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Allongement du temps
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

de céphaline + activateur
MH Horellou, J Conard, M Samama

B ien standardisé, reproductible, automatisable, le temps de céphaline + activateur est devenu le test le plus
utilisé des tests de coagulation.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : TCA, coagulation, exploration, hémophilie, anticoagulant circulant.


ellagique, silice), et du calcium. Il explore la voie temps de thrombine est allongé. En revanche, les
Introduction intrinsèque de la coagulation ; il est donc sensible réactifs utilisés pour la mesure du temps de Quick
aux concentrations des facteurs de la coagulation contiennent souvent un inhibiteur de l’héparine,
impliqués. Le temps obtenu est exprimé par rapport rendant le temps de Quick insensible à l’héparine. Le
Le temps de céphaline + activateur (TCA) est très
au temps du plasma témoin dont la valeur moyenne TCA est maintenant habituellement isolément
utile à la définition du risque hémorragique puisqu’il
varie entre 28 et 35 secondes selon les réactifs. Le allongé en présence d’héparine comme le montre
est sensible au déficit de la plupart des facteurs de
TCA est allongé lorsqu’il dépasse de 6 à 10 secondes l’exemple suivant :
coagulation (tableau I), sauf au déficit en facteur VII
le temps du témoin.
(proconvertine) ou facteur XIII (facteur stabilisant de
la fibrine). Traitement par l’héparine


Il est également utilisé pour la surveillance des Taux de prothrombine : 95 %
traitements par l’héparine non fractionnée.
Allongement du TCA. Démarche
diagnostique (fig 1) TCA : 50 s/T 33 s
Il permet enfin la détection des anticoagulants Temps de thrombine : 55 s/20 s
circulants de type lupus, recherchés lors de
l’exploration biologique des accidents
‚ Éliminer les causes d’erreur
thromboemboliques. Il existe des causes d’erreur ; les plus fréquentes Les héparines de bas poids moléculaire allongent
concernent la qualité du prélèvement sanguin : peu le TCA, à la différence des héparines non
Tous les réactifs utilisés pour la détermination du
non-respect de la nature ou du volume de fractionnées. Seuls les nouveaux schémas
TCA n’ont pas la même sensibilité à ces différentes
l’anticoagulant utilisé pour le recueil du sang, d’administration utilisant une injection par jour de
pathologies et le choix de l’un d’entre eux doit
présence d’héparine souillant le prélèvement, délai fortes doses (150 à 200 UI/j [Innohept, Fraxodit])
prendre en compte le contexte clinique des patients
trop long entre le prélèvement et la réalisation du peuvent entraîner un allongement important du
explorés.
test, amorce de coagulation. Un traitement TCA.
anticoagulant par l’héparine ou par les antivitamines ‚ Contexte clinique


Réalisation du TCA
et valeurs normales
Le TCA mesure le temps de coagulation à 37 °C
K (AVK) peut allonger le TCA.
La mesure du temps de thrombine est utile, plus
particulièrement en milieu hospitalier, pour éliminer
la présence d’héparine (héparine des cathéters, des
L’allongement du TCA doit être interprété en
fonction du contexte clinique (notion d’antécédents
personnels ou familiaux d’accidents hémorragiques,
existence d’une maladie associée) et des résultats
d’un plasma en présence de phospholipides prélèvements faits parallèlement à la gazométrie...).
des examens de coagulation effectués parallèlement
(céphaline) et d’activateurs (kaolin, célite, acide En présence d’héparine dans le prélèvement, le
(temps de Quick, temps de saignement).
Si le temps de Quick est allongé, il peut s’agir d’un
Tableau I. – Valeurs normales et facteurs explorés par le temps de céphaline + activateur (TCA). déficit acquis (atteinte hépatique, avitaminose K,
coagulopathie de consommation) ou d’un déficit
Test Valeurs normales Facteurs explorés
constitutionnel des facteurs X (Stuart), V
TCA Témoin : 28 à 35 s selon réactif si temps de Quick normal (proaccélérine) et II (prothrombine) et du fibrinogène
Écart malade/témoin inférieur à 6-10 s Prékallicréine (cf fascicule I-1185 de l’Encyclopédie pratique de
Rapport malade/témoin < 1,2 Kininogène de haut poids moléculaire
Facteur XII : facteur Hageman médecine, Allongement du temps de Quick).
Facteur XI : facteur Rosenthal
Facteur IX : antihémophilique B ‚ Allongement isolé du TCA
Facteur VIII : antihémophilique A Un allongement isolé du TCA révèle, soit un
si temps de Quick allongé déficit constitutionnel en facteur de la coagulation
Facteur X : Stuart
appartenant à la voie intrinsèque de la coagulation
Facteur V : proaccélérine
Facteur II : prothrombine (kininogène de haut poids moléculaire,
Fibrinogène prékallicréine, facteurs VIII, IX, XI et XII), soit un
anticoagulant circulant.

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1-1175 - Allongement du temps de céphaline + activateur

– Le déficit constitutionnel en facteur XI est plus


1 Conduite à tenir devant fréquemment rencontré chez les juifs ashkénazes. La
Conduite à tenir devant un TCA allongé
un temps de céphaline + gravité des manifestations hémorragiques est
Orientation clinique : sexe, antécédents familiaux, origine ethnique, prises activateur (TCA) allongé.
variable d’un sujet à l’autre.
médicamenteuses, manifestations hémorragiques
– Les déficits en facteurs de la phase contact :
TCA allongé facteur Hageman ou facteur XII, kininogène de haut
poids moléculaire, prékallicréine. Diagnostiqués à
l’occasion de la découverte d’un allongement
Temps de thrombine important du TCA à un examen systématique, ce
sont des déficits rares qui n’entraînent jamais de
Temps de thrombine normal Temps de thrombine allongé : héparines manifestations hémorragiques, même lorsqu’ils sont
fibrinogène sévères.

Temps de Quick allongé (V, X, II) TCA et anticoagulant circulant


- atteinte hépatique
- avitaminose K ¶ Anticoagulant circulant
- déficit constitutionnel
Temps de Quick normal La présence d’un anticoagulant circulant est
évoquée sur la non-correction ou la mauvaise
TCA non corrigé par le témoin :
anticoagulant circulant correction du TCA du plasma du patient par le
TCA corrigé par le témoin - VIII, IX, XI, XII normaux : lupus anticoagulant plasma normal (le temps du mélange malade [M] +
Dosages VIII, IX, XI, XII - isolé d'un facteur : inhibiteur spécifique témoin [T] reste allongé). Le résultat peut être
(anti-VIII)
exprimé par l’indice de Rosner.
Indice de Rosner :
VIII : hémophilie A, Willebrand
IX : hémophilie B IR = (M + T) - T × 100
XI : ashkénases M
XII : pas de risque hémorragique < 12 : absence d’anticoagulant circulant
VIII, IX, XI, XII normaux 12-15 : douteux
Dosages prékallicréine, kininogène de haut poids moléculaire
> 15 : présence d’un anticoagulant circulant
Exemple de calcul (tableau III).
Le diagnostic repose sur l’épreuve de correction hémorragiques (hémarthroses, hématomes, Il existe deux grandes familles d’anticoagulants
du TCA par du plasma normal. Si l’anomalie est liée hémorragies postopératoires) dépend de la sévérité circulants: les anticoagulants circulants dirigés contre
à un déficit, l’addition de plasma normal corrige le du déficit (tableau II). On distingue les hémophilies un facteur de coagulation s’accompagnant de
TCA du patient. Si l’anomalie est liée à la présence sévères (taux inférieurs à 1 %), modérées (2 à 7 %) et manifestations hémorragiques et les inhibiteurs de
d’un anticoagulant circulant, le TCA du patient n’est mineures (7 à 30 %). Ce sont ces dernières qui spécificité « antiphospholipides » qui, en principe, ne
pas corrigé par le plasma normal. peuvent être diagnostiquées sur un allongement s’accompagnent pas de manifestations hémorra-
modéré du TCA découvert en préopératoire ou à giques mais peuvent s’accompagner, de manière
l’occasion de saignement postopératoire. Un taux de paradoxale, de thromboses. Ces derniers sont les
TCA : facteur VIII ou IX supérieur à 30 % (50 % en situation plus fréquents. Le dosage des facteurs de la voie
✔ malade 60 s/témoin 34 s chirurgicale) est nécessaire pour assurer une intrinsèque (VIII, IX, XI et XII) et la mesure du TCA
✔ malade + témoin : 36 s → déficit en hémostase normale. après addition de phospholipides permettent de
facteurs Une augmentation du taux de facteur VIII peut différencier ces deux types d’inhibiteurs (tableau IV).
✔ malade + témoin : 52 s → présence être obtenue par administration de concentrés de ¶ Inhibiteurs dirigés contre un facteur
d’un anticoagulant circulant facteur VIII ou administration de desmopressine de coagulation
(Minirint par voie intraveineuse, Octimt par Ils sont découverts à l’occasion de manifestations
instillation intranasale si le taux de facteur VIII est hémorragiques graves. Le diagnostic biologique
La nature du déficit ou la cible de l’anticoagulant supérieur à 5 %). Une augmentation du taux de repose sur l’association d’un allongement du TCA,
circulant est ensuite précisée par le dosage facteur IX peut être obtenue par administration de non corrigé par le témoin, et d’un déficit isolé en un
spécifique des facteurs VIII, IX, XI, XII et des facteurs concentrés de facteur IX. seul facteur de la coagulation (tableau IV). La
du système contact.

TCA et déficits en facteurs de la voie Tableau II. – Différentes formes d’hémophilie selon le taux de facteur VIII ou IX.
intrinsèque
Taux Manifestations
Sévérité de l’hémophilie TCA malade/témoin
Le TCA est très sensible aux déficits en facteurs de de facteur VIII ou IX hémorragiques
la phase contact (facteur XII). En revanche, il est <1% Sévère Hémarthroses sponta- 75 s/33 s
moins sensible au déficit en facteur VIII et surtout au nées récidivantes
déficit en facteur IX. Il faut donc être vigilant sur les
2à7% Modérée Hémarthroses rares 55 s/33 s
allongements modérés du TCA. Hématomes post-
– L’hémophilie A (déficit en facteur VIII) et traumatiques
l’hémophilie B (déficit en facteur IX) sont, après la Complications hémorra-
maladie de Willebrand, les plus fréquentes des giques postopératoires
maladies constitutionnelles de la coagulation. Leur 7 à 30 % Mineure Complications hémorra- 45 s/33 s
transmission est autosomale récessive, de même giques postopératoires
type biologique A ou B, et de même sévérité et post-traumatiques en
l’absence de traitement
biologique au sein d’une même famille.
approprié
L’hémophilie A est cinq fois plus fréquente que
l’hémophilie B. La gravité des manifestations TCA : temps de céphaline + activateur.

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Allongement du temps de céphaline + activateur - 1-1175

Tableau III. – Allongement du temps de céphaline + activateur (TCA) par déficit en facteur de coa- Tableau V. – Syndrome des antiphospholipides.
gulation ou anticoagulant circulant (ACC).
Critère clinique
Tests Plasma no 1 Plasma no 2
• Thrombose artérielle et/ou veineuse, ou des petits
TCA 67/T 33 s 67/T 33 s vaisseaux. Diagnostic nécessaire par imagerie ou
histologie (présence de thrombose sans inflamma-
Mélange malade + témoin 38 s 50 s tion de la paroi vasculaire)
• Grossesse pathologique
Indice de Rosner (38-33)/67 × 100 = 7 (50-33)/67 × 100 = 25
• une ou plusieurs perte(s) fœtale(s) inexpliquée(s)
Conclusion Absence d’ACC Présence d’un ACC d’un fœtus morphologiquement normal à plus de
10 semaines de grossesse
• une ou plusieurs naissances prématurées d’un
présence d’un anticorps dirigé spécifiquement contre cliniques : syndromes lymphoprolifératifs fœtus normal à 34 semaines ou avant 34 semaines
un facteur de coagulation est confirmée par (lymphomes, dysglobulinémies...), syndromes de grossesse par prééclampsie ou insuffısance pla-
l’inhibition de cette protéine dans le plasma témoin néoplasiques, infections diverses, notamment chez centaire
par le plasma du malade. • trois pertes fœtales inexpliquées ou plus avant
l’enfant ou lors de la prise de certains médicaments
10 semaines de grossesse après avoir éliminé les
Les plus fréquents sont les inhibiteurs dirigés (bêtabloquants, phénothiazine, procaïnamide). Leur causes anatomiques et hormonales chez la mère et
contre le facteur VIII. On les trouve chez les présence peut être transitoire, en particulier au cours les causes chromosomiques chez les deux parents
hémophiles transfusés (alloanticorps), mais aussi en des infections. Ils peuvent être détectés chez les
Critère biologique
dehors de l’hémophilie, dans le post-partum, dans le individus en dehors de tout contexte pathologique.
contexte d’une maladie auto-immune (en particulier Ils ne s’accompagnent pas de manifestations • Anticorps ACL IgG ou IgM à un titre moyen ou
fort, sur deux prélèvements à 6 semaines d’inter-
dans le lupus), associés à des prises médicamen- hémorragiques. Des complications thromboembo- valle en utilisant un Elisa reconnaissant les anti-
teuses (pénicilline) ou sans pathologie sous-jacente, liques sont observées dans un tiers des observations ACL-b2-GPI-dépendants (les anti-b2-GPI, faible
en particulier chez le sujet âgé. Les inhibiteurs dirigés définissant le syndrome des antiphospholipides. Les titre d’IgG, IgM, ACL, IgA, autres antiphospholipi-
contre le facteur IX sont observés chez l’hémophile B thromboses peuvent être veineuses, artérielles ou des ne sont pas reconnus actuellement comme cri-
ou dans un contexte de maladie auto-immune. tère de syndrome des antiphospholipides)
placentaires, responsables de pertes fœtales
• Lupus anticoagulant défini selon les critères de
récidivantes. l’ISTH
¶ Inhibiteurs dirigés contre les « phospholipides »
ou lupus anticoagulants (LA) Le syndrome des antiphospholipides associe un
Les anticorps antiphospholipides forment un critère clinique et un critère biologique retrouvé sur Elisa : enzyme-linked immunosorbent assay ; Ig : immunoglobuline ; ACL :
anticorps anticardiolipine ; b2GPI : b2 glycoprotéine I ; ISTH : International
groupe hétérogène d’anticorps comprenant les deux prélèvements faits à 6 semaines d’intervalle Society of Thrombosis and Haemostasis.
anticorps détectés par méthodes de coagulation et (International workshop, Arthritis Rheum 1999 ; 42
les anticorps anticardiolipine recherchés par (7) : 1309-1311) (tableau V).
méthode immunologique. Les antiphospholipides Les critères du diagnostic biologique Les réactifs utilisés pour la réalisation du TCA
sont des autoanticorps. Ils sont ainsi dénommés car d’anticoagulant circulant de type lupus ou LA ont été n’ont pas tous la même sensibilité aux LA. Du fait de
on avait établi qu’ils étaient principalement dirigés clairement précisés en 1995 par l’International cette différence de sensibilité et de l’hétérogénéité
contre les phospholipides anioniques, et plus Society of Thrombosis and Haemostasis. Quatre des LA, des résultats discordants peuvent être
particulièrement la phosphatidylsérine ou le étapes sont nécessaires pour affirmer la présence observés selon les techniques utilisées. Mieux qu’une
phosphatidylinositol, acide phosphatidique. Il est d’un LA : simple demande de TCA, l’ordonnance de
maintenant démontré que des protéines – dépistage de l’anticoagulant circulant, le plus prescription doit préciser la demande de recherche
plasmatiques ayant une haute affinité pour les souvent sur un allongement du TCA, parfois associé de LA, ce qui permet au biologiste d’utiliser les
phospholipides (b 2 GPI (b 2 glycoprotéine I), à un allongement du temps de Quick ; réactifs et les tests les plus sensibles. La recherche
prothrombine, protéines C, S, annexine...), vont – présence d’un effet inhibiteur défini par la d’anticorps anticardiolipine devrait être faite
exprimer des néoantigènes lors de leur fixation aux non-correction du temps malade par le témoin ; systématiquement, parallèlement à la recherche de
phospholipides, néoantigènes qui seront reconnus – dépendance des phospholipides se traduisant LA, compte tenu de la fréquente association (60 %)
par ces anticorps antiphospholipides-protéines. par un raccourcissement du TCA après addition de de ces deux marqueurs du syndrome des
Les antiphospholipides se rencontrent au cours phospholipides ; antiphospholipides, l’association de ces deux
des pathologies auto-immunes (lupus érythémateux, – absence d’effet inhibiteur spécifique sur les recherches est recommandée pour augmenter la
connectivite...) et dans diverses circonstances facteurs de coagulation dont le dosage est normal. sensibilité de la détection des antiphospholipides.

Tableau IV. – Diagnostic différentiel anticoagulant circulant (ACC) anti-VIII, antiphospholipides.

Tests Plasma no 1 Plasma no 2


Patient de 75 ans sans passé hémorragique, adressé TCA préopératoire chez une patiente de 40 ans sans
pour volumineux hématome de cuisse manifestation hémorragique
TCA 67/T 33 s 67/T 33 s
Mélange malade + témoin 50 s 50 s
Présence d’un ACC Présence d’un ACC
Addition de phospholipides TCA 65 s TCA 50 s
TCA non raccourci en présence de phospholipides TCA raccourci en présence de phospholipides
Facteur VIII 5% 90 %
Facteur IX 85 % 85 %
Facteur XI 75 % 75 %
Facteur XII 80 % 80 %
Conclusion Suspicion d’antifacteur VIII Anticoagulant de type lupus

TCA : temps de céphaline + activateur.

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1-1175 - Allongement du temps de céphaline + activateur

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Horellou MH, Conard J et Samama M. Allongement du temps de céphaline + activateur.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1175, 2001, 4 p

Références

[1] Recommandations du groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose [2] Zittoun R, Samama MM, Marie JP. Manuel d’hématologie. Paris : Doin, 1998
(GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 5-14

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AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

Allongement du temps de Quick

MH Horellou, J Conard, M Samama

L e temps de Quick explore de façon globale tous les facteurs de la voie extrinsèque de la coagulation (facteurs
VII, X, V, II et fibrinogène). Il est encore souvent exprimé en « taux de prothrombine » (TP). Des variations
importantes des résultats des TP exprimés en pourcentage sont observées d’un laboratoire à un autre et d’un réactif
à l’autre, pour un même patient. C’est pourquoi l’expression du temps de Quick en international normalized ratio
(INR) est proposée dès 1983 dans la surveillance du traitement anticoagulant oral. L’expression en pourcentage
reste recommandée en dehors de la surveillance des antivitamines K (AVK).
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : taux de prothrombine, temps de Quick, coagulation - traitement par antivitamines K.


Réalisation du temps de Quick
et valeurs normales
Le temps de Quick est le temps de coagulation
Tableau I. – Facteurs de coagulation explorés par le temps de Quick.

Fibrinogène
Taux normaux
2-4 g/L
Taux nécessaires à l’hémostase
0,5-1 g/L
d’un plasma en présence de thromboplastine
tissulaire (mélange de facteur tissulaire et de Facteur II (prothrombine) 70-120 % 40 %
phospholipides) et de calcium. Facteur V (proaccélérine) 70-120 % 10-15 %
Le temps de coagulation est comparé à celui d’un
Facteur VII (proconvertine) 70-120 % 5-10 %
témoin, voisin de 12 secondes pour la plupart des
réactifs. Les Anglo-Saxons expriment le résultat en Facteur X (facteur Stuart) 70-120 % 10-20 %
rapport temps du malade/temps du témoin. Les
pays latins ont l’habitude d’exprimer le résultat en
pourcentage d’activité, en désignant ce pourcentage
Tableau II. – Allongement du temps de Quick : avitaminose K ou insuffisance hépatocellulaire.
sous le nom de « TP ». Le pourcentage est calculé en
utilisant différentes dilutions d’un plasma témoin qui Plasma n° 1 Plasma n° 2
correspond par définition à 100 % de la normale.
Facteur V 100 45
Les valeurs inférieures à 70 % sont considérées
comme pathologiques. Facteurs VII + X 40 40
Facteur II 45 45


Causes d’erreur du temps de Quick Conclusion Avitaminose K Insuffısance hépatocellulaire
et précautions à prendre
Les principales causes d’erreur affectant le temps Les erreurs de mesure, une erreur dans la fibrinogène et/ou la présence d’une antithrombine
de Quick sont le non-respect des conditions détermination de l’indice de sensibilité internationale peuvent influencer le temps de Quick.
préanalytiques : mauvais remplissage du tube et (ISI) ou dans le calcul de l’INR, l’utilisation d’un Un taux de fibrinogène inférieur à 1 g/L allonge le
non-respect du rapport volume de l’anticoagulant et mauvais plasma témoin doivent être maîtrisées par temps de Quick. De même, les anomalies
du plasma, délai trop long (supérieur à 4 heures) le biologiste. qualitatives du fibrinogène (dysfibrinogénémie) sont
entre le prélèvement et la réalisation du test souvent détectées sur un allongement isolé du
entraînant une diminution des facteurs labiles, temps de Quick.
mauvaise conservation des échantillons (le froid
raccourcit le temps de Quick par activation du
facteur VII, la chaleur entraîne une diminution du
facteur V). Le temps de Quick n’est pas sensible à

Facteurs de coagulation explorés
par le temps de Quick

Le temps de Quick explore la voie extrinsèque de


Les facteurs V, VII, X et II sont synthétisés au
niveau du foie, et la dernière étape de la synthèse
des facteurs VII, X et II (facteurs vitamino-K-
dépendants) nécessite la présence de vitamine K. Le
l’héparine du fait de la présence d’un antagoniste de la coagulation (tableau I). Outre les facteurs du temps de Quick est donc allongé dans l’insuffisance
l’héparine dans la plupart des réactifs. complexe prothrombinique (V, VII, X et II), le hépatocellulaire et les avitaminoses K. Un taux

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1-1185 - Allongement du temps de Quick

Déficits congénitaux en facteurs V, X et II


Conduite à tenir devant un allongement 1 Diagnostic d’un allon-
du temps de Quick (TP ) gement du temps de Quick. Les déficits isolés en facteur II, V ou X sont très
AVK : antivitamine K ; TP : rares. Ils sont congénitaux et transmis classiquement
taux de prothrombine. selon le mode autosomal récessif. Chez les
Orientation clinique : atteinte hépatique, AVK, hémorragies
homozygotes, les manifestations hémorragiques
apparaissent dès les premiers jours de vie. Chez les
hétérozygotes, les manifestations hémorragiques
n’apparaissent qu’à l’occasion d’une intervention,
Temps de thrombine normal Temps de thrombine allongé d’une extraction dentaire ; certains déficits sont
latents et ne sont découverts que lors d’un examen
Dosage V, VII + x, II Dosage du fibrinogène systématique. Les taux de ces différents facteurs
• diminué - hypofibrinogénémie nécessaires à l’hémostase ont été rappelés dans le
• Plusieurs facteurs diminués - dysfibrinogénémie tableau I.
I, V, VII, X, II : atteinte hépatique
défibrination • normal - présence d'une antithrombine
II, VII, X : avitaminose K Anticoagulants circulants
Les anticorps qui entraînent un allongement
• Un seul facteur diminué simultané du temps de Quick et du TCA sont
Déficit constitutionnel
Inhibiteur spécifique exceptionnellement des inhibiteurs spécifiques de
l’un des facteurs de coagulation explorés par les
deux tests (facteur II, V, X ou fibrinogène). Ce sont le
plus souvent des anticorps « antiphospholipides », le
normal de facteur V avec diminution des autres diverses circonstances. La correction du temps de
plus souvent détectés sur un allongement du TCA et
facteurs du complexe prothrombinique oriente vers Quick après administration de 20 à 50 mg de
une avitaminose K (tableau II). du temps de Quick à un degré moindre.
vitamine K (épreuve de Koller) permet de distinguer
l’origine de la vitamine K : carence d’apport si la

■ ■
correction est obtenue après administration orale de
Diagnostic d’un allongement vitamine K, carence d’absorption si, après échec de
Temps de Quick et surveillance du
du temps de Quick (fig 1) traitement par les antivitamines
l’administration orale, la correction est obtenue par K : expression en INR
administration intraveineuse ou sous-cutanée de
‚ Allongement isolé du temps de Quick vitamine K. Le temps de Quick est actuellement le test
avec temps de céphaline + activateur – La maladie hémorragique du nouveau-né : recommandé pour la surveillance des AVK. Cette
(TCA) normal classiquement observée au quatrième jour de vie, surveillance biologique est indispensable en raison
Il oriente vers un déficit isolé en proconvertine ou elle est due à une carence d’apport par le lait de variations de sensibilité observées d’un malade à
facteur VII. Ce déficit est exceptionnel, transmis de maternel et à une absence de synthèse par défaut l’autre, et également chez un même malade, en
façon autosomale et récessive, et s’accompagne de de la flore intestinale. Elle peut être prévenue par raison de l’existence de facteurs de sensibilité ou de
manifestations hémorragiques de gravité variable. l’administration systématique de vitamine K à la résistance.
Un taux de facteur VII voisin de 5 à 10 % est suffisant naissance. Les réactifs utilisés pour la mesure des temps de
pour assurer une hémostase normale. Un – Chez l’adulte, une hypovitaminose K est Quick ont des sensibilités différentes aux facteurs
allongement isolé du temps de Quick peut être exceptionnellement due à une carence alimentaire. vitamino-K-dépendants, ce qui entraîne des résultats
également observé chez les patients recevant un Elle est beaucoup plus souvent liée à une obstruction différents chez un même patient selon le réactif
traitement anticoagulant oral entraînant une des voies biliaires ou à un syndrome de utilisé : la zone thérapeutique est de 25 à 35 % avec
hypocoagulabilité modérée (INR 2) du fait de la malabsorption intestinale, à la destruction de la flore un réactif et de 15 à 25 % avec un autre. Pour
demi-vie plus courte du facteur VII d’une part et intestinale par les antibiotiques.
permettre une meilleure comparaison nationale et
d’une sensibilité du TCA aux facteurs vitamino-K- internationale des résultats, l’expression en INR est
Maladies du complexe prothrombinique ne
dépendants inférieure à celle du temps de Quick. proposée depuis 1983.
réagissant pas à la vitamine K
‚ Allongement associé du temps de Quick Les insuffisances hépatocellulaires (hépatite virale,
( temps du malade ISI
et du TCA infectieuse, toxique, cirrhose) provoquent des déficits
INR =
temps du temoin
)
par défaut de synthèse. Dans les hépatites
Il est observé dans : L’ISI est l’indice de sensibilité internationale.
chroniques et les cirrhoses, on constate une baisse
– les avitaminoses K ; L’ISI est déterminé pour chaque réactif par rapport
plus ou moins marquée des facteurs du complexe
– l’insuffisance hépatocellulaire ; à une préparation de référence et il est fourni par les
prothrombinique, du fibrinogène et des plaquettes.
– les coagulopathies de consommation fabricants de réactifs aux laboratoires utilisateurs. De
Le déficit en proaccélérine témoigne de la gravité du
(coagulation intravasculaire disséminée [CIVD]) ; nouveaux réactifs à ISI voisins de 1 sont
pronostic. Ces anomalies peuvent favoriser certaines
– en présence d’anticoagulant circulant ; actuellement recommandés pour améliorer la
hémorragies, notamment les saignements des
– dans les déficits isolés, constitutionnels en varices œsophagiennes et les hémorragies standardisation de l’INR. L’expression en
fibrinogène, facteurs V, X et II. périopératoires. Les hémorragies dramatiques et pourcentage obtenue avec ces nouveaux réactifs
Les pathologies du fibrinogène, la coagulopathie profuses de l’ictère grave s’accompagnent d’un donne des pourcentages inférieurs à ceux obtenus
de consommation sont décrites dans le fascicule effondrement de tous les facteurs de coagulation. avec les anciens réactifs (par exemple, un INR à 3
1-1187 « Allongement du temps de thrombine ». D’autres déficits, ne réagissant pas à la vitamine K, correspond à un pourcentage à 22 % avec les
peuvent être rencontrés en dehors d’une hépatite nouveaux réactifs, 33 % avec les anciens réactifs). Il
Avitaminose K confirmée : déficit acquis en facteur X dans les est donc nécessaire d’adapter la dose d’AVK sur l’INR
Conséquence d’un défaut d’apport ou amyloses, diminution élective du facteur V dans les et non sur le pourcentage.
d’absorption de la vitamine K ou d’une anomalie de syndromes de défibrination ou en présence d’une Les zones recommandées actuellement sont
son cycle métabolique, elle est observée dans splénomégalie. données dans le tableau III.

2
Allongement du temps de Quick - 1-1185

Tableau III. – Principales indications des antivitamines K (AVK) et zones thérapeutiques recommandées.

Indications Durée de traitement INR


Traitement des thromboses veineuses et embolies pulmonaires 3 à 6 mois minimum 2-3
Cible 2,5
Prévention des embolies systémiques 2-3
en cas de : Cible 2,5
- prothèse valvulaire tissulaire 3 mois après intervention
- fibrillation auriculaire Longue durée
- infarctus du myocarde compliqué Longue durée
- cardiopathie valvulaire Longue durée
Prothèses valvulaires mécaniques Longue durée 2,5-3,5*
Cible 3

* International normalized ratio (INR) à adapter en fonction du type de prothèse, de sa position, de la date d’implantation (3 à 4,5 pour certaines prothèses).

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Maître de conférences, praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : MH Horellou, J Conard, M Samama. Allongement du temps de Quick.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1185, 2001, 3 p

Références

[1] Recommandations du groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose [2] Zittoun R, Samama MM, Marie JP. Manuel d’hématologie. Paris : Doin, 1998
(GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 5-14

3
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1-1170

Allongement du temps
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

de saignement
MH Horellou, J Conard, M Samama

L e temps de saignement est le seul test d’hémostase réalisé in vivo, qui explore globalement l’hémostase
primaire, c’est-à-dire les interactions entre les plaquettes et la paroi vasculaire, via le facteur Willebrand et le
fibrinogène nécessaire à l’état de traces.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : temps de saignement, hémostase primaire, Willebrand, plaquettes.


‚ Technique de Duke ‚ Choix de la technique
Introduction La réalisation systématique du temps de
Il s’agit d’une incision au lobe de l’oreille. Elle est
largement utilisée mais ses limites sont importantes. saignement n’est plus recommandée dans le bilan
Elle manque de sensibilité et de reproductibilité. La d’hémostase préopératoire, mais il doit être réalisé
Le temps de saignement (TS) est le temps qui
normale est de 2 à 4 minutes. chez les patients ayant une histoire hémorragique.
s’écoule entre la création, au niveau cutané, d’une Une méthode sensible (Ivy-incision) est actuellement
brèche pariétale des petits vaisseaux du derme, et préférée.
l’arrêt du saignement ainsi provoqué. Le TS n’est plus ‚ Technique d’Ivy-incision horizontale
un examen prescrit à titre systématique lors d’un Cette technique, réalisée à l’avant-bras, a été bien


bilan préopératoire, mais il doit être pratiqué chez standardisée. L’incision est réalisée horizontalement,
tout patient ayant une histoire hémorragique si la Interprétation d’un allongement
sur la face antérieure de l’avant-bras après du temps de saignement (fig 1)
numération de plaquettes est normale. désinfection, à l’aide d’un dispositif jetable (type
Pour pallier le défaut de reproductibilité du TS, la Simplatet). Une contre-pression de 40 mmHg est L’interprétation nécessite de connaître la
nécessité de sa réalisation in vivo, au lit du patient, appliquée au bras à l’aide d’un brassard à tension. La technique utilisée et de prendre en compte le
un nouveau test d’exploration de l’hémostase normale est de 4 à 8 minutes. C’est la technique de contexte clinique ainsi qu’une éventuelle prise
primaire, le platelet fonction analyser (PFA) 100TM a référence qui présente l’avantage d’être sensible et médicamenteuse. La première cause d’allongement
été récemment proposé. Il mesure le temps standardisée. Néanmoins, elle laisse une petite acquis du TS est l’aspirine dont la prise, souvent
d’occlusion (TO) de l’orifice d’une membrane par le cicatrice. Enfin, son coût est plus élevé (dispositif méconnue, doit être recherchée à l’interrogatoire.
sang total. Les premiers résultats d’évaluation du jetable). Bien entendu, la prise de tout autre anti-
PFA100TM dans l’exploration de l’hémostase sont inflammatoire ou antiagrégant plaquettaire
prometteurs, plus particulièrement pour le dépistage ‚ Autres techniques (ticlopidine, clopidogrel) est également associée à un
de la prise d’aspirine et du déficit en facteur allongement du TS. Le TS peut être allongé en cas
Willebrand. D’autres techniques peuvent être réalisées, d’anémie profonde (Hb < 7 g/dL) ou lors de la prise
notamment la technique d’Ivy-incision verticale, tout de bêtalactamines à fortes doses (fig 1).
à fait semblable mais dans le sens des microfibrilles, Le TS doit être confronté à une numération


ce qui favorise la confluence des berges de l’incision plaquettaire concomitante.
Réalisation du temps et raccourcit la durée du saignement (normale : 2 à
de saignement et valeurs
normales 5 minutes). ‚ Numération de plaquettes diminuée
La technique d’Ivy-3 points : il ne s’agit plus d’une Précisons d’emblée que si le contexte clinique
Plusieurs techniques (tableau I) sont utilisées, mais incision mais de trois points de piqûre réalisés à suggère qu’un syndrome hémorragique est en
la technique d’Ivy-incision est considérée comme la l’aide d’une microlance. Le temps normal est rapport avec une thrombopénie (c’est-à-dire purpura
technique de référence. inférieur à 5 minutes. pétéchial et ecchymotique diffus, éventuellement
accompagné de saignement muqueux), il vaut
mieux d’abord réaliser une numération de
Tableau I. – Techniques du temps de saignement.
plaquettes. Si la thrombopénie est profonde
Méthodes Techniques Normales (inférieure à 50 G/L), le TS n’est souvent pas utile.
Néanmoins, il ne faut accepter de rattacher
Duke Incision de l’oreille avec un vaccinostyle de 2 à 4 minutes l’allongement du TS à une thrombopénie que si
Recueil de gouttes de sang toutes les - peu sensible celle-ci est franche (inférieure à 100 G/L). Mais il
30 secondes - peu reproductible n’existe pas de véritable corrélation entre la sévérité
- peu spécifique
de la thrombopénie et l’allongement du TS.
Ivy-incision Brassard gonflé à 40 mmHg de 4 à 8 minutes
Incision horizontale sur l’avant-bras - test plus sensible ‚ Numération de plaquettes augmentée
avec dispositif à usage unique
Les hyperplaquettoses secondaires (après
Recueil de gouttes de sang toutes les - meilleure reproductibilité
30 secondes splénectomie, saignements importants, au cours des
maladies inflammatoires, infectieuses ou cancers)

1
1-1170 - Allongement du temps de saignement

différentes situations (infection, grossesse,


1 Allongement du temps postopératoire). Le diagnostic peut alors être difficile
Temps de saignement allongé
de saignement (TS). AINS : et les patients doivent être étudiés à plusieurs
anti-inflammatoire non reprises. Une enquête familiale doit toujours
Artefact technique ? stéroïdien.
Médicaments (aspirine ?)
compléter le diagnostic. Le type du déficit en facteur
Anémie (hématocrite < 25 %) Willebrand est défini sur la réponse à la ristocétine,
l’étude de la répartition des multimères, et par la
biologie moléculaire (centres spécialisés).
Numération plaquettaire
Un syndrome hémorragique per- et postopéra-
toire au cours de la maladie de Willebrand peut être
Diminuée Normale Augmentée traité par des concentrés de facteurs VIII et
Willebrand. L’administration de desmopressine par
voie intraveineuse (Minirint) ou par instillation
Thrombopénies Willebrand Thrombopathies Syndromes
nasale (Octimt) multiplie par trois ou quatre les taux
Diagnostic étiologique Dosage Willebrand myéloprolifératifs
de base de facteurs VIII et Willebrand. La
desmopressine est utilisée lorsque le taux de
Tests fonctionnels plaquettaires
Willebrand est supérieur à 5 %, en dehors du
Willebrand de type IIB.
Anormaux Normaux
Thrombopathies
Thrombopathies acquises Allongement isolé du TS
Elles sont constitutionnelles ou beaucoup plus
Médicamenteuses
- AINS fréquemment acquises, secondaires à une prise
- Aspirine médicamenteuse ou à une pathologie. Clini-
- Ticlopidine, clopidogrel quement, nous retrouvons les caractéristiques d’un
- Antibiotique trouble de l’hémostase primaire avec des signes
Insuffisance rénale
Dysglobulinémie
hémorragiques essentiellement cutanéomuqueux.
Hémopathie La réponse aux différents agents agrégants
Thrombopathies constitutionnelles mesurée par les tests d’agrégométrie permet
d’orienter le diagnostic. Ces thrombopathies seront
ensuite caractérisées par l’analyse des glycopro-
sont faites de plaquettes de qualité normale qui La maladie atteint les deux sexes. La transmission téines de membrane, l’analyse biochimique du
n’allongent pas le temps de saignement. En est autosomale, le plus souvent dominante. C’est la contenu granulaire, l’étude du métabolisme des
revanche, les thrombocytoses primitives observées maladie hémorragique constitutionnelle la plus phospholipides et des prostaglandines. Ces
lors des syndromes myéloprolifératifs (thrombocy- fréquente. La maladie de Willebrand est caractérisée explorations sont réservées à des laboratoires
témie primitive, maladie de Vaquez, leucémie par des hémorragies muqueuses (épistaxis, spécialisés.
myéloïde chronique) s’accompagnent de gingivorragies, ménorragies) et cutanées
¶ Thrombopathies acquises
thrombopathies, sources d’accidents hémorragiques, (ecchymoses, saignements prolongés lors des
qui peuvent entraîner un allongement du TS. coupures). Il n’existe pas de purpura pétéchial à Médicamenteuses
l’exception des thrombopénies. Les ménorragies De nombreux médicaments inhibent les fonctions
‚ Temps de saignement allongé sont présentes chez 50 à 75 % des femmes. Elles se plaquettaires : l’acide acétylsalicylique (aspirine), en
et numération de plaquettes normale manifestent lors des premières règles. Les inhibant la cyclo-oxygénase plaquettaire. Cette
Lorsque le TS est allongé et que la numération de hémorragies muqueuses peuvent apparaître lors de inhibition est irréversible et peut perturber les
plaquettes est normale, deux diagnostics doivent la prise d’aspirine. explorations de l’hémostase primaire pendant 7 à
être évoqués : Le diagnostic biologique associe allongement du 10 jours. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens
– un déficit en facteur Willebrand, souvent TS, allongement du TCA, déficit en facteur (AINS) ont une action analogue à celle de l’aspirine,
héréditaire ; Willebrand. L’allongement du TCA est parallèle à mais elle est rapidement réversible.
– une anomalie qualitative plaquettaire ou l’intensité du déficit en facteur VIII et dépend de la Thrombopathies acquises associées à d’autres
thrombopathie (à l’inverse, le plus souvent acquise). sensibilité du réactif au déficit en facteur VIII. Le TCA maladies
En conséquence, l’exploration comprend, à ce peut être modérément allongé ou même normal
Elles ont été décrites au cours des hémopathies
stade : (tableau II).
(syndromes myéloprolifératifs, dysglobulinémies,
– la mesure du facteur Willebrand et du fac- Le facteur Willebrand est mesuré par son activité
anémies réfractaires), au cours de l’insuffisance
teur VIII (facteur antihémophilique A) puisque cofacteur de la ristocétine (vWF Rcof) ou par
rénale et des cardiopathies congénitales.
l’association TS allongé-numération de plaquettes méthode immunologique (vWFAg). Il est compris
normale, temps de céphaline + activateur (TCA) entre 1 et 50 % (valeurs normales 50 à 150 %). Le ¶ Thrombopathies constitutionnelles
allongé par déficit en facteur VIII, est très évocatrice facteur Willebrand est une protéine de – Dystrophie thrombocytaire de Bernard et Soulier
de maladie de Willebrand ; l’inflammation et son taux augmente dans ou anomalie de l’adhésion des plaquettes : elle est
– l’étude de la morphologie et des fonctions
plaquettaires ; l’étude des fonctions plaquettaires Tableau II. – Diagnostic biologique de la maladie de Willebrand.
n’est disponible que dans des laboratoires
spécialisés. Tests Résultats

Maladie de Willebrand TS (Ivy) : 12 min TS allongé


3
Le facteur Willebrand a deux principales Plaquettes : 312 000/mm Numération plaquettes normale
fonctions : la première est de jouer un rôle dans TCA : 40/T 32 s TCA allongé
l’interaction des plaquettes avec la paroi vasculaire
lésée, et la deuxième d’assurer le transport et la Facteur VIII : 30 % Facteur VIII diminué
protection du facteur VIII (facteur antihémophili- Facteur Willebrand Facteur Willebrand diminué
que A). Le déficit en facteur Willebrand retentit d’une vWF Rcof : 35 %, vWF ag : 30 %
part sur l’hémostase primaire, d’autre part sur la
coagulation (allongement du TCA et déficit en VIII). TS : temps de saignement ; TCA : temps de céphaline + activateur.

2
Allongement du temps de saignement - 1-1170

due à l’absence d’une glycoprotéine membranaire tendance à la désagrégation des plaquettes dont les Le système utilise une membrane de nitrocel-
(GPIb), récepteur du facteur Willebrand et nécessaire granules sont déficients. lulose biologiquement active recouverte de
à l’adhésion des plaquettes. collagène de type 1 et un autre agoniste


plaquettaire, soit l’adénosine diphosphate (ADP), soit
– Thrombasthénie de Glanzmann ou anomalie Exploration des fonctions l’épinéphrine. Cette membrane possède un orifice
de l’agrégation des plaquettes : elle est due à plaquettaires par le PFA100 TM central au travers duquel le sang s’écoule dans des
l’absence du complexe glycoprotéique membranaire
Un test d’exploration rapide de l’hémostase conditions de flux contrôlé. Le système mesure le
IIb-IIIa, récepteur du fibrinogène et cofacteur
primaire réalisé in vivo est actuellement TO, temps nécessaire à l’écoulement du sang
principal de l’agrégation plaquettaire ; l’agrégation
disponible [1]. Le PFA100TM (Dade Behring) est un correspondant à la formation du clou plaquettaire
plaquettaire est toujours nulle, quel que soit son
nouvel automate qui permet d’évaluer la capacité au niveau de l’orifice de la membrane.
inducteur ; les hémorragies à type d’hémorragies
fonctionnelle des plaquettes, en sang citraté, sans Les études ont montré une bonne sensibilité du
digestives, d’épistaxis, sont souvent graves ;
aucune préparation préalable de l’échantillon. PFA100TM pour le dépistage de la maladie de
différentes mutations sont identifiées par biologie
D’utilisation simple, le PFA100TM simule in vitro les Willebrand (allongement du TO avec les cartouches
moléculaire.
conditions rencontrées lors d’une brèche de la paroi ADP et épinéphrine) et le dépistage des patients
– Anomalies de la sécrétion plaquettaire : plus artériolaire. Dans le cadre de l’exploration de ayant ingéré de l’aspirine (allongement du TO avec
fréquentes que les deux précédentes, elles sont troubles hémorragiques évoquant un trouble de la cartouche épinéphrine). En revanche, une
responsables de syndromes hémorragiques plus l’hémostase primaire au cours d’un interrogatoire mauvaise sensibilité du PFA100TM à la prise de
modérés (diminution des grains denses [maladie du systématique, il est capable de détecter de manière ticlopidine et de clopidogrel a été rapportée. Sa
pool vide], des granules alpha [syndrome des sensible les anomalies les plus fréquentes, la prise sensibilité aux autres AINS que l’aspirine et aux
plaquettes grises]) ; elles sont caractérisées par une d’aspirine et un déficit en facteur Willebrand. anti-IIb/IIIa n’a pas encore été étudiée.

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Horellou MH, Conard J et Samama M. Allongement du temps de saignement.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1170, 2001, 3 p

Références

[1] Lasne D, Aiach M. Exploration des fonctions plaquettaires par le PFA100TM : [3] Zittoun R, Samama MM, Marie JP. Manuel d’hématologie. Paris : Doin, 1998
performances et limites. Sang Thromb Vaiss 2000 ; 12 : 97-103

[2] Recommandations du groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose


(GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 5-14

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AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

Allongement du temps de thrombine

MH Horellou, J Conard, M Samama

L e temps de thrombine explore les deux premières étapes de la fibrinoformation (action protéolytique de la
thrombine et polymérisation), mais il est indépendant du facteur XIII. Ce test est rarement demandé isolément
en préopératoire ou dans l’évaluation d’un syndrome hémorragique. Il est toujours précédé de la réalisation d’un
temps de Quick et d’un temps de céphaline + activateur.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : fibrinoformation, fibrinogène, coagulopathie de consommation.


Introduction

Comme nous l’avons vu précédemment (cf


Diagnostic d'un allongement du temps de thrombine 1 Diagnostic d’un allon-
gement du temps de
thrombine.

Temps de reptilase
fascicules I-1185 « Allongement du temps de Quick »
et I-1175 « Allongement du temps de céphaline +
activateur »), ce test est la première étape de la Allongé Normal : malade traité par héparine
démarche diagnostique d’un allongement de ces
deux tests : il permet d’éliminer une anomalie de la
Dosage du fibrinogène
fibrinoformation lorsque le temps de Quick est
allongé, et la présence d’antithrombine (héparine) Normal
lorsque le temps de céphaline + activateur (TCA) est Inhibiteur de la fibrinoformation
allongé. Augmenté
Hyperfibrinogénémie
Le temps de thrombine est sensible aux Diminué
héparines, à l’hirudine et aux inhibiteurs de synthèse
antithrombinique.

• D-dimères normaux : synthèse anormale


- Hypofibrinogénémie
- Afibrinogénémie
Réalisation et valeurs normales - Dysfibrinogénémie
• D-dimères augmentés : défibrinations
- Coagulopathie de consommation
- Fibrinolyse
Le temps de thrombine est le temps de
coagulation d’un plasma en présence de thrombine.
Le temps normal est voisin de 20 secondes. ‚ Temps de reptilase produits de dégradation de la fibrine (D-dimères)
L’examen est anormal si le temps du malade sont normaux dans les anomalies de synthèse et
Il est insensible à l’héparine. Lorsque le plasma à
dépasse celui du témoin de plus de 3 secondes. augmentés dans les destructions excessives.
tester contient de l’héparine, le temps de thrombine
est allongé, alors que le temps de reptilase est
Anomalies de synthèse du fibrinogène


normal. L’association temps de thrombine
Interprétation d’un allongement allongé-temps de reptilase allongé est observée en Elles peuvent être quantitatives (hypo-,
du temps de thrombine (fig 1) présence d’anomalies quantitatives ou qualitatives hyperfibrinogénémies) ou qualitatives (dysfibrinogé-
du fibrinogène, d’inhibiteur de la fibrinoformation. némies) : le temps de thrombine dépend du
Le temps de thrombine dépend du fibrinogène. Il fibrinogène. Il est allongé lorsque celui-ci est inférieur
est également allongé par la présence d’un ‚ Anomalies du fibrinogène à 1 g/L ou supérieur à 6 g/L.
inhibiteur de la thrombine (anticoagulant circulant, Elles peuvent être secondaires à une anomalie de Dans le déficit quantitatif isolé en fibrinogène (a-
taux élevés de D-dimères) et notamment de synthèse ou à une destruction excessive ou hypofibrinogénémie), les manifestations
l’héparine ou de l’hirudine. (coagulopathie de consommation, fibrinolyse). Les hémorragiques et le retentissement sur le temps de

1
1-1187 - Allongement du temps de thrombine

Quick et le TCA sont fonction de la sévérité du déficit.


Dans l’afibrinogénémie, affection grave mais Causes des coagulopathies de consommation
exceptionnelle, tous ces tests sont incoagulables. ✔ Infections : infections graves, notamment septicémie à germes à Gram négatif, à
Le déficit isolé en fibrinogène peut être qualitatif méningocoque, pneumocoque, paludisme à Plasmodium falciparum.
(dysfibrinogénémie), constitutionnel ou acquis ✔ Cancers étendus ou métastatiques : cancer de la prostate, adénocarcinome
(atteintes hépatiques, hépatome). Les dysfibrinogé- (pancréas, côlon), leucémie aiguë, notamment à promyélocytes.
némies se caractérisent par un allongement du ✔ Causes chirurgicales : chirurgie hépatobiliaire, thoracique, vasculaire étendue,
temps de Quick, du temps de thrombine, un intervention sur l’utérus et la prostate.
fibrinogène diminué par les techniques de ✔ Causes obstétricales : hématome rétroplacentaire, toxémie gravidique, rétention
coagulation et normal par les méthodes d’œuf mort, embolie de liquide amniotique, placenta praevia.
immunologiques. Elles sont le plus souvent ✔ Réactions d’hypersensibilité : choc anaphylactique, accidents transfusionnels par
asymptomatiques. incompatibilité.
✔ Causes médicales diverses : cirrhose du foie, morsure de serpent, hémangiome
Consommation ou destruction exagérée géant.
du fibrinogène (défibrination)
Les défibrinations sont rarement rattachées à une
consommés au cours du processus de coagulation, normaux (supérieurs à 3 heures) ou peu raccourcis
fibrinolyse primitive. La coagulopathie de
anomalies associées à la présence de complexes dans la CIVD. Les antifibrinolytiques peuvent être
consommation ou coagulation intravasculaire
solubles et d’une augmentation des produits de utilisés.
disséminée (CIVD) est de loin la cause la plus
dégradation de la fibrine (D-dimères).
fréquente.
Le traitement de la cause, lorsqu’il est possible, est
‚ Inhibiteurs de la fibrinoformation
¶ Coagulopathies de consommation le plus efficace. Le traitement substitutif (plasma frais
Ce syndrome, dû à une hyperactivation de la congelé, apports de concentrés de plaquettes et de Les antithrombines et antipolymérases ont une
coagulation, est observé dans différentes situations fibrinogène) s’impose dans les défibrinations action dirigée contre la thrombine et/ou la
pathologiques, chirurgicales, obstétricales ou sévères. L’héparinothérapie est rarement utilisée polymérisation des monomères de fibrine. Ces
médicales : les causes médicales les plus fréquentes dans les défibrinations aiguës en milieu chirurgical
inhibiteurs s’observent en particulier :
sont les chocs, certains cancers et leucémies. ou obstétrical. En milieu médical, elle peut être utile
Les accidents hémorragiques observés dans les dans les septicémies, certaines hémopathies, en – dans les affections hépatobiliaires et les
formes graves de CIVD résultent de la consom- particulier les leucémies à promyélocytes, dans les cirrhoses du foie ;
mation des plaquettes et différents facteurs cancers métastatiques. – dans les dysprotéinémies : maladie de Kahler,
plasmatiques nécessaires à la coagulation. La CIVD ¶ Fibrinolyse primitive maladie de Waldenström ;
peut s’accompagner à la fois d’accidents La fibrinolyse primitive implique la quantité
– des taux élevés de produits de dégradation du
thromboemboliques et hémorragiques. Les excessive d’activateurs du plasminogène. Le
fibrinogène et de la fibrine inhibent la polyméri-
complications hémorragiques peuvent être plasminogène est transformé en plasmine
sation du fibrinogène.
majorées par l’activation de la fibrinolyse responsable de la lyse, des caillots d’hémostase et du
réactionnelle à l’activation de la coagulation. fibrinogène circulant. Ces activateurs sont surtout Le temps de thrombine est allongé, non corrigé
Le diagnostic repose sur l’existence d’une tissulaires et se trouvent dans l’utérus, la prostate et par le témoin. Ces inhibiteurs ne s’accompagnent
thrombopénie, d’une diminution du taux de les poumons. Les temps de lyse (test de von Kaulla) pas de tendance hémorragique franche et ne
fibrinogène et des autres facteurs de coagulation, sont très courts (inférieurs à 1 heure) alors qu’ils sont nécessitent pas de thérapeutique spécifique.

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu,1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : MH Horellou, J Conard et M Samama. Allongement du temps de thrombine.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1187, 2001, 2 p

Références

[1] Recommandations du groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose [2] Zittoun R, Samama MM, Marie JP. Manuel d’hématologie. Paris : Doin, 1998
(GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 5-14

2
¶ 1-1194

Anémie hémolytique
F. Lefrère, O. Hermine

Le diagnostic biologique d’anémie hémolytique est simple et stéréotypé. En revanche, les démarches vis-
à-vis du diagnostic étiologique et des traitements relèvent du spécialiste.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Anémie hémolytique ; Haptoglobine ; Bilirubine ; Test de Coombs ; Schizocytes ;


Hémoglobinopathie

Plan surcroît d’activité. La seule anomalie alors visible sur l’hémo-


gramme est la macrocytose (en raison de l’hyper-réticulocytose).
¶ Définition 1 Le diagnostic est alors confirmé par :
• une hyper-réticulocytose ;
¶ Diagnostic 1
• une hyperbilirubinémie (non conjugée) ;
Piège : hémolyses compensées 1
• un taux d’haptoglobine effondré.
¶ Conduite à tenir 1
Évaluer la gravité et le degré d’urgence 2
Réaliser un bilan étiologique minimal 2
■ Conduite à tenir
Le diagnostic étiologique et la prise en charge thérapeutique
■ Définition des anémies hémolytiques (Tableau 1) sont souvent complexes.
Un avis spécialisé est le plus souvent nécessaire.
Une hyperhémolyse consiste en une destruction exagérée des
hématies normalement produites, dont la durée de vie se trouve Le médecin généraliste doit :
ainsi raccourcie (inférieure à 120 j, le plus souvent à moins de 30 j). • évaluer la gravité et le degré d’urgence ;
• réaliser un bilan étiologique minimal ;
• adresser le patient en consultation spécialisée.
■ Diagnostic
Le diagnostic peut être évoqué cliniquement par l’association
d’une anémie et d’un ictère (plus ou moins une splénomégalie). Tableau 1.
Biologiquement, on retrouve une anémie : Classification des anémies hémolytiques.
• normochrome ; Corpusculaires : en général constitutionnelles (héréditaires)
• normocytaire ou discrètement macrocytaire (en raison de Anomalies de la membrane
l’hyper-réticulocytose) ; - sphérocytose héréditaire
• régénérative avec un taux de réticulocytes > 100 000/mm3
- plus rares : elliptocytose héréditaire, acanthocytose héréditaire, stoma-
(> 100 × 109/l) ; tocytose héréditaire
• une hyperbilirubinémie à prédominance non conjuguée ;
Hémoglobinopathies
• un taux d’haptoglobine effondré ;
• dans les anémies hémolytiques auto-immunes, l’hyper- - thalassémie : anomalie quantitative de synthèse d’une chaîne de globine
réticulocytose peut manquer, car les réticulocytes peuvent - hémoglobinose : anomalie qualitative de synthèse (mutation rempla-
également être la cible des autoanticorps. çant un acide animé de la globine par un autre) : drépanocytose (ou hé-
moglobinose S), hémoglobinoses C, D, E
Anomalies enzymatiques : déficit en G-6-PD, en pyruvate-kinase

“ Point fort
Extracorpusculaires : en général acquises
D’origine immunologique (test de Coombs positif)
- anémie hémolytique auto-immune
Valeurs normales : - anémie hémolytique immunoallergique : origine médicamenteuse
• haptoglobine = 0,5-1,5 g/l ; - anémie hémolytique allo-immune post-transfusionnelle
• bilirubine totale < 17 µmol/l. D’origine non immunologique
- anémie hémolytique mécanique : présence de schizocytes
- anémie hémolytique infectieuse
Piège : hémolyses compensées - anémie hémolytique toxique
À part : hémoglobinurie paroxystique nocturne (anémie hémolyti-
Il peut exister des hyperhémolyses sans anémie dans les
que corpusculaire et acquise)
situations où la moelle osseuse compense les pertes grâce à un

Traité de Médecine Akos 1


1-1194 ¶ Anémie hémolytique

Figure 1. Arbre décisionnel. Bilan étiologi-


que normal. TCD : test de Coombs direct.
Anémie hémolytique
(hors contexte aigu)

TCD positif TCD négatif TCD négatif


+ +
Frottis sanguin Frottis sanguin
normal anormal

Avis spécialisé Avis spécialisé : - Microangiopathie


Examen immuno- - hémoglobinurie (schizocytes)
hématologique : paroxystique nocturne - Valves mécaniques
- hémopathie lymphoïde - maladie héréditaire (schizocytes)
maligne du globule rouge - Maladie héréditaire
- lupus du globule rouge
- maladie des agglutines - Saturnisme
froides
- Aldomet®
- immunoallergique
- pneumopathie à mycoplasme
- idiopathique

Évaluer la gravité et le degré d’urgence


Le médecin doit trier les causes urgentes : début brutal,
anémie profonde, accès palustre (contexte géographique, retour
d’un pays d’endémie, fièvre), état septique.
“ Point important
Liste (non exhaustive) de médicaments incriminés
Réaliser un bilan étiologique minimal (Fig. 1) pour les anémies hémolytiques immunoaller-
• Contexte infectieux, séjour en pays d’endémie palustre : giques
hémocultures et goutte épaisse sont à réaliser au plus vite (en Ampicilline
milieu hospitalier). Céphalosporine
• Rechercher des antécédents personnels et familiaux d’hémo- Dupyrone
lyse orientant vers une origine congénitale, préciser l’origine Tétracycline
ethnique : drépanocytose chez le sujet noir, maladie de Érythromycine
Minkowski-Chauffard chez le Caucasien, déficit en glucose-6-
Ticarcilline
phosphate déshydrogénase (G-6-PD) (anémie hémolytique
enzymoprive), etc. Mynopyrine
• Rechercher une prise médicamenteuse ou toxique imputable. Glafénine
• Réaliser un test de Coombs qui, positif, signe la responsabilité Quinine
d’anticorps à l’origine de l’hémolyse (le plus souvent auto- Diclofénac
immune, ou immunoallergique). Rifampicine
• Faire pratiquer un frottis sanguin à la recherche de schizocy- Ajmaline
tes (témoignage d’une hémolyse mécanique).
.

“ Point fort Pour en savoir plus


Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, Guillain MC.
Hématologie. Abrégés. Paris: Masson; 2008.
En l’absence de cause évidente, deux examens Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP. L’hématologie de
s’imposent : Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 1992.
• test de Coombs ; Lefrère F. Hématologie et transfusion. Paris: Estem; 2006.
• frottis sanguin. Varet B. Le livre de l’interne. Paris: Médecine-Sciences Flammarion;
2007.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, Hôpital Necker-Enfants Malades, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Anémie hémolytique. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos,
1-1194, 2008.

Disponibles sur www.em-consulte.com


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décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

2 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1190

Anémie macrocytaire
F. Lefrère, O. Hermine

Les anémies macrocytaires constituent un problème fréquent en consultation. Si leur identification ne


pose pas de problème véritable, l’important pour le médecin généraliste est de distinguer selon le contexte
clinique et biologique, les formes nécessitant un avis spécialisé et la réalisation éventuelle d’un
myélogramme à visée diagnostique.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Anémie ; Macrocytose ; Myélogramme ; Réticulocyte ; Vitamine B12 ; Myélodysplasie

Plan cependant une carence vitaminique peut parfaitement s’associer


à une myélodysplasie, cette dernière passe ainsi inaperçue. La
¶ Définition 1 règle est donc de ne pratiquer ces dosages qu’après la réalisation
d’un myélogramme (qui objective l’existence d’une mégaloblas-
¶ Bilan étiologique 1 tose isolée), et non pas le contraire.
Cause périphérique 1 En dehors d’un contexte évident comme alcoolisme (avec un
Cause centrale 1
volume globulaire moyen [VGM] < 110 µm3), hypothyroïdie
¶ Macrocytose isolée 2 (thyroid stimulating hormone [TSH] élevée, avec un VGM
< 110 µm3), il faut adresser le patient en consultation spécialisée
pour la réalisation d’un myélogramme qui précise trois grands
axes diagnostiques.
■ Définition [1-4]

Anémie mégaloblastique
C’est une anémie associée à une macrocytose : volume
Elle est liée à une carence vitaminique, les dosages sériques
globulaire moyen (VGM) supérieur à 100 µm3.
des folates et vitamines B12 s’imposent à la recherche d’une
carence. Le VGM est souvent très élevé (supérieur à 120 ou
130 µm 3 ). Il est fréquent d’observer également une baisse
■ Bilan étiologique modérée des plaquettes et des polynucléaires neutrophiles. Il
existe également fréquemment des signes d’hémolyse, résultant
En premier lieu, le taux de réticulocytes permet de distinguer d’un avortement cellulaire intramédullaire : taux élevé de
les origines périphériques (sanguines) régénératives des causes bilirubine non conjuguée, haptoglobine basse (à ne pas confon-
centrales (médullaires) arégénératives. dre avec une hémolyse périphérique).
Le diagnostic étiologique constitue alors une étape ultérieure
importante.
Cause périphérique
Un taux de réticulocytes franchement supérieur à 100 000/mm3 Carence en vitamines B12 (VGM > 110 µm3)
(100 × 109/l) oriente vers une cause périphérique, trois diagnostics • Maladie de Biermer la plus fréquente cause de carence,
sont à envisager : vitiligo, rares troubles neurologiques, glossite, gastralgie,
• une anémie hémolytique (baisse du taux d’haptoglobine, tubage gastrique : achlorhydrie pentagastrinorésistante,
ictère à bilirubine non conjuguée) ; anticorps anti-facteur intrinsèque diminué et fibroscopie
• un saignement aigu quelques jours auparavant ; gastrique à la recherche d’une tumeur associée.
• une anémie d’origine centrale en cours de guérison. • Gastrectomie.
• Résection de l’iléon terminal.
• Malabsorption globale.
Cause centrale • Végétarien strict (rare).
Un taux de réticulocytes inférieur à 100 000/mm3 (100 × 109/l)
Carence en folates
oriente vers une cause centrale.
Il est souvent tentant de réaliser d’emblée un dosage des • Femmes multipares.
folates et vitamines B 12 devant une anémie macrocytaire • Malabsorption ou résection digestive haute.
arégénérative (négligeant ainsi la pratique d’un myélogramme), • Médicaments antifoliques (cf. encadré).

Traité de Médecine Akos 1


1-1190 ¶ Anémie macrocytaire

Tableau 1.
Traitements des carences en folates et en vitamine B12.
Carence vitaminique Traitement
Carence en folates Acide folique (Speciafoldine®) : per os : 1 comprimé/j pendant 2 à 3 mois
Acide folinique (Lederfoline®) : injectable réservé aux grandes malabsorptions
Carence en vitamine B12 Hydroxocobalamine : 1 000 µg / semaine / 6 semaines en intramusculaire), puis une injection tous les 3 mois à vie

Anémie macrocytaire
arégénérative

TSH normal Alcoolisme Hypothyroïdie


Alcoolisme = 0 (VGM < 110 µm3) (VGM < 110 µm3)

Hémopathies malignes Leucémie aiguë


Myélome

– Consultation
spécialisée Dysérythropoïèse (anémie réfractaire,
– Myélogramme alias myélodysplasie)

Mégaloblastose

Dosage folates
et vitamine B12

Figure 1. Démarche diagnostique. VGM : volume globulaire moyen ; TSH : thyroid stimulating hormone.

• Dénutrition, carence d’apport, alcoolisme.


• Le traitement des anémies mégaloblastiques est avant tout
■ Macrocytose isolée
symptomatique (Tableau 1). Elle se définit par un VGM supérieur à 100 µm3 sans anoma-
lie associée sur l’hémogramme (notamment sans anémie) sur
Myélodysplasie
plusieurs examens successifs.
Une macrocytose isolée n’impose pas systématiquement la
pratique d’un myélogramme.

“ Points importants
Une macrocytose isolée pose un problème étiologique non
urgent.
En premier lieu, on doit évoquer :
On recherche une prise médicamenteuse à l’origine d’une • une hyperréticulocytose dans le cadre d’une hyperhémolyse
compensée (rechercher un ictère, une hyperbilirubinémie non
macrocytose toxique :
conjuguée, une chute du taux d’haptoglobine) ;
• agents antinéoplasiques +++ (contexte évident) ;
• l’alcoolisme : contexte, interrogatoire, examen clinique,
• certains diurétiques ; dosage des c-glutamyl transférases (c-GT), des triglycérides.
• méthotrexate ; Il faut écarter une erreur technique avec une fausse macrocy-
• hydroxyurée ; tose liée aux grandes hypergammaglobulinémies, à des anticorps
• barbiturique ; antiglobules rouges à l’origine d’une agglutination des hématies
• sulfamide ; non repérées par les comptages automatiques (à vérifier sur un
• hydantoïne ; frottis sanguin et par un test de Coombs).
• méthotrexate ; Il faut rechercher une carence en folates et/ou vitamines B12
• azidothymidine (AZT) ; car la macrocytose peut précéder de peu l’apparition d’une
• didéoxy-inosine (DDI). anémie. Une consultation spécialisée est nécessaire pour un
complément de bilan.
En l’absence des causes précédentes, la macrocytose peut révéler
une myélodysplasie latente (anémie réfractaire). Un myélogramme
Cette anémie réfractaire a un VGM le plus souvent modéré n’est cependant pas nécessaire car son résultat ne déboucherait sur
(< 110 µm3). Une neutropénie et/ou une thrombopénie peuvent aucune conséquence pratique thérapeutique. En revanche, un avis
s’y associer. spécialisé et des numérations régulières s’imposent.
On peut évoquer chez le sujet jeune, en l’absence de cause
Hémopathie maligne retrouvée, le diagnostic de macrocytose congénitale familiale. Le
Elle affecte la moelle osseuse (leucémie aiguë, myélome, etc.). diagnostic est facile si les hémogrammes pratiqués dans la
La démarche diagnostique est synthétisée dans la Figure 1. famille retrouvent l’anomalie.

2 Traité de Médecine Akos


Anémie macrocytaire ¶ 1-1190

■ Références
.

En bref :
• nouvelles vérifications du VGM ;
• enquête « énolique » ; [1] Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, Guillain MC.
• prise médicamenteuse ; Hématologie. Paris: Masson; 2008.
[2] Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP.
• taux de réticulocytes ;
L’hématologie de Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences
• dosage des taux de folates et vitamine B12 ; Flammarion; 1992.
• plus ou moins avis spécialisé. [3] Lefrère F. Hématologie et transfusion. Paris: Estem; 2006.
Nous mettons à part : la macrocytose physiologique du [4] Varet B. Le livre de l’interne. Paris: Médecine-Sciences Flammarion;
nouveau-né. 2007.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, Hôpital Necker, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Anémie macrocytaire. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos,
1-1190, 2009.

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Traité de Médecine Akos 3


¶ 1-1192

Anémie microcytaire
F. Lefrère, O. Hermine

Les mécanismes des anémies microcytaires sont en règle générale faciles à diagnostiquer avec l’aide d’un
bilan martial et des marqueurs d’inflammation. Le recours à un avis spécialisé ne doit concerner qu’un
minimum de situations plus complexes. Le bilan étiologique doit être mené avec rigueur car le traitement
causal doit être associé au traitement symptomatique.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Anémie ; Microcytose ; Bilan martial ; Transferrine ; Syndrome inflammatoire ; Thalassémie

■ Orientation diagnostique
Plan
Le dosage du fer sérique précise deux grandes orientations.
¶ Définition 1 Le calcul du taux de réticulocytes est inutile au diagnostic
Normes 1 étiologique d’une anémie microcytaire. L’élément indispensable
¶ Orientation diagnostique 1 est le dosage du fer sérique.
Anémie microcytaire hyposidérémique (fer sérique bas) 1
Anémie microcytaire normosidérémique (fer sérique normal ou
élevé) 2
Anémie microcytaire hyposidérémique
Association carence martiale et syndrome inflammatoire 3 (fer sérique bas)
Il existe deux contextes étiologiques discriminés par le bilan
martial et les marqueurs d’inflammation.

Syndrome inflammatoire
■ Définition [1-4]

Le mécanisme est celui d’une séquestration du fer destiné à


L’anémie se définit par un taux d’hémoglobine inférieur l’érythropoïèse. L’anémie engendrée a, dans un premier temps,
à 13 g/dl chez l’homme et inférieur à 11,5 g/dl chez la femme. un profil normocytaire, si l’inflammation se prolonge (plusieurs
La microcytose se définit par un volume globulaire moyen semaines), une microcytose peut apparaître (néoplasies, mala-
(VGM) inférieur ou égal à 80 µm3. dies rhumatismales, maladies infectieuses chroniques...).
L’hypochromie se définit par une baisse de la concentration Le diagnostic repose sur :
corpusculaire moyenne en hémoglobine (CCMH) inférieure à • un syndrome ou un contexte inflammatoire clinique ;
32 %, elle a la même signification que la microcytose, mais elle • une anémie normo-/microcytaire ;
constitue un signe plus tardif, car elle traduit un trouble plus • un taux de fer sérique abaissé ;
profond. • une CTSS normale ou basse (car les réserves en fer dans
L’anémie microcytaire (Fig. 1) traduit toujours un trouble de l’organisme sont globalement normales, mais détournées) ;
synthèse de l’hémoglobine, il peut s’agir d’un défaut d’apport • un taux de ferritine souvent élevé (car la ferritine est une
en fer nécessaire à la synthèse de l’hème, ou d’un défaut de protéine dont le taux s’élève en cas d’inflammation) ;
synthèse de la globine. • une élévation de la vitesse de sédimentation (VS), du taux de
protéine C réactive (CRP), du taux de fibrinogène, une
hyperalpha-2-globulinémie ; une polynucléose neutrophile et
Normes une thrombocytose sont possibles.
Le problème essentiel est celui du diagnostic étiologique.
VGM : 80-100 µm3.
Fer sérique : 12,5-25 µmol/l chez l’homme, 10-25 µmol/l chez
Carence martiale
la femme.
Capacité totale de saturation de la sidérophiline (CTSS) : Le diagnostic repose sur un taux de fer sérique bas, une CTSS
50-70 µmol/l. augmentée, car les réserves en fer sont abaissées, un coefficient
Coefficient de saturation (CS) : 30-40 %. de saturation abaissé, et un taux de ferritine abaissé (non
Ferritinémie : 20-200 µg/l. indispensable pour l’interprétation).

Traité de Médecine Akos 1


1-1192 ¶ Anémie microcytaire

Anémie microcytaire (VGM < 80 µm3)


et/ou hypochrome (CCMH < 32 %)

Fer sérique

< 12,5 µmol/l (hommes) ≥ 12,5 µmol/l (hommes)


< 10 µmol/l (femmes) ≥ 10 µmol/l (femmes)

CTSS CTSS normale ou À recontrôler


Ferritine Ferritine ou normale (fréquente hémolyse
VS normale VS , fibrine , in vitro)
hyperalpha-2-globulinémie

Électrophorèse
Anémie par Anémie de l'hémoglobine
carence martiale inflammatoire

Anormale
Exploration Exploration Bilan Syndrome thalassémique Normale
gynécologique digestive étiologique Avis spécialisé

Si négative
Hb < 11 g/dl Hb > 11 g/dl
Anémie sidéroblastique α-thalassémie
Avis spécialisé hétérozygote

Figure 1. Arbre décisionnel. Anémie microcytaire. VGM : volume globulaire moyen ; CCMH : concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine ;
CTSS : capacité totale de saturation de la sidérophiline ; VS : vitesse de sédimentation ; Hb : hémoglobine.

Toute anémie par carence martiale impose un bilan étiologique. Il Traitement de la carence martiale
faut rechercher un saignement chronique : • Étiologique : 100 à 200 mg de fer métal per os par jour
• notion de règles abondantes et/ou durables (cause principale pendant 4 mois.
chez la femme jeune), présence de caillots ; • Prévenir les patients : selles noires, troubles digestifs.
• grossesses répétées et rapprochées ; • Numération formule sanguine et bilan martial à la fin du
• rectorragies, méléna, douleurs épigastriques, etc. ; traitement (inutile auparavant).
• épistaxis à répétition, hématuries chroniques (plus rares) ; • 1 mois de plus de traitement si les réserves (ferritine) sont
• prises médicamenteuses suscitant des ulcères gastriques insuffisamment rechargées.
• Préférer, si la tolérance le permet, des sels de fer d’absorption
(aspirine, anti-inflammatoires, etc.).
immédiate (Fumafer ® , Fero-Grad ® ...) plutôt que ceux à
Il s’agit, le plus souvent, d’une perte exagérée en fer, et plus délitement retardé (Tardyferon®) efficaces bien moins rapide-
rarement d’un défaut d’absorption. ment.
Chez une femme aux règles anormalement abondantes, il • Réserver le fer injectable aux malabsorptions ou aux intolé-
convient de pratiquer un bilan gynécologique. rances digestives majeures.
Chez un homme, ou chez une femme normalement réglée,
on pratique un bilan endoscopique digestif (même en l’absence Anémie microcytaire normosidérémique
de point d’appel) avec fibroscopie gastrique plus biopsie (fer sérique normal ou élevé)
duodénale à la recherche de lésions à l’origine d’une malab-
sorption ainsi qu’une recherche d’Helicobacter pylori, infection Ce type d’anémie se rencontre rarement.
gastrique susceptible de déclencher des carences en fer. Il faut Attention aux fréquentes erreurs cependant : il faut contrôler
réaliser une coloscopie totale si l’examen précédent est normal. le dosage du fer sérique. Si le dosage est confirmé, un avis
Un examen de l’intestin grêle par absorption d’une vidéocapsule spécialisé est recommandé.
peut être discuté si le bilan endoscopique est normal (cet Elles sont le plus souvent liées à un syndrome thalassémique
examen tend à remplacer le classique transit du grêle). (hémoglobinopathie congénitale) : il faut se renseigner sur
l’existence de numérations antérieures, où les anomalies
Les carences d’apport alimentaire en fer sont exceptionnelles,
devaient être déjà présentes, faute de quoi l’hypothèse diagnos-
sauf chez le nourrisson, dont le régime en fer peut être tique doit être remise en question ; préciser l’ethnie, les
insuffisant. antécédents familiaux ; le seul examen à pratiquer est une
Les carences martiales d’autres origines sont très rares : électrophorèse de l’hémoglobine, à n’effectuer que si le bilan
épistaxis chroniques (maladie de Rendu-Osler), hématurie martial est normal, car une carence en fer peut rendre délicate
chronique, prises de sang répétées, syndrome de Lasthénie de l’interprétation d’une électrophorèse de l’hémoglobine.
Ferjol (hémorragies provoquées et dissimulées par le patient), Plus rares encore, les anémies sidéroblastiques (congénitales),
hémolyse chronique intravasculaire, etc. qui relèvent d’emblée d’une consultation spécialisée.

2 Traité de Médecine Akos


Anémie microcytaire ¶ 1-1192

à des stigmates d’inflammation (VS accélérée, hyperalpha-2-

“ Point important globulinémie, hyperfibrinogénémie), permet de poser le


diagnostic.
Un avis spécialisé est nécessaire en cas :
Microcytose sans anémie : même démarche • d’anémie microcytaire ferriprive avec bilans gynécologique et
diagnostique. digestif normaux ;
• d’anémie microcytaire avec fer sérique normal ou élevé si
l’électrophorèse de l’hémoglobine est normale.

Association carence martiale et syndrome .

inflammatoire
■ Références
Cette association doit faire évoquer un cancer digestif.
[1] Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, Guillain MC.
Le diagnostic est parfois difficile, le taux de fer sérique est le
Hématologie. Paris: Masson; 2008.
plus souvent bas, la transferrine peut être diminuée, normale,
[2] Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP.
parfois élevée si la carence est importante.
L’hématologie de Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences
La ferritine a un taux variable : augmenté par l’inflammation, Flammarion; 1992.
abaissé par la carence martiale. [3] Lefrère F. Hématologie et transfusion. Paris: Estem; 2006.
L’élément le plus discriminatif est la saturation de la transfer- [4] Varet B. Le livre de l’interne. Paris: Médecine-Sciences Flammarion;
rine (sidérophiline) qui, si elle est inférieure à 10 % et associée 2007.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, Hôpital Necker, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Anémie microcytaire. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos,
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1-1196

Anomalie héréditaire 1-1196


AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

de la coagulation prédisposant
aux thromboses
MH Horellou, J Conard, MM Samama

L a thrombophilie est définie par une prédisposition acquise ou constitutionnelle, génétiquement déterminée
aux thromboses. Depuis la description du déficit familial en antithrombine décrit en 1965, de nombreux
facteurs biologiques de risque thrombotique ont été rapportés, définissant la thrombophilie comme une tendance
congénitale ou acquise à développer des accidents thromboemboliques.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : thrombophilie, thromboses.


Introduction

Une thrombophilie constitutionnelle est retrouvée


Tableau I. – Facteurs de risque de thrombose veineuse.

- Liés au terrain : âge, antécédent thromboembolique, obésité, grossesse


- Liés à la stase : chirurgie, immobilisation, insuffısance cardiaque, infarctus
du myocarde, voyage prolongé
chez environ 35 % des patients présentant une Facteurs favorisants
- Liés à l’hypercoagulabilité : cancer, infections
thrombose veineuse [1]. Ces facteurs de risque de - Causes iatrogènes : contraception œstroprogestative, traitement hormonal
thrombose sont congénitaux ou acquis [5] (tableau I). substitutif, œstrogénothérapie, cathéters et dispositifs veineux centraux
Ils peuvent être associés entre eux et/ou associés à
- Déficit en antithrombine
la présence de facteurs de risque favorisants, - Déficit en protéine C
soulignant l’origine multifactorielle de la thrombose. - Déficit en protéine S
Thrombophilies
- Résistance à la protéine C activée par mutation Arg506Gln du gène
constitutionnelles
du facteur V


- Mutation 20210 GA du gène de la prothrombine
Thrombophilie constitutionnelle - Dysfibrinogénémie
- Syndrome des antiphospholipides
- Polyglobulie primitive et thrombocythémie essentielle
‚ Causes de thrombophilies Thrombophilie acquise
- Hémoglobinurie paroxystique nocturne
constitutionnelles - Syndrome néphrotique
Elles peuvent être dues à des déficits en - Hyperhomocystéinémie
inhibiteurs de la coagulation (antithrombine, - Augmentation du facteur VIII
- Déficit en plasminogène
protéines C ou S), à un défaut de réponse à un
Autres causes possibles - Déficit en deuxième cofacteur de l’héparine
inhibiteur de la coagulation (résistance à la protéi- de thrombophilies consti- - Augmentation de la glycoprotéine riche en histidine (HRG)
ne C activée par mutation du facteur V, facteur V tutionnelle et/ou acquises - Augmentation du fibrinogène
Leiden), à une augmentation d’un facteur de - Augmentation de l’inhibiteur de l’activateur tissulaire du plasminogène
coagulation (augmentation du taux de facteur II par (PAI) ?
- Traitement de la leucémie aiguë lymphoblastique (rôle de la L-asparaginase)
mutation du gène de la prothrombine).

Déficits en inhibiteurs physiologiques inactivation à la surface des phospholipides où elle a été décrite. Cette mutation ralentit
de la coagulation (fig 1) nécessite la présence de protéine S. l’inactivation du Va par la protéine C activée.
L’antithrombine est le principal inhibiteur Mutation ponctuelle du gène de la
physiologique de la coagulation, elle inhibe la Résistance à la protéine C activée prothrombine
thrombine, mais aussi différents facteurs activés de La résistance à la protéine C activée décrite en Un séquençage systématique des gènes
la coagulation. L’héparine agit indirectement en 1993 par Dahlbäck se mesure par un allongement candidats au risque de thrombose a permis
multipliant par un facteur 2000 la vitesse d’inhibition insuffisant du temps de céphaline + activateur (TCA) d’identifier une mutation ponctuelle du gène de la
de la thrombine. La protéine C, après son activation en présence de protéine C. Cette résistance est prothrombine (20210 G → A). Cette mutation est
par la thrombine fixée à la thrombomoduline, associée, dans près de 100 % des cas, à une associée à une augmentation du taux de la
présente à la surface des cellules endothéliales, mutation ponctuelle du gène du facteur V, mutation prothrombine ou facteur II, cette augmentation
inhibe les facteurs Va et VIIIa de la coagulation. Cette Arg506Gln ou facteur V Leiden, du nom de la ville favorisant l’apparition de thromboses.

1
1-1196 - Anomalie héréditaire de la coagulation prédisposant aux thromboses

déficits en protéines C et S. Les thromboses sont


1 Mécanismes physiolo- exceptionnelles dans la petite enfance, en dehors du
XIIa
XIa giques de l’inhibition de la déficit en protéine C homozygote qui peut se
IXa coagulation. TFPI : tissue
manifester dès la naissance par un purpura
Xa factor pathway inhibitor.
VIIa fulminans. Les TVP apparaissent volontiers avant
VIIIa 40 ans, sont souvent récidivantes, peuvent être
Va spontanées ou plus fréquemment favorisées par des
Protéine C
activée circonstances déclenchantes (chirurgie, alitement
Protéine S prolongé, acte chirurgical, immobilisation plâtrée,
facteur Xa
IIa : thrombine TFPI contraception orale, grossesse...). À l’âge de 45 ans,
Facteur tissulaire
selon les études, 30 à 80 % des sujets ayant une
Antithrombine thrombophilie héréditaire ont eu un ATE, et la moitié
Protéine C
d’entre eux ont des récidives. Dans le cas de la
2e cofacteur TFPI résistance à la protéine C, le premier accident peut
de l'héparine survenir plus tardivement. La présence
Thrombine
d’antécédents familiaux de thrombose, le caractère
Héparane sulfate Dermatane sulfate Thrombomoduline Facteur tissulaire récidivant, l’âge du premier épisode thromboembo-
lique avant 40 ans sont des critères qui conduisent à
évoquer le diagnostic.

Cellules endothéliales ‚ Risque thromboembolique


des différentes thrombophilies
constitutionnelles
Autres anomalies constitutionnelles associées ¶ Mutations de la thrombomoduline
à un risque de thrombose Toutes ces thrombophilies n’induisent pas le
La thrombomoduline présente dans les cellules
même niveau de risque thromboembolique. Les
¶ Hyperhomocystéinémie endothéliales fixe la thrombine qui perd ainsi ses
études cas témoins, les études des apparentés
L’hyperhomocystéinémie est reconnue comme propriétés coagulantes et, dans un même temps, le
porteurs ou non porteurs de la thrombophilie ont
facteur de risque de thrombose veineuse : un taux complexe thrombine-thrombomoduline active la
permis récemment de donner une meilleure
supérieur à 18,5 µmol/L multiplie par deux le risque protéine C. Deux mutations de la thrombomoduline
définition du niveau de risque thromboembolique
de thrombose veineuse. L’association de ont été rapportées chez des patients présentant des
associé à ces différentes thrombophilies.
l’hyperhomocystéinémie à une autre altération accidents thromboemboliques (ATE) veineux.
Le déficit en antithrombine est considéré comme
héréditaire pourrait majorer ce risque. L’hyperhomo- ¶ Altération du fibrinogène, du plasminogène la plus sévère des causes de thrombophilie,
cystéinémie peut être due à des causes génétiques Des anomalies du fibrinogène (dysfibrinogéné- notamment pendant la contraception et la
et/ou acquises : carence d’apport vitaminique (B6, mie), du plasminogène (hypo- ou dysplas- grossesse. Le déficit homozygote en antithrombine
B12, acide folique), insuffisance rénale, polymor- minogénémie) sont rarement décrites au sein des de type I est vraisemblablement incompatible avec
phisme d’un des gènes du métabolisme de la cohortes de patients présentant des TVP. Leur la vie. Le déficit de type II-HBS (défaut de liaison de
méthionine. Le plus fréquent est le variant relation au risque veineux est mal démontrée. l’héparine) se distingue des autres types de déficit en
(677 C → T) du gène de la méthylène tétrahydro-
antithrombine par une expression clinique moins
folate réductase (MTHFR) qui entraîne la ‚ Fréquence et expression clinique sévère.
thermolabilité de la MTHFR et l’hyperhomocystéi- de la thrombophilie [3, 4] Le déficit homozygote en protéine C peut
némie. Cette mutation de la MTHFR est très
Ces anomalies se transmettent sur un mode s’exprimer dès la naissance par un purpura
fréquente : 10 % d’homozygotes, 35 % d’hétéro-
autosomal dominant, et sont le plus souvent fulminans et des thromboses extensives dont le
zygotes sont présents dans la population générale.
hétérozygotes. Leur fréquence dans la population pronostic a été amélioré par l’utilisation de
¶ Augmentation du facteur VIII témoin et chez les sujets présentant des thromboses concentrés de protéine C. Des formes homozygotes
Un taux élevé de facteur VIII supérieur à 150 %, veineuses est donnée dans le tableau II. Les déficits à révélation tardive avec des nécroses cutanées à
en dehors de toute pathologie inflammatoire, est en antithrombine, protéines C et S ainsi que les l’occasion de l’introduction des antivitamines K (AVK)
proposé par l’équipe de Leiden comme facteur de résistances à la protéine C activée sont associés à la ont également été décrites.
risque, multipliant par 2,7 fois le risque de survenue de thromboses presque exclusivement La résistance à la protéine C activée par mutation
thrombose veineuse profonde (TVP) : une veineuses. Il s’agit de thromboses profondes ou Arg506 → Glu du facteur V (facteur V Leiden) est la
augmentation du facteur VIII supérieure à 150 % est superficielles, d’embolies pulmonaires. Les plus fréquente des causes de thrombophilie,
retrouvée chez 10 % de la population témoin et thromboses dans d’autres territoires (thrombose retrouvée chez 20 % des patients présentant des
25 % de la population présentant une TVP. De veineuse mésentérique et thrombose veineuse thromboses veineuses. L’expression clinique de la
nouvelles études prospectives sont nécessaires pour cérébrale) sont plus rares et représentent moins de résistance à la protéine C activée semble moins
mieux évaluer le risque thrombotique de 5 % des ATE. Des thromboses artérielles peuvent sévère que les autres thrombophilies, avec une
l’augmentation du facteur VIII. parfois être observées, plus particulièrement dans les première manifestation thromboembolique à un

Tableau II. – Fréquence des principales causes de thrombophilie.

Déficit en AT* Déficit en protéine C Déficit en protéine S Facteur V Leiden** Mutation gène II
Sujets témoins 0,03 % 0,2-0,4 % 3à7% 1-2 %
Patients présentant une thrombose
veineuse (TV)
- sans critère de sélection 1% 3% 1à2% 20 % 6%
- TV récidivantes et/ou moins de 4-7 % 6-8 % 3-13 % 50 % ? 18 %
45 ans, antécédents familiaux

* : déficits en antithrombine de type I ; ** : population caucasienne.

