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PERMACULTURE
GUÉRIR LA TERRE,
NOURRIR LES HOMMES
DOMAINE DU POSSIBLE
ACTES SUD
Pour nos enfants
Lila, Rose, Shanti et Fénoua,
et pour tous les enfants de la Terre.
Cette épopée que décrivent et que vivent au quotidien nos deux héros de la
nouvelle alliance entre l’humanité et la Terre, entre la Terre et sa biosphère,
entre notre planète et son environnement cosmique est l’expression de
personnes qui pensent avec le cœur, avec la compassion. Il est réconfortant,
dans un monde qui, jusqu’à maintenant, a plutôt glorifié la force brutale de la
compétition et de l’égoïsme, de découvrir quelque part des pans d’humanité
prêts à réensemencer l’univers avec conscience et intelligence.
Livre inspiré, prophétique, qui fait du bien à l’âme, qui régénère, qui
réconcilie, qui embaume, qui élève et qui grandit tout ce qu’il touche.
Charles use à merveille de la métaphore. Pupoli, l’enfant indien dans sa
pirogue, au sein du fleuve tumultueux qui peut le broyer à tout instant, sait
saisir les contre-courants pour se protéger, trouver un havre de salut au milieu
de l’enfer. Le “petit” se trouve miraculeusement protégé par la force du
“géant”…
Dans ce grand corps universel, les petites “veines” de la sauvegarde, de la
résilience et de la permaculture trouvent leur place et leur raison d’être face à
l’impétuosité du fleuve agro-industriel qui balaie tout sur son passage, laisse
la terre exsangue et le monde meurtri. La Ferme du Bec Hellouin est une
oasis dans ce monde de la démesure et de la fuite en avant.
Le lecteur va découvrir dans ce livre des pratiques, des astuces, des idées
novatrices auxquelles il s’étonnera de ne pas avoir pensé, comme la “forêt-
jardin”, l’“autofertilité”, les “microfermes”, la “culture sur buttes”, les “îles-
jardins”, “la création d’un microclimat”…
L’avantage énorme de Charles et de Perrine, c’est de pratiquer ce qu’ils
écrivent, de faire ce qu’ils disent : c’est probablement ce qui donne cette
force et cette envie que l’on ressent à la lecture de leur récit passionnant.
Ce qui caractérise également l’expérience menée au Bec Hellouin, c’est la
rigueur de la méthode et le niveau élevé des résultats à la fois agronomiques
et économiques.
Des agriculteurs, des chefs étoilés et des experts scientifiques de haut
niveau, venant de disciplines variées et de différentes contrées du monde,
vérifient, comparent, analysent et s’étonnent des performances réalisées.
Je dois avouer humblement que j’ai appris au cours de ces nombreuses
rencontres des méthodes et des savoir-faire auxquels je n’avais pas pensé en
songe, tellement ils sont enthousiasmants, efficaces et accessibles à tout un
chacun.
Je souhaite que ce livre soit lu par le plus grand nombre, pour que la
vibration engendrée par Charles et Perrine se rejoigne et s’amplifie avec
toutes les initiatives qui foisonnent actuellement dans ce sens. Car la crise
peut s’aggraver. Nous pouvons nous passer d’électronique, d’informatique,
d’aéronautique, d’électroménager et d’automobiles, mais nous ne pouvons
pas nous passer de manger et de respirer.
PHILIPPE DESBROSSES1
1 Ce chiffre inclut les coûts cachés de notre agriculture intensive, comme les transports, la
transformation, l’emballage, le stockage et la distribution. Source : Patrick Whitefield, The Earth Care
Manual, Permanent Publications, 2004.
2 Cité par Patrick Whitefield, ibid.
3 Diminution progressive et inéluctable des ressources en énergies fossiles.
4 Voir l’excellent article “Combien de gaz à effet de serre dans notre assiette ?” du site de Jean-Marc
Jancovici, ingénieur-conseil en énergie : www.manicore.com.
5 Ce programme et les rapports intermédiaires décrivant son déroulement sont consultables en ligne sur
le site www.fermedubec.com.
6 Il s’agit de 1 000 mètres carrés cultivés, auxquels il convient d’ajouter les espaces de circulation, de
stockage, etc. La ferme peut être d’une taille variable.
7 Les données chiffrées de la première année (2012-2013) sont présentées dans le rapport intermédiaire
no 2, disponible sur le site www.fermedubec.com. Les résultats de l’année suivante confirment
largement ceux de la première année.
8 Philippe Desbrosses, Nous redeviendrons paysans, Alpha, 5e éd., 2007.
I
LA PIROGUE DE PUPOLI
La permaculture propose de concevoir nos installations humaines
comme des écosystèmes. Elle s’inspire de l’observation de la nature et de
la manière dont les peuples premiers habitent la Terre.
Toute civilisation est une alliance avec l’univers. L’univers n’est jamais
un ensemble immuable et donné ; il est ce que l’homme fait de lui par cet
acte d’alliance.
ROBERT JAULIN2
Antecume Pata est un petit village de l’ethnie wayana situé sur une île du
fleuve Litany, à la frontière entre la Guyane française et le Surinam. Le
fleuve est large à cet endroit, parcouru de rapides. Les flots tumultueux se
jettent en écumant à l’assaut de roches noires. Sur les rives, la forêt
amazonienne s’étend à perte de vue, la seule clairière étant celle ouverte par
les Amérindiens pour construire leurs cases.
Antecume Pata est un lieu qui a beaucoup compté dans ma vie. J’y suis
retourné à de nombreuses reprises, voyant grandir les enfants indiens jusqu’à
l’âge adulte. À chaque voyage la confiance et l’amitié grandissaient avec les
Wayanas, peuple pudique et discret au premier abord, mais tellement
attachant et plein d’humour lorsque l’on parvient à vivre dans son intimité.
Frère singe
Pupoli était l’un de mes compagnons. Son père Yoïwet et moi étions très
proches – Yoïwet m’avait même donné un surnom qu’il s’appliquait
également à lui-même. Nous nous appelions mutuellement yepe baboune
(“ami singe” !). L’échange de surnoms est, pour les Wayanas, une grande
marque d’amitié – il avait fallu dix années de voyages au fond de la Guyane
pour que naisse une telle complicité.
Je me souviens comme si c’était hier d’une aventure, en apparence
anodine, qui m’a marqué. Pupoli, qui était encore un frêle garçonnet d’une
dizaine d’années, m’avait invité à une partie de pêche à bord de sa pirogue.
Nous étions partis, tous deux vêtus du kalimbe, une simple bande de tissu
rouge vif passée entre les jambes. Taillée d’une seule pièce dans un tronc, la
pirogue de Pupoli était à peu près grande comme un jouet, instable à souhait,
la coque à ras de l’eau. J’avais l’impression qu’il suffirait que j’écarte un peu
le coude pour qu’elle chavire. Pupoli était heureusement plus à l’aise que
moi, jouant énergiquement de la pagaie, son petit arc au fond de la pirogue,
avec sa ligne et quelques vers pour appâter.
Les jeunes wayanas connaissent l’enfance la plus libre que l’on puisse
imaginer ; ils apprennent leur vie d’Indien avec des outils en tous points
semblables à ceux des adultes, si ce n’est qu’ils sont fabriqués à leur taille.
Leur aisance dans la nature est stupéfiante.
Nous remontions le fleuve Litany, pénétrant cette forêt amazonienne
semblable à un somptueux jardin d’Éden. Bientôt un grondement puissant
nous parvint : nous approchions d’une impressionnante chute d’eau qui barre
le Litany sur toute sa largeur. Malgré le courant puissant, le garçonnet
remontait sans effort apparent le cours du fleuve. Je me demandais jusqu’où
le téméraire Pupoli nous emmènerait. L’enfant ne s’arrêta qu’à quelques
mètres de la chute. Là, il posa sa pagaie au fond de la pirogue, déroula sa
ligne et commença à pêcher. Tout cela semblait aussi simple… qu’un jeu
d’enfant ! Mais par quel miracle le petit Wayana avait-il pu triompher sans
effort du puissant courant ?
J’observais, fasciné. Pupoli avait remonté le fleuve, tout simplement, en
maintenant sa pirogue dans les contre-courants engendrés par les rapides, se
glissant habilement d’une roche à l’autre. La frêle embarcation tournait à
présent sur place dans une petite zone de remous, à l’endroit exact, le seul
peut-être sur toute la largeur du fleuve, où une veine d’eau s’opposait au
courant principal. Si nous nous en étions écartés de quelques mètres, nous
aurions été emportés par des flots tumultueux contre lesquels il aurait été vain
de lutter.
Et ça mordait ! Pupoli remontait déjà un piranha aux yeux rouges et à la
mâchoire féroce. Il lui fendit le crâne d’un coup de machette avant de le jeter
au fond de la pirogue, de peur que le poisson ne vienne exercer sa dentition
sur nos orteils.
J’étais subjugué d’admiration par l’aisance et l’apparente facilité avec
lesquelles l’enfant s’était joué du fleuve apparemment indomptable. Il fallait
une connaissance poussée de son environnement pour parvenir à une telle
élégance ! Tout en pêchant, je méditais sur la leçon que Pupoli venait
inconsciemment de m’offrir. Un courant entraîne toujours des contre-
courants. Et plus le courant est puissant, plus les contre-courants le sont
également. Si un enfant parvenait à se positionner dans la veine favorable, il
arrivait à son but, alors même que le rapport de forces entre le fleuve et ses
petits bras lui était totalement défavorable.
Je sentis une immense joie monter en moi. J’avais jusqu’alors perçu notre
monde comme ce grand fleuve : terriblement puissant. Et je m’étais souvent
senti comme embarqué contre mon gré par le courant, incapable de résister.
La modernité nous emporte sans nous demander notre avis, et personne ne
sait vraiment où nous allons. Pourtant, ce monde si puissant engendre des
contre-courants : si j’apprenais à les identifier, je n’aurais plus à lutter, à
m’épuiser dans un combat perdu d’avance… En me positionnant à ma juste
place, je deviendrais capable de tracer ma route selon mon cœur et mes rêves.
La permaculture : se laisser inspirer par la nature
La marque de fabrique de l’Occident moderne est une hypertechnicité, une
quête du “progrès” matériel. Malgré des avancées incontestables dans
d’innombrables domaines, cette forme de progrès, telle qu’elle a été
développée jusqu’à ce jour, provoque une destruction rapide et massive de la
biosphère. Nous ne cessons d’artificialiser la nature, remplaçant le vivant par
des technologies.
C’est le courant dominant, puissant, rapide… terrifiant.
Mais les contre-courants sont là, partout : petites veines d’eau vive
porteuses d’espoir. Tout autour de la planète, des millions de personnes de
bonne volonté s’emploient de toutes leurs forces à inventer des modes de vie
respectueux des Hommes et de la planète.
La permaculture est l’un de ces contre-courants. Cette approche reconnaît
le primat de la vie, elle propose de se mettre à l’école de la nature, de se
laisser féconder par elle. Depuis 3,8 milliards d’années, la vie a colonisé la
planète Terre, créant les conditions favorables à l’apparition de formes de vie
de plus en plus complexes. Bien évidemment, ce processus s’est déroulé sans
intervention humaine.
La permaculture est donc une approche bio-inspirée : dans ce sens, elle va
exactement à l’opposé du courant dominant contemporain, qui fragilise la
biosphère. Elle constitue un nouveau paradigme pour ceux qui cherchent à
guérir la Terre. Son objectif est de concevoir des installations humaines qui
fonctionnent, autant que possible, comme les écosystèmes naturels. La
permaculture permet à chacun d’inventer un mode de vie qui lui corresponde,
en harmonie avec la planète.
Née en Australie dans les années 1970, elle a été formulée par Bill
Mollison et David Holmgren, qui ont été fortement inspirés par l’observation
des peuples aborigènes. “Blesser un arbre était blesser un frère ; ce point de
vue traduit une attitude conservationniste sophistiquée. Peut-on abattre un
frère et vivre ?” nota Mollison3.
La permaculture repose sur une éthique, simple dans sa formulation, mais
exigeante dans sa mise en pratique :
– prendre soin de la Terre ;
– prendre soin des Hommes ;
– partager équitablement les ressources.
Ce livre n’entend pas décrire la permaculture dans son ensemble. Pour
appréhender la permaculture de manière systématique, le lecteur peut se
référer aux ouvrages cités dans la bibliographie.
Permaculture et agriculture biologique
Ces pages traitent de la permaculture à travers notre expérience de paysans.
Dans la pratique de notre métier, nous avons pu constater que les concepts de
la permaculture sont encore peu connus et peu appliqués dans le monde de
l’agriculture biologique. Les réalisations de terrain sont rares, ce qui est un
paradoxe car, depuis ses origines, la permaculture se préoccupe en premier
lieu de production vivrière. Cette focalisation sur la production vivrière
entraîne parfois un malentendu, particulièrement en milieu francophone : la
permaculture est réduite à une superméthode de jardinage naturel. Pourtant, la
permaculture n’est pas un ensemble de techniques agricoles. Son potentiel va
bien au-delà, ce système conceptuel est susceptible de féconder l’ensemble de
nos réalisations humaines.
Une certaine confusion peut s’installer dans l’esprit du lecteur peu au fait
du monde agricole. On nous interroge souvent sur la différence entre
permaculture, agriculture biologique et agroécologie. En quelques mots :
– L’agriculture biologique est une branche de l’agriculture qui s’interdit
tout recours à des molécules de synthèse (engrais, désherbants et pesticides
chimiques) et promeut des normes exigeantes de respect des végétaux, des
animaux et des agrosystèmes. Elle est régie par un cahier des charges officiel
et soumise à des contrôles et un agrément.
– L’agroécologie propose une approche de l’agriculture qui intègre des
considérations écologiques et sociales, afin de subvenir aux besoins
alimentaires des communautés humaines dans le respect des agriculteurs et de
la nature. Sa définition est plus floue que celle de l’agriculture biologique et
elle n’est pas soumise à une législation spécifique. L’agroécologie n’exclut
pas forcément le recours à des produits de synthèse.
– L’objet de la permaculture est plus large que celui de l’agriculture
biologique et de l’agroécologie puisqu’il dépasse la sphère agricole, nous
l’avons vu. Pour concevoir une installation vraiment écologique (ferme,
entreprise, ville…), la permaculture peut donc intégrer toutes les bonnes
pratiques de l’agriculture bio et de l’agroécologie, et les croiser avec des
“approches vertes” issues d’autres disciplines (énergies renouvelables,
écoconstruction…). Il n’y a aucune opposition entre agriculture bio,
agroécologie et permaculture, bien au contraire, simplement une différence
de nature.
La permaculture s’appuie sur une observation extrêmement poussée du
fonctionnement des écosystèmes naturels. Les paysans qui aspirent à une
agriculture aussi naturelle que possible trouveront de grandes satisfactions à
appliquer les concepts de la permaculture à leur démarche ; selon notre
expérience, la permaculture permet d’aller plus loin que les approches plus
anciennes, dont elle reprend du reste tous les acquis positifs.
Élaborer une agriculture bio-inspirée peut permettre de nourrir
durablement l’humanité. Le défi alimentaire est de taille :
aujourd’hui 842 millions d’humains souffrent de la faim4 – autrement dit une
personne sur huit. Tous les onze ans, la population mondiale s’enrichit d’un
milliard d’habitants supplémentaires. Selon un rapport des Nations unies, “la
production alimentaire mondiale devrait augmenter de 70 à 100 % par rapport
aux niveaux actuels d’ici à 2050 si l’on entend répondre aux besoins
alimentaires d’une population croissante5”. Or, depuis les années 1960, un
tiers des terres arables de la planète a disparu du fait de l’érosion, accentuée
par l’essor de l’agriculture industrielle et par l’artificialisation des sols6.
L’équivalent de la superficie de l’Italie est ainsi perdu chaque année7 !
Le défi alimentaire dépasse donc les frontières du monde paysan et
concerne chacun d’entre nous. La permaculture a beaucoup à apporter à la
réflexion en cours sur la création d’agrosystèmes productifs, autonomes et
résilients. Conçus comme des écosystèmes, les jardins de petite taille peuvent
se révéler d’une productivité insoupçonnée. La famille Dervaes, en
Californie, génère un chiffre d’affaires annuel de 20 000 dollars
(environ 14 500 euros) sur un jardin de 360 mètres carrés, procurant un
revenu au père, à son fils et à ses deux filles tout en nourrissant la
communauté locale8. Les exemples de telles réalisations sont nombreux.
Au Bec Hellouin, notre ferme tire son énergie principalement du soleil,
avec un recours aussi réduit que possible aux énergies fossiles. Nous
expérimentons différentes “bonnes pratiques” remontant, pour certaines, à
des civilisations anciennes, d’autres étant au contraire à la pointe de
l’innovation. Nous atteignons des niveaux de production qui semblent à peine
croyables aux spécialistes, grâce à des pratiques simples et naturelles qui se
révèlent bonnes pour les humains comme pour l’environnement. D’après les
naturalistes, la biodiversité s’accroît dans nos jardins, une véritable
régénération du biotope est en cours. Nous en venons donc à penser que l’on
peut être paysan et participer activement à la guérison de la biosphère.
Paysages intérieurs, paysages extérieurs
Notre ferme explore des voies alternatives car elle plonge ses racines dans un
désir d’insertion aussi intime que possible au sein du grand courant de la vie,
désir nourri de rencontres avec des communautés ayant fait des choix très
différents de ceux de notre Occident moderne. La rencontre des peuples
racines vient féconder notre imaginaire. Ces peuples ne sont pas en arrière
dans l’histoire de l’évolution : ils ont autant de milliers d’années d’évolution
que nous. Simplement, ils ont fait des choix différents. Nous avons privilégié
l’avoir, ils sont en quête d’harmonie. Nous vivons dans le court terme, ils
s’inscrivent dans la durée. Nous nous percevons comme séparés de la nature,
ils se voient comme partie intégrante de la vaste communauté des vivants.
Les peuples premiers ont beaucoup à dire aux Hommes d’aujourd’hui car ils
savent faire ce que nous avons oublié : vivre en bonne entente avec la nature.
Ces peuples nous rappellent que notre manière de modeler les paysages
que nous habitons reflète nos paysages intérieurs. Quelle est notre conception
du bonheur ? Un Amérindien a dit : “L’homme blanc, lorsqu’il meurt, désire
laisser de l’argent à ses enfants. L’Indien, lui, souhaite leur donner des
arbres.”
S’inspirer de leur sagesse ne signifie cependant pas pour autant nous
couper de notre culture, et notamment des avancées scientifiques
considérables de ces dernières décennies. Nos connaissances en biologie
doublent tous les cinq ans9 ! À la Ferme du Bec Hellouin, nous tentons, dans
notre approche de l’agriculture, d’associer science et conscience, intuition et
rigueur, convaincus que l’agriculture peut redevenir un art – un corpus de
connaissances scientifiques et techniques fécondé par l’intuition, la créativité
humaine.
Il s’agit, en d’autres termes, de prendre le meilleur des deux mondes, le
meilleur de la tradition et de la modernité. Nous allons découvrir, en créant
notre ferme, à quel point il peut être jubilatoire de réaliser une synthèse de
solutions originales, issues de différentes cultures et époques !
1 Jean Ziegler, La Victoire des vaincus et résistance culturelle, Éditions du Seuil, 1988, p. 12.
2 Robert Jaulin, La Paix blanche. Introduction à l’ethnocide, Éditions du Seuil, 1970, p. 19.
3 Cité par Agnès Sinaï dans “L’héritage aborigène aux sources de la permaculture”, LaRevueDurable,
no 50, oct.-nov.-déc. 2013, p. 19.
4 Organisation des Nations unies pour l’agriculture et le développement, www.fao.org/hunger/fr.
5 Département des affaires économiques et sociales, Étude sur la situation économique et sociale dans
le monde. Aperçu général, ONU, 2011, p. 7.
6 “Selon le professeur Pimentel, de 1956 à 1996, ce sont 1,5 milliard d’hectares de terre arable qui ont
été abandonnés en raison de l’érosion. Cela représente un tiers des surfaces arables de la planète”, nous
informe Dominique Guillet dans son article “Planète Terre, planète Désert ?”, www.liberterre.fr,
3 mai 2007.
7 “La « superficie de l’Italie » perdue chaque année (ONU)”, La France agricole, 22 octobre 2010.
www.lafranceagricole.fr.
8 Ces 20 000 dollars sont à comparer au revenu médian des ménages états-uniens, qui est
d’environ 50 000 dollars (36 000 euros) par an. Vendre la production de son jardin peut donc être un
complément de revenus très important. Source : census.gov (équivalent états-unien de l’Insee).
9 Janine M. Benyus, Biomimétisme, Rue de l’Échiquier, coll. “Initial(e) s DD”, 2011, citée sur
www.mollat.com.
II
AUTOUR DU MONDE
La création de la Ferme du Bec Hellouin a été précédée par une
vingtaine d’années de voyages autour de la planète, à l’école de la nature
et des Hommes.
PAUL VIRILIO1
Quand nous brûlons l’herbe à cause des sauterelles, nous ne ruinons pas
tout. Nous secouons les glands et les pommes de pin des arbres. L’homme
blanc, lui, retourne le sol, abat les arbres, détruit tout… Il fait exploser
les rochers et les laisse épars sur le sol… Comment l’Esprit de la Terre
pourrait-il aimer l’homme blanc ? Partout où il l’a touché, il laisse une
plaie.
Devenir paysan m’a pris trente ans. Adolescent, les travaux partagés avec une
famille d’agriculteurs normands avaient déclenché ma vocation : cultiver la
terre, vivre dehors, libre, sous la pluie et le soleil. Mais on m’avait alors
expliqué qu’étant parisien j’aurais bien du mal à devenir paysan… et ma soif
de découverte a fait le reste ! Marin était une belle alternative. À vingt et un
ans j’ai pris la mer pour tenter de comprendre ce vaste monde et y trouver ma
place. J’avais un voilier-école, Fleur de Lampaul, avec lequel nous avons
sillonné tous les océans du globe3. À bord, des équipages d’adolescents et des
scientifiques.
Les premières années, nous avons étudié les mammifères marins ; ce fut
l’occasion de moments magiques, d’improbables rencontres lorsque nous
croisions, dans leur élément, baleines, orques et dauphins. Lorsqu’un rorqual
ou un cachalot gros comme un autobus s’approchait des petits nageurs que
nous étions et se retournait sur le flanc pour nous contempler de son œil
impassible, il me semblait franchir une frontière invisible et retrouver un peu
de l’amitié entre Hommes et bêtes qui devait régner au paradis terrestre. Cette
symbiose était exactement ce que je recherchais. Mais on ne peut passer sa
vie sous l’eau…
Au bout de quelques années, j’ai réalisé que les humains n’étaient pas
moins intéressants que les mammifères marins. Nous sommes alors partis,
une quinzaine d’années durant, à la rencontre des peuples premiers :
Amérindiens, tribus d’Afrique, Aborigènes d’Australie, Papous du
Vanuatu… Nous avons partagé leur vie aussi intimement que possible, nous
mettant humblement à leur école. En leur compagnie, vêtus d’une djellaba
dans le Sahara, d’un kalimbe en Amazonie, d’un paréo aux îles Marquises ou
même, en Papouasie, d’un étui pénien (vêtement écologique par excellence,
son seul inconvénient étant de gratter un peu), nous découvrions de l’intérieur
comment ces peuples habitent des environnements aussi divers que les îles
coralliennes ou volcaniques, les forêts primaires, les déserts, les mangroves…
Quelles difficultés rencontrent-ils ? Quelles solutions ont-ils élaborées ?
Mes maîtres de nature
Nous avons reçu d’eux d’inoubliables leçons d’humanité et de sagesse. J’ai
eu de grands maîtres aux pieds nus : le roi Sylva de la tabanca de Bane Ijun,
dans l’archipel des Bijagos ; Mimi Siku, chasseur wayana de Guyane ; le
sahila Pedro Hakin, chez les Indiens cunas de l’archipel des San Blas…
Leurs enseignements sont à jamais profondément gravés dans mon cœur.
Vivre parmi eux était, au quotidien, une leçon d’écologie appliquée. Je me
souviens d’avoir marché dans la forêt amazonienne en compagnie d’enfants
kalina. Lorsqu’ils cueillaient une plante comestible d’un coup de machette,
tout naturellement, comme une évidence, ils en replantaient une bouture le
long de la piste. Les ethnologues se sont aperçus que les dernières tribus
nomades d’Amazonie ne voyageaient pas au hasard, mais suivaient des
itinéraires bien définis, de génération en génération, d’un point d’eau à
l’autre. À force de replanter noyaux et boutures des plantes utiles le long de
leurs pistes discrètes, ils ont aménagé des sortes de couloirs comestibles. Les
ressources sont disponibles en abondance, leur vie en est grandement facilitée
et ils ont plein de temps libre à partager ensemble. Existe-t-il une façon plus
douce de vivre en pleine harmonie avec la Terre4 ?
Je garde un souvenir ébloui de notre escale à Bali. Nous avons partagé le
quotidien d’une famille de paysans de la plus basse caste, celle des sudra.
Gadeh, Komong et leurs enfants habitaient une petite maison sans eau ni
électricité au milieu des rizières en terrasses, sur les flancs du volcan, dans un
paysage d’une beauté à couper le souffle. Gadeh et Komong étaient ouvriers
agricoles, ils avaient dû vendre leur rizière pour payer la crémation de la
grand-mère. Ils travaillaient à la journée pour les paysans plus fortunés des
alentours, pour un salaire de misère. Nous dormions par terre et faisions nos
besoins dans le canal d’irrigation. Pourtant, quel achèvement dans leur art de
vivre ! La musique et la danse étaient pratiquées quotidiennement par les
enfants. À la fin de la journée, toutes les familles descendaient prendre leur
bain dans la rivière qui coulait au creux de la vallée, les femmes d’un côté,
les hommes de l’autre se savonnaient nus au milieu de la plus belle salle de
bains du monde. Puis, on revêtait des habits propres, avant la prière, célébrée
par Komong pour la famille réunie devant une statue de pierre. Une fleur de
frangipanier à l’oreille, les cheveux de jais couverts d’un turban coloré, les
visages étaient sereins et lumineux. Le repas du soir, réalisé en totalité avec
les produits offerts par la nature environnante, était un sommet de
gastronomie et de raffinement.
La rencontre de la pensée des grands pionniers de l’écologie a été
également déterminante. La lecture de leurs ouvrages, lors des longues
traversées, fut enrichie de rencontres avec certains d’entre eux qui avaient
accepté de parrainer nos expéditions : René Dumont, l’agronome rebelle ;
Théodore Monod, le saharien humaniste ; Hubert Reeves, dont les ouvrages
nous ont fait considérer le cosmos d’un œil nouveau… Le cours sur les
étoiles donné par Hubert à l’équipage allongé sur le pont, sous la voûte
céleste, fut un grand moment de science et de poésie.
Une goutte d’eau sur une orange
Lorsque nous sommes enfants, nous croyons que la planète est immense.
Adultes, nombre d’entre nous gardent cette croyance, culturellement
renforcée par la difficulté de voyager jusqu’à une époque récente. Mais,
depuis les années 1960, les photos de la Terre vue depuis l’espace ont marqué
un tournant dans la perception collective de notre planète : c’est donc cela, la
Terre, ce tout petit jardin bleu perdu dans les étoiles ? Comme elle paraît
fragile, vue d’en haut ! Comme l’explique Hubert Reeves5, la présence de
formes de vie évoluées sur cette planète est un pur miracle, ou plutôt une
suite ininterrompue de miracles pendant des milliards d’années, tant étaient
ténues les chances de passer du chaos initial à l’organisation incroyablement
complexe que forme la biosphère.
Pour en avoir fait le tour sur notre lourd et lent voilier en bois, j’ai
physiquement réalisé à quel point la Terre est minuscule. Lorsque, trois
années après l’avoir quittée, nous avons vu apparaître sur l’horizon les côtes
de l’île d’Yeu, notre port d’attache, je pouvais à peine croire que le voyage
était déjà terminé. J’ai alors compris de l’intérieur pourquoi l’impact de
chacun de nos actes a de telles répercussions, pourquoi la biosphère
s’effondre si vite, après quelques décennies de “progrès” industriel débridé.
“Tu ne peux cueillir une fleur sans déranger une étoile”, écrivait le poète
Francis Thompson6.
La biosphère est extraordinairement réduite : l’épaisseur de la partie
vivante de notre planète va de quelques centimètres à quelques mètres sous
nos pieds7, et jusqu’à quelques kilomètres au-dessus de nos têtes, car des
insectes et des semences sont emportés en haute altitude par les vents forts –
certaines bactéries sont même équipées pour y faire de longs séjours, s’y
reproduire et accessoirement servir de noyaux de condensation pour les
gouttes de pluie, ce qui leur permet de redescendre ! Pourtant, nous
percevons la biosphère comme bien plus grande qu’elle ne l’est. Cela
s’explique par le fait que, de notre naissance à notre mort, nous sommes
immergés au cœur de cette mince pellicule de vie. Il convient d’intégrer à
notre conscience l’extrême rareté du vivant ; les scientifiques nous
apprennent que l’on peut comparer la biosphère, en proportion, à la pellicule
laissée par une seule goutte d’eau étalée à la surface d’une orange !
Au fil des ans, je suis devenu totalement amoureux de ce petit monde :
nous avons l’honneur d’habiter la seule planète vivante connue au milieu du
désert cosmique. Jardiner cette planète est un immense privilège et une non
moins grande responsabilité.
L’asphyxie de la planète
Durant ces années de voyage, nous sommes souvent repassés par les mêmes
escales et avons pu constater la dégradation rapide des écosystèmes.
Désertification, mise à sac des forêts primaires, des mangroves, disparition
des récifs coralliens, montée des océans, croissance effrénée des
mégalopoles : nous avons été témoins de l’asphyxie de la biosphère.
Passionné de plongée, j’ai aimé filmer le corail. Mais, durant le tour du
monde, nous avons en vain cherché des récifs intacts, même autour des îles
reculées du Pacifique et de l’océan Indien, aux Marquises, aux Tuamotu, aux
Maldives… Presque partout les récifs sont victimes du réchauffement des
océans. Je n’ai jamais retrouvé la luxuriance des massifs de coraux observés
lors de mes premières navigations. Si mes enfants font un jour le même
voyage, il ne leur restera que les miettes de la flamboyance passée.
Aux Maldives, le président de la République nous a lancé un appel :
unissons tous nos efforts pour enrayer le réchauffement climatique. Les atolls
de l’archipel ressentent déjà les effets dramatiques de la montée des océans.
Ces îles de rêve, d’une hauteur moyenne de 90 centimètres au-dessus du
niveau de l’océan, sont condamnées à disparaître, tout au moins à devenir
inhabitables. Nos compagnons pêcheurs de l’atoll de Fehendoo
s’interrogeaient déjà sur le choix du pays vers lequel migrer…
L’être humain est devenu, en un siècle à peine, un facteur marquant
l’évolution de la planète aussi puissamment que les facteurs géologiques, à
tel point que certains penseurs8 ont baptisé “Anthropocène” les temps que
nous vivons.
Ces prises de conscience successives n’étaient pas faites pour nous
remonter le moral… Lorsque l’on regarde l’état du monde, il y a de quoi être
pessimiste. Les guerres du XXe siècle ont fait plus de morts que toutes les
guerres précédentes cumulées ; davantage de personnes meurent de faim au
début du XXIe siècle qu’au Moyen Âge… Je vivais ces voyages avec la gorge
de plus en plus serrée…
Mais, un jour, une phrase extraite du testament de l’abbé Pierre a fait
mouche ; au soir de sa vie, ce grand homme conseillait de cesser de nous
lamenter : “Notre vieux monde agonise, certes, mais un nouveau monde est
en train de naître.” Ces quelques mots ont radicalement modifié ma
perception. J’ai alors fait le choix de mettre toute mon énergie dans la
construction du monde à venir. Je me sens depuis beaucoup plus léger et
joyeux ! Voilà pourquoi ce livre met délibérément l’accent sur des
propositions concrètes plutôt que sur la dénonciation.
En quête de cohérence
En deux décennies de navigation, nous avons partagé la vie d’innombrables
familles et communautés. Les peuples premiers nous ont ouvert les portes de
leurs cases, de leurs huttes, de leurs tentes, sans jamais un mouvement de
rejet. J’aurais voulu vivre, toute ma vie, dans une telle cohérence. J’ai hésité à
fonder une famille chez les Amérindiens. Mais ces univers découverts au gré
des escales n’étaient pas le mien. Moi aussi j’avais une culture, des racines, je
ne pouvais les renier. Pourtant, en 2001, à la vente de mon cher bateau, je me
suis senti partir à la dérive : comment rester fidèle à ce que j’avais reçu de
mes maîtres aux pieds nus et trouver ma voie dans ce monde occidental si
souvent matérialiste et prédateur ? Les grands espaces, la douceur des
communautés tribales me manquaient.
Devenir paysan fut, pour moi, la réponse. Elle ne s’est pas imposée comme
une évidence, mais a pris corps peu à peu, au fil des ans. Il m’a fallu du
temps pour m’autoriser à vivre ce rêve d’adolescence. À l’heure où j’écris ces
lignes, malgré toutes les difficultés de ce chemin, je me sens enfin en accord
profond avec moi-même, à ma juste place. Comme Pupoli. Créer notre ferme
fut une aventure plus passionnante encore que de faire le tour du monde en
voilier. La ferme, du reste, m’apparaît souvent comme un bateau : maîtres à
bord de notre petit univers, le nez en l’air pour guetter la course des nuages,
nous posons, jour après jour, de libres choix et en assumons les
conséquences. Le paysan, comme le marin, est un homme libre.
Bien souvent, après une intense journée de travail, je repars en rêve visiter
ces tribus chez lesquelles est restée une partie de mon cœur. Je réalise à quel
point ces années autour du monde, ces partages avec les peuples racines
m’ont déconditionné, déformaté de la pensée dominante en Occident et
ouvert à d’autres paradigmes. J’ai besoin de croiser les connaissances
acquises par l’expérimentation, les lectures, les échanges avec les agronomes
et naturalistes qui viennent visiter la ferme, avec les enseignements tirés de
ces années de navigation. Je suis pétri de ces moments partagés avec les
communautés tribales, de ces immersions au cœur d’écosystèmes inviolés.
Une chaumière, une rivière, 6 500 mètres carrés de terre normande et des
rêves plein la tête !
Notre premier printemps à la ferme est émaillé de petits miracles.
Février 2004, depuis un mois nous habitons la chaumière, y passant une
semaine sur deux, l’autre en région parisienne. Un soir, au crépuscule, nous
arrivons de Meudon et Lila, sept ans, ma fille aînée, se précipite dans le pré,
puis revient en hâte : “Papa, il y a une petite tête ! Il y a trois moutons !”
Effectivement, un agneau est né de l’une des brebis d’Ouessant achetée le
week-end précédent. Un tout petit agneau noir qui tremblote sur ses grandes
guiboles, avec une tache blanche entre les oreilles.
Mars. Ce jour-là c’est Rose, quatre ans, qui débarque en criant : “Des
poussins ! Il y a des poussins dans le poulailler !” Tout surpris, nous
découvrons une poule qui tente de rassembler sous ses ailes une dizaine de
petites boules de plumes indisciplinées. Nous ne l’avions pas vue couver,
cachée qu’elle était dans un coin obscur du poulailler !
Mai. Dans la brise tiède du soir, les pommiers saupoudrent l’herbe de
millions de pétales d’un blanc rosé délicat. L’eau du Bec, qui reflète les
premières étoiles, en emporte aussi vers la mer.
Juin. Grimpés dans un cerisier, nous remplissons des paniers de cerises
juteuses, retrouvant, le nez dans les branches, la peau contre l’écorce, des
plaisirs de gosse.
“Épouvantablement fleur bleue, ton histoire ! On dirait La Petite Maison
dans la prairie”, me souffle Perrine. J’en conviens, et pourtant ces petits riens
sont autant de bouffées d’oxygène ! Des bonheurs éphémères offerts jour
après jour. La chaumière normande est le lieu de notre renaissance. Le port
après la tempête.
