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Sommaire
Comment analyser un documentaire ?.............. 1
Une autre approche......................................... 2
La Cour de Babel................................................... 5
1. De quoi parle le film ?................................. 5
2. Quel est le contexte du film ?.................... 6
3. Comment le propos est-il traduit à
l’écran ?........................................................ 8
Comment analyser
Comment j’ai détesté les maths.........................10
1. De quoi parle le film ?...............................10 un documentaire ?
2. Quel est le contexte du film ?..................12
3. Comment le propos est-il traduit à
l’écran ?......................................................13
L’image manquante............................................16
Le documentaire semble se suffire à lui-même, faisant découvrir une réalité
1. De quoi parle le film ?...............................16 peu ou mal connue des spectateurs. Mais au-delà de cet aspect d’information,
2. Quel est le contexte du film ?..................19 il traduit, comme tout autre film, un point de vue, il donne une représentation
3. Comment le propos est-il traduit à partielle (et parfois partiale) de la réalité, il suscite également des questions sur
l’écran ?......................................................20
Figurines...................................................20 le monde qui nous entoure. Ainsi, tout documentaire nous montre le monde
Montage...................................................22 mais il nous donne également à penser, à réfléchir, à discuter, à contester peut-
Au-delà......................................................22 être…
Dancing in Jaffa...................................................24 Comment dès lors analyser un tel film notamment en situation d’animation
1. De quoi parle le film ?...............................24
Ce que montre, ce que dit le film........26 avec des spectateurs de tout horizon ? Comment faire en particulier le partage
2. Quel est le contexte du film ?..................37 entre ce qui relève de la réalité et ce qui dépend du point de vue du réalisateur ?
3. Comment le propos est-il traduit à Comment également distinguer entre le documentaire lui-même, ce qu’il dit,
l’écran ?......................................................39
ce qu’il montre, ce qu’il suggère éventuellement, et la vision, l’interprétation, la
perception que peuvent en avoir les différents spectateurs ?
Le cinéma documentaire
1. Il y a beaucoup d’études et de réflexions sur le Il existe ça et là des « méthodologies» ou des méthodes d’analyse 1, mais
documentaire (par exemple Jean-Louis Comol- elles se révèlent en général disparates et peu praticables : la diversité des docu-
li, Voir et pouvoir. L’innocence perdue : cinéma,
Écran large sur tableau noir
télévision, fiction, documentaire. Paris, Verdier, mentaires semble en effet peu propice à une approche uniforme, et les conseils
2004 ou François Niney, L’Épreuve du réel à qui semblent pertinents pour certains d’entre eux le sont sans doute moins
l’écran : essai sur le principe de réalité documen- pour d’autres.
taire. Bruxelles, De Boeck, 2002), mais il s’agit
en général de défendre une certaine conception
Ces méthodologies se concentrent en outre sur le point de vue de l’auteur
du documentaire (face notamment au repor- qui n’est évidemment pas « objectif », mais elles renoncent ainsi rapidement
tage de télévision) et d’expliquer la démarche à toute réflexion approfondie sur la réalité qui est pourtant l’objet premier et
du documentariste comme auteur. L’attitude
essentiel du regard documentaire : il est vrai qu’il est difficile de proposer une
des spectateurs réels est peu interrogée en tant
que telle (sinon qu’on suppose qu’ils partagent même méthodologie pour aborder des réalités aussi différentes que l’histoire,
ou devraient partager le regard de l’auteur). Les la société, l’éducation, les sciences, l’ethnologie, la nature ou n’importe quel
méthodologies auxquelles on fait allusion sont autre thème susceptible d’intéresser un documentariste. Un peu paradoxale-
plutôt des petits guides d’analyse publiés entre
autres par les centres de documentation péda- ment, l’analyse du documentaire renonce ainsi rapidement à toute réflexion
gogique en France. sur la réalité elle-même.
Enfin, les méthodologies proposées suggèrent des consignes d’observation
portant sur des aspects relativement limités du film comme la présence ou
l’absence d’une voix off, l’origine des images utilisées (filmées par le documen-
tariste lui-même ou tirées d’archives), la présence plus ou moins marquée de la
caméra, les techniques du montage (avec ses ellipses éventuelles, ses boulever-
sements chronologiques, ses effets de parallélisme ou de contraste) et d’autres
caractéristiques du travail cinématographique. Si toutes ces observations ont
sans doute une certaine pertinence, il est cependant très difficile de les relier
entre elles, d’en interpréter le sens ou la valeur, et surtout de les inscrire dans
une perspective d’ensemble.
Lorsqu’on suggère en outre d’analyser une séquence plus précise, supposée
significative, il devient très difficile de proposer une interprétation globale
du film, du propos de son auteur, de sa portée, de son ambition. Il manque
en particulier des procédures claires et explicites qui permettent de passer de
ces observations locales au sens que ces éléments sont supposés avoir, que ce
soit au niveau de la séquence elle-même ou de l’ensemble du film. Ainsi, il est
sans doute important de remarquer la présence d’un commentaire en voix off
mais il est beaucoup plus difficile — de façon purement analytique, sans in-
formations extérieures — d’en tirer de véritables conclusions et de répondre à
des questions aussi simples que : « le commentaire est-il exact ? est-il orienté ?
masque-t-il des faits importants ? est-il pertinent ? traduit-il un point de vue
subjectif ou énonce-t-il des faits objectifs ? que doit-on en conclure ? »
Quatre films en analyse
Ces trois questions doivent être, on le comprend sans doute, traitées dans
cet ordre : il s’agit d’abord de proposer une interprétation d’ensemble du do-
cumentaire, nécessairement hypothétique, de situer le documentaire dans son
contexte (cinématographique, culturel, idéologique…) et enfin d’analyser sa
construction, sa « forme », sa mise en scène en fonction de l’hypothèse in-
terprétative de départ. Cette méthodologie reste malheureusement pour une
part intuitive, même si l’on essaiera de l’appliquer à quelques exemples de do-
cumentaires dans les pages qui suivent. Pour chacune des trois grandes étapes
précédemment distinguées, l’on proposera notamment une série de sous-ques-
tions destinées à alimenter la réflexion des spectateurs.
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Le cinéma documentaire
Écran large sur tableau noir
1. interpréter
Déterminer le propos du documentaire De quoi parle le documentaire ? Quelle réalité évoque-t-il ? Quel sens
donne-t-il à cette réalité ?
Que dit-il de cette réalité ? Que montre-t-il de spécifique sur cette réa-
lité ?
Pourquoi le documentariste s’intéresse-t-il à cette réalité ? Sous quel
jour — positif, négatif, neutre… — montre-t-il cette réalité ?
➮
2. Mettre en contexte
Comparer le propos du documentaire à d’autres Quels sont les autres points de vue sur la réalité mise en scène ?
représentations, à d’autres points de vue Qu’est-ce que le documentaire dit de spécifique par rapport à ces autres
points de vue ?
Que sait-on par ailleurs de la réalité mise en scène ?
Quels aspects de la réalité mise en scène n’apparaissent pas dans le docu-
mentaire ?
➮
3. Analyser la forme
Analyser la mise en forme du propos Quelles sont les caractéristiques de la mise en scène qui soulignent,
confirment, accentuent, mettent en évidence le propos du film ?
Quels types d’éléments (dialogues, images, interviews, prises de vue…)
apparaissent dans le documentaire pour traduire ce propos ?
Quelle est la construction d’ensemble du documentaire ? Comment le
propos général est-il articulé en différentes parties ?
Quels éléments semblent échapper au propos général du documentaire ?
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Quatre films en analyse
La Cour de Babel
Écran large sur tableau noir
cours de laquelle ils bénéficieront d’un encadre- spectateurs, se pose la question de savoir si cette classe était unique, excep-
ment spécifique leur permettant de s’adapter
et de s’intégrer au système socio-culturel et
tionnelle, ou si au contraire elle est représentative de ce qui se passe dans un
scolaire belge. Ils pourront ensuite être diri- grand nombre d’écoles en France et ailleurs : bien entendu, la réponse peut être
gés vers l’enseignement qui leur convient le nuancée — il peut s’agir d’une situation relativement rare ou bien relativement
mieux. » Bien entendu, il y a peu d’enquêtes fréquente —, mais elle implique de dépasser le cadre du documentaire et de
sur le terrain, et le film de Julie Bertuccelli peut
être considéré comme une première source rechercher des informations extérieures (par exemple sur l’existence d’autres
d’information concrète sur ce genre de classes. classes d’accueil 1).
Le cinéma documentaire La Cour de Babel
Si le thème du film est évident, il est sans doute plus difficile de détermi-
ner son propos : que doit-on comprendre de l’observation de cette classe, de
Écran large sur tableau noir
Le contexte n’est pas visible dans le film (sauf de façon très indirecte) mais
il est certainement à l’esprit de nombreux spectateurs parce qu’il est fortement
polémique. En France comme dans beaucoup d’autres pays d’Europe, les im-
migrés récents sont perçus et dénoncés par une frange de plus en plus impor-
tante de l’opinion publique comme indésirables pour de multiples raisons : ils
seraient trop nombreux, ils profiteraient d’un système social trop généreux,
ils ne voudraient pas réellement s’intégrer, ils seraient tentés par le « com-
Quatre films en analyse La Cour de Babel
Le cinéma documentaire La Cour de Babel
en effet dans des situations précaires, plus ou moins irrégulières, et ils sont
menacés en particulier par une expulsion brutale. Sur ce point, les exemples
ne manquent pas d’élèves qui sont renvoyés dans leur pays d’origine malgré
un parcours scolaire régulier et un séjour long souvent de plusieurs années en
France ou dans un autre pays européen.
jeune Africaine est sous l’autorité d’une belle-mère avec la menace d’un retour
en Guinée ; une adolescente asiatique doit travailler le soir dans un restaurant
familial ; un jeune Irlandais souffre du symptôme d’Asperger (une forme légère
d’autisme qui rend problématiques les relations sociales) ; et il est difficile pour
une jeune Arabe de participer à un voyage scolaire à Chartres parce que sa
mère la réclame à la maison (on devine, même si ce n’est pas clair, que la mère
ne maîtrisant pas du tout le français vit pratiquement en recluse).