2
Anomalie héréditaire de la coagulation prédisposant aux thromboses - 1-1196

âge plus avancé et souvent en présence d’un facteur prescription d’œstroprogestatifs, la recherche de L’abandon des doses de charge d’AVK, le relais
favorisant. Les formes homozygotes de résistance à thrombophilie n’est actuellement conseillée que héparine-AVK prolongé sont les modalités
la protéine C activée ne sont pas exceptionnelles et chez les femmes ayant des antécédents familiaux de recommandées lors de l’introduction des
sont moins sévères que les formes homozygotes des thrombose. anticoagulants oraux depuis la découverte du déficit
déficits en protéine C. en protéine C. Dans les déficits hétérozygotes en
Deux études faites chez les apparentés des ‚ Diagnostic biologique protéine C (taux voisin de 50 %), le traitement par
propositus ont comparé le risque thromboembo- Seuls le dosage spécifique des inhibiteurs de la AVK ne pose pas de problème particulier. Dans les
lique lié aux différentes thrombophilies : la résistance coagulation (antithrombine, protéines C et S), la exceptionnels déficits sévères (taux inférieur à 10 %),
à la protéine C activée est un facteur de risque recherche de la résistance à la protéine C activée une nécrose cutanée est fréquente en début de
inférieur à celui des déficits en inhibiteurs de la complétée par une recherche de la mutation du traitement par les AVK et peut nécessiter le recours à
c o a g u l a t i o n [ 6 ] . L e d é fi c i t e n i n h i b i t e u r s facteur V Leiden, la recherche de la mutation 20210 la perfusion de concentrés de protéine C lors de
physiologiques de la coagulation (antithrombine, du gène de la prothrombine, permettent le l’introduction des AVK.
protéines C ou S) multiplie par 10 le risque d’ATE diagnostic de thrombophilie constitutionnelle ; Le traitement AVK est poursuivi 3 à 6 mois au
veineux chez les sujets porteurs (incidence annuelle ceux-ci ne retentissent pas sur les tests de minimum, en maintenant un international
10,1/1 000 chez les porteurs versus 1/1 000 chez les coagulation globaux de routine. Lorsque les normalized ratio (INR) entre 2 et 3. La durée du
non-porteurs). En comparaison, le facteur V Leiden méthodes d’activité font suspecter un déficit traitement anticoagulant n’est pas encore bien
multiplie par 2,8 le risque d’ATE (incidence annuelle (antithrombine inférieure à 80 %, protéines C ou S définie chez les patients porteurs de thrombophilie.
d’ATE de 2,8/1 000 chez les apparentés porteurs du inférieures à 70 %), le dosage immunologique
facteur V Leiden, 0,9/1 000 chez les apparentés non permet de distinguer les déficits quantitatifs (dosage


porteurs). Dans cette étude, la contraception immunologique diminué) et qualitatifs (dosage
œstroprogestative associée à la présence du facteur immunologique normal). Thrombophilie acquise
V Leiden multiplie par 3,3 le risque d’ATE, la La recherche d’une résistance à la protéine C
grossesse par 4,2, alors que la chirurgie n’est pas activée se fait par test de coagulation basé sur
associée à la survenue de phlébites. Pour ces l’allongement du TCA en présence de protéine C ‚ Syndromes myéloprolifératifs et autres
auteurs, l’enquête familiale est souhaitable dans les activée. Un test positif (allongement insuffisant du pathologies hématologiques
déficits en inhibiteurs (antithrombine, protéines C ou TCA en présence de protéine C activée) doit être
Les syndromes myéloprolifératifs (polyglobulie et
S). Pour la résistance à la protéine C activée, confirmé par la recherche du facteur V Leiden par
thrombocytémie) et les dysglobulinémies
l’enquête familiale pourrait être réservée aux technique de biologie moléculaire qui distingue de
monoclonales peuvent être à l’origine de
femmes en âge de procréer. plus, avec certitude, s’il s’agit d’une anomalie
complications thromboemboliques par l’hypervis-
Une deuxième étude rétrospective faite chez les hétérozygote ou homozygote.
cosité qu’ils entraînent. Ils sont recherchés par la
apparentés [2] retrouve le caractère plus sévère du Les dosages sont réalisés de préférence en dehors
numération-formule sanguine et l’électrophorèse
déficit en antithrombine III : l’incidence annuelle des de tout traitement par les AVK et à distance de
des protides. L’hémoglobinurie paroxystique
ATE est de 10,7/1 000 chez les patients porteurs l’épisode thrombotique qui peut perturber les
(maladie de Marchiafava-Micheli) et la drépano-
d’un déficit en antithrombine, 5,4/1 000 pour la dosages de protéine S. L’interprétation des résultats
cytose sont recherchées devant un ATE associé à
protéine C, 5,0/1 000 pour la protéine S, 3,0/1 000 doit tenir compte de certaines conditions (phase
une hémolyse par un test de Ham-Dacie et
pour la résistance à la protéine C activée et aiguë de la thrombose, grossesse) et des traitements
cytométrie de flux, et une électrophorèse de
6,7/1 000 chez les patients présentant plusieurs en cours (héparine, anticoagulants oraux,
l’hémoglobine.
anomalies. Les ATE sont observés plus précocement œstroprogestatifs) qui peuvent entraîner des
chez les femmes, 35,1 en moyenne (8 à 81 ans), que anomalies acquises compliquant le diagnostic
‚ Syndrome des antiphospholipides
chez les hommes 36,5 ans (10 à 69 ans). d’anomalie congénitale. La transmission de ces
L’hétérogénéité des manifestations cliniques dans déficits étant autosomale dominante, la recherche Le syndrome des antiphospholipides est défini
les différentes causes de thrombophilie héréditaire de la même anomalie chez les parents et dans la par la présence d’une manifestation thromboembo-
peut être expliquée en partie par l’association de famille est très utile au diagnostic de déficit lique veineuse, artérielle, placentaire, avec pertes
deux altérations génétiques et/ou l’intervention de constitutionnel. fœtales récidivantes, associée à la présence d’un
facteurs de risque acquis. La présence de deux anticoagulant circulant et/ou d’un taux augmenté
anomalies génétiques augmente le risque ‚ Traitement des accidents d’anticorps anticardiolipine.
thromboembolique (notion d’anomalies thromboemboliques Un anticoagulant circulant de type lupus est
multigéniques). La nature de la thrombophilie, le Chez les patients porteurs d’une thrombophilie, le retrouvé chez 5 à 15 % des patients présentant une
caractère isolé ou associé à d’autres facteurs de traitement classique par héparine (héparine non thrombose veineuse. Il est détecté sur un
risque sont des éléments qui seront pris en compte fractionnée ou héparine de bas poids moléculaire), allongement du TCA, non corrigé par le témoin,
dans les décisions de poursuite ou d’arrêt de relayé par les AVK, est celui habituellement utilisé à raccourci par l’addition de phospholipides et sans
traitement anticoagulant et dans la prise en charge la phase aiguë des thromboses. inhibition spécifique des facteurs de coagulation. Les
de situations à risque comme la grossesse en Les patients déficitaires en antithrombine peuvent anticorps anticardiolipine, détectés par technique
particulier. présenter une relative résistance à l’héparine qui enzyme linked immunosorbent assay (Elisa), sont
oblige à utiliser de plus fortes doses d’héparine. Le dirigés contre la b2-glycoprotéine I fixée aux
‚ Chez qui rechercher une thrombophilie recours aux concentrés d’antithrombine est phospholipides. La présence d’un anticoagulant
Seront préférentiellement explorés les sujets rarement nécessaire, mais il est discuté lors de la circulant de type lupus et/ou d’un titre élevé
jeunes ayant des antécédents de thrombose survenue de récidive thromboembolique sous d’anticorps anticardiolipine peut être passagère,
veineuse documentée avec ou sans facteur traitement efficace, lors de situation chirurgicale ou induite par une infection, un traitement, et seule la
déclenchant (pilule, grossesse, chirurgie...), les sujets d’accouchement, lorsque le risque hémorragique ne présence de ces anomalies sur deux prélèvements
de plus de 45 ans ayant une thrombose insolite (en permet pas d’utiliser de fortes doses d’héparine. La faits à 6 semaines d’intervalle, associée à une
l’absence de cancer ou d’intervention chirurgicale), perfusion de 50 unités d’antithrombine par complication thromboembolique, fera évoquer la
les patients présentant des thromboses veineuses kilogramme de poids permet d’augmenter le taux présence d’un syndrome des antiphospholipides. Il
récidivantes ou un accident thrombotique de d’antithrombine de 50 à 120 %. Les doses seront peut être secondaire à un lupus ou à une autre
localisation inhabituelle (thrombose veineuse ensuite adaptées quotidiennement pour maintenir le pathologie auto-immune ou primaire. La diminution
cérébrale, thrombose intra-abdominale). Avant taux d’antithrombine au-dessus de 80 %. de production de prostacycline en présence de

3
1-1196 - Anomalie héréditaire de la coagulation prédisposant aux thromboses

l’anticorps antiphospholipides, la diminution de l’annexine V à la surface des villosités placentaires, physiopathologie des thromboses veineuses
l’activation de la protéine C, la diminution de sont les différents mécanismes impliqués dans la observées dans le syndrome des antiphospholipides.

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Horellou MH, Conard J et Samama MM. Anomalie héréditaire de la coagulation prédisposant aux thromboses.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1196, 2001, 4 p

Références

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82 : 601-609 (GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 27-36
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G et al. Risk of venous thromboembolism and clinical manifestations in carriers of [5] Rosendaal FR. Risk factors for venous thromboembolic disease. Thromb Hae-
antithrombin, protein C, protein S deficiency, or activated protein C resistance: a most 1999 ; 82 : 610-619
multicenter collaborative family study. Arterioscleros Thromb Vasc Biol 1999 ;
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Chir (Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Angéiologie, 19-
2080, 1997 : 1-6

4
¶ 1-1198

Anomalies de l’électrophorèse
des protéines du sang
C. Brousse

L’électrophorèse des protéines du sang reste un examen d’actualité, simple et de réalisation rapide. Sa
prescription et son interprétation, sous-tendues par le tableau clinique, reviennent le plus souvent au
médecin généraliste. Son indication la plus courante est l’exploration d’une élévation de la vitesse de
sédimentation. Elle permet de confirmer l’état inflammatoire ou infectieux, et oriente les investigations.
Elle est indispensable au suivi des gammapathies monoclonales.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Électrophorèse des protéines du sang ; Gammapathies monoclonales ;


Hypergammaglobulinémie ; Hypogammaglobulinémie

Plan Tableau 1.
Électrophorèse des protéines. Sérum normal.
¶ Introduction 1 Normes % g/l
¶ Modifications de la protidémie totale 2 alb 57 - 65 37 - 42
¶ Modifications de l’albumine 2 a1 2-4 1-3
¶ Modifications des a1-globulines 2 a2 6 - 10 4-7
b 8 - 12 5 -8
¶ Modifications des a2-globulines 2
c 12 - 19 8 - 12
¶ Modifications des b-globulines 2
¶ Modifications des c-globulines 2
Hypergammaglobulinémie monoclonale ou pic en c-globuline 2
Hypergammaglobulinémie polyclonale 4
Hypogammaglobulinémie 4
Profil oligoclonal ou restriction d’hétérogénéité des
gammaglobulines 5
¶ Conclusion 5

■ Introduction
La séparation par électrophorèse des protéines sériques
s’effectuait en routine sur gel d’agarose [1] . Actuellement
l’électrophorèse capillaire tend à remplacer l’ancienne techni- Figure 1. Électrophorèse des protéines. Sérum normal.
que [2]. Conduite sur une veine liquide contenue dans un tube
capillaire, elle autorise un très faible échantillon de sérum et L’électrophorèse doit être interprétée en fonction du taux de
permet une séparation rapide des protéines. L’identification et protéines sériques total qui subit des variations physiopatho-
la quantification se font en une seule étape. Quelle que soit la logiques. L’électrophorèse normale est représentée dans le
technique, la mobilité de chaque protéine est liée à sa charge Tableau 1 et la Figure 1.
électrique. Ainsi, cinq fractions sont individualisées : • Les principales a1-globulines sont : l’a1-antitrypsine (a1-AT)
• l’albumine, biochimiquement homogène, la plus importante (2 à 4 g/l) ; l’orosomucoïde (0,4 à 0,9 g/l) ; l’a1-
des protéines sériques ; antichymotrypsine (0,3 à 0,6 g/l).
• quatre groupes de globulines de migration a1, a2, b et c • Les principales a2-globulines sont : l’a2-macroglobuline (2 à
regroupant des protéines aux fonctions très différentes. 3,5 g/l) ; l’haptoglobine (0,6 à 1,8 g/l) ; la céruloplasmine
Leur variation quantitative apporte des informations quant (0,25 à 0,43 g/l) ; et l’a-lipoprotéine.
aux organes qui les synthétisent : • Les principales b-globulines sont : la transferrine (2 à 4 g/l) ;
• l’albumine, a1, a2 et b sont synthétisées par le foie ; le complément C3 (1 à 1,3 g/l) ; la b-lipoprotéine.
• les c-globulines ou immunoglobulines (Ig) sont synthétisées • c-globuline : IgG (8 à 18 g/l) ; IgA (0,9 à 4,5 g/l) ; IgM (0,6 à
par les lymphocytes B activés. 2,5 g/l) ; IgD ; IgE.

Traité de Médecine Akos 1


1-1198 ¶ Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang

Tableau 2.
Modifications de la protidémie totale.
Hyperprotidémie Hypoprotidémie
Par augmentation de la masse Par diminution de la masse
protéique circulante : protéique circulante :
hypergammaglobulinémie défaut d’apport : malnutrition
mono- ou polyclonale défaut d’absorption
Par diminution de l’eau déperdition protéique cutanée,
vasculaire ; hémoconcentration : rénale, intestinale
insuffisance d’apport Par augmentation de l’eau
perte liquidienne : diarrhée, vasculaire, hémodilution :
vomissements, coup de chaleur surcharge hydrique

Figure 3. Déficit homozygote en a1-antitrypsine.

Tableau 4.
Modifications des a1-globulines.
Diminution Augmentation
Insuffisance hépatocellulaire Inflammation aiguë ou chronique,
Fuite protéique, associée alors associée alors à une augmentation
à une baisse de l’albumine, des a2-globulines
des a2- et b-globulines
Déficit en a1-antitrypsine

autres fractions globuliniques, elle est bien supportée


cliniquement.
Figure 2. Bialbuminémie génétique.

Tableau 3.
■ Modifications des a1-globulines
Modifications de l’albumine. (Fig. 3)(Tableau 4)
Bialbuminémie (Fig. 2) Hypoalbuminémie
Le déficit en a1-AT, protéase synthétisée par le foie, est une
Bialbuminémie génétique
maladie génétique.
Permanente Diminution de la synthèse Lorsque l’électrophorèse des protéines du sang est évocatrice,
- mutation génétique sans - insuffisance hépatocellulaire : il convient de mesurer la concentration sérique d’a1-AT par
conséquence pathologique cirrhose, hépatite grave dosage immunochimique et de caractériser le phénotype. En
Transitoire - inflammation effet, il existe plusieurs phénotypes dont la forme hétérozygote
- traitement par b-lactamine qui se Insuffisance d’apport PiMZ (2 à 4 % de la population) et la forme homozygote PiZZ
fixe sur une fraction de l’albumine - dénutrition chronique sévère (0,02 à 0,06 % de la population). La forme hétérozygote
et modifie sa migration Perte accrue s’accompagne d’un taux sérique d’a1-AT à 60 % de la normale,
- fistule pancréatique : lyse - urinaire : syndrome néphrotique la forme homozygote d’un taux sérique à 10 % de la normale.
intracavitaire de l’albumine Seuls les sujets homozygotes peuvent développer une sympto-
- digestive : entéropathie
par les enzymes pancréatiques matologie. La manifestation la plus fréquente est un emphy-
exsudative
- cutanée : brûlure sème de l’adulte jeune, mais on rapporte aussi des cirrhoses, des
atteintes pancréatiques et des ostéoporoses.

■ Modifications de la protidémie ■ Modifications des a2-globulines


totale (Tableau 2) Les modifications sont présentées sur le Tableau 5 (Fig. 4).
Le taux moyen de protéines sériques est de 65 à 80 g/l chez
l’adulte.
En pratique, la mesure de l’hématocrite en l’absence d’anémie
■ Modifications des β-globulines
permet le dépistage d’une hémoconcentration ou d’une (Tableau 6)
hémodilution.
Toute protidémie inférieure à 60 g/l ou supérieure à 85 g/l La zone b augmentée dans son ensemble et associée à un bloc
doit être explorée par une électrophorèse. bc traduit l’augmentation polyclonale des IgA observée dans la
cirrhose éthylique (Fig. 5).
■ Modifications de l’albumine
(Fig. 2)(Tableau 3) ■ Modifications des c-globulines
L’hyperalbuminémie est sans signification pathologique ; elle Hypergammaglobulinémie monoclonale
traduit une hémoconcentration ou est en rapport avec une ou pic en c-globuline
perfusion d’albumine.
L’analbuminémie est une affection congénitale exception- Un pic étroit en c-globulines (plus rarement en b-, voire
nelle. Associée à une augmentation réactionnelle des quatre a2-globulines) correspond à une immunoglobuline monoclonale

2 Traité de Médecine Akos


Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang ¶ 1-1198

Tableau 5.
Modifications des a2-globulines.
Diminution Augmentation ou dédoublement
Insuffisance Syndrome inflammatoire
hépatocellulaire
Fuite protéique Syndrome néphrotique : par augmentation
de l’a2-macroglobuline (Fig. 4)
Dénutrition Syndrome néphrotique : hyper-a1 associée
à une hypoalbuminémie par fuite urinaire,
une hyper-b-globulinémie par augmentation
des b-lipoprotéines, et hypo-c-globulinémie,
en particulier dans la néphrose lipoïdique
Hémolyse : effon- Haptoglobine de phénotype différent, Figure 5. Bloc bc d’une cirrhose éthylique.
drement de l’hapto- sans signification pathologique : dédoublement
globine

Figure 6. Immunoglobuline (Ig) A monoclonale migrant en b au cours


d’un myélome.
Figure 4. Syndrome néphrotique : hyper-a1 associée à une hypoalbu-
minémie par fuite urinaire, une hyper-b-globulinémie par augmentation
Tableau 7.
des b-lipoprotéines, et hypo-c-globulinémie en particulier dans la néph-
Examens à réaliser devant un pic en gammaglobuline.
rose lipoïdique.
- NFS, VS
- LDH , b2-microglobuline
Tableau 6. - Créatininémie
Modifications des b2-globulines.
- Calcémie, albuminémie
Diminution Augmentation - Protéinurie des 24 heures avec immunofixation pour recherche
Insuffisance hépatocellulaire Non monoclonale de chaînes légères
Dénutrition Hypertransferrinémie des anémies - Dosage pondéral des Ig
ferriprives - Radiographies du squelette complet
Fuite protéique Augmentation - Myélogramme
de la b-lipoprotéine (ApoB) - Scanner abdominal (si IgM)
Hypocomplémentémie C3 de Monoclonale
NFS : numération formule sanguine ; VS : vitesse de sédimentation ; Ig :
consommation Gammapathie à IgA ou IgM immunoglobulines.
Chaînes légères d’immunoglobulines
du myélome ou de l’amylose (petit pic)
Ig : immunoglobulines. • 3 % maladie de Waldenström ;
• 2 % plasmocytome solitaire.
L’examen clinique recherche une atteinte osseuse, des
adénopathies ou une hépatosplénomégalie. Des examens
intacte, synthétisée en excès [3, 4]. L’électrophorèse capillaire paracliniques simples suffisent le plus souvent à distinguer une
permet par une technique d’immunosoustraction de caractériser GMB d’un syndrome lymphoprolifératif (Tableaux 7, 8).
l’immunoglobuline monoclonale [4] : IgG, IgM, IgA ou plus La présence d’une IgG ou d’une IgA doit conduire à éliminer
rarement IgD ou IgE. Elle est toutefois moins sensible que avant tout un myélome ; la présence d’une IgM oriente plutôt
l’immunoélectrophorèse ou l’immunofixation. vers une maladie de Waldenström ou un lymphome et le bilan
L’immunoglobuline monoclonale est synthétisée par un clone doit alors être complété par un scanner abdominal pour
de cellules B hyperstimulé, survenant au cours d’une gammapa- rechercher des adénopathies ou une splénomégalie. La décou-
thie monoclonale bénigne (GMB) ou MGUS pour monoclonal verte d’une hémopathie maligne nécessite la prise en charge en
gammapathy of undetermined signifiance, ou d’un syndrome milieu spécialisé.
lymphoprolifératif malin. Les étiologies se répartissent de la La signification exacte d’une GMB reste imprécise, mais elle
façon suivante : est très certainement en rapport avec un déficit de l’immunité
cellulaire et/ou une stimulation antigénique chronique. Ainsi,
• 65 % GMB ;
les GMB sont plus fréquentes chez le sujet âgé (1 % de la
• 15 % myélome (Fig. 6); population à 60 ans, 3 % à 70 ans, et 10 % à 80 ans) et au
• 6 % amylose primitive ; cours de certaines affections [5, 6] (Tableau 9).
• 6 % lymphome malin non hodgkinien ; Si certaines GMB sont transitoires (particulièrement au cours
• 3 % leucémie lymphoïde chronique ; des infections), la plupart sont susceptibles d’évoluer vers un

Traité de Médecine Akos 3


1-1198 ¶ Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang

Tableau 8.
Principales caractéristiques orientant vers un myélome ou une
gammapathie monoclonale bénigne.
Gammapathie mono- Myélome (Fig. 6)
clonale bénigne (Fig. 7) IgA monoclonal
Gammapathie monoclo- migrant en b au cours
nale bénigne du sujet âgé d’un myélome
Taux Ig IgG < 20 g/l IgG > 20 g/l
monoclonale IgA < 10 g/l IgA > 10 g/l
IgM < 5 g/l IgM > 5 g/l
Taux Ig normales Normal Diminué
Chaînes légères Absente ou < 300 mg/24 h > 1 g/24 h
dans les urines
Plasmocytose < 10 %, sans anomalie > 15 %, dystrophiques Figure 7. Gammapathie monoclonale bénigne du sujet âgé.
médullaire nucléaire
Anémie Absente Fréquente
Tableau 10.
Hypercalcémie Absente Possible Hypergammaglobulinémie polyclonale.
Lésions osseuses Absentes Fréquentes
Infections bactériennes
Infections parasitaires (toxoplasmose, leishmaniose, paludisme)
Infections virales (hépatite, VIH, EBV)
Tableau 9.
Maladies auto-immunes : syndrome de Gougerot-Sjögren (Fig. 8), lupus
Affections associées à une gammapathie monoclonale.
érythémateux diffus, cryoglobuline
Infections bactériennes aiguës ou chroniques Sarcoïdose
Infections virales aiguës ou chroniques (VIH, CMV, EBV) Affections hépatiques virales ou toxiques
Infections parasitaires aiguës ou chroniques Néphropathies, en particulier à dépôts d’IgA
Maladies auto-immunes : syndrome de Gougerot-Sjögren, lupus érythé-
VIH : virus de l’immunodéficience acquise ; EBV : virus d’Eptein-Barr.
mateux diffus, polyarthrite rhumatoïde
Déficits immunitaires primitifs
Déficits immunitaires acquis : allogreffe de moelle ou d’organes
Certaines tumeurs solides
Cirrhose, hépatite chronique
Maladies dermatologiques rares : mucinose papuleuse, pyoderma
gangrenosum, xanthome plan normocholestérolémique
VIH : virus de l’immunodéficience acquise ; CMV : cytomégalovirus ; EBV : virus
d’Epstein-Barr.

syndrome lymphoprolifératif : 10 % de transformation maligne


à 5 ans, 22 % à 20 ans. Un suivi régulier permanent est donc
indispensable, 3 mois après la découverte puis tous les 6 mois.
Il repose sur l’examen clinique et des examens biologiques
(électrophorèse des protéines, numération formule sanguine
[NFS], créatininémie, calcémie, protéinurie), qui seront complé- Figure 8. Syndrome de Gougerot-Sjögren.
tés par un myélogramme et des radiographies osseuses en cas de
point d’appel.
Rarement la gammapathie peut être biclonale (deux immu-
noglobulines distinctes). La signification et la conduite à tenir
sont identiques.
Hypergammaglobulinémie polyclonale
Les maladies des chaînes lourdes sont caractérisées par la
Il s’agit d’une augmentation de toutes les immunoglobuli-
présence dans le sérum de chaînes lourdes isolées d’immuno-
nes, témoignant d’une réaction immunitaire humorale poly-
globulines [7] . La présence d’un pic à l’électrophorèse des
morphe. Cette anomalie n’a pas de signification pathologique
protéines est inconstante, eu égard au faible taux de la protéine
précise. Elle est physiologique chez les habitants des pays
anormale (inférieur à 1g/l) et à l’hétérogénéité de sa charge
électrique. Il s’agit de désordres immunoprolifératifs rares, qui tropicaux et les sujets souffrant de malnutrition, par infections
s’accompagnent habituellement d’une hypogammaglobulinémie bactériennes et parasitaires répétées. Les étiologies sont
et dont le diagnostic nécessite une immunoélectrophorèse. Trois diverses [8] (Tableau 10) (Fig. 8).
variétés sont décrites.
• La maladie des chaînes lourdes a : la plus fréquente, touchant
les sujets jeunes. L’infiltration lymphoplasmocytaire diffuse Hypogammaglobulinémie
de l’intestin grêle et des ganglions mésentériques est respon-
sable d’un syndrome de malabsorption sévère. Son évolution Elle est physiologique dans l’enfance, puisque le taux d’IgM
est parfois favorable sous antibiotiques, mais il n’est pas rare adulte est atteint vers 1 an, le taux d’IgG à 6 ans, et le taux
que survienne un lymphome malin immunoblastique. d’IgA à la puberté.
• La maladie des chaînes lourdes c : elle atteint essentiellement Chez l’adulte, il convient avant tout de confirmer l’hypo-
les sujets âgés (Fig. 7). Son tableau polymorphe est proche de gammaglobulinémie par le dosage pondéral des immunoglobu-
la maladie de Waldenström. lines. Les étiologies sont par ordre décroissant de fréquence :
• La maladie des chaînes lourdes µ : c’est la plus rare. Son certains médicaments, les hémopathies lymphoïdes, les fuites
tableau fait évoquer une leucémie lymphoïde chronique mais d’immunoglobulines et les déficits congénitaux de l’immunité
le myélogramme retrouve des plasmocytes vacuolés. humorale (Tableau 11).

4 Traité de Médecine Akos


Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang ¶ 1-1198

Tableau 11.
Hypogammaglobulinémie.
Causes iatrogènes Fuites d’immunoglobulines
- corticothérapie - rénale : syndrome néphrotique
- immunodépresseurs - digestive : entéropathie exsudative,
- chimiothérapie anticancéreuse hémorragie digestive
- radiothérapie Déficit congénitaux de l’immunité
humorale
Hémopathies lymphoïdes
- déficit en IgA : le plus fréquent,
- myélomes à chaînes légères
1 individu sur 700 en Europe
ou non excrétants
- agammaglobulinémie liée au sexe :
- leucémie lymphoïde chronique
maladie de Bruton
- lymphome
- hypogammaglobulinémie
à expression variable

Figure 10. Infection à virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

Un suivi régulier de ces patients par électrophorèse et immu-


noélectrophorèse est utile, car il semble que cette situation
puisse précéder l’apparition d’un syndrome lymphoprolifératif.

“ Points importants
• Les protéines identifiées par l’électrophorèse sont
Figure 9. Myélome à chaînes légères. toutes synthétisées par le foie, excepté les c-globulines
sécrétées par les lymphocytes B activés.
• Le déficit homozygote en a1-AT peut être responsable
d’une fibrose pulmonaire.
Au cours du myélome à chaînes légères, l’excès de chaînes
• Le bloc bc qui traduit une augmentation polyclonale
légères j ou k peut donner parfois un petit pic en b ou c-globu-
des IgA se rencontre fréquemment au cours de la cirrhose
lines, mais le plus souvent l’électrophorèse des protéines ne
éthylique.
montre que l’hypogammaglobulinémie en rapport avec la
répression de synthèse des immunoglobulines normales (Fig. 9).
• Un pic étroit en c-globuline correspond à une
L’immunoélectrophorèse ou l’immunofixation retrouve alors la immunoglobuline monoclonale synthétisée par un clone
chaîne légère dans le sang, voire les urines. Beaucoup plus de lymphocytes B. Il s’observe au cours des gammapathies
rarement, il peut s’agir d’un myélome non excrétant. Le bénignes de signification indéterminée ou de certains
diagnostic sera alors fait par l’étude en immunofluorescence des syndromes lymphoprolifératifs malins.
plasmocytes médullaires. • L’hypergammaglobulinémie polyclonale est fréquente
Certains déficits congénitaux de l’immunité humorale chez le sujet de race noire.
peuvent se révéler à l’âge adulte [9]. Ils sont évoqués devant des
infections bactériennes ou à entérovirus à répétition ; ils
s’accompagnent volontiers d’une hyperplasie des organes
lymphoïdes, de manifestations auto-immunes, de malabsorption
et de lymphomes en particulier digestifs. ■ Conclusion
Il faut savoir qu’il existe des hypogammaglobulinémies
transitoires au cours de certaines affections comme les viroses, L’électrophorèse est un examen de routine très informatif. Il
pneumopathies bactériennes et septicémies, diabète sucré permet de préciser les protéines sériques concernées au cours
déséquilibré. d’un syndrome inflammatoire biologique. Il détecte des situa-
tions pathologiques particulières telles que les gammapathies
monoclonales, la cirrhose éthylique et l’hypergammaglobuliné-
Profil oligoclonal ou restriction mie témoignant d’une stimulation humorale polyclonale.
d’hétérogénéité des gammaglobulines
Si l’amélioration des techniques d’électrophorèse de routine .

peut détecter avec une plus grande sensibilité les gammapathies


monoclonales, elle permet aussi de révéler les aspects oligoclo- ■ Références
naux. Ce type de profil est en rapport avec l’augmentation de [1] Le Carrer D. Électrophorèse et immunoélectrophorèse des protéines
plusieurs sous-classes d’immunoglobulines donnant un aspect sériques. Paris: Hatier; 1994.
de bandes monoclonales multiples appelé « profil oligoclonal ». [2] Bossuyt X, Lissoir B, Mariën G, Maisin D, Vunckx J, Blanckaert N,
Il se rencontre chez des sujets immunodéficients comme les et al. Automated serum protein electrophoresis by capillarys. Clin
transplantés d’organe ou de moelle osseuse sous immunosup- Chem Lab Med 2003;41:704-10.
presseurs (azathioprine, ciclosporine, corticoïde), les sujets [3] Yang Z, Harrison K, Park YA, Chaffin CH, Thigpen B, Easly PL, et al.
infectés par le VIH ou sous immunodépresseurs pour une Performance of the Sebia capillary for detection and immunotyping of
maladie auto-immune (Fig. 10). serum monoclonal paraproteins. Am J Clin Pathol 2007;128:293-9.

Traité de Médecine Akos 5


1-1198 ¶ Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang

[4] Litwin CM, Anderson SK, Phillips G, Martin TB, Jaskowski TD, Pour en savoir plus
Hill HR. Comparison of capillary zone and immunosubstraction with
agarose gel and immunofixation electrophoresis for detecting and
identifying monoclonal gammapathies. Am J Clin Pathol 1999;112: Lemoine A, Pham P, Azoulay P, Saliba F, Emile JF, Saffroy R, et al. Detection
411-7. of gammapathy by serum protein electrophoresis for predicting and
[5] Bühler S, Laitinen K, Holthofer H, Jarvinen A, Schauman KO, managing therapy of lymphoproliferative disorder in 911 recipients of
Hedman K. High rate of monoclonal gammapathy among liver transplants. Blood 2001;98:1332-8.
immunocompetent subjects with primary cytomegalovirus infection.
Bergon E, Miranda I, Miravalles E. Blood protein electrophoresis,
Clin Infect Dis 2002;35:1430-3.
instrumentation. Clin Chem Lab Med 2005;43:721-3.
[6] Amara S, Debuze BJ, Cooley T, Pantanowitz L, Aboulafia DM. HIV-
associated monoclonal gammapathy: a retrospective analysis of 25 Chopra GS, Gupta PK, Mishra DK. Evaluation of suspected monoclonal
patients. Clin Infect Des 2006;43:1198-205. gammapathies: experience in a tertiary care hospital. MJAFI 2006;62:
[7] Seligmann M. Maladies des chaînes lourdes. Rev Prat 1993;43:317-20. 134-7.
[8] Willemin B, Blickle JF, Brogard JM, Duchène M. Exploration de la Csako G, Costello R, Shamin EA, O’Hanlon T, Tran D, William HJ, et al.
réaction inflammatoire. Ann Med Interne (Paris) 1990;141:333-9. Serum proteins and paraproteins in women with silicone implants and
[9] Fischer A. Les déficits immunitaires primitifs des lymphocytes B. Rev connective tissue disease; a case-control study. Arthritis Res Ther
Prat Méd Gén 1991;9:790-4. 2007;9:271-9.

C. Brousse, Rhumatologue (c.brousse@hopital-foch.org).


Clinique médicochirurgical Foch, 40, rue Worth, 92150 Suresnes cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Brousse C. Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité
de Médecine Akos, 1-1198, 2008.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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6 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1240

Augmentation isolée de l’activité sérique


de la gammaglutamyl-transpeptidase
C. Buffet

La découverte d’une augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase (c-


GT) à l’occasion d’un examen systématique est un motif fréquent de consultation, notamment en
médecine du travail. L’interprétation de celle-ci n’est pas toujours aisée dans la mesure où cette anomalie
est non spécifique. Cette situation engendre fréquemment des investigations coûteuses et parfois
invasives et d’une mauvaise rentabilité diagnostique. La présente mise au point a pour but de préciser la
conduite à tenir en cas d’élévation isolée de l’activité sérique de la c-GT, c’est-à-dire en l’absence
d’anomalie des autres tests biologiques hépatiques, notamment de l’activité sérique des
aminotransférases et des phosphatases alcalines. Après un bref rappel sur les caractéristiques structurales
et fonctionnelles de la c-GT, les causes de variations physiologique et pathologique de l’activité sérique de
cette enzyme, ainsi que l’attitude pratique à adopter sont envisagées, et tout particulièrement la place de
la ponction-biopsie hépatique.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Gammaglutamyl-transpeptidase ; Éthanol ; Syndrome métabolique ; Obésité ;


Atteintes hépatiques

Plan biologique la plus fréquente, bien que non spécifique. En cas


d’abstinence, par exemple lors d’une hospitalisation, elle décroît
¶ Introduction 1 de manière exponentielle. Le syndrome métabolique qui peut
être ou non complet (obésité abdominale, diabète ou insulino-
¶ Généralités concernant la c-GT 1 résistance, hypertension artérielle, diminution du high density
¶ Variations physiologiques de l’activité sérique de la c-GT 2 lipoprotein (HDL) cholestérol, hypertriglycéridémie) est la
¶ Causes d’augmentation isolée de l’activité sérique de la c-GT 2 deuxième grande cause d’élévation de la c-GT. Dans les maladies
Alcoolisme chronique 2 hépatiques, le pronostic est lié à l’importance de la fibrose.
Hépatopathie non alcoolique et pathologie des voies biliaires 2 Étant donné l’absence de parallélisme entre l’importance de
Pathologies nutritionnelles 2 l’élévation des enzymes et l’atteinte histologique du foie se pose
Pathologies extrahépatiques 3 la question de la biopsie ou des marqueurs non invasifs de
Médicaments et toxiques 3 fibrose encore en évaluation. Devant une élévation isolée de la
¶ Quelles lésions hépatiques doit-on rechercher ? 3 c-GT, pour prendre une décision de biopsie, la prise en compte
du contexte clinique, de l’évolution de l’activité enzymatique,
¶ Conduite à tenir 4
des principales hypothèses diagnostiques est essentielle.
¶ Conclusion 5

■ Généralités concernant la c-GT


■ Introduction La c-GT est une enzyme glycoprotéique hétérodimérique
distribuée dans de nombreux tissus et de nombreuses cellules,
La c-GT est dosée avec des indications très larges depuis la l’épididyme, les fibroblastes, les lymphocytes, le poumon, le
publication princeps de Rosalki [1]. Les taux sériques de c-GT pancréas et particulièrement le rein où son activité est maxi-
augmentent dans presque toutes les maladies hépatobiliaires ; il male [2]. Bien que l’activité de la c-GT hépatique soit beaucoup
s’agit donc d’un indicateur très sensible, mais peu spécifique. plus faible, c’est le foie qui contient la plus grande quantité de
L’augmentation isolée de la c-GT signifie donc que les autres c-GT de l’organisme, et l’origine de la c-GT sérique est de ce fait
enzymes hépatiques de dosage courant, les transaminases et les majoritairement hépatique. Le rôle physiologique de la c-GT
phosphatases alcalines, sont normales. Les deux causes les plus demeure imparfaitement connu. C’est la seule enzyme capable
fréquentes d’élévation isolée de la c-GT sont la consommation de cliver le glutathion et ses sulfoconjugués en quantité
chronique d’alcool et le syndrome métabolique. Chez les importante. Elle représente l’enzyme clé du cycle gammagluta-
consommateurs d’alcool, l’élévation de la c-GT est l’anomalie myl permettant le recyclage du glutathion. La c-GT joue

Traité de Médecine Akos 1


1-1240 ¶ Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase

également un rôle important dans le métabolisme de certaines qui suivent l’arrêt de la consommation d’alcool ou une norma-
molécules endogènes et exogènes comme les xénobiotiques et lisation dans les 2 mois sont des arguments de poids pour
les carcinogènes. La c-GT peut également avoir une activité attribuer l’élévation de l’activité sérique de la c-GT à une
inflammatoire, antioxydante et proathérogène. Elle est présente consommation excessive d’alcool. Cependant, ce test n’a de
dans les plaques d’athérome des artères coronaires et des valeur que s’il est positif. En cas d’alcoolisme chronique, la
cérébrales. constatation d’une élévation de l’activité sérique de la c-GT
L’expression de l’enzyme est inductible par certains agents soulève le problème d’une éventuelle hépatopathie associée qui
comme l’éthanol ou les stéroïdes, responsables d’une augmen- peut aller de la stéatose isolée à la cirrhose. Dans ce cas, les
tation modérée de l’activité sérique de la c-GT de deux à cinq autres paramètres du bilan hépatique, comme l’activité sérique
fois la limite supérieure de la normale (N). La demi-vie de la des aminotransférases, sont le plus souvent anormaux. Il semble
également qu’en cas d’hépatopathie alcoolique, la valeur de
c-GT étant comprise entre 14 et 26 jours, son activité sérique
l’activité sérique de la c-GT soit plus constamment élevée et
redevient normale en 4 à 8 semaines après arrêt de l’agent
plus importante (> 2 à 3 N) que chez les malades alcooliques
inducteur.
ayant un foie sain, sans toutefois être corrélée à l’importance
des lésions histologiques [7]. La décroissance jusqu’à la normale
de l’activité sérique de la c-GT en cas de sevrage alcoolique est
■ Variations physiologiques plus lente en cas d’atteinte hépatique. Enfin, l’alcoolisme aigu
n’augmente pas l’activité sérique de la c-GT.
de l’activité sérique de la c-GT
L’activité sérique de la c-GT est comprise entre 10 et 40 UI/l Hépatopathie non alcoolique et pathologie
chez 95 % des adultes normaux avec les méthodes de dosage les des voies biliaires
plus couramment utilisées. Cependant, elle peut varier en
fonction de la technique et de la température à laquelle le L’augmentation de l’activité sérique de la c-GT est le témoin
dosage est réalisé. C’est pourquoi, comme pour toute enzyme, le plus sensible de l’existence d’une pathologie hépatobiliaire :
la normale du laboratoire doit toujours être mentionnée. elle est augmentée dans 87 à 95 % des cas, toutes causes
L’activité sérique de la c-GT augmente jusqu’à l’âge de 50 ans. confondues. Cependant, elle est non spécifique. Dans ce cadre,
l’élévation de l’activité sérique de la c-GT est rarement isolée.
Elle est plus importante chez l’homme que chez la femme, et
Une augmentation isolée de l’activité sérique de la c-GT peut
chez le nouveau-né jusqu’à l’âge de 1 an. D’autres facteurs
exceptionnellement révéler l’existence d’une tumeur hépatique
semblent influencer la distribution des valeurs de l’activité de la
maligne, primitive ou secondaire. Bien que rarement révélatrice,
c-GT sérique : l’indice de masse corporelle, la consommation
l’augmentation de l’activité sérique de la c-GT est parfois la
d’alcool, la cholestérolémie, la glycémie, le tabagisme, la prise
seule anomalie biologique hépatique au cours de certaines
de contraceptifs oraux et la pression artérielle sont positivement maladies hépatobiliaires comme la cirrhose, notamment la
corrélés à l’activité sérique de la c-GT. cirrhose biliaire primitive ou la cholangite sclérosante. Ce peut
être aussi le cas au cours du foie cardiaque chronique ou de la
lithiase de la voie biliaire principale [8].
■ Causes d’augmentation isolée
de l’activité sérique de la c-GT Pathologies nutritionnelles
Syndrome métabolique
Alcoolisme chronique
Le diabète, l’insulinorésistance et le surpoids sont des causes
L’alcoolisme chronique est la première cause à évoquer fréquentes d’élévation de la c-GT. Le syndrome métabolique est
devant une augmentation isolée de l’activité sérique de la c-GT. dans ce cas souvent associé à une atteinte hépatique appelée
Cependant, il ne faut pas systématiquement attribuer cette NAFLD (non alcoholic fatty liver disease) qui regroupe la stéatose
élévation à une consommation excessive de boissons alcoolisées, la plus fréquente et de pronostic bénin, et des lésions moins
car la spécificité du dosage de l’activité sérique de la c-GT est fréquentes, mais plus sévères, comme l’hépatite pseudoalcooli-
que (NASH) avec des lésions inflammatoires et de fibrose
faible, et un diagnostic d’alcoolisme fait à tort peut avoir des
pouvant évoluer vers la cirrhose et se compliquer de carcinome
conséquences néfastes sur le plan professionnel ou familial. À
hépatocellulaire. Dans cette pathologie, l’élévation de la c-GT
l’inverse, il paraît important de ne pas méconnaître ce diagnos-
peut être isolée ou s’associer à une élévation modérée de
tic dans le cadre de la médecine du travail, en particulier chez
l’activité sérique des aminotransférases. L’insulinorésistance est
les malades occupant des postes à responsabilités. La sensibilité
le facteur pathogénique le plus important et une élévation de
de l’augmentation de l’activité sérique de la c-GT pour le
la c-GT prédit l’intolérance au glucose par le biais d’une
diagnostic d’alcoolisme chronique varie de 40 à 90 %, avec une résistance à l’insuline [9] . Le diagnostic de NAFLD est un
faible valeur prédictive positive allant de 20 à 65 % [3, 4]. Le diagnostic d’élimination après avoir en particulier exclu une
dosage de la c-GT ne peut donc pas être utilisé comme test de élévation de la c-GT due à l’alcool. À noter qu’une perte de
dépistage de l’intoxication alcoolique dans la population poids, même peu importante (10 % du poids total), peut suffire
générale. Il importe, au terme de la consultation, d’affirmer ou à entraîner la normalisation de l’activité sérique de la c-GT
d’éliminer, avec le plus de certitude possible, une intoxication sérique.
alcoolique chronique. Outre l’interrogatoire du malade et de sa La c-GT a, ces dernières années, été très étudiée au cours du
famille, il faut rechercher des éléments d’orientation cliniques syndrome métabolique. Son élévation modérée et même des
et biologiques en faveur de ce diagnostic : au plan clinique, des valeurs hautes dans la normalité ont été décrites comme
signes en faveur d’une intoxication alcoolique tels qu’une associées aux facteurs de risque des maladies cardiovasculaires :
hypertrophie parotidienne et une maladie de Dupuytren ; au le diabète, l’hypertension artérielle, la dyslipidémie et le
plan biologique, une augmentation du volume globulaire syndrome métabolique. Elle est corrélée positivement avec les
moyen, une hypertriglycéridémie et une augmentation de la marqueurs inflammatoires de risque cardiovasculaire, la protéine
transferrine déficiente en carbohydrate (CDT) [5, 6]. L’augmenta- C réactive (CRP) [10], le fibrinogène, et inversement corrélée avec
tion de la c-GT n’est pas proportionnelle à la quantité d’alcool les valeurs des antioxydants. Bien plus, la valeur péjorative de
consommée ni à la durée de l’intoxication. La diminution de la c-GT persiste après ajustement sur les facteurs de risque du
plus de 50 % de l’activité sérique de la c-GT dans les 15 jours syndrome métabolique et sur la CRP [11] et est associée de façon

2 Traité de Médecine Akos


Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase ¶ 1-1240

indépendante des autres facteurs à la mortalité cardiovascu- dans ce cas, modérée (2 à 4 N), inconstante, et réversible après
laire [12]. Même lorsque la c-GT est dans les valeurs normales, l’arrêt du médicament. Le mécanisme à l’origine d’une élévation
elle est associée au diabète et aux facteurs de risque cardiovas- de l’activité sérique de la c-GT observée chez environ 20 % des
culaire cela indépendamment de la présence d’une stéatose à femmes traitées par œstroprogestatifs est imparfaitement connu,
l’échographie [13, 14]. La force de l’association est variable selon et n’a généralement pas d’incidence pratique. Les valeurs de
les études, forte dans l’une [14] et plus modeste dans d’autres [12, l’activité sérique de la c-GT de ces femmes se distribuent selon
15], plus prononcée chez les sujets de moins de 60 ans, buveurs
un histogramme décalé vers les valeurs élevées par rapport à
d’alcool et ayant un diabète de type 2 [15]. Dans les valeurs l’histogramme du groupe témoin, mais les valeurs des deux
physiologiques, la c-GT prédit la survenue d’une microalbumi- groupes sont peu différentes.
nurie chez les patients hypertendus ou diabétiques [16] . De En tout état de cause, la normalisation de l’activité sérique de
même, la c-GT dans les valeurs normales prédit la survenue
l’enzyme après arrêt du médicament responsable est utile pour
d’un diabète de type 2 [17].
établir l’origine médicamenteuse de l’augmentation de la c-GT.
Une consommation d’alcool modérée et un surpoids ont un
Si l’anomalie persiste après l’arrêt d’un traitement inducteur
effet additif sur la c-GT [18].
enzymatique, une toxicité hépatique ou une autre cause doivent
être évoquées.
Autres causes Une exposition professionnelle à certains toxiques comme les
hydrocarbures utilisés comme solvants (tétrachloréthylène et
La malnutrition, quelle qu’en soit la cause (court-circuit
trichloréthylène, tétrachlorure de carbone, trichloroéthane,
digestif, malnutrition protéique d’origine alimentaire dans le
cadre d’un kwashiorkor ou d’une anorexie mentale, malnutri- chloroforme, etc.), le chlorure de vinyle ou le paraquat [21], doit
tion d’origine digestive observée au cours de la maladie cœlia- être recherchée devant une élévation isolée de l’activité sérique
que ou des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin), de la c-GT. Cependant, en cas d’intoxication chronique,
peut être à l’origine d’une augmentation de l’activité sérique de l’augmentation de l’activité sérique des aminotransférases est le
la c-GT, essentiellement du fait d’une stéatose hépatique. Il en signe biologique le plus fréquent. L’augmentation isolée de
est de même chez les malades qui ont une nutrition parentérale l’activité sérique de la c-GT peut être simplement en rapport
totale. avec une induction enzymatique. En cas d’atteinte hépatique,
les lésions histologiques, principalement la nécrose hépatocy-
taire et la stéatose, ne sont pas spécifiques. La coexistence d’une
Pathologies extrahépatiques symptomatologie extrahépatique liée à l’atteinte de plusieurs
viscères, et la disparition des anomalies lors des périodes de
Pathologie thyroïdienne vacances, suivie de leur réapparition à la reprise du travail, sont
en faveur du diagnostic d’intoxication d’origine professionnelle.
En cas d’hyperthyroïdie non traitée, une augmentation
généralement modérée de l’activité sérique de la c-GT est
observée dans 17 à 60 % des cas [19]. Elle peut être isolée, mais
elle est plus souvent accompagnée d’une élévation de l’activité ■ Quelles lésions hépatiques
sérique des aminotransférases et/ou des phosphatases alcalines.
Une stéatose peut être associée à ces perturbations biologiques. doit-on rechercher ?
Les anomalies disparaissent après normalisation de la fonction
thyroïdienne. Les données de la littérature ne permettent pas d’établir la
fréquence respective des différentes causes d’élévation isolée de
Causes rares l’activité sérique de la c-GT au sein d’une population, et encore
moins la prévalence des lésions histologiques hépatiques
Une élévation isolée de l’activité sérique de la c-GT peut associées.
s’observer en cas de cardiopathie ischémique (infarctus du Devant une élévation isolée de l’activité sérique de la c-GT
myocarde ou angor instable) ou d’insuffisance cardiaque chez un alcoolique chronique, la probabilité d’être atteint d’une
chronique, sans que l’on puisse préjuger de l’origine cardiaque maladie alcoolique du foie (stéatofibrose, hépatite alcoolique
ou hépatique de l’enzyme [8]. aiguë, cirrhose) est d’environ 60 %, ce qui suggère l’intérêt d’un
Un cancer, notamment cérébral, mammaire, utérin ou le diagnostic histologique dans une telle situation [22].
mélanome malin, peut être à l’origine d’une augmentation de Bien que la probabilité de découvrir une tumeur hépatique
l’activité sérique de la c-GT, en dehors de toute métastase soit faible, une élévation isolée et persistante de l’activité sérique
hépatique décelable. de la c-GT doit faire réaliser une échographie du foie.
Une augmentation isolée de l’activité sérique de la c-GT a Bien que rarement isolée, l’élévation de l’activité sérique de
également été rapportée au cours de la polyarthrite rhumatoïde. la c-GT peut être la seule anomalie du bilan biologique hépati-
Le mécanisme de cette augmentation est inconnu. que révélatrice d’une stéatose qui peut être diagnostiquée
L’activité sérique de la c-GT peut aussi être augmentée en cas échographiquement. L’utilité d’une confirmation histologique
de polytraumatisme ou de brûlures étendues. du diagnostic est controversée. En effet, si l’évolution de la
Enfin, plusieurs cas d’élévation familiale isolée de l’activité stéatose pure paraît bénigne, celle de la stéatose alcoolique, mais
sérique de la c-GT (jusqu’à plus de 3 000 UI/l), sans cause aussi parfois non alcoolique, quand elle est associée à des
identifiée, ont été rapportés. La transmission semble autosomi- lésions inflammatoires ou à une fibrose, peut se faire vers la
que dominante. Les sujets atteints sont asymptomatiques et ne cirrhose. Si l’alcoolisme chronique apparaît comme le facteur
présentent aucune anomalie clinique. causal ou prépondérant de la stéatose, il est licite de discuter
une ponction-biopsie hépatique si le test de sevrage est négatif,
Médicaments et toxiques en raison d’une évolution fibrosante potentielle. En cas de
stéatose non alcoolique, le risque de développement d’une
La constatation d’une élévation isolée de l’activité sérique de cirrhose est plus faible. Cependant, le diabète de type II et les
la c-GT doit faire rechercher systématiquement une prise de éléments constitutifs du syndrome métabolique sont des
médicament inducteur enzymatique. Ceux le plus souvent facteurs de risque maintenant bien établis d’hépatite pseudoal-
incriminés sont les anticonvulsivants, comme les barbituriques, coolique ou de fibrose. En présence de ces facteurs, une évalua-
la phénytoïne ou la carbamazépine, les antidépresseurs, les tion de l’état hépatique se discute soit par la ponction-biopsie
coumariniques, les hormones stéroïdes et certains hypnoti- hépatique, soit par des moyens non invasifs d’appréciation de
ques [20]. L’augmentation de l’activité sérique de la c-GT est, la fibrose hépatique.

Traité de Médecine Akos 3


1-1240 ¶ Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase

En l’absence d’orientation étiologique, la présence d’anticorps L’augmentation de l’activité sérique de la c-GT, associée à la
antimitochondries ou l’existence d’un contexte de pathologie prise d’un médicament inducteur enzymatique, ne justifie pas
auto-immune extrahépatique, associées à une élévation isolée de l’arrêt de ce médicament si l’anomalie est isolée et modérée
l’activité sérique de la c-GT sérique, justifient la réalisation (< 5 N).
d’une ponction-biopsie hépatique, principalement à la recher- En l’absence de prise médicamenteuse responsable, un bilan
che d’une cirrhose biliaire primitive. biologique comprenant une numération-formule sanguine, un
Les autres hépatopathies dont le diagnostic est histologique dosage des lipides sanguins, de la glycémie, ainsi qu’une
sont exceptionnellement révélées par une élévation isolée de échographie hépatique doit être systématiquement réalisé. En
l’activité sérique de la c-GT en l’absence d’arguments cliniques, l’absence d’orientation clinique, le dosage de la thyroid stimula-
biologiques ou radiologiques évocateurs d’atteinte hépatique. ting hormone (TSH) ultrasensible plasmatique peut également
être effectué.
À l’issue de ce bilan, la ponction-biopsie hépatique est
■ Conduite à tenir discutée si l’on suspecte une hépatopathie chronique. Le patient
est alors dirigé vers un service spécialisé. Si l’alcoolisme paraît
la cause la plus probable de l’élévation de l’activité sérique de
En l’absence de consensus, nous proposons la démarche
la c-GT, la ponction-biopsie hépatique peut se discuter en cas de
suivante (Fig. 1).
suspicion d’hépatopathie à l’examen clinique ou échographique
L’affirmation du caractère isolé de l’augmentation de l’activité
du foie. Celle-ci permet de faire le diagnostic, précise le type
sérique de la c-GT nécessite la réalisation d’au moins deux
bilans biologiques hépatiques espacés de 3 mois, permettant de histologique des lésions hépatiques, et peut donc améliorer la
vérifier la normalité de la bilirubinémie et de l’activité sérique prise en charge des malades.
des aminotransférases et des phosphatases alcalines. Si l’on pense que l’élévation de l’activité sérique de la c-GT
Le diagnostic étiologique d’une élévation isolée de l’activité survient chez un alcoolique chronique à foie sain, une épreuve
sérique de la c-GT impose dans tous les cas un interrogatoire de sevrage telle qu’elle a été précédemment décrite est néces-
approfondi du malade à la recherche d’une intoxication alcoo- saire. Si celle-ci est positive, la ponction-biopsie du foie ne
lique chronique ou d’une prise médicamenteuse, ainsi qu’un s’impose pas, mais un suivi est utile pour mener à bien la
examen clinique recherchant des signes en faveur d’une poursuite du sevrage. Si l’épreuve de sevrage est négative ou
imprégnation alcoolique ou d’une hépatopathie chronique douteuse, une biopsie de foie peut être discutée, permettant soit
(existence d’un foie de consistance dure, signes cliniques de corriger le diagnostic, soit d’apporter des arguments en
d’hypertension portale ou d’insuffisance hépatocellulaire). Les faveur de la poursuite de l’intoxication alcoolique.
éléments constitutifs du syndrome métabolique (diabète ou Si l’augmentation de l’activité sérique de la c-GT révèle
insulinorésistance, calcul de l’indice de masse corporelle > l’existence d’une hépatopathie en rapport avec un syndrome
25 kg/m2, diminution du HDL cholestérol, hypertriglycéridémie métabolique, la ponction-biopsie hépatique est indiquée s’il
et hypertension artérielle) doivent également être recherchés existe des signes cliniques permettant de suspecter l’existence
avec soin. d’une fibrose ou d’une cirrhose (foie de consistance ferme ou

• Interrogatoire (alcool, médicaments)


• Examen clinique (poids, taille,
foie, signes d'alcoolisme chronique)
• Volume globulaire moyen,
glycémie, triglycéridémie
• Échographie hépatique

Médicaments Alcoolisme chronique Obésité Absence d'orientation


Diabète diagnostique
Hyperlipidémie TSH
Malnutrition ultrasensible
γ-GT < 5 N et
γ-GT > 5 N Suspicion Test de sevrage
d'hépatopathie anticorps
antimitochondries

Poursuite Négatif Positif


du Arrêt
Dysthyroïdie Normaux
traitement

Normalisation Pas de Surveillance Traitement Anticorps γ-GT < 3 N


normalisation spécifique et antimitochondries stable
surveillance positifs

γ-GT > 3 N
ou en
augmentation

Ponction-biopsie
hépatique Surveillance

Figure 1. Arbre décisionnel. Conduite à tenir devant une élévation isolée de la c-GT sérique.

4 Traité de Médecine Akos


Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase ¶ 1-1240

■ Références
.

dure, signes cliniques d’hypertension portale ou d’insuffisance


hépatocellulaire). Parmi les éléments du syndrome métabolique,
le diabète est le facteur le plus prédictif d’une fibrose impor- [1] Rosalki SB. c-glutamyl transpeptidase. Advance Clim Chem 1975;17:
tante. Les marqueurs non invasifs de fibrose seront dans l’avenir 53-107.
une aide importante pour apprécier l’état hépatique. [2] Laperche Y. La gammaglutamyl-transpeptidase hépatique. Gastro-
En l’absence d’orientation diagnostique, une recherche enterol Clin Biol 1989;13:783-90.
d’anticorps antimitochondries doit être effectuée chez les [3] Hoeksema HL, de Boch GH. The value of laboratory tests for the
femmes à la recherche d’une cirrhose biliaire primitive. Après screening and recognition of alcohol abuse in primary care patients.
avoir éliminé toutes les causes précitées d’élévation isolée de J Fam Pract 1993;37:268-76.
l’activité sérique de la c-GT, une échoendoscopie biliaire ou une [4] Alte D, Luedemann J, Rose HJ, John U. Laboratory markers
cholangio-imagerie par résonance magnétique (IRM) ne seront carbohydrate-deficient transferrin, gamma-glutamyltransferase, and
réalisées qu’en cas de lithiase vésiculaire symptomatique afin mean corpuscular volume are not useful as screening tools for high-risk
d’éliminer un calcul de la voie biliaire principale associé. drinking in the general population: results from the study of health in
Si l’augmentation isolée de l’activité sérique de la c-GT Pomerania. Alcohol Clin Exp Res 2004;28:931-40.
demeure inexpliquée, la ponction-biopsie hépatique n’est [5] Godart B, Menetrey L, Schellenberg F. pages JC, Bacq Y. Carbo-
réalisée que si l’élévation de l’activité sérique de la c-GT est hydrate-deficient transferrin and gamma-glutamyl transpeptidase in
importante ou si elle augmente, en sachant que les anomalies the evaluation of alcohol consumption. A five-year retrospective
study of 633 outpatients in a single center. Gastroenterol Clin Biol
histologiques hépatiques, si elles existent, sont rarement
2005;29:113-6.
spécifiques. Si la ponction-biopsie hépatique est normale, la
[6] Hietala J, Koivisto H, Anttila P, Niemela O. Comparison of the
cholangiographie par résonance magnétique (cholangio-IRM) est
combined marker GGT-CDT and the conventional laboratory markers
indiquée afin d’éliminer une cholangite sclérosante primitive
of alcohol abuse in the heavy drinkers, moderate drinkers and
débutante.
abstainers. Alcohol Alcohol 2006;41:528-33.
La recherche des marqueurs viraux et des anticorps antimus-
[7] Matsuda Y, Tsuchishima M, Ueshima Y, Takase S, Takada A. The
cle lisse dans le sérum paraît inutile ou très peu rentable devant
relationship between the development of alcoholic liver and pancreatic
une élévation isolée de l’activité sérique de la c-GT.
diseases and the induction of gamma glutamyl transferase. Alcohol
Alcohol 1993;28:27-33.
[8] Jacobs WL. Gammaglutamyl transpeptidase in diseases of the liver,
■ Conclusion cardiovascular system and diabetes mellitus. Clin Chim Acta 1972;38:
419-34.
[9] Thamer C, Tschritter O, Haap M, Shirkavand F, Machann J, Fritsche A,
La spécificité de l’augmentation de l’activité sérique de la
et al. Elevated serum GGT concentrations predict reduced insulin
c-GT est faible. C’est pourquoi l’interprétation d’une augmenta-
sensitivity and increased intrahepatic lipids. Horm Metab Res 2005;37:
tion isolée de l’activité de cette enzyme repose principalement 246-51.
sur un interrogatoire et un examen clinique attentifs des [10] Lee DH, Jacobs DR. Association between serum gamma-
malades. En particulier, l’absence d’argument clinique en faveur glutamyltransferase and C-reactiv protein. Atherosclerosis 2005;178:
d’une hépatopathie doit faire rechercher une pathologie 327-30.
extrahépatique, permettant d’éviter, dans certains cas, le recours [11] Lee DS, Evans JC, Robins SJ, Wilson PW, Albano I, Fox CS, et al.
à la ponction-biopsie du foie. En cas de négativité du bilan Gamma glutamyl transferase and metabolic syndrome, cardiovascular
étiologique, la signification pathologique d’une activité sérique disease, and mortality risk. The framingham heart study. Arterioscler
de la c-GT isolément augmentée n’est pas démontrée. Celle-ci Thromb Vasc Biol 2007;27:127-33.
doit être considérée comme bénigne dans la grande majorité des [12] Ruttman E, Brant LJ, Concin H, Diem G, Rapp K, Ulmer H, et al.
cas. Des études prospectives sont nécessaires pour évaluer Gamma-glutamyltransferase as a risk factor for cardiovascular disease
précisément le devenir des malades ayant une élévation isolée mortality: an epidemiological investigation in a cohort of 163.944
et inexpliquée de l’activité sérique de la c-GT. austrian adults. Circulation 2005;112:2130-7.
[13] Kim DJ, Noh JH, Cho NH, Lee BW, Choi YH, Jung JH, et al. Serum
gamma-glutamyltransferase within its normal concentration range is
related to the presence of diabetes and cardiovascular risk factors.
Diabet Med 2005;22:1134-40.
“ Points essentiels [14] Meisinger C, Doring A, Schneider A, Lowel H, KORA study group.
Serum gamma-glutamyltransferase is a predictor of incident coronary
events in apparently healthy men from the general population.
L’élévation de la c-GT est un test sensible d’atteinte Atherosclerosis 2006;189:297-302.
hépatique ou biliaire, mais non spécifique. [15] Lee DH, Silventoinen K, Hu G, Jacobs DR, Jousilahti P, Sundvall J,
Une élévation isolée de la c-GT peut traduire une et al. Serum gamma-glutamyltransferase predicts non-fatal myocardial
consommation excessive d’alcool ; pour conforter cette infarction and fatal coronary heart disease among 28.838 middle-aged
hypothèse, il faut rechercher les autres anomalies men and women. Eur Heart J 2006;27:2170-6.
biologiques en faveur de l’alcool : augmentation du [16] Lee DH, Jacobs DR, Gross M, Steffes M. Serum gamma-
volume globulaire moyen, hypertriglycéridémie, glutamyltransferase was differently associated with microalbuminurie
augmentation de la transferrine désialylée et proposer un by status of hypertension or diabetes: the coronary artery risk
test de sevrage (diminution de 50 % après 15 jours de development in young adults (CARDIA) study. Clin Chem 2005;51:
1185-91.
sevrage ou normalisation après 2 mois de sevrage).
[17] Lee DH, Silventoinene K, Jacobs DR, Jousilahti P, Tuomileto J.
Une élévation isolée est fréquente au cours du syndrome
Gamma-glutamyltransferase, obesity, and the risk of type 2 diabetes:
métabolique dont il faut rechercher les éléments : obésité observational cohort study among 20.158 middle-aged men and
de type androïde, diabète, diminution du HDL- women. J Clin Endocrinol Metab 2004;89:5410-4.
cholestérol, hypertension artérielle, hypertriglycéridémie. [18] Puuka J, Hietala J, Koivisto H,Antilla P, Bloigu R, Niemela O.Additive
Il ne faut pas rapporter de principe une élévation de la effects of moderate drinking and obesity on serum c-glutamyl
c-GT aux médicaments. L’élévation isolée de celle-ci ne transferase activity. Am J Clin Nutr 2006;83:1351-4.
nécessite pas l’arrêt du médicament, sauf si on souhaite [19] Huang MJ, Li KL, Wei JS, Wu SS, Fan KD, Liaw YF. Sequential
affirmer la responsabilité du médicament lorsque la c-GT liver and bone biochemical changes in hyperthyroidism:
se normalise. prospective controlled follow-up study. Am J Gastroenterol 1994;
89:1071-6.

Traité de Médecine Akos 5


1-1240 ¶ Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase

[20] Aldenhovel HG. The influence of long-term anti-convulsant therapy Pour en savoir plus
with diphenylhydantoin and carbamazepine on serum gammaglutamyl
transferase, aspartate aminotransferase, alanine aminotransferase and Combis JM, Payen JL, Pascal JP. Conduite à tenir devant une élévation des
gamma-glutamyl transferase. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris),
alkaline phosphatase. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 1988;237:
Hépatologie, 7-007-B-24, 1994.
312-6. Moirand R, Lauvin L, Deugnier Y, Brissot P. Marqueurs biologiques de
[21] Doutrellot-Philippon C, Haguenoer JM, Capron JP. Affections l’alcoolisme. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Hépatologie, 7-007-
hépatiques professionnelles dues à des agents chimiques. Gastroenterol B-60, 1997.
Clin Biol 1993;17:66-78. Buffet C. GammaGT : comment s’orienter en cas d’élévation. Rev Prat Méd
Gén 2000;14:2093-6.
[22] Naveau S, Poynard T, Poitrine A, Benattar C, Aubert A, Wurst FM, Alling C, Aradottir S, Pragst F, Allen JP, Weinmann W, et al.
Zourabichvili O, et al. Valeur prédictive positive d’une élévation Emerging biomarkers: new directions and clinical applications.
modérée et isolée de la gammaglutamyl-transpeptidase sérique pour le Alcohol Clin Exp Res 2005;29:465-73.
diagnostic de maladie alcoolique du foie. Gastroenterol Clin Biol 1985; Giannini EG, Testa R, Savarino V. Liver enzyme alteration: a guide for
9:81. clinicians. CMAJ 2005;172:367-79.

C. Buffet, Professeur des Universités, praticien hospitalier (catherine.buffet@bct.aphp.fr).


Service des maladies du foie et de l’appareil digestif, Hôpital de Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94270 Le Kremlin-Bicêtre, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Buffet C. Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase. EMC (Elsevier
Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1240, 2008.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

6 Traité de Médecine Akos


1-1405

1-1405

Conduite à tenir
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

devant des polyalgies


M Gayraud

L es polyalgies désignent des douleurs musculosquelettiques qui se différencient des douleurs « régionales » par
une extension plus importante, touchant au moins trois régions non contiguës des membres et/ou du tronc.
Les polyalgies sont un motif très fréquent de consultation. La prévalence des douleurs d’origine musculosquelettique
est élevée, évaluée dans les pays développés à environ 25 %. Sa prévalence est également élevée dans les pays en
voie de développement, touchant la plupart des classes d’âge à partir de l’adolescence. La douleur est définie comme
une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable », associée à une atteinte tissulaire, ou décrite comme telle.
La douleur est modulée par des facteurs cognitifs, émotionnels et d’environnement.
Les stimulations nociceptives sont véhiculées des récepteurs périphériques (peau, articulations) au système nerveux
central par les neurones nociceptifs dans la moelle épinière. Les neurones ont des terminaisons sur plusieurs zones
centrales qui vont moduler et réguler la perception de la douleur par des voies descendantes.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : polyarthrite, myosite, fibromyalgie, viroses, arthrose, métastases osseuses.


Démarche diagnostique

L’interrogatoire est une étape fondamentale de


– Examen complet des articulations : épanchement, limitation de la mobilité,
déformations, douleurs provoquées à la palpation.
– Palpation des enthèses, en recherchant des signes inflammatoires locaux, des
débrouillage, permettant une première approche douleurs provoquées aux points d’insertion.
diagnostique. Il doit être très méthodique et non – Palpation des muscles, mobilisation active avec et contre résistance, testing
suggestif (cf infra). Le caractère aigu ou chronique des
musculaire.
douleurs oriente vers certaines étiologies (maladies
virales dans les douleurs aiguës, rhumatisme – Palpation des os.
dégénératif ou fibromyalgie dans les douleurs – Examen neurologique à la recherche d’une spasticité, de signes sensitifs
chroniques). Lorsque les réponses sont imprécises, il déficitaires.
faut reposer les questions différemment. – Enfin, examen clinique complet.
La deuxième étape est un examen physique
soigneux.
Après l’interrogatoire et l’examen physique, première intention. La pratique d’explorations peut Les examens complémentaires de première
plusieurs étiologies sont évoquées et vont faire être non réalisée en cas de forte suspicion d’une intention sont orientés vers la recherche d’un
pratiquer plusieurs examens complémentaires de infection virale en contexte épidémique (grippe). syndrome inflammatoire, de signes orientant vers une

Interrogatoire dans un bilan de polyalgies


– Âge.
– Antécédents médicochirurgicaux.
– Prises médicamenteuses, posologie et ancienneté ; toxicomanie ; éthylisme.
– Date d’apparition des douleurs et circonstances déclenchantes éventuelles.
– Siège des douleurs en essayant de préciser si elles sont articulaires, périarticulaires, musculaires, axiales, plutôt périphériques.
– Type de la douleur : torsion, poids, brûlures, picotements…
– Intensité de la douleur à coter sur une échelle, progression de la douleur dans le temps.
– Horaire et rythme de la douleur : diurne, nocturne (nombre de réveils), mixte ; notion d’un dérouillage matinal.
– Réponse aux médicaments, chercher ceux qui sont les plus efficaces : antalgiques non morphiniques et morphiniques,
myorelaxants, anti-inflammatoires non stéroïdiens, antidépresseurs.
– Retentissement sur l’activité professionnelle, les activités de loisirs (sports…), la libido.
– Pratiques sexuelles à risque.
– Notion d’un voyage récent (à l’intérieur de la France, en Europe ou dans les régions tropicales).
– Notion d’un contage récent, recherche de contact possible avec des animaux.
– Signes d’accompagnement : amaigrissement (à chiffrer), fièvre, altération de l’état général, signes évoquant une atteinte
viscérale.

1
1-1405 - Conduite à tenir devant des polyalgies

maladie virale, d’un syndrome myogène, d’anomalies l’adulte jeune l’été avec une atteinte douloureuse des
du métabolisme du calcium et d’une atteinte de l’os. muscles de la cage thoracique et de l’abdomen ;
– l’infection à parvovirus B19 qui réalise un tableau
de polyarthralgies ou polyarthrite avec un rash cutané
Examens de première intention à (mégalérythème épidémique) ;
demander devant des polyalgies – la mononucléose infectieuse qui associe une
– Numération-formule sanguine angine, des polyadénopathies, une grande asthénie
(NFS), plaquettes. avec myalgies ;
– Protéine C réactive. – les hépatites virales qui associent myalgies,
arthralgies, céphalées, rashs, troubles digestifs, parfois
– Électrophorèse des protides.
ictère ;
– Ionogramme sanguin, – la primo-infection au virus de l’immunodéfi-
créatininémie, glycémie. cience humaine (VIH) ;
– Transaminases. – des viroses plus rares : hantavirus (Est de la
– Créatine phosphokinase (CPK), France), arboviroses.
lacticodéshydrogénase (LDH), Plusieurs infections bactériennes peuvent
aldolase. s’accompagner de polyalgies :
– Calcémie, phosphorémie, – la brucellose, devenue rare, associe une fièvre
ondulante, un contexte évocateur (consommation de
phosphatases alcalines.
fromage de chèvre frais non pasteurisé), des
– « Thyroid stimulating hormone » polyarthralgies avec parfois une localisation discale. Le
(TSH). diagnostic est porté par la positivité des hémocultures
– « Prostate specific antigen » (PSA) et/ou le sérodiagnostic de Wright ;
chez l’homme au-delà de 50 ans. – la maladie de Lyme est une infection due à
– Radiographies osseuses et Borrelia burgdorferi transmise par une piqûre
d’arthropode. La maladie évolue schématiquement en A
articulaires dirigées en fonction des
trois phases : une première phase d’infection récente
symptômes.
localisée avec une lésion cutanée d’inoculation
(l’érythème chronique migrant) ; une deuxième phase


d’infection récente disséminée associant polyarthral-
gies, myalgies, atteinte des séreuses, paralysie faciale,
Différentes étiologies méningoradiculite ; enfin, une troisième phase
d’infection tardive avec arthropathies chroniques et
volontiers un tableau de pseudosclérose en plaques ;
Les causes de polyalgies sont très nombreuses et
diverses. L’orientation diagnostique est différente – la leptospirose (contact professionnel avec les
selon le caractère aigu ou chronique des douleurs. rats) ;
Dans le cadre des douleurs chroniques, en particulier – les septicémies en phase d’invasion, les
chez la femme, la fibromyalgie est un diagnostic endocardites …
fréquent, mais doit rester un diagnostic d’élimination. Parmi les infections parasitaires, celles
Les différentes pathologies pouvant générer des s’accompagnant de polyalgies sont essentiellement la
polyalgies sont résumées dans l’encadré ci-dessous. toxoplasmose, la toxocarose, la trichinose et, en zone
endémique, la cysticercose et le paludisme.

Maladies pouvant se manifester par ‚ Maladies auto-immunes et rhumatismes


des polyalgies inflammatoires
– Maladies infectieuses. Connectivites
– Rhumatismes inflammatoires
Toutes les connectivites (fig 1) peuvent présenter
chroniques et maladies une symptomatologie de polyalgies diffuses. Trois
auto-immunes. d’entre elles peuvent être initialement prises pour une
– Rhumatismes dégénératifs. fibromyalgie : le lupus érythémateux aigu disséminé,
– Myosites et myopathies. le syndrome de Gougerot-Sjögren (SGS) et la B
– Cancers métastatiques ou polymyosite. Dans le cas particulier du SGS, la 1 Mains de patientes atteintes d’une polyarthrite
syndromes paranéoplasiques. confusion est d’autant plus facile que 30 à 40 % des rhumatoïde (A) et d’une connectivite mixte (B).
fibromyalgies s’accompagnent d’une hyposécrétion
– Ostéomalacie.
lacrymale objectivée par le test de Schirmer, et une symptômes la présence dans trois quarts des cas du
– Endocrinopathies. proportion importante de SGS s’accompagnent d’une facteur rhumatoïde, et plus tardivement des lésions
– Maladies neurologiques. fibromyalgie. Le diagnostic est porté sur les arguments radiologiques.
– Fibromyalgie. cliniques (lésions cutanées, pleuropéricardite, déficit
musculaire, syndrome sec…) et les explorations Pseudopolyarthrite rhizomélique (PPR)
paracliniques (recherche des autoanticorps, biopsie Elle touche des sujets âgés de plus de 60 ans, avec
‚ Maladies infectieuses cutanée avec immunofluorescence en peau saine, une prédominance féminine. Les signes sont des
Elles sont dominées par les maladies virales. Les biopsie des glandes salivaires, électromyogramme, douleurs d’horaire inflammatoire des ceintures et un
arguments en faveur de polyalgies virales sont : le biopsie musculaire...). syndrome inflammatoire biologique. Il n’y a pas de
caractère aigu et brutal des douleurs, l’existence d’une test diagnostique formel. La réponse à la
fièvre, la notion d’un contage possible, le caractère à Polyarthrite rhumatoïde
corticothérapie à doses modérées est rapide et
prédominance myalgique, plus rarement arthralgique, Elle peut d’emblée toucher de façon symétrique la constitue presque un test diagnostique. Dans certains
les signes d’accompagnement fonction des étiologies. plupart des articulations périphériques. En faveur du cas, la PPR s’intègre dans le cadre d’une maladie de
Les étiologies les plus fréquentes sont : diagnostic, le sexe féminin, le début entre 40 et 60 ans, Horton avec une sémiologie plus riche (céphalées,
– la grippe ; une raideur matinale, des signes d’arthrite objectifs à claudication des mâchoires, hyperesthésie cutanée...).
– les infections à virus coxsackie, la plus classique l’examen des articulations, un syndrome inflamma- Le diagnostic est confirmé par la biopsie d’artère
étant la myalgie épidémique de Bornholm touchant toire biologique, quelques mois après le début des temporale.

2
Conduite à tenir devant des polyalgies - 1-1405

Enfin, plus rarement, des douleurs sont observées


dans le cadre de syndromes paranéoplasiques :
ostéopathie hypertrophiante pneumique, hyperpara-
thyroïdie secondaire, neuropathies périphériques, ou
dans le cadre d’infiltrations méningées tumorales.

‚ Ostéomalacie
Elle est rare dans les pays industrialisés mais peut
néanmoins être observée chez les migrants. Elle se
caractérise par des douleurs musculosquelettiques
diffuses prédominant au niveau du bassin et des
cuisses. Le diagnostic est évoqué par une
hypocalcémie, une élévation des phosphatases
alcalines, un taux abaissé de vitamine D. Le diagnostic
est évoqué sur les radiographies (dédifférenciation
corticomédullaire, stries de Looser-Milkman) et
confirmé par la biopsie osseuse.
2 Métastase vertébrale condensante dans le cadre
d’un cancer de la prostate. ‚ Endocrinopathies et troubles
métaboliques
Autres
Les endocrinopathies responsables d’atteintes
Les autres rhumatismes inflammatoires polyarticu- musculaires douloureuses et/ou déficitaires sont le
laires plus rares doivent être recherchés : rhumatismes plus souvent thyroïdiennes (hypo- ou hyperthyroïdie).
psoriasiques, rhumatismes des entérocolopathies, Plus rarement, les hyperparathyroïdies ou
maladie de Still… insuffisances surrénaliennes sont diagnostiquées à
‚ Rhumatismes dégénératifs l’occasion de polyalgies. Dans les diabètes, l’atteinte
L’arthrose des articulations périphériques (doigts, articulaire périphérique (capsulite des épaules et des
genoux, hanches), les atteintes dégénératives des hanches, atteinte des mains), la neuropathie
épaules (coiffe des rotateurs) et périarticulaires de périphérique, l’artériopathie, peuvent se conjuguer
hanches, les remaniements dégénératifs d’origine pour réaliser un tableau douloureux. Les anomalies du
discale et arthrosiques du rachis sont très fréquents à métabolisme susceptibles de provoquer des douleurs
partir de 50 ans. Lorsqu’un patient présente plusieurs sont l’hypercalcémie, l’hypokaliémie, l’hypophospho-
de ces atteintes, il souffre de douleurs diffuses touchant rémie (entre autre diabète phosphoré). 4 Les 18 points douloureux de la fibromyalgie.
volontiers le rachis (niveaux cervical et lombaire) et de D’après Bardin T, Kuntz D. Thérapeutique rhumato-
douleurs périphériques fonction du siège de ‚ Maladies neurologiques logique. Paris : Médecine-Sciences, 1995.
l’articulation lésée. C’est une des circonstances les plus La plupart des neuropathies périphériques
fréquentes de consultation en rhumatologie. À la sensitives pures ou sensitivomotrices, les est volontiers associée à des céphalées, une colopathie
question « de quoi souffrez-vous ? », la réponse est « j’ai polyradiculonévrites, les méningites, quelle que soit fonctionnelle, des troubles du sommeil. L’examen
mal partout ». Le diagnostic est essentiellement leur origine, sont responsables de polyalgies. Le clinique est pauvre, retrouvant des douleurs
clinique, conforté par des clichés radiologiques diagnostic est aisément évoqué sur les données de provoquées au point d’insertion des enthèses. Dix-huit
retrouvant des lésions arthrosiques et la normalité des l’examen neurologique et confirmé par l’électromyo- points ont été décrits par l’American College of
examens biologiques. gramme, la ponction lombaire, la biopsie Rheumatology (fig 4). La biologie et les radiographies
‚ Myosites et myopathies neuromusculaire. Dans le cadre des atteintes centrales, sont normales.
Les poly- et dermatomyosites, outre les douleurs ce sont essentiellement les affections démyélinisantes
des ceintures, s’accompagnent d’un déficit musculaire, qui génèrent des douleurs.


d’une amyotrophie, de signes cutanés spécifiques
‚ Fibromyalgie Conclusion
dans la dermatomyosite, d’une élévation des enzymes
musculaires, de modifications électromyographiques. La fibromyalgie ou syndrome des polyalgies
Le diagnostic est porté par la biopsie musculaire. La idiopathiques diffuses (SPID) ou polyenthésopathie est
plupart des maladies musculaires et les rhabdomyoly- un syndrome clinique décrit dans les années 1970, se L’éventail des maladies et syndromes à l’origine de
ses, qu’elles soient traumatiques, médicamenteuses, caractérisant par des douleurs diffuses à prédomi- polyalgies est très vaste et couvre une grande partie de
métaboliques ou endocriniennes, entraînent nance axiale (régions cervicale et scapulaire, régions la pathologie. Le plus souvent, le diagnostic est aisé
l’association de douleurs plus ou moins intenses et lombaire et fessière), aggravées par l’effort. Elle touche grâce aux données d’interrogatoire et de l’examen
diffuses des muscles et un déficit musculaire. essentiellement les femmes âgées de 30 à 50 ans, et clinique.
‚ Maladies malignes
Les cancers métastasés à l’os sont responsables de
douleurs diffuses. Les tumeurs primitives qui
métastasent volontiers à l’os sont le sein, la prostate, le
poumon, le rein et la thyroïde. Les arguments cliniques
suggestifs sont l’âge mur, le caractère inflammatoire
ou mixte des douleurs, leur aggravation progressive,
l’altération de l’état général, la palpation d’autres
lésions métastatiques (ganglions, hépatomégalie...) ou
de la tumeur primitive. Les examens biologiques
recherchent un syndrome inflammatoire, une
hypercalcémie, une élévation des phosphatases
alcalines, une élévation du PSA chez l’homme. Le
diagnostic est posé sur les radiographies osseuses
et/ou la scintigraphie osseuse (fig 2). A B
Les hémopathies malignes, essentiellement les
3 Localisations crâniennes radiologiques (A) et atteinte médullaire et vertébrale diffuse en imagerie par ré-
myélomes (fig 3), plus rarement les lymphomes et les
sonance magnétique dans le cadre d’un myélome (B).
leucémies, sont responsables de polyalgies.

3
1-1405 - Conduite à tenir devant des polyalgies

Martine Gayraud : Chef du service de médecine interne,


Institut mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : M Gayraud. Conduite à tenir devant des polyalgies.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1405, 2001, 4 p

Références

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Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), AKOS Encyclopédie pratique de Clin Rheumatol 1999 ; 13 : 379-389
médecine, 60-512, 1998 : 1-4

[2] Reilly PA. The differential diagnosis of generalized pain. Baillières Clin Rheu-
matol 1999 ; 13 : 391-401

4
¶ 1-1200

Conduite à tenir face à un bilan


thyroïdien anormal
M. Izembart

Le bilan thyroïdien est couramment effectué pour diagnostiquer une pathologie thyroïdienne. Des
difficultés d’interprétation peuvent souvent apparaître résultant de dissociations entre les différents
paramètres dosés ou entre la clinique et la biologie. En fait, lors d’hypo- ou d’hyperthyroïdies modérées,
les hormones thyroïdiennes peuvent rester dans l’intervalle de référence. De plus, certains traitements ou
pathologies non thyroïdiennes, en altérant la synthèse, le transport ou le métabolisme des hormones
thyroïdiennes, peuvent modifier la concentration sérique de ces hormones ou exercer une action directe
sur la concentration de thyréostimuline. Enfin, des interférences dans les dosages peuvent engendrer des
concentrations anormales des paramètres dosés. Tous ces facteurs peuvent conduire à un diagnostic
erroné de pathologie thyroïdienne chez des patients qui en sont exempts et il est nécessaire d’effectuer des
investigations complémentaires si de telles anomalies sont suspectées avant de conclure définitivement.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Bilan thyroïdien ; TSH ; T4L ; T3L ; Interférences

Plan pouvant être occasionné par une autre pathologie. De plus, la


sensibilité des récepteurs est variable suivant les organes et
suivant les individus. Le bilan biologique, au contraire, est le
¶ Introduction 1
reflet des concentrations sériques des hormones. Ces concen-
¶ Discordances biologiques ou clinicobiologiques explicables 2 trations peuvent être modifiées par des traitements ou des
Dissociations pouvant survenir en présence de pathologies pathologies non thyroïdiennes (modification du transport
thyroïdiennes 2 membranaire, des récepteurs nucléaires, de l’activité des
Dissociations survenant en dehors d’un contexte de pathologie désiodases, de la liaison aux protéines porteuses, du captage
thyroïdienne 2 et de l’organification de l’iode...) sans que l’état clinique en
Cas particuliers 3 subisse les conséquences. [1, 2]
¶ Interférences analytiques 3 • L’hormone thyréotrope ou thyroid stimulating hormone (TSH)
¶ Valeurs de référence 3 est souvent le premier et le seul paramètre dosé. Cette
En fonction de l’âge 3 hormone hypophysaire répond au rétrocontrôle négatif
En fonction de rythmes biologiques 3 qu’exercent les hormones thyroïdiennes sur sa sécrétion. La
réponse est très sensible (d’où l’importance de ses variations
dans le dépistage d’une pathologie thyroïdienne) mais sa
sécrétion peut subir des modifications sous l’influence de
facteurs autres que les hormones thyroïdiennes. De nom-
breuses dissociations biologiques ou clinicobiologiques
peuvent donc s’expliquer par les situations clinique et
thérapeutique du patient.
■ Introduction • Le dosage de la fraction libre des hormones thyroïdiennes est
un dosage délicat. Il est appréhendé différemment suivant les
Sous le terme de bilan thyroïdien anormal sont regroupées techniques utilisées mais aucune de ces méthodologies ne
plusieurs situations : permet de doser parfaitement les concentrations sériques de
• inadéquation entre le bilan biologique et l’état clinique ces hormones libres. Des variations de concentration peuvent
observé ; en résulter dans certaines situations.
• discordances entre plusieurs paramètres du bilan biologique ; Dans tous les cas, une discussion avec le biologiste est donc
• incohérence avec un bilan précédemment effectué. indispensable. Celui-ci doit, dans un premier temps, contrôler
Trois particularités doivent être prises en compte pour bien que les étapes préanalytique et analytique se sont correcte-
interpréter ce type de bilan. ment déroulées, que les valeurs de référence correspondent
• Les signes cliniques observés résultent de l’action des hormo- bien à l’âge du patient puis dialoguer avec le clinicien afin
nes thyroïdiennes (tri-iodo-thyronine ou T3 et tétra-iodo- d’éliminer toutes les causes pouvant modifier le bilan et enfin
thyronine ou T4) au niveau des tissus cibles. Ces signes ne orienter les recherches vers d’éventuelles interférences ana-
sont pas spécifiques d’une pathologie thyroïdienne, chacun lytiques.

