Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
http://armand-colin.com/ean/9782200624392
Page de titre
Copyright
Penser en géographe
Introduction à la géopolitique
Objectifs de connaissances
Lectures conseillées
Notions à maîtriser
Conclusion
À retenir
Entraînement
Conclusion
À retenir
Entraînement
1. Définir la frontière
Conclusion
À retenir
Entraînement
À retenir
Entraînement
3. Conflit et post-conflit
Conclusion
À retenir
Entraînement
À retenir
Entraînement
Conclusion
À retenir
Entraînement
MÉTHODES
La dissertation
Le croquis de synthèse
Application
Le schéma fléché
Penser en géographe
Le premier objectif de la collection est de permettre au lecteur de se saisir
de la démarche géographique.
OBJECTIFS DE CONNAISSANCES
LECTURES CONSEILLÉES
NOTIONS À MAÎTRISER
Introduction à la géopolitique
Territoire politique
(enjeux étatiques :
frontières, puissance)
Territoire
économique et/
ou socio-
État
économique (enjeux
Individu(s)
de justice sociale,
Groupe social
lutte pour les
Groupe ethnique Rivalité politique,
ressources, conflits
Organisation économique,
d’appropriation, etc.)
Institution symbolique,
Nature Territoire
religieuse identitaire, conflit
socioculturel et/ou
Parti d’appropriation,
« identitaire »
Groupes armés d’usage, etc.
(enjeux
Entreprise
démographiques
Médias
et symboliques :
Etc.
protection
des populations
minoritaires, des
hauts lieux, des sites
religieux,
des monuments, etc.)
Espace-cadre
Agresseur
(territoire cadre
(jeu d’acteur)
des rivalités Rivalité ouverte
Défenseur
de pouvoir) ou latente
(jeu d’acteur)
Espace-enjeu Conflit armé
Victimes (jeu
Statut (territoire enjeu ou non
d’acteur)
des rivalités Conflit symétrique
Médiateurs
de pouvoir) ou asymétrique
Combattants
Espace-théâtre Etc.
Non-combattants
(territoire théâtre
Etc.
des conflits)
Échelles de
matérialisation
Échelles territoriales
de la rivalité ou du
Échelle(s) d’action faisant l’objet d’un
conflit (conflit
Échelle et d’influence conflit (approche
circonscrit, diffus,
des acteurs multiscalaire
répercussions à
du mondial au local)
diverses
échelles, etc.)
Représentation de
Argumentations
la rivalité ou du
ou représentations Représentations
conflit par les
qui permettent aux territoriales
acteurs (comme
Représentation acteurs de des acteurs
dans la notion
légitimer (cartographiées ou
de « guerre juste »,
leurs positions vis- non)
« guerre
à-vis des autres
sainte », etc.)
Objectifs de connaissances
Lectures conseillées
Notions à maîtriser
PLAN DU CHAPITRE
I. Polémiques autour de la géopolitique classique
II. La géopolitique, une méthode d’analyse critique de la domination spatiale
III. Les représentations, concept clé de l’analyse géopolitique
IV. Les évolutions contemporaines de la géopolitique
ÉTUDE DE CAS
I. Polémiques autour
de la géopolitique classique
Dès son apparition, au début du XXe siècle, la géopolitique suscite de
vives polémiques au sein de la communauté scientifique. Le premier
débat originel, sur le déterminisme de la discipline, précède même
l’invention du terme « géopolitique », et émerge à propos de la réception
des travaux du géographe allemand Friedrich Ratzel, père de la
géographie politique. Dans son ouvrage Géographie politique, publié en
1897, il décrit l’État comme un organisme, c’est-à-dire, dans son
vocabulaire, une structure organisée. Les frontières en seraient les
organes périphériques, et le pouvoir le centre. La métaphore darwinienne,
qui veut que seuls les organismes les mieux adaptés survivent, est utilisée
à l’échelle des États pour désigner la compétition qui s’exerce entre eux,
sur terre comme sur mer. Cette analyse des facteurs géographiques de la
puissance est confortée plus tard par le Britannique Halford Mackinder,
considéré souvent comme le père de la Geopolitics, même si lui-même
parlait plutôt de World Politics. Très différente de celle de Ratzel, son
approche influence grandement les interprétations mondiales des
géopolitiques anglophones qui l’ont suivi.
1. La Geopolitik de Haushofer
au service du nationalisme allemand
Le saviez-vous ?
Même Jacques Ancel,
géographe iconoclaste, qui
s’était essayé à proposer une
approche française moins
politisée de la discipline (il
publie Géopolitique en 1936
et Géographie des frontières
en 1938), condamne
vigoureusement les dérives
idéologiques de l’école
allemande.
Ne pas confondre !
L’espace est un outil « objectif » qui désigne une étendue physique
pensée dans ses trois dimensions (longueur, largeur, hauteur). Le
territoire désigne un espace approprié. Il y a territoire quand des
individus ont investi l’espace (constructions, marquages, etc.) ou
l’ont envisagé (projets, représentations). Le territoire est alors chargé
de valeurs, qui peuvent faire écho à l’identité des acteurs qui se
l’approprient.
Le saviez-vous ?
Le parcours atypique de
Gottmann en France et aux
États-Unis en a fait une
référence des deux côtés de
l’Atlantique pour les
chercheurs se réclamant de la
géographie politique (dont
Paul Claval, John Agnew,
John O’Loughlin, André-
Louis Sanguin, entre autres).
Le saviez-vous ?
Les premiers auteurs de la
Critical Geopolitics ont été
très influencés par des
penseurs français comme
Henri Lefebvre, Michel
Foucault, Gilles Deleuze et
Jacques Derrida, dont les
démarches et les méthodes
d’analyses sont très souvent
citées en exemple.
Conclusion
Si la géopolitique s’est considérablement diffusée comme instrument
d’analyse des conflits au cours des dernières décennies, elle est
également en partie victime de son succès. En effet, derrière la diversité
des approches et des méthodologies se cachent également des analyses
partielles ou partiales, quelquefois mises en avant par certains acteurs
pour légitimer leur position idéologique. Deux constats s’imposent donc
pour s’assurer de la rigueur et de la fiabilité des discours dans ce
domaine.
Il faut s’assurer de prendre en considération les critiques apportées par
les sciences humaines, et la géographie, tout au long du XXe siècle, et les
précautions méthodologiques prises par les chercheurs depuis les années
1970. On ne doit pas se laisser enfermer par des approches
monolithiques, expliquant les conflits au nom d’une causalité unique et
se voulant porteurs d’une quelconque vérité universelle. Il n’y a pas de
lois en géopolitique au sens où il existe des lois dans les sciences de la
nature. Les explications trop simplifiantes et lisses, et les complotismes
divers et variés ne sont jamais pertinents pour rendre compte de la
complexité des phénomènes politiques. Au contraire, l’approche
géopolitique impose toujours d’apporter un regard critique sur les
situations de conflits, et sur les discours géopolitiques qui les étudient.
Appliquer une méthode d’analyse rigoureuse et transparente et croiser
les sources et les approches sont d’impérieuses nécessités pour ne pas se
laisser abuser par des lectures polémiques et engagées qui ne disent pas
leur nom.
À RETENIR
■ La géopolitique est une méthode qui vise à étudier les rivalités de pouvoir sur des
territoires, quelles que soient les échelles concernées. Elle repose sur l’articulation
d’une approche multiscalaire et diachronique, ainsi que sur l’étude systématique
des acteurs en jeu et de leurs représentations.
■ Cette discipline a été débattue tout au long du XXe siècle en raison du caractère
déterministe de ses premiers auteurs, et de l’instrumentalisation idéologique dont
elle peut faire l’objet. L’usage qui a pu en être fait au cours de la Seconde Guerre
mondiale par le régime nazi l’a durablement discréditée aux yeux d’une partie de la
communauté scientifique.
■ Depuis les années 1970, la pratique de la géopolitique a été profondément renouvelée
mettant en avant une dimension critique vis-à-vis des discours des acteurs,
nécessairement subjectifs et partiels, et en prenant en compte de nouvelles échelles,
du local au mondial, permettant de sortir de sa vision originelle centrée sur l’État.
NOTIONS CLÉS
■ Représentation
■ Acteur
■ Conflit
■ Pouvoir
■ Domination
■ Déterminisme
■ Puissance
ENTRAÎNEMENT
Corrigés en ligne
ÉTUDE DE CAS
Critique d’une théorie géopolitique : le cas du choc
des civilisations
Source : HUNTINGTON S. P., 1997, Le choc des civilisations, Paris © Odile Jacob,
p. 21-23.
« Le concept de “civilisation” est curieux mais crucial pour comprendre les écrits
de Huntington sur l’espace politique mondial. […] Les civilisations japonaises,
latino-américaines et africaines semblent être définies géographiquement alors
que les civilisations confucéennes, hindous, islamiques et slave-orthodoxes le sont
religieusement et en termes ethniques. La civilisation occidentale est pour cela
quelque peu unique car elle est déterminée par ses ambitions universalistes et est
vraisemblablement séculière. […] La multiplicité des identités qui traversent les
peuples du monde est ainsi réduite à une collection de différences et de
distinctions essentielles. Les États sont estampillés de labels civilisationnels :
États occidentaux, États confucéens, États islamiques, États hindous, États latino-
américains, États slaves-orthodoxes […]. L’espace mondial est ainsi “civilisé”.
Cette “civilisation” de l’espace mondial produit […] des interprétations
extrêmement problématiques des conflits dans le monde. Le conflit en
Yougoslavie, par exemple, est situé sur la ligne de faille entre le christianisme
occidental, le christianisme oriental et l’islam. Pour Huntington, cette situation en
devient l’explication. […] L’héritage multiculturel de la région est ignoré, et la
complexité du conflit présent est ramenée à une vue/un territoire/une
représentation d’un antagonisme présenté comme essentiel et anhistorique. »
Source : O’THUATAIL G., 1996, “Samuel Huntington and the ‘Civilizing’ of Global
Space”, Critical Geopolitics (trad. Maxime Chervaux).
Présentation des documents
Localisation
Commentaire
PLAN DU CHAPITRE
I. Territoire et territorialité : contrôler l’espace et son contenu
II. Le territoire matérialisé : marquage, découpage, délimitation
III. Le territoire entre narration et représentations
IV. Des territoires à toutes les échelles : les enjeux de la géopolitique locale
ÉTUDE DE CAS
Le Grand Paris : un enjeu territorial
2. Découpages et délimitation,
d’autres matérialisations du pouvoir
Ne pas confondre !
Le terme de maille est utilisé en géographie pour désigner une unité
administrative infra-étatique (département, canton, etc.). On parle
par extension de maillage pour évoquer la politique de découpage
administrative d’un territoire. La notion de région, en revanche, est
plus large et désigne une unité territoriale infra ou supra étatique,
dont la spécificité peut reposer sur de multiples facteurs (région
économique, politique, etc.).
Attention !
On associe souvent à tort les notions de groupe ethnique, peuple ou
nation. Le groupe ethnique est une communauté culturelle qui se
réfère à un ancêtre commun, réel ou imaginé. Le peuple est une
unité culturelle plus large qui partage une histoire et des valeurs
communes. La nation est une communauté politique, qui peut certes
partager des éléments communs avec les notions précédentes, mais
se distingue en ce sens qu’elle cherche à se diriger et s’administrer
(via un État ou une entité politique).
La couverture du Times du 10 mars 1952 est, à ce titre, révélatrice. Il s’agit ici bel et
bien d’une carte, mais plusieurs éléments attirent l’œil. D’abord, la projection utilisée
est peu commune. En règle générale, et ce depuis la Renaissance, les cartes
occidentales sont orientées au nord. Celle-ci est orientée à l’ouest, et donne
l’impression de surplomber le continent européen depuis Moscou. De cette façon,
l’Europe occidentale apparaît tel un cap s’enfonçant dans l’océan et semble
menacée par la gigantesque masse russe, dont le dégradé entre l’URSS (en gris
foncé) et les pays satellites (gris plus clair) donne l’impression qu’elle avance
inexorablement et que l’Europe est menacée par l’Union soviétique. Il s’agit là d’une
représentation très répandue à l’époque, qui s’exprime ici par la carte.
Si la géopolitique locale s’intéresse à des conflits ayant lieu à des niveaux infra-
étatiques et portant sur des enjeux locaux (protection de l’environnement,
mobilisation contre un projet de construction…), cela ne signifie certes pas que ces
enjeux sont déconnectés de l’environnement international. Par exemple, la plupart
des mobilisations écologistes s’ancrent en effet dans la représentation d’une crise
environnementale globale, et les mobilisations peuvent avoir des répercussions
internationales. La géopolitique locale peut donc revêtir des dimensions à la fois
« internes » (intra-étatiques) et « externes » (internationales).
Certes, la limite entre ces deux types de conflits peut être ténue, voire
artificielle : à Jérusalem par exemple, la construction d’une ligne de
tramway au début des années 2010 a donné lieu à des contestations à la
fois de riverains mécontents de la modification du plan cadastral ou du
déplacement de monuments religieux, et à la fois d’associations accusant
la mairie de Jérusalem de ne pas desservir de manière équitable la partie
palestinienne de la ville (Jérusalem Est). Dans ce cas précis, un même
projet sur un territoire restreint a pu être à la fois l’objet d’un conflit local
(commerçants mécontents de l’inaccessibilité de leurs boutiques pendant
les travaux, pratiquants hostiles au déplacement de synagogues
historiques situées sur le tracé du tramway), d’un conflit interne
(problèmes autour de la desserte de la partie palestinienne de Jérusalem,
gérée par la mairie israélienne de Jérusalem) et externe (relations entre
l’État d’Israël et l’Autorité Palestinienne).
De fait, ce n’est pas tant la taille de l’échelle géographique qui
détermine le caractère local d’un conflit, que le rôle qu’y jouent les
acteurs en présence. Or, puisque la géopolitique est l’étude des rivalités
de pouvoir sur les territoires, la géopolitique locale s’intéresse à la
manière dont les acteurs infra-étatiques vont chercher à avoir une
maîtrise d’un espace géographique donné, en fonction des représentations
qu’ils entretiennent de celui-ci, ou de leur agenda politique.
Source : SUBRA Ph., 2012, « La géopolitique, une ou plurielle ? Place, enjeux et outils
d’une géopolitique locale », Hérodote, vol. 146-147, no 3, p. 45-70.
Conclusion
La notion de territoire est donc un concept opératoire majeur permettant
de saisir sous l’angle géographique et géopolitique les dynamiques
politiques à l’œuvre. Des évènements comme la chute du mur de Berlin
en 1989 ou la fin de l’apartheid en Afrique du Sud en 1994 peuvent être
interprétés comme des formes de « reterritorialisation », en montrant
comment ces nouveaux pouvoirs s’appuient sur de nouvelles
délimitations, de nouveaux maillages, de nouveaux lieux symboliques,
une nouvelle hiérarchisation spatiale, etc.
L’étude des processus de territorialisation, ou d’appropriation de
l’espace, est donc un champ majeur de la géopolitique, qui permet de
mettre à jour, au travers des territoires, des relations d’acteurs, quelles
que soient les échelles (du local à l’international et au mondial), et les
dimensions (politiques, culturelles, économiques, etc.).
