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La Passion Du Negatif Lacan Et La Dialec
La Passion Du Negatif Lacan Et La Dialec
Lacan et la dialectique
Vladimir Safatle
5
A Sandra, devant qui les mots de reconnaissance sont toujours trop faibles
À Valentina, qui est née avec ce livre
Et, surtout, à Bento Prado Júnior (in memorian),
Avec qui j’ai tout commencé
7
Table de matières
Introduction, 15
Une expérience dialectique, 17
Sur le besoin de soutenir l'impératif de reconnaissance, 21
La résistance de la catégorie de sujet, 24
Une synthèse non-totalisante: penser à travers des constellations, 28
La dialectique entre conceptualisation et formalisation, 30
Considérations finales pour l’introduction, 33
Chapitre IV: L'acte au-delà de la Loi: Kant avec Sade comme point de
torsion de la pensée lacanienne
États de lieux: vers le désir de la Loi, 137
L'intersubjectivité entre Kant et Lacan, 142
La Loi morale est le désir en état pur, 145
Das Ding, das Gute et la jouissance au-delà du plaisir, 148
Le piège sadien, 153
Acte et division subjective, 156
Est-il possible de juger l'acte? 159
Bibliographie, 320
10
Les citations de l´oeuvre de Lacan seront indiqués par S (pour les séminaires
suivie du volume), E (pour les Ecrits), AE (pour les Autres écrits) e PPRP
(pour De la psychose paranoïaque dans son rapport à la personalité). Dans
le cas d´Adorno, TE indique Théorie esthétique et DN Dialectique négative.
Dans le cas de Hegel, PhE indique Phénoménologie de l´Esprit (dans la
traduction de Jean Hyppolite).
11
1
LACAN, S XVI, p. 272
12
Préface
déterminé par sa place dans une structure. Il est donc affronté au rien dont il
est l’effectuation. Et on ne sort des illusions de complétude que par ce que
Lacan nomma le désir pur, seule façon pour un sujet de se désidentifier
d’une chaîne constitutive mais aliénante. Or cette pente de la pensée de
Lacan n’est corrigée, justement, que par son insistance sur l’importance de
l’objet : objet du désir, lié encore à une configuration signifiante, mais aussi
objet de la pulsion, à laquelle l’analyste ramène l’analysant, lui permettant
par là de traverser l’idéalisation de l’amour de transfert. Le moment
structuraliste n’était donc qu’un moment, dont l’importance de l’objet, cause
du désir, prélevé sur l’Autre et pourtant opaque car inassimilable, libère.
Le trajet d’Adorno est tout différent : l’expérience de la création
artistique est pour lui ce qui libère des illusions d’une reconnaissance
intersubjective dont J.Habermas et A.Honneth espèrent encore pouvoir tirer
une théorie de la socialité. Un artiste s’identifie avec ce qui ne peut pas être
lui dans ce qu’il crée. Même, il fréquente l’impersonnalité des choses et la
dureté de l’inanimé, car cela seul permet le séjour, sans la recouvrir d’un
voile d’harmonie, dans l’étrangèreté du monde social de la modernité. Toute
problématique de la reconnaissance interhumaine qui fait l’économie de
l’opacité des choses, de la nature, des matériaux, ne peut que reconduire un
rationalisme instrumental qui aliène l’homme des sociétés contemporaines
en niant ce moment fétichiste et magique de notre condition. Seul l’art
reconnaît ce fétichisme de l’objet et le transforme en oeuvre au lieu de le
laisser déployer dans la réalité économique et sociale ses effets
universalisants et aliénants.
Lacan se bat contre l’existentialisme et les philosophies de la
conscience, Adorno se bat contre une philosophie de la communication, pâle
écho de la philosophie kantienne de l’universel comme horizon de la
reconnaissance.
Le travail de Vladimir Safatle donne envie de poursuivre dans la
direction qu’il dessine: si des problématiques aussi différentes peuvent
finalement aborder une « même » question, c’est que Lacan comme Adorno,
malgré tout, se confrontent à Hegel.
Ce dernier, en effet, n’a jamais réduit le droit à la mise en forme
langagière de l’agir communicationnel, toute reconnaissance passe non
seulement par la médiation, mais il faudrait dire, - en lisant V.Safatle - par
l’opacité des objets. On retient généralement, dans la tradition marxiste de
lecture de Hegel l’idée que l’histoire, c’est la transformation sociale de la
nature. La nature travaillée est alors ce qui doit être « spiritualisé » pour que
l’esprit devienne réel. Et la matérialité est le simple instrument de la
médiatisation.
14
Monique David-Ménard
Introduction
2
FREUD, Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse, Paris: Gallimard, p. 110
16
Au-delà, les énoncés hégéliens, même à s'en tenir à leur texte, sont propices à dire
toujours Autre-chose. Autre-chose que corrige le lien de synthèse fantasmatique,
tout en conservant leur effet de dénoncer les identifications dans leurs leurres3.
Car cette 'Autre-chose' dite par les énoncés hégéliens serait, en fait,
la condition pour la réalisation:
D’un révisionnisme permanent, où la vérité est en résorption constante dans ce
qu’elle a de perturbant, n’étant en elle-même que ce qui manque à la réalisation du
savoir4.
6
En ce sens, Badiou, qui reconnaît clairement que "Lacan est dialecticien", nous donne une
formule précise. Selon lui: "Ce défaut de tout critère, qui soustrait la vérité au principe
d'adéquation ou tout aussi bien de certitude, donne à la pensée de Lacan sa touche sceptique.
Mais on dira aussi bien que, représentant la vérité comme processus structuré et non comme
révélation première, elle lui donne sa touche dialectique" (BADIOU, Lacan et Platon in
MAJOR (org.), Lacan avec les philosophes, Paris: PUF, 1992, p. 137).
21
11
En ce sens, voir, par exemple, la façon dont Jacques Alain-Miller s'en sert du concept
lacanien d'apparole, dont le dévoilement nous aménerait à la fin de l'analyse: Pour lui,
"L'apparole, c'est ce que devient la parole quand elle est dominée par la pulsion et qu'elle
n'assure pas communication mais jouissance". Une telle dichotomie entre la jouissance de
l'apparole et le dialogue montrerai comment: "au niveau où il s'agit de l'apparole, il n'y a pas
de dialogue, il n'y a pas de communication, il y a autisme. Il n'y a pas l'Autre avec un grand
A" (MILLER, Le monologue de l'apparole, La cause freudienne, n. 27, 1994, p.13). La
formule est tres intéressante à cause de son caractère courageux. et il est possible que Miller
n'ait pas tort d'indiquer cette tendance dans certains écrits de Lacan. Mais nous pouvons nous
demander s'il ne s'agit là que d'un moment (le moment de la disjonction) dans un mouvement
de subjectivation qui surmonte cette jouissance muette dans une parole rénouvellée.
Rappellons, par exemple, qu’en parlant de la destitution subjective propre à la fin de
l’analyse, moment où nous pouvons atteindre le niveau de l’apparole, Lacan soit obligé
d’insister que : « De toute façon cette expérience ne peut pas être éludée. Ses résultats doivent
être communiqués » (LACAN, AE, p. 255)
23
14
S’il n’est pas un livre sur le rapport entre Lacan et Adorno, c’est parce que j’ai voulu
surtout montrer les mouvements internes à la pensée lacanienne sans transformer Adorno dans
une espèce d‘outil d’éclairage et de contextualisation pour Lacan. Stratégie deux fois
superflue. D’abord, la pensée lacanienne doit être interrogée à partir de ses propres
préssuposés, cela si l’on veut vraiment comprendre la spécificité du rythme de sa démarche.
D’autre part, je ne crois pas que la pensée d’Adorno avec sa complexité naturelle puisse servir
à un tel usage.
26
15
En ce sens, rappelons que le programme adornien d’une « synthèse non-violente »
(ADORNO, TE, p. 196) doit concerner surtout : « la reconnaissance du non identique dans la
compréhension de la réalité et dans le rapport du sujet à soi même » (WELLMER, Albrecht ;
Die Bedeutung des Frankfruter Schule heute in HONNETH et WELLMER, Die Frankfurter
Schule und die Folgen, Berlin, 1986, p. 25
27
16
ADORNO, Kulturkritik und Gesellschaft II, Frankfurt : Suhrkamp, 2003, p. 747
28
Mais nous pouvons dire deux choses à ce propos. D'abord, ni toutes les
synthèses sont fondées sur l'effacement des antinomies. Le sens majeur de la
dialectique négative, par exemple, consiste exactement dans l'avènement
d'une synthèse non-totalisante, synthèse formée à partir de l'idée de
'constellation' (Konstellation), où la négation aux procédures
d'universalisation totalisante est conservée. L'idée de constellation permet
l'avènement d'une pensée de la synthèse où: "on ne progresse pas à partir des
concepts et par étapes jusqu'au concept générique le plus général, mais qu'ils
entrent en constellation". Le modèle pour ce processus de 'rentrer en
constellation' nous est fourni (et là on ne pourrait pas être plus lacanien) par
le "comportement de la langue (Sprache)". Selon Adorno:
Elle ne présente pas un simple modèle un simple système des signes pour des
fonctions cognitives. Là où elle apparaît essentiellement comme langue, là où elle
devient présentation (Darstellung), elle ne défini pas ses concepts. Leur objectivité,
elle la leur assure à travers le rapport dans lequel elle place les concepts centrés sur
une chose (Sache) (...) En se rassemblant autour de la chose à connaître, les
concepts déterminent potentiellement son intérieur18.
Cette notion d'une opacité foncière de la chose qui s'exprime dans une
constellation de concepts qui s'articulent sans jamais désigner la référence de
façon immédiate, cette idée d'une "déficience déterminable de tout concept
(bestimmbare Fehler aller Begriffe)" qui pose le besoin "d'en faire intervenir
d'autres"19 afin de former des constellations, enfin, cette idée d'une
constellation de concepts qui garde le sujet comme élément opaque auquel se
17
LACAN, S X, p. 313
18
ADORNO, DN, p. 160. Pour ce rapprochement entre la notion adornienne de constellation
et la logique lacanienne du signifiant, voir ZIZEK, Ils ne savent pas ce qu'ils font, Paris: Point
Hors Ligne, 1990.
19
ADORNO, idem, p. 59.
29
20
Cf. FREUD, Esquisse d'une psychologie scientifique in Naissance de la psychanalyse,
Paris: PUF, p. 348
21
ADORNO, idem, p. 161 (traduction modifiée)
22
LEBRUN, La patience du concept. Paris: Gallimard, 1971, p. 360
30
L'étant devient et se change, le fini se perd dans l'infini, l'existant émerge de son
fondement (Grunde) dans le phénomène et va au gouffre (geht zugrunde); l'accident
(Akzidenz) manifeste la richesse de la substance tout comme son pouvoir ; dans
l'être c'est le passage (Úbergang} dans autre-chose, dans l'essence [le] paraître
(Scheinen) dans quelque chose d'autre par quoi se révèle le rapport nécessaire23.
23
HEGEL, Science de la logique III, Paris: Aubier-Montaigne, 1981, p. 105
24
HEGEL, PhE I, p. 140
25
LACAN, S V, p. 65
31
26
Voir à ce propos MILNER, L’œuvre claire, Paris: Seuil, 1995, pp. 132-140 et BADIOU,
L'être et l'évenément, Paris: Seuil, p. 275-279
27
Voir par exemple LACAN, Lituraterre in Autres Ecrits, Paris: Seuil, 2001
28
Pour donner un exemple de l'instabilité de cette pulsation rappelons comment Lacan a pu
affirmer: "Étre éventuellement inspiré par quelque chose de l'ordre de la poèsie pour
intervenir en tant que psychanalyste? c'est bien ce vers quoi il faut tourner (...) C'est n'est pas
du côté de la logique articulée - quoi que j'y glisse à l'occasion - qu'il faut sentir la portée de
notre dire" (idem, S XXIV, séance du 19/04/77). Ce qui ne l'empêche pas de poser un chiasme
entre mathématique et esthétique: "Heureusement", dira-t-il, "que Parménide a écrit en réalité
des poèmes. N'emploie-t-il pas - le témoignage du linguiste ici fait prime - des appareils de
langage qui ressemblent beaucoup à l'articulation mathématique, alternance après succession,
encadrement après alternance?" (idem, S XX, p. 25).
29
ADORNO et HORKHEIMER, Dialectique de la raison, Paris : Gallimard, 1974, p. 40
30
ADORNO, TE, p. 86
31
Ibidem, p. 148
32
32
ADORNO, DN, p. 19
33
LACAN, S XI, p. 23
33
34
ADORNO, TE, p. 161
34
I.
1. Histoires de renversements
35
Pour une analyse détaillée des multiples moments de la dialectique du Maître et de
l'Esclave chez Lacan voir REGNAULT, La dialectique du maître et de l'esclave chez Lacan,
in Quarto, 68, 1986.
37
36
Suivons l’interprétation non-métaphysique d’Esprit proposé, entre autres, par Terry
Pinkard : « Esprit est une forme de vie auto-consciente, c’est-à-dire une forme de vie qui a
développé plusieurs pratiques sociales afin de réfléchir sur ce qui est légitime (authoritative)
en soi, cela au sens de savoir si ces pratiques réalisent leurs propres aspirations et les objectifs
qu’elles ont posés par elles mêmes [...]. Ainsi, “Esprit” signifie, pour Hegel, non pas une
entité métaphysique, mais une relation fondamentale entre personnes, une façon dont des
personnes réfléchissent à propos de ce que elles comprennent comme légitime. » (PINKARD,
Hegel’s phenomenology : the sociality of reason, Cambridge University Press, 1996, p. 8)
37
KOJÈVE, Introduction à la lecture de Hegel, 3 ed, Paris : Gallimard, 1992, p. 490.
38
LACAN, S IX, séance du 28/03/62.
38
39
Idem, E, p. 216.
40
LACAN, E, p. 289
41
Soulignons, par exemple, la notion d'intersubjectivité présente dans cette façon propre au
jeune psychiatre Lacan de comprendre la psychose : « Les conceptions mêmes de la psychose,
quelque discrédit que leur porte leur motivation radicalement individuelle qui est le fait même
du délire, traduisent pourtant curieusement certaines formes, propres à notre civilisation, de
participation sociale » (idem, PPRP, p. 317).
39
42
Des années plus tard, Lacan continuera à soutenir l'importance d'une ontologie de la
première personne à l'intérieur de la psychanalyse. Contre l'interprétation de Laplanche et
Leclaire (LAPLANCHE et LECLAIRE, L'inconscient : une étude psychanalytique in
LAPLANCHE, Problèmatiques IV, Paris : PUF, p. 230) à propos de l'impossibilité de
l'articulation de l'inconscient à la première personne, Lacan dira: « Ailleurs j’ai bien dit que la
vérité parle Je ». Pour lui, la vraie question se trouve dans la détermination de la structure du
Je : « ce qui ne vient à l’idée, ni de l’auteur, ni de Politzer, c’est que le Je dont il s’agit est
peut-être innombrable, qu’il n’y a nul besoin de continuité du Je pour qu’il multiplie ses
actes » (LACAN, S XVII, p. 73).
43
Idem, S VI, séance du 13/05/59.
44
Idem, E. p. 279.
45
Ibidem, p. 373.
46
A ce moment-là, Lacan n'a pas peur de se servir du terme de dialogue pour caractériser
l'interlocution analytique. Ce que nous voyons dans des affirmations comme celle-ci :
« L'Idéal de l'analyse n'est pas la maîtrise de soi complète, l'absence de passion. C'est de
rendre le sujet capable de soutenir le dialogue analytique [italique VPS], de parler ni trop tôt,
ni trop tard » (LACAN, S I, p. 9).
40
47
Idem, E, p. 109 Il faut faire ici une précision historiographique. Le paradigme de
l'intersubjectivité rendra service à la métapsychologie lacanienne jusqu'au début des années
soixante. L'abandon de ce paradigme ne viendra qu'en 1961, lorsque la reconnaissance
intersubjective devient un piège narcissique capable d'empêcher le développement de
l'analyse. D'où l'affirmation : « L'expérience freudienne se fige dès qu'elle [l'intersubjectivité]
apparaît. Elle ne fleurit que de son absence » (idem, S VIII, p. 19). Comme nous verrons, à
partir de ce moment, il se produira une vraie reconfiguration des modes de subjectivation et
du programme de rationalité de la praxis analytique. En ce sens, il n'est pas correct de croire
que l'intersubjectivité a été abandonnée par Lacan lors du tournant structuraliste des années
50, comme si les considérations sur le primat de la structure annulaient les réflexions à
propos de la parole en tant qu'acte de reconnaissance intersubjective du désir. En fait,
l'intersubjectivité apparaît depuis le début comme le processus capable de résoudre
l'antinomie entre langage et parole.
48
Idem, E, p. 292. Lacan fait ce rapprochement sans prendre en compte la méfiance de Hegel
à ce propos. Voir, par exemple, son affirmation sur la maïeutique socratique : « La dialectique
qui vise à dissoudre le particulier pour produire l’universel n’est pas encore la véritable
dialectique » (HEGEL, Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie II, Frankfurt :
Suhrkamp, p. 65).
49
LACAN, S I, p. 317.
50
HYPPOLITE, Logique et existence, Paris: PUF, 1991, p. 12
41
51
Ibidem, p. 23.
52
Ibidem, p.11.
53
Idem, Figures de la pensée philosophique, Paris : PUF, 1971, p.215.
54
LACAN, S II, pp. 91-92.
42
55
A propos de la question du statut de la Verneinung, voir aussi DAVID-MÉNARD, La
négation comme sortie de l'ontologie in Revue de métaphysique et morale, n.2, 2001, pp. 59-
67 ; MACHEREY, Le leurre hégélien in Bloc-notes de la psychanalyse, n. 5, 1985, pp. 27-
50 ; FONTENEAU, La négation in L'éthique du silence, Seuil : Paris, 1999, pp. 62-92.
BALMÈS, Du oui et des nons in Ce que Lacan a dit de l'être, Paris : PUF, 2000, pp. 52-97 et
FAUSTO, Dialética e psicanálise In : SAFATLE, Um limite tenso, São Paulo : Unesp, 2003,
pp. 107-147.
56
HYPPOLITE, Commentaire parlé sur la Verneinung de Freud in LACAN, E, p. 886.
57
Ibidem, p. 802
43
61
Idem, La négation, op.cit., p. 168.
62
LACAN, E, p. 388.
63
François Balmès a bien noté une ambiguïté majeure dans les textes lacaniens concernant la
position de la Verwerfung. D'un côté, elle est l'expulsion qui constitue le réel comme étant
hors symbolisation. En ce sens, elle désigne un processus lié à l'origine du système signifiant
des Vorstellungen. Cette expulsion nous amène aussi à das Ding comme ce qui du réel pâtit
du signifiant. Mais, d'un autre côté, la Verwerfung désigne la forclusion d'un signifiant
primordial et marque aussi la forclusion de la castration liée à l'assomption du Nom-du-Père.
En ce sens, elle est l'opération qui se constitue dans un « déjà-là » de la symbolisation. Et ce
qui est forclos n'apparaît pas exactement comme Chose, mais comme hallucination et acting-
out. La suggestion de Balmès consiste à séparer l'Ausstossung comme expulsion de la
Verwerfung comme forclusion (Cf. BALMÈS, idem, pp. 52-97). Tout en reconnaissant la
tension interne à la production conceptuelle lacanienne, nous pouvons essayer de la
comprendre à travers l'idée que Lacan cherche, avec ce mouvement, à poser l'existence d'une
espèce de signifiant hors chaîne symbolique qui ne peut pas être intégré à la chaîne de l'Autre.
45
64
FREUD, Formulation sur les deux principes du cours des événements psychiques in
Résultats, idées, problèmes, Paris : PUF, 1998, p. 136.
65
HYPPOLITE, idem, p. 884.
66
LACAN, S III, p. 97.
46
67
LACAN, E, p. 382.
68
Idem, S I, p. 215.
69
Idem, E, p. 388.
70
Idem, S XIV, séance du 16/11/67 ;
47
71
Idem, E, p.388.
72
Voir BADIOU, Lacan et Platon : le mathème est-il une idée ? in MAJOR (org.), Lacan
avec les philosophes,op. cit., p. 137.
73
LACAN, E, p. 288.
74
Ibidem, p. 388.
75
Comme le rappelle Derrida : « Lacan a reconduit Dasein au sujet » (DERRIDA, La carte
postale, Flammarion: Paris, 1980, p. 498) c'est-à-dire qu’il a utilisé la structure
heideggerienne d'articulation de l'être mais qu’il l'a déplacée vers le topos du sujet. En ce sens
Lacan reste fidèle à l'ontologie kojèvéenne qui était le résultat d'une haute-couture
philosophique entre le Dasein heideggerien et le sujet hégélien.
76
Soulignons ici cette affirmation sur le point essentiel de la découverte freudienne : « le
point essentiel c'est que ceci, en aucun cas, ne veut dire : un retour à la pensée de l'être. Rien
dans ce qu’apporte Freud, qu'il s'agisse de l'inconscient ou du ça, ne fait retour à quelque
chose qui, au niveau de la pensée, nous replace sur ce plan de l'interrogation de l'être. Ce n'est
qu'à l'intérieur - et restant dans les suites de cette limite de franchissement, de cette cassure
par quoi, à la question que la pensée pose à l'être, est substituée, et sous le mode d'un refus, la
seule affirmation de l'être du je - c'est à l'intérieur de ceci que prend son sens ce qu'amène
Freud, tant du côté de l'inconscient que du ça » (LACAN, S XIV, séance du 11/01/67).
48
77
Idem, S XI, p. 167
78
Cf. Idem, S XIV, séance du 14/06/67.
79
D'où une affirmation comme celle-ci, par exemple : « s'il y a quelque chose que je suis,
c'est que je ne suis pas nominaliste, je veux dire que je ne pars pas de ceci, que le nom c'est
quelque chose qui se plaque comme ça sur le réel » (Idem, S XVIII, p.28).
80
Idem, E, p. 389.
81
Idem, S I, p. 70.
49
85
Aristote dira que « des deux séries de contraires, l'une est la privation de l'autre » (idem,
1004b, 25), cela après avoir distingué négation et privation : « La négation est l'absence de la
chose en question, tandis que, dans la privation, il y a aussi, subsistant dans un sujet, une
nature particulière dont la privation est affirmée » (idem, 1004a, 10).
86
HEGEL, Science de la logique II, op.cit., p. 36.
87
Ibidem, p. 72.
51
88
Idem, PhE I, p. 32.
52
92
Il suffit de rappeler ici HABERMAS, Le discours philosophique de la modernité, Paris :
Gallimard, 1988 ; HONNETH, La lutte pour la reconnaissance, Paris : Cerf, 2000 et
THEUNISSEN, Sein und Schein : Die kritische Funktion des Hegelschen Logik, Frankfurt :
Suhrkamp, 1980.
93
Cf. HABERMAS, Le discours philosophique de la modernité, op. cit., pp. 27-53.
94
Car elle lui fournirait une: « forme d'organisation où les membres de la communauté
pouvaient reconnaître dans les mœurs publiques l'expression intersubjective de leurs
particularités respectives » (HONNETH, idem, p. 21).
54
95
LACAN, E, p. 7
56
présupposé par son désir lui-même. Il pose comme limite une différence
extérieure qui, en vérité, n'est que « la manifestation même de son être
actuel »96. Elle doit se reconnaître dans ce qu'elle nie comme absolument
étranger et hors de son désir. En ce sens, le premier rôle de l'interprétation
analytique consistera alors à permettre au sujet d'internaliser de façon
réflexive une différence interne qui lui est apparue d'abord comme une limite
extérieure. Et ici Lacan pense surtout à des affirmations freudiennes comme
celle-ci : « Elle avait raison : son père ne voulait pas se rendre compte du
comportement de M. K. envers sa fille, afin de n’être pas gêné dans sa
relation avec Mme. K. Mais elle avait fait exactement la même chose. Elle
s'était fait complice de ces relations et avait écarté tous les indices qui
témoignaient de leur véritable nature »97.
Cette relation de complicité envers un état de choses dont le moteur
premier est le désir du père révèle comment le désir de Dora est attaché de
façon constitutive au désir de l'Autre paternel. C'est autour de ce désir que
gît tout le drame. Le premier renversement débouche donc sur le
dévoilement d'une relation oedipienne constituée par une identification au
père. À partir du Séminaire IV, en 1956, l'identification au père gagnera
clairement la forme d'identification au signifiant phallique.
Ce dévoilement permettra la dissolution d'une grande partie des
symptômes de conversion. Des symptômes liés à l'oralité (accès de toux,
enrouement, dyspnée, aphonie) et qui révèlent l'inscription, dans le corps
sexué, d'une modalité d'identification et de demande envers le père. Lacan
parlera de l’importance du rôle du père dans l’histoire de la formation du
corps érogène de Dora. Une importance visible dans la façon dont
l’érogéneité de son corps est déplacée vers l’oralité – ce qui ne laisse pas
d’indiquer la représentation orale de la relation sexuelle (fellation) propre à
un père impuissant, ainsi que les plaisirs de « suceuse » venus de la première
enfance et qui posent la jouissance dans un espace de complicité envers le
père98.
Le deuxième renversement est une espèce de déploiement de cette
reconnaissance de l'identification au père vers l'identification aux choix
d'objets du père. Freud se demande d'où vient le caractère prévalant
(überwertiger) de la répétition des pensées de Dora relatives aux rapports de
96
Ibidem, p. 172.
97
FREUD, Fragments d'un cas d'hystérie in Cinq Psychanalyses, Paris : PUF, p. 24.
98
C’est ce que souligne Monique David-Ménard : « si elle s’acharne tant dans les reproches
qu’elle adresse à son père, c’est en effet que quelque chose ne passe pas, reste coincé dans la
gorge, qu’elle évoque de façon répétitive et toujours aussi peu parlante, dans sa toux, son
asthme dit nerveux ou son aphonie » (DAVID-MENARD, L’hystérie entre Freud et Lacan,
Paris : Editions Universitaires, 1983, p. 97).
57
son père avec Mme. K. Son analyse démontre que la jalousie envers Mme. K
est une pensée réactionnelle (Reaktionsgedanke) qui cache une pensée
inconsciente opposée (Gegensatz). L’analyse aura pour rôle de permettre le
renversement dans l'opposé : « Le moyen propre à enlever à l'idée prévalante
sa force trop grande est alors de rendre consciente l'idée inconsciente qui lui
est opposée »99. C'est un travail qui permet à l'analyste de montrer comment
la jalousie n'était qu’un genre de manifestation de l'identification à la place
du sujet-rival. Place occupée par ces « deux femmes aimées, l’une jadis et
l’autre maintenant, par son père »100. La haine peut donc se renverser dans
son opposé, l'amour. Un mouvement pulsionnel que Freud appellera plus
tard renversement dans le contraire (Verkehrung ins Gegenteil) et que Lacan
souligne en parlant de cette inclination homosexuelle fondée sur
« l'attachement fasciné de Dora par Mme. K »101. Car « toute la situation
s’instaure comme si Dora avait à se poser la question – Qu’est-ce que mon
père aime dans Mme. K ? »102
Posons une question de méthode avant de continuer l'analyse
lacanienne. Jusqu'à présent, rien ne nous empêche de penser l'interprétation
analytique comme auto-refléxion de la conscience pure et simple permettant
au sujet de renverser ses méconnaissances en une remémoration capable
d'historiciser les noyaux traumatiques. Jusqu'à présent les interventions de
l'analyste ont essayé d'ouvrir au sujet les voies pour qu'il puisse poser ce qu'il
méconnaît, au sens de la dénégation. Nous ne sommes pas très éloignés
d'une théorie de la fin de l'analyse comme historicisation des contenus
refoulés et des noyaux traumatiques qui se déploie dans un horizon
convergent des processus de symbolisation. Cela expliquerait des
affirmations du type : « La reconstitution complète de l'histoire du sujet est
l'élément essentiel, constitutif, structural, du progrès analytique »103.