Quatre films en analyse La Cour de Babel
même penser que la réalisatrice s’est plus spécialement attachée à cette jeune
fille parce qu’elle « résistait » — sans doute de façon un peu irrationnelle et
injuste — à l’école, à son entourage et au monde en général. À travers elle, c’est
la difficulté à vivre — particulièrement sensible à l’adolescence — qui trans-
paraît et qui la rend sans doute plus particulièrement attachante même si cela
l’empêche de réussir.
Le cinéma documentaire
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Quatre films en analyse Comment j’ai détesté les maths
On remarque que tous ces thèmes sont abordés à travers les interviews de
mathématiciens, qui parfois affichent des opinions divergentes (en particulier
Écran large sur tableau noir
sur les causes et les conséquences de la crise financière), sans que l’on puisse
cependant déterminer clairement quel est le propos de l’auteur du film, Olivier
Peyon : partage-t-il les opinions exprimées ? suggère-t-il quelque chose à tra-
vers ces différentes interviews ? que nous dit-il en définitive de l’univers des
mathématiques et des mathématiciens ?
1. On considérera ici l’auteur du film comme Si l’on s’interroge ainsi sur l’auteur du film 1, l’on peut supposer avec une
étant une « figure » hypothétique, reconstruite certaine vraisemblance qu’il se situe lui-même dans le « camp » des non-ma-
à partir du film lui-même, même s’il n’y appa-
raît pas en tant que tel ; mais nous supposons thématiciens : même si la plupart des spectateurs ont été confrontés aux ma-
en voyant ce film qu’il a été réalisé sous la res- thématiques, très peu l’ont été au niveau supérieur, et le réalisateur nous invite
ponsabilité d’une seule personne (même se elle sans doute à découvrir, comme lui-même l’a fait, un univers très largement mé-
a dirigé une équipe de réalisation) et que tous
les éléments qui le composent ont été choisis,
connu, pratiquement étranger, un peu comme un ethnologue s’en va observer
retenus, suscités, agencés en fonction d’inten- une tribu d’une civilisation primitive (ou « première »). De manière un peu
tions implicites dont nous pouvons (ou non) plus précise, l’on peut même dire qu’Oliver Peyon fait un documentaire qui
reconstruire le sens. porte plus sur les mathématiciens que sur les mathématiques elles-mêmes : de
celles-ci, aucune vulgarisation ne nous sera proposée et nous n’apprendrons
rien de précis à leur propos. Tout au plus, nous découvrirons l’une ou l’autre
application des mathématiques soit à des objets techniques (la pose d’un câble
sous-marin), soit au domaine financier.
Le documentariste est sans doute fasciné par cet univers et par ses prin-
cipaux « personnages », à savoir les mathématiciens, notamment parce que
les mathématiques jouent un rôle de plus en plus important mais néanmoins
méconnu dans la vie moderne : deux exemples essentiellement illustrent cette
importance nouvelle, l’informatique dont les bases sont mathématiques et
qui pourrait à terme remplacer l’intelligence humaine — c’est ce que pense en
tout cas une des personnes interrogées —, et les mathématiques financières
qui seraient au cœur de la crise de 2008 (dite des « sub-
primes »).
On remarque cependant que le réalisateur rapporte
différents points de vue plus ou moins éloignés sur la
place future des ordinateurs mais ne semble pas prendre
parti pour l’une ou l’autre opinion. En revanche, l’on de-
vine dans toute la séquence sur la crise financière qu’il
est certainement plus favorable à l’intervenant (George
Papanicolaou) qui stigmatise le rôle des mathématiciens
dans cette crise et qui parle avec chaleur et émotion des ef-
fets sur la vie quotidienne de milliers de personnes, qu’au
mathématicien Jim Simons qui s’est reconverti dans la fi-
nance et a été un des premiers à utiliser ces outils (qui ont
d’ailleurs fait sa fortune).
L’image que le documentaire donne des mathématiques (et des mathé-
maticiens) est dont ambivalente : domaine fascinant, outil d’une puissance
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Le cinéma documentaire Comment j’ai détesté les maths
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Quatre films en analyse Comment j’ai détesté les maths
film donne donc très certainement une image partielle et surtout fragmen-
taire de la recherche mathématique et de ses multiples applications dans la
Écran large sur tableau noir
société d’aujourd’hui.
On peut également s’interroger sur les transformations et l’extension du
champ des mathématiques que le film semble décrire comme un domaine uni-
fié alors qu’il se diversifie sans doute de plus en plus. Il serait faux en effet de
croire que les mathématiques n’ont acquis que récemment
une importance sociale alors qu’elles sont utilisées depuis
très longtemps, comme on l’a signalé, notamment en ingé-
nierie et qu’elles ont donc joué un rôle important dans la
révolution industrielle. Mais c’est vrai aussi qu’un nouvel
instrument, l’ordinateur, de plus en plus largement uti-
lisé, leur ont donné une importance sociale inédite. Ainsi,
la crise financière de 2008 s’explique sans doute par le re-
cours aux instruments mathématiques (comme la théorie
des probabilités) mais également et peut-être surtout par
les nouvelles possibilités offertes par les ordinateurs (ou superordinateurs) et
les réseaux informatiques qui permettent de réagir beaucoup plus vite aux fluc-
tuations des marchés (ce qu’on appelle le « trading à haute vitesse ») : ce sont
ces instruments techniques qui ont en particulier provoqué le flash crash de
2010 évoqué dans le film.
On remarquera également, même si c’est une évidence, que les crises finan-
cières sont antérieures à l’utilisation de ces nouveaux instruments mathémati-
ques et qu’elles résultent d’abord et avant tout du système financier (bancaire,
boursier…) lui-même. Cependant, comme le remarque un des intervenants
du film, le développement des mathématiques financières a accru l’opacité du
système qui semble échapper à ses concepteurs et que ne comprennent ni les
régulateurs financiers, ni les gouvernements, ni surtout les peuples (comme la
Grèce) qui en subissent les conséquences.
Le documentaire d’Olivier Peyon apporte donc certainement un éclairage
original sur un domaine mal connu du grand public, mais l’on devine aussi
que cet éclairage est limité et que beaucoup de phénomènes abordés dans le
film — les différents aspects de la recherche mathématique, les mathémati-
ques appliquées, l’utilisation des mathématiques dans le monde d’aujourd’hui,
la crise financière… — méritent d’autres développements et d’autres analyses
si l’on veut en avoir une meilleure compréhension. Autrement dit, Comment
j’ai détesté les maths ne se présente évidemment pas comme un traité ou une
démonstration ni même une analyse, mais plutôt comme une exploration qui
multiplie les coups de projecteur sur différents aspects d’un domaine dont il
laisse apercevoir l’étendue, la diversité, les transformations et surtout la com-
plexité.
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Le cinéma documentaire Comment j’ai détesté les maths
Fields, des images de rues en Inde ou ailleurs, quelques extraits de bandes d’ac-
tualité sur la crise financière… — mais ces images précisément illustrent mais
ne font pas « sens » : ce sont les propos des mathématiciens spécialistes qui
transmettent l’essentiel du propos du film, qui décrivent, expliquent, commen-
tent, vulgarisent aussi ce que sont les mathématiques aujourd’hui dans leurs
différents aspects. Chaque intervenant apporte alors son propre éclairage ou
même plusieurs éclairages sur un domaine multiforme.
Ainsi, de façon sommaire, on peut relever parmi les différents thèmes abor-
dés :
— les mathématiques vues par les élèves
— la définition des mathématiques par Villani « rigoureuses mais imagi-
natives, inégalitaires mais démocratiques »
— le prodigieux renouvellement des mathématiques au XXe siècle et
l’augmentation considérable du nombre de mathématiciens
— différentes approches pédagogiques des mathématiques
— le jugement globalement négatif sur les maths modernes (Bourbaki)
d’un point de vue pédagogique
— le rôle indu des mathématiques dans la sélection scolaire
— les conditions nécessaires à la recherche mathématique et à la qualité
des échanges entre mathématiciens (comme à l’Institut de Recherches
mathématiques à Oberwolfach en Allemagne)
— la beauté en mathématiques (la statue énigmatique)
— la différence entre mathématiques pures et appliquées (l’écoulement
du spaghetti)
— la place grandissante des ordinateurs qui sont des outils mathémati-
ques et leur rôle futur dans la résolution de problèmes (l’intelligence
artificielle)
— la crise des subprimes et le rôle des mathématiques financières
— des réflexions finales sur la place du hasard et de l’incertitude dans la
vie, sur la science qui doit faire du doute une vertu, sur la nécessité de
penser par soi-même sans croire aucune autorité…
Les propos des différents mathématiciens ne sont pas contradictoires (si
l’on excepte la crise financière où la manière d’interviewer les deux intervenants
ainsi que la pertinence de leurs arguments donnent cer-
tainement l’avantage à George Papanicolaou, particuliè-
rement critique par rapport à l’utilisation de ces nouveaux
instruments mathématiques) mais donnent, comme on
l’a vu, une image fragmentaire sinon disparate de cet uni-
vers. Cependant, si l’on considère les principaux thèmes
relevés ci-dessus et la manière d’agencer les interviews, on
constate facilement que le documentaire alterne de façon
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Quatre films en analyse Comment j’ai détesté les maths
avec la mise en scène d’un professeur enthousiaste aux cheveux longs et à l’ap-
parence bohème, mais avec également une mise en cause de la pédagogie des
Écran large sur tableau noir
taculaires… C’est sur cette image nuancée que le réalisateur veut certainement
conclure.