À RETENIR
NOTIONS CLÉS
■ Territoire
■ Territorialité
■ Représentation
■ Lieu symbolique
■ Géopolitique locale
■ Ségrégation
ENTRAÎNEMENT
Corrigés en ligne
La diaspora grecque est très présente à New York, au point que certains quartiers
ont fait l’objet de véritables dynamiques de territorialisation.
1. Quels sont les types de territorialisation évoqués sur la carte ? Territorialisation
politique ? Économique ? Autres ?
2. Pouvez-vous repérer sur la carte quel est le quartier le plus symbolique de cette
présence grecque à New York ?
ÉTUDE DE CAS
Le Grand Paris : un enjeu territorial
Doc. 2 Le Grand Paris : une affaire géopolitique qui a plus de deux siècles
« La façon dont Paris doit être gouverné est, depuis deux siècles au moins, une
question géopolitique majeure en France. C’est cette dimension géopolitique qui
permet d’expliquer pourquoi la Ville a été privée de maire pendant 182 ans (de
1795 à 1977), pourquoi, après l’annexion de 1860 réalisée autoritairement par
Haussmann, sa superficie a pratiquement cessé d’augmenter et donc pourquoi
elle est dotée aujourd’hui d’un territoire beaucoup plus petit que toutes les autres
grandes métropoles internationales, pourquoi enfin le paysage intercommunal
actuel de l’agglomération parisienne est si fragmenté. Comprendre ce qui s’est
passé depuis deux ans autour du projet de Grand Paris, implique donc d’aborder
la question de la gouvernance de l’agglomération parisienne pour ce qu’elle est
aussi et d’abord : une affaire de rivalités de pouvoir dont l’enjeu est le contrôle du
territoire francilien. »
« Les débats sur le Grand Paris se sont polarisés progressivement entre une
représentation “intégrée” et une vision “polycentrique” de la gouvernance
métropolitaine […]. Pour les tenants de la “Métropole Intégrée” promue par Claude
Bartolone, qui soutenait le prétendant socialiste à la mairie de Saint-Denis, la
gouvernance du Grand Paris se traduit sous la forme d’une institution impliquant la
suppression des intercommunalités et des départements : communauté urbaine
ou Métropole du Grand Paris en 2013. Patrick Braouezec, dans le sillage de son
expérience de la communauté d’agglomération de Plaine Commune, milite en
faveur d’une gouvernance confédérée associant des municipalités au sein de
“coopératives de ville” de 600 000 habitants, seule forme permettant, selon son
analyse, de sauvegarder les libertés communales, la spécificité des territoires et
de permettre le passage de “pôles de développement” en centralités donnant
accès aux biens de la ville pour tous. »
« “Paris 2024”, qui est une formidable opportunité pour le sport français et ses
nombreux adeptes, l’est aussi pour la métropole qui entend à cette occasion
redonner un certain lustre à son image. Les enjeux communicationnels (apparaître
comme une ville tolérante, culturellement et économiquement ouverte et
dynamique) comme les attentes en matière d’investissement à long terme sont
toujours les mêmes. Le pari sera peut-être gagnant mais comme toujours
impossible à évaluer. Ceci pourra donc sembler paradoxal à un moment où l’on
réclame de plus en plus aux institutions publiques (universités, hôpitaux,
collectivités…) de justifier leur rentabilité immédiate à l’aune des critères de
marché. Tout aussi ambiguë est la posture de l’État pour qui les Jeux offrent une
occasion exceptionnelle de reprendre en main un Grand Paris englué depuis ses
débuts dans les querelles politiques locales. Mais, alors que son action est
traditionnellement frappée du sceau de l’intérêt général, dans le cas présent, elle
semble surtout soucieuse de garantir les profits de certains opérateurs privés
(CIO, investisseurs financiers, promoteurs immobiliers…) alors qu’une grande
partie des risques (notamment ceux qui pèsent sur les transports et le financement
de certains équipements) paraît devoir être assumée par les collectivités locales et
leurs habitants. »
Source : LEBEAU B., 2018, « Les Jeux Olympiques de 2024 : une chance pour le
Grand Paris ? », EchoGéo [En ligne]
(https://journals.openedition.org/echogeo/15202).
Localisation
Commentaire
Lancé par Nicolas Sarkozy en 2008, le « Grand Paris » est tout à la fois
un projet d’infrastructure et de réorganisation de la gouvernance de Paris
et de l’Île-de-France (doc. 1). Il s’inscrit dans de multiples enjeux
géopolitiques, qu’il faut pouvoir interroger à plusieurs échelles (niveau
mondial, national et local).
I. Le Grand Paris, un projet d’envergure mondiale
■ Dès le départ, ce projet est marqué par l’idée que les territoires sont
désormais en concurrence au niveau international. Paris, en tant que
capitale de la 5e puissance économique du monde, se doit donc de « rester
dans la course » que se livrent les grandes métropoles mondiales.
■ Concrètement, le « Grand Paris » est un investissement de plusieurs
dizaines de milliard d’euros, centré sur l’amélioration du réseau de transport
francilien, afin d’étendre une ville de Paris dont les limites n’ont pas bougé
depuis Napoléon III (doc. 2).
■ En termes d’infrastructures, plusieurs lignes de métro automatiques sont
prévues, ainsi que la création de nouvelles gares multimodales, notamment
à Pleyel (Saint-Denis) ou encore à Noisy. L’idée est ici de créer des nœuds
de circulation qui permettent de désengorger les grands échangeurs
parisiens que sont Châtelet, la gare Montparnasse ou encore la gare du Nord
(doc. 1).
■ Bien que non directement liée aux projets d’infrastructure, la création de
la métropole du Grand Paris en 2016 entend développer la coopération entre
les divers acteurs de l’Île-de-France, afin de mieux gérer certains problèmes
inhérents à ce territoire très dynamique et densément peuplé (doc. 3 et 4).
II. Dépasser l’opposition historique Paris-banlieue
■ Le projet du « Grand Paris » est d’abord marqué par un imaginaire
territorial : celui de la région parisienne comme lieu de pouvoir et de
concentration des richesses, par opposition à ce que le géographe français
Jean-François Gravier avait appelé le « désert français ». Cette
macrocéphalie française est le résultat d’une longue histoire de
concentration humaine, politique et économique sur un territoire restreint
(doc. 2).
■ Avant même la Révolution, la centralisation du pouvoir opérée par
Louis XIV avait amené de nombreux nobles à se déplacer et à s’installer
autour du château de Versailles – un ouvrage dont la construction répondait
déjà à des logiques similaires de celles du Grand Paris actuel : désengorger
la capitale en aménageant, par le haut, les régions alentour. Si, un siècle et
demi plus tard, les grands travaux réalisés par Haussmann ont
considérablement étendu la capitale française en annexant plusieurs
communes limitrophes (Belleville, Grenelle, Vaugirard…), celle-ci est
depuis restée dans ses limites des années 1850 (doc. 2).
■ Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette très longue stagnation, qui a
conduit aujourd’hui à une intense concentration humaine, politique et
économique sur à peine 105 km² (en comptant les bois de Boulogne et de
Vincennes), contre 891 km² pour Berlin ou 1 579 km² pour Londres.
L’apparition, dès le XIXe siècle, d’une ceinture de communes ouvrières
autour de Paris conduisit à l’émergence d’une très forte solidarité entre ces
territoires bientôt surnommés « ceinture rouge », ou « banlieue rouge ».
■ Du début du XXe siècle jusqu’aux années 1980-1990, la plupart des
communes limitrophes de Paris vont être gouvernées par une gauche
souvent opposée au pouvoir parisien. Le fait que, jusqu’à la fin des années
1960, Paris et sa banlieue soient regroupées au sein d’un même département
de la Seine ne règle d’ailleurs pas la question et le général de Gaulle opte en
1968 pour le découpage de la Seine en quatre nouveaux départements –
mettant par là un terme au seul dispositif métropolitain existant.
■ Or, les rivalités sont nombreuses qui s’expliquent par les intérêts
divergents des acteurs en présence, de même que par la diversité des
couleurs politiques représentées. Ainsi, l’État a souvent été critiqué pour sa
gestion « colbertiste » des projets d’infrastructure du Grand Paris : de
nombreux élus locaux (notamment des communes pauvres de Seine-Saint-
Denis) critiquent cette vision centralisée dans la mesure où elle limite une
concertation pourtant nécessaire afin de mieux desservir les territoires de la
métropole (doc. 3).
III. Des représentations divergentes du territoire francilien
■ Plus largement, il s’agit bien là de plusieurs représentations du territoire
francilien, et même de la France, qui s’affrontent (doc. 3). Doit-on mettre
en place une gouvernance centralisée et « intégrée » qui aurait le mérite de
simplifier la gestion administrative du territoire francilien ? Ou au contraire
devons-nous penser une gouvernance « polycentrique » qui laisserait plus
de libertés aux acteurs locaux (communes) et permettrait de faire émerger
des pôles de développement spécifiques à chaque territoire ?
■ À l’horizon des Jeux Olympiques de 2024, des interrogations émergent
sur les bénéficiaires réels des infrastructures mises en place en grande partie
sur des fonds publics. Le doc. 4 montre ainsi que les retombées des
investissements établis dans le cadre des JO, et plus largement du Grand
Paris, pourraient profiter en majeure partie à des acteurs privés plutôt
qu’aux habitants locaux (doc. 4).
■ Dans cette perspective, certains territoires de l’Île-de-France sont
particulièrement touchés par les rivalités induites par ces deux conceptions.
C’est notamment le cas de la Seine-Saint-Denis, un territoire à la fois très
pauvre mais qui concentre énormément de richesses. Majoritairement à
gauche, ce territoire sera au cœur des Jeux Olympiques de 2024, et donc de
la manière dont Paris entend se présenter au monde. Il est ainsi probable
que ce territoire soit, dans les années à venir, l’objet d’intenses rivalités
géopolitiques et de tensions entre diverses logiques (politiques,
économiques, sociales).
■ Ainsi, le projet de « CDG express », futur train rapide qui reliera
l’aéroport de Roissy à la gare de l’Est (doc. 1), est perçu par ses opposants
comme néfaste puisqu’il s’agit ici de créer une nouvelle ligne qui ne
bénéficiera que très peu aux Franciliens (20 euros le ticket, sans possibilité
d’y accéder avec une carte mensuelle ou annuelle). Ses défenseurs mettent
au contraire en avant la nécessité de doter Paris d’un système de transport à
la hauteur de la réputation de la ville, tout en insistant sur les retombées
économiques que générerait cette nouvelle infrastructure attendue pour les
JO de 2024 (doc. 4).
■ Au final, le devenir du Grand Paris repose aussi sur la promesse d’une
meilleure égalité dans l’accès aux transports et aux richesses. In fine, cette
promesse engage la France dans son ensemble, tant les évolutions de Paris
sont historiquement déterminantes pour la gouvernance du territoire
national et son image dans le monde.
Conclusion
■ À travers le cas d’étude du Grand Paris apparaît toute la complexité
géopolitique des choix en termes d’aménagement du territoire. Ici, les
clivages dépassent largement la polarisation traditionnelle de la société
française entre droite et gauche. Des débats apparaissent sur les modes de
gouvernance (centralisée ou polycentrique), ainsi que sur l’égalité d’accès
aux infrastructures de transport qui s’oppose à celle de l’attractivité ou du
rayonnement de la capitale française, dans un contexte de compétition entre
métropoles mondiales.
Photo : Zone démilitarisée, Corée du Sud, 2017 © Ryan_C/shutterstock.com
La zone démilitarisée entre les deux Corées reste le symbole des frontières militarisées dans le
monde. Elle illustre aussi la dimension idéologique et symbolique des frontières, ici
matérialisée par les drapeaux coréens et les appels à l’unification collés à la clôture en Corée
du Sud. De ce côté, des excursions touristiques sont organisées avec une forte dimension
mémorielle et nationale. Un musée a été installé pour expliquer la séparation et appeler à la
réunification. La frontière est autant un dispositif physique de séparation qu’un ensemble de
pratiques qui produit la division au quotidien.
CHAPITRE 3
Approche géopolitique
des frontières
PLAN DU CHAPITRE
I. Qu’est-ce qu’une frontière ?
II. La matérialisation des frontières, un processus historique aux formes
mouvantes
III. La frontière, lieu de conflits et de coopérations multi-acteurs
1. Définir la frontière
■ L’effet-frontière
De fait, la frontière en géographie est observée également à partir de la
discontinuité territoriale qui s’opère de part et d’autre de cette séparation.
La notion d’effet-frontière est un outil qui caractérise bien le regard du
géographe sur cette question. Il ne s’agit pas seulement d’observer des
limites juridiques reconnues sur la scène internationale, mais
d’étudier tout type de limites politiques produisant un effet de disparité
socio-spatiale.
Les effets spatiaux des frontières peuvent être de trois types : un effet
barrière (blocage des flux), un effet d’interface ou au contraire un effet
de territoire (échanges et flux privilégiés dans l’espace frontalier du fait
des différentiels et des complémentarités de part et d’autre de la
frontière). Derrière cette typologie, la frontière reste fondamentalement
une interface, elle n’est jamais totalement fermée, malgré la volonté et le
discours des États ou des groupes qui la posent. Sa porosité varie dans le
temps, en fonction des acteurs et des contextes politiques.
> Ligne médiane : ligne dont chaque point est équidistant des deux rives du cours
d’eau.
> Talweg : ligne formée par les points de plus basse altitude, dans une vallée
ou dans un cours d’eau.
> Ligne de crête : ligne reliant les points les plus hauts du massif montagneux.
> Ligne de partage des eaux : ligne qui divise un territoire en deux ou plusieurs
bassins versants. De chaque côté de cette ligne, les eaux s’écoulent
dans des directions différentes.
Ne pas confondre !
L’espace Schengen (ES) ne doit pas être confondu avec
l’Union européenne (UE). Certains États de l’UE n’en font pas
partie, ou pas encore (Irlande, Royaume-Uni, Roumanie, Bulgarie,
Croatie). De plus, quatre États non-membres de l’UE en font partie
(Islande, Liechtenstein, Norvège, Suisse). Les territoires des États
eux-mêmes n’ont pas été intégrés dans leur totalité au sein de l’ES.
La France d’outre-mer en est exclue, comme Ceuta et Melilla pour
l’Espagne, le Groenland et les îles Féroé pour le Danemark ou
la République monastique du Mont Athos pour la Grèce.
Source : MJELDE J. W., KIM H., KIM T. K. et LEE C. K., 2017, “Estimating
Willingness to Pay for the Development of a Peace Park Using CVM : The
Case of the Korean Demilitarized Zone”, Geopolitics, 22(1) : 151-175.
Cet espace est particulier à plus d’un titre. D’abord parce qu’il ne s’agit pas d’une
frontière internationale à proprement parler ; l’armistice signée par la Chine, la
Corée du Nord et les États-Unis au nom de l’ONU, n’a jamais été signée par la
Corée du Sud. Il s’agit donc encore aujourd’hui d’une ligne de front figée qui prend
le nom de « zone démilitarisée » (DMZ, Demilitarized Zone). De part, et d’autre de la
frontière sont établies des zones de « contrôle des civils » dans lesquels on ne peut
se rendre qu’en possession d’un laissez-passer spécial. Par ailleurs, la frontière
continue à évoluer comme une ligne de front. Ainsi, les frontières maritimes ont
changé jusque dans les années 1990, et leurs tracés ne sont établis que de facto.
