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Revue des études byzantines

L'Empire de Trébizonde et la Géorgie


Michel Kuršanskis

Résumé
REB 35 1977Francep. 237-256
M. Kuršanskis, L'Empire de Trébizonde et la Géorgie. — L'auteur se propose d'étudier les rapports historiques entre Trébizonde
et la Géorgie. Il aborde les questions suivantes : 1. l'ascendance des Andronikashvili ; 2. le mariage de l'empereur Andronic
Comnène; 3. les circonstances de la fondation de l'Empire de Trébizonde ; 4. les rapports présumés de Giorgi Lasha, roi de
Géorgie, avec Alexis Ier de Trébizonde; 5. la conquête présumée de la Lazique par les Géorgiens, et le titre d'empereur des
Ibères porté par les Grands Comnènes de Trébizonde. A ce propos, l'auteur étudie également l'emplacement de Sotiropolis, qui
marquait la frontière orientale de l'Empire trapézontin.

Citer ce document / Cite this document :

Kuršanskis Michel. L'Empire de Trébizonde et la Géorgie. In: Revue des études byzantines, tome 35, 1977. pp. 237-256;

doi : https://doi.org/10.3406/rebyz.1977.2073

https://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_1977_num_35_1_2073

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L'EMPIRE DE TRÉBKONDE ET LA GÉORGIE

Michel KURSANSKIS

Les historiens modernes mentionnent souvent les relations qui ont


existé entre l'Empire de Trébizonde et la Géorgie. Ces auteurs prétendent
tantôt que les Géorgiens conquirent une partie de l'Empire de Trébizonde,
tantôt qu'ils y exercèrent une influence politique ou administrative.
Fallmerayer, suivi par Finlay et Miller, déclarent que les provinces orientales
de l'Empire de Trébizonde furent conquises par les Géorgiens après la
défaite du Khwarizmshah Jalal al-Din Manguberti, et que David Narin
y fut proclamé roi soit en 1236, soit en 12411. Vasiliev pensait que
l'administration de Trébizonde ressemblait fortement à celles des royaumes de
Géorgie et d'Arménie, ce qui implique des influences asiatiques plutôt
qu'européennes2 ; pour Vasiliev également, l'empereur Andronic Comnène
était l'ancêtre des princes géorgiens Andronikashvili, et le roi Giorgi Lasha
força les empereurs de Trébizonde à lui payer tribut3. A son tour, C. Tou-
manoff pensait que Trébizonde avait été tributaire de la Géorgie et
qu 'Andronic Comnène avait épousé une princesse géorgienne4.

1. J. Ph. Fallmerayer, Geschichte des Kaisertums von Trapezunt, Munich 1827/Hil-


desheim 1964, p. 117; E. Finlay, Mediaeval Greece and Trebizond, Edimbourg 1851,
p. 391 (ce texte a été réédité dans E. Finlay, A History of Greece, IV, Oxford 1877);
W. Miller, Trebizond, the Last Greek Empire, New York 1926/ Amsterdam 1968, p. 24.
2. A. A. Vasiliev, History of the Byzantine Empire2, Madison Wisconsin 1958, p. 15,
507.
3. A. A. Vasiliev, The Foundation of the Empire of Trebizond, Speculum 11, 1935,
p. 6, 29.
4. C. Toumanoff, On the Relationship between the Founder of Trebizond and the
Georgian Queen Thamar, Speculum 15, 1940, p. 299-312 ; Idem, Armenia and Georgia,
Cambridge Medieval History, IV, p. 624.
238 M. KURSANSKIS

II faut remarquer, cependant, avec A. Bryer, que l'on peut à peine


trouver des traces d'influences géorgiennes dans l'administration et la vie
culturelle de l'Empire de Trebizonde. Tandis que la Géorgie avait, à cette
époque, un système féodal très développé, la structure administrative et
religieuse de l'Empire de Trebizonde relève presque exclusivement de celle
de l'Empire Byzantin. En effet, les dignitaires trapézontins portaient en
partie les mêmes titres que les Byzantins, et les Grands Comnènes, empereurs
de Trebizonde, avaient le regard continuellement tourné vers
Constantinople, dont ils imitaient les coutumes et même les réformes5. En revanche,
il semble qu'il y ait eu une nette influence géorgienne dans l'architecture
trapézontine. L'abside centrale des églises de Trebizonde, qui est polygonale,
ainsi que les porches et les larges moulures plates des fenêtres d'abside
sont d'origine caucasienne6. En outre, c'est probablement un dôme
pyramidal de style géorgien que Bessarion décrit comme s 'élevant au-dessus
du palais des Grands Comnènes7. Là paraissent s'arrêter les influences
géorgiennes sur l'Empire de Trebizonde. Ce n'est pas surprenant, car dès
1223, dix-neuf ans seulement après la fondation de l'Empire, les Mongols
apparaissaient en Géorgie, eux-mêmes suivis par les Khwarizmiens en
1225. Quelques années plus tard les Mongols entreprirent de conquérir
toute la Géorgie centrale et orientale, et dès 1243 le pays était asservi
pour plus d'un siècle. Les réalisations architecturales et intellectuelles des
Géorgiens connurent alors un ralentissement qui coïncida avec la décadence
du royaume médiéval. Toutefois, l'influence de la numismatique de
Trebizonde sur la Géorgie occidentale est bien connue8. On trouvera une
étude sur les kyrmaneuli ou imitations des aspres trapézontins dans le
Corpus des monnaies de Trebizonde que nous préparons.

5. A. Bryer, Some Notes on the Laz and the Tzan, I, Bedi Kartlisa 21-22, 1966, p. 179
et n. 29 ; Idem, Rural Society in the Empire of Trebizond, ΆρχεΙον Πόντου 28, 1966-1967,
p. 153-155, 158; Hélène Ahrweiler, L'Idéologie politique de l'Empire byzantin, Paris
1975, p. 107. Voir aussi Germaine Rouillard, La vie rurale dans Γ Empire byzantin,
Paris 1953, p. 163 s.
6. J. BaltruSaitis, Etudes sur l'art médiéval en Géorgie et en Arménie, Paris 1929,
p. 92 s. ; K. Salia, La Tao-Klardjétie et ses monastères, Bedi Kartlisa 10-12, 1961, p.
41-62 ; ibidem 13-14, 1962, p. 40-46 ; S. Ballance, The Byzantine Churches of Trebizond,
Anatolian Studies 10, 1960, p. 173-174.
7. S. LamproS, Βησσαρίωνος Έγκώμιον είς Τραπεζούντα, NE 13, 1916, p. 189-190
(fol. 162b); A. Bryer, Some Notes on the Laz and the Tzan, I, Bedi Kartlisa 21-22,
1966, p. 179.
8. D.M. Lang, Studies in the Numismatic History of Georgia in Transcaucasia,
The A. N. S. Numismatic Notes and Monographs 130 ; New York 1955, p. 81 s. Contre
l'opinion de D.M. Lang, nous pensons que l'émission des kyrmaneuli commence déjà
au xme siècle. Voir K.V. Golenko, Klad Monet iz sela Tobanieri, FF16, 1956, p. 127-172.
l'empire de trébizonde et la Géorgie 239

Ayant examiné dans un article précédent les relations matrimoniales


qui révèlent des alliances politiques entre Grands Comnènes et princes
géorgiens9, nous nous proposons ici de restituer la réalité historique des
rapports entre Trébizonde et la Géorgie. Nous pensons, en effet, que
Trébizonde ne fut jamais tributaire de la Géorgie, et que les Bagratides
ne réussirent, à aucun moment, à conquérir des territoires trapézontins ;
Alexis II a pu, tout au plus, céder une partie de la Lazique aux Jaqélides ;
chemin faisant, nous aborderons le problème des Andronikashvili et nous
récapitulerons les circonstances de la fondation de l'Empire de Trébizonde.