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Le cinéma documentaire
L’image manquante
Écran large sur tableau noir
Après la Seconde Guerre mondiale, le monde est dominé par l’affrontement « est-ouest », entre les blocs « commu-
niste » et « capitaliste », entre les « démocraties populaires » et les « démocraties occidentales ou parlementaires ». Ce
conflit se cristallise notamment au Viêt-Nam, où le Nord communiste mène une guerre contre le Sud soutenu par les États-
Unis : l’armée américaine intervient de manière extrêmement violente pour contrer la guérilla communiste par des frappes
aériennes massives et d’importantes opérations au sol.
Le Cambodge, pays voisin, indépendant depuis 1953 (après avoir été une colonie française) et dirigé par le prince Noro-
dom Sihanouk, est en principe neutre et en paix, mais l’est du pays (à la frontière avec le Viêt-Nam) sert de base arrière à la
guérilla communiste vietnamienne ainsi que de voie de passage (la piste Hô Chi Minh) pour acheminer troupes et matériel
vers le Sud-Viêt-Nam. En outre, depuis 1968 est apparue une guérilla communiste spécifiquement cambodgienne, appelée
désormais les Khmers rouges.
En 1970, devant l’intensification des combats au Viêt-Nam, les États-Unis favorisent un coup d’État militaire au Cam-
bodge et le renversement du prince Norodom Sihanouk au profit du général Lon Nol qui leur est plus favorable. En outre,
ils mènent une intense campagne de bombardement dans l’est du Cambodge qui visent les bases nord-vietnamiennes, puis
ils pénètrent dans la région avec leurs troupes terrestres et celles de leur allié sud-vietnamien. Le Cambodge bascule ainsi
dans la guerre.
Celle-ci durera cinq ans, et elle verra la victoire des Khmers rouges au Cambodge, qui entrent dans la capitale Phnom-
Penh le 17 avril 1975, alors qu’au même moment, le Nord-Viêt-Nam envahit quant à lui complètement le Sud (Saigon
capitale du Sud tombe le 30 avril 1975), deux ans après le retrait des troupes américaines.
Les Khmers rouges vainqueurs vont alors totalement fermer les frontières du pays, obliger tous les habitants de la ca-
pitale à déserter celle-ci, et installer une dictature brutale et meurtrière dans ce qui s’appelle désormais le « Kampuchéa
démocratique ». Ils mettent alors en place un « communisme » d’une violence extrême, inspiré d’un maoïsme chinois ra-
dical. La population est réduite à une forme d’esclavage brutal, obligée de travailler dans les campagnes dans des conditions
épouvantables, soumise à un endoctrinement intense et quotidien. La famine s’installe rapidement et tue des centaines de
milliers de personnes. Les moindres écarts de conduite sont punis de mort. Des centres d’interrogatoire, comme le triste-
ment célèbre S21, servent de lieux de torture et d’exécution : ils voient passer des milliers d’opposants ou supposés oppo-
sants, éliminés sans la moindre preuve.
Peu d’informations parviennent à l’extérieur, même si de nombreux Cambodgiens essaient de s’enfuir et se réfugient en
Thaïlande voisine. Leurs témoignages révèlent peu à peu la réalité du régime, même si beaucoup en Occident doutent en-
core de la réalité ou de l’ampleur des crimes dénoncés.
Entre le Cambodge et son voisin vietnamien, les relations se tendent cependant rapidement, les Khmers rouges se signa-
lant par leur violent nationalisme qui les pousse notamment à persécuter les minorités ethniques sur son territoire dont les
Vietnamiens. (Les deux régimes se réclament du communisme, mais les Khmers rouges sont soutenus par la Chine commu-
niste de Mao, alors que le Viêt-Nam réunifié est quant à lui l’allié de l’URSS.) La situation s’aggrave tellement qu’en décem-
bre 1978, l’armée vietnamienne envahit le Cambodge et en quelques semaines met en déroute les forces khmères rouges qui
vont mener encore une guérilla pendant de longues années dans l’ouest du pays.
Les troupes vietnamiennes resteront une dizaine d’années au Cambodge avant qu’en 1993 se tiennent des élections lé-
gislatives qui permettent une stabilisation progressive du pays. En 1998, le chef des Khmers rouges, Pol Pot, meurt et les
derniers dirigeants khmers rouges se rendent aux autorités. En 2003, un accord intervient entre l’ONU et le gouvernement
cambodgien pour la mise sur pied de tribunaux destinés à juger les crimes commis par les dirigeants khmers rouges. En 2013,
au moment de la réalisation du film l’Image manquante, ces procès sont encore en cours.
À cause du manque de traces écrites, il est très difficile de faire une estimation fiable du nombre de victimes du régime
khmer rouge, c’est-à-dire des personnes décédées de mort « non naturelle », soit directement assassinées, soit à cause de la
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malnutrition, des mauvais traitements, de l’épuisement, des maladies… Sur une population d’un peu moins de 8 millions
d’habitants, les estimations varient entre un minimum de 700 000 victimes et un maximum de 3,2 millions… Parmi ces
victimes, de 30 à 50 % auraient été directement exécutées.
Rithy Panh, le réalisateur de l’Image manquante, né en 1964, est un survivant de la dictature khmère rouge, période sur
laquelle il a apporté son témoignage à travers plusieurs films et plusieurs livres.
. Heuveline Patrick. « L’insoutenable incertitude du nombre : estimations des décès de la période Khmer rouge ». In: Population, 53e année, n°6,
1998, pp. 1103-1117.
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Le cinéma documentaire L’Image manquante
découverte a fait naître chez l’enfant un amour du cinéma qui l’amènera sans
doute à réaliser lui-même bien plus tard des films, même s’ils sont d’un style
très différent de celui vu alors.
Ces deux aspects — le témoignage historique et la dimension autobiogra-
phique — se mélangent dans le film de façon insensible et continuelle : l’on
voit très bien alors tout ce qui distingue l’Image manquante d’un reportage ou
d’un documentaire historique qui adopterait un point de vue beaucoup plus
général sur ces événements. Et l’on comprend aussi à travers notamment les
18
Quatre films en analyse L’Image manquante
a beaucoup de choses que l’homme ne devrait pas voir ou connaître. Et s’il les
voyait ce serait mieux pour lui qu’il meure. Mais si l’un de nous voit ces choses
ou les connaît, alors il doit vivre pour raconter. »
2. Les Khmers rouges menaient néanmoins déjà allait précipiter le Cambodge dans la guerre totale 2. Le rôle des États-Unis
une guérilla dans le pays depuis 1968. dans la région est effectivement particulièrement critiquable, et, par pur calcul
politique, ils ont même soutenu les Khmers rouges à l’ONU pendant plus
de dix ans après l’intervention vietnamienne (en 1979) au Cambodge sous
prétexte qu’ils représentaient le « seul gouvernement légitime »… Mais les
« circonstances », les crimes commis par d’autres (les États-Unis ou le régime
de Lon Nol soutenu par les Américains et renversé par les Khmers rouges en
1975) ne peuvent justifier ni même expliquer des décisions comme l’évacua-
19
Le cinéma documentaire L’Image manquante
Figurines
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Quatre films en analyse L’Image manquante
si l’on se réfère notamment au titre du film que l’on a déjà commenté : les ima-
ges des massacres, des violences, des morts dues à la famine et aux mauvais
traitements sont manquantes, n’existent pas ou si peu. Il aurait donc fallu les
reconstituer — comme dans un film de fiction — mais une telle reconstitu-
tion n’aurait sans doute jamais réellement correspondu aux souvenirs de Rithy
Panh : celui-ci a donc préféré recourir à un procédé de figuration dont le carac-
tère artificiel est visible (alors que la fiction cherche en général à faire oublier
qu’il s’agit d’une reconstitution) mais qui est sans doute plus « juste », plus
« vrai » du point de vue du cinéaste.
La dimension subjective des souvenirs — qui n’implique nullement qu’ils
soient faux — apparaît facilement si l’on on considère les événements de la
prime enfance de Rithy Panh, lorsqu’il a assisté émerveillé au tournage d’un
film par un voisin réalisateur : l’on comprend qu’il est extrêmement difficile de
transposer ce genre d’images mentales très anciennes — les souvenirs gravés
dans notre mémoire —, et que toute reconstitution qui se voudrait « objec-
tive », qui voudrait montrer « les faits tels qu’ils se sont passés », ne pour-
rait que correspondre vaguement et approximativement à de tels souvenirs.
Cette réflexion vaut également pour les souvenirs de la période khmère rouge :
Rithy Panh s’intéresse moins aux détails des faits — où étaient exactement
les personnes ? quels sont les gestes précis qu’ils ont faits ?
quelle fut l’attitude des uns et des autres ? — qu’au sens
général des événements et à l’impression terrible qu’il
en a conservé comme dans cette séquence où un enfant
de neuf ans dénonce aux chefs sa mère qui a cueilli des
mangues pour survivre et qui, à cause de cela, sera emme-
née dans la forêt par des gardes et exécutée. Les faits tels
qu’ils sont racontés en voix off, les personnages tels qu’ils
sont montrés sous forme de petites figurines sommaires
et immobiles, sont suffisants pour nous faire percevoir la
cruauté de ce régime meurtrier et nous révéler le caractère
mensonger des images de sa propagande.
Une dernière réflexion permet sans doute d’éclairer l’utilisation de ces figu-
rines, à savoir que les miniatures sont très généralement des jouets d’enfants,
même si cette passion perdure chez certains adultes (devenus collectionneurs).