Symbole du rapprochement actuel entre les deux Corées, cette zone fait l’objet,
depuis 2013, d’un projet de « parc naturel de la paix » (World Eco-Peace Park
Forum).
Mais c’est surtout les innovations politiques apportées par les traités de
Westphalie qui sont décisives pour l’apparition et la diffusion de cette
frontière-ligne. Ces traités, signés le 24 octobre 1648, marquent la fin de
différents conflits : la guerre de Trente Ans qui a opposé le Saint-Empire
aux États protestants, et la guerre de Quatre-Vingts Ans opposant les
Provinces Unies à la monarchie espagnole. Au-delà de leur signification
historique, on retient de ces traités les principes politiques qu’ils
établissent et la mise en pratique spatiale de la notion de souveraineté. On
associe ces traités aux deux maximes latines « Rex est imperator in regno
suo » (« Le roi est empereur en son royaume ») et « Cujus regio, ejus
religio » (« Tel prince, telle religion »), bien que l’origine de ces phrases
soit sans doute plus ancienne. En tout état de cause, ces textes
marqueraient le début de l’application des notions de souveraineté
interne et externe. Cette distinction interne/externe est le socle du
système westphalien de la scène international, constitué par une
marqueterie de territoires politiques juxtaposés précisément définis. La
ligne-frontière devient alors l’outil et le symbole de ce pouvoir
territorialisé des États-nations.
Ne pas confondre !
La souveraineté interne désigne la capacité d’action et de contrôle
des États sur leur territoire et leur population, quel que soit le régime
politique concerné. La souveraineté externe qualifie la
reconnaissance mutuelle des États sur la scène internationale, qui
sous-tend que le pouvoir d’un État sur son territoire est exclusif et ne
peut être soumis à aucune intervention étrangère. Elle exclue en
théorie pour quiconque la possibilité d’un droit d’ingérence dans les
affaires interne des États.
Disputes frontalières
Problème juridique États, Cour El Salvador/Honduras,
de délimitation, Internationale Burkina Faso/Mali,
démarcation de Justice, ONU Burkina Faso/Niger, Éthiopie/
Érythrée, etc.
Revendications
identitaires, droit des
Groupes nationaux, Conflit du Haut-Karabagh,
peuples à disposer
minorités d’Ossétie du Sud, d’Abkhazie,
d’eux-mêmes
transfrontalières, du Sahara occidental,
(irrédentisme,
États du Kosovo, etc.
rattachisme,
sécessionisme)
Conclusion
Ainsi, poser la question de la frontière, c’est plus généralement poser la
question de la relation à l’autre et aux autres. Elle revêt donc une
dimension symbolique et culturelle pour les communautés humaines, qui
peuvent lui attribuer une portée identitaire (frontière nationale, frontière
sociale, etc.). Par ailleurs, les approches traditionnelles des géographes se
sont souvent intéressées à la dimension institutionnelle des frontières,
comme lieu de pouvoir étatique. Il en ressort une attention particulière
aux accords internationaux, aux méthodes de contrôle et aux conflits
interétatiques.
Mais la frontière n’est pas qu’un lieu de pouvoir. Elle peut être aussi
une ressource, un lieu d’échanges et de flux, impliquant divers acteurs,
étatiques ou non-étatiques. Depuis les années 1990, l’étude des
dynamiques transfrontalières est donc devenue un champ important de
recherche et d’observation, pour comprendre cet objet complexe.
À RETENIR
NOTIONS CLÉS
■ État-nation
■ Souveraineté
■ Quasi-État
■ Zone grise
■ Transfrontalier
■ Effet-frontière
ENTRAÎNEMENT
Corrigés en ligne
Tester ses connaissances
À quels types de conflits frontaliers avons-nous affaire dans ces différents cas ?
Identifiez les acteurs et leurs motivations.
Partage de la mer
………………………............ ………………………............
Caspienne (1990 à nos
………………………............ ………………………............
jours)
Construction de la
barrière frontalière ………………………............ ………………………............
hongroise (2015 à nos ………………………............ ………………………............
jours)
ÉTUDE DE CAS
Le mur États-Unis/Mexique, objet géopolitique complexe
Source : MEDINA L. 2012, in LETNIOWSKA-SWIAT S. et al., 2012, Canada, États-Unis, Mexique, Rosny-
sous-Bois, Bréal, coll. « Amphi Géographie ».
Localisation
Commentaire
PLAN DU CHAPITRE
I. L’identité, une construction sociale
II. Identités et ambitions territoriales
III. L’identité, une notion multidimensionnelle objet de politisation
ÉTUDE DE CAS
Attention !
Les expressions « conflit ethnique » ou « conflit religieux » sont
toujours à considérer avec une certaine prudence car elles peuvent
amener à des visions caricaturales. Un conflit n’est jamais seulement
ethnique ou religieux, et souvent, ces vecteurs identitaires sont
instrumentalisés à d’autres fins (politiques, économiques, etc.).
■ Identité et territoire
Ainsi, identité sociale et territoriale sont souvent liées. La pratique
régulière ou sporadique d’un espace peut en effet créer chez l’individu un
sentiment d’attachement à une terre. Lorsque les sentiments individuels
convergent, ils donnent naissance à un sentiment collectif d’appartenance
géographique. Pour le dire autrement, le sentiment d’appartenance à un
groupe peut être vécu comme le prolongement d’un sentiment
d’appartenance à un espace précis. L’individu ou le groupe vont
s’identifier à un espace, qui devient par là même un territoire2.
En revanche, il faut être prudent avec une approche qui consisterait à
rattacher de manière systématique une identité à un territoire. Comme le
rappellent France Guérin-Pace et Yves Guermond, il faut absolument
distinguer « l’identité d’une entité géographique et le caractère
géographique des identités individuelles*1 ». En effet, même si la prise en
compte d’un contexte socio-spatial est importante pour étudier les
processus identitaires, la formation d’une identité personnelle ne peut
être réduite au seul fait d’habiter un espace, quel qu’il soit. On peut
habiter en dehors d’un territoire et s’identifier à ce territoire. On peut
inversement, être né, vivre sur un territoire et de ne pas s’identifier
socialement à lui ou aux groupes qui y vivent. En confondant identités
sociales et territoriales, on risque d’assigner les individus aux territoires
qu’ils habitent, d’essentialiser les identités individuelles ou collectives en
considérant que les individus ou les groupes sont définis par le seul fait
de vivre dans un territoire.
Par exemple, le fait d’habiter, ou d’être originaire, de certains
quartiers, dans des banlieues défavorisées, a pu être considéré ces
dernières années comme étant un facteur de discrimination sociale, pour
l’accès à l’emploi, aux études ou autres. Les habitants pouvaient se voir
stigmatisés, d’une manière ou d’une autre, par le seul fait de vivre dans
ces lieux. On pourrait trouver de nombreux autres cas qui montrent qu’il
n’y a pas de coïncidence mécanique entre territoire et identités sociales :
plusieurs groupes peuvent vivre sur une terre en entretenant des rapports
très différents à cette dernière.
Comme cela a été dit, les identités ne sont donc jamais des phénomènes
objectifs. Elles sont toujours à analyser dans un contexte socio-spatial et
temporel précis. En ce sens, elles sont bien des objets d’études pertinents
pour la géographie et la géopolitique et relèvent de constructions
sociales.
Le saviez-vous ?
Selon Eric Hobsbawm,
au moment de la Révolution
française, le mot « nation »
est utilisé pour désigner
« l’ensemble des citoyens que
la souveraineté collective
réunit en un État, qui est le
résultat de leur expression
politique » (HOBSBAWM E.,
1990, Nations and
Nationalism since 1780,
Cambridge, Cambridge
University Press).
Avec des ouvrages tels que Du Contrat social de Jean-Jacques
Rousseau, publié en 1762, les philosophes des Lumières ouvrent la voie à
de nouvelles conceptions de l’État et de la souveraineté, où « la volonté
générale » du peuple se substitue à la volonté particulière des princes et
des souverains. Ces idéaux, en débouchant sur la Révolution française ou
en façonnant la démocratie américaine, vont modifier la manière dont le
pouvoir tire sa légitimité. De nombreux pays vont se doter de
constitutions, qui vont progressivement se substituer aux anciennes
coutumes sur lesquelles reposaient la plupart des monarchies d’Europe.
Dans ce nouveau contexte, la nation désigne la source des différents
pouvoirs, se substituant au droit divin qui légitimait le pouvoir
monarchique, mais n’est pas au départ conditionnée par des critères
identitaires.
■ Nation et territoire
La coïncidence entre la nation et le territoire n’est donc pas automatique.
On parle d’État-nation lorsque la nation telle que nous l’avons définie
(une communauté imaginée, structurée par le sentiment de partager
un même imaginaire collectif) coïncide ou tend à coïncider avec un État,
c’est-à-dire une entité juridique délimitée par des frontières, sur lequel vit
une population et s’exerce une forme de gouvernement. C’est par
exemple le cas des grands États européens actuels, où les frontières
internationales de l’État correspondent le plus généralement à des
frontières linguistiques et culturelles. Lorsque l’on franchit la frontière,
on ne passe pas seulement d’une souveraineté étatique à une autre, mais
également d’un espace national à un autre, d’une « communauté
imaginée » à une autre. La langue est différente, tout comme le sont
certaines pratiques culturelles des plus anodines (pratiques culinaires par
exemple) aux plus significatives.
Le saviez-vous ?
Les langues turciques sont
apparentées au turc moderne.
Résultat de siècles de
migrations de populations
jadis nomades, cette situation
linguistique de l’Asie centrale
et du Caucase a été théorisée
par des orientalistes,
linguistes et historiens du
e
XIX siècle.
Source : Wikipédia.
> Irrédentisme : projet politique dont le but est d’incorporer un territoire (annexion)
pour des raisons d’ordre ethnique, national ou socio-culturel (langue, religion).
> Séparatisme : notion large, et souvent péjorative, qui désigne toute action visant à
détacher une partie du territoire de sa tutelle politique. Le sécessionnisme est plus
précis et désigne l’intention de se séparer d’un État pour un acteur régional, afin
de se rattacher à un autre État (rattachisme) ou de prendre son indépendance
(indépendantisme).
Historiquement, l’Espagne est l’un des plus anciens États d’Europe et ses frontières
sont parmi les plus anciennement fixées : avec la France depuis le XVIIe siècle, et
avec le Portugal depuis le XIIIe siècle. Ce royaume, qui fut pendant longtemps la
première puissance d’Europe grâce à son vaste empire colonial, est traversé depuis
le XIXe siècle par des mouvements indépendantistes, séparatistes ou autonomistes
parfois très violents. La guerre civile espagnole, qui porta le général Franco au
pouvoir et fit plus d’un demi-million de morts entre 1936 et 1939, fut en partie due à
la fragilité de l’unité nationale.
Des années 1970 aux années 2000, l’organisation indépendantiste basque ETA a
ainsi organisé de nombreux attentats et actions violentes, avant de déposer
définitivement les armes en 2018. En Catalogne, où le mouvement indépendantiste
est bien moins marqué par l’action violente, la Generalitat (gouvernement catalan) a
organisé en 2017 un référendum d’autodétermination illégal aux yeux du
gouvernement central de Madrid.
Après plusieurs décennies de dictature franquiste marquée par une forte
centralisation du pouvoir, l’Espagne s’est en effet engagée dans une politique
consistant à donner davantage d’autonomie aux régions au nom du mouvement –
quasi général en Europe – de décentralisation et de dévolution de certaines
compétences aux autorités régionales. Or, en Espagne, la vigueur des langues et
des identités régionales donne à ces autorités une légitimité géopolitique, en cela
qu’elles personnifient leurs communautés imaginées respectives. Autrement dit, la
Generalitat de Catalunya ou le Eusko Jaurlaritza (gouvernement de la province
basque) ne sont pas uniquement des collectivités territoriales ayant le droit d’utiliser
leur propre langue, mais peuvent être perçus par une partie de la population comme
l’incarnation légale-rationnelle de la communauté imaginée catalane ou basque.
Face à ce mouvement, une extrême-droite se structure actuellement en Espagne
sous l’égide du parti Vox (qui a remporté plusieurs sièges aux législatives de 2019),
hostile aux autonomies régionales, et souhaite revenir à un modèle centralisé. Ses
militants insistent sur le fait que les gouvernements espagnols successifs des
dernières décennies ont fait beaucoup pour les régions au détriment de la Castille,
qui se trouve aujourd’hui dépeuplée. Vox répond ainsi à l’angoisse formulée par une
partie de la droite espagnole de voir l’unité nationale éclater sous le poids des
séparatismes régionaux, alors que cette unité reste largement associée au
franquisme dans l’imaginaire collectif.
La question des minorités a pris une place particulière dans les études
géopolitiques, et plus largement en sciences sociales, depuis les
années 1980 et l’émergence d’un courant critique à travers les études
postcoloniales. Dans les années 1990 et 2000, ces études se sont
enrichies de nouveaux objets (femmes, minorités sexuelles, etc.), au
contact d’autres perspectives, comme les approches féministes. Ce
paragraphe a donc pour objectif de mettre en lumière la spécificité de
l’approche géopolitique sur cette notion.
Le saviez-vous ?
Lors de la disparition de
l’Empire austro-hongrois
après la Première Guerre
mondiale, de nombreux
groupes nationaux changent
de statuts. C’est en particulier
le cas des Hongrois de
Transylvanie ou de Voïvodine
qui se retrouvent être des
minorités dans leurs
nouveaux États,
respectivement la Roumanie
et le Royaume des Serbes,
Croates et Slovènes.
Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons montré combien la question identitaire était
centrale en géopolitique. Par rapport aux approches sociales, qui insistent
sur les pratiques et les espaces du quotidien, ou aux approches
culturelles, qui s’intéressent aux manifestations patrimoniales matérielles
ou immatérielles, la perspective géopolitique s’articule autour des
relations de pouvoir qui se jouent par et avec les identités. Celles-ci
peuvent faire l’objet d’instrumentalisation à des fins politiques, ou encore
être utilisées par des administrations pour contrôler et dominer des
populations (comme dans le cas des administrations coloniales).
À RETENIR
■ Les identités sont des constructions sociales qui se déploient par et sur l’espace
géographique, tout en résultant de complexes mécaniques historiques,
sociologiques, anthropologiques. Elles ne sont jamais figées et dépendent toujours
d’un contexte socio-spatial, relationnel, temporel et de représentations subjectives.
■ La géopolitique s’intéresse en particulier aux relations de pouvoir qui se jouent par et
avec les identités (instrumentalisation à des fins politiques, utilisation par des
administrations pour contrôler et dominer des populations, etc.).
■ L’idée de nation constitue une logique identitaire particulièrement répandue dans le
monde. La nation est une construction politique, sociale et historique. Le sentiment
national est souvent instrumentalisé dans les rivalités géopolitiques.
■ La question identitaire ne saurait se réduire à celles des États, des nations ou des
ethnies. La géopolitique s’intéresse à d’autres dimensions, comme celles des
religions, des minorités ou du genre.
NOTIONS CLÉS
■ État-nation
■ Nationalisme
■ Minorité
■ Genre
■ Politisation
ENTRAÎNEMENT
Corrigés en ligne
1. Quels sont les critères utilisés par la loi du 26 mai 2010 en Hongrie pour définir un
Hongrois ?
2. De quelle approche de la nation ce texte relève-t-il ? Une approche objective ou
subjective ?
