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MISE AU POINT

Hypertension artérielle
secondaire
Quand et comment la rechercher ?
Par Erika Cornu, Jean-Baptiste de Fréminville,
Centre de soins, de recherche et d’enseignement en hypertension artérielle
Hôpital européen Georges-Pompidou, Université de Paris, Paris
erika.cornu@aphp.fr

L’
hypertension artérielle (HTA) - HTA résistante : PAS ≥ 135 mmHg et/ou Hyperaldostéronisme primaire
touche environ 15 millions de per- PAD ≥ 85 mmHg en automesure tension- Première cause d’HTA secondaire, elle
sonnes en France. Il s’agit du pre- nelle, sous trithérapie associant inhibi- concerne 6 à 10 % des patients hyperten-
mier facteur de risque modifiable de teur du système rénine-angiotensine, dus et jusqu’à 20 % en cas d’HTA résis-
décès et de maladie cardiovascu- inhibiteur calcique et diurétique thiazi- tante.2 L’hypokaliémie est présente dans
laire. Sa prise en charge représente dique ou apparenté ; seulement 50 % des cas : une kaliémie
donc un enjeu majeur de santé publique. - HTA diagnostiquée avant 40 ans ; normale ne permet donc pas d’éliminer
Pour 5 à 15  % des patients, l’HTA est - présence d’une atteinte d’organes ce diagnostic.
« secondaire », ce qui est loin d’être anec- cibles ; Le dépistage de l’hyperaldostéronisme
dotique. La recherche et l’identification - signes cliniques, biologiques ou radio­ primaire repose sur la mesure du rapport
précoce d’une cause permettent de pro- logiques évocateurs d’une origine en- aldostérone/rénine plasmatique
poser un traitement spécifique pour un docrine : symptômes évocateurs de phé- (RAR) en conditions standardisées :
meilleur contrôle tensionnel, voire d’at- ochromocytome/paragangliome (PPLG) - le matin, à jeun, après quinze minutes
teindre la guérison. Les causes endocrines ou d’hypercortisolisme ; hypo­kaliémie en position assise (les dosages couché/
et rénovasculaires sont à rechercher en spontanée ou induite par la prise de diu- debout ne sont plus recommandés) ;
priorité et nécessitent le plus souvent une rétiques, permanente ou intermittente ; - en condition de normokaliémie (en
prise en charge en centre de référence. Il nodule surrénal ≥ 10 mm ; cas d’hypokaliémie, il est nécessaire de
est également important de rechercher - signes cliniques, biologiques ou ra- réitérer les dosages après supplémen-
une prise de toxiques ou de certains mé- diologiques en faveur d’une anomalie tation, en raison du risque de faux
dicaments pouvant favoriser l’apparition rénale ou vasculaire. négatifs) ;
ou le déséquilibre d’une HTA. - après arrêt des traitements interférents :
• depuis deux semaines : bêtabloquants,
PRINCIPALES CAUSES : inhibiteurs de l’enzyme de conversion,
CHEZ QUELS PATIENTS L’ÉVOQUER ? COMMENT LES RECHERCHER ?
antagonistes des récepteurs de l’an-
Les recommandations de prise en charge Trois grandes causes d’HTA secondaire giotensine II, tous les diurétiques ;
de l’HTA ont été mises à jour en 2018 par sont possibles : endocrine, rénovasculaire • depuis six semaines : antagonistes du
l’European Society of Cardiology (ESC) et ou toxique (tableau 1). récepteur minéralocorticoïde ;
l’European Society of Hyper­tension • depuis trois mois : contraception œstro­
(ESH).1 Elles définissent les six critères CAUSES ENDOCRINES progestative.
qui doivent faire rechercher une HTA Elles sont le plus souvent secondaires à une Si besoin, des traitements antihyper­
secondaire : anomalie d’une ou des deux surrénales ; tenseurs « neutres » sont prescrits dans
- HTA de grade 3 : pression artérielle leur recherche nécessite la réalisation de l’intervalle (inhibiteurs calciques non di-
systolique (PAS) ≥  180  mmHg et/ou dosages hormonaux. Une tomodensito­ hydropyridines, antihypertenseurs cen-
pression artérielle diastolique métrie des surrénales normale ne permet traux, alphabloquants) et éventuellement
(PAD)≥ 110 mmHg ; pas d’éliminer une cause endocrine. une supplémentation potassique.

