il faut comprendre que, dans la Trinité, Dieu est une communion. La doctrine de la
Trinité devient un modèle de « communautarisme » dans les livres suivants de Moltmann. Le modèle de
Barth et Cie., relèverait de la patriarchie. L’homme est toujours dessus, la femme dessous. Dans son livre
Man as male and female, P. Jewett arrive à la même conclusion. Il faut dépasser, dit-il, dans l’appréciation
de l’image de Dieu, les modèles qui font perpétuer la structure de subordination avec un supérieur et une
inférieure, comme elle est présenté par Barth et Brunner.

2.4.4. Si l’image de Dieu chez Barth comprend le masculin/féminin et si, chez Moltmann, il s’agit
d’une réalité communautaire, la contribution de C. Gunton, dans ses conférences sur « Christ et la Création
», cherche à ouvrir des perspectives plus larges. Il manifeste le souci de parler de l’image de Dieu en rapport
avec la rédemption, mais aussi dans un contexte écologique. La façon dont Gunton élargit le modèle
fonctionnel de Barth, pour qu’il devienne un modèle pleinement relationnel, est stimulante. Les mots
related, relatedness, utilisés sans modération par Gunton, sont difficiles à traduire en français, (« en relation
avec », « relationalité »), mais pour lui l’image de Dieu en l’homme existe dans son « rapportalité » avec
tout ce qui existe. Il s’agit, non seulement du rapport homme-femme, mais aussi du rapport social et du
rapport écologique. Gunton cherche à définir l’humanité par rapport à tout ce qui existe, y compris le rapport
à soi et le rapport au monde. Cette approche qui élargit la notion de l’image aux rapports globaux de
l’homme avec toute la réalité, y compris l’écologie, offre une tentative de réponse aux soucis de nos
contemporains.

***
Les forces du point de vue fonctionnel résident dans sa volonté de placer la notion de l’image de
Dieu dans notre contexte actuel. Il ne faut certes pas confondre les différents points de vue que nous avons
présentés. Leur diversité est à l’image du pluralisme théologique ; aussi est-ce difficile de leur trouver un
dénominateur commun. La faiblesse de Barth et un problème de l’approche fonctionnelle ont été indiqués sur
le plan exégétique et théologique :

1. M.G. Kline, dans son livre Images of the Spirit, offre une critique fondamentale de la position de
Barth sur Genèse 1.27. Kline dit que la référence à masculin/féminin ne peut pas y présenter l’essence de
l’image de Dieu pour les raisons suivantes :
i) la dualité sexuelle n’est pas mentionnée dans l’affirmation de l’intention divine au verset 26 ;
ii) les phrases a et b du verset 27 offrent un parallélisme synonyme, sans l’adjonction de 27c.
27c ne constitue pas un parallèle supplémentaire, mais une description ajoutée qui décrit comment
l’homme est créé à l’image. L’image s’étend à l’homme et à la femme comme en Genèse 5.1ss ;
iii) Selon Kline, 27c et Genèse 5:2a renvoient au contexte des versets 28 et 5.2b, qui présentent la
bénédiction divine comme réponse à la demande de Dieu.

2. P. E. Hughes ajoute deux critiques d’ordre théologique par rapport à la théologie barthienne, dans
un ouvrage original, The true image, en disant lapidairement que « Les relations interpersonnelles dans la
Trinité ne sont nullement d’ordre sexuel ». En plus, « Les relations interpersonnelles dans la société
humaine, si elles sont exprimées de la façon la plus intime dans l’union sexuelle entre le mâle et la femelle, à
laquselle s’attache une sainteté spéciale, ne dépendent pas de la sexualité...»

Ces critiques ne veulent pas dire que les perspectives ouvertes par Barth, Moltmann ou Gunton ne
sont pas utiles pour la formulation de la doctrine de l’image de Dieu aujourd’hui. Au contraire, ils sont très
stimulantes et il faut savoir en profiter. Mais si l’onto-théologie avec ses distinctions s’éloigne du message
biblique de l’image de Dieu, des doctrines « sociales », malgré leur attraction, peuvent être tout aussi
problématiques par rapport au contenu de l’Ecriture, si l’Ecriture ne parle pas effectivement de cette façon.