Ce qu'on a vu jusqu’ici avec Dora, c'est l'assomption par le sujet de
son histoire à travers des procédures de construction et d'interprétation
analytique à forte tendance herméneutique. L'inconscient apparaît donc
comme quelque chose qui, grâce au progrès symbolique dans l'analyse, aura
été ; enfin, c'est quelque chose qui sera réalisé dans le symbolique. Ce qui
rend exhaustif la réalisation symbolique de l'histoire du sujet nous
permettrait d'intégrer les déterminations opaques qui donnaient corps aux
contenus refoulés.
99
FREUD, idem, p. 39.
100
Ibidem, p. 40.
101
LACAN, E., p. 220.
102
Idem, S IV, p. 141.
103
Idem, S I, p. 18 (citation modifiée).
58
104
LACAN, S I, p. 258.
105
Idem, S II, p. 287.
106
Selon Paul Verhaeghe, Freud adopte la position du maître en transformant le cas dans un
grand exposé explicatif à propos d’une sortie normative de l’Oedipe. En ce sens, Dora aurait
refusé l’identification au maître et au savoir du maître (Cf. VERHAEGHE, Paul, Does the
woman exist ? From Freud´s hysterie to Lacan´s feminine, New York : Other Press, 1990, pp.
55-65). C’est à partir de cette perspective qu’on peut comprendre la question de Lacan :
59
« Pourquoi [Freud] substitue-t-il au savoir qu’il a recueilli de toutes ces bouches d’or, Anna,
Emmie, Dora, ce mythe, le complexe d’Oedipe ? » (LACAN, S XVII, p. 112-113).
107
LACAN, E., p. 220
60
108
Idem, S I., p. 208.
109
En ce sens, il faut que Dora dévoile pourquoi, dans l’affrontement au sexuel « l'Autre reste
muet et ne dit mot sur ce que le sujet lui suppose détenir » (SILVESTRE, Demain la
psychanalyse, Paris : Seuil, 1993, p. 85).
110
LACAN, S III, p. 198.
111
LACAN, S III, p. 199. Il n’y a pas de symbolisation du sexe de la femme parce que la
seule voie d’accès à la symbolisation est l’identification phallique. C’est une perspective
soutenue par Lacan jusqu’à la fin de son enseignement, et qui l’amènera à dire qu’une femme
est en rapport avec ce qui manque dans le Symbolique. D’où l’impossibilité de symboliser la
jouissance féminine et son rapprochement de la position mystique. Mais, nous le verrons, le
Phallus même n'est que la formalisation de l'impossibilité d'une représentation adéquate du
sexuel.
61
112
Idem, S XIV, séance du 18/01/67.
113
Idem, AE, p. 380.
62
114
Nous verrons que le concept de désir chez Lacan est ici plus proche du Trieb freudien que
de son concept de Wunsch. La distinction foncière entre désir et pulsion n'a pas été encore
posée par Lacan et c'est son absence qui rend instable le paradigme de l'intersubjectivité.
63
Purifier le désir
Nous avons déjà parlé de cette notion de cure analytique en tant que
reconnaissance du désir par soi-même et par l'Autre. La cure aboutirait à la
nomination d'un désir qui, jusque là, ne pouvait apparaître que sous la forme
de symptômes. Mais, à l'intérieur de ce dispositif, on oublie souvent la
teneur de la réponse lacanienne aux questions comme celles-ci : « quel désir
atteint-on par reconnaissance ? » ou bien « que signifie exactement donner
un nom au désir ? ». Une réponse devient possible à partir d’affirmations
comme celle-ci :
Les Anciens mettaient l’accent sur la tendance elle-même, alors que nous, nous la
mettons sur son objet [...] nous réduisons la valeur de la manifestation de la
tendance, et nous exigeons le support de l’objet par les traits prévalants de l’objet115.
115
LACAN, S VII, p. 117
64
116
Idem, S X, p. 248
117
Idem, S VIII, p. 432. Ou encore : « Nous méconnaissons toujours ainsi, jusqu’à un certain
degré, le désir qui veut se faire reconnaître, pour autant que nous lui assignons son objet, alors
que ce n’est pas d’un objet qu’il s’agit – le désir est désir de ce manque qui, dans l’Autre,
désigne un autre désir » (LACAN, S V, p. 329).
118
LACAN, S XI, p. 248. Nous verrons comment ce changement de route dans la direction de
la clinique doit être compris comme le résultat de la critique lacanienne de Kant et, plus
précisément, comme le résultat de l'affirmation lacanienne de la Loi morale kantienne comme
désir à l’état pur.
119
Idem, S II, p. 261.
120
KOJÈVE, Introduction à la lecture de Hegel, op. cit., p. 12.
65
121
LACAN, S I, p. 197.
122
Idem, S II, p. 130.
123
« Nous considérons le narcissisme comme la relation imaginaire centrale pour le rapport
interhumain » (Idem, S III, p. 107).
66
Dans ce cas, cet étrange manque qui n'est ni de ceci ni de cela n'est
que le régime d'expérience subjective de la structure transcendantale du
désir. Transcendantale parce que le manque-à-être est la condition a priori
de la constitution du monde des objets du désir humain. Nous pouvons parler
d'a priori parce que le manque n'est dérivé d'aucune perte empirique. Il n'y a
pas quelque chose comme une origine empirique du désir. C’est pourquoi
Lacan semble vouloir faire une vraie « déduction transcendantale » de ce
désir pur, puisque, contrairement à Freud, il n'identifie pas la cause du
manque propre au désir à la perte de l'objet maternel produite par
l'interdiction venue de la Loi de l'inceste127. Il est vrai que Lacan affirmera
124
BADIOU, L'être et l'événement, op. cit., p. 472. C'est une telle articulation entre
transcendentalité et négativité dans la fonction du sujet qui permettra aussi à Slavoj Zizek de
lire Kant de façon lacanienne : « l'enseignement majeur de la conscience de soi
transcendantale est totalement opposé à la transparence de soi absolue et à la présence à soi.
Je suis conscient de moi-même, je tourne de façon réflexive vers moi-même parce que je ne
peux jamais me « trouver moi-même » dans ma dimension nouménale, comme la Chose que
je suis actuellement » (ZIZEK, Slavoj, The ticklish subject, London : Verso, 2000, p. 304).
125
LACAN, S VIII, p. 102. Pourquoi, au lieu de parler d'une « permanence transcendantal du
désir », Lacan ne parle-t-il pas tout simplement d'une « transcendance » du désir, comme le
fait Kojève ? Serait-il en train de confondre transcendance et transcendantalité ? Il est vrai
que, d'un côté, le désir pur transcende toute possibilité de réalisation phénoménale, puisqu'il
est dépourvu d'objet empirique et se manifeste comme pure négativité. Mais, d'un autre côté,
Lacan ne s'engage pas dans une espèce de « genèse empirique » de la négativité du désir. Au
contraire, il semble plus intéressé à défendre une déduction transcendantale du désir et à
penser le désir comme condition a priori de l'expérience, ce qui nous amène à parler d'une
transcendantalité du désir.
126
Idem, SII, p. 261.
127
Nous pouvons suivre ici une remarque de Bernard Baas : « Car en montrant que la pensée
de Lacan est ainsi travaillée par la procédure de questionnement transcendantal, cette
interprétation permet aussi de rendre compte du sens proprement critique du “retour à Freud”,
67
que « l'objet de la psychanalyse n'est pas l'homme ; c'est ce qui lui manque -
non pas manque absolu, mais manque d'un objet »128. Mais nous devons
souligner que cet objet qui lui manque n'est pas exactement un objet
empirique, comme nous le verrons.
130
LACAN, S XI, p. 172.
69
131
KOJÈVE, Introduction à la lecture de Hegel, op.cit., p. 13.
132
Cette définition est partielle. Après l'abandon du paradigme de l'intersubjectivité, le sujet
aura comme corrélat un objet pulsionnel où il peut se poser comme présence. Jacques-Alain
Miller a bien noté ce point : « le sujet du signifiant est toujours déplacé, il est manque-à-être.
Il n'est que dans l'objet qui habille le fantasme. Le pseudo Dasein du sujet est l'objet petit a »
(MILLER, D'un autre Lacan in Ornicar?, n. 28, janvier 1984). Mais ce résidu de présence
propre à l'objet a est le résultat d'un détachement produit par la fonction de transcendance
constitutive du sujet. En ce sens, cet objet pulsionnel garde la négativité propre à la fonction
de transcendance. Si l'on efface ce point, la présence du sujet dans l'objet a devient la position
d'un plan d'immanence fondé sur le pulsionnel. La complexité de la fonction du sujet chez
Lacan vient exactement de cette articulation improbable entre matérialisme et transcendance,
ou encore, le matérialisme comme réalisation des aspirations de transcendance.
70
133
LACAN, E., p. 95.
134
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard, 2001, p. 179
71
est référence à l'image d'un autre dans une position de moi idéal. Il n'y a
donc rien de propre dans l'image du corps. Cette image sera d'ailleurs
soumise à la structure symbolique présente dans le stade du miroir à travers
le retournement de l’enfant qui cherche dans le regard de l’Autre symbolique
l’assentiment de la reconnaissance imaginaire. Cela permettra à Lacan
d'affirmer, plus tard, que l'image du corps propre est d'abord le topos
fantasmatique dans lequel le moi se pose pour devenir l'objet du désir de
l'Autre135. Pour Lacan, être corps, c´est être attaché au regard de l'Autre.
Ainsi le moi sera toujours lieu de méconnaissance, puisqu'il ne
pourra apparaître comme instance d'auto-référence qu'à travers la dénégation
(sans renversement) de sa dépendance à l'autre. En ce sens, la structure de la
perspective transcendante d'appréhension du monde ressemblait à celle d'un
regard réifié et affecté d'un composant narcissique. Il ne s'agit pas tout
simplement de la projection du moi dans le monde des objets. En fait, Lacan
apporte une proposition encore plus radicale en disant que l'image de l'autre
est la perspective d'appréhension des objets.
Le psychanalyste renverse donc la proposition traditionnelle selon
laquelle, si je constitue le monde, je ne peux pas penser l'autre. Le monde
des objets du désir est toujours constitué à travers la perspective du désir de
l'autre (une perspective subordonnée à la structure symbolique du désir de
l'Autre). Cela ne signifie pas l'instauration de l'expérience de l'altérité à
l'intérieur de soi-même, puisque l'agressivité qui se fait sentir dans cette
« intersubjectivité imaginaire », entre le moi et l'autre, montre l'impossibilité
du moi de penser l'identité comme moment interne de la différence.
Mais si la logique du narcissisme peut être production des identités à
travers un système de méconnaissances, c'est parce qu'elle opère à travers un
investissement libidinal d'images. Autrement dit, la critique du narcissisme
est, principalement, une critique du primat des images dans les modes de
connaissance propres au moi et à une conception très particulière que Lacan
se donne du régime de l'Imaginaire136.
La réduction de l'Imaginaire au narcissique et au spéculaire a conduit
le psychanalyste à développer une conception strictement gestaltiste de
l'image. En ce sens, l'image n'est pas une représentation passive qui n’aurait
qu’une fonction d’information d’un donné auquel elle ressemblerait, mais
elle est depuis le début une Gestalt, c’est-à-dire une bonne forme dont
l'internalisation a une puissance formatrice.
135
Voici ce qui a poussé Lacan à affirmer que le corps propre est en vérité corps de l'Autre :
« Le corps lui-même est, d'origine, ce lieu de l'Autre, en tant que c'est là que, d'origine,
s'inscrit la marque en tant que signifiant » (LACAN, S XIV, séance du 31/05/67).
136
Voir, par exemple, JAY, Downcast eyes : the denigration of vision in twentieth-century
French thought, Stanford : University of California Press, 1994, pp. 329-370.
72
137
Ce qui explique une affirmation majeure comme : « Nous, psychanalyste, réintroduisons
une idée délaissée par la science experimentale, à savoir l’idée d’Aristote du Morphe »
(LACAN, Some remarks about the ego in Journal International of Psychoanalysis, n. 34,
1953, pp. 11-17)
138
LACAN, E., p. 89.
73
Lacan a toujours associé l'image à une « stase de l’être »139, à une fixation
synchronique qui empêche la perception diachronique de la temporalité. A
travers l'image, les identités sont naturalisées. Lacan utiliserait la métaphore
« des acteurs quand s’arrête de tourner le film »140 afin de souligner
comment l'image nous fait perdre l'appréhension des mécanismes de
production du sens, pour autant qu'ils présupposent l'accès à la dimension de
la temporalité. « Il y a dans l’image quelque chose qui transcende le
mouvement, le muable de la vie, en ce sens que l’image survit au vivant »141.
Dans le cas du moi, ce mouvement indique les processus de
renversement propres à la détermination de l'auto-identité de l'instance
d'auto-référence. Comme il méconnaît sa dépendance envers l’autre, le moi
se fixe dans une image de soi qui empêche les passages dans l’opposé. C’est
pourquoi Lacan parle de la mentalité anti-dialectique qui détermine le
principe d’identité du moi. La dialectique ici est à nouveau réduite à une
logique de la contrariété.
Ainsi, entre l'image et la temporalité, il y a un abîme aussi grand que
celui qui existe entre le moi et le sujet. Cette façon de réduire la fonction de
l'image à l'aliénation amènera Lacan à affirmer, à la fin de son enseignement
qu’ « une image bloque toujours la vérité »142. Pour Lacan, les images sont
toujours irréflexives (sauf dans une condition très particulière, c'est-à-dire
dans la sublimation où l'image peut dissoudre son caractère non-temporel -
nous analyserons ce point dans le chapitre IX).
Notons ici la spécificité de la conception lacanienne de la
temporalité propre au sujet. Si elle a été construite dans sa différence par
rapport à l'image, c'est parce que Lacan cherche une pensée du temps non
soumise au langage et au paradigme de la spatialité. Autrement dit, il s'agit
de penser le temps non comme juxtaposition de moments inertes et
indépendants, mais comme mouvement dynamique d'auto-annulation de
l'identité. Cette négativité propre à la puissance élémentaire du temps nous
renvoie à Hegel et à sa notion du temps comme « activité négative idéelle »
et « être du sujet lui-même »143. Elle trouvera sa cristallisation dans la
compréhension de la dynamique de la parole comme l'espace où peuvent se
joindre présence et disparition.
139
Ibidem, p. 172.
140
Ibidem, p. 111.
141
Idem, S VIII, p. 409.
142
LACAN, Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines in Scilicet,
1976, n. 6/7, p. 22.
143
HEGEL, Cours d'Esthétique III, Paris: Aubier, 1996, p. 143.
74
144
LACAN, E., p. 111.
145
Idem, S II, p. 201.
146
Ibidem, p. 231.
147
LACAN, S III, p. 186.
75
demande une spontanéité qui ne peut pas être trouvée dans l'image : « le
schème d'un concept de l'entendement est quelque chose qui ne peut
nullement être mis en image (Bild), mais qui est tout simplement la synthèse
pure exprimant (ausdrückt) la catégorie selon une règle de l'unité par
concepts en général »148.
Nous voyons ici comment le schème transcendantal est une
représentation médiatrice, aussi bien homogène aux catégories (dans la
mesure où il est universel, règle a priori et vise l'unité du général) qu'aux
phénomènes (dans la mesure où il unifie directement les déterminations
particulières de la sensibilité en fournissant l'objet qui se soumettra à
l'appréhension catégorielle). Il arrive à Kant de parler du schème comme
« concept sensible de l'objet »149 (sinnliche Begriff eines Gegenstandes) afin
de souligner son caractère médiateur.
En rapprochant son concept d'Imaginaire du schème transcendantal
kantien, Lacan semble surtout inspiré par le Heidegger de Kant et le
problème de la métaphysique. Dans ce livre visant à fournir, entre autres,
une critique de l'intuitionnisme kantien, Heidegger démontre comment « le
schème possède nécessairement un certain caractère d'image »150. A travers
l'analyse des trois sens différents du terme « image » (Bild)151, Heidegger
souligne l’existence d’un concept d'image comme « vue d'un objet
quelconque » permettant au schème de se poser comme « concept sensible
de l'objet », ou encore comme transposition sensible du concept.
Pour qu'il y ait une transposition sensible du concept, il faut une
règle capable de prescrire l'insertion du sensible dans une vue possible,
prescription qui crée une image du concept de l'objet, et non pas une image
de l'objet particulier. Heidegger peut alors soutenir que « la perception
immédiate d'un donné, par exemple de cette maison, contient déjà
nécessairement une vue préalable schématisante de la vision en général ;
c'est par cette pré-vision [Vor-stellung] seule que l'étant rencontré peut se
manifester comme maison, peut offrir la vue d'une “maison donnée” »152.
C'est un concept d'image qui s'accorde bien avec la notion lacanienne
d'image gestaltiste comme puissance formatrice des objets.
148
KANT, Kritik der reinen Vernunft in Kants gessamelte Schriften, Berlin : Walter de
Gruyter, 1969, Vol. XII, A 142/B 181.
149
Ibidem, A 146/B 186.
150
HEIDEGGER, Kant et le problème de la métaphysique, Paris : Gallimard, 1981, p. 155.
151
Il y a, selon Heidegger, trois modes de définition d'image : a) vue immédiate d'un étant, b)
vue du décalque qui reproduit un étant, c) vue d'un objet quelconque. Cette troisième
définition est vue préalable schématisante de la vision en général et se rapproche de la
fonction du schème kantien.
152
Ibidem, p. 159.
76
153
KANT, idem, A 141/B 180.
77
par un cachet), l´imagination est, au même temps, active et passive (ce que
nous explique pourquoi, dans la physiologie cartésienne, l´espace de
l´imagination est nécessairament la surface pinéal où l´amê s´unit au corps).
En suivant une ligne classique, Descartes affirme qu´imaginer n´est autre
chose que contempler la figure ou l´image d´une chose corporelle. Cette
image peut être présente lorsque la chose est absente, ce qui montre que lka
mémoire (corporelle) ne serait qu´un cas de l´imagination.En étant la chose
absente, l´imagination peut composer des images, comme un paintre
compose des formes nouvelles à partir des opérations d´association et de
similarité. A cause de cette liberté créatrice, l´imagination ne peut pas
fournir une voie d´accès à la vraie connaissance des choses.
En fait, Lacan accepte la thèse classique selon laquelle l´image est le
résultat des modes d´affection du corps. L´imaginaire est une connaissance à
travers le corps. Néanmoins, Lacan insiste dans un anti-réalisme radical
lorsqu´il affirme que le corps porte déjà un monde. Rappellons-nous ici des
emprunts lacaniens des études d´étologie animal de Jacob von Uexküll. Nous
savons comment Uexküll insiste que le corps est, en fait, rapport à un
Umwelt, rapport au milieu propre à chaque espèce vivant, milieu qui
détermine la configuration des objets présents dans le monde de chaque
espèce. L´Umwelt est donc un genre de bulle qui envelope chaque espèce.
Ce qui permet Lacan d´affirmer : « Chez l´animal, connaissance est
coaptation, coaptation imaginaire. La structuration du monde en forme
d´Umwelt se fait par la projection d´un certain nombre des relations, de
Gestalten, qui l´organisent, et le spécifient pour chaque animal »154. Principe
holiste qui serait présente aussi dans le monde humain (dont la « nature »
serait énimenent sociale). Ainsi, en insistant que le corps est produit à travers
la production d´un Umwelt, Lacan peut montrer comment penser le corps
signifie dévoiler un mode de perception et d´action qui coupe le continum de
l´existence à fin de configurer un milieu vécu. Cette configuration est, en
fait, conformation à l´image. Lacan peut alors parler, comme Merleau-
Ponty : « Le corps est le véhicule de l´être au monde, et avoir un corps c´est
pour un vivant se joindre à un milieu dèfini, se confondre avec certains
projets et s´y engager continuellement »155. Cela signifie que le corps est une
contradictoire perception active qui constitue ses objets dans le même
mouvement qu´elle les perçoit. La perception n´est pas passive mais, dépuis
le début, elle est activité projective de conformation du continum sensoriel à
des images d´objet. D´où la raison qui amène Lacan à parler: « c´est l´image
154
LACAN, S I, p. 190
155
MERLEAU-PONTY, Phénomenologie de la perception, op. cit,.p. 96
78
de son corps [du corps de l´homme] qui est le principe de toute unité qu´il
perçoit dans les objets ».
Ainsi, Lacan peut énoncer sa thèse sur le narcisisme fondamental et
affirmer que l´homme ne rencontre dans son milieu que des images des
choses qu´il même a projecté : « c´est toujours autour de l´ombre errante de
son propre moi que se structureront tous les objets de son monde. Ils auront
tous un caractère fondamentalement anthropomorphique, disons même
égomorphique »156. Dans la domination de la nature par l´image nous
trouvons le noyau de cette : « subvertion de la nature qui est l´hominisation
de la planète »157. C´est la même subversion qui amenera Heidegger à dire :
« il nous semble que partout l´homme ne rencontre plus que lui-même.
Heisenberg a eu pleinement raison de faire remarquer qu´à l´homme
d´aujourd´hui le réel ne peut se présenter autrement »158.
156
LACAN, S II, p. 198
157
Idem, E., p. 88
158
HEIDEGGER, Essais et conférences, Paris : Gallimard, 2000, p. 36
159
LACAN, S XXIII, p. 36
160
Idem, E., p. 613.
161
LACAN, S IV, p. 51.
79
162
Idem, S XI, p.153. Sur quelques implication de cette affirmation lacanienne, voir DAVID-
MENARD, Les contructions de l’universel, pp. 8-12.
163
SARTRE, L’être et le néant, Paris : Gallimard, 1989, p. 61.
164
Idem, La transcendance de l'Ego, Paris : Vrin, 1992, p. 82.
165
Idem, L'être et le néant, op. cit., p. 634.
80
166
Ibidem p. 617. « La réflexion jouit de tout, saisit tout. Mais ce “mystère en pleine lumière”
vient plutôt de ce que cette jouissance est privée des moyens qui permettent ordinairement
l'analyse et la conceptualisation » (Ibidem, p. 616).
167
FRIE, Subjectivity and intersubjectivity in modern philosophy and psychoanalysis,
Maryland : Rowman and Littlefield, 1997, p. 170.
168
Cf. FREUD, L'interprétation des rêves, Paris : PUF, 1987, pp. 480-482.
81
peut être remplacé à volonté tout au long des destins que connaît la
pulsion »175. Lacan profite de cette remarque pour rappeler que, si l'objet
empirique est ce qu'il y a de plus variable dans la pulsion, c'est parce qu’
« aucun objet ne peut satisfaire la pulsion »176. Comme nous verrons, cela
veut dire sinon que la pulsion est une pure négativité qui passe par des objets
empiriques sans se raccrocher à aucun.
Il est vrai qu'il y aurait beaucoup à dire sur cette dialectique de la
pulsion où la satisfaction est atteinte sans que la pulsion arrive à son but,
ainsi que sur le prétendu caractère pré-subjectif de la pulsion soutenu par
Lacan dans le séminaire sur Les quatre concepts fondamentaux de la
psychanalyse. Nous y reviendrons dans le chapitre VIII. Pour l'instant, il faut
souligner que, dans la métapsychologie lacanienne, la pulsion est l'héritière
de la problématique provoquée par cette articulation entre négativité et
transcendantalité présente dans le concept de désir pur. Mais gardons-nous
de dire que la pulsion est un concept transcendantal177, pour autant que la
fonction du glissement du désir comme manque-à-être de la pulsion sera
d'opérer un retour au sensible dont nous analyserons les conditions
ultérieurement.
Nous pouvons schématiser le rapport complexe entre désir et pulsion
à travers le problème des modes de négation. Le désir lacanien est une
catégorie engendrée par le nouage entre négation et transcendantalité.
Comme conséquence de ce nouage, le désir sera pris dans l'alternative soit de
rentrer dans un mauvais infini métonymique dans la quête impossible de son
adéquation à un objet empirique, soit de s'unir au signifiant d'une Loi
symbolique située dans un « lieu transcendantal »178. La pulsion est une
catégorie pensée à partir d'une négativité ontologique comprise comme
mode de présence du Réel de l'objet. En ce sens, il est très significatif que
Lacan ne parle jamais d'un objet du désir179 (il n'y a que l'objet cause du
désir), mais qu'il parle d'un objet de la pulsion180. Car, même si aucun objet
[imaginaire] peut satisfaire la pulsion, elle peut trouver la satisfaction dans
175
FREUD, Pulsions et destin des pulsions in : ___. Métapsychologie, Paris : Gallimard,
1968, p. 19.
176
LACAN, S XI, p. 153.
177
Comme le défendent RICOEUR, De l'interprétation, Paris : Gallimard ; BAAS, Le désir
pur, op. cit., et même DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch, Paris : Minuit, 1966, p.
28, en faisant la distinction entre pulsions de destruction (Thanatos mélangé à Eros) et instinct
de mort (Thanatos à l’état pur).
178
LACAN, E., p. 649.
179
« Mais l'objet du désir, au sens commun, est, ou un fantasme qui est en réalité le soutien du
désir, ou un leurre » (idem, S XI, p. 169).
180
Ibidem, p. 167.
83
181
LACAN, S X, séance du 28/11/62.
182
GUYOMARD, La jouissance du tragique, Paris : Flammarion, 1998, p. 25.
183
LACAN, S V, p. 338.
184
Ibidem, p. 313.
185
Idem, S XVII, p. 18.
84
186
LACAN, S IV, p. 157.
187
N'oublions pas non plus que, comme le sujet lacanien, le sujet hégélien est transcendant
sans être exactement transcendantal. Il n'est pas condition a priori pour la constitution de
l'expérience. Au contraire, un des motifs majeurs de la philosophie hégélienne consiste à
affirmer que l'expérience outrepasse toujours le cadre d'appréhension de la conscience. C’est
pourquoi la réconciliation avec l'expérience demande l'abandon de la figure de la conscience.
Bien sûr, le sujet peut subjectiver le champ de détermination de l'expérience (voir
85
Hegel se lie à une tradition qui nous renvoie à Platon et qui voit le désir
comme manifestation du manque. Cela est très clair dans un passage de
l´Encyclopédie où, en parlant du désir, Hegel affirme que
le sujet intuitionne dans l´objet son propre manque, sa propre unilatéralité, - il voit
dans l´objet quelque chose qui appartient à sa propre essence et qui, pourtant, lui fait
défaut. La conscience de soi est en état de supprimer cette contradiction, puisqu´elle
n´est pas un être, mais une activité absolue188.
La satisfaction n´arrive pas parce que le désir n´est pas une fonction
intentionnelle liée au remplissement d´un besoin naturel. Il est une opération
d´autoposition de la conscience : à travers le désir, la conscience cherche à
s´intuitionner dans l´objet, à se prendre soi même comme objet. Cela est le
vrai moteur de la satisfaction. En fait, à travers le désir, la conscience se
cherche soi même. D´où l´affirmation de Hegel selon laquelle le désir
apparaît toujours d´abord dans son caractère égoïste. Déjà dans la
Philosophie de l´esprit, de 1805, Hegel offrait la structure logique de ce
mouvement qui sert de moteur au désir : « Le voulant veut, c'est-à-dire qu'il
veut se poser (es will sich setzen), se faire objet (Gegenstande machen). Il
est libre, mais cette liberté est le vide (das Leere), le formel, le mauvais »190.
l’avènement de ce que Hegel appelle Geist) mais il n'est pas sûr que cela signifie
nécessairement l'absolutisation du sujet, comme nous le verrons à la fin du chapitre V.
188
HEGEL, Encyclopédie des sciences philosophiques III. Paris : Vrin, 1988 § 427
189
HEGEL, PhE, p. 152.
190
Idem, Jenaer Realphilosophie, Hamburg : Felix Meiner, 1969, p. 194.
86
Nous pouvons voir dans cette affirmation une tentative pour fournir
une sortie au problème de la conscience-de-soi, c´est-à-dire de la conscience
qui se prend soi même pour objet. Mais il s´agit d´une sortie qui n’est pas
dépendante du clivage entre moi empirique (objet pour la conscience) et
moi transcendantal. Si, « lorsque la conscience de soi est l´objet, elle est
aussi bien le Moi que l´objet », comment poser une telle dualité sans tomber
dans la dichotomie entre moi empirique et moi transcendantal ?