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L’ESSENTIEL
5 à 15 % des patients hypertendus L’hyper­ Une augmentation de créatinine Rechercher une
ont une HTA d’origine secondaire. aldostéronisme ≥ 30 % après l’instauration d’un inhi­ cause toxique ou médica­
Il est impératif de la rechercher en cas primaire est la biteur du système rénine-angioten­ menteuse et des facteurs
d’HTA sévère, résistante, juvénile ou première cause d’HTA sine doit faire rechercher une sténose favorisants doit être
devant des signes évocateurs. secondaire. athéromateuse des artères rénales. systématique.

Phéochromocytomes
TABLEAU 1. PRINCIPALES CAUSES D’HTA SECONDAIRE
et paragangliomes (PPGL)
Causes Prévalence* Dépistage Il s’agit de tumeurs neuro-endocrines
Endocrines Hyperaldostéronisme primaire 6-10 % Kaliémie rares pouvant sécréter des catéchola-
Rapport aldostérone/rénine mines en excès et être donc à l’origine
plasmatique (conditions d’une hypertension artérielle.3 Il existe
standardisées)
souvent des signes associés : céphalées,
Phéochromocytome- < 1 % Métanéphrines et normétané­ sueurs, palpitations, constipation, ma-
paragangliome sécrétant phrines urinaires des 24 heures laises avec pâleur, hypotension orthosta-
Créatininurie des 24 heures tique. Le diagnostic repose sur la mesure
Hypercortisolisme < 1 % Test de freinage minute des métanéphrines urinaires des
Cortisolurie des 24 heures 24 heures avec dosage concomitant de
Acromégalie < 1 % IGF-1 la créatininurie des 24 heures. La me-
Dysthyroïdie TSH sure des métanéphrines plasmatiques est
Hyperparathyroïdie primaire Calcémie, albuminémie, PTH 1-84 possible, mais n’est pas remboursée.
Artérielle rénale Sténose artérielle rénale 1-10 % Créatininémie La sensibilité de ces mesures étant élevée,
Dysplasie fibromusculaire Échodoppler artériel rénal un résultat normal chez un patient
Angio-TDM (angio-IRM symptomatique permet d’éliminer le
si contre-indication) diagnostic de PPGL sécrétant. En cas de
Maladies rénales Glomérulonéphrite aiguë/ 2-10 % Créatinine plasmatique résultat élevé, il est usuel de réaliser une
chronique (vascularite à Bandelette urinaire t o m o d e n s i t o m é t r i e t h o r a c o -­
ANCA, néphropathie à IgA, Examen cytobactériologique abdomino-pelvienne et une imagerie
lupus érythémateux des urines fonctionnelle (18F-FDOPA–TEP/TDM,
disséminé…) Microalbuminurie/créatininurie 18
F-FDG-TEP/TDM, 68Ga-SSA-TEP/TDM)
Échographie rénale
Microangiopathies afin de localiser la ou les tumeurs. La scin-
thrombotiques tigraphie 123I-MIBG n’est plus indiquée en
Polykystose rénale première intention (sauf dans des cas par-
autosomique dominante ticuliers de PPGL métastatiques).
Séquelles de pyélonéphrites,
tumeur à rénine, infarctus Hypercortisolisme ou syndrome
rénal de Cushing
Il est le plus souvent d’origine hypo-
Coarctation < 1 % Échodoppler cardiaque
de l’aorte (avec visualisation de la crosse physaire ou surrénale.4 Les principaux
aortique) signes sont  : obésité avec répartition
faciotronculaire des graisses, fragilité cu-
Autres facteurs Consommation excessive de sel
tanéovasculaire (vergetures pourpres,
favorisants Obésité
Syndrome d’apnées du sommeil érythrose faciale, ecchymoses), amyotro-
phie proximale, diabète, hypokaliémie. Il
* Au sein d’une population de patients hypertendus.
est recherché en cas de signes cliniques
évocateurs ou d’anomalies des surrénales
En cas d’élévation du RAR et en l’absence veines surrénales. En cas de sécrétion sur la tomodensitométrie. Le dépistage
de contre-indication, une tomodensi­ latéralisée, une surrénalectomie unila- repose sur la cortisolurie des 24 heures
tométrie (TDM) avec coupes fines cen- térale peut être proposée, avec une amé- (avec créatininurie) et sur la mesure de
trées sur les surrénales, sans et avec lioration du contrôle tensionnel dans la cortisolémie à 8 h après la prise la
injection de produit de contraste iodé, 90% des cas et une guérison tensionnelle veille à minuit de deux comprimés de
est réalisée. Les surrénales peuvent être dans environ 40 % des cas. Dans le cas dexaméthasone 0,5 mg (test de frei-
normales ou avoir des anomalies uni- ou contraire ou si les explorations ne sont nage minute). Un freinage insuffisant
bilatérales (nodule, hyperplasie). Une pas poursuivies, un traitement spéci- (> 50 nmol/L) doit inciter à poursuivre les
recherche de latéralisation de l'hypersé- fique par bloqueur du récepteur minéra- explorations. La cortisolurie des 24 heures
crétion d'aldostérone est éventuelle- locorticoïde (spironolactone) est recom- doit être réalisée avant le test de freinage,
ment menée par un cathétérisme des mandé. pour ne pas en fausser le résultat.

