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Faculté d’Economie et de Gestion

Module : Management des compétences


Option : Management des Ressources Humaines
Semestre : 6
Groupes : 1&2

Chapitre 3

LES APPROCHES RENOUVELEES


DU MANAGEMENT DES COMPETENCES

Dr. Yahya EL MOUNTASSIR


Professeur en Économie et Gestion

Année Universitaire 2020/2021


Chapitre 3 :
LES APPROCHES RENOUVELEES
DU MANAGEMENT DES COMPETENCES

Dans le deuxième chapitre, nous avons présenté, de manière segmentée et


additive, le management des compétences à partir des trois niveaux d’analyse du concept
de compétence (individuel, collectif et organisationnel). Toutefois, pour bien comprendre
le management des compétences dans l’entreprise nécessite de préciser que ces trois
niveaux ne sont pas indépendants, mais au contraire, étroitement liés. L’approche
séquentielle des compétences oppose de façon stérile différentes facettes d’une même
réalité organisationnelle. Dans ce chapitre, nous allons voir comment la littérature a fait
de l’approche transversale des compétences individuelles, collectives et
organisationnelles, une nécessité pour appréhender le management des compétences dans
les entreprises.

I. La revendication d’une approche transversale du management


des compétences

1. L’articulation des niveaux micro et macro de la compétence

Le concept de compétence prend, en sciences de gestion, une place considérable dans


deux disciplines : la GRH et la stratégie. La GRH s’intéresse à la gestion des
compétences individuelles (niveau micro). Le management stratégique s’intéresse, quant
à lui, à la gestion des compétences organisationnelles (niveau macro)1. Ainsi, la notion de
compétence pose un véritable problème d’étude, dans la mesure où elle est largement
reconnue par les chercheurs spécialisés en GRH et en stratégie, mais sous des termes
différents, ou plutôt à des niveaux différents. Toutefois, pour de nombreux auteurs, la
GRH et la stratégie apparaissent complémentaires vis-à-vis du concept de compétence.

1 Cela ne veut pas dire que la stratégie omet le fait que l’individu puisse être porteur de compétence, voire
détenteur exclusif d’une ou de plusieurs compétences essentielles pour l’entreprise. En effet, pour de
nombreux auteurs, les ressources humaines jouent un rôle crucial dans la performance des entreprises
(Prahalad & Hamel, 1990 ; Nordhaug & Gronhaug, 1994). Toutefois, si une gestion des individus
détenteurs de compétences est envisagée, elle reste secondaire par rapport à la gestion de la compétence
organisationnelle. Comme le souligne Nordhaug (1994), le niveau micro de la compétence occupe une
place très marginale dans le MRC.

D’un côté, il est difficile de soutenir que les compétences individuelles ne font pas partie
intégrante de la compétence organisationnelle. En effet, il nous semble inconcevable
d’étudier les compétences d’une entreprise, sans longuement s’attarder sur les
compétences de ses individus.
En guise d’illustration, comment une technologie détenue par une entreprise pourrait-elle
s’appliquer sans l’intervention d’individus ? Pourtant d’un autre côté, les compétences de
l’entreprise ne sont pas réductibles. La simple agrégation des compétences individuelles
qui la composent, puisqu’elles concernent un grand nombre d’actifs tangibles et
intangibles, qui ne sont pas nécessairement liés au travail. Nous reprenons ici les propos
de Tarondeau & Wright (1995), pour lesquels « les compétences organisationnelles ne
sont pas spécifiques d’un poste de travail ou d’une personne mais résultent
d’interactions entre individus, technologies et autres ressources au sein de l’entreprise ».
L’articulation entre GRH et stratégie permettrait de réconcilier les visions individualiste
et holiste des compétences. En effet, étudier de façon antinomique les compétences
individuelles et les compétences organisationnelles conforte l’opposition usuelle entre
d’une part, l’approche « individualiste »2 qui appréhende la compétence à partir de
l’activité cognitive des individus dans l’organisation, et d’autre part, la position « holiste
» 3 qui personnifie l’organisation et appréhende la compétence à partir de systèmes
organisationnels comme les technologies, les pratiques, les routines, les procédures, les
structures de l’entreprise ou encore la culture organisationnelle. En d’autres termes, la
GRH opterait pour une vision individualiste de la compétence puisqu’elle est confrontée
en permanence à des pratiques individuelles de gestion, alors que la stratégie
s’apparenterait à la position holiste, dans la mesure où elle s’intéresse à des questions qui
concernent l’orientation de l’entreprise dans son ensemble. Pour dépasser l’opposition
entre individualisme et holisme, une autre proposition de l’articulation du sujet (l’agent
humain compétent) et de l’objet (la société) comme les deux faces, indissociables, du
système social. Dès lors, « l’objet d’étude par excellence des sciences sociales est
l’ensemble des pratiques sociales accomplies et ordonnées dans l’espace et dans le
temps, et non l’expérience de l’acteur individuel ou l’existence de totalité sociétale ».