3. D’après vous, quelles peuvent être les conséquences de ce texte sur les relations
de la Hongrie avec les pays voisins ?
ÉTUDE DE CAS
L’ancienne URSS, un espace traversé par des rivalités
identitaires
Localisation
Ces documents concernent les États qui ont succédé à l’Union soviétique,
État fédéral qui a existé du 30 décembre 1922 jusqu’à son éclatement
(déclarations d’indépendance en chaîne de ses différentes Républiques)
officialisé le 25 décembre 1991. Il s’agit d’une très vaste région qui,
s’étendant de la frontière finlandaise à l’ouest à la mer du Japon à l’est,
représente près d’un cinquième des terres émergées de notre planète. Sur
cet immense espace, la pratique du russe et le souvenir d’un vécu
commun sont tout autant objets de conflit que de nostalgies.
Commentaire
PLAN DU CHAPITRE
I. Guerres, conflits : des notions en mutations
II. La complexité des conflits armés contemporains
III. Nouveaux enjeux des guerres actuelles
L’origine de la guerre est peut-être aussi ancienne que celle des sociétés humaines.
La guerre est une forme particulière de conflit, à la fois violente et institutionnalisée,
inscrite et contenue dans le temps et dans l’espace. Dans nos sociétés, les conflits sont
nombreux et en constant renouvellement. Ils émergent autour d’enjeux politiques,
économiques, environnementaux et sociaux, sans pour autant que cela ne débouche pas
sur des affrontements armés. En revanche, cette pratique singulière qu’est la guerre
permet aux acteurs en présence de rendre légitime à leurs yeux l’engagement de
moyens et de forces exceptionnels et la perpétration de violences inouïes.
ÉTUDE DE CAS
Dans le langage courant, le mot de conflit est utilisé dans de très nombreux contextes,
qui ne sont pas toujours associés à des situations violentes. On parle par exemple de
« conflit intérieur » pour un choix difficile à faire ou de conflits d’intérêts, quand des
décisions publiques sont prises par des individus qui peuvent tirer profit de ces
arbitrages. Cet état de fait illustre la grande malléabilité de la notion de conflit. En
géographie, on parle de conflit dans un contexte particulier qui suppose un antagonisme
entre deux, ou plusieurs, acteurs. La notion de conflit induit donc une situation
relationnelle entre des acteurs géopolitiques, une rivalité de pouvoir inscrite dans le
temps et l’espace. En ce sens, il n’y a pas de conflit « naturel » qui serait inhérent aux
individus ou à une supposée nature humaine.
Le saviez-vous ?
La question de la nature humaine
renvoie à un problème philosophique
ancien. Aristote, dans La politique,
définit déjà l’homme comme un
« animal politique », c’est-à-dire
comme un être qui, à la différence
des autres espèces, ne peut se réduire
à des instincts biologiques ou
naturels. Il a en effet vocation à vivre
en cité, en fonction de règles sociales
et politiques qui définissent un ordre
et des valeurs, et distinguent le juste
de l’injuste.
Le saviez-vous ?
Gaston Bouthoul (1896-1980) s’était
spécialisé dans l’étude de la guerre.
Il a inventé la polémologie, discipline
qui se consacre à l’analyse
scientifique de la guerre.
Qu’est-ce qui fait qu’un conflit peut être qualifié de guerre ? Les réponses à cette
question sont diverses en fonction des auteurs. La proposition du sociologue et
polémologue Gaston Bouthoul est particulièrement pertinente : « La guerre est un
affrontement à grande échelle, organisé et sanglant, de groupes politiques (souverains
dans le cas de guerres entre États, internes dans le cas de guerre civile*1) ». Sa définition
nous permet de donner un cadre à la fois large et précis à la notion de guerre, qui
implique une violence létale, à grande échelle, et l’implication d’acteurs politiques, qui
ont des objectifs et des stratégies de guerre.
Car la guerre n’est pas un phénomène spontané, pulsionnel ou irrationnel. Quand
bien même les passions peuvent s’en mêler, la guerre est d’abord, et avant tout, un
instrument qui sert des fins politiques. C’est en partie ce que voulait dire le stratège
prussien Carl Von Clausewitz (1780-1831) lorsqu’il affirmait : « La guerre n’est que la
simple continuation de la politique par d’autres moyens*2. » Elle sert les intérêts et
révèle les choix des groupes géopolitiques qui s’y engagent. Elle est une forme de
gestion de conflit, de relation politique entre des acteurs, tout comme le sont la
coopération, la négociation, l’imposition, etc.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les différentes formes historiques de la
guerre. En effet, quelles que soient les périodes en jeu, les guerres sont des phénomènes
codifiés et institutionnalisés. Codifiés car ces affrontements, qui n’ont pas pour but
d’écraser l’adversaire mais de le soumettre, répondent à des règles et à des principes,
qui ont évolué au cours des siècles. Institutionnalisé car derrière les groupes militaires
sur le champ de bataille, le combat est mené et dirigé par des États ou des entités
politiques, qui ajustent leur engagement en fonction de la situation et des objectifs
qu’ils veulent atteindre.
Ainsi, la période contemporaine ne fait pas exception, et notre façon d’appréhender
les guerres aujourd’hui est en réalité façonnée par tout un cadre juridique, un jus
in bello et un jus ad bellum, qui trouve sa source chez des penseurs comme Hobbes,
Grotius ou Rousseau, et est formulé en tant que tel dès la fin du XIXe siècle et le début
XX
e
siècle. Ce cadre a établi des distinctions fondamentales, qui conditionnent
l’intervention des groupes militaires : distinction entre combattants et non-combattants,
entre militaires et civils, protection des victimes et des prisonniers de guerres, etc.
Ainsi, les actions militaires ne peuvent être théoriquement engagées que contre des
combattants, et les non-combattants doivent être normalement préservés des combats.
Source : https://www.courrierinternational.com/article/haut-karabakh-combats-inedits-autour-de-lenclave-
armenienne
Cette région à majorité arménienne en Azerbaïdjan a fait l’objet d’un conflit dès la
fin des années 1980 entre les indépendantistes arméniens et l’armée azerbaïdjanaise.
Cette région a déclaré son indépendance en 1991, et depuis la trêve de mai 1994, existe
sous la forme d’un quasi-État, avec son gouvernement et ses troupes armées. Les
troubles continuent entre l’armée azerbaïdjanaise et les troupes arméniennes de part et
d’autre de la ligne de cessez-le-feu. Ici, qualifier les troupes armées du Haut-Karabakh
d’acteur irrégulier, c’est aussi refuser au Haut-Karabakh le statut d’État. Dans ce cas, la
question du statut du Haut-Karabakh est néanmoins relativement simple, puisque la
région ne dispose pas de reconnaissance internationale de la part des États membres de
l’ONU. Cela est plus compliqué pour des régions comme l’Ossétie du Sud et
l’Abkhazie en Géorgie (reconnues par la Russie) ou pour la République de Chypre-
Nord (reconnue par la Turquie).
Attention !
La base de données d’Uppsala prend en considération ici tous types de conflits
armés, sachant qu’elle distingue également les guerres (conflits engendrant plus
de 1 000 morts directs par an) et les conflits de basse intensité (entre 25 et
1 000 morts par an). En 2017, cette base de données recensait 10 guerres contre
12 en 2016.
Le fait que la grande majorité des conflits soit aujourd’hui intra-étatique, sous forme
de guerre civile ou de guérilla, transforme profondément la nature de ces phénomènes.
Si autrefois les batailles se déroulaient sur des théâtres consacrés, éloignés des
populations civiles, les affrontements s’inscrivent de plus en plus au cœur des
populations, dans les villes ou les villages. Les combattants eux-mêmes changent de
formes – le combattant irrégulier étant moins facile à distinguer que le soldat en
uniforme. Les victimes sont toujours plus des civiles, tandis que les militaires sont eux
mieux équipés et mieux protégés qu’auparavant. Si le nombre de morts directs dans les
combats a eu tendance à diminuer depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (malgré
une augmentation sensible depuis 2014 du fait du conflit syrien), les civils sont touchés
de différentes manières, blessés ou contraints à l’exil – le nombre de déplacés et de
réfugiés n’ayant pas cessé d’augmenter dans les dernières décennies.
Ne pas confondre !
La guerre civile désigne un conflit opposant des acteurs armés au sein d’un seul
et même État. La guérilla, terme issu des campagnes napoléoniennes en
Espagne (1808-1813), désigne une stratégie spécifique de combat menée par une
troupe irrégulière légèrement armée et très mobile, qui utilise des techniques de
harcèlement et de contournement de l’affrontement direct.
La guerre se rapproche des individus, et les limites autrefois établies entre militaires
et civils, entre combattants et non-combattants, entre guerre et paix, tendent à
s’estomper en partie. De fait, le conflit contre Daech a eu des répercussions directes sur
les populations civiles en Irak et en Syrie, mais aussi en Afrique, en Europe et de par le
monde, du fait des attentats violents qui ont été perpétrés. En France, après 2015,
l’opération Sentinelle a été mise en place pour réagir à cette situation, avec un
déploiement sans précédent de troupes sur le territoire national. Alors que la sécurité
intérieure est traditionnellement dévolue aux forces de police et de gendarmerie, l’usage
des forces militaires sur le territoire indique la porosité actuelle entre les questions de
défense et celles de sécurité.
restent des acteurs importants des conflits contemporains. Mais dans les conflits intra-
étatiques, leur fonction et leur mode d’action changent. Il ne s’agit plus pour eux de
gagner des batailles et d’imposer leur volonté dans le cadre d’un rapport de force avec
un autre État. Il s’agit de contenir la violence des groupes belligérants et de créer des
conditions de sortie de crise, en prise avec des acteurs (milices, groupes mafieux, etc.)
qui ne s’inscrivent pas dans les cadres juridiques établis et ne répondent plus aux règles
diplomatiques traditionnelles entre États.
Ne pas confondre !
Une armée est un organe étatique aux ordres d’un gouvernement. Une milice est
une formation armée non étatique (bien que certaines milices puissent avoir été
instrumentalisées en sous-main par des gouvernements). Dans les faits, les
milices sont donc moins contraintes que l’armée par le droit international et
peuvent utiliser des stratégies de terreur.
> Renseignement : activité politique secrète visant à produire de l’information stratégique à des fins
décisionnelles. Pour Olivier Chopin et Benjamin Oudet, il s’agit d’un espionnage institutionnalisé,
rationalisé et bureaucratisé.*6
> Surveillance : désigne plus généralement des pratiques et techniques d’attention ciblées et
systématiques à des fins de contrôle, de sécurité ou d’influence.
Mais les acteurs non étatiques ne sont pas que des « ennemis » ou des concurrents
des États. Les organisations non gouvernementales (ONG) jouent des rôles spécifiques
sur un certain nombre d’activités humanitaires et sociales. L’essor de ces ONG5 sur les
théâtres de guerre n’est pas nouveau, mais leur multiplication aujourd’hui est le signe
d’une plus grande implication des sociétés civiles dans la gestion des conflits. Enfin,
pour un ensemble de tâches, les États font aujourd’hui appel à des acteurs privés, les
sociétés militaires privées (SMP) dont la présence est de plus en plus importante sur les
théâtres d’opérations. Cette privatisation de certaines activités militaires obéit à
différentes logiques. Les États mettent en avant des raisons économiques, certaines
tâches nécessitant un soutien ponctuel (logistique, activités de conseils) qui ne relève
pas du cœur de métiers des troupes armées. Mais on peut également avancer des raisons
politiques, car avec la montée en puissance du poids des opinions publiques dans la
menée des guerres, les pertes de militaires sur le terrain ont des conséquences sur la
légitimité politique des gouvernants.
3. Conflit et post-conflit
Source : ONU.
Les paysages du post-conflit ont quelques traits en commun, comme les bâtiments et
les lieux détruits, les espaces de commerce informel, les quartiers généraux souvent
imposants pour abriter les organisations internationales déployées sur le terrain, ou
encore les camps de réfugiés, plus ou moins formalisés, qui accueillent les personnes
déplacées du conflit. Au niveau symbolique, ces paysages sont aussi l’objet de rivalités
qui font perdurer la guerre par d’autres moyens. Les sites patrimoniaux, les monuments
aux morts, les drapeaux, les édifices religieux sont autant de marquages symboliques
des lieux, qui peuvent être révélateurs de rivalités territoriales et d’une guerre des
mémoires.
Nombreux sont les géographes qui se sont intéressés aux espaces symboliques
d’après-guerre, à leurs dimensions apaisantes ou clivantes, et aux pratiques socio-
spatiales qu’ils peuvent induire sur les populations. Les frontières urbaines dans les
villes divisées d’après-guerre (Sarajevo, Mitrovica, Jérusalem, Belfast, etc.) illustrent
parfaitement les comportements clivés et contraints des populations dans des contextes
de post-conflit.
III. Nouveaux enjeux des guerres actuelles
Le contexte sociopolitique actuel a fait évoluer la pratique de la guerre et ses
représentations au sein des dirigeants et de l’opinion publique. Les grandes puissances
ne sont plus à elles seules les maîtres du jeu sur la scène internationale, comme cela
pouvait être le cas au début du XXe siècle, car la notion même de puissance a évolué. Les
progrès techniques (robotisation, nouvelles technologies de l’information et de la
communication, etc.) ont profondément modifié les rapports de force sur le terrain, les
techniques de combat des belligérants, ainsi que notre représentation du champ de
bataille. Finalement, les enjeux humanitaires de la guerre n’ont cessé de croître, alors
que les populations civiles sont toujours plus impactées par les conflits contemporains,
au point que l’idée même de sécurité internationale cède peu à peu la place à celle de
sécurité humaine.
Le saviez-vous ?
Ce cadre théorique est en partie
nuancé par des analystes et acteurs
comme Rony Brauman, ancien
président de Médecins sans
frontières, pour qui le terme même
d’humanitaire doit être interrogé.
Pourquoi qualifier l’aide occidentale
au Darfour d’humanitaire, alors que
cette appellation est refusée pour
désigner l’aide du Hezbollah au
Liban en 2006 ? Selon lui, le terme
d’humanitaire lorsqu’il est employé
suppose une légitimation implicite
des acteurs aux yeux de l’opinion.
Si l’action humanitaire n’est pas nouvelle, elle s’inscrit néanmoins aujourd’hui dans
un contexte nouveau, tant au niveau de la conflictualité majoritairement intra-étatique
aujourd’hui, qu’au niveau politique, avec la mise en avant, par des organisations comme
les Nations unies, de nouvelles approches de la sécurité internationale. Dans le courant
des années 1990, apparaît ainsi le concept de sécurité humaine, selon lequel le référent
de la sécurité ne doit pas être l’État et ses intérêts nationaux, mais l’individu. Des
situations de famines, d’exaction sur les populations civiles ou de privations des droits
fondamentaux sont ainsi considérées comme des problèmes de sécurité, potentiellement
déstabilisateurs pour des régions entières, et auxquels il faut tenter d’apporter des
solutions.
Le saviez-vous ?
Le rapport annuel du Programme
des Nations unies pour le
développement de 1994 est considéré
comme pionnier dans la prise
en compte de ces enjeux sociaux
comme des thématiques de sécurité,
et dans la formulation de cette notion
de sécurité humaine.