Après ces vingt-deux années passées à naviguer, j’avais donc vendu mon
bateau et tourné le dos à la mer. Une page s’était tournée, un grand bout de
ma vie. S’en était suivi un divorce, une garde partagée, trois années à Paris
avec le sentiment d’être un poisson hors de l’eau, et voilà que prenait corps
ce rêve d’une ferme auquel je m’accrochais comme à une bouée de
sauvetage. Il nous tirait en avant, mes filles et moi. Au Bec Hellouin, village
que j’aimais depuis l’enfance, à quelques pas d’une antique abbaye, une
chaumière vétuste fut achetée, restaurée. Très vite arrivent les brebis et les
poules ! Des poneys, des chèvres, des lapins puis un cochon viennent tenir
compagnie aux moutons ; des oies, canards, pintades et dindons renforcent la
basse-cour. La chaumière n’est pas une “vraie” ferme pour autant. Tout juste
un fantasme de néorural (pour preuve, chaque animal a un nom et nous ne les
mangeons pas !). On dirait la maison de Sylvain et Sylvette, ou Caroline à la
ferme. La chaumière est le lieu où nous allons laisser pousser nos racines et
tenter d’être heureux ensemble.
Mais le plus beau des miracles de cette année 2004, c’est Perrine. Elle est
là lorsque nous dormons pour la première fois sous le toit de chaume. Elle est
là chaque jour, depuis, la fermière de ma vie.
Des gratte-ciel de Tokyo aux rives du Bec
Rien, absolument rien ne prédestinait Perrine à devenir paysanne – si ce
n’est, peut-être, un vieil atavisme familial, car ses racines sont italiennes et
terriennes. Ses grands-parents étaient venus chercher meilleure fortune à
Arras entre les deux guerres, et c’est là qu’elle est née et a grandi. Sa passion
d’alors n’était certes pas la nature – toute petite, toucher la terre la dégoûtait
tellement qu’elle refusait de s’asseoir dans l’herbe lors des pique-niques
dominicaux. “Pourtant, se souvient Perrine, lors de nos vacances dans le
village de montagne familial en Italie, je passais des heures dans la forêt avec
mon chien, escaladant, faisant des barrages dans le ruisseau et m’imaginant
plein d’aventures. Ces bois étaient ma « forêt amazonienne » à moi. Voilà
pourquoi, à l’image d’Idéfix, j’ai du mal à voir les arbres abattus (je suis
même presque incapable de les tailler), car ils étaient mes compagnons de
jeux.”
La grande affaire de sa jeunesse fut le sport. Inscrite dès six ans au club de
basket local, Perrine ne lâcha plus le ballon rond jusqu’à son installation au
Bec Hellouin ! Elle réussit à concilier une scolarité et des études de droit
brillantes avec les entraînements du soir, les matchs du week-end : le sport a
toujours été pour elle un moyen d’intégration, jusqu’au Japon. Perrine est une
nature entière, elle s’engage à fond dans ce qu’elle entreprend et peut
déplacer des montagnes. Son exigence est sans concession. Ses copines
l’appelaient Zorotte car elle rêvait de sauver le monde – je puis attester que ce
rêve ne l’a pas quittée !
Son DEA de droit et économie du développement en poche, Perrine
s’envole pour le Japon et tombe sous le charme de ce pays. Elle y travaille
trois ans et demi dans un cabinet d’avocats, tout en étant bénévole au Haut
commissariat des Nations unies pour les réfugiés, puis gère le service
juridique d’une multinationale en Chine. Cette rencontre avec l’Extrême-
Orient l’a profondément marquée. La trentaine approchant, ayant découvert
la méditation, l’art du massage, une manière d’envisager l’existence bien
différente de la nôtre, Perrine en vint à se demander s’il y avait du sens à
travailler jour et nuit pour faire gagner des millions de dollars à une
multinationale. Elle quitta son job et retourna en France, cherchant vers quoi
elle pourrait orienter sa vie.
Nous nous sommes alors rencontrés, tellement différents l’un de l’autre.
J’avais quinze ans de plus qu’elle (cela n’a pas changé) et deux enfants, elle
était libre comme l’air et avide de contribuer à changer la société. Je
débarquais de mon bateau, elle de ses gratte-ciel. Je voulais m’enraciner, son
rêve était de repartir à l’étranger. Perrine était brillante, à l’aise comme un
poisson dans l’eau dans la modernité, moi je cherchais à vivre comme les
Indiens. J’étais un fou de nature, elle mettait des gants en plastique pour
jardiner… Mais nous avons en commun d’être tous deux des rêveurs
pragmatiques. Allez savoir pourquoi, nous ne nous sommes plus quittés !
En route vers l’autonomie
Perrine se trouve bien dans la chaumière du Bec Hellouin. Elle est comme
naturellement accordée à cette existence si neuve pour elle, entourée
d’animaux qu’elle adore. Nous poursuivons ensemble des études pour
devenir psychothérapeutes. Un an après notre rencontre, nous nous marions.
Pour notre voyage de noces, nous partons camper sur une île presque
déserte – Perrine n’avait jamais dormi à la belle étoile !
Nous travaillons tous deux avec ardeur pendant les trois années suivantes à
aménager notre bout de vallée pour en faire un lieu d’autonomie, capable de
nous nourrir ainsi que nos enfants avec des produits sains. Nous plantons des
arbres fruitiers en grand nombre, créons le premier potager. Dès la première
année le jardin déborde de légumes et nous sommes fiers d’en offrir de pleins
cageots à nos amis. “Pas mal pour un marin !” jette un jour le père Autin,
vieux paysan doté d’une forte personnalité qui habite une ferme juste à côté.
Du haut de ses quatre-vingts ans, c’est la mémoire de la vallée.
Un voisin nous cède une parcelle de 1,2 hectare située de l’autre côté de la
rivière du Bec. Nous construisons un pont pour relier les deux rives. Le
ruisseau joue un grand rôle dans notre ferme, nous le traversons des dizaines
de fois par jour, avec à chaque fois un regard admiratif pour les truites qui
nagent dans l’eau limpide. Le Bec est en fait un canal creusé vers 1450 pour
apporter l’eau à l’abbaye toute proche. Bec voulait dire “rivière” en viking,
tandis que Hellouin dérive du nom du chevalier Herluin, qui fonda l’abbaye
en 1034. Le Bec est bordé de pierres de taille et ponctué, sur 3 kilomètres, de
sept moulins à eau. La vallée du Bec est aujourd’hui doublement classée :
nous sommes dans le périmètre de l’abbaye, monument historique, ainsi
qu’en zone Natura 2000.
Nous renaturons les rives et créons une plage où nous nous baignons en
compagnie des truites et des oies. Dans le nouvel herbage, des mares sont
creusées, vite peuplées de plantes aquatiques et de grenouilles.
Nous apprenons à faire le pain, puis construisons un four à l’ancienne, en
pierre et torchis. Un chantier passionnant à mener. Construire le four, pétrir la
pâte, allumer le feu, enfourner les pâtons : autant de gestes qui ont un goût
d’essentiel. Durant la cuisson, l’odeur du pain chaud se répand dans tout le
pré-verger.
Le père Autin nous vend son pressoir : “Il est comme neuf, il date de
1948 !” Nous le restaurons puis, l’automne venu, lorsque les pommiers se
chargent de milliers de perles jaunes ou rouges, nous apprenons à brasser le
cidre. Les enfants lavent les pommes, nous les broyons puis remplissons le
pressoir. Lorsqu’il est plein, quelques tours de cliquet et le jus se met à
couler, sirupeux, couleur d’ambre.
Quelques mois plus tard, dans la fraîcheur de la cave, nous mettons notre
premier cidre en bouteilles. Rose, assise au cul de la barrique, remplit les
bouteilles. Lila enfonce le bouchon à l’aide d’un outil bien grand pour elle.
Perrine et moi posons les muselets. Il faut attendre un peu que le cidre
“prenne sa mousse” avant de le déguster.
Il faudrait parler aussi des confitures, des sirops, des récoltes de plantes
médicinales, des tisanes… Tout ne marche pas du premier coup, il y a des
ratés, les essais de culture de céréales notamment sont peu concluants. Mais,
au fil des mois et des années, nous découvrons l’immense satisfaction qu’il y
a à se nourrir presque entièrement de ses productions. Lorsque l’on a goûté à
ces saveurs incomparables, à la fraîcheur des légumes cuisinés à peine
récoltés, on est définitivement perdu pour les supermarchés !
Le cheval de trait
Tous ces essais donnent envie d’aller plus loin. Nous achetons Lou, un
magnifique cob normand, l’une des neuf races françaises de chevaux de trait.
Je suis des formations d’attelage. Bientôt nous faisons les foins dans notre
nouvel herbage. Lorsque l’herbe a bien séché, à l’aide de notre carriole, Lila
et moi rentrons les foins à la ferme jusqu’à la tombée de la nuit. L’une des
joies de ces travaux est qu’ils peuvent souvent être réalisés en compagnie de
nos enfants. Leur fierté est grande de pouvoir accomplir un travail utile, dans
une complicité partagée avec l’adulte.
Travailler avec le cheval est source de bien des joies, de quelques coups de
stress aussi. Au bout de deux années nous choisissons un petit cheval de
Mérens, Winick, plus adapté à notre activité, qui sera un fidèle compagnon de
travail jusqu’à aujourd’hui.
Il faut construire un abri pour les animaux. Nous avons pu
acquérir 12 hectares de bois et un terrain de 2 hectares en friche au-dessus de
l’abbaye. Les moines et les religieuses qui entourent la ferme nous ont vendu
une partie de ces terres. Elles sont séparées de la ferme par un kilomètre de
route environ. Nous montons avec le cheval, abattons des pins sylvestres,
redescendons la carriole pleine. Puis il faut écorcer les troncs avant de monter
l’abri en bois rond.
Le ventre de Perrine s’arrondit. Jusqu’à la veille de son accouchement, elle
écorce ses deux troncs par jour. J’admire son courage indomptable. Perrine
investit dans la ferme la formidable énergie qu’elle déployait sur les terrains
de basket. En septembre 2005 naît notre fille Shanti, suivie en 2007 de
Fénoua. Quatre filles dans la chaumière ! La construction de la ferme avance
de front avec celle de notre famille recomposée.
John Seymour, le chantre de l’autosuffisance
Notre maître, pour guider notre retour à la terre, est John Seymour. Son livre
culte Self-Sufficiency2 est en permanence sur notre table de nuit. John
Seymour eut une vie peu banale. Dans sa jeunesse, entre les deux guerres
mondiales, il a connu la vie traditionnelle des campagnes anglaises, appris la
vie de paysan et découvert nombre de métiers artisanaux aujourd’hui
disparus. La passion de Seymour pour la vie rurale l’a mené à enquêter en
Angleterre, en Europe puis dans le monde entier pour recueillir la mémoire
des gens de la terre. Il a mis ces savoirs paysans en pratique dans ses fermes
successives, vivant en autarcie jusqu’à plus de quatre-vingt-dix ans. Seymour
était une encyclopédie vivante, la mémoire d’une époque révolue. Il s’est
attaché sa vie durant à perpétuer des savoirs simples, efficaces, qui rendaient
la vie belle et autonome et constituaient autant de liens tissés entre l’Homme
et la nature.
Au fil des ans John est devenu comme un ami. Nous nous sommes inspirés
de ses ouvrages merveilleusement illustrés pour créer nos clôtures, nos
barrières et mille autres détails qui “sonnent juste” et font que la ferme a l’air
d’être là depuis toujours. Self-Sufficiency enseigne l’essentiel de ce qu’il faut
savoir pour vivre de manière frugale et libre à la campagne.
Autrefois nombre de fermes possédaient une forge et une enclume. Nous
nous essayons à la forge, avant d’en construire une belle quelques années
plus tard. Chauffer le métal puis lui donner forme est un art difficile mais
profondément fascinant. Je réalise une fagoteuse et un support pour arbre de
Noël absolument inusable.
Une cuisinière à bois vient remplacer le chauffage au fioul. En hiver nous
montons avec le cheval abattre les arbres pour “faire notre bois”. Vingt stères
nous permettent de chauffer la maison et de cuisiner. Certes, lorsque arrivent
les grands froids, il ne fait pas toujours chaud dans la chaumière mal isolée.
Le premier levé ranime le feu bien avant l’aube. Entretenir en permanence le
feu, faire mijoter la soupe qui embaume sur le poêle sont des satisfactions qui
compensent allègrement les inconvénients de ce chauffage écologique. Nous
n’en changerions pour rien au monde.
La ferme tient ses promesses : nous revivons. Ces années bien remplies
sont exaltantes. Moi qui suis né au cœur de Paris, il me semble que chaque
fibre de mon être est paysanne : j’ai ce métier dans la peau. La cinquantaine
approchant, l’envie grandit de réaliser pleinement ce rêve de jeunesse : vivre
de la terre.
Et puis Perrine et moi cherchons un sens à nos existences. Nous ressentons
une insatisfaction à vivre tranquilles dans notre petit paradis alors qu’autour
de nous la planète s’enfonce dans une crise écologique et sociale sans
précédent. Perrine écrit son premier livre : La Relaxation en famille3 et
enseigne la relaxation dans les écoles primaires des villages environnants.
Mais nous sommes tous deux en quête d’un engagement plus radical.
Soleil, cœur du ciel, tu dois, comme une mère, nous donner ta chaleur, ta
lumière, sur nos animaux, sur notre maïs, nos haricots, sur nos herbes,
pour qu’elles poussent, pour que nous, tes enfants, puissions manger.
RIGOBERTA MENCHÚ1
Pour moi, l’éthique n’est pas autre chose que le respect de la vie.
ALBERT SCHWEITZER2
Yoïwet s’étire dans son hamac. Sa femme, Mikilu, est déjà occupée à attiser
le feu. Le ciel pâlit au-dessus du Litany. Pupoli, Pita, Kuku, leurs enfants,
quittent tour à tour leur hamac et descendent se laver dans le fleuve. Dans
l’aube naissante, des silhouettes brunes s’immergent ; certains, accroupis,
font leurs besoins, tandis que d’autres se savonnent sur les roches lisses. Les
hommes cachent leur sexe entre les jambes comme le veut la pudeur wayana.
Nous nous retrouvons autour du feu. “Rien à manger ce matin !” lâche
Yoïwet. Assis sur son kololo, petit banc sculpté en forme de tapir, il sourit en
regardant le ciel orange, une tasse d’eau chaude à la main. Rien à manger ?
La case de Yoïwet et sa famille ne contient que des hamacs, des bassines, des
habits posés sur des ficelles, plus quelques outils indispensables… Mais pas
la moindre denrée alimentaire ! En Guyane, le climat tropical ne permet pas
de conserver la nourriture. Et le stock de denrées des Blancs, riz, sucre, café,
est épuisé.
Se réveiller le matin avec rien, strictement rien pour nourrir leurs trois
enfants ne provoque pas l’ombre d’une inquiétude chez Yoïwet et Mikilu.
Pupoli et ses deux petites sœurs se dirigent vers le fleuve, une ligne à la main.
Yoïwet saisit lui aussi son matériel de pêche, son arc et ses flèches, et nous
poussons sa pirogue à l’eau. Mikilu charge son katouri, élégante vannerie en
forme de sac à dos, et part chercher du manioc dans son jardin clairière.
À dix heures, la marmite fume. Les enfants ont pêché à la main des yayas,
curieux poissons recouverts d’une épaisse carapace. Yoïwet a pour sa part
fléché un aymara, magnifique poisson de 60 centimètres de long. Mikilu râpe
le manioc pour en faire une grande galette. Elle a aussi rapporté du koumou,
lourde grappe de fruits violets cueillie d’un coup de machette sur un palmier.
Les Wayanas en font une boisson rafraîchissante.
Je ne peux m’empêcher de comparer cette matinée paisible avec la même
situation se déroulant chez nous. Comment réagirions-nous si nous nous
réveillions un matin sans rien à manger et sans argent ? Pour la quasi-totalité
d’entre nous, cette situation ne se présentera jamais, pas un seul jour de notre
vie. Pourtant, la peur de manquer nous comprime souvent le ventre.
Ressources locales et compétences individuelles
D’où vient l’inébranlable sérénité des Wayanas ? cette absence d’angoisse du
lendemain ? Du fait que la nature environnante leur donne potentiellement
tout ce dont ils ont besoin pour vivre bien, jour après jour. Ils sont entourés
d’une nature fertile et ont les compétences nécessaires pour en tirer leurs
ressources. Ces deux éléments sont également importants : la disponibilité
des ressources, d’une part, et la capacité d’en tirer profit, d’autre part. Cela
explique pourquoi les Amérindiens perçoivent la forêt amazonienne comme
une mère féconde et généreuse, et pourquoi nous, les Blancs, la décrivons
souvent comme une jungle hostile, l’enfer vert : nous sommes incompétents
pour vivre de cet environnement si différent du nôtre !
Chez les Wayanas, quasiment rien ne s’achète, hormis les produits
apportés par les Blancs qui leur sont devenus nécessaires (outils métalliques,
armes, vêtements). Comme les autres peuples premiers, les Amérindiens
savent tirer parti des ressources biologiques – bois, plantes, fibres, os et
plumes, terre – pour fabriquer leurs objets usuels : cases, pirogues, petit
mobilier, hamacs, arcs et flèches, vanneries, poteries, objets rituels… Ces
objets ont tous en commun d’être parfaitement adaptés à leur usage, légers et
solides, biodégradables et non toxiques, tout en étant habilement décorés.
L’art se conjugue à l’utile jusque dans le plus humble des outils.
Voici quelques points essentiels qui différencient nos sociétés modernes et
les peuples traditionnels :
– Les ressources en nourriture, matériaux et énergie sont généralement
abondantes dans l’environnement immédiat des communautés tribales.
– Ces ressources appartiennent collectivement à la communauté et sont
gratuites.
– Chaque individu (ou chaque communauté) possède l’ensemble des
savoir-faire qui lui permettent de satisfaire à ses besoins essentiels grâce aux
ressources naturelles. L’argent n’est donc pas nécessaire, les échanges se
fondent sur le don ou la réciprocité.
– Les objets usuels sont fonctionnels et beaux, et l’artisan tire du plaisir à
leur fabrication.
Tout cela procure un profond sentiment de sécurité. Les peuples premiers
ont peu d’objets, réellement très peu comparés à nous, mais rien ne leur
manque de ce qui leur est nécessaire pour assurer leurs besoins vitaux :
habitat, alimentation, vêtements, outillage… Comme la couverture de ces
besoins est généralement aisée, ils ne “travaillent” qu’un petit nombre
d’heures chaque jour, cinq heures en moyenne pour les Wayanas (tout
comme nos ancêtres préhistoriques, semble-t-il). Il convient du reste de
relativiser la notion de travail : celui-ci n’a pas le caractère contraignant qu’il
revêt chez nous. Chasser, pêcher, cultiver le manioc, fabriquer des outils sont
des activités appréciées. Il leur reste quantité de temps libre pour entretenir
des relations sociales, célébrer leurs fêtes et leurs rites. La vie s’écoule à un
rythme très paisible. Lorsque la nuit tombe sur Antecume Pata, les kololo
sont tirés autour des feux, les hommes racontent leurs parties de chasse, leurs
amours, parlent des esprits. Les paroles sont coupées de longues plages de
silence. La sérénité est palpable sous le ciel étoilé. Puis vient le sommeil dans
les doux hamacs de coton tissés par les femmes : couples enlacés à l’abri de
la moustiquaire, le dernier-né blotti peau contre peau entre ses parents…
À la même heure, dans les foyers d’Occident, c’est généralement le journal
télévisé ou les pubs. Le silence n’a pas la cote : tout va toujours plus vite,
nous sommes poussés à vivre de manière stroboscopique, sous forme de
flashs, de spots, d’e-mails, de clips, de SMS, le tout nourri aux combustibles
fossiles et à l’énergie nucléaire… Intensité maximale, décharges
d’adrénaline, stress qui monte, l’épuisement gagne… Notre monde intérieur
semble s’émietter, un vide se creuse, qu’il faut oublier, trop douloureux. La
pub, le marketing sont là pour relancer les désirs et la consommation.
Pourtant la croissance économique s’enraye, nous cherchons l’issue de
secours…
Mon caddie a fait cinq fois le tour du monde !
Nos sociétés modernes ont fait croître nos besoins de manière exponentielle,
tout en éloignant de nous les lieux de production des biens qui nous sont
nécessaires. La production de la nourriture, des vêtements, des objets est
devenue mondialisée. Les articles qui remplissent le caddie d’une ménagère
européenne ont parcouru plus de 200 000 kilomètres en moyenne. Nous ne
savons pas d’où vient ce que nous utilisons, et encore moins fabriquer nous-
mêmes nos objets usuels. Ces objets ne sont plus le fruit de la main de
l’Homme, ils sont devenus industriels, anonymes, jetables, polluants.
Dans notre société marchande, presque tout s’achète, l’argent est devenu
une absolue nécessité. Nous payons pour naître et pour mourir, pour respirer
de l’air pur, boire et manger, pour nous déplacer et dormir, pour socialiser,
éventuellement rencontrer un partenaire amoureux… Alors même que nos
sociétés connaissent un niveau d’opulence jamais atteint dans les époques
antérieures, nous vivons insécurisés, oppressés. L’angoisse du chômage est
latente, car perdre son salaire signifie répondre avec beaucoup plus de
difficultés à nos besoins vitaux et à ceux de nos proches. Le chômage est une
forme de mort sociale. Les médias ne parlent que de crise, et la crise, de fait,
est profonde. Notre société dite avancée n’a pas su contenir cette vieille
terreur atavique : la peur de mourir de privations.
Que faire ? En comparant le mode de vie des ethnies rencontrées tout
autour du monde et celui qui est le nôtre en Europe et dans l’ensemble des
pays “développés”, je ne puis que constater que notre bien-être et notre
sentiment de sécurité intérieure grandissent lorsque :
– l’origine des biens qui nous sont nécessaires est aussi locale que
possible ;
– notre niveau d’autonomie progresse ;
– nos compétences et notre habileté à satisfaire nous-mêmes une part
croissante de nos besoins vitaux augmentent.
Ces constats laissent entrevoir des solutions, directement adaptées de
l’observation des communautés tribales (mode de vie qui a été le nôtre
jusqu’à une époque très récente, ne l’oublions pas !). Nous pouvons :
– nous entourer d’espaces intensément renaturés, produisant l’essentiel de
ce dont nous avons besoin pour vivre ;
– acquérir les compétences qui nous permettront de transformer nous-
mêmes ces ressources. Cela nous donnera le moyen de satisfaire une part
croissante de nos besoins gratuitement, réduisant donc notre dépendance vis-
à-vis de l’extérieur, avec en prime la satisfaction de réaliser des objets qui
peuvent être à la fois fonctionnels, adaptés à notre usage et personnalisés.
Le chemin du bien-être
S’entourer d’un cocon de nature vivante, acquérir des savoir-faire, gagner en
autonomie, jouir d’une abondance de temps libre à partager avec sa famille et
sa communauté : voilà ce qui augmente notre niveau de bien-être, bien mieux
qu’un compte en banque à huit chiffres.
Yoïwet, mon yepe baboune, m’enseigne, sans le savoir, le chemin du
bonheur. Le repas achevé, il m’entraîne au bord du fleuve pour ma leçon
quotidienne de flûte. Il a fabriqué lui-même, dans un os de cariacou, le petit
instrument dont il tire des sons mélodieux. Cette flûte est aujourd’hui posée
sur la table où j’écris. Je n’ai jamais réussi à en jouer harmonieusement. J’ai
grand mal aussi à mettre réellement en pratique les enseignements de mes
maîtres aux pieds nus. Je dois constamment lutter contre mes appétits
consuméristes ! Je suis plus un enfant de l’Occident que de l’Amazonie…
Comme j’aimerais, pourtant, réaliser la synthèse de ces deux mondes !
Oui, notre ferme est une tentative pour vivre de l’esprit des Indiens, dans la
société qui est la nôtre, la France du XXIe siècle. Perrine et moi mettons
progressivement en pratique un programme de vie qui vise à nous rendre
autonomes, sans nous couper de notre culture, que nous aimons. Ses
incohérences nous traversent, comme une faille. Nous faisons souvent le
grand écart…
Pourtant, peu à peu, nous constatons que nos efforts portent leurs fruits. En
transformant l’espace qui nous entoure en une bulle de nature de plus en plus
intensément vivante, nous nous sentons nourris et protégés comme par une
matrice, comme un bébé dans le ventre de sa mère. Les jardins, les arbres qui
nous entourent en cercles concentriques forment une sorte de placenta
généreux.
Parfois, le soir, lorsque la vallée s’enflamme de la lumière chaude du
couchant, je perçois, dans chaque cellule, ce qu’exprimait Yoïwet lorsqu’il
parlait de la Terre mère. J’entends battre son cœur, pulser le sang dans ses
veines. Son souffle-vent effleure ma peau, sa pluie-caresse me purifie, son
soleil-énergie nous anime, nous, les plantes, les bêtes et les paysans qui
partageons cette vallée.
1 Cité dans Moi, Rigoberta Menchú, propos recueillis par Élisabeth Burgos, Gallimard, 1983, p. 95
(rééd. 1999).
2 Albert Schweitzer, À l’orée de la forêt vierge, Albin Michel, 1995 (1re éd. 1929).
V
NOUS SOMMES
CE QUE NOUS MANGEONS
Se nourrir est un acte essentiel. Cultiver soi-même sa nourriture est un
engagement fort pour la planète et un cadeau que l’on se fait.
Le corps est un temple sacré qui a besoin d’être aimé avec passion,
douceur, tendresse. Si vous pouvez dire que vous aimez votre corps
éperdument, alors vous pouvez être vrai quand vous dites : “Aimez votre
prochain comme vous-même.” Car aimer son corps, c’est aimer la Terre.
Détruire son corps, c’est détruire la Terre. Rendre son corps beau, c’est
embellir la Terre.
GILLES CLÉMENT1
ALBERT EINSTEIN2
En octobre 2008, un ami nous envoie un article qui nous fait découvrir un
concept novateur : la permaculture. Cet article nous donne envie d’en savoir
plus. Perrine commande des livres, en anglais car il n’y a pas de littérature
française sur la permaculture à l’époque. Elle effectue de nombreuses
recherches. Ce que nous découvrons nous passionne.
La permaculture, comme évoqué dans le premier chapitre, est une
approche fondée sur l’observation du fonctionnement de la nature. Les
écosystèmes naturels sont durables, autonomes, résilients. Si nous
comprenons en profondeur comment ils fonctionnent, en prenant ces
écosystèmes comme modèles, nous pouvons créer des habitats humains plus
durables et autonomes.
L’idée centrale de la permaculture est de créer un réseau de relations
bénéfiques entre tous les composants d’un système. Elle est avant tout une
approche conceptuelle. Le design permaculturel (design est un anglicisme
pouvant être traduit par “conception”) est en premier lieu une démarche
d’observation et de réflexion pour positionner correctement les éléments d’un
système les uns par rapport aux autres, de manière qu’ils puissent interagir.
Un système soigneusement conçu sera ensuite plus économe en intrants et en
énergie, demandera moins d’efforts pour fonctionner tout en étant plus
productif.
La permaculture est donc une invitation à nous mettre à l’école de la nature
et à transposer avec créativité ses enseignements dans tous les secteurs de
notre vie. Elle est bien davantage qu’un ensemble de techniques : un cadre
conceptuel souple et pragmatique. Le design permaculturel permet d’intégrer
de manière cohérente des technologies empruntées à des domaines divers,
comme l’agroécologie, l’écoconstruction, les énergies renouvelables, mais
aussi des approches novatrices de la gouvernance, comme la communication
non violente et la sociocratie2, et de l’économie (économie circulaire, SEL3)…
La permaculture est avant tout une affaire de bon sens, une certaine
manière de considérer les systèmes dans leur globalité ; un enfant peut en
comprendre l’essence intuitivement ! Nombre d’entre nous sont des
permaculteurs sans le savoir, mais prendre conscience de ces concepts
essentiels permet de gagner en efficacité et en cohérence.
Dessiner comme la nature
Voici quelques éléments-clés tirés de l’observation des écosystèmes.
– Dans la nature, tout est relié.
– Les écosystèmes fonctionnent en boucle.
– Chaque élément profite aux autres et reçoit d’eux.
– Les déchets de l’un sont la ressource de l’autre.
– Tout est recyclé.
– Chaque fonction importante est remplie par plusieurs éléments, et chaque
élément remplit potentiellement plusieurs fonctions.
– Le tout est plus que la somme des parties.
– Chaque écosystème fonctionne de manière largement autonome et
apporte une contribution à l’ensemble de la biosphère.
Marcher dans le sens de la vie
Dans la suite de ce livre nous nous consacrerons principalement aux
applications des concepts de la permaculture à la sphère de la production
agricole, pratiquée dans les jardins familiaux ou les fermes, en apportant sur
cette question des éclairages nouveaux issus des recherches menées à la
Ferme du Bec Hellouin et en d’autres lieux. Mais la permaculture, comme
nous l’avons évoqué, va bien au-delà de la sphère agricole !
Les forêts sont une source d’inspiration puissante. Sans aucune
intervention humaine et sans intrants, elles produisent généralement deux fois
plus de biomasse par hectare et par an que nos agrosystèmes cultivés. Un
hectare de châtaigniers produit autant de protéines végétales qu’un hectare de
blé, ce dernier nécessitant de nombreuses interventions humaines, des
énergies fossiles, des intrants… Mais, dans la production de la forêt, une
large part de la biomasse n’est pas directement utile aux humains (les feuilles,
les plantes du sous-bois…), tandis que, dans le champ de blé, tout est
valorisable : la paille comme le grain. Comment combiner l’autonomie de la
forêt et la production de nourriture élevée du champ de blé ?
Bill Mollison et David Holmgren, les deux Australiens fondateurs de la
permaculture, ont cherché comment adapter à nos installations humaines les
facteurs qui rendent les écosystèmes naturels si productifs et autonomes. Par
exemple, en observant les jardins forestiers de nombreuses populations vivant
en régions tropicales, ils ont imaginé une forme de jardin inédite en région
tempérée, la forêt-jardin, dans laquelle tous les végétaux (ou quasiment tous)
sont comestibles. La forêt-jardin est une imitation de la forêt sauvage,
adaptée aux besoins des humains.
La culture sur buttes permanentes
Dès nos premières recherches, notre attention est attirée par un système de
culture plurimillénaire, sorti de l’oubli par la permaculture : la culture sur
buttes permanentes. Cette approche se fonde sur un constat simple : dans la
nature, le sol n’est jamais labouré, jamais travaillé. De plus, il est
généralement toujours couvert par une litière de végétaux en décomposition.
En créant des buttes de culture permanentes, nous évitons de détruire le
potentiel de fertilité du sol par des passages d’engins mécaniques ou par le
bêchage. Les organismes vivants du sol : vers, bactéries, champignons,
algues, etc., vont pouvoir prospérer et améliorer naturellement la structure et
la fertilité du sol. Si de plus le sol est couvert par un paillis, ou mulch, les
éléments fertiles du sol ne sont plus lessivés, le désherbage est réduit, les
réserves d’eau du sol sont protégées de l’évaporation, les premiers
centimètres du sol ne sont pas stérilisés sous l’action du soleil, et cette litière,
en se décomposant, réalise un véritable compostage en place.
Le fait de réaliser une butte de bonne terre arable présente de nombreux
autres avantages : l’épaisseur de la couche d’humus est accrue et les plantes
ont davantage à manger. La butte se réchauffe et perd son excédent d’eau
plus vite à la sortie de l’hiver. L’ergonomie du travail est améliorée : la
circulation des jardiniers se faisant exclusivement dans les allées
permanentes, la butte n’est jamais tassée, et la terre est moins basse ! Il y a
également plus de niches pour les insectes auxiliaires.
D’après Patrick Whitefield et John Jeavons4, la culture sur buttes est
attestée en Chine il y a quatre mille ans, en Amérique du Sud depuis plus de
trois mille ans, chez les Grecs il y a deux mille ans. Elle est encore pratiquée
dans différentes régions du monde, en Mélanésie par exemple, pour les
cultures de tubercules. Dans les potagers traditionnels de chez nous, les
planches5 surélevées constituaient une forme de butte permanente. Je me
souviens, dans le jardin de mon grand-père en Alsace, d’avoir observé des
planches surélevées maintenues par des coffrages de briques, pouvant être
couvertes en hiver de châssis vitrés ; de telles installations sont à la fois
esthétiques et très productives.
Dans notre quête d’informations sur la permaculture, nous tombons
rapidement sur le site Web du Petit Colibri, la ferme de Richard Wallner.
N’ayant pu développer sa production maraîchère à cause de tracasseries
administratives, Richard consacre son énergie à ses recherches et à la
diffusion d’informations6. Il nous envoie des DVD. L’un d’eux représente le
jardin d’Emilia Hazelip. Aujourd’hui décédée, Emilia fut une pionnière de la
permaculture en France. Son jardin est inspiré des mandalas orientaux. En
Inde, un mandala est une forme géométrique centrée qui favorise le calme et
la concentration et remplit une fonction spirituelle. Quelle énergie dans ce
design, que nous retrouverons plus tard sur des photographies par satellite de
jardins de la région du lac Titicaca, au Pérou, datant de trois mille deux cents
ans !
Le jardin mandala
Nous sommes en novembre 2008. Malgré l’épuisement de cette fin de saison,
nous retrouvons une belle motivation et, sans attendre, entamons la
construction de notre jardin mandala. L’idée d’inscrire dans le paysage un
dessin plurimillénaire nous parle profondément. À nouveau, notre métier de
maraîcher nous donne l’occasion de réaliser une synthèse entre beauté et
production de nourriture ; de croiser, dans notre vallée normande, des
influences venues de la nuit des temps et d’autres cultures, l’Inde et
l’Amérique pré-incaïque ! Nous transformons un espace de 800 mètres
carrés, jusque-là travaillé en traction animale. Je suis tellement pris par le
projet que, réveillé tôt, je piaffe en attendant l’aube, et me retrouve à piocher
une terre encore gelée aux premières lueurs du jour ! Le chantier est
entièrement réalisé à la main, avec l’aide efficace de Jean-Claude
Bellencontre, qui a intégré l’équipe et deviendra au fil des ans l’un des piliers
de la ferme.
Le jardin mandala est achevé en février. Ce premier chantier est encore
imparfait et le design, ainsi que la manière de cultiver les buttes, sera
amélioré d’année en année7. Mais il se révèle, dès la saison 2009,
incomparablement plus productif que le même espace cultivé en traction
animale. La surface réellement cultivée a été multipliée par un facteur 5, au
moins. Nous sommes passés d’un rang de légumes tous les 75 centimètres,
avec une terre à nu entre deux rangs, à de belles buttes profondes, larges
de 1,20 mètre environ, entièrement couvertes par les cultures. La gestion des
adventices (je préfère ce terme à “mauvaises herbes”, qui ne rend pas
hommage à ces végétaux courageux) est considérablement facilitée, et les
conditions agronomiques dans lesquelles poussent les plantes, très largement
améliorées. De plus, l’impact visuel de ce jardin est fort et contribue à
l’agrément de la ferme, tant pour l’équipe permanente que pour ses visiteurs.
Nous formerons les années suivantes de nombreux stagiaires à la culture sur
buttes et les retours d’expériences sont unanimement positifs !
Les îles-jardins
Le printemps s’annonce. Perrine, grande chercheuse sur Internet, a passé
l’hiver dans ses études sur la permaculture. Internet est l’un de nos plus
précieux outils à la ferme. Quelle chance de pouvoir visionner, le soir venu,
après une journée de travail dans les jardins, des films tournés en Australie,
en Californie, au Népal ou en Afrique… Jamais la circulation des bonnes
pratiques n’a été rapide à ce point, ce qui constitue un véritable espoir pour
sauver la planète ! Ce que nous découvrons est tout simplement
enthousiasmant. Perrine quitte (non sans mal !) la famille et la ferme, et part
suivre un cours certifié de permaculture8 de deux semaines en Angleterre.
Nous décidons de transformer la partie ouest de la ferme. C’est un chantier
d’envergure. Cet espace de quelques milliers de mètres carrés est très pauvre,
c’est là que la couche de terre arable est la plus mince. Ce mauvais herbage
est tout juste apte à nourrir quelques moutons maigrichons. Il va devenir au
fil des ans une véritable oasis féconde et luxuriante.