Initialement, dans la Phénoménologie, Hegel a présenté, à travers la
notion de vie, l´idée d´un fondement commun dont sujet et objet sont
extraits. Au lieu de la fondation des opérations d´auto-détermination à
travers la position des structures transcendantales, Hegel a présenté un sol
commun qui s´exprime aussi bien dans le sujet que dans l´objet. Néanmoins,
la vie est un fondement imparfait parce que non réflexif. Comme elle n´est
pas pour-soi, la vie ne peut pas être posée de façon réflexive.
Hegel présente alors la notion plus complète de « réflexion
doublée » (gedoppelte Reflexion), c´est-à-dire la notion selon laquelle la
conscience ne peut se poser que dans un objet qui ne soit exactement un
objet, mais une réflexion, un mouvement qui consiste à passer à l´autre et à
revenir à soi. C’est pourquoi la conscience ne peut être conscience-de-soi
qu´en se posant dans une autre conscience-de-soi. L´objet doit se montrer
comme étant « en soi même négation », cela au sens de porter en soi même
ce manque qui l’amène à chercher son essence dans son être-Autre.
Ainsi, le problème du fondement de la conscience-de-soi ne peut être
résolu que par le recours à la dynamique de la reconnaissance des désirs.
Dynamique de reconnaissance qui nous amène vers « un moi qui est nous et
un nous qui est moi », c´est-à-dire vers un Esprit qui n´est autre chose qu´un
ensemble de pratiques sociales et de processus d´interaction appréhendés de
façon réflexive et capables de remplir des aspirations d´universalité.
Derrière ce moi qui est nous et ce nous qui est moi, il y a la certitude que la
191
Idem, PhE, p. 153.
87
conscience ne peut être reconnue que lorsque son désir n´est plus désir d´un
objet du monde, mais désir d´un autre désir, désir de reconnaissance.
Néanmoins, au-delà cette certitude, il faut comprendre que le particularisme
du désir est une illusion puisque ce qui anime la conscience dans son action
sont des exigences universelles de reconnaissance de soi par l´Autre, des
exigences d´être reconnue non pas simplement comme personne à
l´intérieur d’ordres juridiques contextuels et d’institutions liées à des
situations socio-historiques déterminées, mais comme conscience-de-soi
singulière dans toute situation socio-historique, par-delà tout contexte. C’est
pourquoi la conscience doit être reconnue par un autre que ne soit pas une
autre particularité, mais un Autre qui puisse supporter des aspirations
universelles de reconnaissance.
Ainsi, si Hegel soutient que « la satisfaction du désir est bien la
réflexion de la conscience de soi en soi-même (die Reflexion des
Selbstbewusstisen in sich selbst), ou la certitude devenue vérité »192, c´est
pour montrer comment l'impasse du désir est supprimée grâce à une
réflexion de la conscience de soi en soi-même, réflexion doublée qui a un
nom dans la philosophie hégélienne : travail (Arbeit). C'est à travers la
catégorie de travail que Hegel hypostasie une notion éminemment négative
de désir pur193.
Néanmoins, avant de déployer quelques considérations sur la
spécificité de la catégorie hégélienne de travail, il est utile de revenir à
Lacan. Car nous connaissons bien l'insistance avec laquelle il distingue sa
dialectique du désir de celle de Hegel. Cette distinction est supportée par
deux stratégies. La première tient dans l'affirmation que la dialectique
hégélienne du désir est imaginaire :
Dans Hegel, concernant la dépendance de mon désir par rapport au désirant qu’est
l’Autre, j’ai affaire, de la façon la plus certaine et la plus articulée, à l’Autre comme
conscience [...]. L’Autre est celui qui me voit, et c’est ce qui, à soi tout seul, engage
la lutte, selon les bases où Hegel inaugure la Phénoménologie de l’Esprit, sur le plan
de ce qu’il appelle le pur prestige, et c´est sur ce plan que mon désir est intéressé194.
192
Ibidem, p. 153.
193
La compréhension avertie du problème du désir chez Hegel dans son rapport au motif du
travail ne nous permet pas de suivre Guyomard dans son affirmation sur la thématique
lacanienne du désir pur comme résultat de « l’adhésion passagère de Lacan aux charmes de la
dialectique » et de la « maîtrise dialectique de la négation et de la négativité » (GUYOMARD,
La jouissance du tragique, op. cit., p. 133). S’il faut chercher une similitude structurale avec
le problème du désir pur, il est fort possible que le meilleur à faire soit de la chercher chez
Kant, comme le fait Lacan lui-même en affirmant que la loi morale kantienne « n’est rien
d’autre que le désir à l’état pur » (LACAN, S XI, p. 247). Pour une analyse détaillée de cette
approche, voir BASS, Le désir pur, op. cit., pp. 22-82.
194
LACAN, S X, p. 33
88
195
Hegel dira ainsi à propos des objets que « leur acquisition est conditionnée et médiatisée,
d'une part, par la volonté des possesseurs qui, comme particulière, a pour but la satisfaction
des besoins diversement déterminés, ainsi que d'autre part, par la production, qui se
renouvelle toujours, de moyens échangeables, grâce à [un] travail propre ; cette médiation de
la satisfaction par le travail de tous constitue la fortune (Vermögen) universelle » (HEGEL,
Encyclopédie, op.cit, § 524).
196
LACAN, S VIII, p. 410.
197
Idem, E., p. 810.
89
198
LACAN, S XVII, p. 91.
199
Ibidem, p. 90. Voir aussi, idem, E., p. 811.
90
200
HEGEL, PhE I, p. 164.
91
201
Ibidem, p. 164.
92
202
Ibidem, p. 165.
203
LEBRUN, L´envers de la dialectique, p. 213.
204
HEGEL, PhE I, p. 259.
93
Désirer la Loi
205
LACAN, S II, p. 213.
206
Ibidem, p. 285.
95
207
LÉVI-STRAUSS, Claude, Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss, in MAUSS,
Anthropologie et sociologie, Paris : PUF, p. XXXI.
96
208
LACAN, E., p. 852. Souvenons-nous, par exemple, de l'affirmation canonique de Lacan :
« La vraie fonction du père est d'unir (et non pas d'opposer) un désir à la loi » (Ibidem, p.
824).
209
Ibidem, p. 827
210
LACAN, S V, p. 313.
97
bien qu'il n'a rien à faire avec elle en ce qui concerne ses exigences les plus
obligatoires211.
211
Idem, S VII, p. 358.
212
Idem, E., p. 703.
213
Idem, S XIV, séance du 07/06/67.
98
Elle est un pur jeu de substitution entre deux signifiants qui ont des
contextes et des systèmes de signification totalement autonomes l'un par
rapport à l'autre.
Lacan s'est servi de cette notion de substitution de signifiants afin de
rendre compte de la structure du symptôme. Comme la métaphore, le
symptôme fait appel à l'existence d'une autre chaîne signifiante qui insiste
dans la chaîne qui compose le texte de la pensée de la conscience, pour
autant qu'il est un signifiant qui vient à la place d'un signifiant refoulé. Dans
214
LACAN, S XVIII, p. 45.
215
Idem, E., p. 890
99
216
LACAN, E., p. 708.
217
Ibidem, p. 528.
218
Ibidem, p. 805.
219
Idem, S IV, p. 294.
100
220
Cependant, Lacan glisse d'une façon assez symptomatique à l'idée de la métaphore comme
négation du Réel. Pensons, par exemple, à son affirmation à propos du caractère
métaphorique propre au travail du Witz : « Tout ce que Freud développe dans la suite [de ses
considérations sur le Witz] consiste à montrer l'effet d'anéantissement, le caractère
véritablement détruisant, disrompant, du jeu de signifiant par rapport à ce que l'on peut
appeler l'existence du réel » (LACAN, S IV, p. 294). Si la métaphore est négation du Réel,
alors le Réel aura le même statut que l'empirique. Nous pouvons pourtant essayer de
comprendre cette affirmation de Lacan en disant que le Réel est ce qui, dans la référence, se
présente comme hors symbolisation. Il ne se confond pas totalement avec la référence (pour
autant que la référence est toujours intuitionnée à travers le cadre de l'Imaginaire). Mais il
indique ce qui, dans la référence, ne s'épuise pas dans l'image et dans le signifiant. Lacan est
très clair en ce sens lorsqu'il soutient que « le réferent est toujours réel, parce qu'il est
impossible à désigner, moyennant quoi il ne reste plus qu'à le construire » (Idem, S XVIII, p.
28). En ce sens, le jeu signifiant peut avoir un effet d'anéantissement du Réel parce qu'il
perpétue le Réel comme hors symbolisation.
101
221
Idem, S IV, p. 377.
222
NANCY et LABARTHE, Le titre de la lettre, Paris : Galilée, 1973, p. 76.
223
LACAN, S IX, séance du 06/12/61.
224
Idem, E., p. 502.
102
225
Voir, par exemple, LACAN, S IV, p. 253.
226
Rappelons ici la question de Nietzsche : « Qu'est-ce qui nous force à admettre qu'il existe
une antinomie radicale entre le “vrai” et le “faux”? Ne suffit-il pas de distinguer des degrés
dans l'apparence, en quelque sorte des couleurs et des nuances plus moins claires, plus ou
moins sombres - de “valeurs”, pour employer le langage des peintres ? Pourquoi le monde qui
nous concerne ne serait-il pas une fiction ? » (NIETZSCHE, Par-delà bien et mal, Paris :
Gallimard, 1971, p. 54).
227
LACAN, S III, p. 23.
228
Idem, S XXII, séance du 18/03/75.
103
d'abord par le signifiant pur et ensuite par la lettre : « quelque chose que le
discours en ratissant peut arriver à cerner »229.
Mais il faut insister aussi sur un autre aspect de la métaphore : son
caractère performatif (et non pas son caractère supposé constatatif) dont la
force perlocutionnaire est capable d'instaurer et de transformer une réalité
socialement reconnue, ainsi que les sujets qui y sont engagés230. Pensons ici,
par exemple, aux considérations lacaniennes sur la parole pleine (ne perdons
pas de vue que, pour Lacan, tout usage du symbole est métaphorique), dont
les cas majeurs sont des « actes de parler »231 comme « Tu es ma femme ».
Lacan est clair sur la force perlocutionnaire de ses exemples. A ce propos, il
dira que « l'unité de la parole en tant que fondatrice de la position des deux
sujets, est là manifestée »232. L'avènement du signifiant est une instauration
de la réalité partagée par les sujets.
Mais si l'on s'interroge sur le critère qui empêche la performativité
de l'interprétation métaphorique de devenir une simple opération de
suggestion, la réponse ne peut être que celle-ci : la conviction qu'elle éveille
viendrait de sa capacité à être symbolisation qui conserve la négativité du
désir pur. D'où le rôle majeur de la métaphore comme écriture de
l'inadéquation entre désignation et signification. Grâce à son caractère
d'écriture de l'inadéquation, la métaphore pourrait manifester, dans le
système symbolique, cette « transcendance du désir ».
Lacan cherchera ainsi sa conception de la métaphore dans la
métaphore surréaliste, la même métaphore qui affirme que toute conjonction
de deux signifiants serait équivalente pour constituer une métaphore.
Comme le dira Breton, à propos du jeu surréaliste de l'un dans l'autre :
« N'importe quel objet est “contenu” dans n'importe quel autre »233. Cette
formalisation esthétique d'une notion d'indifférenciation et
229
LACAN, Discours de Tokyo, non-publié.
230
Nous pouvons parler de force perlocutionnaire de la métaphore lacanienne parce que, à
travers son énonciation, elle est capable de réaliser un acte qui produit des effets dans
l´énonciateur et dans celui qui reçoit la parole. En ce sens, Lacan fait un genre d'utilisation
clinique de l'idée d'Austin selon laquelle « dire quelque chose provoquera souvent - le plus
souvent - certains effets sur les sentiments, les pensées, les actes de l'auditoire, ou de celui qui
parle, ou d'autres personnes encore. Et l'on peut parler dans le dessein, l'intention, ou le
propos de susciter ces effets [...]. Nous appelons un tel acte un acte perlocutoire, ou une
perlocution » (AUSTIN, Quand dire c'est faire, Seuil : Paris, 1970, p. 114). Plusieurs
commentateurs ont déjà fait un rapprochement entre cette structure lacanienne de la
métaphore et le problème des performatifs chez Austin. Voir, par exemple, FELMAN, Le
scandale du corps parlant, Paris : Seuil, 1980 ; BORCH-JACOBSEN, Lacan : the absolute
master, Stanford : Stanford university Press, 1991, pp. 143-146 ; FORRESTER, Seductions of
psychoanalysis, Cambridge : Cambridge University Press, 1991.
231
LACAN, S VI, séance du 19/11/58.
232
Idem, S III, p. 47.
233
BRETON, Perspective cavalière, Paris : Gallimard, 1996, p. 53.
104
234
Cf. LACAN, E., 889.
235
Voir, par exemple, HESSE, Language, metaphor and a new epistemology in The
construction of reality, Cambridge : Cambridge University Press, 1986, pp. 147-161.
236
BLACK, Models and metaphors, Ithaca NY: Cornell, 1968, p. 37.
105
237
LACAN, S IX, séance du 29/11/61.
238
Cf. idem, S XIV, séance du 14/12/66. La distinction entre Unterdrückung et Verdrängung
est importante dans ce contexte. Nous savons que le refoulement et le retour du refoulement
sont la même chose. Mais ce qui est unterdrückt ne passe pas par ce système de
renversements.
239
Cette reconnaissance d'une limite à la symbolisation métaphorique conduira Lacan à
affirmer que « chaque fois que vous introduisez - sans doute y êtes-vous obligés - la
métaphore, vous restez dans la même voie qui donne consistance au symptôme. Sans doute
est-ce un symptôme plus simplifié, mais c'est encore un symptôme, en tout cas par rapport au
désir » (idem, S VIII, p. 251).
240
LACAN, S V. p. 53.
106
241
Idem, E., p. 691.
242
« Quelque chose m'a frappé [dans la lecture de textes des psychotiques] - même quand les
phrases peuvent avoir un sens, on n'y rencontre jamais rien qui ressemble à une métaphore »
(Idem, S III, p. 247).
107
243
LACAN, S IX, séance du 14/03/62.
108
lui-même »244. Nous trouvons cette inertie dans les considérations de Lacan
sur l'économie de l'inconscient dans la psychose. S'il est vrai que, dans la
psychose, l'inconscient se présente à ciel ouvert : « contrairement à ce qu'on
avait pu croire, qu'il soit là ne comporte par soi-même aucune résolution,
bien au contraire, mais une inertie toute spéciale »245. Cette signification
inerte est le signe d'un langage réduit à l'économie imaginaire du discours,
langage naturalisé et chosifié, pour autant qu'il n'a pas la dimension de
l'Autre. C'est un langage où l'Autre est réduit à l'autre, ce qui produit une
suppléance du Symbolique par l'Imaginaire246. Lacan construit sa théorie de
la psychose à travers l'idée d'une réduction du désir à l'imaginaire,
réduction liée à la forclusion du Nom-du-Père (qui peut aussi être compris
comme forclusion du caractère métaphorique du père). « Là où la parole
[métaphorique] est absente, là se situe l'Eros du psychosé »247.
Toujours à propos de l'inertie propre au langage psychotique,
souvenons-nous comment Freud a caractérisé ce langage comme « un
langage qui traite les mots comme les choses »248. Cette considération est
illustrée par l'analysée de Victor Tausk qui fut conduite à la clinique après
une dispute avec son bien-aimé : « mes yeux (Augen) ne sont pas comme il
faut, ils sont tournés (verdreht) de travers ». C'était le résultat de la
chosification de la métaphore : « mon bien-aimé est un hypocrite, un
tourneur d'yeux (Augenverdreher)». Car si Freud affirme que, dans la
schizophrénie, il y a prédominance de la relation de mot sur la relation de
chose, c'est parce que les mots ont été chosifiés.
244
Idem, S III, p. 43.
245
Ibidem, p. 164.
246
Il s'ensuit l'impossibilité d'une médiation symbolique de l'altérité. Un événement de l'ordre
de l'altérité ne peut être assumé que comme identification imaginaire, et a pour conséquence
la désintégration du corps propre, l'explosion de la rivalité sous la forme de délire de
persécution et l'effacement des régimes d'identité qui soutenaient une certaine stabilité
prépsychotique. En ce sens, nous pouvons comprendre pourquoi Schreber n'a jamais intégré
aucune espèce de figure féminine et pourquoi sa psychose a été déclenchée au moment où il a
accompli l'identification imaginaire avec la figure féminine en affirmant que « ce serait une
belle chose que d'être une femme subissant l'accouplement ». Identification résultant de sa
découverte de son impossibilité d'être un géniteur.
247
LACAN, S III, p. 298. Aujourd'hui, on discute l'existence de cas de psychose qui ne sont
pas nécessairement liés à la forclusion du Nom-du-Père. On parle alors de néo-déclenchement
et de psychose ordinaire pour marquer sa différence d’avec la psychose « extraordinaire »
fondée sur la conjonction entre forclusion du Nom-du-Père et annulation du pouvoir de
symbolisation du Phallus (voir, par exemple, ECF, Conversation d'Arcachon - cas rares. Les
inclassables de la clinique, Paris : Agalma, 1997). Cette perspective demande une
reconsidération du rapport entre Loi et psychose et des modes de suppléance du Nom-du-
Père. C'est un travail qui échappe au propos de ce livre.
248
FREUD, L'inconscient in Métapsychologie, op. cit., p. 113.
109
249
LACAN, S XVIII, p. 34.
250
DERRIDA, La carte postale, op. cit., p. 506.
251
Il arrive à Derrida de parler de « signifié premier » (Cf. DERRIDA, Positions, Paris :
Minuit, 1975, p. 120) afin de signaler le prétendu régime d´adéquation qui serait présent dans
le système symbolique lacanien.
110
simulacre à simulacre, de double à double »252. Mais cette lecture peut être
relativisée si l'on insiste sur la compréhension métaphorique du Phallus et
du Nom-du-Père.
252
DERRIDA, idem, p. 489.
253
LACAN, S V, p. 174
254
Nous connaissons des critiques de Lacan qui affirment comment « dans les formulations
lacaniennes, la fiction d'un symbolique univoque se renforce. Lévi-Strauss parlait encore des
111
est posé comme tel »257. Il arrive à Lacan de parler du Père comme de
l'énonciateur qui promulgue la Loi, en réintroduisant la fiction du législateur
dans la théorie du Symbolique (un « imposteur »258, dira plus tard Lacan,
mais fiction fondatrice tout de même).
Néanmoins, le lieu du Père est marqué par la contradiction, puisqu'il
remplit le rôle impossible d'Autre de l'Autre, ce « niveau [impossible] où le
savoir fait fonction de vérité »259. Le Nom-du-Père est un signifiant pur, un
terme de la structure dont la fonction consiste à totaliser et à produire le sens
de ce dont il fait partie. Il est donc un signifiant qui a l'étrange pouvoir de
représenter la signification de l'Autre mais qui, afin d'être fondement, doit
être exclu du processus réflexif de détermination de la valeur des éléments
constituant la chaîne signifiante260.
Cette place ek-sistante du Nom-du-Père dans son rapport à la chaîne
signifiante peut expliquer pourquoi Lacan essayera ensuite de défaire le lien
entre Nom-du-Père et père symbolique, en le définissant comme un
quatrième nœud qui soutient le Symbolique, l'Imaginaire et le Réel261. Cette
dissolution s'insère dans un mouvement plus large de la théorie lacanienne
concernant la nature de la performativité des processus de symbolisation.
Comme nous le verrons, il y aura chez Lacan un rapprochement entre
symbolisation signifiante et production de fantasme. Il est évident dans
l'articulation d'ensemble entre Symbolique et Imaginaire à travers la notion
de semblant. Lacan sera donc obligé de distinguer formalisation et
symbolisation afin de permettre à la psychanalyse de penser des processus
de formalisation qui ne soient pas des symbolisations fantasmatiques. Ainsi,
la force des processus de subjectivation investis dans le Nom-du-Père
s'avouera indépendante de la capacité du Nom-du-Père à symboliser, pour
autant que celui-ci finira par se transformer en une espèce de signifiant
dépourvu de toute force de symbolisation.
257
Ibidem, p. 257.
258
LACAN, E., p. 813.
259
LACAN, S XVII, p. 125.
260
Ce qui nous montre comment le Nom-du-Père, tel que le Phallus, suit le paradoxe bien
pointé par Badiou : « le problème fondamental de tout structuralisme est celui du terme à
double fonction qui détermine l'appartenance des autres termes à la structure en tant qu'il en
est lui-même exclu par l'opération spécifique qu'il y fait figurer seulement sous les espèces de
son “représentant” » (BADIOU, Le (re)commencement du matérialisme dialectique in
Critique, n. 240, 1966, p. 497).
261
C’est ce que nous pouvons déduire de cette remarque : « je poserai, si je peux dire, cette
année, la question de savoir si, quant à ce dont il s'agit, à savoir le nouement de l'imaginaire,
du symbolique et du réel, il faut cette fonction supplémentaire en somme, d'un tore en plus,
celui dont la consistance serait à référer à la fonction dite du père » (LACAN, S XXI, séance
du 12/02/75). Sur cette question, voir PORGE, Les noms du père chez Jacques Lacan,
Ramonville Saint-Ange : Ères, 1997, chapitres I et VII.
113
262
LACAN, S V, p. 174.
263
LACAN, S V, p. 188.
264
Idem, S XVII, p. 129.
265
« Ce message [l'énonciation de la loi du père] n'est pas simplement le Tu ne coucheras pas
avec ta mère adressé déjà à cette époque à l'enfant, c'est un tu ne réintégreras pas ton produit
adressé à la mère » (Idem, S V, p. 202).
114
266
Ibidem, p. 162.
267
« Le père symbolique est, lui, une nécessité de la construction symbolique, que nous ne
pouvons situer que dans un au-delà, je dirais presque une transcendance » (Idem, S IV, p.
219).
268
LACAN, S XI, p. 103.
115
269
Idem, S IV, p. 210.
270
Idem, E., p. 808.
271
Ibidem, p. 813.
272
Idem, S V, p. 258.
116
273
Cette façon de prendre en considération les différences catégorielles quantitatives
exprimées par la forme générale de la proposition est ce qui fait la spécificité de la théorie
hégélienne du jugement, au point que Hegel affirme qu’il faut « regarder comme un manque
d’observation digne d’étonnement, que dans les Logiques ne se trouve pas indiqué le fait que
dans chaque jugement est exprimée une telle proposition : “Le singulier est l’universel” »
(HEGEL, Encyclopédie, op. cit., § 166).
117
Lorsque je dis, par exemple, « une rose est une rose », on voit que
l’attente ouverte par l’énonciation « une rose est... », où le sujet apparaît en
tant que forme vide et encore non déterminée, comme « quelque chose en
général », comme « son privé de sens »274, est inversée à la fin de la
proposition. La rose qui apparaît en position de sujet est un cas particulier ;
c’est une rose qui, en soi-même, n’est que négation – événement contingent
dépourvu de sens, tandis que la rose en position de prédicat apparaît d'abord
comme « représentation universelle » abstraite qui fournira la signification
(Bedeutung) du sujet. On peut même affirmer qu’elle est l’extension d’un
ensemble encore vide. Pour Hegel, en énonçant « une rose est une rose », on
dit en fait que l’ensemble est identique à l’un des ses éléments, on dit que le
singulier est l’universel275. Telle est du moins l'interprétation que nous
pouvons donner à cette affirmation : « déjà la forme de la proposition est en
contradiction avec elle [la proposition A=A], car une proposition promet
aussi une différence entre sujet et prédicat ; or celle-là ne fournit pas ce
qu’exige sa propre forme »276. C’est pourquoi, dans son commentaire sur
l'exemple majeur de notre discussion à propos du Nom-du-Père, Hegel
soutient que « si quelqu'un ouvre la bouche et promet d'indiquer c'est qui est
Dieu, savoir Dieu est - Dieu, l'attente se trouve trompée, car elle envisageait
une détermination différente »277.
Hegel aurait compris l’existence, dans la forme générale de la
proposition, d’une scission structurale entre le régime général de
présentation et la désignation nominale de l’événement particulier. Car le
premier moment de l’affirmation « le singulier est l’universel » pose en fait
l’inessentialité du singulier et la seule réalité de l’universel. Une rose sera
toujours une rose. C’est le prédicat qui pose le sujet et, à partir du moment
où le sujet (encore indéterminé) est posé, il s’efface : ce qui était prédicat
advient comme sujet. À cause de la forme générale de la proposition, l’acte
d’énonciation de l’identité produit toujours la position d’une aliénation. Car
« si on dit aussi : “l’effectivement réel (Wirkliche) est l’Universel”,
l’effectivement réel comme sujet s’évanouit (vergeht) dans son prédicat »278.
Mais la réflexivité propre à la forme générale de la proposition peut
produire des inversions d'autant que dans le jugement, l'universel « se donne
274
Idem, PhE I, op.cit, p. 21
275
D’une certaine façon, Lacan est en train de dire la même chose lorsqu’il dit, à propos de la
structure du vel aliénante que « le signifiant avec lequel on désigne le même signifiant n’est
évidemment pas le signifiant que celui par lequel on désigne l’autre » (LACAN, S XI, p. 190).
Le premier signifiant est un signifiant pur, un ensemble vide, l’autre est détermination de
sens.
276
HEGEL, Encyclopédie I, p. 163.
277
Idem, Science de la logique II, p. 44.
278
HEGEL, PhE I., op.cit, p. 55.
118
279
HEGEL, Science de la logique III, p. 112. Ici nous pouvons suivre Zizek : « l'universel est
le contraire de lui-même dans la mesure où il se réfère à soi dans le particulier, autant qu'il
parvient à son être-pour-soi sous la forme de son contraire » (ZIZEK, Hegel passe : le plus
sublime des hystériques, Paris : Point Hors Ligne, 1999, p. 57).
280
Il peut sembler que Hegel fasse ici une confusion entre prédication et identité. Il semble
négliger qu'il y a au moins deux emplois différents du terme « est ». Frege nous a montré que
« est » peut avoir au moins deux fonctions (Cf. FREGE, Ecrits logiques et philosophiques,
Paris : Seuil, 1971, p. 129). « Est » peut avoir la fonction de forme lexicale d'attribution afin
de permettre la prédication d'un concept à un objet. Ainsi, dans « une rose est odorante »,
« odorante » est la prédication conceptuelle d'un nom d'objet (rose). Mais, d'autre part, « est »
peut avoir la fonction de signe arithmétique d'égalité afin d'exprimer une identité entre deux
noms d'objets (comme dans le cas de la proposition « l'étoile du matin est Vénus ») ou
l'autoégalité d'un nom d'objet à soi même (« Vénus est Vénus »). Il nous semble que, en
vérité, la dialectique doit, dans une certaine mesure, confondre prédication et identité. Le
fondement de la compréhension spéculative du langage tient dans l'expérience de
l'évanouissement de l'objet sous son nom. Pour Hegel, un nom d'objet ne peut pas être une
dénotation positive de l'objet et il n'y a pas un nom qui puisse faire converger désignation et
signification. En ce sens, l'identité doit devenir nécessairement une prédication, pour autant
que la position de l'identité amène nécessairement le sujet à passer à la prédication de
différences oppositionnelles. C'est précisément le passage qui intéresse Hegel.
281
LACAN, S XXII, séance du 13/03/75.
282
PORGE, Les noms du père chez Jacques Lacan, op. cit., p. 105.
283
HEGEL, Science de la logique, tome II., p. 18.
119
À propos du père, il faut encore insister sur un point. S'il n'était pas
un père mort, s'il était ce père primitif maître de la jouissance qui fait
exception à la castration, tel qu'on le trouve dans Totem et Tabou, il n'y
284
LACAN, S IV, p. 211.
285
Et lorsque Lacan admet la pluralisation du Nom-du-Père (qui peut être comprise comme
symptôme d'une époque où la place univoque de Loi disparaît dans une multiplicité de
normes), il continue à le soutenir en tant que formalisation d'une négation : « mais le Père en a
tant et tant [de noms] qu'il n'y en a pas Un qui lui convienne, sinon le Nom de Nom de Nom
comme ek-sistence » (Idem, AE, p. 563)
286
HEIDEGGER, Essais et conférences, Paris : Gallimard, 1958, p. 212.