Dans la même décennie, les débats sur l’ingérence humanitaire, dans le cadre des
guerres en Somalie, au Rwanda ou en ex-Yougoslavie, donnent à ces actions une
tonalité politique et géopolitique. Peut-on intervenir dans un pays étranger, et
contourner le principe de souveraineté, pour secourir des populations civiles ? Si oui,
comment justifier l’intervention dans une région plutôt qu’une autre ? Quels liens
entretenir avec les régimes ainsi désavoués et fragilisés ? Sur quel pouvoir légitime
s’appuyer ? Quels bénéfices à long terme peuvent sortir de ces actions, dans des régions
profondément déstabilisées ? Ces questions sont loin d’être simples et les conséquences
des interventions militaires « humanitaires » en Irak (2003) ou en Libye (2011) sont
encore discutées, ces régions étant aujourd’hui pour partie des zones grises hors de
contrôle des pouvoirs en place.
Ainsi, l’indépendance supposée des acteurs humanitaires est souvent relative et ceux-
ci font, bon gré mal gré, partie intégrante de la zone de conflit, comme le montrent les
agressions et les attentats survenus contre des membres d’organisations humanitaires
ces dernières décennies (assassinat de quatre membres de Médecins sans frontières en
Afghanistan en 2004, et de dix-sept employés d’Action contre la faim au Sri Lanka en
2006). Cette activité a aussi une géographie et génère des paysages particuliers, comme
les camps de réfugiés et de personnes déplacées, espaces conçus pour être temporaires,
mais qui s’inscrivent quelquefois de manière durable dans la région. Enfin, d’un point
de vue géopolitique, l’étude de l’action humanitaire demande de se pencher sur les
motivations et les représentations des acteurs. Les actions menées par des associations
chrétiennes, musulmanes, ou autres, ou encore les aides apportées par les États-Unis, la
Russie, la Turquie, n’ont pas les mêmes significations et la même portée dans le cadre
d’un conflit.
Conclusion
La guerre n’est donc pas un conflit comme les autres. C’est un phénomène social
codifié et institutionnalisé, dans lequel peuvent se lire les caractéristiques politiques,
sociales et techniques d’une période et d’un lieu. Aujourd’hui, la multiplication des
acteurs impliqués, les dimensions techniques de la conflictualité (avec en particulier les
processus de numérisation) et l’émergence d’acteurs non étatiques toujours plus
nombreux et puissants participent à faire bouger les lignes auparavant établies entre
guerre et paix, combattants et non-combattants, acteurs publics et acteurs privés. Cette
activité traditionnellement régalienne qu’est la guerre, encadrée par un droit des conflits
armés, se trouve ainsi profondément bouleversée par les dynamiques politiques,
sociales et techniques de notre époque contemporaine.
À RETENIR
■ La guerre est une forme de conflit spécifique, caractérisée par des affrontements importants, organisés
et sanglants, de groupes politiques. C’est un phénomène social codifié et institutionnalisé, encadré
par le droit, dont la matérialisation évolue en fonction des époques et des lieux.
■ Ce cadre permet de définir des guerres dites régulières, et d’autres dites irrégulières (par les acteurs
impliqués, les armes utilisées ou les cibles visées). Cette classification n’est néanmoins pas absolue, et
peut être contestée, certains spécialistes voyant de nos jours l’émergence de guerres hybrides.
■ Actuellement, les conflits armés sont majoritairement intra-étatiques et font intervenir une multitude
d’acteurs publics ou privés à différentes échelles. La prise en compte du post-conflit et du retour à la
paix est donc un point important des guerres contemporaines, qui ne s’achèvent plus comme autrefois
par des traités de paix.
■ Le contexte contemporain entraîne de nouveaux enjeux, prenant en compte la situation
d’interdépendance de la scène internationale, les notions de soft power et de sécurité humaine, les
dimensions de plus en plus techniques des conflits (numérisation), ainsi que des aspects humanitaires
comme la gestion des réfugiés et des personnes déplacées.
NOTIONS CLÉS
■ Guerre irrégulière
■ Puissance
■ Soft power
■ Post-conflit
■ Génocide
■ Sécurité humaine
ENTRAÎNEMENT
Corrigés en ligne
Tester ses connaissances
1. Cochez la bonne réponse :
a. La notion de guerre irrégulière désigne :
□ une guerre déloyale
□ une guerre sans régulation
□ une guerre qui ne s’inscrit pas dans les cadres juridiques des conflits armés, par les acteurs
impliqués, les moyens utilisés ou les cibles visées
b. Dans la guerre, le terrorisme est :
□ un objectif
□ une façon de penser
□ un mode d’action caractérisé par la rupture avec les règles de guerre communément admises,
l’indiscrimination de la cible et la surprise de l’action qui vise à produire un effet spectaculaire
c. L’expression « révolution dans les affaires militaires » désigne :
□ une période où les militaires guillotinaient leurs chefs
□ un courant de pensée qui vise à rendre les affaires militaires publiques
□ un courant de pensée pour lequel la technologie offre un avantage stratégique décisif pour
prendre l’ascendant sur son adversaire
2. Pour chaque conflit, identifiez les acteurs impliqués, les territoires en jeu et la nature des conflits en
remplissant le tableau ci-dessous. Cet exercice ayant vocation à faire ressortir la complexité
des différentes situations, les réponses dans chacune des cases ne sont pas uniques, et doivent
au contraire montrer la diversité des acteurs étatiques et non étatiques et l’articulation de différentes
dimensions (économiques, politiques, culturelles, juridiques, etc.).
Guerre
russo-
……………………………….. ……………………………….. ………………………………..
géorgienne
(2008)
Lutte contre
les cartels
……………………………….. ……………………………….. ………………………………..
de la drogue
au Mexique
Lutte contre
Boko Haram ……………………………….. ……………………………….. ………………………………..
au Nigeria
ÉTUDE DE CAS
Guerre en ville : la bataille d’Alep (2012-2016)
Doc. 1 Situation d’Alep à l’été 2012
Source : CATTARUZZA A., 2017, Atlas des guerres et conflits, Paris, Autrement.
« Depuis l’été 2012, Alep est au cœur d’une violente bataille. Les civils sont pris en étau au cœur
d’un conflit tentaculaire qui s’est intensifié et complexifié au fil des ans. […] Alep, deuxième ville du
pays pour son histoire et son dynamisme économique, est tout d’abord attaquée par des
opposants au régime de Bachar al-Assad, qui dirige le pays depuis 2000. Ces rebelles s’installent
dans les quartiers Est de la ville, les plus modestes. Très rapidement, l’armée de Damas riposte et
prend le contrôle de l’Ouest d’Alep. Dès lors, une guerre de position, doublée de violents
bombardements se met en place. […]
Face aux combattants pro-régime, la situation des rebelles ne simplifie pas l’équation. Les
opposants comptent une myriade de groupes aux courants de pensée parfois discordants. Les
rebelles recensent par exemple une branche plus modérée sous la bannière de l’Armée syrienne
libre, mais aussi le Front Fatah al-Cham, anciennement affilié au groupe terroriste Al-Qaida. En
plus de ces divergences, un nouveau belligérant entre dans le conflit dès 2014 : Daech et ses
djihadistes, qui profitent du chaos ambiant pour tenter d’asseoir son autorité.
Dès lors, les interventions étrangères affluent. Ceux qui soutiennent Bachar al-Assad : la Russie et
l’Iran, auxquels s’ajoutent des milices irakiennes et le Hezbollah libanais. D’un autre côté, une
coalition internationale pilotée par les États-Unis et que la France a ralliée en septembre 2015,
intervient sur le terrain pour combattre Daech. Cette alliance internationale soutient les rebelles
anti-Assad à demi-mot, sans les appuyer militairement pour éviter d’armer les groupes radicaux
[…]. En parallèle, des combattants kurdes combattent les djihadistes, en voyant d’un bon œil les
attaques russes qui pourraient favoriser la constitution d’un état transfrontalier pour cette
communauté qui se considère comme apatride. Le Conseil de sécurité de l’ONU – où la Russie
tient siège avec un droit de veto – s’est quant à lui tenu à distance du conflit, provoquant de
nombreux reproches.
Car face à cet imbroglio de forces et d’intérêts, les grandes victimes du conflit restent les Aleppins,
dont l’évacuation est une longue agonie entre blocus de convois humanitaires et bombardements à
répétition. Le nombre de morts parmi les habitants d’Alep (arrêté à 260 000 en 2014) piégés dans
leur propre ville, s’évalue à plusieurs centaines de milliers. »
Localisation
Commentaire
Les documents ici rassemblés permettent d’évoquer la guerre en Syrie à travers une
ville martyre, la ville d’Alep, dont la bataille entre opposants au régime de Bachar al-
Assad et armée régulière a duré pendant quatre ans de 2012 à 2016. Observer le conflit
à travers le prisme d’une ville permet de restituer la complexité et le caractère
changeant des enjeux à l’échelle locale.
I. Alep, une ville à forts enjeux dans les rivalités de pouvoir en Syrie
■ Alep est une ville qui présente de nombreux atouts pour les acteurs belligérants.
Deuxième ville du pays, très dynamique au niveau économique, elle est aussi un site
touristique important, avec des lieux patrimoniaux majeurs comme la citadelle et la vieille
ville (doc. 1, 2 et 3).
■ Sur le plan économique, la ville structure le nord du pays. Elle représente un enjeu
particulier pour les rebelles qui pouvaient en faire une capitale de la contestation et
organiser un contre-pouvoir au régime de Damas plus au sud, sur la base d’une opposition
Nord/Sud du pays.
■ Sur le plan stratégique, Alep est au nord-est du pays, sur un axe urbain important
Nord/Sud allant de Damas, la capitale au Sud jusqu’à la frontière turque, en passant par
Al Nabk, Homs, Hama, Souran, Maarat en-Noman, Idlib. La ville se situe également sur
un axe urbain Est/Ouest passant par Manbij et Hassaké au Nord-Est et par Raqqa, Deir ez-
Zor et Mayadin à l’Est pour aller vers la frontière irakienne (doc. 1).
■ En outre, Alep est au cœur d’une zone de peuplement majoritairement sunnite, souvent
considérée comme opposée au pouvoir de Bachar al-Assad, d’origine alaouite et chiite. La
ville est par ailleurs également dans une zone de peuplement kurde, peuple qui a une
géographie transfrontalière entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran, et qui a une forte
identité politique.
■ Cette localisation en fait donc une ville carrefour dont les enjeux au début du conflit sont
importants pour l’ensemble des acteurs belligérants. De fait, sa possession peut permettre
de l’utiliser à la fois comme ressource économique, symbole politique et comme point de
contrôle stratégique de différents axes de transports du nord du pays.
II. Les différentes échelles de la guerre en ville
■ Dans la foulée des révolutions arabes et de l’opposition qui s’organise en Syrie dès le
printemps 2011, l’Armée syrienne libre s’empare de près de la moitié de la ville en
juillet 2012 (doc. 4). Cette partition politique de la ville s’opère sur une partition sociale
préexistante entre des quartiers populaires à l’Est, qui deviennent le fief des rebelles, et
des quartiers plus huppés à l’Ouest, où se localisent l’Université et l’Académie militaire,
qui sont rapidement repris par l’armée régulière (doc. 1, 2). Les combats à l’intérieur de la
ville vont dès lors prendre la forme d’une guerre de position Est/Ouest, doublés de
bombardements et d’affrontements armés dans différents sites de la vieille ville.
■ La situation des opposants aux régimes est complexe, puisque cette résistance repose sur
de nombreux groupes très différents. Dès le départ, l’Armée syrienne libre, plutôt
modérée, est concurrencée par des groupes islamiques, dont le Front Fatah al-Cham,
anciennement affilié à Al-Qaida. La situation se complique à partir de 2014 où entre en
jeu un nouvel acteur, Daech, qui s’est durablement installé en Syrie et via Raqqa, entre à
Alep (doc. 2). Cette multiplicité d’acteurs crée une situation chaotique dans l’est de la
ville.
■ À l’échelle régionale et internationale, Alep se retrouve au cœur des préoccupations de
nombreux acteurs. Les forces du régime sont ainsi soutenues par la Russie et l’Iran, ainsi
que par différents groupes politiques chiites, dont le Hezbollah libanais (doc. 2). Ces
soutiens jouent un rôle important dans la reprise de la ville en 2016, en particulier la
Russie, qui apporte un renfort militaire sous la forme de bombardements, et fait jouer sa
voix aux Nations unies pour empêcher le Conseil de Sécurité d’intervenir (doc. 2).
■ À partir de septembre 2015, une coalition internationale sous commandement américain
et français se met en place pour combattre Daech sur le terrain par des campagnes de
bombardements. La position des États-Unis et de la France est depuis le début du conflit
du côté des rebelles. Néanmoins, le chaos existant sur le terrain, où l’Armée syrienne libre
se superpose à des groupes radicaux, empêche une aide franche de ces États (doc. 2).
■ Les positions des combattants kurdes sont ambiguës. A priori opposés au régime de
Bachar al-Assad, ils jouent un rôle important dans la lutte contre Daech au nord du pays.
Dans ce combat contre un ennemi commun, ils profitent en partie des bombardements
russes sur les positions du groupe islamiste pour conforter leur assise sur les régions
transfrontalières du nord de la Syrie (doc. 2).
■ Ainsi, tout au long du conflit, la bataille d’Alep se retrouve au cœur d’enjeux
multiscalaires, pour différents acteurs locaux, régionaux et internationaux.
III. Les territoires de l’après-conflit à Alep
■ Les conséquences sociales sont dramatiques pour la ville. Dès 2012, Alep voit une partie
de sa population tenter de fuir les combats, tandis que certains opposants peuvent trouver
refuge dans les quartiers Est (doc. 1). Les populations civiles sont particulièrement
impactées par les affrontements.
■ La ville compte déjà près de 260 000 morts en 2014, et ces chiffres augmentent
considérablement sous l’autorité des groupes islamistes, et lors de la violente offensive
lancée par le régime à l’automne 2016 (doc. 2 et 4). Dans ces combats, les habitants se
retrouvent pris au piège de leur propre quartier et victimes collatérales des hostilités.
■ Au niveau architectural, les destructions sont considérables. La vieille ville, où se
localise la plus grande partie du patrimoine ancien, est profondément meurtrie. De fait, cet
espace a été, entre 2012 et 2016, en situation de ligne de front entre les différents
belligérants. Le doc. 3 montre l’impact des combats sur le bâti. On observe une zone
totalement détruite sous forme de ligne entre la cathédrale maronite au Nord-Est, et la
grande Mosquée et la Citadelle au Sud-Est, laissant imaginer l’ampleur des confrontations
dans cette zone.
■ Ces impacts humains, architecturaux et économiques laissent la ville durablement
exsangue. La reconstruction longue qui s’annonce ne remplacera pas le patrimoine
disparu. Les affrontements intra-urbains ont provoqué des rancœurs et des peurs au sein
des populations, et, avec la reconquête du régime, la période de réconciliation qui
s’annonce dans la ville est très incertaine.
Conclusion
Ainsi la ville d’Alep apparaît bien comme une ville martyre, à l’image de Sarajevo en
Bosnie-Herzégovine (doc. 4). Or, l’intensité des affrontements qu’elle a subis révèle
l’ampleur des enjeux géopolitiques qu’elle représentait pour les différents acteurs de ce
conflit. La bataille d’Alep et son dénouement reflètent donc bien la complexité de la
situation syrienne, que ce soit pendant le conflit, ou aujourd’hui pendant le post-conflit.