1. Les Andronikashvili
Une ancienne tradition maintient que l'empereur Andronic Comnène,
grand-père des fondateurs de l'Empire de Trébizonde, a laissé, à la suite
de son voyage en Géorgie vers 1170, des descendants dans ce pays. Leur
nom, Andronikashvili, aurait indiqué cette ascendance. A notre
connaissance, pourtant, seul Kunik a publié quelques renseignements à leur
sujet10. Nous donnons ici la traduction des textes publiés par cet auteur.
Kunik constate d'abord « qu'en Kakhétie la famille des Andronikashvili,
les princes Andronikov, font remonter leurs origines, comme ils le disent,
à l'empereur Andronic11». Plus loin il transcrit des informations qu'il
devait à M. Tchoubinov, qui les aurait reçues à son tour des princes
«Andronic»; il s'agit d'annales très douteuses, qui datent sans doute,
comme Kunik l'a remarqué, d'une époque tardive. En voici le contenu :
« 1144. En cette année Manuel Comnène était empereur à
Constantinople ; les neveux de cet empereur, Andronic et Alexis, arrivèrent en
Géorgie, au bourg de Hehouti. A cette époque régnait le roi Georges,
et ce roi leur fit présent de forteresses et de villages, et érigea pour eux
une église en face de la sienne. Le roi Georges partit pour le Derbend,
dévasta Mouskouri et Chabrani, et Andronic se comporta courageusement
dans cette guerre.
1174. En cette année le roi Georges mourut, ainsi qu'Alexis, et ils furent
enterrés en Kartalinie, dans l'église de Saint-Nicolas, et Andronic demeura.

9. Voir notre article : Relations matrimoniales entre Grands Comnènes de Trébizonde


et princes géorgiens, Bedi Kartlisa 34, 1976, p. 112 s.
10. A. A. Kunik, De la souche des princes géorgiens Andronic (en russe), Matériaux
et Recherches Historiques, Ucenya Zapiski Imp. Akad. Nauk, II, Saint-Pétersbourg
1853, p. 717 n. 18 et 789-791.
11. Ibidem, p. 717 n. 18.
240 M. KUR§ANSKIS

1177. Le clergé et les grands seigneurs, de ce côté et de l'autre, se


réunirent et exigèrent que Thamar épousât Andronic.
1198. Elle (Thamar) octroya Trébizonde à Andronic; elle l'avait enlevé
à l'empereur Alexis, l'avare. Après cela la famille des Bagratides rendit
un hommage spécial à Andronic et à sa descendance pour avoir servi
avec zèle les rois géorgiens.
1200. La reine Thamar mourut. Georges lui succéda... et les Andronic
servirent avec zèle tous ces rois12».
Nous jugeons inutile de revenir sur tant de détails inexacts. Notons
cependant que le nom du fils illégitime de l'empereur Andronic Comnène,
Alexis, est confondu avec celui de son père, et que Thamar aida un autre
Alexis à s'emparer de Trébizonde en 1204, et non pas en 1198. Enfin,
Thamar mourut en 1212. L'auteur de ces annales citées semble s'être
inspiré d'un texte semblable à celui que Brosset a publié en 184513. Selon
Kunik, on pourrait supposer que le chroniqueur géorgien ou le
compilateur a confondu la fuite d'Alexis le bâtard (de Constantinople) en
1185 avec la visite de la Géorgie par son père. Il en conclut, fort
valablement à notre avis, que les Andronikashvili pouvaient descendre non pas
de l'empereur mais d'un autre Andronic, qui était peut-être fils d'Alexis
le bâtard. Le tableau généalogique proposé par Kunik est le suivant :
Andronic Comnène

Manuel Alexis le bâtard


I I

avait
l'ci-dessus
empereur
avec
empereur
«LeLeAndronic,
sa
communiqué.
même
célèbre
famille,
; de
Alexis
lesauteur
Trébizonde.
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que
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en
de
Brosset
de
leAndronic)
Géorgie,
la
premier
reine
lui

Thamar, en 1143, 363e du cycle pascal (géorgien); cet Andronic était le


neveu de l'empereur Manuel, et il tua Emmanuel, son neveu ; c'est pour
cela qu'il vint en Géorgie. Le roi Georges le reçut, lui donna des forte-

12. A. A. Kunik, art. cit., p. 789.


13. M. F. Brosset, Matériaux pour servir à l'histoire de la Géorgie depuis l'an 1201,
Mémoires de V Académie Imp. des Sciences de St. Pétersbourg, 6e série, Sciences politiques,
histoire, philologie, V, 1845, p. 165 s.
l'empire de trébizonde et la Géorgie 241

resses et des châteaux, et lui désigna une résidence en face de la sienne


propre. A l'époque de la prise des villes de Chaburan et du Derbend, le
roi prit Andronic avec lui, lequel se montra très brave dans les combats.
Puis la reine Thamar, en 1198, 418e du cycle pascal, donna Trébizonde
au fils de cet Andronic, Alexis Comnène, quand elle prit cette ville à
l'empereur Alexis, en punition de ce qu'il avait enlevé aux moines de la
Montagne Noire l'argent qu'elle leur avait donné. Selon l'habitude des
Géorgiens, qui donnent souvent à leurs descendants le nom de leur ancêtre
comme nom de famille, les fils d'Alexis Comnène furent appelés
Andronikashvili. Mais nos rois, continuant à ne pas prêter attention à leur vieille
famille, introduisent dans leurs titres de donation le nom d'Andronikashvili
que les descendants d 'Andronic portent encore : leur vrai nom de famille
est Comnène. Ainsi les Andronic actuels descendent d'Alexis Comnène,
mentionné ci-dessus, comme on peut le voir par leur généalogie. Traduit
du recueil d'informations sur toutes les familles géorgiennes, compilé par
David Tsitsishvili, fils d'Eustathe, moourav de Tiflis et petit-fils du roi
Iracli II dont la fille Mariam avait épousé ce David (Tsitsishvili) »14.
Le tableau généalogique proposé par ce texte est aberrant. Rappelons
que le véritable tableau généalogique des Comnènes est le suivant :
Alexis Ier

Jean II Isaac, sébastokrator


I I
Manuel Ier Andronic Ier
II I__! l
Alexis II, Manuel Alexis le bâtard
tué par Andronic Ier en 1183 I
Alexis de Trébizonde
II est évident que la valeur du texte de Tsitsishvili, compilé à la fin du
xviiie siècle, est très discutable. Enfin, Kunik dit aussi que la généalogie
des Andronikashvili ne commence, à proprement parler, qu'au XVIe siècle,
mais il omet toute référence supplémentaire. Il nous reste donc à supposer
que les Andronikashvili ont pu descendre du fils illégitime de l'empereur
Andronic Ier, comme le suggérait Kunik. Mais il n'en résulte qu'un seul
fait certain : Andronic Comnène n'a pas eu, vers 1170, des enfants d'une
femme géorgienne qui auraient pu se réclamer de cette ascendance; les

14. A.A. Kunik, op. cit., p. 790-791.

16
242 M. KURSANSKIS

annales que nous avons citées, pour douteuses qu'elles soient, ne nous disent
rien de la sorte.
2. Le mariage d'Andronic Comnène
Nous avons écrit naguère15, et nous pensons l'avoir mieux démontré
ci-dessus, que l'empereur Andronic Comnène n'épousa pas de princesse
géorgienne ni ne laissa des enfants en Géorgie vers 1170.
Il nous paraît plus vraisemblable que la première femme d'Andronic
a été une Paléologue. En effet, Nicétas Choniatès nous informe que le
frère de la femme d'Andronic était le sévastos Georges16, et le seul
personnage que nous ayons pu trouver qui portât ce nom et ce titre à cette époque
est le grand hétériarque et sévastos Georges Doukas Paléologue17. Il est
à remarquer aussi que ce dernier fut envoyé en Terre Sainte en 1167, au
moment même où s'y trouvait Andronic, et que par la suite, lorsqu'il fut
devenu empereur, Andronic voulut charger le sévastos Georges du meurtre
de l'impératrice Marie d'Antioche18.
Il est donc impensable qu'Andronic ait épousé une sœur du roi Giorgi III,
comme le voulait C. Toumanoff19, d'autant plus que le roi de Géorgie
ne pouvait pas se trouver à la fois sur le trône et se faire ordonner une
basse besogne à Constantinople. Enfin, avant qu'il n'épousât Anna-Agnès
de France en 1183, Andronic n'eut certainement pas plus de deux femmes
que l'on puisse considérer comme légitimes20. Nous proposons de voir
en la sœur de Georges Paléologue la première épouse d'Andronic ; quant
à la seconde, il s'agit certainement de Theodora Comnène, sa cousine,
laquelle lui donna deux enfants, et avec qui Andronic vivait encore
maritalement avant 1183. Les nombreuses autres liaisons de cet empereur —
nous en connaissons trois autres — ne furent que des passades21.