3. Quelques propositions pour une construction théologique de l’imago Dei

Quelques remarques peuvent être formulées, à la lumière des considérations précédentes, en ce qui
concerne les éléments qui devraient figurer dans la reconstruction d’une doctrine de l’imago Dei. Il s’agit
seulement de quelques thèses, d’une ébauche, et non d’un exposé approfondi.

3.1. La question de l’individualité

Malgré l’attraction des positions de Barth, de Moltmann, de Jewett ou des « doctrines sociales de
l’image », il semble difficile d’éviter le fait que l’image concerne l’être humain dans son individualité.
Comme le dit C. Seerveld :
« Etre créé veut dire être une réalité individuelle, ordonnée de façon cosmique, avec une
différence irréductible, une entité identifiable et re-identifiable parmi d’autres entités
comparables... Cette structure individualisante est une donnée ontique de la création. »

Cette affirmation est importante, non seulement sur le plan anthropologique, mais aussi pour des
raisons christologiques. C’est l’homme qui est à l’image de Dieu en tant qu’individu, et chaque femme et
chaque homme sont à l’image de Dieu en tant qu’entité. Selon Seerveld, cette entité a une base dans la vie, le
souffle, le corps de l’homme, des réalités concrètes sur le plan de la fonctionnalité. La personne dans son
ensemble est un soi orientée, coram Deo, avec un cœur qui constitue la direction de l’individu.

3.2. Nature et personne

La création établit l’homme comme un être avec de multiples fonctions, mais avec un centre, une
nature. L’homme est créé avec une nature, mais aussi comme une personne. Récemment P.E. Hughes et A.A.
Hoekema ont distingué entre la nature de l’homme comme créature et l’homme comme personne. J. Frame
établit une distinction entre l’image comme ressemblance et l’image comme représentation. La ressemblance
de l’image concerne la nature humaine et sa structure, et inclut : la nature humaine comme telle, l’excellence
morale de l’homme, sa capacité éthique, le corps et la différentiation sexuelle, alors qu’en ce qui concerne la
représentation, dans le domaine de la fonction de l’homme-image, il y a une triple fonction de l’homme dans
la création comme prophète, prêtre et roi (avec les « corrélats » d’autorité, de gestion et de présence).

De telles distinctions permettent de distinguer entre la nature de l’homme et son destin, l’homme est
toujours homme après la Chute, mais son destin a franchi un aiguillage étranger à la nature de sa création. G.
Bray a aussi distingué entre la nature humaine, humanitas, qui subsiste malgré le péché, et la personne de
l’homme qui connaît la corruption et la mort.

Pour le dire autrement, par le péché comme destin, ce sont les fonctions personnelles dans le
domaine Moi-toi-monde qui connaissent la rupture par rapport à Dieu et au prochain. L’homme n’a pas
perdu son humanité mais son intégrité. Cette situation est souvent illustrée par le fait qu’après la Chute
l’homme n’est pas devenu comme un animal, même si « l’homme est un loup pour l’homme ». Calvin, par
exemple, peut écrire : « l’image de Dieu s’étend à toute la dignité par laquelle l’homme est éminent par-
dessus toutes espèces d’animaux ».

3.3. La vraie image de Dieu

L’image de Dieu, comme nous l’avons déjà dit, est métaphorique, non pas littérale. Ainsi nous
arrivons à la suggestion intéressante de P.E. Hughes dans son livre sur Christ et l’image de Dieu. Pour
Hughes, la vraie image, la seule, pour ainsi dire, est Jésus-Christ lui-même. C’est parce que le Fils est la
Parole éternelle de Dieu, qu’il est la vraie image de la divinité.

Cette affirmation christologique recherche l’harmonie avec les donnés néo-testmentaires, où, comme
l’affirme H. Ridderbos, le Ressuscité est révélé comme Fils éternel de Dieu, comme celui qui, seul, porte
l’image intègre de la divinité. La question se pose, d’après Hughes, de savoir s’il est possible d’affirmer avec
H. Bavinck ou G.C. Berkouwer que l’homme est l’image de Dieu. L’homme et l’image ne sont pas
identiques. L’homme est seulement, dans la création et dans le renouveau, à l’image de l’image. La vraie
image est la Parole de Dieu, la vraie révélation, le Dieu-homme incarné. L’homme est à l’image de Dieu, par
Christ interposé, de façon dérivée, mais l’Incarné seul se présente comme la vraie image, la représentation de
la divinité. Nous ne sommes pas loin, avec cette formulation de la notion de Parole de Dieu chez Barth ; mais
hésitons avant d’avancer sur ce terrain miné !