Source : © Chappatte, The New York Times. www.chapatte.com
Cette caricature représente Edward Snowden, l’ancien consultant de la NSA (National
Security Agency) ayant trouvé refuge en Russie en 2013 (le FSB étant l’un des services secrets
de la Russie). Edward Snowden est poursuivi par les autorités américaines pour avoir divulgué
un programme secret et massif d’écoutes du web administré par la NSA. Ses révélations ont
été une véritable rupture dans l’histoire d’Internet, puisqu’elles ont apporté la preuve que les
États-Unis pratiquaient un espionnage de masse. Or, des pays tels que la Russie ont profité de
ces accusations pour adopter des législations promouvant la souveraineté numérique,
notamment pour échapper aux « grandes oreilles de l’Oncle Sam ».
CHAPITRE 6
Le cyberespace, nouveau lieu
de conflictualités géopolitiques
PLAN DU CHAPITRE
I. Qu’est-ce que le cyberespace ?
II. Le cyberespace, un objet géopolitique
III. Les enjeux sécuritaires de la cyberguerre : actions cybernétiques et actions
informationnelles
ÉTUDE DE CAS
Le cyberespace ne doit donc pas être confondu avec l’Internet qui n’en
représente qu’une partie. En effet, « Internet » est le nom donné au
système d’échange de données fondé sur le protocole IP. Il s’agit,
autrement dit, du support technique de divers réseaux, dont le plus connu
est le Web, qui désigne quant à lui l’ensemble des pages accessibles
depuis un navigateur, éventuellement référencées par les moteurs de
recherche. Ce « Web référencé » n’est cependant qu’une part infime
d’Internet, et donc du cyberespace.
Hormis certains réseaux très particuliers tels que l’« intranet » nord-
coréen Kwangmyong (accessible uniquement depuis le territoire de la
Corée du Nord et théoriquement coupé de l’Internet mondial) ou certains
réseaux militaires, la totalité des systèmes qui composent le cyberespace
sont donc directement ou indirectement connectés les uns aux autres.
C’est pourquoi, en dépit de leurs utilisations très diverses, la quasi-
totalité de ces réseaux observés « en surplomb » peut être schématisée
selon un modèle unique, résumant le mécanisme à la base de la
circulation des données numériques. Ce modèle se présente comme une
superposition verticale de quatre couches complémentaires et
interdépendantes.
1. La première couche, dite « infrastructurelle », est celle des matériels
nécessaires à la circulation des données. Il s’agit concrètement des
terminaux (smartphones, ordinateurs…) qui permettent d’avoir accès à
l’information, mais aussi des infrastructures où les informations que l’on
souhaite consulter sont physiquement inscrites (serveurs). Ce sont
également les câbles transocéaniques, les dorsales fibre optique, ainsi que
les satellites permettant de faire transiter cette information entre
le receveur et l’hébergeur de la donnée.
2. La deuxième couche, dite des « protocoles », est celle des stratégies
d’aiguillage de l’information quand celle-ci circule sur les câbles du
cyberespace. C’est le cas du protocole IP, qui régit le routage des données
sur le réseau Internet.
3. La troisième couche, dite couche « logique », est celle des langages
et des compatibilités : lorsque l’information transite sur un réseau
physique et qu’elle est « routée » de manière convenable, encore faut-il
que l’émetteur et le receveur utilisent des programmes compatibles,
autrement dit, que les terminaux de départ et d’arrivée parlent le même
langage. Par exemple, une image envoyée par MMS ne pourra être lue ou
reçue par e-mail, à moins qu’un service de transit entre les deux
protocoles ait été mis en place par le fournisseur.
4. Enfin, la quatrième couche du cyberespace est celle concernant la
production du contenu et des informations échangées en ligne. Elle est
généralement appelée couche « cognitive » ou « informationnelle », et
s’intéresse aux discours et à leur propagation. Il s’agit, en d’autres
termes, de la couche propre aux données qui circulent dans le
cyberespace en utilisant les protocoles des trois autres couches. Ce
seront, notamment, les contenus des publications sur les réseaux sociaux,
les articles de presse, les mails, etc.
Le saviez-vous ?
Les vives tensions qui
existent entre la Russie et les
États-Unis dans le cyberespace
permettent en effet à la Chine de
délocaliser une partie de ses
données dans une région
contrôlée par une puissance
géographiquement proche avec
laquelle elle a des intérêts
communs.
Depuis quelques années, les manipulations de l’information ont pris une ampleur
sans précédent. Favorisé par l’émergence des réseaux sociaux et autres
agrégateurs de contenu comme source privilégiée d’information pour une part non
négligeable de la population, ce phénomène touche la plupart des grandes
démocraties occidentales. Outre l’essor du conspirationnisme favorisé par
l’émergence de sources alternatives d’information sur l’Internet, on note en effet
qu’un certain nombre d’États tels que la Russie, la Chine ou l’Iran se livrent à une
« guerre informationnelle », notamment en Europe et aux États-Unis.
Le soutien de la Russie aux mouvements populistes européens et américains en est
un exemple particulièrement significatif. Il est de deux ordres. Premièrement, l’État
russe, via ses agences de presse Russia Today et Sputnik, soutient assez
ouvertement des mouvements politiques hostiles à l’Europe ou au libéralisme.
Il s’agit là d’une politique d’influence relativement classique puisque ces agences
font clairement de la diplomatie publique en promouvant la vision officielle du
gouvernement russe. Deuxièmement, la Russie a été accusée par les États-Unis de
manipulations de l’information, notamment via le recours à des « usines à troll » ou
des « fermes de bots » dont l’objectif est de faire gagner les contenus produits par la
Russie en visibilité en ayant recours à des stratégies issues du marketing digital.
De plus en plus sophistiquées, ces techniques de manipulation de l’information sont
le fruit d’organisations opaques telles que l’Internet Research Agency, un groupe
basé à Saint-Pétersbourg et qui serait dirigé par Evgueni Prigozhin, un proche de
Vladimir Poutine, par ailleurs propriétaire de la société militaire privée russe Wagner,
dont les hommes sont présents en Syrie et en Afrique.
À RETENIR
NOTIONS CLÉS
■ Cyberattaque
■ Cyberespace
■ Data Center
■ GAFA
■ Actions cybernétiques
■ Actions informationnelles
ENTRAÎNEMENT
Corrigés en ligne
1. Quelles sont, selon vous, les implications géopolitiques d’une telle incertitude, en
sachant que TV5 Monde constitue l’une des « voix » de la France dans le monde et
que sa réduction au silence a affecté l’image du pays ?
2. Plus largement, et sur la base des résultats incertains de l’enquête, la France
peut-elle accuser la Russie d’en être responsable ?
ÉTUDE DE CAS
Le contrôle des « tuyaux » de l’Internet : un enjeu
géopolitique majeur
« Les patrouilles et les missions de la marine russe à proximité des câbles sous-
marins se multiplient, selon le New York Times. L’intensité des patrouilles de sous-
marins et de navires espions russes a augmenté de 50 % ces douze derniers
mois. Les États-Unis tentent donc de surveiller ces missions. En septembre, des
navires, des avions et des satellites ont été mobilisés pour surveiller un bateau
espion russe, le Yantar. Ce bateau s’est laissé dériver de la côte est des États-
Unis vers Cuba. Il a ainsi navigué au-dessus du câble reliant les États-Unis à leur
base de Guantanamo.
Le navire russe est équipé de deux petits sous-marins capables d’intercepter les
communications circulant dans un câble, voire de le sectionner. Mais la Russie se
défend de toute intention d’espionnage en mettant en avant l’usage strictement
scientifique du Yantar. […]
Selon des sources du renseignement citées par le New York Times, la Russie
pourrait toutefois préparer une attaque de ces lignes sous-marines en cas de
conflits ou de tensions. S’il n’y a pas de preuves de coupures de câbles pour
l’instant, le sujet alimente les suspicions de nombreux agents des renseignements
et de militaires américains. […] Un diplomate européen, cité lui aussi par le
journal, estime que “le niveau d’activités est comparable à ce qui se passait
pendant la guerre froide”. L’un des pays alliés de l’OTAN, la Norvège, se sent tant
concerné par le sujet qu’il a demandé une aide pour surveiller les sous-marins
russes. »
« Elle ne sera pas là avant 2020 au moins, mais la 5G fait déjà l’objet d’âpres
batailles. Ce qui est aujourd’hui en jeu, ce sont les conditions de déploiement de
cette nouvelle technologie de communication. Toute avancée de ce type donne
lieu à des guerres commerciales. Celle-ci est d’autant plus aiguë que le saut est
important.
Retombées industrielles
D’abord rappelons de quoi il s’agit. Nous utilisons aujourd’hui la 4G pour nos
terminaux mobiles. Si tant est, soit dit en passant, que l’on bénéficie de la
couverture – c’est loin d’être le cas partout. En tout cas, le grand public s’en sert
pour ses communications, le téléchargement de vidéos ou encore l’utilisation
d’applications sur son téléphone. La 5G, elle, doit offrir plus de rapidité et une
énorme capacité, afin d’absorber un fort trafic de données. En conséquence, elle
aura des applications bien plus importantes et variées. Surtout, elle servira aux
objets connectés. Ses retombées industrielles sont donc potentiellement
gigantesques. On la trouvera dans des secteurs comme l’énergie, la chirurgie à
distance ou la voiture autonome. Mais aussi dans des installations militaires, les
hôpitaux, les ports, les usines, etc. Autant dire que son rôle sera structurant dans
l’économie ; et hautement stratégique. On comprend bien que cela pose aussi de
nombreuses questions de sécurité.
Espionnage
Les ingrédients sont donc réunis pour une compétition afin d’être l’équipementier
qui dominera le marché. Et les questions de sécurité et de souveraineté des
données ont renforcé le tour géopolitique donné à cette bataille économique.
L’attention est focalisée sur un acteur en particulier : Huaweï. L’entreprise chinoise
est le deuxième vendeur de smartphones au monde et surtout le premier
fournisseur d’équipements télécoms. Elle est au cœur d’une polémique
internationale depuis que les États-Unis l’accusent d’espionnage. Notamment
d’installer des portes dérobées numériques dans ses équipements, ce qu’on
appelle des backdoors. Pour le dire vite, des ouvertures permettant d’avoir accès
aux communications passées dans l’ensemble des pays qui utilisent ses services.
Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que Huaweï a une position cruciale sur le
marché. Et une activité particulièrement offensive dans le jeu d’influence pour le
dominer. Démarche somme toute classique pour toute grande entreprise qui
cherche à asseoir ses positions. Reste que son patron, ancien ingénieur de
l’armée chinoise, et les pratiques passées de l’entreprise sont régulièrement mis
sur la liste des indices à charge. Quand Huaweï ne cesse de se défendre de toute
pratique d’espionnage, les États-Unis, eux, brandissent la législation chinoise.
Depuis 2017 elle oblige les entreprises du pays à collaborer avec les autorités
dans le cadre de l’effort national pour le renseignement. Voilà qui permet
d’alimenter les soupçons. Mais à ce jour, il n’existe aucune preuve tangible de
cette accusation américaine.
En somme, l’argument de la sécurité, s’il est bien réel, habille une bataille
économique et politique. D’autant plus que la Chine maîtrise l’équipement mais
aussi tout l’écosystème qui va avec, autrement dit les entreprises dont les services
reposeront sur la 5G. Alibaba, Baidu et bien d’autres sont de sérieux concurrents
aux géants américains. »
■ Doc. 1 Carte représentant le Caucasus Cable System ainsi que les sous-
réseaux terrestres qui lui sont affiliés. Elle constitue une carte
promotionnelle puisqu’elle est affichée sur le site de la compagnie
propriétaire du câble. L’objectif de cette carte est clairement de montrer
la centralité du câble dans la connectivité régionale.
■ Doc. 2 Article extrait du Figaro qui revient sur l’inquiétude soulevée
par le gouvernement américain en 2015 concernant le risque que des
unités de la marine russe puissent sectionner les grands câbles qui relient
l’Amérique et l’Europe.
■ Doc. 3 Retranscription d’une émission de France Culture qui explique
les grands enjeux politiques et stratégiques que soulève déjà la
technologie 5G, alors que son développement n’est toujours pas terminé.
Localisation
Nous sommes à l’échelle du monde dans cette étude de cas, avec le tracé
des grandes dorsales.
Objectifs de l’étude de cas
Commentaire
Aujourd’hui, une très grande partie des échanges numériques se font via
des câbles sous-marins. Les apparences générées par la massification des
appareils connectés sans fils (smartphones, Wifi…) sont d’ailleurs
trompeuses, puisque plus de 90 % du trafic Internet mondial transite par
448 câbles – un immense réseau long de 1,2 million de kilomètres qui
parcourt le fond des océans. Compte tenu du rôle central que joue
Internet dans la plupart des économies du monde, il est clair que ces
câbles constituent un enjeu géopolitique majeur.
I. Un enjeu sécuritaire et stratégique
■ Parce qu’elles sont des infrastructures physiques, les grandes dorsales sont
sujettes à de très nombreux types d’aléas : tremblements de terre sous-
marins, destruction involontaire par des filets de pêche… À ces risques
exogènes s’ajoutent ceux qui résultent d’une volonté politique ou
stratégique d’utiliser le réseau comme levier dans un rapport de force.
■ Ainsi, et comme le montre le doc. 2, les gouvernements occidentaux
considèrent sérieusement la possibilité que la Russie puisse procéder à des
coupures de câbles en cas de conflit. La destruction de certaines de ces
infrastructures transatlantiques perturberait de manière significative les
échanges de données entre l’Europe et l’Amérique. Des échanges de
données bancaires aux transactions boursières en passant par l’accès aux
grandes plateformes américaines (Facebook, Netflix, Google…), des pans
entiers de l’activité économique et sociale des deux continents seraient
grandement perturbés.
■ D’ailleurs, la récente rupture du câble reliant les îles Tonga au reste du
monde a pu fournir une bonne illustration : si, pour leurs communications
d’urgence, les Tongiens ont pu utiliser une liaison par satellite, ils n’ont pu
en revanche avoir accès à aucune plateforme pendant près de deux
semaines. En effet, le gouvernement avait bloqué l’accès à des services tels
que Facebook et YouTube qui, gourmands en bande passante, risquaient de
saturer le réseau satellitaire d’urgence.
■ Bien entendu, le risque que représente la rupture d’un câble est variable
selon la région. Ainsi, la France dispose de plusieurs dizaines de câbles
pour la relier au monde extérieur, au contraire de pays comme les Tonga,
l’Arménie ou encore l’Algérie.
II. Un enjeu de souveraineté
■ D’une manière générale, le tracé des grandes dorsales sous-marines suit
celui des anciens câbles télégraphiques et téléphoniques des XIXe et
XX siècles. Très dense au niveau de l’Europe, de l’Amérique du Nord et de
e
PLAN DU CHAPITRE
I. L’environnement, une ressource géopolitique ?
II. L’environnement, une menace ?
III. Protéger l’environnement du global au local, un enjeu géopolitique
ÉTUDE DE CAS
Le saviez-vous ?