15. Voir notre article : Autour des sources géorgiennes de la fondation de l'Empire
de Trébizonde, Άρχεΐον Πόντου 30, 1970, p. 107 s.
16. Nicétas Choniatès : Bonn, p. 348.
17. L. Stiernon, Notes de titulature et de prosopographie byzantines. Sébaste et
gambros, REB 23, 1965, p. 233-234, qui cite Migne, PG 140, 252. Voir aussi Kinnamos :
Bonn, p. 212, 215 ; D. I. Polemis, The Doukai, Londres 1968, p. 155.
18. Guillaume de Tyr : RHC Occ, I, 1024, 1035 ; Nicétas Choniatès : Bonn, p. 348.
19. C. Toumanoff, On the Relationship between the Founder of the Empire of Trebi-
zond and... Thamar, Speculum 15, 1940, p. 299-312.
20. Nous pensons qu'il faut accueillir avec réserve l'information d'ARNOLD de Lübeck
(Chronica Slavomm : MGH SS, XXI, lib. hi, p. 142 s.), d'après laquelle Andronic avait
eu deux femmes légitimes avant d'épouser Anna. O. Jurewicz (Andronikos I. Komnenos,
Amsterdam 1970, p. 161) ne donne pas moins de six femmes à cet empereur.
21. Andronic se lia successivement à Eudocie, la fille du sébastokrator Andronic,
à Philippa d'Antioche et, à la fin de sa vie, à une courtisane nommée Maraptikè. O.
Jurewicz (op. cit., p. 53-54, 74-75, 117, 134) cite l'essentiel sur ces personnages.
l'empire de trébizonde et la Géorgie 243

D'autre part, le Seljuknâmeh anonyme cité par C. Cahen nous apprend


qu'en 1214 « Kïr Aliks (Alexis de Trébizonde), fils de Kîr Lügä, pour
venger son père, attaquait l'Islam du côté de Sinope22». C. Cahen se
demandait déjà si Lügä n'était pas la forme réduite, soit de Palaiologos,
soit même de Doukas. On pourrait supposer, en effet, que si Alexis de
Trébizonde n'était pas le fils d'une Doukaina, son père Manuel avait
peut-être porté le nom de Comnène-Paléologue, et ce serait une indication
supplémentaire pour le nom de la femme d'Andronic, mère de Manuel
et grand-mère de cet Alexis. Quant à la formule « pour venger son père »,
elle indique probablement les efforts des Grands Comnènes pour
reconquérir les terres byzantines.
L'arbre généalogique proposé est maintenant le suivant :
Andronic Comnène oo Na. Paléologue
I

Manuel Alexis
Comnène-Paléologue
ι de Trébizonde oo
1 Na.
David
Doukaina
de Trébizonde
? ι

3. La fondation de l'Empire de Trébizonde


Toutes les sources qui mentionnent la fondation même de l'Empire de
Trébizonde disent qu'Alexis Comnène reçut des troupes de la reine Thamar,
auprès de qui il s'était réfugié23. On infère de ces sources que Thamar
décida de faire envahir le Pont byzantin pour punir Alexis III Ange,
Γ« Avare », d'avoir pillé les donations géorgiennes destinées à la montagne
Noire. Panarétos dit seulement qu'Alexis Comnène avait quitté
Constantinople « la bienheureuse ». Dans tout ceci, nulle trace de la conquête de
Constantinople par les Croisés ; la Kartlis-Tzkhovreba ou Grande chronique
géorgienne ne la mentionne qu'à la suite de l'invasion du Pont par Alexis.
Constantinople tomba le 13 avril 1204, et Panarétos dit que Trébizonde
fut prise en avril de la même année. Il est donc évident qu'Alexis et son
frère David avaient quitté Constantinople bien avant cette date ; il leur a

22. C. Cahen, Seljukides de Rûm, Byzantins et Francs d'après le « Seljuknâmeh »


anonyme, Mélanges Henri Grégoire, III (Annuaire de l'Institut de philologie orientale),
Bruxelles 1951, p. 102-104.
23. M. F. Brosset, Histoire de la Géorgie, 1, Saint-Pétersbourg 1849, p. 464-465
(édition abrégée par la suite en Brosset, HG I) ; Basile, Vie de la reine Thamar (en russe) :
Monuments de V époque de Roustavéli (Académie des Sciences de l'URSS), Leningrad
1938, p. 69-70 ; Panarétos : O. Lampsides, Μιχαήλ τον Παναρέτου Περί των Μεγάλων
Κομνηνών, Athènes 1958, ρ. 61. Voir aussi le commentaire de Lampsides (op. cit.,
p. 111-114).
244 M. KURSANSKIS

fallu d'abord se rendre en Géorgie, peut-être auprès de leur demi-oncle


Alexis, qui aurait épousé la sœur de la reine Thamar24 ; il leur a fallu ensuite
préparer l'expédition contre le Pont. Il est impossible que tout cela ait eu
lieu en moins de deux semaines après la chute de Constantinople. C'est
ce que confirme le passage d'Acropolite concernant les événements d'avril
1204, que nous avons cité naguère, mais qu'il est utile de rappeler : « En
effet, dans la confusion de la perte de Constantinople, de-ci de-là se
trouvèrent des chefs qui, les uns se mettant à la tête des autres, firent du pays
qui était sous leur domination leur propre empire...25» Plus loin, Acro-
polite mentionne la présence de David en Paphlagonie, et celle d'Alexis,
« qui était appelé à régner », au Pont.
Cette information est confirmée, d'autre part, par Nicétas Choniatès,
par Ogérios, le protonotaire de Michel VIII, et par l'auteur arménien
Haithon. Les annales géorgiennes tardives que nous avons citées ci-dessus
sont seules à placer la prise de Trébizonde en 1198.
Nicétas décrit aussi les désordres qui suivirent la conquête de
Constantinople. Après avoir énuméré les troubles en Grèce, il mentionne le règne
de Théodore Lascaris sur l'Asie Mineure et ajoute : « David, petit-fils de
l'empereur Andronic par son fils Manuel, commandait sur l'Héraclée
Pontique et sur la Paphlagonie, tandis que son frère Alexis régnait sur
Oinaion, Sinope et Trébizonde26.»
Ogérios, qui écrivait en 1279, dit à son tour : « II y a dans les régions de
l'Orient une terre qui s'appelle Trébizonde, que, lors de la prise de
Constantinople par les Latins, occupait l'un des commandants : il s'appelait kyr
Alexis Comnène27. »
Haithon, enfin, écrit vers 1300 que « la huitième province de la Turquie
est appelée Genech (Djanik), où est la ville de Trapezonde : et cette seule
province est devenue Royaume depuis peu de temps, de la manière qui
suit. . . L'empereur y envoyait tous les ans un gouverneur pour y commander,
d'où il est arrivé qu'un des gouverneurs s'est rebellé et s'est fait Roi du
pays : en sorte que celui qui l'occupe aujourd'hui se fait appeler Empereur
de Trapezonde28. »
Au xive siècle, Ephraim et Nicéphore Grégoras tenaient encore à peu