À nouveau, l’on se souvient alors de cette séquence de tournage, et l’on peut
comprendre que Rithy Panh ait trouvé dans la réalisation filmique (qui impli-
que notamment la direction d’acteurs) le même plaisir que celui qu’un enfant
éprouve dans la manipulation de ses jouets miniatures. Un cinéaste recrée une
6. Il s’agit là bien sûr d’une hypothèse. L’on a réalité de la même façon qu’un enfant se crée un monde imaginaire en jouant
néanmoins suffisamment de témoignages et avec des poupées, des figurines, des objets minuscules, sommairement symbo-
d’études qui attestent de la profondeur des trau-
liques (un bout de bois pouvant représenter un cheval). Bien entendu, ce plai-
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Le cinéma documentaire L’Image manquante
Montage
Écran large sur tableau noir
Au-delà
Si l’essentiel du film concerne la dictature des Khmers rouges, Rithy Panh
revient également sur la situation actuelle du Cambodge : il relève les traces
du passé mais il remarque aussi que la condition des plus pauvres est toujours
aussi misérable, filmant longuement des paysans en train de creuser à la houe
un chenal dans la terre aride. Il rappelle aussi en voix off que c’est cette injustice
qui a d’abord permis aux Khmers rouges d’enrôler le peuple, même si ceux-ci
lui ont menti « sur la justice, l’égalité, sur le bonheur, sur le progrès, sur tout ».
Cette remarque, qui a une portée explicative alors que l’essentiel du film a va-
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leur de témoignage, révèle que le cinéaste n’est pas uniquement enfermé dans
le souvenir et qu’il est lucide sur les difficultés actuelles du Cambodge.
Elle reste cependant adjacente, et la suite du propos insiste plutôt sur l’ef-
facement du passé (un lac remplaçant une fosse commune), sur les morts sans
véritable sépulture, sur les « âmes qui errent, se cherchent un lieu ». Le film se
conclut ainsi de façon presque morale ou philosophique sur le devoir que s’est
imposé Rithy Panh de témoigner mais surtout de transmettre le souvenir des
disparus, de leur donner symboliquement une sépulture et de transmettre leur
22
Quatre films en analyse L’Image manquante
mémoire. Les dernières images montrent ainsi des figurines enterrées les unes
après les autres avec un commentaire sur cette nécessaire transmission :
Écran large sur tableau noir
23
Le cinéma documentaire
Dancing in Jaffa
Écran large sur tableau noir
Mais cette dernière opposition (champ/hors-champ) est trop limitative car elle
bres d’une confession religieuse : désigne le hors-champ essentiellement comme une réalité visible (ou éventuel-
les musulmans ou les chrétiens. lement audible quand un son provient précisément de l’extérieur du cadre) : il
On a ici suivi ces prescriptions qui suffirait que la caméra tourne sur elle-même ou qu’elle se déplace pour dévoiler
n’impliquent bien sûr aucun juge- le hors-champ. Mais la « réalité » dépasse très largement le domaine du visible
ment de valeur sur l’un ou l’autre et comprend notamment tout le passé (qui ne pourra plus jamais être filmé)
groupe de personnes. mais également « l’intelligible », c’est-à-dire tous les liens qui unissent des
événements plus ou moins éloignés dans le temps et dans l’espace et qui nous
permettent de comprendre cette réalité.
24
Quatre films en analyse Dancing in Jaffa
Ainsi, dans Dancing in Jaffa, on voit Pierre Dulaine revenir aux abords de
sa maison d’enfance à Jaffa dont ses parents ont été expulsés en 1948 : on peut
alors distinguer au moins trois grands types de liens qui unissent cette courte
Écran large sur tableau noir
visite à d’autres événements présents ou passés, liens qui ne sont pas directe-
ment visibles et qui doivent être reconstruits ou imaginés par les spectateurs.
Il y a d’abord les souvenirs de Pierre Dulaine, qui sont attachés à cette maison
qu’il a dû quitter enfant. Ces souvenirs personnels se distinguent de ceux des
occupants actuels de la maison et même s’y opposent puisque ceux-ci ressen-
tent la présence de Pierre comme une menace. Enfin, il y a toute l’histoire po-
litique et militaire des événements survenus en 1948 dans la région qui ont
mené à la fois à la création de l’État d’Israël et à l’expulsion ou la fuite de plus de
700 000 Palestiniens (exode que les Palestiniens nomment désormais Nakba,
c’est-à-dire la catastrophe) ; et ces événements passés ont bien sûr des répercus-
sions sur la situation actuelle à Jaffa mais également dans toute la région (sinon
dans le monde). Mais ces différentes dimensions de la « réalité » échappent à
la saisie directe de n’importe quelle caméra et dépassent donc l’opposition du
champ et du hors-champ.
25
Le cinéma documentaire Dancing in Jaffa
Le propos général de Dancing in Jaffa est sans doute clair sinon évident
pour la plupart des spectateurs. Dans une région profondément divisée, Pierre
Dulaine, un danseur de salon, veut amener des enfants juifs et palestiniens à
danser ensemble et finalement faire participer les meilleurs d’entre eux à un
concours, ce qui permettra un rapprochement entre les enfants et sans doute
entre les deux communautés. À travers cette mission que s’est donnée Pierre
Dulaine, le film se présente donc comme un message de paix et d’espoir, même
si l’on ne sait pas s’il sera largement entendu.
Mais il y a beaucoup d’autres éléments, plus circonscrits, qui complètent,
nuancent, éclairent, concrétisent, modifient peut-être ce propos général.
Relevons d’abord un maximum de ces éléments avant d’essayer de les inter-
préter en recherchant éventuellement des informations complémentaires per-
mettant de les éclairer. Quelques questions devraient raviver la mémoire des
spectateurs.
1. Qui est Pierre Dulaine ? Où vit-il ? Quelle est son histoire ? Pourquoi vient-il à Jaffa ?
2. Où se situe Jaffa ? Qui sont les habitants de Jaffa ?
3. Quelles sont les communautés à Jaffa ? Y a-t-il des différences sociales visibles entre ces communautés ? des
différences culturelles ? religieuses ?
4. Quelle langue parle Pierre Dulaine ? et les enfants à qui il va apprendre à danser ?
5. Quelles sont les relations entre les différentes communautés ? Amicales, hostiles, indifférentes ?
6. Quels types d’écoles y a-t-il à Jaffa ?
7. Quelle difficulté principale Pierre Dulaine rencontre-t-il pour faire participer les enfants à ses cours de dan-
se ?
8. Pourquoi Pierre Dulaine veut-il revoir sa maison natale ? Qu’est-ce qui l’en empêche ?
9. Pourquoi y a-t-il un abri antiaérien dans une école ?
10. Les écoles sont-elles ouvertes à quiconque ? Que porte à la ceinture un garde ou un policier à l’entrée d’une
école ?
11. Un jeune garçon, Alaa, va rendre visite à des parents qui sont à Gaza : quels problèmes cela pose-t-il ?
12. Que pense le chauffeur de taxi avec qui discute Pierre Dulaine ?
13. On assiste dans Dancing in Jaffa à plusieurs manifestations : qui sont les manifestants et pourquoi manifes-
© Centre culturel Les Grignoux
tent-ils ?
14. Y a-t-il des allusions à des faits de violence entre les communautés ?
15. Comment la « Fête de l’Indépendance » des Juifs israéliens est-elle perçue par les Palestiniens ? Comment
nomment-ils cette date ?
26
Quatre films en analyse Dancing in Jaffa
On essaiera à présent de répondre à ces différentes questions, chaque fois en deux étapes : on rappellera de
façon aussi précise et exacte que possible ce que montre ou raconte explicitement le film, puis on proposera une
interprétation de ce qu’il évoque vraisemblablement de façon indirecte à travers ces événements circonscrits.
1. Qui est Pierre Dulaine ? Où vit-il ? Quelle est son histoire ? Pourquoi vient-il à Jaffa ?
— Pierre Dulaine est champion de danse, et il vit vraisemblablement aux États-Unis. Mais il est né à Jaffa en 1944, d’une
mère palestinienne et d’un père irlandais. En 1948, ses parents ont été obligés de quitter la ville « le fusil dans le dos ». Il
revient à Jaffa avec l’objectif de faire danser ensemble enfants juifs et palestiniens.
— En 1948, une guerre civile éclate entre Juifs et Arabes en Palestine, un territoire qui correspond à l’ensemble formé par
les territoires actuels de l’État d’Israël, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Environ 750 000 Arabes palestiniens
sur un total de 900 000 quitteront le territoire actuel d’Israël qui déclarera son indépendance le 14 mai, et la plupart
se réfugieront dans les pays ou territoires voisins. Près de 400 villages notamment seront ainsi vidés de leur population
arabe et seront rasés par l’armée ou l’administration israéliennes. Selon la version officielle israélienne, cet exode aurait été
essentiellement volontaire, provoqué par la crainte de la guerre, mais, pour les Palestiniens, ce sont les violences réelles des
groupes armés juifs qui sont la véritable cause de cet exode forcé. Pierre Dulaine confirme brièvement ce point de vue en
parlant du « fusil dans le dos ». Jaffa a été effectivement le lieu de combats violents en avril et mai 1948 , et, le 13 mai, la
victoire des soldats juifs a été suivie de l’expulsion de la population civile palestinienne estimée à 50 000 personnes.
3. Quelles sont les communautés à Jaffa ? Y a-t-il des différences sociales visibles entre ces
communautés ? des différences culturelles ? religieuses ?
— Pierre Dulaine se rend dans des écoles exclusivement juives, dans d’autres arabes et dans une école mixte. Lors d’une dis-
cussion avec ses enfants, une mère juive explique par ailleurs qu’il y a des Arabes musulmans mais aussi chrétiens. Enfin,
© Centre culturel Les Grignoux
l’on observe une différence de niveau de vie entre Juifs et Arabes, en particulier entre la famille de Lois et celle d’Alaa qui
vit sur le port dans une petite masure.