Le design appliqué ici est plus audacieux. Il s’appuie sur une longue
période d’observation initiale. Depuis plusieurs années nous y réfléchissons,
y travaillons par petites touches ; la rencontre avec la permaculture nous
donne les outils conceptuels nécessaires pour aller beaucoup plus loin. Le
premier élément sur lequel nous nous appuyons est la présence de l’eau,
puisque la rivière du Bec coule en bordure du pré. Nous avons déjà creusé,
deux ans plus tôt, une première petite mare ; la présence d’eau dans le
paysage lui donne une beauté supplémentaire : miroir réfléchissant le ciel,
escale pour les hérons, les aigrettes, les bécassines et les canards, habitat
permanent pour les poules d’eau… Nous avons envie de pousser ce travail
plus avant, de développer l’interface terre/eau, qui est, sous toutes les
latitudes, hautement productive.
Je suis depuis longtemps fasciné par les jardins potagers situés juste en
bordure de l’eau, comme les hortillonnages d’Amiens, vaste région lacustre
cultivée depuis l’époque gallo-romaine. Le terme maraîchage vient de
marais, car c’est généralement dans ces zones humides que l’on trouve en
abondance la terre fertile et l’eau nécessaires aux cultures vivrières.
Nous nous lançons et creusons, avec l’accord du maire du Bec-Hellouin,
un réseau de petites mares délimitant deux îles-jardins. Puis, pour pallier
l’absence de sol, un collègue agriculteur apporte du compost provenant du
club hippique du Bec-Hellouin et l’étale en une couche généreuse. Charles
Barbot, le propriétaire du club, nous permettra toujours de prélever du
compost dans ses tas de fumier. Ce transfert de matière organique illustre
l’esprit de la permaculture : tout déchet d’une activité, s’il n’est pas recyclé à
l’intérieur du système, devient un polluant à l’extérieur. En valorisant les
déchets du club hippique local, nous les transformons en ressource pour la
ferme9. Cet apport nous permet de disposer d’une épaisseur de matière
organique suffisante pour créer des buttes sur les deux îles. Par la suite, sur
nos terres caillouteuses et impropres aux cultures, nous ferons à plusieurs
reprises appel au compost du club hippique lors de la création de nouveaux
jardins. Cet apport est réalisé en une seule fois, il ne prend que quelques
heures et constitue le socle sur lequel nous allons pouvoir ensuite, en
douceur, avec patience, créer amoureusement une bonne terre maraîchère. Le
fumier n’est pas forcément disponible localement, mais il peut être remplacé
par des engrais verts et des arbres ou cultures ayant la capacité de fixer
l’azote atmosphérique, installés de façon pérenne.
La forêt-jardin
Mars est venu. Les deux îles sont maintenant créées, les buttes formées. Il
serait peut-être temps de préparer la saison de maraîchage… Mais Perrine a
rencontré, au fil de ses lectures, le concept novateur évoqué au début de ce
chapitre, que les Anglo-Saxons appellent food forest, edible forest… Une
forêt qui se mange ? Il n’en faut pas plus pour que notre imaginaire
s’enflamme. Le merveilleux concept de forêt-jardin nous parle tout de suite
profondément ! Malgré la fatigue et le printemps qui s’annonce, nous nous
lançons dans l’implantation de notre jardin forestier. Il occupe une surface
de 1 200 mètres carrés, en forme de fer à cheval autour des mares et des îles,
du côté des vents dominants.
La forêt-jardin est le royaume de Perrine. Elle passe ses jours et ses nuits
dans la recherche de végétaux adaptés. En France, les fournisseurs potentiels
se comptent sur les doigts d’une main. Finalement, ce seront une centaine de
variétés d’arbres fruitiers, d’arbustes à petits fruits, de fruits à coque, de
plantes fixatrices d’azote, de couvre-sols, de lianes comestibles qui seront
plantés. Une partie de ces végétaux proviennent de l’Agroforesty Research
Trust de Martin Crawford, en Angleterre10.
En avril nous sommes sur les rotules – il y a un principe de la permaculture
que nous avons très mal intégré, c’est celui de faire les choses lentement !
Mais nous ne sommes pas peu fiers du résultat. Il est fascinant de voir
comment, en deux mois, le médiocre herbage s’est transformé. Il compte
maintenant quatre milieux différents : la forêt-jardin, à l’ouest, en bordure de
parcelle, abritant de sa courbe généreuse les mares et les deux îles, et un petit
pré-verger qui sert de paddock à Winik, notre cheval de trait, à Alice, notre
ânesse, et aux poneys des enfants. Ces quatre milieux sont étroitement
imbriqués. Les zones de lisières sont nombreuses. L’interface terre/eau est
maximisée, elle court sur plusieurs centaines de mètres de long.
Le tout est plus que la somme des parties
Deux mois plus tard, les récoltes de la grande île sont vraiment étonnantes.
Cette île, dont la fertilité ne cessera de croître, devient l’espace le plus
productif de la ferme. Quant à la forêt-jardin, au fil des ans elle prend de
l’ampleur. Faute d’expérience, nous gérons mal le couvre-sol et rapidement
les orties gagnent. Mais nous apprenons à les considérer comme une
ressource : riches en sels minéraux et en azote, elles forment un excellent
paillis pour les buttes de culture.
Nous avons travaillé dur pendant deux mois, fait appel à une pelleteuse, un
tracteur, importé du compost. Maintenant, la récompense est là : nous
pouvons nous mettre légèrement en retrait, travailler uniquement à la main –
plus aucun engin mécanisé ne pénètre cet espace – et observer la manière
dont la vie vient coloniser l’agroécosystème ainsi formé. Les mares se
peuplent de grenouilles et de plantes aquatiques. Curieusement, les truites, les
épinochettes et même les écrevisses à pattes blanches arrivent spontanément !
L’éblouissant martin-pêcheur devient un visiteur quotidien. Une cane colvert
et ses douze canetons nagent dans le petit ruisseau qui sépare la forêt-jardin
des îles…
Les années passent et cet espace devient de plus en plus beau, fécond et
productif. Nous sommes récompensés au-delà de tout ce que nous pouvions
imaginer. Nous vérifions la justesse de l’adage permaculturel : le tout est plus
que la somme des parties. Ces petits milieux interagissent. La matière
organique circule. Les ressources sont nombreuses : les roseaux des mares
poussent rapidement, formant une biomasse abondante, comestible tant pour
les humains que pour les animaux ; la vase des mares, concentré de fertilité,
permet de recharger les buttes ; les orties, consoudes et bardanes sont des
pompes à minéraux qui croissent à foison, nous n’avons qu’à les faucher pour
les déposer en paillis sur les buttes ; les tailles de la forêt-jardin et celles des
osiers têtards que nous avons bouturés autour des mares peuvent être broyées
pour faire du bois raméal fragmenté11 ; le crottin des équidés vient alimenter
les tas de compost ; les branches des frênes qui poussent le long de la rivière
constituent un excellent bois-fourrage… L’ensemble forme un tout petit
système agro-sylvo-pastoral12 qui devient de plus en plus autofertile.
Les microclimats
Nous observons également un microclimat favorable aux cultures
légumières : la forêt-jardin abrite les îles des vents dominants, de secteur
ouest, tandis que la surface des mares réverbère une partie des rayons du
soleil. Le microclimat est donc moins venteux, plus chaud, plus humide, les
écarts thermiques sont régulés par la présence de l’eau. Tout cela est
favorable à la culture des légumes.
Au bout de cinq ans, nous pouvons constater une véritable création
d’humus sur les îles, notamment dans les allées qui sont paillées en
permanence. Une couche de bon terreau de près de 10 centimètres
d’épaisseur s’y est formée, que nous utilisons pour accroître le volume des
buttes. La terre de celles-ci est profonde et meuble, pleine de vie. Elle sent
bon le sous-bois !
La vie sauvage s’est également développée, l’ensemble formant une
incroyable oasis de biodiversité. Les ornithologues et les naturalistes sont
surpris du nombre d’oiseaux rares vivant dans cet espace où les humains sont
pourtant très présents, et par la vitalité des milieux aquatiques.
À la recherche de fermes permaculturelles
Nous avons mené ces travaux tambour battant, persuadés qu’il existe des
légions de fermes permaculturelles en France et dans le monde et que nous
allons pouvoir travailler en réseau avec d’autres praticiens. Pourtant, durant
les années suivantes, nous cherchons en vain des possibilités d’échanger avec
des fermes permaculturelles qui soient véritablement des lieux de production.
Nos recherches en France, en Angleterre ou aux États-Unis nous donnent le
sentiment que les fermes se revendiquant de la permaculture sont
essentiellement des lieux d’autonomie alimentaire, mais pas vraiment de
production commerciale. Bien évidemment, il est extrêmement souhaitable
que des lieux d’autosuffisance se multiplient. Toutefois, en tant que
jardiniers-maraîchers, notre intérêt se porte également sur la production
vivrière effectuée dans un cadre professionnel. À ce jour, la permaculture et
l’agriculture biologique se sont encore peu rencontrées.
Il nous semble dès lors trouver un peu notre vocation, notre “niche”,
comme dirait notre ami Bernard Alonso, professeur de permaculture qui
viendra enseigner à la ferme : favoriser les connexions entre agriculture
biologique et permaculture. Cinq années plus tard, la situation a évolué et un
nombre croissant de projets et de réalisations s’inspirent de la permaculture
dans le monde agricole, même si les fermes en production restent rares dans
notre pays. L’intérêt est exponentiel, et plus d’une centaine de maraîchers et
de porteurs de projets sont venus se former à la ferme. Nous sommes invités
également à intervenir dans des formations de maraîchage biologique.
Changer de paradigme
Revenons à l’époque de notre récit, en ce printemps 2009. La rencontre avec
la permaculture nous fait basculer progressivement dans un autre monde,
celui de la microagriculture. Mais il nous faut du temps pour mettre au
rancart nos anciens formatages ! Nous sommes encore à cheval entre deux
conceptions de l’agriculture. Dès que nous avons pris le statut d’agriculteurs,
nous avons été imbibés d’une croyance largement répandue : plus tu es gros,
mieux tu te portes ! Une seconde croyance marche avec la première : plus tu
es mécanisé, plus tu gagnes !
Nous avons évoqué notre refus de la mécanisation. Mais nous sommes
toujours désireux de grandir – ce qui, à notre échelle, ne signifie pas racheter
quelques dizaines d’hectares ou la ferme du voisin… En cette troisième
année de maraîchage, nous ne gagnons toujours rien, et pensons sincèrement
que c’est parce que nous ne produisons pas assez – donc que nos jardins sont
trop petits. Nous cherchons à mettre en culture de nouveaux espaces. C’est
ainsi que nous avons créé des bandes de cultures entre nos arbres fruitiers. Et
nous avons entamé un projet plus ambitieux : installer des jardins sur le
terrain très pentu que nous avons pu acquérir au-dessus de l’abbaye.
Un projet un peu fou
Aucun agriculteur sain d’esprit n’aurait tenté de cultiver une pente aussi
abrupte – du reste, deux tracteurs y chavireront. Le terrain, à l’abandon
depuis une cinquantaine d’années, était absolument impénétrable lorsque
nous l’avons acquis. Le défricher a pris deux années ! Puis nous y avons
planté un verger conservatoire avec environ trois cents variétés de pommiers,
poiriers, cerisiers, pruniers, pêchers, abricotiers, figuiers… Durant plusieurs
années nous avons cultivé en traction animale les parties les moins pentues,
au prix de beaucoup d’efforts, mais avec des résultats minables. Travailler en
traction animale sur un terrain en pente oblige à soulager le poids de l’outil,
qui a tendance à glisser. Je me suis souvent senti gros et vieux ces jours-là !
Sur les traces de Sepp Holzer
En creusant la question, nous découvrons que la permaculture a beaucoup
réfléchi sur l’aménagement des pentes. Un fermier autrichien, Sepp Holzer,
est devenu une star dans ce domaine13 ! Cet autodidacte a, depuis 1962,
transformé le Krameterhof – la ferme familiale qu’il avait reprise à dix-neuf
ans seulement – en suivant son intuition. Il a redessiné les contours de sa
montagne, les pentes abruptes d’une froide vallée. Là où ses voisins ne
plantent que des conifères, Sepp cultive une grande diversité de fruits et
légumes, et fait pousser, entre 1 000 et 1 500 mètres d’altitude, des cerisiers
et des vignes. Il y est parvenu en créant de nombreuses terrasses et des lacs,
favorisant l’apparition de microclimats bénéfiques. Sepp élève des poissons
dans ses mares, du bétail et des porcs, sème à la volée des légumes au milieu
des plantes sauvages, fait tout à l’encontre des canons de l’agriculture
productiviste. Longtemps décrié, il est aujourd’hui devenu un expert
mondialement reconnu dans la régénération d’espaces dévastés par
l’agriculture industrielle. Il a réussi, dans des zones désertifiées d’Espagne et
du Portugal, à implanter des “paysages d’eau”, créant des dizaines de lacs
importants grâce à des techniques simples et peu coûteuses.
Nouveaux jardins en terrasses
L’exemple de Sepp Holzer nous pousse à aménager des terrasses sur notre
pente. Une dizaine sont progressivement formées en suivant autant que
possible les courbes de niveau. Onze mares sont creusées, qui se remplissent
avec les pluies et les eaux qui ruissellent sur les chemins. Nous apportons
également du compost car, après le creusement des terrasses, il ne reste guère
que des caillasses. Des arbres fruitiers sont plantés le long des talus, en
alternance avec des buissons de petits fruits ; ils procurent une récolte et
tempèrent les ardeurs du soleil en été.
Après six années d’efforts, ces jardins commencent à prendre fière allure.
Il leur faudra encore quelques années pour atteindre leur maturité. Les arbres
fruitiers poussent et donnent leurs premières récoltes. Des buttes de culture
ont été réalisées sur une moitié des terrasses, les autres sont cultivées avec le
cheval. La terre devient fertile et les récoltes plus substantielles. Quelques
ruches profitent d’une bonne exposition à l’orée du bois.
Nous n’avions pas réalisé, en entamant ce chantier six ans plus tôt, que ces
jardins jouissent d’un microclimat exceptionnel. Nous pouvons observer que
le gel arrive deux à trois semaines plus tard, à l’automne, dans ces jardins,
que dans ceux de la vallée, et nous gagnons de même quelques semaines au
printemps. Or, pour un maraîcher, pouvoir démarrer ses cultures aussi tôt que
possible au printemps est d’un grand intérêt. Dorénavant, dès février, nous
commençons à mettre en culture ces jardins de la colline, avant de
redescendre dans la vallée. Les plantes aromatiques s’y plaisent beaucoup.
Nos moutons broutent les espaces les plus pentus, entre les terrasses.
Ces jardins, qui ne sont reliés ni à l’eau de la ville, ni à l’électricité, sont
maintenant conduits en totale autarcie. Nous tirons parti, pour les fertiliser, de
ce que la nature nous donne : les feuilles mortes et les fougères, abondantes
dans les bois alentour. Les orties et plantes sauvages des talus sont
régulièrement fauchées et mises en paillis dans les allées ou sur les buttes.
Nous n’avons plus besoin d’énergie fossile et profitons des dons de la
nature : le soleil, l’eau de pluie, la biomasse qui pousse localement sans rien
demander à personne !
Faucheurs volontaires
Une chose en amène une autre et le travail est toujours en mouvement. Nous
nous interdisons maintenant tout passage d’engin mécanique et cherchons des
alternatives. Nous avons appris à faucher à la main, remplaçant
avantageusement l’horrible débroussailleuse par des faux fabriquées
artisanalement en Autriche, les meilleures d’Europe, commercialisées par
notre ami Emmanuel Oblin14. La faux est tellement agréable à manier qu’elle
devient une addiction ! La lame tranchante fait monter les parfums des
menthes sauvages et de l’origan qui, par endroits, prospèrent sur les talus.
La vue est de toute beauté, avec l’abbaye et le village blottis en contrebas
et les collines boisées à perte de vue. Lors des offices, les cloches de l’abbaye
emplissent l’air de puissantes vibrations. Atteler le cheval, monter travailler
une journée en silence dans ces jardins, y faire cuire le déjeuner au feu de
bois sous l’if centenaire nous donne le sentiment d’avoir un pied sur terre et
un pied dans le ciel. C’est tout sauf un travail – un ressourcement, des
vacances !
Lorsque la charrette regagne la vallée dans la chaude lumière du soleil
couchant, chargée des récoltes, de brassées de fougères qui serviront de
paillis, de tiges de noisetier pour réparer une clôture, le caractère intimiste de
la petite ferme nichée autour de sa rivière, l’accueil des animaux qui ne
manquent pas de saluer notre retour, chacun à sa manière, nous réjouissent
d’une nouvelle façon.
Nous avons de la chance d’avoir deux terrains aussi différents, même si la
distance qui les sépare reste une gêne. Ces deux terrains ont en commun
d’être tous deux considérés comme impropres aux cultures. Les concepts de
la permaculture nous ont permis de les mettre en valeur. Nous apprenons
qu’un design permaculturel – même s’il cherche en premier lieu à valoriser
l’existant et à éviter l’apport d’éléments extérieurs – demande souvent plus
de travail et d’investissements qu’une mise en culture classique, dans un
premier temps. Planter des arbres, des haies, creuser des mares, tirer parti des
mouvements du terrain pour renforcer des microclimats favorables représente
un effort certain. Mais ce travail est également jubilatoire, car cocréer avec la
nature un paysage comestible est l’une des plus belles aventures que l’on
puisse vivre. Une fois ces aménagements effectués, observer comment la
nature s’empare des lieux et joue sa partition, dans le sens de plus de vitalité,
de biodiversité, d’autonomie, de luxuriance, année après année, est un
émerveillement sans cesse renouvelé.
Un autre rapport au temps
Finalement, dans une approche permaculturelle, c’est le rapport au temps qui
est différent. Comme les peuples premiers, nous ne cherchons pas à tout prix
un profit maximal à court terme, mais plutôt un équilibre dans la durée. Si je
meurs demain, j’aurai beaucoup travaillé et peu récolté dans ces jardins de la
colline. Mais ceux qui viendront après moi pourront vivre pendant des
générations dans un lieu magnifique, travailler une terre saine, des jardins
autofertiles. Si le monde entre dans des temps troublés, ils pourront manger à
leur faim. Moi, j’ai eu la joie de créer ces jardins. C’est déjà beaucoup.
1 Bill Mollison, David Holmgren, Permaculture 1, Debard, 1986, rééd. Éditions Charles Corlet, 2011,
p. 15.
2 “La sociocratie est un mode de prise de décision et de gouvernance qui permet à une organisation,
quelle que soit sa taille – d’une famille à un pays –, de se comporter comme un organisme vivant, de
s’auto-organiser.” (Wikipedia.)
3 “Un système d’échange local (ou SEL) est un échange de produits ou de services qui se font au sein
d’un groupe fermé (généralement associatif).” (Wikipedia.)
4 Voir The Earth Care Manual, op. cit., et How to Grow More Vegetables than You Ever Thought
Possible on Less Land than You Can Imagine, Ten Speed Press, 8e éd., 2012.
5 En maraîchage, on appelle planche une bande de terre cultivée.
6 Richard Wallner a publié un Manuel de la culture sur butte (Rustica, 2013). Il traduit et diffuse
également divers livres et DVD sur la permaculture.
7 Le livre que vous avez entre les mains traite des concepts de la permaculture et de l’agriculture bio-
inspirée. Nous prévoyons d’écrire un guide pratique largement illustré qui reviendra en détail sur les
applications de toutes les thématiques évoquées dans ces pages, à paraître chez Actes Sud.
8 Le cours certifié de permaculture (CCP), ou Permaculture Design Course (PDC) en anglais, constitue
le premier niveau de formation en permaculture. Il a été institué par Bill Mollison et reste le format
standard internationalement reconnu. Sa durée est de soixante-douze heures au moins – généralement
onze jours d’enseignement. Le CCP donne une initiation aux grandes thématiques de la permaculture.
Ce premier niveau d’étude peut être prolongé par un parcours personnalisé préparant au diplôme de
permaculture appliquée, qui valide les compétences nécessaires pour créer des designs et enseigner la
permaculture. Perrine et moi avons obtenu ce diplôme en 2013.
9 Certes, il serait préférable de pouvoir acheter le fumier provenant d’un élevage bio, ou de le produire
nous-mêmes, ce que nous faisons en petite quantité avec nos animaux. Mais l’élevage bio le plus
proche se trouve à plusieurs dizaines de kilomètres… La législation européenne de l’agriculture
biologique autorise l’utilisation de fumier non bio, à condition qu’il ne provienne pas d’élevages
industriels. Nous pouvons toutefois espérer que, dans un avenir proche, l’essor de l’agriculture
biologique permettra aux maraîchers de disposer localement de fumier bio.
10 Voir www.agroforestry.co.uk.
11 Le bois raméal fragmenté (BRF) est une manière, mise au point par des chercheurs canadiens, de
valoriser les rameaux de bois de petite section (moins de 5 centimètres). Les jeunes rameaux broyés
vivants sont un concentré de minéraux, de protéines, d’hormones et de bio-catalyseurs. Disposé en
paillage sur le sol ou incorporé, le BRF permet d’aggrader (améliorer) des sols appauvris.
12 Un système agro-sylvo-pastoral intègre des cultures, des arbres et des animaux.
13 Son livre La Permaculture de Sepp Holzer : guide pratique pour jardins et productions agricoles
diversifiées, paru aux éditions Imagine un colibri en 2011, n’a pas fini de faire rêver !
14 Emmanuel Oblin commercialise le meilleur matériel qu’il puisse trouver dans ses recherches. Son
site est illustré de nombreuses vidéos qui permettent de s’initier à l’art du fauchage et à celui du battage
et de l’affûtage de la lame. Pour en savoir plus : www.comptoirdelafaux.com.
IX
LA MICROAGRICULTURE
BIO-INTENSIVE
Aux États-Unis, John Jeavons a développé une forme d’agriculture
étonnamment productive, la microagriculture bio-intensive, dont nous
nous inspirons.
Le corps humain reste plus efficace que toutes les machines que nous
avons pu inventer… Utiliser des outils manuels peut sembler entraîner
davantage de travail, mais les récoltes compensent cela très largement.
JOHN JEAVONS1
Durant les saisons 2009 et 2010, nous expérimentons la culture sur buttes.
Globalement nous sommes très satisfaits de cette expérience et ne
reviendrions en arrière pour rien au monde. Mais force est d’admettre que
nous butons contre plusieurs obstacles.
En quête de données fiables
Le premier est l’absence de références en maraîchage professionnel. Nous
lisons beaucoup d’ouvrages sur la permaculture et constatons que cette
littérature est surtout destinée aux personnes désirant développer leur paysage
comestible à échelle domestique, comme nous l’avons évoqué. La culture sur
buttes semble parfois présentée avec fort peu de nuances. Suffit-il réellement
de ne jamais travailler une butte, de la garder toujours couverte d’un mulch,
pour que sa fertilité augmente naturellement ?
Ne jamais travailler le sol ? Au bout de deux années, certaines buttes se
sont compactées, d’autres non. Celles qui ont bénéficié d’un apport important
de compost restent plus souples et bien aérées. Dorénavant, nous
décompactons les buttes au printemps avec une grelinette2, et répétons
l’opération si nécessaire entre deux cultures.
La question de la fertilité se pose également. Nous lisons des affirmations
souvent contradictoires, entre la littérature professionnelle de maraîchage bio,
les ouvrages de permaculture, les témoignages des anciens… “Inutile
d’apporter du compost, nous déclare un professeur de permaculture, la
décomposition du paillis suffit.” J’avoue être mal à l’aise avec les discours
simplistes. Peut-être a-t-il raison, mais peut-être pas ? Tant de paramètres
influent, la question fondamentale de la fertilité mérite des réponses plus
nuancées. Quelle est la fertilité initiale de la butte ? Combien de récoltes
produit-elle ?
Le paradis des… limaces !
Nous constatons dans nos jardins une explosion des populations de limaces et
de campagnols, pour qui les paillis sont une véritable aubaine. Nous avons
créé un jardin d’Éden pour limaces ! Les dégâts qu’elles occasionnent sont
importants. Pendant ces deux années, nous n’arrivons pas à commercialiser
des salades et des choux corrects. Il faudra trouver des solutions pour faire
face à ces inconvénients du paillis. Comme la plupart des stratégies que nous
explorons, la gestion des paillis s’appuie sur un ensemble de mesures variées
et complémentaires.
Nous prenons conscience du fait que l’agriculture naturelle nous fait
pénétrer dans un univers de plus en plus complexe – car la vie elle-même est
complexe. Il faut accepter de se passer de normes, de règles, de prescriptions,
et entrer dans une observation fine de chaque plante cultivée et de ses
interactions avec son environnement. Si règles il y a, ce ne peut être que des
métarègles, qui constituent des repères conceptuels, des aides à la décision
pour créer un système bio-inspiré. Cela est assez nouveau dans le monde
agricole contemporain, puisque l’une des caractéristiques de l’agriculture
productiviste est que l’agriculteur devient, chaque année davantage, un
exécutant de directives venant des techniciens.
Chaque lieu est unique, chaque porteur de projet également, la
permaculture attache une grande importance au fait qu’un projet doit être
dessiné de manière à correspondre au mieux au lieu et aux personnes qui
l’habitent.
L’auteur qui nous inspire le plus durant ces deux premières années est
Patrick Whitefield, agriculteur et permaculteur anglais. Son ouvrage le plus
riche est The Earth Care Manual3, un pavé de 470 pages, au texte dense et
clair. Le format du livre permet à Patrick Whitefield d’entrer dans des
nuances intéressantes pour un maraîcher professionnel. Il se fonde sur une
approche permaculturelle adaptée aux pays tempérés d’Europe.
Accepter d’être petit
Un autre point rend très inconfortable notre situation : nous ne sommes pas
positionnés dans une bonne adéquation entre la surface cultivée et ce que
nous pouvons effectivement réaliser. Là encore, nous cherchons des points de
repère. Comme évoqué au chapitre précédent, nous agrandissons nos jardins
car nous sommes toujours dans la croyance d’être trop petits pour vivre
décemment de notre métier. Nous n’avons pas encore réalisé l’étonnant
potentiel de productivité des buttes de culture permanentes. La surface de
buttes que nous avons créée est trop grande pour être cultivée de manière très
attentive : nous ne sommes pas assez nombreux pour cela. Or, pour tirer la
quintessence des buttes, le facteur soins est absolument déterminant. En
travaillant à la main, il est impossible de soigner une grande surface. Une
petite surface très bien cultivée sera plus productive qu’une grande surface
mal entretenue… Mais cela, nous ne l’avons pas encore compris !
Il y a une logique inhérente à chaque approche de l’agriculture, dont il
faut devenir conscient, sous peine de cumuler les inconvénients propres à
chaque système. Le maraîcher bio mécanisé peut, avec son tracteur, préparer
rapidement un hectare de terrain, éventuellement le couvrir de plastique avec
une dérouleuse de bâches, repiquer des milliers de plants avec un plantoir
mécanisé… En culture sur buttes, le même laps de temps ne nous permettra
que de préparer quelques dizaines de mètres carrés de buttes. Si nous
cherchons à faire grand, comme avec le tracteur, nous sommes condamnés
d’office ! Inutile d’essayer d’imiter un engin tellement plus puissant que
nous… Il est plus judicieux d’explorer ce que nous pouvons réaliser avec nos
mains, que le tracteur ne peut accomplir !
Une trop grande surface de buttes les condamne à être mal entretenues.
Elles vont se couvrir d’adventices, être soumises à l’érosion et tout le gros
travail de création, de fertilisation, de semis ou de repiquage aura été fait en
vain. On ne récoltera rien et quasiment tout sera à recommencer. Une butte
est un espace de culture qui coûte cher en travail et ne se justifie que si l’on
en tire la quintessence.
Nous verrons au fil des chapitres à venir comment nous nous sommes
progressivement rapprochés de la surface la mieux adaptée. Cette question est
tout à fait centrale. Elle peut déterminer la réussite ou l’échec d’un projet
d’installation maraîchère. Nous ne saurions trop insister sur ce point.
John Jeavons, l’homme qui fait pousser plus de légumes
Après deux années de pratique de la culture sur buttes, nous nous ouvrons à
de nouvelles influences. Explorer des pratiques agricoles alternatives devient
un passionnant voyage à travers les pays, les cultures, le temps… Nous
n’imaginions pas de mener une telle enquête en devenant paysans !
Une étape marquante de ce voyage fut la lecture du livre de John Jeavons
How to Grow More Vegetables than You Ever Thought Possible on Less
Land than You Could Imagine4. Je dois avouer que la lecture de ce titre,
pouvant être traduit comme ceci : “Comment faire pousser plus de légumes
que vous ne l’auriez cru possible sur moins d’espace cultivé que vous ne
l’imaginiez”, m’a un peu rebuté. La couverture portant en outre la mention
“plus de 500 000 exemplaires vendus”, j’ai d’abord perçu cet ouvrage comme
trop commercial, trop américain, et l’ai laissé dormir une année avant de
l’ouvrir. Quel dommage ! John Jeavons partage dans ces pages le fruit de
quarante années de recherches de son organisation à but non lucratif Ecology
Action, et sa lecture est des plus instructives.
Un peu d’histoire
Dans les années 1920, un jeune et talentueux jardinier anglais, Alan
Chadwick, recueille l’héritage de ce qui se fait de mieux en matière
d’horticulture sur le vieux continent. Il se forme auprès d’anciens maraîchers
parisiens, qui ont développé à Paris et en banlieue des techniques
étonnamment productives (voir chapitre x1, p. 136). Chadwick étudie
également la biodynamie auprès de son fondateur, Rudolf Steiner. Steiner
avait formulé les fondements de l’agriculture biodynamique lors d’une série
de huit conférences données en 1924 sous le nom de Cours aux agriculteurs.
Chadwick réalise une synthèse des deux approches, qu’il baptise “Méthode
française intensive et biodynamique”. Il perfectionne sa pratique pendant une
cinquantaine d’années, en Europe, en Afrique puis en Amérique.
Au début des années 1960, Alan Chadwick crée un jardin avec les
étudiants de l’université de Santa Clara, en Californie (Perrine a pu visiter
cette école exceptionnelle). En trois années, ils transforment une terre aride et
inculte en un florissant petit paradis, où Chadwick commence à enseigner sa
méthode. Ce grand horticulteur a le mérite de faire passer une riche tradition
du continent européen jusqu’aux États-Unis. Curieusement, alors que
l’héritage des anciens maraîchers parisiens avait sombré dans l’oubli en
France, leurs savoirs sont repris et développés outre-Atlantique. Au pays du
gigantisme agricole, Chadwick affirme sans complexe : “Cultivez juste une
petite parcelle, et faites-le bien. Ensuite seulement, lorsque vos résultats sont
satisfaisants, cultivez davantage5 !”
En 1972, formée par Alan Chadwick, une jeune équipe crée un centre de
recherche et d’enseignement de la microagriculture, géré par Ecology Action.
Pilier de l’organisation, John Jeavons n’a de cesse depuis lors d’étudier, de
pratiquer et de transmettre, et continue vaillamment de le faire, à plus de
soixante-dix ans. Curieusement, sa méthode est restée peu connue en France
jusqu’à ces dernières années, et un seul Français, Rachid Boutihane, s’est à ce
jour formé auprès de lui.
Un constat accablant
John Jeavons et son équipe ont baptisé leur approche GROW BIOINTENSIVE,
généralement traduit en français par “microagriculture bio-intensive”.
Jeavons la décrit comme une miniaturisation de l’agriculture, pour tenter de
répondre aux problèmes posés par l’agriculture industrielle. Il souligne que
celle-ci détruit les sols à un rythme accéléré : de 6 à 16 tonnes de sols sont
perdus pour chaque tonne de nourriture produite. L’agriculture biologique
mécanisée, selon lui, ne fait guère mieux : elle détruit les sols de 17 à 70 fois
plus vite que la nature ne les crée. En achetant une nourriture qui est cultivée
au détriment des sols, écrit Jeavons, nous nous rendons complices de cette
destruction. Or, poursuit-il, d’après diverses études l’humanité aura à ce
rythme détruit la totalité des terres arables de la planète dans le siècle à
venir ! La méthode bio-intensive permet, elle, de créer du sol de manière
substantielle6.
La surface de terre arable dont chaque personne dispose pour couvrir ses
besoins est en constante diminution. “Il devient de plus en plus clair, note
l’équipe d’Ecology Action dans l’introduction de l’ouvrage cité, que la
méthode durable de microagriculture GROW BIOINTENSIVE représentera une
part importante de la solution à la malnutrition et à la famine, à la raréfaction
des ressources en énergie, au chômage, à l’appauvrissement et la disparition
des terres arables7…”
Une question essentielle
Dès lors, Jeavons pose cette question d’une importance cruciale : “Quelle est
la surface minimale sur laquelle une personne pourrait faire pousser les
cultures lui procurant la totalité de sa nourriture, de ses vêtements, de ses
matériaux de construction, de son compost, de ses semences et de ses revenus
pour une année ?”
Difficile de répondre à cette question, tant les données peuvent varier d’un
lieu et d’une personne à l’autre. Mais c’est le genre d’interrogations
auxquelles, bientôt, nous ne pourrons plus échapper, lorsque la raréfaction
des ressources nous condamnera à sortir de la mondialisation et à satisfaire
localement à l’essentiel de nos besoins. En ce qui concerne nos besoins
alimentaires, les quelque quarante années de recherches effectuées par
Jeavons et son équipe donnent à penser que, avec la microagriculture bio-
intensive, “environ 370 mètres carrés cultivés suffiraient à faire pousser la
totalité de la nourriture nécessaire à une personne pour une année”, tout en
fournissant les matériaux permettant de réaliser le compost nécessaire au
maintien de la fertilité de cette surface cultivée. Ce calcul se fonde sur une
alimentation végétarienne. Pourquoi donc chercher des macro-réponses aux
énormes défis des temps modernes ? s’interroge Jeavons. Essayons plutôt de
développer des micro-réponses à l’échelon individuel, en subvenant nous-
mêmes à nos propres besoins.
Le ton est donné, la recherche d’Ecology Action se positionne
principalement sur le plan de l’autonomie individuelle, plutôt que sur le
terrain d’une agriculture professionnelle. Pourtant, le potentiel de la
microagriculture est tel que l’approche de John Jeavons inspire divers
programmes de développement à travers le monde. Des agriculteurs se
risquent à cultiver de toutes petites surfaces. Dans les années 1970, Jeavons
estimait qu’une surface de 500 à 2 000 mètres carrés permettait de procurer
un revenu net de 5 000 à 20 000 dollars par an. Une femme de Colombie-
Britannique gagnait environ 400 dollars par semaine en cultivant des légumes
pour des restaurants sur 225 mètres carrés seulement !
Ces chiffres surprendront la plupart des maraîchers français. Nous ne
sommes pas habitués à évaluer le potentiel de productivité de la
microagriculture ! L’étude que nous entreprendrons au Bec Hellouin viendra
confirmer ces résultats, dans le contexte qui est le nôtre, la France des
années 2010.
Construire le sol, préparer notre avenir
Et Jeavons de citer Gandhi : “Oublier la culture de la terre et les soins du sol,
c’est nous oublier nous-mêmes8.” L’attention portée au maintien et à
l’aggradation des terres cultivées est l’un des points les plus intéressants de
l’approche bio-intensive. Pour Jeavons, il importe que chaque jardin
engendre les conditions de sa propre fertilité. Une étude minutieuse, prenant
en compte tant les besoins nutritionnels des personnes que les besoins
nutritionnels du sol, a mené l’équipe d’Ecology Action à définir une règle
simple : une partie du terrain doit être consacrée à des cultures fortement
productrices de biomasse, servant à fabriquer le compost destiné à fertiliser
l’ensemble du jardin. Ainsi conduit, le jardin peut être durablement
autofertile.