120
290
Ce problème est bien soulevé par Borch-Jacobsen : « que signifie rétablir la Loi, tel que
Lacan essaye de le faire, par son identification à la Loi du symbole et du langage ? Ne serait-il
mieux d'admettre qu'elle a été définitivement effacée ? » (BORCH-JACOBSEN, The Oedipus
Problem in Freud and Lacan in PETTIGREW et RAFFOUL, Disseminating Lacan, New
York : SUNY, 1996, p. 312). On voit des échos de cette problématique dans l’aveu de Michel
Silvestre : « c’est à la précarité de cet artifice [le Nom-du-Père] que sont confrontés les
analystes lorsqu’ils constatent, voire déplorent, l’inefficacité croissantes des interprétations
oedipiennes, faites au nom du père, sous le couvert de cette autorité d’emprunt »
(SILVESTRE, idem, p. 260).
291
Voir la formule : « le Nom-du-Père, on peut aussi bien s'en passer, à condition de s'en
servir ».
122
292
C'est un sens possible que nous pouvons donner à la problématique de l'aphanisis
développée par Jones. Selon lui l'aphanisis est « une menace pour le moi possesseur de la
libido, pour sa capacité d'obtenir une satisfaction libidinale, qu'elle se rapporte au sens ou
qu'elle soit sublimée » (JONES, Théorie et pratique de la psychanalyse, Paris: Payot, 1997, p.
285).
293
LACAN, S X, p. 311. Ou encore, lorsque Lacan parle du Phallus « en tant qu'il représente
la possibilité d'un manque d'objet » (LACAN, S XIV, séance du 15/01/67).
294
LACAN, E., p. 699.
295
Idem, S VIII, p. 277.
123
que « le Phallus est le seul signifiant qui puisse se signifier lui-même »296,
pour autant que « son énoncé s'égale à sa signification »297.
Ces formules, comme nous l'avons vu avec l'impossible de la
tautologie du père, indiquent la formalisation d'un impossible, et non pas la
possibilité de réalisation effective d'une proposition d'auto-identité. D'où le
besoin lacanien de dire que le Phallus est toujours voilé, imprononçable,
d'autant qu'il est l'internalisation de sa propre négation.
Cette importance du signifiant phallique a plusieurs conséquences.
D'abord, elle montre que le sujet ne peut pas échapper à un horizon formel
de totalisation et de synthèse. Le Phallus est « le signifiant fondamental par
quoi le désir du sujet a à se faire reconnaître comme tel, qu'il s'agisse de
l'homme ou qu'il s'agisse de la femme »298. À travers le Phallus, le sujet
partage une fonction sociale sous la forme d'un avoir qui est don (dans le cas
de la position masculine) ou d'un être qui n'est qu'être pour l'Autre et non
pas indication d'un attribut essentiel (dans le cas de la position féminine). Ce
qui montre comment le signifiant phallique est l'emblème de toute
symbolisation possible du désir. Le Phallus peut apparaître comme
dispositif d'indexation de tout espace possible de reconnaissance
intersubjective, comme le centre de l'économie libidinale, parce que, pour
Lacan, le champ de la sexuation est le champ même de la reconnaissance.
Le sujet ne peut être reconnu qu'en tant que sujet sexué, ce qui ne signifie
pas soumettre la transcendance absolue du désir à un donné anthropologique
de la sexualité ou de la différence anatomique entre les sexes, pour autant
que la clinique analytique nous démontre « une relation du sujet au phallus
qui s'établit sans égard à la différence anatomique des sexes »299.
Cette place majeure du Phallus correspond à une soumission de la
diversité possible des modes de sexuation au primat de la fonction
phallique. Ainsi, la sexuation féminine sera d'abord pensée à partir du
Penisneid et de la façon de le surmonter en faisant des attributs féminins les
signes des revendications phalliques et que Lacan, en suivant Joan Rivière,
appelle la masquerade. C’est là la façon proprement lacanienne d'interpréter
l'affirmation freudienne selon laquelle toute libido est nécessairement
masculine.
Lacan revient là-dessus lorsqu’il dit que pas tout d'une femme est
inscrit sur la fonction phallique. Mais ce pas tout ne signifie pas
nécessairement négation du générique de la fonction phallique et de la
296
Idem, S IX, séance du 09/05/62.
297
Idem, E., p. 819.
298
Idem, S V, p. 273.
299
Idem, E., p. 686.
124
300
LACAN, S VIII, p. 243.
301
Idem, E., p. 692.
302
« Il n'est pas simplement signe [ce qui est déjà trop pour une théorie non-réaliste du
symbolisme] et signifiant, mais présence du désir. C'est la présence réelle » (Idem, S VIII, p.
294). Une présence qui transforme le Phallus en « signifiant du pouvoir, le sceptre, et aussi ce
grâce à quoi la virilité pourra être assumée » (Idem, S V, p. 274).
303
Idem, S VIII, p. 277.
125
Lacan a affirmé que le Phallus était présence réelle du désir, c'est parce qu'il
est en fait présence du négatif ou
symbole général de cette marge qui me sépare toujours de mon désir, et qui fait que
mon désir est toujours marqué de l'altération qu'il subit par l'entrée dans le
signifiant304.
304
LACAN, S V, p. 243.
305
C'est à partir de cette perspective qu'on peut comprendre Lacan lorsqu'il parle du « rapport
significatif de la fonction phallique en tant que manque essentiel de la jonction du rapport
sexuel avec sa réalisation subjective » (Idem, S XIV, séance du 22/02/67).
306
Idem, S X, p. 222
307
Idem, E., p. 823.
308
Idem, S X, p. 237
309
Idem, S XIV, séance du 24/05/67.
126
310
Comme a bien remarqué Razavet : « il est clair que le Φ occupe ici la place de ce que
Lacan désignera du terme de plus de jouir, ce reste de la jouissance du vivant non
symbolisable, non significatisable, et donc réel, désigné de la lettre a. Ceci est contradictoire
avec la notion du phallus comme signifiant » (RAZAVET, De Freud à Lacan : du roc
d'origine au roc de la castration, Bruxelles : De Boeck, 2000, p. 134).
311
LACAN, E., p. 690 [citation modifiée].
312
En ce sens, Razavet a raison de dire que « le phallus est alors comme le point de
perspective où viennent converger deux courants de l'expérience freudienne ; celui du
signifiant, découvert par Freud dans les formations de l'inconscient (cela a donné la première
topique), et celui de la libido et de la pulsion, théorisé par Lacan avec le concept de
jouissance » (RAZAVET, idem, p. 141).
127
Si le complexe de castration est quelque chose, c'est cela - quelque part il n'y a pas
de pénis, mais le père est capable d'en donner un autre. Nous dirons plus - pour
autant que le passage à l'ordre symbolique est nécessaire, il faut toujours que
jusqu'à un certain point, le pénis ait été enlevé [comme objet], puis rendu [comme
signifiant]. Naturellement, il ne peut jamais être rendu, puisque tout ce qui est
symbolique est, par définition, bien incapable de le rendre [le signifiant est
dépourvu de force dénotative]. C'est là que gît le drame du complexe de castration -
ce n'est que symboliquement que le pénis est enlevé et rendu317.
317
Idem, S IV, p. 334.
129
318
Cf. LACAN, E., p. 690 et Idem, S V, p. 346. Lacan utilise le terme « simulacre » afin
d'indiquer le statut du ϕαλλοζ en Grèce antique.
319
Idem, AE, p. 17.
320
Idem, S XVIII, p.34
321
Rappelons, par exemple, comment Lacan revient sur le problème platonicien du statut
« d'imitation d'une apparence » (PLATON, République, 598b). Il dira que « le tableau ne
rivalise pas avec l'apparence, il rivalise avec ce que Platon nous désigne au-delà de
l'apparence comme étant l'Idée. C'est parce que tableau est cette apparence qui dit qu'elle est
ce qui donne l'apparence, que Platon s'insurge contra la peinture comme contre une activité
rivale de la sienne » (LACAN, S XI, p. 103).
131
322
Idem, S II, p. 265.
323
Idem, S I, p. 142.
324
Ibidem, p. 258.
325
LACAN, S XVIII, p. 18
326
Notons que nous ne sommes pas très loin de Deleuze, pour qui « tout est devenu
simulacre. Car, par simulacre, nous ne devons pas entendre une simple imitation, mais plutôt
132
l'acte par lequel l'idée même d'un modèle ou d'une position privilégiée se trouve contestée,
renversée » (DELEUZE, Différence et répétition, Paris : PUF, 2000, p. 95). Aussi bien Lacan
que Deleuze pensent une situation historique où le domaine de la présentation semble ne plus
renvoyer à des systèmes structurés de production de sens. Mais tandis que Deleuze opère dans
la voie du déploiement de la puissance du virtuel, Lacan insiste sur l’avènement d'un discours
qui ne serait pas du semblant.
327
HENRICH, Hegel im Kontext, Surkhamp: Frankfurt, 1972, p. 117.
328
BUTLER, Gender trouble, op.cit, p. 60.
329
LACAN, E., p. 694.
133
330
Idem, S V, p.p. 453-454.
331
Idem, S XI, p. 99.
332
Ibidem, p. 99.
333
LACAN, S V, p. 350.
334
Idem, S XI, p. 98.
134
335
Idem, S XVIII, p. 35
336
LACAN, S V, p. 351.
337
Idem, S X, p. 223
338
Idem, S XX, p. 36.
135
II.
340
LACAN, E., p. 217.
341
Ibidem, p. 613.
139
depuis Freud, nous enseigne, pour autant que la Verneinung est négation
d'un contenu mental préalablement symbolisé. En ce sens, la Verneinung ne
peut pas fournir un mode de négation comme présence objective de ce qu´il
y a de réel dans le sujet.
En parallèle à la Verneinung, nous avons vu comment la négation
propre à la Verwerfung apparaissait comme expulsion du Réel hors du
système symbolique. Un Réel irréductible à la symbolisation et au
renversement dialectique, mais qui pouvait revenir comme construction
imaginaire (hallucination, acting-out etc.). Nous avons aussi différencié la
forclusion du Réel et la forclusion du Nom-du-Père afin de laisser ouverte la
question de savoir quel était le destin, à l'intérieur de la clinique analytique,
de ce Réel forclos où s'est logée la pulsion. Lacan oscillait entre la possibilité
de sa symbolisation et la reconnaissance du besoin de penser des nouvelles
modalités de formalisation. Une oscillation symptomatique, puisque la
relation entre Réel et structure symbolique sera le moteur de la révision de la
métapsychologie lacanienne à partir des années soixante.
Mais il restait une question centrale : quel genre de négation Lacan
cherchait-il afin de rendre compte de la structure d´une subjectivité dont
l´expression se basait sur un désir pur ? Fallait-il la trouver dans l'hypostase
d'une purification du désir qui ne peut être atteint que dans cet état
d'indifférenciation absolue qui est la mort (souvenons-nous comment Lacan
a posé la subjectivation de la mort comme horizon de la fin de l'analyse342) ?
Et si tel était le cas, penser la fin de l´analyse comme subjectivation de la
mort n´était-il pas une manière d´élever la position masochiste à la limite du
progrès analytique ?
Nous avons vu combien la réponse lacanienne était rusée et passait
nécessairement par la compréhension de la complexité du rapport entre le
sujet et la Loi symbolique. Car il ne faut pas confondre l'intersubjectivité
lacanienne avec une simple réalisation communicationnelle des procédures
de compréhension auto-réflexive entre des sujets. Le point central du
problème lacanien de la reconnaissance intersubjective se trouve dans les
modes de relation entre le désir et la Loi. Une Loi qui ne cache pas ses
aspirations universelles et inconditionnelles.
Sur ce point, Lacan développe les conséquences du postulat majeur
du structuralisme : la valeur des objets pour un sujet est déterminée par la
place qu'ils occupent à l'intérieur d'une structure symbolique. Lorsqu'il fait
un choix d'objet, le sujet a tendance à perdre de vue la médiation des
structures sociolinguistiques qui déterminent sa conduite. La psychanalyse
342
« C’est donc bien là que l'analyse du Moi trouve son terme idéal, celui où le sujet, ayant
retrouvé les origines de son Moi en une régression imaginaire, touche, par la progression
remémorante, à sa fin dans l'analyse : soit la subjectivation de sa mort » (LACAN, E., p. 348).
140
343
Cela pose évidemment des limites à notre démarche. Dans cette partie, notre méthode
consiste à assumer la proximité entre le Lacan théoricien de l'intersubjectivité dans la
psychanalyse et la philosophie pratique de Kant afin de dévoiler les défis de la perversion
(soit dans la figure de Sade, soit, ensuite, dans la figure de Sacher-Masoch). Cette option est
risquée et suppose des choix précis dans le corpus kantien. Nous croyons pourtant qu'elle
reste valable – au moins pour la compréhension des certaines questions à l´intérieur de la
pensée lacanienne. De toute façon, nous verrons comment cette lecture lacanienne se
rapproche des critiques à la détermination transcendentale de la volonté pure faites par
Adorno et Hegel.
143
344
KANT, Critique de la raison pratique, Paris : PUF, 2000, p. 24.
345
KANT, Métaphysique des moeurs - II, Paris : Flammarion, 1994, p. 244.
346
D´où cette affirmation surprenante et connue : « L’impératif catégorique de Kant est ainsi
l’héritier du complexe d’Œdipe » (FREUD, Das ökonomische Problem des Masochismus in
Gesammelte Werke, Fischer Taschenbuch, Frankfurt, 1999, p. 380). Cette affirmation perd un
peu de son caractère étonnant si l'on accepte, comme David-Ménard, que « la construction du
concept d'universalité, chez Kant en tout cas, mais aussi chez beaucoup d'autres penseurs, est
solidaire de sa liaison à une anthropologie des désirs et à une analyse très particulière et plutôt
masculine de l'expérience coupable » (DAVID-MÉNARD, Les constructions de l'universel,
op.cit., p. 2).
144
l'expérience morale a une génèse empirique pour autant qu´elle est le résultat
du sentiment de culpabilité venu de la rivalité avec le père.
La reconnaissance de la présence de la Loi morale en tous les
hommes rend possible un horizon pour réguler la conduite rationnelle. Cet
horizon intersubjectif amène le sujet à guider ses actions vers la réalisation
de ce que Kant nomme le « règne des fins », c'est-à-dire la « liaison
systématique de divers êtres raisonnables par des lois communes »347. A
travers la thématique du règne des fins, Kant montre comment la Loi morale
peut apparaître comme élément capable de fonder un espace transcendantal
pour la reconnaissance intersubjective de l'autonomie et de la dignité des
sujets348.
Mais une question demeure : quel est le rapport entre cette
intersubjectivité kantienne et l'intersubjectivité lacanienne, dans laquelle la
négativité du sujet est reconnue à travers une Loi phallique et paternelle
constituée comme signifiant pur ? Il faut tout d'abord souligner la façon dont
Lacan défend lui aussi la possibilité d'une Loi d'aspiration universelle
capable de fonder un espace de reconnaissance intersubjective. L'importance
de la fonction de l'Universel de la Loi dans la clinique amène Lacan à
affirmer qu’« il n’y a de progrès pour le sujet que par l’intégration où il
parvient de sa position dans l’universel »349. Mais nous avons vu que
l'Universel est construit par la Loi phallique qui montre comment le sujet
n’est reconnu qu'à partir du moment où son désir passe par la fonction
universelle de la castration.
Ce glissement inattendu de la Loi morale à la Loi phallique peut être
expliqué si l'on se rappelle que la psychanalyse a essayé d'introduire une
érotique au-dessus de la morale. Tel est le résultat d'une certaine perspective
matérialiste qui essaye de « mettre le rapport homme/femme au centre de
l'interrogation éthique »350.
Il est vrai que Kant n'a jamais introduit la différence sexuelle à
l'intérieur des considérations éthiques. Il a préféré s'adresser au générique de
tout homme. Pour Kant, introduire ici la différence sexuelle reviendrait à
confondre les domaines de l'anthropologie et de la morale et à soumettre la
transcendantalité du sujet à l'ordre matériel de la loi de la nature. Mais si la
psychanalyse suit Kant dans son programme pour réconcilier la raison avec
sa dimension pratique, elle nous signale que la fondation du Logos doit tenir
347
KANT, Métaphysique des moeurs - I, Paris : Flammarion, 1994, p. 114.
348
Si Lacan ne parle pas beaucoup du règne des fins, c'est surtout parce qu'il s’appuie sur la
Critique de la raison pratique et laisse un peu de côté la Fondation de la métaphysique des
moeurs, où cette thématique se trouve plus développée.
349
LACAN, E., p. 227.
350
Idem, S VII, p. 192.
145
351
Une idée bien développé par DAVID-MÉNARD, Les constructions de l'Universel, op. cit.,
p.19.
352
KANT, Métaphysique des moeurs I., p. 125.
353
Idem, Critique de la raison pratique, op.cit., p. 20.
146
354
KANT, Métaphysique des moeurs - II, op.cit., p. 215.
355
Ibidem, p. 241.
356
KANT, Critique de la raison pratique, op.cit., p. 62.
357
Idem, Métaphysique des moeurs I, op. cit., p. 117.
358
« Wohl ou Uebel ne désignent jamais qu'un rapport à ce qui dans notre état est agréable
ou désagréable. [...] Gute et Böse indiquent toujours une relation à la volonté, en tant qu'elle
est déterminée par la loi de la raison à faire de quelque chose son objet » (Idem, Critique de
la raison pratique, op.cit., p. 62). Lacan a bien noté que « la recherche du bien serait donc une
impasse, s'il ne renaissait das Gute, le bien qui est l'objet de la loi morale » (LACAN, E., p.
766).
147
359
KANT, Critique de la raison pratique, op.cit., p. 62.
360
LACAN, E., p. 770. Suivons ici le commentaire de Zupancic « la question de Kant ne
consiste pas à dire que tout trait de matérialité doit être effacé de la détermination du
fondement de la volonté morale mais, au contraire, que la forme de la loi morale doit devenir
“matérielle” afin de fonctionner comme une force motivationnelle à l'action » (ZUPANCIC,
Ethic of the real. London : Verso, 2001, p. 15). Nous verrons comment cette matérialisation
de la forme ne résout pas notre question parce qu'elle est effacement de toute résistance du
sensible et peut nous amener directement à la perversion.
361
KANT, Métaphysique des moeurs - II, op.cit., p. 231.
362
LACAN, S XI, p. 247, ou encore : « la Loi morale ne représente-t-elle pas le désir dans le
cas où ce n’est plus le sujet, mais l’objet qui fait défaut ? » (LACAN, E., p. 780).
148
sujet ne peut être reconnu en tant que sujet qu'à partir du moment où il
assume son identification avec une Loi qui est pure forme vide et dépourvue
de contenu positif. Dans le cas de Kant, il s'agit de la Loi morale. Dans le cas
de Lacan, nous avons la Loi phallique et paternelle. Nous sommes devant
deux procédures symétriques d'ouverture à la réalisation d'un champ
transcendantal de reconnaissance intersubjective par le biais d’une
identification du désir à la Loi.
363
KANT, Métaphysique des moeurs I, op.cit., p. 364.
149
364
Cf. LACAN, S VII, p. 364.
150
365
FREUD, Esquisse in La naissance de la psychanalyse, Paris : PUF, 1996, p. 348.
366
Ibidem, p. 348.
367
LACAN, S VII, p. 64.
368
Ibidem, p. 87.
369
Rappelons comment Freud joue avec l'ambivalence du terme heimlich : « ce terme de
heimlich n'est pas univoque, mais il appartient à deux ensembles de représentations qui, sans
être opposés, n'en sont pas moins fortement étrangers, celui du familier, du confortable, et
celui du caché, du dissimulé [...]. Heimlich est donc un mot dont la signification évolue en
direction d'une ambivalence jusqu'à ce qu'il finisse par coïncider avec son contraire
unheimlich » (FREUD, Das Unheimliche in Gesammelte Werke, op.cit., pp. 235-237).
151
370
LACAN, S VII, p. 142.
371
Soulignons que, dans le séminaire VII, Lacan n'a pas encore établi une distinction entre
désir et pulsion. Cela va lui permettre de parler de das Ding aussi bien comme « le lieu des
Triebe » (Ibidem, p. 131) que comme ce qui s'expose dans le rapport dialectique du désir et de
la Loi (Ibidem, p. 101).
372
« Cette analyse d'un complexe perceptif a été qualifiée de reconnaissance (erkennen),
implique un jugement et s'achève avec ce dernier » (FREUD, Esquisse in La naissance de la
psychanalyse, op.cit., p. 349).
152
il est en fin de compte concevable que ce soit comme trame signifiante pure, comme
maxime universelle, comme la chose la plus dépouillée de relations à l'individu, que
doivent se présenter les termes de das Ding373.
373
LACAN, S VII, p. 68.
374
Idem, S VIII, p. 315.
375
Nous pouvons suivre ici Zupancic : « dans ce contexte, l'éthique du désir se présente
comme un héroïsme du manque, comme l'attitude à travers laquelle, au nom du manque de
l'objet Vrai, nous refusons tout objet et nous nous satisfaisons avec aucun » (ZUPANCIC,
idem, p. 240). En fait, le sujet n'agit pas exactement au nom du manque de l'objet, mais au
nom de l'objet comme manque, comme objet transcendantal qui ne se manifeste que comme
manque d'une adéquation à l'empirie.
153
est-ce que la Loi est la Chose ? Que non pas. Toutefois je n'ai eu connaissance de la
Chose que par la Loi. En effet, je n'aurais pas eu l'idée de la convoiter si la Loi
n'avait dit - Tu ne la convoiteras pas. [...] Sans la Loi la Chose est morte376.
Autrement dit, lorsque la Loi dit ce que l'on doit ou ce que l'on ne
doit pas faire (Tu ne convoiteras pas), elle produit une mauvaise dialectique
entre désir et Loi. Car elle produit des situations semblables à celle d'un
névrosé qui a besoin des chaînes pour pouvoir les transgresser. La Loi
nomme das Ding comme le lieu marqué par l'interdiction, par exemple
lorqu’elle nomme la mère comme das Ding : « c'est en tant que la loi
l'interdit qu'elle impose de la désirer, car après tout la mère n'est pas en soi
l'objet le plus désirable »377. En ce sens, Lacan peut dire qu'on « désire au
commandement ». Un mode de désir qui, à la fin, ne peut produire que le
désir de mort : « le rapport dialectique du désir et de la Loi fait notre désir ne
flamber que dans un rapport à la Loi, par où il devient désir de mort »378. Le
désir se transforme donc dans un pur désir hystérique de destruction de la
Loi.
Mais c'est la première impasse qui nous intéresse, puisqu'elle
obligera Lacan à reformuler radicalement le programme de rationalité de la
cure analytique.
Le piège sadien
376
LACAN, S VII, p. 101.
377
Idem, S X, p. 126
378
Idem, S VII, p. 101.
154
379
KANT, Métaphysique des moeurs I, op.cit., p. 143.
380
ADORNO et HORKHEIMER, Dialectique de la raison, op.cit., p. 104.
381
LACAN, S X, p. 176
382
Idem, S VII, p. 96.
155
383
BLANCHOT, Lautréamont et Sade, Paris : Minuit, 1949, p. 36.
384
SADE, La philosophie dans le boudoir, Paris : Gallimard, 1975, p, 172.
385
Ibidem, p. 83.
386
Ibidem, p. 227.
387
LACAN, S VII, p. 237.
388
Idem, E., p. 770.
389
Ibidem, p. 771.
156
390
Je suis ici une intuition fort intéressante présente de BAAS, Le désir pur:De la chose à
l´objet : Jacques Lacan et la traversée de la phénoménologie, Louvain : Peeters, 1998, p. 40.
Notons que, dans un jeu d´écriture très utilisé au XVIII siècle, les lettres des trois personages
composent le nom propre S A – D- E. Ce qui renforce l´hypothèse lacanienne de la division
du sujet.
391
KANT, Métaphysique des moeurs - II, op.cit, p. 296.
157
392
KANT, Critique de la raison pratique, op.cit., p. 37.
393
Ibidem, p. 56.
158
394
ADORNO et HORKHEIMER, La dialectique de la Raison, op. cit, p. 94.
395
SADE, La philosophie dans le boudoir, op.cit., p. 199.
396
DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch, op.cit., p. 22. C´est cela qu´Adorno a en vue
lorsqu´il affirme : « L´affinité entre la conaissance et la planification, à laquelle Kant a donné
un fondement transcendantal et qui confère à tous les aspects de l´existence bourgeoise,
plainement rationalisée même dans les temps de pause, un caractère de finalité inéluctable, a
déjà été exposée empiriquement par Sade un siècle avant l´avenement du sport. Les équipes
sportives modernes dont les activités collectives sont réglées avec une telle précision
qu´aucun membre n´a le moindre doute sur le rôle qu´il doit jour et qu´un remplaçant est prêt
à se substituer à chacun, ont un modèle précis dans les jeux sexuels collectifs de Juliette, où
aucun instant n´est inutilisé, aucun orifice corporel négligé, aucune fonction ne reste
inactive » (ADORNO et HORKHEIMER, Dialectique de la raison, op. cit., 98)
397
SADE, La philosophie dans le boudoir, op.cit., p. 157.
398
Ibidem, p. 157.
159
399
LACAN, S XIV, séance du 22/02/67.
400
Car « ce qu'il y a de désespérant dans le blocage de la pratique qu'on attendrait, procure
paradoxalement un temps pour la pensée ; ne pas utiliser ce temps serait, sur le plan de la
pratique, un crime. Ironie des choses : la pensée profite aujourd'hui de ce que l'on n'ait pas le
droit d'absolutiser son concept » (ADORNO, DN, p. 237).
160
401
LACAN, S VII, p. 362.
161
le devoir, ce but pur, est ce qui est sans effectivité »402. La tentative d'indexer
l'effectivité sur un dispositif transcendantal est impossible. Nous ne pouvons
jamais agir en conformité à la Loi.
Mais y a-t-il un sens à rendre le sujet coupable de quelque chose qui
est marqué par l'impossible ? Notons comment nous sommes proches d'une
problématique lacanienne. Nous pouvons aussi nous demander quel sens il y
a à évaluer une action à partir d'une conformité entre un acte et une Loi du
désir qui est impossible, sauf dans la perversion ou grâce à un retour de la
certitude subjective immédiate. Devons-nous alors abandonner le
commandement de ne pas céder sur son désir ?
Dans ce contexte, le recours à Hegel est extrêmement utile pour
comprendre l'éthique du désir sans tomber dans une impasse. Car, dans ces
deux cas, le jugement éthique est composé d'un double mouvement qui
montre comment le sujet doit assumer la Loi et la surmonter, en posant un
acte au-delà de la Loi.
Revenons à ce moment où la conscience agissante « se confesse
ouvertement à l'autre [en fait, c'est à l'Autre de la Loi], et attend de son côté
que l'autre, comme il s'est en fait mis sur le même plan qu'elle, répète aussi
son discours, et exprime dans ce discours son égalité avec elle »403. Cette
confession de la conscience ouvre la possibilité d’une réconciliation avec
l´effectivité. Hegel parle à ce propos de « l'être-là effectuant la
reconnaissance (das anerkennende Dasein eintreten werden) ». Pourtant, « à
la confession du mal “Voilà ce que je suis” (Ich bins), ne succède pas la
réponse d'une confession du même genre »404.
Un double mouvement permet ici la résolution de l´impasse. Se
confesser en disant « Voilà ce que je suis » et en reconnaissant de
l’inadéquat, du contingent à l´intérieur de l´acte, cela signifie deux choses.
D'abord être une « particularité abolie » et reconnaître la Loi dans son cœur.
C'est grâce à la confession que le sujet peut rompre toute immédiateté avec
l'action et poser un principe de transcendance qui lui permet de se
reconnaître comme sujet de la Loi. Il reconnaît son action comme mauvaise
et, ainsi, s’en distingue.