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MISE AU POINT HYPERTENSION
ARTÉRIELLE SECONDAIRE

CAUSES RÉNOVASCULAIRES
TABLEAU 2. PRINCIPALES CAUSES MÉDICAMENTEUSES ET TOXIQUES D’HTA
L’HTA secondaire peut trouver son ori-
gine dans des anomalies rénovasculaires Causes médicamenteuses Antidépresseurs : tricycliques, venlafaxine
ou rénales pures.5 Anti-inflammatoires non stéroïdiens
Corticothérapie orale, inhalée ou percutanée
Atteintes artérielles rénales Éphédrine et pseudo-éphédrine (y compris les décongestionnants
nasaux)
Elles sont évoquées devant certains
Contraception œstroprogestative (orale, vaginale, percutanée)
éléments cliniques, biologiques et radio-
Immunosuppresseurs : ciclosporine, tacrolimus
logiques : œdème aigu pulmonaire flash,
Antiangiogéniques : anti-VEGF (bévacizumab, par exemple), inhibiteurs
souffle abdominal auscultatoire, dégra-
de tyrosine kinase (sunitinib, par exemple)
dation de la fonction rénale après
Érythropoïétine
instauration d’un inhibiteur du système
Fludrocortisone
rénine-angio­tensine (augmentation de
la créatinine de plus de 30 %), asymétrie Causes toxiques Alcool
de la taille des reins (différence supé- Cannabis
rieure à 1,5 cm) en imagerie. Cocaïne
La sténose athéromateuse uni- ou bila- Amphétamines
térale (90 % des cas de sténose) est pré- LSD (diéthylamide de l’acide lysergique)
sente en particulier chez des patients Réglisse (y compris sous forme de pastis, pastis sans alcool, tisane,
ayant de multiples facteurs de risque car- confiseries...)
diovasculaires.
La dysplasie fibromusculaire est rare et
concerne préférentiellement les femmes de maladie auto-­immune et/ou des signes FACTEURS AGGRAVANTS
d’âge moyen, sans facteurs de risque. Les cliniques extrarénaux évocateurs. La pré- La consommation excessive de sel (éva-
sténoses peuvent être uni- ou bilatérales, sence d’une insuffisance rénale, d’une luable par la mesure de la natriurèse),
multifocales et/ou multisites (atteinte asso- protéi­nurie significative (supérieure à une obésité ou un syndrome d’apnées du
ciée des troncs supra-­aortiques, des artères 0,5 g/g de créatininurie), d’une hématurie sommeil sont des facteurs aggravants
digestives ou des membres inférieurs). et/ou d’une anomalie morphologique dont la recherche est également indis-
La coarctation de l’aorte est en général rénale doit alerter le clinicien. En cas pensable (tableau 1).
diagnostiquée dans l’enfance, mais il de suspicion, il est usuel d’adresser le pa- L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.
peut arriver que ce diagnostic soit posé tient à un néphrologue, qui évaluera la