La règle d’or de la microagriculture bio-intensive consiste à répartir les
cultures comme suit :
– 60 % de la surface cultivée est dédiée à des plantes à biomasse, capables
de fournir l’essentiel des matériaux à composter pour la totalité du jardin. Ces
plantes procurent du carbone (principal constituant de la matière organique)
et des calories. Ce sont principalement : des céréales, des fèves, des
tournesols…
– 30 % de la surface cultivée est dédiée à des tubercules et autres légumes
riches en calories : pommes de terre, poireaux, topinambours, ail, panais,
patates douces, salsifis…
– 10 % de la surface est dédiée à des légumes divers, apportant vitamines
et minéraux. Cette catégorie représente les autres légumes : salades, carottes,
radis, navets…
À noter que les céréales sont cultivées sur buttes et généralement
repiquées. En Europe, le blé était autrefois fréquemment cultivé dans les
jardins – on parle alors de blé jardiné –, avec des rendements
atteignant 100 quintaux à l’hectare (contre environ 70 aujourd’hui9), sans
aucune forme de mécanisation10.
Une approche en huit points
La méthode GROW BIOINTENSIVE a été formulée de manière simple, en huit
points.
1. Préparation profonde du sol, double bêchage. Le double bêchage est
une ancienne technique maraîchère, qui consiste à décompacter le sol sur
deux profondeurs de bêche. Dans la méthode bio-intensive, les horizons du
sol ne sont pas mélangés et cette technique permet de former des buttes de
culture permanentes bénéficiant de conditions idéales : fertilité,
décompactage profond…
2. Le compostage. Comme nous l’avons évoqué, l’autonomie en fertilité
est le but à atteindre. Le compostage est réalisé en tas, avec soin, en alternant
des lits de matière carbonée (branches, feuilles mortes, paille…), de matière
azotée (herbe, épluchures et restes de table), et de la terre.
3. La plantation dense. Les légumes sont quasiment systématiquement
repiqués, en quinconce afin de les densifier, ce qui permet la création d’un
microclimat favorable entre la surface du sol et les feuilles.
4. Les plantes compagnes. Les associations de cultures permettent une
diversité végétale favorable à la bonne santé du jardin, tout en élevant le
niveau de productivité.
5. Cultures carbonées : voir plus haut, p. 116.
6. Cultures de calories : voir plus haut, p. 116.
7. Utilisation de graines à pollinisation libre. Le jardinier recherche
l’autonomie en semences et privilégie les variétés anciennes.
8. Une approche complète du jardinage. La méthode doit être pratiquée
dans sa globalité, pour une question de cohérence et d’efficacité.
Efficacité de la microagriculture bio-intensive
La méthode GROW BIOINTENSIVE a été évaluée depuis plusieurs décennies.
Selon John Jeavons, les résultats parlent d’eux-mêmes. Il cite dans son
ouvrage les données suivantes :
– Les rendements obtenus par la méthode GROW BIOINTENSIVE sont en
moyenne 2 à 6 fois plus élevés que ceux de l’agriculture des États-Unis,
jusqu’à 31 fois pour certaines cultures.
– Les besoins en eau sont réduits de 67 à 88 % par unité de production.
– Les fertilisants achetés (c’est-à-dire non produits par la ferme) sont
diminués d’au moins 50 %, voire supprimés.
– L’énergie fossile utilisée par unité de production est réduite
de 94 à 99 %.
– Les calories produites par unité de surface sont de 200 à 400 fois
supérieures.
– Le revenu par unité de surface est multiplié au moins par deux.
Force est de constater qu’une approche manuelle de l’agriculture peut
bousculer bien des idées reçues. Ce que nous considérons comme “efficace”
l’est-il réellement, si les récoltes sont obtenues au prix d’une énorme perte de
terre arable ? John Jeavons a le mérite de poser les vraies questions et de
proposer des alternatives viables au système dominant, à la portée de chacun.
Applications à la Ferme du Bec Hellouin
Une lecture attentive et régulière de l’ouvrage de Jeavons nous a aidés à
prendre confiance dans le potentiel de la microagriculture. On ne le dira
jamais assez, les obstacles sont avant tout dans nos têtes ! Nous
déconditionner de nos formatages mentaux est une condition nécessaire et
préalable pour faire évoluer nos pratiques.
Dans le contexte de notre ferme, faute d’une épaisseur de sol suffisante, il
n’y a que dans le jardin potager situé devant la maison que nous avons pu
tester la technique du double bêchage. Réaliser une butte permanente selon
cette technique est de toute évidence un plus, puisque les plantes bénéficient
d’un sol décompacté sur 60 à 80 centimètres de profondeur, plus profond que
n’irait le plus puissant des tracteurs. Le temps de travail pour réaliser la butte
est multiplié par trois environ. Je dois avouer que nous n’avons pas pu
observer de différence de rendements par rapport à nos autres buttes, mais
d’autres facteurs influent probablement sur ces résultats.
Chadwick et Jeavons insistent sur les soins minutieux à apporter aux
cultures à chaque étape, en particulier dans la manière de préparer le sol, de
produire ses plants, de les repiquer, etc. Ce facteur soins est l’un des
paramètres qui créent un “avantage compétitif” entre un jardinier-maraîcher
et un tracteur. La microagriculture n’est vraiment productive que si le travail
est très soigné ! Cela va à l’encontre d’un certain courant de pensée, en vogue
dans les milieux permaculturels, qui soutient qu’une agriculture naturelle
consiste à “laisser faire” la nature, et qu’il n’y a “que peu de travail” pour le
jardinier. J’avoue rester dubitatif… C’est peut-être vrai pour quelqu’un qui
veut juste cultiver de quoi se nourrir, mais pour produire soixante paniers de
légumes chaque semaine, toute l’année, je suis sceptique. Tirer profit des
services écosystémiques permet, à terme, de réduire la charge de travail, c’est
indéniable. Aller dans le sens de la vie, chercher à comprendre ce qui est bon
pour le sol, bon pour les végétaux et, in fine, bon pour les êtres humains et
pour tout l’univers du vivant, est le fondement d’une agriculture naturelle.
Mais la nature ne fait pas pousser spontanément les plantes sophistiquées que
sont nos légumes. Les végétaux que nous sommes habitués à consommer sont
généralement le fruit d’une longue coévolution entre une plante sauvage et
l’être humain ; ils ont besoin de nos soins et sont exigeants en fertilité, en eau
et en soleil.
Plantes pérennes, plantes sauvages
Donner plus de place aux plantes pérennes, infiniment moins gourmandes en
travail et en intrants, a beaucoup de sens. Dans la nature, une immense
majorité des végétaux sont des plantes vivaces ; se nourrir quasi
exclusivement de plantes annuelles, comme nous le faisons, est un non-sens –
ou une spécialisation, risquée comme toute spécialisation. Nous cherchons à
enrichir chaque année la gamme des légumes vivaces cultivés à la ferme.
L’épinard perpétuel (Rumex patientia), par exemple, est une plante vivace
rustique qui pousse très vite en début de printemps et permet plusieurs coupes
successives.
De même, introduire davantage de plantes sauvages dans notre diète a du
sens. Outre le fait qu’elles poussent toutes seules sans rien demander à
personne, elles sont généralement bien plus concentrées en principes actifs et
en nutriments que nos légumes sélectionnés11. Nous travaillons à valoriser les
plantes sauvages, dans nos jardins. Mais le marché est actuellement très
limité ; les jardiniers-maraîchers professionnels sont tenus de répondre à
l’attente de leur clientèle et ils ne peuvent prétendre révolutionner leurs
habitudes alimentaires… Favoriser une évolution dans la durée, peut-être ?
En attendant, nos jardins maraîchers doivent faire la place belle aux fruits et
légumes classiques, qui sont devenus des éléments à part entière de notre
culture gastronomique – de notre culture tout court.
La permaculture a tout à gagner à se laisser féconder par des approches
comme celle de Jeavons, et réciproquement. À mon humble avis, la méthode
GROW BIOINTENSIVE peut être enrichie par les concepts permaculturels.
Certains points importants, comme le design général du jardin, les
microclimats, le rôle des arbres, de l’eau, les bienfaits d’un paillis permanent,
etc., sont peu ou pas abordés par Jeavons. Perrine et moi avons cherché à
inscrire les merveilleuses techniques de la microagriculture bio-intensive
dans le cadre plus large que propose la permaculture, et cela s’est révélé très
satisfaisant.
Mais un autre grand pionnier nord-américain nous a inspirés, bien
davantage encore : Eliot Coleman.
Pas de doute : pour nous, l’ouvrage le plus marquant de ces dernières années
fut The Winter Harvest Handbook2 d’Eliot Coleman, que Perrine rapporta
d’Angleterre. Un chef-d’œuvre ! Ce livre a provoqué un mini-séisme qui eut
des répercussions profondes dans notre ferme. Dès que nous l’avons reçu, j’ai
passé des heures à contempler les photos des serres et des jardins, bouleversé
par la beauté qui se dégage de la Four Season Farm de Coleman, où
l’agencement des cultures touche à la perfection. J’ai dévoré le texte, clair et
bourré d’informations utiles. Au fil des ans le livre est devenu tout froissé,
taché de terre, couvert d’annotations et de calculs pour convertir en système
métrique les pieds et pouces… Coleman est l’un des meilleurs maraîchers du
monde. Perrine et moi avons pour lui à peu près la même vénération qu’un
sadak hindou pour son gourou !
À force d’entendre parler de ses méthodes dans nos formations, l’une de
nos stagiaires, Elsa Petit, a proposé de traduire The Winter Harvest
Handbook. Devant notre enthousiasme, elle a travaillé tambour battant. Nous
avons fait découvrir le livre à Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani,
directeurs d’Actes Sud, passionnés par tout ce qui touche à l’agroécologie
(Jean-Paul est du reste ingénieur agronome de formation), et ils ont accepté
de le publier3.
Et puis… à l’automne 2013, pour la sortie de l’édition française baptisée
Des légumes en hiver : produire en abondance, même sous la neige, Eliot en
personne est venu passer quelques jours dans notre ferme, en compagnie de
son épouse, Barbara Damrosch, elle-même jardinière hors pair, pour donner
une formation éblouissante devant soixante-dix personnes ! Quelques jours
passés en compagnie également de Philippe Desbrosses, pionnier de
l’agriculture bio en France, qui est pour nous un père spirituel. Philippe et
Eliot s’étaient connus trente ans plus tôt dans les instances internationales de
l’agriculture biologique. Ces deux jeunes septuagénaires nous donnaient à
voir ce que la fraîcheur, l’enthousiasme et l’engagement d’une vie pouvaient
accomplir. Et Barbara n’est pas en reste !
Une vie de jardinier-maraîcher
C’est toujours un privilège de rencontrer des personnes qui vont jusqu’au
bout de leur rêve… Dès le premier repas, nous soumettons Eliot et Barbara à
un interrogatoire en règle !
“Quand j’étais gosse, raconte Eliot dans un français presque parfait, j’avais
tellement d’énergie… Aujourd’hui on me mettrait sous tranquillisants !” Eliot
évoque sa première carrière comme enseignant. Il semble avoir été plus
intéressé par la vie en plein air que par les salles de classe. Très sportif, il
pratique l’escalade et le canoë, adorant relever les défis, se dépasser. Reculer
les limites est son obsession. Il suffit qu’on lui dise qu’une montagne est
impossible à gravir pour qu’il s’y frotte ! “Nous, les alpinistes, confie-t-il,
nous cherchons toujours l’élégance de la voie.” C’est cette attitude qu’il a su
magistralement appliquer à sa démarche de paysan : l’élégance, c’est
accomplir beaucoup avec une grande économie de moyens et sans effort
apparent.
À la fin des années 1960, Eliot a trente ans. Après avoir été objecteur de
conscience, puis avoir crapahuté d’une montagne à l’autre, il se trouve face à
un défi de taille : transformer une forêt de conifères, acquise pour une
poignée de dollars auprès d’un couple de pionniers du bio désireux de
favoriser son aventure, en une ferme. Eliot se met à abattre les arbres à la
hache pour ouvrir une clairière dans sa forêt, découvrant un sol de sable et de
cailloux, au pH de 4,5, donc très acide, impropre aux cultures maraîchères.
Rien de très original en cela, l’histoire des États-Unis est pleine de pionniers
un peu fous appliquant les recommandations du président Abraham Lincoln :
“La population va augmenter rapidement, plus vite que dans les temps passés,
et bientôt le plus valable de tous les arts sera l’aptitude à tirer une existence
confortable de la plus petite parcelle de terre4.”
Mais là où Eliot se démarque des pionniers d’antan, c’est qu’il fait, deux
fois par mois, trois heures de voiture pour aller s’enfermer dans la
bibliothèque d’une université et dévorer tout ce qui a trait à l’agriculture
naturelle. Très vite, son inextinguible curiosité le pousse à s’envoler pour
l’Europe. En France, Eliot part à la rencontre des derniers héritiers de la riche
tradition maraîchère parisienne. À l’automne 1974, il éprouve un véritable
choc en découvrant, à Blainvilliers, dans la banlieue sud de Paris, les jardins
maraîchers de Louis Savier. “Aucune autre visite n’a été aussi décisive pour
l’évolution de mes pratiques de maraîcher que celle du jardin de Louis
Savier, écrit Coleman. Les notes que j’ai prises à l’époque reflètent ma
surprise et mon admiration. La qualité était partout : dans l’agencement des
parcelles, dans les rangs bien nets et bien serrés, dans les rangées de châssis
et de couches chaudes, dans le sol sombre couleur chocolat et, surtout, dans
les légumes éclatants de santé… J’ai compris jusqu’où on pouvait pousser le
soin apporté aux cultures. Je lui ai rendu visite trois fois avant qu’il ne prenne
sa retraite, en 1996. Chaque visite était plus impressionnante que la
précédente5.”La France devient dès lors une étape privilégiée pour les
voyages d’études que multiplie Eliot.
La carrière d’Eliot connaît ensuite bien des tournants. Il dirige une ferme
expérimentale, devient pour deux années directeur de l’Ifoam (la Fédération
internationale des mouvements d’agriculture biologique), conseille divers
projets et conçoit des outils innovants, avant de reprendre en main sa Four
Season Farm à la fin des années 1990. Eliot a alors à son actif deux livres, qui
sont devenus des références aux États-Unis : The New Organic Grower6 et
Four-Season Harvest7. Il entame la rédaction d’un nouveau livre, auquel il
travaillera dix années durant, qui deviendra Des légumes en hiver. Il a
maintenant acquis une expérience internationale unique de la
microagriculture et exploite pleinement ses possibilités. Très vite, la Four
Season Farm d’Eliot et de Barbara devient un modèle de microferme, belle,
productive et généreuse. Sous son influence, des dizaines de milliers de
petites fermes ont germé un peu partout aux États-Unis, où le mouvement est
maintenant solidement établi, alors qu’il reste balbutiant dans l’Hexagone.
La Four Season Farm
La Four Season Farm est située sur la côte nord-est des États-Unis, un endroit
rude où le thermomètre descend régulièrement à – 25 degrés Celsius en hiver.
La spécialité d’Eliot est précisément de faire pousser d’excellents légumes au
cœur de l’hiver. C’est infiniment plus difficile et plus technique que les
cultures estivales. Eliot fut l’un des premiers à développer les techniques de
double couverture des cultures et les serres déplaçables.
La première préoccupation d’Eliot est son sol. Il est parti, nous l’avons
évoqué, d’un sol impropre aux cultures, qu’il a patiemment transformé en une
merveilleuse terre maraîchère. “Quand je fais des analyses de sol, nous
confie-t-il, c’est comme un bulletin scolaire : j’ai A + partout !” Il lui a fallu
bien des années pour y parvenir, en associant des cultures d’engrais verts et
des apports importants et réguliers de compost. La ferme est aujourd’hui si
intensément cultivée qu’il n’y a plus de place pour les engrais verts dans les
rotations, mais Eliot réalise toujours avec grand soin son compost.
Il nous fait part d’une observation très intéressante : lorsque le sol devient
sain et vivant, bien équilibré, les ravageurs disparaissent. Il a à de
nombreuses reprises constaté qu’une perturbation ponctuelle du sol entraînait
le retour des ravageurs. Il lui est arrivé, par exemple, d’enlever un gros rocher
au milieu d’une planche de culture et de reboucher le trou avec la terre
disponible alentour. La culture suivante se voyait attaquée uniquement à cet
endroit. Cette observation m’a beaucoup frappé. Elle est une invitation de
plus à concentrer ses soins sur le sol, qui est le socle vivant sur lequel se
fonde notre activité de paysans.
Eliot a donc créé son sol, renouant en cela avec les pratiques des anciens
maraîchers parisiens. Dans la littérature moderne de l’agriculture bio, on ne
parle plus de créer du sol. Comment le pourrait-on lorsque l’on travaille à
l’aide d’engins mécanisés sur de grandes surfaces ? Un hectare comportant
généralement de 2 000 à 7 000 tonnes de terre arable, il serait extrêmement
difficile et onéreux de la transformer complètement. C’est un argument de
plus en faveur de la microagriculture : en cultivant de petites surfaces sous
forme de buttes permanentes, il devient possible de transformer un substrat
ingrat en une terre d’excellente qualité. On ne le dira jamais assez : l’un des
secrets de la productivité des microfermes, c’est l’attention portée au sol. On
devient créateur d’humus !
Les secrets d’une haute productivité
L’un des aspects les plus intéressants du travail de Coleman est la grande
cohérence d’un système fondé sur des planches permanentes
de 75 centimètres de large. Nous retrouvons la technique des buttes
permanentes, dont les nombreux intérêts ont été évoqués au chapitre 8. En
choisissant de se passer le plus possible de mécanisation8, Coleman a pu
densifier considérablement ses cultures. Le tracteur en effet impose des
plantations en ligne, avec des inter-rangs suffisamment larges pour les
passages de roues et pour les outils. Eliot a cherché jusqu’où il est possible de
densifier les cultures. Progressivement, il a diminué ses inter-rangs et
travaille maintenant, pour les petits légumes comme les carottes, les radis, les
jeunes pousses, avec des intervalles de 6,5 centimètres. Il a conçu un
merveilleux semoir manuel à six rangs qui permet, en deux passages, de
semer douze rangs de petits légumes avec une grande précision. Rapidement,
les feuilles des légumes se rejoignent, couvrant toute la surface de la planche
qu’elles protègent de l’érosion, limitant l’enherbement.
On peut constater l’intérêt de ce semoir de précision en le comparant avec
un tracteur qui, sur une planche de 75 centimètres de large, ne pourrait semer
que trois rangs environ. Entre les rangs la terre resterait nue, lessivée par les
pluies, grillée par le soleil, porte ouverte au développement des adventices.
Ne pas inviter les plantes pionnières
Le désherbage est l’un des grands défis de l’agriculture biologique et il n’est
pas inutile de se pencher sur ce que nous appelons communément les
“mauvaises herbes”. Les adventices sont généralement des plantes pionnières
qui ont vocation à s’installer sur les sols dégradés. Rappelons que, dans la
nature, la terre n’est jamais à nu, ou alors il s’agit d’un accident. Les plantes
pionnières remplissent donc une fonction importante : elles sont capables de
pousser sur un sol très pauvre, résistent à la sécheresse et aux ardeurs du
soleil, et permettent alors l’arrivée de générations de végétaux plus délicats.
Elles sont donc programmées pour pousser très vite et supporter des
conditions hostiles ! Chaque fois que nous laissons à nu la terre de nos
jardins, nous envoyons un appel aux plantes pionnières qui s’empressent de
la coloniser, pour la réparer. Lorsqu’on comprend mieux leur implantation
dans la nature, il devient plus facile de ne pas créer les conditions favorables
à leur développement, ou alors de faire alliance avec elles et de tirer profit de
leur extraordinaire vitalité.
Revenons au semoir manuel à six rangs d’Eliot Coleman. Cet outil simple
est très performant en termes économiques. Son coût initial est réduit – il
vaut moins de 600 dollars, à comparer avec le coût d’un tracteur – et son coût
d’exploitation est nul. Il permet de semer douze rangs de légumes au lieu de
trois. Coleman écrit que, lorsqu’il est passé des semoirs maraîchers habituels
à ce semoir de précision à six rangs, il a quasiment doublé ses rendements. Je
mets au défi quiconque de trouver une innovation agricole qui permette de
doubler ses rendements pour 600 dollars ! Cela n’existe pas.
Mais l’intérêt de ce semoir est également fort sur le plan écologique. Le
système de planches plates permanentes pour lesquelles il est conçu est
respectueux du sol, et les pratiques culturales permettent à ce sol d’être
densément habité par des racines et des micro-organismes qui vont
naturellement le rendre de plus en plus vivant.
Cet outil reste perfectible, Eliot y travaille avec l’équipe de Johnny’s
Seeds, une coopérative de semences et d’outils qui est son principal
partenaire et distribue ses créations9.
Un système agraire cohérent et efficace
Au tracteur, Eliot a progressivement substitué tout un ensemble d’outils
manuels ou électriques spécialement conçus pour son système : des binettes
étroites pour travailler entre des rangs rapprochés ; un mini-motoculteur
actionné par une perceuse électrique sur batterie, qui ne travaille que les
premiers centimètres du sol et ne remonte donc pas les graines d’adventices
enfouies ; une récolteuse à jeunes pousses, alimentée de même par une
perceuse… Et ce n’est pas fini : Eliot nous a griffonné les plans d’un porte-
outil électrique, un outil polyvalent permettant d’effectuer différentes tâches
sur les planches permanentes ; je suis persuadé qu’il a encore plein d’idées…
Les rendements de la Four Season Farm sont tels que ses 8 000 mètres
carrés cultivés permettent de salarier deux ouvriers permanents et quatre
saisonniers l’été, en plus d’Eliot et de Barbara. Eliot se dit satisfait lorsque le
chiffre d’affaires au mètre carré cultivé atteint 25 dollars par an. Rapporté à
l’hectare, le chiffre d’affaires est de 200 000 dollars, environ 150 000 euros,
alors qu’en France le résultat moyen d’un hectare de maraîchage bio semble
tourner autour de 30 000 euros (les légumes bio sont toutefois sensiblement
mieux valorisés aux États-Unis). Chiffre à méditer par ceux qui doutent
encore de l’efficacité d’un système maraîcher bio-intensif !
Derrière les techniques : une éthique
Si Eliot a conçu et développé un système technique aussi performant, c’est
parce qu’il est animé d’une vision : multiplier les microfermes, qui
permettent de nourrir les communautés locales avec des produits sains et
naturels, tout en offrant une bonne qualité de vie aux paysans. L’engagement
non violent de sa jeunesse s’est transformé en pratiques agricoles
respectueuses de la terre et des gens. “Le capitalisme et le communisme ont
essayé de détruire les petites fermes car elles sont indépendantes, juge-t-il.
Mais je vois en elles l’avenir de l’agriculture.”
Eliot dirige toujours sa ferme et n’a aucunement l’intention de s’arrêter.
“Pas de retraite, lâche-t-il, je mourrai dans mes jardins ! Si j’arrêtais de
travailler la terre, je cesserais aussi d’écrire. Je ne veux parler que de ce que
je pratique.” Barbara est tout aussi investie, se lève à quatre heures pour
travailler au jardin, à ses livres ou à sa chronique hebdomadaire pour le
Washington Post, trouve le temps, chaque vendredi, de cuisiner pour toute
l’équipe…
Eliot regarde devant lui, donne tout ce qu’il peut, son temps, ses idées –
aucun de ses outils n’est breveté, ils doivent servir à cet essor des small
farms qui lui tient tant à cœur. “Copiez-les ! Améliorez-les !” nous conseille-
t-il. La générosité est l’une des caractéristiques du bonhomme, qui est arrivé
chez nous chargé comme le père Noël de magnifiques outils de sa
conception ! N’a-t-il pas cédé à certains de ses ouvriers des parcelles de terre
pour quelques dollars, le prix auquel il les avait achetées quarante ans plus
tôt ?
Durant les trois jours passés ensemble, nous avons pu observer à quel point
Eliot est maraîcher jusqu’au bout des ongles. Dans chaque jardin il touche la
terre, se penche pour observer les légumes, se renseigne sur les variétés.
J’aime voir ses yeux se plisser et son regard devenir extraordinairement
intense lorsqu’un sujet l’intéresse. Nous sommes surpris et touchés de nous
découvrir une telle communauté d’intérêts et les soirées se prolongent,
jusqu’à ce que Philippe Desbrosses prenne sa guitare pour pousser la
chanson – n’a-t-il pas été musicien avant de devenir paysan ? Eliot n’est pas
homme à s’épancher mais, au moment de nous quitter, il évoque sa relation
avec la nature, son pacifisme… “En montagne, j’ai appris à ne pas avoir peur
de la mort. La peur de la nature est liée à notre angoisse de la mort. Je me
positionne différemment. Je n’ai pas peur des ravageurs, par exemple !”
“Votre ferme est magnifique, elle justifiait le voyage, you are a power
couple ! nous lance-t-il avec humour alors que sa voiture démarre. Je vais
planter des arbres dans mes jardins, essayez de ne pas couper les vôtres avant
mon retour !”
Les applications à la Ferme du Bec Hellouin
Nous avons découvert les travaux de Coleman à peu près en même temps que
ceux de Jeavons, après deux années de culture sur des buttes rondes. Nous
devenions conscients de certains inconvénients des buttes rondes, en
particulier pour le semis direct. La forme arrondie des buttes nous interdisait
d’utiliser notre semoir maraîcher mécanique (à un rang). Les semis pratiqués
à la main, “à la volée”, sont plus aléatoires : on a parfois la main un peu
lourde, ou alors on sème trop clair, ce qui ne favorise pas des rendements
élevés et réguliers.
Quand nous découvrons les planches plates et le semoir à six rangs, nous
sommes donc tout à fait mûrs pour les adopter, sans renoncer pour autant aux
buttes rondes, que nous apprécions beaucoup. Nous développons depuis un
système où cohabitent des buttes rondes, de différentes tailles, et des planches
plates standardisées à 80 centimètres de largeur. Cela nous convient
parfaitement, chaque type de butte ayant ses avantages et ses inconvénients.
– Les planches plates, que nous appelons planches Coleman, sont idéales
pour le semis direct. Nous les utilisons également pour des repiquages. Elles
demandent plus de soins que les buttes rondes et sont moins autofertiles,
nécessitant l’apport de compost entre chaque culture ou presque. Toute notre
serre fonctionne ainsi.
– Les buttes rondes sont plus “naturelles” et demandent moins
d’interventions. Leur forme les rend parfaitement adaptées aux repiquages,
mais nous continuons parfois d’y effectuer des semis directs à la volée. Nous
cherchons à les garder couvertes d’un mulch aussi souvent que possible.
Nous ne les alimentons plus en compost.
Les deux systèmes sont donc complémentaires, l’un est plus “anthropisé”
que l’autre.
Toutefois, nous nous sommes autorisé quelques modifications au système
de notre maître Eliot ! Influencés par l’approche permaculturelle, nous
posons un mulch sur les planches plates quand c’est possible, pour des
cultures longues comme les tomates, concombres, poivrons, aubergines, par
exemple.
La principale modification apportée est l’association de plusieurs cultures
sur une même planche. Je me suis souvent demandé pourquoi Coleman ne
pratique pas ces associations, qui étaient quasi systématiques chez les
maraîchers parisiens du XIXe siècle dont il s’est tant inspiré. Lorsque je lui ai
posé cette question, il m’a répondu que, ses rotations étant très étudiées et
complexes, il ne souhaite pas les compliquer davantage.
Il me semble que les résultats économiques que nous obtenons sont en
grande partie le résultat de ces associations de cultures. Nous semons par
exemple douze rangs de carottes sur une planche, puis dans la foulée douze
rangs de radis. Ensuite nous repiquons au milieu une rangée de salades. Les
radis sont récoltés en premier, puis c’est le tour des salades, qui sont
remplacées par des choux. Nous ne faisons que reproduire une association
classique du XIXe siècle. Et ça marche !
Dans la serre, lorsque nous implantons les cultures estivales (tomates,
concombres, poivrons, aubergines), nous repiquons entre elles des salades et
semons des radis ou des navets en bordure des planches. Puis les salades sont
remplacées par des pieds de basilic. Lorsque les cultures estivales sont en
pleine production vers le mois d’août, et le basilic en fin de course, nous
pouvons remplacer ce dernier par des céleris branches, par exemple, qui
seront récoltés à l’automne deux semaines après la fin des cultures estivales.
Ainsi, au lieu d’avoir une seule culture, nous en menons quatre ou cinq sur le
même laps de temps et la même surface de sol. Tout ce petit monde cohabite
sans trop se gêner.
Chacun élabore un système qui lui ressemble. Eliot Coleman est
remarquablement organisé et méticuleux, ses jardins sont impeccablement
ordonnés. Personnellement, j’aime un système un peu plus flou, où les
cultures se mélangent, avec des arbres partout, sans quoi je m’ennuie. Perrine
préfère quelque chose de plus sauvage encore : elle vénère les adventices et
déteste lorsque je fauche les orties de sa forêt-jardin. L’un comme l’autre,
nous apprécions de mener tout un tas d’expériences parfois originales, même
si cela ne fonctionne pas toujours aussi bien que nous le souhaiterions. Cela
permet quand même de tomber parfois sur une pépite…
Chacun doit se sentir à l’aise et épanoui dans son système. Il nous semble
très pertinent de butiner ici et là des “bonnes pratiques” et de concocter sa
propre synthèse. C’est ce qu’a brillamment réalisé notre ami québécois Jean-
Martin Fortier, émule lui aussi de Coleman.
Le jardinier-maraîcher du Québec
Perrine, toujours elle, qui passe ses soirées sur Internet, a un jour identifié
une petite ferme québécoise, la Ferme de la Grelinette, qui utilisait
sensiblement les mêmes techniques et outils que nous – et pour cause, ceux
de Coleman –, et obtenait des résultats fort honorables. Nous avons alors
commencé à correspondre avec son sympathique créateur, Jean-Martin
Fortier.
À l’automne 2012, Jean-Martin a publié un manuel pratique d’un grand
intérêt, Le Jardinier-Maraîcher10. Cet ouvrage décrit en détail le
fonctionnement de la Ferme de la Grelinette. Jean-Martin est un excellent
maraîcher, tout aussi à l’aise dans son rôle de pédagogue. Avec sa compagne,
Maude-Hélène Desroches, il a réussi à implanter une microferme dont les
résultats économiques surprennent le monde agricole du Québec.
Au printemps 2013, nous avons la joie d’accueillir Jean-Martin au Bec
Hellouin pour une formation, et passons ensemble d’agréables moments à
échanger sur nos pratiques. Jean-Martin se décrit comme “maraîcher de
famille”. Avec cette décontraction par rapport à l’argent qui caractérise les
Nord-Américains, il assume sans complexe que leur principale préoccupation
en créant leur ferme était de mettre en place une exploitation rentable, leur
permettant de prendre plusieurs mois de congés en hiver. Les achats
relativement importants de fertilisants, le fait de chauffer les serres au
printemps, le recours à des engins mécaniques de petite taille s’intègrent à
cette vision. Maude et lui ont rapidement atteint leur objectif : la production
est abondante, les légumes magnifiques, les clients fidèles, ils ont créé trois
emplois sur moins d’un hectare, et, au final, l’impact écologique de leur
ferme est beaucoup plus réduit que celui d’exploitations maraîchères
mécanisées de taille égale.
Nous conseillons vivement, à tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin
à la microagriculture, la lecture des livres de Coleman et de Fortier. Ils leur
feront gagner des années dans leurs réalisations. Nous espérons que la
littérature française, à la traîne d’une génération sur ces thématiques par
rapport au monde anglo-saxon, comblera bien vite son retard ! Sans que nous
l’ayons prémédité, la Ferme du Bec Hellouin a servi de trait d’union entre les
deux rives de l’Atlantique, et nous remercions nos amis d’Amérique de nous
avoir permis tant de découvertes. L’une des plus enthousiasmantes fut
assurément de découvrir, dans les livres de Jeavons et de Coleman, notre
héritage, celui des maîtres maraîchers parisiens du XIXe siècle !
1 Communication personnelle.
2 Eliot Coleman, The Winter Harvest Handbook, Chelsea Green Publishing, 2009.
3 Eliot Coleman, Des légumes en hiver : produire en abondance, même sous la neige, Actes Sud, 2013.
4 Cité par John Jeavons, op. cit.
5 Eliot Coleman, Des légumes en hiver, op. cit., p. 34.
6 Eliot Coleman, The New Organic Grower : A Master’s Manuel of Tools and Techniques for the
Home and Market Gardener, Chelsea Green Publishing, 2e éd., 1995.
7 Eliot Coleman, Four-Season Harvest : Organic Vegetables from your Home Garden all Year Long,
Chelsea Green Publishing, 2e éd., 1999.
8 Coleman dispose tout de même de deux tracteurs et d’un gros motoculteur professionnel, mais ils ne
sont utilisés que très occasionnellement.
9 Johnny’s Selected Seeds : leur site, www.johnnyseeds.com, est intéressant, illustré de nombreuses
vidéos didactiques. Il est possible de leur commander les outils de Coleman. L’expédition est rapide.
10 Jean-Martin Fortier, Le Jardinier-Maraîcher, Écosociété, coll. “Guides pratiques”, 2012.
XI
LES JARDINIERS-MARAÎCHERS
PARISIENS DU XIXe SIÈCLE
Il y a cent soixante-dix ans paraissait le premier manuel pratique des
cultures maraîchères de Paris, une mine d’informations pour tous ceux
qui désirent aujourd’hui cultiver la terre sans pétrole ni machinisme.
La culture intensive des légumes, telle qu’on la pratique dans les jardins
professionnels où l’eau et le compost sont aisément disponibles, diffère
des cultures de légumes habituelles dans ce sens qu’elle doit être un
processus ininterrompu tout au long de l’année, avec souvent de
nombreux légumes différents plantés ensemble sur une même pièce de
terre.
J. CURÉ2
Nous avons été surpris, au cours de notre enquête, de constater que nous
n’avions rien à inventer, qu’un grand nombre de pratiques agricoles
intéressantes avaient été élaborées et pratiquées, parfois des millénaires
durant. Il suffit en quelque sorte de les redécouvrir, de les adapter à notre
contexte et à notre époque, de les enrichir de la confrontation avec les
sciences du vivant contemporaines… La magie des temps modernes nous
permet, en tous lieux et sans nécessiter un grand niveau d’études, d’avoir
accès à des sources documentaires inépuisables. La principale difficulté
consiste, paradoxalement, à ne pas se noyer dans cette complexité. Il convient
d’élaborer une synthèse cohérente, ce que nous tentons de faire au Bec
Hellouin. Nous cherchons à identifier les lignes fortes caractérisant un
système agricole allant dans le sens de la vie, les grandes règles qui seront
ensuite capables d’inspirer des réalisations très diverses, adaptées aux sols, au
climat, au contexte social et humain de chaque ferme.
“L’agriculture biologiquement intensive date de quatre mille ans en Chine,
de deux mille ans en Grèce et de mille ans en Amérique latine, écrit John
Jeavons. De fait, c’est ainsi que les Mayas faisaient pousser leur nourriture,
dans les jardins familiaux, de manière très locale. C’est l’une des raisons pour
lesquelles leur culture a survécu, alors que d’autres s’effondraient autour
d’eux3.” Qu’est-ce qui a permis à certaines formes d’agriculture de traverser
les siècles sans épuiser les sols, de nourrir une population nombreuse, de
soutenir, bien souvent, une civilisation raffinée, alors que d’autres modèles
ont entraîné une désertification des terres cultivées ?
Parmi les multiples formes qu’a pu prendre la microagriculture de par le
monde, l’une des plus abouties a été menée à Paris et dans sa banlieue, au
cours du XIXe siècle, jusqu’à ce que l’essor de l’urbanisation et l’arrivée de la
mécanisation fassent sombrer dans un relatif oubli cette riche tradition.
Paradoxalement, le monde anglo-saxon a gardé une vive admiration pour les
cultures maraîchères intensives de Paris, probablement parce que des
maraîchers londoniens avaient fait le voyage pour étudier les pratiques de
leurs collègues parisiens, et que plusieurs auteurs anglophones, comme
William Robinson et le prince Pierre Kropotkine4, avaient évoqué le sujet.
Les usagers de la ligne 9 du métro parisien savent-ils que la station
“Maraîchers”, ouverte en 1933, a été baptisée ainsi en l’honneur des
nombreux maraîchers des collines de Belleville et de Montreuil ?