— Beaucoup de personnes croient que le conflit israélo-palestinien est un conflit religieux entre Juifs et musulmans, mais il
s’agit fondamentalement d’un conflit ethnique entre une population arabe installée en Palestine depuis plusieurs siècles
et des immigrants juifs, « sionistes », venus essentiellement d’Europe à partir de la fin du XIXe siècle et surtout au cours
du XXe siècle : on estime qu’environ 500 000 Juifs venus essentiellement d’Europe se sont installés en Palestine entre 1919
et 1948 et que plus de 3 millions de Juifs ont émigré en Israël entre 1948 et 2000.
27
Le cinéma documentaire Dancing in Jaffa
Beaucoup de Juifs israéliens sont laïcs ou agnostiques, et leur judéité se définit essentiellement par leur ascendance (c’est-
à-dire par le fait d’avoir un ou deux parents juifs). Les Arabes de Palestine sont également de différentes confessions,
musulmane mais aussi chrétienne (les communautés chrétiennes préexistant d’ailleurs dans la région à l’invasion arabe
Écran large sur tableau noir
du VIIe siècle). On estime que 79 % d’entre eux sont musulmans, 12 % chrétiens et 9 % druzes (une branche chiite de
l’Islam). Plusieurs indices, comme le fait qu’on le voit boire un verre de vin semble-t-il ou son choix d’une carrière de
danseur de salon, laissent d’ailleurs à penser que Pierre Dulaine est sans doute de confession chrétienne ou du moins n’est
pas musulman.
Ces origines ethniques différentes expliquent (en partie) des différences de style de vie, beaucoup d’Israéliens parta-
geant les standards sociaux de l’Europe occidentale et des États-Unis, alors que les Palestiniens ont conservé leurs mœurs
traditionnelles. En outre, les Arabes israéliens (qui représentent environ 20% de la population) ont été marginalisés
socialement et économiquement, et leur niveau de vie moyen est inférieur à celui de la population juive. En suivant plus
particulièrement certains enfants comme Lois et Alaa, la réalisatrice Hilla Medalia a sans doute voulu souligner ces dif-
férences persistantes au sein de la société israélienne.
4. Quelles sont les relations entre les différentes communautés ? Amicales, hostiles, indifféren-
tes ?
— Quand Pierre Dulaine annonce aux parents qu’il veut faire danser des enfants juifs et arabes, cette déclaration suscite
un silence général, interloqué sinon hostile. Dans le car qui emmène plus tard des enfants juifs vers une école arabe, une
fillette déclare que, si son père la voit avec un Arabe, il la tuera. À un autre moment, Pierre Dulaine dira qu’il comprend
les résistances des enfants car ce qu’il leur demande, c’est en fait de danser avec « l’ennemi » même si personne n’utilise
explicitement le mot.
— Les relations entre Juifs et Arabes israéliens restent généralement faites d’indifférence, d’incompréhension et d’hostilité,
les Juifs se méfiant de la minorité arabe, perçue comme menaçante et peu fiable, et les Arabes s’estimant victimes d’une
politique israélienne brutale et injuste.
Mais pour comprendre cette hostilité, il faut également prendre en considération l’ensemble de la situation géopolitique
du Moyen-Orient ainsi que son histoire. Après la guerre de 1948, les Arabes qui habitaient la Palestine (qui correspond
aux territoires actuels d’Israël, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza) sont devenus, pour une minorité, citoyens is-
raéliens et, pour la majorité, réfugiés ou placés sous contrôle israélien (en Cisjordanie et à Gaza jusqu’en 2005) sans la
citoyenneté israélienne (environ 4 millions de personnes), ou encore exilés dans les pays voisins ou plus lointains (plus de
5 millions). Plusieurs guerres (en 1948, en 1956, en 1967, en 1973, en 1982 et en 2006) opposeront en outre Israël aux
pays arabes voisins (Égypte, Jordanie, Syrie et Liban principalement) : au terme de ces conflits, l’État israélien occupera
de vastes portions de territoires, qui seront néanmoins progressivement rétrocédées, mais il maintiendra son emprise
sur l’actuelle Cisjordanie et sur la bande de Gaza (avant le retrait de 2005). Dans ces territoires palestiniens éclateront
plusieurs révoltes (Intifada de 1987 à 1993 et de 2000 à 2005) qui seront brutalement réprimées par l’armée israélienne.
Celle-ci multipliera en outre les incursions dans la bande de Gaza après 2005 (voir le point 11). Les Arabes israéliens
ne peuvent évidemment pas ignorer le sort des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza dont ils se sentent plus ou moins
solidaires. Et les Juifs israéliens ont souvent tendance à les considérer comme des « ennemis de l’intérieur ».
5. Quelle langue parle Pierre Dulaine ? et les enfants à qui il va apprendre à danser ?
— La plupart des spectateurs remarqueront sans doute facilement que Pierre Dulaine s’exprime en anglais. Mais il faut être
très attentif ou avoir des connaissances linguistiques pour déterminer qu’il parle également l’arabe mais pas l’hébreu.
— Différents critères définissent l’appartenance ethnique des individus à un même groupe, notamment les mœurs, les cou-
tumes, les croyances, les habitudes alimentaires, la culture, les rites et traditions… Mais un des critères importants est la
langue, même s’il n’est pas toujours déterminant. Dans le cas des Arabes, qui se répartissent entre de nombreux pays (du
Maroc à l’extrême ouest jusqu’à l’Arabie Saoudite à l’extrême est), c’est certainement la langue qui est la caractéristique
© Centre culturel Les Grignoux
essentielle. Il faut signaler en effet que, si l’expansion arabe à partir du VIIe siècle s’est faite au nom de l’Islam, elle a en-
globé de nombreuses populations chrétiennes et juives qui ont conservé, au moins partiellement, leur foi ancienne. Il y
a donc des Arabes chrétiens mais également juifs dans des pays comme l’Irak, la Syrie, l’Égypte, le Maroc ou la Tunisie.
À l’inverse, beaucoup de pays musulmans (ou à majorité musulmane) ne sont pas arabes, car ils parlent d’autres langues :
c’est le cas entre autres de la Turquie (ou l’on parle le turc mais aussi le kurde), de l’Iran (ou l’on parle essentiellement le
farsi) ou encore de l’Indonésie, actuellement le pays musulman le plus peuplé (où l’on parle plusieurs centaines de langues
différentes). Les Juifs israéliens pratiquent en revanche l’hébreu, une langue ancienne qui n’était plus parlée depuis plu-
28
Quatre films en analyse Dancing in Jaffa
sieurs siècles mais que le mouvement sioniste est parvenu à faire renaître à partir de la fin du XIXe (grâce en particulier à
l’action d’un journaliste et philologue juif Éliézer, Ben-Yehoudah). L’hébreu, devenu langue officielle avec l’arabe de l’État
d’Israël, s’est notamment imposé parce qu’il permettait d’unifier des populations juives venues de pays forts différents et
Écran large sur tableau noir
pratiquant à l’origine des langues différentes. Langues, traditions, cultures, mœurs mais aussi et surtout histoire différen-
cient ainsi de façon plus ou moins marquée Juifs et Arabes israéliens. Même si le film n’insiste pas sur la question de la
langue, c’est un des traits qui distinguent les deux populations et qui rendent notamment la communication difficile : une
mère juive se plaint d’ailleurs que le jeune Alaa ne comprend pas bien ce qu’elle lui dit.
7. Quelle difficulté principale Pierre Dulaine rencontre-t-il pour faire participer les enfants à
ses cours de danse ?
— Dès le départ, Pierre Dulaine doit affronter des résistances dues semble-t-il à la ségrégation entre les sexes : certaines
filles et certains garçons refusent de se toucher et de danser ensemble. Une mère musulmane explique en outre que, du
point de vue de l’Islam, les filles et les garçons n’ont pas le droit de danser ensemble. Pierre Dulaine répond alors que la
danse n’exclut pas le respect et même le suppose. Plus tard, certains enfants refuseront de danser et même de toucher des
enfants de l’autre communauté (juifs ou arabes). On remarque que, si un certain nombre d’enfants acceptent finalement
de danser ensemble, d’autres se retirent sans doute définitivement de l’activité.
— On sait bien sûr que la religion islamique dans ses formes traditionnelles impose ou justifie une ségrégation des sexes plus
ou moins importante. On remarquera immédiatement que tous les musulmans et toutes les musulmanes ne se confor-
ment pas à ce modèle traditionnel (lors de cette rencontre avec les parents de l’école palestinienne Ajyal, on remarque que
© Centre culturel Les Grignoux
des mères ne sont pas voilées, mais il n’est pas possible de savoir si elles sont également de confession musulmane). On
n’oubliera pas non plus que les Juifs orthodoxes comme les Haredim respectent également la même ségrégation sexuelle,
bien qu’on n’en aperçoive sans doute pas dans le film. Ce refus de la mixité est sans doute marginal pour le propos du
film, mais il est révélateur d’une différence religieuse ou plus largement socioculturelle entre Juifs (plutôt laïcs) et Pales-
tiniens de confession musulmane (on rappellera encore une fois qu’environ 10 % des Arabes israéliens sont chrétiens).
Néanmoins, la réponse de Pierre Dulaine vise à montrer que, tout en respectant les croyances qui lui sont opposées, il est
possible de trouver une solution qui concilie les exigences des uns et des autres, ce qu’il appelle danser avec respect. Bien
29
Le cinéma documentaire Dancing in Jaffa
entendu, cela ne suffira pas à lever toutes les réticences, mais il parvient néanmoins à convaincre un certain nombre de
parents et d’enfants. La démarche, même si son succès est loin d’être garanti, suggère donc qu’une voie de conciliation est
possible dans le conflit israélo-palestinien.