24. Voir n. 15 ci-dessus.


25. Acropolite : Bonn, p. 13-14.
26. Nicétas Choniatès : Bonn, p. 480-842.
27. J. Gay, Les registres de Nicolas III, Paris 1898, p. 135-136.
28. Haithon, Voyages faits principalement en Asie : Salcon et Greiffenhag, II, La Haye
1735, p. 16-17.
l'empire de trébizonde et la Géorgie 245

près le même langage29. Il résulte de ces textes que les Grands Comnènes
étaient déjà à Trébizonde lors de la chute de Constantinople. En effet,
Acropolite dit que les « chefs firent du pays qui était sous leur domination
leur propre empire » ; le fait d'écrire qu'Alexis « était appelé à régner »
signifie, d'autre part, que l'occupation du Pont était un acte de révolte
contre l'empereur de Constantinople, et que la prise de pouvoir réelle,
l'acclamation royale, n'eut lieu qu'ensuite. Nicétas dit que les Grands
Comnènes régnaient sur le Pont au moment où les autres seigneurs grecs
s'emparaient de terres restées sans maître. Ogérios et Haithon se réfèrent
au même état de choses, mais ce dernier confond Alexis Grand Comnène
avec un gouverneur nommé par l'empereur. En fait, les chroniques
géorgiennes précisent que ce prince était réfugié auprès de la reine Thamar,
et Panarétos, qui le confirme, ajoute qu'Alexis avait quitté Constantinople.
En conclusion, on peut penser que Trébizonde fut prise dès le début
d'avril 1204, et que la nouvelle avait pu parvenir à Constantinople peu
avant la chute. Cela a pu permettre aux auteurs du xme siècle d'écrire
que Trébizonde était déjà occupée par ces « rebelles » ; on remarque, en
effet, que pas un seul de ces auteurs ne dit que les Grands Comnènes
occupèrent le Pont après la prise de Constantinople par les Croisés, et
Panarétos semble même vouloir passer sous silence un acte de force accompli
contre l'empereur régnant à Constantinople. Rappelons le passage de cet
auteur : « Alexis Grand Comnène, parti de la bienheureuse Constantinople,
arriva d'Ibérie avec des troupes, par la diligence et les efforts de sa tante
paternelle Thamar, et s'empara de Trébizonde, au mois d'avril 120430. »
La prise de Trébizonde semble donc bel et bien avoir été un acte de
princes rebelles; ils ne se firent proclamer empereurs que par la suite,
alors que les événements leur avaient permis de légitimer leur agression.

4. Giorgi Lasha et Trébizonde

Vasiliev pensait que les Bagratides et les Grands Comnènes ne


maintinrent de bons rapports entre eux que sous la reine Thamar, mais que
son fils, le roi Giorgi Lasha (1212-1223), força l'empereur de Trébizonde
à lui payer tribut 31. Pour émettre cette opinion, cet auteur se basait sur

29. Ephrem : Bonn, vers 1522-1523 ; Grégoras : Bonn, I, p. 13-14 = van Dieten,
I (traduction), p. 69.
30. Panarétos : Lampsidès, p. 61. Traduction française de M. F. BROSSETdans Histoire
du Bas-Empire de Lebeau et Saint-Martin, XVII, Paris 1834, p. 255.
31. A. A. Vasiliev, The Foundation of the Empire of Trebizond, Speculum 11, 1935,
p. 29.
246 M. KURSANSKIS

la grande chronique géorgienne, où on lit que lorsque Giorgi Lasha


s'arrêtait à Kola, « les peuples tributaires apportaient de toutes parts des
dons et des présents à la tente royale, de Khlat, de Grèce...32»
Cette Grèce, pour Vasiliev, devait être l'Empire grec de Trébizonde, et
cela d'autant plus que Kola était située, d'après lui, sur la frontière lazique.
Nous ne pouvons souscrire à cette opinion pour les raisons suivantes.
Kola est située à quelque 60 km au nord-est de Kars, et se trouve séparée
de la Lazique par deux puissantes chaînes de montagnes ; elle ne peut pas
être considérée, par conséquent, comme une zone frontière. D'autre part,
les Géorgiens appelaient Grèce le Sultanat de Rûm ou même l'Anatolie
orientale, comme si ces territoires faisaient encore partie de l'Empire
byzantin. En effet, entre la Géorgie et Khlat (Akhlat, sur le lac de Van)
s'étendait le Tao et les anciens royaumes arméniens que les Byzantins
avaient conquis au xie siècle, mais qui leur furent ravis par les Seljukides
peu après. Giorgi III prit Ani en 1173-1174 et la reine Thamar poussa
plus loin encore ses conquêtes33. Au temps de Giorgi Lasha, il est vrai,
les Bagratides exerçaient leur autorité sur la plupart des régions
environnantes, et ils détenaient Kars, la forteresse-clé du Caucase et du plateau
anatolien34. Cependant, l'Empire de Trébizonde se trouvait en dehors de
leur sphère d'influence. Les rares fois que cet Etat est cité dans les annales
géorgiennes, on lui donne le nom de Pont35. Le Grand Comnène est
désigné une fois comme Y empereur grec1"6 et une autre fois comme Y
empereur de Grèce37.
Nous avons mentionné, ci-dessus, la révolte des Grands Comnènes
contre les empereurs de Constantinople. En leur fournissant des troupes,
Thamar ne pouvait pas savoir, naturellement, qu'un Etat indépendant
allait être fondé. Cet acte de force était, pour elle, une revanche prise sur
la confiscation des biens qu'elle avait envoyés à la montagne Noire ; pour
les Grands Comnènes qui « vengeaient leur père », la prise de Trébizonde
représentait sans doute une étape dans leur course vers Constantinople.

32. M. F. Brosset, HG I, p. 484.


33. Ibidem, p. 470 s. ; M. F. Brosset, Rapports sur un voyage archéologique dans la
Géorgie et dans V Arménie, rapport I, Saint-Pétersbourg 1851, p. 94; Idem, Les Ruines
d'Ani, Saint-Pétersbourg 1860-1861, p. 131 ; H. F. B. Lynch, Armenia, I, Londres 1901/
Beirut 1965, p. 366; W. E. D. Allen, A History of the Georgian People, Londres 1932/
1971, p. 106-109.
34. W. E. D. Allen, op. cit., p. 107-108.
35. M. F. Brosset, HG I, p. 590-591, 626, 629-630.
36. Ibidem, p. 205.
37. Ibidem, p. 590-591.
l'empire de trébizonde et la Géorgie 247

De telles entreprises étaient courantes dans l'Empire byzantin38. De toute


façon, les Géorgiens ne considérèrent jamais le Pont comme une province
à assujettir, à l'instar des pays tenus par les « infidèles », les Musulmans.
Toute leur attitude future implique, au contraire, qu'ils reconnurent la
légitimité du gouvernement de Trébizonde. Giorgi Lasha a pu d'autant
moins compter les Grands Comnènes parmi ses vassaux, et la conclusion
que Vasiliev s'est trompé nous paraît la seule possible.