Les jardiniers-maraîchers parisiens, de grands précurseurs
Les jardiniers-maraîchers parisiens du XIXe siècle étaient parvenus à un
niveau d’excellence que peu de maraîchers contemporains atteignent : qui, de
nos jours, peut se targuer de réaliser jusqu’à huit ou neuf rotations de cultures
par an, et de produire, sans aucune forme de mécanisation et sans une goutte
d’énergie fossile, des salades toute l’année, des melons, concombres, fraises
et tomates dès avril-mai ?
À l’heure où nombre d’élus rêvent de réintroduire l’agriculture au cœur des
territoires urbains et périurbains – il s’agit même d’une tendance mondiale –,
l’exemple des maraîchers parisiens représente un extraordinaire précédent.
Durant toute la seconde moitié du XIXe siècle, il semble que Paris ait été
autosuffisante en légumes frais produits intra-muros, en toutes saisons. La
production de la capitale, diversifiée et d’une grande qualité, s’exportait
même vers les marchés londoniens !
L’histoire des jardiniers-maraîchers parisiens est peu connue avant la
Révolution française. L’art des cultures légumières avait réalisé un bond en
avant à l’époque de Louis XIV, sous l’impulsion de maîtres jardiniers comme
La Quintinie, qui expérimenta, dans le potager du roi, les ancêtres des châssis
dans les années 1670 et 16805. Une nouvelle catégorie professionnelle, les
jardiniers-maraîchers, s’était alors progressivement développée au cœur
même de Paris. Ils formaient une “caste” à part, dont les connaissances
s’affirmaient de génération en génération. En 1780, un jardinier-maraîcher du
nom de Fournier fit, le premier, usage de châssis pour ses cultures, ouvrant
ainsi une nouvelle ère à la profession, celle des cultures forcées, réalisées
sous abri, à l’aide d’une source de chaleur naturelle que nous allons décrire.
Des témoignages de première main
Le premier témoignage détaillé sur la vie et les pratiques des jardiniers-
maraîchers fut le Manuel pratique de la culture maraîchère de Paris,
émouvant document rédigé par deux praticiens, Moreau et Daverne, et publié
en 1845. Cet ouvrage décrit de manière exhaustive les cultures, les outils et
l’organisation même de la profession à cette époque. Voici la description que
donnent Moreau et Daverne de leurs confrères, dans cette capitale
bouleversée, tout au long du XIXe siècle, par de profonds mouvements
sociaux : “Les maraîchers de Paris forment la classe de travailleurs la plus
laborieuse, la plus constante, la plus paisible de toutes celles qui existent dans
la capitale. Quelque dur, quelque pénible que soit son état, on ne voit jamais
le maraîcher le quitter pour en prendre un autre. Les fils d’un maraîcher
s’accoutument au travail, sous les yeux et à l’exemple de leur père, et presque
tous s’établissent maraîchers. Les filles se marient rarement à un homme
d’une autre profession que leur père. Quoique le métier soit très dur, le
maraîcher s’y attache6.”
D’autres livres ont suivi7, jusqu’à la Première Guerre mondiale et au-delà,
qui permettent de suivre l’évolution du métier de producteurs de légumes au
sein d’une grande capitale, en des temps à la fois tout proches et déjà
lointains tant nos modes de vie ont changé.
Les jardiniers-maraîchers disposaient de “marais” – le nom encore donné à
leurs jardins, en souvenir de l’époque où les cultures légumières étaient
menées en zones humides –, de petite taille, dans les espaces laissés libres par
l’urbanisation, bien plus lâche qu’aujourd’hui. En 1845, les cultures vivrières
dans l’enceinte de Paris couvraient environ 1 378 hectares, divisés
en 1 800 jardins – chaque jardin mesurait donc environ 7 650 mètres carrés.
Ils employaient 9 000 personnes, soit 5 personnes en moyenne par jardin : le
maître maraîcher et son épouse, des hommes à la journée, et une fille ou un
garçon à gages, le plus souvent des enfants8. Le travail de
ces 9 000 jardiniers-maraîchers suffisait à alimenter la capitale en légumes.
L’urbanisation croissante faisait monter les prix du foncier et repoussait
progressivement les maraîchers vers la périphérie, à l’intérieur et à l’extérieur
des fortifications de la ville, dont le contour fut plusieurs fois redessiné. Les
producteurs exerçant leur métier dans la cité étaient pénalisés par le coût des
terrains, et soumis à la concurrence des maraîchers installés à la campagne,
parfois fort loin de Paris, où les charges liées au foncier étaient beaucoup
moins élevées. Pour rester économiquement compétitifs, les jardiniers-
maraîchers parisiens ont été constamment acculés à améliorer leurs
techniques, ce qu’ils ont réalisé en travaillant sur deux axes principaux :
produire toute l’année et produire davantage par unité de surface. Ils
pouvaient ainsi proposer à la vente des légumes durant la saison hivernale et
au début du printemps, alors que leurs collègues hors les murs n’avaient rien
à vendre, et mieux rentabiliser chaque pouce de terrain. Ces contraintes
expliquent, me semble-t-il, leur niveau d’expertise inégalée.
Comment parvenaient-ils à ces résultats, et en quoi ceux-ci peuvent-ils
nous intéresser, nous, jardiniers et maraîchers du IIIe millénaire ? Il y a
certainement beaucoup à apprendre de la lecture de leurs manuels ; nous
n’aborderons dans les pages qui suivent que les points essentiels.
Créer du sol
Les jardiniers-maraîchers accordaient un soin extrême à leur terre. L’un
d’eux a pu écrire qu’ils étaient les “orfèvres du sol”. Ils devaient littéralement
créer leur sol, lorsque celui-ci ne correspondait pas à leurs critères. Ils
disposaient pour cela de quantités quasi illimitées de fumier, puisque la
traction hippomobile était la norme dans le Paris de l’époque. En compostant
de grandes quantités de fumier au cœur même de la cité, ils rendaient un
grand service à la métropole, et illustraient deux des principes de la
permaculture :
– tout produit d’un système qui n’est pas réutilisé à l’intérieur de celui-ci
devient un polluant à l’extérieur ;
– les déchets de l’un doivent devenir la ressource d’un autre.
Créer du sol était un long processus : “Quand un jardinier-maraîcher
s’établit sur un terrain neuf qui n’a pas encore été cultivé en marais, il lui faut
quelques années pour rendre la terre meuble et facile à cultiver. Pendant ces
quelques premières années, les engrais nécessaires pour rendre la terre fertile
peuvent être considérables9.” C’était une grande perte pour un jardinier-
maraîcher que de devoir quitter son marais, chassé par l’urbanisation, pour
recommencer ailleurs.
Il convient de souligner que cette approche a été quasiment oubliée avec
l’essor de la mécanisation et l’apparition des engrais industriels – chimiques
ou organiques. Nous l’avons évoqué, dans la pratique créer du sol n’est
possible que sur de petites surfaces, et encore, à condition de disposer de
ressources importantes en matière organique. Lorsque les maraîchers et les
agriculteurs ont bénéficié d’engins mécanisés permettant à une seule
personne de travailler des surfaces importantes, le “progrès” ne fut pas réalisé
dans tous les domaines : du point de vue des sols, la mécanisation constitue le
plus souvent une régression, par l’érosion et la déstructuration qu’elle
engendre. Il est devenu techniquement quasiment impossible de transformer
réellement le sol de ces surfaces, en raison de leur taille et de la quantité de
matière organique nécessaire. Créer du sol est également devenu moins
nécessaire du fait des engrais solubles. Les agriculteurs ont progressivement
cessé de nourrir le sol pour qu’il nourrisse les plantes, et commencé à
nourrir directement les plantes avec des engrais solubles. Le résultat, dans la
durée, n’est absolument pas comparable, car la première approche crée de
l’humus, tandis que la seconde en détruit. Nous y reviendrons.
Produire toute l’année
Dans leur effort pour alimenter la capitale en légumes frais produits
localement, douze mois sur douze, les jardiniers-maraîchers ont fait preuve
d’une inventivité admirable. Ils ont utilisé la ressource en fumier,
surabondante, pour générer de la chaleur en plus de la fertilité, grâce au
système des couches chaudes. Toute l’année, la charrette qui partait
quotidiennement en fin de nuit livrer les légumes “à la halle” rapportait au
marais un chargement de fumier. À l’automne, les maraîchers réalisaient les
premières couches chaudes, mélangeant pour cela du fumier frais et du
fumier ayant déjà chauffé. Les couches pouvaient être réalisées dans des
tranchées ou sur le sol, en empilant soigneusement le fumier. Sur ces couches
étaient ensuite posés des châssis vitrés ou des cloches de verre – chaque
maraîcher en possédait un nombre important. Les jeunes plants étaient semés
en pépinière, puis généralement repiqués deux fois, de manière à optimiser
l’espace. La chaleur dégagée par le fumier en décomposition permettait aux
végétaux de pousser même au cœur de l’hiver, au prix d’incroyables efforts
de la part des maraîchers qui veillaient, de jour comme de nuit, à protéger
leurs cultures du gel. Si la chaleur diminuait, des réchauds – empilements de
fumier frais – étaient montés autour des cloches et des châssis. Ceux-ci
étaient couverts, la nuit ou par grand froid, de paillassons en paille de seigle,
parfois sur deux ou trois couches, fabriqués par les maraîchers eux-mêmes, le
matin à la chandelle ou le soir à la veillée, faute de temps durant la journée.
Les contraintes liées à la manutention de milliers de cloches et de centaines
de châssis, qu’il fallait aérer ou au contraire couvrir, semblent
invraisemblables à notre époque : “Le maraîcher, pendant sept mois de
l’année, travaille dix-huit et vingt heures sur vingt-quatre, et, pendant les cinq
autres mois, ceux d’hiver, il travaille quatorze et seize heures par jour, et bien
souvent encore, il se lève la nuit pour interroger son thermomètre, pour
doubler les couvertures des cloches et des châssis qui renferment ses plus
chères espérances, son avenir, qu’un degré de gelée peut anéantir10.”
Le fumier décomposé se transformait en fertilisant pour le sol. Des apports
généreux de compost, sous forme de terreau répandu sur les semis, et des
apports de paillage, léger lit de fumier déposé en mulch entre les plants,
permettaient d’améliorer la fertilité et de soutenir l’énorme production.
Les associations de cultures
Comme bien souvent, la réussite des jardiniers-maraîchers parisiens
s’explique par la mise en œuvre d’un ensemble de stratégies complémentaires
convergeant vers un même but. Les associations de cultures faisaient partie
de ces stratégies ; elles se révèlent particulièrement intéressantes pour notre
époque. Nos confrères du XIXe siècle, dans leur effort pour tirer la
quintessence de chaque mètre carré cultivé, associaient avec art les légumes.
Les descriptifs de leurs cultures comportent des informations précieuses sur
les associations éprouvées de l’époque : les laitues étaient cultivées avec des
carottes ou des radis, des épinards, du persil, puis remplacées par des choux-
fleurs – on parlait alors de contre-planter la culture suivante, avant que la
précédente n’ait été récoltée en totalité. Voici une définition de cette
technique, tirée d’un ouvrage de l’époque : “On appelle contre-plantation
l’art de faire pousser des plantes sur un terrain déjà occupé par des légumes
dont la croissance est beaucoup plus rapide. Cette pratique est fréquente chez
les jardiniers-maraîchers, qui veulent tirer de leur terrain tout le parti possible
[…]. Ainsi, dans un carré d’œilletons d’artichauts plantés en automne, on
sème des fèves ou l’on plante des choux entre les rangs. Si on plante les
artichauts au printemps, on met entre les rangs des pommes de terre ou des
laitues romaines d’été, etc. Mise en pratique dans un jardin bien cultivé, cette
opération double les produits ; mais elle devient nuisible dans un jardin dont
la culture n’est pas très soignée11.”
Applications à la Ferme du Bec Hellouin
Le paysage a certes profondément changé depuis l’époque où Paris était
émaillé d’une multitude de jardins vivriers. Pourtant, par bien des aspects,
nous allons probablement revenir à un contexte qui ne sera pas sans analogies
avec celui des jardiniers-maraîchers de jadis. Les contraintes posées par la
crise économique, écologique et sociale dans laquelle notre société s’enfonce
vont nous mener à reconsidérer en profondeur les techniques agricoles qui
ont prévalu au cours des décennies passées.
La mécanisation, liée à la disponibilité de ressources abondantes et bon
marché en énergies fossiles, a fait disparaître des pratiques entièrement
manuelles d’une très haute efficacité. Il est en effet indéniable que la quantité
de nourriture produite, par mètre carré cultivé et par calorie investie, était
incomparablement plus élevée dans les “marais” parisiens de 1850 que dans
les fermes maraîchères de 2014. Cette efficacité des pratiques manuelles n’a
pas été perçue à l’époque où le monde agricole vivait le grand virage de la
mécanisation, tant la machine décuplait le travail du paysan et allégeait sa
peine.
La réussite des jardiniers-maraîchers, qui assuraient à Paris une sécurité
alimentaire exceptionnelle, peut devenir une source d’inspiration pour
demain. Au cours des dix à vingt années à venir, il va devenir nécessaire de
subvenir aussi localement que possible aux besoins de nos communautés, car
la nourriture ne pourra plus voyager d’un bout à l’autre de la planète. Mais
comment relocaliser la production vivrière au cœur des villes ? Le tracteur
n’y a pas sa place car la terre agricole y est devenue beaucoup trop rare et
trop chère. Seules des formes de jardinage bio-intensif peuvent s’y loger. Dès
lors, l’héritage des jardiniers-maraîchers nous met sur la voie de possibles
solutions. Nous avons cité en exergue I. Ponce, qui affirmait en 1869 pouvoir
“fournir en légumes l’alimentation de mille individus par la culture d’un
terrain dont la superficie n’en nourrirait pas cinquante12”. Nourrir mille
personnes sur un mouchoir de poche, n’est-ce pas le rêve de nombre d’élus ?
C’était possible il y a cent cinquante ans, et cela l’est bien davantage encore
aujourd’hui, car nous disposons d’atouts de taille dont ne bénéficiaient pas
nos précurseurs.
À la Ferme du Bec Hellouin, plusieurs pratiques des jardiniers-maraîchers
d’antan nous inspirent.
Prendre soin du sol
Au Bec Hellouin, nous y sommes quotidiennement confrontés, en raison de la
pauvreté du substrat sur lequel nous menons notre activité maraîchère. La
microagriculture nous donne le pouvoir d’aggrader le sol, de créer de
l’humus.
Une question se pose : dans la phase initiale de création de sol, quelle
quantité de matière organique apporter ? La législation actuelle limite
l’apport d’azote à des seuils acceptables pour les nappes phréatiques13. Mais
des apports de matière organique élevés, réalisés ponctuellement sur de très
petites surfaces, restent possibles dans le respect de la législation. À chacun
de voir selon son contexte.
Quelle matière organique est localement disponible, en ville notamment ?
Les sabots des chevaux ne résonnent plus dans les artères de nos cités ! Mais
la concentration élevée de la population y offre en abondance des déchets de
cuisine à composter, sans parler de l’“humanure” cher aux Anglo-Saxons, le
“fumier humain”, qui pourrait être valorisé, même s’il n’est pas directement
épandu dans les jardins maraîchers. Composter in situ une partie des déchets
de la ville permettrait de reboucler les cycles de la matière organique. Avec
un peu d’imagination, ce problème serait simple à résoudre car le compostage
est une activité facile et peu technique, pouvant même être réalisée à l’échelle
individuelle ou familiale.
Pratiquer le non-agir, c’est œuvrer dans l’inaction, goûter ce qui est sans
saveur, grandir le petit, augmenter le peu, répondre aux offenses par la
vertu, élaborer le difficile dans le facile, faire de grandes choses avec ce
qui est ténu. Dans l’univers, les choses difficiles doivent se faire par le
facile. Les grandes choses peuvent s’accomplir par l’imperceptible.
Tao-te-king
Les paysans d’Asie ont été, depuis quatre mille ans, les champions d’une
agriculture jardinée. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux. Perrine ayant
vécu et travaillé six ans au Japon et en Chine, elle a une profonde affinité
avec l’Extrême-Orient. Des connexions ont ainsi pu s’opérer au fil des ans.
“Juste assez”, les enseignements du Japon traditionnel
Le Japon a connu une profonde crise écologique au cours du XVIe siècle. Sa
population avait alors fortement augmenté, mettant à mal les ressources
naturelles de ces milieux insulaires aux reliefs fortement marqués, disposant
de peu de terres cultivables. Explosion démographique, déforestation,
érosion, appauvrissement des eaux côtières, conflits d’intérêts entre les cités
grandissantes et les campagnes avaient plongé le pays dans une situation qui
paraissait sans issue, une profonde crise systémique qui n’est pas sans
rappeler notre contexte actuel. Alors qu’ailleurs dans le monde de brillantes
civilisations n’ont pas survécu à de telles secousses, une réaction remarquable
a permis de refonder la civilisation japonaise sur des bases durables, durant la
période Edo tardive (1603-1868), jusqu’à ce que le Japon s’ouvre aux
influences occidentales et à l’industrialisation.
Au début de la période Edo, pratiquement toutes les terres cultivables
étaient exploitées, nourrissant à peine 12 millions de personnes. Ces terres
étaient, pour la plupart, en voie d’épuisement. Deux cents ans plus tard, au
terme d’une période de restauration écologique généralisée, ces mêmes terres
nourrissaient largement 30 millions de personnes. La déforestation avait été
contrôlée et des arbres replantés. Les terres avaient retrouvé leur fertilité. À
tous les niveaux, les acteurs de la société coopéraient en vue de trouver le
juste équilibre entre les besoins des humains et ce que les îles pouvaient
offrir. Le niveau de vie avait progressé, les Japonais étaient bien nourris,
décemment logés et vêtus, leur niveau de santé était bon. Un résultat peut-être
inégalé ailleurs, hier comme aujourd’hui.
Ces avancées étaient le fruit d’une bonne gouvernance et de progrès
techniques, en matière d’agriculture et d’hydrologie notamment. “Mais, par-
dessus tout, ce succès était dû à une attitude mentale persuasive qui soutenait
tous les autres mécanismes. Cette attitude reposait sur une compréhension du
fonctionnement et des limites inhérentes à l’environnement naturel. Elle
encourageait l’humilité, considérait le gaspillage comme sacrilège, suggérait
des solutions coopératives et trouvait du sens et de la satisfaction dans une
belle forme de vie, dans laquelle chaque individu puisait dans le monde
environnant juste ce qu’il lui fallait pour vivre, et rien de plus… Cette
mentalité du « juste assez » a guidé la vie quotidienne de millions
d’individus, dans tous les secteurs de la société1.”
Les pionniers de l’agriculture naturelle au Japon
La sobriété qui a permis de refonder la société japonaise nous interpelle :
saurons-nous faire preuve de la même sagesse, alors que tout nous pousse à la
consommation frénétique ? Il n’y avait pas de matraquage publicitaire dans le
Japon du XVIIe siècle…
Le choc fut violent, lorsque la société japonaise passa de l’ère Edo à des
modes de production et de consommation occidentalisés, radicalement
différents. On comprend pourquoi certaines figures charismatiques ont
émergé, au cours du XXe siècle, s’élevant contre l’industrialisation de
l’agriculture et prônant un retour à des valeurs d’équilibre et de respect.
Quasiment inconnu en France, Mokichi Okada (1882-1955), naturaliste et
agronome, a développé une agriculture naturelle reposant sur un profond
respect du vivant, bannissant donc logiquement le recours aux molécules
chimiques. Il a fondé Shumei, une organisation environnementale mais aussi
spirituelle, qui s’intéresse notamment aux liens unissant paysans et
consommateurs. Mokichi Okada avait grandi à Tokyo dans une extrême
pauvreté et souffrait d’une santé fragile. Sa vie fut traversée d’épreuves, d’où
le désir de s’appuyer sur les valeurs essentielles. Il percevait l’agriculture
comme un art et pensait que la relation que nous établissons avec le sol et les
cultures a le pouvoir de changer nos vies. Shumei propose une profonde
connexion, physique et spirituelle, entre l’humanité et la nature, et nous invite
à respecter son intégrité, ce qui passe par une compréhension des lois
d’équilibre, d’harmonie et d’interaction qui la régissent.
“Il y a une relation entre le simple fait de cultiver et de consommer notre
nourriture, et la question plus vaste de cultiver un monde plus pacifique2”,
écrivait Okada. Selon Shumei, le paysan peut être l’artisan fécond d’une
reconnexion entre nos contemporains et la nature, le rythme des saisons, leur
corps et leur santé, par le biais des aliments sains qu’il produit. Dans ce pays
qui a vu naître les premières formes de partenariat entre consommateurs et
producteurs, les teikei, chez nous baptisés Amap3, Shumei milite pour une
relation fondée sur la reconnaissance mutuelle : gratitude des consommateurs
pour les paysans, dont le travail leur procure des produits sains, et gratitude
des paysans pour les consommateurs, dont l’engagement dans la durée leur
permet de vivre dignement de leur métier. Son message, toutefois, s’est
mieux propagé à l’étranger qu’au Japon car il y est moins connoté de
considérations religieuses. Le renommé Rodale Institute teste actuellement
ses techniques aux États-Unis.
Un révolutionnaire aux pieds nus
Un autre précurseur japonais devait atteindre une renommée mondiale :
Masanobu Fukuoka, dont le livre La Révolution d’un seul brin de paille4 a
marqué une génération de lecteurs. Comme Okada, Fukuoka entre en réaction
contre la dérive productiviste du Japon au sortir de la Seconde Guerre
mondiale. Il intègre ses considérations sur l’agriculture naturelle dans une
perspective plus large, une réflexion sur le devenir de notre monde et des
considérations spirituelles. Il est considéré comme l’un des membres
fondateurs de l’agriculture biologique, avec l’Autrichien Rudolf Steiner, le
Suisse Hans Müller, l’Anglaise Lady Eve Balfour et l’Américain Jerome
Irving Rodale.
Fukuoka préconise une “agriculture du non-agir”. Comment comprendre
ce concept ? Certains de ses émules européens se sont plus focalisés sur le
non-agir que sur l’agriculture, offrant le spectacle de jardins envahis, très peu
productifs, ce qui a pu discréditer l’agriculture naturelle auprès de nombreux
acteurs du monde agricole ; cependant, d’après ses disciples, Fukuoka
travaillait beaucoup. En reprenant et améliorant les méthodes traditionnelles,
il était parvenu, au terme de décennies de recherches, à élaborer dans ses
rizières une forme d’agriculture pérenne aussi productive que les fermes les
plus intensives du Japon.
L’agriculture du non-agir se réfère explicitement au “non-agir” qui sous-
tend la pensée taoïste. C’est un concept difficile à pénétrer pour nous autres,
Occidentaux, qui privilégions fortement l’action dans notre rapport au
monde. Le non-agir, tel que je le perçois, ne signifie pas l’absence d’action,
mais plutôt la priorité donnée à la quête d’un positionnement intérieur
parfaitement ajusté. Si l’harmonie et la sérénité règnent au sein du
microcosme que nous sommes, nous sommes en phase avec les énergies
puissantes à l’œuvre dans le cosmos, car tous les êtres sont habités de la
même énergie. Dès lors, notre simple présence influe sur ces forces, de
manière subtile. L’ordre que nous avons su mettre en nous s’étend au monde
qui nous entoure. Nous générons, avec un minimum d’efforts, une
transformation positive de notre environnement. Ce positionnement intérieur
juste ne peut naître que d’une longue pratique de la méditation, d’une écoute
et d’une acceptation profondes de ce qui est. Ainsi s’accomplit ce paradoxe :
œuvrer dans l’inaction, accomplir de grandes choses par l’imperceptible.
Appliqué à l’agriculture, ce concept est une invitation à :
– entrer dans une observation profonde de la nature environnante, pour
comprendre intimement les forces à l’œuvre. Privilégier la lenteur, le respect,
l’attention ;
– éviter de nuire, d’affaiblir le potentiel vital du milieu. Nombre de gestes
de l’agriculteur sont à reconsidérer : le travail du sol, l’application de
substances toxiques… Cela suppose de chercher à faire moins, plutôt que
faire davantage ;
– en conséquence, ne réaliser que les actions indispensables qui vont dans
le sens de la vie.
Bokashi ( ) et autres potions magiques
Est-ce la spiritualité taoïste qui a incité les paysans japonais à s’intéresser,
depuis des temps immémoriaux, à des formes de fertilité invisibles et
pourtant terriblement puissantes ? Des siècles avant l’invention du
microscope et la découverte de la vie bactérienne, ces paysans réalisaient,
chez eux, des cultures de micro-organismes utiles au sol, véritables “potions
magiques”. En stimulant la vie microbienne de leurs terres, ils jouaient, de
manière subtile et élégante, avec un minimum d’efforts, sur les forces
invisibles qui gouvernent la grande alchimie de la fertilité. Lorsque l’on sait
qu’une cuillère à soupe de sol sain contient jusqu’à 1 000 milliards de micro-
organismes, on comprend l’efficacité d’une approche qui favorise la
multiplication de ces invisibles auxiliaires.
En 2010, Perrine est retournée au Japon, invitée à participer à un colloque
sur les circuits courts. Ce fut pour elle l’occasion de séjourner – trop
brièvement – chez des paysans japonais. Elle fut fascinée par la qualité de la
terre noire de leurs petits champs amoureusement soignés et découvrit, dans
chaque ferme, le bokashi, cette préparation associant divers types de déchets
domestiques d’origine végétale ou animale pour en faire un engrais liquide
hautement concentré en bactéries efficaces.
Le fait de cultiver les micro-organismes utiles du sol frappa profondément
l’imaginaire de Perrine. Cela lui sembla plein de sens et elle se passionna
aussitôt pour cette piste, qu’elle creuse assidûment depuis. Sa démarche est
essentiellement intuitive – même si elle lit de nombreuses publications
scientifiques, nous ne disposons pas à la ferme d’appareils de mesure
permettant de valider ou d’infirmer la pertinence de ses préparations. Ce qui
l’a interpellée en premier lieu, c’est que, comme la plupart des paysans
pratiquant la culture sur buttes, nous souffrons d’une surabondance de
limaces. Ces dernières sont des détritivores, fort prospères car nos buttes leur
offrent à la fois le gîte (des paillis confortables) et le couvert (une abondance
de matière organique peu décomposée). Perrine pensa donc que, si nous
parvenions à décomposer cette matière organique plus rapidement, nous
assainirions nos sols. De plus, les analyses de sols réalisées à la ferme ont mis
en évidence le fait que les nutriments sont en partie bloqués par un excès de
calcium. Augmenter les populations de micro-organismes qui rendent
biodisponibles les nutriments pouvait être une piste passionnante à explorer.
Fermentation ou décomposition ?
De retour du Japon, Perrine entreprit de fabriquer son bokashi au Bec
Hellouin, mais une fois de plus, à l’époque, la documentation sur ce sujet
était rare. Par une amusante synchronicité – elles sont fréquentes à la ferme –,
la semaine suivante un grand agronome japonais vint passer une journée avec
nous. M. Kawaï est un entrepreneur réputé, qui a notamment inventé les tapis
de graines présemés. Lors du déjeuner, nous lui demandons s’il connaît le
bokashi. M. Kawaï a un petit rire contenu, avant de nous répondre (en
japonais, bien sûr) : “Chers amis, j’ai créé la première usine de bokashi du
Japon !” Il s’ensuivit une correspondance durant laquelle il conseilla Perrine
sur le choix des souches utiles.
En japonais, bokashi signifie “matières organiques fermentées”. Ce type de
préparation est, par nature, différent du compostage : ce dernier consiste en
une décomposition aérobie (en présence d’oxygène) de la matière organique,
tandis que le bokashi est une fermentation anaérobie (en l’absence
d’oxygène). Les avantages de la fermentation sont nombreux : rapidité,
absence de rejets de gaz organiques à effet de serre5, concentration des
nutriments. Une fois incorporé au sol, le bokashi viendra développer les
“bonnes bactéries”, favorisant un sol riche, bien structuré et sain. Il a
également un effet dépolluant. Les adeptes du bokashi considèrent
généralement que la fermentation est plus noble que la décomposition, et
certains traitent même de pourriture nos tas de compost ! Ma fermière,
heureusement, ne s’aventure pas dans ces extrêmes, et nous cherchons
ensemble comment améliorer nos pratiques au vu de ces influences
exotiques.
La microbiologie des sols est fort complexe et en partie mal connue. Pour
nous, jardiniers et paysans, quelques points de repère simples se révèlent
précieux. Il est possible de classer les micro-organismes en trois catégories6.
– Les dominants négatifs sont les agents de la pourriture. Ils favorisent les
maladies et représentent environ 10 % de l’ensemble des micro-organismes.
– Les dominants positifs ont une action de régénération. Ils nourrissent les
plantes, renforcent leur système immunitaire et améliorent leur résistance aux
maladies et parasites. Ils représentent également 10 % des micro-organismes.
– Les neutres sont des opportunistes : ils imitent les dominants positifs et
négatifs, alignant leur action sur celle du groupe dominant. Ils forment
les 80 % restants.
On comprend tout l’intérêt qu’il y a à renforcer les dominants positifs :
l’effet levier sur l’ensemble de la population microbienne est puissant.
Lorsque le sol est occupé par de “bonnes bactéries”, les agents pathogènes et
les parasites trouvent la place prise.
Le processus de fermentation anaérobie du bokashi est similaire à ceux
utilisés pour la fabrication d’aliments bien connus, à savoir la fermentation
lactique (ou lacto-fermentation) : la choucroute, le levain et le vinaigre, en
Occident, mais aussi le kimchi des Coréens, le natto et le tofu des Japonais, le
tempeh des Indonésiens, le kefir, le kombucha et tant d’autres. Ces aliments
fermentés ont un effet positif sur la flore intestinale et la digestion.
Les intérêts du bokashi sont multiples. Cette préparation efficace est
relativement simple à fabriquer, et chaque petit paysan, où qu’il soit, peut le
produire dans sa ferme en valorisant les déchets domestiques et naturels, sans
qu’il soit nécessaire d’utiliser une source d’énergie quelconque.
Voici donc un engrais gratuit, autoproduit, non dépendant des énergies
fossiles, de ce fait décentralisé à l’extrême. Le bokashi enrichit les sols et
assure l’autonomie du paysan, qui maîtrise lui-même sa production de
fertilisants. C’est l’exact contre-pied de l’approche industrielle de la fertilité.
Derrière le choix du type d’engrais utilisé se cachent donc des conceptions du
monde radicalement opposées.
Une cuisine pour la terre
Perrine, depuis trois ans, s’est donc lancée dans de multiples préparations, et
la maison s’est remplie de bocaux et bidons aux contenus incertains, parfois
étonnamment odorants… Ma fermière préférée se passionne également pour
les préparations culinaires faisant appel aux micro-organismes et à la lacto-
fermentation, très bénéfique pour la santé. Elle raffole du kimchi, cette
préparation coréenne qui n’a pas encore, avouons-le, séduit le reste de la
famille… Même si nous la blaguons un peu avec ses cultures de bonnes
bactéries, ses “recettes de sorcière”, je reconnais qu’il y a quelque chose de
fascinant à voir ma femme préparer avec tant de soins et d’amour une
véritable cuisine pour la terre. Elle nourrit notre famille de plats vivants,
réalisés sur le même principe que ceux qu’elle concocte pour le sol.
Nous ne pouvons pas, faute d’investigation scientifique, mesurer la teneur
en micro-organismes de ses bokashi. Nous avons toutefois pu constater que
des semis de graines de betteraves dans des bacs identiques, si ce n’est que le
terreau de l’un d’eux avait été enrichi avec de la terra preta7 imbibée d’une
solution de micro-organismes, présentaient au bout de trois semaines une
différence frappante : dans le bac enrichi aux micro-organismes, les plantules
étaient deux à trois fois plus hautes que leurs consœurs !
On trouve depuis quelques années dans le commerce divers fertilisants,
liquides ou en granulés, faisant appel aux micro-organismes efficaces (ME en
français, EM en anglais). Ce type de fertilisants est autorisé par la
réglementation européenne de l’agriculture bio.
Le Korean Natural Farming
Il y a une profonde satisfaction à pouvoir réaliser soi-même, à la ferme, ses
propres préparations. Mais, en Europe, nous ne disposons pas des
connaissances des paysans japonais, ni des matières premières qu’ils utilisent
souvent (sang animal, déchets de poisson…). Pour lancer la préparation,
l’achat de souches de micro-organismes efficaces reste généralement
nécessaire. En approfondissant ses recherches, Perrine a découvert que,
lorsque l’on achète ces préparations commerciales, riches parfois d’une
soixantaine de souches bactériennes différentes, l’efficacité n’est pas
forcément au rendez-vous car de nombreuses souches exogènes meurent lors
de leur mise en terre, faute d’être adaptées au contexte local. L’idéal serait
donc de pouvoir mettre en culture les bactéries locales, de les multiplier avant
de les restituer au sol. Perrine chercha dès lors à maîtriser elle-même
l’ensemble du processus. Elle découvrit une approche intéressante, née en
Corée il y a une quarantaine d’années : le Korean Natural Farming, mis au
point par le Dr Cho Han Kyu. Cette méthode est pratiquée avec d’excellents
résultats dans certaines régions d’Asie et à Hawaii, mais reste quasiment
inconnue ailleurs.
Le Dr Cho préconise de recueillir les micro-organismes locaux en divers
points de la ferme, de manière à disposer d’un grand nombre de souches
locales de micro-organismes indigènes (MOI). Les cultures de MOI sont donc
de petites colonies de bactéries, de champignons et de protozoaires, très
économiques à mettre en œuvre puisque aucun achat n’est nécessaire, et dont
l’usage s’est révélé efficace sur le plan de la productivité des cultures et du
bétail.
“Ce dont vous avez besoin est déjà présent autour de vous”, explique Cho
Han Kyu. Contrairement aux micro-organismes efficaces du commerce, les
MOI, adaptés à l’environnement local, survivent aux conditions climatiques
changeantes. Des jus de plantes fermentés sont également utilisés, notamment
pour récupérer les hormones de croissance concentrées dans les jeunes
pousses latérales des végétaux au printemps (gourmands de tomate, par
exemple).
Après deux années d’étude du Korean Natural Farming, Perrine constate
toutefois que les protocoles à appliquer pour réaliser ces cultures de micro-
organismes sont complexes, excessivement peut-être. De plus, ils sont
formulés pour des climats tropicaux. Perrine en vient à penser qu’il doit être
possible de s’inspirer de ces diverses approches pour élaborer à la ferme des
préparations de micro-organismes simples à réaliser à partir des souches
autochtones. Ses recherches vont maintenant dans cette direction. En
cultivant elle-même ses souches de bactéries et de levures, elle obtient en
quelques jours des fermentations qui semblent intéressantes. Du reste, pour
fabriquer le pain de la famille, elle n’utilise plus de levain et le remplace par
un verre de liquide fermenté de sa fabrication : le pain est léger, sucré et d’un
goût très agréable.
Nous en venons à nous nourrir des mêmes bonnes bactéries que notre sol !
L’idée nous plaît beaucoup.
La terra preta – terre noire des Indiens
Au Bec Hellouin, nous nous sommes également passionnés pour la terra
preta. En brésilien, cela signifie “terre noire”. Au XIXe siècle, des
scientifiques ont été interpellés par la découverte, en différents points du
bassin amazonien, de taches de terre très noire d’une étonnante fertilité, dont
la superficie variait de quelques mètres carrés à plusieurs hectares. Cette terre
noire pouvait produire des récoltes substantielles pendant plusieurs dizaines
d’années sans s’épuiser. Cela était en totale contradiction avec ce que l’on
savait des terres amazoniennes : des sols latéritiques pauvres et lessivés par
les pluies abondantes, impropres à l’agriculture. Une question s’est alors
posée : ces zones de terra preta avaient-elles autrefois soutenu une
agriculture intense, et donc des populations importantes ? Pourtant, les
Amérindiens subsistant au XIXe ne formaient que des groupes épars, de faible
densité… Fallait-il accorder du crédit aux récits des conquistadors
espagnols : lors de la première descente du fleuve Amazone, ils avaient décrit
des villes importantes et très peuplées, ce qui avait ensuite été perçu comme
autant d’affabulations ? La présence de la terra preta semble attester
l’existence de denses peuplements amérindiens, qui n’auraient pas survécu à
la rencontre avec les Blancs.