Indépendant depuis 1932,
l’Irak revendique la
souveraineté sur le Koweït
dès 1938. Alors sous
protectorat britannique, le
Koweït accède à
l’indépendance en 1961. Il est
reconnu du bout des lèvres
par l’Irak en 1963, mais ce
dernier reste réticent vis-à-vis
de ce nouvel État qu’il
considère comme une
création impérialiste.
Le saviez-vous ?
L’appellation « collier de
perles » est d’origine
américaine. Les cercles
stratégiques américains
voyaient dans ces installations
de potentielles intentions
agressives. La Chine a
toujours nié une quelconque
dimension offensive dans
cette politique.
Sources : CATTARUZZA A. et SINTÈS P., 2016, Atlas des Balkans, Paris, Autrement.
La notion d’« anthropocène », ère de l’homme, a été proposée par le chimiste Paul
J. Crutzen au début des années 2000 pour désigner la période géologique actuelle,
caractérisée par l’impact déterminant des activités humaines sur l’évolution de
l’écosystème planétaire. Cette notion est en débat dans la communauté scientifique
pour différentes raisons (inadaptation aux critères traditionnels des ères géologiques,
vision considérée comme simplifiante par différents chercheurs, etc.).
FOCUS Les interventions militaires dans le cadre
de catastrophes naturelles
La gestion de crise figure parmi les premières missions des militaires, y compris
concernant les crises environnementales, comme les catastrophes naturelles. Le
séisme de 2010 à Haïti est un exemple de ce type d’intervention. Le 12 janvier
2010, l’île est frappée par un violent tremblement de terre qui provoque la mort de
près de 300 000 personnes (10 % de la population de Haïti) et plus de 1,5 million de
sans-abris. Un gigantesque mouvement d’aide internationale est déployé. En
France une opération militaire de soutien est organisée dès le 13 janvier.
La première phase de l’opération entre le 13 janvier et le 20 février 2010 consiste à
faire face à l’urgence, à savoir acheminer des moyens de secours pour rechercher
les personnes signalées disparues, apporter une aide médicale, porter assistance
aux sinistrés et préparer l’organisation de l’aide humanitaire. Dans le chaos
sécuritaire qui s’abat sur l’île, il s’agit aussi pour les militaires de sécuriser les
secours. La deuxième phase du 14 mars au 30 septembre 2010 comprend des
activités de reconstruction, des travaux de réhabilitation des bâtiments, de réfection
des réseaux d’eau, de démolition des ruines instables, ainsi que la construction
d’abris permettant d’héberger la population à l’approche de la saison cyclonique.
Ainsi, dans les cas les extrêmes, les crises environnementales sont devenues des
enjeux pour les engagements militaires de par le monde.
Ne pas confondre !
La gouvernance designe la gestion du pouvoir concertée et
cordonnée entre l’ensemble des acteurs sociaux (publics et privés)
et passant par des dispositifs (règlements, traités) en principe
reconnus par tous. La notion de gouvernement qui s’inscrit pour sa
part dans des modes décisionnels hiérarchiques.
Conclusion
Si l’environnement a d’abord été pensé en géopolitique principalement à
partir de la question de l’appropriation des ressources par des acteurs,
cette vision instrumentale du monde est confrontée aujourd’hui à la
question des changements environnementaux globaux. La gestion et la
protection de l’environnement, quelle que soit l’échelle envisagée, sont
des questions éminemment politiques, qui sont fortement territorialisées.
Les politiques de protection de l’environnement, toutes échelles
confondues, génèrent également des rivalités, des rapports de pouvoir et
des jeux d’acteurs. En ce sens, elles peuvent être appréhendées avec les
outils de la géopolitique.
À RETENIR
■ Les ressources en géopolitique sont des productions politiques et sociales car il n’y
a de ressource que par rapport à une activité donnée dans un contexte social, politique
et technique spécifique.
■ Le contrôle des ressources par un acteur passe autant par le contrôle de l’accès à la
ressource (contrôle des sites de production), que par le contrôle du transit des
ressources (sécurisation des approvisionnements, des routes et du transport).
■ Au cours des deux dernières décennies, la géopolitique traite le sujet de
l’environnement également au travers de la question des catastrophes ou des
changements climatiques, en considérant ces phénomènes pas seulement comme
des phénomènes naturels, mais aussi comme des phénomènes politiques et sociaux.
■ Pour autant, le thème de la protection de l’environnement ne doit pas être pensé
comme linéaire. Au contraire, la géopolitique invite à analyser ces politiques quelles
que soient leurs échelles comme des enjeux de pouvoir et/ou des représentations,
derrière lesquelles se révèlent des jeux d’acteurs.
NOTIONS CLÉS
■ Environnement
■ Ressource naturelle
■ Développement durable
■ Gouvernance
■ Écologie
■ Espace protégé
ENTRAÎNEMENT
Corrigés en ligne
ÉTUDE DE CAS
Conflits et coopération autour des eaux du Nil
« Dans l’imaginaire populaire, qui dit Nil dit Égypte. Si le pays des pyramides est
bien une pièce majeure du bassin – il y puise 95 % de ses besoins en eau et
s’arroge les trois quarts de son débit –, aujourd’hui sa mainmise est sérieusement
écornée. Soumis à la même pression démographique que leur voisin, les autres
pays riverains multiplient les projets de barrages sur ce fleuve qui prend sa source
en Éthiopie pour le Nil Bleu et au Burundi pour le Nil Blanc. Au risque de réduire le
niveau du fleuve en aval et d’alimenter les tensions. L’époque du règne sans
partage des Pharaons pourrait bien n’appartenir qu’au passé.
Depuis plus de trois mille ans, le Nil constitue le moteur de l’organisation
économique, agricole, sociale et politique de l’Égypte. Grâce aux travaux
d’irrigation, les surfaces cultivées augmentent, mais pas aussi vite que ne
l’exigerait la croissance de la population. Or la demande de produits alimentaires
alourdit les importations de céréales. […] Démographie galopante et besoins
énergétiques pèsent tout autant sur les pays en amont. Cinq d’entre eux sont
d’ailleurs classés en insécurité alimentaire par la FAO. À l’image de l’Éthiopie où à
peine 2 % de la surface du pays est irriguée, pour un potentiel proche de 25 %.
Addis Abeba […] opte depuis 2010 pour de grands ouvrages, comme celui de la
Renaissance, le plus grand d’Afrique, sur le Nil Bleu. De la même manière, les
pays des grands lacs : Kenya, Ouganda ou Tanzanie sont engagés dans des
projets d’irrigation (en pompant dans le lac Victoria pour ce dernier). »
Source : THIBAUD G., « Le Nil, source de conflits », Les Échos du 30 août 2018.
« Le premier accord sur le partage des eaux du Nil date de 1929. L’ancienne
puissance coloniale britannique qui contrôle la plupart des pays riverains du Nil
accorde à l’Égypte et au Soudan des avantages exorbitants sur l’utilisation des
eaux de ce fleuve. 48 milliards de mètres cubes par an pour l’Égypte et 4 milliards
pour le Soudan. Le traité est assorti d’un droit de veto égyptien sur toute
construction en amont susceptible de réduire le débit de l’eau. Un droit de regard
sur l’ensemble du Nil, depuis son embouchure à ses sources. En 1959, Khartoum
obtient de son voisin égyptien un nouvel accord qui fait passer sa part de 4 à
22 milliards de mètres cubes par an. Les deux pays se partagent les droits sur
87 % du débit du Nil. […] Très vite, le gouvernement éthiopien dénonce un
arrangement qui le prive d’un accès au Nil Bleu dont les eaux baignent ses terres.
C’est le projet de construction du haut barrage d’Assouan en Égypte qui a mis le
feu aux poudres. Dès 1954, l’Éthiopie fait connaître sa ferme opposition. […]
Le 14 mai 2010, l’Éthiopie signe avec le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda et le
Kenya un accord remettant en question “les droits acquis” de l’Égypte et du
Soudan. Ils veulent développer des projets sur le Nil, sans avoir à solliciter l’accord
du Caire. L’Égypte manifeste son désaccord et claque la porte de l’initiative du
Bassin du Nil qui regroupe les dix États riverains du Fleuve depuis février 1999.
[…] Au mois de mai 2013, l’Éthiopie commence à détourner les eaux du Nil Bleu.
Son projet : construire sur ce fleuve un immense barrage baptisé “Grand barrage
de la renaissance” pour alimenter son secteur agricole. Le pays a aussi l’ambition
de devenir le principal exportateur d’électricité pour l’est de l’Afrique. […] La
tension est retombée le 23 mars 2015 avec la signature d’un accord de principe
sur la construction du barrage éthiopien “Grande renaissance” et sur la répartition
des eaux du grand fleuve. Le président égyptien, son homologue soudanais et le
Premier ministre éthiopien ont donné leur accord de principe à la construction du
barrage éthiopien. »
■ Doc. 1 Carte de synthèse d’Hervé Amiot, publiée dans la revue Les clés
du Moyen-Orient en 2013. Elle présente les différents enjeux politiques,
économiques, sociaux et environnementaux liés au bassin du Nil.
■ Doc. 2 Extrait d’un article de Geneviève Thibaud paru dans le journal
Les Échos le 30 août 2018. Il présente les rivalités géopolitiques passées
et présentes liées à l’exploitation et au partage des eaux du Nil, ainsi
qu’aux aménagements dont le fleuve fait l’objet.
■ Doc. 3 Extrait d’un article de Catherine Le Brech publié par le site de
France Info (www. francetvinfo.fr) le 21 juin 2017. Il resitue le contexte
historique des litiges entre les pays du bassin du Nil, quant aux
aménagements sur le fleuve.
Localisation
LA DISSERTATION
LE CROQUIS DE SYNTHÈSE
LE SCHÉMA FLÉCHÉ
4. Élaborer un plan
Une fois formulée la problématique, l’étudiant peut construire le plan qui
doit apporter des éléments de réponse successifs à la question qu’il vient de
poser. Il est déconseillé de construire son plan avant la problématique : sans
idée précise de la question à laquelle on veut répondre, on risque de
proposer un catalogue d’informations qui ne s’enchaînent pas les unes aux
autres et donc de passer à côté de la démonstration argumentée attendue.
5. Rédiger le devoir
■ Comme dans tout exercice de rédaction, il faut soigner la précision de
l’expression et la maîtrise du vocabulaire géographique. Les notions de
géographie ne sont pas substituables les unes aux autres : la rigueur
dans l’utilisation des termes, la capacité à les mobiliser au bon endroit,
la faculté à les définir est essentielle.
■ Il faut aussi faire attention à la construction des phrases (syntaxe), au
respect des règles de grammaire et toujours se relire pour éviter les
fautes d’orthographe (y compris sur les noms de lieux).
L’organisation formelle de la dissertation
■ La dissertation est formellement très codifiée et il faut en respecter
strictement les règles. Toute dissertation doit être divisée en trois
temps : l’introduction, le développement et la conclusion. Chacun de
ces temps est à son tour subdivisé selon une organisation stricte1. Ces
règles sont communes à tous les enseignants et ne peuvent être
considérées comme accessoires.
■ En fonction du temps alloué, le développement peut être allégé (les
grandes parties ne contenant qu’une seule sous-partie par exemple).
• Les étoiles indiquent un saut de ligne qui permet de délimiter visuellement les trois
temps de la dissertation. Les traits en biais indiquent un retour à la ligne (sans saut
de ligne donc) qui peut être accompagné d’un alinéa.
• Une bonne dissertation doit être bien équilibrée : les parties du développement
doivent être de longueur identique. Idéalement, l’introduction et la conclusion sont
également de même longueur (il ne faut donc pas négliger la conclusion qui
permet de répondre à la problématique présentée en introduction).
Schéma © Pascale Nédélec, 2016.
[Introduction]2
Accroche
« Qui tient la mer tient le commerce du Monde, qui tient le commerce tient la
richesse, qui tient la richesse du Monde tient le Monde lui-même. » Cette citation de
Sir Walter Raleigh, explorateur anglais, montre l’importance des espaces maritimes
pour la puissance des États. Par leurs ressources, suscitant des intérêts
économiques, et par leur dimension stratégique, suscitant des intérêts politiques et
de défense, ils sont au centre d’enjeux de puissance.
Les mers et océans sont, de ce fait, des objets géopolitiques majeurs,
au sens où il est possible d’y étudier les conflits et luttes d’influences
entre acteurs, à différentes échelles. Si cet ensemble peut être considéré
sous l’appellation « d’espaces maritimes », une distinction est néanmoins
possible du point de vue des enjeux géopolitiques, selon le caractère plus
ou moins borné et plus ou moins dominé et divisé entre des souverainetés
nationales, ce qui a un impact sur l’acuité des tensions. L’inscription de
ces tensions politiques dans les espaces maritimes est flagrante autour de
thématiques comme le contrôle des ressources, l’extension des zones
économiques exclusives (ZEE) et le tracé des frontières maritimes
notamment. Il existe donc des relations fortes entre enjeux politiques et
espace, que ce soit dans les mers ou les océans.
Problématique
Annonce du plan
Nous verrons dans une première partie que les espaces maritimes sont au centre
d’enjeux de pouvoir majeurs, avant de considérer les conflits d’appropriation et de
contrôle dont ils font l’objet. Nous terminerons en analysant la manière dont les
espaces maritimes peuvent être instrumentalisés dans la géopolitique mondiale.
Chapeau introductif
Les mers et océans, parce qu’ils sont des espaces ouverts, dotés de ressources
nombreuses et parcourus de flux de circulation croissants, sont au centre d’enjeux
de pouvoir pour les États bordiers en particulier. Leur contrôle est un enjeu de
souveraineté et de sécurité, un enjeu économique, mais aussi un enjeu de pouvoir
pour de nombreux acteurs, étatiques ou non étatiques.
[1. Un enjeu de souveraineté et de sécurité pour les États]
Pour les États bordiers, c’est-à-dire ceux qui ont un accès direct à la mer,
le contrôle des espaces maritimes revêt un double enjeu géopolitique :
dominer son territoire et ses extensions vers l’avant-pays d’une part, et
assurer sa sécurité, notamment grâce à la projection de forces en mer. La
Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) signée à
Montego Bay (Jamaïque) en 1982 définit les statuts actuels des
délimitations maritimes en droit international. Dans une bande de
12 milles marins à partir du trait de côte, la mer est « territoriale », c’est-
à-dire qu’elle fait partie intégrante du territoire de l’État bordier, et la
souveraineté douanière s’applique dans une bande « contiguë » de 12
milles supplémentaires. C’est dans ce premier périmètre que chaque État
peut exercer pleinement sa souveraineté politique, douanière et militaire.
C’est aussi cela qui garantit aux États de pouvoir disposer de ports
militaires d’attache pour leurs forces navales. Ainsi, les États-Unis qui
possèdent trois façades maritimes, ouvrant aussi bien sur l’Atlantique que
sur le Pacifique et les Caraïbes, possèdent un avantage non négligeable
en termes de projection navale. De ce point de vue, le fait de disposer
d’un accès à la mer est une donnée géostratégique majeure pour la
sécurité et la puissance militaire des États à l’échelle mondiale.
[2. Un enjeu économique majeur : l’accès aux ressources et au commerce]
L’un des enjeux majeurs du contrôle des espaces maritimes, afin
d’asseoir la puissance économique des États, est le contrôle des
ressources et des voies de communication. L’exploitation des richesses
contenues dans le sol et le sous-sol maritime, ainsi que dans la colonne
d’eau, est un élément essentiel pour l’économie des pays. Ces ressources
peuvent être halieutiques, mais aussi énergétiques ou minières et leur
possession est à l’origine de conflits de délimitation des ZEE, voire de
conflits pour l’accès à la mer.