Traité de Médecine Akos 1


1-1200 ¶ Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien anormal

Nous analyserons donc dans un premier temps les discor- Dissociations survenant en dehors
dances les plus fréquentes et les problèmes d’interférences
analytiques puis nous verrons l’importance des valeurs de
d’un contexte de pathologie thyroïdienne
référence. Certains médicaments, par leur action pharmacologique, ou
certaines pathologies non thyroïdiennes par les altérations
organiques qu’elles entraînent peuvent modifier l’un des
paramètres du bilan et conduire à des interprétations erronées.
■ Discordances biologiques Il faut noter que ces modifications, qui dépendent de la capacité
d’adaptation de la thyroïde et parfois du type de dosage utilisé,
ou clinicobiologiques explicables sont variables, voire imperceptibles individuellement car restant
dans l’intervalle de référence.

Perturbations engendrées par une action sur l’axe


Dissociations pouvant survenir en présence hypothalamohypophysaire
de pathologies thyroïdiennes • Lors des premiers mois de grossesse, l’augmentation de
Une concentration sérique de TSH abaissée sans signe clini- l’human chorionic gonadotrophin (hCG), en agissant au niveau
que évident d’hyperthyroïdie peut se rencontrer dans un du récepteur TSH, modifie la concentration sérique des
contexte de pathologie thyroïdienne. Il s’agit le plus souvent de hormones thyroïdiennes. [4] Il peut en résulter un abaisse-
patients présentant, soit un nodule autonome ou des zones ment isolé de la concentration sérique de TSH. Cette situa-
hyperfixantes en scintigraphie, soit une thyroïdite de de tion, qui s’accompagne parfois d’une augmentation de
Quervain, soit une maladie de Basedow avec thyroïde opérée ou volume thyroïdien, [5] ne doit pas être assimilée à une
traitée par irathérapie. Dans ce dernier cas, les concentrations hyperthyroïdie débutante.
• Les médicaments ayant une action au niveau hypophysaire
sériques d’anticorps antirécepteurs de la TSH stimulants sont
peuvent, soit diminuer la concentration sérique de TSH
souvent élevées.
(glucocorticoïdes, dopamine et ses agonistes, antagonistes de
Lors d’une maladie de de Quervain, l’abaissement peut être la sérotonine), soit l’augmenter (antagonistes de la dopamine
suivi d’une augmentation de la concentration sérique de TSH comme la chlorpromazine ou l’halopéridol).
quelques semaines après la phase initiale puis d’une • L’absorption de dérivés de la T3 (ou de T3), souvent difficiles
normalisation. à cerner, provoque, par action sur l’hypophyse, un abaisse-
Dans tous ces cas, il est nécessaire de bien connaître les ment de la concentration sérique de TSH et secondairement
antécédents du patient et éventuellement de pratiquer des une diminution de la concentration sérique de T4L (par la
examens complémentaires pour valider ces bilans. non-stimulation de la thyroïde). Un simple dosage de la
Une concentration sérique de TSH élevée sans signe évident concentration sérique de T3L peut confirmer ce diagnostic.
d’hypothyroïdie peut se rencontrer dans les hypothyroïdies • Les pathologies graves non thyroïdiennes (NTI ou non
frustes ou débutantes. Un bilan d’auto-immunité pourra faciliter thyroidal illness) sont souvent à l’origine d’une diminution
le diagnostic. importante de la concentration sérique de TSH. [6] Plusieurs
Les hypothyroïdies d’origine haute (très rares) sont caractéri- hypothèses ont été avancées concernant ces modifications
sées par un bilan particulier avec abaissement simultané de la (augmentation de la sensibilité de l’hypophyse à la T 3 ,
augmentation de la désiodase de type II, augmentation des
concentration sérique de la TSH et de la T4 libre (T4L).
taux de cortisol circulant, diminution de la sécrétion de
thyrotropin releasing hormone (TRH), accumulation de di-iodo-
Cas particulier des bilans sous traitement à visée thyronine...) mais leur pluralité montre bien la complexité du
thyroïdienne problème.
• Les maladies psychiatriques et les dépressions majeures
Ces bilans ont un profil particulier et les répercussions sur la
peuvent aussi abaisser la concentration sérique de TSH.
biologie doivent être connues.
Traitements par antithyroïdiens de synthèse (ATS)
Perturbations engendrées par une action
sur la thyroïde
La concentration sérique de TSH peut rester abaissée (par • Une surcharge iodée importante et ponctuelle (par exemple
persistance de l’hyperthyroïdie ou par inertie hypophysaire) lors d’un examen avec injection d’un produit iodé) peut
avec une concentration sérique de T4L normale ou abaissée. entraîner, dans les jours qui suivent, une augmentation de la
Il est fréquent de rencontrer un abaissement isolé de la concentration sérique de TSH (voire masquer une hyperthy-
concentration sérique de T 4 L chez les patients traités par roïdie modérée).
carbimazole (les concentrations sériques de TSH et de T3L étant • Les carences iodées ou les médicaments pouvant inhiber la
normales). pénétration de l’iode dans la thyroïde (lithium par exemple)
À noter l’action particulière des thiouraciles qui, par inhibi- entraînent une sécrétion préférentielle de l’hormone la moins
tion de la 5’désiodase, provoquent une diminution de la iodée, donc la T3, au détriment de la T4 qui peut être abaissée
concentration sérique de T3L. (rôle de la désiodase de type II intrathyroïdienne ?).

Traitements par la T4 Perturbations engendrées par une action


au niveau périphérique
En début de traitement, la concentration sérique de TSH peut
rester élevée alors que la concentration sérique de T4 L est Des modifications des récepteurs cellulaires aux hormones
normalisée. thyroïdiennes ou de la liaison de ces dernières aux protéines
porteuses ou encore des modifications de l’activité des désioda-
La concentration sérique de T4L peut être un peu élevée au
ses ont des répercussions sur le bilan.
cours d’une hormonothérapie thyroïdienne substitutive, surtout
• La prise de médicaments qui augmentent le catabolisme
dans les 4 heures qui suivent la prise de thyroxine lévogyre hépatique de la T4 peut abaisser la concentration sérique de
(L-T4). L’amplitude est variable selon les techniques utilisées T4L. Les plus fréquemment rencontrés sont les hydantoïnes,
pour le dosage. la carbamazépine, le phénobarbital, la rifampicine.
À noter la possibilité d’une malabsorption de la thyroxine • La prise d’amiodarone, par action sur la 5’ désiodase qui
lors de la prise simultanée de certains médicaments (sulfate inhibe la conversion de T4 en T3 au niveau périphérique, [7]
ferreux, sels d’alumine) ou l’interférence in vivo [3] d’anticorps est souvent associée à une élévation de la concentration
anti-T4 pouvant entraîner des variations significatives du bilan sérique de T4L (et d’une diminution de la concentration
sous traitement substitutif. sérique de T3L).

2 Traité de Médecine Akos


Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien anormal ¶ 1-1200

• Le jeûne et la diète, par inhibition du transport membranaire En dehors de ces cas classiques, il faut savoir qu’une
au niveau du foie et une inhibition de la désiodase de type I, interférence ponctuelle liée à la présence, dans le sérum,
entraînent aussi une élévation isolée de la concentration d’un composant particulier est toujours possible lors d’un
sérique de T4L. immunodosage et qu’il sera très difficile de la mettre en
• Certaines pathologies graves non thyroïdiennes, en particulier évidence. Le dosage du paramètre incriminé avec des réactifs
l’insuffisance rénale et la dialyse, peuvent entraîner une différents peut parfois résoudre le problème et des tests
diminution de la concentration sérique de T4L, voire dans particuliers (dilutions, surcharges) peuvent en laisser suppo-
certains cas une diminution concomitante des concentrations ser l’existence.
sériques de TSH et de T4L.
• Une diminution de la concentration sérique de T4L peut être
observée au 3e trimestre de la grossesse.
■ Valeurs de référence
Les valeurs de référence, souvent appelées valeurs normales
Cas particuliers ou usuelles, délimitent, pour un examen donné, un intervalle
à l’intérieur duquel les valeurs trouvées seront dites
Des concentrations sériques élevées de TSH et de T4L ou une « normales ».
concentration sérique de TSH normale avec une concentration Lors de l’interprétation d’un bilan, il convient de s’assurer
sérique de T4L élevée peuvent être observées dans les adénomes que les valeurs de référence utilisées correspondent bien à l’âge
hypophysaires avec sécrétion inappropriée de TSH [8] ou les du patient.
résistances aux hormones thyroïdiennes. [9] Ces cas sont très Nous rappelons les cas où des différences peuvent être
rares et il ne faudra les évoquer qu’après élimination des observées.
interférences analytiques et plusieurs contrôles successifs avec
d’autres systèmes de dosage.

En fonction de l’âge
■ Interférences analytiques • Nouveau-né : pic de TSH plasmatique juste après la nais-
sance, élévation progressive de la concentration sérique de
Lorsque les situations précédentes ne peuvent être mises en T3 (pratiquement inexistante à la naissance) et concentra-
cause, il faut penser à d’éventuelles interférences analyti- tion sérique plus élevée de la T4 durant le premier mois de
ques. [10] Une interférence analytique est liée à la présence, dans la vie.
le sérum d’un patient donné, d’un composant qui perturbe le • Enfant : seule la concentration sérique de T3 est significative-
schéma réactionnel et induit un résultat faux. ment plus élevée chez l’enfant que chez l’adulte.
Certaines interférences analytiques sont bien connues et • Adulte : pas de différence entre l’homme et la femme.
peuvent facilement être mises en évidence par des techniques • Personnes âgées : on a pu noter une baisse significative de
appropriées. D’autres sont ponctuelles et ne sont pas facilement la concentration sérique de T 3 par rapport au groupe
détectables. C’est au biologiste, en fonction des indications précédent. Les variations de TSH observées ne sont pas
fournies par le clinicien, d’explorer éventuellement ces constantes et dépendent beaucoup de l’état physique de ces
interférences. personnes.
Citons dans les interférences connues :
• les anticorps anti-TSH (rares) ou antigammaglobulines de souris
(HAMA : human anti mouse antibody) faciles à neutraliser ;
• les anticorps dirigés contre l’un des constituants de la phase
En fonction de rythmes biologiques
solide ou l’un des réactifs (plus difficiles à détecter) ; Ils concernent essentiellement la TSH qui présente un
• les facteurs rhumatoïdes pouvant se comporter comme des rythme circadien avec un maximum de sécrétion entre
anticorps hétérophiles et donner lieu à des interférences dans 1 heure et 2 heure et un minimum en milieu de journée. Ces
le dosage de la TSH ; modifications, qui n’ont en général pas de retentissement sur
• les anticorps anti-T4 ou anti-T3 (dépistage facile) ; les bilans compte tenu de l’heure des prélèvements, peuvent
• la présence d’albumine anormale (dysalbuminémie) ayant cependant avoir une incidence lors de comparaison de bilans
une forte affinité pour les hormones thyroïdiennes ; effectués à des heures très différentes. D’autre part, ces
• des modifications importantes des concentrations sériques rythmes peuvent être perturbés chez des patients travaillant la
protéiques qui perturbent les dosages. nuit.

“ Points forts
• La détermination de la concentration sanguine de TSH est actuellement le meilleur test pour dépister une dysthyroïdie. Cependant,
compte tenu d’interférences toujours possibles, les résultats doivent être confortés par la clinique et/ou l’imagerie.
• En début de grossesse, la concentration de TSH peut être abaissée en dehors de toute hyperthyroïdie et l’interprétation des résultats
doit tenir compte de cette éventualité.
• Les interférences analytiques sont variables suivant les techniques utilisées et parfois difficiles à identifier. Des résultats incohérents
et fluctuants selon les laboratoires doivent alerter le biologiste et le clinicien.
• La détermination de la concentration de la fraction libre des hormones thyroïdiennes est un exercice particulièrement difficile qui
peut être mis en défaut dès que les réactions d’équilibre biologique sont perturbées. Il en résulte des intervalles de référence peu précis
et des perturbations lors de pathologies non thyroïdiennes affectant ces équilibres.
• Lors de l’instauration de traitements à visée thyroïdienne ou de modification de posologie, la normalisation de la concentration
sanguine de TSH demande quelques semaines. La vérification de l’efficacité du traitement doit donc tenir compte de ce délai.

Traité de Médecine Akos 3


1-1200 ¶ Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien anormal

Remarques à propos de ces valeurs de référence. • Les valeurs de référence sont déterminées statistiquement.
• Les paramètres dosés lors d’un bilan thyroïdien sont effec- Il est toujours possible, pour un sujet, de s’écarter de
tués (excepté le dosage de l’iodure) par immunodosages. Ces cette statistique pour un paramètre donné. Il conviendra
techniques peuvent donner des valeurs légèrement différen- cependant de n’arriver à cette conclusion qu’après
tes suivant les réactifs utilisés. Les résultats doivent donc avoir répété le dosage à plusieurs mois d’intervalle et
toujours être interprétés en fonction d’intervalles se référant s’être assuré qu’aucune pathologie n’est sous-jacente
à la technique utilisée et de préférence déterminés au niveau (bilan complémentaire, y compris le bilan immuno-
du laboratoire. logique).

“ Points essentiels
Résumé des principales dissociations du bilan.
Une concentration sérique* de TSH normale avec une concentration sérique de T4L augmentée peut se rencontrer dans :
• les traitements par la T4
• les traitements par l’amiodarone
• les sécrétions inappropriées de TSH ou les syndromes de résistance hypophysaire (très rares)
• les interférences analytiques suivantes : autoanticorps anti-T4 ou anti-T3, hyperthyroïdies avec anticorps hétérophiles
Une concentration sérique de TSH normale avec une concentration sérique de T4L diminuée peut se rencontrer dans :
• les traitements par antithyroïdiens de synthèse
• les traitements par inducteur enzymatique (barbiturique, carbamazépine, hydantoïne)
• la grossesse au 3e trimestre
• les insuffisances rénales
• les hypothyroïdies d’origine centrale (la T3L est basse)
Une concentration sérique de TSH augmentée avec une concentration sérique de T4L augmentée peut se rencontrer dans :
• les hypothyroïdies traitées par la T4 en début d’équilibration
• les hypothyroïdies avec interférence analytique dans le dosage de T4L
• les sécrétions inappropriées de TSH ou les syndromes de résistance hypophysaire (très rares)
Une concentration sérique de TSH augmentée avec une concentration sérique de T4L normale peut se rencontrer dans :
• les hypothyroïdies non traitées tant que la thyroïde stimulée peut assurer une production suffisante de T4
• les hypothyroïdies traitées par la T4 en phase d’équilibration
• les thyroïdites de de Quervain en phase de récupération
Une concentration sérique de TSH diminuée avec une concentration sérique de T4L diminuée peut se rencontrer dans :
• les traitements par la T3 (ou par un dérivé de la T3) ; dans ce cas, la concentration sérique de T3L est augmentée
• les traitements par antithyroïdiens de synthèse (concentration sérique de T3L le plus souvent normale)
• les hypothyroïdies d’origine centrale (concentration sérique de T3L normale ou abaissée)
Une concentration sérique de TSH diminuée avec une concentration sérique de T4L normale peut se rencontrer dans :
• les traitements freinateurs par la T4
• les traitements par antithyroïdiens de synthèse
• les hyperthyroïdies autonomes
• les thyroïdites de de Quervain en phase d’évolution
• les maladies de Basedow sur thyroïde opérée ou traitée par irathérapie (situations avec peu de tissu thyroïdien stimulé)
• les traitements par corticoïdes, dopamine et ses agonistes
• les dépressions majeures
• la grossesse au premier trimestre (rôle de l’hCG)
N.B. : lors de pathologies graves non thyroïdiennes ou de pathologies atteignant des tissus jouant un rôle majeur dans les
désiodations et la synthèse des protéines porteuses (rein, foie), des perturbations du bilan thyroïdien sont fréquentes et souvent
difficiles à interpréter.

4 Traité de Médecine Akos


Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien anormal ¶ 1-1200

■ Références
.

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amiodarone: an overview. Adverse Drug React Acute Poisoning Rev
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[3] Izembart M, Dreyfuss M, Dagousset F, Leger A. Problèmes cliniques [9] Refetoff S. Resistance to thyroid hormone. Clin Lab Med 1993;13:
posés par la présence d’autoanticorps anti-T3 et anti T4 (Lettre). Presse 563-81.
Med 1992;21:676. [10] Piketty ML, Lancelin F, Poirier-Bègue E, Le Guillouzic D. Pièges ana-
lytiques en hormonologie thyroïdienne. Méd Thér Endocrinol Reprod
[4] Ballabio M, Poshyachinda M, Ekins RP. Pregnancy-induced changes in
2000;2:311-22.
thyroid function: role of human chorionic gonadotropin as putative
regulator of maternal thyroid. J Clin Endocrinol Metab 1991;73:
824-31. Pour en savoir plus
[5] Vagenakis AG. Pitiutary-thyroid interaction: effects of thyroid Leclère J, Orgiazzi J, Rousset B, Schlienger JL, Wemeau JL. La thyroïde.
hormone, non thyroidal illness and various agents on TSH secretion. Expansion Scientifique Française; 1992.
Acta Med Austr 1988;15:52-6. Nicoloff JT, LoPresti JS. Nonthyroidal illness. In: Bravermann LE,
[6] Glinoer D, de Nayer P, Delange F. Thyroïde et grossesse. In: La thy- Utiger RD, editors. Werner and Ingbars’s the thyroid: a fundamental
roïde. Paris: Expansion Scientifique Française; 1992. p. 456-78. and clinical text. 7th ed. Philadelphia: Lippincott; 1996.

M. Izembart, Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier* (mireille.izembart@wanadoo.fr).


19, rue Charles-Chenu, 92800 Puteaux, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Izembart M. Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien anormal. EMC (Elsevier SAS, Paris), Traité de
Médecine Akos, 1-1200, 2005.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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Traité de Médecine Akos 5


¶ 1-1210

Élévation des créatine-phosphokinases


R. Laraki

L’élévation des créatine-phosphokinases (CPK) traduit une souffrance cellulaire et s’observe dans de
multiples circonstances. En l’absence de toute symptomatologie d’orientation, le dosage des CPK-MB
(muscle-brain) permet de distinguer les rares infarctus du myocarde silencieux des nombreuses situations
pathologiques ou non à répercussion musculaire. L’élévation des CPK peut s’intégrer dans un contexte
clinique évocateur où elle constitue un critère diagnostique de certaines pathologies (cardiovasculaire,
musculaire et neurologique). Enfin, une élévation des CPK est rapportée dans un certain nombre de
situations au cours desquelles leur intérêt diagnostique est limité, voire anecdotique. Lorsqu’une affection
musculaire est suspectée, un certain nombre d’examens complémentaires d’orientation puis de
confirmation permettent d’étayer le diagnostic.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : CPK ; Myopathie ; Rhabdomyolyse

Plan de l’origine tissulaire de leur isolement initial. L’association


de ces sous-unités entre elles permet de constituer trois isoen-
¶ Introduction 1 zymes :
• CPK-MM qui représente plus de 94 % des CPK totales et qui
¶ Élévation des créatine-phosphokinases en l’absence
provient du muscle strié squelettique (contenant 99 % de
de symptomatologie d’orientation 2
CPK-MB élevées 2 CPK-MM pour 1 % de CPK-MB) ;
CPK-MB normales 2 • CPK-MB qui représente moins de 6 % des CPK totales et qui
provient du muscle cardiaque (contenant 20 % de CPK-MB
¶ Élévation des créatine-phosphokinases dans un contexte
pour 80 % de CPK-MM) ;
clinique évocateur 3
Pathologie cardiovasculaire 3 • CPK-BB, normalement indétectable dans le sérum, est pré-
Pathologie musculaire 3 sente dans le cerveau, le tractus gastro-intestinal (muscle lisse)
Pathologie neurologique 4 et divers organes (utérus, prostate, rein, foie etc.).
La technique de dosage est le plus souvent biochimique, de
¶ Élévation des créatine-phosphokinases dans des situations
particulières 4 sorte que les valeurs normales doivent être définies pour chaque
laboratoire. Ces valeurs normales varient également en fonction
¶ Examens complémentaires 4
de la masse musculaire dans différentes populations. Ainsi, elles
Examens d’orientation 5
sont plus élevées chez l’homme que chez la femme et dans la
Examens de confirmation 5
population noire.
Une élévation des CPK est significative si elle est supérieure à
deux fois la limite supérieure de la normale et ce, sur plusieurs
■ Introduction dosages (au moins trois).
Une élévation des CPK supérieure à cinq fois la normale
L’élévation du taux des créatine-phosphokinases (CPK) traduit associée à une myoglobinurie définit une rhabdomyolyse.
une souffrance cellulaire, avec lésion de la membrane cytoplas-
Pour conforter le diagnostic de l’anomalie musculaire, un
mique qui libère l’enzyme dans la circulation. L’intérêt du
dosage des CPK réside essentiellement dans le diagnostic des dosage des autres enzymes musculaires, moins spécifiques, est
pathologies musculaires et de l’infarctus du myocarde. souvent effectué : transaminases (aspartate-aminotransférases
La CPK est une enzyme importante du métabolisme énergé- [ASAT] et alanine-aminotransférases [ALAT]), lacticodéshydrogé-
tique, permettant de reconstituer les réserves cellulaires en nase (LDH) et aldolase.
adénosine triphosphate (ATP) et le transfert de l’énergie des Une élévation des CPK peut s’observer dans de multiples
mitochondries vers le cytoplasme. circonstances (Tableau 1), pathologiques ou non. Si le contexte
La CPK est un dimère constitué de deux sous-unités : M (pour clinique est parfois évocateur, dans d’autres cas l’anomalie est
muscle) et B (pour brain : cerveau), ainsi dénommées en raison en apparence isolée et son interprétation peut s’avérer délicate.

Traité de Médecine Akos 1


1-1210 ¶ Élévation des créatine-phosphokinases

Tableau 1. Tableau 2.
Principales causes d’élévation des créatine-phosphokinases (CPK). Médicaments responsables d’une élévation des créatine-phosphokinases.
Par atteinte du muscle strié squelettique (CPK-MM) - Hypolipémiants : fibrates et surtout statines
Lésion musculaire - Analgésiques et anti-inflammatoires : salicylés, paracétamol, opiacés,
• traumatisme AINS (en intramusculaire surtout), phénylbutazone
• injection intramusculaire - Antibiotiques et associés : sulfamides, pénicilline, cyclines, quinolo-
nes, isoniazide, amphotéricine B
• électromyogramme
- Antiviraux : zidovudine, lamivudine
• chirurgie
- Cytokines : interféron-alpha, interleukine 2
• convulsions
- Immunosuppresseurs : ciclosporine, azathioprine, tacrolimus
Affections musculaires
- Cytotoxiques : vincristine, hydroxyurée, cytarabine, mitoxantrone
• dystrophies musculaires
- Agents anti-angiogéniques : avastin
• myopathies métaboliques et mitochondriales
- Anti-inflammatoires et immunomodulateurs en traitement de fond :
• myopathies inflammatoires idiopathiques
chloroquine, hydroxychloroquine, colchicine, D-pénicillamine, sulfasa-
• myosites infectieuses
lazine, danazol
Affections neurologiques
- Anesthésiques : suxaméthonium, halothane
• sclérose latérale amyotrophique
- Hypokaliémiants (diurétiques, laxatifs) et réglisse
• amyotrophies spinales progressives
- Psychotropes (barbituriques, benzodiazépines, neuroleptiques, carba-
Toxiques : alcool, cocaïne, ecstasy mates), antidépresseurs (toutes classes), lithium, et L-dopa
Médicaments (cf. Tableau 2) - Antithyroïdiens de synthèse : carbimazole, PTU
Rhabdomyolyse (cf. Tableau 3) - Antiulcéreux : cimétidine, famotidine, ranitidine
Affections endocriniennes et métaboliques - Antihistaminiques H1 : diphénhydramine, doxylamine
• hypothyroïdie - Bêtabloquants (oxprénolol, labétalol, métoprolol), IEC (énalapril),
• hypokaliémie amiodarone
• acidocétose diabétique - Théophylline, terbutaline
Élévation non pathologique - Étrétinate, minoxidil
• effort physique intense, prolongé et/ou inhabituel - Ranélate de strontium
• sujet de race noire - Émétine (ipéca)
• masse musculaire importante - BCG-thérapie
• macro-CPK AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; PTU : propylthiouracile ; IEC :
Élévation des CPK-MB inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; BCG : bacille de Calmette et Guérin.
Infarctus du myocarde
Myocardite situation, les CPK se normalisent après 1 à 2 semaines de
Cardioversion, contusion ou chirurgie cardiaques repos, voire plus rapidement en 3 jours. Dans le cas contraire,
il faut suspecter une myopathie métabolique sous-jacente.
Élévation des CPK-BB
L’élévation porte le plus souvent sur la CPK-MM mais des
Accident ischémique cérébral
élévations de la CPK-MB, atteignant 8 à 10 %, ont été
Infarctus intestinal rapportées chez le marathonien en l’absence de toute patho-
Cancers logie cardiaque ; elles proviennent de fibres musculaires
squelettiques en cours de régénération. Les individus avec
une masse musculaire très développée peuvent avoir une
■ Élévation élévation modérée des CPK, de l’ordre de deux fois la nor-
male.
des créatine-phosphokinases • Une lésion traumatique parfois minime peut conduire à une
augmentation transitoire des CPK. C’est le cas des injections
en l’absence de symptomatologie intramusculaires, notamment d’anti-inflammatoires non
d’orientation stéroïdiens (AINS) et de leur éluant, l’éthanol (pic de CPK à
la 12e h et normalisation en 48 h), de l’électromyogramme
La découverte d’une élévation des CPK en l’absence de toute (augmentation des CPK dans 30 % des cas avec un retour à
symptomatologie d’orientation ou de façon fortuite doit la normale en 48 à 72 h), de la biopsie musculaire et de la
conduire à un dosage des CPK-MB. chirurgie.
• Une prise de toxiques, et en premier lieu l’intoxication
alcoolique, est une cause relativement fréquente d’élévation
CPK-MB élevées des CPK. L’alcoolisme est la cause la plus fréquente de
Si les CPK-MB sont élevées (> 6 %), la réalisation d’un rhabdomyolyse. Après un épisode aigu d’ivresse, l’élévation
électrocardiogramme (ECG) peut mettre en évidence un infarc- des CPK existe dans 40 à 80 % des cas et est habituellement
tus du myocarde, pathologie où, dans 10 à 20 % des cas, la symptomatique. Une élévation isolée des CPK sans signe
douleur peut manquer totalement, en particulier chez le grand clinique est retrouvée chez 18 % des alcooliques chroniques
vieillard, le diabétique ou le malade mental. et est considérée comme le témoin d’une myopathie alcooli-
que chronique. Les toxiques tels le crack, la cocaïne, l’ecstasy
CPK-MB normales peuvent entraîner une élévation isolée des CPK. Les toxico-
manes à la cocaïne peuvent présenter une myopathie aiguë
Si les CPK-MB ne sont pas augmentées ou si l’ECG est toxique, avec myalgies intenses et myoglobinurie, mais dans
normal, différentes possibilités sont à envisager. la moitié des cas, l’atteinte est infraclinique.
• Un effort physique particulièrement intense (athlétisme, • De très nombreux médicaments peuvent causer une élévation
musculation) ou une modification récente de l’intensité de des CPK (Tableau 2). Celle-ci peut être isolée ou associée à des
l’entraînement sportif peut entraîner une forte élévation des symptômes musculaires (myalgies, fatigabilité) pouvant
CPK (jusqu’à 20 fois la normale), voire une rhabdomyolyse évoluer vers une rhabdomyolyse.
(marathon). Une activité physique moins intense, y compris Les hypolipémiants, fibrates et surtout statines, en sont les
le travail manuel (jardinage etc.), le per- et post-partum principaux pourvoyeurs ; 3 à 5 % des sujets consommant des
peuvent entraîner une élévation modérée des CPK. Dans cette statines vont présenter une activité CPK augmentée. Le risque

2 Traité de Médecine Akos


Élévation des créatine-phosphokinases ¶ 1-1210

de toxicité musculaire est augmenté en cas d’insuffisance rénale, Pathologie cardiovasculaire


de prise concomitante de certains médicaments (ciclosporine,
antiprotéases, macrolides, antifongiques) ou d’association Infarctus du myocarde
fibrates/statines. Il est recommandé d’arrêter le traitement si les
CPK dépassent cinq fois la limite supérieure de la normale ou Devant une douleur thoracique d’allure coronarienne, le
devant l’apparition de symptômes musculaires. dosage des CPK-MB fait partie, au même titre que l’ECG, des
De nombreux autres médicaments sont incriminés : zidovu- éléments diagnostiques d’un infarctus du myocarde. Une
dine, colchicine, chloroquine, émétine, D-pénicillamine, élévation des CPK-MB entre 6 et 20 % n’a de valeur indicative
interféron, barbituriques, morphine, diazépam, médicaments d’une pathologie cardiaque que si la CPK totale est augmentée.
responsables d’une déplétion potassique (laxatifs, diurétiques, La CPK augmente 4 à 8 heures après l’événement ischémique
amphotéricine B), etc. avec un pic à 24-36 heures et un retour à la normale entre les
Il faut suspecter une pathologie musculaire préexistante en 3e et 6e jours. Les dosages en série, à intervalles de 6-8 heures,
l’absence de normalisation des CPK après l’arrêt du en augmentent la validité. Il existe une corrélation entre
médicament. l’évolution du taux de CPK et l’importance de la masse myocar-
Les injections intramusculaires de vaccin renfermant de dique nécrosée. Cependant, actuellement, le dosage des tropo-
l’aluminium (contre l’hépatite B surtout) sont responsables de la nines, plus spécifiques du cardiomyocyte, a tendance à
myofasciite à macrophages, caractérisée par des myalgies supplanter celui des CPK-MB dans le diagnostic biologique
diffuses et une augmentation inconstante des CPK. Le diagnos- d’une nécrose de la cellule musculaire cardiaque.
tic est assuré par la biopsie du deltoïde.
• Une hypothyroïdie peut être révélée par une élévation isolée Autres causes cardiaques
des CPK. Des signes musculaires, habituellement discrets, sont
D’autres causes cardiaques d’élévation des CPK-MB sont
parfois présents. Une rhabdomyolyse, parfois associée à la
rapportées : myocardite, tachycardie supraventriculaire prolon-
prise d’un hypolipémiant, peut être également révélatrice
gée, contusion ou chirurgie cardiaques, cardioversion.
d’une hypothyroïdie. Ceci souligne l’intérêt du dosage de la
thyroid stimulating hormone (TSH) dans cette situation. Les
CPK sont élevées dans 70 à 90 % des cas d’hypothyroïdie et
se normalisent quelques semaines après l’instauration du Pathologie musculaire
traitement substitutif. Celle-ci est à évoquer d’emblée devant des myalgies ou un
• Une élévation des CPK sans augmentation des autres enzymes déficit moteur. Il faut savoir également y penser devant une
musculaires (transaminases, LDH, aldolase) doit faire recher- intolérance à l’effort, des contractures musculaires ou un ptosis.
cher une pseudoélévation des CPK ou macro-CPK. Il s’agit Enfin, il faut savoir qu’une élévation isolée des transaminases
d’une CPK de poids moléculaire plus élevé que l’enzyme (sans autre anomalie du bilan hépatique), avec un rapport
normale dont deux types, isolés par électrophorèse, ont été ASAT/ALAT > 1, constatée notamment dans le cadre du bilan
décrits : étiologique d’une asthénie, peut être d’origine purement
C la macro-CPK de type 1 constituée d’une immunoglobuline musculaire et doit conduire à doser les CPK. Le profil évolutif
(Ig) G (plus rarement IgA) liée à la CPK-BB. Ce complexe de la pathologie musculaire est très variable, allant de formes
est source d’interférence lors des dosages, responsable, soit aiguës, voire vues dans un contexte d’urgence, à des formes
d’une élévation de la CPK-MB supérieure à 20-25 % pou- subaiguës ou chroniques.
vant induire une suspicion erronée d’infarctus du myo-
carde (au cours duquel, en réalité, la CPK-MB se situe entre Rhabdomyolyses
6 et 20 %), soit d’une élévation de la CPK-MB supérieure à
la CPK totale ; De nombreuses pathologies sont associées à une rhabdomyo-
lyse pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Il est impératif
C la macro-CPK de type 2, plus rare que la précédente, est
d’en déterminer rapidement les causes exactes pour pouvoir
constituée de CPK mitochondriale sous forme
définir, à côté du traitement symptomatique, la thérapeutique
oligomérique.
étiologique et éventuellement prévenir la récidive. Clinique-
Les macroenzymes sont habituellement dénuées de significa- ment, les signes les plus typiques sont une fatigue musculaire,
tion pathologique. C’est particulièrement le cas de la macro- des myalgies, des crampes, un déficit musculaire, parfois une
CPK de type 1, présente chez près de 1 % des sujets normaux, augmentation du volume musculaire, une pigmentation anor-
généralement des femmes âgées. Leur présence a été également male des urines due à une myoglobinurie (urines couleur thé).
notée chez des sujets atteints de maladies auto-immunes, Elle peut être asymptomatique. Biologiquement, outre l’éléva-
musculaires ou cardiaques. Les macro-CPK de type 2 sont tion des CPK supérieure à cinq fois la normale (pouvant
détectées chez des patients atteints de néoplasies avancées. atteindre plusieurs centaines, voire milliers de fois la normale)
• Lorsque toutes les éventualités précédentes ont été écartées, il et la myoglobinurie, qui peut cependant être absente notam-
faut envisager des pathologies musculaires cliniquement ment chez le sujet âgé, on peut observer une insuffisance rénale
asymptomatiques, ce qui nécessite le recours à des examens oligurique avec hyperkaliémie, celle-ci pouvant être source de
spécialisés (cf. paragraphe « Examens complémentaires »). En troubles du rythme cardiaque. Ces complications mettent en jeu
effet, l’élévation des CPK peut précéder l’apparition d’une le pronostic vital.
symptomatologie musculaire comme dans les dystrophinopa- Les causes de rhabdomyolyse (Tableau 3) sont multiples :
thies ou le syndrome de Miyoshi (forme pure de myopathie • par atteinte directe d’un muscle : traumatisme aigu (écrase-
distale des membres inférieurs, de transmission autosomique ment musculaire ou crush syndrome, compression ou occlu-
récessive ou sporadique) ou être le signe révélateur d’une sion vasculaire, brûlure, choc électrique, immobilité
susceptibilité à l’hyperthermie maligne, myopathie génétique prolongée) ou activité musculaire intense (effort physique,
responsable d’accidents anesthésiques. convulsions) ;
• toxiques : alcool, amphétamines, ecstasy, cocaïne, etc ;
• métaboliques : acidocétose diabétique, hypokaliémie, hypo-
■ Élévation calcémie ;
• infectieuses : bactériennes (pneumocoques, légionelles,
des créatine-phosphokinases dans salmonelles, ehrlichiose) et virales (virus influenzae A et B,
un contexte clinique évocateur coxsackies, virus de l’immunodéficience humaine [VIH]),
voire par hyperthermie ou hypothermie ;
L’élévation des CPK peut s’intégrer dans un contexte clinique • médicamenteuses (Tableau 2). Deux tableaux spécifiques sont
évocateur où elle constitue un critère diagnostique de certaines à individualiser :
pathologies. C l’hyperthermie maligne, peranesthésique ;

Traité de Médecine Akos 3


1-1210 ¶ Élévation des créatine-phosphokinases

Tableau 3. systémique (ophtalmoplégie, atteinte neurologique centrale


Étiologies des rhabdomyolyses. etc.), entraînent une élévation habituellement modérée des
Drogues : alcool, amphétamines, cocaïne, ecstasy, LSD, opiacés (hé-
CPK.
roïne, méthadone) • Au cours des myopathies inflammatoires idiopathiques,
l’élévation des CPK s’observe dans plus de 90 % des poly-
Toxiques : monoxyde de carbone, éthylène glycol, toluène, poisons or-
myosites, de 70 à 90 % des dermatomyosites et dans 80 %
ganophosphorés (insecticides, herbicides), arsenic, métaux (ingestion
ou inhalation de fumées)
des myosites à inclusion. Le taux, habituellement de l’ordre
de dix fois la normale, peut parfois dépasser 100 fois la limite
Toxines biologiques : tétanique, staphylococcique (toxic shock syn-
supérieure. Il est plus élevé dans les dermatopolymyosites que
drome), venins de serpents, piqûre d’hyménoptères, arachnidés, pois-
dans les myosites à inclusion. Le taux de CPK est générale-
sons coralliens (ciguatera), intoxication à la ciguë (ingérée par des
cailles), huiles frelatées
ment bien corrélé à l’activité de la maladie, son augmentation
ou sa diminution pouvant précéder les poussées ou les
Médicaments (cf. Tableau 2)
rémissions cliniques. Néanmoins, une minorité de patients,
• syndrome malin des neuroleptiques particulièrement au cours de stades très évolués de la maladie
• syndrome sérotoninergique avec amyotrophie, présente des CPK normales alors que la
• sevrage brutal en L-dopa myosite est active. Une élévation des CPK-MB peut s’observer
Activité musculaire excessive en l’absence de toute atteinte cardiaque, et provient de fibres
• sport, entraînement militaire musculaires squelettiques immatures ou régénératives.
• état de mal (épileptique, asthmatique) À noter la possibilité d’une élévation modérée des CPK avec
des signes musculaires minimes ou absents au cours des
• convulsions
connectivites, des vascularites et de la sarcoïdose et exception-
• myoclonies prolongées, dystonie aiguë nellement au cours des spondylarthropathies et de la maladie de
Lésion musculaire directe Crohn.
• écrasement (crush syndrome) • Les myosites infectieuses (VIH, human T-cell lymphoma virus
• brûlure, gelure [HTLV]1, coxsackie, adénovirus, toxoplasme, trichine) peu-
• électrocution, foudroiement vent être en cause.
• immobilité prolongée
Lésion ischémique musculaire Pathologie neurologique
• compression La pathologie neurologique est une cause non rare de symp-
• occlusion vasculaire tômes musculaires. Le dosage des CPK chez un patient présen-
• drépanocytose tant une faiblesse musculaire ou des myalgies est
Désordres métaboliques habituellement utilisé pour différencier une atteinte primitive-
ment musculaire d’une affection neurologique. Cependant, une
• acidocétose diabétique, coma hyperosmolaire
élévation modérée des CPK est rapportée dans 35 à 70 % des cas
• hypothyroïdie
de sclérose latérale amyotrophique et dans 30 à 50 % des
• hypophosphorémie, hyponatrémie, hypokaliémie amyotrophies spinales progressives. Le type infantile (de
Infections : bactériennes et virales Werdnig-Hoffmann), du fait de sa présentation proximale, peut
Coup de chaleur constituer un diagnostic différentiel difficile avec les myopa-
Myopathies métaboliques et inflammatoires thies. Au cours de la forme juvénile (de Kugelberg-Welander),
l’élévation des CPK peut être très importante. Une augmenta-
tion modérée peut s’observer au cours du syndrome postpolyo-
myélitique. À l’exception de l’amyotrophie spinale juvénile,
C le syndrome malin des neuroleptiques, caractérisé par une l’élévation des CPK au cours de ces affections neurologiques est
hyperthermie, une déshydratation et une hyperactivité modérée, ne dépassant pas six fois la limite supérieure de la
musculaire. normale.

Affections musculaires
Au cours des myopathies dégénératives, les CPK sont aug-
■ Élévation
mentées dans 75 à 95 % des cas. Exceptionnellement, cette des créatine-phosphokinases
élévation peut être révélatrice d’une forme asymptomatique.
• Un cas particulier est celui de l’hyperthermie maligne, dans des situations particulières
myopathie pharmacogénétique de transmission autosomique Une élévation des CPK est rapportée dans un certain nombre
dominante, au cours de laquelle une élévation des CPK est de situations au cours desquelles leur intérêt diagnostique est
retrouvée chez 70 % des apparentés asymptomatiques de limité, voire anecdotique.
patient ayant présenté un accident anesthésique. Chez un • Pathologie cérébrale : augmentation de la CPK-MB au cours
patient susceptible à l’hyperthermie maligne, l’administration des accidents ischémiques cérébraux, des hémorragies céré-
de gaz halogénés déclenche une crise hypermétabolique, brales, des traumatismes crâniens et des méningites.
s’accompagnant notamment d’une acidose lactique, d’une • Pathologie psychiatrique : élévation des CPK-MM au cours de
contracture généralisée et d’une rhabdomyolyse. manifestations psychotiques aiguës ou en rapport avec la
• Au cours des dystrophinopathies, en particulier les maladies prise de psychotropes.
de Duchenne et de Becker, caractérisées par un déficit de la • Pathologie néoplasique : cancer prostatique (CPK-BB),
force musculaire d’installation progressive affectant en tumeurs neuroendocrines, dont anaplasiques à petites cellules
priorité les muscles des ceintures, on observe d’importantes (CPK-MB), et diverses autres néoplasies au cours desquelles
élévations du taux de CPK, de dix à 100 fois la normale. Les l’élévation porte sur la CPK-BB ou la macro-CPK de type 2.
femmes porteuses de l’anomalie génique ont une élévation
des CPK dans 70 % des cas et des signes cliniques, en général
modérés, dans 8 % des cas. ■ Examens complémentaires
• Au cours des myopathies métaboliques, comme les maladies
de McArdle et de Tarui, caractérisées par une intolérance à Lorsqu’une affection musculaire est suspectée, soit d’emblée
l’effort, on observe des épisodes de rhabdomyolyse avec des chez un patient présentant des symptômes musculaires, soit
CPK pouvant atteindre 100 à 500 fois la normale. après exclusion des autres causes d’élévation des CPK chez un
• Les myopathies mitochondriales, se traduisant par une patient asymptomatique, un certain nombre d’examens com-
intolérance à l’effort, isolée ou dans le cadre d’une atteinte plémentaires permettent d’étayer le diagnostic.

4 Traité de Médecine Akos


Élévation des créatine-phosphokinases ¶ 1-1210

Examens d’orientation C susceptibilité à l’hyperthermie maligne (tests de contracture


in vitro à l’halotane et à la caféine).
Électromyogramme • Biologie moléculaire : la caractérisation de l’anomalie génique
Il permet de distinguer les atteintes myogènes, myositiques, à partir du sang périphérique est possible dans certaines
myotoniques et neurogènes, et oriente la biopsie. myopathies (Steinert, myopathies fascio-scapulo-humérale et
oculopharyngée etc.).
Imagerie Dans une étude portant sur 19 patients avec une élévation
asymptomatique des CPK, les 14 patients avec des anomalies
Il s’agit du scanner (si suspicion de myopathies), de l’imagerie myogènes à l’électromyogramme avaient tous une biopsie
par résonance magnétique (IRM) (si suspicion de myosite) qui pathologique. Il s’agissait d’une polymyosite dans cinq cas, dont
dépiste une atteinte infraclinique, précise l’extension des quatre développeront une faiblesse musculaire secondairement.
lésions, oriente le siège de la biopsie musculaire. Les autres diagnostics étaient une myopathie mitochondriale
(deux cas), une myopathie non spécifique (trois cas), une
Explorations métaboliques myosite à inclusions, une sarcoïdose, une maladie de McArdle
On les pratique s’il y a intolérance à l’exercice. et une myopathie à central core (un cas de chaque). Parmi les
• Test de lactacidémie d’effort : cinq patients avec un électromyogramme normal, un seul avait
C absence d’élévation des lactates : myopathie métabolique ; une biopsie anormale : il s’agissait d’une myopathie à central
C forte élévation des lactates : myopathie mitochondriale. core. Au cours de celle-ci, une susceptibilité à l’hyperthermie
• Spectroscopie de résonance magnétique du phosphore : elle .
maligne est souvent associée.
étudie le spectre métabolique du muscle et oriente le dia-
gnostic en fonction du pic de phosphocréatine et de la Pour en savoir plus
variation du pH.
Jones HR, De La Monte SM, Narula N. A 22-year-old-man with a cardiac
transplant and creatine kinase elevation. N Engl J Med 1998;339:182-
Examens de confirmation 90.
• Biopsie musculaire. Analyses morphologiques, histoenzymo- Bannwarth B. Pathologie musculaire iatrogène. Rev Rhum [Ed Fr] 2002;69:
logiques, immunocytochimiques, ultrastucturales : 411-6.
C dystrophinopathies (mise en évidence de la protéine Zenone T. Interprétation d’une élévation de la créatine phosphokinase et de la
défaillante) ; lactate déshydrogénase. In: Rousset H, Vital-Durand D, Dupond JL,
C myopathies métaboliques (surcharge en glycogène, déficit editors. Diagnostics diffıciles en médecine interne. Paris: Maloine;
1999. p. 169-84.
enzymatique) ;
Guis S, Mattei JP, Cozzone PJ, Bendahan D. Physiopathologie et tableaux
C myopathies mitochondriales (ragged red fibers, déficit de la cliniques des rhabdomyolyses. Rev Rhum [Ed Fr] 2005;72:796-806.
chaîne respiratoire, mutations de l’acide désoxyribonucléi- Targoff IN. Laboratory testing in the diagnosis and management of idiopathic
que [ADN] mitochondrial) ; inflammatory myopathies. Rheum Dis North Am 2002;28:859-90.
C polymyosites (inflitrats périmyocytaires CD8, expression Eymard B, Laforêt P. Comment j’examine un patient suspect d’affection
musculaire diffuse du complexe majeur d’histocompatibi- musculaire? Rev Neurol 2003;159:114-21.
lité [CMH] de classe I), dermatomyosite (atrophie périfasci- Serratrice G, Pellissier JF, Pouget J. Les maladies neuromusculaires. Paris:
culaire, infiltrats CD4 périvasculaires, lésions vasculaires) ; Masson; 1997.

R. Laraki, Ancien chef de clinique, Paris VI (euclead@wanadoopro.ma).


Cabinet de médecine interne, 400, boulevard Brahim-Roudani, Casablanca, Maroc.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Laraki R. Élévation des créatine-phosphokinases. EMC (Elsevier SAS, Paris), Traité de Médecine Akos,
1-1210, 2006.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Traité de Médecine Akos 5


¶ 1-1245

Élévation des transaminases


C. Buffet

La mesure de l’activité sérique des transaminases est l’un des tests biologiques les plus couramment
effectués en routine. La situation la plus fréquente dans la pratique quotidienne est la découverte fortuite
d’une élévation des transaminases chez un patient asymptomatique. Lorsque l’on se trouve face à ce type
de patient, il importe d’avoir présentes à l’esprit les quatre questions suivantes : quelle est l’importance de
cette élévation ? Quelle en est la cause ? Jusqu’où faut-il aller dans la conduite des explorations chez un
patient asymptomatique ? Quand faut-il adresser ce patient au spécialiste ?
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Transaminases ; Virus ; Alcool ; Stéatose ; Biopsie

Plan ■ Généralités
¶ Introduction 1 Les transaminases jouent un rôle important dans le métabo-
lisme intermédiaire des acides aminés : ce sont elles qui
¶ Généralités 1 catalysent le transfert d’un groupement alpha-aminé de l’ala-
¶ Causes d’élévation aiguë 2 nine (alanine-aminotransférase [ALAT]) et de l’acide aspartique
Définition 2 (aspartate-aminotransférase [ASAT]) sur le groupe alphacétoni-
Virus 2 que de l’acide alphacétoglutarique, pour former des acides
Médicaments 2 pyruvique et oxaloacétique. L’ALAT (anciennement dénommée
Lithiase de la voie biliaire principale 2 glutamic-pyruvic transaminase [SGPT]) est essentiellement locali-
Hépatite alcoolique aiguë 2 sée dans le foie, au niveau du cytoplasme des hépatocytes, et
Toxique 2 dans le muscle. L’ASAT (anciennement dénommée glutamic-
Foie de choc 3 oxaloacetic transaminase [SGOT]) est présente dans un grand
¶ Causes d’élévation chronique 3 nombre de tissus : muscle, myocarde, rein, cerveau et foie.
Définition 3 Le dosage des transaminases se fait habituellement par
Alcool 3 spectrophotométrie. Il est spécifique, avec une limite supérieure
Virus 3 à la normale comprise entre 30 et 45 UI/l.
Lésions hépatiques du syndrome métabolique 3 Les causes d’élévation des transaminases de loin les plus
Maladies génétiques 3 fréquentes sont les maladies du foie et des voies biliaires. Avant
Hépatite auto-immune 5 d’envisager les différentes hypothèses diagnostiques, il faut
Causes extrahépatiques 5 éliminer les élévations liées aux maladies musculaires dégénéra-
tives. Elles portent habituellement sur les ASAT et sont isolées,
¶ Prise en charge spécialisée 5
comme en témoigne la normalité des autres enzymes hépati-
¶ Conclusion 5 ques (gammaglutamyl-transpeptidase [GGT], phosphatases
alcalines). L’élévation concomitante des créatine-phospho-
kinases (CPK) et de l’aldolase permet d’affirmer leur origine
■ Introduction musculaire [1].
Une élévation des transaminases est significative lorsqu’elle
Les aminotransférases dénommées aussi transaminases font dépasse la limite supérieure de la normale à deux reprises
partie des enzymes les plus fréquemment dosées. Il existe deux (Fig. 1).
catégories d’élévation des transaminases qui posent des problè- Avant d’entreprendre un bilan étiologique exhaustif, il est
mes diagnostiques très différents : les cytolyses aiguës et les essentiel de pratiquer un examen clinique détaillé qui permet
cytolyses chroniques. Les cytolyses aiguës, qui correspondent à d’orienter la prescription des examens complémentaires.
une nécrose hépatique aiguë, se caractérisent par une élévation L’interrogatoire recherche la prise de médicaments potentielle-
des transaminases habituellement dix fois plus importante à la ment hépatotoxiques, la consommation régulière d’alcool dont
limite supérieure de la normale, à l’exception de l’hépatite il faut mesurer l’importance, les signes qui ont amené à doser
alcoolique aiguë, affection au cours de laquelle les transamina- les transaminases, l’indice de masse corporelle et enfin la notion
ses ne sont que modérément perturbées. Les cytolyses chroni- de variations de poids récentes. Il précise les antécédents du
ques se caractérisent par une élévation modérée des tran- patient, à la recherche de facteurs de risque de contamination
saminases et même souvent très modérée qui perdure plus de par le virus de l’hépatite C (VHC) : toxicomanie, même
6 mois et est observée chez des patients a- ou paucisymptoma- ancienne, transfusions de produits sanguins avant la date de
tiques. dépistage systématique (1990), tatouages ou piercing, et pour le

Traité de Médecine Akos 1


1-1245 ¶ Élévation des transaminases

voyage en zone d’endémie. L’hépatite A n’évolue pas vers la


chronicité. En revanche, les hépatites B et C évoluant vers la
Élévation aiguë chronicité (avec des pourcentages respectifs de 10 % et 70 %)
des transaminases nécessitent, pour leur suivi, une prise en charge spécialisée.

Médicaments
Souvent ≥ 10 N
Devant toute élévation aiguë des transaminases, il faut
évoquer la possibilité d’une origine médicamenteuse [2]. De
nombreux médicaments peuvent être responsables d’une
Principales causes
atteinte hépatique. Citons parmi les plus fréquemment incrimi-
nés les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les antibio-
tiques, le paracétamol [3] mais aussi l’isoniazide, les anti-
fongiques (kétoconazole et fluconazole) et les sulfamides. Les
Virus hépatotropes : Médicaments : Lithiase de la
hépatites médicamenteuses se rencontrent surtout chez les
IgM anti-VHA se renseigner : voie biliaire
AgHBs - Vidal® principale
sujets âgés de plus de 50 ans, polymédicamentés. L’interroga-
ARN du VHC - laboratoire toire doit s’attacher à dresser une liste exhaustive des médica-
par PCR (hépatotoxicités) ments pris avant l’apparition des anomalies. Tout médicament
suspect doit être arrêté afin d’éviter le risque d’évolution vers
Si négatif : Contexte une hépatite fulminante. Il faut ensuite réunir les critères
Epstein-Barr virus clinique : d’imputabilité : la responsabilité d’un médicament est d’autant
CMV Arrêt du douleur biliaire plus probable qu’il a été introduit récemment ; la normalisation
Herpès (rare) médicament et fièvre des transaminases à l’arrêt du médicament suspecté est un
critère important d’imputabilité.

Normalisation rapide Lithiase de la voie biliaire principale


des transaminases L’élévation des transaminases est souvent importante et
transitoire (48 h). Elle accompagne la triade classique : douleurs
abdominales, fièvre, ictère. Il existe souvent une cholestase
Figure 1. Arbre décisionnel. Élévation aiguë des transaminases. N :
associée. On peut également observer une élévation transitoire
normale ; Ig : immunoglobulines ; VHA : virus de l’hépatite A ; Ag : anti-
et concomitante de l’amylasémie, très évocatrice. L’échographie
gène ; ARN : acide ribonucléique ; VHC : virus de l’hépatite C ; PCR :
abdominale recherche la présence d’une lithiase vésiculaire et
polymerase chain reaction ; CMV : cytomégalovirus.
l’existence d’une dilatation des voies biliaires intra- et extrahé-
patiques, caractéristiques d’un obstacle. Elle peut aussi, dans un
virus de l’hépatite B (VHB) : une origine d’un pays d’endémie, cas sur deux, visualiser le calcul au niveau de la voie biliaire
des partenaires sexuels multiples. L’examen clinique s’attache à principale. En son absence, la cholangio-imagerie par résonance
la mise en évidence : magnétique (IRM) ou l’échoendoscopie haute permettent de
• de signes de maladie chronique du foie : ictère, hépatoméga- faire le diagnostic. Le traitement nécessite une prise en charge
lie, splénomégalie, angiomes stellaires, érythrose palmaire, spécialisée médicochirurgicale.
circulation veineuse collatérale ;
• de signes d’imprégnation alcoolique chronique (évocateurs Hépatite alcoolique aiguë
mais non spécifiques) : couperose, hypertrophie parotidienne,
maladie de Dupuytren. Dans sa forme sévère, l’hépatite alcoolique aiguë survient le
Au terme de cet examen, on pourra s’aider également d’une plus souvent sur une cirrhose préexistante. Elle se caractérise par
échographie hépatique à la recherche de signes évocateurs de une encéphalopathie et/ou une cholestase ictérique (avec des
maladie chronique du foie (hépatosplénomégalie, ascite, taux de bilirubine conjuguée souvent supérieurs à 100 µmol/l)
dysmorphie hépatique, hypertension portale). avec chute du taux de prothrombine et du facteur V. L’élévation
des transaminases est rarement importante (inférieure à 10 fois
la limite supérieure de la normale). La présence de douleurs
■ Causes d’élévation aiguë abdominales et de fièvre peut simuler un tableau d’angiocholite.
L’échographie abdominale permet d’éliminer ce diagnostic
devant l’absence de dilatation des voies biliaires intra- et
Définition extrahépatiques et de lithiase vésiculaire. L’hépatite alcoolique
On entend par élévation aiguë des transaminases, une aiguë nécessite l’hospitalisation en milieu spécialisé pour la
augmentation habituellement importante (supérieure à dix fois confirmation du diagnostic par une biopsie hépatique par voie
la limite de la normale), survenant dans un contexte de maladie transjugulaire (en raison des troubles de la coagulation). La mise
aiguë. en route d’une corticothérapie permet de réduire de moitié
environ la mortalité spontanée qui est de 50 % à 1 mois.
Virus
Toxique
L’hépatite virale aiguë est de loin la cause la plus fréquente.
L’élévation est habituellement importante (supérieure à 20 fois Il s’agit de deux situations rares, mais qu’il faut avoir
la limite de la normale), et prédomine sur les ALAT. Il existe présentes à l’esprit compte tenu de leur gravité : les intoxica-
souvent un ictère associé, mais d’autres symptômes peuvent tions aiguës par le paracétamol et par l’amanite phalloïde. Leur
également être présents : arthralgies, hépatalgies, vomissements, présentation est celle d’une hépatite subfulminante ou fulmi-
etc. Les sérologies virales permettent de faire le diagnostic du nante associant une encéphalopathie hépatique avec des signes
virus en cause : immunoglobulines M (IgM), anti-virus de biologiques d’insuffisance hépatique (chute du facteur V du
l’hépatite A (VHA) pour l’hépatite A, positivité de l’antigène complexe prothrombinique en dessous de 30 %). Elles réalisent
(Ag) HBs et des IgM anti-HBc pour l’hépatite B, polymerase chain une nécrose hépatique pouvant être mortelle, et nécessitent le
reaction (PCR) sérique du VHC pour l’hépatite C. D’autres virus transfert urgent en réanimation hépatologique. Pour le paracé-
peuvent être, plus rarement, en cause : virus Epstein-Barr (EBV), tamol (dont les doses toxiques sont situées au-dessus de 10 g/j),
cytomégalovirus (CMV), herpès, virus delta chez les malades il existe un antidote, la N-acétylcystéine, qui, lorsqu’il est
porteurs de l’AgHBs, virus E chez les sujets de retour d’un administré précocement, permet une guérison complète.

2 Traité de Médecine Akos


Élévation des transaminases ¶ 1-1245

Foie de choc part la sensibilité du test est diminuée en cas de cirrhose.


Néanmoins, il est parfois nécessaire de pratiquer une ponction-
Il s’agit d’une situation rare, plus particulièrement rencontrée biopsie hépatique (PBH) pour faire le diagnostic précis du type
chez les patients hospitalisés en réanimation à l’occasion d’un d’hépatopathie. Celle-ci doit se faire dans le cadre d’une prise
bas débit ou d’un collapsus cardiovasculaire. Il existe souvent en charge spécialisée.
une insuffisance rénale associée. Cependant, l’hypertransamina-
sémie est rarement au premier plan. Le traitement est celui de
la cause. Virus
Même en l’absence de facteurs de risque évidents à l’interro-
gatoire, il faut envisager systématiquement le diagnostic
d’hépatite chronique virale B ou C devant une élévation
“ À retenir chronique des transaminases. On estime à 600 000 le nombre
de patients infectés par le VHC en France. Le diagnostic est
porté le plus souvent chez des patients asymptomatiques,
• En cas d’élévation aiguë des transaminases, la cytolyse devant une élévation modérée des transaminases (souvent
est souvent importante (> 10 N) et symptomatique. inférieure à 3 fois la limite supérieure de la normale) prédomi-
• Il peut s’agir d’une hépatite virale aiguë : demander en nant habituellement sur les ALAT. Le caractère fluctuant de
première intention IgM anti-VHA, AgHBs et anti-VHC mais l’activité sérique des transaminases, qui peut être normale à
le VHC est plus rarement en cause. certains moments de l’évolution, nécessitant la répétition des
• Il peut s’agir d’une hépatite médicamenteuse. La dosages, est particulièrement évocateur. En pratique, la recher-
probabilité est d’autant plus forte que le médicament a été che d’anticorps sériques anti-VHC et de l’AgHBs permet de
introduit récemment. Il faut l’arrêter et constater que les porter le diagnostic. En cas de positivité d’un de ces marqueurs,
transaminases se normalisent rapidement. le patient doit être adressé au spécialiste afin d’envisager une
PBH ou réaliser des marqueurs non invasifs de fibrose pour
• Il peut s’agir d’une lithiase de la voie biliaire principale
évaluer l’activité de l’hépatite (il n’y a pas forcément de
mais la symptomatologie clinique associée est riche : parallélisme avec l’activité des transaminases) et poser l’indica-
douleurs de type biliaire et fièvre. tion d’un traitement antiviral.
• Il peut s’agir d’une hépatite alcoolique aiguë mais
contrairement à ce que suggère cette domination,
l’élévation des transaminases est le plus souvent inférieure Lésions hépatiques du syndrome
à 10 fois la limite supérieure de la normale. métabolique
C’est la cause la plus fréquente d’élévation modérée des
transaminases [9, 10]. Le diagnostic est le plus souvent aisé. Il
■ Causes d’élévation chronique s’agit de patients atteints d’un syndrome métabolique : diabète
surtout ou insulinorésistance [11], obésité ou surpoids surtout de
type androïde, hypertriglycéridémie, diminution du high density
Définition lipoprotein (HDL) cholestérol, hypertension artérielle. Par
définition, ces patients ont une consommation de boissons
On entend par élévation chronique des transaminases une
alcoolisées nulle ou faible (< 30 g/j chez l’homme et < 20 g/j
augmentation habituellement modérée (inférieure à dix fois la
chez la femme). À l’échographie, le foie est brillant, hyperécho-
limite supérieure de la normale), retrouvée à plus de 6 mois
gène, évocateur d’une stéatose. Biologiquement, le rapport
d’intervalle [4-7]. Il s’agit de loin de la situation la plus fréquente
ALAT/ASAT est supérieur à 1, contrairement au cas de l’hépatite
en pratique [8]. L’alcoolisme, l’hépatite chronique C et B et les
alcoolique ; il s’y associe souvent une élévation de la GGT
lésions hépatiques du syndrome métabolique (stéatose et
moins élevée qu’au cours de l’hépatite alcoolique, et dans 50 %
hépatite pseudoalcoolique) en représentent les trois grandes
des cas une élévation des paramètres du fer, moins importante
causes. Néanmoins, d’autres causes, plus rares mais détectables
qu’au cours de l’hémochromatose (la ferritine est < 1 000 µg/l
par une simple prise de sang, doivent être envisagées systéma-
et la saturation de la transferrine est normale dans deux cas sur
tiquement, car elles sont curables. Les différentes causes à
trois). Les lésions hépatiques du syndrome métabolique regrou-
rechercher en pratique sont résumées dans la Figure 2.
pent la stéatose isolée de pronostic bénin et l’hépatite pseudoal-
coolique de pronostic plus réservé car pouvant évoluer vers la
Alcool cirrhose et se compliquer de carcinome hépatocellulaire. Les
L’alcoolisme est, en France, la première cause à envisager. lésions ne peuvent être distinguées histologiquement des
L’élévation des transaminases correspond habituellement atteintes hépatiques de l’alcoolisme. Le diagnostic de certitude
histologiquement à une stéatose ou à une hépatite alcoolique nécessite le recours à une biopsie hépatique, dont l’intérêt est
non sévère (absence d’encéphalopathie, absence d’ictère, taux surtout de distinguer la stéatose (vacuoles lipidiques, apparais-
de prothrombine normal ou modérément diminué en cas de sant optiquement vides en microscopie optique, au sein du
cirrhose constituée). Il faut rapporter l’élévation des transami- cytoplasme des hépatocytes) de l’hépatite pseudoalcoolique
nases à l’intoxication alcoolique. L’interrogatoire met en (fibrose, infiltrat inflammatoire, voire cirrhose). La place des
évidence une surconsommation de boissons alcoolisées. L’éléva- marqueurs non invasifs pour éviter la biopsie est actuellement
tion des transaminases est rarement importante (inférieure à dix croissante. Le traitement est habituellement symptomatique :
fois la limite supérieure de la normale), avec un rapport ASAT/ régime hypocalorique et contrôle glycémique.
ALAT supérieur à 1. La spécificité en faveur de l’alcool est Moins souvent, ces lésions sont en rapport avec une nutrition
d’autant meilleure que le rapport est nettement supérieur à 1. parentérale totale, dénutrition quelle qu’en soit la cause, ou
Elle s’associe à une augmentation du volume globulaire moyen sont d’origine médicamenteuse (amiodarone ou corticoïdes).
peu sensible, à une élévation de la GGT sensible mais peu
spécifique et dans certains cas à une hypertriglycéridémie Maladies génétiques
alcoolo-induite. Une bonne valeur diagnostique doit être
accordée à la diminution de ces anomalies biologiques lors du Trois maladies génétiques doivent être évoquées systémati-
sevrage. En cas de doute diagnostique, la transferrine désialylée quement devant un sujet présentant une élévation des transa-
a une sensibilité et une spécificité meilleures que les précédents minases : l’hémochromatose, la maladie de Wilson et le déficit
marqueurs. Cependant, son interprétation nécessite de connaî- en a1-antitrypsine. Ces trois pathologies peuvent être dépistées
tre le statut martial du patient (une carence entraîne une par de simples prises de sang et sont curables lorsqu’elles sont
élévation de la transferrine désialylée et inversement), d’autre diagnostiquées précocement.

Traité de Médecine Akos 3


1-1245 ¶ Élévation des transaminases

ALAT > N à trois reprises

Interrogatoire
(médicaments, alcool, diabète)
Examen clinique

Sérologies virales

Négatives Positives

Biologie
Échographie hépatique AgHBs + Anti-VHC +

Hépatite Hépatite
Stéatose chronique B chronique C

Non alcoolique Alcoolique Spécialiste (PBH ou marqueurs


diabète GGT non invasifs de fibrose, traitement)
obésité VGM
dyslipidémie TG

Spécialiste (surveillance, PBH)

Maladie de Wilson Hémochromatose Déficit en α1-AT Hépatite auto-immune


cuprémie fer sérique α1-AT sérique anticorps antinucléaires,
cuprurie saturation transferrine anti-LKM1,
céruloplasmine ferritinémie antimuscles lisses
étude génomique

Spécialiste (PBH, traitement)

Figure 2. Arbre décisionnel. Conduite pratique à tenir devant une élévation chronique des transaminases. ALAT : alanine-aminotransférase ; N : normale ;
GGT : gammaglutamyl-transpeptidase ; VGM : volume globulaire moyen ; TG : triglycérides ; VHC : virus de l’hépatite C ; PBH : ponction-biopsie hépatique ;
a1-AT : a1-antitrypsine ; LKM : anticorps antimicrosomes de foie et de rein.

Hémochromatose Maladie de Wilson


C’est la plus fréquente, touchant un sujet sur 300 environ. C’est une affection rare du métabolisme du cuivre, à trans-
C’est une affection à transmission autosomique récessive, mission autosomique récessive, qu’il faut évoquer chez un
perturbant le métabolisme du fer, qui conduit à son accumula- patient jeune (moins de 35 ans). L’anomalie génétique, située
tion anormale au niveau du foie et de différents organes. Cette sur le chromosome 13, entraîne la production d’une protéine
surcharge en fer peut entraîner un diabète, des arthropathies, transporteuse du cuivre anormale, conduisant à l’accumulation
une pigmentation de la peau, un hypogonadisme, une insuffi- de cuivre dans le foie et d’autres organes, en particulier au
sance cardiaque et une cirrhose. Cette dernière se complique niveau du cerveau et de la cornée (anneau de Kayser-Fleischer).
fréquemment de carcinome hépatocellulaire. Le diagnostic doit L’association d’une cuprurie élevée et d’une céruloplasmine
être suspecté devant une élévation de la ferritinémie, du fer basse est très évocatrice du diagnostic. Il est alors nécessaire
sérique et surtout du coefficient de saturation de la sidérophi- d’effectuer une biopsie hépatique pour confirmer le diagnostic
line (supérieur à 50 %), qui est le test le plus spécifique. La et quantifier le cuivre hépatique. La D-pénicillamine est un
présence d’une mutation homozygote du gène HFE1, situé sur traitement efficace.
le chromosome 6, permet d’affirmer le diagnostic. L’intérêt de
la biopsie n’est plus diagnostique mais d’évaluer les conséquen- Déficit en a1-antitrypsine
ces hépatiques de l’hémochromatose et en particulier la pré- C’est une affection exceptionnelle se manifestant habituelle-
sence d’une cirrhose. Elle est à proposer en présence d’une ment dans l’enfance. Cependant, il arrive que ce déficit soit
hépatomégalie, d’une élévation des transaminases et lorsque la découvert chez un adulte, devant l’association d’une cirrhose et
ferritine est supérieure à 1 000 µg/l. Le traitement par des d’une maladie pulmonaire. Le diagnostic repose sur une dimi-
saignées hebdomadaires permet d’enrayer l’évolution de la nution des taux sériques d’a1-antitrypsine, avec un phénotype
maladie lorsqu’il est entrepris suffisamment précocement. Le pathologique (ZZ). La biopsie hépatique est indiquée pour
dépistage familial est recommandé. mettre en évidence la présence d’inclusions acide périodique

4 Traité de Médecine Akos


Élévation des transaminases ¶ 1-1245

Schiff (PAS)-positives intrahépatocytaires. Au stade de cirrhose,


il n’existe pas de traitement spécifique en dehors de la
transplantation. “ À retenir
Hépatite auto-immune • En cas d’élévation chronique des transaminases, la
cytolyse est présente à plusieurs reprises pendant au
Elle touche le plus souvent des femmes jeunes (sex-ratio : un
homme pour quatre femmes ; âge : entre 20 et 40 ans). Des moins 6 mois, elle est souvent modérée (< 10 N), voire très
manifestations auto-immunes extrahépatiques sont souvent modérée. Les symptômes qui accompagnent cette
présentes : thyroïdite, arthrite, rash cutané. Une hypergamma- élévation chronique des transaminases sont absents ou
globulinémie importante (pouvant excéder 30 g/l) est très peu spécifiques.
évocatrice. Enfin, l’activité sérique des transaminases peut être • L’élévation chronique peut être due à une hépatite
franchement élevée (supérieure à dix fois la limite de la chronique virale C (anti-VHC et acide ribonucléique [ARN]
normale), simulant une hépatite aiguë. Le diagnostic est attesté du VHC positifs) ou à une hépatite chronique B (AgHBs
par la présence d’autoanticorps sériques (anticorps antinucléai- positif).
res, antimuscles lisses ou anticorps antimicrosomes de foie et de
• Elle peut être due à une hépatopathie alcoolique et dans
rein [anti-LKM1]) à des taux significatifs. Néanmoins, la
ce cas le rapport ASAT/ALAT est souvent supérieur à 1.
pratique d’une PBH est indispensable pour évaluer le degré et la
sévérité de l’atteinte inflammatoire hépatique et l’existence • Elle peut être due aux atteintes hépatiques du
d’une cirrhose (souvent déjà présente au moment du syndrome métabolique. C’est la cause la plus fréquente
diagnostic). Ces patients doivent donc être adressés au spécia- des élévations chroniques des transaminases.
liste, en vue d’un traitement spécifique (corticothérapie, • Plus rarement, il s’agit de maladies génétiques. Parmi
immunosuppresseurs). elles, l’hémochromatose est la plus fréquente mais, au
cours de l’hémochromatose, l’élévation des transaminases
Causes extrahépatiques est rare. La maladie de Wilson peut se révéler par une
élévation des transaminases soit aiguë, soit chronique.
Quelques maladies extrahépatiques peuvent être à l’origine
d’une élévation des transaminases. L’hyper- ou l’hypothyroïdie • L’hépatite auto-immune peut se manifester par une
peut s’accompagner d’une élévation des transaminases. Lorsque élévation des transaminases, qui peut être très
le bilan étiologique est négatif, un dosage de la thyroid stimula- importante, simulant une hépatite aiguë, ou plus modérée
ting hormone (TSH) est recommandé. La maladie cœliaque doit et chronique.
être évoquée et la recherche d’anticorps anti-endomysium doit • Dans les causes rares et extrahépatiques : les affections
donc être réalisée même en l’absence de diarrhée chronique [12]. musculaires (dosage des CPK), la dysthyroïdie (dosage de
L’insuffisance surrénalienne primitive (maladie d’Addison) ou la TSH), l’insuffisance surrénale (test au Synacthène®), la
secondaire (insuffisance hypophysaire) peut être associée à une maladie cœliaque (anticorps anti-endomysium).
augmentation de l’activité des transaminases et un test au
Synacthène® prescrit. Des cas d’augmentation des ALAT seules
après contusion ou exercice musculaire intense ont été rappor-
tés, mais l’élévation concomitante des CPK permet d’orienter lorsque deux tests (un test biologique et le Fibroscan®) donnent
vers l’origine musculaire de celle-ci. des résultats concordants, on peut se passer de la biopsie. Pour
Enfin, une cause rare d’élévation persistante de l’ASAT est la les autres causes d’élévation chronique des transaminases que
macro-ASAT, complexe d’ASAT et d’Ig [13]. l’hépatite chronique virale C, des études sont en cours afin de
valider ces tests non invasifs et établir dans quels cas ils peuvent
remplacer la biopsie du foie.
■ Prise en charge spécialisée
La plus grande partie du bilan étiologique d’une élévation des ■ Conclusion
transaminases peut être réalisée par le médecin généraliste.
Lorsque le diagnostic d’hépatite chronique virale B ou C est Chez un patient asymptomatique qui présente une élévation
posé, ou celui de maladie génétique ou auto-immune suspecté, chronique des transaminases, le bilan étiologique initial, réalisé
une prise en charge spécialisée est nécessaire. La biopsie du foie par le médecin généraliste, doit s’attacher à la recherche d’un
a vu ses indications beaucoup diminuer ces dernières années. alcoolisme, de facteurs de risque de contamination virale et
Son intérêt est double : diagnostique et pronostique. C’est d’une prise de médicaments hépatotoxiques, à apprécier
surtout à visée diagnostique que les indications de la biopsie du l’importance de la surcharge pondérale et décliner les items du
foie ont été considérablement réduites. Elle peut être proposée syndrome métabolique. Un examen clinique soigneux recherche
lorsque après un bilan étiologique exhaustif aucune cause n’a des signes de maladie chronique du foie. Les tests de biologie
été trouvée. L’indication résulte d’une concertation entre le courants, couplés à une échographie, permettent le diagnostic
spécialiste, le généraliste et le patient et se discute au cas par des causes virale, auto-immune, génétique et métabolique. Si, au
cas [14, 15] . Elle peut être modulée en fonction de l’âge du terme de ce bilan, le diagnostic étiologique n’est pas évident, le
patient, de ses comorbidités, et enfin de l’importance et de la patient doit être adressé à un spécialiste. Les indications de la
durée de l’élévation des transaminases. Lorsque l’on décide de biopsie hépatique sont posées au cas par cas.
surseoir à la biopsie, il est raisonnable de suivre le patient .

régulièrement et de le réévaluer semestriellement. L’autre


indication de la biopsie est d’évaluer la gravité histologique de ■ Références
la maladie avant d’initier un traitement spécifique. Jusqu’à
[1] Nathwani RA, Pais S, Reynolds TB, Kaplowitz N. Serum alanine
récemment, la biopsie était l’étalon-or pour apprécier l’activité
aminotransferase in skeletal muscle diseases. Hepatology 2005;41:
et surtout la fibrose. Depuis quelques années, elle est concur- 380-2.
rencée par les marqueurs non invasifs de fibrose, dont il existe [2] Navarro VJ, Senior JR. Drug-related hepatotoxicity. N Engl J Med
deux catégories : scores de fibrose calculés à partir d’algorithmes 2006;354:731-9.
utilisant différents marqueurs sériques, parmi lesquels le [3] Watkins PB, Kaplowitz N, Slattery JT, Colonese CR, Colucci SV,
Fibrotest ® a été le plus évalué, et des méthodes physiques Stewart PW, et al. Aminotransferase elevations in healthy adults
permettant d’apprécier la dureté du foie, telle l’élastométrie receiving 4 grams of acetaminophen daily: a randomized controlled
impulsionnelle ou Fibroscan®. Jusqu’à présent, ces marqueurs trial. JAMA 2006;296:87-93.
non invasifs ont surtout été étudiés dans le cadre de l’hépatite [4] Capron JP. Augmentation modérée et prolongée de l’activité sérique
chronique virale C. Il est admis, dans cette indication, que des transaminases. Conduite à tenir. Presse Med 1989;18:913-6.

Traité de Médecine Akos 5


1-1245 ¶ Élévation des transaminases

[5] Goddard CJ, Warnes TW. Raised liver enzymes in asymptomatic [12] Abdo A, Meddings J, Swain M. Liver abnormalities in celiac disease.
patients: investigation and outcome. Dig Dis 1992;10:218-26. Clin Gastroenterol Hepatol 2004;2:107-12.
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chronic aminotransferase elevations of a mild to moderate degree in transférase : caractéristiques biochimiques et signification clinique.
asymptomatic patients. Hepatology 1989;9:193-7. Hépato-gastro 1999;6:443-8.
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fasting glucose, fasting insulin, and glycated hemoglobin in women rien trouvé ? Post’U FMC-HGE 2004 éditeur : endoscopica, 127 rue
with and without diabetes. Hepatology 2007;46:158-65. saint-dizier 54000 Nancy ou http://www.fmcgastro.org.

C. Buffet, Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service (catherine.buffet@bct.aphp.fr).


Service des maladies du foie et de l’appareil digestif, centre hospitalo-universitaire Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Buffet C. Élévation des transaminases. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1245,
2008.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

6 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1199

Élévation du cholestérol
et/ou des triglycérides
L. Foubert

La prévention des maladies cardiovasculaires passe par une prise en charge précoce et efficace des
facteurs de risque, en particulier lipidiques. Il est indispensable d’établir un diagnostic précis de la
dyslipidémie pour choisir le traitement et fixer l’objectif thérapeutique de chaque patient. Même si les
études de prévention visant à réduire le LDL-cholestérol ont clairement démontré une réduction de la
morbimortalité coronaire et de la mortalité globale, l’hypertriglycéridémie et l’hypo-HDL-émie, qui sont
au carrefour des autres facteurs de risque, doivent être prises en compte. Les seuils d’intervention et les
valeurs cibles dépendent du contexte clinique et des facteurs de risque associés, dont la prise en charge
sera conjointe. L’intervention diététique est le traitement de base pour toutes les dyslipidémies. En cas de
résultats insuffisants, un traitement médicamenteux sera proposé. Dans l’hypercholestérolémie pure et
les dyslipidémies mixtes prédominant sur le cholestérol, les statines représentent la classe thérapeutique
de référence car elle a démontré un bénéfice sur la morbimortalité cardiovasculaire. Dans
l’hypertriglycéridémie pure, les fibrates restent les plus efficaces. Les arguments pour traiter les
dyslipidémies sont maintenant solides et doivent emporter la conviction des médecins avant celle de leurs
patients.
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Mots clés : Hypercholestérolémie ; Hypertriglycéridémie ; Dyslipidémie mixte ; Statines ; Fibrates

Plan sous l’influence de multiples facteurs, en particulier des hyper-


lipidémies. La prise en charge du patient dyslipidémique doit
¶ Introduction 1
comprendre deux étapes : établir un diagnostic précis de la
dyslipidémie et définir un pronostic pour choisir le traitement
¶ Épidémiologie 1 et l’objectif thérapeutique de chaque patient. La place du
¶ Dépistage d’une anomalie lipidique 2 médecin généraliste est primordiale dans le dépistage et le
¶ Diagnostic des dyslipidémies secondaires et iatrogènes 2 traitement de ces pathologies fréquentes et chroniques, et dans
la prise en charge globale du risque cardiovasculaire.
¶ Évaluation du risque cardiovasculaire global 2
¶ Conduite à tenir devant l’élévation du cholestérol
par augmentation du LDL-C 3
Affirmer le diagnostic d’hypercholestérolémie pure 3 ■ Épidémiologie
Quand traiter ? 3
Comment traiter ? 3 Les hypercholestérolémies sont extrêmement fréquentes
Objectifs thérapeutiques 4 (17 % des adultes français ont une cholestérolémie supérieure à
2,5 g/l dans l’étude Epernon). Les études de prévention primaire
¶ Conduite à tenir devant une élévation isolée ou associée
(éviter la survenue d’un accident coronarien) et secondaire
des triglycérides 4
(éviter la récidive d’un accident coronarien) visant à réduire le
Affirmer le diagnostic 4
low density lipoprotein (LDL)-cholestérol (LDL-C) se sont multi-
Quand traiter ? 4
pliées depuis une vingtaine d’années et ont clairement démon-
Comment traiter ? 4
tré une réduction de la morbidité et de la mortalité coronaires,
Objectif thérapeutique 5
ainsi que de la mortalité globale, mettant fin à près de 40 ans
¶ Contrôle des paramètres lipidiques 5 de controverse. La prévention cardiovasculaire par les hypolipé-
¶ Conclusion 5 miants ne bénéficie pas seulement aux événements coronaires,
mais à l’ensemble des événements cardiovasculaires, en particu-
lier chez les patients à haut risque. L’abaissement du LDL-C
apparaît donc comme le meilleur marqueur de la prévention par
■ Introduction [1-5] les hypolipémiants. Néanmoins, l’hypertriglycéridémie et
l’hypo-high density lipoprotein (HDL)-émie sont au carrefour des
Les maladies cardiovasculaires restent la première cause de autres facteurs de risque (FdR). Leur association peut constituer
mortalité dans la plupart des pays industrialisés. Le plus le syndrome métabolique qui est associé à un haut niveau de
souvent, elles résultent du développement de l’athérosclérose risque cardiovasculaire. Elles doivent donc être prises en

Traité de Médecine Akos 1


1-1199 ¶ Élévation du cholestérol et/ou des triglycérides

compte. Enfin, diverses anomalies de l’hémostase fréquemment Tableau 1.


associées peuvent favoriser l’athérothrombose et les accidents Dyslipidémies secondaires et iatrogènes.
vasculaires. Hypercholestérolémie Élévation associée ou isolée
pure des triglycérides
Hypothyroïdie Hypothyroïdie
■ Dépistage d’une anomalie Cholestase Diabète
lipidique Syndrome néphrotique Syndrome néphrotique
Insuffisance rénale
Ce dépistage doit être réalisé devant la présence de dépôts Lupus érythémateux
lipidiques extravasculaires et le plus souvent afin d’évaluer le Médicaments : estrogènes per os, certains
risque global chez un sujet ayant d’autres FdR, et a fortiori en bêtabloquants, rétinoïdes, corticothérapie,
cas de complications cardiovasculaires. Il est également conseillé diurétiques thiazidiques, antirétroviraux
chez les apparentés de premier degré d’un sujet dyslipidémique
ou ayant présenté un accident vasculaire précoce. De façon
systématique, ce bilan devrait être demandé entre 20 et 30 ans particules HDL ou LDL) ne peut se concevoir que dans le
chez tout individu ou chez la femme avant prescription d’une cadre de dyslipidémies particulières ou dans le cadre de
contraception orale. Chez l’enfant, le dépistage est justifié en travaux de recherche.
cas de surpoids ou d’antécédents familiaux. S’il n’existe pas
d’âge limite pour la prise en charge des dyslipidémies, il ne
semble toutefois pas utile de « dépister » après l’âge de 80 ans
en prévention primaire (à l’inverse, en prévention secondaire,
■ Diagnostic des dyslipidémies
les dernières études montrent un bénéfice chez les patients de secondaires et iatrogènes
70 à 80 ans, il ne faut donc pas interrompre un traitement
efficace et bien toléré chez un sujet ne présentant pas une autre Les dyslipidémies secondaires et iatrogènes sont fréquentes
pathologie conditionnant son espérance de vie). (Tableau 1) et, compte tenu du caractère asymptomatique de
Le bilan lipidique doit être réalisé après 12 heures de jeûne, certaines pathologies, le bilan de base doit comporter un dosage
à distance (2 à 3 mois) de toute affection aiguë pouvant de la thyroid stimulating hormone (TSH), des phosphatases
modifier les résultats (épisode infectieux, geste chirurgical...). En alcalines et/ou cGT, une créatininémie, une glycémie à jeun et
cas d’accident cardiovasculaire, il doit être réalisé dans les la recherche d’une protéinurie à l’aide d’une bandelette. Il n’y
24 heures qui suivent. a pas lieu de prescrire un traitement hypolipémiant, sauf en cas
de persistance de l’anomalie après traitement de la cause.
Le bilan (EAL : exploration d’une anomalie lipidique) doit
comporter un dosage du cholestérol total (CT), des triglycérides
(TG), du HDL-cholestérol par une méthode fiable comme la
précipitation, afin de déterminer par calcul selon la formule de
■ Évaluation du risque
Friedewald le LDL-C (si le taux de TG est inférieur à 4 g/l cardiovasculaire global
[4,6 mmol/l]).
LDC = CT – HDLC – TG/5 en g/l (CT – HDLC La décision et l’objectif thérapeutiques dépendent du taux de
– TG/2,2 en mmol/l) LDL-C, des FdR associés et de la situation de prévention
Si les TG sont supérieurs à 4 g/l, il faut disposer d’un dosage primaire ou secondaire ou de patients à haut risque cardiovas-
direct du LDL-C. culaire. L’élévation isolée ou associée des TG doit aussi être prise
En l’absence de facteur de risque associé, le bilan lipidique est en compte. Un taux de HDL-C < 0,40 g/l représente un FdR
considéré normal si le LDL-C est inférieur à 1,6 g/l (4,1 mmol/l), supplémentaire, un taux ≥ 0,6 g/l en fait soustraire un.
les TG sont inférieures à 1,5 g/l (1,7 mmol/l) et le HDL supérieur
à 0,4 g/l (1 mmol/l). Il est alors inutile de répéter ce bilan avant
5 ans chez l’homme de moins de 50 ans et la femme non
ménopausée et avant 3 ans dans les autres cas. En cas d’anomalie
pour confirmer et typer la dyslipidémie, il est conseillé de
“ Point important
pratiquer un contrôle 2 à 4 semaines plus tard en période
métabolique stable (régime libre non modifié par le patient et Facteurs de risque cardiovasculaire
stabilité pondérale). • Homme de 50 ans ou plus
Le dosage des apolipoprotéines est finalement peu utile en • Femme de 60 ans ou plus
pratique courante en raison de problèmes de standardisation ne • Antécédents familiaux de maladie coronaire précoce
permettant pas de définir des « normes » et de l’absence (infarctus du myocarde ou mort subite avant 55 ans chez
d’objectif fixé dans le cadre de la prévention. le père ou chez un parent du premier degré de sexe
Les autres examens sont rarement nécessaires en pratique masculin, avant 65 ans chez la mère ou chez un parent du
courante : premier degré de sexe féminin)
• la réalisation d’un lipoprotéinogramme est inutile en cas de • Tabagisme actuel ou arrêté depuis moins de 3 ans
sérum clair et sera limitée aux hypertriglycéridémies (sérum • Hypertension artérielle (HTA) permanente traitée ou
trouble). Il permet de mieux typer les dyslipidémies et de non
rechercher des lipoprotéines anormales ;
• Diabète de type 2 traité ou non
• un taux de lipoprotéine (a), Lp(a), supérieur à 0,45 g/l serait
• HDL-cholestérol < 0,4 g/l quel que soit le sexe
associé à un risque athérogène et surtout thrombogène accru,
et représenterait un FdR indépendant. En pratique, aucune
intervention diététique ou médicamenteuse n’est clairement
efficace sur le taux de Lp(a). L’intérêt serait de moduler Un bilan vasculaire non invasif (électrocardiogramme [ECG]
l’objectif thérapeutique et cela ne se conçoit que dans un de repos, voire d’effort, échographie des carotides) peut être
contexte de prévention secondaire ou de haut risque. La utile s’il s’inscrit dans une stratégie précise. Il peut permettre de
quasi-invariabilité du taux génétiquement déterminé de la moduler l’objectif thérapeutique et de ne pas traiter une
Lp(a) rend inutile le contrôle de ce paramètre ; anomalie mineure quand l’état artériel est normal. Au contraire,
• la réalisation d’examens spécialisés (isoélectrofocalisation des l’objectif thérapeutique sera plus strict en cas d’athérosclérose
apolipoprotéines, ultracentrifugation des lipoprotéines, infraclinique. Le cumul des FdR ou l’existence d’un haut risque
mesures d’activité enzymatique, études des sous-fractions des cardiovasculaire justifient une intervention plus rigoureuse.