L’étude scientifique de la terra preta montre qu’il s’agit bel et bien
d’anthroposols – des sols créés par les humains. Ils contiennent une forte
teneur en charbon de bois provenant du brûlis de la végétation lors de la mise
en culture, mais aussi des restes de la combustion des foyers domestiques.
Leur création est fort ancienne et date des temps précolombiens8. Cette terre
noire forme une couche qui a jusqu’à plusieurs mètres d’épaisseur !
Son extraordinaire fertilité provient du charbon de bois contenu dans la
terre, qui lui donne aussi sa couleur. En soi le charbon de bois n’est pas un
fertilisant, mais il contient un nombre extrêmement élevé de microcavités qui
améliorent considérablement la capacité des sols à retenir l’eau, tout en le
protégeant du lessivage, car ces microcavités sont autant de niches pour les
bactéries et les nutriments.
Depuis quelques années l’enrichissement de sols en charbon de bois est
testé avec succès, notamment en zone tropicale pour restaurer des terres
dégradées. Le charbon de bois fabriqué pour cet usage a été baptisé biochar
en anglais (contraction de bio charcoal, “charbon de bois bio”). Sa
fabrication est simple : les procédés varient, mais le principe est de brûler à
basse température des matériaux organiques en l’absence d’oxygène
(pyrolyse). Ces matériaux peuvent être du bois, mais aussi des déchets
comme les résidus de canne à sucre après broyage ou de la balle de riz, qui se
trouvent utilement valorisés. Le biochar est ensuite incorporé au sol. Il n’est
en principe pas dégradé par la vie microbienne du sol et peut rester en place
des siècles durant, comme la terra preta amazonienne.
De l’Amazonie au Bec Hellouin
La fabrication de biochar ne demande pas forcément des équipements
sophistiqués. À la ferme nous en avons d’abord fabriqué avec des fûts de
récupération, avant de commander à notre ami Vincent Legris, de la
Fabriculture9, une chaudière réalisée dans une citerne de récupération. Le
bois destiné au biochar est enfermé dans un bidon métallique (en
l’occurrence, un fût de 200 litres) ; la combustion est lancée en enflammant
du bois de petite section entourant le bidon, lui-même positionné dans la
chaudière. Au bout d’un moment le bois du bidon intérieur, chauffé en
l’absence d’oxygène, dégage des gaz qui s’échappent du bidon par quelques
trous (indispensables, les trous, pour que le tout n’explose pas !). Ces gaz
sont brûlés dans la chaudière et prennent le relais de la combustion. Il nous
semble important de réaliser le biochar dans un système à double paroi,
comme décrit, autorisant la combustion de ces gaz, car les systèmes plus
simples les rejettent dans l’atmosphère, où ils contribuent au réchauffement
climatique – ce qui n’est pas vraiment le but recherché.
Après quelques heures de combustion et une nuit de refroidissement, on
récupère dans le fût intérieur le charbon de bois cuit sous pyrolyse, qui peut
alimenter la forge ou le barbecue, ou être pulvérisé et incorporé au sol après
avoir trempé dans une solution de micro-organismes. Nous testons également
avec un laboratoire de l’Inra du biochar fabriqué industriellement en Italie.
Pour rester dans une logique permaculturelle, nous désirons ne pas perdre
la chaleur dégagée par la combustion de tout ce bois – rappelez-vous : chaque
élément doit remplir plusieurs fonctions ! Nous avons donc l’intention de
transformer notre chaudière en poêle de masse et de l’installer dans la serre.
Nous fabriquerons notre biochar durant des nuits froides de printemps,
lorsque les cultures estivales sensibles aux gelées auront été plantées.
Vous l’aurez compris : nous nous amusons beaucoup à tester diverses
solutions issues des quatre coins du monde. Explorer de nouvelles voies pour
l’agriculture est stimulant émotionnellement et intellectuellement. Tous les
soirs, les enfants couchées, Perrine se plante devant son ordinateur tandis que
je me plonge dans les livres (question de génération !). Nous avons chacun
nos marottes et toujours des choses à nous raconter ! “Prenez-vous des
vacances ?” nous demande-t-on parfois. Nous aimerions bien, mais
manquons de temps… et à dire vrai, au bout de quelques jours, la ferme nous
manque. Le boulot est tellement plus amusant que le farniente !
1 Azby Brown, Just Enough : Lessons in Living Green from Traditional Japan, Tuttle Publishing,
2012.
2 Dena Merriam, The Message in a Seed : Guidelines for Peaceful Living, Shumei International, 2007,
p. 8.
3 Amap : Association pour le maintien d’une agriculture paysanne. En Amérique du Nord, cette forme
d’organisation est baptisée CSA, Community Supported Agriculture (Agriculture soutenue par la
communauté). J’aime bien le sens de cette dernière dénomination.
4 Masanobu Fukuoka, La Révolution d’un seul brin de paille, Guy Trédaniel éditeur, 2005.
5 Voir à ce propos : Laurence Green, A Pilot Study Comparing Gaseous Emissions Associated with
Organic Waste Treated with and without Bokashi Fermentation, 2009. Consultable sur le site
www.bokashicycle.com.
6 Site Internet de l’entreprise Purin d’Orties et Cie, article “Les micro-organismes efficaces : EM,
www.purindortie-bretagne.com.
7 Nous allons présenter la terra preta p. 164 et suiv.
8 Voir “The real dirt on rainforest fertility”, Science, vol. 297, 9 août 2002, p. 921.
9 www.lafabriculture.fr.
XIII
GENÈSE D’UNE MÉTHODE
Une nouvelle approche de l’agriculture prend forme, plus productive et
plus naturelle. La méthode de la Ferme du Bec Hellouin est une synthèse
de nombreuses bonnes pratiques glanées en différents endroits du
monde, assemblées dans une vision permaculturelle.
JONATHON PORRITT1
RENÉ DUMONT1
Une équipe d’agronomes est venue passer avec nous le week-end du 1er mai
2010. Il y avait, entre autres, François Léger, alors directeur de l’unité de
recherche SAD-APT (AgroParisTech/Inra), Stéphane Bellon, responsable de
l’agriculture biologique pour l’Inra, et Cyril Girardin, chercheur spécialiste
des sols au sein du laboratoire Bioemco. Ne connaissant aucun de ces
scientifiques, étant encore fort débutants dans notre approche
permaculturelle, nous étions dans nos petits souliers à leur arrivée.
Après avoir fait connaissance, nous partons à la découverte de la ferme.
Durant la première matinée, nous avons juste… traversé l’île-jardin. François,
Stéphane et Cyril se montraient franchement intéressés par le système
empirique que nous avions créé en suivant notre intuition. Le reste du week-
end se passa en discussions passionnantes. Au moment de nous quitter,
Stéphane a résumé avec humour leur point de vue : “Nous ne sommes pas
assez loufoques pour créer un système pareil dans nos stations de recherche,
c’est pour cela qu’il nous intéresse !” Ce à quoi nous leur avons répondu que
nous étions très preneurs, pour notre part, de leur regard de scientifiques. Plus
tard, lors d’une réunion rassemblant différents praticiens en vue de créer un
réseau de fermes expérimentales en agroécologie, Stéphane a déclaré : “Ce
qui m’a interpellé à la Ferme du Bec Hellouin, c’est que, sur un espace qui ne
nourrirait pas une demi-vache, Perrine et Charles produisent une abondance
de nourriture.”
Les choses auraient pu en demeurer là, mais nous sommes restés en lien
avec eux, tout particulièrement avec François Léger. François est doté d’un
esprit très affûté, qui navigue en permanence aux confins de l’agronomie, de
la sociologie et de la philosophie. Très occupé par les responsabilités que lui
confère la direction d’une équipe d’une soixantaine de chercheurs et
l’enseignement du master 2 “Environnement, développement, territoires,
sociétés” à AgroParisTech, il trouve quand même le temps de visiter
périodiquement la ferme et ce sont à chaque fois des heures d’échanges
intenses, durant lesquelles nous le bombardons des nombreuses questions qui
émergent à mesure que nous avançons. Nombre des idées et concepts que
présente ce livre ont été éclairés par son regard.
Assez vite nous est venue l’idée d’une étude qui permettrait de donner un
fondement scientifique à l’approche développée à la ferme. Nous avons
rédigé ensemble un projet, dans lequel François définissait ainsi les axes de
l’étude :
Le postulat qui préside au partenariat entre scientifiques et exploitants de la Ferme du Bec Hellouin,
écrivait François dans le projet, est que celle-ci peut effectivement servir de support à la production
de références. L’étude proposée vise donc à produire des connaissances couvrant l’ensemble des
dimensions du système de production et de ses différents registres de performance… Elle servira de
base à une réflexion plus générale sur la nature même des références à produire sur le “maraîchage
agroécologique”. Elle contribuera à alimenter les réflexions scientifiques actuelles sur
l’agroécologie et ses principes.
L’étude lancée au Bec Hellouin, et c’est incontestablement l’un de ses principaux succès, a donc
servi de point de départ à un ensemble plus vaste de travaux qui ont tous pour ambition de proposer
des éléments pour construire des systèmes associant maraîchage et arboriculture fruitière sur de très
petites surfaces. Dans ces systèmes, l’attention portée aux cultures et à leur design d’ensemble
permettrait d’optimiser les interactions biologiques et d’obtenir ainsi un niveau significatif de
revenu, grâce à un haut niveau de productivité et à une très faible consommation d’intrants et
d’énergie fossile. Ces modèles, parce qu’ils exigent plus de réflexion et de travail que de capital,
sont des candidats de premier ordre pour redynamiser l’agriculture dans des espaces dont elle
paraissait exclue (villes et périphéries urbaines en particulier), contribuer à la recomposition
d’ensemble des systèmes alimentaires en rapprochant les producteurs et les consommateurs,
participer à la création d’emplois.
Les premiers résultats obtenus au Bec, finalement très convaincants malgré une année difficile,
nous invitent d’autant plus à poursuivre le travail engagé, dans un dialogue permanent et égal entre
chercheurs et producteurs.
Les résultats de cette première année, encore une fois, sont à prendre pour
ce qu’ils sont : une esquisse qui demande à être précisée. On ne construit pas
une étude agronomique en un an seulement ! Nous livrons ces résultats
intermédiaires uniquement parce qu’ils indiquent que la voie vaut la peine
d’être explorée.
Une ferme permaculturelle produit plus que de la nourriture, mais seule la
production légumière a été valorisée dans l’étude. On peut imaginer que
d’autres services rendus à la société soient un jour pris en compte, que des
collectivités territoriales, par exemple, au vu de l’impact positif que
l’installation d’un jardinier-maraîcher en ville peut entraîner pour la
communauté, prennent en charge tout ou partie des coûts de son installation.
L’impact sur la biodiversité
Les données chiffrées ne sont qu’un aspect de l’étude, elles ne doivent pas
occulter la dimension qualitative de ce type d’agriculture. Chemin faisant,
nous réalisons chaque année davantage les bénéfices écologiques générés par
une démarche bio-inspirée. La rencontre avec le Belge Gauthier Chapelle a
fortement contribué à cette prise de conscience. Gauthier est docteur en
biologie, ingénieur agronome, naturaliste, consultant, mais avant tout l’un des
pionniers du biomimétisme en Europe6. Lors de deux séjours à la ferme, il
attira notre attention sur la biodiversité qui s’était établie dans nos jardins.
Voici ce qu’il écrivit dans le second rapport intermédiaire de l’étude :
J’ai été d’emblée frappé par la présence importante et la diversité des espèces sauvages présentes
sur la ferme (sans parler de la diversité des espèces et variétés domestiquées). Si cette biodiversité
s’appuie en partie sur celle des biotopes rassemblés sur cette faible surface (eaux courantes,
dormantes, prairie, taillis, bois, etc.), je voudrais toutefois partager deux observations qui
permettent de donner un minimum de chair à ce qui est d’abord un ressenti instinctif.
La première observation de naturaliste concerne les oiseaux, et plus particulièrement un sous-
groupe de passereaux, une famille granivore par excellence, celle des Fringilles (dont un des plus
connus est le pinson). À ma grande surprise, les deux jours de la mi-juin m’ont suffi pour observer
sept espèces7 différentes, soit tous les nicheurs théoriques possibles de ce morceau de Normandie.
Mais le tout sur une exploitation agricole viable ! Waou ! Et ce dans un contexte de raréfaction
progressive des espèces autrefois communes (comme par exemple la linotte mélodieuse et le
bouvreuil8).
La seconde se rapporte aux insectes : notons déjà la présence d’éphémères et de plusieurs espèces
de libellules, dont le caloptéryx vierge, attestant la qualité écologique des milieux aquatiques de la
ferme. Mais j’ai surtout été interpellé par l’abondance d’un coléoptère rouge et noir bien particulier,
le clairon des ruches9 ; les adultes étaient présents sur de nombreuses fleurs différentes des potagers
et de la forêt-jardin, occupés à brouter, et donc à polliniser… Plus significatif surtout : leurs larves
sont elles-mêmes des parasites de plusieurs espèces d’abeilles solitaires, ce qui signe évidemment
une présence massive de ces dernières sur toute la ferme. Quand on sait leur rôle en termes de
pollinisation, complémentaire de celui des abeilles domestiques, on ne peut que se réjouir… Au-
delà de ces premières observations, je ne saurais que recommander d’affiner la connaissance et
l’évolution de la faune présente sur les différentes parcelles : il y a du boulot ! Et certainement des
étudiants que cela enchanterait…
Précisons que la présence de toute cette faune sur la ferme n’est pas un
souci : contrairement aux idées reçues, presque tous les animaux sauvages
sont de précieux auxiliaires !
L’impact sur le climat
Cette même année 2013, nous avons reçu la visite de l’ingénieur Jean-Marc
Jancovici, éminent spécialiste de la séquestration de carbone, et de ses
sympathiques équipes de The Shift Project et Carbone 4. Nous avons de
même échangé avec nos amis de Pur Project, créé par Tristan Lecomte, ainsi
qu’avec Jean-Philippe Beau-Douézy10, responsable des programmes de
reforestation de la Fondation Yves Rocher. Les discussions avec ces
spécialistes ont confirmé notre ressenti : ce type d’agriculture stocke du
carbone, même si cela reste difficile à quantifier, alors que l’agriculture
industrielle contribue massivement au réchauffement climatique. La
séquestration de carbone s’opère :
– dans les sols, qui s’enrichissent en matière organique (chaînes
carbonées) ;
– dans les arbres, omniprésents dans l’agroécosystème.
Le réchauffement climatique est probablement le principal défi du XXIe
siècle. Il est heureux d’envisager que l’agriculture puisse devenir l’un des
leviers permettant de contenir nos émissions de gaz à effet de serre à un seuil
acceptable.
En cette année 2013, notre septième saison de maraîchers, un basculement
s’est opéré en nous. Jusqu’à présent, nous cherchions à pratiquer notre métier
en cherchant à faire le moins de mal possible à la planète. Au vu de tous ces
éléments, nous avons compris que nous pouvions faire du bien, produire
beaucoup tout en régénérant le milieu environnant. Si une agriculture bio-
inspirée se généralisait, il deviendrait envisageable de nourrir toute
l’humanité tout en restaurant l’environnement dans lequel elle évolue. Cette
simple prise de conscience a donné encore plus de sens à ces recherches, et
une formidable énergie pour avancer.
Une étude très suivie
Dès la première année, cette étude a été suivie par un grand nombre
d’institutions, dans le monde agricole et au-delà. Perrine a été invitée à
intervenir lors de deux colloques organisés au Parlement européen à
Bruxelles, notamment “Nourrir l’Europe en temps de crise”, auquel
participait également Olivier De Schutter, le rapporteur des Nations unies sur
le droit à l’alimentation. J’ai présenté avec François l’étude lors du premier
colloque sur la recherche bio-inspirée, organisé par le ministère de
l’Environnement. Perrine est également intervenue dans un colloque de la
Soil Association en Angleterre, au colloque Eco Farm en Californie ainsi que
dans diverses rencontres.
Cette même année, la ferme a reçu le trophée Agriculture durable de
Haute-Normandie, et la mention Espoir de l’agriculture durable, décernée par
le ministère de l’Agriculture avec la mention suivante : “Perrine et Charles
Hervé-Gruyer, de la Ferme du Bec Hellouin en Normandie, pour leur effort
exceptionnel et l’expérimentation novatrice, pour leur génie inventif et leur
désir d’essaimer tout en prospectant des voies originales et prometteuses” –
signe que les institutions s’ouvrent à de nouveaux paradigmes.
Des responsables de collectivités territoriales, de grandes villes, voire de
capitales européennes viennent à la ferme pour réfléchir à la possibilité
d’implanter des microfermes sur leur territoire.
Il n’y a pas de mots pour exprimer notre reconnaissance envers François
Léger. Il faut une bonne dose d’audace pour engager une unité de recherche
sur un modèle alternatif. Grâce à ses compétences, et à la caution
qu’apportent les agronomes engagés dans l’étude et les institutions qu’ils
représentent, un début de fondement scientifique se construit autour d’une
pratique en complète rupture avec l’agriculture dominante.
Nous espérons qu’un nombre croissant de paysans osera explorer les
potentialités d’une agriculture bio-inspirée. Le partage des informations et
des expériences démultipliera l’impact de cette recherche et permettra
d’inventer collectivement l’agriculture post-pétrole.
1 Cité dans Jean-Paul Besset, René Dumont, une vie saisie par l’écologie, Stock, 1992.
2 Le projet initial et les rapports intermédiaires sont consultables sur le site www.fermedubec.com.
3 Durant les deux années suivantes, d’autres organismes sont venus épauler le projet : la Fondation
Terra Symbiosis, la Fondation Lunt, la Fondation Pierre Rabhi, la Fondation Picard.
4 François Léger, UMR SAD-APT Paris, AgroParisTech, agroécologie ; Christine Aubry, UMR SAD-
APT Paris, Inra SAD, agronomie ; Stéphane Bellon, UR Écodéveloppement Avignon, Inra SAD,
agroécologie ; Marc Dufumier, UFR Agriculture comparée et développement agricole, AgroParisTech ;
Philippe Desbrosses, Ferme de Sainte-Marthe, agronomie ; Pierre Stassart, université de Liège,
sociologie ; Gauthier Chapelle, Greenloop, biomimétisme ; Serge Valet, agronomie.
5 La microferme de La Bourdaisière a été lancée à l’initiative de Louis-Albert de Broglie, le dynamique
propriétaire du site, et de son collaborateur Maxime de Rostolan. Plus d’infos sur
www.fermesdavenir.org.
6 Gauthier Chapelle a fondé l’association Biomimicry-Europa et le bureau d’études Greenloop, basé à
Bruxelles. Le biomimétisme consiste à s’inspirer du vivant (ses formes, ses matériaux…) pour réaliser
ou optimiser des créations humaines : imiter le fonctionnement du cœur des baleines pour créer des
pacemakers sous forme de patch ; s’inspirer de la structure de la soie pour créer des matériaux plus
résistants que l’acier ; reprendre la forme des trompes des moustiques pour créer des aiguilles
indolores…
7 Le pinson des arbres (Fringilla coelebs), le verdier d’Europe (Chloris chloris), le chardonneret
élégant (Carduelis carduelis), la linotte mélodieuse (Linaria cannabina), le serin cini (Serinus serinus),
le bouvreuil pivoine (Pyrrhula pyrrhula) et le gros-bec casse-noyaux (Coccothraustes coccothraustes).
8 En déclin respectivement de 70 et 60 % en France sur les vingt dernières années.
9 Trichodes alvearius. À titre de comparaison tout aussi anecdotique : en deux jours en juin, j’ai pu
observer au moins une bonne vingtaine d’individus. Soit autant que toutes les observations belges
entrées sur la plate-forme www.observations.be entre le 1er juin et le 15 juillet !
10 Permaculteur engagé, Jean-Philippe Beau-Douézy est le fondateur de l’écocentre Le Bouchot :
www.lebouchot.net.
XV
LA FORÊT-JARDIN
Entre jardin et forêt, un nouveau modèle productif et écologique, issu
des régions tropicales du globe, fait son apparition en Europe. Donnant
la priorité aux arbres, il révolutionne notre approche de l’agriculture.
Une ville est sauvée, non pas par les hommes intègres qui l’habitent, mais
par les bois et les marais qui l’entourent.
ANTONIO GRAMSCI1
MARGARET MEAD2
1 Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Gallimard, 1996, t. I, cahier 3, p. 283. Traduction de Paolo
Fulchignoni, Gérard Granel et Nino Negri.
2 Prononcée chez Clemens Heller à Paris en 1949, cette célèbre phrase est rapportée par Nancy
Lutkehaus dans Margaret Mead : The Making of an American Icon, Princeton UP, 2008 (traduction de
l’auteur).
3 Toutes ces données sont issues du rapport Planète vivante du WWF, paru en 2012, p. 36.
4 Surface nécessaire pour subvenir durablement aux besoins d’une personne et absorber ses déchets.
5 Oxfam, En finir avec les inégalités extrêmes, 20 janvier 2014. Consultable sur www.oxfam.org.
6 Une enquête du Réseau mondial des écovillages (GEN) a ainsi calculé qu’à Findhorn – un écovillage
se situant en Écosse –, un habitant a en moyenne une empreinte écologique deux fois plus légère que
celle d’un habitant du Royaume-Uni… ce qui reste encore trop !
7 Voir “Farmers’ Handbook”, www.permaculture.org.au, 2010.
8 Voir “Libro : Permacultura criolla”, www.permacultura-es.org, 2010.
9 Part de l’alimentation dans l’empreinte écologique des Européens : 30 % selon Our Ecological
Footprint, 20 % selon Enviro-meter, études citées dans Patrick Whitefield, The Earth Care Manual, op.
cit. Part de l’alimentation dans l’empreinte carbone des Français : 22 % selon une présentation d’Alain
Grandjean en 2013 ; 31,6 % selon Jean-Marc Jancovici dans l’article “Combien de gaz à effet de serre
dans notre assiette ?” paru en janvier 2010 sur son blog (www.manicore.com). Ce dernier chiffre
englobe en effet les camions transportant notre nourriture, une partie de l’énergie utilisée par les
supermarchés ou pour effectuer les trajets domicile-supermarché, etc. En fait tout dépend des
paramètres que l’on inclut ou que l’on exclut lorsqu’on parle d’alimentation.
10 Synthèse de différentes études réalisées par Datamatch : “World Energy Outlook”, Agence
internationale de l’énergie, 2013 ; The Shift Project, www.tsp-data-portal.org ; Jean-Marc Jancovici,
www.manicore.com ; US Energy Information Administration, www.eia.gov, et d’autres. Cette synthèse
est publiée dans le Paris Match no 3369 du 9 au 18 décembre 2013.
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 Janine M. Benyus, op. cit., p. 38.
15 Ibid., p. 39.
16 Patrick Whitefield, The Earth Care Manual, op. cit. Voir également sur le site d’IBM
(www.ibm.com) : “Un régime optimisé pour une planète plus intelligente”.
17 Étude citée dans Nicolas Lampkin, Organic Farming, Farming Press, 2003.
18 Sébastien Debande, La Permaculture, un intérêt économique, 2010 (mémoire téléchargeable sur
http://fr.scribd.com/doc/32224788/LA-PERMACULTURE-UN-INTERET-ECONOMIQUE ?).
19 Voir Jean Berthier, Les Routes, les ponts et les parcs de stationnement, Techniques de l’ingénieur,
10 août 2010, tableau “Évolution du parc automobile français”, www.techniques-ingenieur.fr.
20 Voir Institut national d’études démographiques, “France-Allemagne : histoire d’un chassé-croisé
démographique”, Population & Sociétés, no 487, mars 2012.
21 Voir Jean-Noël Jeanneney et Jeanne Guérout, Jours de guerre, Les Arènes, 2013.
22 David Holmgren, Permaculture : principes et voies pour revenir à une société soutenable, Rue de
l’Échiquier, coll. “Initial(e) s DD”, 2014.
23 Les forêts tropicales produisent chaque année 2 200 grammes de matière organique sèche par mètre
carré en moyenne ; les forêts tempérées caduques, 1 200 grammes ; les prairies tempérées,
600 grammes ; les terres cultivées de tous climats, 650 grammes. D’après Patrick Whitefield, The Earth
Care Manual, op. cit., p. 22.
24 C’est ce que réalise le mouvement Colibris, fondé par Pierre Rabhi et Cyril Dion, en diffusant
activement des solutions “qui marchent” : www.colibris-lemouvement.org.
25 D’après la revue Sources, no 26, p. 86.
XVII
TRAVAILLER À LA MAIN
Contrairement aux idées reçues, cultiver à la main présente de
nombreux avantages et peut se révéler d’une haute productivité !
– L’humus, la partie vivante et fertile du sol, est créé par les végétaux, les
animaux, les micro-organismes et l’ensemble des processus biologiques à
l’œuvre dans le sol. Les vers jouent un rôle déterminant dans l’écologie du
sol. En moyenne, les 250 000 vers présents sur 1 hectare ingurgitent chaque
année entre 300 et 600 tonnes de terre2. En cinquante ans, c’est l’ensemble du
sol d’une parcelle qui passe par le tube digestif des vers de terre, ce qui faisait
dire à Aristote, il y a deux mille quatre cents ans, qu’ils sont les intestins de la
terre. Il y a (en poids) plus de vers de terre en France que d’êtres humains sur
Terre. Ils représentent en moyenne plus d’une tonne à l’hectare3. Dans
certains contextes permaculturels, comme la forêt-jardin de Mouscron, où le
sol n’a pas été travaillé depuis quarante ans, le poids des vers de terre
atteint 3 kilos par mètre cube4 ! Or les vers sont vulnérables au passage des
engins mécaniques, particulièrement aux lames rotatives des motoculteurs et
rotovators.
– La fertilité du sol est le fruit de la synthèse entre des éléments d’origine
minérale et des éléments d’origine organique, synthèse opérée par des
processus biologiques. On estime qu’au moins 95 % des terres arables de la
planète ont été créées dans des milieux forestiers5.
– Le sol est détruit par les machines. Les passages répétés d’engins
mécanisés se font au détriment de la partie vivante du sol, pour plusieurs
raisons, tant mécaniques que biologiques : le sol est déstructuré, tassé, ses
horizons sont retournés, les habitats des êtres vivants qui l’habitent sont
détruits.
– Du fait des quantités importantes d’oxygène qu’il introduit dans les sols,
le travail mécanique répété accélère la combustion de la matière organique.
Le carbone contenu dans la matière organique s’oxyde et est rejeté dans
l’atmosphère sous forme de gaz carbonique, contribuant au réchauffement
planétaire.
– Lorsque les sols deviennent pauvres en matière organique, ils ont
tendance à perdre leur structure et sont plus vulnérables au lessivage et à
l’érosion. L’essor de l’agriculture industrielle a fortement contribué à détruire
les terres arables de la planète. Ainsi, 5 à 10 millions d’hectares de terres
agricoles sont perdus chaque année dans le monde du fait d’une dégradation
sévère de l’environnement (sans compter l’artificialisation des sols)6.
Pourquoi labourer ?
Pourquoi donc, dès lors, depuis des siècles, voire des millénaires, des paysans
s’escriment-ils à labourer, à bêcher, à travailler leur terre ? Parce qu’ils y
trouvent un bénéfice à court terme, bien évidemment. Là encore, la réponse
est complexe. La terre arable cultivée a tendance à se tasser. Les adventices
sont souvent des plantes pionnières dont la mission est de coloniser les terres
à nu, nous l’avons vu. En supprimant tout couvert végétal, l’agriculteur
engendre les conditions favorables à leur prolifération. Le labour et le
bêchage permettent au paysan, en une opération relativement simple, de
décompacter son sol et de le désherber efficacement. De plus, l’apport massif
d’oxygène dans l’humus accélère le travail des bactéries et donc la
minéralisation de la matière organique, c’est-à-dire la mise à disposition des
plantes des nutriments qu’elle contient. L’effet du travail du sol est par
conséquent bénéfique à la croissance des plantes cultivées, dans un premier
temps. Mais, à moyen et long terme, il se fait au détriment du sol pour les
raisons évoquées. Selon Lydia et Claude Bourguignon, 2 milliards d’hectares
de terres arables ont été perdus en quatre mille ans de travail du sol7.
Le travail mécanisé prive l’agriculteur de la tendance naturelle des sols à
accroître leur fécondité. Il lui faut donc impérativement compenser la perte
de fertilité provoquée par les labours : le système est constamment sous
perfusion. S’il parvient à trouver un équilibre dans lequel les intrants
compensent les pertes, son système agraire peut se perpétuer. Un tel équilibre
a été atteint, à certaines époques et dans certains contextes, comme dans les
plaines du Nord de la France et de l’Angleterre durant la seconde moitié du
XIXe siècle, grâce à une alternance de cultures et d’herbages bien gérée. Mais
ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’alliance de machines de plus en plus
puissantes et d’engrais chimiques (qui accélèrent également la combustion de
la matière organique), et l’érosion qui en découle provoquent la perte massive
des terres arables évoquée précédemment.
Créer de l’humus
La culture sur buttes permanentes, qui repose sur le respect de la vie du sol,
suppose bien évidemment l’abandon du labour et du bêchage. En imitant,
autant que possible, les processus naturels, l’écopaysan cherche à concilier
deux nécessités en apparence antinomiques : obtenir une récolte abondante et
créer de l’humus, améliorer la fertilité du sol. Comment est-ce possible ?
– Dans la nature, le rythme de création de l’humus est généralement très
lent8. Des bonnes pratiques, comme celles évoquées tout au long de ces
pages, vont permettre de tirer la quintessence de cette tendance naturelle à
aller vers plus de fertilité, ce qui est déjà beaucoup.
– L’agriculteur peut aller plus loin si l’agrosystème n’est pas à l’équilibre9.
Par des apports de matière organique, par le compostage de ses déchets, il
effectue un transfert de fertilité et une valorisation des ressources de sa ferme,
au bénéfice de ses espaces cultivés. La création d’humus, par rapport au
rythme lent de la nature, peut être multipliée par un facteur 50 ou 100, en
fonction de l’importance des transferts de fertilité.
– Ces transferts de fertilité méritent une vigilance particulière, car il ne
s’agit pas d’appauvrir une partie de la planète au bénéfice d’une autre. C’est
le cas de l’agriculture biologique nord-américaine qui importe l’essentiel de
ses intrants. La durabilité et l’éthique d’un tel système sont bancales.
– L’objectif d’une ferme permaculturelle est de viser l’autonomie en
fertilité (l’autofertilité). C’est plus ou moins facile en fonction des contextes,
mais les ressources, si l’on veut bien se pencher sur la question, sont
généralement plus nombreuses qu’on ne le pense. L’herbe des allées, des
cultures permanentes d’engrais verts, les feuilles des arbres, la taille des
haies, les fougères du bois voisin : les espaces entourant les cultures offrent
des ressources variées et généralement gratuites, qui permettent de compenser
largement la part des cultures que le maraîcher aura exportée.
– Des approches novatrices (pour notre culture occidentale) comme les
cultures d’EM ou le biochar, évoqués au chapitre 12, permettent de porter un
nouveau regard sur la question de la fertilisation.
Les avantages de la petite taille
Nous avons évoqué dans les chapitres précédents l’un des immenses intérêts
de la culture sur buttes et, de manière plus large, de l’approche
permaculturelle : l’on peut produire beaucoup sur un petit espace. Ce petit
espace est de toute évidence plus facile à fertiliser qu’un grand – un apport de
compost équivalent est plus efficace sur une surface réduite que sur une
grande surface. Apporter 10 tonnes de compost sur 1 000 mètres carrés
est 10 fois plus efficient que la même quantité répartie sur 1 hectare. C’est
une raison parmi beaucoup d’autres qui explique pourquoi il est possible
d’obtenir des sols d’exception en microagriculture.
La microagriculture présente un autre avantage… de taille : concentrer la
surface cultivée permet de libérer de la surface agricole pour d’autres usages
– et notamment pour la production de biomasse au bénéfice de la surface
cultivée (arbres, animaux, culture de plantes à biomasse, cultures
permanentes d’engrais verts…). Cela rend beaucoup plus facilement
envisageable l’autofertilité de petites fermes. Les travaux de John Jeavons
illustrent parfaitement ce point. Nous y reviendrons dans les chapitres
suivants.
Des milliards de travailleurs “au noir” !
On pourrait penser, à première vue, qu’entre un maraîcher équipé d’un
motoculteur ou d’un tracteur et un jardinier-maraîcher travaillant à la main, le
rapport des forces est complètement disproportionné. C’est oublier que le
jardinier-maraîcher dispose de milliards d’assistants invisibles. Dans la
culture sur buttes permanentes, il est épaulé par un nombre quasiment infini
de bactéries, de vers, de champignons, de crustacés qui l’aident secrètement
et œuvrent pour lui jour et nuit, y compris les samedis, dimanches et jours
fériés, sans jamais demander ni salaire, ni congés payés, sans arrêt maladie ni
formalités administratives ! Y a-t-il du sens à détruire de si précieux
auxiliaires, pour devoir ensuite compenser leur absence en achetant des
intrants ?
Le jardinier-maraîcher permaculturel ne cherche pas tant à faire pousser
des plantes – les plantes savent très bien pousser sans lui, merci, elles le font
depuis la nuit des temps –, il tente avant tout de favoriser l’épanouissement
de toutes les forces de vie présentes dans son jardin. J’aime à penser que nous
sommes les serviteurs des vers de terre ! Les agronomes diront plutôt que
nous tirons profit des services écosystémiques – services qui sont, par
définition, gratuits et durables.
Pour toutes ces raisons, des pratiques agricoles fondées sur le non-travail
du sol peuvent être efficacement réalisées entièrement à la main sur de toutes
petites surfaces et atteindre un niveau de productivité que la machine ne
pourra égaler. Il est donc possible de glisser d’une utilisation polluante,
payante et non durable de moteurs thermiques vers une utilisation propre,
gratuite et durable du soleil !
Le rapport au temps
Choisir de fonder une stratégie agricole sur les services écosystémiques
plutôt que sur les énergies fossiles, c’est accepter un nécessaire changement
d’échelle de temps. C’est renoncer à l’efficacité brutale et immédiate du
moteur à explosion pour entrer dans un rapport au temps calqué sur les
rythmes de la nature, les cycles de la vie. Construire un agroécosystème
vivant et diversifié ne se fait pas en claquant des doigts : il faut des années
pour que les arbres déploient leurs ramures dans le ciel, pour que les mares se
laissent féconder par de multiples formes de vie, pour que la terre retrouve un
parfum et une texture de litière de sous-bois…
Dans un premier temps, la charge de travail sera probablement plus
importante et le retour sur investissement plus lent à venir, encore que cela
reste à démontrer. Lorsqu’il crée sa ferme, le jardinier-maraîcher n’achète pas
un tracteur avec ses équipements, il ne construit pas un hangar pour les
abriter, mais investit dans des haies, des arbres fruitiers, des mares. Sa
stratégie devra intégrer ces paramètres. Un jardinier-maraîcher permaculturel
ne disposant pas d’un capital de départ pourra concentrer ses premiers efforts
sur la création des buttes de culture (qui peuvent être réalisées en quelques
semaines ou mois, quasiment sans investissement : une brouette, une pelle,
un râteau lui suffisent) ; les éléments structurant l’agroécosystème (haies,
arbres, mares, aménagements hydrauliques doux…), plus onéreux à mettre en
place, pourront être réalisés au fil des ans, en hiver notamment, lorsque les
cultures requièrent moins de travail. À moyen et long terme,
l’agroécosystème devient de plus en plus autofertile, résilient et productif, et
l’on peut tirer profit des efforts des premières années. Le jardinier-maraîcher
vieillissant pourra ainsi récolter les fruits de l’oasis de vie qu’il aura
patiemment créée !