Mais demander que la Loi répète aussi le discours de la confession,
ce n’est pas simplement reconnaître la non-identité entre Loi et action. La
conscience agissante veut que la Loi reconnaisse la rationalité de la non-
conformité de l'acte à un cadre transcendantal. Il faut donc admettre
l'opacité radicale de l'acte car il y a en lui un « reste pathologique » qui n'est
402
HEGEL, Phénoménologie II, op.cit., p. 195.
403
Ibidem, p. 196.
404
Ibidem, p. 196.
162
405
En ce sens, nous pouvons suivre Bourgeois, pour qui, chez Hegel, « il est rationnel qu'il y
ait de l'irrationnel. Puisque, par son statut, ce qui en son contenu est irrationnel est rationnel,
la reconnaissance, l'accueil par la spéculation de l'empirie pure ne manifeste pas l'impuissance
de cette spéculation, mais, bien plutôt, sa libéralité » (BOURGEOIS, Etudes hégéliennes,
Paris : PUF, 1992, p. 100).
406
ADORNO, DN, p. 181.
407
HEGEL, Phénoménologie II, op.cit., p.199.
408
LACAN, AE., p. 265.
409
ADORNO, idem, p. 235 [traduction modifiée].
163
410
LACAN S VIII, p. 323.
411
CLAUDEL, L'Otage, Paris : Gallimard, 1972, p. 123.
412
Cela explique une certaine impasse : « à l'héroïne de la tragédie moderne il est demandé
d'assumer comme une jouissance l'injustice même qui lui fait horreur » (LACAN, S VIII, p.
359). La moralité de cette idée est aisément renversée car rien ne nous empêche d'opérer une
inversion perverse et d'affirmer, par exemple, que cela serait la réalisation même du fantasme
sadique envers sa victime. Tout ce qu'on demande à Justine, pour rester la victime par
excellence, c'est l'angoisse de jouir de ce que lui fait horreur.
164
413
ADORNO, DN, p. 308.
165
L'immanence perverse
414
Car « le pervers semble reconnaître que, à un certain niveau, il y a toujours une jouissance
attachée à l'énonciation de la loi morale » (FINK, A clinical introduction to lacanian
psychoanalysis, Harvard : University Press, 1997, p. 190).
415
ADORNO et HORKHEIMER, Dialectique de la raison, p. 95.
416
LACAN, S XXII, séance du 08/03/75.
167
417
FREUD, Trois essais sur la sexualité infantile, op.cit., p. 73.
418
Sur le processus de formation du concept freudien de fétichisme, voir REY-FLAUD,
Comment Freud inventa le fétichisme... et re-inventa la psychanalyse, Paris : Payot, 1994.
419
FREUD, idem, p. 80.
168
assumer que sous la forme des symptômes. Il faut toujours souligner qu'il y a
des pervers qui ne passent pas à l'acte alors que certains névrosés ne peuvent
s'empêcher de le faire. L'incidence des comportements liés à la polymorphie
de la sexualité n'est donc pas une condition suffisante pour déterminer un
diagnostic de perversion.
D'autre part, s'il est vrai qu'il n'y a pas de différence entre des
fantasmes névrotiques et des scénarios pervers, pour autant qu'il n'y a pas de
fantasmes exclusifs des pervers (ce que Freud nous avait déjà montré dans
Un enfant est battu), cela ne sert qu'à montrer que « le fantasme pervers n'est
pas la perversion »420. La compréhension du fantasme pervers ne donne pas
la structure de la perversion - qui est fondée sur une relation particulière du
sujet à la Loi de la castration.
Le fétichisme montre cela d'une façon évidente, puisque que le
fétiche est un objet dont la fonction consiste à se substituer au pénis
manquant de la femme - plus précisément, de cette femme qui est le premier
Autre du sujet : l'Autre maternel. « L'horreur de la castration, dit Freud, s'est
érigé un monument en créant ce substitut »421. Par la production d'un objet
fétiche, le pervers peut se défendre de l'angoisse de castration. Dans ce cas,
« l'objet a une certaine fonction de complémentation par rapport à quelque
chose qui se présente comme un trou, voire comme un abîme dans la
réalité »422.
Il y a encore beaucoup à dire sur la modalité fétichiste de déni de la
castration de la femme. C’est un mode de négation plus complexe que
l'expulsion propre à la Verwerfung et que la dénégation névrotique présente
dans la Verneinung, puisqu’il s’agit d’une négation qui accepte un certain
genre de savoir sur la castration.
La conception lacanienne de la perversion part de l’idée d’une
défense contre l'angoisse de castration par la production d'un objet de
substitution. Lacan transforme la logique fétichiste de production d'un objet
capable de dénier la castration de la femme en un paradigme qui inclut
l'ensemble des procédures perverses. Le fétichisme devient ainsi « la
perversion des perversions »423. Souvenons-nous, par exemple, de cette
affirmation canonique :
tout le problème des perversions consiste à concevoir comment l'enfant, dans sa
relation à la mère [...] s'identifie à l'objet imaginaire de ce désir [de la mère] en tant
que la mère elle-même le symbolise dans le phallus424.
420
LACAN, S VI, séance du 24/06/59.
421
FREUD, Le fétichisme in La vie sexuelle, op.cit, p. 135.
422
LACAN, S IV, p. 23.
423
Ibidem, p. 194.
424
LACAN, E. p. 534.
169
425
Ibidem, p. 818.
170
426
Cela permet de souligner le caractère clinique dominant du pervers comme étant « le
fantasme pré-conscient d'attendre la jouissance à travers le savoir et le pouvoir sur un objet
inanimé, réduit à l'abjection ou lié à un contrat » (BRAUNSTEIN, La jouissance : un concept
lacanien, Paris : Point Hors Ligne, 1995, p. 236).
427
LACAN, S XX, p. 80.
428
LACAN, S XV, séance du 14/06/67.
429
Idem, E., p. 821.
430
Ici nous pouvons suivre la remarque de Serge André sur la logique perverse : « cette
logique est la suivante : tant que tout n'aura pas été dit, tant que l'objet comme tel (c'est-à-dire
l'objet de la jouissance) n'aura pas été nommé, répertorié, coulé en lettres, il faut qu'il survive
pour rester offert aux coups du bourreau qui poursuit son découpage symbolique. C'est
pourquoi, dans le récit sadien, la victime est dotée d'une résistance et d'une capacité de survie
qui défient le bon sens » (ANDRE, L'imposture perverse, Paris : Seuil, 1993, p. 28).
431
LACAN, E., p. 823.
171
pervers est quelque chose qui est à jauger d'une façon autrement riche [...]. Il est
celui qui se consacre à boucher ce trou dans l'Autre432.
432
Idem, S XVI, p. 253.
433
D'où la règle du jugement soumis aux lois de la raison pure : « demande-toi si l'action que
tu projettes, en supposant qu'elle dût arriver d'après une loi de la nature dont tu ferais toi-
même partie, tu pourrais encore la regarder comme possible pour ta volonté » (KANT,
Critique de la raison pratique, op.cit., pp. 71-72).
434
Ce que plusieurs commentateurs ont déjà perçu. Voir, par exemple, BAAS, Le désir pur,
op.cit., p. 74 et ZUPANCIC, Ethics of the real, op.cit., p.28.
435
ADORNO et HORKHEIMER, idem, p. 99.
172
436
LACAN, E., p. 775.
437
Soulignons ici une contradiction apparente. Le souci kantien de ne pas admettre une
immanence entre intentionnalité et contenu de l'acte montre que l'impératif catégorique
kantien n'était pas tout simplement une injonction perverse. Cette incertitude concernant
l'adéquation du contenu de l'acte à la Loi est totalement absente chez le pervers et son désir
d'un savoir instrumental de la jouissance. Mais soutenir que Sade est la vérité de Kant et
placer de cette façon l'objet a comme élément de médiation entre l'action empirique et la Loi
transcendantale revient aussi à dire que le sujet moral se voit obligé, dans des situations où la
dimension pragmatique doit être justifiée par la Loi morale, à agir comme s'il suivait un
principe d'immanence très proche de celui qui détermine la conduite perverse.
438
LACAN, S XI, p. 168
173
439
SADE, La philosophie dans le boudoir, op.cit., p. 97.
440
LACAN, E., p. 773.
441
Ibidem, p. 774.
442
DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch, op.cit., p. 27.
443
Zizek l’a bien perçu : « avec le fétiche, se trouve désavouée la dimension castrative de
l'élément phallique, le “rien” qui accompagne nécessairement son “tout” [...]. Le fétiche est le
S1 qui, par sa position d'exception, incarne immédiatement son Universalité, le Particulier qui
se trouve immédiatement “fusionné” avec son Universel » (ZIZEK, Ils ne savent pas ce qu'ils
font, op.cit., p. 81).
444
LACAN, S XVI, p. 253.
174
445
LACAN, S X, p. 252
175
446
Selon la formule du système du pape Pie VI : « il faudrait, pour la mieux la servir encore
[la nature], pouvoir s'opposer à la régénération résultant du cadavre que nous enterrons. Le
meurtre n'ôte que la première vie à l'individu que nous frappons ; il faudrait pouvoir lui
arracher la seconde, pour être encore plus utile à la nature » (SADE, Histoire de Juliette,
Paris : 10/18, 1997, p. 78).
176
447
FREUD, Pulsions et destins de pulsions in Métapsychologie, op.cit., p. 25.
448
LACAN, S XIV, séance du 14/06/67.
449
Idem, S V, p. 336.
450
Cf., par exemple, LACAN, S XIV, séance du 14/06/67. Ou encore : « le sujet pervers, tout
en restant inconscient de la façon dont cela fonctionne, s'offre loyalement, lui, à la jouissance
de l'Autre » (Idem, S X, p. 62).
451
Idem, S XI, p. 167.
177
désir »452. La plus radicale aussi du point de vue de son analyse, pour autant
qu'il n'y a plus rien ici à dévoiler.
Tandis que le sadique refoule sa position de support de la Loi, le
masochiste, dans ses fantasmes et dans les pratiques qu'il conditionne, la met
en scène en la transformant en pièce maîtresse qui soutient le cadre de la
jouissance fantasmatique :
Bref, ce qu´il recherche, c´est son identification à l'objet commun, l'objet d'échange.
Il lui reste impossible de se saisir pour ce qu'il est, en tant que, comme tous, il est
un a453.
452
Idem, S VI, séance du 24/06/59.
453
Idem, S X, p. 124
454
Idem, E., p. 778.
455
Idem, S XIV, séance du 14/01/63. Voir, par exemple, cette lettre de Sade écrite à la
Présidente de Montreuil lors de l'une de ses arrestations : « Oh! Vous que je nommais
autrefois ma mère avec tant de plaisir, vous que j'étais venu réclamer comme telle, et qui ne
m'avez donné que des fers au lieu des consolations que j'attendais, laissez-vous attendrir par
ces larmes et ces caractères sanglants dont j'ai voulu tracer cette lettre. Songez qu'il est le
vôtre, ce sang, puisqu'il anime aujourd'hui des créatures que vous chérissez, qui vous tiennent
de si près, et au nom desquelles je vous implore. Je le puiserai jusqu'à la dernière goutte s'il le
faut, et jusqu'à ce que vous m'ayez accordé la faveur que je vous demande, je ne cesserai de
m'en servir pour vous le demander. Hélas! grand Dieu, voyez-moi à vos genoux, fondant en
larmes, vous suppliant de m'accorder à la fois et le retour de vos bontés et votre
commisération » (SADE, Lettre à Mme. de Montreuil in LEVER, Sade, Paris : Fayard, p.
303).
178
456
LACAN, S VII, p. 367.
457
« L'irrésistibilité empirique de la conscience morale en sa réalité psychologique, du
surmoi, garantit à cette conscience malgré son principe transcendantal, la facticité de la loi
morale, qui pourtant, aux yeux de Kant, la disqualifie en tant que fondation de la morale
autonome, tout autant que l'impulsion hétéronome" (ADORNO, DN, p. 261).
458
DAVID-MENARD, La folie dans la raison pure, op.cit., pp. 220-221.
459
LACAN, S XVII, p. 75.
460
Dans le séminaire XIV sur La logique du fantasme, Lacan se réfère plusieurs fois à
Deleuze et à son livre qui venait de sortir, lorsqu'il est question du masochisme et de la
perversion.
179
466
DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch, op.cit., p. 22.
467
D'où, par exemple, cette affirmation : « pendant qu'il [Sacher-Masoch] joue le rôle de valet
à courater derrière sa dame, il a toutes les peines du monde à ne pas éclater de rire, encore
181
pervers reste sujet dans tout le temps de l'exercice de ce qu'il pose comme
question à la jouissance »468. Il reste sujet même en jouant le rôle de pur
objet. Le contrat masochiste devient alors l'acte suprême d'humour. A travers
cet humour, le scénario de soumission masochiste devient construction d'un
espace de semblants en tant que semblants. Il devient jeu de simulacres
absolument consistent avec des impératifs de diginité et d´autonomie propre
à la Loi morale. Voici un point majeur posé par le masochisme lorsqu´il
insiste sur la signification de l´autonomie pouvant soutenir la mise en scène
de la servitude : il est possible d´inverser les désignations de la Loi sans
rentrer dans une contradiction à propos de sa signification, car il y a un mode
de réalisation de la reconnaissance de la Loi à travers des semblants.
Ce processus de renversement devient plus visible si l´on se souvient
que le contrat masochiste est passé normalement avec une femme bourreau
soumis aux protocoles de fétichisation. Ces protocoles nous renvoient au
problème du statut de l'objet dans l'économie masochiste de jouissance.
Reste la question de savoir comment il est possible de concilier les
aspirations d'une volonté libre de tout primat de l'objet imaginaire avec des
procédures de fixation fétichiste.
Ce rapport peut être posé. Il faut comprendre l'idéalisation fétichiste
d'abord comme l'annulation de toute détermination qualitative et de
l'intégralité des attributs imaginaires d'une femme. Elle devient un objet qui
est passé par une désaffection, pur support d'un trait (une fourrure, un
soulier, un certain brillant sur le nez etc.) qui détermine sa valeur à l'intérieur
de l’économie fantasmatique de la jouissance. En ce sens, nous pouvons dire
que le fétiche est « présence réelle de l'objet comme absent »469, pour autant
qu'il permet l’avènement d'une féminité qui se présente dans le vide de
l'effacement de toute femme.
L'humour masochiste consiste ici à transformer la fixation fétichiste
dans la reconnaissance de l'inadéquation foncière entre le vide du désir et les
objets empiriques. Il admet l'existence d'une inadéquation entre la Loi et les
objets empiriques, mais il agit comme s'il ne le savait pas. Lacan se sert, par
exemple, de la métaphore fort instructive du fétiche comme voile où « ce qui
est au-delà comme manque tend à se réaliser comme image ». Mais cette
réalisation du manque comme image se fait à travers une étrange
transformation du fétiche dans « l'idole de l'absence »470 - où le terme idole
qu'il prenne l'air le plus triste possible. Il ne retient qu'avec peine son rire » (LACAN, S XIV,
séance du 14/06/67).
468
Ibidem, séance du 31/05/67.
469
REY-FLAUD, Comme Freud inventa le fétichisme et re-inventa la psychanalyse, Paris :
Payot, 1994, p. 100.
470
LACAN, S IV, p. 155.
182
est opaque à l'appréhension réflexive du sujet. C'est l'opacité subjective de l'acte qui est déniée
- ce qui nous permet de comprendre pourquoi la Verleugnung est décisive à l'intérieur d'une
économie perverse où la maîtrise absolue de l'acte est le fantasme majeur.
473
FREUD, Névrose, psychose et perversion, Paris : PUF, 1995, p. 301
474
Rappelons d'ailleurs comment cette façon de définir la psychose à travers le déni d'une
réalité dont le statut s'avère problématique dans l'œuvre freudienne sera nécessairement
insuffisante. Voir, par exemple, RABANT, Inventer le réel : le déni entre psychose et
perversion, Paris : Denöel, 1992, pp. 277-279.
184
475
FREUD, Fétichisme, op. cit. p. 135
476
Ibidem, pp. 137-138
477
Des psychanalystes comme Alan Bass montrent, de façon pertinente, que l´oscillation
entre la reconnaissance de la castration féminine et la non-castration est, en fait, une
oscillation entre deux fantasmes, pour autant que la négation fétichiste a une incidence sur la
reconnaissance de la différence sexuelle. Le fétichiste nierait la différence sexuelle dans le
fantasme d´un monisme phallique et la croyance qu´il n´existe que la jouissance phallique.
Comme si la jouissance féminine ne pouvait être acceptée qu´à travers la transformation de la
femme en support des attributs phalliques (ce qui semble très proche de ce que Lacan essaye
de développer à travers la notion de mascarade). Cela donne au fétichisme un moment de
vérité. Il nous rappelle l´impasse de penser la subjectivation du désir à travers le phallus en
tant que signifiant central des processus de sexuation aussi bien pour la position masculine
que féminine.
478
Lacan avait caractérisé ce déplacement propre au fétiche à partir de la métonymie. D'où
l'affirmation : « cette fonction fétiche n'est concevable que dans la dimension signifiante de la
métonymie » (LACAN, S V, p. 70). La fonction fétiche de l'objet n'est autre chose que
l'exposition de son caractère métonymique. Mais cela ne veut pas dire simplement que le
fétiche est une partie qui essaye de représenter le Tout. Il nous semble qu'il est plutôt l'image
de ce qui ne se présente pas dans le déplacement signifiant, c'est-à-dire le déplacement lui-
même, le travail du désir. Il est la fixation perverse de ce moment où la femme est en train de
devenir jambes, bouche. Il est l'image même du mouvement pris dans un moment de
suspension. En ce sens, l'objet porte les marques de sa condition de substitut.
185
479
Le mot fétiche vient du portugais fetiche, qui articule deux sources étymologiques
distinctes. L'une vient de feitiço et signifie un certain genre de magie. L'on dit en portugais,
par exemple : « Ela me enfeitiçou » pour dire « elle m’a fascinée ». L'autre source vient de
factício qui a le même sens que le mot français factice.
480
LACAN, S IV, p. 86.
481
RABANT, Inventer le réel : le déni entre perversion et psychose, op.cit., p. 132.
482
MANONNI, Clefs pour l'imaginaire ou l'Autre scène, Paris : Seuil, 1969, pp. 9-33. Ou
encore : « d'un côté, il [le pervers fétichiste] sait qu'un pied est un pied, mais que, de l’autre, il
maintient “quand même”, en même temps, qu'un pied est autre chose qu'un pied » (REY-
FLAUD, Comment Freud inventa le fétichisme et ré-inventa la psychanalyse, op.cit., p. 100).
En ce sens, nous pouvons suivre aussi les considérations de Migeot sur le déni pervers dans la
figure des libertins de Laclos : « c'est un discours roué où le sujet n'adhére jamais à son dit
puisqu'il n'est jamais totalement là où il parle, puisqu'il n'est qu'à demi dans ce qu'il dit ; c'est
encore un discours de la dérision, puisqu'aucune assertion ne peut être assumée sans être
aussitôt assortie d'une autre qui devient en quelque sorte sa doublure. Le discours devient un
jeu, un art, voire une maîtrise placée sous le signe de la toute-puissance à laquelle aspire le
pervers » (MIGEOT, (Dé)négation - déni - névrose - perversion dans Les liaisons
dangereuses in Négation, Dénégation, Annales Littéraire de l'Université de Besançon, 1993,
p. 55).
186
483
FREUD, Résultats, idées, problèmes II, Paris : PUF, 1998, p. 284
484
Il nous semble qu'il s'agit ici plutôt d'un genre de retour à une voie auparavant tracée par
Freud lorsqu'il a pensé le fétichisme à travers la notion de refoulement partiel. Elle apparaît
encore en 1915, quand Freud affirme qu’« il peut même se faire, comme nous avons vu dans
la genèse du fétiche, que le représentant pulsionnel originaire ait été divisé en deux morceaux,
dont l'un a subi le refoulement, tandis que le reste, précisément en raison de cette intime
connexion, a connu le destin de l'idéalisation » (FREUD, Métapsychologie, op.cit., p. 52). Il
nous semble que cette notion ne converge pas avec la compréhension du fétiche à travers la
Verleugnung.
187
485
BRAUNSTEIN, La jouissance : un concept lacanien, p. 253. Cela peut-être nous explique
pourquoi, aux yeux de Lacan, l´acte d´amour est la perversion polimorphique du mâle.
188
Sygne de Coûfontaine, tout acte moral demande un deuxième temps qui est
position de la volonté morale comme volonté de soutenir l’opacité de l’objet
et de l’acte. La fin de l’analyse doit penser le désir à partir d'un retour au
sensible, d'un retour à l'objet afin d'empêcher la fixation dans le jeu infini
des renversements et des impasses de la Loi. Sur ce point, nous le verrons,
Lacan est proche de la dialectique négative et de ses exigences de primat de
l´objet.
Lacan disait que « les Anciens mettaient l’accent sur la tendance
elle-même, alors que nous, nous la mettons sur son objet ». Peut-être
n’avions-nous pas tort de mettre l'accent sur l'objet, à condition maintenant
de penser ce que peut être l'objet après cette expérience de « traversé de la
Loi ».
190
Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir,
que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas,
qui n’était pas mon genre.
Marcel Proust
Penser le fantasme
489
LACAN, S X, p. 276
191
490
Idem, S XI, p. 248.
491
LACAN, S XIV, séance du 07/06/67.
192
désir495. Lorsqu'il n'y a pas de fantasme, c'est le silence brut de l'angoisse qui
parle.
En définissant le fantasme à travers cette stratégie, Lacan cherchait à
montrer comment sa vraie fonction logique consistait à n'être qu'une barrière
de défense contre l'angoisse produite par l'innommable du désir. Une
angoisse qui apparaît souvent sous la forme d'angoisse de la castration : ce
dévoilement de l'impossibilité du sujet à produire une représentation
adéquate du sexuel.
Ici, rappelons la raison qui a amené Lacan à insister sur le rôle du
fantasme dans les expériences morales kantienne et sadienne. Nous avons vu
comment il faudrait un troisième terme intermédiaire pour passer de
l'indétermination totale d'une Loi transcendantale et universelle qui n'énonce
aucune norme, qui ne dit rien sur ce que je dois faire pour atteindre la
jouissance, à la réalisation effective et particulière de l'action. Sinon, la
présence de la Loi ne pourrait produire que l'angoisse du vide. Ce troisième
terme doit être capable de produire quelque chose comme une norme, un
cadre spatio-temporel qui m'enseigne comment désirer. Pour Lacan, ce terme
n'est autre que le fantasme.
Ici, une question centrale demeure : comment le fantasme est-il
capable de produire un objet propre au désir ? C'est-à-dire comment peut-on
inscrire et rendre positif ce manque-à-être qui se détermine comme essence
du désir ? Soulignons l’importance de la question, puisque c'est à travers la
problématisation de la genèse propre au fantasme que Lacan développera le
concept métapsychologique qui, d’après lui, était l’un des seuls qu’il ait lui-
même forgé : l'objet a. Mais si l'on veut comprendre le problème de la
geneèse du fantasme, il est nécessaire de revenir à la théorie freudienne du
désir.
Nous avons vu comment, pour Freud, le mouvement du désir était
coordonné par la répétition hallucinatoire des expériences premières de
satisfaction. Ces premières expériences laissent des images mnésiques de
satisfaction dans le système psychique. Lorsqu'un état de tension ou de désir
réapparaît, le système psychique actualise d'une façon automatique ces
images, sans savoir si l'objet correspondant à l’image est ou n'est pas
effectivement présent. Nous avons vu à travers cette thématique de la
répétition comment le désir essayait de retrouver un objet perdu lié aux
premières expériences de satisfaction.
495
Cf. le commentaire de Klein sur Dick : « le moi avait cessé d'élaborer une vie
fantasmatique et de tenter d'établir quelque relation à la réalité. Après un faible début, la
formation symbolique s'était arrêtée » (KLEIN, Essais de psychanalyse, Paris : Payot, 1972,
p. 268).
194
496
Abraham parle en fait d'un stade de l'amour partiel où « l'objet des sentiments amoureux et
ambivalents est représenté par une de ses parties introjectées par le sujet » (ABRAHAM,
Esquisse d'une histoire du développement de la libido, in Oeuvres complètes 1915-1925,
Paris : Payot, 2000, p. 220).
497
C’est en ce point que se situe, par exemple, une critique fort pertinente de Deleuze et
Guatarri : « dès la naissance, le berceau, le sein, la tétine, les excréments sont des machines
195
désirantes en connexion avec les parties de son corps [le corps du bébé]. Il nous semble
contradictoire de dire à la fois que l'enfant vit parmi les objets partiels et que ce qu'il saisit
dans les objets partiels sont les personnes parentales même en morceaux » (DELEUZE et
GUATARRI, L'anti-oedipe, Paris : Minuit, 1969, p. 53).
498
Sur ce point, il est fidèle à l'affirmation de Freud : « lorsqu'on voit un enfant rassasié
quitter le sein en se laissant choir en arrière et s'endormir, les joues rouges, avec un sourire
bienheureux, on ne peut manquer de se dire que cette image reste le prototype de l'expression
de la satisfaction sexuelle dans l'existence ultérieure » (FREUD, Trois essais sur la sexualité,
op.cit, p. 105).
499
LACAN, S XIV, séance 25/01/67.
500
Idem, SVIII, p. 180.
196
Pour Lacan, dire que l'amour pour une femme particulière était causé
par l'identification, dans cette femme, de l'objet a signifiait assumer l'échec
de toute relation interpersonnelle possible. Car
avec vos proches, vous n'avez fait que tourner autour du fantasme dont vous avez
plus au moins cherché en eux la satisfaction. À eux, ce fantasme a plus au moins
substitué ses images et ses couleurs502.
501
Idem, E., p. 676. Ou encore : « la partie n'est pas le tout, comme on dit, mais d'ordinaire
inconsidérément. Car il faudrait accentuer qu'elle n'a avec le tout rien à faire. Il faut en
prendre son parti, elle joue sa partie toute seule » (Ibidem, p. 843).
502
LACAN, S VIII, p. 319
503
Nous pouvons donner une autre raison pour l'impossibilité de passer de l'amour partiel à
l'amour pour des représentations globales de personnes: "Les aspirations les plus archaïques
de l'enfant sont à la fois un point de départ et un noyau jamais entièrement résolu sous un
quelconque primat de la génitalité, ou une pure et simpleVorstellung de l'homme sous la
forme humaine, si total qu'on l'a suppose, par fusion androgyne" (Idem, S VII, p. 112)
504
LACAN, S XX, p. 26
197
comme ensemble des objets partiels qui arrive à la scène. On comprend alors
que :
il n'y a pas de rapport sexuel parce que la jouissance de l'Autre prise comme corps
est toujours inadéquate - perverse d'un côté, en tant que l'Autre se réduit à l'objet a -
et de l'autre, je dirais folle, énigmatique [résultat de la compréhension lacanienne
de la jouissance féminine comme proche de la jouissance mystique]505.
505
Ibidem, p. 131
506
D'où cette affirmation : « ces objets antérieurs à la constitution du statut de l'objet
commun, communicable, socialisé. Voilà ce dont il s'agit dans le a » (LACAN, S X, p. 108).
507
Idem, E., p. 817.
508
Idem, S XIV, séance du 21/06/67.
198
509
LACAN, S XIV, séance du 16/11/66.
510
Idem, S X, p. 270 [Dans ce cas, j´ai preferé garder la traduction donné par la version du
séminaire établie par l´Association Freudienne International]
511
Idem, S XIV, séance du 14/06/67.
199
512
LACAN, S X, p. 51
513
Idem, AE, p. 326.
514
Idem, S XI, pp. 168-169.
515
Ce qui peut nous expliquer comment l'objet a « c'est ça, ce qui s'attrape au coincement du
symbolique, de l'imaginaire et du réel comme nœud » (Idem, La troisième, conférence non-
publiée).
516
Idem, S II, p. 130.
517
BOOTHBY, Richard, Freud as philosopher, New Your : Routledge, 2001, pp. 275-276.