2 Traité de Médecine Akos


Élévation du cholestérol et/ou des triglycérides ¶ 1-1199

Dans l’hypercholestérolémie pure, cinq classes thérapeutiques

“ Point important
sont disponibles. Le plus souvent, le traitement est débuté à
posologie faible et adapté progressivement. La correction des
autres FdR doit être associée.
Catégories de patients à haut risque cardio- Les inhibiteurs de l’HMG-CoA réductase ou statines représen-
vasculaire tent actuellement la classe thérapeutique de référence car elle a
1. Patients ayant un antécédent cardiovasculaire démontré un bénéfice sur la morbimortalité cardiovasculaire. En
France, nous disposons de la simvastatine (Zocor® et Lodales®),
(prévention secondaire) : maladie coronaire ou vasculaire
de la pravastatine (Elisor ® ou Vasten ® ), de la fluvastatine
(accident vasculaire cérébral [AVC] ischémique et (Lescol ® et Fractal ® ), de l’atorvastatine (Tahor ® ) et de la
artériopathie périphérique à partir du stade II). rosuvastatine (Crestor®). Ce sont des inhibiteurs compétitifs de
2. Patient ayant un diabète de type 2 en prévention l’enzyme clé dans la synthèse du cholestérol (l’HMG-CoA
primaire, mais avec un haut risque défini par une atteinte réductase) qui entraînent par rétrocontrôle une augmentation
rénale (protéinurie > 300 mg/24 h ou clairance de la des récepteurs membranaires des LDL (dont 70 % sont hépati-
créatinine < 60 ml/min) ou au moins 2 FdR parmi ceux des ques) et donc du catabolisme des LDL. Ces médicaments
facteurs de risque cardiovasculaire auxquels on ajoute représentent un progrès majeur dans le traitement de l’hyper-
dans ce cas la microalbuminurie > 30 mg/24 h. cholestérolémie pure : ils sont efficaces dans 95 % des cas,
3. Patients ayant un risque ≥ 20 % de faire un événement entraînant une baisse significative du LDL-C de 25 à 60 %. En
revanche, le HDL-C est peu modifié (élévation de 5 à 10 %). Les
coronarien dans les 10 ans (risque calculé à partir d’une
interférences médicamenteuses sont rares. La tolérance clinique
équation de risque). est en général bonne, à l’exception de myalgies (invalidantes
dans 5 % des cas). Biologiquement, une augmentation des
transaminases hépatiques et des créatines phosphokinases (CPK)
(à distance d’un effort musculaire inhabituel) est possible,
■ Conduite à tenir devant imposant leur surveillance régulière (à l’instauration du traite-
ment, puis tous les 6 à 12 mois lors des contrôles lipidiques
l’élévation du cholestérol pour les transaminases ; en l’absence de signes cliniques, la
par augmentation du LDL-C surveillance systématique des CPK n’est pas nécessaire). Une
élévation supérieure à trois fois la normale des transaminases ou
cinq fois la normale des CPK doit faire interrompre le traite-
Affirmer le diagnostic ment. Ils sont contre-indiqués chez la femme enceinte ou
susceptible de l’être. Chez l’enfant, la sécurité d’emploi n’est pas
d’hypercholestérolémie pure (Tableau 2)
bien établie, limitée aux données d’enfants ayant une hyper-
Le sérum à jeun est clair, le CT et le LDL-C sont augmentés, cholestérolémie familiale homozygote. Ils sont efficaces en une
les TG sont normaux, le HDL-C est variable. Pour la décision de prise unique au repas du soir, point essentiel de l’observance à
traiter, on ne raisonne plus sur le CT, mais sur le taux de HDL-C long terme. Selon la molécule, la posologie initiale est de 5 à
et le LDL-C calculé. 20 mg et la dose maximale de 40 à 80 mg.
La colestyramine (Questran®), molécule très ancienne, est une
résine non absorbée par la muqueuse intestinale. Elle séquestre
Quand traiter ? les acides biliaires, interrompt le cycle entérohépatique et
augmente l’élimination du cholestérol. Elle entraîne une baisse
Une intervention diététique est justifiée chez tous les patients durable des LDL qui se traduit par un abaissement moyen du
dont le LDL-C est supérieur à 1,6 g/l (4,1 mmol/l) et est souvent taux du CT d’environ 25 % et du taux de LDL-C d’environ
suffisante chez les patients sans ou avec 1 seul FdR associé. On 30 %. Une diminution de l’absorption de certains traitements
associe des conseils d’activité physique régulière (marche rapide est possible (antivitamines K en particulier), il est donc primor-
quotidienne de 30 minutes ou équivalent). dial de les prescrire à distance de la prise de colestyramine (au
En cas de résultats insuffisants après 3 à 6 mois de prise en minimum 90 minutes). L’observance est rendue difficile par la
charge diététique, qui sera poursuivie même si l’objectif n’est fréquence d’effets secondaires bénins, mais inconfortables :
pas atteint, un traitement médicamenteux est indiqué selon les constipation, nausées, ballonnement, plénitude gastrique,
éléments suivants : changement du goût. L’augmentation progressive de la posolo-
• chez tous patients sans autre FdR gardant un LDL-C supérieur gie est indispensable pour en améliorer la tolérance (commencer
à 2,2 g/l (5,7 mmol/l) ; par un sachet de 4 g/j en augmentant d’un sachet/j tous les 8 à
• chez les patients en prévention primaire, ayant un autre FdR 10 jours, jusqu’à la dose efficace de 3 à 6 sachets par jour). Il
et dont le LDL-C est supérieur à 1,9 g/l (4,9 mmol/l) ; est préférable de préparer le sachet à l’avance (la veille au soir).
• chez les patients en prévention primaire ayant deux autres L’augmentation possible des TG fait réserver ce traitement à
FdR et dont le LDL-C est supérieur à 1,6 g/l (4,1 mmol/l) ; l’hypercholestérolémie pure. Elle reste intéressante chez l’enfant.
• chez les patients en prévention primaire ayant trois FdR ou L’ézétimibe (Ezetrol®) est une molécule de classe nouvelle qui
plus et dont le LDL-C est supérieur à 1,3 g/l (3,4 mmol/l) ; inhibe l’absorption intestinale du cholestérol (blocage de la
• chez les patients à haut risque cardiovasculaire dont le LDL-C translocation vers l’entérocyte) qui permet une diminution du
LDL-C d’environ 20 % en monothérapie ou une baisse supplé-
est supérieur à 1 g/l (2,6 mmol/l).
mentaire de 20 à 25 % en association à une statine. C’est dans
ce dernier cadre qu’elle a reçu une autorisation de mise sur le
Comment traiter ? marché (AMM) afin de permettre l’obtention de l’objectif chez
les patients insuffisamment contrôlés sous statine seule.
Le régime est le traitement de base comme pour toutes les Les dérivés des fibrates ont actuellement une place restreinte
dyslipémies. Il doit être acceptable, simple à expliquer, compor- dans le traitement de l’hypercholestérolémie. Ils sont utilisés
tant un minimum d’interdits en indiquant les priorités : surtout en cas d’intolérance aux statines ou lorsque le taux du
diminution des apports en cholestérol, consommation quoti- HDL-C est bas, en raison de leur action positive sur ce paramè-
dienne en lipides inférieure à 30-35 % de la ration calorique, tre. L’acide nicotinique est habituellement mal toléré.
apports en graisses saturées inférieurs à 10 % et enrichissement Les associations statine/résine ou statine/ézétimibe sont
en graisses mono- et polyinsaturées, voire en stérols végétaux, synergiques. Ces associations seront donc utiles et remarquable-
augmentation de la consommation de légumes de fruits et de ment efficaces dans les grandes hypercholestérolémies si la
céréales. La consommation modérée d’alcool est autorisée, mais monothérapie par statine est insuffisante. En revanche, il ne
doit être limitée. faut pas en règle associer les statines aux fibrates (en particulier

Traité de Médecine Akos 3


1-1199 ¶ Élévation du cholestérol et/ou des triglycérides

Tableau 2.
Classification et caractéristiques des dyslipidémies.
Classification Classification Aspect CT LDL-C HDL-C TG Anomalies des Électrophorèse
simplifiée internationale du sérum lipoprotéines sur agarose
Hypercholestérolémie essentielle
Polygénique Type IIa ↑ ↑
Familiale hétérozygote Clair ↑↑ ↑↑ N ou ↓ N ↑ LDL ↑ Bêta
Familiale homozygote ↑↑↑ ↑↑↑
Hyperlipidémies mixtes
Combinée Type IIb Opalescent ↑ ou ↑↑ ↑ ou ↑↑ ↓ ou N ↑ ou ↑↑ ↑ VLDL et ↑ LDL ↑ Bêta
et prébêta
Dysbêtalipoprotéinémie Type III Opalescent ↑↑ ↑↑ ↑ IDL Bloc
(très rare) CT ≈ TG bêta-prébêta

Hypertriglycéridémies
Endogènes Type IV Opalescent N ou ↑ N ↓ ou N ↑ , ↑↑ ou ↑↑↑ ↑VLDL ↑ Prébêta
à lactescent TG/CT > 2,5
(en g/l)
Exogènes (très rares) Type I Surnageant N, ↓ ou ↑ ↓ ↓ ↑↑↑ Chylomicrons Chylomicrons
crémeux
type V id. + lactescent N, ↓ ou ↑ ↓ ↓ ↑↑↑ Chylomicrons + Chylomicrons +
↑VLDL prébêta
CT : cholestérol total ; LDL-C : low density lipoprotein cholesterol ; HDL-C : high density lipoprotein cholesterol ; TG : triglycérides.

le gemfibrozil) en raison du risque de potentialisation de En cas d’échec ou de résultats insuffisants après 3 à 6 mois
toxicité musculaire. Dans de très rares cas, notamment de de prise en charge diététique, un traitement médicamenteux est
dyslipidémies mixtes sévères en prévention secondaire, une telle indiqué :
association peut être néanmoins nécessaire sous surveillance • chez les patients gardant des TG supérieurs à 4 g/l pour
étroite. prévenir le risque de pancréatite ;
• chez les patients gardant des TG supérieurs à 2 g/l en cas de
Objectifs thérapeutiques diabète associé, ou d’hypo-HDL-émie associée (ce qui est
fréquemment le cas), car cela représente alors un risque
Les objectifs thérapeutiques sont individuels car il n’existe pas cardiovasculaire élevé.
de preuve absolue pour définir des seuils. Toutefois, ils peuvent Les niveaux d’intervention pour une élévation associée du
être modulés en fonction des autres FdR associés et du risque LDL-C sont identiques à ceux d’une élévation isolée du LDL-C.
global. En prévention secondaire, la valeur cible est inférieure à
1 g/l avec des données récentes en faveur d’un objectif encore
plus bas. Toutefois, le rapport bénéfice/risque de cette attitude Comment traiter ?
reste à évaluer.
Les dyslipidémies comportant une HTG sont fréquentes et
particulièrement sensibles à la diététique. Il est indispensable
■ Conduite à tenir devant d’obtenir la réduction d’un excès de poids, la réduction des
apports en glucides simples et en alcool. Il est également
une élévation isolée ou associée important d’insister sur la pratique d’une activité physique
régulière.
des triglycérides La diététique est adaptée en fonction de la dépendance :
• suppression de l’alcool et limitation des fruits (sensibilité
Affirmer le diagnostic croisée entre fructose et alcool) dans la forme alcoolodépen-
dante qui n’est pas la plus fréquente ;
On distingue en pratique (Tableau 2) : • limitation plus draconienne des sucres purs dans la forme
• l’hypertriglycéridémie endogène par augmentation isolée des
glucidodépendante ;
very low density lipoprotein (VLDL) (type IV) avec une élévation
• limitation calorique chez les sujets en surpoids.
dominante des TG. Le taux de CT est normal ou élevé par
« entraînement » (les VLDL contiennent quatre fois plus de Dans les hyperlipémies mixtes, on y associe les conseils
TG que de cholestérol) ; donnés dans l’hypercholestérolémie.
• les hyperlipidémies mixtes (type IIb, type III) : le CT et les TG Dans l’hypertriglycéridémie pure restant à plus de 4 g/l
sont élevés dans des proportions voisines par augmentation malgré la diététique, le traitement de première intention est
des particules VLDL, mais aussi LDL (intermediate density représenté par les fibrates de seconde génération. Les mécanis-
lipoprotein [IDL] dans le rare type III). mes d’action des fibrates sont maintenant éclaircis et passent
Nous ne détaillerons pas ici l’exceptionnelle hypertriglycéri- principalement par l’activation du PPARa (peroxisome proliferator
démie (HTG) exogène de type I (hyperchylomicronémie) dont activated receptor de type alpha) entraînant une activation de la
la prise en charge spécialisée est exclusivement diététique lipoprotéine lipase (enzyme primordiale de la dégradation des
(régime avec un apport lipidique limité à 10 % de l’apport particules riches en triglycérides) et une diminution de la
calorique). synthèse des VLDL. On observe ainsi un abaissement des VLDL
et des TG d’environ 50 %, et un abaissement du CT de 20 à
30 % aux dépens du LDL-C alors que le HDL-C augmente
Quand traiter ? d’environ 10 %.
Une HTG supérieure à 10 g/l représente une « urgence » avec Les différents fibrates sont très proches, mais la réponse
un risque de pancréatite pouvant justifier une hospitalisation. individuelle est variable et peut justifier, en cas d’échec d’un
Une intervention diététique est justifiée chez tous les patients premier, l’essai d’un autre. Tous peuvent être donnés en une
dont les TG sont supérieurs à 2 g/l. seule prise : fénofibrate 100 et 300 mg, micronisé 67, 160 et 200

4 Traité de Médecine Akos


Élévation du cholestérol et/ou des triglycérides ¶ 1-1199

(Lipanthyl®, Sécalip®), ciprofibrate 100 mg (Lipanor®), bézafi-


brate (Béfizal® 200 et 400), ou 2 gélules de Lipur® (gemfibrozil
■ Contrôle des paramètres
450 mg). lipidiques
Leur absorption digestive est quasi complète, leur liaison aux
protéines est très importante (95 %) et peut avoir des consé- Jusqu’à l’obtention de l’objectif fixé, le contrôle des paramè-
quences par le déplacement d’autres molécules associées (en tres lipidiques doit être effectué tous les 2 mois environ. Une
particulier les antivitamines K). fois l’objectif atteint et stabilisé, il n’y a pas lieu de répéter
En pratique courante, ce sont des médicaments bien tolérés. l’examen plus d’une fois tous les six mois. En revanche, la
Les rares effets secondaires sont : impuissance sexuelle de pratique régulière des dosages reste indispensable pour vérifier
physiopathologie inconnue, rares troubles digestifs, élévation le l’adhésion du patient et l’efficacité du traitement, éléments
plus souvent transitoire des transaminases. De façon plus majeurs pour ces traitements indéfiniment poursuivis.
exceptionnelle sont rapportées des manifestations cutanées
allergiques et des hépatites. L’augmentation des CPK et la
survenue de myalgies sont très rares et sont le plus souvent liées
à l’utilisation de posologies excessives, en particulier en cas ■ Conclusion
d’insuffisances rénale ou hépatique sévères ou d’association avec
des statines. Les fibrates restent de principe contre-indiqués chez La prévention des maladies cardiovasculaires passe par une
la femme enceinte et l’enfant. prise en charge précoce et efficace des FdR, en particulier
La place des huiles de poisson (Maxepa®) reste à définir. Elles lipidiques. Cette prévention doit permettre de diminuer l’inci-
peuvent être utiles en cas d’anomalie hépatique gênant la dence et l’aggravation de ces maladies et donc le coût financier
prescription de fibrates. Leur effet hypotriglycéridémiant qu’elles entraînent. Dans le traitement des dyslipidémies, les
(pouvant atteindre 30 %) par diminution de la synthèse seuils d’intervention et les valeurs cibles dépendent du contexte
hépatique et augmentation du catabolisme des VLDL, est net, clinique et des FdR associés, dont la prise en charge sera
surtout à fortes doses (6 capsules par jour) non dénuées conjointe. Les arguments pour traiter les dyslipidémies sont
d’inconfort digestif (nausées, éructations). L’effet potentielle- maintenant solides et doivent emporter la conviction des
ment intéressant en prévention des cardiopathies ischémiques médecins avant celle de leurs patients.
repose essentiellement sur leurs effets favorables sur la
thrombose.
Les statines n’ont pas d’indication dans l’HTG pure, mais, en
revanche, dans les dyslipidémies mixtes, elles représentent le .

traitement médical de première intention (voir supra). Outre la


baisse du LDL-C, elles permettent une baisse plus discrète des ■ Références
TG (15 à 30 %).
[1] AFSSAPS. Prise en charge thérapeutique du patient dyslipidémique.
Objectif thérapeutique Recommandations mars 2005.
[2] Bruckert E. Stratégie thérapeutique devant une hypertriglycéridémie.
Dans le cadre de la prévention des complications cardiovas- Med Ther 1995;1:287-95.
culaires, l’objectif est d’obtenir un taux inférieur à 2 g/l et [3] Bruckert E. Rôle du LDL dans les maladies cardiovasculaires. Nouvel-
idéalement inférieur à 1,5 g/l surtout en présence de plusieurs les données et nouvelles recommandations. Presse Med 2005;34:
FdR associés ou de coronaropathie. Les valeurs cibles d’une 249-55.
élévation associée du LDL-C sont identiques à celles d’une [4] Garg A, Simha V. Update on dyslipidemia. J Clin Endocrinol Metab
élévation isolée du LDL-C. 2007;92:1581-9.
Dans le cadre d’une prévention de la survenue de pancréatite [5] Genser B, März W. Low density lipoprotein cholesterol, statins and
aiguë (possible si le taux de TG dépasse 10 g/l) une HTG cardiovascular events: a meta-analysis. Clin Res Cardiol
inférieure à 5 g/l permet d’être dans une zone de sécurité. 2006;95:393-404.

L. Foubert (lucfoubert@orange.fr).
Hôpital Foch, 40, rue Worth, 92151 Suresnes, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Foubert L. Élévation du cholestérol et/ou des triglycérides. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de
Médecine Akos, 1-1199, 2008.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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Traité de Médecine Akos 5


1-1400

1-1400

Élévation sérique de l’activité


AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

des phosphatases alcalines


S Hillaire, C Brousse


Introduction

Les phosphatases alcalines (PAL) sont des


Élévation de la c-GT ne traduisant pas
une maladie hépatique mais une
induction enzymatique
Augmentation de la PAL sans
augmentation de la c-GT traduisant
une cholestase intrahépatocytaire
iso-enzymes membranaires regroupant les PAL non
✔ Alcoolisme chronique. ✔ Cholestase gravidique.
spécifiques de tissu (foie et os), les PAL placentaires, ✔ Médicaments : inducteurs ✔ Cholestase récurrente bénigne.
les PAL intestinales et les PAL des cellules germinales. enzymatiques (phénobarbital...), ✔ Cholestase médicamenteuse
Leur fonction est mal connue. Cependant, leur antidépresseurs tricycliques... (en particulier secondaire à la prise
présence chez de nombreuses espèces et leur ✔ Diabète. d’œstrogènes à fortes doses).
grande conservation au cours de l’évolution font ✔ Hyperthyroïdie. ✔ Maladie hépatique congénitale
suspecter un rôle fondamental de ces enzymes dans ✔ Obésité, hyperlipidémie. (Byler...).
un processus biologique.
En pratique clinique courante, le dosage de
de la gammaglutamyl-transpeptidase (c-GT). Cette syndromes de cholestase, la PAL est induite par les
l’activité de la PAL est réalisé dans le sérum. Comme
enzyme est plus sensible que la PAL pour le acides biliaires (dont la concentration augmente
toute activité enzymatique, les valeurs normales
dépistage d’une maladie du foie. Le dosage des dans le sérum et dans le foie). Elle est exprimée sur
dépendent de la technique utilisée dans le
5’-nucléotidases n’est plus effectué en pratique, à toute la surface de l’hépatocyte (membrane
laboratoire, du pH, de la température et du substrat.
cause de son manque de sensibilité. Une élévation canaliculaire et membrane sinusoïdale) (fig 3) et son
Pour la PAL, elles dépendent aussi de l’âge du sujet
isolée de la PAL, sans augmentation de la c-GT, activité augmente dans le sérum.
(plus élevées chez les enfants et adolescents du fait
oriente en premier lieu vers une pathologie L’activité de la PAL peut augmenter au cours de
de la croissance osseuse) et de l’état physiologique
rhumatologique. toutes les maladies hépatiques. Cependant, une
(augmentation au cours du troisième trimestre de la
grossesse à cause de la PAL d’origine placentaire). Le élévation supérieure à trois fois la normale est très


dosage de l’activité sérique ne permet pas de évocatrice d’une maladie biliaire. Au cours des
Élévation de l’activité des PAL
reconnaître les différentes isoformes. Il existe au cours des maladies maladies du foie, l’activité de la c-GT sérique est
cependant des techniques biochimiques permettant hépatobiliaires constamment élevée, sauf au cours des
de les séparer. À l’état basal, la moitié de l’activité de exceptionnelles cholestases intrahépatocytaires
‚ Signification
la PAL sérique est d’origine hépatique. (fig 4).
En pratique courante, la découverte d’une La PAL hépatocytaire est une enzyme L’examen indispensable, lorsque l’on suspecte
élévation de l’activité de la PAL sérique doit faire membranaire, localisée principalement au pôle une élévation de la PAL d’origine hépatique, est
évoquer une pathologie hépatique, plus canaliculaire de l’hépatocyte (fig 2). Au cours des l’échographie hépatique. Elle permet de
particulièrement biliaire, ou une pathologie
rhumatologique (fig 1). L’examen utilisé en pratique 2 Localisation de la pho-
courante pour orienter les investigations vers une 1 phatase alcaline (PAL)
maladie hépatique est le dosage de l’activité sérique au pôle canaliculaire de
l’hépatocyte à l’état phy-
siologique. 1. Hépatocy-
tes ; 2. PAL ; 3. canalicule
PAL augmentée
biliaire.
2
Dosage de la γ−GT

Normale Élevée

Maladie osseuse Maladie hépatique


© Elsevier, Paris

Cholestase intrahépatocytaire

1 Conduite à tenir devant une élévation de l’activité


sérique des phosphatases alcalines (PAL). c-GT : 3
gammaglutamyl-transpeptidase.

1
1-1400 - Élévation sérique de l’activité des phosphatases alcalines

Cholestase extrahépatique
3 Localisation de la
1 Un obstacle au niveau des voies biliaires
phos-phatase alcaline
(PAL) sur toute la surface extrahépatiques se traduit échographiquement par
membranaire de l’hépa- une dilatation des voies biliaires extra- et
tocyte au cours de la intrahépatiques.
cholestase. 1. Hépatocy-
tes ; 2. PAL ; 3. canalicule Cirrhose ou maladie chronique du foie
biliaire. Quelle qu’en soit la cause (tableau II), une cirrhose
2
peut s’accompagner d’une élévation de l’activité de
la PAL. En présence de signes évocateurs de cirrhose
[ascite, hypertension portale (varices œsopha-
g i e n n e s ) , i n s uffi s a n c e h é p a t o c e l l u l a i r e
(hypoalbuminémie, diminution du taux de
prothrombine et de l’activité sérique du facteur V,
hyperbilirubinémie)], le diagnostic positif sera
confirmé par la biopsie hépatique. Cependant, la
3 cirrhose ne s’accompagne pas obligatoirement de
signes cliniques ou biologiques évocateurs. Elle peut
être de découverte fortuite à l’examen histologique
du foie. Une cirrhose associée à une élévation des
4 Différentes formes de PAL supérieure à trois fois la normale doit faire
cholestase. 1. Hépatocyte : évoquer, en premier lieu, une origine biliaire
cholestase intrahépatocy- (cirrhose biliaire secondaire ou primitive, cholangite
taire ; 2. voies biliaires sclérosante primitive).
intralobulaires : choles-
tase caralaire ; 3. voies bi- Cytolyse aiguë
1 liaires intra- et extra-
Une élévation de la PAL importante (supérieure à
hépatiques.
6 deux fois la normale) au cours d’un épisode
d’élévation brutal et important (supérieur à dix fois la
2 5 normale) de l’activité des transaminases n’est pas
courante. Elle doit faire, en premier lieu, évoquer la
migration d’un calcul biliaire à travers le sphincter
d’Oddi. Le tableau classique de douleur biliaire
précédent l’élévation des transaminases n’est pas
toujours retrouvé. Pour faire le diagnostic, on doit
s’aider :
– d’un dosage de l’amylase et de la lipase, dont
3
4 l’élévation est en faveur d’une réaction pancréatique
associée à l’arrêt du calcul dans l’ampoule de Vater ;
– d’une échographie hépatique, qui peut montrer
une lithiase dans la voie biliaire ou une dilatation de
la voie biliaire.
diagnostiquer une dilatation des voies biliaires intra- facteur V). L’échographie abdominale oriente le
Cependant, l’échographie abdominale peut aussi
ou extrahépatiques, une hépatomégalie homogène diagnostic (fig 5). Le tableau I résume les causes de
être normale ou ne retrouver qu’un calcul
ou non, de donner des arguments en faveur d’une maladies biliaires les plus fréquentes.
vésiculaire. Dans ce cas, le diagnostic peut être fait
maladie chronique du foie (circulation collatérale
par l’échoendoscopie et/ou la cholangiographie
abdominale, splénomégalie, dysmorphie hépatique),
rétrograde.
de déceler la présence d’une tumeur pancréatique,
Les autres causes de cytolyse aiguë associées à
d’adénopathies intra-abdominales. Dans la majorité
une élévation importante des PAL sont plus rares. Il
des cas, elle permet de faire la différence entre une PAL s’agit essentiellement des hépatopathies
cholestase extra- et intrahépatique (cholestase γGT
auto-immunes dans leur forme frontière avec la
canalaire, cholestase intrahépatocytaire) (fig 4).
cirrhose biliaire primitive et de certaines hépatites
Échographie abdominale médicamenteuses (dextropropoxyphène,
‚ Élévation de l’activité des PAL associée à
chlorpromazine, macrolides, acide clavulani-
un tableau clinique particulier
Normale Anormale que-ampicilline...).
ou
Maladie biliaire Hépatomégalie Altération de l’état général, amaigrissement,
L’association d’une douleur hépatique, d’un prurit, fièvre et hépatomégalie associés
Échoendoscopie à un syndrome inflammatoire biologique
d’un ictère, d’une fièvre, doivent faire évoquer une Cholangiographie
maladie biliaire. Ces signes cliniques peuvent être rétrograde Ces signes cliniques et biologiques, parfois
associés ou isolés. Biologiquement, on observe un Biopsie hépatique associés à un ictère, sont évocateurs d’une
syndrome de cholestase (augmentation de l’activité pathologie néoplasique ou d’une granulomatose
de la PAL, de la c-GT, parfois associée à une 5 Conduite à tenir devant une élévation sérique hépatique. L’échographie abdominale sera l’examen
élévation de la bilirubinémie conjuguée, de la de l’activité des phosphatases alcalines (PAL) d’ori- de choix (fig 6). Une dilatation des voies biliaires
cholestérolémie et une diminution du taux de gine hépatique. c-GT : gammaglutamyl-transpep- extrahépatiques oriente vers une maladie
tidase.
prothrombine, sans diminution de l’activité du néoplasique d’origine pancréatique.

2
Élévation sérique de l’activité des phosphatases alcalines - 1-1400

Tableau I. – Principales causes de cholestase.

Causes Examen diagnostique Traitement


Cholestases d’origine Échographie abdominale Le plus souvent chirurgical,
extrahépatiques Échoendoscopie biliaire levée de l’obstacle
Cathétérisme rétrograde des voies biliaires
Tumeurs Biopsie de la masse tumorale, Chirurgical ou
Pancréas marqueurs tumoraux (1) endoscopique
Voies biliaires et vésicule Chimiothérapie
Lymphome (adénopathies pédiculaires)
Lithiase biliaire Chirurgical ou endoscopique
Maladies congénitales Chirurgical
Kystes du cholédoque
Cholangite sclérosante primitive Cholangiographie rétrograde, Acide ursodésoxycholique
biopsie hépatique
Maladies infectieuses Lévamisole
Ascaridiose
Cholestases intrahépatiques Biopsie hépatique
d’origine canalaire
Cirrhose biliaire primitive Anticorps antimitochondries Acide ursodésoxycholique
Cholangite sclérosante primitive Cholangiographie rétrograde Acide ursodésoxycholique
Cholangite infectieuse Antibiotiques
Sida
Cholangite médicamenteuse Arrêt du médicament
Acide clavulanique-ampicilline
Dextropropoxyphène
Fénofibrate
Tétracycline
Cholangite ischémique secondaire à une thrombose de l’artère Artériographie hépatique
hépatique le plus souvent traumatique Recherche d’une affection
(chirurgie des voies biliaires) thrombogène
Sarcoïdose
Histiocytose X
Rejet de greffe hépatique
Réaction du greffon contre l’hôte
Cholestase d’origine hépatocytaire Biopsie hépatique
c-GT normale, augmentation
des acides biliaires sériques
Médicaments (œstrogènes) Arrêt du médicament
Cholestase récurrente bénigne Acide ursodésoxycholique
Cholestase gravidique Arrêt de la grossesse
Maladie de Byler Acide ursodésoxycholique
Cholestase para-infectieuse, Traitement de la cause
paranéoplasique
(1) Le CA 19-9 est élevé de façon non spécifique au cours des cholestases. c-GT : gammaglutamyl-transférase.


Élévation de l’activité sérique Le remodelage osseux est la résultante de deux les PAL s’élèvent. Ainsi, les taux sériques peuvent
des PAL au cours des maladies activités cellulaires étroitement liées : les ostéoblastes dépasser les normes usuelles établies chez l’adulte,
osseuses qui élaborent l’os jeune (apposition puis sans excéder cependant deux fois la normale.
minéralisation de la matrice protéique), et les La ménopause est aussi une période d’accélé-
ostéoclastes qui résorbent l’os vieilli. Seuls les ration du remodelage osseux, mais plus aux dépens
‚ Signification ostéoblastes possèdent l’activité PAL : ces enzymes de la résorption que de la formation. Les PAL
tiennent un rôle fondamental dans la minéralisation sériques atteignent alors volontiers les normes
Chez le sujet sain, les PAL osseuses et les PAL du tissu osseux. Elles sont un marqueur du supérieures, mais les dépassent rarement.
hépatiques représentent chacune près de 50 % de remodelage osseux, et plus précisément de l’activité
l’activité totale des PAL sériques. Leur structure est ostéoblastique, ou de la formation osseuse. ‚ Maladies osseuses avec augmentation
très proche car elles sont codées par le même gène
des phosphatases alcalines (fig 7)
et ne diffèrent que par des modifications ‚ Variations physiologiques
post-traductionnelles. Il est possible, en utilisant les L’augmentation des PAL, au cours d’une
anticorps monoclonaux, de doser spécifiquement La puberté est la période de croissance osseuse maladie osseuse, témoigne de l’intensification de
l’isoenzyme osseuse des PAL. Ce dosage n’a maximale, où près de 50 % de la masse osseuse est la formation osseuse ou de la fonction
cependant pas d’intérêt clinique pratique. acquise. L’activité ostéoblastique est alors intense et ostéoblastique.

3
1-1400 - Élévation sérique de l’activité des phosphatases alcalines

Tableau II. – Bilan étiologique d’une cirrhose.


Maladie de Paget - Scintigraphie osseuse
- Radiographies
Causes Examen diagnostique Activité de la maladie
Métastases osseuses - PSA, CA 15-3
Alcool Biopsie hépatique : hépatite alcoolique Histologie ostéocondensantes

Infection virale B +/- D Ag Hbs Transaminases élevées Ostéomalacie - Calcémie, phosphorémie


Ac Hbs ADN du virus B - 25 (OH) vitamine D3
Ac Hbc Histologie
Hyperparathyroïdie I
Ac Delta (ostéite fibrokystique)
- Calcémie, phosphorémie
- Créatininémie
Infection virale C Anticorps anti-VHC Transaminases élevées - Parathormone
Hyperparathyroïdie II
ARN viral C ARN viral C (ostéodystrophie rénale)

Hémochromatose Saturation de la transferrine


Fluorose - Fluorurie des 24 heures
Ferritinémie - Biopsie osseuse
Transposition C282Y du gène HFE
Dosage du fer hépatique, histologie 7 Principales maladies osseuses avec augmentation
Hépatite auto-immune Anticorps antinoyaux, Transaminases élevées des phosphatases alcalines : éléments diagnostiques.
antimuscle lisse, Histologie PSA : prostate specific antigen.
antiréticulum endoplasmique
Cirrhose biliaire primitive Augmentation des PAL Ictère dépistage. Chaque foyer d’hyperfixation doit faire
Anticorps antimitochondrie Transaminases élevées l’objet d’une radiographie standard pour confirmer
Cholangite sclérosante Augmentation des PAL Ictère le diagnostic.
Cholangiographie rétrograde, histologie Angiocholite
Métastases osseuses condensantes (cancers
Cirrhose biliaire secondaire Augmentation des PAL de la prostate et du sein)
Maladies congénitales des voies biliaires
Antécédents de chirurgie biliaire Elles peuvent s’accompagner d’une augmen-
tation des PAL qui reflète la construction osseuse
Thrombose des veines hépatiques Échographie couplée à l’analyse Doppler Ictère excessive.
Transaminases élevées
Ascite En pratique, les métastases osseuses sont
Diminution du TP volontiers révélées par des douleurs chez un sujet à
l’état général altéré. Les marqueurs tumoraux (PSA
Maladie de Wilson Céruléoplasmine
Cuprémie pour le cancer de la prostate et CA 15-3 pour le
Cuprurie cancer du sein) sont alors exceptionnellement
Comparaison avec l’ADN d’un sujet at- normaux.
teint (microsatellite), dosage du cuivre
hépatique Ostéomalacie
Déficit en alpha-1-antitrypsine Alpha-1-antitrypsine sérique Au cours de l’ostéomalacie, les ostéoblastes sont
Phénotypage de l’alpha-1-antitrypsine actifs mais impuissants à minéraliser correctement
Ag : antigène ; Ac : anticorps ; ARN : acide ribonucléique ; ADN : acide désoxyribonucléique ; PAL : phosphatases alcalines ; TP : taux de prothrombine.
l’os. L’augmentation des PAL caractérise les
différentes formes d’ostéomalacie :
– ostéomalacie par carence en 25 (OH) vitami-
ne D3 (carence d’apport, malabsorption) ;
Échographie abdominale
– ostéomalacie vitaminorésistante (défaut de
production ou résistance à la 1-25 (OH)2 vitami-
Dilatation des voies biliaires Dilatation des voies biliaires Hépatomégalie ne D3) ;
extrahépatiques et intrahépatiques intrahépatiques – ostéomalacie par fuite rénale du phosphore
(forme familiale liée à l’X, syndrome de Fanconi,
acidose tubulaire, tumeur mésenchymateuse).
Nodule En pratique, l’ostéomalacie est souvent
– + responsable d’un tableau de douleurs diffuses. Le
diagnostic est évoqué sur les radiographies
Lésions pancréatiques Adénopathies comprimant - Tumeur des voies biliaires Granulomatose Cancer
(hypertransparence du squelette et stries de
- Cancer du pancréas la voie biliaire - Cholangite sclérosante - Tuberculose secondaire
- Pancréatite chronique - Lymphome - Sarcoïdose ou primitif Looser-Milkman) et confirmé par le dosage de la
- Tuberculose Lymphome du foie calcémie, la phosphorémie et la 25 (OH) vitamine D3
qui est effondrée. Les autres causes d’ostéomalacies
6 Conduite à tenir devant une élévation de l’activité sérique des phosphatases alcalines associée à une sont rares.
altération de l’état général, amaigrissement, fièvre.
Hyperparathyroïdie primitive et secondaire
L’hyperparathyroïdie primitive par adénome
parathyroïdien, ou plus rarement par hyperplasie
Maladie de Paget l’évolution de la maladie. Au cours de la prise en des glandes, est le plus souvent diagnostiquée à un
C’est la maladie la plus fréquente (10 % de la charge thérapeutique, leur dosage régulier permet stade précoce grâce à l’automatisation du dosage de
population à 80 ans). C’est aussi celle au cours de d’évaluer la réponse et d’adapter le traitement. la calcémie. L’augmentation des PAL se voit dans les
laquelle les PAL sont les plus élevées. Il existe une En pratique, si les PAL sont très élevées et le sujet formes cliniques d’ostéite fibrokystique, où les taux
corrélation significative entre les taux de PAL et peu symptomatique, voire asymptomatique, on de parathormone atteignent dix fois la normale. Ces
l’extension de la maladie évaluée en scintigraphie s’orientera volontiers vers une maladie de Paget. La formes représentent actuellement moins de 5 % des
osseuse. Les PAL sont aussi le meilleur marqueur de scintigraphie osseuse est un bon examen de patients.

4
Élévation sérique de l’activité des phosphatases alcalines - 1-1400

L’augmentation des PAL est aussi un stigmate des Fluorose osseuse Les ostéoblastes, ainsi stimulés, voient leur activité
grandes hyperparathyroïdies secondaires qui PAL augmenter. Malheureusement, cette stimulation
peuvent survenir au cours de l’ostéodystrophie Elle résulte d’une intoxication prolongée par de excessive conduit à la formation d’un os de
rénale des hémodialysés chroniques. fortes quantités de fluor. Les principales causes mauvaise qualité et de moindre résistance.
d’intoxication fluorée sont : apport hydrique excessif En pratique, la fluorose peut être source de
En pratique, le diagnostic d’hyperparathyroïdie en eau richement fluorée (Saint-Yorre Royale), douleurs osseuses et de fractures. Elle se caractérise
est porté grâce au dosage conjoint de la calcémie, de fluorose tellurique ou industrielle, fluorose iatrogène par une ostéocondensation diffuse. Le diagnostic est
la phosphorémie, de la créatininémie et de la (acide niflumique et fluorure de sodium). Le fluor est, confirmé par le dosage de la fluorurie des 24 heures
parathormone. en effet, un puissant anabolisant des ostéoblastes. ou par la biopsie osseuse.

Sophie Hillaire : Ancien chef de clinique,


service d’hépatologie, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, France.
Christine Brousse : Ancien chef de clinique,
service de médecine physique et de réadaptation fonctionnelle, hôpital Foch, 40, rue Worth, 92150 Suresnes, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : S Hillaire et C Brousse. Élévation sérique de l’activité des phosphatases alcalines.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1400, 1998, 5 p

5
¶ 1-1260

Explorations biologiques des pancréatites


aiguës
A. Boutron, C. Buffet

La pancréatite aiguë est une pathologie inflammatoire qui peut rester localisée au pancréas ou être plus
sévère avec détresse multiviscérale et décès dans 5 % des pancréatites. Un marqueur biologique idéal de
pancréatite aiguë devrait permettre d’établir un diagnostic à l’admission, d’évaluer la sévérité de
l’atteinte et de reconnaître l’étiologie. Aucun test biologique ne remplit ces critères. Le diagnostic de
pancréatite aiguë doit associer la présence d’une douleur abdominale aiguë à une augmentation
importante d’enzymes pancréatiques dans le sérum ou l’urine. L’amylase et la lipase restent les dosages
de choix pour le diagnostic de pancréatite aiguë. Le trypsinogène-2 urinaire, lorsqu’il est normal, permet
d’exclure le diagnostic de pancréatite aiguë. Une hypertransaminasémie constatée à l’admission est très
en faveur d’une étiologie biliaire. Une origine métabolique est à suspecter en cas d’hypertriglycéridémie
ou d’hypercalcémie. De nombreux scores de gravité ont été proposés pour évaluer la sévérité de l’atteinte
après 48 heures. La C reactive protein avec un taux sérique > 150 mg/l reste le marqueur le plus répandu
pour évaluer la sévérité de l’atteinte. Mais il s’agit d’un marqueur trop tardif (48-72 h), ce qui explique la
recherche de nouveaux marqueurs biologiques pas encore tous validés ni accessibles.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Amylase ; Lipase ; Pancréatite aiguë ; Enzymes pancréatiques

Plan (examen tomodensitométrique ou imagerie par résonance


magnétique) et la biologie (scores de gravité multifactoriels ou
dosages spécifiques) (Fig. 1).
¶ Introduction 1
¶ Critères biologiques de diagnostic 1
Alpha-amylase 1 ■ Critères biologiques
Lipase 2
Trypsinogène de type 2 2
de diagnostic
¶ Critères biologiques étiologiques 3 Toute douleur abdominale aiguë évocatrice associée à une
Pancréatites aiguës d’origine alcoolique ou biliaire 3 élévation sérique et/ou urinaire des enzymes pancréatiques fait
Diagnostic d’une pancréatite aiguë non alcoolique et non biliaire 3 porter le diagnostic de PA. L’amylasémie, la lipasémie, le
¶ Critères biologiques de sévérité 4
trypsinogène urinaire de type 2 sont les trois seuls tests qui
présentent un intérêt pour le diagnostic positif de PA [1, 2].
Scores multifactoriels de gravité 4
Marqueurs biologiques de gravité 4
Alpha-amylase
¶ Conclusion 5
C’est une endoglucosidase qui catalyse l’hydrolyse des
liaisons alpha-1,4 glucosidiques des chaînes internes de poly-
saccharides comme l’amidon, le glycogène, pour donner du
maltose, du maltotriose et un mélange d’autres oligosaccharides
■ Introduction et des résidus glucose.
Les amylases représentent une population de protéines de
La pancréatite aiguë (PA) est une pathologie inflammatoire, à petite taille (poids moléculaire = 60 000), filtrées par le glomé-
la fois locale, régionale et générale. C’est une agression majeure rule et excrétées dans l’urine.
mimant les états septiques qui peut atteindre un pancréas sain Deux groupes d’isoenzymes existent chez l’homme : le type
et qui se traduit cliniquement par une douleur abdominale pancréatique (P) et le type salivaire (S). L’amylase est retrouvée
aiguë. dans les sécrétions pancréatiques, salivaires, lacrymales, mam-
Généralement l’atteinte est modérée mais dans 20 % des cas, maires, sudoripares, ainsi qu’au niveau des poumons, de
l’atteinte est plus grave avec risque de décès. Il est important de l’appareil génital féminin, des leucocytes, des plaquettes, des
confirmer rapidement le diagnostic de PA et de prédire la entérocytes... L’isoenzyme pancréatique représente 30 à 50 % de
gravité de l’atteinte pour optimiser la thérapeutique et prévenir l’amylase sérique chez le sujet sain.
le risque de défaillance d’organes et/ou de complications locales En cas de PA, l’élévation de l’amylasémie est souvent impor-
(nécrose, abcès...). Le diagnostic de gravité doit être fait le plus tante. Un taux de 3 N (valeur normale) est considéré comme
précocement possible. Il repose sur la clinique, la morphologie valeur seuil significative pour cette enzyme. L’amylasémie

Traité de Médecine Akos 1


1-1260 ¶ Explorations biologiques des pancréatites aiguës

Tableau 1.
Douleurs abdominales compatibles avec le diagnostic de PA Étiologies des hyperamylasémies.
Syndromes douloureux abdominaux
Maladies du pancréas
1re étape : diagnostic : lipasémie en urgence
Pancréatite aiguë biliaire
Pancréatite aiguë alcoolique sur pancréatite chronique
Pancréatite aiguë médicamenteuse
>3N Traumatisme
> N et < 3 N
Cancer pancréatique
Syndrome abdominaux aigus extrapancréatiques
Compatible PA très probable Perforation d’ulcère
avec le diagnostic Pas d'apport diagnostique Occlusion intestinale
de PA du scanner
Infarctus du mésentère
Péritonite de causes variées
Scanner Grossesse extra-utérine
Salpingite
Appendicite aiguë
2e étape : étiologie Dissection aortique
En dehors de tout syndrome abdominal
Affections des glandes salivaires et parotidiennes
Lithiase : Alcool : Parotidites
sexe féminin anamnèse Lithiase salivaire
> 50 ans biologie en Stimulation des glandes salivaires et parotidiennes par :
ALAT > 3 N faveur - alcoolisme
- boulimie
3e étape : gravité - postfibroscopie gastrique
Production ectopique par des tumeurs : ovaire, prostate

Terrain Insuffisance rénale chronique


Fonctions vitales Macroamylasémie
Scores clinicobiologiques
Induites par les médicaments : cf. liste Tableau 3
Scanner

Figure 1. Arbre décisionnel. Conduite à tenir devant des douleurs


abdominales compatibles avec le diagnostic de pancréatite aiguë (PA).
ALAT : alanine aminotransférase. N : normale. “ Point fort
s’élève 2 à 12 heures après le début des signes cliniques, atteint • La lipasémie est plus spécifique du pancréas que
son maximum en 24 à 36 heures et revient à la normale en 3 à l’amylasémie et devrait en théorie être la seule enzyme à
4 jours. Elle se caractérise par une activité accrue de l’isoenzyme doser en cas de douleur abdominale suspecte d’être
pancréatique. L’élévation de l’enzyme est présente dans environ d’origine pancréatique.
90 % des cas, d’autant plus fréquemment constatée que le
dosage a été réalisé précocement par rapport au début des
symptômes. Le taux d’amylase dans les urines est élevé et L’élévation de la lipase lors de PA atteint des taux de 2 à plus
l’élévation persiste plus longtemps que dans le sérum. de 5 N. Les concentrations s’élèvent 4 à 8 heures après l’épisode
De nombreux syndromes douloureux abdominaux en dehors aigu, atteignent un pic à 24 heures et la normalisation s’observe
de la pancréatite peuvent s’accompagner d’une élévation de 8 à 14 jours après le début clinique de la poussée. La cinétique
l’amylasémie (Tableau 1). Les plus fréquemment en cause sont de décroissance de la lipasémie est plus lente que celle de
la perforation d’ulcère, l’occlusion intestinale et l’infarctus du l’amylasémie.
mésentère. Il peut s’agir aussi de péritonite, de grossesse extra- Mais la lipasémie n’est cependant pas totalement spécifique
utérine, de salpingite, d’appendicite aiguë ou de dissection du pancréas et peut s’élever au cours d’autres syndromes
aortique. De plus une proportion non négligeable de la popu- douloureux abdominaux et au cours de l’insuffisance rénale.
lation peut présenter une macroamylase, c’est-à-dire une En fait, les augmentations d’amylase et de lipase sériques sont
amylase complexée à une autre molécule, ce qui conduit à une très parallèles et associer le dosage des deux enzymes n’est pas
enzyme dont la clairance rénale d’élimination est diminuée, et supérieur à un seul dosage [3, 4].
à des taux sériques augmentés en l’absence de toute atteinte. En
cas d’insuffisance rénale, des taux élevés d’amylase sérique sont Trypsinogène de type 2
possibles, celle-ci étant normalement éliminée par le rein.
À cette spécificité relative, il faut ajouter une sensibilité Le trypsinogène est une protéase pancréatique dont il existe
limitée. En effet en cas d’hypertriglycéridémie, il existe une deux isoenzymes de faible poids moléculaire, le type 1 et 2. La
interférence négative sur la méthode classique de dosage de réabsorption tubulaire du type 2 est plus basse que celle du type
l’amylase. La sensibilité du dosage est également diminuée dans 1 et sa présence dans les urines peut être un marqueur de
la pancréatite alcoolique. Un résultat faussement négatif peut pancréatite. Les taux sériques et urinaires augmentent dans les
être le résultat d’un prélèvement trop tardif. heures suivant le déclenchement de la PA et diminuent en
3 jours. Un dosage par méthode immunochromatographique a
été mis au point par bandelette urinaire et proposé pour le
Lipase diagnostic de PA aux urgences [2, 5]. Normal, il permet d’exclure
C’est une enzyme d’origine essentiellement pancréatique, le diagnostic de PA avec une valeur prédictive négative de 99 %,
libérée dans le tractus digestif pour la digestion des graisses. mais sa valeur prédictive positive n’est que de 60 %. Son intérêt

2 Traité de Médecine Akos


Explorations biologiques des pancréatites aiguës ¶ 1-1260

est une détection urinaire rapide dans les centres ne disposant complémentaire à distance de l’épisode aigu est essentiellement
pas de laboratoire de garde. « morphologique ». Ce bilan comporte dans un premier temps
un bilan biologique simple et des explorations à visée biliopan-
créatique. Une fois ce bilan effectué et en cas de négativité,
■ Critères biologiques étiologiques certaines explorations, notamment à visée génétique ou immu-
nologique, sont proposées.
Pancréatites aiguës d’origine alcoolique Cause métabolique
ou biliaire
Le bilan biologique permet de confirmer une éventuelle cause
En France, les deux causes les plus fréquentes de PA sont la métabolique. Pour pouvoir être retenue comme cause de PA, il
lithiase biliaire (45 %) et l’alcoolisme (35 %) qui représentent faut que l’élévation des triglycérides soit importante,
80 % des causes de PA. > 10 mmol/l. L’élévation des triglycérides est le plus souvent
L’origine biliaire d’une pancréatite est à rechercher en priorité fugace, en sorte que le dosage doit être demandé au moment de
chez des patients de plus de 50 ans surtout de sexe féminin la poussée douloureuse et non secondairement lorsque le bilan
(2 fois plus fréquent). L’intoxication alcoolique est plus fré- étiologique de la PA est négatif. En l’absence de dosage des
quente dans la population masculine. Dans 5 à 10 % des cas, il triglycérides, la présence d’un sérum lactescent est évocateur.
n’est pas retrouvé de cause [6-8] (Tableau 2). Par ailleurs, une interférence avec la méthode de dosage de
• L’alcool est la principale cause de la pancréatite chronique l’amylase due à la présence d’un inhibiteur pourrait expliquer la
calcifiante. Au cours de la PA survenant sur une pancréatite constatation qu’en cas d’hypertriglycéridémie, l’amylase n’est
chronique alcoolique, l’élévation des enzymes est moins augmentée que dans un cas sur deux [1] . L’hypercalcémie,
importante en cas de pancréatite d’origine alcoolique que comme facteur de risque de PA, est très difficile à diagnostiquer.
biliaire ; certains auteurs ont proposé, pour distinguer ces Un bilan phosphocalcique sur 3 jours est nécessaire ainsi qu’un
deux causes, d’utiliser le rapport lipase/amylase calculé sur dosage du phosphore et de la parathormone. La calcémie, dans
des mesures d’activités enzymatiques effectuées rapidement les formes sévères nécrosantes, peut être faussement normale ou
après le début des symptômes. Un rapport supérieur à 2 serait basse.
en faveur de l’origine alcoolique de la pancréatite.
• Au cours de la PA biliaire, les taux des enzymes pancréatiques Cause obstructive
sont plus élevés que dans les PA d’origine alcoolique, la PA Une cause obstructive, en particulier néoplasique, doit être
survenant sur un pancréas sain. Il s’y associe souvent une recherchée à distance de l’épisode aigu par un bilan radiologique.
élévation des transaminases, alanine-aminotransférase (ALAT)
surtout, importante et rapidement régressive. Différents scores Pancréatite aiguë iatrogène ou traumatique
ont été proposés pour rattacher la PA à une origine biliaire.
Parmi eux, le score de Blamey identifie cinq facteurs : L’interrogatoire et le contexte clinique permettent d’emblée
phosphatases alcalines > 300 U/l, âge > 50 ans, ALAT > d’évoquer une PA iatrogène ou traumatique (cholangiopancréa-
100 U/l, sexe féminin et amylase > 4 000 U/l. La fréquence de tographie rétrograde endoscopique [CPRE], postopératoire ou
la pancréatite d’origine lithiasique varie de 5 % lorsque aucun médicamenteuse). Après CPRE, l’élévation des enzymes est
de ces facteurs n’est présent, à 100 % lorsque les cinq sont fréquente, observée dans 40 à 50 % des cas, en l’absence de
présents. Le diagnostic de l’origine biliaire peut être prédit par manifestations cliniques de PA. Mais une authentique PA peut
une formule associant l’âge, le sexe et les ALAT. compliquer une CPRE dans 1 à 3 % des examens. Des condi-
Une élévation des ALAT à plus de 3 fois la limite supérieure tions techniques peuvent favoriser cette complication telles
de la normale chez un malade non alcoolique a une valeur qu’une injection sous forte pression dans le canal de Wirsung,
prédictive de 95 % pour l’origine lithiasique de la PA [9] . des canulations répétées de la papille, l’osmolarité du produit de
Cependant, 10 à 15 % des patients avec une PA biliaire ont une contraste utilisé... Certaines pathologies prédisposent plus à
bilirubinémie et des enzymes hépatiques normales. cette complication : la PA est une complication plus fréquente
À côté des éléments biologiques, les critères morphologiques lorsque le pancréas est sain que pathologique, elle est plus
sont bien entendu essentiels. fréquente en cas de pseudokyste du pancréas, sténose du canal
de Wirsung, dysfonction du sphincter d’Oddi, lorsqu’une
sphinctérotomie est réalisée sur une voie biliaire fine... Dans les
Diagnostic d’une pancréatite aiguë PA survenant après un traumatisme, habituellement violent,
non alcoolique et non biliaire l’atteinte directe du pancréas est évoquée.
Avant de conclure qu’une PA est idiopathique, il faut recher- Pancréatite médicamenteuse
cher toute autre cause, en particulier en cas de récidive. Le bilan
Le diagnostic de pancréatite médicamenteuse [7] est un
diagnostic d’élimination qui repose sur une présomption de
Tableau 2. preuves. Il convient de distinguer les pancréatites biologiques
Principaux facteurs de risques pour une pancréatite aiguë. caractérisées par une élévation souvent modérée des enzymes
Lithiase du cholédoque pancréatiques ne s’accompagnant ni de douleurs abdominales
Alcoolisme chronique
ni de signes scanographiques de PA, et les authentiques PA. Les
délais de survenue entre la prise médicamenteuse et la survenue
Anomalies anatomiques ou fonctionnelles (pancréas divisum, dysfonc-
de la PA varient le plus souvent entre quelques heures et jusqu’à
tionnement sphincter d’Oddi)
3 mois. À l’arrêt du médicament, on constate une régression
Anomalies vasculaires
rapide de l’amylasémie (quelques jours à 3 semaines) et surtout
Maladies dysimmunitaires (lupus érythémateux disséminé) ou maladies l’absence de récidive de la pancréatite. Un recul de plus d’une
chroniques inflammatoires des intestins année sans récidive est un critère supplémentaire important. Le
Tumeurs pancréatiques ou de l’ampoule fichier Pancréatox® recense les observations de pancréatites
Post-CPRE ou post-traumatique médicamenteuses (Tableau 3).
Hypertriglycéridémie
Hypercalcémie, hyperparathyroïdie
Autres causes
Infections : bactériennes, virales, parasitaires, fongiques D’autres causes plus rares sont à rechercher en fonction du
Hypothermie contexte clinique.
• Les PA d’origine génétique doivent être recherchées chez un
Prises de médicaments (voir liste Tableau 3)
sujet jeune : pancréatite chronique héréditaire ou mucovisci-
Idiopathiques
dose. Il existe de rares formes familiales de PA survenant sur
CPRE : cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique. pancréatite chronique [8]. Une mutation du gène codant pour

Traité de Médecine Akos 3


1-1260 ¶ Explorations biologiques des pancréatites aiguës

Tableau 3. Tableau 4.
PA médicamenteuses : principaux médicaments incriminés. La liste peut Score de Ranson.
être complétée en consultant la référence [7] ou le fichier informatisé
À l’admission
Pancréatox®.
Âge > 55 ans
Acide valproïque (Dépakine®) Glycémie > 2 g/l (10 mmol/l)
L-asparaginase Globules blancs > 16 000/mm3
Azathioprine (Imurel®) Lactate déshydrogénase > 350 Ul
Codéine ALAT > 250 Ul
Didanosine (Videx®)
À la 48e heure
Furosémide (Lasilix®)
Hématocrite Diminution > 10 %
Losartan (Cozaar®, Hyzaar®)
Calcémie < 2 mmol/l
Mercaptopurine (Purinéthol®)
Déficit en base > 4 mmol/l
Mésalazine (Pentasa®, Rowasa®)
Urée Augmentation > 1,8 mmol/l
Méthyldopa (Aldomet®)
®
Séquestration liquidienne >6l
Métronidazole (Flagyl )
PaO2 < 60 mmHg
Pentamidine (Pentacarinat®)
ALAT : alanine aminotransférase.
Stibogluconate
®
Sulfasalazine (Salazopyrine )
Sulindac (Arthrocine®) la PA. Il s’agit à la fois de scores spécifiques de la PA : scores de
Tétracycline Ranson, IMRIE, Glasgow mais aussi de scores « généralistes » de
gravité de patients en milieu de réanimation : score Acute
PA : pancréatite aiguë. Physiology and Chronic Health Evaluation (APACHE) II [10].
Des dosages biologiques spécifiques ont été proposés pour
évaluer la sévérité de la PA. Ils sont directement en lien avec la
le trypsinogène entraîne une moindre sensibilité de la physiopathologie : libération ou synthèse de différentes subs-
trypsine aux inhibiteurs présents dans le pancréas avec tances dont le dosage permet d’appréhender la sévérité de la PA.
autoactivation spontanée. La pénétrance est incomplète,
puisque 17 % des patients présentant une mutation n’ont pas
de symptôme de pancréatite. Le second gène mis en cause Scores multifactoriels de gravité
dans les familles atteintes de pancréatite chronique hérédi-
taire est le gène serine protease inhibitor Kazal de type 1
Score de Ranson
(SPINK1), qui code un inhibiteur du trypsinogène cationique. Le score de Ranson (Tableau 4) est le plus classique. Onze
Les mutations sont trouvées avec une fréquence importante paramètres sont à recueillir sur 48 heures pour permettre, dans
dans la pancréatite tropicale. La mucoviscidose caractérisée une population de pancréatites majoritairement d’origine
par des mutations du gène cystic fibrosis transmembrane alcoolique, de définir les PA graves au-delà d’un score associant
conductance regulator (CFTR) peut se manifester par une trois critères.
insuffisance pancréatique exocrine qui peut être au premier Le nombre de critères a été réduit à neuf dans le score
plan dans les formes mineures au niveau pulmonaire. La PA d’IMRIE, score modifié à nouveau par Glasgow puis Blamey. Ces
est rare, observée chez 1 à 3 % des patients. Un millier de modifications ont pour but d’adapter le score à toutes les
mutations ont été décrites, d’expression phénotypique très étiologies (alcooliques, biliaires et autres) et de simplifier le
variée. recueil des données difficiles à évaluer (séquestration liqui-
• Les PA associées aux maladies inflammatoires ou dysimmuni- dienne). Mais l’inconvénient de tous ces scores reste de ne
taires. Les PA survenant au cours des maladies systémiques ou pouvoir être utilisé que dans les 48 premières heures.
des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin sont
vraisemblablement sous-estimées et encore peu connues. Score APACHE II
La pancréatite auto-immune se révèle rarement par une PA. Son intérêt majeur réside dans la possibilité d’établir ce score
Les PA s’observent dans 1 % des maladies chroniques inflam- à l’admission et dans les 24 heures. Il est répétitif et permet une
matoires des intestins telle la maladie de Crohn. La plupart des évaluation quotidienne, un suivi régulier de l’évolution de la
PA survenant sur ce terrain de maladies chroniques inflamma- maladie et le dépistage des complications.
toires des intestins sont silencieuses.
Dans 25 % des cas de maladie cœliaque, on trouve une Score « Bun Age LDH Il6 » (BALI)
augmentation des enzymes pancréatiques sans aucune manifes-
Récemment, un score simple de gravité a été proposé, le score
tation clinique.
BALI, à quatre critères. Ses performances sont superposables à
La fréquence des pancréatites au cours du lupus érythémateux
celles des autres scores en termes de prédiction de mortalité et
disséminé est de 1 à 8 % des cas. Des PA ont été décrites au
morbidité [11]. Ce score est très proche du score décrit par Ueda
cours des vascularites, en particulier dans la périartérite
et al. qui associe examens biologiques et radiologiques [12]. Trois
noueuse.
critères sont évalués à l’admission le plus souvent dans les
72 heures après le début des symptômes. Une urée supérieure à
Pancréatite aiguë idiopathique
8,5 mmol/l et une lacticodéshydrogénase supérieure à 900 UI/l
Malgré des investigations en plusieurs phases, un certain associées à la présence, à l’examen tomodensitométrique, d’une
nombre de PA demeurent idiopathiques. Dans les formes nécrose pancréatique, ont une valeur prédictive positive (VPP),
récidivantes, il ne faut pas hésiter à répéter ces investigations à en termes de mortalité, de 67 %.
la recherche d’une cause.
Marqueurs biologiques de gravité
■ Critères biologiques de sévérité Les marqueurs biologiques devraient permettre un diagnostic
fiable et très précoce de sévérité. Cependant, tous les dosages ne
La gravité de la maladie dépend de son étiologie, du terrain sont pas de pratique courante.
sur lequel elle survient, des pathologies associées, mais surtout
de la nature et de l’importance des lésions pancréatiques et Amylasémie et lipasémie
particulièrement d’une nécrose et de sa surinfection. De L’importance de l’élévation enzymatique, qui a une valeur
nombreux scores ont été proposés pour apprécier la gravité de diagnostique incontestée, n’a aucune valeur pronostique.

4 Traité de Médecine Akos


Explorations biologiques des pancréatites aiguës ¶ 1-1260

Marqueurs de l’activation des protéases le plus largement utilisé. Le dosage journalier de la PCT, voire
pancréatiques et dosage des antiprotéases celui de la phospholipase A2, de pratique moins courante,
devrait permettre un diagnostic non invasif de nécrose infectée.
La synthèse des enzymes digestives sous forme de proenzyme
est un mécanisme de défense du pancréas contre l’autodiges-
tion. L’activation intrapancréatique prématurée du trypsinogène
en trypsine est très précoce. Elle se traduit par la libération d’un
peptide d’activation du trypsinogène (TAP) de huit acides
aminés éliminé dans l’urine. Un taux urinaire < 10 nmol/l
“ Points forts
48 heures après l’admission aurait une valeur prédictive néga-
• L’amylase a longtemps été considérée comme l’examen
tive (VPN) de 100 en termes de gravité [13].
de référence en cas de suspicion de PA. Cette enzyme est
De la même manière, il se forme un peptide d’activation de
peu spécifique du pancréas. Elle s’élève rapidement lors
la carboxypeptidase : CAPAP, ou de la phospholipase A2 : PLAP.
des douleurs et revient à la normale en 3 à 4 jours.
Ces peptides d’activation sont de bons marqueurs d’évaluation
L’amylasurie se normalise plus tardivement et peut
de la sévérité de la PA. Leur valeur pronostique est supérieure à
celle des peptides correspondants (trypsine, carboxy-
permettre un diagnostic rétrospectif.
• La lipase est l’enzyme de référence et doit être la seule
peptides) [14].
enzyme à doser en cas de PA. Sa normalisation est plus
lente que celle de l’amylase.
Marqueurs de l’activation des polynucléaires
• Le trypsinogène de type 2 urinaire a une forte valeur
et macrophages
prédictive négative et peut être utilisé pour éliminer une
Les concentrations sériques en marqueurs de l’activation des PA dans les centres ne disposant pas d’un laboratoire de
polynucléaires (PMN)-élastase et de la phospholipase A2, garde.
marqueur de l’activité phagocytaire impliquée dans le dévelop- • Les transaminases dosées précocement, lorsqu’elles
pement de la nécrose pancréatique, intéressantes au plan sont élevées, ont une valeur en faveur de l’origine biliaire
physiopathologique, sont peu utilisées en pratique. de la PA.
• La biologie est d’une aide médiocre au diagnostic de
Cytokines gravité. Seule l’élévation de la CRP à plus de 150 mg/l
Ces protéines de faible poids moléculaire sont impliquées 48 heures après l’admission a une certaine valeur
dans les processus inflammatoires, y compris la PA. Leur rôle pronostique.
pathologique dans la destruction tissulaire au niveau local et
dans le développement de complications systémiques n’est plus .

controversé.
Le tumor necrosis factor (TNF) alpha et l’interleukine (IL) 1b, ■ Références
premières cytokines pro-inflammatoires de la réponse, ne sont
pas de bons indicateurs biologiques de gravité. [1] Yadav D,Agarwal N, Pitchumoni CS.Acritical evaluation of laboratory
L’IL6 apparaît être le plus utile pour détecter précocement la tests in acute pancreatitis. Am J Gastroenterol 2002;97:1309-18.
gravité d’une PA mais sa limite d’utilisation est l’accessibilité du [2] Matull WR, Pereira SP, O’Donohue JW. Biochemical markers of acute
dosage en urgence. pancreatitis. J Clin Pathol 2006;59:340-4.
[3] Yang RW, Shao ZX, Chen YY, Yin Z, Wang WJ. Lipase and pancreatic
amylase activities in diagnosis of acute pancreatitis in patients with
Protéines de l’inflammation hyperamylasemia. Hepatobiliary Pancreat Dis Int 2005;4:600-3.
La C reactive protein (CRP) est un marqueur non spécifique [4] Conférence de consensus. Pancréatite aiguë. Conclusions et recom-
d’inflammation facile à obtenir en urgence. Son taux est mandation du jury-textes long et court (Paris, 25-26 janvier 2001).
proportionnel à celui de l’IL6 mais avec un pic retardé de 48 à Gastroenterol Clin Biol 2001;25:177-92.
72 heures. [5] Kemppainen EA, Hedstrom JI, Puolakkainen PA, Saino VS,
Haapiainen RK, Perhoniemi V, et al. Rapid measurement of urinary
Une valeur > 150 mg/l 48 heures après l’admission signe une
trypsinogen-2 as a screening test for acute pancreatitis. N Engl J Med
forme sévère avec une sensibilité de 67 à 100 % selon les
1997;336:1788-93.
études [15].
[6] Buscail L, Bournet B, Andrau P, Escourrou J. Quels examens devant
La procalcitonine (PCT) a été proposée comme critère dia- une pancréatite aiguë non A non B ? Gastroenterol Clin Biol 2007;31:
gnostique non invasif d’infection du pancréas nécrosé. Dans 227-32.
deux études [15, 16], le dosage réalisé précocement 12 à 24 heures [7] Badalov N, Baradarian R, Iswara K, Li J, Steinberg W, Tenner S. Drug-
après l’admission a une VPN de 92 et 84 %. Cette valeur de la induced acute pancreatitis: An evidence-based review. Clin
PCT pour évaluer les patients à risques de complications Gastroenterol Hepatol 2007;5:648-61.
majeures a été confirmée par une étude prospective multicen- [8] Le Bodic L, Bignon JD, Raguenes O, Mercier B, Georgelin T,
trique en 2007 [17]. Schnee M, et al. The hereditary pancreatitis maps to long arm of chro-
mosome 7. Hum Mol Genet 1996;5:549-54.
[9] Ammori B, Boreham B, Lewis P, Roberts S. The biochemical detection
■ Conclusion of biliary etiology of acute pancreatitis on admission: a revisit in the
modern era of biliary imaging. Pancreas 2003;26:e32-e35.
[10] Banks PA. Freeman ML and the practice parameters committee of the
À l’heure actuelle, il faut privilégier le contexte clinique et en
American college of gastroenterology. Practice guidelines in acute
particulier la présence de douleurs abdominales dans l’interpré- pancreatitis. Am J Gastroenterol 2006;101:2379-400.
tation d’une élévation des enzymes pancréatiques. Leur éléva- [11] Spitzer AL, Barcia AM, Schell MT, Barber A, Norman J, Grendell J,
tion est d’autant plus fréquente que le dosage a été réalisé et al. Applying Ockham’s razor to pancreatitis prognostication: a four-
précocement. Conformément aux recommandations de la variable predictive model. Ann Surg 2006;243:380-8.
conférence de consensus sur la PA (2001), pour le diagnostic de [12] Ueda T, Takeyama Y, Yasuda T, Matsumura N, Sawa H, Nakajima T,
PA, la lipasémie seule devrait être dosée sans l’amylase. Une et al. Simple scoring system for the prediction of the prognosis of severe
élévation des transaminases à l’admission est à relier à une acute pancreatitis. Surgery 2007;141:51-8.
origine biliaire. Pour prédire la sévérité de la pancréatite, un [13] Rau B, Schilling MK, Beger HG. Laboratory markers of severe acute
taux de CRP > 150 mg/l à 48 heures reste encore le marqueur pancreatitis. Dig Dis 2004;22:247-57.

Traité de Médecine Akos 5


1-1260 ¶ Explorations biologiques des pancréatites aiguës

[14] Sáez J, Martínez J, Trigo C, Sánchez-Payá J, Luis Compañy L, Pour en savoir plus
Laveda R, et al. Clinical value or rapid urine trypsinogen-2 test strip,
urinary trypsinogen activation peptide, and serum and urinary
activation peptide of carboxypeptidase B in acute pancreatitis. World Conférence de consensus ANAES. Pancréatite aiguë. Conclusion et recom-
J Gastroenterol 2005;11:7261-5. mandations du jury (Paris 25-26 janvier 2001). Gastroenterol Clin Biol
[15] Kylanpaa-Back ML, Takala A, Kemppainen E, Puolakkainen P, 2001;25:177-92.
Haapiainen R, Repo H. Procalcitonin strip test in the early detection of Pancréatites aiguës d’origine médicamenteuse : e-drugnews.com et sur le site
severe acute pancreatitis. Br J Surg 2001;88:222-7. de l’association française pour l’étude du foie : Biourtox et Pancréatox.
[16] Pindak D, Parrak V, Pechan J, VavreckaA, Kuzela L, Fuchs D, et al. The Lévy P, Ruszniewski P, Sauvanet A. Traité de pancréatologie clinique. Paris:
clinical value of the procalcitonin in prediction of severity and outcome Médecine-Sciences Flammarion; 2005 (422p).
in acute pancreatitis. Hepatogastroenterology 2003;50(suppl2) (ccviii–
Heresbach D, Bretagne JF, Gosselin M, Pagenault M, Heresbach N,
ccix).
Mallédant Y. Pancréatite aiguë : diagnostic, pronostic et traitement.
[17] Rau BM, Kemppainen EA, Gumbs AA, Büchler MW, Wegscheider K,
Bassi C, et al. Early assessment of pancreatic infections and overall EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Hépatologie, 7-104-A-30, 2001.
prognosis in severe acute pancreatitis by procalcitonin (PCT): A Mitchell RM, Byrne MF, Baillie J. Pancreatitis. Lancet 2003;361:
prospective international multicenter study. Ann Surg 2007;245: 1447-55.
745-54. Whitcomb DC. Acute pancreatitis. N Engl J Med 2006;354:2142-50.

A. Boutron.
Laboratoire de biochimie, Hôpital de Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94270 Le Kremlin-Bicêtre, France.
C. Buffet (catherine.buffet@bct.aphp.fr).
Service d’hépatogastroentérologie, Hôpital de Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94270 Le Kremlin-Bicêtre, France.
Université Paris-sud F 91405.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Boutron A., Buffet C. Explorations biologiques des pancréatites aiguës. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris),
Traité de Médecine Akos, 1-1260, 2008.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

6 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1224

Fonction rénale : comment la mesurer ?


Comment interpréter les mesures ?
B. Dussol, N. Jourde-Chiche

L’estimation de la fonction rénale est basée sur le dosage de substances endogènes mais aucune de ces
substances ne possède toutes les caractéristiques d’un marqueur idéal. La créatinine sérique reste le
moyen le plus simple pour évaluer la fonction rénale même si son dosage est affecté par de multiples
facteurs qui font varier son taux sérique sans modification de la fonction rénale. Son principal défaut est
de ne pas faire le diagnostic de l’insuffisance rénale débutante (débit de filtration glomérulaire compris
entre 120 et 60 ml/min) du fait d’une sécrétion tubulaire. La créatinine sérique est utilisée par les
formules de Cockcroft et modification of diet in renal disease (MDRD) qui permettent une approche plus
précise de la filtration glomérulaire. La performance relative des deux formules est à peu près identique
avec le même manque de précision dans certaines situations cliniques. L’urée sanguine et la clairance de
la créatinine endogène ne doivent pas être utilisées car ces deux méthodes sont soumises à de
nombreuses causes d’erreur. Les méthodes isotopiques sont précises mais réservées aux essais
thérapeutiques. L’évaluation de la fonction rénale reste un challenge pour le médecin.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Créatinine ; Formule de Cockcroft ; Formule MDRD ; Mesures de référence ; Cystatine C

Plan • les formules permettant d’estimer la clairance de la créatinine


ou le débit de filtration glomérulaire (DFG) ;
¶ Introduction 1
• les mesures de référence isotopiques et non isotopiques.
Cette abondance de moyens masque le fait qu’il reste très
¶ Urée sanguine 1 difficile de nos jours d’évaluer la fonction rénale car aucun test
¶ Créatinine sérique 2 n’est parfait en termes de précision, de facilité d’accès ou de
Variations de génération et d’élimination de la créatinine 2 rapport coût/utilité. Cette revue se propose de faire le point sur
Différentes techniques de dosage et nécessaire calibration les méthodes d’évaluation de la fonction rénale.
des dosages 2 Il faut rappeler que le DFG normal est de 120 ml/min/
¶ Clairance de la créatinine endogène 3 1,73 m 2 . Ce chiffre varie avec l’âge, le sexe et la surface
¶ Cystatine C et b2-microglobuline 3 corporelle. En l’absence de néphropathie et d’atteinte vasculaire,
la diminution du DFG est modeste avec le vieillissement.
¶ Formules permettant d’estimer la clairance de la créatinine
ou le débit de filtration glomérulaire 4
Formule de Cockcroft
Formule MDRD
4
4 ■ Urée sanguine
Performances comparées des deux formules pour évaluer
la fonction rénale 4 L’urée sanguine est un très mauvais marqueur de la fonction
rénale qui ne doit plus être utilisé. En effet l’urée sanguine est
¶ Mesures de référence isotopiques et non isotopiques 5 soumise à d’importantes fluctuations qui ne dépendent pas de
¶ Conclusion 5 la filtration glomérulaire. Les facteurs pouvant influencer l’urée
sanguine sont :
• le contenu du régime en protéines. Un régime riche en
protéines entraîne une augmentation significative de l’urée
sanguine de même qu’une hémorragie digestive ;
■ Introduction • le métabolisme musculaire. Les situations d’anabolisme
(renutrition, musculation) sont associées à une diminution de
L’estimation de la fonction rénale est importante pour le l’urée sanguine. Beaucoup plus fréquentes sont les situations
praticien car elle a des implications diagnostiques, pronostiques de catabolisme musculaire qui entraînent une élévation de
et thérapeutiques. Il existe de nombreux moyens pour évaluer l’urée comme la chirurgie, les infections, les cancers, les
la fonction rénale : traitements par corticoïdes, etc ;
• l’urée sanguine ; • le volume de la diurèse. La réabsorption tubulaire d’urée
• la créatinine sérique ; dépend de la réabsorption d’eau. Ainsi, dans toutes les
• la clairance de la créatinine mesurée ; situations d’antidiurèse (déshydratation par exemple), l’urée
• la cystatine C et la b2-microglobuline ; est réabsorbée en même temps que l’eau le long du néphron.

Traité de Médecine Akos 1


1-1224 ¶ Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ?

Tableau 1. Tableau 3.
Classification de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en Facteurs influençant la génération de créatinine.
santé (Anaes) de l’insuffisance rénale chronique (IRC).
Facteur Effet sur la créatinine sérique
Stade Clairance estimée par la Interprétation Âge Diminution
formule de Cockcroft
Sexe féminin Diminution
1 > 60 ml/min avec marqueurs Néphropathie chronique sans
d’atteinte rénale IRC Race (référence : race blanche)
2 Entre 60 et 30 ml/min IRC modérée - Noire Augmentation
3 Entre 30 et 15 ml/min IRC sévère - Hispanique Diminution
4 < 15 ml/min IRC terminale - Jaune Diminution

Les marqueurs d’atteinte rénale sont : la protéinurie > 0,3 g/j, la microalbuminurie Mode de vie
entre 30 et 300 mg/j, la leucocyturie > 5 103/ml ou 5/mm3, l’hématurie > 5 103/ml - Musculation Augmentation
ou 5/mm3, les anomalies du parenchyme rénal à l’échographie (petit rein,
hydronéphrose, atrophie segmentaire...), les anomalies histologiques (lésions - Amputation Diminution
vasculaires, interstitielles...). - Obésité Pas de modification
Affections chroniques
Tableau 2. - Malnutrition, inflammation Diminution
Classification américaine de la maladie rénale chronique (chronic kidney (cancer, maladies cardiovasculaires, Diminution
hospitalisation)
disease).
- Maladies neuromusculaires
Stade DFG estimé par la formule Description
MDRD Régime alimentaire
- Type végétarien Diminution
1 > 90 ml/min Maladie rénale chronique avec
DFG normal ou élevé - Type carné Augmentation
2 60 à 89 ml/min Maladie rénale chronique avec - Type protéine végétale ou poisson ou Pas de modification
diminution minime du DFG œuf
3 30 à 59 ml/min Diminution modérée du DFG Les variations de la masse musculaire sont le principal facteur de la variation de
génération de la créatinine.
4 15 à 29 ml/min Diminution sévère du DFG
5 < 15 ml/min Insuffisance rénale
DFG : débit de filtration glomérulaire ; MDRD : modification of diet in renal disease. Tableau 4.
La maladie rénale chronique est définie par une protéinurie persistante (> 0,3 g/j) Facteurs influençant les sorties de créatinine.
à deux occasions.
Facteur Effet sur la créatinine sérique
Insuffisance rénale Augmentation de la sécrétion tubu-
À l’inverse, une faible réabsorption tubulaire d’eau (comme laire : baisse de la créatinine sérique
au cours de toutes les polyuries) est associée à une diminu- Insuffisance rénale Augmentation de la sécrétion diges-
tion de l’urée sanguine. tive : baisse de la créatinine sérique
Le dosage de l’urée sanguine est parfois demandé par le
Médicaments (cimétidine Diminution de la sécrétion tubulaire :
néphrologue chez le malade insuffisant rénal chronique au et triméthoprime) augmentation de la créatinine sérique
stade terminal pour évaluer son intoxication azotée (stade 4 de
la classification de l’Agence nationale d’accréditation et d’éva- Orthostatisme/clinostatisme Augmentation en orthostatisme
luation en santé [Anaes] [1] ou stade 5 de la classification Jour/nuit Augmentation durant le jour
américaine de maladie rénale chronique [2]) (Tableaux 1, 2).

marqueur de la fonction rénale. Il en est de même pour


■ Créatinine sérique l’insuffisance rénale débutante. Chez le sujet avec une fonction
rénale normale, la sécrétion tubulaire et digestive de créatinine
La créatinine sérique a été longtemps la référence pour est négligeable mais elle augmente en cas d’insuffisance rénale.
évaluer la fonction rénale. Il s’agit d’une petite molécule (poids Ceci explique que l’insuffisance rénale débutante (DFG entre
moléculaire 113 Da) issue du catabolisme musculaire qui circule 60 et 90 ml/min) ne s’accompagne pas d’une élévation de la
librement dans le sérum et qui est librement filtrée par le créatinine sérique. La relation entre la créatinine sérique et le
glomérule. Ceci en fait à première vue une substance intéres- DFG est une courbe asymptote (Fig. 1).
sante pour évaluer la filtration glomérulaire. En fait, la créati- Plusieurs études se sont attachées à déterminer la valeur de la
nine n’est pas seulement filtrée mais également sécrétée par le créatinine sérique qui correspondait à un DFG inférieur à
tube contourné proximal et dans le tube digestif. Ceci l’empê- 60 ml/min (définition de l’insuffisance rénale). Les résultats
che d’être un marqueur idéal de la fonction rénale [3]. En plus d’une grande étude américaine [4] sont donnés dans le
de cette sécrétion, la créatinine est soumise à des fluctuations de Tableau 5 ; ils concordent avec ceux de l’étude française [5].
son taux sérique qui ne dépendent pas de la filtration
glomérulaire.
Différentes techniques de dosage
et nécessaire calibration des dosages
Variations de génération et d’élimination
de la créatinine Il existe deux techniques de dosage : la méthode colorimétri-
que de Jaffé et la méthode enzymatique. La méthode de Jaffé est
Les facteurs qui modifient la génération et les sorties de la plus utilisée bien que le dosage de la créatinine fasse l’objet
créatinine sont détaillés dans les Tableaux 3, 4. Ils rendent d’interférences avec des chromogènes (protéines, corps cétoni-
compte des fluctuations de créatinine indépendantes des ques, bilirubine...). La méthode enzymatique, plus spécifique car
variations de la filtration glomérulaire. non soumise à ces interférences, donne des résultats sensible-
Certains facteurs sont associés à une diminution de la ment inférieurs à la méthode de Jaffé.
production de créatine comme une atteinte musculaire (sarco- Quelle que soit la méthode de dosage, l’absence de calibra-
pénie du sujet âgé, amputation, maladies neuromusculaires...) tion entraîne des biais de mesure de 20 à 30 µmol/l d’un
ou le régime végétarien qui font de la créatinine un mauvais laboratoire à l’autre [6]. Interférences dans le dosage et biais de

2 Traité de Médecine Akos


Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ? ¶ 1-1224

malade ambulatoire et est difficile chez le sujet âgé, grabataire


10
ou ayant des troubles visuels ou de la compréhension ;
• les fluctuations importantes quotidiennes de la créatinurie.
8
En effet la créatinurie est variable en fonction :
C de l’âge et du sexe. La créatinurie est plus basse chez la
Créatinine sérique (mg/dl)

femme et elle diminue avec l’âge. Elle passe chez l’homme


6 en moyenne de 0,2 mmol/kg/j à 20 ans à 0,08 mmol/kg/j
dans la neuvième décennie. Chez la femme, elle est en
moyenne de 0,16 mmol/kg/j à 20 ans et diminue à
4 0,07 mmol/kg/j dans la neuvième décennie ;
C de situations physiologiques ou pathologiques. Ainsi
2
l’immobilisation, les dysthyroïdies, certains médicaments
(fibrates, corticoïdes, b2-mimétiques...), le régime carné
augmentent l’excrétion urinaire de créatinine.
DFG (ml/min)
0 Compte tenu des multiples causes d’erreur, cette méthode ne
0 20 40 60 80 100 120 doit plus être utilisée pour évaluer la fonction rénale.
Figure 1. Relation entre le débit de filtration glomérulaire (DFG) (me-
suré par une méthode de référence) et la créatinine sérique. Chaque point
correspond à un patient dans l’étude de Levey [4]. Le DFG est en ml/min,
la créatinine sérique en mg/dl (pour convertir en µmol/l, il faut multiplier
par 88,4). Lorsque le DFG passe de 120 ml/min à 60 ml/min, la créatinine
sérique n’augmente pratiquement pas. En revanche, en dessous de
“ Point fort
60 ml/min (ce qui correspond à la définition de l’Agence nationale
d’accréditation et d’évaluation en santé [Anaes] de l’insuffisance rénale, Conditions de recueil des urines des 24 heures
trait vertical gris), la corrélation entre créatinine sérique et DFG est • Le recueil est correct si les conditions suivantes sont
meilleure. respectées :
C j0 à 7 h (au lever) : vider la vessie aux toilettes ;
C à partir de 7 h : mettre toutes les mictions dans le
Tableau 5. bocal ;
Valeurs de créatinine sérique correspondant à un débit de filtration C j1 à 7 h (au lever) : mettre la première miction du
glomérulaire (DFG) < 60 ml/min. matin dans le bocal.
Créatinine sérique correspondant à un DFG • Les erreurs habituelles sont :
< 60 ml/min/1,73m2 (intervalle de confiance C les urines de j0 au lever sont collectées (surestimation
à 95 %) de la créatinurie) ;
Homme C les mictions au moment des selles ne sont pas
- Race blanche 115 à 133 µmol/l collectées (sous-estimation de la créatinurie) ;
- Race noire 124 à 160 µmol/l toujours demander au malade d’uriner avant d’aller
à la selle ;
Femme
C arrêt de la collection des urines une fois le bocal
- Race blanche 90 à 110 µmol/l
rempli (sous-estimation de la créatinurie).
- Race noire 100 à 124 µmol/l

mesures sont d’autant plus importants que la créatinine sérique


est basse. Souhaitant standardiser le dosage de la créatinine, les
américains ont mis au point une nouvelle méthode basée sur la
■ Cystatine C et b2-microglobuline
spectométrie de masse. Des échantillons de référence dosés par
cette technique sont conservés au National Institute of Stan- La cystatine C est une petite protéine sérique de 13 kDa dont
dards and Technology (NIST) [7]. L’ensemble des laboratoires le comportement rénal pouvait en faire un bon marqueur de la
d’analyses américains utilise la spectométrie de masse avec des filtration glomérulaire [8]. En effet, cette protéine, produite de
automates calibrés sur les échantillons de référence. Une telle façon constante par l’ensemble des cellules nucléées, est
évolution est souhaitable en France. librement filtrée par le glomérule puis complètement réabsorbée
par les tubes rénaux où elle est catabolisée. Malheureusement,
son taux sérique n’est pas influencé uniquement par la filtration
■ Clairance de la créatinine glomérulaire [9]. En effet, certaines situations cliniques comme
un indice de masse corporelle élevé, un tabagisme actif, une C
endogène reactive protein (CRP) élevée, une dysthyroïdie ou un traitement
par stéroïdes peuvent modifier son taux sérique. De plus, il
La clairance de la créatinine endogène appelée aussi clairance
semble exister une élimination extrarénale de cystatine C en cas
mesurée a été longtemps l’examen de référence d’évaluation de
la fonction rénale. Elle repose sur la classique formule des d’insuffisance rénale. Enfin, les différentes méthodes de dosage
clairances rénales : clairance = U V/P où de la cystatine C sont coûteuses et n’ont pas fait l’objet d’une
U : concentration urinaire en créatinine (mmol/l) calibration.
V : débit urinaire en l/j La b2-microglobuline a le même comportement rénal que la
P : concentration sérique en créatinine (µmol/l). cystatine C mais pas d’élimination extrarénale, même en cas
Elle nécessite donc un recueil des urines des 24 heures pour d’insuffisance rénale avancée. Cependant, son taux sérique est
déterminer le débit urinaire (V) et la créatinurie (U). influencé par des facteurs extrarénaux comme les infections et
Outre que cette formule reprend les défauts de la créatinine les cancers qui élèvent son taux [10]. Les dosages immunologi-
sérique (cf. supra), elle y ajoute : ques de b2-microglobuline sont par ailleurs coûteux.
• les erreurs (très fréquentes) concernant le recueil urinaire sur La cystatine C et la b2-microglobuline ne doivent pas être
24 heures. Le recueil perturbe beaucoup le quotidien du utilisées au quotidien pour l’évaluation de la fonction rénale.