Écran large sur tableau noir
8. Pourquoi Pierre Dulaine veut-il revoir sa maison natale ? Qu’est-ce qui l’en empêche ?
— Les parents de Pierre Dulaine ont été chassés, dit-il, avec le fusil dans le dos. Mais les propriétaires actuels de la maison
ne veulent manifestement pas le voir revenir et sont semble-t-il même menaçants. Pierre et Yvonne qui l’accompagne
s’éloignent d’ailleurs rapidement.
— Suite aux troubles et à la guerre civile de 1947-48, plus de 700 000 Arabes ont quitté, le plus souvent forcés, leurs foyers
dans les territoires qui allaient former le futur État d’Israël (dont l’indépendance est proclamée le 14 mai 1948). Peu de
temps après, en décembre, Israël promulgue une loi sur les « propriétés abandonnées » qui autorise la saisie des biens
de toute personne considérée « absente », c’est-à-dire qui « pendant la période du 29 novembre 1947 au 1er septembre
1948, se trouvait quelque part en Palestine à l’extérieur du territoire d’Israël ». Cette loi a évidemment permis l’expropria-
tion de nombreuses propriétés palestiniennes dans les villes et les villages, notamment celle des parents de Pierre Dulaine,
mais elle n’a pas été admise par les pays étrangers ni par l’ONU qui a reconnu à travers diverses résolutions le droit des
Palestiniens de retourner vers leurs foyers. On comprend donc facilement que les propriétaires actuels de la maison des
parents de Pierre Dulaine ne souhaitent pas sa visite et encore moins son retour, car ils ne peuvent ignorer que leurs droits
de propriété sont sinon illégitimes du moins fort discutables. Cette petite scène du film, en apparence anecdotique, a
ainsi une portée beaucoup plus large puisque ce sont aujourd’hui près de 4 millions de Palestiniens (qu’il s’agisse des
expulsés de 1948 ou de leurs descendants) qui réclament un droit au retour. On remarquera que Pierre Dulaine n’est pas
revendicatif (« Je pourrais réclamer l’ensemble, mais ça poserait beaucoup de problèmes ») et qu’il n’a pas l’intention de
réclamer d’une manière ou l’autre la propriété de la maison de ses parents. Plus de soixante ans après cette expropriation,
alors qu’il a mené sa vie et fait toute sa carrière à l’étranger, il est difficile de prétendre reprendre ses biens et de chasser
les occupants actuels dont certains n’étaient sans doute même pas nés en 1948. Mais, si lui est ouvert au dialogue, on
constate aussi que le propriétaire actuel ne veut absolument pas en entendre parler et qu’il se sent même menacé par la
présence de Pierre… Et une telle attitude, loin d’être isolée, est manifestement largement partagée du côté israélien.
10. Les écoles sont-elles ouvertes à quiconque ? Que porte à la ceinture un garde ou un poli-
cier à l’entrée d’une école ?
— Toutes les écoles sont fermées par des barrières, et Pierre Dulaine doit s’annoncer pour pouvoir y pénétrer. On voit en
particulier un garde (ou un policier) armé d’un pistolet.
© Centre culturel Les Grignoux
— Israël a été confronté à de nombreuses opérations terroristes sur son territoire au cours des années 2000. L’accent mis
sur la sécurité des écoles et des espaces publics en général est certainement un héritage de cette période. Il faut rappeler
qu’en septembre 2000 éclate dans les territoires palestiniens occupés par Israël (la Cisjordanie et la bande de Gaza) une
nouvelle révolte, la seconde Intifada, qui sera beaucoup plus violente que la première (de 1987 à 1993) : elle s’explique
essentiellement par le peu de progrès enregistrés par les négociations que mène alors l’Autorité palestinienne (dirigée par
Yasser Arafat) pour parvenir à un accord de paix avec Israël, alors que l’occupation militaire israélienne perdure dans les
territoires. De nombreux attentats-suicides seront commis à l’intérieur même d’Israël notamment à Tel-Aviv. Ces atten-
tats (dont le nombre diminuera fortement à partir de 2006) marqueront durablement l’opinion publique israélienne ;
30
Quatre films en analyse Dancing in Jaffa
ils entraîneront en outre une réaction militaire importante, un bouclage et un blocage presque complet des activités et
de la vie sociale dans les territoires occupés. S’y ajoutera la construction d’un mur de séparation entre Israël et la Cisjor-
danie, pour empêcher les incursions terroristes (ce mur empiète cependant sur le territoire cisjordanien pour englober
Écran large sur tableau noir
les colonies israéliennes qui y sont implantées). Les victimes seront nombreuses des deux côtés, même si le nombre de
tués palestiniens est nettement plus important que celui des Israéliens (plus de 5 000 contre un peu plus de 1 000, entre
septembre 2000 et février 2008. Source : B’Tselem, Centre israélien d’information pour les Droits humains dans les
Territoires occupés). Il faut encore signaler qu’au cours de la seconde Intifada, il y a eu plusieurs manifestations d’Arabes
israéliens contre la politique du gouvernement (israélien) et en solidarité avec les Palestiniens des territoires occupés ; ces
manifestations ont été brutalement réprimées par la police qui a tué 14 personnes.
11. Un jeune garçon, Alaa, va rendre visite à des parents qui sont à Gaza : quels problèmes
cela pose-t-il ?
— Il n’y a pas de libre circulation entre Israël et la bande de Gaza, et le jeune Alaa et sa famille doivent passer par des points
de contrôle à la frontière. En outre, les membres de la famille d’Alaa en Israël et à Gaza n’ont pas pu se voir pendant de
longs mois et parfois plusieurs années. Les seules communications possibles sont alors téléphoniques.
— Pour comprendre cette situation, il faut connaître l’histoire de la région. Avant 1948, la Palestine, qui correspond à
l’ensemble formé actuellement par Israël, la Cisjordanie et la bande de Gaza, est sous mandat britannique (la Grande-
Bretagne administrant, depuis 1918, la région comme une semi-colonie). En 1947-48, une guerre civile suivie d’une
guerre israélo-arabe (avec les pays arabes voisins) va conduire à la formation de l’État d’Israël sur la plus grande partie
de ce territoire, alors que la bande de Gaza et la Cisjordanie (actuelles) passeront respectivement sous la domination de
l’Égypte et de la Jordanie. Par ailleurs, plus de 700 000 Arabes de Palestine quitteront de façon volontaire ou forcée le
territoire israélien et se réfugieront dans les régions voisines de la Palestine (bande de Gaza et Cisjordanie) ou dans les
pays arabes ; environ 150 000 Arabes resteront quant à eux sur le territoire israélien et deviendront de ce fait citoyens de
ce pays.
En 1967 cependant, Israël déclenche la Guerre des Six Jours contre ses voisins, Égypte, Syrie et Jordanie, et conquiert de
nouveaux territoires, notamment la bande de Gaza, le Sinaï (ensuite restitué à L’Égypte), la Cisjordanie et le plateau du
Golan. Cette fois, c’est environ 950 000 Arabes palestiniens (600 000 en Cisjordanie, 350 000 à Gaza), dont un certain
nombre de réfugiés de 1948, qui passent sous la domination armée israélienne (sans acquérir cependant la nationalité
israélienne). Aujourd’hui, on compte environ 1,7 millions d’habitants à Gaza et 2,7 millions en Cisjordanie. La popu-
lation palestinienne se retrouve ainsi une nouvelle fois divisée : il y a d’une part les Arabes israéliens (sur le territoire
d’Israël), d’autre part les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, et enfin les Palestiniens réfugiés dans d’autres pays arabes
ou non (on estime par exemple qu’il y a 200 000 Palestiniens aux États-Unis). Les membres des mêmes familles disper-
sées entre Israël, les territoires occupés et d’autres pays, ne peuvent donc se voir qu’avec de nombreuses difficultés et en
se soumettant à de multiples contrôles. Et, de manière générale, leur liberté de mouvement est sujette à de nombreuses
restrictions.
Dès 1967, plusieurs mouvements politiques palestiniens s’opposèrent à l’occupation israélienne souvent de manière vio-
lente : le conflit entre Israël et les pays arabes voisins s’est ainsi progressivement transformé en conflit israélo-palestinien,
marqué par des attentats terroristes (notamment aux Jeux Olympiques de Munich en 1972) et des affrontements violents
dans les régions frontalières entre l’armée israélienne et les mouvements de résistance palestinienne (notamment au Liban
envahi par Israël en 1982). En outre, en 1989, se déclenche un large soulèvement spontané des Palestiniens des territoires
contre l’occupation israélienne, la première Intifada ou « Révolte des pierres » : les manifestants s’en prennent aux soldats
avec des jets de pierre, bloquent les routes par des barrages et entraînent un mouvement général de désobéissance civile.
Israël réagit par une répression brutale, l’imposition d’un couvre-feu, la multiplication des arrestations, des expulsions et
également par le recours fréquent à la torture. Cette révolte se prolongera jusqu’en 1993 et coûtera la vie à plus de 1 000
Palestiniens.