5. La conquête présumée de la Lazique par les Géorgiens et le titre


d'empereur des Ibères porté par les Grands Comnènes
Fallmerayer et à sa suite Finlay et Miller ont prêté aux Géorgiens des
intentions conquérantes à l'égard de l'Empire de Trébizonde. Fallmerayer
pensait que le roi David Narin, fils de la reine Rousoudan, avait envahi
les provinces orientales de cet Empire en 124139. Selon Finlay, l'Ibérie,
«une des plus précieuses provinces de l'Empire», devint indépendante
après la défaite du Khwarizmshah en 1230, et David Narin y fut proclamé
roi après la fuite de la reine Rousoudan, en 123640. Miller écrit, à son tour,
que sous l'empereur Andronic Ghidon les territoires « ibériens et laziques »,
jusque-là sujets de l'Empire dont la frontière orientale se trouvait à Sévas-
topolis (pour Sotiropolis), se séparèrent et formèrent un royaume
indépendant sous David Narin41. La source invoquée par Miller serait Bessarion,
qu'il interprète mal42.
Fallmerayer connaissait pourtant les grandes annales géorgiennes, qu'il
attribue à leur éditeur, le roi Wakhtang. Ces annales révèlent que les
Trapézontins ne furent jamais maîtres de la Colchide. Mais selon
Fallmerayer, la Mingrélie et l'Iméréthie étaient indépendantes de la Géorgie
proprement dite, et il conclut bizarrement à leur dépendance des Grands
Comnènes. Il est regrettable aussi que Finlay et Miller aient négligé les
informations, pourtant précises, de Y Histoire de Géorgie que Brosset avait
publiée et traduite. C'est grâce à ces informations que nous pouvons
réfuter leur opinion.

38. Voir surtout Ch. M. Brand Byzantium Confronts the West, Cambridge Mass.
1968, p. 64, 86-87, 135-136, 144-145, 161, 174, 204. Voir aussi Hélène Ahrweiler,
L'Idéologie politique de VEmpire byzantin, p. 107. La rébellion était un mal endémique de l'Etat
byzantin.
39. J. Ph. Fallmerayer, op. cit., p. 117.
40. E. Finlay, Mediaeval Greece and Trebizond, p. 391.
41. W. Miller, Trebizond the Last Greek Empire, p. 24.
42. S. Lampros, art. cit., p. 177, 184 (fol. 154a, 1586).
248 M. KURSANSKIS

a) La conquête de la Lazique
Jalal al-Din, le Khwarizmshah, envahit la Géorgie en 1225 et la mit
à feu et à sang; la Géorgie occidentale ou Iméréthie, pourtant bien
protégée à l'extérieur par les monts Likh, et à l'intérieur par d'épaisses
forêts, fut épargnée. Elle resta pour longtemps la région la plus sûre de
la Transcaucasie, et c'est là que la reine Rousoudan se réfugia en 1236,
lorsque les Mongols, à leur tour, envahirent la Géorgie. C'est ainsi qu'au
moment même où les nouveaux conquérants divisaient le royaume de
Géorgie entre quatre gouverneurs, les Bagratides établis à Koutaïs, la
capitale de l'Iméréthie, gardaient leur indépendance. Quant à David Narin,
il avait été associé au trône par sa mère en 1234, à l'âge de six ans43.
David Narin fut reconnu roi de la Géorgie centrale au moment où
Rousoudan négociait sa soumission aux Mongols, en 1243. Il fut aussitôt
après envoyé auprès de Batû Khan, sur la Volga, et ensuite auprès du
Grand Khan Guyuk, qui décida d'accorder la couronne géorgienne à la
fois à David Narin et à son cousin, David Oulou, fils de Giorgi Lasha.
Les deux rois rentrèrent en Géorgie en 1249, deux ans après la mort de
Rousoudan, et régnèrent ensemble à Tiflis, durant presque dix ans, sur
un pays dominé par les Mongols44. Cependant, les deux David devaient
accompagner les khans mongols dans toutes leurs expéditions. Hulégu
appréciait David Oulou, qui était simple et crédule, mais il détestait
l'ambitieux et rusé (« Narin ») David45. Ce dernier craignait également l'Ilkhan,
et après la prise d'Alamout en 1257, il s'enfuit dans les monts Likh; de
là il se rendit à Koutaïs, que les Mongols n'avaient jamais attaqué et où
il fut proclamé roi des Abkhazes par les seigneurs féodaux. De la sorte,
la Géorgie fut scindée en deux : David Oulou régnait à Tiflis sur un Etat
directement soumis aux Mongols, tandis que David Narin régnait à Koutaïs
sur une Iméréthie de fait indépendante, bien qu'il reconnût, de manière
formelle, la suzeraineté de Hulégu46. Ces événements eurent lieu en 1258 ;
comme on le voit, l'Iméréthie, toujours restée géorgienne, ne s'était pas
détachée de l'Empire de Trébizonde, mais bien de la Géorgie.
Certes, le titre d'« empei*d(^r des Ibères », qui fut assumé par les Grands
Comnènes, a pu provoquer la confusion. C'est certainement à cause de

43. Pour les invasions khwarizmiennes et mongoles, voir M. F. Brosset, HG I, p. 504 s. ;


Juvaïni, The History of the World Conqueror : tr. J. A. Boyle, II, Manchester 1958, p.
426 s. Pour l'association au trône de David Narin, voir M. F. Brosset, HG 1, p. 501,
508 n. 3 ; Idem, Additions et Eclaircissements à V Histoire de la Géorgie, p. 305.
44. M. F. Brosset, HG I, p. 518 s., 532 s. ; W. E. D. Allen, op. cit., p. 113-114.
45. M. F. Brosset, HG I, p. 544-545.
46. Ibidem, p. 545-546 ; HG II, 1 (Valkhusht, Histoire de Γ Iméréthie), p. 245.
l'empire de trébizonde et la Géorgie 249

ce titre que Fallmerayer, Finlay et Miller ont cru que les Trapézontins
avaient dominé une partie de la Géorgie. Mais quelle était cette Ibérie
trapézontine, et de quand date ce titre ?
b) Le titre d'empereur des Ibères
A la suite de la publication par Fallmerayer du chrysobulle de 1374
d'Alexis III pour le monastère de Dionysos, Finlay pensa que le titre
qui y est cité d'« empereur de tout l'Orient, des Ibères et des Provinces
Transmarines» avait été adopté par Jean II en 128247. En effet, à cette
date Jean II épousait Eudocie, fille de Michel VIII Paléologue, et
abandonnait ses vues sur l'Empire des Romains48. Le titre d'empereur des
Romains avait été porté par ses ancêtres, comme le révèlent Pachymère
et surtout l'inscription sur la fresque de l'empereur Manuel, à Sainte-
Sophie de Trébizonde49. Finlay ajoutait que le titre d'empereur des Ibères
avait dû être porté seulement par Alexis Ier et Andronic Ghidon, l 'Ibérie
ayant été perdue sous le règne de ce dernier50. En fait, l'Ibérie à laquelle
se réfère cet auteur n'avait jamais appartenu aux Grands Comnènes,
comme nous venons de le dire, et nous nous proposons de démontrer ici
que ce titre n'avait qu'une valeur traditionnelle.
La province d'Ibérie, en réalité la Tao-Klarjétie, fut annexée à l'Empire
byzantin par Basile II en l'an 100051. En 1022 cet empereur assujettit
aussi une partie de la Géorgie occidentale, à laquelle fut imposée une
étroite vassalité52. La province d'Ibérie s'étendait, en 1045, jusqu'à Ani,
que Constantin Monomaque venait de conquérir53, mais peu d'années
plus tard les Turcs firent leur apparition dans ce territoire. Envahie par
Alp Arslan en 1064, l'Ibérie était définitivement arrachée à l'Empire