Traité de Médecine Akos 3


1-1224 ¶ Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ?

■ Formules permettant d’estimer • aux poids extrêmes (index de masse corporelle inférieur à
20 ou supérieur à 30) ou lorsque le poids ne reflète pas la
la clairance de la créatinine masse maigre (œdèmes) ;
ou le débit de filtration • chez les sujets ayant une fonction rénale normale (DFG
supérieur à 90 ml/min).
glomérulaire La clairance de Cockcroft est systématiquement calculée par
les laboratoires d’analyses de ville devant toute demande de
. Il existe de nombreuses formules permettant d’estimer la créatinine sérique depuis février 2003 à la suite d’une recom-
clairance de la créatinine ou le DFG à partir de la créatinine ou mandation de la Haute Autorité de santé (HAS).
de la cystatine C sérique [11-18].
Deux formules sont principalement utilisées : la formule de
Cockcroft [19] et la formule modification of diet in renal disease Formule MDRD
(MDRD) [6, 20].

Formule de Cockcroft
Formule de la clairance de Cockcroft et Gault “ Point fort
(140 – âge) × poids (en kg)
Chez l’homme : ————————————— Formule MDRD (estimation du débit de filtration
0,814 × créatinine (µmol/l)
glomérulaire)
(140 – âge) × poids (en kg) • Formule MDRD complète initiale :
Chez la femme : ————————————— × 0,85 170 × créatinine sérique–0,999 × âge–0,176 × 0,762 (pour
0,814 × créatinine (µmol/l)
une femme) × 1,18 (race noire) × urée sérique–0,170 ×
albuminémie+0,318
La clairance de Cockcroft doit être normalisée sur la surface
Après standardisation du dosage de la créatinine
corporelle.
sérique, le coefficient de correction n’est plus 170 mais
Surface corporelle (m2) : √ Poids (kg) × taille (cm)
————————————
3600
161,5.
• Formule MDRD abrégée initiale :
186,3 × créatinine sérique–1,154 × âge–0,203 × 0,742
Clairance (pour une femme) × 1,212 (race noire)
Clairance de Cockcroft normalisée : ————————— × 1,73
Surface corporelle Après standardisation du dosage de la créatinine
sérique, le coefficient de correction n’est plus 186,3 mais
La formule de Cockcroft est une estimation de la clairance de
175.
la créatinine endogène et non pas du DFG. En effet dans leur
• La créatinine sérique est en mg/dl.
travail, Cockcroft et Gault ont mis au point leur formule chez
• La clairance MDRD n’a pas à être corrigée pour la
des malades dont ils avaient mesuré la clairance de la créatinine
surface corporelle.
endogène à partir de deux dosages de la créatinurie des 24 heu-
res dont les résultats étaient très proches. Ils ont alors fait un
calcul de régression de la créatinurie des 24 heures en fonction
du poids et de l’âge. Les dosages ont été réalisés chez 250 mala-
des hospitalisés de race blanche, âgés de 18 à 92 ans. Il y avait La formule MDRD donne une estimation du DFG. Cette
peu de sujets âgés de plus de 80 ans (7 %) et peu de femmes formule a été mise au point en 1999 à partir de DFG mesurés
(4 %). par une méthode de référence (clairances isotopiques) et des
La corrélation entre la clairance calculée par la formule mise caractéristiques cliniques et biologiques (âge, sexe, poids, taille,
au point et la clairance de la créatinine endogène sur l’ensemble race, urée sanguine et albuminémie) de 1 628 patients. Une
de la population étudiée est bonne (r = 0,83) mais la dispersion grande partie de ces patients avait participé à une étude
des valeurs à l’échelon individuel est parfois importante. Chez conduite aux États-Unis dans les années 1990 sous l’acronyme
la femme, un coefficient de correction (-15 %) est appliqué sur MDRD [21]. Le but de cette étude était d’évaluer chez plus de
la base d’une créatinurie inférieure de 10 % à 20 % par rapport 800 malades insuffisants rénaux l’impact d’un régime limité en
à l’homme. À noter qu’il faut normaliser la valeur calculée par protéine sur la progression de la néphropathie.
la formule sur la surface corporelle. La complexité de la formule (même dans sa version simpli-
Les limites de cette formule sont évidentes car : fiée) nécessite un ordinateur de poche ou une calculatrice on
• elle donne une estimation de la clairance de la créatinine line (www.kdoqi.org → Professionals → Clinical tools → GFR
endogène dont on a vu l’imprécision (cf. supra) ; calculator). À l’inverse de la formule de Cockcroft, la formule
• elle n’est utilisable stricto sensu que chez les hommes, âgés MDRD est normalisée sur la surface corporelle.
de moins de 80 ans, de race blanche et en situation d’agres- La corrélation entre le DFG mesuré par une méthode de
sion (puisque tous les patients étaient hospitalisés). référence et le DFG estimé par la formule MDRD est bonne (r
Malgré ces limites, il faut systématiquement utiliser la = 0,88) et légèrement supérieure à celle de la formule de Cockcroft
formule de Cockcroft car : (cf. supra).
• elle aide à déterminer le stade d’insuffisance rénale chroni-
que, ce qui implique une prise en charge et une thérapeuti-
que adaptée ;
• elle a l’immense avantage d’éviter la surestimation de la
Performances comparées des deux formules
fonction rénale, en particulier chez les sujets âgés. pour évaluer la fonction rénale
En plus des limites liées à la conception de la formule, la
clairance de Cockcroft est imprécise : Plusieurs études ont comparé la performance des formules de
• aux âges extrêmes (plus de 75 ans et moins de 25 ans). Elle Cockcroft et MDRD pour évaluer la fonction rénale dans
n’est par ailleurs pas utilisable chez la femme enceinte et chez différentes populations et dans différentes situations clini-
l’enfant ; ques [20, 22-25]. Les résultats sont discordants. Certaines études

4 Traité de Médecine Akos


Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ? ¶ 1-1224

■ Références
.

trouvent une supériorité de l’une ou de l’autre formule dans


telle ou telle population (diabétique, obèses, sujet âgé...),
supériorité souvent non confirmée dans un autre travail. [1] ANAES. Diagnostic de l’insuffisance rénale chronique chez l’adulte,
Globalement, la formule MDRD semble avoir une performance septembre 2002.
légèrement supérieure à la formule de Cockcroft chez les [2] National Kidney Foundation. K/DOQI clinical practice guidelines for
malades porteurs d’une insuffisance rénale chronique. Chez le chronic kidney disease: evaluation, classification, and stratification. Am
sujet ayant une fonction rénale normale, les deux formules ont J Kidney Dis 2002;39(2suppl1):S1-S266.
une performance équivalente. Au vu de ces résultats, il n’est pas [3] Levey AS. Measurement of renal function in chronic renal disease.
justifié d’abandonner la formule de Cockcroft. Kidney Int 1990;38:167-84.
Les deux formules sont imprécises chez les malades ayant des [4] Levey AS, Bosch JP, Lewis JB, Greene T, Rogers N, Roth D. A more
valeurs extrêmes d’âge et de poids, chez les malades ayant une accurate method to estimate glomerular filtration rate from serum
creatinine: a new prediction equation. Ann Intern Med 1999;130:
faible production de créatine (myopathies, paraplégie, végéta-
461-70.
rien, cirrhose, dénutrition) et en cas de fonction rénale normale.
[5] Couchoud C, Pozet N, Labeeuw M, Pouteil-Noble C. Screening early
Aucune formule n’est adaptée à l’insuffisance rénale aiguë.
renal failure: cut-off values for serum creatinine as an indicator of renal
impairment. Kidney Int 1999;55:1878-84.
[6] Miller WG, Myers GL, Ashwood ER, Killeen AA, Wang E,
■ Mesures de référence isotopiques Thienpont LM, et al. Creatinine measurement: state of the art in
accuracy and interlaboratory harmonization. Arch Pathol Lab Med
et non isotopiques 2005;129:297-304.
[7] Stevens LA, Coresh J, Greene T, Levey AS. Assessing kidney function
– Measured and estimated glomerular filtration rate. N Engl J Med
Ce sont les méthodes de référence (gold standard) de mesure 2006;354:2473-83.
du DFG. Plusieurs traceurs sont utilisés : l’inuline, l’iohexol, [8] Madero M, Sarnak MJ, Stevens LA. Serum cystatin C as a marker of
l’iothalamate marqué à l’iode 125, l’éthylène diamine tétra- glomerular filtration rate. Curr Opin Nephrol Hypertens 2006;15:
acétate (EDTA) marqué au chrome 51 et le diéthylène triamine 610-6.
penta-acétate (DTPA) marqué au technétium 99. L’iohexol est [9] Curhan G. Cystatin C: a marker of renal function or something more?
un produit de contraste iodé utilisé à faible dose non Clin Chem 2005;51:293-4.
néphrotoxique. [10] Schardijn GH, Statius Van Eps LW. Beta 2-microglobulin: its
Le marqueur idéal est l’inuline car cette substance métaboli- significance in the evaluation of renal function. Kidney Int 1987;32:
quement inactive est librement filtrée par le glomérule puis 635-41.
n’est pas sécrétée ni réabsorbée par les tubes rénaux. La mesure [11] Bjornsson TD. Use of serum creatinine concentrations to determine
du DFG par l’inuline est invasive puisqu’elle nécessite une renal function. Clin Pharmacokinet 1979;4:200-22.
perfusion intraveineuse prolongée et la mise en place d’une [12] Jelliffe RW, Jelliffe SM. A computer program for estimation of
sonde urinaire. creatinine clearance from unstable serum creatinine level, age, sex, and
Les autres marqueurs sont soumis à une très faible sécrétion weight. Math Biosci 1972;14:17-25.
tubulaire. L’avantage est que l’on mesure leur clairance plasma- [13] Jelliffe RW. Creatinine clearance: bedside estimate. Ann Intern Med
tique, ce qui évite la perfusion prolongée et le recueil urinaire. 1973;79:604-5.
Quel que soit le traceur utilisé, ces clairances sont coûteuses et [14] Edwards KD, Whyte HM. Plasma creatinine level and creatinine
difficiles à mettre en œuvre. De plus, ces examens sont entachés clearance as tests of renal function. Australas Ann Med 1959;8:
218-24.
par des erreurs de mesure, en particulier dans les laboratoires
[15] Nankivell BJ, Gruenewald SM, Allen RD, Chapman JR. Predicting
peu entraînés. Plusieurs études montrent que les coefficients de
glomerular filtration rate after kidney transplantation. Transplantation
variation intra-essais et inter-essais sont de l’ordre de 5 % à
1995;59:1683-9.
20 % et que les erreurs les plus importantes sont observées pour
[16] Walser M, Drew HH, Guldan JL. Prediction of glomerular filtration rate
les DFG élevés.
from serum creatinine concentration in advanced chronic renal failure.
En pratique, leur utilisation est limitée à la mesure précise de Kidney Int 1993;44:1145-8.
la fonction rénale : [17] Le Bricon T, Thervet E, Froissart M, Benlakehal M, Bousquet B,
• au cours des essais thérapeutiques ; Legendre C, et al. Plasma cystatin C is superior to 24-h creatinine
• chez le candidat à un don de rein dans le cadre d’une clearance and plasma creatinine for estimation of glomerular filtration
transplantation à partir d’un donneur vivant ; rate 3 months after renal transplantation. Clin Chem 2000;46:
• chez le patient à fonction rénale apparemment normale 1206-7.
devant bénéficier d’un traitement néphrotoxique (par exem- [18] Rule AD, Bregstraalh EJ, Slezak JM, Bergert J, Larson TS. Glomerular
ple, traitement d’un psoriasis sévère par ciclosporine A). filtration rate estimated by cystatin C among different clinical
presentations. Kidney Int 2006;69:399-405.
[19] Cockcroft DW, Gault MH. Prediction of creatinine clearance from
serum creatinine. Nephron 1976;16:31-41.
■ Conclusion [20] Levey AS, Coresh J, Greene T, Stevens LA, Zhang YL, Hendriksen S,
et al. Using standardized serum creatinine values in the modification of
diet in renal disease equation for estimating glomerular filtration rate.
Il est bien difficile encore de nos jours d’évaluer la fonction
Ann Intern Med 2006;145:247-54.
rénale d’un malade puisque aucun marqueur n’est idéal. L’urée [21] Klahr S, Levey AS, Beck GJ, Caggiula AW, Hunsicker L, Kusek JW,
sanguine et la clairance de la créatinine endogène ne doivent et al. The effects of dietary protein restriction and blood pressure control
plus être utilisées. Les méthodes de référence doivent être on the progression of chronic renal disease. Modification of Diet in
utilisées uniquement dans le cadre d’essais thérapeutiques dans Renal Disease Study Group. N Engl J Med 1994;330:877-84.
des laboratoires ayant l’expérience de ces techniques. En [22] Stevens LA, Coresh J, Feldman HI, Greene T, Lash JP, Nelson RG, et al.
pratique médicale courante, la créatinine sérique qui permet de Evaluation of the modification of diet in renal disease study equation in
calculer la clairance de Cockcroft ou MDRD est l’outil de base. a large diverse population. J Am Soc Nephrol 2007;18:2749-57.
Il reste des situations où la créatinine et les formules qui [23] Froissart M, Rossert J, Jacquot C, Paillard M, Houillier P. Predictive
l’utilisent sont mises en défaut. C’est alors au clinicien de tenter performance of the modification of diet in renal disease and Cockcroft-
d’apprécier, dans le contexte clinique, la fonction rénale de son Gault equations for estimating renal function. J Am Soc Nephrol 2005;
patient. 16:763-73.

Traité de Médecine Akos 5


1-1224 ¶ Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ?

[24] Verhave JC, Fesler P, Ribstein J, du Cailar G, Mimran A. Estimation of Pour en savoir plus
renal function in subjects with normal serum creatinine levels:
influence of age and body mass index. Am J Kidney Dis 2005;46: Davison AM, Cameron JS, Grunfeld JP, Ponticelli C, Van Ypersele C, Ritz E,
233-41. et al. Oxford textbook of clinical nephrology. New York: Oxford
[25] Cirillo M, Anastasio P, De Santo NG. Relationship of gender, age, and University Press; 2005.
body mass index to errors in predicted kidney function. Nephrol Dial Brenner BM, Rector FC. The kidney. Philadelphia: WB Saunders;
Transplant 2005;20:1791-8. 2007.

B. Dussol (bdussol@ap-hm.fr).
N. Jourde-Chiche.
Centre de néphrologie et de transplantation rénale, Hôpital de la Conception, 147, boulevard Baille, 13385 Marseille cedex 5, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Dussol B., Jourde-Chiche N. Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ?.
EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1224, 2009.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

6 Traité de Médecine Akos


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1-1165

Hémostase : physiologie et
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

principaux tests d’exploration


MH Horellou, J Conard, M Samama

L es anomalies de l’hémostase vont être dépistées à l’occasion de manifestations hémorragiques spontanées ou


provoquées ou à l’occasion d’un examen préopératoire systématique. En préopératoire, l’interrogatoire et
l’examen clinique sont de première importance dans la recherche d’une anomalie de l’hémostase. Sous réserve que
l’interrogatoire et l’examen clinique aient permis de s’assurer de l’absence d’une tendance hémorragique, il
n’apparaît pas utile de prévoir des examens d’hémostase, sauf condition chirurgicale à risque hémorragique
particulier.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : hémostase, coagulation, syndrome hémorragique.


Physiologie et exploration
de l’hémostase : rappel
‚ Physiologie de l’hémostase [2]
Lésion vasculaire

Hémostase primaire Coagulation intrinsèque Coagulation extrinsèque


L’hémostase comprend classiquement un temps
vasculaire, un temps plaquettaire et un temps Activation du XII Facteur tissulaire
Sous-endothélium
plasmatique dominé par l’intervention des facteurs de Facteur XII : Hageman Facteur VII : proconvertine
coagulation. Ces trois temps qui se succèdent sont Prékallicréine
Kininogène de haut poids moléculaire VII a-Facteur tissulaire
intriqués in vivo. Facteur XI : Rosenthal
Adhésion des plaquettes Facteur IX : antihémophilique B
Les deux premiers temps constituent l’hémostase
Facteur VIII : antihémophilique A
primaire dans laquelle les vaisseaux, les plaquettes et
au moins un facteur plasmatique, le facteur
Willebrand, sont les acteurs essentiels. Le fibrinogène, Facteur X (Stuart)
à l’état de traces, est également nécessaire à
l’hémostase primaire. La vasoconstriction réflexe du Facteur X activé
Activation : activité procoagulante
vaisseau blessé facilite l’adhésion et l’agrégation Facteur V : proaccélérine
Phospholipides plaquettaires, tissulaires
plaquettaire aboutissant à la formation du thrombus
plaquettaire. Agrégation : thrombus plaquettaire
Le processus de coagulation (cascade de Thrombine (IIa)
Facteur II : prothrombine
coagulation) permet la consolidation de ce thrombus
grâce à la génération de thrombine qui stabilise
l’agrégat plaquettaire en transformant le fibrinogène Facteur I : fibrinogène Fibrine
en fibrine. Il comporte à la fois des boucles de
rétroactivation positives qui amplifient le processus, et
négatives qui le limitent dans le temps. La coagulation 1 Schéma simplifié de l’hémostase.
nécessite l’intervention de nombreux facteurs
plasmatiques (désignés de I à XIII). Elle se déroule en
trois étapes : place essentielle en biologie dans le diagnostic des La fibrinolyse intervient pour assurer la
principales maladies hémorragiques. perméabilité du vaisseau (fig 1).
– l’étape finale est la fibrinoformation, résultant de
Aujourd’hui, il est admis que, in vivo, la coagulation
la transformation du fibrinogène en fibrine, par la ‚ Exploration de l’hémostase (tableau I)
est initiée par la mise à nu du facteur tissulaire présent
thrombine ;
dans le sous-endothélium, mais absent de Le secours du laboratoire ne doit être demandé
– la thrombine provient de la transformation de la l’endothélium sain et apparaissant lorsque celui-ci est qu’après un examen clinique complet, sans omettre la
prothrombine ; lésé, anormal ou activé. Le facteur VII est le seul facteur recherche minutieuse d’antécédents personnels et
– l’activation de la prothrombine est réalisée par la de coagulation présent sous forme activée dans la familiaux d’hémorragies. Il faut chercher à préciser
prothrombinase dont le facteur essentiel est le facteur circulation. La rencontre facteur VII activé-facteur d’emblée la nature et les caractères des accidents
X activé. Pendant longtemps, on a distingué la voie tissulaire enclenche la cascade de la coagulation. Le hémorragiques, le caractère congénital ou familial, le
extrinsèque explorée par le temps de Quick, et la voie complexe facteur VII activé-facteur tissulaire est en caractère acquis, souvent en rapport avec une atteinte
intrinsèque explorée par le temps de céphaline + effet capable d’activer le facteur X en Xa et le facteur IX hépatique ou des prises médicamenteuses
activateur (TCA). Cette approche simple conserve une en IXa. susceptibles de modifier les tests d’exploration.

1
1-1165 - Hémostase : physiologie et principaux tests d’exploration

Tableau I. – Principaux tests d’exploration de l’hémostase et facteurs explorés par ce test.

Temps Test de dépistage Facteurs spécifiques Facteurs communs


Hémostase primaire Temps de saignement Qualité et quantité des plaquettes Fac-
Numération de plaquettes teur Willebrand
Coagulation intrinsèque Temps de céphaline + activateur PK, KHPM, XII V, X, II Fibrinogène
(TCA) Facteurs XI, IX, VIII
Coagulation extrinsèque Temps de Quick (TQ) Facteur VII V, X, II Fibrinogène
Fibrinoformation Temps de thrombine (TT) Fibrinogène

PK : prékallicréine ; KHPM : kininogène de haut poids moléculaire.

Le TCA, le temps de Quick, le temps de première intention pour orienter le diagnostic sachant que leur sensibilité est limitée, notamment
saignement couplé à la numération de plaquettes étiologique d’un syndrome hémorragique. Les pour le dépistage des déficits mineurs. De même
permettent d’explorer respectivement les voies résultats de ces tests doivent être interprétés en certains déficits rares, mais parfois très graves,
intrinsèque et extrinsèque de la coagulation et tenant compte de l’existence de réactions peuvent ne pas être dépistés par ces examens. La
l’hémostase primaire. Ces tests sont utilisés en inflammatoires, d’une éventuelle grossesse, et en clinique prend alors toute son importance.

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Maître de conférences, praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : MH Horellou, J Conard et M Samama. Hémostase : physiologie et principaux tests d’exploration.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1165, 2001, 2 p

Références

[1] Recommandations du groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose [2] Zittoun R, Samama MM, Marie JP. Manuel d’hématologie. Paris : Doin, 1998
(GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 5-14

2
1-1350
1-1350

Hypercalcémie
Encyclopédie Pratique de Médecine

D Joly

L a découverte d’une hypercalcémie est une situation devenue fréquente avec la généralisation de ce dosage
lors des bilans biologiques. Un individu sur 2 000 est concerné tous les ans.
© Elsevier, Paris.


Introduction Tableau I. – Hormones régulant la calcémie.

Une hormone est hypocalcémiante :


— la calcitonine, produite par les cellules C de la thyroïde. Son rôle physiologique est limité.
L’hypercalcémie aiguë est potentiellement
mortelle. L’hypercalcémie chronique peut se Deux hormones sont hypercalcémiantes :
compliquer d’atteintes viscérales diverses, avec
— l’hormone parathyroïdienne (PTH), qui est un polypeptide de 84 acides aminés produit par les glandes
notamment insuffisance rénale chronique. Il faut parathyroïdiennes et agit grâce à l’intermédiaire d’un second messager (l’AMP cyclique). La PTH est hypo-
hospitaliser sans délai les formes sévères ou phosphorémiante.
symptomatiques, et dans tous les cas, identifier la
— le calcitriol ou 1,25 (OH)2 vitamine D3, dérivé actif de la vitamine D (alimentaire et cutanée) au terme de
cause pour la traiter. L’enquête étiologique est deux hydroxylations (25 hépatique et 1 rénale). Le calcitriol est hyperphosphorémiant.
parfois délicate, mais trois causes principales
représentent plus de 90 % des hypercalcémies.

Tableau II. – Dosage de la calcémie : principales causes d’erreur.


Rappel physiologique Erreur de dosage :
Erreur de prélèvement :
faire un second prélèvement
orthostatisme, période post prandiale et garrot veineux majorent artificielle-
ment la calcémie
Le calcium est le principal élément minéral de Erreur d’interprétation : tenir compte de l’albuminémie ou (à défaut) de la protidémie
l’organisme. Le calcium plasmatique total n’en
Calcémie totale corrigée (en mmol /L)
représente qu’une infime partie (1/1000 e ), = calcémie observée ± (40 - albuminémie) × 0,015.
schématiquement sous trois formes principales : lié à = calcémie observée / (0,55 + [protidémie: 160])
l’albumine (40 %), lié à certains anions (5 %), et libre
ionisé (55 %, biologiquement seul actif). * protidémie et albuminémie exprimées en g/L.
La calcémie totale est maintenue entre 2,2 et
souvent, on parle d’hypercalcémie lorsque la calcémie
2,6 mmol/L. Les « entrées » sont alimentaires
totale dépasse 2,6 mmol/L. Ce taux doit être interprété Tableau III. – Crise aiguë hypercalcémique.
(absorption digestive), osseuses (résorption), et
en fonction de l’albuminémie et du pH. En cas de
rénales (réabsorption tubulaire), tandis que les — Troubles de vigilance avec agitation, délire, et
variation importante de ces facteurs, le dosage de la parfois convulsions
« sorties » sont urinaires et fécales. L’équilibre
calcémie ionisée peut être utilisé : les valeurs normales — Douleurs abdominales pseudochirurgicales,
calcémique dépend principalement de l’action de
sont comprises entre 1,15 et 1,35 mmol/L. La validité iléus, vomissements
trois hormones : calcitonine, hormone parathyroï-
du résultat suppose l’élimination de trois causes — Fièvre, tachycardie, déshydratation globale,
dienne (PTH) et vitamine D (tableau I). voire collapsus ou choc
d’erreurs : erreur de dosage, erreur de prélèvement,
— Insuffısance rénale aiguë
erreur d’interprétation (tableau II).


Le calcul de la calcémie corrigée (tableau II) Devant l’un ou plusieurs de ces items, une calcé-
Diagnostic mie doit être demandée en urgence et le patient
permet de tenir compte des variations de la hospitalisé en réanimation.
protidémie ou de l’albuminémie, sans avoir recours
© Elsevier, Paris

au dosage de la calcémie ionisée. Ceci permet


‚ Biologie ‚ Signes cliniques
d’obtenir un résultat fiable malgré une hyperalbumi-
Le diagnostic est purement biologique et affirmé némie (due par exemple à une déshydratation La crise hypercalcémique aiguë se voit volontiers
lorsque la valeur de la calcémie totale est supérieure sévère) ou une hypoalbuminémie (due par exemple lorsque la calcémie est supérieure à 3,5 mmol/L
aux normes indiquées par le laboratoire. Le plus à un syndrome néphrotique). et/ou que son élévation a été rapide. La présentation

1
1-1350 - Hypercalcémie

‚ Première étape : reconnaître


Tableau IV. – Signes cliniques de l’hypercalcémie. les trois causes dominantes
Signes généraux asthénie, anorexie, amaigrissement
Néoplasie [5]
globale, intra- et extracellulaire avec soif et syndrome polyuropolydipsique. Pos- Il est rare qu’une hypercalcémie soit révélatrice
Déshydratation
sibilité de collapsus voire choc hypovolémique dans les hypercalcémies aiguës
d’une néoplasie ; dans ces cas, la maladie
Troubles neuro- céphalées, insomnie cancéreuse est en règle facilement accessible au
psychiques syndrome confusionnel, troubles de la vigilance diagnostic clinique. Le diagnostic est le plus souvent
syndrome dépressif, syndrome démentiel
porté chez des patients hospitalisés ou porteurs
psychose délirante
hypotonie, hyporéflexie ostéotendineuse d’une néoplasie connue, à l’état général altéré, chez
qui l’hypercalcémie est récente et volontiers sévère
Troubles cardiovasculai- tachycardie
(> 3,5 mmol/L). Une hypercalcémie ancienne écarte
res troubles du rythme
collapsus a priori l’hypothèse d’une néoplasie. La
électrocardiogramme (ECG) : tachycardie, QT court, PR long, ondes T plates, reconnaissance d’anomalies radiologiques d’allure
extrasystoles ventriculaires maligne (thorax, clichés osseux) ou d’un syndrome
Troubles digestifs constipation, voire iléus paralytique, nausées, vomissements inflammatoire est habituelle.
douleurs abdominales diffuses
ulcères (rares) Myélome
Troubles rénaux polyurie osmotique et polydipsie Le myélome multiple est associé à une
lithiase rénale calcique hypercalcémie dans 30 % des cas. Elle est souvent
néphrocalcinose majeure et peut contribuer au développement d’une
insuffısance rénale fonctionnelle (oligurie secondaire) insuffisance rénale. Une ostéolyse radiologique, une
insuffısance rénale chronique
vitesse de sédimentation (VS) élevée, un pic d’allure
Signes osseux en rapport cancer, myélome, hyperparathyroïdie... monoclonale sur l’électrophorèse des protides sont
avec l’étiologie évocateurs du diagnostic. L’immunofixation (sérique
Calcifications ectopiques rein : néphrocalcinose et urinaire) confirme la nature monoclonale de la
artères : médiacalcose gammapathie, tandis que le myélogrammme
yeux : cornée, conjonctives rattache cette dernière à un myélome, en
tympans : surdité
démontrant la présence de plasmocytes tumoraux,
articulations : chondrocalcinose
peau : prurit en nombre le plus souvent très élevé.

Hyperparathyroïdie primitive [4]


Inversement aux deux situations précédentes,
du patient est particulièrement inquiétante (tableau Tableau V. – Causes des hypercalcémies. une hypercalcémie modérée (< 3 mmol/L), parfois
III) et le trouble biologique doit être rapidement connue de longue date chez un patient ambulatoire
diagnostiqué de façon à débuter en urgence le Cancer avec métastases osseuses (rarement prosta- en bonne santé apparente, est le plus souvent due à
traitement symptomatique. En l’absence de tique) une hyperparathyroïdie primitive. Une histoire
diagnostic, la mort survient par arrêt cardiaque en Cancer sans métastases osseuses familiale d’hyperparathyroïdisme, l’évidence d’une
fibrillation ventriculaire. Myélome multiple (rarement autres hémopathies) néoplasie endocrinienne multiple, des antécédents
Les hypercalcémies supérieures à 3 mmol/L sont d’irradiation cervicale, de pancréatite, une
Hyperparathroïdie primaire (rarement tertiaire)
volontiers mais inconstamment accompagnées de chondrocalcinose articulaire sont des arguments en
symptômes (tableau IV). Aucun d’entre eux n’est Iatrogènes : faveur du diagnostic chez un patient dont l’examen
spécifique, et leur apparition dépend de la rapidité — vitamine D physique est en règle normal. Un dosage élevé de
de constitution du trouble biologique ainsi que de la — vitamine A et dérivés (rétinoïdes et isotréti- 1-84 PTH confirme le diagnostic. Une échographie
noïne) cervicale est nécessaire en préopératoire afin de
tolérance individuelle.
— calcium
— lithium tenter de repérer les glandes parathyroïdes et de
— diurétiques thiazidiques localiser une tumeur (adénome 90 %, cancer 2 %) ou


— théophylline une hyperplasie (8 %).
Démarche diagnostique — lait et alcalins (syndrome de Burnett)
— anti-œstrogènes ‚ Deuxième étape : éviter quelques pièges
Sarcoïdose et autres granulomatoses (tuberculose,
Les causes d’hypercalcémie sont nombreuses et histoplasmose, berryliose, coccidioïdomycose) Attention aux hypercalcémies iatrogènes
variées (tableau V). En pratique, trois d’entre elles Endocrinopathies : La consommation d’une dose excessive de
rendent compte de 90 % des cas : les néoplasies, le vitamine D (per os ou en collyres) est hypercalcé-
— hyperthyroïdie
myélome multiple, et l’hyperparathyroïdie — insuffısance surrénalienne miante. Le taux circulant de 25 (OH) D3 est élevé.
primitive. — phéochromocytome Malgré l’arrêt de l’intoxication, l’hypercalcémie peut
La cause d’une hypercalcémie peut être — acromégalie persister plusieurs semaines. La calcémie doit être
approchée de façon simple dans la majorité des cas. Causes rares : régulièrement surveillée au cours d’un tel traitement.
L’histoire clinique, l’examen physique, et quelques — immobilisation Le syndrome des buveurs de lait et alcalins n’a
tests biologiques de première intention (tableau VI) — maladie de Paget pas disparu [1] : décrit à l’époque où les ulcères
permettent de préciser cette cause dans 99 % des — hypercalcémie familiale gastroduodénaux se traitaient par ingestion massive
cas. — hypercalciurique de lait, ce syndrome peut se rencontrer actuellement
Ces explorations peuvent être conduites en chez des patients consommant de fortes doses de
ambulatoire si l’hypercalcémie est modérée et symptomatique, permettant d’assurer simulta- carbonate de calcium, et est éventuellement favorisé
asymptomatique. L’hospitalisation est nécessaire nément prise en charge thérapeutique et par la prise concomitante d’un diurétique thiazidique
devant toute hypercalcémie sévère et/ou investigations diagnostiques. ou l’existence d’une insuffisance rénale. Les

2
Hypercalcémie - 1-1350

nécessitent une hospitalisation et la mise en place


Tableau VI. – Éléments permettant de trouver la cause de 99 % des hypercalcémies. d’une perfusion veineuse, apportant au moins 2 à
Histoire clinique 3 L de solutés salés par jour. Toute hypokaliémie
Examen physique Néoplasie ? Endocrinopathie ? associée doit être corrigée.
Radiographie de thorax Néoplasie ? Sarcoïdose ?
Radiographies osseuses Néoplasie ? Myélome ? Paget ? Modifications du régime et du traitement
Électrophorèse des protéines Myélome ? Lymphome ? ■ Diminuer la ration calcique : éviter lait et
NFS, VS Néoplasie ? Myélome ? Hémopathie ?
1-84 PTH Hyperparathyroïdie primitive ? laitages, fromage, l’impact de cette mesure est
Tests endocriniens (hormone toutefois limité.
Uniquement en cas d’orientation clinique
thyréotrope-TSH-...) ■ Interrompre un traitement par diurétique
thiazidique, vitamine D, carbonate de calcium et
alcalins notamment.
principaux risques sont la survenue d’une lithiase d’une PTH rp élevée a un double intérêt : [5] ■ Interrompre un traitement digitalique en cours
urinaire ou d’une néphrocalcinose avec insuffisance l’évolution de son taux permettra de suivre la (risque d’intoxication).
rénale irréversible. réponse au traitement antitumoral ; [4] un taux très
élevé fait craindre une survie courte et une faible ‚ Diminuer la résorption osseuse
Attention aux associations réponse aux bisphosphonates. du calcium
La prise d’un médicament potentiellement
responsable d’hypercalcémie ne doit pas faire écarter Stock vitaminique D Calcitonine
les autres diagnostics. En particulier, l’hypercalcémie Le calcidiol (25 OH D3) et le calcitriol (1,25 (OH)2 D’origine humaine (Cibacalcinet) ou animale
découverte chez un patient prenant un diurétique D3) devraient être mesurés lorsqu’il n’y a pas de (Calcitart, Calsynt, Miacalcict), la calcitonine inhibe
thiazidique est en fait révélatrice d’un hyperparathyroï- diagnostic étiologique évident, avec des taux de PTH la résorption osseuse de façon rapide (quelques
disme sous-jacent dans 70 % des cas. et PTH rp non élevés. heures) mais modérée, inconstante (20 %
L’immobilisation stimule la résorption osseuse et Dans ces cas, une élévation du calcidiol suggère d’échecs), ou transitoire (échappement). Elle est
s’accompagne d’une hypercalcémie parfois associée une intoxication vitaminique D, tandis qu’une donc volontiers associée quelques jours aux autres
à une maladie de Paget ou un hyperparathyroï- élévation préférentielle de calcitriol, outre une traitements, en particulier aux bisphosphonates
disme primaire. intoxication par ce produit, suggère une activité dont le délai d’action est plus long. La posologie
enzymatique 1-α-hydroxylase importante par une utilisée dans cette indication est de 4 à 8 UI/kg/j en
Les antécédents familiaux maladie granulomateuse ou un lymphome. Il est tout 2 à 4 injections (sous-cutanée, intramusculaire,
ne doivent pas être négligés intraveineuse). Les réactions d’intolérance
à fait rare que ces affections ne soient pas facilement
Des antécédents familiaux (ou personnels !) de accessibles au diagnostic au stade d’hypercalcémie. (nausées, flush facial) ne sont pas rares dans
tumeur exocrine du pancréas, d’adénomes Si le stock vitaminique D est normal, il faut alors l’heure qui suit l’administration, et sont
hypophysaires ou surrénaliens doivent faire suspecter une résorption osseuse de cause efficacement prévenues par le décubitus et
suspecter une néoplasie endocrinienne multiple inattendue (Paget, immobilisation, thyrotoxicose), ou l’adjonction d’un antiémétique.
(NEM) de type I ; s’il s’agit de cancers médullaires de un une prise occulte de calcium à fortes doses.
la thyroïde ou de phéochromocytomes, on Bisphosphonates
évoquera une NEM de type IIa. Bien entendu, Cytokines Ces produits bloquent durablement la résorption
l’hypercalcémie par hyperparathyroïdisme primaire osseuse et normalisent la calcémie de façon un peu
L’hypercalcémie des lymphomes est volontiers en
est probable, et une prise en charge endocrinolo- différée (2 à 3 jours) mais rapide (moins d’une
rapport avec une élévation des interleukines (IL 1 et
gique spécialisée familiale est impérative. semaine) ; le pamidronate (Arédia t) et le clodronate
6) ou du TNF.
Une histoire d’hypercalcémie familiale à (Clastobant) administrés par voie veineuse sont à
transmission autosomique dominante peut faire en usage hospitalier exclusif. Beaucoup d’auteurs les


outre évoquer une « hypercalcémie hypocalciurique réservent aux hypercalcémies d’origine néoplasique,
familiale bénigne », pour laquelle aucun traitement Traitement [2, 3]
et les utilisent volontiers par la suite si un traitement
n’est usuellement nécessaire à l’âge adulte. Le seul d’entretien est nécessaire. Dans ce cas, l’Arédiat est
risque réel est une hypercalcémie néonatale sévère. administré sous forme d’une perfusion mensuelle
‚ Traitement étiologique tandis que le Clastobant (voire le Didronelt),
‚ Troisième étape : examens parfois utiles, La suppression de la cause de l’hypercalcémie est disponibles sous forme orale, peuvent être utilisés
de prescription spécialisée quotidiennement.
bien entendu le traitement le plus efficace : chirurgie
Dans certains cas, malgré les recherches d’une hyperparathyroïdie primitive, chirurgie et/ou
Mithramycine
précédentes la cause de l’hypercalcémie reste radiochimiothérapie d’une néoplasie, corticothérapie
imprécise. D’autres examens peuvent être effectués en cas de sarcoïdose... Cet agent antibiotique et antimitotique
à titre diagnostique mais en seconde intention et en Bien souvent la cause de l’hypercalcémie n’est (administré par voie veineuse) inhibe la
milieu spécialisé. pas connue au moment où le diagnostic biologique différenciation ostéoblastique et bloque la résorption
est porté. Ceci ne doit pas retarder le mise en place osseuse. Son utilisation est exceptionnelle de nos
Dosage de la PTH rp (related peptide) d’un traitement symptomatique adapté à la gravité jours, du fait de ses effets indésirables comparati-
La synthèse de ce peptide rend compte de la de l’hypercalcémie et/ou des symptômes. vement aux bisphosphonates.
majorité des hypercalcémies humorales
néoplasiques. La PTH rp freine la sécrétion de PTH, ‚ Traitement symptomatique ‚ Diminuer l’absorption digestive
du calcium
mais mime la plupart de ses actions cellulaires. Le
dosage est effectué chez le patient hypercalcémique Réhydratation Une corticothérapie orale (prednisone 0,5 à
dans deux circonstances principales : en présence Il s’agit de l’étape première et incontournable du 1 mg/kg/j) peut être utilement prescrite et est
d’une tumeur solide, surtout lorsqu’il n’y a pas de traitement. Les hypercalcémies modérées (< particulièrement efficace dans les hypercalcémies où
métastases osseuses ostéolytiques ; en l’absence de 3 mmol/L) et asymptomatiques relèvent de boissons la résorption digestive est le principal mécanisme
diagnostic étiologique évident, lorsque la PTH est abondantes avec apports sodés. Les hypercalcémies physiopathologique impliqué : granulomatoses,
basse. Outre son rôle diagnostique, la découverte plus importantes, en règle symptomatiques, intoxications vitaminiques, buveurs de lait et

3
1-1350 - Hypercalcémie

alcalins... Elle est peu efficace dans les autres cas,


hormis le myélome multiple.
Hypercalcémie modérée Hypercalcémie Hypercalcémie grave
‚ Éliminer le calcium (< 3 mmol/L) moyenne (> 3,5 mmol/L)
(< 3,5 mmol/L)
ou mal tolérée
Diurèse forcée avec diurétiques de l’anse
de Henle (furosémide, bumétanide)
Réhydratation
Ces diurétiques augmentent la calciurie de façon Régime
nette, surtout lorsqu’ils sont utilisés à forte dose par Modification du traitement
voie veineuse. Ce traitement ne se conçoit qu’en
réanimation, après normalisation de la volémie et
rééquilibration hydroélectrolytique. Les pertes
hydrosodées sont étroitement surveillées et
compensées volume pour volume.
Bisphosphonates Diurétiques de l'anse
Attendre les résultats de l'enquête + Calcitonine EER si anurie
Épuration extrarénale
+ Corticoïdes Bisphosphonates
(hémodialyse ou dialyse péritonéale) Calcitonine
L’effet est immédiat et transitoire. La lourdeur de + Corticoïdes
la technique fait réserver ce traitement aux formes
menaçant le pronostic vital à très court terme ainsi
Traitement étiologique
qu’aux formes oligoanuriques.

1 Arbre diagnostique.
‚ Indications thérapeutiques EER : épuration ectrarénale.
Voir la figure 1.

Dominique Joly : Chef de clinique-assistant,


service de néphrologie (Professeur Grünfeld), hôpital Necker, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : D Joly. Hypercalcémie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1350, 1998, 4 p

Références

[1] Beall DP, Scofield RH. Milk-alkali syndrome associated with calcium carbon- [4] Consensus Development Conference Panel. NIH Conference.. Diagnosis and
ate consumption. Report of 7 patients with parathyroid hormone levels and an management of asymptomatic primary hyperparathyroidism. Consensus Develop-
estimate of prevalence among patients hospitalized with hypercalcemia. Medicine ment Conference Statement. Ann Intern Med 1991 ; 114 : 593-604
(Baltimore) 1995 ; 74 : 89-96
[5] Rosol TJ, Capen CC. Mechanisms of cancer-induced hypercalcemia. Lab
[2] Bilezikian JP. Management of hypercalcemia. J Clin Endocrinol Metab 1993 ; Invest 1992 ; 67 : 680-702
77 : 1445-1448

[3] Bilezikian JP. Management of acute hypercalcemia. N Engl J Med 1992 ; 326 :
1196-1203

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AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

Hyperéosinophilie

J Cosserat, O Blétry

L ’hyperéosinophilie est définie par un chiffre absolu d’éosinophiles supérieur à 500/mm3. Face à une telle
situation, le clinicien s’efforcera d’éliminer une circonstance évidente, de rechercher des signes cliniques
d’orientation étiologique et d’identifier les situations à risque au cours desquelles l’hyperéosinophilie, quelle qu’en
soit sa cause, est susceptible d’entraîner des lésions tissulaires spécifiques.
© Elsevier, Paris.


– si l’hyperéosinophilie est importante toxocarose ou larva migrans, poumon éosinophile
Introduction (supérieure à 1 500/mm3), isolée et ancienne, tropical), fluctuante (anguillulose), ou suivre la
existe-t-il de minimes signes d’appel en faveur d’un classique courbe de Lavier (latence, ascension, puis
Les éosinophiles (fig 1) sont des cellules cancer ou d’une hémopathie sous-jacents, ou décroissance avec ou sans retour à la valeur
circulantes qui ne passent que quelques heures dans peut-on évoquer un syndrome hyperéosinophilique normale), comme au cours de l’ascaridiose, de la
le sang, puis vont migrer dans les tissus, notamment et rechercher ses atteintes viscérales spécifiques ? distomatose hépatique, de l’infection par le tænia, de
la peau, le poumon et le tube digestif. Ils sont l’ankylostomiase ou de la schistosomiase. Elle
culmine au moment des passages intratissulaires et


impliqués tout particulièrement dans les réactions
d’hypersensibilité immédiate et ont une capacité de Existe-t-il une cause évidente décroît progressivement lorsque le parasite regagne
phagocytose. Leurs granules contiennent des sous-jacente ? la lumière intestinale. Elle s’accompagne d’une
enzymes toxiques pour les parasites, mais aussi pour élévation des IgE sériques. L’interrogatoire précise
les cellules tumorales et les propres cellules de l’hôte. Les données de l’interrogatoire permettent non seulement les déplacements à l’étranger, la
Les cristaux de Charcot-Leyden sont formés par des d’emblée d’isoler ou de suspecter les contextes qui notion de baignades en eau douce, mais aussi les
phospholipases membranaires, et sont présents suivent. pratiques alimentaires, telles que la consommation
dans toutes les sécrétions où il existe une infiltration de poissons crus, de viandes crues ou peu cuites, de
importante d’éosinophiles, dont elles sont le simple ‚ Asthme et atopie cresson sauvage. Le diagnostic repose sur les
témoin. L’éosinophilie augmente de façon sérologies parasitaires et l’examen des selles, en
Au cours de l’asthme et des manifestations
physiologique chez la femme et le nourrisson, et sachant que l’élimination des œufs est décalée par
allergiques telles que la rhinite allergique et la
varie au cours des cycles nycthéméraux et rapport à l’éosinophilie et que la mise en évidence
trachéite spasmodique, une hyperéosinophilie
circadiens. L’hyperéosinophilie pathologique se des œufs de parasite à la phase d’état est
modérée (inférieure à 1 000/mm3) est souvent
définit par un chiffre absolu d’éosinophiles supérieur inconstante et nécessite la répétition des examens et
notée, associée parfois à une élévation des
à 500/mm3. Elle doit être constatée à plusieurs parfois la réalisation d’un tubage duodénal. Il est
immunoglobulines E (IgE). Une élévation supérieure
reprises avant d’être l’objet d’une enquête. parfois légitime d’avoir recours à un traitement
à 1 500 éosinophiles/mm3 doit faire évoquer le
Face à une hyperéosinophilie, le praticien doit d’épreuve en cas de forte suspicion de maladie
diagnostic d’angéite de Churg et Strauss, mais aussi
répondre successivement aux questions suivantes : parasitaire sans preuves formelles. On utilisera alors
celui d’asthme aspergillaire ou de maladie de
– existe-t-il une cause évidente sous-jacente en première intention le niclosamide et le
Hinson-Pepys, de parasitose (filariose ou larva
(asthme, atopie, parasitose, médicaments et flubendazole, puis l’albendazole et l’ivermectine.
migrans) ou de réaction médicamenteuse. Des
toxiques, radiothérapie) ? cristaux de Charcot-Leyden et des éosinophiles
– existe-t-il un point d’appel clinique dominant peuvent être retrouvés dans l’expectoration des En France
(peau, poumon, système digestif), des signes patients asthmatiques. L’hyperéosinophilie disparaît Chez les patients n’ayant pas quitté la France
généraux ou une atteinte multiviscérale ? lors des surinfections bactériennes ou sous métropolitaine, les diagnostics à évoquer en priorité
corticothérapie. L’association d’un asthme, d’une sont :
allergie à l’aspirine et d’une polypose nasale définit – le tænia (ingestion de viande de bœuf mal
le syndrome de Widal. cuite) ;
– la distomatose (transmise par le cresson
‚ Parasitoses sauvage), donnant un syndrome douloureux fébrile
Ce sont les helminthiases, essentiellement à cycle de l’hypocondre droit avec grande hyperéosi-
tissulaire, qui sont responsables. Le paludisme, la nophilie ;
toxoplasmose, la giardiase et la gale peuvent – l’anisakiase, parasite du poisson cru (hareng) à
l’origine d’un tableau pseudochirurgical ;
© Elsevier, Paris

exceptionnellement s’accompagner d’hyperéosino-


philie modérée, et les myases à hypoderme (larves – la trichinose (viande de porc ou de cheval mal
de mouche) sont parfois à l’origine d’une cuite), évoquée devant de la fièvre, des œdèmes des
augmentation importante des éosinophiles. extrémités ou du visage et des myalgies ;
1 Polynucléaires éosinophiles sur un frottis sanguin.
L’élévation peut être constante (trichinose, – le syndrome de larva migrans.

1
1-1280 - Hyperéosinophilie

Ce dernier est, comme l’anisakiase, une impasse


parasitaire (absence de possibilité de dévelop- Tableau I. – Hyperéosinophilies médicamenteuses [2].
pement du parasite dans l’organisme humain), liée Antibiotiques Antalgiques et anti-inflammatoires
principalement à Toxocara canis, survenant lors de
l’ingestion de terre ou d’aliments souillés. Acide nalidixique Aspirine
Céphalosporines Naproxène
L’hyperéosinophilie peut être considérable et Érythromycine Phénylbutazone
prolongée. L’expression clinique est souvent celle Isoniazide
d’un syndrome de Löffler, comportant une fébricule, Divers
Nitrofurantoïne
une toux et une dyspnée, ainsi que des infiltrats PAS Allopurinol
radiologiques migrateurs, le tout étant sponta- Pénicillines Alphaméthyldopa
nément résolutif en quelques semaines. Il s’y associe Rifampicine Amiloride
Sulfamides Béclométasone
une atteinte hépatique et oculaire. Les autres Tétracyclines Cromoglycate de sodium
étiologies sont : D-pénicillamine
– l’ascaridiase ; Fer
– l’oxyurose (s’accompagnant d’un prurit anal) ; Halothane
Antifungiques, antiparasitaires
– l’échinococcose alvéolaire (Est de la France) ; Indanedione
Amphotéricine B Interleukine 2
– l’hydatidose (rare mais possible dans le Sud de L-tryptophane
Flucytosine
la France). Phénindione
Psychotropes et antiépileptiques Potassium
Hors de l’Europe Produits iodés
Barbituriques Protéines injectables
Les helminthiases les plus répandues hors Carbamazépine
Triamtérène
d’Europe sont l’anguillulose, l’ankylostomiase et Diphénylhydantoïne
Imipraniques Sels d’or
l’ascaridiase. Vaccins
Phénothiazines
Les autres sont à évoquer en fonction de la
clinique et de l’origine géographique (filarioses, Antidiabétiques oraux
onchocercose, bilharzioses, distomatoses intestinales Chlorpropamide
et pulmonaires...) [4]. La démarche diagnostique Tolbutamide
complète sort du cadre de cet article et est abordée Cytotoxiques
dans le tome 4 de cet ouvrage.
Bléomycine
Méthotrexate
‚ Médicaments
Procarbazine
Les plus souvent en cause sont :
– la pénicilline, PAS : acide para-aminosalicylique.

– l’ampicilline,
– la chlorpromazine ; ‚ Toxiques Sézary, papulomatose lymphomatoïde), ou des
– les sels d’or ; vascularites. La mastocytose s’accompagne dans un
Il s’agit en particulier des expositions
– la rifampicine ; tiers des cas d’une hyperéosinophilie qui n’est que
professionnelles au benzène, au mercure et au
– les sulfamides ; rarement franche. Les allergies médicamenteuses
nickel, mais aussi au sulfate de cuivre ou de carbone
– les salicylés ; peuvent avoir une composante cutanée. Le
et au phosphore. Le tabagisme chronique entraîne
– la calciparine ; syndrome de Gleich comporte une hyperéosino-
parfois une hyperéosinophilie.
philie, des œdèmes massifs survenant de façon
– les héparines de bas poids moléculaire.
‚ Radiothérapie brutale et de résolution spontanée, et une élévation
Les principales étiologies sont résumées dans le
des IgM et des IgE sériques. Les dermatoses
tableau I. L’arrêt du traitement entraîne le retour à la Elle entraîne fréquemment une hyperéosino- beaucoup plus rares sont le syndrome de Wells
normale en quelques semaines au maximum. Il philie, qui peut aussi s’observer au cours de (cellulite à éosinophiles avec placards érythémateux
s’agit d’une complication peu fréquente, d’intensité l’exposition professionnelle aux radiations. infiltrés et bulles), la maladie de Kimura (hyperplasie
variable, s’accompagnant de signes cliniques et
angiolymphoïde), l’incontinentia pigmenti (affection
biologiques polymorphes tels qu’une fièvre, des


congénitale associant troubles de la pigmentation et
adénopathies, une éruption cutanée, des troubles
Existe-t-il un point d’appel retard de croissance). Enfin, le syndrome
respiratoires, une atteinte hépatique ou rénale. clinique dominant ? hyperéosinophilique (cf infra) peut avoir une
L’injection de produit de contraste iodé peut, elle
expression clinique purement dermatologique.
aussi, s’accompagner d’une hyperéosinophilie
modérée et le plus souvent isolée. Le syndrome de ‚ Dermatoses
‚ Poumon éosinophile
Widal associe l’existence de polypes nasaux, d’un De très nombreuses dermatoses peuvent
asthme lié à la prise d’aspirine et d’une s’accompagner d’une hyperéosinophilie sans que Il correspond à de nombreuses étiologies que l’on
hyperéosinophilie. celle-ci ne constitue un élément d’orientation. Outre peut évoquer en fonction du caractère prédominant
La consommation de L-tryptophane, contenu l’eczéma atopique, l’urticaire, l’angio-œdème et les de l’atteinte pulmonaire, ou au contraire de son
dans un certain nombre de préparations dermatites allergiques de contact, les piqûres évolution dans un contexte plus riche [5]. L’infiltration
parapharmaceutiques et diététiques, a été d’insectes peuvent être en cause. Les dermatoses pulmonaire parenchymateuse ne s’accompagne pas
responsable d’un syndrome associant des myalgies bulleuses telles que la pemphigoïde bulleuse, le constamment d’une hyperéosinophilie sanguine. Si
et une hyperéosinophilie, ainsi que des pemphigus et la dermatite herpétiforme sont aussi l’atteinte pulmonaire est isolée ou dominante, les
manifestations respiratoires fugaces et des œdèmes. incriminées. Les autres sont d’une part le psoriasis et origines sont principalement médicamenteuses,
Les biopsies musculaires réalisées ont montré des l’érythème polymorphe et d’autre part les atteintes parasitaires, allergiques ou idiopathiques. Le
infiltrats inflammatoires et parfois un aspect de cutanées de pathologies parasitaires (filaires, classique syndrome de Löffler, décrit plus haut, peut
vascularite. Les produits incriminés ont depuis été dermatite cercarienne), hématologiques être l’expression de l’ensemble de ces pathologies,
retirés du commerce. (lymphomes T, mycosis fongoïde, syndrome de ou rester de cause indéterminée.

2
Hyperéosinophilie - 1-1280

Maladies parasitaires fasciites, comportant une induration sous-cutanée


Au cours des maladies parasitaires, les touchant les membres de façon bilatérale et
symptômes pulmonaires peuvent survenir sans que symétrique, avec aspect en « peau d’orange » et
l’helminthe n’ait de passage local. En Europe, dépression des trajets vasculaires. Il ne comporte pas
l’ascaridiase et la toxocarose sont les plus de phénomène de Raynaud et les complications
fréquemment en cause. Dans les pays tropicaux, on viscérales sont rares. Des atteintes hématologiques
peut évoquer les filarioses, à l’origine du « poumon souvent sévères peuvent s’y associer, en particulier
éosinophile tropical » décrit par Weingarten en 1943, des aplasies médullaires.
mais aussi les schistosomiases, la distomatose Le syndrome éosinophilie-myalgies, lié à la prise
pulmonaire ou paragonimose, l’anguillulose et de L-tryptophane, donne le même tableau, associé à
l’ankylostomiase. L’aspergillose pulmonaire des atteintes viscérales, notamment pulmonaires et
allergique, ou maladie de Hinson-Pepys, constitue un neurologiques.
tableau d’asthme aspergillaire avec des signes Au cours de la périartérite noueuse, une
généraux et une expectoration importante, hyperéosinophilie est présente dans environ un tiers
purulente et parfois hémoptoïque. Les aspects des cas, essentiellement lorsqu’il existe un asthme,
radiologiques sont très variables (infiltrats faisant alors discuter un syndrome de Churg et
migrateurs, atélectasie, foyers non systématisés), et Strauss.
peuvent persister en dehors des poussées. Il peut 2 Pneumonie de Carrington. Aspect radiologique Dans les formes sans asthme, la prévalence est
parfois s’installer des bronchectasies séquellaires. (infiltrats périphériques). d’environ 5 % des patients. On peut en rapprocher
Biologiquement, il existe une élévation souvent les formes multiviscérales d’embolies de cholestérol,
importante des IgE totales et spécifiques et des Il s’agit essentiellement de la maladie cœliaque, de la dont le tableau est proche de celui de la périartérite
éosinophiles sanguins, et le diagnostic est confirmé maladie de Crohn et de la rectocolite hémorragique, noueuse, et où l’hyperéosinophilie peut
par la sérologie aspergillaire, plus fréquemment que et de la très rare maladie de Whipple. La diarrhée s’accompagner d’une hyperéosinophilurie.
par la mise en évidence de filaments aspergillaires apparaît parfois de façon très retardée. La La polyarthrite rhumatoïde est de diagnostic aisé,
dans l’expectoration. L’évolution est favorable sous gastroentérite à éosinophiles associe des douleurs d’autant qu’il s’agit en général de formes évoluées,
corticothérapie. abdominales, une infiltration éosinophilique de la avec nodules rhumatoïdes, atteinte oculaire
paroi digestive et une hyperéosinophilie (épisclérite), pulmonaire et vasculite.
Médicaments ou toxiques périphérique. Des antécédents atopiques sont L’angéite de Zeek est une angéite d’hypersensi-
souvent retrouvés, ainsi qu’une intolérance à bilité d’origine médicamenteuse, pourvoyeuse
Parmi les médicaments ou toxiques responsables
certains allergènes alimentaires (produits lactés d’hyperéosinophilie.
d’une atteinte pulmonaire, les principaux sont les
essentiellement). Elle recouvre plusieurs tableaux Les autres maladies multisystémiques en cause
antibiotiques, notamment de la classe des
anatomocliniques décrits par Klein [3] : sont essentiellement la maladie de Wegener, le
pénicillines, la nitrofurantoïne, les thiazidiques, la
– le type I est lié à une infiltration de la muqueuse syndrome de Gougerot-Sjögren, la sarcoïdose et
carbamazépine, la diphénylhydantoïne, le
et se traduit par une diarrhée avec malabsorption et l’histiocytose X.
méthotrexate, les sels d’or, la D-pénicillamine,
parfois entéropathie exsudative ;
l’amiodarone et les produits de contraste iodés. Les
– le type II comporte une infiltration de la


signes pulmonaires peuvent s’accompagner de Hyperéosinophilies supérieures
musculeuse et peut donner des tableaux
manifestations cutanées (urticaire et rash),
subocclusifs pyloriques ou intestinaux ;
à 1 500/mm 3 et persistant
articulaires ou digestives. Le tableau est soit celui plusieurs mois
– le type III, dû à l’infiltration de la séreuse, est à
d’un syndrome de Löffler, soit celui d’une
l’origine d’une ascite à éosinophiles. Leur diagnostic étiologique peut être fait
pneumopathie interstitielle.
L’atteinte digestive s’inscrit parfois dans un cadre d’emblée, en fonction du mode de présentation (les
plus vaste, notamment au cours du syndrome causes sont rappelées en italique dans la figure 3),
Autres atteintes pulmonaires
hyperéosinophilique (où peut exister par ailleurs une mais en l’absence de signes d’appels permettant de
Elles sont d’étiologie inconnue. atteinte hépatique et une pancréatite), des classer rapidement l’anomalie, il faut penser aux
La pneumonie de Carrington touche essentiel- vascularites ou des hémopathies à localisation hémopathies et aux cancers.
lement la femme et comporte une dyspnée évoluant digestive.
dans le cadre d’une altération de l’état général fébrile ‚ Hémopathies
avec syndrome inflammatoire, et radiologiquement, ‚ Signes généraux ou atteinte Au cours de la maladie de Hodgkin, l’hyperéosi-
un infiltrat pulmonaire bilatéral et périphérique multiviscérale nophilie est rare mais parfois majeure et
réalisant le négatif photographique de l’image Parmi les maladies systémiques s’accompagnant correspondant à une forme sévère. Les lymphomes
classique de l’œdème aigu du poumon (fig 2). Elle d’une hyperéosinophilie, les plus fréquemment en non hodgkiniens, essentiellement de type T (mais
est très sensible à la corticothérapie. L’hyperéosino- causes sont : aussi de type B), sont aussi pourvoyeurs
philie y est présente deux fois sur trois. Le poumon – l’angéite de Churg et Strauss ; d’hyperéosinophilie, qu’ils soient épidermotropes
éosinophile peut enfin s’intégrer dans le cadre d’une – le syndrome de Shulman ; (mycosis fongoïde, syndrome de Sézary) ou non
atteinte multiviscérale, notamment au cours des – la périartérite noueuse ; (leucémie-lymphome T à HTLV-1 [human T-cell
vascularites et en particulier du syndrome de Churg – la polyarthrite rhumatoïde. lymphoma virus], granulomatose lymphomatoïde).
et Strauss, mais aussi au cours du syndrome L’angéite de Churg et Strauss survient en général La présentation clinique de certains de ces
hyperéosinophilique. Précisons par ailleurs que tous chez des patients aux antécédents d’asthme lymphomes est parfois trompeuse, et peut parfois
les épanchements pleuraux peuvent s’accompagner allergique, qui peut précéder de plusieurs années mimer une vasculite cutanée.
d’un afflux local d’éosinophiles, parfois associé à une l’apparition d’une vascularite systémique sévère Les autres hémopathies sont la leucémie
hyperéosinophilie sanguine. proche de la périartérite noueuse. Il existe dans myéloïde chronique, et les leucémies lymphoïdes
certains cas un facteur déclenchant cette évolution, aiguës ou chroniques.
‚ Signes digestifs notamment une cure de désensibilisation ou une
Lorsque les signes digestifs sont au premier plan, piqûre d’insecte. ‚ Cancers
après avoir éliminé soigneusement une parasitose, Le syndrome de Shulman est une forme de L’hyperéosinophilie peut précéder de plusieurs
plusieurs affections digestives doivent être évoquées. sclérodermie, faisant partie des panniculites avec années la découverte d’un cancer digestif (colique

3
1-1280 - Hyperéosinophilie

Définition : polynucléaires éosinophiles


Hyperéosinophilie En italique : éosinophilie > 1 500/mm3
sanguins > 500/mm3 lors de plusieurs d'évolution chronique
Orientation diagnostique
examens successifs

Interrogatoire : antécédents allergiques, médicaments, radiothérapie


Examen clinique complet dont peau, poumon et tube digestif
Biologie : NFS, plaquettes, VS, IgE totales,
parasitologie des selles répétée
Cliché de thorax

Dermatoses Poumons éosinophiles


Terrain atopique - Aigu (type Löffler) : Hémopathies
Asthme, rhinite allergique, eczéma Toxidermies médicamenteuses, Lymphomes T, lymphome B,
pemphigoïde bulleuse, iatrogène (bêtalactamines,
cyclines, macrolides, sulfamides, maladie de Hodgkin,
Parasitoses mycosis fongoïde, Sézary, leucémies aiguës lymphoblastiques,
mastocytose systémique produits iodés)
Oxyurose, trichocéphalose, tænia, parasitoses en phase de migration syndromes myéloprolifératifs,
ascaridiase, distomatose, trichinose, cellulite à éosinophiles syndrome de Wiskott-Aldrich
(syndrome de Wells), tissulaire (ascaridiase, anguillulose,
ankylostomiase, bilharziose, ankylostomiase, trichinose, (déficit immunitaire avec
anguillulose, filariose, hyperplasie angiolymphoïde de thrombopénie), maladie
Kimura, incontinentia pigmenti bilharziose, distomatose)
toxocarose, anisakiase, hydatidose fissuraire, de Fanconi (aplasie médullaire congénitale),
échinococcose alvéolaire - Chronique déficit sélectif en IgA, syndrome
Maladies digestives de Job-Buckley (hyper-IgE avec infections)
Crohn, Whipple, médicaments (méthotrexate, procarbazine,
Médicaments et toxiques nitrofurantoïne, sulfamides, cromoglycate,
Sels d'or, antibiotiques (pénicilline, isoniazide), gastroentérite à éosinophiles, Néoplasies
cirrhoses, pancréatites, béclométasone, procaïnamide, tocaïnamide,
amphotéricine B, carbamazépine, imipramine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, Tube digestif, bronches, sein, utérus,
L-tryptophane cholangite sclérosante histiocytofibrome malin,
sels d'or)
Syndrome de l'huile toxique impasses parasitaires (filariose, toxocarose, carcinome bronchioloalvéolaire
Collagénoses
Fasciite à éosinophiles, bilharziose, paragonimose)
Radiothérapie aspergillose bronchopulmonaire allergique Syndrome hyperéosinophilique
angéite de Churg et Strauss, Hyperéosinophilie > 1 500 mm3 depuis plus
périartérite noueuse, (maladie de Hinson-Pepys)
Infections vascularites (Churg et Strauss, Zeek) de 6 mois sans étiologie décelable,
Coccidioïdomycose, aspergillose, polyarthrite rhumatoïde, compliquée de manifestations viscérales
granulomatoses de Wegener, pneumonie chronique à éosinophiles
VIH, VHC, salmonelles, brucelles, (maladie de Carrington)
bacille de Koch, bacille de Hansen angéite de Zeek, lupus,
Gougerot-Sjögren, syndrome hyperéosinophilique
sarcoïdose, histiocytose,
embolies de cholestérol

3 Orientation diagnostique de l’hyperéosinophilie. NFS : numération formule sanguine ; VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; VHC : virus de l’hépatite C ; VS :
vitesse de sédimentation.

surtout), mais aussi bronchique, mammaire, utérin, syndrome cérébelleux, méningite, neuropathie l’interféron alpha et à l’hydroxyurée. Le principal
ovarien, rénal, thyroïdien. Certaines de ces tumeurs périphérique, thrombose cérébrale). Les signes risque évolutif est la survenue d’une réelle
sont à croissance lente (histiocytofibrome malin, cutanés comportent des nodules, des ulcérations hémopathie (leucémie ou lymphome).
cancer bronchiolaire sclérosant intravasculaire). muqueuses, un prurit, des lésions érythémateuses
La leucémie à éosinophiles comporte une
Elle peut être aussi l’expression d’une ou angio-œdémateuses. Une atteinte oculaire de
hyperéosinophilie majeure atteignant parfois
dissémination métastatique. type ischémique est souvent présente. Le pronostic
50 000/mm 3 , et peut s’accompagner d’une
est lié à l’atteinte cardiaque, responsable de 70 %
‚ Syndrome hyperéosinophilique infiltration tissulaire analogue à celle du syndrome
des décès.
idiopathique (SHE) hyperéosinophilique. Il existe alors des formes
Deux entités sont individualisées :
immatures d’éosinophiles et fréquemment des
Il est classiquement défini par une élévation des – SHE de type allergique, avec élévation des IgE
anomalies cytogénétiques.
éosinophiles supérieure à 1 500/mm3, pendant plus sériques, sensible à la corticothérapie ;
de 6 mois, après élimination de toutes les causes – SHE de type myéloprolifératif, avec splénomé-
précédentes [1]. Il touche en priorité les hommes âgés galie, élévation de la vitaminémie B12 et des ‚ Autres causes d’hyperéosinophilie
de 20 à 50 ans. transcobalamines, et effondrement du score des
L’hyperéosinophilie peut s’accompagner d’autres phosphatases alcalines leucocytaires. Maladies infectieuses
anomalies hématologiques : anémie, thrombopénie Ce dernier est de pronostic plus réservé, résistant
ou hyperplaquettose, élévation des polynucléaires à la corticothérapie et nécessitant le recours à Certaines maladies infectieuses peuvent
neutrophiles. Une partie de ces éosinophiles a des s’accompagner d’une hyperéosinophilie,
caractéristiques particulières évocatrices d’activation, essentiellement à la phase de convalescence. Ce
de potentiel cytotoxique et de résistance à la sont essentiellement :
corticothérapie. La traduction clinique peut être – l’endocardite d’Osler ;
multiviscérale et varie en fonction des organes
– les pneumopathies à pneumocoques ;
atteints (cœur, système nerveux, peau, poumon,
– les gonococcies ;
tube digestif, foie, rate, œil). L’hyperéosinophilie est
– la scarlatine ;
parfois de découverte fortuite.
– la chorée ;
L’atteinte essentielle est la cardiopathie, qui peut
associer une atteinte myocardique et une fibrose – la brucellose ;
endomyocardique (fig 4). Le tableau réalisé est celui – les mycobactéries ;
d’une cardiomyopathie restrictive avec adiastolie. – la syphilis secondaire ;
Les manifestations neurologiques peuvent précéder – la lèpre ;
l’atteinte cardiaque (céphalées, troubles de la 4 Thrombus intracardiaque au cours d’une fibrose – les salmonelloses ;
endomyocardique.
conscience, convulsions, encéphalopathie diffuse, – la mononucléose infectieuse ;

4
Hyperéosinophilie - 1-1280

– les infections par le virus de l’immunodéfi- congénitale) et le déficit sélectif en IgA sont aussi en enfin une exceptionnelle forme génétique
cience humaine (VIH), le virus de l’hépatite C (VHC) cause. d’hyperéosinophilie asymptomatique, transmise sur
ou HTLV-1. le mode autosomique dominant.
Certains organes peuvent être le siège d’une
infiltration d’éosinophiles, parfois sans


Déficits immunitaires
augmentation de leur taux sanguin. Il s’agit
Plusieurs déficits immunitaires, notamment le Conclusion
principalement de la vessie (cystite à éosinophiles
syndrome de Wiskott-Aldrich, associant un eczéma
révélée par une hématurie et des douleurs), de
chronique, une thrombopénie, une sensibilité aux L’hyperéosinophilie est une anomalie
l’os (granulome à éosinophiles), du myocarde, du
infections et une élévation des IgE, s’accompagnent hématologique présente au cours d’un très grand
tube digestif et de la sphère oto-rhino-
d’hyperéosinophilie. nombre de pathologies, en particulier allergiques,
laryngologique.
Le syndrome de Job et Buckley comporte toxiques et parasitaires. Certains organes sont une
cliniquement une dysmorphie, une dermatose La dialyse péritonéale, l’hémodialyse, l’infarctus cible privilégiée des pathologies à éosinophiles ou
folliculaire et des infections cutanées et respiratoires, du myocarde, le syndrome de Dressler, les avec hyperéosinophilie, notamment la peau, le
et biologiquement une augmentation considérable pancréatites, la splénectomie, les brûlures étendues, poumon et le tube digestif. Lorsque l’hyperéosino-
des IgE sériques (30 à 50 000 UI/mL) et une la maladie de Biermer, la maladie d’Addison et la philie est importante et prolongée, indépen-
hyperéosinophilie. drépanocytose peuvent, pour mémoire, damment de sa cause, des lésions tissulaires
La maladie de Fanconi (aplasie médullaire s’accompagner d’une hyperéosinophilie. Il existe spécifiques peuvent survenir.

Julie Cosserat : Ancien chef de clinique-assistant,


service de médecine interne, institut mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France.
Olivier Blétry : Professeur des Universités, praticien hospitalier,
service de médecine interne, hôpital Foch, 40, rue Worth, 92150 Suresnes, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : J Cosserat et O Blétry. Hyperéosinophilie.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1280, 1998, 5 p

Références

[1] Coutant G, Blétry O. Pathologie de l’éosinophile. Aspects cliniques, pronosti- [4] Ranque S, Candolfi E, Himy R. Diagnostic et conduite à tenir devant une
ques et thérapeutiques. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris), Hématologie, 13-009- hyperéosinophilie parasitaire. Presse Med 1998 ; 27 : 370-375
A-10, 1993 : 1-12
[5] Stach B, Dansin E, Wallaert B, Tonnel AB. Poumon éosinophile. Encycl Med
[2] Delahaye F, Carbon C. Hyperéosinophilies. In : Dreyfus B, Breton-Gorius J, Chir (Elsevier, Paris), Pneumologie, 6-039-K-10, 1995 : 1-13
Reyes F, Rochant H, eds. L’hématologie. Paris : Flammarion Médecine-Sciences,
1992 : 603-612

[3] Klein NC, Hargrove RL, Sleisenger MH, Jeffries GH. Eosinophilic gastroen-
teritis. Medicine (Baltimore) 1970 ; 49 : 299-319

5
¶ 1-1290

Hyperglycémie de l’adulte
A. Hartemann-Heurtier

On peut distinguer deux conditions de découverte d’une hyperglycémie qui entraînent des démarches
pratiques différentes : soit l’hyperglycémie est découverte sur sa symptomatologie clinique (polyurie plus
polydipsie plus ou moins amaigrissement). Il n’y alors pas besoin de confirmer le diagnostic de diabète, et
la conduite en urgence dépend du contexte ; soit l’hyperglycémie est découverte fortuitement. Il faut alors
rassembler les arguments pour parler de diabète, préciser l’étiologie de celui-ci, et prendre en charge ce
diabète ou cette hyperglycémie non diabétique, avec une thérapeutique adaptée.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hyperglycémie ; Diabète de type 1 ; Diabète de type 2 ; Syndrome cardinal ; Acidocétose

Plan éventuelle polyphagie. Devant un tableau clinique de syndrome


polyuropolydipsique avec amaigrissement, il faut donc pratiquer
¶ Introduction 1
une glycémie capillaire, ou, en urgence, une glycémie veineuse,
et une recherche d’acétone dans les urines. L’hyperglycémie,
¶ Hyperglycémie cliniquement patente 1 lorsqu’elle est symptomatique, traduit nécessairement la
Patient âgé de plus de 20 ans, avec surpoids androïde, présence d’un diabète. Le degré d’urgence et la conduite à tenir
antécédents familiaux d’obésité ou de diabète de type 2 1 dépendent du contexte et de la présence d’acétone dans les
Patient mince, sans notion familiale de diabète de type 2 2 urines (Fig. 1).
Sujet âgé, sous traitement favorisant la déshydratation
(diurétiques) et/ou l’hyperglycémie (corticoïdes), avec un éventuel
tableau septique aigu (bronchite, gastroentérite, etc.) 2 Patient âgé de plus de 20 ans, avec
Patient plutôt mince, pour lequel on a la notion d’un alcoolisme surpoids androïde, antécédents familiaux
chronique, voire d’antécédents de douleurs abdominales
évocatrices de pancréatite chronique 2 d’obésité ou de diabète de type 2
¶ Hyperglycémie découverte fortuitement 3 Il peut éventuellement présenter d’autres « marqueurs » du
Première question à résoudre : s’agit-il d’un diabète ? 3 terrain favorisant le diabète non insulinodépendant (dit « de
Caractériser le diabète 3 type 2 ») (hypertension artérielle, dyslipidémie). Le diagnostic
¶ Hyperglycémie modérée à jeun 4 est celui de diabète de type 2 décompensé. Le diabète est
découvert par son expression clinique, ce qui traduit alors une
¶ Conclusion 4
carence insulinique et une insulinorésistance importantes. Les
antidiabétiques oraux risquent de ne pas être efficaces dans ce
contexte. Un critère permettant de savoir si le recours à
l’insuline s’impose temporairement mais rapidement est la
■ Introduction présence ou non d’une cétonurie : la présence de corps cétoni-
ques dans les urines traduit l’intensité du métabolisme catabo-
L’hyperglycémie est une urgence diagnostique thérapeutique
lique, lui-même secondaire à la carence insulinique. Il faut alors
lorsqu’elle est symptomatique, car il ne faut pas passer à côté
hospitaliser le patient dans les 24 heures, afin de le traiter
d’une acidocétose ou d’un précoma hyperosmolaire. En revan-
transitoirement par l’insuline et de rechercher le facteur
che, l’hyperglycémie de découverte fortuite laisse le temps de
déclenchant éventuel de cette décompensation.
l’enquête étiologique. Celle-ci repose sur l’interrogatoire et
En l’absence d’acétone, on peut tenter une prise en charge en
l’examen clinique essentiellement.
ambulatoire avec prescription d’un régime hypocalorique et une
suppression des boissons sucrées, associée à un traitement par
■ Hyperglycémie cliniquement biguanides (Glucophage retard®, 2 cp/j) en l’absence de contre-
indications (vérification de la fonction rénale et hépatique, état
patente cardiovasculaire et respiratoire, etc.). Il est nécessaire alors de
revoir le patient dans les 7 jours, avec un contrôle de la
Lorsque la glycémie dépasse 2 g/l à jeun ou en postprandial, glycémie à jeun et postprandiale, et une recherche d’acétone
il existe une glycosurie responsable d’une polyurie. Celle-ci dans les urines, afin de vérifier l’efficacité de ces premières
entraîne une déshydratation globale avec soif et polydipsie. La mesures. Si la prise en charge demeure ambulatoire, il faut
carence en insuline (qu’elle soit absolue ou relative) est respon- compléter le bilan par la recherche d’un facteur déclenchant,
sable d’une augmentation du métabolisme de base avec déper- des complications du diabète et des autres facteurs de risques
dition énergétique entraînant un amaigrissement, malgré une cardiovasculaires (Tableau 1).

Traité de Médecine Akos 1


1-1290 ¶ Hyperglycémie de l’adulte

Hyperglycémie clinique

> 20 ans + < 40 ans + > 60 ans Alcoolisme


surpoids + = diabète type 2 mince + = diabète type 1 ± +
diabète type 2 familial ± décompensé pas de diabète corticoïdes mince
HTA, dyslipidémie type 2 familial ± +
diurétiques pancréatite
± chronique
fièvre
Acétone urines Acétone ?

+ –
Urgences Hospitalisation
+ – Samu Acétone urines dans les 24 h

+ –
Hospitalisation Créatinine
dans les 24 h État cardiorespiratoire Actrapid® 10 UI Actrapid® 10 U sous-cutané
i.v. ou i.m. hospitalisation en 24 h

Régime + biguanides
Urgences

Glycémie à jeun et PP

Acétone urines à j7

+ –

Bilan prise Hospitalisation


en charge diabète type 2

Figure 1. Arbre décisionnel. Conduite à tenir devant une hyperglycémie symptomatique. HTA : hypertension artérielle ; i.v. : intraveineux ;
i.m. : intramusculaire ; PP : postprandial.

Tableau 1. S’il n’y a pas d’acétone dans les urines, le degré d’urgence est
Bilan de prise en charge initiale d’un diabète de type 2. moindre, et l’on peut organiser l’hospitalisation du patient dans
Recherche d’un facteur de décompensation : foyer dentaire, ORL, ECBU
les 24 heures en service spécialisé, après avoir injecté 10 unités
si nitrites bandelette urinaire +, ECG, TSH, VS d’insuline rapide en sous-cutané.
Recherche d’une complication : fond d’œil, créatinine, dosage
de microalbuminurie, ECG, Doppler artériel si clinique évocatrice Sujet âgé, sous traitement favorisant
d’athérome la déshydratation (diurétiques) et/ou
Bilan des facteurs de risques cardiovasculaires : cholestérol total et HDL, l’hyperglycémie (corticoïdes),
triglycérides, tension artérielle
avec un éventuel tableau septique aigu
ECBU : étude cytobactériologique des urines ; TSH : thyroid stimulating hormone ;
VS : vitesse de sédimentation ; HDL : high density lipoprotein ; ECG : (bronchite, gastroentérite, etc.)
électrocardiogramme ; ORL : oto-rhino-laryngologique.
Il faut penser au risque de coma hyperosmolaire, et recher-
cher cliniquement des signes de déshydratation (langue sèche,
soif, pli cutané, tension artérielle). L’hospitalisation en urgence
Patient mince, sans notion familiale est alors nécessaire pour assurer la réhydratation et l’insulino-
de diabète de type 2 thérapie qui s’imposent dans ce contexte.

Le diagnostic le plus probable est celui de diabète insulino- Patient plutôt mince, pour lequel
dépendant (dit « de type 1 »). Il faut rechercher des signes
cliniques d’acidose (polypnée, douleurs abdominales, troubles on a la notion d’un alcoolisme chronique,
digestifs), et une cétonurie avec une bandelette urinaire (la voire d’antécédents de douleurs
recherche d’une cétonémie est possible avec certains lecteurs de abdominales évocatrices de pancréatite
glycémie capillaire).
En cas de cétonurie simple (1 ou 2 croix), sans signe clinique
chronique
d’acidose, on peut injecter 10 unités d’insuline rapide en Le diagnostic le plus probable est celui de pancréatite chro-
intramusculaire (elle agit plus vite qu’en sous-cutané), et nique calcifiante. Les biguanides sont contre-indiqués (alcoo-
adresser immédiatement le patient aux urgences. lisme, cirrhose hépatique) et les sulfamides dangereux (risque
En cas de signes cliniques d’acidose métabolique ou en d’hypoglycémie sévère et prolongée). La mise en route d’une
présence d’une cétonurie massive, il faut assurer un transfert insulinothérapie adaptée (petites doses, en évitant les hypogly-
aux urgences en transport médicalisé. cémies) est nécessaire en milieu hospitalier.

2 Traité de Médecine Akos


Hyperglycémie de l’adulte ¶ 1-1290

■ Hyperglycémie découverte présence d’une hypertension artérielle [HTA]) il est surtout


important de prendre en charge les facteurs de risque cardiovas-
fortuitement (Fig. 2) culaire et d’aider le patient à modifier son mode de vie afin de
prévenir l’apparition du diabète.
Première question à résoudre : Il n’y a donc que dans le cas d’une glycémie anormale mais
s’agit-il d’un diabète ? ne dépassant pas 1,26 g/l à jeun, ni 2 g/l en postprandial, qu’il
est licite de demander une HGPO afin de conclure entre le
La définition du diabète repose sur les conclusions de diagnostic de diabète et celui d’hyperglycémie modérée à jeun
plusieurs études épidémiologiques : il existe un risque de (Fig. 3).
rétinopathie à 15 ans, si la glycémie dépasse 1,26 g/l (7 mmo-
les/l) à jeun, ou 2 g/l à la 2e heure de l’hyperglycémie provo- Caractériser le diabète
quée par voie orale (HGPO). Les conséquences du diagnostic
sont donc importantes pour la prise en charge thérapeutique et Il faut maintenant caractériser ce diabète pour une thérapeu-
le suivi. Celui-ci doit être précis. Inversement, il faut éviter les tique adaptée. Tout dépend du contexte (Fig. 2).
prescriptions inutiles d’HGPO. Patient jeune, mince, sans antécédents familiaux
Le raisonnement à suivre est résumé dans la Figure 3. On
peut considérer qu’il existe un diabète, c’est-à-dire un risque de
de diabète de type 2
microangiopathie, si la glycémie à jeun, à deux reprises, dépasse Plusieurs diagnostics sont alors envisageables :
1,26 g/l (7 mmoles/l), ou bien si la glycémie est supérieure à • soit il s’agit d’un diabète secondaire pour lequel il convient
2 g/l à n’importe quel moment de la journée. En cas de valeur de rechercher des arguments par l’examen clinique et l’inter-
glycémique anormale mais ne dépassant pas ces valeurs-seuils, rogatoire : endocrinopathie (acromégalie, hypercorticisme,
on peut demander une HGPO. Mais si le contexte est en faveur hyperthyroïdie), médicaments (corticoïdes quel que soit le
d’un prédiabète de type 2 (présence d’un surpoids de localisa- mode d’administration, salbutamol, estrogènes de synthèse,
tion androïde, antécédents familiaux de diabète de type 2, diurétiques thiazidiques, etc.). Il convient alors d’arrêter, si

Figure 2. Arbre décisionnel.


Prise en charge d'un diabète Conduite à tenir devant un
de découverte fortuite diabète de découverte fortuite.
HTA : hypertension artérielle.

Sujet < 40 ans, mince Sujet > 20 ans, surpoids, > 40 ans, altération état général
Pas d'antécédent diabète type 2 familial ± douleur abdominale
familial de diabète type 2 ± HTA ± ictère
± dyslipidémie ± syndrome inflammatoire

Éliminer diabète secondaire Diabète type 2 Cancer du pancréas


- médicaments
- endocrinopathie

Hospitalisation sans urgence - Bilan initial diabète type 2 (tableau I)


pour bilan initial et décision - Diététique + exercice physique
thérapeutique - Information et éducation du patient
- Prise en charge de tous les facteurs
de risque cardiovasculaire

Figure 3. Arbre décisionnel. Définition du


diabète et de l’hyperglycémie modérée à jeun.
Hyperglycémie asymptomatique HTA : hypertension artérielle ; HGPO : hyper-
glycémie provoquée par voie orale.

Glycémie à jeun > 1,26 g/l à 2 reprises Glycémie à jeun < 1,26 g/l
ou
Glycémie non à jeun ≥ 2 g/l

Surpoids ? HGPO avec 75 g glucose


Antécédent

familial de diabète ?
HTA ?

+ Glycémie à la 2e heure

Prise en charge < 1,26 g/l = normal


comme un prédiabète ≥ 2 g/l = diabète
> 1,26 < 2 g = intolérance
aux hydrates de carbone

Traité de Médecine Akos 3


1-1290 ¶ Hyperglycémie de l’adulte

possible, les médicaments incriminés et de refaire une


glycémie à distance, ou bien de confirmer et de prendre en
■ Hyperglycémie modérée à jeun
charge l’endocrinopathie pour laquelle on a eu suffisamment Cette pathologie ne présente pas le risque de se compliquer
d’arguments cliniques ; de rétinopathie. En revanche, elle évolue dans 25 % des cas vers
• soit il s’agit d’un diabète de type 1 découvert de manière un diabète de type 2 dans les 10 ans, et peut augmenter le
fortuite, avant que l’hyperglycémie ne s’exprime clinique- risque de complications athéromateuses chez les patients ayant
ment ; déjà d’autres facteurs de risque. Elle s’observe dans le cadre du
• soit il s’agit d’un diabète de type MODY (maturity onset type
syndrome métabolique. Il convient donc de prendre efficace-
diabetes of the young) avec alors une notion d’hyperglycémie
ment en charge, sur le plan diététique, et de motiver pour une
familiale sans obésité.
activité physique régulière, les patients à risque, c’est-à-dire ceux
Dans tous ces cas atypiques, des examens spécialisés sont
qui présentent en plus de l’hyperglycémie :
nécessaires afin de préciser le diagnostic (autoanticorps anti-
GAD et anti-IA2 pour le diabète de type 1, recherche de • un surpoids androïde ;
mutation du gène de la glucokinase pour le diabète MODY 2) • des antécédents familiaux de diabète ;
et de proposer une prise en charge thérapeutique adaptée : • une HTA ;
insulinothérapie pour le diabète de type 1, mesures diététiques • un antécédent de diabète gestationnel.
pour les autres. Il faut donc proposer une hospitalisation, sans Enfin, il convient de prendre en charge les autres facteurs de
urgence, en milieu spécialisé, pour un bilan initial et la mise en risque cardiovasculaires : HTA, dyslipidémie, tabagisme. Cette
route, si besoin, d’une insulinothérapie. prise en charge, comme dans le cas du diabète de type 2, peut
être effectuée par une collaboration entre le médecin généra-
Patient présentant une surcharge pondérale liste, le diabétologue, voire d’autres spécialistes (cardiologue,
androïde et/ou des antécédents familiaux etc.).
de diabète, et/ou une dyslipidémie,
une hypertension artérielle, un athérome
Le diagnostic de diabète de type 2 est le plus probable. Il faut ■ Conclusion
alors intervenir à quatre niveaux :
• information et éducation du patient ; La découverte d’une hyperglycémie conduit dans la grande
• prise en charge thérapeutique : diététique, activité physique. majorité des cas au diagnostic de diabète. Il est important de ne
Puis biguanides (Stagid® ou Glucophage®) si nécessaire, dans pas passer à côté du diagnostic d’hyperglycémie aiguë qui est
un second temps, en l’absence de contre-indications ; une urgence médicale. Dans la plupart des cas on découvre le
• bilan des complications car ce diabète évolue certainement diabète de manière fortuite, et il s’agit alors typiquement d’un
depuis plusieurs années : fond d’œil, recherche d’une diabète de type 2 dans 90 % des cas, déjà associé dans 30 % des
microalbuminurie, électrocardiogramme ; cas à une complication chronique.
• bilan et prise en charge des facteurs de risque cardiovasculai-
.

res fréquemment associés : HTA, bilan lipidique, tabagisme


(Tableau 1).
Pour en savoir plus
Grimaldi A. Guide pratique du diabète. Paris: MMI éditions Masson; 2001.
Patient de plus de 40 ans, présentant
Grimaldi A. In: Traité de diabétologie. Paris: Médecine-Sciences
une altération de l’état général, avec Flammarion; 2005. p. 961p.
éventuellement douleur abdominale, voire ictère Young J. Endocrinologie, diabétologie et maladies métaboliques. Connais-
C’est probablement un cancer pancréatique. sances et pratiques. Paris: Elsevier-Masson; 2007.