Dans une démarche professionnelle, il convient d’intégrer la dimension
économique à chaque étape pour assurer la pérennité de l’entreprise – ce que
Perrine et moi avions négligé de faire les premières années. Le principal
piège de l’approche permaculturelle est sa charge émotionnelle : on rêve
tellement fort devant la vision d’une microferme que le risque est réel de se
lancer dans l’aventure de manière bucolique, sans aucune préparation
technique et en sous-estimant la charge de travail et les contraintes. Nous en
savons quelque chose ! Le rêve de retour à la terre peut se transformer en
cauchemar. N’en déduisez pas pour autant qu’il faille arrêter de rêver ! Soyez
juste des rêveurs pragmatiques.
Au risque de passer pour un rabat-joie, je constate que nous recevons
parfois en formation des personnes animées d’un bel idéal, mais l’écart est tel
entre leurs aspirations et le monde contemporain que je me demande si elles
ne préparent pas elles-mêmes leur échec. Ainsi, des personnes se forment au
métier de maraîcher tout en refusant d’envisager de vendre leur production :
elles désirent vivre du troc. Je ne peux m’empêcher de leur demander si elles
paieront le plein de leur voiture, leur loyer ou les fournitures scolaires de
leurs enfants en salades et en radis.
L’une des questions que Perrine et moi nous sommes posées, lorsque nous
avons réalisé la nécessité de démontrer la pertinence économique d’une
approche plus écologique, est la suivante : travailler entièrement à la main,
dans les métiers qui sont les nôtres, le maraîchage diversifié et
l’arboriculture, constitue-t-il un choix économiquement viable dans le
contexte actuel, ou faudra-t-il attendre dix ou vingt ans pour que le
renchérissement du pétrole rende cette option valable ? Les premières
données de l’étude évoquée au chapitre XIV montrent des résultats honorables
dès aujourd’hui, du fait que la forte productivité se conjugue avec des coûts
d’investissement et de fonctionnement réduits par rapport à l’approche
mécanisée. Mais il ne faut pas négliger le niveau de compétences nécessaire
pour atteindre ce résultat. Peu d’outils, mais beaucoup de connaissances :
une agriculture fondée sur l’observation et l’imitation de la nature, ou
écoculture, est une agriculture de l’intelligence (heureusement accessible aux
cancres, je peux en témoigner !).
On peut espérer que, au vu des services rendus par les microfermes, la
société en viendra un jour à faire glisser le soutien massif alloué actuellement
à l’agriculture productiviste vers les nouvelles formes d’agriculture
vertueuse10. Cela pourra prendre la forme, par exemple, d’une aide à
l’investissement initial et d’une rémunération de base accordée aux
écopaysans les trois premières années, le temps qu’ils aménagent leur ferme
et acquièrent une expertise. Les écopaysans pourraient également bénéficier
d’exonérations fiscales. Lorsque l’on part de rien, devenir paysan est une
aventure risquée qui mérite le soutien de la communauté – communauté qui
sera en retour nourrie de produits sains, bons et beaux, tout en voyant son
environnement amélioré. Nous sommes encore loin de cette époque bénie,
mais le succès de la Foncière Terre de Liens, qui met à disposition de paysans
bio des terres achetées collectivement, montre qu’une prise de conscience se
fait jour.
On nous demande souvent quel est le capital nécessaire à la création d’une
microferme. Ce chiffre dépend de tant de paramètres (dimension et
localisation de la ferme, présence de bâti ou pas…) qu’il est quasiment
impossible d’y répondre. Il est plus facile de préciser, pour une activité
maraîchère comme celle pratiquée au Bec Hellouin, les investissements en
équipements et les charges d’exploitation. L’établissement d’un compte de
résultats précis de la microferme de 1 000 mètres carrés modélisée au Bec
Hellouin dans le cadre de l’étude “Maraîchage biologique permaculturel et
performance économique” est en cours et sera présenté à l’issue de l’étude. Il
est toujours risqué de donner des résultats intermédiaires, mais ceux qui sont
demandeurs de données chiffrées, même approximatives, peuvent consulter
sur le site de la ferme le rapport intermédiaire no 2. Une liste de tous les
équipements et outillages utilisés en 2012 pour réaliser la production
maraîchère a été réalisée et chiffrée à 22 000 euros (serres comprises). Ce
montant peut donner une idée de l’investissement nécessaire pour ce poste. Il
est sensiblement inférieur à l’investissement en équipements nécessaires pour
une installation mécanisée.
Le coût de la création d’une microferme varie selon les contextes et les
métiers. Une étude consacrée à ce sujet serait fort utile. S’il faut risquer une
évaluation, dans le cas d’une microferme maraîchère a minima, on peut
envisager, en réalisant les travaux et plantations soi-même : achat d’un demi-
hectare de terre arable, 5 000 euros ; haies, clôtures, mare, 10 000 euros ;
petit bâtiment de stockage, 15000 euros ; arbres fruitiers et petits fruits,
5000 euros ; équipements, outils, serres, matériel d’irrigation, 25000 euros ;
véhicule d’occasion, 5000 euros ; divers, 10000 euros ; soit un total
de 75000 euros. Avec cet investissement de départ la ferme peut fonctionner,
puis être améliorée au fil des ans. Soulignons que ce qui a été économisé en
tracteur et outils mécaniques, par rapport à une installation maraîchère en bio
classique, a été investi dans les arbres, haies et mare.
Ces questions sont complexes, car une thématique en entraîne une autre.
Nous les développerons, de manière plus appliquée, dans le manuel pratique
à venir, à l’issue de l’étude.
Le changement d’échelle
À ce stade du livre, le lecteur se pose certainement une question importante :
si la microagriculture se révèle efficace pour les cultures vivrières, comment
pourrions-nous en adapter les principes aux grandes cultures, céréalières
notamment, qui demandent des surfaces cultivées plus importantes et peuvent
difficilement se passer de mécanisation ? Nous n’avons pas, à l’heure
actuelle, une réponse simple à cette question, qui reste largement en dehors
de notre champ de compétences. Ce point n’est en rien anecdotique, car il
s’agit d’un défi important lancé à la communauté des agriculteurs : comment
feront-ils pour exercer leur métier de céréaliers, d’éleveurs, lorsque les
carburants seront rares et chers ? Si le travail du sol peut généralement être
abandonné avec profit, comment réaliser la moisson, les foins ? Assisterons-
nous à la disparition des tracteurs et des moissonneuses-batteuses, voire à la
fin des grandes fermes, comme le prédit l’agriculteur et permaculteur Patrick
Whitefield dans son ouvrage majeur The Earth Care Manual ?
La production de biocarburants au sein des exploitations peut constituer un
élément de réponse, mais elle ne résout pas le problème des terres et de
l’énergie nécessaires à la production de ces biocarburants, ni celle de l’impact
de leur production sur les sols, les eaux, le climat… Dans l’état actuel des
recherches, les biocarburants s’apparentent plus à une tentative de perpétuer
un système bancal, plutôt qu’à une véritable alternative. Mais les choses
peuvent évoluer… Les solutions de demain viendront de la terre, mais
également des océans, qui sont un vivier de découvertes potentielles. Peu
explorées à ce jour, les ressources biologiques marines joueront certainement
un rôle majeur dans le monde à venir. Lorsque la société fait le choix
d’investir de manière signifiante dans les énergies renouvelables, de
formidables progrès sont accomplis.
Au Bec Hellouin, nous accueillons de plus en plus de personnes possédant
de grands, voire de très grands domaines, conscientes des enjeux et
désireuses d’y travailler, et nous commençons à travailler en réseau avec des
experts en agriculture régénérative11 des différents continents. De par le
monde, nombre d’agriculteurs et de chercheurs explorent des alternatives :
agroforesterie, non-labour, techniques culturales simplifiées, semis sous
couverts permanents, nouvelles formes d’élevage inspirées des grands
troupeaux sauvages12… L’une des pistes les plus novatrices est étudiée dans
les grandes plaines de l’Ouest américain, au Land Institute13, où les
agronomes tentent de (re) créer des céréales vivaces (le caractère vivace des
plantes cultivées ayant généralement été perdu durant leur compagnonnage
avec les agriculteurs) et des communautés de végétaux pérennes,
légumineuses incluses, supprimant le recours au travail du sol et aux
fertilisants. Ces recherches bio-inspirées sont à la fine pointe de
l’innovation14.
Voici quelques pistes de réflexion pour ceux qui se sentent concernés par
l’avenir de l’agriculture. Celle-ci ayant à l’évidence pour vocation de nous
nourrir, il convient dans un premier temps d’évaluer la manière dont cet
objectif est réalisé, avant de questionner les techniques employées pour y
parvenir. L’agriculture contemporaine produit-elle réellement une nourriture
saine et abondante pour tous ?
Manger autrement ?
Tout d’abord, un constat : notre alimentation moderne repose, bien plus que
par le passé, sur une consommation importante de produits animaux : viande
et laitages. Or il s’avère que :
– l’élevage industriel des animaux est extrêmement polluant et plombe
fortement l’impact écologique de l’agriculture. Il faut jusqu’à dix calories
végétales pour produire une calorie animale (ce taux de conversion est
“naturel” dans tous les réseaux trophiques15). De fait, une grande partie des
céréales cultivées dans le monde sert à nourrir le bétail des pays riches16 ;
– la consommation excessive de produits animaux se révèle néfaste pour la
santé humaine.
“Dimanche 2 février 2014 a eu lieu le Super Bowl, la finale de la Ligue de
football américain. Durant cette seule journée, les téléspectateurs américains
ont mangé 1,3 milliard d’ailerons de poulet. Ce nombre dément, difficile à se
représenter, illustre combien notre société et notre vie quotidienne reposent
sur le massacre à grande échelle des animaux”, titrait il y a quelques semaines
une dépêche de la Fondation Good Planet17.
Force est de constater qu’une consommation excessive de céréales
raffinées et de produits laitiers suscite de plus en plus d’allergies. Chacun de
nous connaît des enfants allergiques au gluten ou au lactose, voire aux deux,
ce qui fait de la vie quotidienne un cauchemar tant l’usage de ces produits est
généralisé dans l’alimentation industrielle. L’explosion des allergies et celle
des maladies de civilisation (l’obésité atteint 36 % de la population aux États-
Unis18, bastion de l’agriculture productiviste) démontrent que l’alimentation
“moderne”, intimement liée à l’agriculture industrielle, se révèle de plus en
plus néfaste tant pour la planète que pour les consommateurs. Ces questions
étant bien documentées, nous ne les développerons pas dans le cadre de ce
livre.
À l’inverse, l’étude des peuples présentant les meilleurs niveaux de santé
de la planète et une longévité exceptionnelle, comme les habitants de la
vallée de Vilcabamba en Équateur, les Hunza du Cachemire, les Abkhazes du
Caucase, les habitants de l’île d’Okinawa au Japon, les Crétois, met en
évidence le fait que toutes ces communautés humaines ont en commun le fait
de vivre proches de la nature. Leur alimentation est saine, exempte de
pesticides et d’herbicides, composée principalement de fruits, de légumes, de
légumes secs, de céréales complètes, d’huiles de qualité comme l’huile
d’olive et de colza, d’une eau pure – la consommation de viande et de
produits laitiers étant limitée ou inexistante19. Chez ces peuples qui
considèrent l’alimentation comme une “médecine de vie”, le nombre de
centenaires est particulièrement élevé et les pathologies chroniques qui sont
chez nous en augmentation constante, comme les maladies cardiovasculaires
et cérébrovasculaires, les cancers, l’obésité, l’ostéoporose, l’arthrite, le
diabète, restent l’exception.
Dès lors, avant de penser à changer d’agriculture, n’est-il pas nécessaire
d’envisager une autre manière de nous nourrir ? En d’autres termes, de muter
progressivement vers une alimentation plus proche de celle que nous avons
connue durant notre longue évolution, le régime alimentaire auquel nos
organismes sont adaptés : davantage de fruits, de fruits à coque, de baies, de
légumes, de feuilles, de légumineuses, de plantes sauvages ? En diminuant la
part de la viande et des produits laitiers dans notre régime alimentaire, nous
ferions du bien à notre santé et réduirions considérablement les besoins en
céréales. Cela limiterait efficacement la part des grandes cultures et de
l’élevage dans notre modèle agricole, et donc le recours aux énergies fossiles.
Permettez-moi de souligner à nouveau cette réalité toute simple, qui est un
fil rouge de cet ouvrage : ce qui est bon pour nous est généralement bon pour
la planète.
Vers une agriculture permanente
Nous sommes à la veille d’une mutation très profonde de nos modèles
agricoles. La vision permaculturelle propose des axes forts pour faire évoluer
nos pratiques, de manière réaliste et progressive, dans le sens d’une
agriculture durable.
1 David Holmgren, Permaculture, principes et voies pour revenir à une société soutenable, Rue de
l’Échiquier, 2014.
2 Voir Manuelle Rovillée, “Le ver de terre, star du sol”, www.cnrs.fr.
3 Voir les travaux de Marcel Bouché, chercheur et géodrilologue réputé, à qui l’on doit la première
cartographie des vers de terre en France, et son ouvrage Des vers de terre et des hommes : découvrir
nos écosystèmes fonctionnant à l’énergie solaire, Actes Sud, 2014.
4 Voir Patricia Hanssens, “La Fraternité ouvrière ou les Tropiques à Mouscron”, Le 23 (magazine de la
Maison régionale de l’environnement et des solidarités), no 204, été 2011, p. 14.
5 Communication d’Alain Canet, président de l’Association française d’agroforesterie.
6 “La « superficie de l’Italie » perdue chaque année (ONU)”, La France agricole, op. cit.
7 LaRevueDurable, no 50, oct.-nov.-déc. 2013.
8 La création de sol dépend de chaque contexte, elle est de l’ordre de 1 centimètre par siècle ; deux
mille ans sont parfois nécessaires pour créer 10 centimètres d’humus ! Voir également “Disparition des
terres agricoles en France”, www.planetoscope.com.
9 Un jardinier amateur qui réalise une rotation de cultures chaque année dans le potager familial n’a pas
les mêmes besoins en fertilité que le jardinier-maraîcher qui effectue de trois à huit rotations par an,
comme c’est le cas au Bec Hellouin.
10 Actuellement, pratiquement tous les agriculteurs subventionnés par l’Europe détruisent les sols.
Dans certains contextes, plus ils détruisent, plus on les paie ! Voir à ce sujet l’article “How a false
solution to climate change is damaging the natural world” (“Comment une fausse solution au
changement climatique endommage l’environnement”) sur le site du Guardian
(www.theguardian.com).
11 L’agriculture régénérative a pour objectif de concilier productivité et aggradation des sols et de
l’agroécosystème.
12 Voir sur ces thématiques les intéressants travaux d’Alan Savory ainsi que ceux de Frédéric Thomas
et du réseau Base sur l’agriculture de conservation.
13 Site : www.landinstitute.org.
14 Voir notamment Judith Soule et Jon Piper, Farming in Nature’s Image, Island Press, 1992.
15 Un réseau trophique regroupe l’ensemble des chaînes alimentaires d’un écosystème.
16 J’ai été témoin en Inde, au Kerala, du dramatique passage d’une pêche artisanale, fournissant les
populations locales en protéines animales à bas prix, à une pêche industrielle permettant de transformer
le poisson en farine animale exportée vers les pays riches, privant de fait les populations de cette
précieuse ressource, tout en supprimant un grand nombre d’emplois.
17 Olivier Blond, “Manger tue”, www.goodplanet.info, 13 février 2014.
18 Voir Valérie Orsini, “Le coût de l’obésité aux États-Unis : 500 milliards de dollars d’ici 2030”,
www.atlantico.fr, 24 mai 2012.
19 Voir Muriel Levet, Ces peuples sans maladies : leurs secrets de longévité, Trajectoire, 2007.
20 Voir Janine M. Benyus, op. cit., p. 46.
21 Voir Patrick Whitefield, The Earth Care Manual, op. cit., p. 18.
22 Ibid., p. 18.
23 Joseph Pousset, op. cit.
24 Wes Jackson et le Land Institute aux États-Unis.
25 Joseph Pousset, op. cit.
26 Voir www.farinesdemeule.com.
27 Sur ces thématiques, voir les derniers livres de Marc Dufumier : Cinquante idées reçues sur
l’agriculture et l’alimentation, Allary Éditions, 2014, et Famine au Sud, malbouffe au Nord : comment
le bio peut nous sauver, Nil, 2012.
28 Jacques Légeret, L’Énigme amish : vivre au XXIe siècle comme au XVIIe, Labor et Fides, 2000,
p. 148.
29 Ibid., p. 149.
30 John A. Hostetler, Amish Roots, John Hopkins University Press, 1989.
31 Jacques Légeret, op. cit., p. 154.
XVIII
ÊTRE PETIT
Qui a dit qu’il valait mieux être gros que petit ? Les fermes de petite
taille disposent d’un potentiel insoupçonné, en ville comme à la
campagne. Elles sont l’avenir de l’agriculture.
L’aquaculture
S’ils n’existent pas, des mares et des étangs sont creusés chaque fois que le
terrain s’y prête. Ces nombreux points d’eau servent à abreuver les animaux
et irriguer les cultures, mais également à l’aquaculture. Ils peuvent également
servir à assainir les effluents des habitations – les effluents des petits élevages
disséminés sur le territoire iront quant à eux fertiliser les terres cultivées.
Les microfermes
Il reste une quinzaine d’hectares disponibles qui seront consacrés à autant de
microfermes. Nous avons déjà évoqué la large gamme de productions
pouvant y être conduites. Soulignons toutefois à nouveau que, au sein des
microfermes, la densification des cultures permet de libérer de l’espace pour
les haies fruitières, les forêts-jardins, les céréales jardinées, des vignes,
l’élevage des animaux à petite échelle (ovins, caprins, porcs, volailles,
lapins…). Cela réduit encore la part que le système agraire doit
spécifiquement consacrer aux céréales et à l’élevage.
Une spirale vertueuse associant l’écologie, l’économie et le social
Nous avons survolé les diverses productions qu’autorise notre système
agraire solidaire. Êtes-vous satisfait du travail accompli ? Produire une telle
quantité et une telle diversité d’aliments sur ce qui n’était qu’une ferme
céréalière de taille moyenne peut sembler surprenant (voire suspect aux yeux
des tenants du modèle agricole contemporain !). Notre système agraire
solidaire est effectivement en profonde rupture avec les pratiques actuelles.
L’agriculture industrielle fonctionne de manière mécaniste, linéaire, tandis
que notre système agraire est holistique et bouclé. Ce n’est pas du tout la
même chose !
Ce qui est également très novateur dans cette vision, c’est le rôle joué par
la forêt comestible et l’omniprésence des arbres fruitiers dans les cultures, les
prés-vergers et les haies – le calcul est à affiner, mais on peut estimer
que 60 à 70 % du territoire est arboré. Dans cette forme d’écoculture, le rôle
premier est dévolu aux arbres, ce qui permet de garantir d’importants niveaux
de production de manière écologique tout en assurant une autofertilité
croissante au système.
Mais l’intérêt du système va beaucoup plus loin ! Passons du domaine de
la production agricole au volet social. Pour soutenir les productions évoquées
précédemment, une trentaine d’emplois agricoles ont pu être créés (soit
environ un actif pour 3 hectares). Ces paysans vont à leur tour engendrer des
emplois dérivés, des activités annexes très diverses.
Activités artisanales
Un ou plusieurs artisans mettent leurs compétences au service des paysans
pour construire et réparer leurs outils, construire et entretenir leurs maisons et
bâtiments. D’autres artisans peuvent réaliser diverses créations à partir des
ressources de l’agroécosystème : vannier, potier, tisserand, tourneur sur bois,
menuisier, charpentier…
Traction animale
Un ou deux meneurs expérimentés et quelques forts chevaux de trait dotés du
meilleur matériel moderne peuvent offrir leurs services aux paysans selon
leurs besoins. Il n’y aura dès lors quasiment plus besoin de tracteur. Cette
transition est facilitée par la petite taille des fermes.
Énergies
Une centrale de méthanisation peut être alimentée par la biomasse provenant
de la forêt, des haies et des diverses fermes. L’énergie fournie peut alimenter
les maisons et les installations collectives. Un bûcheron peut également
produire du bois de chauffage à partir des nombreux arbres existants. La
production de bois de chauffage sera d’au moins 400 stères par an (10 stères
par hectare et par an) lorsque la forêt comestible atteindra une certaine
maturité, de quoi chauffer entièrement une quarantaine de maisons bien
isolées, ce qui correspond au nombre potentiel d’emplois créés sur le système
agraire solidaire.
Transformation
Les possibilités sont très nombreuses. De petites unités de transformation, de
meunerie, de séchage peuvent être alimentées par l’énergie solaire, éolienne
ou hydraulique.
Commercialisation
Les nombreux produits du système agraire solidaire peuvent être distribués
aux populations locales, mais également vendus sur place dans une boutique
fermière bien achalandée, d’une grande attractivité.
Restauration
Un restaurant bio peut fonctionner à partir des productions locales.
Gestion
Les activités de secrétariat, de gestion, de promotion des différents
producteurs et artisans peuvent être mutualisées et réalisées sur place par une
équipe dédiée. Une activité de coordination des différents acteurs s’imposera
probablement.
Agrotourisme
Le système agraire solidaire répond à un besoin de reconnexion de nos
contemporains à la nature et reçoit de nombreux visiteurs. Des gîtes (cabanes
dans les arbres, éco-lodges…) peuvent les accueillir. Un centre de séminaires
trouverait bien sa place au sein de cet espace innovant.
Pédagogie
Une telle réalisation est un concentré d’intelligence et donc tout
naturellement un lieu de transmission. Des animateurs peuvent réaliser
diverses prestations auprès de publics variés, scolaires notamment. Les
demandes en formations pour de futurs paysans iront croissant12 et le système
agraire solidaire peut constituer un laboratoire exceptionnel pour répondre à
ce besoin émergent.
Locaux partagés
Une partie des actifs travaillant sur le site pratiquera une pluriactivité. On
peut imaginer des bureaux, des ateliers d’artistes partagés, avec un
secrétariat, des salles de réunion et des équipements mutualisés, ce qui
améliorera la performance économique.
1 Ernst Friedrich Schumacher, Small Is Beautiful, cité dans Jonathon Porritt, op. cit., p. 111.
2 Cité dans Jean-Paul Besset, op. cit., p. 172.
3 Bijogos, les Grands Hommes de l’archipel, Gallimard Jeunesse, coll. “Fleur de Lampaul”, 1993.
4 Nous recommandons vivement la lecture de LaRevueDurable, particulièrement bien documentée sur
les thématiques environnementales.
5 L’empreinte écologique moyenne d’un États-Unien est de 7,19 hectares globaux (HAG), contre
0,66 HAG pour un Bangladais. Source : WWF, Planète vivante, op. cit., p. 142 et 144.
6 À ce sujet, lire l’intéressant rapport de Pablo Servigne : Nourrir l’Europe en temps de crise, paru
en 2013 et qui cite la Ferme du Bec Hellouin. Téléchargeable sur le site http://www.greens-efa.eu.
7 De telles réalisations existent déjà sous des formes diverses, en différents points du territoire. La
Biovallée du Diois est à ce titre une réalisation inspirante. Voir leur site www.biovallee.fr.
8 Voir bibliographie p. 344.
9 Voir Jonathon Porritt, op. cit.
10 Une abondante documentation sur l’agroforesterie peut être trouvée auprès de l’Association
française d’agroforesterie, de l’association Arbre & Paysage 32 ou d’Agroof.
11 Voir Carbone 4, présentation d’Alain Grandjean, www.carbone4.com, 2013.
12 Dans le rapport Nourrir l’Europe en temps de crise évoqué plus haut, Pablo Servigne parle de
117 millions d’Européens à former en une génération (p. 35).
13 www.la-fee.org.
14 Certes, les systèmes agraires ne fourniront pas de produits exotiques, mais il est souhaitable de
réduire notre consommation de produits importés pour diminuer notre empreinte écologique.
15 “Nous croyons dans le sol”, détournement de la devise du dollar, “In God we trust”. Pour en savoir
plus : www.slowmoney.fr.
XX
MICROAGRICULTURE,
SOCIÉTÉ, PLANÈTE
Vers une spirale vertueuse : la permaculture offre des outils conceptuels
inconnus jusqu’alors pour réconcilier les humains et la nature. Et si nous
inventions ensemble une nouvelle manière d’habiter la Terre ?
J’ai fait tous les calculs. Ils confirment l’opinion des spécialistes : notre
idée est irréalisable. Il ne me reste plus qu’une chose à faire : la réaliser.
PIERRE-GEORGES LATÉCOÈRE,
fondateur de la poste aérienne transcontinentale.
Réchauffement climatique
Nous l’avons évoqué, les terres cultivées et les forêts devraient permettre
d’absorber une part importante, voire la totalité de nos rejets de gaz à effet de
serre.
Emploi
En créant 3 à 4 millions d’emplois agricoles, auxquels il faut ajouter les
emplois indirects et de nombreux emplois artisanaux, l’essor de la
microagriculture pourrait contribuer à éradiquer le chômage. Le chômage est
un fléau des sociétés industrielles sur le déclin qui semble impossible à
contenir. Tous les gouvernements successifs en font leur priorité, avec les
résultats que l’on sait. Peut-être conviendrait-il de prendre un peu de recul et
de considérer l’histoire récente de notre pays ? Au début du XXe siècle, un
choix politique a été fait : privilégier l’industrie au détriment de l’agriculture.
En sous-payant les produits agricoles, on libérait du pouvoir d’achat au profit
des biens industriels. En ponctionnant la main-d’œuvre agricole, on disposait
d’ouvriers pour les usines. L’exode rural et le gonflement des villes allaient
dans le sens d’une politique centralisée et d’une certaine vision du “progrès”.
Nous avons évoqué les 5,45 millions d’emplois agricoles qui ont disparu
en France depuis 1955. Ces millions d’emplois détruits correspondent à peu
près au nombre de chômeurs actuels. Pourtant, personne ne fait le lien entre
les emplois détruits et les emplois manquants.
En créant un grand nombre d’emplois agricoles, nous pourrions
probablement revenir à une forme d’équilibre. Le coût de création d’une
microferme (de 50 000 à 100000 euros environ) est équivalent au coût moyen
de deux à trois années d’un chômeur pour la société. Mais la microferme est
un outil de travail utilisable pendant plusieurs générations. Il y aurait du sens
à investir massivement dans la création d’un grand nombre de microfermes,
qui permettraient à ceux qui souffrent du non-emploi, et qui seraient attirés
par une reconversion vers la terre, de trouver une belle activité et une raison
de vivre.
Il faudra prévoir des programmes de formation à la hauteur des attentes. Le
travail de la terre est aujourd’hui complètement absent de nos programmes
éducatifs, hormis les quelques filières spécialisées.
Santé
La généralisation des microfermes permettrait d’offrir à chacun une
alimentation bio de qualité. Cette mutation sociétale contribuerait fortement à
boucher le fameux “trou de la Sécu”, car une alimentation bio, vivante et
locale pour tous améliorerait le niveau de santé de nos concitoyens… sans
parler des bienfaits d’une activité en plein air pour tous ceux qui se
reconnecteront à la terre !
Énergie
Le reboisement de nos pays permettrait de généraliser le recours au bois-
énergie, en complément des autres sources d’énergies renouvelables. Cela
faciliterait la sortie du nucléaire. Il conviendrait toutefois d’améliorer les
techniques de combustion afin de supprimer les émissions de particules.
Écoconstruction
Les forêts produiront en quantité des matériaux pour l’écoconstruction. La
généralisation des maisons en bois, dont les bienfaits pour la santé ont été
démontrés, contribuerait à limiter l’effarante consommation actuelle de béton,
matériau énergivore s’il en est.
Chimie organique
Valorisation de la biomasse, en remplacement de la pétrochimie.
Biodiversité
Consacrer plusieurs millions d’hectares supplémentaires à des réserves de
biodiversité permettrait de concilier le développement des activités humaines
et la préservation de la vie sauvage. Rappelons que, comme évoqué au
chapitre XIV à propos de la Ferme du Bec Hellouin, la faune et la flore
sauvages s’épanouissent également dans des espaces cultivés permaculturels.
Art de vivre
Nous ne disposons pas encore de photos ou de vidéos de ce que sera la
France de 2060… mais comme il ferait bon vivre dans un pays qui serait pour
partie amoureusement jardiné, et pour partie rendu à la nature !
Jouer petit ne sert pas le monde. Notre plus grande peur n’est pas que
nous soyons inadéquats. Notre peur la plus profonde est que nous soyons
puissants au-delà de ce qui est mesurable. C’est notre lumière, pas notre
obscurité, qui nous effraie le plus.
MARIANNE WILLIAMSON1
Nous sommes paysans bio et fiers de l’être. Nous trouvons notre joie dans un
compagnonnage intime et quotidien avec les plantes et les animaux.
Comme les femmes, les paysans portent la vie. Le corps de nos clients est
formé du corps des fruits et légumes que nous cultivons avec tendresse et
respect.
Notre désir le plus profond est de comprendre, de l’intérieur, la dynamique
de la vie, à l’œuvre dans la terre et les racines, les tiges et les feuilles, les
pattes et les ailes, la pluie et le vent. Par quel miracle les minéraux de la
roche-mère s’assemblent-ils jusqu’à former, mêlés de soleil et d’eau, le corps
doux et chaud de notre âne, les yeux bleus ou bruns de nos enfants ?
“Le grain de vie puis le grain de pensée succéderont au grain de matière”,
écrivait Teilhard de Chardin2. Notre métier consiste simplement à servir ce
mouvement de la vie qui toujours nous dépassera, avec infiniment de
gratitude.
À l’école de la mer et de la terre
Depuis bien des années, je cherche à comprendre le lien entre ce que j’ai
entrevu de la dynamique de la vie au cœur des forêts tropicales et des récifs
coralliens visités dans ma jeunesse, et ce qui s’opère, ce qui s’échange, ce qui
s’accroît dans nos jardins. Pouvons-nous espérer approcher, dans notre vallée
normande, quelque chose de la flamboyance de la jungle, de l’exubérance des
récifs de corail ?
Je réfléchis aussi à la manière dont nous, les humains, interagissons avec la
nature pour en tirer notre subsistance. Est-il possible d’inventer une société
post-pétrole qui allie l’harmonie des peuples premiers et les avancées
cognitives et techniques de l’époque moderne ?
Je ne réfléchis pas très vite… Il m’a fallu plus de trente ans pour
comprendre qu’un principe simple et puissant est à l’œuvre dans la nature,
une dynamique dont s’inspirent les peuples premiers. Nous pourrions baptiser
cette dynamique bio-abondance.
La bio-abondance, c’est l’art de faire beaucoup avec très peu. Seule la vie
y parvient.
Assembler des molécules éparses
Les processus biologiques ont le fascinant pouvoir d’assembler, d’organiser
des molécules éparses, pour créer des cellules puis des organismes vivants.
Ils tirent profit des ressources minérales de la roche-mère, des rayons du
soleil, des gaz de l’atmosphère, pour former des êtres qui bougent, mangent,
croissent, se reproduisent, meurent et participent à leur tour aux cycles de la
fertilité.
J’ai été profondément frappé, lorsque je les ai étudiés, de constater que les
récifs coralliens et la forêt amazonienne, qui constituent les deux écosystèmes
les plus riches de la planète, s’épanouissent dans des milieux pauvres en
nutriments, mais riches en énergie solaire. Ces assemblages d’une haute
complexité génèrent eux-mêmes les conditions de leur prospérité – en tirant
la quintessence des ressources disponibles, en multipliant les échanges, les
relations symbiotiques et de coopération. Tout gaspillage est bien
évidemment proscrit. Ces écosystèmes apportent une contribution majeure au
fonctionnement général de la biosphère.
À partir de sols lessivés par des pluies surabondantes, dans des eaux
pauvres en plancton, les processus biologiques ont su engendrer une
explosion d’organismes aux formes et couleurs étonnamment variées. Une
surabondance – une bio-abondance.
Toutes proportions gardées, quelque chose de cette bio-abondance se
manifeste déjà dans nos jardins. En cherchant à aligner nos pratiques au plus
près de ce que nous percevons des processus biologiques, nous constatons
une production généreuse et bonne, qui n’épuise pas le milieu, mais participe
au contraire à son aggradation. Nous pourrons donc effectuer des récoltes
abondantes dans des jardins de plus en plus fertiles.
Petit poisson deviendra grand
Les processus biologiques – et eux seuls – ont le pouvoir d’accroître les
ressources : le petit poisson devient un grand poisson, la plantule donne un
arbre puissant, le fruit produit mille graines qui deviennent presque autant de
nouveaux végétaux…
Les peuples premiers ont intuitivement compris qu’ils pouvaient prélever
une part de ces ressources vivantes qui s’accroissent d’elles-mêmes, sans
affaiblir le milieu environnant – surtout s’ils contribuent à son aggradation
par de bonnes pratiques, en replantant les noyaux, par exemple. Ils ont édicté
des règles de bonne conduite visant à limiter les prélèvements à un seuil
acceptable, s’imposant à eux-mêmes des formes d’autorégulation semblables
à celles qui régissent les plantes et les animaux.
Tant que l’équilibre est respecté, les plantes, les animaux et les humains
peuvent prélever les ressources qui leur sont nécessaires, tandis que la nature
environnante continue à évoluer, lentement mais sûrement, vers davantage de
complexité et de fertilité.
En d’autres termes, la bio-abondance donne aux communautés végétales,
animales et humaines la possibilité de subvenir durablement à l’ensemble de
leurs besoins, à condition d’équilibrer les prélèvements avec ce que les
processus biologiques sont capables d’engendrer.
Les ressources produites par les processus biologiques sont organiques : il
s’agit des végétaux et des animaux. Depuis l’apparition des premiers
hommes, ces plantes et ces animaux ont soutenu notre existence, nous
procurant de quoi nous nourrir, nous vêtir, nous chauffer, nous déplacer, nous
soigner, construire nos habitats, nos instruments de musique, nos objets
rituels. Au cours des âges et jusqu’à l’entrée dans la modernité, les ressources
organiques ont constitué la quasi-totalité des ressources nécessaires aux
communautés humaines. Seuls quelques minéraux les complétaient, le plus
souvent des minéraux surabondants – des pierres et du fer.
Mais les processus biologiques nous rendent également d’autres services –
d’immenses services –, car ils sont capables de modifier puissamment le
milieu physique : ils exercent une influence sur le climat (pluviométrie,
température…) et la géologie (formation des sols, des roches calcaires…),
assainissent les eaux, augmentent la teneur en oxygène de l’atmosphère,
séquestrent du carbone3…
Prélever les ressources qui nous sont nécessaires en nous contentant de
puiser dans la biosphère la part qui s’accroît naturellement grâce aux
processus biologiques – des végétaux et des animaux – revient à puiser les
intérêts du capital, sans entamer le capital. C’est faire preuve de sagesse. Il
est également possible de prélever des ressources minérales abondantes – des
pierres et des métaux communs, dont est formée l’écorce terrestre – sans
éroder sensiblement l’intégrité de la planète.
Nous, humains, à l’instar des autres organismes vivants, pouvons prendre,
mais aussi donner. Profiter des ressources naturelles, mais aussi favoriser une
dynamique d’enrichissement du milieu environnant, nous inscrire dans les
cycles de la fécondité. En d’autres termes, nous pouvons coopérer avec les
autres formes de vie en vue d’accroître le capital, et donc la part d’intérêts
que nous pourrons prélever. Dans cette perspective, nous chercherons à
privilégier les relations de coopération plutôt que de prédation, nous
veillerons à limiter nos prélèvements, à boucler les cycles, à transformer la
totalité de nos déchets en autant de nouvelles ressources. C’est ce
qu’enseignent la permaculture et le biomimétisme.
Au vu de ce qui précède, nous pourrions décrire ainsi la bio-abondance :
Bio-abondance : création de biens recyclables fondée sur une utilisation
bio-inspirée des ressources naturelles renouvelables. Ces biens sont
disponibles en quantité et durablement. Ils ne produisent pas de déchets,
n’influent pas sur la santé des écosystèmes et peuvent éventuellement
contribuer à leur aggradation.