47. J. Ph. Fallmerayer, Original Fragmente, Abhandlungen der hist. Classe der kays.
Bayer. Akad. d. Wissenschaften, III, Abth. 3, Munich 1843, p. 49; Ε. Finlay, op. cit.,
p. 403.
48. Pachymère : Bonn, I, p. 520-524.
49. E. Finlay, op. cit., p. 394-395 n. 1 ; J. Gay, Les registres de Nicolas III, p. 136 :
Ogérios, qui écrivait en 1279, dit que le seigneur de Trébizonde ne s'était fait couronner
empereur des Romains qu'à cette date, mais il déformait les faits, comme l'indiquent
l'inscription de Sainte-Sophie et la déclaration que Pachymère prête à Jean II.
50. E. Finlay, op. cit., p. 403 n. 2.
51. Yahya ibn-Sa'ïd al-Antakï (Yahia ou Jean d'Antioche), Histoire : tr. russe dans V.
Rosen, Imperator Vasily Bolgoarobojca, Saint-Pétersbourg 1883, p. 42; Kédrènos :
Bonn, II, p. 447 ; G. Schlumberger, L'épopée byzantine à la fin du Xe siècle, II, Paris
1900, p. 31, 159 s., 174 s. ; H. Grégoire, The Amorians and Macedonians 842-1025,
Cambridge Medieval History, IV, 1, Cambridge 1966, p. 186, 189.
52. G. Schlumberger, op. cit., p. 530-531.
53. E. Honigmann, Die Ostgrenze des byzantinischen Reiches, Bruxelles 1935, p. 179-
180 et surtout 212.
250 m. kurSanskis

byzantin après la bataille de Mantzikert, en 1071 54. Après cette date,


toute mention de cette province dans la titulature par les empereurs n'avait
plus qu'une valeur traditionnelle, et la qualité d'empereur des Ibères
conférée à Jean II faisait de lui un monarque in partibus; elle pouvait
tout juste s'appliquer, en effet, aux populations de race géorgienne qui
vivaient dans son Etat.
Les autres titres de Jean II et de ses successeurs n'avaient pas, d'ailleurs,
beaucoup plus de sens. « Empereur de tout l'Orient» était un euphémisme,
et désignait une domination tout hypothétique en dehors des frontières
exiguës de l'Empire de Trébizonde. Quant aux « Provinces Transmarines »,
qui se trouvaient jadis en Chersonnèse Taurique, elles n'appartenaient
plus que nominalement aux Grands Comnènes ; au temps de Jean II elles
étaient sous la domination effective des Mongols de la Horde d'Or55.
Il faut, cependant, expliquer les passages de Bessarion auxquels Miller
fait allusion. Le premier de ces passages dit que Trébizonde «continue,
depuis l'antiquité, à dominer la terre des Lazes et la Colchide56». Le
second dit que les empereurs firent de leur ville « la capitale des pays
voisins et de la terre des Lazes57». Mais Bessarion lui-même ne faisait
que reprendre les expressions de Pachymère, qui écrivait déjà que Jean II
et son fils Alexis II étaient les « princes des Lazes », ainsi que de Grégoras,
qui mentionne d'abord la domination des Grands Comnènes sur la Colchide,
et ensuite les « souverains abusifs des Colques et des Lazes58».
Il nous faut, pour clarifier cette question, rappeler brièvement l'histoire
des frontières fluctuantes de la Lazique et de la Colchide. Ces noms furent
appliqués, selon l'époque, à des régions d'extension variable, et par la
suite les auteurs médiévaux les employèrent indifféremment pour désigner
l'une ou l'autre de ces régions.
Les Lazes semblent être originaires de la côte nord-ouest de l'Abkhazie59.

54. E. Honigmann, op. cit., p. 181, 184-185, 218-222.


55. B. Spuler, Die Goldene Horde2, Wiesbaden 1965, passim. Rappelons cependant
que le titre d'empereur de tout l'Orient, des Ibères et des Provinces Transmarines avait
sans doute aussi des connotations religieuses. L'Eglise de Trébizonde avait reconnu
l'autorité du patriarche de Constantinople en 1260, mais certains évêchés caucasiens et
criméotes gardèrent des rapports étroits avec les empereurs de Trébizonde, qui restaient,
en quelque sorte, leurs maîtres temporels. Nous sommes reconnaissant à M. Anthony
Bryer pour les importantes discussions que nous avons eues à ce sujet.
56. S. Lampros, art. cit., p. 177 (fol. 154a).
57. Ibidem, p. 184 (fol. 1586, in fine).
58. Pachymère : Bonn, 1, p. 520 ; II, p. 270, 287, 448 ; Grégoras : Bonn, I, p. 13-14 =
van Dieten, I (traduction), p. 69, 139-140.
59. A. Baschmakoff, La synthèse des périples pontiques, Paris 1948, p. 177 ; A. Bryer,
Some Notes on the Laz and the Tzan, I, Bedi Kartlisa 21-22, 1966, p. 175.
l'empire de trébizonde et la Géorgie 251

Au cours des premiers siècles de l'ère chrétienne ils se déplacèrent vers


le sud-est, puis vers le sud-ouest, et finirent par se fixer dans la Lazique
actuelle, entre Trébizonde et le Phase. Il semble que les Lazes s'y étaient
déjà établis sous Dioctétien60, quand ils étaient identifiés aux « Colques »
ou Colchidiens61. Au temps de Justinien, Procope confondait les noms
de Lazique et de Colchide, et dit que les Lazes dominaient la Colchide,
une région située sur les deux rives du Phase62. Cependant, les géographes
arabes des Xe et XIe siècles, qui citent la région de Trébizonde, remarquaient
aussi que sa population était essentiellement laze63 ; au début du xne siècle
l'archevêque Théophylacté de Bulgarie, dans ses lettres à Grégoire Taro-
nite, désignait par Colchide le territoire trapézontin64 ; aussi tard qu'au
xme siècle il semble que l'on associait encore l'Abkhazie, terre originelle
des Lazes, avec la Lazique trapézontine65. En fait, les empereurs de
Trébizonde établirent leur domination sur le territoire montagneux entre leur
capitale et Batoum, que les Byzantins appelaient la terre des Lazes ou
Lazique, les Géorgiens Djaneth, et les Musulmans Djanik.
Il semble donc que Bessarion, qui écrivit son « Eloge de Trébizonde »
en 1436, ne faisait que reprendre le terme archaïsant de Colchide, alors
que cette région n'avait plus d'emplacement précis66. Il se pourrait, du
reste, que Bessarion désignât par Colchide les territoires extrême-orientaux
de l'Empire de Trébizonde sous Jean IV ; mais il pouvait aussi faire allusion
à la vague suzeraineté des Grands Comnènes sur la Gourie, située aux
bords du Phase. En effet, Jean IV entretenait de bons rapports avec le
seigneur de Batoum67 ; l'unique trace de cette suzeraineté se trouverait
dans la chronique de Panarétos, où on lit que « Goureles » vint « rendre

60. Constantin Porphyrogénète, De Administrando Imperio : Moravcsik, I,


Washington 1967, p. 258-259, 262-263, 266-267 ; A. Bryer, art. cit., p. 175-176.
61. A. Baschmakoff, op. cit., p. 136.
62. PR0C0PE,_Z)e Bello Gothico, VIII, i, 10 et n, 1, 15, 31 : V, p. 60-63, 66-67, 72-73.
63. Al-Mascudî, Les Prairies d'Or : tr. Barbier de Meynard, H, Paris 1861-1877, p. 3 ;
Al-Istakhri (Ibn Hawkal), The Book of Roads and Realms : Bibliotheca Geographorum
Arabicorum, I, p. 148; Al-Idrisi: P. A. Jaubert, Géographie d'Edrisi, II, Paris 1840,
p. 393.
64. PG 126, lettre 26, 411-412 ; lettre 37, 437-438.
65. Rachid al-Din, Lettre 44 : Ε. G. Browne, A Literary History of Persia, III,
Cambridge 1928, p. 85. Voir la note de V. Minorsky dans Juvaïni (Boyle, p. 432 n. 25) :
« la terre des Abkhaz n'est pas l'Abkhazie mais le territoire de la dynastie Abkhaze de
Géorgie » ; c'est dire que les Géorgiens aussi étaient appelés abkhazes. Voir aussi M. F.
Brosset, HG I, p. 607.
66. O. Lampsidès, Datierung des Enkomion Trapezountos von Kardinal Bessarion,
BZ 48, 1955, p. 291-292.
67. Jehan de Wavrin, Anchiennes Chronicques d'Engletene : E. Dupont, II, Paris
1859-1863, p. 96-97; III, p. 151-159.
252 M. KURSANSKIS