En 1993 cependant, le principal mouvement de résistance palestinienne, l’OLP (Organisation de Libération de la Pales-
© Centre culturel Les Grignoux
tine) dirigée par Yasser Arafat, signe les accords d’Oslo qui doivent conduire à un règlement du conflit israélo-palestinien
et qui permet l’installation d’une autorité palestinienne aux pouvoirs limités dans les territoires occupés. Israël poursuit
cependant sa politique (entamée dès 1968) d’implantation de colonies de peuplement dans les territoires occupés, pro-
voquant en particulier une fragmentation de la Cisjordanie dont une large partie reste contrôlée par l’armée israélienne
à travers notamment de très nombreux points de contrôle. Et la lenteur du processus de paix et l’absence d’amélioration
du sort des Palestiniens dans les territoires suscitent en septembre 2000 une nouvelle révolte, la seconde Intifada, beau-
coup plus violente et meurtrière avec notamment un grand nombre d’attentats-suicides sur le territoire israélien même
31
Le cinéma documentaire Dancing in Jaffa
(voir le point 10). Israël réagira à nouveau de façon brutale, notamment par un bouclage renforcé des territoires et par
la construction d’un mur de défense destiné à empêcher les incursions sur son territoire, tout en englobant les colonies
les plus proches de ses frontières (mais situées en territoire palestinien). Par ailleurs, Israël se désengagera en 2005 de la
Écran large sur tableau noir
bande de Gaza (démantelant les quelques colonies juives qui s’y trouvaient), tout en contrôlant fermement la frontière
avec ce territoire isolé et pratiquement bouclé si l’on excepte un point de passage avec l’Égypte (lui aussi régulièrement
fermé).
Dernier fait politique important : face au Fatah (qui est la principale composante de l’OLP) émerge dans les territoires
occupés un mouvement islamiste, le Hamas, qui gagne les élections palestiniennes organisées en 2006 et qui prend mi-
litairement le pouvoir dans la bande de Gaza en juin 2007 alors que le Fatah se maintient au pouvoir en Cisjordanie.
Contrairement au Fatah, le Hamas n’a pas renoncé à la lutte armée et est considéré par Israël et de nombreux pays oc-
cidentaux comme une organisation terroriste. Depuis 2001, des groupes armés à Gaza (plus ou moins liés au Hamas)
mènent de nombreuses attaques contre Israël — notamment des tirs de roquettes artisanales et de mortiers — faisant
surtout des victimes civiles (en nombre limité) mais ayant un grand impact psychologique sur l’opinion publique israé-
lienne. Ces attaques ont provoqué des interventions militaires israéliennes contre la bande de Gaza en 2008, 2012 et
2014. Ces interventions (soutenues par l’aviation et la marine) ont entraîné d’importantes destructions et fait des milliers
de victimes, principalement des civils (la dernière intervention militaire israélienne à l’été 2014, dite « Barrière protec-
trice » a fait plus de 2 000 victimes palestiniennes alors que 66 soldats israéliens étaient tués et 6 civils).
Ce contexte historique, géographique et politique, relativement complexe, est sans doute bien connu des habitants de la
région, même s’ils ont des points de vue différents sur la situation, mais il l’est certainement moins dans l’opinion publi-
que occidentale (bien que les médias couvrent assez largement les événements, mais sans grande profondeur historique).
À travers le personnage d’Alaa, qui doit apprendre à parler l’hébreu comme une langue étrangère et qui n’a que de rares
occasions de rendre visite à sa famille dans la bande de Gaza soumise à un blocus presque permanent, le film Dancing
in Jaffa évoque ainsi de manière indirecte toute l’histoire des Palestiniens répartis dans des régions différentes, au destin
souvent contrasté, mais qui conservent une identité forte.
12. Que pense le chauffeur de taxi avec qui discute Pierre Dulaine ?
— Le chauffeur explique qu’il a perdu quatre de ses amis à Gaza (sans doute des soldats israéliens) et qu’il ne peut pas « leur
faire confiance » (c’est-à-dire aux Palestiniens). Pierre Dulaine rappelle quant à lui que les Palestiniens « avant 1948, il
étaient chez eux » (en Palestine dans ce qui deviendra plus tard l’État d’Israël) : « Que ça vous plaise ou non : c’est la
réalité. Vous n’allez pas partir d’ici et les Palestiniens non plus ».
— Le conflit israélo-palestinien a pris différentes formes, souvent très violentes, tant du côté palestinien que du côté israé-
lien, même si l’avantage militaire israélien est indéniable et si le nombre de victimes palestiniennes est beaucoup plus
important. À cela, il faut ajouter les nombreuses guerres qui ont opposé Israël aux pays arabes voisins (en particulier en
1948, 1956, 1967, 1973, 1982). Ainsi, Pierre Dulaine oppose son idéal un peu utopique d’une réconciliation possible,
dont la danse ne serait qu’une toute petite étape, à une politique israélienne intransigeante, encline à résoudre tous les
problèmes par la force.
13. On assiste dans Dancing in Jaffa à plusieurs manifestations : qui sont les manifestants et
pourquoi manifestent-ils ?
— « Chaque année, le 30 mars, nous dit le film, des Palestiniens manifestent pour la Journée de la terre et l’égalité des
droits ». Par ailleurs, à un autre moment, l’on voit un petit groupe de soixante manifestants de la droite israélienne, pro-
tégés par les forces de l’ordre, défiler en affirmant que Jaffa est juive. On verra également une contre-manifestation arabe
à laquelle participent notamment Noor et sa mère.
— La Journée de la terre commémore une manifestation des Arabes israéliens, le 30 mars 1976. Cette manifestation visait
© Centre culturel Les Grignoux
à protester contre une décision du gouvernement israélien de confisquer 25 000 dunums de terre en Galilée (située sur
le territoire israélien) à leurs propriétaires arabes. Les Arabes israéliens (voir notamment les points 2, 4 et 8) constataient
alors qu’ils pouvaient être victimes des mêmes mesures et expropriations arbitraires que les Palestiniens des territoires
occupés depuis 1967. Ils déclencheront une grève générale le 30 mars, qui sera d’ailleurs accompagnée de manifestations
similaires dans les territoires occupés. L’armée israélienne interviendra brutalement contre les Arabes israéliens, tuant six
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Quatre films en analyse Dancing in Jaffa
personnes, en en blessant des centaines d’autres et en procédant à de multiples arrestations. Chaque année, des manifes-
tations commémorent donc ces événements.
De l’autre côté, une minorité juive, souvent très radicale, dénie toute légitimité aux Palestiniens et considère qu’ils n’ont
Écran large sur tableau noir
aucun droit en Israël, ni même, pour les plus radicaux d’entre eux, dans les territoires occupés. Même si la majorité de la
population juive (israélienne) ne partage sans doute pas un tel point de vue, l’on constate néanmoins que la politique
israélienne, quelle que soit l’orientation politique des dirigeants, est fondamentalement sioniste et vise depuis toujours
à « grignoter » les terres palestiniennes, grâce notamment à l’implantation de « colonies » de peuplement (dans l’an-
cienne Palestine avant 1948, en Cisjordanie depuis 1967) sur des terres que les Palestiniens considèrent comment leurs.
Même si le film est allusif, il indique néanmoins une des questions essentielles du contentieux israélo-palestinien, à savoir
la possession des terres de la région.
14. Y a-t-il des allusions à des faits de violence entre les communautés ?
— Les allusions à de tels fait sont nombreuses et ont déjà été évoquées. Rappelons par exemple que les écoles sont fermées
et que les gardes sont armés ; une enseignante, qui travaille pourtant dans une école mixte, défend le droit de manifester
mais n’accepte pas que l’on jette des pierres (une allusion vraisemblable à la première Intifada) ; elle signale également
qu’un membre de sa famille a été tué dans un attentat-suicide ; le taximan évoque quatre de ses amis morts sans doute au
combat ; Pierre lui-même rappelle que ses parents ont dû quitter leur maison de Jaffa avec une arme dans le dos…
— Pierre Dulaine plaide pour le dialogue sinon la réconciliation, mais tous ces indices dispersés dans le film montrent qu’il
est conscient de la profonde division entre les communautés : des fractions, qu’elles soient minoritaires ou au contraire
plus importantes, des opinions publiques ne voient en effet que la violence comme solution à leurs problèmes ou réponse
aux revendications du camp opposé. Si le film ne masque pas cette violence multiple, il en indique aussi un certain nom-
bre de causes, notamment l’expulsion des Palestiniens en 48, et la domination politique, militaire et sociale que subissent
les Palestiniens en Israël même mais aussi et surtout dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza (même si Israël
s’est retiré de la bande de Gaza soumise désormais à un blocus contraignant).
15. Comment la « Fête de l’Indépendance » des Juifs israéliens est-elle perçue par les Palesti-
niens ? Comment nomment-ils cette date ?
— Le Fête de l’Indépendance en Israël est celle de la proclamation de l’État d’Israël le 14 mai 1948. Mais pour les Palesti-
niens, cette date est celle de Nakba, la « catastrophe », c’est-à-dire l’expulsion de 700 000 Arabes de ce qui est devenu
à ce moment l’État d’Israël (même si ce processus d’expulsion s’est en fait étalé sur de longs mois de décembre 1947 à
octobre 48). Le même événement a donc un sens tout à fait différent pour les uns et les autres, et les Arabes israéliens (en
particulier dans l’école mixte) sont même contraints de participer à une fête qu’ils ne peuvent que rejeter.
— Toute l’histoire de la naissance d’Israël et de l’exode de plus de 700 000 Palestiniens transparaît à travers cette célébration
et a déjà été évoquée (aux points 1, 3 et 8). À travers cet événement symbolique, le film souligne la différence de points
de vue entre les Juifs israéliens et les Arabes palestiniens (qu’ils aient la nationalité israélienne ou qu’ils résident dans les
territoires occupés) en particulier sur l’histoire conflictuelle de la région.
mations.