La bio-abondance est un concept qui est nouveau sans l’être, bien
évidemment. Il nous a semblé important de le décrire car la plupart d’entre
nous sous-estiment le potentiel de productivité d’un écosystème en bonne
santé et la possibilité pour nous autres humains de contribuer à
l’accroissement des ressources biologiques en nous fondant sur une
observation fine et approfondie des dynamiques à l’œuvre, et en interagissant
avec mesure et respect sur ces dynamiques.
Les peuples premiers vivent dans des sociétés que les ethnologues
décrivent comme des sociétés d’abondance – nous pourrions dire : de bio-
abondance. Nous l’avons évoqué pour les Wayanas : ils ne connaissent pas la
pénurie (sauf en de très rares circonstances), n’ont pas de crainte du
lendemain car ils savent que leurs besoins seront toujours couverts par la
nature environnante. Le respect de la vie est inscrit au cœur de leur culture et
de leur spiritualité. Bien qu’essentiellement intuitive, leur connaissance
approfondie de leur environnement naturel leur permet de tirer pleinement
parti de la bio-abondance.
La société moderne a tourné le dos à la nature qu’elle ne cesse
d’artificialiser, portant atteinte aux processus biologiques et mettant à mal la
capacité des écosystèmes à générer la bio-abondance. Cette transgression a
été rendue possible par le recours aux énergies fossiles, qui ont permis
d’engendrer une autre forme d’abondance, bien différente dans son essence.
La surabondance actuelle de biens de consommation provient d’une
économie extractive, prédatrice de ressources minérales non renouvelables,
consommatrice des ressources organiques sans aucune conscience des seuils
acceptables, sans rien restituer en retour. Cette forme d’abondance pourrait
être baptisée techno-abondance. Elle creuse des trous dans la Terre et épuise
rapidement son capital.
“La biosphère est un ensemble de cycles géochimiques qui met en relation
des stocks de matière et d’énergie, entre lesquels s’échangent des flux. Le
mouvement des flux permet aux stocks de se reconstituer. Que fait
l’économie ? Elle puise dans les stocks, qui n’ont pas de valeur économique à
l’état naturel, sans se soucier de leur reproduction”, écrivait René Passet4.
Nous proposons la définition suivante.
Techno-abondance : création de biens peu ou pas recyclables fondée sur
une utilisation prédatrice des ressources naturelles, renouvelables et non
renouvelables. Ces biens sont disponibles en quantité, mais pendant un temps
seulement, et pas pour tous. Ils produisent des déchets et contribuent à la
destruction de la biosphère.
Habiter la Terre en poète ou en assassin ?
L’agriculture industrielle engendrée par notre société de consommation est
une profonde perversion du métier de paysan : de porteur de vie, il devient
semeur de mort. Les agriculteurs en sont les premières victimes et une prise
de conscience se fait jour au sein de la profession. L’agriculture industrielle
n’est que le reflet de notre société biocide : elle assassine les êtres vivants
dans des quantités qui dépassent l’entendement, elle pue la mort – il importe
d’en sortir le plus vite possible, avant qu’elle n’ait définitivement dégradé la
seule planète vivante connue. Pourtant, comme un tas de compost, notre
société porte en elle les germes du monde de demain. Rappelons-nous ces
contre-courants que Pupoli maîtrisait avec art. Ayons confiance : la terre a le
pouvoir de transformer ce qui meurt en de nouvelles formes de vie.
La société postmoderne que nous allons créer ensemble pourra, devra
fonctionner sur le mode de la bio-abondance. Une nouvelle forme
d’abondance : c’est une bonne nouvelle ! La plupart de nos contemporains ne
soupçonnent pas le potentiel des processus biologiques. Sortir de la techno-
abondance est perçu comme s’enfoncer dans la pénurie. Mais non ! Cela peut
être entrer dans la bio-abondance.
Comment y parvenir ? Nous l’avons exploré de chapitre en chapitre pour
les thématiques agricoles : en développant une compréhension aussi poussée
que possible des processus biologiques, et en inscrivant nos interactions avec
la biosphère dans la logique de la vie. C’est un virage à 180 degrés par
rapport à ce que nous avons fait au cours des siècles passés dans nos sociétés
dites “développées” ! Mais nous avons beaucoup appris de nos erreurs, et
beaucoup appris sur le fonctionnement de la nature. Nous sommes mieux
armés que jamais pour entrer dans une ère de respect et d’épanouissement de
la vie. Il nous faut juste développer notre conscience…
Une société verte
La société verte décrite au chapitre précédent est une société fondée sur la
bio-abondance. En entourant chaque maison, chaque hameau, chaque ville
d’un cocon de nature intensément vivante, en redonnant à la Terre le manteau
d’arbres dont des humains trop avides l’ont dépouillée, en veillant
soigneusement à limiter nos prélèvements à la part de ressources
qu’engendrent chaque année les processus biologiques, à l’instar du Japon de
la civilisation Edo, en subvenant à nos besoins par des ressources biologiques
plutôt que par des ressources minérales, nous pourrons habiter durablement la
Terre. Nous renoncerons à nos gadgets et au gaspillage, mais nous serons
riches des biens essentiels – matériels et immatériels – qui rendent la vie
vraiment belle.
C’est ce que propose la permaculture, qui est à la fois une science et un art
de vivre. Nous n’en sommes qu’au tout début de l’aventure, la suite de
l’histoire reste à écrire et chacun de nous peut y contribuer.
Une fois encore, le principal obstacle n’est pas d’ordre technique, il est en
nous – tout comme les solutions. Nous avons tous une certaine tendance à
souscrire à des croyances limitantes, dont voici quelques exemples : le passé
est dépassé, le progrès est toujours un bien, l’Occident fait mieux que le reste
du monde, le travail de la terre est fait pour les serfs, un job intellectuel vaut
mieux qu’un travail manuel, ma voiture et mon i-Phone me rendent
heureux… Acceptons de prendre du recul par rapport aux formatages que
nous subissons tous, afin de considérer la question de notre avenir commun
avec davantage de hauteur. Osons imaginer l’inédit. Prenons le meilleur des
multiples traditions de l’humanité, et le meilleur de la modernité, pour forger
un monde qui n’a encore jamais existé. Soyons des explorateurs de l’avenir !
Pour conclure, Perrine et moi souhaitons partager une conviction : l’être
humain a un rôle essentiel à jouer, un rôle positif et constructeur, dans
l’avenir de la biosphère. Si la nature nous a dotés d’un cerveau aussi
sophistiqué, ce n’est pas pour la détruire en retour, mais pour entrer dans une
démarche active de coévolution avec elle. Nous pouvons coopérer avec les
processus biologiques pour créer de nouvelles formes de vie et de nouvelles
formes d’organisation du vivant. Les jardiniers ne font pas autre chose,
lorsqu’ils conduisent des plantes sauvages à donner des fleurs, des fruits, des
légumes admirables. Chaque rose parfumée, chaque pomme vermeille,
chaque carotte sucrée est le fruit d’une symbiose entre la nature et des
générations de jardiniers. La nature n’aurait pas créé sans nous ces fleurs et
ces fruits. Mais faut-il encore nous positionner en dehors de la nature ? Nous
sommes la nature, sa fine pointe consciente peut-être, et notre mission est de
veiller avec douceur et sagesse sur tous nos compagnons de voyage. Ils
n’attendent qu’une chose de nous : que nous devenions vraiment humains,
que nous nous montrions dignes de cette position unique qui est la nôtre.
Chaque jardin, chaque ferme peut devenir un lieu de guérison du monde et
contribuer à son embellissement.
FRANÇOIS LÉGER1
Brin de paille
www.asso.permaculture.fr
Écocentre du Bouchot, Jean-Philippe Beau-Douézy
www.ecocentrelebouchot.fr
École de la nature et des savoirs
www.ecolenaturesavoirs.com
École de permaculture du Bec Hellouin
www.ecoledepermaculture.org
Ferme biologique du Bec Hellouin
www.fermedubec.com
Ferme Crocus
www.crocus-permaculture.org
Ferme d’avenir, La Bourdaisière
www.fermesdavenir.org
Ferme de Sainte-Marthe
www.formationsbio.com
Fonds documentaire de l’École de permaculture du Bec Hellouin
www.ecoledepermaculture.org
Imagine un colibri, Richard Wallner
www.aupetitcolibri.free.fr
L’atelier des Alvéoles, Antoine Talin
www.atelier-alveoles.fr
La Forêt nourricière, Franck Nathié
www.foretscomestibles.com
La Goursaline, Benjamin Broustey
www.permaculturedesign.fr
La Maison autonome, Patrick et Brigitte Baronnet
www.heol2.org
Le Paysage comestible, Andy et Jessie Darlington
www.lepaysagecomestible.com
Permaculture internationale, Bernard Alonso
www.permacultureinternationale.org
Permaculture sans frontières, Éric Escoffier
www.permaculture-sans-frontieres.org
Terre et Humanisme, mas de Beaulieu
www.terre-humanisme.org
Terre, paille et compagnie, Pascal Depienne
www.terre-paille.fr
Université populaire de permaculture
www.permaculturefrance.org/fr
PETITE BIBLIOTHÈQUE
PERMACULTURELLE
À la Ferme du Bec Hellouin, il y a des livres partout ; voici une petite
sélection de ceux qui nous ont le plus inspirés. Vous en trouverez des
centaines d’autres dans la bibliographie présentée sur le Fonds documentaire
de l’École de permaculture du Bec Hellouin.
PRODUCTION ALIMENTAIRE
Permaculture, agroécologie
Ouvrages généraux, design
En anglais :
Aranya, Permaculture Design : A Step-by-Step Guide, Permanent
Publications, 2012.
Une introduction au design.
Ben Falk, The Resilient Farm and Homestead : An Innovative Permaculture
and Whole Systems Design Approach, Chelsea Green Publishing, 2013.
Une approche novatrice de l’agriculture permaculturelle développée dans
une ferme remarquable.
Andrew Goldring, Permaculture Teachers’ Guide, édité par Permaculture
Association, WWF-UK et Permanent Publications, 2000. Un document utile
à ceux qui souhaitent enseigner la permaculture : il décrit le cursus de base
enseigné dans les cours certifiés de permaculture.
Toby Hemenway, Gaïa’s Garden : A Guide to Home-Scale Permaculture,
Chelsea Green Publishing, 2000. Excellent livre sur le jardin
permaculturel, facile à lire. À quand la traduction française ?
David Holmgren, Permaculture : Principles & Pathways Beyond
Sustainability, Holmgren Design Services, 2002. Version anglaise de
Permaculture : principes et voies pour revenir à une société soutenable.
La complexité du texte de Holmgren rend la lecture ardue pour un non-
anglophone. La traduction française est maintenant heureusement
disponible. Un ouvrage majeur.
Bill Mollison et David Holmgren, Permaculture One : A Perennial
Agriculture for Human Settlements, Transworld, 1978. Traduit en français
sous le titre Permaculture 1, Debard, 1986 rééd. Éditions Charles Corlet,
2011. Le livre fondateur de la permaculture, à lire absolument, même si la
permaculture a depuis évolué.
Bill Mollison, Permaculture Two : Practical Design for Town and Country in
Permanent Agriculture, Tagari Publications, 1979. Traduit en français sous
le titre Permaculture 2, Éditions Charles Corlet, 2011. Le second livre
fondateur de la permaculture.
Patrick Whitefield, The Earth Care Manual, Permanent Publications, 2004.
Notre “bible” pendant des années, remarquable manuel clair, bien
documenté, fouillé. Il contient l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur la
permaculture, adapté à nos latitudes. L’un des meilleurs livres sur le sujet.
En anglais :
Martin Crawford, Creating a Forest Garden : Working with Nature to Grow
Edible Crops, Green Books, 2012. L’un des meilleurs ouvrages sur les
forêts-jardins, par le fondateur de l’Agroforestry Research Trust.
Robert Hart, Forest Gardening, Chelsea Green Publishing, 2e éd., 1996. Un
livre sur les forêts-jardins qui est aussi un témoignage touchant et
inspirant, plein de sensibilité et d’élévation, de Robert Hart, le premier à
avoir planté une “mini-forêt comestible” en Angleterre.
Dave Jacke et Eric Toensmeier, Edible Forest Gardens, Chelsea Green
Publishing, 2005. Volume I : Design and Practice ; volume II : Vision and
Theory. Deux gros ouvrages de fond sur les forêts-jardins, des documents
de référence, mais il faut avoir du temps devant soi et une motivation
certaine pour les lire. Plutôt destinés aux spécialistes.
Ben Law, The Woodland Year, Permanent Publications, 2008. Décrit un
véritable art de vivre dans une forêt, de la forêt. Un livre intéressant sur un
sujet encore peu exploré dans la littérature française contemporaine.
– , The Woodland Way : A Permaculture Approach to Sustainable
Woodland Management, Permanent Publications, 2e éd., 2013. Un bel
ouvrage du “pape” de la vie dans la forêt en Angleterre. Décrit une manière
soutenable de gérer une forêt.
DVD en anglais :
Malcolm Baldwin, Forest Gardening with Robert Hart, 1996. Témoignage
intéressant, incontournable.
Martin Crawford, A Forest Garden Year, 2010. Documentaire bien réalisé et
documenté pour une introduction à la forêt-jardin.
Élevage
Apiculture
Vincent Albouy, Des abeilles au jardin, Édisud, 2012. Un livre très bien fait
pour mieux connaître le monde des pollinisateurs sauvages, et s’initier à la
ruche Warré.
Gilles Denis, La Ruche Warré, édité par Gilles Denis, 2008. À commander
sur son site www.ruche-warre.com. Les ruches Warré connaissent
actuellement un engouement certain. Une approche naturelle de
l’apiculture.
Jürgen Tautz, Helga Heilmann et Yves Élie, L’Étonnante Abeille, De Boeck,
2009. Un très beau livre sur l’abeille : son mode de vie est exposé, ainsi
que celui de la colonie, dans toute sa beauté, sa simplicité, sa complexité…
et ses mystères !
Basse-cour
Jérôme Chaïb, Votre basse-cour familiale et écologique, Terre vivante, 4e éd.,
2001. Pour une approche bio de la basse-cour.
Jean-Claude Périquet, Le Traité Rustica de la basse-cour, Rustica, 2011. Un
ouvrage bien illustré, au texte concis et efficace, incontournable pour ceux
qui s’intéressent à la question, comme toutes les encyclopédies Rustica.
Autres animaux
Daniel Peyraud, Le Mouton, Rustica, coll. “Les cahiers de l’élevage”, 1995.
Un bon document d’accès facile pour le grand public.
Michel de Simiane, La Chèvre, Rustica, coll. “Les cahiers de l’élevage”,
1995. Un bon document, d’accès facile pour le grand public.
Micro-organismes
Fertilité
Auxiliaires et indésirables
Biodynamie
Gestion de l’eau
En anglais :
Sepp Holzer, Desert or Paradise : Restoring Endangered Landscapes Using
Water Management, including Lake and Pond Construction, Chelsea
Green Publishing, 2012. Intéressant pour tous ceux qui ont à gérer des
terres agricoles en milieu aride. Les résultats obtenus par Sepp Holzer en
Espagne, au Portugal ou ailleurs sont remarquables !
Brad Lancaster, Rainwater Harvesting, 3 volumes, Rainsource Press puis
Chelsea Green Publishing, 2007 et 2013. Les deux premiers tomes parus
traitent des principes fondamentaux de la gestion de l’eau et de la mise en
valeur de l’eau de pluie sur un site, le second tome explorant en détail les
techniques s’appuyant sur des ouvrages en terre. Le troisième volume,
prévu pour 2015, traitera de la récupération en toiture et des citernes. Là
encore, pas de traduction en français, malheureusement !
P. A. Yeomans, Water for Every Farm, Keyline Design, 4e éd., 2008. Livre
qui explique les concepts développés par Yeomans autour de l’eau dans le
paysage, concepts qui dépassent largement les seules notions de point-clé
et de baissière. Un seul regret, et de taille : que ce livre ne soit pas traduit
en français !
Jardinage
Claude Aubert, Le Jardin potager biologique, Le Courrier du livre, 3e éd.,
1985. L’un des tout premiers ouvrages sur le jardin bio, il reste d’actualité
trente ans après sa publication.
Le Bon Jardinier : l’essentiel, présenté par Alain Baraton, Flammarion,
2009 (édition originale : La Maison rustique, 1920). Réédition d’un
classique, gros volume agréable à feuilleter, témoignage des savoir-faire
des anciens.
Bénédicte Boudassou, Leurs secrets bio : trente fous de nature et d’écologie
nous ouvrent leurs jardins et nous livrent leurs tours de main, Larousse,
2011. Pour une balade en images au cœur de beaux jardins, quelques idées
à glaner.
Peter, Eileen Caddy et al., Les Jardins de Findhorn, Le Souffle d’or, coll.
“Findhorn”, 2e éd. française, 2008. On adhère ou pas… Nous, nous avons
adoré l’histoire de Findhorn, par ses fondateurs. Leurs témoignages
bouleversent nos idées reçues sur la nature et élargissent notre perception.
Catherine Delvaux et Alain Passard, Le Meilleur du potager à l’usage de tous
les amateurs, Larousse, 2012. Il est toujours intéressant de recueillir les
secrets d’un grand chef, qui donne aux légumes leurs lettres de noblesse !
Marc Grollimund et Isabelle Hannebicque, Jardiner bio, Ulmer, 2008. Clair
et précis. Nous aimons ce guide écrit par notre ami Marc, qui enseigne à la
ferme.
Xavier Mathias, Le Traité Rustica des variétés potagères, Rustica, 2012.
Pour mieux connaître l’histoire de nos légumes et leurs particularités. Écrit
par un jardinier expert.
John Seymour, Le Grand Guide du potager, ou Comment vivre des fruits et
légumes de son jardin, Marabout, 2009. Bel album de l’un de nos maîtres !
À lire et à relire sans modération pour recueillir la très longue expérience
de Seymour.
Machaelle Small Wright, Le Jardin de Perelandra, tome I : Guide complet du
jardinage avec les intelligences de la nature, Les Éditions co-créatives,
2004. Certains détesteront, d’autres aimeront ce livre qui invite à une
communication intérieure profonde avec la nature.
Dominique Soltner, Guide du nouveau jardinage : sans travail du sol, sur
couvertures et composts végétaux, sans bêchages ni fraisages, sans
sarclages ni binages, Sciences et Techniques agricoles, 2e éd., 2010.
Soltner décrit ses recherches pour une approche naturelle et productive du
jardin.
Jean-Paul Thorez et Brigitte Lapouge-Dejean, Le Guide du jardinage bio,
Terre vivante, 2009. Une référence absolument incontournable pour tout
jardinier, débutant ou expérimenté ! Les principes du jardin bio y sont
exposés, les méthodes de culture légume par légume, ainsi que pour les
fleurs d’ornement, les fruitiers et les petits fruits.
Richard Wallner, Manuel de culture sur butte, Rustica, 2013. L’un des rares
livres consacrés à la culture sur butte ; il décrit l’approche développée par
Richard Wallner dans sa ferme du Petit Colibri.
En anglais :
Charles Dowding, Salad Leaves for All Seasons : Organic Growing from Pot
to Plot, Green Books, 2008. Sans équivalent en français, cet ouvrage traite
des cultures de salades et de jeunes pousses sur de petits espaces. Inspirant,
notamment pour les maraîchers.
John Jeavons, How to Grow More Vegetables than You Ever Thought
Possible on Less Land than You Can Imagine, Ten Speed Press, 8e éd.,
2012. Incontournable, l’ouvrage fondateur de la microagriculture bio-
intensive.
Jack Lazor, The Organic Grain Grower, Chelsea Green Publishing, 2013.
Excellent ouvrage sur la production de semences, destiné aux amateurs
avertis, voire aux professionnels.
R. J. Ruppenthal, Fresh Food from Small Spaces, Chelsea Green Publishing,
2008. Un livre intéressant qui témoigne du renouveau de l’agriculture sur
de tout petits espaces, dans le monde anglo-saxon. Utile aux jardiniers
comme aux maraîchers.
John Seymour, The New Complete Book of Self-Sufficiency : The Classic
Guide for Realists and Dreamers, Dorling Kindersley Book, 3e éd., 2003.
Ce livre a guidé nos premières années à la Ferme du Bec Hellouin. L’esprit
de la permaculture, même s’il a été écrit avant la publication de
Permaculture I.
Catherine Woram et Martyn Cox, Gardening with Kids, Ryland
Peters & Small, 2008. Un livre gai et créatif pour que le jardin soit un lieu
d’éveil et d’épanouissement pour les enfants.
Maraîchage
Joseph Argouarc’h, Valérie Lecomte et Jean-Marie Morin, Maraîchage
biologique, Éducagri, 2e éd., 2008. Cet ouvrage destiné à l’enseignement
du maraîchage biologique dans les établissements de formation agricole
mérite d’être étudié car il énonce avec pédagogie les bases de la
profession, même si l’approche permaculturelle s’en écarte sur certains
points.
Eliot Coleman, Des légumes en hiver : produire en abondance, même sous la
neige, Actes Sud, 2013. À lire absolument, en priorité : l’un des meilleurs
maraîchers au monde décrit par le menu ses techniques. Coleman enseigne
avec clarté le maraîchage sur petite surface en planches permanentes.
Jean-Martin Fortier, Le Jardinier-Maraîcher, Écosociété, coll. “Guides
pratiques”, 2012. Portrait d’une petite ferme canadienne gérée avec
intelligence et efficacité, par un disciple de Coleman. L’approche de
Fortier est cohérente.
Dominique Soltner, Les Bases de la production végétale, 3 tomes, Sciences et
Techniques agricoles, 1972. Des ouvrages de fond utiles pour baliser un
parcours d’agriculteur.
Asafumi Yamashita, Maraîcher trois étoiles, La Martinière, 2012. Cet album
dresse un portrait de Yamashita, maraîcher renommé qui alimente quelques
grandes tables parisiennes. Pour ceux qui aiment les photos de jolis
légumes, peu de contenu.
Livres anciens :
Les ouvrages suivants, disponibles sur le Fonds documentaire de l’École de
permaculture du Bec Hellouin, intéresseront tous ceux qui souhaitent
mener une recherche sur les racines du maraîchage en France. Nombre de
pratiques oubliées lors de l’essor de la mécanisation méritent d’être
redécouvertes.
J. Curé, Ma pratique de la culture maraîchère ordinaire et forcée, La Maison
rustique, 1918.
Antoine Dumas, La Culture maraîchère : traité pratique pour le Midi, le
Centre de la France et pour l’Algérie, J. Rothschild, 4e éd., 1880.
Jacques Lacombe, Art aratoire et du jardinage, H. Agasse, 1796.
J.-G. Moreau et Jean-Jacques Daverne, Manuel pratique de la culture
maraîchère à Paris, Vve Bouchard-Huzard, 1845.
I. Ponce, La Culture maraîchère pratique des environs de Paris, La Maison
rustique, 1869.
En anglais :
Eliot Coleman, The New Organic Grower : A Master’s Manuel of Tools and
Techniques for the Home and Market Gardener, Chelsea Green
Publishing, 2e éd., 1995. Un manuel complet pour s’initier au maraîchage
biologique, remarquable ouvrage qui a contribué à l’essor de la
microagriculture nord-américaine.
– , Four-Season Harvest : Organic Vegetables from your Home Garden all
Year Long, Chelsea Green Publishing, 2e éd., 1999. Comme tous les
manuels de Coleman, celui-ci mérite d’être lu et relu, même si Des
légumes en hiver : produire en abondance, même sous la neige est plus
récent.
– , The Winter Harvest Handbook : Year-Round Vegetable Production
Using Deep-Organic Techniques and Unheated Greenhouses, Chelsea
Green Publishing, 2009.
Cet ouvrage a fortement influencé la Ferme du Bec Hellouin. Il est
heureusement maintenant disponible en français sous le titre Des légumes
en hiver : produire en abondance, même sous la neige, Actes Sud, 2013.
Semences
Christian Boué, Produire ses graines bio, Terre vivante, 2012. Un très bon
ouvrage destiné aux jardiniers qui souhaitent produire leurs propres
semences. Les principes fondamentaux sont très clairement expliqués, et
chaque légume fait ensuite l’objet d’une fiche détaillée.
Dominique Guillet, Les Semences de Kokopelli, Association Kokopelli, 12e
éd., 2013. À commander sur le site de Kokopelli, kokopelli-semences.fr.
Un très beau livre, qui comprend de nombreux articles sur l’agriculture et
les enjeux autour des semences. Surtout, pour tous les légumes (même
ceux dont vous ignoriez l’existence !) et de nombreuses fleurs, la façon de
produire les semences est expliquée et des dizaines (parfois des
centaines !) de variétés décrites. Une bible !
En anglais :
Martin Crawford et Caroline Aitken, Food From Your Forest Garden, Green
Books, 2013. Un ouvrage récent par l’un des maîtres des forêts-jardins,
inspirant.
SCIENCES NATURELLES
Ouvrages généraux
Gerald et Lee Durrell, Le Guide du naturaliste, Bordas, 2e éd., 1993. Une
introduction agréable pour les jeunes et moins jeunes qui découvrent cette
science merveilleuse.
Patrice Maubourget (dir.), Encyclopédie Larousse de la nature : la planète de
la vie, Larousse, 1992. Une première approche assez exhaustive et
généraliste.
– , Encyclopédie des sciences de la nature, Larousse, 1995. Une première
approche assez exhaustive et généraliste.
Plantes
Ouvrages généraux
En anglais :
Ken Fern, Plants For a Future : Edible & Useful Plants For a Healthier
World, Permanent Publications, 2e éd., 2009. Un classique pour les
anglophones, écrit par l’un des pionniers en la matière. Voir aussi son site
www.pfaf.org.
Sites Internet en français :
Plantes d’avenir, plantes-davenir.loncletom.fr : traduction (en cours) du site
anglais Plants for a future, www.pfaf.org.
Wikipedia : classement par noms vernaculaires et par noms scientifiques.
Arbres
Fleurs
Plantes bio-indicatrices
Plantes sauvages
Graines germées
Champignons
Peter Jordan et Steven Wheeler, Les Champignons : connaître et cuisiner,
Larousse, coll. “Larousse saveurs”, 2e éd. française, 1997. Guide pour
l’identification et la récolte.
Cécile Lemoine et Georges Claustres, Les Champignons, Ouest-France, coll.
“Les guides pratiques”, 2e éd., 1993. Guide pour l’identification et la
récolte.
Frédéric Mazeaud, Le Panier des champignons, Glénat, coll. “Le Promeneur
gourmand”, 1995. Guide pour l’identification et la récolte.
En anglais :
Paul Stamets, Growing Gourmet and Medicinal Mushrooms, Ten Speed
Press, 3e éd., 2000. Pour apprendre à cultiver les meilleurs champignons.
Animaux
Voir aussi Élevage, p. 345.
Oiseaux
Papillons
Ouvrages généraux
Rob Hopkins, Manuel de transition : de la dépendance au pétrole à la
résilience locale, Écosociété, 2010. Ouvrage fondateur du mouvement des
villes en transition, à lire absolument.
James Lovelock, Gaïa : comment soigner une Terre malade ?, Robert
Laffont, 1992.
Un classique, incontournable aujourd’hui encore : l’hypothèse Gaïa.
Pierre Rabhi, Manifeste pour la Terre et l’humanisme : pour une insurrection
des consciences, Actes Sud, 2008. Une critique sans concession de la
modernité, mais aussi un programme de vie et d’action lucide et sensible.
– , Éloge du génie créateur de la société civile : tous candidats !, Actes
Sud, coll. “Domaine du possible”, 2011. Une invitation à agir sans
attendre, par l’un des grands pionniers de l’agroécologie.
Agnès Sinaï (dir.), Penser la décroissance : politiques de l’Anthropocène,
Les Presses de Sciences-Po, coll. “Nouveaux débats”, 2013. Des réflexions
audacieuses, des points de vue novateurs, par Agnès Sinaï, spécialiste des
questions de descente énergétique, qui enseigne à Sciences Po et à l’École
de permaculture du Bec Hellouin.
Muhammad Yunus et Alain Jolis, Vers un monde sans pauvreté, Jean-Claude
Lattès, coll. “Le Livre de poche”, 1997. Ce récit de l’aventure de
Mohammad Yunus, fondateur du microcrédit et Prix Nobel, se lit comme
un roman, donne envie de se retrousser les manches et d’agir !
En anglais :
Azby Brown, Just Enough : Lessons in Living Green from Traditional Japan,
Tuttle Publishing, 2012. Témoignage inspirant d’un renouveau écologique
au Japon durant l’ère Edo, avec de nombreuses passerelles vers notre
société et des pistes de réflexion pour sortir de la crise.
Alimentation, agriculture
Lionel Astruc et Cécile Cros, Manger local. S’approvisionner et produire
ensemble, Actes Sud, coll. “Domaine du possible”, 2011. Une réflexion
autour d’un mouvement qui s’affirme : le retour au local.
Mathieu Calame, La Tourmente alimentaire, Charles Léopold Mayer, 2008.
Nous avons beaucoup aimé cet ouvrage fouillé et audacieux. Les premiers
chapitres proposent une relecture iconoclaste de l’histoire de l’agriculture.
Philippe Desbrosses, Agriculture biologique : préservons notre futur, Alphée,
2e éd., 2006. Par l’un des pères fondateurs de l’agriculture bio en France,
un cri d’alerte, une invitation à s’engager.
– , Nous redeviendrons paysans, Alphée, 5e éd., 2007. Une réflexion sur le
rôle des paysans au cœur du monde moderne et les perspectives d’avenir
pour sortir de la crise : un merveilleux livre qui a influé sur notre parcours.
Marc Dufumier, Cinquante idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation,
Allary éditions, 2014. Passionnant document, signé par un agronome
engagé, expert en agroécologie.
– , Famine au Sud, malbouffe au Nord : comment le bio peut nous sauver,
Nil, 2012. Passionnant document, signé par un agronome engagé, expert en
agroécologie.
Formations bio Sainte-Marthe, Une nouvelle espèce en voie d’apparition :
témoignages, astuces, expériences de personnes qui vivent et travaillent
autrement, 2011. Un ouvrage collectif créatif et inspirant de nos amis
d’Intelligence verte !
Pierre Gevaert, Alerte aux vivants et à ceux qui veulent le rester : pour une
renaissance agraire, Ruralis, 2005. Les livres de Pierre Gevaert, fondateur
de la société Lima, gagnent à être connus. Récit émouvant d’un grand
témoin.
Ifoam EU Group (International Federation of Organic Agriculture Movement)
et al., Agroécologie : dix exemples d’innovation réussie en agriculture,
2012. Portraits d’expériences agroécologiques européennes, dont la Ferme
du Bec Hellouin.
Jean-Paul Jaud et Anne-Laure Murier, Nos enfants nous accuseront,
Alternatives, coll. “Manifestô”, 2011. Le livre du film, difficile de rester
indifférent !
Pierre Rabhi, L’Offrande au crépuscule, L’Harmattan, 2001. L’un des
nombreux ouvrages de Pierre Rabhi, le paysan poète et visionnaire : à lire
et relire, comme tous les autres !
Gilles-Éric Séralini, Tous cobayes ! OGM, produits chimiques, Flammarion,
coll. “Flammarion document”, 2012. Un livre-choc, par l’auteur de la
célèbre étude sur les OGM.
En anglais :
Dena Merriam, The Message in a Seed : Guidelines for Peaceful Living,
Shumei International, 2007. Nous avons aimé ce livre présentant la
philosophie de Shumei, un mouvement d’agriculture naturelle japonais.
Énergie
Association NégaWatt, Manifeste négaWatt : réussir la transition
énergétique, Actes Sud, coll. “Domaine du possible”, 2012. Pour poser un
regard lucide et réaliste sur la question essentielle de la transition
énergétique.
Alain Grandjean et Hélène Le Teno, Miser (vraiment) sur la transition
écologique, Éditions de l’Atelier, 2014. Un livre passionnant, très
documenté, signé par deux spécialistes des questions d’énergie et de
séquestration du carbone. Vivant, accessible, à mettre entre toutes les
mains !
Rob Hopkins, Manuel de transition : de la dépendance au pétrole à la
résilience locale, Écosociété, 2010. Pour quitter l’ère de la dénonciation et
entrer dans l’ère des solutions !
Habitat, construction
Claudia Lorenz-Ladener, Construire une cave naturelle, Ulmer, 2012. La
cave naturelle offre de nombreuses possibilités.
Clarke Snell et Tim Callahan, Manuel de construction écologique, La Plage
éditeur, 2006. Le B-A BA de l’éco-construction.
Roland Théron, Habiter la Terre : des maisons et des hommes, La Martinière,
2012. Une enquête sur l’habitat écologique, traditionnel ou contemporain,
autour du monde.
En anglais :
Mike Oehler, The $50 & up Underground House Book, Mole Publishing
Company, 7e éd., 2004. Comment autoconstruire un habitat écologique à
très faible coût.
Autosuffisance
Vie à la campagne d’aujourd’hui et d’autrefois
En anglais :
Kerry Dawborn et Caroline Smith, Permaculture Pioneers, Melliodora
Publishing, 2011. Une enquête sur les pionniers de la permaculture.
Maurice Grenville Kains, Five Acres and Independence : A Handbook for
Small Farm Management, Dover Publications, 1973. Un livre précurseur
du renouveau des petites fermes outre-Atlantique.
Artisanat, travail
Artisanat
Véronique Azire, Outils des artisans, Terres éditions, 2013. Pour une
première découverte des outils de nos aïeux, une source d’inspiration pour
nos fermes.
Havard Bergland, Art et technique de la forge, Vial, 2007. Un ouvrage
pédagogique pour s’initier à l’art complexe de la forge.
Bernard Bertrand, La Vannerie, 2 volumes, Éditions de Terran, 2008 et 2011.
Parfaitement documentés, deux ouvrages pédagogiques réussis pour
découvrir chez soi l’art de la vannerie.
– , Le Bois, l’outil, le geste…, Éditions de Terran, 2010. Un album
indispensable à tous ceux qui désirent renouer avec des gestes ancestraux,
pour gagner en autonomie dans leur vie quotidienne et retrouver la fierté
de fabriquer des objets usuels beaux et fonctionnels.
En anglais :
Edward Mills et Rebecca Oaks, Greenwood Crafts, The Crowood Press,
2012. Ce livre témoigne du renouveau contemporain du travail du bois vert
en Angleterre, passionnant ! À quand l’équivalent en France ?
Organisation du travail
Charles Hervé-Gruyer
L’avenir est en nous (ouvrage collectif), Dangles, 2014.
La Femme feuille (roman), Albin Michel, 2007.
Cunas, les Indiens du corail, Gallimard Jeunesse, 1994.
Wayanas, les Indiens du fleuve, Gallimard Jeunesse, 1994.
Bijogos, les Grands Hommes de l’archipel, Gallimard Jeunesse, 1993.
Imragen, les pêcheurs du désert, Gallimard Jeunesse, 1992.
Les Enfants dauphins, Gallimard Jeunesse, 1990.
Ouvrage réalisé
par le Studio Actes Sud
Couverture
Domaine du possible
Présentation
PRÉFACE
INTRODUCTION
I - LA PIROGUE DE PUPOLI
Frère singe
II - AUTOUR DU MONDE
L’asphyxie de la planète
En quête de cohérence
Le cheval de trait
IV - AMAZONIE
Le chemin du bien-être
Se nourrir en conscience
Énergie vitale
VII - NÉO-PAYSANS
Un parcours solitaire
Le jardin mandala
Les îles-jardins
La forêt-jardin
Changer de paradigme
Faucheurs volontaires
IX - LA MICROAGRICULTURE BIO-INTENSIVE
Un peu d’histoire
Un constat accablant
X - ELIOT COLEMAN
Le jardinier-maraîcher du Québec
Créer du sol
Fermentation ou décomposition ?
Premières formations
L’équipage de la ferme
XV - LA FORÊT-JARDIN
Manger du pétrole
Le défi alimentaire
Agriculture et énergie
Relocaliser l’agriculture
Vers l’autofertilité
Pourquoi labourer ?
Créer de l’humus
Le rapport au temps
Le changement d’échelle
Manger autrement ?
Microfermes et entreprises
Néo-paysans
Et à la campagne
Et combien d’artisans ?
Le village planétaire
XXII - LA BIO-ABONDANCE
POSTFACE
REMERCIEMENTS
LA PERMACULTURE EN FRANCE