2 L’approche « individualiste » considère que la société résulte de l’agrégation des actions individuelles qui
la composent, chaque individu poursuivant des buts qui lui sont propres et non les buts officiels de
l’entreprise.
3 Le holisme repose sur le postulat suivant lequel la société forme un tout, une entité originale, différente de
la simple somme des individus qui la composent.

Articuler les niveaux micro et macro de la compétence reviendrait alors à placer dans une
logique de complémentarité, et non plus oppositionnelle, la GRH et la stratégie.

2. La cohérence entre GRH et stratégie

La question de la cohérence entre GRH et stratégie intéresse de nombreux chercheurs4.


Un niveau intermédiaire fait défaut : « c’est celui qui permettrait précisément de voir
comment les deux approches de la compétence pourraient avoir intérêt à se combiner et
à rétroagir l’une sur l’autre ». La cohérence entre GRH et stratégie prend tout son sens à
travers la notion de compétence collective, mise en scène par le management de
proximité. La littérature offre une définition de la compétence collective qui apparaît à
l’intersection entre les niveaux individuel et organisationnel de la compétence. Ce constat
ne fait que renforcer l’intérêt de poursuivre les recherches sur les compétences
collectives, en les considérant au cœur de la cohérence entre compétences individuelles et
compétences organisationnelles, autrement dit les garants du décloisonnement entre GRH
et stratégie.
À cet effet, le nombre limité d’études qui analysent la compétence comme un construit
multidimensionnel. D’ailleurs, seuls quelques travaux traitent de manière conjointe les
niveaux individuel, collectif et organisationnel de la compétence. C’est à Nordhaug
(1994, 1996) que nous devons les premières recherches sur l’approche transversale des
compétences. L’auteur, qui appartient à l’école norvégienne d’économie et
d’administration des affaires (Norvegian School of Economics and Business
Administration), cherche à fournir une perspective intégrative des compétences, à tous les
niveaux d’analyse. Avant d’exposer la représentation de l’approche transversale des
compétences proposée par Nordhaug, nous proposons de revenir sur les définitions qu’il
donne pour chacun des niveaux d’analyse de la compétence :


4 D’ailleurs, le modèle des ressources et des compétences offre un cadre d’analyse pour une littérature
émergente en management stratégique des ressources humaines (Lado & Wilson, 1994 ; Kamoche, 1996 ;
Wright & al., 2001). Ces travaux examinent principalement comment les pratiques en ressources humaines
et les relations professionnelles affectent l’avantage concurrentiel, comment en particulier elles facilitent
ou freinent le développement et l’utilisation de compétences, ou encore comment les dirigeants et
l’encadrement contribuent à la performance de l’entreprise (Lamarque & Lamarque, 2003).

Þ Les compétences individuelles sont composées des connaissances, capacités et
aptitudes des individus, lesquelles sont utilisées ou seront utilisées par les
employés en situation de travail ;

Þ Les compétences collectives sont composées de connaissances, de capacités et du


code génétique d’une équipe ;

Þ Les compétences organisationnelles sont définies comme les connaissances, les


capacités et le code génétique d’une organisation. L’auteur définit le code
génétique d’une entreprise comme l’ensemble des « opportunités et limites
intrinsèques à l’organisation dès sa conception et qui restent largement
indépendantes du développement des connaissances et capacités de l’entreprise
»5.
Il énonce également que le code génétique d’une entreprise se réfère généralement à la
culture organisationnelle, considérée comme l’équivalent des aptitudes pour les
individus. Pour lui, ces trois niveaux d’analyse de la compétence ne sont pas
indépendants les uns des autres. Au contraire, il considère « qu’il existe un besoin
apparent de mener des recherches au niveau théorique sur le concept de compétence tel
qu’il se développe au sein des organisations en incluant les relations qui peuvent exister
entre les micro, méso et macro niveaux d’analyse ». Pour l’auteur, ces trois niveaux
d’analyse de la compétence sont en interaction de façon continue et s’enrichissent
mutuellement. Le schéma exposé ci-après illustre ces relations :