. Pour rappel, le sionisme est une idéologie politique qui défend l’établissement d’un État ou d’un territoire juif, pour les Juifs du monde entier, sur la
terre de l’Israël antique (Eretz Israel), ce qui correspond grosso modo à la Palestine mandataire (d’avant 1948) qui comprend les territoires actuels
d’Israël, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
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Le cinéma documentaire Dancing in Jaffa
10 dates importantes
Écran large sur tableau noir
5 dates significatives pour les Juifs israéliens 5 dates significatives pour les Palestiniens
➡
1896 : publication de L’État juif (Der Judenstaat) par Theodor Herzl, Juif austro-hon-
grois ; l’année suivante, convocation du premier Congrès sioniste mondial en Suisse
Face à l’antisémitisme européen, Theodor Herzl fonde le mouvement sioniste avec comme but l’émi-
gration des Juifs européens vers la Palestine qu’il pense peu peuplée (et qui correspond aux territoires
actuels d’Israël, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza réunis). Au départ, beaucoup de Juifs préfèrent
cependant émigrer vers l’Amérique et seule une minorité d’entre eux s’installent sur ce qu’ils estiment
être la terre d’Israël. Après la Première Guerre mondiale, alors que la région est passée sous domination
britannique, l’immigration juive va augmenter et concerner des dizaines de milliers de personnes par
an, ce qui va entraîner des heurts avec les populations arabes locales .
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Quatre films en analyse Dancing in Jaffa
qui s’estiment majoritaires), les leaders du mouvement sioniste proclament la naissance de l’État d’Is-
raël. Cela provoque une première guerre avec les pays arabes voisins, dont le tout nouvel État d’Israël
sort vainqueur, mais ses frontières sont nettement agrandies par rapport au plan de l’ONU, qui pré-
voyait 55 % du territoire pour les Juifs. Le territoire israélien occupe désormais la plus grande partie
(78 %) de la Palestine historique (voir les cartes à la page suivante).
Septembre 1993 : accords d’Oslo entre Israël et l’OLP, qui prévoient qu’une autorité
palestinienne s’exercera de façon limitée sur la Cisjordanie et la bande de Gaza
Après des années de lutte armée, l’OLP et Israël parviennent à un accord qui prévoit la mise en place
d’une Autorité palestinienne sur les territoires de Cisjordanie et de Gaza.
fois de façon beaucoup plus violente. La seconde Intifada se caractérisera notamment par des attentats-
suicides commis par des Palestiniens sur le territoire israélien, des affrontements armés, des violences
entre les différentes factions palestiniennes, et une répression militaire israélienne. Par ailleurs, Israël
érigera une barrière de sécurité tout au long de sa frontière avec des empiétements sur les territoires
palestiniens pour empêcher les heurts et les violences entre les communautés. Même s’il n’y a pas de
date de fin de la seconde Intifada (qui, pour certains, est toujours en cours), l’intensité et la violence de
la révolte diminuent fortement à partir de 2005.
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Le cinéma documentaire Dancing in Jaffa
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Écran large sur tableau noir
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Entre 1920 et 1947, la Palestine est
placée avec la Jordanie (appelée alors � �����
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Quatre films en analyse Dancing in Jaffa
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Le cinéma documentaire Dancing in Jaffa
une année scolaire entière : ici aussi, l’on voit la différence avec un reportage
qui se contenterait sans doute de filmer le concours final et d’évoquer briève-
ment le travail qui a précédé. En revanche, dans Dancing in Jaffa, l’on découvre
les difficultés rencontrées par Pierre Dulaine lors de ses rencontres avec les
enfants, son exaspération à certains moments, ses échecs aussi (quand certains
enfants refusent de participer à ses leçons), ses doutes aussi, toutes choses qui
1. On accentue sans doute la différence entre do- n’apparaîtraient certainement pas dans un bref reportage 1.
cumentaire et reportage : des reportages télévi- Par ailleurs, le point de vue adopté par la documentariste se confond très
suels peuvent être assez longs et couvrir des pé-
riodes de temps relativement importantes. Mais largement avec celui de Pierre Dulaine, son personnage principal, dont elle
l’information dans les grands médias (comme partage le projet. Or Pierre Dulaine vise explicitement à faire danser ensemble
celle des journaux imprimés ou télévisés) pri- enfants juifs et arabes dans une perspective, sans doute lointaine, de réconci-
vilégie très généralement les événements dans
leur dimension spectaculaire et illustrative.
liation entre les communautés. Si le film rend alors compte par de multiples
allusions à l’origine du conflit israélo-palestinien, il ne donne évidemment pas
la parole à ceux qui refusent tout compromis et qui ont choisi une politique
de confrontation plus ou moins violente avec l’autre communauté.
Du côté palestinien, beaucoup estiment ainsi que leur
communauté a été victime d’une grave injustice lors de la
création de l’État d’Israël et de l’expulsion de centaines
de milliers d’Arabes de leurs foyers (la Nakba) en 1948.
Depuis lors, cette injustice s’est encore aggravée avec l’oc-
cupation de la Cisjordanie, l’implantation de multiples
colonies dans ce territoire et le blocus presque complet de
la bande de Gaza. À tout cela, il faut ajouter l’usage dispro-
portionné de la force militaire contre toute manifestation
ou revendication des Palestiniens. Les groupes les plus ra-
dicaux n’hésitent pas en outre à recourir à l’action armée
sinon terroriste car ils estiment que c’est la seule manière
de se faire entendre alors qu’Israël négocie avec l’Autorité
palestinienne en position de force sans faire de véritables concessions.
Du côté israélien, l’argument principal est que l’État d’Israël est internatio-
nalement reconnu depuis 1948 et que sa légitimité ne peut pas être remise en
cause. La reconnaissance d’Israël est donc un préalable à toute négociation, et
toute attaque entraînera une riposte militaire importante : les groupes armés
palestiniens sont en outre considérés comme des organisations terroristes avec
lesquelles toute négociation est (officiellement) impossible.
Ces points de vue plus radicaux ou plus extrémistes ne doivent pas masquer
les divergences d’opinions au sein des populations israélienne et palestinien-
ne, mais ils sont largement partagés et expliquent évidem-
ment la persistance du conflit israélo-palestinien.
Enfin, comme le film se concentre sur les écoles de
Jaffa, il ne montre que brièvement la bande de Gaza et
© Centre culturel Les Grignoux
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Quatre films en analyse Dancing in Jaffa
l’islam et que son père est mort quand elle avait six ans.
Et on la verra un peu plus tard en larmes sur la tombe de
son père. Elle participera également à une manifestation
pro-palestinienne avec sa mère, manifestation au cours de
laquelle elle sera effrayée par la présence des chevaux de la
police. D’abord un peu distante, elle participera de plus
en plus activement aux leçons de danse, elle invitera Lois
à venir chez elle pour s’entraîner, et elle sera retenue par
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Le cinéma documentaire Dancing in Jaffa
3. En fait, le film se termine par la balade en bar- du film sera notamment marqué 3 par la visite que lui rendra Pierre Dulaine
que d’Alaa et de Lois. C’est sur ces images de ainsi qu’à sa mère, et l’on verra que Noor est également très douée pour la dan-
réconciliation que défile le générique.
se orientale !
Par les différentes facettes de sa personnalité, Noor reflète sans doute la
complexité de la situation au Moyen Orient et des Arabes israéliens en parti-
culier. Elle participe également au projet de Pierre Dulaine jusqu’à la compé-
tition finale et semble ainsi incarner parfaitement sa volonté de rapprocher les
communautés par la pratique de la danse. Mais Noor ne se résume pas à être
la représentante ou le symbole d’une communauté, et la personnalité même
de la jeune fille suscitera sans doute l’intérêt d’un certain nombre de specta-
teurs (comme elle a d’ailleurs retenu l’attention de la cinéaste) : elle est (relati-
vement) différente des autres, elle a une histoire singulière, elle a un caractère
unique avec sa complexité et son ambivalence. C’est ce caractère singulier qui
explique d’ailleurs que l’on puisse — ou non — éprouver de la sympathie pour
elle, parce qu’elle ne semble pas bien dans sa peau, parce qu’elle est incomprise
de ses condisciples, parce qu’elle se sent rejetée, parce qu’elle a peur des poli-
ciers à cheval, parce qu’elle s’épanouit dans la danse, parce qu’elle manifeste du
plaisir à montrer à Pierre comment elle pratique la danse orientale…
Le documentaire ne met pas en scène des êtres abstraits, des « Palestiniens »
ou des « Juifs israéliens », mais des personnes concrètes avec un visage, un
Centre culturel Les Grignoux corps, une apparence, une voix, une gestuelle qui leur sont propres et qui en
(Écran large sur tableau noir) font des êtres singuliers. Même si nous n’avons jamais l’occasion de la rencon-
9 rue Sœurs de Hasque B 4000 trer, nous ne confondrons jamais Noor avec une autre enfant palestinienne
Liège (Belgique) 32 (0)4 222 27 78
contact@grignoux.be (ou autre). On voit ainsi la différence entre un documentaire comme Dancing
http://www.grignoux.be in Jaffa et un livre d’histoire ou un ouvrage politique qui parlera de façon géné-
Un ouvrage publié avec le soutien rale de « populations », de « groupes », de « partis », de « factions »… Le ci-
d’Europa Cinemas, une initiative du néma quant à lui nous fait partager — même si c’est de façon brève et partielle
programme Media des Communautés
— la vie d’êtres irréductiblement humains, singuliers, dont nous pouvons nous
Européennes,
de la Ville de Liège, sentir plus ou moins proches, et qui peuvent susciter une empathie, notre sym-
de la Région Wallonne, pathie, indépendamment de toute idéologie.
de la Fédération Wallonie-Bruxelles
et de l’Administration Générale
de la Recherche scientifique,
Service général du pilotage du système
éducatif
Écran large sur tableau noir
est une opération des Grignoux
accompagnée par le CSEM (Conseil
Supérieur de l’Éducation aux Médias)
csEM
© Centre culturel Les Grignoux
CONSEIL SUPÉRIEUR
ÉDUCATION AUX MÉDIAS
de l’
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Dépôt légal D / 2015 / 6039 / 11
ISBN 978-2-87503-140-2
9 782875 031402