A. Hartemann-Heurtier, Professeur des Universités, praticien hospitalier (agnes.heurtier@psl.aphp.fr).


Service d’endocrinologie-métabolisme, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Hartemann-Heurtier A. Hyperglycémie de l’adulte. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine
Akos, 1-1290, 2008.

Disponibles sur www.em-consulte.com


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décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

4 Traité de Médecine Akos


1-1330
1-1330

Hyperkaliémie
Encyclopédie Pratique de Médecine

D Joly

L ’hyperkaliémie est le plus grave des troubles hydroélectrolytiques : un arrêt cardiaque peut survenir à tout
instant dès lors que la kaliémie est supérieure à 7 mmol/L.
Elle doit donc être prévenue dans les circonstances qui favorisent son apparition, et reconnue rapidement lorsqu’elle
est installée. Le diagnostic étiologique est le plus souvent aisé. Le traitement, parfois très urgent, sera adapté à la
gravité biologique de la situation.
© Elsevier, Paris.


‚ Signes cliniques
Physiopathologie [3] Tableau I. – Principales causes
d’hyperkaliémie. Ils sont usuellement l’apanage des formes sévères
rapidement installées (hyperkaliémies aiguës), tandis
Fausses hyperkaliémies que les hyperkaliémies chroniques modérées sont
‚ Bilan du potassium
Prélèvement avec garrot serré volontiers asymptomatiques, tant au plan électrique
Le potassium (K) est le principal cation
Hémolyse in vitro du sang prélevé que clinique.
intracellulaire. Les cellules, en particulier musculaires, Thrombocytose > 1 000 000/mm3
abritent 98 % du potassium total de l’organisme. Hyperleucocytose > 150 000/mm3 Signes cardiaques
Une pompe (ATPase [acide adénosine triphospho- Érythropathie familiale
L’atteinte myocardique est fréquente et se traduit
rique] Na K) permet de maintenir un important Transfert du potassium intracellulaire vers le mi- par des signes électrocardiographiques diffus,
gradient entre milieux intra- et extracellulaires. Les lieu extracellulaire habituellement corrélés à la gravité de
apports de potassium sont alimentaires (environ 4 l’hyperkaliémie.
Acidose métabolique ou respiratoire
g/j), et les sorties sont fécales (5 %, obligatoires) et Destruction cellulaire massive : rhabdomyolyse,
rénales (95 %, régulables). Le maintien d’une lyse tumorale des chimiothérapies
kaliémie normale (3,5 à 5 mmol/L) est possible grâce Hypo-insulinisme Signes électrocardiographiques de
à des transferts transcellulaires de potassium à court Paralysie périodique hyperkaliémique l’hyperkaliémie. Les troubles sont
terme et à une régulation rénale à long terme. Traitement bêtabloquant diffus (non systématisés) et présentés
Intoxication digitalique
ici par ordre de gravité croissante.
‚ Transferts intracellulaires du potassium Défaut d’élimination rénale du potassium
✔ Augmentation d’amplitude des
Trois facteurs stimulent l’entrée du potassium Insuffısance rénale aiguë
dans les cellules : Insuffısance rénale chronique ondes T : étroites, pointues,
– la stimulation β2-adrénergique ; Déficit minéralocorticoïde : insuffısance surréna- symétriques.
– l’insuline ;
lienne, hyporéninisme/hypoaldostéronisme ✔ Segment ST en forme de S italique
Traitement par spironolactone, amiloride, AINS, (S) ; segment QT de longueur
– un pH alcalin. IEC
normale.
‚ Régulation rénale du potassium Surcharge ✔ Diminution d’amplitude, voire
Après filtration glomérulaire, le potassium est Perfusion intraveineuse de potassium disparition, des ondes P.
totalement réabsorbé au niveau du tube contourné Apports oraux de potassium, dont les sels de ✔ Troubles conductifs
régime auriculoventriculaires : bloc
proximal et de l’anse de Henlé. Une sécrétion distale
permet son élimination urinaire. Cette sécrétion sinoauriculaire, bloc
AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; IEC : inhibiteur de l’enzyme
tubulaire distale est finement régulée et est en de conversion. auriculoventriculaire de tous degrés.
pratique stimulée par : ✔ Troubles conductifs
– l’hyperkaliémie ;
– l’aldostérone ;
– un pH alcalin ;
– un débit urinaire élevé. ‚ Dosage plasmatique

Diagnostic
intraventriculaires : élargissement de
la QRS, rotation gauche de l’axe du
cœur.
✔ Troubles du rythme ventriculaire :
L’hyperkaliémie est définie par une concentration tachycardie ventriculaire, fibrillation
‚ Hyperkaliémie ventriculaire ou asystolie.
du potassium plasmatique supérieure à 5 mmol/L. Il
L’apparition d’une hyperkaliémie suppose la
© Elsevier, Paris

faut systématiquement envisager la possibilité d’une


conjonction de deux facteurs : fausse hyperkaliémie (tableau I). L’hémolyse in vitro
– une augmentation de l’apport potassique du sang prélevé est de loin la première cause
extracellulaire, alimentaire ou intracellulaire ; d’erreur diagnostique et impose parfois un second Ces signes sont en règle présents dès que la
– un défaut d’excrétion rénale. prélèvement. kaliémie est supérieure à 6 mmol/L. Le pronostic

1
1-1330 - Hyperkaliémie

vital est en jeu dès que la kaliémie est supérieure à 7


mmol/L, un trouble du rythme ventriculaire mortel Tableau II. – Résines hypokaliémiantes.
pouvant survenir à tout instant. Il n’y a cependant Kayexalatet (polystyrène de sodium) : 1 mesurette = 15 g
pas de parallélisme strict entre la kaliémie et les Calcium-Sorbistéritt (polystyrène de calcium) : 1 mesurette = 15 g
anomalies électriques. L’acidose métabolique et
Action : résine non résorbée, fixe le K+ dans le tube digestif contre un autre cation ; l’effet est tardif (2 à 4 h)
l’hypocalcémie majorent le risque cardiaque. et modéré (soustraction de 1 à 1,5 mmol/L)
Indication : hyperkaliémie non menaçante, en particulier chez le dialysé
Signes neuromusculaires périphériques Posologie : 1 mesurette/j ou /48 h
Effets indésirables fréquents : constipation, gastralgies, nausées
Ces signes sont exceptionnellement observés car
Précaution : risque d’hypokaliémie ; interrompre ou espacer si K+ < 5 mmol/L
très tardifs et inconstants :
– paresthésies péribuccales, acroparesthésies ;
– troubles de la sensibilité profonde ;
– paralysies flasques extensives et aréflectiques Traitement des hyperkaliémies graves
débutant aux extrémités ;
Hospitalisation en réanimation et surveillance cardioscopique continue.
– paralysies des nerfs crâniens.
✔ Mise en place d’une voie veineuse périphérique.
✔ Mesure d’effet immédiat : protéger le myocarde en cas d’anomalies


électrocardiographiques ; en l’absence de traitement digitalique, injection
Étiologie [3]
intraveineuse lente d’une ampoule de gluconate de calcium à 10 %. La protection
contre l’hyperexcitabilité myocardique est transitoire.
✔ D’efficacité rapide (30 minutes) : transférer le potassium en intracellulaire :
De très nombreux facteurs peuvent favoriser la – alcalinisation : 50 mL de bicarbonate de sodium à 42 ‰ en 15 minutes ;
survenue d’une hyperkaliémie et sont volontiers – perfusion intraveineuse de 500 mL de glucosé à 30 % avec 30 UI d’insuline
associés chez un même patient (tableau I). En ordinaire en 30 minutes ;
pratique, le diagnostic étiologique est souvent trivial. – perfusion intraveineuse d’agents β2-mimétiques (SalbumolTM 0,5 mg dans 100 mL
■ Penser à la possibilité d’une hémolyse in vitro en 15 minutes).
que le laboratoire signale parfois. En cas de doute, il Alcalinisation et glucosé/insuline sont souvent associés, mais contre-indiqués en cas
ne faut pas hésiter à refaire le prélèvement, tout en d’œdème pulmonaire, car ils aggravent la surcharge. Les agents β2-mimétiques ont
étudiant l’électrocardiogramme (ECG) dans l’attente une efficacité inconstante et variable.
des résultats. ✔ D’efficacité retardée (2 heures) : résine échangeuse d’ions :
■ Évoquer systématiquement quatre causes – Kayexalatet per os : 2 mesurettes (30 g) ;
fréquentes d’hyperkaliémie : une insuffisance rénale – Kayexalatet en lavement : 60 g.
aiguë ou chronique, une insuffisance surrénalienne Ces mesures ont une efficacité modérée, permettant le plus souvent de faire baisser
lente ou aiguë, une lyse cellulaire (rhabdomyolyse, la kaliémie de 1 à 1,5 mmol en 1 heure, en attendant la mise en œuvre d’une séance
chimiothérapie) et les médicaments. d’épuration extrarénale.
✔ Épuration extrarénale : le plus souvent par hémodialyse contre un bain pauvre


en potassium, ce qui permet de corriger complètement et rapidement la kaliémie.
Traitement [1, 2] Une épuration extrarénale prolongée, voire continue, est nécessaire lorsque
l’hyperkaliémie est rapidement évolutive, due à une cause difficilement contrôlable
(lyse cellulaire).
‚ Traitement ambulatoire
Il est possible de traiter une hyperkaliémie en Il s’agit souvent en pratique d’une hyperkaliémie ‚ Traitement hospitalier
ambulatoire si les conditions suivantes sont chez un patient porteur d’une insuffisance rénale
Il est impératif dans les situations suivantes :
remplies : chronique, éventuellement dialysé. Outre
– hyperkaliémie sévère (> 6 mmol/L) ;
– hyperkaliémie modérée (< 6 mmol/L), l’insuffisance rénale, il faut rechercher un facteur
– hyperkaliémie rapidement évolutive (lyse
chronique ou non rapidement évolutive ; associé (erreur de régime, médicament hyperkalié-
cellulaire, insuffisance rénale aiguë) ;
– ECG normal ; miant) et ne pas hésiter à contacter un néphrologue
– cause et évolutivité incertaines ;
– cause identifiée et contrôlable. afin d’envisager l’action la plus appropriée.
– anomalies électrocardiographiques.
Il s’agit d’une urgence médicale dont le traitement
sera souvent assuré en réanimation.
Traitement des hyperkaliémies chroniques modérées à ECG normal
✔ Éviction des aliments riches en K+ : fruits secs, bananes, légumes, chocolat...
✔ Interruption de certains médicaments hyperkaliémiants : antialdostérones
(théoriquement contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale), IEC (la survenue
d’une hyperkaliémie avec poussée d’insuffisance rénale sous IEC doit faire

Conclusion

évoquer une maladie rénovasculaire ; les IEC ne sont pas contre-indiqués en La survenue d’une hyperkaliémie résulte souvent
situation d’insuffisance rénale chronique, mais motivent une surveillance de la conjonction de plusieurs facteurs faciles à
biologique stricte), AINS, sels de régime (les sels de régime doivent être évités chez identifier, au sein desquels la iatrogénie
l’insuffisant rénal car très riches en K+). médicamenteuse occupe une place croissante.
✔ Correction d’une éventuelle acidose métabolique (eau de vichy : 500 mL/j). La gravité de l’hyperkaliémie tient à son éventuel
✔ Prescription d’une résine échangeuse d’ions (Kayexalatet, Calcium-Sorbistéritt) retentissement cardiaque : l’ECG doit être
(tableau II). systématique. Le lieu et les modalités du traitement
✔ Prescription d’un diurétique hypokaliémiant (furosémide, bumétanide). sont adaptés à la gravité biologique et électrique du
trouble, ainsi qu’au contexte étiologique.

2
Hyperkaliémie - 1-1330

Dominique Joly : Chef de clinique-assistant,


Service de néphrologie du Pr Grünfeld, hôpital Necker-Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : D Joly. Hyperkaliémie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1330, 1998, 3 p

Références

[1] Allon M. Hyperkalemia in end-stage renal disease: mechanisms and manage- [3] Rose BD. Clinical physiology of acid-base and electrolyte disorders (4th ed).
ment [editorial]. J Am Soc Nephrol 1995 ; 6 : 1134-1142 New York : McGraw-Hill, 1994 : 848-852

[2] Blumberg A, Weidmann P, Shaw S, Gnadinger M. Effect of various therapeu-


tic approaches on plasma potassium and major regulating factors in terminal renal
failure. Am J Med 1988 ; 85 : 507-512

3
¶ 1-1270

Hyperlymphocytose
F. Lefrère, O. Hermine

L’hyperlymphocytose se définit par une augmentation absolue du nombre des lymphocytes circulants.
L’aspect cytologique des lymphocytes (sur le frottis sanguin) est primordial pour orienter le diagnostic. On
parle d’hyperlymphocytose en valeur absolue, lorsque le taux sanguin est supérieur à 4 × 109/l chez
l’adulte, supérieur à 8 × 10 9 /l chez l’enfant (jusqu’à 10 ans). Il faut distinguer les formes
d’hyperlymphocytoses aiguës et transitoires généralement en rapport avec une infection virale, des
formes chroniques (> 2 mois) témoignant le plus souvent d’une hémopathie maligne sous-jacente,
exigeant un avis spécialisé.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hyperlymphocytose ; Leucémie lymphoïde chronique ; Leucémie aiguë ;


Syndrome mononucléosique

Plan Hyperlymphocytose aiguë infectieuse


• Fréquente, surtout chez les enfants.
¶ Diagnostic différentiel 1 • Infections virales variées.
¶ Enquête étiologique 1 • Infections bactériennes rares comme la coqueluche ou la
Hyperlymphocytose aiguë infectieuse 1 brucellose.
Hyperlymphocytose chronique maligne 1
Hyperlymphocytose chronique maligne
(Fig. 1)

Elle doit bénéficier d’un avis spécialisé.


■ Diagnostic différentiel • Affecte uniquement l’adulte, surtout âgé.
• Chronique : elle doit persister au moins 2 mois.
Il est primordial d’éliminer les fausses hyperlymphocytoses. • Il faut rechercher un syndrome tumoral (souvent absent).
La fiabilité et la qualité du laboratoire sont importants. • Possibles anémies et/ou thrombopénies associées.
• Inversion de formule où la valeur absolue des lymphocytes
reste normale (faux problèmes). Leucémie lymphoïde chronique +++
• Lymphoblastes des leucémies aiguës lymphoblastiques. • Sujet plutôt âgé de plus de 50 ans.
• Grands lymphocytes bleutés des syndromes mononucléosi- • Plus ou moins des adénopathies symétriques souples, mobiles,
ques. plus ou mois splénomégalie, plus ou moins anémie et throm-
• Lymphocytes atypiques divers : variétés d’hémopathies bopénie.
lymphoïdes malignes chroniques. • Diagnostic en milieu spécialisé : population clonale de
lymphocytes sanguins de phénotype B (identifié par un
immunomarquage).

■ Enquête étiologique Maladie de Waldenström (rare)


Une hyperlymphocytose en est toutefois une circonstance
Elle tient compte de : révélatrice rare.
• âge, contexte clinique, comme des signes infectieux, toux,
adénopathies, anémie, thrombopénie associés ; Lymphomes leucémisés
• importance de la lymphocytose ; L’aspect des lymphocytes est le plus souvent suspect et le
• aspect des lymphocytes sur lame ; diagnostic précisé par l’immunophérotypage.
• caractère persistant de la lymphocytose ;
• recherche d’un syndrome inflammatoire ou d’une gammapa-
À part et très rare
thie monoclonale associée (vitesse de sédimentation, etc.). L’hyperlymphocytose polyclonale non maligne des fumeurs.

Traité de Médecine Akos 1


1-1270 ¶ Hyperlymphocytose

Hyperlymphocytose
> 4 × 109/l

Frottis
sanguin

Lymphocytes normaux Lymphocytes anormaux

Contexte aigu Contexte chronique Cellules Lymphoblaste Lymphocytes


hyperbasophiles «chevelus»

Virose ++ Infection bactérienne Leucémie


Syndrome Leucémie
(rare) : à tricholeucocytes
mononucléosique aiguë
- coqueluche Lymphome villeux
- brucellose

Avis spécialisé
Leucémie lymphoïde - Maladie
chronique +++ de Waldenström
- Lymphome leucémisé

Avis spécialisé

Figure 1. Arbre décisionnel. Démarche diagnostique.

Pour en savoir plus Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP. L’hématologie de
Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 1992.
Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, Guillain MC. Lefrère F. Hématologie et transfusion. Paris: Estem; 2006.
Hématologie. Paris: Masson; 2008. Varet B. Le livre de l’interne. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 2007.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, Hôpital Necker-Enfants malades, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Hyperlymphocytose. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos,
1-1270, 2009.

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2 Traité de Médecine Akos


1-1360
1-1360

Hyperphosphorémie
Encyclopédie Pratique de Médecine

D Joly

L e dosage de la phosphorémie est relativement coûteux et ne saurait faire partie d’un « bilan systématique ». Le
diagnostic d’hyperphosphorémie est donc porté le plus souvent sans surprise, dans des circonstances précises.
L’insuffisance rénale et les nécroses cellulaires étendues sont les principales causes d’hyperphosphorémie.
L’insuffisance rénale est source de rétention phosphorée dès que le débit de filtration glomérulaire est inférieur à
30 mL/min ; les rhabdomyolyses libèrent du phosphore à partir des cellules endommagées.
© Elsevier, Paris.


Physiologie

Diagnostic

Étiologie

Le phosphore est un ion essentiellement ‚ Biologie L’enquête étiologique est le plus souvent facile
intracellulaire : 90 % du phosphore est contenu dans (fig 1).
On parle d’hyperphosphorémie au-delà de
les os sous forme de cristaux d’hydroxy-apatite et La cause la plus fréquente d’hyperphosphorémie
1,45 mmol/L chez l’adulte. Des valeurs plus élevées
9 % dans les cellules des tissus mous. Environ 1 % du est l’insuffisance rénale, avec un débit de filtration
sont classiques chez l’enfant, la femme enceinte, et
phosphore est extracellulaire, accessible aux glomérulaire inférieur à 25 mL/min.
après la ménopause. La seule cause de fausse
dosages plasmatiques. En dehors des destructions cellulaires massives
hyperphosphorémie est l’hémolyse sanguine in
La « phosphorémie » désigne, en pratique, le (syndrome de lyse tumorale, rhabdomyolyse), les
vitro.
dosage des phosphates inorganiques présents dans autres causes d’hyperphosphorémie sont rares
le plasma : les valeurs normales sont de 0,95 à (tableau I).
‚ Signes cliniques [1]
1,45 mmol/L. Il existe une variation nycthémérale
physiologique de la phosphorémie, pouvant aller L’hyperphosphorémie est le plus souvent
jusqu’à 0,4 mmol/L. Les valeurs matinales sont plus asymptomatique.
basses que les valeurs nocturnes.
Les apports phosphatés alimentaires proviennent
essentiellement des laitages et du fromage, de la
viande, des œufs et du chocolat. Les apports
Les symptômes cliniques sont en rapport avec
l’affection causale sous-jacente.
Une élévation de la phosphorémie peut
s’accompagner d’une hypocalcémie (parfois

Traitement [2]

quotidiens sont d’environ 45 mmol pour un adulte. Le traitement étiologique est surtout utile dans les
symptomatique) : il y a en effet précipitation dans les
Les deux tiers sont absorbés dans les différentes hyperphosphorémies par apports exogènes.
tissus mous de sels phosphocalciques qui sont très
portions du tube digestif, de façon passive mais aussi Au cours des lyses cellulaires, les perfusions
faiblement solubles. Le risque de dépôts
active, stimulés par la 1,25 (OH)2D3 (vitamine D isotoniques alcalines permettent (entre autres) de
phosphocalciques avec « calcifications métastati-
active). L’absorption digestive est diminuée lorsque faire diminuer la phosphorémie en favorisant son
ques » cliniquement décelables est important dès
le phosphore forme des complexes peu solubles excrétion urinaire.
que le produit Ca x P (en mmol/L) est supérieur à 5,6.
avec d’autres molécules, telles le calcium ou Lorsqu’il y a une réduction importante de la
La peau (prurit), les tissus mous, les artères, les valves
l’aluminium : ceci est utilisé en thérapeutique comme filtration glomérulaire, plusieurs mesures
cardiaques, les articulations et les différents viscères
nous le verrons plus loin. Les apports cellulaires de symptomatiques doivent être mises en œuvre.
(reins, poumons, pancréas,...) sont potentiellement
phosphates sont très limités chez le sujet sain, mais Leur but est de diminuer l’absorption digestive de
concernés.
peuvent être importants dans certaines situations phosphates afin d’abaisser la phosphorémie au
pathologiques (cf infra). L’élimination du phosphore Lorsque le phénomène est aigu et compliqué dessous de 1,8 mmol/L :
est principalement rénale : il existe une réabsorption d’ischémie, on parle de « calciphylaxie », dont le – prescription d’un régime restreint en
tubulaire variable mais limitée des phosphates, qui pronostic est redoutable. phosphates (800 mg/j), ce qui se confond en
permet une régulation très efficace de leur L’hyperphosphorémie contribue probablement à pratique avec un régime limité en protides ;
concentration plasmatique. Cette réabsorption est la constitution de certaines atteintes rénales – utilisation de chélateurs du phosphore. Les
diminuée par la parathormone (PTH). tubulaires aiguës, et pourrait jouer un rôle dans la pansements digestifs antiacides sont remarqua-
Trois mécanismes peuvent générer une progression de l’insuffisance rénale chronique. blement efficaces dans cette indication mais ont été
Enfin, l’hyperphosphorémie est un stimulus
© Elsevier, Paris

hyperphosphorémie : abandonnés au long cours chez l’insuffisant rénal : les


– augmentation des apports de phosphates, important de la sécrétion de parathormone : chez sels de magnésium font courir un risque
alimentaire, cellulaire ou osseuse ; l’insuffisant rénal, l’hyperparathyroïdisme est d’hypermagnésémie et de diarrhée ; les sels
– réduction du débit de filtration glomérulaire ; responsable de troubles multiples, en particulier d’aluminium sont responsables d’encéphalopathies
– augmentation de la réabsorption tubulaire. osseux (douleurs, fractures,...). redoutables. Actuellement, seuls les sels de calcium

1
1-1360 - Hyperphosphorémie

Tableau I. – Causes d’hyperphosphorémie.


Hyperphosphorémie
Charge phosphatée massive
Acidocétose diabétique (en réalité, carence
phosphatée)
Surcharge exogène (perfusion intraveineuse
Contexte phosphatée, certains laxatifs)
Intoxication par la vitamine D
Transfusions massives

Évident Inconnu Baisse de l’excrétion rénale du phosphore


Insuffısance rénale aiguë
- Insuffisance rénale connue Insuffısance rénale chronique
- Syndrome de lyse tumorale Hypoparathyroïdisme : idiopathique ou secon-
- Rhabdomyolyse Créatininémie
et estimation du DFG daire (chirurgie, radiothérapie, hémochroma-
- Apports exogènes tose,...)
Pseudo-hypoparathyroïdisme (familial, défaut
d’effet de la PTH)
Acromégalie
Hyperthyroïdie
DFG < 25 mL/min DFG > 25 mL/min
Libération de phosphates intracellulaires
Syndrome de lyse tumorale
Rhabdomyolyse
Insuffisance rénale Doser PTH, calcémie : Hémolyse
aiguë ou chronique hypoparathyroïdie ? Acidoses
Bilan thyroïdien : Traitement par biphosphonates
hyperthyroïdie ?
Acromégalie ?

1 Enquête étiologique devant une hyperphosphorémie.



Conclusion

Les conséquences des hyperphosphorémies


sont utilisés dans cette indication : le carbonate de En situation d’insuffisance rénale terminale, les aiguës ou chroniques prolongées sont parfois
calcium (Eucalcict, Calcidiat) doit être ingéré en même chélateurs digestifs restent souvent utiles. La dialyse préoccupantes, mais bien souvent méconnues. Ce
temps que le phosphore, c’est-à-dire pendant les épure en effet assez mal l’excès de phosphore. trouble électrolytique, très banal chez l’insuffisant
repas. Les doses prescrites varient usuellement de un Lorsque l’hyperphosphorémie s’associe à une rénal, ne doit pas être négligé : un traitement
demi à deux sachets par jour. Le risque d’hypercal- hypercalcémie, la mise en évidence d’un chélateur à base de carbonate de calcium permet de
cémie est réel et impose une surveillance biologique hyperparathyroïdisme peu freinable fait parfois contrôler efficacement ce paramètre dans la plupart
régulière. porter l’indication d’une parathyroïdectomie. des cas.

Dominique Joly : Chef de clinique-assistant,


service de néphrologie du Pr Grünfeld, hôpital Necker-Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : D Joly. Hyperphosphorémie.


Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1360, 1998, 2 p

Références

[1] Delmez JA, Slatopolsky E. Hyperphosphatemia : its consequences and treat- [2] Fournier A, Morinière P, Ben Hamida F, el Esjer N, Shenovda M, Ghazali A et
ment in chronic renal disease. Am J Kidney Dis 1992 ; 19 : 303-317 al . Use of alcaline calcium salts as phosphate binder in uremic patients. Kidney Int
1992 ; 38 (suppl) : S50-S61

2
¶ 1-1300

Hyperprolactinémie
P. Chanson

De nombreux troubles des règles, de nombreuses infertilités sont en rapport avec une hyperprolactinémie
qu’un dosage sanguin simple, et qu’il ne faut pas hésiter à demander, permet facilement de mettre en
évidence. L’étape suivante du diagnostic est encore du domaine du non-spécialiste : il faut s’assurer que
l’hyperprolactinémie est authentique et qu’il ne s’agit pas d’un artefact de dosage, très fréquent avec les
dosages automatisés : le plus simple est alors de contrôler la prolactine dans un autre laboratoire ; puis,
après avoir éliminé les situations (grossesse, prise médicamenteuse...) qui s’accompagnent d’une
hyperprolactinémie, une imagerie de la région hypothalamohypophysaire à la recherche d’une tumeur
peut être programmée. Les explorations hormonales ultérieures et les choix thérapeutiques (traitement
médicamenteux par les agonistes dopaminergiques ou traitement chirurgical) sont du domaine du
spécialiste endocrinologue ou neurochirurgien.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Prolactine ; Hypophyse ; Adénome ; Aménorrhée ; Agoniste dopaminergique

Plan ■ Hyperprolactinémie
¶ Introduction 1
et ses conséquences cliniques
¶ Hyperprolactinémie et ses conséquences cliniques 1
Chez la femme 1
Chez la femme
Chez l’homme 2 Galactorrhée
Dans les deux sexes 2 Parfois, la galactorrhée est spontanée, notée par la femme qui
¶ Épidémiologie de l’hyperprolactinémie 2 la signale à son médecin. Le plus souvent (80 % des cas), elle
¶ Physiopathologie : étiologies de l’hyperprolactinémie 2 est uniquement provoquée, découverte fortuitement par la
Physiologie normale de la sécrétion de prolactine 2 patiente ou systématiquement à l’occasion d’un examen
Physiopathologie de la sécrétion de prolactine 2
clinique. Sa recherche nécessite d’ailleurs une technique bien
particulière : la glande mammaire doit être comprimée de façon
¶ Que faire en présence d’une hyperprolactinémie ? 3 concentrique, au niveau de l’aréole, entre le pouce et l’index
¶ Le spécialiste face à ces hyperprolactinémies tumorales 4 d’une ou des deux mains. Cette manœuvre est suivie d’une
Microprolactinome 4 expression concentrique du mamelon (sans pincer de façon trop
Tumeur volumineuse non prolactinique avec hyperprolactinémie 5 vigoureuse le mamelon, ce qui risquerait d’obstruer les canaux
Macroprolactinome 5 galactophores et d’empêcher la sortie du lait). La galactorrhée,
¶ Conclusion 5 lorsqu’elle existe, n’est significative que si elle est faite de
liquide lactescent contenant de la caséine et qu’elle survient à
distance du post-partum [1]. La découverte d’une galactorrhée
n’est pas synonyme d’hyperprolactinémie : la grande majorité
■ Introduction des femmes consultant pour une galactorrhée ont même une
prolactinémie normale. Toutefois, toute galactorrhée impose un
En près de 40 ans, depuis la première description de la dosage de prolactine (plus de 10 % de femmes hyperprolactiné-
technique de dosage de la prolactine dans le sérum, la patholo- miques ont une galactorrhée isolée sans troubles des règles) ; le
gie de la prolactine est devenue l’un des chapitres les plus classique « syndrome aménorrhée-galactorrhée » n’est rencontré
importants de l’endocrinologie de la reproduction. Chez que chez la moitié des patientes ayant une hyperprolactinémie.
l’homme et chez la femme en dehors de la grossesse, la prolac-
tine est sécrétée en faible quantité. Sa concentration s’élève Perturbations du cycle menstruel ou infertilité
physiologiquement pendant la grossesse de façon à préparer la Ce sont les motifs habituels de consultation amenant à
glande mammaire à la lactation. L’hypersécrétion de prolactine prescrire un dosage de prolactine. L’aménorrhée est le signe le
en dehors de la grossesse peut provoquer une galactorrhée mais plus fréquent : plus de 90 % des femmes ayant une hyperpro-
est surtout responsable de troubles des règles et/ou d’une lactinémie ont une absence totale de règles (aménorrhée) ou
infertilité. Du fait de sa grande fréquence dans la population une oligoaménorrhée (moins de quatre cycles par an) et, dans
générale, l’hyperprolactinémie, dont les causes sont multiples, la moitié des cas, des irrégularités menstruelles ou un allonge-
est rencontrée de manière non exceptionnelle en pratique de ment progressif des cycles (spanioménorrhée) avaient été notés
médecine générale ou de gynécologie quotidienne. dans les mois ou années précédant l’installation de cette

Traité de Médecine Akos 1


1-1300 ¶ Hyperprolactinémie

aménorrhée ou de cette oligoaménorrhée [2, 3]. Les troubles des


règles sont d’autant plus sévères que la concentration de
prolactine est élevée. Toutefois, un chiffre très élevé de prolac-
tine peut s’accompagner de faibles perturbations du cycle.
“ Point fort
L’hyperprolactinémie, en inhibant de façon plus ou moins Quand faut-il demander un dosage de prolactine ?
complète la sécrétion de gonadotrophin releasing hormone (GnRH) • Chez la femme :
hypothalamique et, par voie de conséquence, la sécrétion de
luteinizing hormone (LH) et de follicle stimulating hormone (FSH),
C en cas d’aménorrhée ;
perturbe l’ovulation et le développement du corps jaune. Ainsi C en cas de galactorrhée ;
s’expliquent les troubles du cycle menstruel. Les conséquences C devant une irrégularité menstruelle ;
de cette inhibition gonadotrope sur la sécrétion folliculaire C devant une anovulation (courbe thermique plate)
d’estradiol sont généralement modérées : l’imprégnation même si les cycles sont réguliers ;
estrogénique (trophicité vaginale et sécrétions vaginales) est C devant toute infertilité.
habituellement correcte. Il existe cependant souvent une baisse • Chez l’homme :
de la libido et parfois une dyspareunie liée à la sécheresse C en cas de troubles sexuels (baisse de la libido,
vaginale. Ces troubles des règles sont évidemment masqués chez
troubles de l’érection) ;
les femmes recevant une contraception hormonale : l’hyperpro-
lactinémie ne se révèle alors qu’après interruption de cette C en cas d’hypogonadisme avéré.
contraception : c’est la classique aménorrhée postpilule... à • Dans les deux sexes :
moins que la survenue d’une galactorrhée sous pilule ait déjà C en cas de découverte d’une tumeur de la région
suggéré le diagnostic. hypothalamohypophysaire (découverte fortuite ou à
Anovulation l’occasion d’un syndrome tumoral à type de
céphalées ou de troubles visuels).
Parfois, les règles sont bien régulières et le tableau clinique se
limite à une anovulation (5 % de cas environ) avec courbe de
température plate, absence de sécrétion de progestérone et
stérilité. On sait que 20 % des infertilités d’origine hormonale ■ Physiopathologie : étiologies
sont liées à une pathologie de la prolactine. Tout trouble des de l’hyperprolactinémie
règles, à type d’aménorrhée ou d’oligoaménorrhée, toute
infertilité justifient donc un dosage plasmatique de la
prolactine.
Physiologie normale de la sécrétion
de prolactine
Chez l’homme La cellule lactotrope, cellule hypophysaire spécialisée dans la
L’hyperprolactinémie peut, mais cela est rare, provoquer une sécrétion de prolactine, est équipée pour fabriquer une quantité
galactorrhée. Plus fréquemment, l’hyperprolactinémie est à importante de prolactine. Si elle ne délivre qu’une quantité
l’origine, chez l’homme, de troubles sexuels à type de baisse de minime de prolactine en situation physiologique (conduisant à
la libido, d’indifférence sexuelle, voire de troubles de l’érection. une concentration de prolactine sanguine normalement infé-
En fait, ces signes sont souvent négligés par le patient ou son rieure à 20 ng/ml) c’est parce qu’elle est freinée en permanence
médecin et, si c’est une tumeur volumineuse sécrétant de la par la dopamine, synthétisée dans l’hypothalamus, parvenant à
prolactine qui est à l’origine de l’hyperprolactinémie, c’est plus la cellule lactotrope par le système porte hypothalamohypo-
souvent un syndrome tumoral (troubles visuels par compression physaire et exerçant à son niveau un tonus inhibiteur perma-
du chiasma optique, céphalées...) qui amène à suspecter le nent (Fig. 1A).
diagnostic. Quoi qu’il en soit, l’exploration d’un hypogona-
disme chez l’homme impose un dosage de la prolactine. Physiopathologie de la sécrétion
Dans les deux sexes de prolactine
Les augmentations de sécrétion de prolactine par l’hypophyse
À long terme, la persistance d’une hyperprolactinémie, du fait
peuvent relever de différents mécanismes. Il peut s’agir d’une
des conséquences qu’elle entraîne sur la sécrétion des stéroïdes
stimulation directe de la cellule lactotrope (estrogènes) ou, plus
sexuels, estrogènes chez la femme et testostérone chez l’homme,
souvent, d’une inhibition du tonus dopaminergique normale-
est responsable d’une déminéralisation osseuse. Le bilan
ment freinateur (provoquant donc une défrénation de la
étiologique d’une hyperprolactinémie doit donc conduire à un
sécrétion de prolactine) : c’est encore le cas des estrogènes
traitement (que celui-ci soit médical ou chirurgical) visant à
(Fig. 1B) ou des médicaments qui déplètent l’hypothalamus de
normaliser la prolactinémie, ce qui restaure la sécrétion normale
sa dopamine (réserpine, alphaméthyldopa) ou encore des
des gonadotrophines et donc la stimulation normale des ovaires
médicaments bloquant les récepteurs dopaminergiques de la
ou des testicules.
cellule lactotrope (antagonistes dopaminergiques comme les
phénothiazines type chlorpromazine, les butyrophénones, type
■ Épidémiologie halopéridol, le pimozide, les benzamides, type sulpiride ou
métoclopramide...) (Fig. 1C). C’est également le cas des subs-
de l’hyperprolactinémie tances stimulant la recapture de la dopamine (imipramine,
Les enquêtes systématiques faites dans la population générale amphétamines). Enfin, la dopamine peut être empêchée de
indiquent que l’hyperprolactinémie touche environ 0,38 % des parvenir à l’hypophyse par une compression ou une interrup-
adultes. Dans un tiers des cas, cette hyperprolactinémie est tion de la tige pituitaire (tumeur de la région hypothalamohy-
d’origine médicamenteuse, dans 15 % des cas elle est liée à un pophysaire ou section de tige pituitaire) (Fig. 1D).
microadénome hypophysaire et dans près de 20 % des cas, il L’hyperprolactinémie peut également résulter d’une hypo-
s’agit d’une grossesse débutante (c’est l’aménorrhée associée à thyroïdie périphérique (qui inhibe l’activité dopaminergique et
une galactorrhée qui avait fait demander un dosage de stimule la production de peptides hypothalamiques favorisant la
prolactine !). sécrétion de la prolactine) ou d’une insuffisance rénale chroni-
Lorsqu’on s’intéresse spécifiquement à la population fémi- que qui diminue la clairance rénale de la prolactine.
nine, les enquêtes épidémiologiques montrent qu’une femme L’hyperprolactinémie, enfin, peut être la conséquence d’une
sur 1 000 présente un microadénome à prolactine responsable tumeur développée aux dépens des cellules lactotropes (adé-
d’une hyperprolactinémie. La recherche d’une hyperprolactiné- nome à prolactine, appelé aussi prolactinome) (Fig. 1E) dont la
mie devant des troubles du cycle chez la femme est rentable : taille peut être variable, depuis le microadénome (diamètre
8 % des oligospanioménorrhées sont en rapport avec une inférieur à 10 mm, généralement intrahypophysaire) (Fig. 2),
hyperprolactinémie et chez 23 % des femmes consultant pour jusqu’au macroadénome dont le diamètre est supérieur à
aménorrhée, on trouve une hyperprolactinémie. 10 mm et qui développe parfois des extensions tumorales

2 Traité de Médecine Akos


Hyperprolactinémie ¶ 1-1300

Dopamine Dopamine
pam
pa
am Dopamine Dopamine Dopamine

Compression
Grossesse ou section
Cellule STOP de la tige
Médicaments
lactotrope pituitaire Prolactinome
estrogènes Antagonistes
dopaminergiques
Normal

PRL PRL PRL PRL PRL


A B C D E
Figure 1. Physiopathologie de l’hyperprolactinémie : les différentes étiologies (A à E). PRL : prolactine.

Hyperprolactinémie

Vérifier le chiffre de PRL


(nouveau dosage dans un autre laboratoire)

Grossesse ? (βhCG)
Médicaments (cf. Tableau 1)
Hypothyroïdie périphérique ? (TSH)
Insuffisance rénale ?

Oui Non
Figure 2. Microadénome hypophysaire (diamètre < 10 mm) intrasel-
laire (flèche).

Pas de traitement IRM


hypoprolactinémiant hypothalamohypophysaire
Traitement de la cause
ou arrêt du médicament
hyperprolactinémiant
Microadénome Tumeur plus
volumineuse

Prise en charge
spécialisée

Figure 4. Arbre décisionnel. Stratégie diagnostique en cas d’hyperpro-


lactinémie. bhCG : human chorionic gonadotropin ; TSH : thyroid stimula-
Figure 3. Macroadénome hypophysaire (diamètre > 10 mm) à exten-
ting hormone ; IRM : imagerie par résonance magnétique.
sion extrasellaire (flèches).

au-dessus (risque de compression chiasmatique), en dessous de étiologique, cherchant à mettre en évidence les causes de cette
la selle turcique ou encore latéralement, vers les sinus caverneux hyperprolactinémie, et qui, lui, reste du domaine du généraliste
(Fig. 3). ou du gynécologue, doit toujours précéder la décision
thérapeutique.
La réalité de l’hyperprolactinémie doit être vérifiée par un
■ Que faire en présence contrôle de la prolactinémie dans un autre laboratoire [2]. En
d’une hyperprolactinémie ? effet, des pseudohyperprolactinémies liées à la technique de
dosage sont très fréquemment rencontrées. Elles sont liées à la
L’hyperprolactinémie, lorsqu’elle dépasse 20 ng/ml (soit présence, dans le sérum de nombreuses personnes normales,
400 mUI/l environ) chez l’homme comme chez la femme, d’agrégats de prolactine en rapport avec des immunoglobulines
impose une stratégie diagnostique assez stéréotypée, résumée sur tout à fait banales. Les formes lourdes de prolactine ainsi
la Figure 4. générées (macroprolactinémie) sont faussement reconnues par
Un premier principe doit être rappelé d’emblée : il est inutile certains kits de dosage. Il suffit souvent de changer de kit de
de se précipiter, dès la découverte d’une hyperprolactinémie, sur dosage (et pour cela, le plus simple est de demander au patient
un médicament hypoprolactinémiant (type bromocriptine) de faire son dosage dans un autre laboratoire) pour se rendre
avant d’avoir mené l’enquête étiologique. La découverte d’une compte que la prolactinémie est en fait normale et arrêter là les
hyperprolactinémie est encore, hélas trop souvent, synonyme de investigations. En revanche, si l’hyperprolactinémie est confir-
mise en route d’un traitement par bromocriptine ! En fait, il n’y mée par cet autre dosage dans un autre laboratoire, surtout si
a aucune urgence à démarrer ce traitement. La décision du la patiente a une galactorrhée et une oligoménorrhée ou une
traitement doit rester affaire de spécialiste. Surtout, le bilan aménorrhée, alors il s’agit bien d’une réelle hyperprolactinémie.

Traité de Médecine Akos 3


1-1300 ¶ Hyperprolactinémie

Tableau 1. lui préférer (lorsque les causes générales, médicamenteuses, sont


[2]).
Médicaments hyperprolactinémiants (d’après écartées, répétons-le) la réalisation d’une imagerie par résonance
magnétique (IRM).
Médicaments Effet
hyperprolactinémiant
L’IRM renseigne sur le type de tumeur en cause. Elle permet
de découvrir des lésions tumorales de taille très variable. Il peut
Neuroleptiques s’agir d’un microadénome intrasellaire, souvent intrahypophy-
Phénothiazines +++ saire (Fig. 2) ; la prolactinémie y est généralement modérément
Butyrophénones +++ augmentée, entre 30 et 100 ng/ml (un microprolactinome est en
Thioxanthènes +++ cause dans près de 70 % des cas d’hyperprolactinémie d’origine
tumorale chez la femme). À l’opposé, l’examen neuroradiologi-
Benzamides +++
que peut révéler une volumineuse tumeur de la région hypo-
Rispéridone +++ physaire, comprimant parfois le chiasma optique (et imposant
Véralipride ++ alors la réalisation d’un examen du champ visuel et la mesure
Lopaxine + de l’acuité visuelle) (Fig. 3). Cette volumineuse tumeur peut
Clozapine 0 correspondre à un adénome à prolactine (macroprolactinome) ;
Aripiprazole 0 l’hyperprolactinémie dépasse généralement 150 ng/ml (mais elle
est parfois inférieure à ce chiffre) ; cette tumeur peut aussi
Olanzapine +
correspondre à une tumeur d’une autre origine, non prolactini-
Pimozide +
que (à point de départ hypophysaire ou hypothalamique)
Antidépresseurs tricycliques + associée à une hyperprolactinémie de déconnexion hypothala-
Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la séro- mohypophysaire (la prolactinémie est alors toujours inférieure
tonine à 150-200 ng/ml). La distinction entre ces deux dernières
Fluoxétine Cas rapportés étiologies, macroprolactinome ou tumeur d’une autre origine
Paroxétine Cas rapportés responsable d’une hyperprolactinémie de déconnexion, est
Citalopram ±
difficile et justifie de faire appel au spécialiste, ce d’autant que
le traitement en est très différent.
Fluvoxamine ±
Le rôle du médecin généraliste ou du non-spécialiste s’arrête
Sertraline ± donc à la prescription de l’IRM. L’évaluation des autres fonc-
Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la séro- tions hypophysaires, la discussion thérapeutique reviennent au
tonine et de la noradrénaline spécialiste endocrinologue et/ou neurochirurgien qui travaillent
Venlafaxine ± généralement en tandem dans ces problèmes tumoraux
Traitement des nausées et vomissements hypophysaires.
Benzamides +++
Dérivés des phénothiazines +++ ■ Le spécialiste face à ces
Antihistaminiques H2
Cimétidine (Tagamet®) +
hyperprolactinémies tumorales
Ranitidine (Azantac®) + S’il s’agit d’un microprolactinome, le spécialiste endocrinolo-
Famotidine (Pepcidac®) Cas rapportés gue et/ou neurochirurgien précise ses rapports avec les structu-
res avoisinantes (parois du sinus caverneux) afin de poser au
Antihypertenseurs
mieux les indications thérapeutiques.
Vérapamil (Isoptine®, Tarka LP®) ++ S’il s’agit d’une grosse tumeur (diamètre supérieur à 1 cm) de
Méthyldopa (Aldomet®) + la région hypophysaire, il cherche à préciser la nature de la
Réserpine (Tensionorme®) + tumeur en cause en se basant sur la valeur de la prolactinémie
Autres Si la prolactinémie basale dépasse 150-200 ng/ml, le diagnostic
Morphine + de macroprolactinome ne fait aucun doute. Si la prolactine est
élevée mais reste inférieure à 150-200 ng/ml, se discute la
Méthadone +
possibilité d’une tumeur non prolactinique avec hyperprolacti-
Estrogènes à forte dose + némie de déconnexion ou celle d’un authentique prolactinome
peu sécrétant. En l’absence de signes de compression chiasma-
La seconde étape, si la réalité de l’hyperprolactinémie est tique et sous surveillance médicochirurgicale stricte, la réponse
confirmée, permet d’écarter les hyperprolactinémies de cause tumorale à court terme au traitement médicamenteux peut
générale et les hyperprolactinémies d’origine médica- éventuellement être utilisée pour faire la distinction entre les
menteuse [1-3]. La grossesse est, bien sûr, la première étiologie à deux étiologies.
éliminer : c’est en effet la première cause d’aménorrhée et de
galactorrhée et même d’hyperprolactinémie (physiologique-
ment, la prolactine augmente au cours de la grossesse). Un
dosage de human chorionic gonadotropin (ßhCG) est donc
indispensable. L’hypothyroïdie périphérique (un simple dosage
“ Point fort
de thyroid stimulating hormone [TSH] y montrerait l’augmenta-
tion de TSH) est aussi une cause classique d’hyperprolactinémie Traitement adapté
(elle est parfois même accompagnée d’une hyperplasie de • Traitement neurochirurgical (Fig. 5)
l’hypophyse visible en imagerie et pouvant en imposer à tort • Traitements médicaux, agonistes dopaminergiques :
pour une tumeur hypophysaire)... En fait cette étiologie est C bromocriptine (Parlodel®)
exceptionnelle. L’hyperprolactinémie se normalise avec le retour C lisuride (Dopergine®)
à l’euthyroïdie. Le contexte de l’insuffisance rénale chronique C quinagolide (Norprolac®)
permet généralement de la relier à une hyperprolactinémie. C cabergoline (Dostinex®)
Un interrogatoire soigneux doit permettre enfin de s’assurer
de l’absence de prise médicamenteuse susceptible d’élever la
prolactinémie (Tableau 1).
Lorsque les causes médicamenteuses ou générales d’hyperpro- Microprolactinome
lactinémie sont éliminées, il faut envisager la possibilité d’une Le choix se fait entre le traitement chirurgical et le traitement
tumeur de la région hypothalamohypophysaire. La classique médical [4, 5] . Le traitement chirurgical consiste à enlever
radiographie de crâne, centrée sur la selle turcique, apporte des l’adénome par voie trans-sphénoïdale (à partir d’une voie
renseignements très insuffisants par rapport aux moyens narinaire, souvent aidée d’une endoscopie, intervention extra-
neuroradiologiques actuels. Il ne faut donc plus la faire. Il faut crânienne permettant de n’ouvrir ni la boîte crânienne, ni la

4 Traité de Médecine Akos


Hyperprolactinémie ¶ 1-1300

dans ces macroprolactinomes, les résultats du traitement


chirurgical sont souvent décevants (persistance, en postopéra-
toire, d’une hyperprolactinémie car l’exérèse de la tumeur est
rarement complète). Surtout, le traitement par les agonistes
dopaminergiques permet, non seulement la normalisation des
concentrations de prolactine mais, dans 70 % des cas environ,
une régression souvent spectaculaire du volume tumoral
(permettant de régler rapidement, s’ils existent, les problèmes
visuels liés à la compression du chiasma par la tumeur). Même
les neurochirurgiens préfèrent donc, à l’heure actuelle, utiliser le
traitement médical lorsque existent de volumineux adénomes à
prolactine, les résultats du traitement médical apparaissant
souvent bien meilleurs que ceux du traitement chirurgical... à
condition de poursuivre pour une durée indéfinie le traitement
par agoniste dopaminergique, son interruption produisant une
remontée de la prolactinémie et surtout une réaugmentation du
volume tumoral.

■ Conclusion
Figure 5. Traitement neurochirurgical (extrait de Visot A. Aspects neu-
rochirurgicaux des adénomes hypophysaires. EMC, Endocrinologie- L’hyperprolactinémie est une pathologie très fréquente qui ne
Nutrition, 10-023-F-10, 2002). Voie d’abord transphénoïdale (flèche). peut être dépistée qu’à la condition que le médecin généraliste
ou le gynécologue prennent au sérieux le symptôme que
dure-mère) (Fig. 5) : il permet d’obtenir, à long terme, une représente l’aménorrhée chez une femme jeune. Après avoir
guérison clinique (cycles ovulatoires normaux) dans 70 % à cherché une éventuelle galactorrhée, le dosage de la prolactiné-
80 % des cas. Le traitement médical utilise des agonistes mie permet le diagnostic. Toute aménorrhée doit en effet être
dopaminergiques. Dans plus de 80 % des cas, une prolactinémie explorée avant d’être « traitée » par la prescription d’un estro-
normale et des cycles ovulatoires sont obtenus et la surveillance progestatif. La découverte d’une hyperprolactinémie doit ensuite
à l’IRM montre souvent une diminution de la taille du microa- être confirmée par un autre dosage de prolactine dans un autre
dénome. Cependant, sa tolérance est parfois médiocre (malaises, laboratoire afin d’éliminer un artefact de dosage, malheureuse-
nausées, hypotension orthostatique...) et, théoriquement, le ment très fréquent avec les immunodosages disponibles dans les
traitement doit être prolongé sur une période indéfinie, au laboratoires de ville. Ce n’est qu’à ce stade, après avoir vérifié
moins jusqu’à la ménopause (son interruption provoquant une qu’il ne s’agissait pas d’une hyperprolactinémie d’origine
remontée de la concentration de prolactine). Notons toutefois médicamenteuse, que pourrait être proposée la réalisation d’une
que dans quelques cas, après traitement agoniste dopaminergi- IRM afin de savoir s’il s’agit d’un microadénome ou d’un
que prolongé durant plusieurs années, normalisant la prolacti- macroadénome, ce qui conditionne le traitement très simple de
némie, surtout si une « disparition » de l’image du micro- cette cause fréquente d’infertilité.
adénome a été observée, l’interruption du traitement ne .

s’accompagne pas d’une récidive du microadénome... remettant


en cause le « dogme » du traitement à vie.
■ Références
Tumeur volumineuse non prolactinique avec [1] Chanson P, Schaison G. Pathologie de la prolactine. In: Mauvais-
hyperprolactinémie Jarvis P, Schaison G, Touraine P, editors. Médecine de la reproduction.
Paris: Flammarion Médecine-Sciences; 1997. p. 317-39.
L’indication chirurgicale est formelle. L’utilisation d’un
[2] Brue T, Delemer B. French Society of Endocrinology (SFE) work group
médicament hypoprolactinémiant du type agoniste dopaminer- on the consensus on hyperprolactinemia. Diagnosis and management
gique permettrait, certes, la normalisation de la prolactine (et le of hyperprolactinemia: expert consensus - French Society of
retour éventuel de cycles ovulatoires) mais ne résoudrait en rien Endocrinology. Ann Endocrinol (Paris) 2007;68:58-64.
le problème tumoral. [3] Molitch ME. Prolactinoma. In: Melmed S, editor. The pituitary.
Cambridge: Blackwell; 2002. p. 455-95.
Macroprolactinome [4] Gillam MP, Molitch ME, Lombardi G, Colao A. Advances in the
Lorsque la nature prolactinique de la lésion tumorale est treatment of prolactinomas. Endocr Rev 2006;27:485-514.
prouvée, en général parce que la prolactinémie est très supé- [5] Chanson P, Borson-Chazot F, Chabre O, Estour B. Drug treatment of
rieure à 150-200 ng/ml, le traitement est médical [4, 5]. En effet, hyperprolactinemia. Ann Endocrinol (Paris) 2007;68:113-7.

P. Chanson, Professeur des Universités, praticien hospitalier.


Service d’endocrinologie et des maladies de la reproduction, Centre hospitalier universitaire Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre
cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Chanson P. Hyperprolactinémie. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1300,
2009.

Disponibles sur www.em-consulte.com


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Traité de Médecine Akos 5


1-1320
1-1320

Hypokaliémie
Encyclopédie Pratique de Médecine

D Joly

L ’hypokaliémie est un désordre électrolytique fréquent, le plus souvent cliniquement silencieux. Son
retentissement myocardique et musculaire peut cependant engager le pronostic vital. Les causes
d’hypokaliémie sont nombreuses, mais le contexte clinique et, dans certains cas, le ionogramme urinaire orientent
rapidement l’enquête étiologique.
© Elsevier, Paris.


Les troubles du rythme cardiaque sont rares ou – les antécédents personnels et familiaux ;
Physiologie exprimés de façon modérée chez le sujet sain ; ils sont – l’emploi de diurétiques, laxatifs ou autres
plus fréquents, voire préoccupants, chez les patients médicaments ;
porteurs d’une cardiopathie sous-jacente (ischémique – l’existence de troubles digestifs ;
Un rappel de la physiologie du potassium est ou valvulaire), ou bien traités par digitaliques ou – le niveau de pression artérielle.
proposé dans l’article « hyperkaliémie ». Le potassium quinidiniques. Il n’y a pas de parallélisme étroit entre Les éléments précédents permettent d’évoquer
joue un rôle majeur dans la polarisation des kaliémie et modifications et électriques : l’élec- d’emblée, avec une bonne sécurité, la cause de
membranes cellulaires, le potentiel neuromusculaire, troencéphalogramme (ECG), est donc systématique l’hypokaliémie dans plus de 90 % des cas. Il s’agit le
l’automatisme cardiaque et certaines activités devant toute hypokaliémie. plus souvent d’un traitement diurétique mal contrôlé
enzymatiques. L’hypokaliémie est la conséquence ou de pertes digestives basses. Une classification
Muscles striés étiologique des hypokaliémies est indiquée tableau II.
d’une déplétion potassique, ou d’un transfert
intracellulaire de potassium. Lorsque ces signes sont présents, ils se limitent en Dans une faible proportion des cas, le diagnostic
règle à une fatigabilité musculaire, des myalgies ou des n’est pas évident : le ionogramme sanguin sera


crampes ; les parésies ou paralysies des membres complété par un ionogramme urinaire, mesurant
et/ou des muscles respiratoires, ainsi que les notamment la kaliurèse des 24 heures et la chlorurie.
Diagnostic [3]
rhabdomyolyses, sont exceptionnelles. Les Un algorithme décisionnel simple permet de distinguer
fasciculations musculaires ou des signes de tétanie les pertes urinaires et les pertes digestives de
‚ Dosage plasmatique sont davantage en rapport avec une carence associée potassium (fig 1) ; les carences d’apport alimentaire,
L’hypokaliémie est définie par une concentration en magnésium. pertes cutanées et transfert intracellulaire sont très
du potassium plasmatique inférieure à 3,5 mmol/L. Le rares.
Muscles lisses La cause précise d’une hypokaliémie reste parfois
plus souvent, c’est un ionogramme sanguin
systématique qui révèle l’anomalie. L’hypocontractilité digestive par hypokaliémie est obscure. Dans ces cas, l’avis du spécialiste peut être
parfois responsable d’une constipation, avec au utile. Certaines affections sont difficiles à reconnaître
‚ Signes cliniques maximum iléus paralytique. Des rétentions d’urines, ou souvent méconnues. Deux situations méritent ici
Ils sont pour l’essentiel neuromusculaires (dus à une des hypotensions artérielles orthostatiques ont été très d’être individualisées : la prise cachée de diurétiques
hyperpolarisation membranaire) ou rénaux. rarement rapportées. et/ou de laxatifs (tableau III) [2] ; les syndromes de
Bartter et Gitelman (tableau IV).
Myocarde Néphropathie hypokaliémique [2]
L’atteinte myocardique se traduit par des troubles Une tubulopathie fonctionnelle est assez fréquente


de la repolarisation ventriculaire diffus, et parfois des au cours des hypokaliémies sévères prolongées : elle
troubles du rythme, supraventriculaires ou se traduit essentiellement par un syndrome
Traitement
ventriculaires (tableau I). polyuropolydipsique avec polyurie hypotonique,
résistante à l’hormone antidiurétique (ADH) ; des ‚ Traitement curatif
Tableau I. – Anomalies de l’électrocardio- pertes de chlore, d’ammoniaque, ou une rétention
gramme (ECG) au cours des hypokaliémies. Le traitement curatif d’une hypokaliémie est tout
hydrosodée sont aussi possibles. Des lésions
d’abord étiologique. Une supplémentation potassique
histologiques rénales peuvent apparaître, touchant
Troubles de la repolarisation ventriculaire diffus : est nécessaire lorsque l’hypokaliémie est sévère (<
initialement les tubules proximaux (aspect vacuolé)
— aplatissement voire négativation des ondes T 2,5 mmol/L), ou lorsqu’elle survient chez un sujet
puis l’interstitium. Une insuffisance rénale chronique
— apparition d’ondes U digitalisé ou porteur d’une cardiopathie. La quantité de
peut se développer lorsque l’hypokaliémie persiste
— T-U : aspect de double bosse positive ou d’onde potassium à apporter et la voie d’administration
diphasique plusieurs années.
dépendent essentiellement de l’existence ou non de
— sous-décalage du segment ST en cupule à troubles du rythme, de paralysies, et de troubles
concavité supérieure


digestifs (tableau V).
— pseudoallongement de ST (longueur normale
sauf carence en Mg++ ou Ca++) Diagnostic étiologique ‚ Traitement préventif
Troubles du rythme :
— supraventriculaires : extrasystoles, tachycardie, Un traitement préventif est souvent utile chez les
tachysystolie auriculaire, arythmie complète par patients soumis à un traitement hypokaliémiant, par
fibrillation auriculaire L’enquête étiologique est très simple dans la grande exemple corticoïde ou diurétique. En revanche,
© Elsevier, Paris

— ventriculaires : extrasystoles, tachycardie ou majorité des cas observés en pratique courante. Il faut lorsqu’un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC)
fibrillation ventriculaire, torsade de pointe préciser entre autres : est associé au diurétique, la supplémentation
– l’ancienneté de l’hypokaliémie ; potassique n’est généralement pas utile.

1
1-1320 - Hypokaliémie

Tableau II. – Principales causes d’hypokaliémie. Tableau III. – Maladie des laxatifs et
diurétiques.
Insuffisance des apports alimentaires (3 g/j au minimum)
Situation rare : diminution du stock corporel de K+ dans les anorexies mentales prolongées et certains régi- Maladie des laxatifs
mes amaigrissants Il s’agit de femmes jeunes au profil psychologique
Transfert intracellulaire accru du K+ : particulier, souvent très maigres. L’usage des laxa-
tifs hypokaliémiants (phénolphtaléine, anthraqui-
- alcalose aiguë (métabolique ou respiratoire) nones) et la diarrhée ne sont pas avoués. La biolo-
- insulinothérapie (surtout lors d’une acidocétose) gie indique typiquement une perte digestive basse
- stimulation β2 adrénergique (tout agent β2 mimétique, thérapeutique ou endogène) de potassium, qui assure le diagnostic en l’absence
- intoxication par la chloroquine, la théophylline, le baryum de pathologie organique décelable ; vomissements
- paralysie familiale hypokaliémique (maladie de Westphal, autosomique dominante) provoqués ou prise cachée de diurétiques concomi-
hypothermie tants rendent le tableau biologique moins clair.
- production accrue de cellules sanguines (sous vitamine B12 ou GM-CSF) L’existence d’une mélanose colique lors d’une en-
Pertes rénales de K+ (kaliurèse « inappropriée » > à 20 mmol/24 h) doscopie, ou la découverte de laxatifs dans les sel-
les ou urines confirment la maladie.
Causes médicamenteuses :
- diurétiques : acétazolamide, de l’anse, thiazidiques, osmotiques. Prise cachée de diurétiques
- tubulotoxiques : lithium, cisplatine, amphotéricine B, pénicilline à forte dose...
- corticothérapie Là encore, il s’agit de femmes jeunes au psychisme
Causes endocriniennes (avec hypertension artérielle) particulier, désirant maigrir et ayant accès aux
- hyperaldostéronisme (primaire ou secondaire) médicaments diurétiques. Leur usage est nié, mais
- autres hyperminéralocorticismes * la biologie évoque une fuite urinaire de potassium,
- hypercortisolisme endogène (syndrome de Cushing) et la positivité (inconstante) de la recherche de
Causes rénales : diurétiques dans l’urine affırme la maladie. Il faut
- néphropathies interstitielles avec perte de sel prendre le soin d’éliminer les autres affections avec
- acidoses tubulaires distales, acidocétose diabétique fuite rénale de potassium, en particulier les syn-
- syndrome de Bartter, syndrome de Gitelman (tableau IV) dromes de Bartter et Gitelman.
- polyurie (après levée d’obstacle, nécrose tubulaire, transplantation)
Pertes digestives de K+ (kaliurèse « appropriée » en quelques jours < 20 mmol/24 h)
Hautes : vomissements, aspiration digestive. La perte d’acide chlorhydrique favorise une alcalose métaboli-
que et un profond déficit chloré (chlorémie et chlorurie basses). La kaliurèse est souvent > 80 mmol/24 h
Basses : diarrhée aiguë infectieuse, maladie des laxatifs, tumeur villeuse, vipome, syndrome de Zollinger et
Ellison. Il y a souvent acidose métabolique (perte digestive de bicarbonates), et pas de déficit chloré
Pertes cutanées de K+
Sudation extrême
Brûlures étendues
Hémodialyse, plasmaphérèse

* Accumulations de minéralocorticoïdes autres que l’aldostérone : ici, aldostéronémie et activité rénine plasmatique sont basses. La consommation de
glycyrrhizine (réglisse, pastis sans alcool...), certains blocs enzymatiques (11β ou 17a hydroxylase) chez l’enfant, ou le syndrome de Liddle (mutation
activatrice héréditaire du canal sodium épithélial tubulaire distal, sensible à l’amiloride) peuvent rendre compte de cette situation.

Tableau IV. – Syndrome de Bartter et syn-


Hypokaliémie drome de Gitelman [4].
K+ < 3,5 mmol/L
Points communs
Hypokaliémie
Kaliurèse Alcalose métabolique
Absence d’hypertension artérielle
Fuite rénale « inexpliquée » de potassium
< 20 mmol/24h > 20 mmol/24h Histoire familiale parfois positive : affections héré-
ditaires autosomiques récessives
Différences
Pertes digestives Pertes rénales
de potassium de potassium Bartter
Le diagnostic d’hypokaliémie est porté en période
néonatale ou dans l’enfance ; la magnésémie est
Chlorurie
normale, la calciurie élevée avec parfois néphro-
calcinose. Ce syndrome mime la prise d’un diuréti-
(chlorémie) Avec HTA Sans HTA que de l’anse : il est dû à des mutations inactivatri-
ces touchant les cibles cellulaires de ces produits
- Hyperaldostéronisme - Médicaments : (cotransporteurs Na-K-2Cl de l’anse de Henlé par
Effondrée Normale exemple).
primitif - diurétiques
- Hyperaldostéronisme - tubulotoxiques
Gitelman
secondaire - Néphropathie interstitielle Le diagnostic d’hypokaliémie est porté après l’âge
Pertes digestives Pertes digestives - Hyperminéralcorticisme chronique de 8 ans, souvent chez un adulte ; la magnésémie
hautes (1) basses - Hypercortisolisme - Acidose tubulaire rénale est basse, il y a hypocalciurie et parfois chondro-
- Syndrome de Bartter calcinose articulaire. Ce syndrome mime la prise
- Vomissements - Diarrhée - Syndrome de Gitelman d’un diurétique thiazidique : il est dû à des muta-
- Aspiration gastrique tions inactivatrices touchant les cibles cellulaires
de ces produits (cotransporteurs Na-Cl des tubes
contournés distaux).
1 Arbre diagnostique. (1) Kaliurèse souvent supérieure à 20 mmol/24 h.

2
Hypokaliémie - 1-1320

Tableau V. – Traitement des hypokaliémies [1].

Limiter les risques d’accident cardiaque


Arrêt d’un traitement digitalique si kaliémie < 3 mmol/L
Discuter l’arrêt de médicaments allongeant l’espace QT (risque de torsade de pointe)
Limiter les pertes potassiques
Il s’agit du traitement étiologique, lorsqu’une fuite rénale ou digestive peut être stoppée. Il faut notamment interrompre les médicaments hypokaliémiants. En cas
d’hyperaldostéronisme secondaire, les diurétiques épargneurs de potassium (spironolactone, soludactone) peuvent limiter les pertes urinaires et aider à la correction
d’une hypokaliémie.
Corriger le déficit potassique
Par voie orale en l’absence de troubles du rythme, de paralysie, ou de trouble digestif
Alimentation riche en potassium :
— jus d’orange, pamplemousse, banane, fruits secs, légumes, chocolat.
Supplémentation orale en sels de potassium :
— chlorure de potassium le plus souvent, corrigeant également le déficit chloré ;
- Diffu-K® (8 mmol/gél) : 1 à 6 gél/j
- Kaléorid LP® 600 (8 mmol/cp) : 1 à 6 cp/j
- Kaléorid LP® 1000 (13,4 mmol/cp) : 1 à 4 cp/j
en deux à trois prises à la fin des repas, avec un verre d’eau
— sels alcalins de potassium (bicarbonate, citrate, gluconate) uniquement si une acidose métabolique est associée (situation rare), faute de quoi ils pérennisent l’alca-
lose et donc l’hypokaliémie.
Par voie veineuse en cas de troubles du rythme, paralysie, troubles digestifs
Sous surveillance cardioscopique continue
Diluer dans un soluté salé ou glucosé
Concentration maximale : 4 g/L sur une veine périphérique (irritation, phlébite)
Débit à ne jamais dépasser : 1,5 g/h
Jamais d’injection intraveineuse directe (mort subite)

Dominique Joly : Chef de clinique-assistant,


service de néphrologie du Professeur Grünfeld, hôpital Necker, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : D Joly. Hypokaliémie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1320, 1998, 3 p

Références

[1] Kruse JA, Carlson RW. Rapid correction of hypokalemia using concentrated [4] Simon DB, Nelson-Williams C, Bia MJ, Ellison D, Karet FE, Molina AM
intravenous potassium chloride infusions. Arch Intern Med 1990 ; 150 : 613-617 et al. Gitelman’s variant of Bartter’s syndrome, inherited hypokalaemic alkalosis,
is caused by mutations in the thiazide-sensitive Na-Cl cotransporter. Nat Genet
[2] Riemenschneider T, Bohle A. Morphologic aspects of low-potassium and low- 1996 ; 12 : 24-30
sodium nephropathy. Clin Nephrol 1983 ; 19 : 271-279

[3] Rose BD. Clinical Physiology of Acid-Base and Electrolyte Disorders (4th
ed). New York : McGraw-Hill, 1994 : 805-808

3
1-1310
1-1310

Hyponatrémie
Encyclopédie Pratique de Médecine

D Joly

L ’hyponatrémie est une anomalie hydroélectrolytique fréquente. Elle concerne 1 % des patients hospitalisés et
5 % des opérés récents. Elle traduit le plus souvent une hypo-osmolalité plasmatique efficace, associée à une
hyperhydratation intracellulaire de retentissement clinique variable.
© Elsevier, Paris.


transfert d’eau du secteur extracellulaire vers le
Introduction Une hyponatrémie traduit le plus secteur intracellulaire. Les reins assurent
souvent une hyperhydratation de normalement une régulation très efficace de
secteur intracellulaire. l’osmolalité plasmatique dans cette circonstance, en
De nombreuses hyponatrémies, peu symptoma- excrétant une urine hypotonique (osmolalité urinaire
tiques, sont découvertes lors d’un examen < 150 mOsm/kg). En pathologie, une hypo-
biologique fortuit. D’autres sont symptomatiques et détaillerons ultérieurement, et où schématiquement, osmolalité plasmatique persistante peut s’expliquer
potentiellement mortelles. L’appréciation clinique de l’osmolalité plasmatique calculée est différente de de trois façons :
l’osmolalité plasmatique mesurée. – les capacités rénales physiologiques
l’état d’hydratation du secteur extracellulaire permet
d’élimination hydrique sont dépassées ;
une orientation diagnostique rapide et la mise en
‚ Osmolalité plasmatique mesurée – il existe une anomalie rénale de dilution de
œuvre des mesures thérapeutiques initiales.
L’osmolalité plasmatique peut être mesurée l’urine ;
directement par cryoscopie : outre le sel de sodium – il existe une augmentation de la sécrétion de


et le glucose, cette méthode tient compte de l’urée et l’hormone antidiurétique (ADH), se traduisant par
Rappels physiopathologiques [2]
d’autres molécules, osmotiquement actives, une réabsorption rénale tubulaire d’eau.
éventuellement présentes dans le plasma. Ses


valeurs normales sont de 290 ± 5 mOsm/kg d’eau.
‚ Osmolalité plasmatique efficace Cette mesure est surtout utile lorsque l’on envisage Démarche diagnostique
et natrémie les rares cas où l’hyponatrémie ne reflète pas une
La pression osmotique qui règne de part et hyperhydratation intracellulaire.
‚ Diagnostic positif
d’autre des membranes cellulaires règle l’état
‚ Hyperhydratation intracellulaire (fig 1) Il est biologique : natrémie inférieure à
d’hydratation des cellules. À l’état stable, les
osmolalités efficaces des secteurs extra- et Il existe, de façon certaine, une hypo-osmolalité 135 mmol/L. On parle d’hyponatrémie grave en-
intracellulaires sont égales. Elles sont déterminées plasmatique efficace, qui a pour conséquence un dessous de 120 mmol/L. Le diagnostic est le plus
par des osmoles qui ne diffusent pas passivement
d’un secteur à l’autre : les sels de sodium et le
glucose. L’eau, par contre, peut diffuser passivement,
et suivra des mouvements physiologiquement Hyperhydratation intracellulaire
nécessaires à la concentration ou la dilution des
secteurs intra- et extracellulaires. L’état d’hydratation
intracellulaire dépend donc indirectement de Hypo-osmolalité extracellulaire
l’osmolalité plasmatique efficace.
En cas par exemple de diminution de l’osmolalité
plasmatique efficace, il y aura un mouvement d’eau
du secteur extracellulaire vers le secteur Capacités rénales Altération de
d'élimination hydrique de dilution Élévation de l'hormone
intracellulaire, et donc une hyperhydratation antidiurétique
dépassées des urines
intracellulaire. Or, il existe une relation directe simple
entre la natrémie et l’osmolalité plasmatique
efficace : osmolalité efficace = (natrémie x 2) +
Potomanie Insuffisance rénale Syndromes œdémateux
glycémie = 285 mOsm/kg à l’état stable.
Perfusions abondantes aiguë ou chronique Déshydratation extracellulaire
Ceci explique pourquoi la natrémie est un
© Elsevier, Paris

Cachexie Sécrétion inappropriée


marqueur pratique simple de l’état d’hydratation du d'hormone antidiurétique
secteur intracellulaire. (SIADH)
L’assertion précédente est cependant fausse dans
1 Mécanismes des hyperhydratations intracellulaires.
deux circonstances particulières que nous

1
1-1310 - Hyponatrémie

Tableau I. – Signes d’hyperhydratation


Natrémie < 135 mmol/L intracellulaire.

Signes digestifs
« Fausse hyponatrémie » — nausées, vomissements, anorexie
Osmolalité plasmatique
Grande hyperprotidémie — dégoût de l’eau
normale ?
Grande hyperlipidémie
Signes neuropsychiques
— céphalées
Perfusion hyperosmolaire
— asthénie, troubles de la vigilance, confusion,
Osmolalité plasmatique élevée ? Glycocolle délire
Intoxications — crampes musculaires
Urée ou glycémie — hypertonie extrapyramidale : signe de Babinski,
myoclonies, fasciculations
Osmolalité basse
Complications
— coma profond
— crises convulsives
Hyperhydratation intracellulaire

cellules, génère une augmentation rapide de


l’osmolalité plasmatique efficace, d’où transfert d’eau
Évaluer le sodium extracellulaire du secteur intracellulaire vers le secteur
extracellulaire. Il y a d’une part, déshydratation
intracellulaire, et d’autre part expansion du secteur
extracellulaire avec dilution du sodium (Na+).
Déshydratation Normal Hyperhydratation – Perfusions hyperosmolaires (mannitol, glycérol,
extracellulaire extracellulaire dextran, certains produits de contraste).
– Accidents de réabsorption du glycocolle au
cours de résections endoscopiques de prostate.
Natriurèse
Potomanie Cirrhose – Intoxications : méthanol, éthanol, trichloroé-
Perfusions hypotoniques Insuffisance cardiaque thane, bière.
> 40 mmol/j 20 mmol/j excessives Syndrome néphrotique – Élévation très rapide de l’urée ou de la
Endocrinopathies Insuffisance rénale évoluée glycémie.
Diurétiques Pertes digestives (hypothyroïdie) aiguë ou chronique
Néphropathie SIADH En pratique, c’est le contexte le plus souvent
ou cutanées
avec perte de sel particulier qui suggère au clinicien le lien tout à fait
Levée d'obstacle inhabituel entre une hyponatrémie et une
Insuffisance surrénale déshydratation intracellulaire.
L’osmolalité peut être mesurée par cryoscopie à
titre de confirmation : elle est élevée.
Sel +++ Normosodé Restriction sodée
Eau ++ Restriction hydrique Restriction hydrique
Diurétiques ‚ Deuxième étape
Elle consiste à affirmer l’hyponatrémie traduisant
2 Orientation diagnostique devant une hyponatrémie.
une hyperhydratation intracellulaire et apprécier sa
SIADH : syndrome de sécrétion inapropriée d’hormone antidurétique.
gravité.
Il s’agit de la situation de loin la plus fréquente :
souvent fortuit, lors d’un bilan sanguin systématique, – hyperlipidémie majeure (> 30 g/L) : syndrome
l’hyponatrémie témoigne réellement d’une
mais doit être évoqué devant des signes digestifs de Zieve (avec stéatose hépatique et anémie
hyperhydratation intracellulaire.
et/ou neurologiques aspécifiques pouvant hémolytique), diabète déséquilibré, syndrome
s’accorder avec une hyperhydratation intracellulaire néphrotique.
Signes cliniques d’hyperhydratation
(fig 2). Dans ces circonstances, la natrémie mesurée est intracellulaire
basse car le compartiment d’« eau plasmatique » est
‚ Première étape réduit. Cela dit, l’osmolalité mesurée est normale, La présence ou non de symptômes cliniques
ainsi que l’état d’hydratation clinique. dépend de l’intensité du trouble ionique, mais
Elle consiste à envisager les situations où
surtout de sa rapidité d’installation : les
l’hyponatrémie ne traduit pas une hyperhydratation La règle est donc d’écarter, devant toute
hyponatrémies chroniques (parfois profondes) sont
intracellulaire [5]. hyponatrémie, la possibilité d’une « fausse
en règle mieux tolérées que les hyponatrémies
hyponatrémie » en dosant la protidémie, le
Hyponatrémie avec secteur intracellulaire aiguës.
cholestérol et les triglycérides.
normal Une autre possibilité est de demander un dosage Les premiers symptômes sont habituellement
de la natrémie corrigée, mesurée directement par digestifs, puis neuropsychiques (tableau I). Les
On a coutume d’appeler cette situation « fausse
une électrode sélective à sodium : les valeurs principales complications résultent de l’hypertension
hyponatrémie ».
normales sont de 148 à 154 mmol/L d’eau intracrânienne, par œdème des cellules cérébrales :
La natrémie est en effet mesurée par litre de
plasmatique. coma profond et convulsions.
plasma. Le plasma comprend normalement 93 %
d’eau et 7 % de protides et lipides. Ce dernier
Hyponatrémie avec hyperhydratation ‚ Troisième étape
compartiment peut connaître une forte expansion
dans deux circonstances particulières : intracellulaire Elle consiste à préciser le mécanisme de
– hyperprotidémie majeure (> 90 g/L) : myélome, Ce cas est très rare : une substance osmoti- l’hyperhydratation intracellulaire, en évaluant
Waldenström ; quement active, peu ou pas diffusible dans les cliniquement l’état du secteur extracellulaire.

2
Hyponatrémie - 1-1310

Inflation du secteur extracellulaire mOsm/kg). Le contexte (psychose, période


L’addition à l’hyperhydratation intracellulaire
Accident des diurétiques postopératoire) oriente aisément le diagnostic ;
d’une hyperhydratation extracellulaire réalise un état – opsiuries endocriniennes (hypothyroïdie,
✔ Contexte : prescription de
d’hyperhydratation globale. insuffisance corticosurrénalienne) sont particuliè-
diurétiques thiazidiques à forte dose, rement fréquentes chez le sujet âgé, et justifient
Les marqueurs d’inflation du secteur extracellu- régime désodé strict, apports pleinement la réalisation d’un bilan hormonal ;
laire sont cliniquement évidents : hydriques libres. – syndrome de sécrétion inappropriée d’ADH
– prise de poids ; ✔ Physiopathologie : il existe (SIADH) ou syndrome de Schwartz-Bartter, dont les
– œdèmes ; schématiquement [1] une perte causes sont très variées (tableau II). Dans certains cas
– oligurie avec natriurèse basse (< 20 mmol/j). hydrique et surtout sodée avec l’enquête étiologique (centrée sur la recherche d’une
Cette situation de rétention hydrosodée, avec déshydratation [2]. La soif importante néoplasie) est difficile.
excès relatif d’eau, se rencontre principalement dans est compensée par des apports
les insuffisances cardiaques droites et globales, les
hydriques exclusifs [3]. Il s’y associe


cirrhoses décompensées, les syndromes
une limitation de la capacité de
néphrotiques, les insuffisances rénales avancées. Traitement [1]
dilution de l’urine (thiazide,
Déshydratation extracellulaire
insuffisance rénale fonctionnelle,
élévation de l’ADH).
Aux signes éventuels d’hyperhydratation Nous n’envisagerons ici que le traitement des
✔ Présentation clinique :
intracellulaire, se superposent des signes de hyponatrémies avec hyperhydratation intracellu-
hyperhydratation intracellulaire,
déshydratation extracellulaire : laire. Le choix du lieu et du type de traitement est
hydratation extracellulaire variable fonction de plusieurs paramètres :
– perte de poids ;
allant de la déshydratation à – mécanisme de l’hyponatrémie et cause
– pli cutané ;
l’hyperhydratation, avec sous-jacente ;
– hypotension artérielle orthostatique avec
constamment une déplétion sodée – rapidité de constitution du trouble ;
tachycardie ;
responsable de l’hypertension – gravité clinique.
– hémoconcentration biologique (élévation de
orthostatique.
l’hématocrite et des protides).
✔ Prévention : thiazidiques à doses ‚ Hyponatrémie
Au plan physiopathologique, il y a déplétion
appropriées (12,5 à 25 mg avec hyperhydratation extracellulaire
hydrosodée, mais les pertes sodées sont plus
importantes que les pertes hydriques. Les pertes
d’hydrochlorothiazide au maximum), Initialement, le traitement est débuté en milieu
sodées peuvent être extrarénales (natriurèse basse,
pas de régime sans sel strict, hospitalier, puis poursuivi en ambulatoire,
inférieure à 20 mmol/j) ou rénales (natriurèse > boissons limitées ne dépassant pas moyennant une surveillance clinique et biologique
40 mmol/j). Une mention particulière doit être faite 1 500 mL/j au plus. stricte.
concernant l’« accident des diurétiques » dans cette ✔ En pratique : la prescription d’un Un traitement étiologique sera systématiquement
circonstance [3]. diurétique thiazidique, comme celle envisagé : ce sera en particulier celui d’une
d’un régime sans sel, doit insuffisance cardiaque ou d’un syndrome
Secteur extracellulaire normal s’accompagner d’une restriction néphrotique.
Le pool sodé total de l’organisme est ici inchangé. hydrique modérée, pour éviter L’objectif du traitement symptomatique est une
Il existe, en revanche, une rétention hydrique pure l’intoxication par l’eau et déplétion hydrosodée avec des pertes hydriques
justifiant le vocable d’« hyponatrémie de dilution ». l’hyponatrémie de dilution. idéalement supérieures aux pertes sodées. On peut
Malgré une discrète prise de poids, il n’y a pas prescrire à cet effet :
d’œdème. La natriurèse est dite « conservée » car elle – un régime restreint en sel (2 g/j) et en eau
– apports hydriques excessifs (potomanie,
dépend des apports sodés. (500 mL/j) ;
perfusions hypotoniques massives) où les capacités
– des diurétiques de l’anse (furosémide,
Trois grands types d’étiologies peuvent expliquer de sécrétion d’eau libre par le rein sont dépassées,
bumétanide) ou antialdostérone (spironolactone) ;
cette situation : malgré une osmolalité urinaire appropriée (< 150
– des diurétiques intraveineux, avec une
perfusion de sérum salé hypertonique dans les
Tableau II. – Causes fréquentes de syndrome de sécrétion inapropriée d’ADH. formes sévères ;
– en cas d’insuffisance rénale terminale, discuter
Sécrétion paranéoplasique d’ADH
le début de l’épuration extrarénale avec
Cancer bronchopulmonaire
Cancers digestifs : pancréas, intestin grêle ultrafiltration.
Cancer prostatique
Thymomes, lymphomes... ‚ Hyponatrémie
avec déshydratation extracellulaire
Sécrétion d’ADH neurohypophysaire
Affections pulmonaires : tuberculose, aspergillose, pneumopathies bactériennes Le traitement étiologique est indispensable afin
Affections neurologiques : de limiter les pertes hydrosodées cutanées,
méningites, méningoencéphalites, abcès cérébraux digestives ou rénales : arrêt d’un diurétique
traumatisme crânien, accident vasculaire cérébral hémorragique ou ischémique, hémorragie méningée
polyradiculonévrite thiazidique par exemple.
stress, douleur Les buts du traitement symptomatique sont de
corriger :
Iatrogène
Analogues de l’ADH (lysine, vasopressine, ocytocine) ■ le déficit hydrosodé (pour le secteur
Stimulant ou renforçant l’ADH endogène (carbamazépine, biguanides, anti-inflammatoires non stéroïdiens, extracellulaire) :
théophylline, vincristine, neuroleptiques,...) – en cas de collapsus, l’expansion volémique par
À action indéterminée (clofibrate, colchicine, cyclophosphamide,...) voie veineuse est urgente et utilise des solutés
Idiopathique cristalloïdes (NaCl à 9 g/L) ou macromoléculaires ;
– en l’absence de collapsus : apports hydrosodés
ADH : hormone antidiurétique. oraux ou parentéraux.

3
1-1310 - Hyponatrémie

■ le déficit sodé relatif (pour le secteur Dans les hyponatrémies aiguës symptomatiques,
intracellulaire) : Sérum salé hypertonique la vitesse de correction de l’hyponatrémie peut être
– en cas de troubles neuropsychiques : sérum plus élevée, en particulier en cas de coma ou
✔ Modalités :
salé hypertonique ; convulsions, sans toutefois dépasser 2 mmol/L/h le
– ampoules de NaCl à 20 % soit 2 g premier jour, et 1 mmol/L/h les jours suivants.
– chez un patient peu symptomatique :
dans 10 mL ;
suppléments sodés alimentaires (NaCl 10 à 20 g/j).
– à infuser à la seringue électrique ; Seuil de correction [4]
– sans dépasser 10 g/j en moyenne.
‚ Hyponatrémie Chez l’alcoolique ou le patient dénutri, il ne faut
avec secteur extracellulaire normal
✔ Indications :
jamais s’acharner à corriger complètement la
– hyponatrémie compliquée (coma, natrémie, sous peine de risquer une myélinolyse
convulsions). centropontine. On peut se contenter d’un seuil plus
bas (par exemple 125 à 130 mmol/L), pour lequel il
Le traitement étiologique est, là encore, de mise : n’y a pas en règle générale de troubles cliniques.
hormonothérapie thyroïdienne, traitement d’une ‚ Vitesse et niveau de correction
néoplasie ou d’une infection pulmonaire. d’une hyponatrémie

Le traitement symptomatique vise à obtenir une


Vitesse de correction du trouble [4]
La natrémie devra être corrigée d’autant plus
lentement qu’elle est chronique : l’adaptation des

Conclusion

déplétion hydrique pure : en l’absence de traitement neurones à l’hyponatrémie les rend, en effet, très L’analyse d’une hyponatrémie doit suivre une
aquarétique actuellement, l’idée est d’apporter sensibles à la moindre déshydratation, exposant au démarche logique, en s’assurant tout d’abord qu’elle
moins d’eau alimentaire qu’il n’en est perdu au risque de myélinolyse centropontine. Cet accident est liée à une réelle hyperhydratation intracellulaire.
quotidien par voie cutanée, respiratoire et rénale : neurologique effroyable survenant électivement en L’anamnèse et l’examen de secteur extracellulaire
– restriction hydrique (500 mL/j) ; cas de correction trop rapide d’une hyponatrémie permettent de préciser la physiopathologie du
– apports sodés normaux ; chronique, la règle est de ne pas faire augmenter trouble puis sa cause. Un traitement étiologique et
– lédermicine ou lithium (action anti-ADH), en celle-ci de plus de 0,5 mmol/L/h. Ceci suppose une symptomatique adapté sera entrepris, sachant que
dernier recours, en cas d’hyponatrémie surveillance régulière du ionogramme, en milieu les hyponatrémies graves ou symptomatiques
symptomatique persistante malgré la restriction hospitalier dans les cas où un traitement parentéral a engagent le pronostic vital et justifient une
hydrique. été décidé. hospitalisation initiale.