L’intérêt de cette suggestion est sa concentration christocentrique, sa conformité au langage du


Nouveau Testament ; il réside aussi dans le fait qu’elle permet d’échapper à maintes disputes scolastiques sur
le contenu de l’image, ses vestiges et la nature ontologique de l’image. Ainsi Hughes peut parler des aspects
de l’image : la spiritualité, la moralité, la rationalité, l’autorité et la créativité de l’homme comme images de
l’image, qui ne sont complètes qu’en Christ de façon personnelle.

3.4. Désexualiser l’image ?

Il n’est pas illégitime, à la lumière de ce qui précède, de désexualiser la notion de l’image de Dieu.
Mais il est impossible d’éviter l’inévitable question de la différentiation sexuelle ! Comment la situer par
rapport à l’image ? Frame situe la différentiation sexuelle au niveau de la nature de l’homme comme image
et ressemblance de Dieu. En réponse à la question « La différentiation sexuelle est-elle un aspect de l’image
de Dieu? » il affirme:
« Oui, parce ce que tout ce que nous sommes est image Dieu. Le point n’est pas que Dieu soit
mâle, femelle, ou les deux. Dire que nos yeux ‘imagent’ Dieu n’est pas dire que Dieu a des yeux, mais
que nos yeux présentent quelque chose du divin. De même, notre sexualité présente des attributs et des
capacités de Dieu. »

La question se pose cependant de savoir si la dualité sexuelle n’est pas à situer plutôt dans le
domaine de la représentation de l’image dans ses aspects fonctionnels et personnels que dans celui de la
nature (ontologique) de l’homme ? L’individualisation qui existe dans l’être humain fait de nous des hommes
ou des femmes, des personnes masculines ou féminines. Y a-t-il une hiérarchie dans le domaine des
personnes avec son corrélât de l’ordination et de la subordination ?

Ici, entre en ligne de compte la critique de la position de Barth. La relation homme-femme à l’image
de la Trinité implique une subordination de la femme à l’homme, même si, à cette même image, ils sont
égaux de nature. Et l’image glisse, dans la pensée de Brunner et de Barth, à la relation mari/femme. Jewett,
par contre, affirme que tous les textes du Nouveau Testament faisant référence à la subordination se réfèrent
à la deuxième narration de la création, non pas à Genèse 1. Dans son contexte, dit Jewett, Genèse 2 ne parle
pas de l’infériorité de la femme, mais de sa relation à l’homme. Il ne s’agit pas de la subordination de la
femme, mais de son « être-ensemble » avec l’homme. Il convient de limiter les dégâts dans un contexte
culturel patriarcal. Paul en tire des conséquences correctes et va plus loin en Galates 3.28. Dans une situation
autre, celle d’aujourd’hui, il est possible de discerner plus librement ce qui est présent, par implication, en
Genèse 2 et Galates 3, c’est-à-dire, l’égalité homme-femme comme image de Dieu. Et ce n’est que dans un
partenariat que l’humanité, homme-femme, est vraiment complète.

Revenons aux textes. Genèse 1.27,28 semble parler de façon générique. Il s’agit de Mensch, Man,
l’Humanité, mais avec une différentiation entre l’homme et la femme. Genèse 2 ajoute des précisions non de
nature ou de structure, mais de fonction et de tâche. La notion de fonctions différentes, même de hiérarchie,
n’est pas contraire à la notion de l’image de Dieu, ou d’une diversité dans la création. Après tout, dans le
Nouveau Testament, les notions parents-enfants/ homme-femme/ maître-serviteur, impliquent une diversité
structurée parmi ceux qui sont tous à l’image de Dieu, dans la création. Et tout cela, en Christ. Cette diversité
existe aussi, par exemple, dans les ministères de l’Eglise.

Mais 1 Corinthiens 11.7 pose un problème, difficile à éviter quant à l’image : «L’homme est l’image
et la gloire de Dieu, mais la femme est la gloire (doxa) de l’homme». Un tel texte est difficile à négocier !
Certains semblent dire que les aspects d’une culture locale sont élevés à un niveau de piété et que l’apôtre
défend cette option par une exégèse rabbinique fautive... Genèse 1.26 ne permettrait pas à l’apôtre
d’argumenter comme il le fait. Mais Paul se réfère-t-il à Genèse 1.26-28 dans ce passage ? Et dans quel
sens ?