Voir aussi dans notre dernier numéro
chez l’adulte jeune. nécessité de réaliser un bilan étio­logique
notre dossier « HTA essentielle »
La réalisation d’une angiotomodensito- complet.
métrie (en l’absence de contre-indica-
tion) et/ou d’un échodoppler artériel CAUSES IATROGÈNES OU TOXIQUES RÉFÉRENCES
rénal est nécessaire pour affirmer chacun Une cause médicamenteuse doit systéma- 1. Williams B, Mancia G, Spiering W, et al. 2018 ESC/ESH
Guidelines for the management of arterial hyperten-
de ces diagnostics et évaluer le retentis- tiquement être recherchée : prise régulière sion. The Task Force for the management of arterial
sement fonctionnel. d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, de hypertension of the European Society of Cardiology
certains antidépresseurs, de décongestion­ (ESC) and the European Society of Hypertension (ESH).
Hypertens 2018;36(10):1953-2041.
Maladies rénales nants nasaux et de corticoïdes, etc. 2. Amar L, Baguet JP, Bardet S, et al. Consensus sur l’hy-
Elles peuvent également être la cause (tableau 2).6 La survenue d’une HTA chez peraldostéronisme primaire de la SFE/SFHTA/AFCE : in-
d’une HTA. Il est donc recommandé de une femme sous contraception œstro­ troduction et guide. Ann Endocrinol 2016;77(3):179‑86.
3. Cornu E, Belmihoub I, Burnichon N, et al. Phéo-
doser la créatininémie chez tout pa- progestative (pilule, anneau vaginal, œstro­ chromocytome et paragangliome. Rev Med Interne
tient hypertendu. Cependant, l’insuffi- gènes percutanés) doit mener à l’arrêt 2019;40(11):733‑41.
sance rénale peut aussi être la consé- définitif de cette dernière. Les alternatives 4. Nieman LK. Cushing’s syndrome: update on signs,
symptoms and biochemical screening. Eur J Endocrinol
quence d’une HTA ancienne et mal sont alors le dispositif intra-­utérin au cuivre 2015;173(4):M33-38.
contrôlée. Il n’est pas toujours facile de ou hormonal, l’implant contraceptif, la pi- 5. Textor SC, Lerman L. Renovascular hypertension and is-
faire la part entre cause et conséquence. lule micro-ou macroprogestative. chemic nephropathy. Am J Hypertens 2010;23(11):
Une maladie rénale primitive est évoquée Le patient doit également être interrogé ­1159‑69.
6. Grossman A, Messerli FH, Grossman E. Drug induced
devant des antécédents familiaux de ma- sur une consommation éventuelle de hypertension–An unappreciated cause of secondary
ladie rénale, des antécédents personnels toxiques, en particulier d’alcool. hypertension. Eur J Pharmacol 2015;763(Pt A):15‑22.

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