hommage» à Alexis III quand ce dernier rencontra le roi Bagrat, en


137268. Mais le seigneur de Gourie, que Brosset appelle le Gouriel, faisait
partie de la suite du roi géorgien ; ne rendait-il pas seulement un hommage
de « bon voisinage » au Grand Comnène ?
D'autre part, nous savons que de Rhizaion (Rize) et d'Athènes (Atine)
jusqu'à Batoum s'étendait le thème trapézontin de Grande Lazique69.
C'est en parlant des guerres de Justinien et en citant Procope, chez qui
nous avons noté la confusion entre Lazique et Colchide, que Bessarion
dit que Trébizonde dominait la terre des Lazes et la Colchide, et que « les
Perses n'ont pu avancer ni jusqu'à Rhizaion ni jusqu'à Athènes70 ». Au
temps de Justinien, l'Empire byzantin s'étendait jusqu'au-delà du Phase,
mais l'Empire de Trébizonde ne pouvait pas prétendre à une telle extension.
Il serait donc tentant de lire Bessarion entre les lignes et de penser qu'Atine
marquait, en son temps, le début d'un thème qui n'avait pas toujours
appartenu aux Grands Comnènes. A. Bryer a supposé, à son tour, qu'Atine
marquait une frontière en 13 1871. Cette date nous paraît symptomatique.
En effet, lorsqu 'Alexis II épousa une fille de Bekha Jaqeli, le seigneur du
Samtskhé, en 1300, il a dû se conformer à l'usage géorgien qui était de
verser une dot au père de la mariée72. Alexis II aurait donné à Bekha
Jaqeli « tout le pays en deçà de Trébizonde, y compris le Djaneth
(Lazique)73 ». Un autre passage dit que l'empereur grec donna à Jaqeli « tout
le Djaneth74». Les raisons de ce mariage seraient à chercher dans les
invasions des Turcomans : ceux-ci ravagèrent la Chalybie sous Jean II75,
et vers 1298 un certain Azat Mousa envahit le Paryadrès (partie orientale
des Alpes pontiques) ; ses troupes s'emparèrent d'Ispir, mais quand Bekha
Jaqeli les en délogea, les Turcomans se replièrent sur le Pont, c'est-à-dire
l'Empire de Trébizonde76.

68. Panarétos : Lampsidès, p. 77 ; M. F. Brosset, HG II, 1 (Vakhusht), p. 206.


69. A. Bryer, The Littoral of the Empire of Trebizond in Two Fourteenth Century
Portolano Maps, Άρχεϊον Πόντου 24, 1961, ρ. 121, qui cite V. Laurent, Deux
chrysobulles inédits des empereurs de Trébizonde Alexis IV — Jean IV et David II, ibidem 18,
1954, p. 265.
70. S. Lampros, art. cit., p. 177-178 (fol. 154a-6).
71. A. Bryer, art. cit., p. 122.
72. Cf. Pachymère : Bonn, II, p. 287-290; Panarétos : Lampsidès, p. 63.
73. M. F. Brosset, HG II, 1 (Vakhusht, Histoire du Samtskhé), p. 205.
74. M. F. Brosset, HG I, p. 621-622. Le manuscrit dit que cet empereur s'appelait
Michel. Brosset remarque que c'était une erreur manifeste et qu'il s'agit d'Alexis II.
L'annaliste géorgien semble avoir confondu les noms de l'empereur de Trébizonde et
celui, Michel, du roi d'Iméréthie, son contemporain.
75. Panarétos : Lampsidès, p. 63.
76. M. F. Brosset, HG I, p. 626-630.
l'empire de trébizonde et la Géorgie 253

Or, Bekha Jaqeli était le plus puissant seigneur de la région, et son


allégeance à l'Ilkhan n'était que formelle. Il dominait un vaste territoire
s 'étendant du Tao et de Kars à la Klarjétie et au Samtskhé proprement
dit. Ispir en faisait partie77. Mais il serait étonnant qu'Alexis II, en cherchant
l'alliance d'un tel seigneur, lui ait donné tout le pays au-delà de
Trébizonde78. Il est plus probable que la dot apportée par Alexis II était
constituée par les rudes montagnes du Paryadrès, envahies par les
Turcomans, et par une partie de la côte lazique au-delà d'Atine79. On pourrait
conjecturer, par conséquent, que les territoires reçus par Bekha Jaqeli
étaient bordés par l'Akampsis au sud et à l'est, et par une ligne oblique
SSO-NNE qui courait depuis la région d 'Ispir jusqu'à Kissa, Makriali
ou même Gonia.
Les Grands Comnènes paraissent avoir repris possession de cette partie
de la Lazique après la soumission des Jaqelides au roi Giorgi le Brillant,
en 133480. Sous Alexis III, en tout cas, l'Empire de Trébizonde s'étendait
jusqu'au Phase 81. En 1437 les Génois demandaient à Jean IV des
dédommagements pour avoir fait piller un de leurs vaisseaux à Batoum82 ; en
1445, les aventuriers bourguignons qui y avaient été emprisonnés furent
libérés grâce à l'intervention du même empereur83. Aucune source ne
mentionne des territoires trapézontins au-delà du Phase ; par conséquent,
on peut suivre Bessarion seulement lorsqu'il dit que les Grands Comnènes
firent de leur ville « la capitale des pays voisins et de la terre des Lazes84 ».
Ces « pays voisins » devaient être ceux situés à l'ouest de Trébizonde ;
la « terre des Lazes » indiquait les territoires situés à l'est, et évidemment
aussi ceux de l'intérieur de l'Empire.
Reste, cependant, à résoudre le problème de l'emplacement de Sotiropolis
qui, d'après Jean Lazaropoulos, métropolite de Trébizonde sous Alexis III,

77. Ibidem, p. 612-622 ; II, p. 205. Voir aussi D. Winfield, A Note on the South-
Eastern Borders of the Empire of Trabizond in the Thirteenth Century, Anatolian Studies
12, 1962, p. 163-172.
78. L'au-delà des Trapézontins est naturellement Yen-deçà des Géorgiens.
79. A. Bryer, art. cit., p. 122 et fig. 2.
80. M. F. Brosset, HG II, p. 206. Les Jaqelides restèrent soumis aux rois de Géorgie
jusqu'en 1451 (voir W. E. D. Allen, op. cit., p. 122). Le roi Bagrat V donna Yéristhawat
de Gourie au souane Wardanidzé, en 1362 (voir M. F. Brosset, d'après Vakhusht, HG I,
p. 663). Pour la frontière trapézontine à Batoum, voir A. Bryer, art. cit., p. 121-122.
81. Panarétos : Lampsidès, p. 77-78.
82. N. Iorga, Notices et Extraits pour servir à Vhistoire des Croisades au XVe siècle,
III, p. 259.
83. Jehan de Wavrin : E. Dupont, II, p. 96-97.
84. S. Lampros, art. cit., p. 184 (fol. 1586 in fine).
254 M. KURSANSKIS

semble avoir marqué la frontière orientale de l'Empire de Trébizonde


en 1223.