J. Hurley donne une explication plausible de ce passage compliqué dans son livre Man and Woman
in Biblical Perspective. Il affirme qu’en Genèse 1, il ne s’agit pas d’une hiérarchie entre l’homme et la
femme, mais entre l’humain et les autres espèces. Des suggestions de subordination ou d’égalité n’entrent
pas en jeu dans ce texte de la Genèse. Ni l’une ni l’autre ne sont en vue. L’apôtre ne discute pas des
questions de dignité ou de valeur personnelles. Ainsi, ce n’est pas Genèse 1.26 en tant que tel qui fonde,
comme texte-preuve, la notion de la primauté de l’homme ; tout le thème du premier chapitre de la Genèse
sert à établir cette perspective. D’ailleurs, l’apôtre remplace le mot eikon ou homoioma du texte grec de la
Genèse (LXX) par doxa. Il n’utilise donc pas les mots mêmes de la Genèse. Il montre cependant l’homme «
image » Dieu par son rôle de « chef ». Parler de « la gloire de » telle ou telle chose c’est indiqeur sa relation
avec l’origine. La gloire est un concept relationnel, et la femme est la gloire de l’homme dans sa relation
avec lui.

Ce passage parle donc de la relation de l’homme et de la femme qui est en conformité avec d’autres
aspects de l’enseignement paulinien, par exemple, Ephésiens 5 et 6. Nous devrions hésiter bien longtemps
avant d’affirmer que c’est une fausse exégèse de la Genèse que donne l’apôtre. Ici, comme ailleurs, Paul ne
parle pas de la nature de l’homme et de la femme, mais de leurs fonctions, de leurs relations.

Certes, ceci ne constitue pas un progrès de nature à nous permettre de comprendre en quoi consiste la
primauté de l’homme et le rapport de la femme à celui qui est « chef ». Des ouvrages récents qui essayent
d’élucider ce mystère relationnel nous laissent sur notre faim. Par exemple, l’ouvrage collectif, édité par X.
Lacroix, Homme et femme. L’insaisissable différence, a un titre approprié, car malgré la multiplicité des
approches présentées, la nature de la relation mâle/femelle reste « insaisissable ». Lacroix cite L. Beirnaert :
« La différence des sexes met en échec le projet de tout anthropologie qui boucle » et ajoute que quand on
cherche à répartir des valeurs et des vertus comme masculines ou féminines, « les qualités masculines et
féminines cessent d’être des particularités ». Ainsi,
« Reçue comme mystère, la différence n’est pas seulement la limite de toute compréhension mais
le lieu d’une révélation. Au-delà du savoir, elle porte la marque de la transcendance, elle est le signe de
l’altérité. Altérité de l’autre d’abord, de ce « tu »rencontré à partir de son noyau de nuit et qui échappera
toujours à mon savoir. Dans une perspective religieuse, cette altérité devient elle-même révélatrice
d’une altérité plus radicale encore, celle du Tiers absolu, Ille, s’indiquant par sa trace dans toute relation
digne de ce nom ».
Et Lacroix de conclure :
« La première chose qui est dit de l’Adam est qu’il est deux : mâle et femelle. Et le Talmud le
confirme : ‘L’homme sans la femme diminue dans le monde l’image de Dieu’. Les deux lettres qui, en
hébreu, distinguent les termes iych et ichah, le yod et le hé, forment ensemble le commencement du nom
de Dieu, yh. Tout se passe comme si l’autre sexe était pour chacun révélateur de la face cachée du
divin ».
Le mystère ainsi défini est insaisissable !

Précisément pour cette raison il ne semble pas inutile de « désexualiser » le débat sur ce qu’est
l’image de Dieu. Hughes résume :
« Contrairement à Karl Barth, nous concluons que la dualité mâle/femelle ne fournit pas la clef à la
compréhension de l’image divine en laquelle l’homme a été formé. Le rapport personne-à-personne
de l’homme avec le Créateur, qui est sans doute un indicateur de cette « image » n’est pas déterminé
par le fait de la sexualité humaine. Il existe indépendamment de la sexualité. Le paradigme parfait de
l’image est l’harmonie interpersonnelle sans faille qui a informé la relation entre le Fils incarné et le
Père céleste car, en son incarnation, le Fils, qui lui-même est l’image de Dieu, a exprimé la plénitude
de la vie en cette image, c’est-à-dire comme notre prochain (fellow man), et cela sans être gouverné
par la question de la dualité sexuelle.»