5 « (…) opportunities and limitations defined at the time of their conception and foundation that are largely
independent of the organization’s subsequent development of knowledge and skills » (Nordhaug, 1996).
Source : Nordhaug (1996, p. 211)

Cette représentation dépeint les synergies qui s’effectuent entre les trois niveaux
d’analyse de la compétence, non seulement l’existence d’influences directes entre les
différents niveaux de compétence mais également sur l’existence d’une hiérarchie entre
ces niveaux. En effet, selon l’auteur, il apparaît « un phénomène d’agrégation et de
transformation des compétences individuelles en compétences collectives comme, plus
tard, il est possible d’observer ce même phénomène d’agrégation et de transformation de
ces deux catégories de compétences en compétences organisationnelles »6. En d’autres
termes, les compétences individuelles des salariés s’agrègent en compétences collectives,
lesquelles participent à l’élaboration des compétences organisationnelles de l’entreprise.
La logique retenue par Nordhaug est donc une démarche « bottom-up », partant du niveau

6 « (…) a conception of the aggregation and transformation of individual competence into team
competence, and, furthermore, the aggregation and transformation of these into organizational
competence » (Nordhaug, 1996, p. 210).
individuel, puis collectif, pour arriver au niveau organisationnel, et ceci par agrégations
successives. Cependant, cette démarche d’analyse pas le passage du niveau
organisationnel au niveau individuel, pour montrer comment l’entreprise peut induire le
développement de certaines compétences individuelles.

3. Autres approches transversales des compétences

Autres auteurs ont également mis en avant l’importance d’une approche transversale des
compétences, les trois niveaux de la compétence sont en interaction permanente. Cette
interaction aboutit à un enrichissement mutuel, ce qui rend leur analyse isolée peu
pertinente et renforce encore la difficulté d’avoir une vision claire de la notion de
compétence. Dejoux (2000) considère qu’à la fois aux niveaux théorique et empirique, il
est important de privilégier une analyse transversale de la compétence qui est
représentative d’une mise en réseau des différents savoirs de l’entreprise. Rouby & Solle
(2002) prônent également une approche non segmentée des compétences individuelles,
collectives et organisationnelles.
En outre, selon ces auteurs, une lecture transversale de la thématique des compétences
conduit les entreprises décloisonner leurs fonctions et à s’interroger sur les modalités de
leurs recoupages, tel que celui de la GRH et de la stratégie7.
Toutefois, bien que ces différents travaux recommandent une approche transversale des
compétences reliant les micro, méso et macro niveaux d’analyse, ils ne détaillent pas la
nature de leurs relations. En fait, le travail sur l’articulation des niveaux d’analyse de la
compétence n’en est qu’à ses prémisses en sciences de gestion. Dès lors, il émerge un
besoin apparent de développer des recherches prenant en compte les relations entre les
trois niveaux de compétence, et notamment de s’interroger sur le « comment ? » de
l’articulation de ces derniers.
En résumé, à l’inverse de l’approche « classique » du management des compétences,
laquelle est majoritairement présentée dans la littérature comme une approche segmentée
et additive des compétences individuelles, collectives et organisationnelles, nous
considérons que l’analyse des compétences au sein des entreprises ne peut être réduite à

7 Selon Lecocq (2002), le cloisonnement et le découpage fonctionnel (marketing, finance, contrôle de
gestion, gestion des ressources humaines, stratégie, etc.) adopté par les gestionnaires pour diviser leur
champ d’étude constitue un frein au développement de travaux sur l’articulation des niveaux d’analyse
d’un concept.

la simple agrégation de ces niveaux, c’est-à-dire se superposant les uns aux autres sans
s’enrichir mutuellement par interactions dynamiques. Au contraire, les trois niveaux de
compétence ne sont pas indépendants, mais interagissent les uns les autres d’une façon
itérative et continuelle.