c) Sotiropolis
Les sources qui mentionnent la Sotiropolis trapézontine ont été publiées
par Papadopoulos-Kérameus85. Parmi elles, la plus importante est la
synopse des miracles de saint Eugène, compilée par le métropolite Jean
(Joseph) Lazaropoulos au xive siècle. L'hagiographe y écrit que lorsque
Trébizonde fut menacée par les Turcs, en 1223, l'empereur Andronic
Ghidon réunit des troupes depuis Sotiropolis jusqu'à Oinaion86.
Fallmerayer ne connaissait pas encore ce texte en 1827, date de la parution
de sa Geschichte, mais il fut le premier à en publier des extraits en 184387.
Finlay écrit que l'empereur « rassembla des guerriers depuis Sotiropolis,
sous les montagnes mingréliennes, jusqu'à Oinaison88 ». Miller confond
Sotiropolis et Sévastopolis, située près de l'antique Dioscurias, en Abkhazie89.
Quelques auteurs pensent toutefois que Sotiropolis était un autre nom
de Pitsounda, une forteresse isolée plus au nord, sur les côtes abruptes
de l'Abkhazie90. Mais comment expliquer la domination des Grands
Comnènes sur une région aussi distante de l'Empire, alors qu'ils ne
possédaient pas de terres au-delà du Phase, et encore moins en Iméréthie ?
Où donc était la Sotiropolis de Lazaropoulos ?
Constantin Porphyrogénète mentionne l'existence d'une ville de ce nom
en Abkhazie91. Cet endroit, comme le Cherson en Crimée, était-il une
enclave byzantine au xme siècle ? Auquel cas, on pourrait penser que
Sotiropolis, isolée au nord-est de la mer Noire, était dominée par les Grands
Comnènes, et était une de leurs « Provinces Transmarines ». Rappelons
que ces dernières devaient être constituées, en partie, du Cherson dont
les archontes avaient reconnu l'autorité des Grands Comnènes vers 1204.

85. A. Papadopoulos-Kérameus, Fontes Historiae Imperii Trapezuntini,


Saint-Pétersbourg 1897/Amsterdam 1965, p. 38, 71, 118.
86. Ibidem, p. 118.
87. J. Ph. Fallmerayer, Original-Fragmente (note 47), I, p. 71-86.
88. E. Finlay, op. cit., p. 386.
89. W. Miller, op. cit., p. 24 ; le métropolite Chrysanthos (Ή 'Εκκλησία Τραπεζονν-
τος, Athènes 1936, p. 93-94) semble commettre la même erreur que Miller.
90. Tomaschek (article Dioskurias, RE) hésite entre Sébastopolis et Pityus ( =
Pitsounda) comme autre nom pour Sotiropolis, et renvoie aux Acta patriarch. CP a. 1347 s.
Cependant, Gy. Moravcsik (commentaire de Constantin Porphyrogénète, Londres 1962,
p. 156) identifie Sotiropolis à Pityus (Pitsounda) et cite F. K. Brun, Tchernomorié, II.
Zapiski Imperat. Novorrossiiskogo Universiteta, Odessa 1880, p. 245.
91. Constantin Porphyrogénète : Moravcsik, p. 188-189.
l'empire de trébizonde et la Géorgie 255

Mais, même dans cette éventualité, on ne peut déterminer la date à laquelle


Sotiropolis fut détachée de l'Empire.
D'autre part, le patriarche Jean Xiphilin mentionne une Sotiropolis
soumise aux ducs de Chaldie aux xe et XIe siècles92. Cette ville est appelée
Bourzô dans le Taktïkon de l'Escorial93 ; N. Oikonomidès l'a identifiée
à Borçha, la moderne Yeniyol, située près de la côte lazique, à l'est de
l'Akampsis94.
Cependant, au xme siècle apparaît un métropolite d'Alania-et-Sotèro-
polis95, ce qui laisse entendre que les deux villes, ou les territoires qu'elles
représentent, jouissent à égalité du statut de métropole. Cette union paraît
avoir duré jusqu'au patriarcat de Jean Kalékas, qui ordonne de nouveau
un métropolite pour Sotèropolis, ainsi que l 'affirme le patriarche Isidore,
lequel prononce, à son tour, l'union de Sotèropolis à Alania, cette fois
en faveur de Laurent d'Alania96. En revanche, le successeur de Laurent,
nommé Syméon, ne conservait que le titre de métropolite d'Alania; par
ailleurs, sur une plainte des prêtres de Tanaïs, il fut déposé par le patriarche
Calliste, qui le remplaça par un métropolite Calliste. Ayant fait appel à
l'empereur de Constantinople, Syméon fut rétabli, et le patriarche dut
redistribuer les territoires97. On ignore les titres respectifs de Syméon
et Calliste après cette révision, mais un acte de Philothée, daté de 1365,
donne une indication importante pour la localisation de Sotèropolis.
D'après Philothée, en effet, le métropolite Syméon avait retrouvé les
possessions suivantes : dans la ville de Trébizonde, une église dédiée à
la Théotokos Paramythia ; dans les environs, « l'église de Sotèropolis, ou
de la Théotokos Athèniôtissa, qui est aussi la Lazique » ; à ces dernières
s'ajoutaient les territoires d'Alania, de «Kaukasia» et de l'Achôchia

92. A. Papadopoulos-Kérameus, op. cit., p. 38-39, 71. Voir aussi N. Oikonomidès,


L'organisation de la frontière orientale de Byzance aux xe-xie siècles, XIVe Congrès
International d'Etudes Byzantines, Rapports, II, 1971, p. 81-82; V. Laurent, Le Corpus
des sceaux de l'Empire byzantin, V/l, Paris 1963, p. 614.
93. N. Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des IXe et Xe siècles, Paris
1972, p. 269, 362 et carte 1.
94. Ibidem, p. 362.
95. Signature de Nikètas d'Alania et Sotèrioupolis : V. Laurent, Les signataires du
second synode des Blakhernes (été 1285), EO 26, 1927, p. 147 (n° 34) ; dans la même liste
on remarque d'autres unions de métropoles : Rhôsion et Kypsella (n° 18), Pègai et Parion
(n° 20) ; la seconde est bien attestée aussi au début du xrve siècle.
96. MM, I, n° 114, p. 258-260.
97. MM, I, n° 162, p. 356-363 (à compléter par le récit de Grégoras : Bonn, II, p.
532-534).
256 M. KURSANSKIS

(Achara-Akhaltzikhé ?)98. L'autre métropolite recevait ce qui se trouvait


au-delà de ces régions, c'est-à-dire une partie indéterminée de territoire
vers le nord, et sans doute autour de Tanaïs.
Quel qu'ait été le but de l'acte de Philothée, cette division territoriale
est capitale pour l'identification de Sotiropolis à cette date. L'association
de l'église (métropole) de Sotiropolis avec une Théotokos Athèniôtissa
(allusion à Athèna du Pont/Atine?) et à la Lazique confirme la localisation
proposée par N. Oikonomidès. Il s'ensuit que les hypothèses antérieures
sur une localisation plus au nord, jusqu'en Abkhazie, ne doivent pas être
retenues. Cependant, les équivalences données par Philothée suggèrent aussi
que le nom même de Sotiropolis n'indiquait peut-être pas, du moins pour
l'administration constantinopolitaine, une ville bien déterminée. Auquel
cas, il s'agirait d'une région située à l'est de Trébizonde et au sud du
Caucase, dont les toponymes d'Atine et de Bourzô/Yeniyol définissent les
limites connues.

98. MM, I, n° 221, p. 477-478 ; citons le passage significatif: εν τη άγιωτάτη εκκλησία


Σωτηροπόλεως, ήγουν της ύπεράγνου Θεοτόκου της Άθηνιωτίσσης της καΐ Λαζικης,
έτι τε τα περί 'Αλανίαν και Καυκασίαν και Άχωχίαν. Je n'insiste pas sur ces
témoignages des actes, dont l'analyse va paraître dans le fascicule V des Regestes du patriarcat
(sous presse) : J. Darrouzès, Regestes de 1310 à 1376, en particulier les nos 2287, 2392
et 2502.

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