3.5. Une représentation fonctionnelle

M. G. Kline et C. Gunton ont renouvelé le débat sur l’image de Dieu en se libérant des anciennes
catégories problématiques, de la fixation sur le problème de la dualité sexuelle, et en introduisant de
nouvelles perspectives exégétiques ou théologiques. Kline considère que l’image de Dieu est une investiture
pour que l’homme règne sur la terre, sous la présidence de l’Esprit de Dieu. Dieu se révèle dans la création
par l’Esprit comme Alpha et Oméga. « Dieu a créé l’homme à la ressemblance de la Gloire pour être un
temple (spirituel) de Dieu dans l’Esprit ». L’exégèse de Kline est difficile à suivre. On peut la
considérer comme une forme de midrash protestant qu’il faut méditer, mais dont le sens n’est pas toujours
clair. L’important est que Kline considère l’image de Dieu comme l’investiture de l’homme, son onction,
pour être prophète, prêtre et roi dans la création. Cette notion fonctionnelle de l’image serait à développer.

C. Gunton, quant à lui, encourage à une réflexion, dans son livre Christ and Creation, en proposant
un modèle dynamique de l’image en l’homme par une éthique du sacrifice. En s’appuyant sur Romains 12.1,
il propose que le service chrétien se focalise sur le sacrifice et que l’image de Christ se réalise par le
sacrifice. Notre relation avec Dieu, par le Christ, est restaurée par cette éthique, qui concerne ce que nous
faisons de nos personnes et ce que nous faisons du monde comme création.

3.6. Conclusion

Pour renouveler notre définition de l’image de Dieu, il convient de prendre en compte la nature
fonctionnelle de l’homme qui est :
• identitaire : l’homme est un individu personnel face à Dieu ;
• non-dualiste : l’homme est un être un, qui n’a pas de parties « chair et esprit » ;
• christocentrique : Christ est la seule vraie image de Dieu par son incarnation ;
• dynamique : l’homme est appelé, de façon éthique, à accomplir son destin de créature.

4. Une perspective théologique sur les grands axes Création, Chute, Rédemption

Si nous laissons de côté le travail prodigieux de J. Moltmann dans ses livres sur la Trinité, le
royaume de Dieu et la création, le penseur récent, qui nous incite le plus à réfléchir à l’image de Dieu, est C.
Gunton, qui a le mérite de relever ce défi en méditant sur la complémentarité qui existe entre création,
christologie et rédemption.

Pour Gunton, l’image de Dieu est trop restreinte chez Barth en tant qu’expression de la relation
masculin/féminin. La Trinité est une expression de la « relationalité dans l’altérité » (relatedness in
otherness) de Dieu et de l’homme. Etre à l’image de Dieu est une dynamique personnelle mais aussi non-
personnelle, qui caractérise l’humanité. Voici la définition de Gunton: « Etre à l’image, c’est être appelé à
représenter Dieu dans la création et la création en Dieu pour que la perfection soit atteinte ». Après la Chute,
cela est possible uniquement par Christ et le « reordering » accompli en sa personne et son œuvre.

La distorsion de l’image concerne donc le rapport qui existe entre la personne et Dieu, entre les
personnes et entre la personne et le monde. La restauration de l’image est la libération, par le sacrifice de
Christ, des relations déformées. Ainsi l’homme devient à nouveau à l’image de Dieu par rapport au Créateur,
aux autres et au monde. Il existe, dans le message biblique, tout un dynamique de restauration, centrée sur
Christ et animée par lui vis-à-vis de nous-mêmes, des autres et du monde. Le rétablissement de l’image est
globale, même si elle n’est pas encore entière, dans ce monde, avant le retour de Christ. Nous sommes
reconnaissants à Gunton d’avoir mis tant de choses en place et d’avoir formulé une eschatologie chrétienne
qui inclut le centre christologique et la réalité anthropologique.