200
518
LACAN, S X, p. 258
519
WINNICOTT, Jeu et réalité,Paris : Gallimard, 1975, p. 13.
201
n'est pas tant qu'à l'occasion le sein manque au besoin du sujet, c'est plutôt
que le petit enfant cède le sein auquel il est appendu comme à une part de
lui-même »523.
Au-delà de l'objet perdu, il faudrait donc parler de l'objet cédé à
l'Autre comme morceau séparable. Ces objets partiels apparaissent donc
comme des objets que le sujet a cédés afin de déterminer le désir de l'Autre
(s'il peut les céder à l'Autre, c'est parce que l'Autre les désire). Et si le
fantasme est le cadre de production de l'objet par où le désir va apprendre à
se situer, c'est parce que la topologie de l'objet du fantasme nous permet
d'opérer cette liaison entre le désir du sujet et le désir de l'Autre (rappelons le
graphe du désir, où le fantasme apparaît comme suppléance au Che vuoi ? de
l'Autre). On voit, dans cette thématique de l'objet a comme objet cessible,
que le fantasme est le scénario où le sujet arrive à produire un objet pour le
désir de l'Autre. Il est une procédure de nouage entre le désir du sujet et le
désir de l'Autre et, pour ainsi dire, un mode de demande de reconnaissance
envers l'Autre qui se produit d'abord dans la scène du fantasme524.
Le dernier pas de Lacan consiste à faire converger ces deux
thématiques de l'objet à travers une interprétation du jeu enfantin de la
bobine, rapporté par Freud dans l'Au delà du principe du plaisir. Lacan
donnera plusieurs versions de l'interprétation de ce jeu essentiel pour la
compréhension du processus de symbolisation de l'enfant, mais la version
qui nous intéresse le plus est celle qui apparaît dans la cinquième séance du
Séminaire XI.
En observant le comportement de son petit-fils d'un an et demi,
Freud s'interroge sur la signification d'un jeu répété compulsivement et qui
consiste à faire disparaître une bobine, attachée à une ficelle, en la jetant par
dessus le rebond d’un petit lit à rideaux pour la faire ensuite réapparaître.
Ces deux mouvements étaient accompagnés par les vocables fort (pour la
disparition) et da (pour le retour). En comprenant le jeu comme un processus
de symbolisation capable de répondre au renoncement pulsionnel auquel
523
LACAN, S X, p. 362
524
En ce sens, la formule de Dews nous semble précise. D'un côté : « l'introduction de l'objet
a à la fin des années 50 a été le résultat de la compréhension lacanienne que quelque-chose
d’essentiel au sujet ne pouvait pas être exprimé dans le “trésor du signifiant” partagé
intersubjectivement et, donc, universel ». Mais, de l’autre, l'objet a est l'objet de désir de
l'Autre : « la médiation entre le sujet et l'Autre est réinstaurée par l'objet a, de cette façon
l'objet est fantasmé comme étant ce qui peut rassurer l'être du sujet par l'incorporation de cette
partie mystérieuse du sujet qui est désirée par l'Autre" (DEWS, The limit of disenchantment,
London : Verso, 1995, p. 254). Cela montre comment c'est le fantasme qui soutient la
structure de l'intersubjectivité. Néanmoins, grâce à la « double nature » de l'objet a (entre
fantasme et réel), Lacan laisse la porte ouverte à un autre dispositif de reconnaissance par
l'identification du sujet à l'objet a.
203
l'enfant a été soumis à travers la perte de l'objet maternel, Freud donne déjà
un exemple majeur de l'objet transitionnel de Winnicott dans son rôle de
défense contre l'angoisse. Le complément lacanien consiste à dire que la
bobine, loin d'être seulement un symbole de la mère marquée par la perte, est
d'abord « un petit quelque-chose du sujet qui se détache tout en étant bien
encore à lui, encore retenu »525. Lacan parle d'un jeu d'automutilation pour
souligner comment la bobine s'inscrit en fait dans la suite des objets partiels
compris comme des objets cessibles capables de nommer le désir de l'Autre.
« C'est ton cœur que je veux », est là, comme toute autre métaphore d'organe, à
prendre au pied de la lettre. C'est comme partie du corps qu'il fonctionne, c'est, si je
puis dire, comme tripe528.
529
Lacan nous donne une image du réel du corps déjà au Séminaire II, lorsqu'il commente le
rêve de l'injection d'Irma. En interprétant l'image du fond de la gorge d'Irma qui apparaît dans
le rêve lorsque Freud demande à la patiente d'ouvrir la bouche, il parlera d'une révélation du
réel en disant qu’« il y a là une horrible découverte, celle de la chair qu'on ne voit jamais, le
fond des choses, l'envers de la face, du visage, les sécretatas par excellence, la chair dont tout
sort, au plus profond même du mystère, la chair en tant qu'elle est souffrante, qu'elle est
informe, que sa forme par soi-même est quelque chose qui provoque l'angoisse, dernière
révélation du tu es ceci - Tu es ceci, qui est le plus loin de toi, ceci qui est le plus informe »
(idem, S II, p. 186). Cette constellation sémantique (informe, fond des choses, dernière
révélation) nous montre une expérience du corps comme reconnaissance de soi dans l'opacité
du corps qui nous explique l'idée de subjectivation du réel présente dans les derniers années
de l'enseignement de Lacan.
530
LACAN, S XV, séance du 07/02/68.
205
l'amour est impuissant quoiqu'il est réciproque, parce qu'il ignore qu'il n'est que le
désir d'être Un, ce qui nous conduit à l'impossible d'établir la relation d'eux, la
relation d'eux qui ? deux sexes531.
Mais il y a un autre amour, celui qui vise l'être. C'est un amour qui
découvre que l'essence de l'objet, c'est le ratage. On rate un rapport sexuel
lorsque le corps de l'autre ne se soumet pas totalement au cadre
fantasmatique. L'amour s'adresse alors au semblant et s'affronte à l'impasse
d'un objet qui résiste à la pensée identifiante du moi. Lacan soutient que
l'amour qui vise l'être demande le courage de soutenir le regard devant
l'impasse, soutenir le regard devant l'étrangeté de ce corps insoumis à l'image
et à sa « significantisation ». Ou si l'on veut, comme disait Hegel, courage de
regarder le négatif en face et de séjourner auprès de lui.
Le regard peut alors découvrir, à travers le ratage de la quête de
l'image fantasmatique dans le corps de l'autre, que « tout le corps n'est pas
pris dans le processus d'aliénation »532. Ainsi, le sujet arrive à voir, dans
l'opacité du corps de l'autre, l'incarnation de l’innommable du désir. Je vois
dans ton corps l'image de l'opacité de mon désir. C'est une reconnaissance,
dira Lacan, qui se donne dans un instant de rencontre où le masque du
fantasme vacille :
Cette reconnaissance n'est rien d'autre que la façon dont le rapport dit sexuel -
devenu là rapport de sujet à sujet, sujet en tant qu'il n'est que l'effet du savoir
inconscient - cesse de ne pas s'écrire533.
531
Idem, S XX, p. 12.
532
Idem, S XIV, séance du 31/05/67.
533
Idem, S XX, p. 132.
534
Ce le sens de l´affirmation : « Pous la réalité du sujet, sa figure d´aliénation, pressentie par
la critique sociale, se livre enfin de se jouer entre le sujet de la connaissance, le faux sujet du
‘je pense’, et ce résidu corporel où j´ai suffisament, je pense, incarné le Dasein, pour l´appeler
par son nom qu´il me doit : soit l´objet (a) » (LACAN, AE, p. 358). C´est une façon de dire
que la sortie de l´aliénation implique la confrontation du sujet avec ce résidu corporel où nous
trouvons l´irréflexivité de ce qui est de l´ordre de l objet. Cette confrontation justifie des
impératifs comme : « C´est en ce point de manque [où nous trouvons l´objet a comme ce qui
manque d´image et d´inscription symbolique] que le sujet a à se reconnaître » (idem, S XI, p.
243).
206
La femme n'ex-siste pas. Mais qu'elle n'ex-siste pas, n'exclut pas qu'on en fasse
l'objet de son désir. Bien au contraire, d'où le résultat. Moyennant quoi L'homme, à
se tromper, rencontre une femme, avec laquelle tout arrive : soit d'ordinaire ce
ratage en quoi consiste la réussite de l'acte sexuel535.
541
ADORNO, DN , pp. 221-222.
542
LACAN, E., p. 775.
209
543
ADORNO, idem, p. 197.
544
Ibidem, p. 201.
545
HONNETH, Axel, La lutte pour la reconnaissance, op. cit., p. 117.
546
Ibidem, p. 131.
210
547
MERLEAU-PONTY, Maurice, Le visible et l’invisible, Paris : Gallimard, 1964, p. 183.
211
548
LACAN, S XV, séance du 10/01/68.
212
549
ADORNO, DN, p. 267.
213
III.
Destins de la dialectique
215
7. Repenser la dialectique
Dans cette dernière partie, nous allons enfin aborder de façon directe le
problème concernant la formation d´un concept de dialectique capable
d´exposer la rationalité de la clinique analytique lacanienne et ses modes de
subjectivation.
À travers un développement historique de la pensée lacanienne, nous
avons vu comment le premier essai pour rapprocher psychanalyse et
dialectique devait nécessairement échouer, pour autant qu´il était caractérisé
par l´usage du concept d´intersubjectivité. L´intersubjectivité lacanienne du
désir n´était pas une dialectique, mais était fondée sur un certain usage du
questionnement transcendantal. En ce sens, nous pouvons dire que cette
notion d´intersubjectivité était plus proche d´une stratégie kantienne que
proprement hégélienne. Cette thèse a été soutenue à travers le dévoilement
du rôle majeur de Kant avec Sade dans la trajectoire lacanienne. D´un autre
côté, l´échec de la notion de reconnaissance intersubjective du désir pur
comme fondement de la direction de la cure est devenu visible à partir du
moment où la clinique était incapable d´établir des différences précises entre
fin de l’analyse et perversion. Les confusions entre la structure du phallus et
celle du fétiche étaient l’expression la plus aiguë d’une telle incapacité.
Lacan était conscient de ces défis et ce sont eux qui l’ont obligé à
repenser la rationalité de la clinique analytique. Ce geste conduira la
psychanalyse à passer du primat du signifiant pur à un genre de primat de
l´objet, d´usage clinique du pouvoir de confrontation entre le sujet et ce qui,
dans l´objet, ne se soumet pas au fantasme ou à l´articulation différentielle
des signifiants. C’est pourquoi la relation sujet/objet gagnera à nouveau de
l´importance à l´intérieur de la réflexion lacanienne en permettant, grâce à
216
Travail et langage
550
HEGEL, PhE I, p. 259.
551
« Telle est l´unique surprise que réserve le passage au spéculatif : cette lente altération qui
semble métamorphoser les mots dont nous usions au départ, sans pourtant que nous devions
renoncer à eux ou en inventer d´autres, c´est le sens même, enfin dépouillé de sa finitude »
(LEBRUN, La patience du concept, Paris : Gallimard, 1971, p. 114).
552
Cf. MABILLE, Idéalisme spéculatif, subjectivité et négations In : GODDARD, Jean-
Christophe (org.); Le transcendental et le speculatif,. Paris : Vrin, 1999, p. 230. Suivons son
affirmation : « ce que seul le spéculatif peut voir, c'est que la négation révèle une négativité
218
qui n'est pas une invention subjective mais est l'essence même de l'être. Voilà la négation
rétablie dans sa dimension ontologique. »
553
HEGEL, Encyclopédie, op. cit., § 458.
219
554
DERRIDA, Marges de la philosophie, Paris : Minuit, 1972, p. 96
555
On peut suivre ici l’affirmation de Derrida : « la production de signes arbitraires manifeste
la liberté de l’esprit. Et il y a plus de liberté dans la production du signe que dans celle du
symbole. L’esprit y est plus indépendant et plus près de lui-même. Par le symbole, au
contraire, il est un peu plus exilé dans la nature » (Ibidem,p. 99).
220
556
HEGEL, PhE I, p. 29.
557
HEGEL, Encyclopédie, op. cit., § 440
558
SAUSSURE, Cours de linguistique générale, Edition Tullio de Mauro, Payot : Paris, 1972,
p. 101. Cela conduit Saussure à demander : « qu'est-ce qu'une entité grammaticale en effet ?
221
explique Saussure. Aussi bien b-ö-f que o-k-s représentent le même concept
(signifié), ce qui démontre l'arbitraire de la relation. Mais en réalité, un tel
arbitraire indique aussi un mode de relation entre signe et référence, puisque,
comme le rappelle Benveniste dans un texte célèbre559, ils sont arbitraires
parce qu'ils se référeraient à la même réalité extra linguistique. Autrement
dit, il y a une certaine théorie naturalisée de la référence soutenant
l'argument de Saussure. Tout se passe comme si je pouvais identifier
l'existence d'une espèce naturelle (natural kind) pour affirmer qu'elle peut
être représentée aussi bien par b-ö-f, par o-k-s que par n'importe quel autre
son.
La notion d'arbitraire présuppose la possibilité d'une comparaison
entre les contenus des représentations mentaux et les objets, les propriétés et
les relations existant dans un monde qui serait largement indépendant de
notre discours. Nous atteignons ici dans le fameux paradoxe présent dans la
question professionnelle posée par le scepticisme, telle qu'elle a été formulée
par Richard Rorty : « en quoi sommes-nous fondés à croire que quelque
chose de mental peut représenter quelque chose qui ne l'est pas ? Comment
savoir si ce que l'œil de l'esprit voit est un miroir (et peu importe qu'il soit
déformant, voire même enchanté) ou un voile ? »560.
À propos de cette question sur l´arbitraire du signe, nous pourrions
suivre une orientation typiquement structuraliste et affirmer que « l'arbitraire
recouvre de façon exactement ajustée une question qui ne sera pas posée :
qu'est-ce que le signe quand il n'est pas le signe ? qu'est-ce que la langue
avant qu'elle soit la langue ? - soit la question qu'on exprime couramment en
termes d'origine. Dire que le signe est arbitraire, c'est poser la thèse
primitive : il y a de la langue »561. Cette élimination de toute question sur
l'origine, amènerait la linguistique structurale à adopter la thèse
« kantienne » selon laquelle « la liaison qui les rassemble [les choses] en tant
que choses ne peut rien avoir de commun avec la liaison qui les rassemble en
tant que faces d'un signe : aucune cause relevant de la première ne peut
opèrer sur la seconde »562.
Pour la dialectique hégélienne, ce clivage entre la langue et ce qui
vient avant la langue, c´est-à-dire la référence dans son autonomie
métaphysique, n'est qu'un moment (absolument nécessaire) du mouvement
Nous procédons exactement comme un géomètre qui voudrait démontrer les propriétés du
cercle et de l'ellipse sans avoir dit ce qu'il nomme un cercle et une ellipse » (SAUSSURE,
Écrits de linguistique générale, Paris : Gallimard, 2002, p. 51).
559
BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale, Paris : Gallimard, 1966, pp. 50-51.
560
RORTY, L'homme spéculaire, Seuil : Paris, 1990, p. 60.
561
MILNER, L'amour de la langue, Paris : Seuil, 1978, p. 59.
562
idem, p. 58.
222
567
Voir GIMMLER, “Pragmatics aspects of Hegel´s thought” In: EGGINTON, The
pragmatic turn in philosophy, New York: SUNY, 2004
568
HEGEL, Encyclopédie, op. cit. § 386.
569
HEGEL, PhE I, p. 19.
225
573
HEGEL, Science de la logique II, op.cit., p. 41.
574
C’est pour souligner ce caractère d’acte que Hegel voit l’unité opérationnelle du langage
dans le jugement (déployé comme syllogisme), et non pas dans la proposition.
575
Comme nous l’a bien signalé Zizek : « Hegel sait donc qu'on dit toujours trop ou bien trop
peu, bref : quelque chose d'autre, par rapport à ce qu'on voulait dire : c'est cette discorde qui
est le ressort du mouvement dialectique, c'est elle qui subvertit chaque proposition » (ZIZEK,
Hegel passe : le plus des hystériques, op.cit., p. 19). Nous pouvons donner aussi une autre
compréhension de l'impossibilité de faire converger désignation et signification dans l'acte de
langage. Il suffit de penser l'acte de parole comme l'acte de soumettre la particularité du
désignable à une détermination de sens. Pensons à l'acte de mariage réalisé à travers
l'énonciation « tu es ma femme ». Comme nous l'avons vu, il peut être compris comme la
soumission du particulier de cette femme au signifiant « femme de ... », et une donation de
sens venue de cette nomination grâce à l'assomption d'un nouveau rôle social. Comme Lacan,
Hegel sait que cette identification n'est jamais position immédiate d'identité ; et la dialectique
peut être comprise exactement comme le déploiement de cette tension.
228
Le moi et sa dialectique
576
HEGEL, Phe I, p. 92.
577
Idem, Phe II, p. 69.
578
Cf. JAKOBSON, Essais de linguistique générale, Paris : Minuit, 1963 et BENVENISTE,
Problèmes de linguistique générale, Paris : Gallimard, 1966. L'embrayeur est une unité
grammaticale qui ne peut pas être définie hors la référence à un message. Sa nature est
double. D'un côté, il fonctionne comme symbole à cause de sa relation conventionnelle à la
référence. De l’autre, comme index à cause de sa relation existentielle à la reférence. Dans le
cas du pronom personnel « Moi », il est en relation existentielle avec l'énoncé en même temps
qu’il lui est associé de façon conventionnelle.
579
HEGEL, Science de la logique III, op.cit., p. 111.
229
580
HEGEL, PhE I, p. 89.
581
QUINE, La relativité de l'ontologie et autres essais, Paris : Aubier, 1997, p. 62.
230
582
En ce sens, Hegel peut admettre la remarque de Frege : « nous ne nous contentons pas non
plus du sens ; nous supposons une dénotation » (FREGE, Écrits logiques et philosophiques,
Paris : Seuil, 1971, p. 107). Mais il nous semble qu'il ne pourrait pas accepter qu’« avec le
signe, on exprime le sens du nom et on en désigne la dénotation » (idem, p. 107). C'est
exactement l'impossibilité de faire converger sens et désignation dans le signe qui anime la
dialectique. Pour Hegel, l'objet s'évanouit lorsqu'il est désigné par le signe, il ne pourra être
récupéré que comme négation.
583
Disons, avec Bourgeois, que le spéculatif « s'enracine dans la visée - “indicative”,
infradiscursive - du ceci sensible, pour être, en tout son discours, l'explication des réquisits de
l'affirmation originelle: “c’est”, “il y a” ». (BOURGEOIS, Etudes hégéliennes : raison et
décision,op. cit., p. 89)
584
BRANDOM, Tales of the mighty death, op. cit., p. 212.
231
585
LYOTARD, Dialectique, index, forme in Discours, figure, Paris : Klicksieck, 1985, p. 50.
586
Ibidem, p. 40.
587
Ibidem, p. 46.
232
588
Ibidem, p. 51.
233
Nous avons dit auparavant que, pour Hegel, la place logique de l'acte
d'indication est, depuis le début, articulée à une structure donnée comme
condition a priori de l'expérience. La conscience attachée à la visée croit
qu’elle est capable de poser immédiatement l’auto-identité parce qu'elle
ignore qu’une telle identité n’est qu’un moment de la différence constituée à
partir de rapports de négation structurés et différentiels. Le problème de la
certitude sensible nous montre comment énoncer l'identité revient à énoncer
que la chose occupe une place dans un système linguistique de
déterminations, n'ayant pas son identité en elle-même, mais dans ce système
de rapports.
En fait, il n'y a pas d'expérience qui ne soit pas nommée dans un
langage dont la dynamique obéit à des lois de structure. Mais la saisie d’un
contenu dans un système structuré propre au savoir de la conscience doit
nécessairement produire un reste dont le destin nous pose jusqu'ici des
problèmes. Et si, dans la Logique de l'essence, la détermination-de-réflexion
propre à l'identité est surmontée par la diversité (Verschiedenheit), c'est
parce qu'il s'agit d’abord de critiquer la pensée de l'identité à travers le
recours à l'irréductibilité du multiple caractéristique du divers de
l'expérience589.
589
On peut même dire avec Longuenesse que le moment de la diversité est « le moment de
l'empirisme dans la dialectique » (LONGUENESSE, Hegel et la critique de la métaphysique,
Paris : Vrin, 1981, p. 70).
234
590
Ce primat de la relation dans la détermination de l´identité des objets peut être déjà trouvé
dans les textes du jeune Hegel. Il suffit de mentionner La relation entre scepticisme et
philosophie où la perspective rationnelle est définie comme celle qui appréhende « des
relations nécessaires à un Autre, car le rationnel c´est la relation elle-même».
591
SAUSSURE, Cours de linguistique générale, op.cit., p. 166.
592
ZIZEK, Subversions du sujet, op.cit., p. 135.
593
HEGEL, Science de la logique II, op.cit., p. 58.
235
594
DELEUZE, Différence et répétiton, op. cit., p. 64.
236
595
BRANDOM, Tales of the mighty dead, op. cit., p. 179.
596
Ibidem, p. 180
597
Nous devons passer ici au problème de la référence parce que la négation déterminée n´est
pas simplement le mode de relation entre deux termes, mais le mode de relation entre concept
et objet. En ce sens, rappellons-nous de l’idée majeure de Hegel : la connaissance des
relations n´est pas le résultat des déductions ; elle est la formalisation des processus dans
l´expérience. La négation déterminée concerne les modes de réalisation du concept dans
l´expérience. Cela signifie que, lorsqu´elle essaie d´indexer le concept à un objet, lorsqu´elle
essaie de réaliser le concept dans l´expérience, la conscience verra le concept passer dans son
opposé et engendrer un autre objet (d´où la négation déterminée comme étant le locus du
passage d´une figure de la conscience à l´autre). Ainsi, la conscience n´arrive jamais à
appliquer son concept au cas sans engendrer une situation qui contredit les aspirations
initiales de signification du concept. L´expérience est exactement le champ de ces
renversements. Rappellons-nous que Hegel s’intéresse à la façon dont le sens des concepts se
237
En principe, cela semble n´avoir pas de sens, pour autant qu´il s´agit
de rendre problématique la notion de « relation ». Dans cette perspective, la
notion de négation déterminée semble obscure. Car comment est-il possible
de dire que la réalisation d'un terme (au sens de sa référentialisation dans
l´expérience) est un passage dans l´opposé, est la reconnaissance de son
identité avec sa négation?
598
KANT, Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négative, Paris : Vrin
1949, pp. 19-20.
599
D'où l'affirmation : « mais dans l'intuition sensible où la réalité (par exemple : le
mouvement) est donnée, se trouvent des conditions (des directions opposées) dont on faisait
abstraction dans le concept du mouvement en général et qui rendent possible une
contradiction qui sans doute n'est pas logique, puisqu'en effet elles consistent à faire d'une
donnée simplement positive un zéro = 0 ; on ne pourrait donc pas dire que toutes les réalités
s'accordent entre elles par cela seul qu'il ne se trouve aucune contradiction dans leur concept »
(KANT, Critique de la raison pure, op. cit., p. 241).
600
DAVID-MENARD, La folie dans la raison pure : Kant lecteur de Swedenborg, op. cit., p.
41.
239
Mais si Kant affirme que les prédicats opposés sont contraires sans
être contradictoires, c'est parce qu'ils se mélangent comme des forces
positives déterminées dans le résultat d'une réalité finale. Les opposés réels
sont, pour Kant, des propriétés également positives, ils correspondent à des
références objectives déterminées. Il n'y a pas de réalité ontologique du
négatif (même s'il y a un pouvoir transcendantal de la négation dans la
détermination du noumène comme concept vide par rapport à l'intuition des
objets sensibles601). L'aversion et la douleur sont aussi positives (au sens
qu'elles se référent à des objets positifs) que le plaisir. Elles ont une
subsistance positive comme objets sensibles, qui n'est pas réductible au
rapport d'opposition.
Hegel est attentif à la façon dont l'opposition réelle ne bouleverse
pas la notion de détermination fixe oppositionnelle. Même en reconnaissant
l'existence d'une solidarité entre les contraires dans le processus de définition
du sens des opposés (en affirmant que « la mort est une naissance
négative »602, Kant reconnaît que le sens de la mort est dépendant de la
détermination du sens de la naissance), la notion d'opposition nous empêche
de demander comment l'identité des objets est bouleversée lorsque la pensée
prend en compte les rapports d'opposition603. Comme le dit Lebrun : « que
chacun des termes ne puisse avoir de sens que branché sur son opposé, cela,
l'Entendement le concède : cette situation est figurable. Mais que chacun
devienne ce que signifie l'autre, ici commence le non-figurable »604. Car :
Tout en admettant, contre les classiques, que le positif peut se retrancher et que le
négatif possède en quelque sorte une valeur de réalité, Kant ne mettra jamais en
question l’axiome ‘la réalité est quelqu chose, la négation n’ést rien’. Cette
proposition est même la clé de voûte de l’écrit sur les Grandeurs négatives ; elle est
la condition nécessaire sans laquelle on ne pourrait discerner l’opposition logique de
l’opposition réelle605.
601
Ibidem, pp. 25-71.
602
KANT, idem, p. 24.
603
Elle nous empêche de poser la question : « comment les objets sont-ils redéfinis,
reconstitués, du fait qu'ils sont inscrits dans des rapports ? Quelles transformations la notion
même d'objet reçoit-elle, du fait d'être ainsi reconstituée par la pensée ? » (LONGUENESSE,
Hegel et la critique de la métaphysique, op. cit., p. 80).
604
LEBRUN, La patience du concept, op.cit., p. 292.
605
Idem, Kant et la fin de la métaphysique, Paris : Armand Colin, 1970, pp. 193-194
240
606
Voir HENRICH, Hegel im Kontext, op. cit., p. 112.
607
Comme nous le voyons dans cette affirmation : « quand nous énonçons le non-être, nous
n'énonçons point, semble-t-il, quelque contraire de l'être mais seulement quelque chose
d'autre" (PLATON, Sophiste in : Oeuvres Complète, Paris : Gallimard (La Pléiade), 1950,
257b).
608
HENRICH, Hegel im kontext, op.cit., p. 133.
609
En ce sens, Dubarle a bien noté que le terme faisant fonction de terme nul est absent de la
doctrine du Concept telle que Hegel la formule (DUBARLE et DOZ, Logique et dialectique,
Paris : Larousse, 1972, pp.134-145). La reponse se trouve dans le fait que le terme nié chez
Hegel n'atteint jamais la valeur zéro, en tant que cette fonction de zéro sera critiquée par
Hegel comme étant un « néant abstrait » (abstrakte Nichts). En ce sens, l'intérêt hégélien pour
le calcul infinitésimal est lié à la façon dont Hegel structure sa compréhension de la négation
comme un passage à la limite de la déterminité. La négation hégélienne n'atteint jamais la
valeur zéro parce qu'elle fait passer le néant à la limite du surgir (Entstehen) et l'être à la
limite du disparaître (Vergehen) (cf. HEGEL, Science de la logique I, op.cit., pp. 79-80). En
fait, elle est expose ce moment où l'être est en train de disparaître et où le néant est en train de
se manifester dans une déterminité. D'où l'importance donnée par Hegel à la notion de
grandeur évanouissante dans la compréhension de la dialectique du devenir (Werden) : « ces
grandeurs ont été déterminées comme des grandeurs qui sont dans leur disparaître (die in
ihrem Verschbwinden sind), non avant leur disparaître, car alors elles sont des grandeurs
finies - non aprés leur disparaître, car alors elles sont néant » (Ibidem, p. 78). Pour une
analyse plus détaillée du rôle des infinitésimaux dans la Logique de Hegel, voir FAUSTO,
Sur le concept de capital : idée d'une logique dialectique, Paris : L'Harmattan, 1996, pp. 23-
25. Sur la question de l'impossibilité de la négation hégélienne à atteindre la valeur zéro,
rappelons encore la façon dont Hegel détermine le vide (das Leere) : « le vide, donc, en
vérité, n'est pas l'immédiat, indifférent pour soi en face du Un, mais il est le se-rapporter-à-
autre-chose de cet Un, ou sa limite » (HEGEL, Science de la logique I, op.cit., p. 135).