II. Management des compétences et Knowledge Management

Dans la littérature, deux branches issues de la théorie des ressources, sont largement
représentées : la « Competence-Based View » (CBV) et la « Knowledge-Based View »
(KBV). Pour l’approche CBV, les compétences organisationnelles jouent un rôle critique
dans le développement et la survie de l’entreprise. Pour l’approche KBV, ce que
l’entreprise fait mieux que le marché, c’est le partage et le transfert des connaissances des
individus et des groupes dans l’organisation. En fait, cette approche prône la
prédominance d’un type de ressource, la connaissance8, et l’analyse en détail, mettant au
second plan les autres types de ressources initialement privilégiés par la théorie des
ressources. Notamment, les connaissances figurent au rang des ressources sur lesquelles
une entreprise peut fonder son développement stratégique. C’est ainsi que la gestion des
connaissances, plus connue sous le nom de Knowledge Management (KM), a rencontré
un essor important ces dernières années.
Le KM place la connaissance, qu’elle soit individuelle ou collective, au centre des
préoccupations de l’entreprise et s’intéresse aux dispositifs de recension, de codification,
de stockage, de transmission, de partage et d’apprentissage.

1. Les données

La matière brute de cette chaîne est constituée par les données. Une donnée est un fait
discret et objectif. Elle résulte d’une acquisition, d’une mesure effectuée par un


8 Dans la littérature française, le terme anglo-saxon « knowledge » est traduit indifféremment
par « Connaissance » ou « savoir ». De même, dans l’entreprise, la tendance est d’utiliser indifféremment
les terme connaissance » et « savoir ». En effet, la distinction entre « la connaissance » et « le savoir » est
délicate. Pourtant, à la différence du savoir qui désigne plutôt des informations enregistrées de manière plus
ou moins définitive et structurée, la connaissance nécessite un travail d’identification pour parvenir à
restituer une information (Bruneau & Pujos, 1992). Par convention, dans notre recherche, nous emploierons
indifféremment les termes « connaissance » et « savoir », dans la mesure où nous considérons la notion de
savoir dans une acception large.

instrument naturel ou construit par l’homme. Elle peut être qualitative ou quantitative.
Une donnée seule a peu de valeur, mais elle est très facile à stocker et à manipuler
(notamment grâce aux technologies de l’information et de la communication).

2. L’information

Une information est une collection de données qui sont triées et organisées pour donner
forme à un message (le plus souvent sous une forme visible, imagée, écrite ou orale),
résultant d’un contexte donné. Cette transformation des données en information est
parfaitement subjective, puisqu’elle résulte de l’intention et de l’intelligence de
l’émetteur, mais également de l’individu qui la reçoit.

3. La connaissance

La connaissance représente le stade suivant de transformation dans la chaîne. Elle


s’acquiert par accumulation d’informations, qui s’organisent progressivement par
rubriques, dans la tête des individus, mais aussi dans l’ensemble des moyens de stockage,
tels que les ouvrages, les bases de données, etc.
Si l’information et la connaissance sont toutes deux relationnelles et contextualisées, et
donc souvent utilisées indistinctement, il existe pourtant des distinctions claires entre les
deux.
La connaissance est avant tout une information qui prend du sens dans un certain
contexte, sans lequel la connaissance n’est ni interprétable, ni signifiante. En d’autres
termes, l’information ne devient connaissance que lorsqu’elle est comprise par le schéma
d’interprétation du receveur qui lui donne un sens, en fonction des connaissances
précédemment acquises. L’interprétation est donc le facteur clé permettant de distinguer
une information d’une connaissance. Ensuite, contrairement à l’information, la
connaissance n’est pas un item figé dans un stock, mais reste activable selon une finalité,
une intention, un projet.

4. La compétence
La compétence est le stade le plus élaboré de la chaîne de transformation. D’une manière
générale, la compétence est souvent définie comme l’application effective des
connaissances à une situation donnée (résolution de problème, décision, action).
Autrement dit, elle est souvent considérée comme des connaissances en action. Dès lors,
la notion pivot de l’articulation entre connaissance et compétence est celle d’activité ou
de processus d’action. En d’autres termes, disposer des connaissances n’est pas suffisant
pour la réussite de l’activité.
En revanche, être capable de les mettre en œuvre est indispensable. Ainsi, la prise en
compte simultanée des connaissances et de leur mise en œuvre dans l’action (les
compétences) préconise de ne pas séparer management des connaissances et management
des compétences, ce qui reviendrait alors à « séparer gestion des sujets pensants et
gestion des sujets agissants »

III. L’approche dynamique du management des compétences :


l’apprentissage organisationnel

Les entreprises évoluant dans des environnements de plus en plus concurrentiels et


changeants, il est important de s’interroger sur la dynamique de construction et de
développement de leurs compétences, plutôt que sur leur simple identification. En effet,
c’est bien par la production continue de compétences que l’entreprise se donne un
véritable avantage concurrentiel.