Quel est donc le rapport entre Adam et Christ, entre la création, la christologie et la rédemption ? Et
nous abordons ainsi la vieille question : Christ est-il à l’image d’Adam, ou Adam est-il à l’image du Christ ?
Andreas Osiander, un théologien luthérien, a publié, en 1550, deux traités spéculatifs intitulés : Le fils de
Dieu se serait-il incarné, si le péché n’était pas entré dans le monde ? et Ce qu’est l’image de Dieu. Calvin
refuse le débat en ces termes : cette question n’est pas une question profitable ; il refuse d’entrer dans la
logique que Christ se serait incarné même si Adam n’avait pas péché.

Est-ce qu’Adam est à l’image de Christ ou Christ à l’image d’Adam ? Dans l’Ecriture, la question du
rapport entre l’anthropologie, la christologie et la rédemption ne reçoit pas de réponse théologique formelle
et précise. Leur rapport est un modèle théologique élaboré en un synthèse d’ensemble à partir d’éléments qui
ont un caractère historique et non celui d’un traité de logique philosophique.

Même dans le Nouveau Testament, il n’est pas question d’une structure humaine continue,
l’humanité, qui serait l’image de Dieu ; il y est traité primordialement d’Adam et de Christ, les deux chefs de
l’humanité. Et, en cela, l’intérêt renouvelé pour la théologie alliancielle de la post-Réforme permet de
dépoussiérer certaines catégories théologiques utiles. Il existe, selon la théologie alliancielle, entre Dieu et
l’humanité une alliance des œuvres, de la nature, ou de la vie, qui fournit les conditions du renouveau de
l’alliance de grâce. La notion de fédéralité permet de restituer l’image de Dieu dans le cadre des alliances
historiques, qui ont leur unité dans le plan éternel de Dieu, appelé « alliance de la rédemption », où le Christ
figure comme médiateur entre Dieu et l’homme, en vraie image de Dieu. C’est précisément à cause de ce
plan supra-historique que nous sommes des hommes-images de Dieu dans l’espace-temps, Christ ayant
accepté d’être le médiateur de la rédemption. Il est ainsi l’agneau immolé avant la fondation du monde...

Son acceptation, de toute éternité, de venir comme médiateur et sauveur historiques, peut seule «
composter » notre humanité de créatures et faire que nous soyons des personnes à l’image de Dieu, avec un
destin intimement associé au deuxième Adam. Nous sommes des hommes, au sens générique, déchus en
Adam, renouvelés en Christ, parce que, lui, « l’image du Dieu invisible » a accepté de devenir homme pour
nous sauver, selon le plan éternel de Dieu (Col 1.15, 2 Co 4.4). Ces dernières textes
« ne font pas de différence entre l’image et l’essence du Dieu invisible... Par sa participation en
Christ l’homme a regagné l’image destinée pour lui ».

A part quelques textes isolés du Nouveau Testament, comme Jacques 3.9, qui parlent de l’homme
comme image de Dieu, l’image et sa restauration sont presque toujours associés à Christ et à la nouvelle
communauté qu’il introduit. Tout est compris dans le en Christo. Disons que la christologie et l’œuvre de la
rédemption ne mettent pas en place une nouvelle structure humaine, ni ne créent une autre image ex nihilo.
La rédemption en Christ n’est que le renouveau, dans son humanité incarné, de ce qui existe dans la création,
avec la promesse eschatologique de la nouvelle humanité dans la nouvelle création.

Il y a donc deux chefs de l’humanité, Adam et Christ. En Adam, nous sommes perdus, mais en
Christ, à cause de son investiture comme prophète, prêtre et roi, et en tant que représentant la vraie image de
Dieu, la création trouve son renouvellement dans le corps de Christ, dont le croyant devient membre. Jésus
Christ est la vraie image, la ressemblance parfaite de Dieu, comme homme, dans son obéissance active et
passive. Ainsi, tout est récapitulé en Christ, passé, présent et à venir.

Une conclusion provisoire


L’image humaine de Dieu existe en relation : ou en Adam ou en Christ, et en eux, elle existe en
rapport avec le prochain et les autres créatures. Dans le Nouveau Testament, l’image se rapporte
primordialement à la communauté nouvelle en Christ. Là existent des hommes et des femmes recréés par
l’Esprit à l’image de l’Image, dans une dynamique eschatologique de progrès et d’espérance. Les structures
fondamentales de la création participent ainsi au renouveau des choses anciennes sans les anéantir.

Fin

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