Rappelons aussi que Lacan, en utilisant la négation surtout comme « manque » et comme
« vide », mais très rarement comme « rien », affirme que « la négation, ça n'est pas un zéro,
jamais, linguistiquement, mais un pas un » (LACAN, S IX, séance du 21/02/62).
241
610
HEGEL, Science de la logique II, op.cit., p. 72.
611
HEGEL, PhE I, p. 160.
612
ADORNO, Trois études sur Hegel, op.cit, p. 104.
613
HEGEL, PhE I., pp. 54-55.
242
614
Rappelons par exemple comment le rapport entre sujet et signifiant chez Lacan n'est pas
pensé simplement à travers l'arbitraire. Entre sujet et signifiant il y a surtout un rapport de
fading : « lorsque le sujet apparaît quelque part comme sens [à travers son aliénation dans le
signifiant], ailleurs il se manifeste comme fading, comme disparition. Il y a donc, si l'on peut
dire, une affaire de vie et de mort entre le signifiant unaire, et le sujet en tant que signifiant
binaire, cause de sa disparition » (LACAN, S XI, p. 199).
615
SAUSSURE, Ecrits de linguistique générale, op.cit., p. 65.
616
Il n´est pas totalement correct de dire, comme Habermas que « le sujet est déjà pris dans
des processus de rencontre et d´échange et se découvre toujours déjà situé dans des contextes.
Le réseau des relations sujet-objet est déjà posé, les liens possibles avec les objets sont déjà
établis avant que le sujet s´implique vraiment dans des rapports et rentre, en fait, en contact
avec le monde » (Habermas, Wahrheit und Rechfertigung, Frankfurt : Suhrkamp, 2004, p.
191). Comme nous l’avons vu, il est vrai qu´il n´y a pas de désignation possible d´objet qui ne
passe par une structure responsable de la production du signifié. Néanmoins, il n´est pas
totalement correcte de dire que « les liens possibles avec les objets sont déjà établis avant que
le sujet s´implique vraiment dans des rapports ». Le mouvement d´échec de la désignation
montre qu´il y a quelque chose qui ne peut être récupéré par la médiation du langage que
comme négation et évanouissement. Cela fait une grande différence car cela nous empêche de
voir la philosophie hégélienne comme un hylémorphisme entre forme et contenu.
243
617
LEBRUN, La patience du concept, op. cit., p. 353.
244
618
HEGEL, Science de la logique II, op.cit., p. 83.
619
ADORNO, DN, p. 152.
620
Ibidem, p. 158.
621
Ibidem, p. 157. La première exposition de cette résistance de l'objet suit la dialectique
hégélienne entre l'identité et la diversité en tant que recours à un moment d'empirisme dans la
dialectique. Adorno dira ainsi que « le moment de la non-identité dans le jugement identifiant
est aisément discernable dans la mesure où tout objet singulier subsumé sous une classe
possède des déterminations qui ne sont pas comprises dans la définition de sa classe »
(Ibidem, p. 148). Qu'une pensée dialectique doive avoir recours à un argument empirique
trivial sert d'indice au besoin de prendre en compte le moment de l'expérience sensible.
245
on retourne à l'objet qui fut posé au début, mais l'essence de l'objet apparaît
comme résistance à la signification produite par les schémas d'identification
propres à la structure oppositionnelle de la pensée. « L'essence de l'objet,
c’est le ratage » dirait Lacan et nous avons vu les conséquences cliniques de
cette affirmation. Disons que la reconnaissance de ce nouage ontologique
entre objet et négation anime aussi la dialectique adornienne622.
Il ne s'agit pas ici de faire de « l'indissolubilité (Unauflöslichkeit) de
l'objet un tabou pour le sujet »623, voie certaine soit pour le scepticisme soit
pour le retour à la positivité. Il s'agit surtout de reconnaître l'existence d'une
négation venant de la résistance de l'objet en tant que pôle de l'expérience
sensible. Un peu comme Hegel montrait, mutatis mutandis, comment le
fondement de la négation dialectique est la négation qui vient de l'échec de la
désignation du fait de l'évanouissement de la référence. Mais pour ne pas
hypostasier la négation dans le blocage sceptique du non-savoir, cette
résistance de l'objet ne peut être posée que comme résistance. Position qui
est déjà une promesse de réconciliation. Cela amène Adorno à pousser la
dialectique de l'universel et du particulier jusqu'à sa limite.
Il faut faire une « critique réciproque de l'universel et du
particulier »624, en exposant la double négation. D'abord, la critique du
particulier. L'abstraction propre à l'Universel qui soumet des êtres singuliers
et de performances non-identiques (nichidentische Einselwesen und
Leistungen) à un principe général et structural d'organisation doit être posée
afin de briser l'illusion de l'immanence. C'est la première négation qui va du
langage aux choses. Hegel ne disait pas autre chose dans ses considérations
sur la puissance négative du langage.
Mais l'auto-réflexion du penser reconnaît que le vrai but de la pensée
consiste à entendre les aspirations de ce qui a été perdu et à savoir retourner
à l'objet. Dans ce retour il trouve l'objet non pas comme positivité désignée,
mais comme point d'excès d'une opération de nomination. D'où l'importance
de la contradiction objective comme moment d'exposition de ce point
d'excès à l'intérieur d'un objet qui a été structuré par les procédures
d'universalisation de la pensée conceptuelle. Ainsi « le non-identique
constituerait l'identité propre de la chose (Sache) face à ses
identifications »625. C'est le moment de négation qui part de la chose vers le
langage.
622
Cela sans oublier que l'essence chez Adorno reçoit une définition éminemment négative :
« l'essence rappelle la non-identité, dans le concept, de ce qui n'est pas tout d'abord posé par le
sujet mais qu'il poursuit » (Ibidem, p. 167).
623
Ibidem, p. 157.
624
Ibidem, p. 145.
625
Ibidem, p. 159.
246
626
HEGEL, Science de la logique II, op.cit., p. 84.
627
Ibidem, p. 77.
247
628
ZIZEK, Subversions du sujet.,op.cit., p. 136.
629
HEGEL, Science de la logique II, op.cit., p. 88.
630
Ibidem, p. 89.
631
C'est en ce sens que nous comprenons la remarque de Béatrice Longuenesse : « c'est qui
reste, selon lui [Hegel], une découverte inestimable, est la tension entre l'unité du Je pense et
la mutiplicité non pensée, ou non complètement unifiée par la pensée. Tout objet (pensé)
248
porte en soi cette tension, c'est pourquoi tout objet porte en soi la contradiction »
(LONGUENESSE, Hegel et la critique de la métaphysique, op. cit., p. 51). Une contradiction
« entre son inscription dans une unité rationnelle et son irréductibilité à l'unité » (ibidem, p.
52). C’est sans doute pourquoi le savoir spéculatif détermine toujours l'objet comme
syllogisme. Comme le dit Hegel : « l’objet est le syllogisme ou le mouvement de l’universel,
à travers la détermination vers la singularité, aussi bien que le mouvement inverse de la
singularité, à travers la singularité comme supprimée (aufgehobne) ou [comme] la
détermination vers l’universel » (HEGEL, PhE II, p. 294).
632
HEGEL, Science de la logique II, op. cit., p. 85.
633
Car « chaque fois que Hegel parvient à un moment de perfection où l'identité semble se
recourber sur soi pour une jouissance autarcique, c'est la négation de cette identité qui sauve
l'Absolu de l'abstraction et de l'indétermination » (MABILLE, Idéalisme spéculatif,
subjectivité et négations, op. cit., p. 170).
634
HEGEL, Science de la logique II, op. cit., p. 83.
635
Cf. ZIZEK, Hegel passe : le plus sublime des hystériques, op.cit., p. 120.
249
636
HEGEL, PhE II, pp. 165-166.
251
637
HEGEL, Principes de la philosophie du droit, trad. Jean-François Kervégan, Paris : PUF,
1998, p. 194.
252
638
HEGEL, PhE II, p. 179.
639
Ibidem, p. 135.
254
640
Il semble que notre manière de lire Hegel comme le théoricien d'une telle reconnaissance
ne peut pas rendre compte d’affirmations très claires, par exemple celle-ci : « le résultat,
amené par le concept de l'esprit, du combat pour la reconnaissance, est la conscience de soi
universelle [...] c'est-à-dire la conscience de soi libre pour laquelle l'autre conscience de soi
qui lui est ob-jet (Gegenstand) n'est plus [...] une conscience de soi sans liberté, mais une
conscience de soi pareillement subsistante-par-soi. A ce niveau, les sujets conscients de soi
en relation l'un avec l'autre se sont, ainsi, par la suppression de leur singularité particulière
inégale, élevés à la conscience de leur universalité réelle, de leur liberté qui appartient à tous -
et, par là, à l'intuition de leur identité déterminée l'un avec l'autre » (HEGEL, Encyclopédie,
op. cit., Add. 436). Nous proposons de lire l'avènement de cette conscience de soi universelle
à partir de la reconnaissance de soi dans l'irréductibilité de l'opacité du pathologique. L'autre
n'est plus ob-jet pour une conscience dans la position de maîtrise, parce que cette conscience
(qui se posait comme pouvoir d'une conscience jugeant) s'est aussi révélée dans son
attachement à l'objet pathologique. La liberté vient avec la reconnaissance de l'universalité de
la scission.
641
Hegel a défini le jugement infini comme un rapport entre termes sans rapport : « il doit être
un jugement¸ donc contenir un rapport de sujet et prédicat ; mais un tel [rapport] en même
temps ne doit pas y être » (HEGEL, Science de la logique III, p. 123). Néanmoins « le
jugement infini, comme infini, serait l'accomplissement de la vie se comprenant soi-même »
(HEGEL, PhE II, p. 287).
642
HEGEL, PhE II, p. 296.
255
643
HEGEL, Science de la logique III, op.cit., p. 307.
256
644
ADORNO, DN, p. 140.
645
ADORNO, idem, p. 22.
646
LACAN, AE, p. 195.
647
Idem, S VII, p. 30.
257
648
LACAN, S XXIII, p. 86.
649
Idem, S V, p. 65.
258
8. Esthétique du réel
656
BADIOU, Petit manuel d'inesthétique, Paris : Seuil, 1998, p. 18.
657
FREUD, Le délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen, Paris : Gallimard, 1986, p.
141.
262
658
Cette notion de matériau esthétique nous vient d'Adorno. Selon lui, le matériau n'est pas la
même chose que le contenu. Il est « ce dont disposent les artistes ; ce qui se présente à eux en
paroles, en couleurs et en sons, jusqu'aux associations de toutes sortes, jusqu'aux différents
procédés techniques développés ; dans cette mesure, les formes peuvent également devenir
matériau » (ADORNO, TE, p. 209). Ainsi, Adorno parlera d'une contrainte du matériau, qui
est résistance de l'objet à son instrumentalisation par le faire de l'artiste.
659
Rappelons qu'il ne s'agit pas simplement d’établir une étiologie sexuelle des phénomènes
de l'art. L'enjeu freudien est bien décrit par Rancière : « il est d'intervenir sur l'idée de la
pensée inconsciente qui norme les productions du régime esthétique de l'art, de mettre de
l'ordre dans la manière dont l'art et la pensée de l'art font jouer les rapports du savoir et du
non-savoir, du sens et du non-sens, du logos et du pathos, du réel et du fantasmatique »
(RANCIÈRE, L'inconscient esthétique, Paris : Galilée, 2001, p. 51).
263
660
FREUD, Le créateur littéraire et la fantaisie in L'inquiétante étrangeté et autres essais,
Paris : Gallimard, 1985, p. 42. En ce sens, la critique adornienne envers Freud nous semble
extrêmement pertinente : « la théorie freudienne de l'art est beaucoup plus idéaliste qu'elle
croit l'être. En se contentant de transférer les œuvres d'art dans l'immanence psychique, elle
les dépouille de l'antithèse au non-moi que les pointes de l'œuvre d'art laissent intacte »
(ADORNO, TE, p. 30).
661
FREUD, idem, p. 46.
662
FREUD, Le Moïse de Michel-Ange in L'inquiétante étrangeté et autres essais, Paris :
Gallimard, 1985, p. 87.
663
Ibidem, p. 89.
264
664
ADORNO, TE, p. 24.
665
LACAN, AE, pp. 192-193.
666
Ce qui lui permet d'affirmer que « Ulysses, c'est le témoignage de ce par quoi Joyce reste
enraciné dans son père tout en le renian. C'est bien ça qui est son symptôme » (idem, S XXIII,
p. 70).
265
667
LACAN, E., p. 12. Cette fonction d'illustration littéraire de la métapsychologie donnée au
conte de Poe sera réitérée à la fin du commentaire lacanien. Sur ce recours à la littérature,
Lacan dira qu’« il nous fallait illustrer d'une façon concrète la dominance que nous affirmons
du signifiant sur le sujet » (idem, E., p. 61).
668
idem, AE, p. 12.
669
idem, S XI, p. 101.
266
670
idem, AE, p. 183. Une affirmation qui n'est que le déploiement de la définition canonique
de l'art comme mode d'organisation autour du vide de la Chose (cf. idem, S VII, p. 155).
671
MERLEAU-PONTY, L'oeil et l'esprit, op.cit., p. 43.
672
LACAN, AE, p. 195.
267
673
idem, E., p. 848
674
FREUD, Psychanalyse et théorie de la libidio In : Résultats, idées, problèmes II, Paris :
Puf, 1998, p. 77
675
LACAN, S II, p. 370.
268
676
BOOTHBY, Freud as philosopher, New York : Routledge, 2001, p. 151
677
FREUD, Au-delà du principe de plaisir in Essais de psychanalyse, Paris : Payot, 1981, p.
80.
678
idem, L’analyse avec fin et l’analyse sans fin in Résultats, idées, problèmes n.2, Paris :
PUF, 1998, p.244.
269
679
idem, Remémoration, répétition et perlaboration, in La technique analytique, Paris : PUF,
2000, p. 113.
680
« L'homme aspire à s'y anéantir pour s'y inscrire dans les termes de l'être [cela nous montre
comment la mort est une figure phénoménologique de la transcendance négative du sujet]. La
contradiction cachée, la petite goutte à boire, c'est que l'homme aspire à se détruire en ceci
même qu'il s'éternise » (idem, S VIII, p. 122).
270
mort cherchée par la pulsion c´est « l´état des différences libres quand elles
ne sont plus soumises à la forme que leur donnaient un Je, un moi, quand
elles se développent dans une figure qui exclut ma propre cohérence au
même titre que celle d´une identité quelconque. Il y a toujours un “on meurt”
plus profond que le “je meurs” »681. Ainsi, le négatif de la mort peut
apparaître comme figure du non-identique.
Le vocabulaire de la non-identité ne relève pas ici du hasard. En fait,
tout se passe comme si Lacan suivait Adorno, pour qui, comme nous l’avons
vu, « les hommes ne sont humains que lorsqu'ils n'agissent pas ni ne se
posent en tant que personnes ; cette partie diffuse de la nature où les hommes
ne sont pas des personnes ressemble aux linéaments d'un être intelligible, à
une ipséité qui serait délivrée du moi (jenes Selbst, das vom Ich erlöst
wäre) : l'art contemporain en suggère quelque chose ».
L'art contemporain en suggère quelque chose dans la mesure où il se
soutient dans la tension de ceux qui savent que plus l'art est impensable sans
l´expression subjective, plus il est impérieux de se débarrasser de l’« élément
idéologique » lié au caractère affirmatif de l´expression. Adorno parlera
souvent du besoin de penser une expression qui ne serait pas liée directement
à l´intention. Ces affirmations indiquent un changement concernant la
catégorie d´expression très proche de ce que nous trouvons chez Lacan. Pour
quelqu´un comme Adorno qui a construit la catégorie d´impulsion subjective
(Impuls, Drang, Trieb) à partir du concept psychanalytique de pulsion,
l´expression ne peut pas être subordonnée à la grammaire des affects ou de la
positivité de l’intentionnalité. Une expression pensée à partir de la pulsion
apparaît à l´intérieur des œuvres comme négation des identités fixes
soumises à une organisation fonctionnelle, comme incidence du négatif dans
l´œuvre. Dans certains cas, cette négation apparaît comme tendance vers
l´informe, ce que nous voyons dans les analyses adorniennes d’Alban Berg.
Adorno ne cesse de rappeler, à propos de Berg, que « celui qui analyse cette
musique, surtout, la voit se désagréger comme si elle ne contenait rien de
solide »682 et il lui arrive de parler de pulsion de mort en tant que tendance
originaire des œuvres, cela à cause du désir d´informité qui les habite. « La
complicité avec la mort, une attitude d´aimable urbanité envers son propre
effacement caractérisent son œuvre »683. Ainsi, ce qu´Adorno avait dit de
681
DELEUZE, Différence et répétition, Paris : PUF, 2000, p. 149
682
ADORNO, Alban Berg : le maître de la transition infime, Paris : Gallimard, 1989, p. 23
683
Ibidem, p. 21. Anne Boissière a bien perçu comment le problème de l´informe est un des
éléments responsables de la liaison entre les monographies sur Berg et Mahler : « au plus haut
point formée, la musique de Mahler est, à certains moments, tendance dialectique vers
l´informe. S´il y a là un thème - celui de la dialectique de l´organisation et de la
désorganisation, de la forme et de l´informe -, simplement esquissé dans le Mahler, on le voit
en revanche prendre une importance de premier ordre dans le livre sur Berg, à travers l´idée
271
689
LACAN, S XXIII, p. 125
690
Idem, Le discours analytique, conférence non-publiée.
691
Idem, S XI, p. 167.
692
Ibidem, p. 162.
693
Ibidem, p. 169.
694
ADORNO, TE, p. 163.
273
695
L'impossible est en fait un régime de négation à l'intérieur de la clinique. Même en étant
« impossibles », ces catégories ne sont pas exclues de l'expérience du sujet et du
développement de la cure. Elles ne sont impossibles que dans la perspective du savoir réflexif
de la conscience. Ce qui nous explique pourquoi ces catégories peuvent être formalisées, mais
non symbolisées..
696
LACAN, S XIV, séance du 01/07/67.
697
Idem, S XIV, séance du 31/05/67.
274
698
FREUD, Le créateur littéraire et la fantaisie, in L´inquiétante étrangeté et autres essais,
Paris : Gallimard, 1985, p. 46.
699
ADORNO, TE, p. 30.
275
Lacan revient sur cette question. Pour lui, affirmer que la pulsion
peut trouver sa satisfaction dans un but qui n'est pas directement sexuel ne
signifie pas qu'elle puisse être tout simplement désexualisée, d'autant qu'il y
aura toujours pour lui un rapport fondamental entre esthétique, éthique et
érotique. La désexualisation ne fournit pas l'explication des processus de
détournement. Et Lacan n'oublie pas de montrer que « l'objet sexuel,
accentué comme tel, peut venir au jour dans la sublimation »700. La
possibilité de détournement sans refoulement indique simplement que la
pulsion ne se confond pas avec « la substance de la relation sexuelle »701
pensée comme fonction biologique de reproduction soumise au primat de
l'organisation génitale. Autrement dit, l'objet de la pulsion n'est pas lié à
l'adéquation à l'empirie de l'objet génital propre à la fonction biologique de
reproduction. Au contraire, il est intimement lié à la reconnaissance de ce
que l'objet « est ce qu'il y a de plus variable dans la pulsion, il ne lui est pas
originalement lié »702.
La stratégie lacanienne consiste à voir dans cette variabilité
structurale de l'objet (qui n'est pas une simple indifférence à l'égard de
l'objet) que le but de la pulsion est, d'une certaine façon, le mouvement
d'inadéquation par rapport aux objets empiriques : « son but n'est point autre
que ce retour en circuit »703. Si l'objet est ce qu'il y a de plus variable dans la
pulsion et s'il peut « être remplacé à volonté tout au long des destins que
connaît la pulsion »704, c'est parce que le but de la pulsion est la négation de
l'objet. Cela est explicitement posé par Lacan lorsqu'il affirme que « la
pulsion saisissant son objet apprend en quelque sorte que ce n'est justement
pas par là qu'elle est satisfaite [...] aucun objet, d'aucun Not, besoin, ne peut
satisfaire la pulsion »705, pour autant qu'il n'y a pas d'objet empirique adéquat
à la pulsion. Il est vrai que, comme dit Laplanche, « la clinique
psychanalytique nous apprend que le type même d´objet que chacun
recherche, loin d´être variable, est souvent extrêmement fixé et déterminé ;
lorsque nous analysons les choix amoureux de tel ou tel individu, ce n´est
pas la variabilité qui nous frappe, mais au contraire un certain nombre de
traits extrêmement spécifiques »706.
Néanmoins, cette fixation de l´objet de la pulsion, une fixation qui ne
disparaît pas dans la fin de l´analyse, ne peut pas être comprise comme la
700
LACAN, S VII, p. 191.
701
Idem, S VI, séance du 01/07/59.
702
FREUD, Pulsion et destins des pulsions in Métapsychologie, Paris : Gallimard, 1968, p.
19.
703
LACAN, S XI, p. 163.
704
FREUD, idem, p. 19.
705
LACAN, idem, p. 151.
706
LAPLANCHE, Problématiques III: La sublimation, Paris : PUF, 1998, p. 24.
276
709
DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch, op. cit., p. 81.
710
LACAN, S VII, p. 251.
711
Ibidem, p. 240.
278
712
LACAN, S XIV, séance du 22/02/67.
279
713
Idem, S X, p. 51.
714
Idem, S VII, p. 130.
715
« Il n'est d'aucune façon possible de s’acquitter de ce qu'il en est de la double négation en
disant par exemple qu'il s'agit là d'une opération qui s'annule, et qu'elle nous ramène et nous
rapporte à la pure et simple affirmation » (idem, S XV, séance du 28/02/68).
716
Ibidem, séance du 06/03/68.
717
On le voit dans cette affirmation : « un certain usage de la double négation n'est pas du tout
fait pour se résoudre en une affirmation, mais justement pour permettre, selon le sens où elle
est employée, cette double négation, soit qu'on l'ajoute, soit qu'on la retire, d'assurer le
passage de l'universel au particulier » (ibidem, séance du 06/03/68).
718
Cf. idem, S VII, p.133.
280
719
En parlant de l'image de la beauté sublime d'Antigone, Lacan pose le besoin de penser un
régime d'image à travers laquelle « nous sommes purgés, purifiés de tout ce qui est de cet
ordre-là. Cet ordre-là nous pouvons d'ores et déjà le reconnaître - c'est, à proprement parler, la
série de l'imaginaire. Et nous en sommes purgés par l'intermédiaire d'une image entre autres »
(LACAN, S VII, p. 290). Cette imposition esthétique d'une image qui est la destruction de
l'imaginaire peut nous renvoyer, par exemple, à ce que Didi-Huberman dit à propos du
programme des specifics objects, de Donald Judd : « c'était inventer des formes qui sachent
renoncer aux images, et d'une façon parfaitement claire qui fassent obstacle à tout processus
de croyance devant l'objet » (DIDI-HUBERMAN, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde,
Paris : Minuit, 1992, p. 35).
720
LACAN, S X, p. 74
281
721
LACAN, S VII, p. 128.
722
ADORNO, TE, p. 37.
282
723
ADORNO, TE, p. 148.
724
FOSTER, Return to the real, Cambridge : MIT Press, 1996, p. 132.
283
730
WOLLHEIM, Minimal art in BATTCOCK, Mininal art : a critical antology, Berkeley :
California Press, 1995, p. 398.
731
JUDD, Specific objects in Complet writings, New York : The Press of Nova Scotia School
of Art and Design, 1975, p. 23.
732
Adorno dira que « l'art est le refuge du comportement mimétique » (ADORNO, TE, p. 85).
Car « l'art y est contraint à cause de la réalité sociale. Tout en s'opposant à la société, il n'est
pourtant pas capable d'adopter un point de vue qui lui soit extérieur » (Ibidem, p. 190).
286
733
La désexualisation de la Dame ne doit pas servir d'élément de différentiation ici. D'abord,
parce que Lacan a toujours insisté que la désexualisation n'est pas un dispositif déterminant
dans la sublimation. Deuxièmement, si la dame est désexualisée, c'est pour être resexualisée
après mais à partir de l'attribut de la froideur, de la cruauté et de l'inaccessibilité. En ce sens,
elle suit la même logique de la maîtresse dont le 'corps de marbre' (SACHER-MASOCH, La
Vénus à la fourrure in DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch, Paris, Minuit, 1966, p.
140) est le résultat d'une désexualisation (et il n'est pas un hasard s'il n'y a presque pas des
descriptions des actes sexuels dans les romans de Sacher-Masoch) qui donne espace à une
resexualisation sur les signes de la froideur, de la cruauté et de l'inaccessibilité (Voir
DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch, op. cit., p. 101)
287
raffinés, mettre dans sa crudité le vide d'une chose qui s'avère dans sa nudité être la
chose, la sienne, celle qui se trouve au cœur d'elle-même dans son vide cruel734.
Quatre ans après les discussions sur la femme dans l´amour courtois
comme paradigme de la sublimation, Lacan revient sur le problème de la
visibilité de l'image esthétique. Ce sont les paradigmes utilisés par Lacan
pour penser le statut de l'image dans l'art qui nous intéressent dans ces
discussions esthétiques. Ils sont fondés sur la triade anamorphose,
mimétisme et trompe l’œil. Lacan peut parfois soutenir, par exemple, que le
mimétisme, ainsi que le trompe l’œil, sont les équivalents de la fonction
exercée par la peinture. Ces remarques indiquent d'abord l´irréductibilité de
l'apparence (pensée comme espace de présentation soumis à la logique de
l´Imaginaire) dans la formalisation esthétique. En ce sens, Lacan discute une
question majeure pour l´esthétique du XXème siècle. Des critiques d'art
comme Craig Owen comprennent le développement de l'art au XXème siècle
à partir du problème de l´apparence : « la théorie moderniste, présuppose que
la mimésis, l'adéquation de l'image à la référence peut être surmontée et que
l'objet d'art peut être substitué (métaphoriquement) par ses références [...].
Le post-modernisme ne surmonte pas la référence mais travaille pour
problématiser l'activité de la référence »735.
En insistant sur l´irréductibilité du moment de l´apparence dans l´art,
Lacan semble suivre ce deuxième versant, mais nous ne devons pas oublier
734
LACAN, S VII, p. 194
735
OWENS, The allegorical impulse : toward a theory of postmodernism in October, New
York : 12/13, 1980, p. 235.
288
que, dans son cas, il ne s´agit pas d’absorber l´art dans la dimension du
simulacre et des jeux infinis d´apparences disséminées : « ce que nous
cherchons dans l'illusion est quelque chose où l'illusion elle-même se
transcende en quelque sorte, se détruit, en montrant qu'elle n'est là qu'en tant
que signifiant »736. Cette idée d´une « autodestruction de l´illusion » propre à
l´apparence esthétique est décisive et nous renvoie à la notion de sublimation
comme image de la destruction de l´image.
Afin de mieux comprendre la particularité de la position de Lacan,
revenons à ce qui l’intéresse dans le trompe-l´œil en tant que fonction
essentielle de l´art :
qu'est-ce qui nous séduit et nous satisfait dans le trompe-l’œil ? [...]. Au moment où,
par un simple déplacement de notre regard, nous pouvons nous apercevoir que la
représentation ne bouge pas avec lui et qu'il n'y a là qu'un trompe-l’œil. Car il
apparaît à ce moment-là comme autre chose qu'il se donnait, ou plutôt il se donne
maintenant comme étant cet autre chose737.
736
LACAN, S VII, p. 163.
737
Idem, S XI, p. 103.
738
Ibidem, p. 103.
739
DELEUZE, Différence et répétition, op. cit., p. 95.
289
740
HENRICH, Hegel im context, op. cit., p. 117.
741
ADORNO, TE, p. 190.
742
Ibidem, p. 190.
743
Idem, DN, p. 186.
290
744
Ibidem, p. 186.
745
Ibidem, p. 186.
746
LACAN, AE, p. 326.
747
ADORNO, TE, p. 315.
748
Idem, DN, p. 187.