Dominique Joly : Chef de clinique-assistant,


service de néphrologie du Pr Grünfeld, hôpital Necker-Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : D Joly. Hyponatrémie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1310, 1998, 4 p

Références

[1] Kamel KS, Bear RA. Treatment of hyponatremia: a quantitative analysis. Am [4] Sterns RH, Thomas DJ, Herndon RM. Brain dehydration and neurologic dete-
J Kidney Dis 1993 ; 21 : 439-443 rioration after correction of hyponatremia. Kidney Int 1989 ; 35 : 69-74

[2] Rose BD. Clinical physiology of acid-base and electrolyte disorders (4th ed). [5] Weisberg LS. Pseudohyponatremia: a reappraisal. Am J Med 1989 ; 86 :
New York : McGraw-Hill, 1994 : 672-675 315-321

[3] Sonnenblick M, Friedlander Y, Rosin AJ. Diuretic-induced severe hyponatre-


mia. Review and analysis of 129 reported patients. Chest 1993 ; 103 : 601-606

4
¶ 1-1365

Inversion de la formule sanguine


F. Lefrère, O. Hermine

L’inversion de la formule sanguine est un terme qui ne doit pas être employé. Seules les valeurs absolues
des lymphocytes et des polynucléaires neutrophiles sont à prendre en compte.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Inversion de formule

Plan Valeurs normales (seules à prendre en compte) :


• lymphocytes :
¶ Faux problème 1 C 1,5-4 × 109/l chez l’adulte ;
Valeurs absolues 1 C 1,5-6 × 109/l chez l’enfant ;
C 1,5-11 × 109/l chez le nourrisson ;
• polynucléaires neutrophiles :
C 1,7 à 7,5 × 109/l
■ Faux problème Ces éléments sont à prendre en compte afin d’éviter au
On appelle abusivement inversion de la formule une propor- médecin qui adresse un « patient » muni d’un hémogramme
tion de lymphocytes supérieure à celle des polynucléaires normal en consultation spécialisée un certain discrédit (et une
neutrophiles. Ce terme ne doit plus être utilisé. .
source de coût inutile).

Valeurs absolues Pour en savoir plus


Seules les valeurs absolues des lymphocytes et des polynu-
cléaires neutrophiles sont à prendre en compte pour l’interpré- Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, Guillain MC.
tation d’un hémogramme. Hématologie. Abrégés. Paris: Masson; 2001.
Une inversion de la formule sanguine avec un compte absolu Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP. L’hématologie de
de polynucléaires neutrophiles et un compte absolu de lympho- Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 1992.
cytes normaux ne revêt aucun caractère pathologique. Elle ne Lefrère F. Hématologie et transfusion. Paris: Estem; 2006.
justifie aucune exploration ou surveillance particulière. Varet B. Le livre de l’interne. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 2007.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, hôpital Necker-Enfants Malades, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Inversion de la formule sanguine. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de
Médecine Akos, 1-1365, 2008.

Disponibles sur www.em-consulte.com


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décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Traité de Médecine Akos 1


1-1250
1-1250

Lacticodéshydrogénase élevée
Encyclopédie Pratique de Médecine

Z Amoura

L a lacticodéshydrogénase (LDH) est une enzyme responsable de la transformation de l’acide pyruvique en


acide lactique. Sa répartition est ubiquitaire : la LDH est contenue dans toutes les cellules et dans les globules
rouges. Il existe toutefois cinq isoformes de cette enzyme dont certaines ont une spécificité tissulaire : ainsi la LDH-1
est d’origine cardiaque, pulmonaire et érythrocytaire et la LDH-5 d’origine hépatique et musculaire.
Le test utilisé en routine mesure la concentration sérique de la LDH, sans différentier les isoformes.
© Elsevier, Paris.


‚ Démarche étiologique Origine musculaire
Conduite pratique devant
des LDH sériques élevées L’élévation de la LDH sérique résulte d’une Toute lyse du muscle squelettique peut provoquer
augmentation du relargage de la LDH intracellulaire. une élévation de la LDH. Les autres enzymes
Cette dernière peut être due, soit à une musculaires sont également élevées : CPK,
‚ Avertissement
augmentation du nombre de cellules (toutes les transaminases, aldolase. Ne pas oublier que tous les
Deux éléments sont déterminants pour la tumeurs), soit à une augmentation de la libération de traumatismes musculaires, notamment les injections
conduite pratique : la LDH par lyse tissulaire (infarctus ou hémolyse). intramusculaires, peuvent aussi entraîner une lyse.
– la LDH est en grande concentration dans les
globules rouges ce qui implique que toute hémolyse Origine rénale
Origine cardiaque
induite par le prélèvement peut donner une Il s’agit surtout de l’infarctus rénal.
■ Infarctus du myocarde : la LDH est élevée avec
augmentation artéfactuelle des LDH ;
la CPK (et particulièrement la CPK-MB) et les Origine hémolytique
– la LDH est ubiquitaire ce qui implique que sa transaminases. Habituellement la symptomatologie
spécificité est médiocre. Toute hémolyse, quelle que soit son origine, peut
clinique et électrocardiographique permet le
Il est donc nécessaire de : induire une élévation des LDH. Les signes cliniques
diagnostic mais il faut savoir que l’élévation de la
– faire un nouveau dosage devant la moindre et biologiques d’hémolyse permettent d’évoquer le
LDH commence 10-12 heures après le début, atteint
suspicion d’hémolyse induite ; diagnostic.
son pic en 48-72 heures et persiste pendant 10-14
– de coupler le dosage de la LDH avec celui jours. L’élévation isolée de la LDH peut donc se voir Origine tumorale
d’autres enzymes plus spécifiques d’une origine longtemps après l’infarctus lorsque les autres
Toutes les tumeurs malignes peuvent donner une
tissulaire comme les transaminases (ASAT, ALAT) et enzymes sont revenues à la normale.
élévation des LDH. Les LDH sont élevées dans
la créatine phosphokinase (CPK). Idéalement, ces ■ Rhumatisme articulaire aigu et myocardite
environ 50 % des cancers solides, surtout dans les
dosages ne seraient pas nécessaires si le dosage des aiguë sont des causes exceptionnelles.
stades avancés, dans 60 % des lymphomes et dans
isoenzymes était de pratique courante. ■ Cardioversion électrique, chirurgie cardiaque.
près de 90 % des leucémies aiguës ou chroniques.
Devant une élévation persistante des LDH, après
‚ Conduite pratique Origine pulmonaire
l’élimination rapide des causes non tumorales (cf supra),
La démarche diagnostique s’appuie sur un ■ Embolie pulmonaire et infarctus pulmonaire : le praticien doit rechercher un cancer profond.
examen clinique complet qui insistera particuliè- l’élévation de la LDH totale est modérée mais est à
connaître.


rement sur :
– l’examen des organes génitaux externes ■ La plupart des pneumopathies peuvent induire Conclusion
(cancer du testicule) ; une élévation modérée.
– l’examen du coeur : la réalisation d’un
électrocardiogramme doit être systématique ; Origine hépatique Malgré une spécificité médiocre, le dosage
– la palpation des aires ganglionnaires ■ Hépatites surtout : les transaminases sont
© Elsevier, Paris

sérique de la LDH est un examen intéressant qui


(lymphome) ; élevées également. peut permettre par une enquête rigoureuse (fig 1) de
– la recherche d’une néoplasie profonde : ■ Cirrhose, ictère cholestatique peuvent entraîner dépister des pathologies diverses. Le praticien doit
altération de l’état général, sueurs, fièvre, etc ; des élévations modérées. toujours garder à l’esprit la hantise d’un cancer
– la recherche de signes d’hémolyse. ■ Métastases hépatiques. sous-jacent.

1
1-1250 - Lacticodéshydrogénase élevée

LDH élevée

Éliminer élévation artéfactuelle

Confirmer l'élévation

Examen clinique complet

Pas d'orientation vers Orientation vers une origine


une origine cellulaire cellulaire
(par exemple : myalgies, douleur
coronarienne ...)

Rechercher des perturbations


biologiques spécifiques associées :
CPK, transaminases, aldolase,
gamma GT, haptoglobine...

Orientation vers une


Pas d'orientation vers origine cellulaire
une origine cellulaire

Confirmation origine

non oui

Reprise examen
clinique

1 Démarche étiologique devant une élévation de la LDH.


LDH : lacticodéshydrogénase ; CPK : créatine phosphokinase.

Zahir Amoura : Chef de clinique-assistant,


service de médecine interne, hôpital Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Z Amoura. Lacticodéshydrogénase élevée.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1250, 1998, 2 p

Références

[1] Wallach J. Interpretation of diagnostic tests (6th). Boston : Littel and Brown
1996

2
¶ 1-1370

Leuconeutropénie
F. Lefrère, O. Hermine

Les neutropénies constituent un problème fréquent en consultation. L’important pour le médecin


généraliste est d’évaluer les risques infectieux selon le niveau de la neutropénie et de distinguer selon le
contexte clinique et les anomalies associées, sur la numération, les orientations diagnostiques nécessitant
un avis spécialisé en urgence avec la réalisation éventuelle d’un myélogramme.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Neutropénie ; Agranulocytose ; Myélogramme

Plan même, toute nouvelle médication non strictement indispensa-


ble, récemment introduite (moins de 3 mois) (Tableau 1).
¶ Introduction 1 L’existence d’une anémie et/ou d’une thrombocytopénie
associée doit faire suspecter une hémopathie : leucémie aiguë,
¶ Diagnostic étiologique et évaluation de la gravité 1
aplasie médullaire, myélodysplasie.
Agranulocytose 1
Neutropénies comprises entre 500 et 1 700/mm3 1 Il faut adresser sans tarder le patient à l’hôpital et n’intro-
duire d’antibiotiques devant un sepsis que si l’hospitalisation ne
peut être, pour des raisons matérielles, rapidement organisée.
Citons deux situations particulières :
■ Introduction • un cas non urgent, rare, celui des patients atteints de
polyarthrite rhumatoïde, qui peuvent présenter des neutropé-
La neutropénie se définit par une valeur absolue de polynu- nies profondes ou chroniques (de mécanismes complexes)
cléaires neutrophiles (PNN) inférieure à 1 700/mm 3 sans conséquences infectieuses (parfois associées à une
(< 1,7 × 109/l). accumulation de lymphocytes à grains visibles sur un frottis
Il existe des variations génétiques, notamment chez certains sanguin). Il faut toutefois se méfier d’une origine médica-
sujets noirs, pour qui un taux stable de PNN voisin de 1 000/mm3 menteuse sur ce terrain (sels d’or, D-pénicillamine) ;
(au plus bas de 800/mm3) est considéré comme normal (en • les neutropénies profondes mais transitoires, induites par des
l’absence d’infections à répétition). chimiothérapies anticancéreuses. Les risques infectieux sont
Il faut en premier lieu apprécier le degré d’urgence et de alors réels, mais la politique d’hospitalisation ou de prise
gravité de la neutropénie : les risques d’infections sévères ne
d’antibiotiques orale en ambulatoire, face à un sepsis sans
deviennent significatifs qu’en dessous de 500 PNN/mm3.
signe de gravité, est à définir par le service hospitalier, en
relation avec le médecin généraliste.

“ Point fort Neutropénies comprises entre 500


Valeurs normales des polynucléaires neutrophiles : 1 700-
et 1 700/mm3
7 500 /mm3 (1,7-7,5 × 109/l)
Neutropénies sévères < 800/mm3
(sans réelle agranulocytose)
■ Diagnostic étiologique
Elles imposent d’emblée un avis spécialisé, même si les autres
et évaluation de la gravité lignées sont normales, pour réaliser un myélogramme, car une
leucémie aiguë ou une aplasie médullaire peut se déclarer ainsi.
Agranulocytose En cas de régression spontanée, une cause virale ou médica-
Si le taux de PNN est < 200/mm3, la situation devient urgente menteuse (après l’arrêt d’un médicament) peut être retenue. En
et nécessite une hospitalisation sans délai. Le risque d’infections cas de persistance, des pathologies rares peuvent être évoquées
graves est majeur. On y apparente les situations où le taux de (syndrome de Felty dans le contexte d’une polyarthrite rhuma-
PNN est inférieur à 500/mm3. toïde, d’une neutropénie auto-immune ou d’une neutropénie
Il faut se renseigner sur une prise médicamenteuse potentiel- associée à des lymphocytoses à grains ; lupus érythémateux
lement responsable et l’interrompre aussitôt. On interrompt, de disséminé, neutropénies cycliques).

Traité de Médecine Akos 1


1-1370 ¶ Leuconeutropénie

Tableau 1. Neutropénies modérées comprises entre 800


Liste (non exhaustive) de médicaments susceptibles d’induire une et 1 700/mm3
agranulocytose.
Il faut d’emblée adresser le patient en consultation spécialisée
Antalgiques
en cas :
Amidopyrine
Noramidopyrine • d’anomalies associées sur la numération (anémie et/ou
Anticonvulsivants thrombocytopénie, macrocytose) ;
Phénytoïne (Di-Hydan®) • de splénomégalie en dehors de l’existence d’une cirrhose, où
Barbituriques une neutropénie est alors banale (conséquences de l’hyper-
Antibiotiques splénisme).
Chloramphénicol
En dehors de ces situations, il faut temporiser et :
Sulfamides
Pénicillines • interrompre un (les) médicament (s) suspect (s) ;
Céphalosporines • rechercher une hépatomégalie dans le cadre d’une cirrhose à
Anti-inflammatoires l’origine d’un hypersplénisme ;
Acide acétylsalicylique
• contrôler l’hémogramme 15 jours plus tard ;
Indométacine (Indocid®)
Hypoglycémiants • surveiller en attendant régulièrement la température et
Chlorpropamide (Diabinèse®) consulter rapidement à la moindre alerte ;
Antipaludéens • en cas d’aggravation de la neutropénie et/ou apparition
Quinine d’anomalies associées (anémie, thrombocytopénie), une
Pyriméthamine (Fansidar®) consultation spécialisée est requise ;
Antithyroïdiens • en cas de normalisation du taux de PNN, il peut s’agir d’une
Carbimazole (Néo-Mercazole®) neutropénie :
Médicaments cardiovasculaires
Captopril (Lopril®) C mineure oscillante bénigne ;
Propranolol (Avlocardyl®) C médicamenteuse si la normalisation suit l’arrêt d’une
Disopyramide (Rythmodan®) thérapeutique ;
Tranquillisants, antidépresseurs
C virale.
Diazépam (Valium®)
Imipramine (Tofranil®) Si la neutropénie est totalement isolée et stable sur plusieurs
hémogrammes pratiqués à distance, le diagnostic le plus
Divers
vraisemblable est celui de neutropénie chronique mineure, sans
Clopidogrel (Plavix®)
gravité ni conséquences cliniques ou thérapeutiques particuliè-
Ticlopidine (Ticlid®)
res. Ce tableau est particulièrement fréquent chez le sujet noir,
Allopurinol (Zyloric®)
pour lequel la « neutropénie » est congénitale, mais peut aussi
D-pénicillamine (Trolovol®)
se rencontrer chez le Caucasien et être acquise, comme en
Sels d’or
témoigneraient des hémogrammes antérieurs normaux. La
Clozapine (Leponex®)
.

surveillance par des hémogrammes réguliers est tout à fait


Défériprone (Ferriprox®)
inutile (Fig. 1).

< 200/mm3
Neutropénie
Urgence +++

< 800/mm3 > 800/mm3

Myélogramme
Isolée Splénomégalie
Thrombocytopénie

Hémopathie Moelle normale


maligne ou « bloquée » Hypersplénisme
Aggravation Stable
Lymphome splénique

Aiguë Chronique
Formes Ethnie
- Toxique - Auto-immune
mineures noire
- Virale - Congénitale
- Immunoallergique

Neutropénie
À suivre ethnique
possible

Figure 1. Arbre décisionnel. Orientation diagnostique face à une neutropénie.

2 Traité de Médecine Akos


Leuconeutropénie ¶ 1-1370

Pour en savoir plus Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP. L’hématologie de
Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 1992.
Lefrère F. Hématologie et transfusion. Paris: Estem; 2006.
Bernard J, Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, et al. Varet B. Le livre de l’interne. Paris: Médecine-Sciences Flammarion (2e ed);
Hématologie. Paris: Masson; 2008. 2007.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, Hôpital Necker-Enfants malades, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Leuconeutropénie. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos,
1-1370, 2009.

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Traité de Médecine Akos 3


¶ 1-1380

Lymphopénie
F. Lefrère, O. Hermine

La lymphopénie est un élément qui a peu d’orientations diagnostiques en soi. De même, elle ne constitue
pas, à elle seule, une urgence diagnostique. Seules comptent les valeurs absolues. La sérologie du virus de
l’immunodéficience humaine (VIH) est le seul examen vraiment indispensable.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Lymphopénie ; VIH

Plan Devant une lymphopénie isolée (cliniquement et biologique-


ment) :
• contrôle de la lymphopénie ;
¶ Définition 1
• recherche de facteur de risque vis-à-vis du VIH ;
• examen clinique : adénopathies, foyers infectieux, etc. ;
• sérologie VIH ;
■ Définition • comptage éventuel après avis spécialisé des lymphocytes T4
(normal > 600/mm3).
Elle se définit par un chiffre de lymphocytes inférieur à
• ± selon contexte : clairance de la créatinine, calcémie, enzyme
1,5 × 109/l (< 1 500/mm3) chez l’adulte, et 3 × 109/l (< 3 000/
de conversion, anticorps antinucléaire, anti-acide désoxyribo-
mm3) chez l’enfant.
nucléique (ADN).
Il faut la vérifier sur une seconde numération-formule
Il existe par ailleurs de très rares formes de lymphopénies
sanguine.
congénitales à intégrer dans des déficits immunitaires de
Il convient de distinguer les lymphopénies comme anomalies
mécanismes variés et complexes relevant d’une médecine
isolées sur l’hémogramme, où seul un diagnostic est important,
ultraspécialisée.
l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), et .

les lymphopénies associées à des états pathologiques variés, où


elles constituent un signe mineur au regard de l’ensemble du Pour en savoir plus
contexte pathologique : syndrome néphrotique, insuffisance Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, Guillain MC.
rénale chronique, granulomatose, corticothérapie, dénutrition, Hématologie. Abrégés. Paris: Masson; 2008.
maladie auto-immune, chimiothérapie, immunothérapie Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP. L’hématologie de
antilymphocytaire, entéropathie exsudative, certaines infections Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 1992.
(mycobactéries, cytomégalovirus, West Nile virus, etc.). Guillevin L. Le livre de l’interne. Médecine Interne. Paris: Médecine-
Il existe de très rares lymphopénies T4 (< 300/mm3) chez des Sciences Flammarion; 2007.
patients séronégatifs pour le VIH (à adresser en consultation Zonios DI, Falloon J, Bennett JE, Shaw PA, Chaitt D, Baseler MW, et al.
spécialisée) susceptibles d’engendrer des infections Idiopathic CD4+ lymphocytopenia: natural history and prognostic
opportunistes. factors. Blood 2008;112:287-94.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, Hôpital Necker-Enfants malades, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Lymphopénie. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1380,
2008.

Disponibles sur www.em-consulte.com


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Traité de Médecine Akos 1


¶ 1-1382

Métabolisme du magnésium normal


et pathologique
A. Blanchard

Le contenu extracellulaire en magnésium est d’environ 1 % du contenu total de l’organisme. La


magnésémie en est donc un reflet approximatif. L’hypomagnésémie est définie par une valeur inférieure à
0,65 mmol/l. Elle a une incidence de 10 à 15 % en secteur hospitalier classique. Son diagnostic
étiologique repose sur le dosage de la magnésurie. Une magnésurie inférieure à 1 mmol/24 heures définit
une cause extrarénale, par carence très sévère d’apport alimentaire de magnésium, par malabsorption
ou encore par détournement osseux du magnésium. Une magnésurie supérieure à 2 mmol/24 heures
démontre une perte rénale de magnésium, innée ou acquise. Les pertes rénales congénitales de
magnésium sont essentiellement représentées par des tubulopathies héréditaires, classées en fonction de
la présence associée ou non d’une perte rénale de calcium et/ou de sodium. L’hypermagnésémie est un
désordre métabolique plus rare, dont l’incidence en secteur hospitalier classique est de l’ordre de 5 %.
Asymptomatique au-dessous de 2 mmol/l, elle altère progressivement la transmission neuromusculaire,
le système sympathique et la conduction cardiaque, et met en jeu le pronostic vital lorsqu’elle atteint des
valeurs supérieures à 7 mmol/l. L’hypermagnésémie résulte soit d’apports de magnésium massifs au
volume extracellulaire, dépassant la très bonne capacité physiologique à excréter ce cation, soit d’une
altération marquée de la fonction rénale.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Magnésium ; Hypomagnésémie ; Hypermagnésémie ; Pseudo-hypo-parathyroïdisme ;


Tubulopathies

Plan d’adénosine triphosphate. Le magnésium est aussi impliqué


dans la synthèse, la dégradation et la polymérisation de l’acide
désoxyribonucléique, la liaison du ribosome à l’acide ribonu-
¶ Introduction 1
cléique et dans la synthèse protéique. Finalement, le magnésium
¶ Métabolisme normal du magnésium 1 est un cofacteur des adénylates cyclases. Il joue par cet effet sur
Répartition du magnésium dans l’organisme 1 la voie de l’adénosine monophosphate cyclique (AMPc) ou, par
Apports alimentaires et réabsorption intestinale du magnésium 2 un effet direct, un rôle important dans la régulation de certains
Réabsorption rénale du magnésium 3 canaux ioniques au potassium et au calcium. La magnésémie est
Régulation de la balance du magnésium et homéostasie de la physiologiquement régulée et maintenue dans des limites
magnésémie 3 étroites, entre 0,75 et 1,4 mmol/l, grâce à une régulation
¶ Hypomagnésémies 4 couplée de son absorption nette intestinale et de son excrétion
Définition et incidence 4 rénale. Le diagnostic des pathologies du magnésium repose sur
Signes et symptômes de la déplétion en magnésium 4 le dosage de la magnésémie. Or, selon les Recommandations
Hypomagnésémies extrarénales 4 médicales opposables en vigueur, il est permis de prescrire un
Pertes rénales de magnésium 5 dosage de magnésium sérique et/ou globulaire dans les cas de
nettes perturbations cliniques ou biologiques, en particulier au
¶ Hypermagnésémies 6
cours des états de cirrhose décompensée, d’insuffisance rénale,
Définition et incidence 6
de syndrome de malabsorption intestinale, de traitement
Signes et symptômes de la déplétion en magnésium 6
diurétique prolongé à fortes doses, de pancréatite aiguë et de
Diagnostic étiologique des hypermagnésémies 7
brûlures étendues. Cette recommandation fait que les déplétions
Traitement des hypermagnésémies 7
en magnésium paucisymptomatiques risquent d’être mécon-
nues, par manque de dépistage.

■ Introduction ■ Métabolisme normal


Le magnésium est par son abondance le second cation
du magnésium
intracellulaire après le potassium. Il est un élément essentiel au
stockage et à l’utilisation de l’énergie. Substrat des adénosine
Répartition du magnésium dans l’organisme
triphosphatases (ATPases), il est nécessaire aux transports actifs Le contenu de l’organisme en magnésium (Fig. 1) est d’envi-
ioniques transépithéliaux comme à la synthèse mitochondriale ron 1 000 mmoles (25 g), dont plus de 60 % sont stockés dans

Traité de Médecine Akos 1


1-1382 ¶ Métabolisme du magnésium normal et pathologique

12 mmol/ j Cellules
340 mmol

42 mmol/ j
Os
ECF 650 mmol?
Mg
10 mmol

1,2 mmol/ j

9 mmol/ j

3 mmol/ j
Figure 1. Répartition du magnésium dans l’organisme. L’apport moyen de magnésium par l’alimentation de type occidental est de 12 à 15 mmol (300 à
350 mg) par jour. La réabsorption intestinale nette, somme du flux de réabsorption active transcellulaire et de sécrétion passive paracellulaire, représente
physiologiquement environ un tiers des apports. Physiologiquement, les échanges entre os et volume extracellulaire (ECF) sont équilibrés sur 24 heures, et la
magnésurie reflète l’apport net intestinal de magnésium (Mg).

l’os, de 30 à 40 % dans les muscles, érythrocytes et autres Apports alimentaires et réabsorption


cellules, et seulement environ 1 % (10 mmoles) dans le volume
extracellulaire [1, 2].
intestinale du magnésium
Moins d’un tiers du magnésium osseux et intramusculaire est L’apport moyen de magnésium par l’alimentation de type
sous forme libre, échangeable. En effet, le magnésium osseux est occidental est de 12 à 15 mmol (de 300 à 350 mg) par jour
intimement associé aux cristaux de carboxyapatite, tandis que (Fig. 1) [3] . Présent dans approximativement tous les types
le pool intracellulaire de magnésium est lié aux lipoprotéines, d’aliments, le magnésium est particulièrement abondant dans
aux nucléoprotéines, aux acides ribonucléiques et à l’adénosine les légumes verts, puisqu’il rentre dans la composition de la
diphosphate. Dans le plasma, seulement 20 % du magnésium chlorophylle.
est lié aux protéines plasmatiques. La magnésémie est donc L’absorption intestinale du magnésium résulte de deux flux
beaucoup moins affectée par les variations de protidémie que la inverses : un flux facilité de réabsorption transcellulaire (40 %
calcémie. Elle peut être utilisée comme un bon reflet des des apports) et un flux de sécrétion passif paracellulaire (8 %
concentrations en magnésium libre et ultrafiltrable, en dehors des apports). Au cours des déplétions extrarénales sévères
des situations de variations aiguës de l’état acide-base [3]. comme au cours de la croissance, la réabsorption intestinale est
La faible quantité de magnésium dans le volume extracellu- stimulée et peut atteindre 70 % des apports.
laire par rapport aux stocks intracellulaires et osseux explique La réabsorption intestinale du magnésium est majoritaire-
que la magnésémie ne soit pas un paramètre d’une fiabilité ment localisée dans l’intestin grêle distal, dans la partie allant
absolue pour juger de l’état de déplétion ou de réplétion en du duodénum distal (D3) à l’iléon. Finalement, le côlon possède
magnésium. Les études menées chez l’animal comme chez une faible capacité de réabsorption du magnésium.
l’homme ont cependant pu établir une corrélation étroite entre La réabsorption intestinale de magnésium implique un
magnésémie et contenu osseux en magnésium. Au contraire, la transport facilité transcellulaire, distinct de celui du calcium et
corrélation entre magnésémie et contenu en magnésium des peu ou non sensible à la vitamine D [5]. Récemment, une des
cellules musculaires et cardiaques est beaucoup moins bonne. étapes limitant ce transport a pu être identifiée. Il s’agit du
Pour mieux estimer le risque cardiologique potentiel induit par canal TRMP6, exprimé à la membrane luminale des intestins
les variations intracellulaires en magnésium, il a été proposé de grêle et large, et dont la perte de fonction conduit en patholo-
mesurer la concentration intraérythrocytaire de magnésium, gie à une malabsorption sélective en magnésium (hypomagné-
mieux corrélée au contenu intracellulaire cardiaque que la sémie avec hypocalcémie secondaire, cf. infra) [6].
magnésémie [3]. Le flux de sécrétion intestinale passif de magnésium paracel-
Le stock de magnésium intracellulaire est corrélé au stock lulaire est fortement dépendant des flux hydriques transépithé-
intracellulaire de potassium. Dans la dénutrition et les déficits liaux et du gradient de concentration du magnésium libre entre
en potassium, un déficit cellulaire en magnésium apparaît, qui le liquide interstitiel et le liquide luminal intestinal. Ainsi, ce
est corrélé au déficit en potassium intracellulaire. Ainsi, au cours flux de sécrétion, estimé à 0,5-1 mmol par jour (de 12 à 24 mg)
d’une déplétion en potassium chronique, le contenu musculaire physiologiquement, peut considérablement s’accroître lorsque la
intracellulaire en magnésium diminue de 0,5 mmoles pour concentration luminale de magnésium libre est très faible,
chaque diminution de 10 mmoles de potassium par kg de masse comme au cours des malabsorptions lipidiques où les cations
maigre [2]. Inversement, la déplétion en magnésium induit une divalents, calcium et magnésium, sont chélatés par les graisses
déplétion potassique précoce, par perte rénale de potassium [4]. non absorbées. Au contraire, ce flux paracellulaire passif peut

2 Traité de Médecine Akos


Métabolisme du magnésium normal et pathologique ¶ 1-1382

Lumen Interstitium Lumen Interstitium


Na+
NKCC2 Na+
ATP
Na+ ATP
TSC K+
Na+ 2Cl- K+
K+
Cl- K+ CIC-Ka/b
? Cl-
ATP ROMK barttin
Mg++ Mg++ K+

TRMP6 Cl-
barttin CaSR
Ca2+ ?
Mg2+

+ -

Tube distal Branche large


(réabsorbe 10 % du magnésium filtré) (réabsorbe 60-70 % du magnésium filtré)
Figure 2. Systèmes de transport impliqués dans la réabsorption de magnésium dans la branche large (à droite) et dans le tubule contourné distal (à gauche).

s’inverser et augmenter la réabsorption nette intestinale lorsque magnésium ; ainsi, l’hypervolémie inhibe cette réabsorption,
la concentration intestinale de magnésium libre est élevée, l’hypovolémie la stimule.
comme au cours de l’administration de sulfate de magnésium L’hypermagnésémie et l’hypercalcémie inhibent la réabsorp-
per os à visée laxative, ou intrarectale à visée tocolytique. tion de magnésium dans l’anse de Henle en stimulant le
Au total, l’absorption intestinale nette, physiologiquement récepteur au calcium (CaSR).
d’environ un tiers des apports alimentaires en magnésium La parathormone et d’autres hormones capables d’activer la
(4 mmoles ou 100 mg par 24 heures), peut être affectée en voie de l’AMPc dans la branche large stimulent la réabsorption
pathologie dans le sens de la hausse ou de la baisse par une rénale de calcium. Cet effet explique la tendance hypermagné-
modification du flux de réabsorption active transcellulaire et/ou sémique des sujets présentant une hyperparathyroïdie.
de sécrétion passive paracellulaire.

Réabsorption rénale du magnésium Régulation de la balance du magnésium


et homéostasie de la magnésémie
Le comportement rénal du magnésium a fait l’objet de
plusieurs revues récentes [7-10]. Environ 100 mmol de magné- L’étude de l’homéostasie du magnésium comporte deux
sium (soit 2 500 mg) sont filtrés quotidiennement. Alors que aspects distincts bien que complémentaires. D’une part, la
70 % du sodium et du calcium sont réabsorbés dans le tubule balance du magnésium doit être ajustée aux besoins pour
proximal, seulement 5 à 15 % du magnésium sont réabsorbés à maintenir ou restaurer le contenu en magnésium de l’organisme
ce site à la faveur de la réabsorption d’eau et de solutés, par des à sa valeur physiologique, d’autre part la magnésémie doit être
voies non définies à ce jour (Fig. 2). La branche large de Henle maintenue à une valeur suffisamment élevée pour obtenir une
joue un rôle quantitatif et qualitatif majeur dans la réabsorption concentration en magnésium libre extra- et intracellulaire
rénale de magnésium. Elle réabsorbe par voie paracellulaire 50 adaptée.
à 60 % du magnésium filtré, ce qui permet de délivrer environ L’acquisition et le maintien d’un contenu en magnésium
10 % de la charge filtrée au tube contourné distal. Ce segment suffisant tout au long de la vie requièrent une balance en
est également un site majeur de régulation de la réabsorption magnésium positive chez l’enfant et le sujet déplété en magné-
rénale de magnésium. Comme la branche large est un segment sium, une balance équilibrée chez l’adulte sain, ou négative
faiblement perméable à l’eau, la réabsorption des cations chez le sujet hypermagnésémique. Chez l’adulte sain, la balance
divalents ne peut y être secondaire à la réabsorption d’eau et de en magnésium dépend avant tout de l’ajustement de l’excrétion
solutés comme dans le tubule proximal. Cette réabsorption se rénale de magnésium à l’absorption digestive nette intestinale
fait par voie paracellulaire, sélectivement perméable au calcium de magnésium. Les échanges bidirectionnels de magnésium
et au magnésium. Elle implique au moins deux protéines de entre l’os et le liquide extracellulaire en rapport avec le remo-
jonction identifiées à ce jour, la claudine 16 (aussi nommée delage osseux sont alors équilibrés et le flux net nul sur
paracelline 1) et la claudine 19. L’énergie nécessaire à la 24 heures. Au contraire, en cas de restriction des apports
réabsorption est fournie par la différence de potentiel positive alimentaires de magnésium, un flux net de magnésium apparaît
dans la lumière, caractéristique de ce segment. En pathologie, la de l’os vers le liquide extracellulaire. Au cours de la croissance,
perte fonctionnelle de la claudine 16 comme celle de la l’événement est primitivement osseux, et le magnésium est
claudine 19 conduit à une perte rénale de calcium et de détourné du volume extracellulaire vers l’os. La magnésurie ne
magnésium sévère [11, 12]. Le tubule contourné distal réabsorbe reflète alors plus l’absorption nette intestinale de magnésium,
environ 10 % de la charge filtrée de magnésium, permettant mais la somme du flux de résorption osseuse et de l’absorption
d’ajuster l’excrétion finale de magnésium aux besoins de nette intestinale.
l’organisme. À ce site, et contrairement à ce qui est observé Une balance en magnésium équilibrée peut être obtenue
dans le tubule proximal et la branche ascendante de Henle, la indépendamment de la capacité de l’organisme à maintenir la
réabsorption de magnésium est indépendante de la réabsorption magnésémie dans les valeurs physiologiques. Les déterminants
de sodium, transcellulaire, et implique des voies moléculaires de de la magnésémie restent encore largement indéterminés. On ne
transport distinctes de celles du calcium. La voie d’entrée connaît pas à ce jour d’hormone ou de récepteur spécifique au
luminale principale du magnésium dans la cellule tubulaire magnésium qui pourrait orchestrer, à l’instar de ce qui est décrit
distale est commune au tube digestif, représentée par le canal pour le calcium, l’absorption intestinale de magnésium, sa
TRMP6. La voie de sortie basolatérale est encore indéterminée. réabsorption rénale ou son flux net osseux. En l’absence
Parmi les déterminants majeurs de la réabsorption rénale de d’apport net intestinal de magnésium, la baisse de la magnésu-
magnésium, on retiendra : rie précède la baisse de la magnésémie [4]. Cependant, l’apport
• les variations de calcémie et de magnésémie ; net intestinal devient négatif et la magnésurie n’est pas nulle,
• les variations de volémie, qui modifient la réabsorption ce qui entraîne une baisse de la magnésémie et donc de la
proximale rénale d’eau et de solutés, et secondairement de charge de magnésium filtrée. Un nouvel équilibre est alors

Traité de Médecine Akos 3


1-1382 ¶ Métabolisme du magnésium normal et pathologique

obtenu au prix d’une hypomagnésémie [4, 10]. La sévérité de association est en grande partie liée au fait que l’hypomagnésé-
cette hypomagnésémie est d’autant plus importante que la mie et l’hypokaliémie possèdent des causes communes telles
carence d’apport en magnésium est prolongée et qu’il existe un que la prise de diurétiques et les diarrhées. Cependant, la
défaut de réabsorption rénale de magnésium associé. La magné- déplétion en magnésium exerce un effet propre sur la kaliémie
sémie est donc étroitement dépendante des apports alimentaires en inhibant la réabsorption rénale de potassium, effet qui a été
de magnésium. Cet élément différencie nettement l’homéostasie localisé dans la branche large de Henle. Cet effet rend l’hypo-
du magnésium de celle du calcium. En effet, la calcémie dépend kaliémie réfractaire à la supplémentation potassique tant que la
d’un équilibre entre l’os et les reins. Elle peut être maintenue déplétion en magnésium persiste.
dans les limites de la normale, même à apports calciques
alimentaires maintenus nuls de manière prolongée, grâce à un Effets sur le métabolisme calcique et osseux
flux net d’ostéorésorption et à une stimulation de la réabsorp-
tion rénale de calcium [13]. L’effet le plus classique de la déplétion en magnésium est
l’apparition d’une hypocalcémie, qui est particulièrement
fréquente dans les hypomagnésémies sévères. La physiopatho-
■ Hypomagnésémies logie implique un effet inhibiteur sur la sécrétion de parathor-
mone, associée à une résistance périphérique aux effets rénaux
Définition et incidence et osseux de la parathormone et du calcitriol [17]. La résistance
aux effets osseux explique également la diminution du remode-
Lorsqu’elle est systématiquement recherchée, une hypoma- lage osseux qui a été décrit.
gnésémie est présente chez 7 à 20 % des patients hospitalisés,
cette incidence pouvant atteindre 60 % dans des secteurs de
soins intensifs [14]. Cette très forte incidence est alors liée à la Chondrocalcinose
combinaison de facteurs nutritionnels et de l’utilisation de La chondrocalcinose est une des complications la plus
drogues induisant des pertes rénales de magnésium (aminosides, symptomatique de l’hypomagnésémie chronique, en particulier
diurétiques). au cours du syndrome de Gitelman [18, 19].
Une magnésémie entre 0,5 et 0,65 mmol/l définit une
hypomagnésémie modérée. Une hypomagnésémie inférieure à Effets sur le système cardiovasculaire
0,50 mmol/l est considérée comme sévère, généralement
symptomatique. La mesure de la magnésurie permet de déter- Modifications de l’électrocardiogramme
miner si l’origine en est rénale (magnésurie supérieure à 2 mmol La déplétion en magnésium élargit le QRS et augmente
par 24 heures) ou extrarénale (magnésurie inférieure ou égale à l’amplitude de l’onde T.
1 mmol par 24 heures). L’arbre diagnostique d’une hypomagné-
sémie est résumé sur la Figure 3. Si la magnésurie est « intermé- Troubles du rythme
diaire », il faut supplémenter le patient et répéter les mesures L’effet de la déplétion en magnésium sur un cœur sain reste
sanguines et urinaires. sujet à débat. En revanche, il est clairement établi que la
Une magnésémie normale n’exclut pas l’existence d’une fréquence des troubles du rythme ventriculaire est augmentée
déplétion en magnésium responsable d’une hypocalcémie ou entre deux et trois fois par la présence d’une hypomagnésémie
d’une hypomagnésémie, en particulier chez le sujet dénutri dans les 24 premières heures d’une ischémie aiguë. La confé-
(éthylique chronique). Il peut être utile d’avoir recours à un test rence de consensus de l’Association américaine de cardiologie de
diagnostique en perfusant du magnésium et en étudiant la 1992 propose d’inclure l’administration systématique de sulfate
quantité relative de magnésium retenue par l’organisme, qui de magnésium dans la prise en charge des torsades de pointes
augmente en cas de déplétion [15, 16]. et des fibrillations ventriculaires réfractaires [20].

Signes et symptômes de la déplétion


en magnésium Hypomagnésémies extrarénales
Les causes intestinales de déplétion en magnésium peuvent
Hypokaliémie être subdivisées en quatre catégories : la diminution des apports,
Une hypokaliémie est présente chez environ la moitié des les stéatorrhées, les diarrhées sévères et les malabsorptions
patients présentant une hypomagnésémie [14] . Cette forte sélectives en magnésium.

Mg2+ < 0,65 mmol/l

Mg2+ U < 1 mmol/24 heures Mg2+ U > 2 mmol/24 heures

Suppression Pertes Transfert Pertes rénales


des apports digestives Alcalose • Médicamenteuses : furosémide,
Stéatorrhée Hungry bone thiazidiques, cisplatine, amphotéricine B,
Diarrhées syndrome aminosides, ciclosporine A, pentamidine
Malabsorption • Diurèse osmotique : diabète
sélective • Intoxication éthylique
• Acidose métabolique
• Héréditaires

Figure 3. Diagnostic étiologique d’une hypomagnésémie. En présence d’une hypomagnésémie, la mesure de la magnésurie permet de déterminer si
l’origine est extrarénale (magnésurie inférieure ou égale à 1 mmol par 24 heures) ou rénale (magnésurie supérieure à 1 mmol par 24 heures). Les causes
extrarénales relèvent soit d’une diminution majeure des apports alimentaires, soit d’une malabsorption intestinale innée ou acquise. Les causes rénales sont
également innées ou acquises, d’origine toxique ou métabolique.

4 Traité de Médecine Akos


Métabolisme du magnésium normal et pathologique ¶ 1-1382

Carence d’apports en magnésium Autres causes extrarénales d’hypomagnésémie


Parce que le magnésium est un constituant ubiquitaire des Une hypomagnésémie associée à une excrétion urinaire de
aliments, il est difficile de développer un déficit en magnésium magnésium inférieure à 1 mmol par 24 heures en l’absence de
par une carence d’apport isolée, sauf si celle-ci est extrême [4]. contexte évoquant une origine intestinale doit faire évoquer un
Cependant, des apports en magnésium insuffisants contribuent détournement osseux du magnésium. Une telle situation est
fréquemment à la déplétion présente dans de nombreux états observée au cours de la phase réparatrice postchirurgicale d’une
pathologiques, en association avec d’autres facteurs telle qu’une hyperparathyroïdie (hungry bone syndrome) [24]. L’hypomagnésé-
perte rénale de magnésium. Les déplétions en magnésium par mie est alors associée à une hyperparathyroïdie secondaire. Une
carence d’apports pure ont essentiellement été décrites chez des supplémentation en calcium, vitamine D et magnésium est
patients hospitalisés sous nutrition par voie parentérale prolon-
généralement nécessaire pendant plusieurs mois avant d’obtenir
gée n’intégrant pas un apport suffisant en magnésium. La
une normalisation de la sécrétion de parathormone et du stock
diminution des apports en magnésium joue également un rôle
de magnésium.
important dans la déplétion en magnésium sévère des
alcooliques.
Pertes rénales de magnésium
Stéatorrhées
Elles peuvent entraîner une déplétion en magnésium sévère. Diagnostic
L’excrétion fécale de magnésium dépasse alors l’apport alimen-
taire de magnésium, ce qui démontre l’inversion du flux passif Le diagnostic de perte rénale de magnésium devrait être
paracellulaire en faveur d’un flux de sécrétion net. En dehors facilement établi en mesurant l’excrétion urinaire de magné-
des stéatorrhées, la déplétion en magnésium peut apparaître sium avant la mise en place de toute supplémentation. En effet,
dans toute situation diarrhéique sévère, qu’elle soit secondaire le rein possède une grande capacité à retenir le magnésium.
à une colique ulcérative ou amibienne, à une résection intesti- Chez un sujet soumis à une alimentation très appauvrie en
nale étendue ou à une fistule biliaire. Dans ces conditions, magnésium, on observe que l’excrétion urinaire de magnésium
l’excrétion fécale de magnésium (et également de potassium) diminue à 0,5 mmol par 24 heures en moins de 1 semaine.
devient directement proportionnelle au contenu total en eau Ainsi, une hypomagnésémie associée à une magnésurie supé-
des selles, et la concentration de magnésium fécale est approxi- rieure à 2 mmol par 24 heures témoigne nécessairement d’une
mativement de 3 mmol/l. incapacité rénale à s’adapter à la déplétion en magnésium et
donc d’une perte rénale de magnésium [20]. Rarement, comme
Malabsorption sélective en magnésium au cours de l’hypomagnésémie avec hypocalcémie secondaire, le
L’hypomagnésémie avec hypocalcémie secondaire (HOMG, défaut de magnésium peut être masqué par une anomalie
OMIM602014) se révèle généralement dans l’enfance et occa- associée de l’absorption intestinale de magnésium et ne se
sionnellement chez l’adulte à l’occasion de la découverte d’une révéler que sous supplémentation. Il convient alors de surveiller
hypocalcémie sévère symptomatique qui fait rechercher et l’évolution de la magnésurie avant normalisation totale de la
découvrir une hypomagnésémie sévère (inférieure à 0,5 mmol magnésémie. Le défaut de réabsorption rénale associé à la
/l). L’excrétion urinaire de magnésium inférieure à 1 mmol par malabsorption intestinale pourra être documenté si au cours de
24 heures avant traitement témoigne de l’origine extrarénale de l’évolution sous traitement apparaît une excrétion urinaire de
l’hypomagnésémie. Cette pathologie décrite en 1968 se trans- magnésium supérieure à 1 mmol par 24 heures contemporaine
met sur un mode autosomique récessif [21]. Elle a été récemment d’une hypomagnésémie.
reliée dans plusieurs familles indépendantes à des mutations Les pertes rénales de magnésium sont le plus souvent acqui-
dans le gène codant le canal TRMP6, étape luminale limitant le ses. Cependant, c’est l’analyse systématique des rares patients
transport actif transcellulaire dans l’épithélium intestinal [22]. Si atteints de tubulopathies avec pertes rénales de magnésium qui
le défaut d’absorption intestinale apparaît au premier plan, il a permis, au cours de la dernière décennie, de progresser de
s’associe à une perte rénale de magnésium qui se révèle lorsque manière spectaculaire dans la compréhension des mécanismes
l’on corrige le déficit et que la magnésémie est normalisée par moléculaires des transports transépithéliaux de magnésium chez
le traitement [23]. Ce défaut s’explique par le fait que le canal l’homme.
TRMP6 est également exprimé sur la membrane apicale du
tubule contourné distal, site majeur de régulation fine de
Hypomagnésémies d’origine toxique
l’excrétion urinaire de magnésium. Dans la forme la plus sévère
de la pathologie, les enfants présentent dans les 3 premiers mois De nombreux traitements ont été décrits comme pouvant
de la vie des signes neuromusculaires à type de malaise, de induire une perte rénale de magnésium. Les premiers cas ont été
crampes musculaires, de tétanie ou de convulsion. En l’absence décrits chez les patients recevant des aminosides. Une hypoma-
de traitement, ces anomalies peuvent être fatales ou aboutir à gnésémie apparaît chez 50 à 75 %, selon les séries, des patients
un déficit neurologique définitif. Cette hypocalcémie est traités par cisplatine et peut persister plusieurs mois après l’arrêt
résistante à l’administration de calcium et de vitamine D. du traitement [25]. Le foscarnet induit également des hypoma-
L’apport intraveineux de magnésium permet de normaliser gnésémies qui peuvent être sévères [26]. Une autre cause médi-
rapidement la magnésémie ainsi que l’hypocalcémie, d’où le camenteuse commune d’hypomagnésémie est la ciclosporine
nom attribué à cette pathologie. Un équilibre métabolique peut qui induit des hypomagnésémies chroniques associées, selon les
être maintenu en chronique par l’administration orale de fortes cas, à une hypokaliémie ou à une hyperkaliémie. Les diurétiques
posologies de magnésium 20 fois supérieures aux apports de l’anse et surtout les diurétiques thiazidiques entraînent des
physiologiques. Ces dernières sont capables d’inverser le flux hypomagnésémies généralement modérées et bien tolérées. En
passif en faveur d’une réabsorption passive intestinale de effet, ces médicaments inhibent la réabsorption rénale distale de
magnésium jusqu’à compenser le défaut de réabsorption active magnésium mais induisent une hypovolémie qui stimule la
transcellulaire. La limite de ce traitement est que la charge réabsorption proximale de magnésium.
osmotique dans la lumière intestinale que représente le sel de
magnésium non réabsorbé induit généralement une diarrhée. Pertes rénales acquises non toxiques
Celle-ci contre le bénéfice du traitement et nécessite d’ajuster au
cas par cas la posologie de la substitution. Une meilleure Différents états pathologiques peuvent s’associer à une
tolérance est obtenue en répartissant sur le nycthémère l’apport hypomagnésémie. Dans l’hyperaldostéronisme primaire comme
de magnésium sous forme de comprimés et/ou d’ampoules dans le syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiu-
diluées dans un grand volume d’eau. Certaines formes de rétique, l’hypomagnésémie modérée observée a été rapportée à
magnésium à libération prolongée, mieux tolérées et disponibles la tendance hypervolémique caractéristique de ces états, qui
à l’étranger ou sur Internet, ne sont malheureusement pas exerce un effet inhibiteur sur la réabsorption proximale de
disponibles en France. magnésium.

Traité de Médecine Akos 5


1-1382 ¶ Métabolisme du magnésium normal et pathologique

L’éthylisme chronique s’associe à une tubulopathie avec perte retardent mais ne permettent pas d’éviter l’apparition d’une
rénale de magnésium, qui disparaît généralement en 1 mois néphrocalcinose sévère et d’une insuffisance rénale terminale.
après le sevrage. Cette tubulopathie alcoolique n’est pas la seule La transplantation rénale guérit la pathologie.
cause d’hypomagnésémie chez ces patients généralement
Pertes rénales de magnésium associées à une perte rénale
dénutris, qui peuvent également présenter une pancréatite ou
de sodium
des diarrhées chroniques.
Syndrome de Bartter. C’est une tubulopathie à transmission
Pertes rénales héréditaires de magnésium autosomique récessive qui reproduit cliniquement une prise
chronique de diurétiques de l’anse. Elle associe une perte rénale
Les pertes rénales héréditaires de magnésium ont fait l’objet primitive de sodium, et une perte secondaire de potassium,
d’excellentes revues récentes [27, 28] . Leur diagnostic relève magnésium et calcium. Dans les formes anténatales, la perte de
d’explorations spécialisées rénales et métaboliques. Il est chlorure de sodium entraîne un hydramnios anténatal et des
cependant important de savoir reconnaître ces pathologies pour épisodes néonataux de déshydratation sévère. Les syndromes de
orienter les patients et leurs familles vers les structures adaptées Bartter « classiques » sont des formes à révélation plus tardive
pour y effectuer les tests de diagnostics et définir une prise une dans l’enfance ou l’adolescence. À ce jour, la pathologie est
charge thérapeutique appropriée. subdivisée en cinq sous-types, selon le gène impliqué. Le type
Schématiquement, les pertes rénales de magnésium se subdi- 1 est une forme anténatale qui implique le gène codant le
visent en trois catégories : les pertes sélectives de magnésium ; cotransport Na-K-2Cl (NKCC2), cible des diurétiques de l’anse
(OMIM 601678). Le type 2 est une forme anténatale qui
les pertes de magnésium avec hypercalciurie sans perte rénale de
implique le gène codant ROMK, un canal potassique nécessaire
sodium associée ; les pertes de magnésium associées à une perte
au recyclage du potassium, et indirectement au fonctionnement
rénale de sodium avec ou sans hypercalciurie.
du cotransport Na-K-2Cl (OMIM 241200). Le type 3 (OMIM
241200) est une forme généralement « classique », qui implique
Pertes rénales de magnésium sélectives le gène codant un canal au chlore basolatéral, ClCkb, également
exprimé dans le tubule distal. Cette distribution élargie explique
L’hypomagnésémie avec hypocalciurie (OMIM 154020) est
au sein de certaines familles porteuses du Bartter type 3 un
une tubulopathie qui se rapproche par ces deux anomalies du
phénotype variable selon les sujets atteints, allant d’un phéno-
syndrome de Gitelman (cf. infra), à la différence qu’elle
type anténatal à un phénotype de syndrome de Gitelman (cf.
n’associe ni perte rénale de sodium, ni hypokaliémie, ni alcalose
infra). Le type 4 (OMIM 602522), décrit sous le terme de Bartter
métabolique. Transmise sur un mode autosomique dominant, la anténatal avec surdité, implique le gène codant la barttine, une
pathologie a récemment été rapportée à des mutations de la protéine régulatrice des canaux ClCKb et ClCKa. Ce dernier
sous-unité c2 de la Na-K-ATPase exprimée au pôle basolatéral du canal est coexprimé avec ClCkb dans le tubule rénal. Un cas de
tubule contourné distal [29]. Un tableau proche, décrit sous le Bartter type 4 en rapport avec une double mutation inactiva-
terme d’hypomagnésémie avec normocalciurie, a été initiale- trice ClCKa et ClCb a été décrit. Finalement, le dernier sous-
ment rapporté chez deux sœurs. Les études ont pu exclure type est la forme la plus sévère d’hypocalcémie autosomique
l’implication des gènes codant respectivement le canal dominante (OMIM 601199) en rapport avec des mutations
TRMP6 et la sous-unité c2 de la Na-K-ATPase, suggérant la activatrices du récepteur au calcium. La perte rénale de sodium
présence d’une hétérogénéité génétique supplémentaire. s’explique par le tonus inhibiteur du CaSR hyperactif sur la
réabsorption de sodium dans la branche large.
Pertes rénales de magnésium avec hypercalciurie Syndrome de Gitelman (OMIM 263800). Cette tubulopathie
L’hypomagnésémie, hypercalciurie et néphrocalcinose (HHN) à transmission autosomique récessive a été longtemps confon-
est une affection autosomique récessive (MIM 248250) qui se due avec le syndrome de Bartter. Elle reproduit cliniquement
révèle généralement dans l’enfance ou dans l’adolescence par une prise chronique de diurétique thiazidique. Elle associe une
un trouble de la croissance, des douleurs abdominales révélant perte rénale de sodium et de potassium, une hypomagnésémie
une néphrolithiase ou encore une maladie lithiasique. D’autres classiquement sévère d’origine rénale. La calciurie est classique-
symptômes ont été décrits, tels que des infections urinaires, des ment basse (inférieure à 20 mmol/mmol de créatinine). Le gène
anomalies oculaires, une hyperuricémie ou une acidose tubu- impliqué est généralement le gène SLC12A3 codant le cotrans-
port du chlorure de sodium du tube distal, cible des diurétiques
laire incomplète. Le phénotype caractéristique est l’association
thiazidiques.
biologique d’une perte rénale massive de magnésium et de
calcium dont témoigne une hypomagnésémie sévère avec
magnésurie et calciurie élevée. La calcémie est généralement
normale, parfois basse, secondaire à la déplétion en magnésium. ■ Hypermagnésémies
La calciurie est alors anormalement normale (inappropriée à
l’hypocalcémie). Plusieurs cas familiaux ont pu être rapportés à
des mutations de gènes codant des protéines de jonction de la Définition et incidence
famille des claudines, les claudines 16 et 19. Ces protéines sont L’hypermagnésémie est un désordre hydroélectrolytique rare,
indispensables au transport paracellulaire de calcium et de défini par une magnésémie supérieure à 0,95 mmol/l [31]. Son
magnésium dans l’anse large. Ce défaut peut être démontré par incidence est environ deux fois moindre que celle de l’hypoma-
un test au furosémide qui montre une abolition de la réponse gnésémie [14] . Tant que le taux est inférieur à 2 mmol/l,
calciurique et magnésurique avec réponse natriurétique conser- l’hypermagnésémie reste asymptomatique. Comme le rein
vée [30] . Chez l’homme, l’expression de la claudine 16 est possède physiologiquement une très grande capacité rénale
restreinte à la branche ascendante large (une expression discrète d’excrétion du magnésium, une hypermagnésémie résulte
dans le tube contourné distal initialement décrite n’a pas été nécessairement d’un apport majeur de magnésium au volume
secondairement confirmée), expliquant le phénotype. Le extracellulaire, dépassant les capacités rénales d’élimination, ou
traitement de cette pathologie est particulièrement délicat d’une altération de la clairance rénale du magnésium, ou d’une
puisque la supplémentation en magnésium ne parvient pas ou combinaison des deux [32].
très difficilement à augmenter la magnésémie et que les diuré-
tiques thiazidiques, peu efficaces sur l’hypercalciurie, ont Signes et symptômes de la déplétion
tendance à plutôt aggraver la perte rénale de magnésium,
l’hypomagnésémie et à induire une hypocalcémie. La supplé-
en magnésium
mentation en citrate de potassium, l’hyperhydratation et le Lorsqu’elle est très sévère (supérieure à 9 mmol/l), elle peut
régime restreint en sodium sont généralement préconisés. Ils entraîner une inhibition de la transmission neuromusculaire, de

6 Traité de Médecine Akos


Métabolisme du magnésium normal et pathologique ¶ 1-1382

Tableau 1.
Manifestations de l’hypermagnésémie en fonction de la concentration
plasmatique de magnésium (d’après [33, 34]). “ Points essentiels
Magnésémie Manifestations cliniques
Quand mesurer la magnésémie
mg/dl meq/l mmol/l
• Bilan d’une hypocalcémie
1,7-2,4 1,4-2,1 0,7-1,2 Asymptomatique • Bilan d’une hypokaliémie
5-8 4-7 2-3,5 Nausées, vomissements, rash cutané, • Dénutrition chronique
bradycardie, hypotension
• Surveillance de nutrition parentérale
9-12 8-10 4-5 Abolition des réflexes tendineux,
• Surveillance d’une malabsorption
somnolence
Quand ne pas mesurer la magnésémie
> 15 > 12 >6 Dépression respiratoire, paralysie,
• Bilan d’asthénie
bloc complet
• Bilan de crampes
> 20 > 16 >8 Arrêt cardiaque avec asystolie
.

• Migraine
• Prise de poids ...

la conduction cardiaque et une inhibition du système sympa- .

thique. Cliniquement, ces effets se traduisent par une vasodila-


tation avec sensation de chaleur, des nausées et vomissements
et, lorsque la magnésémie est très élevée (supérieure à 6 mmol/l)
■ Références
une paralysie neuromusculaire, exceptionnellement un arrêt [1] Wacker WE, Parisi AF. Magnesium metabolism. N Engl J Med 1968;
cardiaque (Tableau 1). Ces effets sont aggravés par la présence 278:712-7.
d’une hypocalcémie, améliorés par la présence d’une [2] Alfrey AC, Miller NL, Butkus D. Evaluation of body magnesium
hypercalcémie [3]. stores. J Lab Clin Med 1974;84:153-62.
[3] Alfrey A. Disorders of magnesium metabolism. In: Seldin DW, editor.
The kidney. New York: Raven Press; 1992. p. 2357-73.
Diagnostic étiologique [4] Shils ME. Experimental human magnesium depletion. Medicine 1969;
des hypermagnésémies 48:61-85.
[5] Brannan PG, Vergne-Marini P, Pak CY, Hull AR, Fordtran JS.
Magnesium absorption in the human small intestine. Results in normal
Augmentation des entrées de magnésium dans subjects, patients with chronic renal disease, and patients with
le volume extracellulaire absorptive hypercalciuria. J Clin Invest 1976;57:1412-8.
Administration orale, intrarectale ou parentérale de sulfate [6] Walder RY, Landau D, Meyer P, Shalev H, Tsolia M, Borochowitz Z,
de magnésium et al. Mutation of TRPM6 causes familial hypomagnesemia with
secondary hypocalcemia. Nat Genet 2002;31:171-4.
L’administration de sulfate de magnésium per os à visée [7] de Rouffignac C. Renal magnesium handling. Adv Nephrol Necker
laxative ou intrarectale à visée tocolytique inverse le flux Hosp 1997;27:317-42.
paracellulaire passif de sécrétion intestinale de magnésium et [8] Hoenderop JG, Bindels RJ. Epithelial Ca2+ and Mg2+ channels in
augmente la réabsorption nette intestinale lorsque la concentra- health and disease. J Am Soc Nephrol 2005;16:15-26.
tion intestinale de magnésium libre est élevée [31]. Dans cette [9] Konrad M, Schlingmann KP, Gudermann T. Insights into the molecular
situation, des hypermagnésémies à 9 mmol/l ont été observées, nature of magnesium homeostasis. Am J Physiol Renal Physiol 2004;
chez des sujets à fonction rénale conservée. 286:F599-F605.
[10] Quamme GA. Magnesium homeostasis and renal magnesium handling.
Redistribution du magnésium de l’organisme Miner Electrolyte Metab 1993;19:218-25.
[11] Simon DB, Lu Y, Choate KA, Velazquez H, Al-Sabban E, Praga M,
Ce mécanisme a été en particulier impliqué dans les hyper-
et al. Paracellin-1, a renal tight junction protein required for paracellular
magnésémies observées au cours de certaines acidoses métabo-
Mg2+ resorption. Science 1999;285:103-6.
liques aiguës. [12] Konrad M, Schaller A, Seelow D, Pandey AV, Waldegger S,
Lesslauer A, et al. Mutations in the tight-junction gene claudin 19
Diminution de la capacité rénale d’excrétion (CLDN19) are associated with renal magnesium wasting, renal failure,
du magnésium and severe ocular involvement. Am J Hum Genet 2006;79:949-57.
[13] Houillier P, Froissart M, Maruani G, Blanchard A. What serum calcium
Elle résulte d’une diminution du débit de filtration can tell us and what it can’t. Nephrol Dial Transplant 2006;21:29-32.
glomérulaire. [14] Whang R, Ryder KW. Frequency of hypomagnesemia and
Une hypermagnésémie modérée est banale chez les patients hypermagnesemia. Requested vs routine. JAMA 1990;263:3063-4.
en insuffisance rénale préterminale ou en hémodialyse, et [15] Hebert P, Mehta N, Wang J, Hindmarsh T, Jones G, Cardinal P.
fonction de l’état acide base [33]. La présence en excès acciden- Functional magnesium deficiency in critically ill patients identified
telle de magnésium dans le dialysat peut être la cause d’une using a magnesium-loading test. Crit Care Med 1997;25:749-55.
hypermagnésémie sévère. [16] Rob PM, Dick K, Bley N, Seyfert T, Brinckmann C, Hollriegel V, et al.
Can one really measure magnesium deficiency using the short-term
magnesium loading test? J Intern Med 1999;246:373-8.
Traitement des hypermagnésémies [17] Fatemi S, Ryzen E, Flores J, Endres DB, Rude RK. Effect of
experimental human magnesium depletion on parathyroid hormone
La survenue d’une hypermagnésémie chez un patient à
secretion and 1,25-dihydroxyvitamin D metabolism. J Clin Endocrinol
fonction rénale normale ne nécessite pas de traitement particu-
Metab 1991;73:1067-72.
lier en dehors de l’arrêt de toute administration de magnésium. [18] Smilde TJ, Haverman JF, Schipper P, Hermus AR, van Liebergen FJ,
En présence de signes de dépression clinique ou respiratoire, on Jansen JL, et al. Familial hypokalemia/hypomagnesemia and
peut adjoindre l’administration intraveineuse de calcium (de 2 chondrocalcinosis. J Rheumatol 1994;21:1515-9.
à 5 mmol). La combinaison insuline/glucose peut également [19] Ea HK, Blanchard A, Dougados M, Roux C. Chondrocalcinosis
être utilisée pour promouvoir l’entrée du magnésium dans les secondary to hypomagnesemia in Gitelman’s syndrome. J Rheumatol
cellules. 2005;32:1840-2.
Une hypermagnésémie sévère symptomatique chez un insuf- [20] Agus ZS. Hypomagnesemia. J Am Soc Nephrol 1999;10:1616-22.
fisant rénal justifie le transfert en réanimation pour ventilation [21] Paunier L, Radde IC, Kooh SW, Conen PE, Fraser D. Primary
artificielle, administration de calcium et réhydratation [34], ou hypomagnesemia with secondary hypocalcemia in an infant. Pediatrics
réalisation d’une hémodialyse en urgence. 1968;41:385-402.

Traité de Médecine Akos 7


1-1382 ¶ Métabolisme du magnésium normal et pathologique

[22] Schlingmann KP, Weber S, Peters M, Niemann Nejsum L, Vitzthum H, [30] Blanchard A, Jeunemaitre X, Coudol P, Dechaux M, Froissart M,
Klingel K, et al. Hypomagnesemia with secondary hypocalcemia is May A, et al. Paracellin-1 is critical for magnesium and calcium
caused by mutations in TRPM6, a new member of the TRPM gene reabsorption in the human thick ascending limb of Henle. Kidney Int
family. Nat Genet 2002;31:166-70. 2001;59:2206-15.
[23] Voets T, Nilius B, Hoefs S, van der Kemp AW, Droogmans G, [31] Kontani M, Hara A, Ohta S, Ikeda T. Hypermagnesemia induced by
Bindels RJ, et al. TRPM6 forms the Mg2+ influx channel involved in massive cathartic ingestion in an elderly woman without pre-existing
intestinal and renal Mg2+ absorption. J Biol Chem 2004;279:19-25. renal dysfunction. Intern Med 2005;44:448-52.
[24] Araya V, Oviedo S,Amat J. Hungry bone syndrome: clinical experience [32] Vissers RJ, Purssell R. Iatrogenic magnesium overdose: two case
in its diagnosis and treatment. Rev Med Chil 2000;128:80-5. reports. J Emerg Med 1996;14:187-91.
[25] Blachley JD, Hill JB. Renal and electrolyte disturbances associated [33] Polzin DJ, Osborne CA, Stevens JB, Hayden DW. Influence of modified
with cisplatin. Ann Intern Med 1981;95:628-32. protein diets on electrolyte, acid base, and divalent ion balance in dogs
[26] Huycke MM, Naguib MT, Stroemmel MM, Blick K, Monti K, Martin- with experimentally induced chronic renal failure. Am J Vet Res 1982;
Munley S, et al. A double-blind placebo-controlled crossover trial of 43:1978-86.
intravenous magnesium sulfate for foscarnet-induced ionized [34] Fassler CA, Rodriguez RM, Badesch DB, Stone WJ, Marini JJ.
hypocalcemia and hypomagnesemia in patients with AIDS and Magnesium toxicity as a cause of hypotension and hypoventilation.
cytomegalovirus infection. Antimicrob Agents Chemother 2000;44: Occurrence in patients with normal renal function. Arch Intern Med
2143-8. 1985;145:1604-6.
[27] Konrad M, Weber S. Recent advances in molecular genetics of
hereditary magnesium-losing disorders. J Am Soc Nephrol 2003;14: Pour en savoir plus
249-60. http://www.orpha.net. : pour télécharger les fiches de renseignements accom-
[28] Knoers NV, de Jong JC, Meij IC, Van Den Heuvel LP, Bindels RJ. pagnant la demande de tests diagnostiques des syndromes de Bartter et
Genetic renal disorders with hypomagnesemia and hypocalciuria. Gitelman, et connaître la procédure.
J Nephrol 2003;16:293-6. http://www.ameli.fr.
[29] Meij IC, Koenderink JB, van Bokhoven H, Assink KF, http://www.nephrohus.org/uz/ : site universitaire didactique sur les troubles
Groenestege WT, de Pont JJ, et al. Dominant isolated renal magnesium hydroélectrolytiques et la néphrologie.
loss is caused by misrouting of the Na(+),K(+)-ATPase gamma- http://www.passeportsante.net/fr/Solutions/PlantesSupplements/Fiche.
subunit. Nat Genet 2000;26:265-6. aspx?doc=magnesium_ps.

A. Blanchard (anne.blanchard@egp.aphp.fr).
Université Paris V, Faculté de médecine Paris-Descartes ; INSERM, CIC 9201 et U654.
Centre d’investigations cliniques, Hôpital européen George Pompidou, 20-40, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Blanchard A. Métabolisme du magnésium normal et pathologique. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris),
Traité de Médecine Akos, 1-1382, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

8 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1383

Microalbuminurie :
méthodes de dosage et interprétation
R. Guieu, C. Monserrat

La microalbuminurie est définie comme l’élimination dans les urines d’une quantité d’albumine comprise
entre 30 et 300 mg/24 h ou entre 30 et 300 µg par mg de créatinine sur un échantillon d’urine isolé. Une
augmentation de la microalbuminurie témoigne d’une atteinte glomérulaire. La microalbuminurie
constitue à la fois un indicateur diagnostic, de suivi thérapeutique et de pronostic, aussi bien dans le
diabète de type 1 que de type 2. C’est également un facteur de risque indépendant dans l’hypertension
artérielle et la maladie coronarienne. La microalbuminurie doit être mesurée dans des conditions strictes
de prélèvement, au moins à deux reprises à visée diagnostic, et une fois par an au cours du suivi des
patients. Son dosage actuel ne pose aucun problème, il est bien standardisé. Il fait appel à
l’immunoturbidimétrie ou l’immunonéphélémétrie. Il est très rapide et fiable. Son interprétation est donc
sûre.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Microalbuminurie ; Urines de 24 h ; Ratio albuminurie/créatininurie ; Immunoturbidimétrie ;


Diabète ; Hypertension

Plan particulière. À ce titre on devrait plutôt utiliser le terme pauci-


albuminurie [1] , mais microalbuminurie est resté le terme
¶ Définition 1 d’usage [2]. Physiologiquement, l’albumine est retrouvée dans les
urines, puisque le poids moléculaire de l’albumine humaine
¶ Aspect méthodologique 1 (66 kDa) se trouve juste à la limite de la taille du filtre glomé-
Conditions de prélèvement 1 rulaire. L’albumine est donc l’une des premières protéines à
Techniques de dosage 2
passer dans les urines en cas d’atteinte glomérulaire. La
Recueil des urines et précautions à prendre 2
microalbuminurie s’exprime soit en fonction du débit urinaire,
¶ Valeurs de référence 2 en µg/min, soit en mg/24 h, soit en fonction de la créatininu-
¶ Interprétation clinique 2 rie, si on ne dispose pas de la quantité d’urines émises par 24 h
Dans le diabète de type 1 2 (Tableau 1).
Dans le diabète de type 2 3
En dehors du diabète 3
¶ Conclusion 3 ■ Aspect méthodologique
Conditions de prélèvement
■ Définition Classiquement, l’albuminurie est évaluée à partir des urines
des 24 h. Cependant la mesure du rapport albuminurie/
La microalbuminurie peut se définir comme l’élimination en créatininurie apparaît mieux adaptée. En effet, les urines des
petites quantités d’albumine d’origine plasmatique dans les 24 h ne sont pas toujours faciles à obtenir en pratique courante
urines. Il s’agit de « microquantités » et non d’une albumine (patient en ambulatoire, consultations, etc.). D’autre part, le

Tableau 1.
Valeurs de référence des concentrations en albumine dans les urines. Chez le sujet sain, l’albuminurie physiologique excède rarement 15 µg/min.
Interprétation Échantillons des 24 h Échantillon avec mesure du débit Échantillon ponctuel
Valeur normale < 30 mg/24 h < 20 µg/min < 30 µg/mg a de créatinine

Microalbuminurie 30 à 300 mg/24 h 20 à 200 µg/min 30 à 300 µg/mg de créatinine

Macroalbuminurie > 300mg/24 h > 200 µg/min > 300 µg/mg de créatinine
a
À diviser par 8,8 pour des résultats en µg/mmol.

Traité de Médecine Akos 1


1-1383 ¶ Microalbuminurie : méthodes de dosage et interprétation

prélèvement en lui même et le stockage sont source d’erreurs Tableau 2.


(respect rigoureux des 24 h, stockage en dehors de la chaleur, Valeurs de référence de la microalbuminurie en fonction du rythme
etc.). Enfin, pour un même patient, des différences de 20 % circadien ou du sexe.
dans les concentrations peuvent être observées d’un jour à Auteurs Microalbuminurie
l’autre [3] . La variation intra-individuelle est importante à
Mogensen [14] 15 à 150 µg/min, la nuit
souligner et il est primordial de vérifier le caractère permanent
de la microalbuminurie. Ainsi, la microalbuminurie doit être Stone [15] 20 à 200 µg/min, la nuit
mesurée au moins à deux reprises à visée diagnostic, puis
mesurée 1 fois par an pour tous les patients et 2 fois au cours Amin [13] Homme : 3,5 à 35 mg/mmol de créatinine
de la première année d’un traitement antihypertenseur par Femme : 4 à 47 mg/mmol de créatinine
exemple [4]. Pour les patients non diabétiques, le ratio
protéinurie/créatininurie serait la meilleure alternative, tandis Ficociello [16] 30 à 299 µg/min, la journée
que la mesure du ratio albuminurie/créatininurie est plutôt
réservée au patient diabétique [5].
entre les sexes. Chez la femme les valeurs peuvent être 20 %
Techniques de dosage supérieures à celles relevées chez l’homme [12, 13]. Les variations
Lorsque la concentration d’albumine dans l’urine est non individuelles de l’excrétion urinaire d’albumine au cours du
détectable avec les méthodes classiques des bandelettes urinaires rythme circadien a conduit un certain nombre d’auteurs à tenir
(seuil à 0,30 g/l), le dosage quantitatif de la microalbuminurie est compte du moment du prélèvement (Tableau 2) [13-16]. L’excré-
nécessaire. Les méthodes actuelles de dosage de la microalbumi- tion urinaire d’albumine est un peu plus faible au cours de la
nurie sont basées sur les travaux de Hellsing [6], de Fielding [7], nuit, vraisemblablement en relation avec une diminution de la
de Ciret [8] et de Marre [9]. Elles permettent le dosage de concen- pression artérielle et de la filtration glomérulaire.
trations très faibles d’albumine dans les échantillons d’urine. Un
consensus analytique, de la quasi totalité des constructeurs
d’automates actuellement sur le marché, montre que la princi-
pale technique fait appel à l’immunoturbidimétrie ou à l’immu-
nonéphélémétrie, accélérée ou non par le PEG (polyéthylène
glycol) ou des particules spécifiques, selon le fabricant. L’immu-
“ Points importants
nonéphélémétrie reste cependant la technique de référence Définition, méthodologie, valeurs de référence
compte tenu de sa meilleure sensibilité et spécificité. L’utilisation La microalbuminurie est définie comme l’élimination en
d’anticorps antialbumine, mono- ou polyclonal diffère selon le « microquantité » d’albumine dans les urines. Il ne s’agit
fabricant. Au cours de la réaction, l’albumine urinaire (Ag) pas d’albumine particulière.
s’associe avec l’anticorps spécifique (Ac) pour former les comple- Elle doit être mesurée sur des urines fraîches de 24 h, ou
xes Ag-Ac. Le changement d’absorbance est mesuré par turbidi-
sur un échantillon pendant un temps donné ou sur un
métrie à 340 nm ou 380 nm ou par turbidimétrie bichromatique
échantillon ponctuel en utilisant alors le rapport albumine
à 340 nm et 700 nm, ou par néphélémétrie à 670 nm ou
840 nm selon les différents fabricants et les différents automates. sur créatinine.
Ce changement d’absorbance est proportionnel à la concentra- Dans tous les cas, l’urine ne doit contenir ni de
tion d’albumine dans l’échantillon et est utilisé pour exprimer la conservateur ni d’acide. Le pH doit être compris entre 4 et
concentration d’albumine selon une courbe d’étalonnage. 8. L’échantillon ne doit pas montrer de croissance
L’autre système de mesure de la microalbuminurie, beaucoup bactérienne ou la présence de sang.
moins utilisé, est une technique immunoenzymatique par La variation intra-individuelle étant importante, il faut
compétition en phase solide, puis quantification par chimiolu- vérifier le caractère permanent de la microalbuminurie.
minescence (Immulite® 2000). Les valeurs normales sont : < 30 mg/24 h ou < 20 µg/min
ou < 30 µg/mg de créatinine.
Recueil des urines et précautions à prendre
La collecte des urines de 3 h, de la nuit ou de 24 h est faite sans
conservateur, avec les précautions habituelles [10]. L’heure, la durée
et le volume total de la collecte doivent être notés. Il est nécessaire ■ Interprétation clinique
de bien mélanger l’urine et de garder un aliquot pour l’analyse
puis de centrifuger l’échantillon d’urine à 3 000 g pendant La présence d’une microalbuminurie est rare dans la popula-
10 minutes avant l’analyse pour retirer les cellules ou autres tion standard et exceptionnelle avant la puberté, mais augmente
débris. Les échantillons d’urine peuvent être conservés jusqu’à considérablement chez les patients diabétiques ou hypertendus.
72 h entre + 2 °C et + 8 °C. Il est déconseillé d’utiliser des L’albuminurie peut être considérée comme une aide au dia-
échantillons d’urine congelés. Les échantillons ayant un pH gnostic, un marqueur pronostic et une cible thérapeutique. Aide
inférieur à 4 ou supérieur à 8 peuvent donner respectivement des au diagnostic puisque témoin d’une atteinte glomérulaire et
résultats trop hauts ou trop bas. Les échantillons acidifiés ne donc d’une atteinte rénale ; marqueur pronostic dans le cadre
doivent donc pas être utilisés. Le dosage ne doit pas être réalisé si de l’évolution de l’insuffisance rénale chronique [5] ; par ailleurs
l’échantillon montre une croissance bactérienne significative ou si la présence d’une microalbuminurie résiduelle malgré un
le patient a des symptômes d’infection urinaire. Les échantillons traitement adapté (traitement antihypertenseur en particulier)
contaminés par du sang ne doivent pas être utilisés, même après serait de mauvais pronostic [17]. Enfin, la baisse attendue de la
centrifugation. D’autres sources de variations ont été constatées microalbuminurie au cours d’un traitement adapté fait égale-
comme l’exercice physique intense [11]. Il ne semble pas exister ment de la microalbuminurie une cible thérapeutique.
d’interférence avec les médicaments aux doses habituelles.
Dans le diabète de type 1
■ Valeurs de référence La microalbuminurie est présente dans 6 % des diabètes
récents (< 3 ans) et augmente graduellement pour être présente
Les valeurs de référence sont données dans le Tableau 1. chez plus de 50 % des patients après 20 ans d’évolution de la
Il n’existe de valeur spécifique ni pour l’enfant ni pour la maladie [18]. On sait par ailleurs qu’un mauvais contrôle de la
personne âgée. En revanche, il existe une discrète différence glycémie accentue la microalbuminurie [19].

2 Traité de Médecine Akos


Microalbuminurie : méthodes de dosage et interprétation ¶ 1-1383

Dans le diabète de type 2 [4] Chugh A, Bakris GL. Microalbuminuria: What is it? Why is it impor-
tant? What should be done about it? An update. J Clin Hypertens 2007;
L’existence d’une microalbuminémie est notée dans 20 % à 9:196-200.
25 % des cas de diabète nouvellement diagnostiqué ou ancien. [5] Taal MW, Brenner BM. Renal risk scores: progress and prospects.
Le diabète de type 2 est une cause fréquente de néphropathie Kidney Int 2008;73:1216-9.
et la microalbuminurie fait partie de la surveillance des patients. [6] Hellsing K. The effects of different polymers for enhancement of the
La réduction de la microalbuminurie, au cours d’un traitement antigen antibody reaction as measured with nephelemetry in protides in
adapté, est corrélée à la diminution de l’atteinte rénale et à la the biological fluid, Oxford: Pergamon Press; 1973. (vol23). p. 579.
diminution du risque cardiovasculaire [20]. Enfin, La microalbu- [7] Fielding BA, Price DA, Houlton CA. Enzyme immunoassay for urinary
minurie est un facteur de risque de mortalité par accident albumin. Clin Chem 1983;29:355-7.
cardiovasculaire aussi bien chez les patients atteints de diabète
[8] Ciret P, Claudel JP, Marre M, Passa P. Early detection of
de type 1 [21], que pour ceux atteints de diabète de type 2 [22].
microalbuminuria by a new technic rapid, sensitive and automatable:
nephelometry. Journ Annu Diabetol Hotel Dieu 1986:313-5.
En dehors du diabète [9] Marre M, Claudel JP, Ciret P, Passa P. Laser immunonephelometry for
the determination of the urinary excretion of Albumin. Presse Med
D’une manière générale, chez le patient non diabétique, la 1986;15:1429.
présence d’une microalbuminurie reste un facteur de risque [10] Dussol B, Jourde-Chiche N. Fonction rénale : comment la mesurer,
indépendant de mortalité par ischémie coronaire [23]. Dans une comment l’interpréter? EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de
méta-analyse portant sur près de 170 000 patients, et incluant Médecine Akos, 1-1244, 2009 : 4p.
près de 7 000 événements cardiovasculaires, Perkovic et al. ont
[11] Raynaud E, Brun JF, Fédou C, Puech-cathala AM, Perez-Martin A,
montré que la présence d’une microalbuminurie augmente de
Orsetti A. Is microalbuminuria, an early marker of clinical
50 % le risque d’événement cardiovasculaire et que ce risque est
nephropathy, also a cardiovascular risk factor? Ann Biol Clin (Paris)
d’autant plus important que l’albuminurie est élevée [24]. La
1998;56:671-9.
présence d’une microalbuminurie est donc un facteur de risque
indépendant de maladie rénale et de mortalité dans le diabète [12] Schultz CJ, Konopelska-Bahu T, Dalton RN, Carroll TA, Stratton I,
et chez l’hypertendu [25] , et constitue un facteur de risque Gale EA, et al. Microalbuminuria prevalence varies with age, sex, and
précoce et indépendant de maladie cardiovasculaire (infarctus puberty in children with type 1 diabetes followed from diagnosis in a
longitudinal study. Oxford Regional Prospective Study Group.
du myocarde ou accident vasculaire) [26, 27]. L’hypertension
Diabetes Care 1999;22:495-502.
augmente l’excrétion urinaire de protéines d’origine tubulaire et
glomérulaire, et augmente en particulier l’albuminurie [28]. Au [13] Amin R, Widmer B, Prevost AT, Schwarze P, Cooper J, Edge J, et al.
cours d’un traitement bien adapté, la microalbuminurie dimi- Risk of microalbuminuria and progression to macroalbuminuria in a
nue [27], et cette diminution est corrélée avec la diminution des cohort with childhood onset type 1 diabetes: prospective observational
complications cardiovasculaires [29], ce qui fait de la microalbu- study. BMJ 2008;336:697-701.
minurie une cible thérapeutique [16]. [14] Mogensen CE. Microalbuminuria : risques cardiovasculaires et rénal.
Diabétol Fact Risq 1997;3:153-8.
[15] Stone ML, Craig ME, Chan AK, Lee JW, Verge CF, Donaghue KC.
Natural history and risk factors for microalbuminuria in adolescents
with type 1 diabetes: a longitudinal study. Diabetes Care 2006;29:
“ Points importants
[16]
2072-7.
Ficociello LH, Perkins BA, Silva KH, Finkelstein DM, Ignatowska-
Interprétation clinique Switalska H, Gaciong Z, et al. Determinants of progression from
microalbuminuria to proteinuria in patients who have type 1 diabetes
La présence de microalbumine est rare dans la population
and are treated with angiotensin-converting enzyme inhibitors. Clin
standard.
J Am Soc Nephrol 2007;2:461-9.
La présence de microalbumine est fréquente chez les
[17] Ruggenenti P, Perna A, Remuzzi G, GISEN Group Investigators..
patients diabétiques ou hypertendus. Retarding progression of chronic renal disease: the neglected issue of
La microalbumine est : residual proteinuria. Kidney Int 2003;63:2254-61.
• une aide au diagnostic puisque témoin d’une atteinte [18] Warram JH, Gearin G, Laffel L, Krolewski AS. Effect of duration of
glomérulaire et donc d’une atteinte rénale ; type I diabetes on the prevalence of stages of diabetic nephropathy
• un marqueur pronostic au cours de l’évolution de defined by urinary albumin/creatinine ratio. J Am Soc Nephrol 1996;
l’insuffisance rénale ; 7:930-7.
• une cible thérapeutique dans le diabète et dans [19] Mogensen CE. Microalbuminuria and hypertension with focus on type
l’hypertension. 1 and type 2 diabetes. J Intern Med 2003;254:45-66.
[20] Araki S, Haneda M, Koya D, Kashiwagi A, Uzu T, Kikkawa R. Clinical
impact of reducing microalbuminuria in patients with type 2 diabetes
mellitus. Diabetes Res Clin Pract 2008;82(suppl1):S54-S58.
■ Conclusion [21] Stehouwer CD, Smulders YM. Microalbuminuria and risk for
cardiovascular disease: Analysis of potential mechanisms. J Am Soc
La microalbuminurie, à condition de respecter strictement les Nephrol 2006;17:2106-11.
conditions de prélèvements et de dosage, est un marqueur [22] Dinneen SF, Gerstein HC. The association of microalbuminuria and
diagnostic, de suivi thérapeutique et de pronostic chez le mortality in non-insulin-dependent diabetes mellitus. A systematic
patient diabétique et/ou hypertendu. overview of the literature. Arch Intern Med 1997;157:1413-8.
.
[23] Borch-Johnsen K, Feldt-Rasmussen B, Strandgaard S, Schroll M,
Jensen JS. Urinary albumin excretion. An independent predictor of
■ Références ischemic heart disease. Arterioscler Thromb Vasc Biol 1999;19:
1992-7.
[1] Trivin F, Giraudet P. ″Microalbuminuria″ or ″pauci-albuminuria″? Clin
Chem 1988;34:209-10. [24] Perkovic V, Verdon C, Ninomiya T, Barzi F, Cass A, Patel A, et al. The
[2] Viberti GC, Keen H. Microalbuminuria and diabetes. Lancet 1983;1: relationship between proteinuria and coronary risk: a systematic review
352. and meta-analysis. PLoS Med 2008;5:e207.
[3] McIntyre NJ, Taal MW. How to measure ptoteinuria? Curr Opin [25] Zamora CR, Cubeddu LX. Microalbuminuria: do we need a new
Nephrol Hypertens 2008;17:600-3. threshold? J Hum Hypertens 2009;23:146-9.

Traité de Médecine Akos 3


1-1383 ¶ Microalbuminurie : méthodes de dosage et interprétation

[26] De Zeeuw D, Parving HH, Henning RH. Microalbuminuria as an early Pour en savoir plus
marker for cardiovascular disease. J Am Soc Nephrol 2006;17:2100-5.
[27] Duka I, Bakris G. Influence of microalbuminuria in achieving blood Satchell SC, Tooke JE. What is the mechanism of microalbuminuria in
pressure goals. Curr Opin Nephrol Hypertens 2008;17:457-63. diabetes: a role for the glomerular endothelium? Diabetologia 2008;
[28] Fujimoto T, Takechi S, Machida M, Isu N, Imamura W, Kakinoki S, 51:714-25.
et al. Excretions of urinary albumin and various proteins increase in Halimi JM, Hadjadj S, Aboyans V, Allaert FA, Artigou JY, Beaufils M, et al.
hypertension. Blood Press 2008;17:270-3.
Microalbuminuria and urinary albumin excretion: clinical practice
[29] Ibsen H, Olsen MH, Wachtell K, Borch-Johnsen K, Lindholm LH,
guidelines. Néphrol Thér 2007;3(n°6):384-91.
Mogensen CE. Reduction in albuminuria translates to reduction in
cardiovascular events in hypertensive patients with left ventricular www.esculape.com.
hypertrophy and diabetes. J Nephrol 2008;21:566-9. www.theheart.org.

R. Guieu, Professeur des Universités (rguieu@ap-hm.fr).


C. Monserrat, Praticien hospitalier.
Laboratoire de biochimie et de biologie moléculaire, Hôpital de la Timone, 27, Boulevard Jean-Moulin, 13005 Marseille, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Guieu R., Monserrat C. Microalbuminurie : méthodes de dosage et interprétation. EMC (Elsevier Masson
SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1383, 2009.

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décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

4 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1385

Monocytose
F. Lefrère, O. Hermine

Le taux normal des monocytes sanguins est inférieur à 1 × 109/l. On parle de monocytose sanguine à
partir de 1 × 109/l sur au moins deux hémogrammes successifs. Le médecin généraliste doit se poser la
question de savoir s’il s’agit de vrais monocytes ou d’autres cellules (malignes) et ainsi de faire contrôler le
frottis sanguin par un biologiste avisé. Les formes chroniques sont associées à des hémopathies malignes.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Monocytose ; Monoblaste ; Myélémie

Plan associées à une polynucléose neutrophile ou la précédant de


peu dans le temps (peu d’intérêt pratique).
¶ Démarche diagnostique 1 Au cours de la phase de régénération d’une agranulo-
Monocytoses aiguës 1 cytose, une monocytose peut survenir, précédant la montée
Monocytoses chroniques 1 des polynucléaires neutrophiles, annonçant alors la gué-
rison.