1. Définition de l’apprentissage organisationnelle

Les définitions de l’apprentissage organisationnel sont aujourd’hui aussi nombreuses que


les travaux qui lui sont consacrés. Nous retenons la définition proposée par Koeing
(1994) : l’apprentissage organisationnel est « un phénomène collectif d’acquisition et
d’élaboration de compétences qui, plus ou moins profondément, plus ou moins
durablement, modifie la gestion des situations et les situations elles-mêmes ». Cette
définition nous semble la plus riche au regard des travaux existants, pour deux raisons
majeures. En premier lieu, elle rappelle le lien entre apprentissage et développement de
compétences. D’ailleurs, le choix effectué par Koeing de remplacer la notion de savoir,
très largement utilisé dans les définitions de l’apprentissage organisationnel, par le terme
« compétence », lui permet d’opérer une distinction entre le « réussir » (la compétence) et
le « comprendre » (le savoir).
2. L’apprentissage : phénomène individuel ou organisationnel ?

En parcourant l’ensemble des travaux portant sur l’apprentissage organisationnel, nous


remarquons une forte ambiguïté quant au sujet même de l’apprentissage : est-ce
l’individu ou bien l’entreprise dans son ensemble qui est doué d’apprentissage ? Le
concept d’apprentissage a longtemps été réservé à l’acquisition de compétences
individuelles, notamment par la formation ou l’expérience.
L’apprentissage organisationnel est un phénomène collectif plutôt qu’individuel, car il
suppose que l’acquisition de compétences, même si elle est strictement individuelle, a des
effets sur l’organisation ou sur plusieurs de ses membres. C’est l’organisation qui
constitue le contexte d’apprentissage, son horizon. Elle détermine les modes de
coordination entre les individus, ce qui explique d’une certaine manière, qu’il existe des
fonctions ou des lieux d’apprentissage privilégiés au sein de l’organisation, tels que les
projets.
La question des liens entre apprentissage individuel et apprentissage organisationnel est
souvent présentée comme allant de soi et n’a pas fait l’objet d’une attention à sa juste
valeur. Ce débat entre apprentissage individuel et apprentissage organisationnel est
particulièrement intéressant, dans la mesure où nous retrouvons ici la problématique de
l’articulation des compétences individuelles et organisationnelles. Aussi, de la même
manière que la compétence organisationnelle diffère de la simple agrégation des
compétences individuelles, l’apprentissage organisationnel ne se résume pas à la somme
de l’apprentissage des membres de l’entreprise. Il est donc également important de
dépasser l’opposition usuelle entre apprentissage individuel et apprentissage
organisationnel, en les considérant de manière intégrée.
En résumé, le débat entre apprentissage individuel et apprentissage organisationnel ne
peut trouver une issue que dans une perspective interactionniste : ce sont les échanges
établis par les interactions sociales entre les individus qui constituent le mécanisme
d’apprentissage organisationnel.

3. Les modalités de développement des compétences


Il existe plusieurs manières pour une organisation d’accéder à des compétences qu’elle
ne possède pas. Au-delà des compétences innées qui proviennent des fondateurs des
organisations et des pratiques institutionnalisées adoptées dès la naissance de
l’organisation, les compétences de l’entreprise peuvent être transférées ou imitées en
externe, acquises ou développées en interne, et parfois désapprises.

a. Le développement externe des compétences :


Le développement externe des compétences renvoie à l’apprentissage par transfert de
compétences ou par imitation des pratiques d’autres firmes. En ce qui concerne
l’apprentissage par transfert de compétences, il consiste à importer directement des
compétences provenant d’autres organisations, de manière à les adopter lorsqu’elles sont
de nature à améliorer les performances de l’entreprise. Ce mode d’apprentissage peut
prendre la forme de fusions ou d’acquisitions, ou de toute autre forme de coopération
inter-entreprises.
L’une des principales raisons du recours aux accords de coopération externe réside dans
un objectif d’acquisition et de développement de nouvelles compétences
complémentaires, au moyen de l’accès aux compétences des partenaires. Aussi, ce
processus d’apprentissage entre partenaires est à appréhender au travers de la capacité
d’absorption des compétences d’autrui. Cette notion a été développée par Cohen &
Levinthal (1990), qui la définissent comme « la capacité d’une entreprise à reconnaître
la valeur d’une information nouvelle, externe, de l’assimiler et de l’exploiter à des fins
commerciales ».
Enfin, l’instauration de relations de confiance, qui apparaît dans la littérature comme une
condition essentielle à la formation des alliances et au transfert inter-organisationnel des
compétences, s’appuie sur l’évaluation des compétences respectives des entreprises et
leur réputation.