291
749
DELEUZE, Différence et répétition, op. cit., p. 353
750
LACAN, S XX, p. 12.
751
idem, E., p. 495.
292
752
DERRIDA, L'écriture et la différence, Paris : Seuil, 1967, p. 310.
753
LACAN, AE, p. 14.
754
Idem, S XX, p. 35.
755
Ibidem, p. 11.
293
das erste Reich, das vergangen ist) »756 en laissant derrière soi la mobilité
(Beweglichen) et l'inquiétude de ce qui ne peut s'exprimer qu'à travers des
ruines. Depuis le premier peuple historique, le principe de subjectivité n'a
jamais cessé de reconnaître la certitude de son existence dans les ruines. Et
c'est vers elles que Lacan demande au sujet de tourner ses yeux afin
d'affirmer, encore une fois, son irréductibilité.
756
HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Weltgeschichte Band II-IV, Hambourg :
Felix Meiner, 1968, p. 414.
294
Critique de l´intersubjectivité
757
LACAN, E., p. 282 [citation modifiée].
758
Ibidem, p. 281
759
Idem, S II, p. 285
760
LACAN, S XI, pp. 188-189.
761
Ibidem, p. 191.
297
762
ADORNO et HORKHEIMER, Dialectique de la raison, op. cit., p. 30.
763
Ibidem, p. 14.
764
Ibidem, p. 25.
298
765
HONNETH, Axel, Kritik der Macht,Ftankfurt, Surkhamp, 1985,
766
Il faut suivre Bubner lorsqu’il affirme que la théorie critique demande une théorie de
l’histoire qui aspire à un statut ontologique (BUBNER, Rüdiger, Äesthetische Erfahrung,
Surkhamp, 1989).
299
767
ADORNO, Stichworte in Kulturkritik und Gesellschaft II, Frankfurt: Suhrkamp, 2003, p.
743.
300
tant que récupération d’une affinité non conceptuelle qui se soustrait à une
relation entre sujet et objet déterminée sur le mode cognitif-instrumental, le
recours adornien à la mimesis semble surtout promettre une réconciliation
entre le sujet et la nature. Une réconciliation capable d’opérer une ouverture
par-delà la soumission du divers de l’expérience sensible à la structure
catégorielle d’une raison qui aurait hypostasié son propre concept,
soumission qui, selon Adorno, indique le processus d’imbrication entre
rationalisation et domination. Mais cette façon de penser une réconciliation
fondée sur des affinités non conceptuelles semble s’inscrire dans une
perspective de retour à un concept de nature pensé comme plan positif de
donation du sens.
Habermas, par exemple, dit que la logique de la mimesis apparaît
comme « une remontée aux origines où l’on tente de revenir en-deçà de la
rupture de la culture avec la nature »768. Ce retour à l’origine placerait
Adorno aux côtés de Heidegger : « la mémoire (Eigendenken) de la nature
tombe dans une proximité choquante avec la réminiscence (Andenken) de
l’être »769. Dans les deux cas, cette pensée de l’origine et de l’archaïque nous
amènerait nécessairement à abandonner la philosophie en dépit du recours
philosophique au poème, pour autant que la puissance mimétique de l’art
peut nous indiquer ce que le concept rate toujours. Dans le cas de la mimesis
chez Adorno, on pourrait même songer à une certaine Naturphilosophie qui
n’a pas le courage de dire son nom. Il suffit de comprendre ce dévoilement
mimétique des « multiples affinités entre ce qui existe »770 comme
récupération d’une puissance cognitive de l’analogie et de la ressemblance.
Ces interprétations, et leurs innombrables modulations possibles,
présupposent chez Adorno un concept de nature pensé comme horizon de
donation positive de sens accessible à un genre d’intuition. La nature
apparaît comme un signe d’authenticité. Cela s’oppose à toute pensée
dialectique de la nature, pensée où celle-ci n’est posée ni comme horizon de
donation positive de sens ni comme simple construction discursive réifiée.
Or nous tenons que c’est une telle pensée qui est cherchée par Adorno. Il
suffit de rappeler que, du fait de la médiation posée comme processus
universel, il est simplement impossible que la nature apparaisse comme
l’originaire ou l’archaïque. Si la médiation est universelle, il n’y a aucun
768
HABERMAS, Théorie de l’agir communicationel I, Paris : Fayard, 1987, p. 387.
769
Ibidem, p. 389. C’est pourquoi « le théme d’un moi qui revient à la nature prend plutôt
chez Adorno les traits d’une utopie sexuelle et d’un certain anarchisme. Parfois il laisse cette
utopie d’une nature réconciliée avec la civilisation perdre presque insensiblement de son éclat,
parce qu’il désespère de sa possibilité, et finalement se confondre avec cette nature attirante
qui en fait paye ses bienfaits d’un abandon de l’individuation » (HABERMAS, Profils
philosophiques et politiques, Paris : Gallimard, 1980, p. 239).
770
ADORNO et HORKHEIMER, Dialectique de la raison, op. cit., p. 28.
301
771
ADORNO, TE, p. 101.
302
772
LACAN, E, p. 117.
773
LACAN, DPPRP, pp. 294-298.
303
774
ADORNO et HORKHEIMER, Dialectique de la raison, op. cit., p. 27.
775
Voir par exemple l’affirmation suivante : « chaque fois que les énergies intellectuelles sont
concentrées intentionnellement sur le monde extérieur […] nous ignorons souvent le
processus subjectif dans la schématisation et nous posons le système comme la chose même.
Comme la pensée malade, le penser objectivant implique l’arbitraire de la finalité subjective
qui est étrangère à la chose elle-même » (ibidem, p. 201).
776
Martin Jay a bien souligné que, chez Adorno, le comportement mimétique n’est pas une
imitation de l’objet, mais l’assimilation (anschmiegen) de soi à l’objet (JAY, Mimésis and
mimetology in HUHN et ZUIDERVAART, The semblance of subjectivity, p. 30).
777
ADORNO et HORKHEIMER, idem, p. 27.
304
778
Ibidem, p. 245 [traduction modifiée].
779
CAILLOIS, Le mythe et l´homme, Paris : Gallimard, 2002, pp. 110-111. Le terme
« psychaténie » cocnerne la nosographie de Pierre Janet, qui comprenait la psychaténie
comme une maladie mentale caractérisée par le rabaissement de la tension psychologique
entre le moi et son millieu et qui produisait des desordres comme le sentiment
d´incomplétude, la perte du sens de réalité, des phénomènes d´angoisse etc.
305
l’espace semble à ces esprits dépossédés une puissance dévoratrice. L’espace les
poursuit, les cernent, les digère en une phagocytose géante. A la fin, il les remplace.
Le corps alors se désolidarise d’avec la pensée, l’individu franchit la frontière de sa
peau et habite de l’autre côté de ses sens. Il cherche à se voir d’un point quelconque
de l’espace. Lui-même se sent devenir de l’espace, de l’espace noir où l’on ne peut
mettre de choses780.
Cet espace noir à l’intérieur duquel on ne peut pas mettre des choses
(puisqu’il n’est pas un espace catégorisable, condition transcendantale de
constitution d’un état des choses) est un espace qui nous empêche d’être
semblables à quelque chose de déterminé. D’un autre côté, tel quel la
tendance freudienne de retour à un état inorganique, Caillois rappelle que
l’animal mimétise non pas seulement le végétal ou la matière, mais le
végétal corrompu et la matière décomposée : « la vie recule d’un degré »781.
Nous pouvons comprendre comment cette pensée du mimétisme en tant
qu’identification avec le milieu a permis à Adorno de libérer le concept de
mimétisme de sa subordination à la nature en tant que plan immanent et
positif de donation du sens.
L’impératif mimétique de reconnaissance de soi dans la mort comme
négation de la puissance d’organisation du Symbolique (Freud) et dans
l’extériorité vide de concept (Caillois) nous indique ainsi où le sujet doit se
reconnaître pour s’affirmer dans sa non-identité. C’est un point que Josef
Früchtl a bien compris : « l’ambivalence envers la mimésis qu’il est possible
d’identifier chez Adorno doit être expliquée par la solidarité absolue qu’il
reconnaît entre réconciliation et destruction »782, c’est-à-dire entre
réconciliation avec l’objet et destruction du moi en tant qu’identité
subjective figée à l’intérieur d’un univers symbolique constitué. Pêut-être
celle-ci est la conséquence majeure de l´assomption du programme adornien
de retour au « primat de l´objet ».
Nous voyons donc comment cette articulation entre Freud et Caillois
implique une identification avec une négativité qui vient de l’objet en tant
que moteur de décentrement. Car le problème de la mimésis montre que,
pour Adorno, l’objet est ce qui marque le point dans lequel le moi ne
reconnaît plus son image, point dans lequel le sujet se voit devant un
sensible qui est « matérialité sans image ». La mimesis apparaît comme
reconnaissance de soi dans l’opacité de ce qui ne s’offre que comme
négation. C’est elle qui peut nous indiquer comment réaliser cette promesse
780
Ibidem ,p. 111
781
Ibidem, p. 113
782
FRÜCHTL, Mimesis : Konstellation eines Zentralbegriffs bei Adorno, Würzburg, 1986, p.
43.
306
Schoenberg mimétique
La brutalité envers les choses est potentiellement une brutalité envers les hommes » (ibidem,
p. 320).
787
Ibidem. p. 190.
788
KONSTELANETZ, Conversations avec John Cage, p. 306.
789
ADORNO, Philosophie de la nouvelle musique, Paris : Gallimard, 1962, p. 85.
308
un système de domination sur la nature dans la musique, qui répond à une nostalgie
du temps primitif de la bourgeoisie : « s’emparer » par l’organisation de tout ce qui
790
Adorno insiste sur ce point en rappelant que c´est: « à travers ces catégories traditionnelles
que la cohérence de la musique a été conservée, ainsi que le sens (Sinn) de la composition
authentique, dans la mesure où la musique n’est pas un simple arrangement. Le conservatisme
de Schoenberg à ce propos n’est pas dû à un manque de consistance, mais à sa crainte que la
composition soit sacrifiée à la préfabrication du matériau (Mittel) » (ADORNO, Das Altern
der Neuen Musik in Gesammelte Schriften XIV, Digitale Bibliothek band 97, 1999, p. 150).
791
ADORNO, Philosophie de la nouvelle musique, op. cit., p. 120.
309
792
Ibidem, p. 74.
793
Ibidem, p. 58.
794
ADORNO, Philosophie de la nouvelle musique, op.cit., p. 133.
310
Spécularité et opacité
795
LACAN, S III, p. 107
311
processus de socialisation. Mais il faut se rappeller ici que les sujets peuvent
se poser dans ce qui ne se soumet pas de façon intégrale à l’individuation.
Cette opération est nécessaire pour qu’on puisse « dissiper, avec la force du
sujet, l’illusion d’une subjectivité constitutive »796. Il ne s’agit pas d’une
opération de retour, mais simplement de comprendre le sujet comme espace
de tension entre des exigences de socialisation (soumises aux protocoles
d’aliénation) et de reconnaître l’irréductibilité de l’opacité des objets
pulsionnels qui ne se conforment pas à l’image de soi.
Un très bel exemple ici concerne la façon dont Lacan reprend une
certaine « phénoménologie du regard » présentée par Sartre dans L´être et le
néant. En prenant en compte une longue tradition de la philosophie de la
conscience qui se sert des métaphores scopiques afin de parler des processus
d’auto-réflexion, Lacan souligne que le regard est un objet spécial car
toujours élidé à l’intérieur des relations intersubjectives : « le regard se
spécifie comme insaisissable »797, cela au sens de non-objectifiable. Il y a
donc quelque chose du sujet qui ne trouve pas de place dans le champ
intersubjectif.
À fin de mieux expliquer cela, Lacan fait appel à la phénoménologie
du regard chez Sartre, c´est-à-dire cette impasse intersubjective qui apparaît
surtout dans les relations amoureuses. L’amant veut être le regard dans
lequel la liberté de l´autre accepte de se perdre, regard par lequel l´autre
accepte de se transformer en objet. Car l´amant exige « une liberté qui, en
tant que liberté, réclame son aliénation »798. Ainsi, lorsque je me pose à la
place du sujet, je n´ai jamais un regard désirant, regard qui donne présence à
l’autre. J´ai seulement un regard réifié et transformé en objet narcissique
dans lequel je ne vois que ma propre image. Je ne peux avoir devant moi un
regard qu’à la condition de me poser comme objet. Car « je m’identifie
totalement à mon être-regardé pour maintenir la liberté regardante de l’autre
et, comme mon être-objet est la seule relation possible de moi à l’autre, c’est
cet être-objet seul qui peut me servir d’instrument pour opérer l’assimilation
à moi de l’autre liberté »799. La reconnaissance intersubjective d’un être qui,
pour Sartre, est transcendance serait ainsi vouée à l’échec. Le regard (de la
conscience) réduit toujours l’autre à la condition d’objet. « Jamais tu me
regardes Là où je te vois. Inversement, ce que je regarde n’est jamais ce que
je veux voir », dira Lacan800.
796
ADORNO, DN, p. 10
797
LACAN, S XI, p. 79
798
SARTRE, L´être et le néant, op. cit., p. 415
799
Ibidem, p. 404
800
LACAN, idem, p. 95
313
Mais au lieu de rentrer dans cette impasse liée aux opérations d’une
philosophie de la conscience, Lacan insiste sur la possibilité de poser, à
travers la confrontation du sujet et de l’objet, ce qui ne trouve pas de place
dans la relation entre des sujets. Pour cela, le sujet doit faire l’expérience de
ceci que « du côté des choses, il y a le regard »801.
Dire que du côté des choses, il y a le regard peut passer pour une
façon nuageuse de parler du besoin d´une critique capable de montrer
comment les relations intersubjectives ont été réfiées. N´oublions pas que
l’arrière-fond de ce débat concerne la structure des relations amoureuses.
Lacan veut pourtant dire une autre chose. Pour lui, dire que du côté
des choses, il y a le regard signifie que le sujet peut se reconnaître dans la
dimension d´un objet qui n´est plus constitué à partir de la logique
narcissique du fantasme. Cette position peut être soutenue par Lacan dans la
mesure où le regard est exactement un de ces objets a auxquels le sujet était
lié dans les relations d’indifférenciation symbiotique précédant les processus
de socialisation. Dans ce contexte, le regard n´est pas la source d´expression
du désir dans sa quête fantasmatique pour un objet narcissique. Au contraire,
il est l´objet non-spéculaire se situant au-delà des exigences expressives du
moi et lié à une pulsion qui est pulsion de mort. Il n´est donc pas surprenant
que Lacan convoque également Roger Caillois pour rappeler que le
mimétisme animal explique comment un sujet peut se reconnaître là où les
représentations, et leurs systèmes d’identités fixes, vacillent. On peut donc
conclure ainsi, avec Merleau-Ponty (une autre référence constante dans se
séminaire) :
De sorte que le voyant étant pris dans cela qu’il voit, c’est encore lui qu’il voit : il y
a un narcissisme fondamental de toute vision ; et que, pour la même raison, la vision
qu’il exerce, il la subit aussi de la part des choses, que, comme l’ont dit beaucoup de
peintres, je me sens regardé par les choses, que mon activité est identiquement
passivité, - ce qui est le sens second et plus profond de narcissisme802.
801
Ibidem, p. 100
802
MERLEAU-PONTY, Le visible et l´invisible, op. cit., p. 183
314
que, grâce à elle, Lacan et Adorno ont essayé de dissiper, avec la force du
sujet, l’illusion d´une subjectivité constitutive.
803
LACAN, S XI, p. 69.
315
le monde, Lacan a aussi une ontologie qui ne se veut pas naïve, la question
c’est simplement de savoir où elle se trouve.
Dans ce livre, j´ai soutenu le besoin de chercher cette ontologie dans
la théorie de la pulsion. Ayant cela en vue, nous avons vu comment il a fallu
à Lacan repenser le concept de pulsion de fond en comble, surtout le concept
de pulsion de mort et, par conséquent, d’objet de la pulsion. Il revient à
Lacan le mérite d’avoir compris la pulsion de mort au-delà de la répétition
compulsive de l’instinct de destruction, ce qui nous ouvre une voie nouvelle
pour penser les figures du négatif dans la clinique. Cette stratégie de la
pensée entraîne aussi des conséquences métapsychologiques majeures
Ainsi, le concept de pulsion chez Lacan indique le point où la
métapsychologie se noue nécessairement à une ontologie négative. Il suffit
de suivre la parole de Lacan lorsqu’il affirme que la pulsion est une: "notion
ontologique absolument foncière, qui répond à une crise de la conscience"804.
Néanmoins, il s´agit ici d´une ontologie négative, c´est-à-dire,
ontologie pensée non pas comme régime de discursitivité positive de l’être
en tant qu´être, mais opération basée sur la reconnaissance d´un concept
ontologique de négation en tant que mode de manifestation de l´essence.
Régime qui soutient la réalité de ce qui bloque l´épuisement de l’être dans
une détermination positive. Bien sûr, il est toujours possible de penser que
nous sommes devant un genre de théologie négative qui a peur de dire son
nom, surtout si l’on prend en compte les motifs lacaniens de l’objet perdu, de
l’assomption de la castration comme manque, de la jouissance impossible,
de la place vide d’un sujet qui n’est jamais totalement présent. Des motifs
qui nous ameneraient vers une « éthique de la résignation infinie », comme
disait Deleuze sur les lacaniens ou vers une « idéalisation réligieuse du
manque », comme disait Judith Butler à propos du rapport lacanien entre
jouissance et Loi. Bien sûr, il est toujours possible de penser cela mais ces
propostions sont fausses. En fait, le projet de Lacan consiste à transformer la
confrontation avec la pulsion de mort dans le moteur du progrès analytique.
Cela veut dire : confrontation avec le caractére négatif des objets aux quels
la pulsion se lie et dans lesquels le sujet doit se reconnaître. Pour Lacan, il
s´agit de la seule possibilité pour le sujet de s´auto-objetiver par dèlà les
modes d´objectification propres à l´Imaginaire narcissique.
Il nous semble que Badiou montre une voie pour penser la négation
ontologique chez Lacan lorsqu'il rappelle qu'il y a, dans la psychanalyse
lacanienne, un accès à l'ontologie, pour autant que: « l'inconscient est cet être
qui subvertit l'opposition métaphysique de l'être et du non-être »805.
804
Idem, S VII, p. 152.
805
BADIOU, Théorie du sujet, Paris: Seuil, 1982, p. 152
316
L'inconscient de la pulsion, le ça, est cet être qui se pense dans une ontologie
fondée sur le négatif. Lacan doit avoir cela en vue lorsqu’il dit que
l’inconscient « porte à l'être un étant malgré son non-avènement »806.
Peut-être la difficulté d’accepter ces propositions est lié au fait de
Lacan n´aimer pas la ligne droite. Rappellons-nous de ce qu´il parle, dans le
même séminaire dedié aux Quatre concepts fondamentaux de la
psychanlyse, quelques jours avant d´accepter qu’il avait une ontologie :
« c’est bien d’une fonction ontologique qu’il s’agit dans cette béance, par
quoi j’ai cru devoir introduire, comme lui étant la plus essentielle, la
fonction de l’inconscient. La béance de l’inconscient, nous pourrions la dire
pré-ontologique. J’ai insisté sur ce caract’ere trop oublié – oublié d’une
façon qui n’est pas sans signification – de la premi’ere émergence de
l’inconscient, qui est de ne pas prêter à l’ontologie », pour autant que l’
inconscient : « n’est ni l’être, ni non-être, c’est du non-réalisé »807. Cette idée
de l’ordre de l’inconscient comme du pré-ontologique nous amene
nécessairment vers Merleau-Ponty et son ontologie de la chair. Néanmoins,
nous devons réconstruire le contexte de cette affirmation lacanienne à fin de
mieux comprendre son enjeu.
Dans la séance précendent, lacan avait discuté la notion de
« causalité inconsciente » avec l’aide des dernières pages de l’Essai pour
introduire en philosophie le concept de grandeur négative, de Kant. Lacan
avait en vue surtout la distinction kantienne entre principe logique et
principe réel. A propos du principe logique, Kant dit, en 1763 : étant donné
un principe, nous pouvons dériver une conséquence logique à partir de
l´obéissance à la règle d´identité. Ainsi : « L´homme peut faillir ; il doit cette
faillibilité à la finitude de sa nature ; je découvre en effet par l´analyse du
concept d’esprit fini que la possiblité d´erreur y est incluse, autrement dit,
qu’elle est identique au contenu du concpet d’esprit fini »808. Mais dans le
principe réel, quelque chose se suit d’une autre chose sans obéir à la régle de
l’identité, comme lorsque je dis que les phases de la lune sont la cause des
vagues. Kant dira que, pour rendre compte du principe réel, il n’y a que :
« des concepts simples et inanalysables de principes réels, dont on ne peut
nullement éclaircir le rapport à la conséquence »809. Lacan croit que cette
notion d´un concept inanalysable qui donne forme au rapport causal entre un
principe réel et sa conséquence est adéquat pour déterminer le mode de
causalité qui opère dans l’inconscient. Une causalité qui établie des rapports
806
LACAN, S XI, p. 117
807
Ibidem, pp. 31-32
808
KANT, Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négative,op. cit., p.
60
809
Ibidem, p. 62
317
entres des termes discontinus. C´est cela que Lacan nomme béance.
Néanmoins, cette béance n´annule pas une notion d’ontologie qui n’est plus
pensée à partir des idées comme « substance » et « identité ». En fait, il y a
plusieurs questions à discuter sur ce point, mais cela sert à montrer que le
débat n´est pas clos.
Finalement, quelque considérations sur un problème assez proche
chez Adorno. En parlant de Lacan, j’ai indiqué le besoin clinique de
reconnaître une résistance qui est résistance de l’objet à son
instrumentalisation par la pensée identifiante. On sait que l’identification
d’une telle résistance est exactement le moteur du concept adornien de
primat de l'objet (Vorrang des Objekt). Un primat de l'objet qui, comme on a
vu plusieurs fois, n'est pas hypostase du non-conceptuel, ni retour à un genre
d'immanence pré-réflexive, mais qui est pensée de l'objet comme négation.
Car, aussi pour Adorno, il y a une façon de nier qui est façon de présenter ce
que dans le réel de l’objet ne se soumet pas au cadre de saisie conceptuelle.
Il est évident que je ne comprends pas la dialectique négative comme
une critique totalisante de l’idéologie qui se retourne contre elle-même et qui
rentre nécessairement en contradiction performative810. L’idée de la
dialectique négative comme une théologie négative où se mélangent des
motifs eschatologiques et sensualistes de réconciliation qui ne peuvent
apparaître qu’ex negativo ne me semble aussi pas plus fiable811. Enfin, je ne
la vois pas non plus comme une hypostase du non-conceptuel qui la placerait
dans la lignée d’une certaine philosophie de la nature ‘à la Schelling’ à cause
de l’usage du concept de mimésis. D’ailleurs, je crois simplement qu’il faut
arrêter de voir dans l’idée adornienne de mimésis le résidu d’une philosophie
qui croit trouver dans la nature un plan d’immanence de donation du sens. Il
y a encore une difficulté à cerner le rôle exact du concept de nature (aussi
bien externe qu’interne) dans une pensée dialectique, pour autant que nous
sommes devant une pensée qui n’admet ni un rapport expressiviste ni un
rapport conventionnaliste avec la nature. Pour la dialectique, la nature ne se
réduit pas au résultat d´un processus de réification, mais elle n´est pas non
plus un donné positif posé de façon immanente.
A mon avis, ces positions critiques envers Adorno résultent de la
mécompréhension du noyau originel de la dialectique négative. Ce noyau
n’est autre que le nouage ontologique entre objet et négation, façon de
soutenir un retour au primat de l’objet et du sensible sans rentrer dans la
fixation fétichiste de l’expérience immédiate. Nous sommes devant une
dialectique qui reconnaît une mode de négation comme régime ontologique
810
Cf. HABERMAS, Jurgen, Le discours philosophique de la modernité, Paris: Gallimard,
1988, pp. 128-156.
811
Cf. WELMER, Albrecht, The persistence of modernity, Cambridge : MIT Press, p. 12
318
La critique de l’ontologie n’a pas pour but de déboucher sur une autre ontologie ni
même sir une ontologie du non-ontologique. Sinon elle ne ferait que poser un autre
comme absolument premier ; cette fois-ci non pas l’identité absolue, l’être, le
concept mais le non-identique, l’étant, la facticité. Elle hypostasierait ainsi le
concept du non-conceptuel et irait à l’encontre de ce qu’il signifie814.
812
ADORNO, TE, p. 483
813
HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel – tome II, Paris : Fayard, 1987, p. 378.
814
ADORNO, DN, p. 136
319
815
Idem, Notes sur la littérature, Paris: Flammarion, 1984, p. 424
320
Bibliographie
Sources :
Bibliographie secondaire :
Index rerum
Index nominun
Kant, Immanuel ; 14, 24, 74-76, Sade, D.A.F. ; 141, 153-159, 165,
87n, 142-148, 154, 156- 171, 173, 175, 177
159, 171, 237-239, 252, Safatle, Vladimir ; 12
316 Sartre, Jean-Paul ; 52,79-80, 206,
Klein, Melanie ; 114, 192-193 210, 312
Kojève, Alexandre ; 27, 36-37, Saussure, Ferdinand ; 220-221,
41, 63, 69, 79, 88 234, 242
Laplanche, Jean ; 39n, 275 Schoenberg, Arnold ; 306-309
Lebrun, Gérard ; 217n, 239, 243 Searle, John ; 225
Lévi-Strauss, Claude ; 94, 110, Silvestre, Michel ; 121n
110n Tausk, Victor ; 108
Ligeti, Gyorg ; 307 Von Uexkull, Jakob ; 77
Longuenesse, Béatrice ; 233n, Webern, Anton ; 308
239n, 247n Wellmer, Albercht ; 299
Lukács, Gyorg ; 301 Winnicott, Donald ; 200-201
Lyotard, Jean-François ; 24, 231- Wollheim, Richard ; 285
233, 308 Zizek, Slavoj ; 66n, 118n, 173n,
Mabille, Bernard ; 217, 248 227n, 247
Macherey, Pierre ; 52n Zupancic, Alenka ; 152n
Manonni, Octave ; 185
Merleau-Ponty, Maurice ; 70, 77,
210, 266, 313, 316
Migeot, Bernard ; 185n
Miller, Jacques-Alain ; 22n, 69n
Milner, Jean-Claude ; 221-222
Nietzsche, Friedrich ; 102,143
Owens, Craig ; 287
Platon ; 240
Poe, Edgar Alan ; 264-265
Quine, W.V.O. ; 229
Rabant, Claude ; 185
Rancière, Jacques ; 262n
Razavet, Jean-Claude ; 126
Reinhardt, Ad ; 284-285
Rey-Flaud, Henri ; 185n
Ricoeur, Paul ; 41, 95
Rivière, Joan ; 123
Rorty, Richard ; 221
Sacher-Masoch, Leopold ; 178-
179, 285
Vladimir Safatle est Professeur au Département de Philosophie et à l’Institut
de Psychologie de l’Universidade de São Paulo. Professeur-invité des
Universités de Paris VII, Paris VIII, Toulouse et Louvain il a été aussi
chargé de cours au Collège International de Philosophie. Il a publié, en
portugais, Fetichismo: colonizar o Outro (Civilização Brasileira, 2010),
Cinismo e falência da crítica (Boitempo, 2008), Lacan (Publifolha, 2007) et
A paixão do negativo: Lacan e a dialética (Unesp, 2006, deuxième édition
2010). Il a aussi organisé, en portugais, Um limite tenso : Lacan entre a
filosofia e a psicanálise (Unesp, 2003), Sobre arte e psicanálise (Escuta,
2005), Ensaios sobre música e filosofia (Humanitas, 2006) et A filosofia
após Freud (Humanitas, 2008). Il fait partie du comité d’édition des
Gesammelte Schriften, de Theodor Adorno, en portugais. Il est aussi un des
fondateurs de la Société Internationale de Psychanalyse et Philosophie /
International Society of Psychoanalysis and Philosophy.