■ Démarche diagnostique Monocytoses chroniques


Il existe deux pièges pour le cytologiste :
• ne pas confondre des monocytes et des monoblastes relevant Elles se présentent sans syndrome inflammatoire associé, et
d’une leucémie aiguë ; il faut savoir évoquer une hémopathie maligne sous-jacente et
• ne pas confondre des monocytes et des métamyélocytes dans l’adresser en consultation spécialisée (syndrome myéloprolifé-
le contexte d’une myélémie. ratif ou myélodysplasique). Dans ces situations, la monocytose
est volontiers associée à d’autres anomalies de la lignée
blanche (myélémie, polynucléose...) et à une atteinte des
Monocytoses aiguës
autres lignées. Il s’agit, le plus souvent, d’une leucémie
Elles sont souvent modérées, transitoires, surviennent dans myélomonocytaire chronique à laquelle une splénomégalie est
des contextes infectieux ou inflammatoires, sont volontiers associée (Fig. 1).

Monocytose vraie >1 × 109/l

Aiguë transitoire Récurrente

- Syndrome infectieux Régénération Hémopathies


- Syndrome inflammatoire d'agranulocytose malignes

Avis spécialisé

Figure 1. Arbre décisionnel. Orientation devant une monocytose.

Traité de Médecine Akos 1


1-1385 ¶ Monocytose

Pour en savoir plus


“ Point fort Bernard J, Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, et al.
Hématologie. Paris: Masson; 2008.
Si la monocytose est majeure et constituée de Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP. L’hématologie de
monoblastes (> 40 × 109/l), le problème est urgent, car il Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 1992.
existe un risque de thrombose ou de leucostase Lefrère F. Hématologie et transfusion. Paris: Estem; 2006.
pulmonaire Varet B. Le livre de l’interne. Paris: Médecine-Sciences Flammarion (2e ed);
2007.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, Hôpital Necker-Enfants malades, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Monocytose. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1385,
2009.

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2 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1388

Myélémie
F. Lefrère, O. Hermine

La présence confirmée et persistante de cellules myéloïdes immatures sur le frottis sanguin impose un avis
spécialisé.
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Mots clés : Myélémie ; Leucémie myéloïde chronique ; Syndrome myéloprolifératif

Plan Tableau 1.
Étiologies des myélémies.

¶ Définition 1 Myélémies : caractéristiques Étiologies


¶ Étiologies 1 Réactionnelle
¶ Diagnostic différentiel 2 - polynucléoses neutrophiles +++ Infections bactériennes sévères
Cellules blastiques 2 - modérées < 10 % Syndromes inflammatoires
Érythroblastes isolés (hématies nucléées) 2 importants
Cellules lymphoïdes 2 Tuberculose aiguë
Par régénération
- modérée Réparation d’une agranulocytose
- transitoire (toxique, chimiothérapie)
- contexte Compensation posthémolyse
et posthémorragie aiguë

■ Définition Administration thérapeutique


de facteur de croissance
hématopoïétique
La myélémie consiste en un passage dans le sang circulant de Syndrome myéloprolifératif
différents éléments immatures des lignées myéloïdes médullaires - persistante Leucémie myéloïde chronique +++
(myélocytes, métamyélocytes, myéloblastes ou érythroblastes)
- souvent importante (> 10 %) Maladie de Vaquez
visibles sur un frottis sanguin.
Thrombocytémie essentielle
Splénomégalie myéloïde
(érythroblastes circulants et défor-
mation des hématies sur le frottis)
■ Étiologies Envahissement médullaire
- discrète Métastase médullaire de cancer
Il faut se renseigner sur :
- cytopénie associée Leucémie aiguë
• l’existence d’un syndrome inflammatoire (vitesse de sédi- Lymphome avec envahissement
mentation, protéine C réactive, fibrinogène...) ; médullaire
• une infection évolutive ; Myélofibrose
• l’existence d’une splénomégalie ;
• l’importance de la myélémie ;
Devant une myélémie massive (> 10 %) avec hyperleucocy-
• l’état des autres lignées sanguines (taux de plaquettes et taux tose, il faut évoquer le diagnostic de leucémie myéloïde chroni-
d’hémoglobine). que et adresser le patient en consultation spécialisée.
Si possible, il faut se procurer des numérations antérieures.
Une myélémie transitoire et mineure (< 2 %) n’a pas forcé-
Devant une myélémie significative (> 2 %) et en l’absence de ment un caractère pathologique (si elle persiste : exploration)
signes infectieux, un avis spécialisé est recommandé. (Tableau 1).

Traité de Médecine Akos 1


1-1388 ¶ Myélémie

■ Diagnostic différentiel Cellules lymphoïdes


• Syndrome mononucléosique.
Il se fait en présence de cellules anormales dans le sang.
• Plasmocytes : virose ou leucémie à plasmocytes.
• Tricholeucocytes, mastocytes : consultation spécialisée +/-
Cellules blastiques .
myélogramme.

• Leucémie aiguë : vérification (myélogramme > 20 % de Pour en savoir plus


cellules blastiques) et hospitalisation urgente.
Bernard J, Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, et al.
Hématologie. Paris: Masson; 2008.
Érythroblastes isolés (hématies nucléées) Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP. L’hématologie
de Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 1992.
• Hémolyse aiguë. Lefrère F. Hématologie et transfusion. Paris: Estem; 2008.
• Hémopathie maligne : avis spécialisé. Varet B. Le livre de l’interne. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 2007.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, Hôpital Necker-Enfants malades, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Myélémie. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1388,
2009.

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2 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1410

Polynucléose neutrophile
F. Lefrère, O. Hermine

La polynucléose neutrophile consiste en une augmentation du nombre absolu des polynucléaires


neutrophiles circulants supérieur à 7,5 × 109/l (seules les valeurs absolues sont à prendre en compte). Le
contexte clinique et la recherche d’un syndrome inflammatoire biologique (élévation de la vitesse de
sédimentation, de la protéine C réactive, hyperfibrinogénémie, hyperalpha-2-globulinémie) constituent
les deux éléments importants du bilan étiologique.
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Mots clés : Polynucléaire neutrophile ; Syndrome inflammatoire

Plan ■ Absence de contexte clinique


¶ Contexte clinique évocateur 1
Pas d’exploration hématologique particulière 1
Élévation de la vitesse de sédimentation
¶ Absence de contexte clinique 1 Il faut confirmer l’existence d’un syndrome inflammatoire par
Élévation de la vitesse de sédimentation 1 la recherche d’une élévation des taux de protéine C réactive et
Polynucléose neutrophile isolée, vitesse de sédimentation normale, de fibrinogène.
absence de syndrome inflammatoire 1
Exploration étiologique du syndrome inflammatoire :
• recherche d’une infection latente (dentaire, sinusienne,
urinaire, gynécologique...) ;
• recherche d’une tumeur profonde (rénale, pulmonaire,
colique...) ;
■ Contexte clinique évocateur • il faut aussi évoquer des microblessures souillantes à répéti-
tion chez les travailleurs manuels ;
Pas d’exploration hématologique • maladie auto-immune (lupus, polyarthrite rhumatoïde...).
particulière
• Infection bactérienne évolutive.
• Maladie inflammatoire chronique (lupus, polyarthrite...).
• Cancer évolutif. Polynucléose neutrophile isolée, vitesse
• Infarctus du myocarde récent. de sédimentation normale, absence
• Grossesse au 3e trimestre (polynucléose modérée). de syndrome inflammatoire
• Prise médicamenteuse : corticoïdes, lithium. • Rechercher une grossesse.
• Nouveau-né. • Rechercher une prise médicamenteuse (corticoïdes, lithium).
• Exercice violent (numération-formule sanguine, à contrôler • Rechercher une splénomégalie et/ou myélémie : un avis
au repos). spécialisé est alors nécessaire (à la recherche d’un syndrome
• Menstruations (NFS à contrôler). myéloprolifératif).

Traité de Médecine Akos 1


1-1410 ¶ Polynucléose neutrophile

• Tabagisme : un test d’arrêt doit permettre la normalisation en Pour en savoir plus


quelques semaines.
Bernard J, Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, et al.
Hématologie. Paris: Masson; 2008.
Si le bilan est totalement négatif, la polynucléose stable, il Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP. L’hématologie de
peut s’agir d’une forme idiopathique de polynucléose neutro- Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 1992.
phile, mais aussi d’une forme rare de leucémie à polynucléaires, Lefrère F. Hématologie et transfusion. Paris: Estem; 2008.
à adresser en consultation spécialisée pour avis. Varet B. Le livre de l’interne. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 2007.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, Hôpital Necker-Enfants malades, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Polynucléose neutrophile. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine
Akos, 1-1410, 2009.

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2 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1420

Protéinurie : du symptôme au diagnostic


C. Bertoye, É. Daugas

La recherche et l’étude des protéinuries constituent un outil simple du dépistage et du diagnostic des
maladies rénales. Leur analyse est un contributeur essentiel du raisonnement diagnostique en
néphrologie. La très accessible détermination de leur composition et donc de leur origine (glomérulaire,
tubulaire ou autre) doit être intégrée aux autres données sémiologiques rénales pour une analyse
syndromique qui précise le diagnostic étiologique ou oriente les examens complémentaires nécessaires à
sa détermination. De plus, les protéinuries sont devenues un marqueur pronostique incontournable des
maladies rénales chroniques. Elles doivent faire l’objet d’une attention particulière pour leur suivi et
constituent même une cible obligatoire des interventions thérapeutiques. Enfin, les protéinuries font
actuellement l’objet d’une recherche clinique active qui a pour but de déterminer leur toxicité rénale
propre et ses mécanismes. L’enjeu est le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques des
maladies rénales fondées sur l’inhibition de tels mécanismes.
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Mots clés : Protéinurie ; Protéinurie glomérulaire ; Protéinurie tubulaire ; Albuminurie ; Microalbuminurie

Plan Le diagnostic précoce des maladies rénales par l’estimation du


débit de filtration glomérulaire mais également par la détection
d’une protéinurie permet d’entreprendre précocement des
¶ Introduction 1
traitements efficaces. Ceux-ci réduisent les risques d’événements
¶ Protéinurie physiologique et physiopathologie des protéinuries 1 cardiovasculaires, d’insuffisance rénale terminale et de décès
¶ Techniques de détection 2 associés à la maladie rénale chronique [1].
¶ Confirmation de la protéinurie 2
¶ Protéinuries intermittentes
Protéinuries fonctionnelles
2
2
■ Protéinurie physiologique
Protéinurie idiopathique transitoire 3 et physiopathologie
¶ Modes d’analyse d’une protéinurie permanente
Analyse quantitative
3
3
des protéinuries
Analyse qualitative 3 Les reins sont constitués d’unités fonctionnelles, les
¶ Interprétation diagnostique d’une protéinurie permanente 3 néphrons, eux-mêmes constitués de glomérules et de tubules. À
Protéinuries prérénales ou protéinuries de surcharge 3 l’état physiologique, la barrière glomérulaire assure la séquestra-
Protéinuries hémodynamiques 3 tion plasmatique de la quasi-totalité des protéines de haut poids
Protéinuries glomérulaires 3 moléculaire. La filtration des protéines dépend de leur taille, de
Protéinuries tubulaires 4 leur charge électrique et de leur configuration stérique. Les
Combinatoire 5 protéines de poids moléculaire intermédiaire (albumine), peu
¶ Interprétation pronostique 5 filtrées, ont une concentration à environ 5 mg/l dans la capsule
Microalbuminurie 5 de Bowman [2] alors que les protéines de bas poids moléculaire
Protéinuries glomérulaires de débit élevé 5 (inférieur à 40 kDa) franchissent physiologiquement la barrière
glomérulaire [3]. L’urine primitive contient ainsi 2 à 3 g/l de
¶ Conclusion 5 protéines. La plupart de ces protéines filtrées sont réabsorbées
par un mécanisme d’endocytose et catabolisées par les cellules
tubulaires proximales. Un pour cent de ces protéines non
réabsorbées est retrouvé dans l’urine définitive et contribue à la
■ Introduction protéinurie physiologique. Son débit est inférieur à 150 mg/j, en
moyenne 80 mg/j dont moins de 30 mg/j d’albuminurie. Elle
La découverte d’une protéinurie chez un patient asymptoma- est composée de 60 % de protéines plasmatiques (protéines de
tique peut être la manifestation initiale d’une maladie rénale. La taille intermédiaire telles l’albumine et la transferrine, mais
recherche et le suivi d’une protéinurie permettent le diagnostic principalement des protéines de bas poids moléculaire : des
nosologique, l’évaluation du pronostic et de l’efficacité théra- chaînes légères d’immunoglobuline [Ig], de l’a2-microglobuline,
peutique d’une maladie rénale chronique, ainsi que l’apprécia- de la b2-microglobuline) et de 40 % de protéines d’origine
tion du risque cardiovasculaire. tubulaire rénale (protéine tubulaire de Tamm-Horsfall ou

Traité de Médecine Akos 1


1-1420 ¶ Protéinurie : du symptôme au diagnostic

uromoduline sécrétée par les cellules épithéliales de l’anse de cours du temps, il est préférable de mesurer la protéinurie sur
Henle, du tube contourné distal et du tube collecteur) ou un échantillon d’urine, de préférence sur les premières urines du
urogénitale (IgA sécrétoires de l’urètre, déchets protéolysés du matin [5] , et de rapporter la protéinurie à la créatininurie
tractus urogénital). Cette protéinurie physiologique n’est (résultat exprimé en mg/mmol de créatinine ou en g/g de
habituellement pas dépistée par les bandelettes urinaires. créatinine) [7, 8]. La mesure sur les premières urines du matin est
Sur ce « fond » de protéinurie physiologique peut s’installer privilégiée puisqu’elle est mieux corrélée à la protéinurie des
une anomalie à l’origine d’une protéinurie à la constitution de 24 heures. Si la mesure sur un échantillon des premières urines
laquelle quatre mécanismes non exclusifs peuvent concourir : du matin n’est pas possible, une mesure du ratio protéinurie ou
• la filtration de protéines de bas poids moléculaire en quantité albuminurie sur créatininurie sur un échantillon pris au hasard
anormale ; est cependant valable [5]. Chez les enfants, une protéinurie
.
• une augmentation de la perméabilité glomérulaire ; orthostatique doit être exclue par la mesure de la protéinurie sur
• un défaut de réabsorption tubulaire des protéines ; les premières urines du matin si la recherche initialement
• une augmentation de la synthèse tubulaire protéique. positive avait été mesurée sur un échantillon de la journée [5].
Une protéinurie supérieure à 150 mg/j est anormale chez
■ Techniques de détection l’adulte [9], ou 0,15 g de protéinurie/g de créatininurie. Toute-
fois, en 2009, la Société de néphrologie a adopté les définitions
La détection d’une protéinurie se fait par des bandelettes suivantes pour définir la protéinurie clinique :
imprégnées de bleu de tétrabromophénol (Albustix ® ou • un ratio albuminurie/créatininurie supérieur à 300 mg/g ou
Multistix®). Elles sont colorées en jaune puis en vert puis en 30 mg/mmol ;
bleu en présence de concentrations croissantes de protéines • un ratio protéinurie/créatininurie supérieur à 500 mg/g ou
chargées négativement comme l’albumine. Le résultat est évalué 50 mg/mmol ;
soit de manière visuelle, soit de manière automatisée, exprimé • ou une protéinurie des 24 heures supérieure à 0,5 g.
de zéro à quatre croix. Chez l’enfant, une protéinurie est définie chez le nouveau-né
Cette méthode très spécifique permet de détecter des protéi- (moins de 30 jours), le nourrisson (jusqu’à 12 mois), le jeune
nuries à partir de 100 mg/l (traces) à 300 mg/l (une croix). Un enfant (de 2 à 10 ans) comme étant supérieure à 145 mg/m2/j,
résultat à deux croix correspond à une protéinurie inférieure à 110 mg/m2/j et 85 mg/m2/j respectivement [9]. Certains utilisent
1 g/l, trois croix à une protéinurie inférieure à 3 g/l et quatre néanmoins la même définition de la protéinurie chez l’enfant
croix supérieure à 3 g/l [2, 4]. Toutefois, cette méthode donne que celle chez l’adulte, soit une protéinurie supérieure à
une appréciation trompeuse de la protéinurie en raison de sa 150 mg/j [4].
seule approximation de la concentration de la protéinurie et Les patients ayant une recherche de la protéinurie positive à
non du débit de la protéinurie. Les faux positifs sont possibles, deux reprises espacées de 1 à 2 semaines sont considérés comme
retrouvés en cas d’urines alcalines (pH > 8), trop concentrées ou ayant une protéinurie permanente par opposition aux protéinu-
contaminées (infection urinaire, hématurie, menstruation) [5]. ries intermittentes.
Elle est peu sensible [5] puisqu’elle ne permet pas de détecter les
maladies rénales à un stade débutant lorsque la protéinurie est
inférieure au seuil de détection, ou lorsque la protéinurie est
diluée par un état d’hyperhydratation. De plus, les bandelettes
détectent de manière plus sensible l’albumine et peuvent ne pas
“ À retenir
détecter les autres protéines, notamment les Ig ou les protéines
de bas poids moléculaire. Elles ne détectent pas non plus les Microalbuminurie et albuminurie
chaînes légères d’Ig chargées positivement. • La microalbuminurie est quantifiée par un dosage
Les bandelettes détectant spécifiquement l’albumine [6] ont immunologique spécifique et est définie par une excrétion
un seuil de détection à 30-40 mg/l et sont donc utilisables pour urinaire d’albumine comprise entre 30 et 300 mg/j (ou 30
la détection de la microalbuminurie. à 300 mg/g de créatininurie) contrairement à
On utilise, pour le dépistage des adultes à risque élevé de l’albuminurie définie par un ratio albuminurie sur
maladie rénale chronique ou des enfants pubères ayant un
créatininurie supérieur à 300 mg/g ou un débit supérieur à
diabète évoluant depuis 5 ans ou plus, une bandelette de
détection spécifique de l’albumine sur un échantillon d’urine, 300 mg/j.
l’albuminurie étant en effet un marqueur plus sensible que la • Les patients diabétiques doivent être dépistés une fois
protéinurie totale de la maladie rénale chronique secondaire au par an, dès le diagnostic du diabète de type 2 ou après
diabète, à l’hypertension artérielle (HTA) ou aux maladies 5 ans d’évolution du diabète de type 1, par la mesure
glomérulaires. Au contraire, chez l’enfant non diabétique ou du rapport microalbuminurie sur créatininurie sur
ayant un diabète à l’âge prépubère ou ayant un diabète à l’âge échantillon [10]. En cas de positivité, le dosage doit être
pubère mais évoluant depuis moins de 5 ans, on privilégie une répété à deux reprises sur échantillon à 3 et 6 mois en
détection de la protéinurie totale par une bandelette urinaire dehors de toute infection urinaire afin de confirmer
standard, qui détecte également l’albumine [5]. la présence d’une microalbuminurie ou d’une
Une détection positive (une croix ou plus) doit être confirmée
albuminurie [11].
par une mesure quantitative de la protéinurie dans un délai de
3 mois [5].

■ Confirmation de la protéinurie ■ Protéinuries intermittentes


On réalise un dosage de l’albuminurie ou de la protéinurie. Elles ne sont pas l’expression d’une maladie rénale.
La référence est le dosage de la protéinurie sur un recueil des
urines de 24 heures. Celui-ci étant rarement bien effectué, il est
nécessaire de vérifier qu’il est satisfaisant par le dosage de la
Protéinuries fonctionnelles
créatininurie qui doit être comprise entre 8 et 12 mmol/24 h Une protéinurie peut accompagner une perturbation hémo-
chez la femme et 10 à 16 mmol/24 h chez l’homme [5]. Si la dynamique transitoire. Il s’agit de protéinuries principalement
valeur de la créatininurie est inférieure aux seuils habituels, le composées d’albumine et de débit modéré, en règle < 1 g/j.
recueil est probablement incomplet. À l’inverse, si la créatininu- La protéinurie orthostatique survient chez 2 % à 20 % des
rie est supérieure à la limite habituelle, le recueil des urines a adolescents [12], représentant 60 % des protéinuries de l’enfant
probablement été réalisé sur plus de 24 heures. et 75 % des protéinuries de l’adolescent [13] . D’excellent
Afin de s’affranchir des incertitudes de recueil des urines de pronostic, elle disparaît à la fin de la puberté. Elle prédomine
24 heures et des variations d’excrétion intra-individuelle au chez les garçons âgés de plus de 10 ans [12] et disparaît en

2 Traité de Médecine Akos


Protéinurie : du symptôme au diagnostic ¶ 1-1420

clinostatisme (urines recueillies après 2 h de repos en décubitus rechercher une chaîne d’Ig monotypique. La recherche de
dorsal). Elle est en règle inférieure à 1 g/j et isolée (absence microalbuminurie est également une recherche spécifique et
d’antécédent néphrologique, d’HTA, d’insuffisance rénale et sensible utilisant un anticorps antialbumine (immunonéphélé-
d’anomalie du sédiment urinaire). La ponction-biopsie rénale métrie). De manière similaire, la mesure combinée des principa-
(non recommandée) est normale ou montre des altérations non les protéines informatives par leur quantité relative et leur poids
spécifiques [4] . Son mécanisme est controversé (anomalies moléculaire permet une analyse qualitative précise des protéi-
glomérulaires minimes, anomalies hémodynamiques par nuries : c’est le principe du profil protéique urinaire [15]. Même
obstruction de la veine rénale gauche entre l’aorte et l’artère s’il semble le plus fiable aujourd’hui, le profil protéique urinaire
mésentérique supérieure ou réponse exagérée du système reste coûteux et réservé à l’investigation de situations complexes
rénine-angiotensine) [13] . La mesure de la protéinurie chez en milieu spécialisé.
l’enfant doit donc idéalement être réalisée sur les premières
urines du matin [5].
Une protéinurie intermittente peut également être détectée au
■ Interprétation diagnostique
décours d’un effort prolongé, d’une fièvre élevée, d’une infec- d’une protéinurie permanente (Fig. 1)
tion urinaire, d’une polyglobulie ou d’une insuffisance ventri-
culaire droite [9]. Protéinuries prérénales ou protéinuries
de surcharge
Protéinurie idiopathique transitoire Elles résultent de la présence en excès dans le sérum d’une
Cette forme de protéinurie est très fréquemment retrouvée protéine de bas poids moléculaire qui est librement filtrée par les
chez l’enfant, l’adolescent ou l’adulte jeune [14]. Les patients glomérules. Les mécanismes de réabsorption tubulaire étant
sont asymptomatiques, la protéinurie étant découverte de saturés, cette protéine est détectée dans l’urine terminale. Il peut
manière fortuite à la médecine scolaire ou sportive, au cours du s’agir d’hémoglobine en cas d’hémolyse intravasculaire, de
service militaire ou lors d’une visite médicale d’embauche. Le myoglobine en cas de rhabdomyolyse, d’amylase lors d’une
sédiment urinaire est normal (absence de leucocyturie ou pancréatite aiguë, ou d’une chaîne légère monoclonale kappa ou
d’hématurie) et la protéinurie disparaît typiquement lors des lambda en cas de dysglobulinémie (myélome). Une lysozymurie
nouvelles mesures. Avant d’entamer une évaluation approfon- peut être détectée en cas de leucémie aiguë monocytaire ou
die, il est donc nécessaire de vérifier la persistance de la myélocytaire. Elles peuvent être de débit abondant (parfois
protéinurie. Il n’y a pas de risque à long terme, ce phénomène supérieur à 3 g/j ou 3 g/g de créatininurie) et donc constituer un
reflétant probablement une modification hémodynamique diagnostic différentiel des protéinuries glomérulaires. La distinc-
intrarénale [9]. tion est alors faite grâce à l’analyse qualitative qui révèle une
minorité d’albumine et une prédominance (en règle
> 90 %) de la protéine de faible poids moléculaire. D’un point de
■ Modes d’analyse vue pratique, c’est dans cette situation qu’il existe une dissocia-
tion entre le résultat des recherches de protéinurie à la bandelette
d’une protéinurie permanente urinaire et le dosage quantitatif. L’identification de la protéine
dite « de surcharge » peut être réalisée dans le sang ou dans
Analyse quantitative l’urine : myoglobinémie/myoglobinurie, hémoglobinémie/
hémoglobinurie ou encore chaînes kappa ou lambda d’Ig.
L’analyse quantitative d’une protéinurie est une première
Les protéinuries prérénales ne sont pas l’expression d’une
analyse pour approcher le type de la maladie rénale qu’elle
maladie rénale. Néanmoins, leur excès dans le tubule rénal peut
traduit. Lorsqu’elle est supérieure à 1,5 g/j ou 1,5 g/g de
être toxique pour celui-ci : les myoglobinuries ou les hémoglo-
créatininurie, le plus probable est qu’elle témoigne d’une
binuries des rhabdomyolyses ou des hémolyses, respectivement,
néphropathie glomérulaire. Cela doit être confirmé par l’analyse
peuvent être responsables d’une nécrose tubulaire aiguë ; les
qualitative en vérifiant qu’elle est composée d’une majorité
chaînes légères d’Ig au cours des myélomes peuvent être à
d’albumine (cf. infra). Toutefois, la réciproque est fausse : une
l’origine d’une tubulopathie aiguë myélomateuse (rein aigu
protéinurie inférieure à 1,5 g/j ou 1,5 g/g n’exclut pas une
myélomateux).
maladie glomérulaire et toutes les causes sont possibles :
néphropathie glomérulaire, néphropathie tubulaire et/ou Protéinuries hémodynamiques
interstitielle ou encore une protéinurie de surcharge. L’analyse
quantitative n’est donc qu’insuffisamment informative et doit Elles sont observées en cas de pérennisation d’une situation
toujours être complétée par une analyse qualitative. clinique à l’origine d’une protéinurie intermittente fonction-
nelle (cf. supra). Elles sont principalement composées d’albu-
mine, aussi peuvent-elles en imposer pour une néphropathie
Analyse qualitative glomérulaire. C’est donc la confrontation clinique qui permet le
C’est l’analyse de la composition de la protéinurie. L’électro- diagnostic. Là encore, même s’il n’existe pas de maladie rénale
phorèse des protéines urinaires, réalisée en acétate de cellulose à l’origine de ce type de protéinurie, on ne peut exclure que la
au sodium dodecyl sulfate polyacrylamide gel electrophoresis (SDS- prolongation d’une telle situation puisse être à l’origine
PAGE), permet une analyse qualitative de la protéinurie pour en d’authentiques lésions rénales.
préciser les mécanismes (filtration de protéines de bas poids
moléculaire en quantité anormale, augmentation de la perméa- Protéinuries glomérulaires
bilité glomérulaire, défaut de réabsorption tubulaire des protéi-
nes, augmentation de la synthèse tubulaire protéique) [9]. Microalbuminurie (cf. supra)
L’électrophorèse permet de différencier les protéinuries La microalbuminurie n’est pas la conséquence de lésions
tubulaires, glomérulaires (qui contiennent essentiellement de histologiques, même en microscopie électronique. Elle témoigne
l’albumine) sélectives ou non sélectives et les protéinuries de d’une augmentation de la perméabilité glomérulaire et corres-
surcharge (chaînes légères monoclonales des dysglobulinémies, pond à un stade précoce et encore réversible de la néphropathie
hémoglobine, myoglobine...). L’électrophorèse des protéines diabétique au cours du diabète de type 1. Dans d’autres situa-
urinaires est cependant techniquement imparfaite et produit tions, et particulièrement au cours du diabète de type 2, sa
parfois des résultats erronés, surtout lorsque la concentration présence est associée au risque cardiovasculaire.
des protéines étudiées est faible. Pour y palier, il existe des
dosages spécifiques des principales protéines pouvant entrer Protéinuries glomérulaires
dans la composition des protéinuries. Ces techniques utilisent Elles sont de débit variable, mais une protéinurie supérieure
des anticorps spécifiques. Par exemple, l’immunoélectrophorèse à 1,5 g/24 h suggère une origine glomérulaire. Elles sont
des protéines urinaires ou l’immunofixation permettent de composées essentiellement d’albumine (> 60 %).

Traité de Médecine Akos 3


1-1420 ¶ Protéinurie : du symptôme au diagnostic

Bandelette urinaire +

Faux positifs : Dosage quantitatif Faux négatifs :


- urines concentrées Protéinurie/créatininurie - chaînes légères d'immunoglobuline
- urines alcalinisées ou albuminurie/créatininurie - urines diluées
- infection urinaire sur échantillon
- hématurie

Protéinurie orthostatique Protéinurie permanente : Protéinurie intermittente


- EPU - fièvre
- analyse du sédiment urinaire - effort prolongé
- créatinine, glycémie, ionogramme - insuffisance cardiaque droite
sanguin, EPP - polyglobulie
- échographie rénale - infection urinaire

Protéinurie prérénale : présence Protéinurie tubulaire : Protéinurie glomérulaire :


d'une protéine de bas poids albumine < 50 % à l'EPU albumine > 60 % à l'EPU
moléculaire en quantité anormale
à l'EPU (chaîne légère
monoclonale, myoglobine,
hémoglobine) Protéinurie sélective : Protéinurie non sélective :
albumine > 80 % albumine < 80 % à l'EPU
à l'EPU

En faveur d'une Toutes les néphropathies


néphropathie à lésions glomérulaires
glomérulaires minimes

Figure 1. Arbre décisionnel. Stratégie diagnostique d’une protéinurie. EPU : électrophorèse des protéines urinaires ; EPP : électrophorèse des protéines
plasmatiques.

Elles sont la conséquence de lésions de la barrière gloméru- à d’autres anomalies (une HTA, une hématurie, une insuffisance
laire : de l’endothélium et/ou de la membrane basale gloméru- rénale) et de caractériser le type de syndrome glomérulaire
laire et/ou des podocytes. Une protéinurie glomérulaire résulte auquel elle s’intègre :
d’une augmentation de la perméabilité glomérulaire et de la • syndrome néphrotique caractérisé par une protéinurie supé-
saturation des mécanismes de réabsorption tubulaire. Leur rieure à 3 g/24 h et une hypoalbuminémie inférieure à
composition dépend de l’importance des lésions glomérulaires : 30 g/l :
soit les lésions sont moindres et l’augmentation de perméabilité C pur (absence d’HTA, d’insuffisance rénale, d’hématurie),
concerne essentiellement l’albumine qui est alors très majori- C impur ;
taire (> 80 % d’albumine) et la protéinurie est dite « sélective », • syndrome néphritique, caractérisé par un début brutal, une
soit les lésions sont importantes et l’augmentation de perméa- HTA sévère, une protéinurie, une hématurie, une insuffisance
bilité concerne également des protéines plus grosses qui rénale aiguë modérée, rapidement résolutive ;
accompagnent alors l’albumine qui reste cependant majoritaire • syndrome de glomérulonéphrite rapidement progressive,
(protéinuries glomérulaires non sélectives). caractérisé par une insuffisance rénale aiguë rapidement
Protéinurie glomérulaire sélective évolutive, une hématurie, une protéinurie glomérulaire
d’abondance variable ;
Une protéinurie est dite « sélective » lorsqu’elle contient au • un tableau de glomérulonéphrite chronique avec une insuffi-
moins 80 % d’albumine (67 kDa). C’est une caractéristique, non sance rénale chronique, une protéinurie, voire une hématurie
spécifique, de la protéinurie du syndrome néphrotique secon- ou encore une HTA.
daire à des lésions glomérulaires minimes. La sélectivité peut L’intégration de cette analyse syndromique à d’éventuelles
également être établie sur la comparaison de la clairance des anomalies systémiques permet d’émettre des hypothèses dia-
IgG (150 kDa) et celle de la transferrine (76 kDa). Un rapport gnostiques à étayer ou infirmer par des examens complémen-
clairance IgG/clairance transferrine (soit [concentration urinaire taires ciblés : dosage sérique des protéines du complément,
IgG × concentration sanguine transferrine]/[concentration recherche d’autoanticorps, recherche d’une Ig monoclonale,
sanguine IgG × concentration urinaire transferrine]) inférieure à sérologies virales... et éventuellement une biopsie rénale.
0,10 traduit une protéinurie sélective [3, 16].
Protéinurie glomérulaire non sélective Protéinuries tubulaires
Une protéinurie glomérulaire est dite « non sélective » Les protéines plasmatiques de bas poids moléculaire sont
lorsqu’elle est composée de moins de 80 % d’albumine, associée physiologiquement filtrées par les glomérules et réabsorbées par
à toutes les classes d’Ig du sérum. Un ratio clairance les cellules tubulaires proximales. En cas d’atteinte tubulaire, on
IgG/clairance transferrine supérieur à 0,2 traduit également une peut identifier une protéinurie de l’ordre de 1 g/24 h, rarement
protéinurie non sélective [3, 16]. En pratique, toutes les néphro- supérieure à 2 g/24 h, secondaire à l’abolition de la réabsorption
pathies glomérulaires primitives ou secondaires peuvent donner proximale des protéines. Cette protéinurie tubulaire est consti-
ce type de protéinurie. tuée principalement de b2-microglobuline (12 kDa), de lyso-
Pour son interprétation diagnostique, il est nécessaire de zyme (15 kDa), de retinol binding-protein et de chaînes légères
déterminer si la protéinurie glomérulaire est isolée ou associée d’Ig (en faible quantité) ; l’albumine représente au maximum

4 Traité de Médecine Akos


Protéinurie : du symptôme au diagnostic ¶ 1-1420

50 % de la protéinurie (sa présence provient de sa minime corrélée au niveau de protéinurie [22] et à la présence de lésions
filtration glomérulaire physiologique et de l’absence de tubulo-interstitielles qu’aux lésions glomérulaires [16]. L’albumi-
réabsorption tubulaire). Les protéinuries tubulaires ne sont pas nurie est un marqueur d’évolution de la maladie rénale chroni-
ou mal détectées par la bandelette urinaire mais quantifiables que et un facteur de risque de morbidité et de mortalité
par les techniques biochimiques habituelles ; elles sont visibles cardiovasculaire en cas de diabète [11] mais également en
à l’électrophorèse des protéines urinaires avec les caractéristiques absence de diabète [1, 23, 24]. L’évaluation du rapport
évoquées ci-dessus. albuminurie/créatininurie est un meilleur marqueur de maladie
Les protéinuries tubulaires sont rarement isolées et fréquem- rénale chronique que l’évaluation de la fonction rénale chez le
ment accompagnées d’autres anomalies des fonctions tubulaires jeune adulte [1] . De même, ce rapport identifie mieux les
(par exemple, un syndrome de Fanconi), d’une protéinurie dite patients à risque d’insuffisance rénale chronique rapidement
« de surcharge » ou prérénale, d’anomalies consécutives à une évolutive [24].
atteinte interstitielle associée (leucocyturie, voire hématurie),
De plus, l’excrétion urinaire de protéines de haut poids
voire même d’anomalies glomérulaires dont une protéinurie. En
moléculaire (IgG et IgM), donc les protéinuries glomérulaires
effet, les protéinuries tubulaires témoignent d’une tubulopathie
non sélectives, est corrélée à la sévérité des lésions histologiques
qui peut être isolée, ou accompagner une néphrite interstitielle,
une néphropathie glomérulaire, ou encore une protéinurie de et permet de prédire une évolution naturelle et une réponse au
surcharge à l’origine de la tubulopathie. Donc, comme pour traitement plus médiocres [3, 16].
l’analyse des protéinuries glomérulaires, c’est l’association à Il est établi par ailleurs que les altérations tubulo-interstitielles
d’autres anomalies rénales et systémiques qui permet son participent à la dégradation du tissu rénal et à la sévérité
diagnostic étiologique. clinique des maladies rénales chroniques. De fait, il n’est pas
étonnant de constater que l’adjonction d’une protéinurie
tubulaire, symptomatique de telles altérations au cours d’une
Combinatoire glomérulopathie, est prédictive d’une évolution naturelle plus
Comme évoqué ci-dessus, une maladie glomérulaire peut être péjorative avec moindre réponse au traitement [3].
associée à des lésions ou une néphropathie interstitielle ou On pourrait donc considérer une classification des protéinu-
vasculaire. De même, une situation clinique occasionnant une ries glomérulaires selon leur sévérité croissante :
protéinurie de surcharge permanente peut être compliquée • microalbuminuries ;
d’une tubulopathie, voire même d’une glomérulopathie (par • albuminuries > 0,5 g/g de créatininurie avec une sévérité
exemple, une maladie à dépôts glomérulaires de chaînes légères proportionnelle à leur importance ;
d’Ig et une tubulopathie myélomateuse compliquant un myé- • protéinuries glomérulaires non sélectives avec une sévérité
lome à chaîne légère). Ces situations complexes sont traduites proportionnelle à leur débit ;
par des protéinuries complexes qui sont une association des • protéinuries mixtes, glomérulaires de débit élevé + protéinu-
situations simples présentées ci-dessus. Il est parfois difficile d’en ries tubulaires.
faire une analyse précise. Là, une mesure combinée des princi- Que ces protéinuries soient un marqueur et un acteur ou
pales protéines informatives par leur quantité relative et leur seulement un marqueur de la progression des maladies rénales,
poids moléculaire (profil protéique urinaire) peut être il est indiscutable que leur réduction est un objectif essentiel de
justifiée [15]. la néphroprotection puisqu’elle limite l’aggravation de l’insuffi-
sance rénale [25]. Un traitement bloqueur du système rénine-
angiotensine doit être proposé à un patient, diabétique ou non,
■ Interprétation pronostique . ayant une albuminurie même en absence d’HTA [1, 11]. L’objectif
doit être une réduction à moins de 0,5 g/g de créatininurie,
voire la disparition de la microalbuminurie chez les diabétiques.
Microalbuminurie Remarque : les protéinuries tubulaires isolées ont une valeur
La définition de la microalbuminurie chez le diabétique avait pronostique moins étudiée mais elles sont probablement moins
historiquement un intérêt clinique, puisque les patients avec péjoratives, comme en témoigne le bon pronostic usuel des
une macroalbuminurie avaient une baisse progressive de leur néphropathies interstitielles chroniques lorsque leur cause est
débit de filtration glomérulaire associée à une HTA, contraire- éradiquée.
ment aux patients ayant une microalbuminurie, considérés
comme ayant une fonction rénale stable mais à risque de
développer une macroalbuminurie et une insuffisance
rénale [17]. Ce concept a été remis en cause par de nouvelles ■ Conclusion
études qui ont montré une possible régression spontanée de la
La détection et l’analyse des protéinuries constituent donc un
microalbuminurie, une proportion moins importante de
outil simple et peu coûteux du dépistage précoce des maladies
patients évoluant de la microalbuminurie vers la macroalbumi-
nurie ou au contraire la présence de modifications structurales rénales, de leur évaluation étiologique, de leur évaluation
rénales importantes en cas de microalbuminurie évoquant le fait pronostique et enfin de leur thérapeutique. De plus, les protéi-
que la microalbuminurie est un marqueur plutôt qu’un facteur nuries constituent une cible prometteuse de la recherche
de risque de néphropathie diabétique [18, 19] . Toutefois, la clinique, avec comme objectif ultime le développement de
microalbuminurie est un facteur de risque indépendant d’insuf- nouvelles stratégies de prévention et du traitement de l’insuffi-
fisance rénale chronique et de la morbimortalité cardiovascu- sance rénale.
laire chez le diabétique [17, 20]. Également chez le non- .

diabétique, elle est un marqueur indépendant du risque


cardiovasculaire [21]. ■ Références
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antagonistes du récepteur de l’angiotensine 2 doit être proposé prevention of chronic kidney disease. Lancet 2010;375:1296-309.
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Traité de Médecine Akos 5


1-1420 ¶ Protéinurie : du symptôme au diagnostic

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C. Bertoye.
É. Daugas (eric.daugas@bch.aphp.fr).
Inserm U699, Université Paris 7, Service de néphrologie, Hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex 18, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Bertoye C., Daugas É. Protéinurie : du symptôme au diagnostic. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité
de Médecine Akos, 1-1420, 2011.

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6 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1340

Suspicion d’hypoglycémie chez l’adulte


non diabétique
A. Hartemann-Heurtier

Le diagnostic d’hypoglycémie est souvent évoqué par le patient lui-même, à l’occasion de malaises, mais
cette hypoglycémie correspond en fait très rarement à une authentique hypoglycémie organique. Cette
dernière doit être suspectée en présence soit d’un contexte favorisant (insuffisance surrénale, cachexie,
sujet âgé polypathologique, etc.), soit de signes de neuroglycopénie évoquant un insulinome. Pour arriver
à ce diagnostic extrêmement rare, il faut d’abord prouver l’existence d’une insulinémie anormalement
élevée en présence d’une glycémie basse, lors d’une épreuve de jeûne en milieu hospitalier.
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Mots clés : Hypoglycémie ; Iatrogénie ; Insulinome ; Postprandiale ; Sulfamides hypoglycémiants

Plan primordial de l’enquête pour distinguer ce qui est le plus


fréquent, à savoir un « syndrome postprandial idiopathique » et
¶ Introduction 1 qui nécessite une prise en charge thérapeutique sans aucun
bilan, de ce qui est très rarement une « hypoglycémie organi-
¶ Temps primordial de l’interrogatoire 1
que ». L’interrogatoire permet d’avoir, dans la plupart des cas,
Quels sont les symptômes rapportés ? 1
une première orientation diagnostique, évitant la multiplication
Comment sont rapportés les symptômes ? 2
d’explorations complémentaires inutiles, et inversement, mais
Circonstances de survenue des symptômes 2
très rarement, incitant à la recherche acharnée d’une tumeur
Contexte 2
insulinosécrétrice en cas de suspicion d’hypoglycémie organique
¶ Hypoglycémie non organique ou syndrome idiopathique sans cause évidente.
postprandial 2
¶ Éliminer les hypoglycémies organiques de cause évidente 2
Hypoglycémies médicamenteuses et toxiques 2 ■ Temps primordial
Hypoglycémies d’origine endocrinienne 2
Hypoglycémies tumorales extrapancréatiques 3 de l’interrogatoire
¶ Devant une hypoglycémie organique sans cause apparente :
épreuve de jeûne 3 Quels sont les symptômes rapportés ?
Épreuve de jeûne 3
Les symptômes de l’hypoglycémie sont de deux types [1] :
¶ Conclusion 3
• les symptômes neurovégétatifs liés à la stimulation du
système nerveux autonome et survenant pour un seuil
glycémique aux alentours de 0,60 g/l mais qui pourrait être
■ Introduction variable selon les sujets ;
• les symptômes liés à la souffrance du système nerveux
On se trouve rarement confronté, en pratique, à la triade de central, dits neuroglycopéniques, survenant pour un seuil
Whipple (hypoglycémie inférieure à 0,50 g/l, associée à des glycémique inférieur à 0,50 g/l.
symptômes typiques et calmée par la prise de sucre) qui permet Les manifestations neurovégétatives sont secondaires à la
de déclencher les examens complémentaires nécessaires à réponse hypothalamo-hypophyso-surrénalienne à l’hypoglycé-
l’enquête étiologique. Bien plus fréquemment, les patients mie, avec stimulation adrénergique et cholinergique. Les plus
consultent pour des malaises ou bien avec déjà un autodiagnos- fréquentes sont : mains moites, tremblements des extrémités,
tic : « Je fais de l’hypoglycémie ». Or, ce que l’on appelait
pâleur du visage et des extrémités, anxiété, tachycardie, nervo-
antérieurement « l’hypoglycémie réactive » doit être actuelle-
sité, sensation de faim intense, sueurs diffuses. Plus rarement :
ment intégrée dans un tableau clinique plus vaste de « syn-
troubles du rythme, nausées, voire vomissements, crise d’angor
drome postprandial idiopathique ». En effet, la diminution de la
glycémie après un repas est, d’une part rarement constatée chez chez les patients coronariens.
les patients se plaignant de malaises postprandiaux, d’autre part Le type de symptômes rapporté par le patient lors de l’inter-
un phénomène physiologique ! Il faut donc, en pratique, rogatoire est capital : la présence de manifestations neuroglyco-
rassembler le maximum d’arguments cliniques pour ne pas péniques sévères traduisant une glycémie inférieure à 0,5 g/l
passer à côté d’une rare hypoglycémie organique, et une fois ce (troubles psychiatriques, troubles neurologiques déficitaires,
diagnostic récusé, ne surtout pas négliger la plainte du patient crise convulsive) est fortement évocatrice d’hypoglycémie
dont la souffrance, même si on la comprend mal sur le plan organique. Inversement, des symptômes neurovégétatifs isolés
physiopathologique, est réelle. L’interrogatoire est le temps ou associés à des symptômes neurologiques mineurs (sensation

Traité de Médecine Akos 1


1-1340 ¶ Suspicion d’hypoglycémie chez l’adulte non diabétique

de malaise, vertige, céphalées) sont en faveur d’une hypoglycé-


mie réactive ou d’un syndrome postprandial idiopathique.
■ Hypoglycémie non organique
Enfin, la présence de symptômes non liés à l’hypoglycémie ou syndrome idiopathique
(bouffées de chaleur, diarrhée, douleurs coliques en barre, soif
d’air, polypnée, bradycardie) permet de remettre en question le postprandial
diagnostic. Les symptômes postprandiaux, s’ils sont bien réels, sont en
Les manifestations neuroglycopéniques proviennent essen- fait rarement contemporains d’hypoglycémie et s’intègrent dans
tiellement de la souffrance du cortex cérébral et du cervelet, et un tableau non encore compris de syndrome postprandial
apparaissent pour un seuil glycémique plus bas. Elles peuvent se (hypersécrétion d’hormones gastro-intestinales, hypotension
traduire par : postprandiale ?). La diminution de la glycémie après ingestion
• sensation de malaise avec asthénie ; de glucose en dessous du niveau mesuré à jeun est un fait
• difficulté de concentration, céphalées ; physiologique, connu depuis longtemps, et peut s’observer chez
• vue trouble ; les patients présentant des symptômes postprandiaux, mais
• paresthésies des extrémités ; aussi chez les sujets normaux [2]. L’existence d’une glycémie
• troubles psychiatriques avec changement de comportement, basse dans les temps tardifs d’une hyperglycémie provoquée par
de l’humeur, confusion, agitation, état pseudoébrieux, voie orale n’a donc aucune spécificité et ne s’accompagne pas,
hallucinations, etc ; le plus souvent, de malaise chez les patients souffrant de
• symptômes déficitaires neurologiques avec troubles moteurs, symptômes postprandiaux [3]. Il ne semble donc plus souhaita-
diplopie, aphasie, crises convulsives localisées ou généralisées, ble de demander une hyperglycémie provoquée par voie orale
troubles de la conscience jusqu’au coma. sur 5 heures, source de faux positifs [4] , et inversement ne
Il faut savoir que des épisodes d’hypoglycémie sévère répétés permettant pas d’infirmer un syndrome postprandial idiopathi-
(hypoglycémie organique) conduisent à un abaissement du seuil que. Seule la mesure de la glycémie au moment d’un malaise
(ou après un repas riche en sucre rapide) peut avoir un intérêt :
glycémique de stimulation du système nerveux autonome. Les
le plus fréquemment, elle confirme l’absence d’hypoglycémie
manifestations neuroglycopéniques sont alors isolées, ou
organique en cas de normalité ; très rarement, elle peut montrer
peuvent précéder les symptômes neurovégétatifs qui perdent
l’existence d’une réelle hypoglycémie réactive en cas de glycé-
leur valeur d’alerte. Il faut donc penser au diagnostic d’hypo-
mie inférieure à 0,5 g/l. En cas de doute avec une hypoglycémie
glycémie organique, même en l’absence de symptômes
organique, on envisage alors une épreuve de jeûne (cf. infra).
neurovégétatifs.
Finalement, le plus important est de suivre l’évolution des
malaises (caractéristiques, fréquence) après une prise en charge
Comment sont rapportés les symptômes ? adaptée aux plaintes des patients, le traitement n’étant pas pour
l’instant clairement défini. Après avoir éliminé, par un interro-
Le syndrome confusionnel qu’entraîne la souffrance neuro- gatoire approfondi, un malaise vagal, un syndrome d’hyperven-
glycopénique ne s’observe que lors d’une hypoglycémie organi- tilation, une attaque de panique, on peut proposer : des mesures
que. Il est alors responsable d’une difficulté, pour le patient, à diététiques (fractionnement des repas, diminution de l’apport
décrire précisément ses troubles. Le patient peut même parfois en sucre rapide, augmentation de l’apport en sucre lent et en
avoir du mal à se souvenir des circonstances déclenchantes du fibres au cours des repas, suppression de l’alcool), éventuelle-
malaise ou du mode résolutif de celui-ci : il raconte mal son ment un traitement par bêtabloquants, permettant la diminu-
histoire. Le recours à un tiers peut être nécessaire lors de tion des symptômes neurovégétatifs par anxiolytiques, ou
l’interrogatoire. Ce n’est pas le cas lors des « syndromes inhibiteur de l’alphaglucosidase [5]. On ne connaît pas l’effica-
postprandiaux ». Ceux-ci sont décrits dans le détail par les cité réelle de ces mesures qui comportent certainement une
patients eux-mêmes, avec une certaine richesse symptomatique, grande part d’effet placebo. Cette prise en charge non spéciali-
et leur progression chronologique facilement récapitulée. sée, reposant essentiellement sur une écoute réelle des plaintes
des patients et leur prise en compte, peut être effectuée par le
Circonstances de survenue des symptômes médecin généraliste.

Les manifestations cliniques d’hypoglycémie survenant à jeun


le matin ou à distance d’un repas (plus de 5 h après) et/ou lors ■ Éliminer les hypoglycémies
d’un effort physique sont en faveur du caractère organique de
l’hypoglycémie. Les symptômes cèdent rapidement à la prise de
organiques de cause évidente
sucre rapide. Le patient ne peut pas se permettre de sauter un En cas de suspicion d’hypoglycémie organique, il convient
repas et prévient les malaises avec des collations, entraînant d’éliminer un certain nombre de diagnostics étiologiques, avant
souvent mais pas toujours une prise de poids. d’avoir recours à l’épreuve de jeûne et à des investigations plus
Inversement, les malaises étiquetés « hypoglycémie réactive » poussées.
surviennent 2 à 3 heures après un repas, et ne sont pas forcé-
ment calmés par la prise de sucre rapide. L’évolution pondérale Hypoglycémies médicamenteuses
est variable. et toxiques
Mais dans la mesure où l’insulinome reste sensible aux
stimuli physiologiques de la cellule bêta, une véritable hypogly- De nombreux médicaments (en dehors des médicaments
cémie organique peut aussi se manifester après un repas. hypoglycémiants) peuvent être responsables d’hypoglycémie par
des mécanismes variés [6, 7] (Tableau 1). Mais tous ces médica-
ments voient leur potentialité à déclencher une hypoglycémie
Contexte augmenter sur un terrain facilitant : surtout insuffisance rénale,
L’interrogatoire doit aussi préciser : dénutrition ou cachexie, diarrhée prolongée, infection sévère,
• s’il existe des arguments en faveur d’une pathologie orga- polypharmacothérapie, insuffisance surrénale latente, etc.
nique responsable d’hypoglycémie : endocrinopathie L’alcool, enfin, est bien connu comme pouvant entraîner une
(insuffisance surrénale, insuffisance antéhypophysaire, hypoglycémie, en inhibant la néoglycogenèse hépatique chez
hypothyroïdie), insuffisance hépatocellulaire, syndrome un sujet dénutri, à jeun, ou en potentialisant l’effet de médica-
tumoral, alcoolisme, etc. ; ments hypoglycémiants.
• si le patient prend des médicaments qui peuvent entraîner
une hypoglycémie ; Hypoglycémies d’origine endocrinienne
• si le patient a, dans son entourage, un diabétique (hypogly- L’hypoglycémie fait partie de la symptomatologie de l’insuf-
cémie factice à l’insuline ou aux sulfamides hypoglycé- fisance surrénalienne primitive ou corticotrope, de l’insuffisance
miants) ; antéhypophysaire, de l’hypothyroïdie. Au moindre doute, il est
• s’il a des antécédents de pathologie auto-immune. donc justifié de demander un test au Synacthène® immédiat, un

2 Traité de Médecine Akos


Suspicion d’hypoglycémie chez l’adulte non diabétique ¶ 1-1340

Tableau 1. mais ne permettent pas d’en préciser la cause, la recherche d’un


Médicaments hypoglycémiants. insulinome devient impérative. Dans un premier temps, il faut
démontrer l’existence d’une sécrétion inappropriée d’insuline
– Sulfamides hypoglycémiants, insuline
lors d’une hypoglycémie. On peut répéter les dosages de
– Disopyramide (Rythmodan®), cibenzoline (Cipralan®) glycémie et d’insulinémie à jeun et au cours de la journée. Les
– Dextropropoxyphène (Di-Antalvic®, Propofan®) résultats sont à interpréter en fonction des techniques de dosage
– Antidépresseurs (fluoxétine, IMAO) utilisées. Si l’on détecte une insulinémie supérieure à 6 µU/ml
– Pentamidine (Lomidine®), cotrimoxazole (Bactrim®) (36 pM/l) en radio-immunosorbent assay (RIA) (dont la limite
– Perhexiline (Pexid®) inférieure de détection est de 5 µU/ml) pour une glycémie
inférieure à 0,40 g/l, le diagnostic de sécrétion inappropriée
– Inhibiteurs de l’enzyme de conversion (captopril, énalapril)
d’insuline peut être affirmé. Mais, dans la plupart des cas, ces
– Aspirine à forte dose
dosages sont insuffisants, et l’on a recours à l’épreuve de jeûne.
– Dérivés de la quinine Celle-ci dure 72 heures et doit se dérouler en service spécialisé
IMAO : inhibiteurs de la monoamine oxydase. hospitalier, dans des conditions standardisées. Les dosages
effectués permettent de conclure à la présence d’un insulinome
dosage de T4 libre et de thyroid stimulating hormone (TSH), ou en cas de sécrétion d’insuline inadaptée à l’hypoglycémie [8, 9],
des tests de stimulation hypophysaire. Ces dosages sont à associée à un taux non freiné de peptide C.
demander, uniquement en cas de suspicion clinique, dans un L’hospitalisation permet d’éliminer les diagnostics différen-
laboratoire spécialisé, au mieux sous le contrôle de l’endocrino- tiels rares de l’insulinome : les hypoglycémies factices (injection
logue qui prend en charge le patient en cas de résultats positifs. d’insuline exogène ou prise de sulfamides hypoglycémiants), les
hypoglycémies auto-immunes.
Hypoglycémies tumorales Une fois le diagnostic d’insulinome posé, différentes techni-
ques servent à sa localisation (échoendoscopie préopératoire,
extrapancréatiques cathétérisme portal, éventuellement injection intra-artérielle de
Leur diagnostic repose sur la découverte d’une tumeur calcium) [10, 11]. La prise en charge thérapeutique sera menée par
volumineuse, parlante cliniquement, associée à des malaises des équipes spécialisées.
fréquents et graves.
■ Conclusion
■ Devant une hypoglycémie
Finalement, l’interrogatoire permet d’aboutir à trois conclu-
organique sans cause apparente : sions (Fig. 1).
• Il n’y a pas d’argument à l’interrogatoire pour une hypogly-
épreuve de jeûne cémie organique. Aucun bilan n’est nécessaire. Le plus
important, mais le moins bien codifié, est le traitement de
Épreuve de jeûne cette « pathologie » dite « fonctionnelle ». Pourtant, lorsque la
Lorsque l’interrogatoire, l’examen clinique et les examens prise en charge est adaptée, l’évolution des troubles vers une
biologiques simples font suspecter une hypoglycémie organique raréfaction et/ou une modification symptomatologique des

Interrogatoire et examen clinique

Pas de médicaments hypoglycémiants Médicaments hypoglycémiants Description malaisée


Pas d'endocrinopathie arrêt À jeun ou après effort
Examen clinique normal Symptômes neuroglycopéniques
Endocrinopathie clinique
Description aisée des malaises Correction rapide par le sucre
test au Synacthène® immédiat
Horaire postprandial
T4, TSH
Pas de symptômes neuroglycopéniques
Insuffisance hépathique grave
Alcoolisme Suspicion d'insulinome
Pas d'arguments pour une origine Contexte auto-immun
organique Ac anti-insuline et antirécepteur
de l'insuline Hospitalisation pour
Syndrome tumoral épreuve de jeûne
Pas de bilan

1) Prise en charge diététique


+ psychologique + médicaments
2) Ordonnance pour glycémie
lors d'un malaise, en postprandial tardif

Suivi de l'évolution :
diminution de la fréquence et
modification de la symptomatologie
des malaises

Figure 1. Arbre décisionnel. Conduite à tenir devant une suspicion d’hypoglycémie. TSH : thyroid stimulating hormone ; Ac : Anticorps ; T4 : thyroxine ou
tétra-iodothyronine.

Traité de Médecine Akos 3


1-1340 ¶ Suspicion d’hypoglycémie chez l’adulte non diabétique

malaises permet de confirmer l’absence d’hypoglycémie [4] Johnson DD, Dorr KE, Swenson WM, Service FJ. Reactive
organique. En cas de persistance, voire d’aggravation des hypoglycemia. JAMA 1980;243:1151-5.
malaises, associée à une hypoglycémie biologique constatée [5] Richard JL, Rodier M, Monnier L, Orsetti A, Mirouze J. Effect of
au moment d’un malaise, il faut recourir à l’épreuve de jeûne. acarbose on glucose and insulin response to sucrose load in reactive
hypoglycemia. Diabete Metab 1988;14:114-8.
• Il y a des arguments cliniques en faveur d’une insuffisance
[6] Pandit MK, Burke J, Gustafson AB, Minocha A, Peiris AN. Drug-
surrénalienne, ou d’une hypothyroïdie, que l’on confirme induced disorders of glucose tolerance. Ann Intern Med 1993;118:
biologiquement. Il y a des médicaments favorisant l’hypogly- 529-39.
cémie que l’on peut arrêter. [7] Larger E, Hillaire-Buys D, Assan R, Blayac JP. Drug-induced
• Il y a une suspicion d’hypoglycémie organique sans cause hypoglycemia in 1995. Pharmacovigilance data, analysis of the
. évidente : il faut confirmer le diagnostic par une épreuve literature. Journ Annu Diabetol Hotel Dieu 1995:89-105.
de jeûne en hospitalisation avant de poursuivre les [8] Service FJ. Hypoglycemic disorders. N Engl J Med 1995;332:1144-52.
investigations. [9] Vezzosi D, Bennet A, Fauvel J, Boulanger C, Tazi O, Louvet JP, et al.
.
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fasting hypoglycaemia related to endogenous hyperinsulinism. Eur
■ Références J Endocrinol 2003;149:413-9.
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islet-cell tumours of the pancreas on CT and MRI. Best Pract Res Clin
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patients with suspected postprandial hypoglycemia. N Engl J Med
Pour en savoir plus
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A. Hartemann-Heurtier, Professeur des Universités, praticien hospitalier (agnes.heurtier@psl.aphp.fr).


Service d’endocrinologie-métabolisme, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Hartemann-Heurtier A. Suspicion d’hypoglycémie chez l’adulte non diabétique. EMC (Elsevier Masson
SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1340, 2008.

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¶ 1-1430

Syndrome mononucléosique
F. Lefrère, O. Hermine

Le diagnostic des syndromes mononucléosiques se fait en deux temps : d’abord par la reconnaissance du
syndrome mononucléosique sur un frottis sanguin, ensuite par la détermination de la cause. Cette
dernière est dominée par le diagnostic de mononucléose infectieuse.
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Mots clés : MNI-test® ; VIH ; Syndrome mononucléosique ; PBD ; Epstein-Barr virus ; Test de Paul-Bunnell

Plan • Rash érythémateux discret, inconstant (mais potentialisé par


une prise de pénicilline).
¶ Reconnaître le syndrome mononucléosique 1 Les formes cliniquement muettes ou simplement pseudogrip-
pales sont les plus fréquentes.
¶ Déterminer sa cause 1
Infections virales 1 Diagnostic biologique
Affections non virales 2
Le test de dépistage, le MNI-test®, est un examen très sensible
(rapide et peu coûteux) :
• s’il est positif, la réaction de Paul-Bunnell-Davidsohn (PBD),
■ Reconnaître le syndrome plus spécifique, doit être réalisée (positive 8 j après le début
des symptômes). En cas de positivité, elle confirme le dia-
mononucléosique gnostic de mononucléose infectieuse ;
• s’il est négatif, le test de PBD est inutile, mais le diagnostic
Un syndrome mononucléosique est caractérisé par la présence, de MNI doit être recherché par une sérologie EBV, qui met en
dans le sang circulant, de grandes cellules mononucléaires évidence des immunoglobulines M (IgM) anti-EBV (anti-viral
bleutées. Ce sont des cellules de grande taille, au cytoplasme capside antigen [VCA]) en cas de MNI aiguë. La sérologie doit
étendu et bleuté (par hyperbasophilie). Il s’agit de lymphocytes T alors être contrôlée 3 semaines plus tard (apparition d’anti-
activés et non de monocytes. Une confusion (entre des mains peu corps anti-VCA de type IgG lors de la guérison).
expertes) peut être possible avec des lymphoblastes d’une Sur l’hémogramme, de rares anémies et thrombopénies
leucémie aiguë. L’absence de neutropénie et de thrombopénie peuvent coexister.
constitue un élément rassurant vis-à-vis d’une hémopathie Les transaminases sont parfois modérément élevées.
maligne, rendant peu probable le diagnostic de leucémie aiguë. Une fois le diagnostic établi, une courte corticothérapie peut
améliorer le syndrome asthénique.

■ Déterminer sa cause Primo-infection par le virus de


l’immunodéficience humaine (VIH)
Les étiologies des syndromes mononucléosiques (Fig. 1) sont Le syndrome mononucléosique peut survenir quelques jours
nombreuses mais dominées par les infections virales. à quelques semaines après le contact infectant du virus avec
l’organisme.
La primo-infection est asymptomatique ou accompagnée d’un
Infections virales syndrome pseudogrippal, d’une éruption cutanée, d’un syn-
drome méningé.
Mononucléose infectieuse (MNI) Rechercher un facteur de risque (QS).
C’est le plus fréquent des syndromes mononucléosiques La sérologie peut être encore négative. En cas de doute, il ne
(agent responsable : le virus d’Epstein-Barr [EBV]). faut pas hésiter à rechercher une antigénémie p24, une virémie
par polymerase chain reaction (PCR) et répéter la sérologie
Clinique évocatrice quelques semaines plus tard.

Elle touche volontiers l’adolescent et l’adulte jeune (« maladie Infection par le cytomégalovirus (CMV)
du baiser »).
• Fièvre +/- syndrome grippal. Asthénie souvent marquée. Chez le sujet non immunodéprimé, la primo-infection est
• Angine érythémateuse ou érythématopultacée avec dysphagie souvent asymptomatique ou d’intensité modérée (fièvre,
et pétéchies du voile possibles. asthénie, myalgie), sans angine (diagnostic différentiel avec la
• Adénopathies cervicales (rare hépatosplénomégalie). MNI), avec adénopathies inconstantes.

Traité de Médecine Akos 1


1-1430 ¶ Syndrome mononucléosique

Syndrome mononucléosique

Syndrome pharyngé Pas de syndrome pharyngé

MNI-test® Viroses :
Infections bactériennes :
- EBV
- syphilis secondaire Allergie
- VIH
- brucellose médicamenteuse
- hépatite
- maladie d'Osler
- rubéole
- typhoïde
- CMV
Positif Négatif

Infection parasitaire :
Sérologie EBV - toxoplasmose
Réaction de PBD
IgM

– + –

Mononucléose
infectieuse

MNI ?
séronégative

Figure 1. Syndrome mononucléosique. Démarche diagnostique. MNI : mononucléose infectieuse ; EBV : Epstein-Barr virus ; VIH : virus de l ‘immunodéfi-
cience humaine ; PBD : Paul-Bunnell-Davidsohn ; CMV : cytomégalovirus.

Il existe un risque de fœtopathie chez la femme enceinte Terrain


primo-infectée.
Chez le sujet immunodéprimé, l’infection peut être sévère (le • Sujet jeune (l’expression clinique et le pronostic dépendent
syndrome mononucléosique est inconstant) : pneumopathie, du terrain).
rétinite, encéphalopathie, méningite, cytopénies, etc. • Adulte non immunodéprimé : l’infection est le plus souvent
Le diagnostic biologique est seulement requis chez le sujet inapparente ou peu symptomatique avec fièvre, quelques
immunodéprimé : adénopathies et une splénomégalie. Le tableau peut égale-
• virémie, antigénémie sanguine ; ment être celui d’une volumineuse adénopathie cervicale
• sérodiagnostic qui peut être mis en défaut chez le sujet isolée peu douloureuse. La guérison spontanée est rapide.
immunodéprimé. • Sujet immunodéprimé : localisations viscérales graves.
• Femme enceinte : risque de malformation fœtale.
Autres affections virales : primo-infection
herpétique, varicelle, rubéole, hépatite... Diagnostic
Le diagnostic est clinique et ne demande aucun examen Sérodiagnostic spécifique (IgM puis IgG, majoration du taux
complémentaire en dehors des hépatites virales (transaminases sur deux prélèvements successifs).
et sérologies).

Infections bactériennes
Affections non virales
Très rarement à l’origine de syndromes mononucléosiques.
Toxoplasmose Typhoïde, brucellose, syphilis secondaire, maladie d’Osler...
Le syndrome mononucléosique est inconstant dans cette
infection. Allergies médicamenteuses
La transmission du parasite se fait par contacts avec un chat
ou par l’ingestion de viande mal cuite. Elles sont rares.

2 Traité de Médecine Akos


Syndrome mononucléosique ¶ 1-1430

Pour en savoir plus Breton-Gorius J, Reyes F, Rochant H, Rosa J, Vernant JP. L’hématologie de
Bernard Dreyfus. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 1992.
Lévy JP, Varet B, Clauvel JP, Lefrère F, Bezeaud A, Guillain MC. Lefrère F. Hématologie et transfusion. Paris: Estem; 2008.
Hématologie. Abrégés. Paris: Masson; 2008. Varet B. Le livre de l’interne. Paris: Médecine-Sciences Flammarion; 2007.

F. Lefrère, Praticien hospitalier (francois.lefrere@nck.aphp.fr).


O. Hermine, Professeur des Universités.
Service d’hématologie adulte, Hôpital Necker-Enfants Malades, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lefrère F., Hermine O. Syndrome mononucléosique. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine
Akos, 1-1430, 2009.

Disponibles sur www.em-consulte.com


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Traité de Médecine Akos 3


1-1450

1-1450
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

Vitesse de sédimentation élevée

J Cosserat

L a vitesse de sédimentation est un paramètre qui ne s’interprète jamais de façon isolée, mais avec les données
de l’examen clinique, du dosage des protéines de l’inflammation et de l’électrophorèse des protides sanguins.
On définit ainsi plusieurs situations biologiques associées au contexte clinique : présence d’un syndrome
inflammatoire, hypergammaglobulinémie isolée, présence d’une gammapathie monoclonale. C’est en fonction de
cette classification que se dessine l’orientation diagnostique.
© Elsevier, Paris.


une interprétation. Le contexte clinique est l’électrophorèse des protides sanguins et, à un
Introduction fondamental, car en dépit du faible coût de sa moindre degré, l’hémogramme et la numération
mesure, la mauvaise sensibilité de ce paramètre en plaquettaire. La connaissance de la physiopatho-
Face à une élévation de la vitesse de fait un médiocre examen de dépistage. Les données logie de la sédimentation globulaire permet de
sédimentation (VS), le clinicien doit disposer de biologiques complémentaires nécessaires sont avant comprendre et d’interpréter les variations de la VS
plusieurs éléments indispensables pour en donner tout le dosage des protéines de l’inflammation et (fig 1).

Élévation physiologique Orientation diagnostique âge en années pour les hommes


âge, sexe féminin, grossesse devant une VS élevée Si VS > 2
âge en années + 10 pour les femmes
2
VS « faussement normale »
Hémoglobinopathies
Anémies hémolytiques
Hypofibrinogénémie
Polyglobulies
Cryoglobulinémies Protéines de l'inflammation
CIVD Électrophorèse des protides
Fortes hyperleucocytoses
Hyperviscosité
Corticoïdes

Syndrome inflammatoire Hypergammaglobulinémie Gammapathie Autres


CRP, orosomucoïde, polyclonale isolée monoclonale
fibrine, haptoglobine

Anémie < 8 g/dL


Infections Myélome Insuffisance rénale chronique
Parasitoses Waldenström Dyslipidémies
Hépatopathies aiguës et chroniques Hémopathies Obésité
Infections Lupus Gammapathies Héparine
Cancers solides Gougerot-Sjögren monoclonales bénignes Œstroprogestatifs
Hémopathies Sarcoïdose Solutés macromoléculaires
Maladies inflammatoires Hémopathies
Médicaments (paracétamol, Médicaments (antiépileptiques,
β-bloqueurs, immunosuppresseurs,
D-pénicillamine, antibiotiques)
amiodarone Cryoglobulinémie mixte
cytotoxiques
© Elsevier, Paris

Néphropathies
méthyldopa...)

1 Orientation diagnostique devant une vitesse de sédimentation élevée.


VS : vitesse de sédimentation ; CIVD : coagulation intravasculaire disséminée ; CRP : protéine C-réactive.

1
1-1450 - Vitesse de sédimentation élevée

lorsqu’il est intense ou prolongé. Les pathologies


L’analyse de ces paramètres apportera les réponses aux questions suivantes : génératrices de syndromes inflammatoires
✔ l’élévation de la VS fait-elle partie d’un syndrome inflammatoire biologique, et persistants sont avant tout infectieuses, tumorales,
quelles en sont alors les grandes causes ? ou dites systémiques (maladie de Horton, lupus
✔ en l’absence de syndrome inflammatoire, existe-t-il une anomalie des érythémateux systémique, polyarthrite rhumatoïde,
immunoglobulines (Ig) (hypergammaglobulinémie polyclonale ou gammapathie périartérite noueuse) [1]. Les diagnostics les plus
monoclonale) expliquant cette élévation ? urgents sont d’une part les maladies infectieuses,
✔ quelles peuvent être les autres situations au cours desquelles la VS est élevée ? dont l’endocardite et la tuberculose, d’autre part la
✔ l’importance de l’élévation de la VS est-elle un indice de gravité ? maladie de Horton, en raison de son risque de
✔ la mesure de la VS peut-elle servir d’examen de dépistage ? survenue d’une cécité.
✔ peut-on faire le diagnostic de pathologies inflammatoires ou de fièvres prolongées La recherche d’une cause infectieuse doit être
avec une VS normale ? rigoureuse, car cette origine est en cause dans plus
de 50 à 70 % des cas. La biopsie de l’artère
temporale doit être systématique après 65 ans, en


et, à un moindre degré, de l’interleukine 1. Ces raison des risques évolutifs majeurs de la maladie de
Vitesse de sédimentation protéines sont très nombreuses, mais celles qui sont Horton. La découverte d’une tumeur maligne au
utilisées en pratique courante sont les suivantes : cours d’un syndrome inflammatoire inexpliqué est
La sédimentation des hématies dépend de leur – l’orosomucoïde ; une éventualité rare, en l’absence de signes
capacité d’agrégation et de formation de rouleaux, – l’haptoglobine ; évocateurs (altération de l’état général, symptômes
dont la chute est plus rapide que celle des particules – le fibrinogène ; d’orientation en faveur d’une atteinte d’un organe).
isolées. L’agrégation est liée aux caractéristiques des – la CRP. Les pathologies dont l’expression infraclinique est
globules rouges, à la viscosité du plasma et aux L’ordre de grandeur de la multiplication de leur telle sont le plus souvent des hémopathies
forces de cisaillement, ainsi qu’aux forces taux est de deux à quatre pour les trois premières, et (lymphomes hodgkiniens et non hodgkiniens), les
électrostatiques des macromolécules qui neutralisent de plusieurs dizaines pour la dernière. Le pic survient dysmyélopoïèses et le cancer du rein. Il n’est pas
les charges négatives répulsives de surface du entre 24 et 48 heures pour celle-ci, alors qu’il est de 2 nécessaire d’entreprendre d’explorations
globule. La variation de chacun de ces paramètres à 5 jours pour les autres. Ceci explique l’importance exhaustives en l’absence de point d’appel clinique.
au cours des situations cliniques influence la VS. Son de la surveillance de la CRP au cours des pathologies Les deux tiers des syndromes inflammatoires
élévation est liée à l’augmentation des protéines de infectieuses, et celles des autres protéines citées au cliniques régressent en effet spontanément en 3 à 6
l’inflammation ou des immunoglobulines dans le cours des maladies subaiguës ou chroniques. Au mois.
plasma. Le fibrinogène influence fortement la VS en décours d’un épisode aigu, la CRP se normalise en Au cours des syndromes inflammatoires
raison du caractère asymétrique de sa molécule, au moins de 10 jours, alors que la VS peut ne revenir à persistants, il faut évaluer soigneusement certaines
contraire de la protéine C-réactive (CRP) qui n’a pas sa mesure normale qu’en 3 à 6 semaines. données de l’interrogatoire, en précisant bien sûr les
d’action sur l’agrégation globulaire aux Dans certaines circonstances, la concentration des antécédents familiaux et personnels, l’origine
concentrations physiologiques. La mesure de la VS protéines de l’inflammation peut être modifiée ethnique, le mode de vie, la présence d’animaux
se fait dans un tube millimétré, avec du sang indépendamment d’une agression. Il s’agit dans l’entourage immédiat ou professionnel, les
anticoagulé. De nombreux paramètres influencent le essentiellement du syndrome néphrotique, au cours voyages récents et en consignant soigneusement les
résultat (température de la pièce, diamètre du tube, duquel leur synthèse hépatique est stimulée en prises médicamenteuses. Les médicaments
qualité de l’anticoagulation, présence de vibrations, raison de l’hypoalbuminémie massive, et de susceptibles d’entraîner un syndrome inflammatoire
verticalité du tube...) et sont donc source de l’insuffisance hépatocellulaire qui diminue la sont essentiellement les suivants : antibiotiques,
variations potentielles. synthèse de l’ensemble des protéines. Il existe, par antifongiques, vaccins, cytotoxiques, antiépilep-
Sa valeur normale est donnée par la formule de ailleurs, une diminution du taux d’haptoglobine tiques, anti-arythmiques, méthyldopa, cordarone,
Miller : sérique au cours des hémolyses et une baisse du d-pénicillamine, inhibiteur de l’enzyme de
– VS = âge (en années)/2 chez l’homme ; fibrinogène au cours des traitements par les conversion de l’angiotensine, méthysergide,
– VS = (âge [en années] + 10)/2 chez la femme. corticoïdes. sulindac, paracétamol, allopurinol, bromocriptine, et
Seule la mesure à la première heure est à En fonction des pathologies concernées, certaines bêtabloquants [4].
considérer, la seconde n’ayant pas d’intérêt en protéines ont une valeur diagnostique particulière.
Le dosage de l’haptoglobine semble être un


pratique.
Les causes d’élévation physiologique de la VS paramètre plus sensible pour la surveillance
évolutive de la maladie de Horton. Au cours du lupus
Électrophorèse des protéines
sont le sexe féminin, l’âge et la grossesse (au cours
des deux derniers trimestres et 1 mois après érythémateux systémique, il est classique d’attribuer
l’accouchement). La température corporelle une élévation franche de la concentration de CRP à Il s’agit d’un examen simple et rapide dont
n’influence pas la VS, tout comme la prise d’aspirine la survenue d’une complication infectieuse, celle-ci l’intérêt essentiel est le dépistage des hypergamma-
ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens. Il est restant minime au cours des poussées de la malade. globulinémies polyclonales (avec parfois
préférable d’effectuer la mesure à jeun. Il faut enfin savoir que le taux plasmatique des hyperbêtaglobulinémie) ou monoclonales IgG, IgM
protéines de l’inflammation s’élève avec l’âge, et IgA. L’élévation du taux d’IgD ou E est souvent
comme la VS. insuffisante pour se traduire par un pic dans la zone


Protéines de l’inflammation des gammaglobulines, où migrent habituellement
les immunoglobulines. L’hypergammaglobulinémie

Elles regroupent les protéines dont la


concentration plasmatique augmente d’au moins
25 % dans les premiers jours de la réaction

Syndrome inflammatoire

Le syndrome inflammatoire biologique désigne


polyclonale est le témoin de la réaction immunitaire
humorale face à une agression. La migration des
protéines de l’inflammation d’usage courant sont en
alpha-1 pour l’orosomucoïde, en alpha-2 pour
inflammatoire, défense non spécifique de les anomalies biologiques accompagnant la réaction l’haptoglobine, en bêtagamma pour le fibrinogène
l’organisme aux agressions. Les deux sources de inflammatoire. Il comporte une élévation de la VS et et en gamma pour la CRP (cf chapitre
synthèse prédominantes sont l’hépatocyte et le des protéines de l’inflammation, ainsi qu’une « Électrophorèse des protéines du sang », fascicule
macrophage, sous contrôle direct de l’interleukine 6 anémie parfois sévère et une thrombocytose 1-1198). Les principales causes d’élévation

2
Vitesse de sédimentation élevée - 1-1450

polyclonale des immunoglobulines sont, en (notamment respiratoire et urinaire), dans 25 % des clinique est négatif, la découverte d’une élévation de
particulier, les infections virales aiguës cas d’une maladie tumorale, et dans les 25 % la VS n’est le témoin d’une affection préoccupante
(cytomégalovirus et virus d’Epstein-Barr), les restants d’une affection inflammatoire, en particulier que chez deux patients sur 1 000. En revanche, chez
infections parasitaires (paludisme, toxoplasmose, une maladie de Horton. des patients pour lesquels il existe une forte
trypanosomiase), les mycoses viscérales, les suspicion de pathologie inflammatoire (prévalence
hépatopathies aiguës et chroniques, les estimée entre 20 et 50 %), les paramètres du test
cryoglobulinémies mixtes, la sarcoïdose et le
syndrome de Gougerot-Sjögren. Au cours des
hépatopathies chroniques, l’augmentation des Ig
porte sur les IgA pour la cirrhose éthylique, les IgM

VS normale et pathologies
organiques

La VS peut être normale au cours d’un certain


s’améliorent. Pour une VS supérieure à 30, la valeur
prédictive positive passe alors à 89 %, soit quatre
diagnostics significatifs pour cinq patients testés [3].

pour la cirrhose biliaire primitive et les IgG pour les nombre d’affections organiques fébriles ou non [2]. Il
hépatites chroniques actives. La glomérulonéphrite à
dépôts mésangiaux d’IgA ou maladie de Berger,
s’accompagne, près d’une fois sur deux, d’une
élévation des IgA sériques. Certains médicaments,
faut alors adopter une démarche diagnostique
rigoureuse avant d’évoquer les hypothèses plus
rares. Il peut s’agir d’un simple retard de l’élévation
des protéines de l’inflammation, de l’existence d’une

La VS est-elle un indice
de gravité ?

L’élévation de la VS correspond à plusieurs


notamment les antiépileptiques, les antibiotiques et CIVD effondrant le fibrinogène, ou d’une hémolyse situations cliniques dont certaines sont aiguës
les immunosuppresseurs peuvent induire une abaissant l’haptoglobine. On recherchera aussi des (infection, maladies inflammatoires diagnostiquées
hypergammaglobulinémie. La découverte d’une anomalies de la morphologie globulaire, telle qu’une puis traitées) ou chroniques (hypergammaglobuli-
immunoglobuline monoclonale fait évoquer les anisocytose, une poïkilocytose, une microcytose némie des hépatopathies chroniques ou du
diagnostics de myélome, de maladie de (alors que la macrocytose augmente la VS). Les syndrome de Gougerot-Sjögren). Elle n’est pas le
Waldenström, de gammapathie monoclonale polyglobulies et les hémoglobinopathies sont aussi reflet de la gravité ou de l’intensité de l’affection,
satellite, de leucémie lymphoïde chronique ou de responsables d’une absence d’élévation de la VS, comme en témoignent les VS normales au cours des
lymphome B, ou encore de signification tout comme les facteurs à l’origine d’une maladies tumorales métastatiques ou des infections
indéterminée, dont la surveillance sera régulière. hyperviscosité (taux élevé de paraprotéine virales sévères. La surveillance itérative de la VS
monoclonale, grande hyperleucocytose, perfusion constitue, en revanche, un témoin évolutif de la


Autres situations

Les autres contextes au cours desquels la VS peut


de soluté hypertonique). Certaines maladies peuvent
évoluer classiquement avec une VS normale, en
particulier la tuberculose, la toxoplasmose, la
typhoïde, la brucellose, la rickettsiose, la
guérison sous traitement ou spontanée. La lenteur
de sa normalisation (2 à 6 semaines) fait que sa
mesure est généralement couplée à celle d’une
protéine de l’inflammation (CRP pour les pathologies
s’élever sont les anémies (elle peut atteindre 40 à leishmaniose, les oreillons, la mononucléose infectieuses, haptoglobine au cours des pathologies
50 mm à la première heure lorsque l’hémoglobi- infectieuse, la rubéole... Certaines fièvres sont enfin inflammatoires, dont la maladie de Horton), dont la
némie est inférieure à 8 g/dL), l’obésité, les de mécanisme non inflammatoire, telles les fièvres cinétique est plus rapide. Au cours de la
dyslipidémies, l’insuffisance rénale chronique, les endocriniennes (hyperthyroïdie et phéochromocy- corticothérapie, la diminution du fibrinogène induite
œstroprogestatifs, l’héparine, les solutés tome), la nutrition parentérale totale, les troubles de par le traitement se traduit parfois par une baisse de
macromoléculaires, la grossesse à partir du la régulation thermique, les hyperthermies la VS, alors que les autres protéines de
deuxième trimestre et 3 mois après l’accouchement. médicamenteuses, les dysautonomies familiales, la l’inflammation restent élevées, témoins d’un
Dans l’ensemble de ces situations, l’élévation reste déshydratation intracellulaire et les tumeurs contrôle insuffisant du processus pathologique.
modérée, le plus souvent inférieure à 50 mm à la hypothalamiques. L’hypothèse d’une fièvre simulée
première heure. En revanche, certains contextes peut aussi être envisagée. Une VS normale n’élimine
cliniques peuvent être à l’origine d’une VS
faussement normale. Il s’agit des polyglobulies, des
hémoglobinopathies, des coagulations intravascu-
laires disséminées (CIVD), de l’insuffisance
donc pas une maladie à composante inflammatoire,
en particulier tumorale. La VS est le plus souvent
normale au cours de la sclérodermie, au cours de
laquelle la découverte d’un syndrome inflammatoire

Conclusion

L’interprétation d’une élévation de la VS se fait à


hépatocellulaire, des hypofibrinogènémies, de la doit faire évoquer avant tout une complication l’aide des données de l’électrophorèse des protides
cachexie, des cryoglobulinémies (qui précipitent à intercurrente, notamment infectieuse. sanguins et du dosage des protéines de
froid et entraînent avec elles les protéines l’inflammation. On peut alors faire le diagnostic de
plasmatiques en empêchant leur interaction avec les syndrome inflammatoire, d’hypergammaglobuli-
hématies), de la corticothérapie à fortes doses et des
traitements par androgènes.
En l’absence de cause identifiée, une simple
surveillance clinique et biologique trimestrielle est

La mesure de la VS n’est pas un
examen de dépistage

Plusieurs études ont montré que la sensibilité de


némie polyclonale ou de gammapathie
monoclonale et orienter les recherches étiologiques.
Certaines situations cliniques s’accompagnent d’une
élévation de la VS en dehors de ces grands cadres et
nécessaire, la normalisation de la VS étant le plus la mesure de la VS n’était que de 50 % au cours des il existe inversement des VS « faussement normales »
souvent spontanée en quelques mois, témoin maladies inflammatoires pour lesquelles elle peut en rapport avec des anomalies des globules rouges
parfois d’une affection infraclinique guérie. Dans servir de test diagnostique (les formes d’emblée ou protéiques. La connaissance de la physiopatho-
environ un tiers des cas, la VS reste élevée pendant graves ou très évolutives étant alors exclues). Au logie de la sédimentation des hématies permet de
plusieurs années, mais la probabilité de diagnostic cours du dépistage systématique, dans une comprendre et de retenir ces particularités. La VS
d’une pathologie causale est faible, entre 0 et 15 %, population non sélectionnée, la prévalence des n’est pas un examen de dépistage dans une
et il s’agit le plus souvent d’une maladie non maladies inflammatoires est estimée à 5 %. Si on population non sélectionnée. Lorsqu’elle est très
cancéreuse. prend comme seuil pathologique la valeur de élevée, il faut chercher en premier lieu une cause
30 mm à la première heure, et si l’on se réfère à une infectieuse, puis une néoplasie ou une maladie


VS très élevée

Lorsque la VS est supérieure à 100 mm, un


étude suédoise poursuivie pendant 6 ans, la
spécificité du paramètre est de 97 %, mais sa valeur
prédictive positive seulement de 46 %. Un diagnostic
ne sera donc établi que chez un patient sur deux se
inflammatoire. Enfin, l’existence d’un syndrome
inflammatoire modéré, sans cause identifiée et sans
signes cliniques de gravité, ne doit pas faire
entreprendre d’explorations invasives. Il faut, en
diagnostic est fait dans plus de 90 % des cas. Dans soumettant à ce type de dépistage. Chez des sujets revanche, instaurer une surveillance clinique et
un cas sur deux, il s’agit d’une pathologie infectieuse indemnes de plaintes spontanées et dont l’examen biologique régulière.

3
1-1450 - Vitesse de sédimentation élevée

Julie Cosserat : Ancien chef de clinique-assistant,


service de médecine interne, institut mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : J Cosserat. Vitesse de sédimentation élevée.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1450, 1998, 4 p

Références

[1] Grasland A, Pouchot J. Syndrome inflammatoire biologique persistant. Rev [4] Vital-Durand D, Rousset H, Bienvenu J, Sibille M. Syndrome inflammatoire.
Prat 1997 ; 47 : 75-79 In : Diagnostics difficiles en médecine interne. Paris : Maloine, 1992 : Vol 2.
135-152
[2] Mortier E, Pouchot J, Gaudin H, Vinceneux PH. Fièvre avec vitesse de sédi-
mentation normale. Ann Med Interne 1995 ; 146 : 404-408

[3] Vital-Durand D, Levrat R. Vitesse de sédimentation élevée. In : Diagnostics


difficiles en médecine interne. Paris : Maloine, 1991 : Vol 1. 139-153

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