Le cas de la contestation des limites de ZEE entre le Chili et le Pérou en est un bon
exemple. Depuis la Guerre du Pacifique (1929), la frontière entre les deux pays est
contestée. De plus, la Bolivie, qui a perdu son accès à la mer en 1904, revendique
un accès côtier. La combinaison de ces deux litiges frontaliers donne lieu à un
double problème de frontières maritimes. D’une part, la limite de ZEE Chili/Pérou
peut être fixée sur le 18e parallèle, comme le prévoient les traités terrestres, ou sur la
ligne d’équidistance, comme proposé par la Cour internationale de Justice. Dans la
zone intermédiaire se posent des questions de droits de pêche. D’autre part, le droit
international oblige le Chili et le Pérou à accorder un corridor vers les eaux
internationales à la Bolivie, ce qui est accepté par le Chili mais non par le Pérou.
Pour ces trois pays, le conflit d’ordre territorial porte d’abord sur la possession des
ressources halieutiques et la possibilité de commercer par voie de mer.
Transition
Ainsi, la géopolitique des mers et des océans s’appuie autant sur des enjeux
politiques qu’économiques, voire symboliques et implique de nombreux acteurs, qui
ne sont pas uniquement étatiques. De ce fait, les espaces maritimes peuvent être
perçus comme des espaces cristallisant un certain nombre de tensions liées au
territoire, mais aussi à l’affrontement entre des intérêts divergents en dehors de
l’espace national.
[Conclusion]
Les mers et océans sont des espaces fortement marqués par les enjeux
géopolitiques. En effet, à l’échelle mondiale, les tensions entre les États s’y
manifestent fortement, que ce soit pour le contrôle politique des espaces maritimes
ou pour l’intérêt économique que revêt le contrôle des ressources halieutiques et du
sous-sol. De ce fait, des conflits ouverts ou latents existent en mer et opposent, à
différentes échelles, des acteurs étatiques, mais aussi privés. Toutefois, les mers et
océans peuvent aussi être des espaces où s’expriment des tensions géopolitiques
dont ils ne sont pas l’objet, voire cristalliser des enjeux futurs. Ils sont en ce sens
instrumentalisés dans le jeu géopolitique mondial.
Le croquis de synthèse
MATÉRIEL NÉCESSAIRE
• Chercher à représenter des éléments qui ne sont pas lisibles à l’échelle de la carte.
• Utiliser le même figuré pour plusieurs types d’éléments ou différents figurés pour le
même type d’élément.
• Rechercher l’exhaustivité sans tenir compte de la problématique.
Trame schématique à suivre lors de la réalisation d’un croquis
Application
Croquis
Légende
Le commentaire de carte
géopolitique : le diatope
• Empiler les échelles les unes sur les autres sans penser un raisonnement
problématique unifié.
• Mélanger les échelles : on suivra une progression suivant une logique scalaire, qui
consiste à aller de l’échelle la plus petite vers la plus grande, ou de la plus grande
vers la plus petite.
Doc. 3 La Crimée
Source : d’après Questions internationales, no 50, juillet-août 2011.
Commentaire
Introduction
En février 2014, juste après le renversement du président ukrainien
Ianoukovitch au terme de la révolution de Maïdan, des troupes russes
prenaient le contrôle de la Crimée. Quelques jours plus tard, la population
de cette péninsule du sud de l’Ukraine est invitée à s’exprimer, par
référendum, pour ou contre le rattachement de la région à la Fédération de
Russie. Le résultat est sans équivoque, puisque 96,77 % des votants se
prononcent en faveur d’un rattachement qui n’a jamais été reconnu ni par
l’Ukraine, ni par la plupart des grandes puissances occidentales qui utilisent
le terme « d’annexion » pour qualifier l’événement. Au-delà de sa portée
internationale qui inaugure un cycle de sanctions toujours en cours à
l’encontre de la Russie, l’intégration de la Crimée à la Russie constitue un
phénomène dont les ressorts, causes et conséquences se déploient à des
échelles très diverses.
I. L’ancienne URSS, un espace traversé par des conflits territoriaux et identitaires
L’espace post-soviétique est traversé par de nombreux conflits qui trouvent
leurs sources dans les grands bouleversements territoriaux et identitaires
qu’a connus l’ancienne URSS ces 25 dernières années. C’est notamment le
cas dans la partie sud-est de l’ancien empire soviétique, où l’on ne
dénombre pas moins de cinq entités séparatistes soutenues par la Russie,
dont deux font l’objet d’un conflit armé actuellement très actif dans l’Est
ukrainien (Donbass).
Ces différents conflits territoriaux, qu’ils soient « gelés » ou actifs,
sont le produit d’une stratégie russe qui consiste à soutenir des minorités
ethniques au sein d’anciennes républiques soviétiques désormais
indépendantes, mais qui entretiennent des relations tendues avec Moscou.
C’est notamment le cas de la Géorgie et de l’Ukraine, deux pays
aujourd’hui en proie à plusieurs phénomènes séparatistes.
Officiellement, la Russie soutient ces séparatismes afin de protéger les
minorités qui y vivent des violations de leurs droits qu’exerceraient à leur
encontre les gouvernements géorgiens ou ukrainiens. De cette manière,
Moscou confirme son rôle de « gendarme » et de « protectrice » des
minorités dans l’espace post-soviétique, face à des dynamiques de
construction nationale ukrainiennes ou géorgiennes qui sont perçues
comme des menaces à la cohérence de cet ancien empire où la Russie
tente de regagner un rôle central. L’annexion de la Crimée fait partie
de cette stratégie de reconquête à la fois territoriale, mais également
politique, d’une primauté dans la région.
II. L’Ukraine, un État écartelé
Depuis la révolution de Maïdan, l’Ukraine fait figure de principal opposant
à cette politique d’influence russe. Peuplé de 44 millions d’habitants et
dépositaire de nombreux héritages industriels et technologiques soviétiques,
ce pays est un poids lourd démographique et économique de l’ancienne
URSS. Pourtant, la nation ukrainienne peine à se construire, elle qui fut
intégrée à l’empire russe en 1654 pour n’en plus jamais sortir jusqu’en
1991. Des siècles de guerres, d’entreprises de colonisation ou de
déplacements de population ont abouti à cette situation contemporaine où le
pays semble traversé par une profonde division ethnolinguistique : au nord-
ouest on retrouve les populations ukrainophones tandis qu’au sud-est, les
populations majoritairement russophones se répartissent sur un axe qui va
d’Odessa au Donbass en passant par la Crimée.
Cette division est en réalité bien plus complexe qu’une simple
opposition binaire, et beaucoup d’Ukrainiens parlent couramment le
russe et la langue nationale. Pourtant, cette « fracture » linguistique a fait
l’objet de nombreuses instrumentalisations qui ont abouti, en 2014, à
l’éclatement d’une guerre civile dans le Donbass et à l’incorporation de
la Crimée à la Fédération de Russie, au nom de la protection des
populations russes contre toute tentative « d’ukrainisation ».
III. La Crimée, une presqu’île stratégique et symbolique
Comme le montre le doc. 3, la Crimée est divisée en deux grandes régions :
au nord, le paysage est marqué par de grandes steppes arides où vivent de
nombreux Tatars de Crimée, c’est-à-dire la population musulmane qui
occupait la presqu’île avant l’arrivée des Russes. Le Sud montagneux est
quant à lui peuplé essentiellement de Russes, avec ses villages accrochés à
flanc de colline et ses stations balnéaires très prisées par les travailleurs
soviétiques (Yalta notamment). Dans les années 1960-1980, ils sont très
nombreux à venir s’y reposer dans les sanatoriums qu’y détiennent leurs
employeurs. À cet égard, la Crimée est une région qui résonne
particulièrement dans l’imaginaire collectif russe, puisqu’elle est pour
beaucoup associée à la nostalgie d’une époque révolue. Cet imaginaire a
joué un rôle central dans la mise en valeur de l’annexion de 2014 par le
pouvoir russe, qui l’a présentée comme un « retour dans la patrie ».
Mais la Crimée est aussi et surtout un territoire stratégique qui s’est
façonné au fil des guerres et des batailles, jusqu’à devenir un très haut
lieu du patriotisme russe. Conquise par les Russes à la fin du XVIIIe siècle,
la Crimée est immédiatement mise en valeur par Catherine II, qui y fonde
Sébastopol, une base navale destinée à conquérir les détroits (Bosphore et
Dardanelles) donnant accès à la Méditerranée. La ville de Sébastopol fait
l’objet de deux sièges particulièrement dévastateurs (1854-1855 et 1942),
qui ont grandement contribué à forger son image de « ville héroïne »
incarnant la bravoure militaire russe.
Léguée en 1954 à la RSS d’Ukraine, la presqu’île de Crimée est durant
la guerre froide le bastion de l’armée rouge le plus avancé face aux forces
de l’OTAN, dont fait partie la Turquie. Ceci explique l’intense
concentration d’infrastructures militaires sur la presqu’île, que la Russie
continua partiellement de contrôler après l’indépendance de l’Ukraine en
1991. Ainsi, jusqu’en 2014, Moscou louait les installations militaires de
Sébastopol à l’Ukraine, ce qui donnait régulièrement lieu à de très
violents débats au sein de la Rada (assemblée nationale ukrainienne) :
beaucoup voyaient dans la présence militaire russe sur le territoire
national une sorte de « cheval de Troie » pouvant permettre à la Russie
de reprendre le contrôle de la Crimée, ce qui fut fait en 2014.
Conclusion
Le conflit autour de la Crimée continue aujourd’hui, puisque de nombreux
pays n’ont jamais reconnu l’annexion russe. En outre, la presqu’île est
devenue pour les anciennes républiques soviétiques accueillant
d’importantes minorités russes le symbole d’une stratégie de conquête
territoriale dissimulée derrière l’impératif de protection des populations
russophones brandi par Moscou. Qu’elle soit avérée ou non, la perception
de cette stratégie construit l’image d’une « menace russe » qui est
aujourd’hui prégnante dans les relations Est-Ouest.
Le schéma fléché
Source : EL JIHAD M.-D., 2010, « Les difficultés de gestion des ressources “naturelles”
et de développement rural dans un milieu anthropisé : l’expérience du Projet Oued Srou
(Maroc central) », Norois [En ligne], 216|2010/3, mis en ligne le 1er décembre 2012,
consulté le 15 février 2017.
• Les relations entre les éléments sont toujours orientées et symbolisées par des
flèches, lesquelles peuvent être explicitées par une courte mention (dépend de,
influe sur, interagit avec, provoque, accélère, ralentit, etc.).
• Pour améliorer la lisibilité du schéma, on peut le diviser en différents sous-
ensembles thématiques ou spatiaux. Les éléments de même nature peuvent aussi
être colorés de manière identique. Une légende doit être associée pour expliquer le
code couleur adopté.
• La réalisation d’un schéma fléché nécessite l’usage d’un vocabulaire rigoureux
pour identifier et représenter le processus.
• La lisibilité est essentielle : la réalisation doit tenir sur une seule page et être la
plus claire possible pour que la fluidité du raisonnement puisse être facilement
suivie.
Document
Objectifs et moyens
Acteur Positionnement
d’action
Organisation
Organisation Édiction de normes
internationale
internationale internationales
de normalisation (ISO)
Organisation de
Union internationale des Organisme des
négociations à l’échelle
Télécommunications Nations unies
mondiale
2. Analyser l’article
Afin d’analyser un article de presse, il est possible de suivre la démarche
suivante :
■ Répondre aux questions : Qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Pourquoi ?
■ Étudier la structure de l’article : quels sont les points mis en avant ?
Les principales informations contenues dans l’article ?
■ S’interroger sur la construction de l’information : elle dépend du type
de journal, de l’intention de l’auteur et du public visé. Elle passe par :
– le choix de l’angle d’attaque (point ou point de vue sur lequel l’article
met l’accent) ;
– le type de source : témoignage, communiqué de presse, rapport,
entretien, reportage… ;
– la mise en récit par le journaliste : elle peut-être plus ou moins
factuelle, plus ou moins engagée, plus ou moins vivante.
■ S’interroger sur la réception de l’information par le destinataire :
l’information présentée est-elle destinée à un public local/régional ? ou
au contraire à un public plus large ? Est-elle proche du lecteur dans le
temps et dans l’espace ? Y a-t-il une dimension affective ? Est-elle
destinée à provoquer une réaction de la part du lecteur ?
3. Rédiger l’analyse
À partir des réponses à ces questions et d’une lecture attentive, une
analyse critique peut-être construite en trois temps :
■ un résumé de l’information comprenant le thème de l’article, l’idée
principale défendue par son auteur, les grandes idées clés qui le
structurent ;
■ un commentaire replaçant l’information dans son contexte et analysant
avec une distance critique le point de vue que l’article porte sur
l’information ;
■ une conclusion mettant en avant les principaux points utiles pour la
réflexion géographique.
Conseils et erreurs à éviter !
Un exercice d’analyse d’un article de presse conduit souvent aux erreurs suivantes :
• Paraphraser l’article sans l’analyser.
• Reprendre à son compte le point de vue de l’auteur sans distanciation.
• Oublier de réinsérer l’article dans son contexte spatio-temporel.
• Oublier de prendre en compte les illustrations (photographies, cartes,
graphiques…) qui accompagnent l’article.
Document
« Les huit pays membres du Conseil de l’Arctique, réunis mardi 7 mai à Rovaniemi
(Finlande), ont échoué à rédiger leur traditionnelle déclaration finale à cause, selon
des délégués, du refus des États-Unis d’y mentionner le changement climatique. Au
début de la 11e réunion ministérielle de l’instance de coopération régionale qu’il
préside, le ministre finlandais des Affaires étrangères, Timo Soini, a annoncé, sans
explication, un changement de l’ordre du jour, la déclaration commune finale étant
remplacée par des déclarations ministérielles séparées.
Ce changement illustre une impossibilité entre les États membres à se mettre
d’accord, les États-Unis refusant seuls contre tous les autres de mentionner le
changement climatique dans le texte final, a-t-on appris de sources concordantes.
[…] “Le problème, c’est que l’Amérique rend difficile la conclusion d’un accord final”,
a confié à l’AFP Sally Swetzof, de l’Association internationale des Aléoutes, une des
six organisations représentant les populations indigènes au sein du Conseil de
l’Arctique.
L’instance, où l’accent est généralement mis sur la coopération sans friction,
regroupe les États-Unis, la Russie, le Canada et les cinq États nordiques (Suède,
Norvège, Danemark, Finlande et Islande).
Dans un discours prononcé lundi à Rovaniemi à la veille de la réunion ministérielle,
le secrétaire d’État américain Mike Pompeo s’en était violemment pris à la Chine et à
la Russie, dont il avait fustigé “l’attitude agressive” dans l’Arctique. Il n’avait en
revanche pas mentionné une seule fois la formule “changement climatique” alors
que, selon les scientifiques, le réchauffement est deux fois plus rapide dans la région
que dans le reste du monde. »
Source : « Climat : les États-Unis accusés d’avoir torpillé une déclaration du Conseil
de l’Arctique », Le Monde du 7 mai 2019.
Analyse
Commentaire