b. Le développement interne des compétences : la recherche d’un


équilibre entre exploitation et exploration

Le développement interne des compétences est le principal moyen pour les organisations
de maintenir et augmenter leurs compétences. Contrairement aux alliances et aux
acquisitions qui nécessitent des interactions avec d’autres organisations, le
développement interne laisse l’entreprise libre de ses propres décisions et limite le besoin
de révéler ses connaissances et compétences. De plus, le développement interne est
particulièrement intéressant en termes d’appropriabilité des compétences. Il permet
d’avoir le contrôle le plus élevé sur les nouvelles compétences développées, ce qui va
renforcer son avantage concurrentiel.
Les recherches relatives à l’apprentissage en interne des compétences se développent
selon deux voies, plus précisément à partir de deux niveaux distincts. Ces deux niveaux
d’apprentissage prennent des dénominations différentes selon les auteurs. Nous pouvons
citer :
Þ L’apprentissage en simple boucle versus l’apprentissage en double boucle ;
Þ L’apprentissage de niveau inférieur versus l’apprentissage de niveau supérieur ;
l’apprentissage adaptatif versus l’apprentissage génératif ;
Þ L’apprentissage par exploitation versus l’apprentissage par exploration ;
Þ L’apprentissage tactique versus l’apprentissage stratégique ;
Þ L’apprentissage opérationnel versus l’apprentissage conceptuel ;
Þ L’apprentissage par accumulation d’expérience versus l’apprentissage par
expérimentation ;
Þ L’apprentissage du « comment » versus l’apprentissage du « pourquoi » ;
Þ L’apprentissage par optimisation des compétences existantes « competence
leveraging » ;
Þ L’apprentissage par construction de nouvelles compétences.

c. Le désapprentissage

La troisième modalité de développement des compétences est le désapprentissage.


l’apprentissage se produit généralement par remplacement et non par confirmation des
compétences existantes. Le désapprentissage, qui consiste à écarter les compétences
utilisées jusqu’ici, laisse alors le champ libre pour de nouvelles réponses
organisationnelles et de nouvelles cartes mentales. Il constitue ainsi un oubli actif et
apparaît comme la condition nécessaire d’un apprentissage profond. Désapprendre pour
mieux changer peut alors se révéler aussi bénéfique que l’apprentissage.
L’apprentissage par le désapprendre est essentiel dans la mesure où trop souvent les
individus comme les organisations sont englués dans des routines, des habitudes et des
schémas de pensée qui sont sources d’inertie et qui rendent donc problématique toute
idée de changement.
En effet, « l’oubli organisationnel » ou « organizational forgetting » est la nécessaire
contrepartie de l’apprentissage, l’oubli peut être négatif (il peut entraîner des coûts liés à
la reconstruction des savoirs perdus), ou positif (dans la mesure où il permet un
désapprentissage, qui en luttant contre l’inertie organisationnelle, peut faciliter les futurs
apprentissages).

Conclusion
Le management des compétences est non plus une manière segmentée et statique, telle
que le suggère l’approche « classique » du management des compétences, c’est-à-dire à
partir des trois niveaux usuels d’analyse du concept de compétence (individuel, collectif
et organisationnel), mais de manière « renouvelée ».

En effet, nous prônons des approches du management des compétences, à la fois


transversale, cognitive et dynamique. Les intérêts de cette approche sont multiples. Tout
d’abord, elle est représentative du caractère global du management des compétences,
puisqu’il est acquis dans la littérature que ce dernier ne se cantonne ni à une fonction
précise dans l’entreprise, ni à une discipline particulière des sciences de gestion.

Le management des compétences concerne aussi bien la GRH, le management de


proximité que la stratégie. Ensuite, l’approche transversale, cognitive et dynamique du
management des compétences autorise l’intégration d’autres domaines théoriques du
management, tels que le Knowledge Management et l’apprentissage organisationnel.

Bibliographie

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