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Alexis III Ange

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Pour l’article homonyme, voir Alexis III de Trébizonde.

Alexis III Ange


Empereur byzantin
Alexis III Ange, manuscrit, Zonaras (gr. 122, fol. 293r)
de la Bibliothèque Estense, Modène, seconde moitié
du XVe siècle.

Règne

8 avril 1195 - 18 juillet 1203


8 ans, 3 mois et 10 jours
Période
Ange
Précédé par
Isaac II Ange
Suivi de
Isaac II Ange et Alexis IV Ange

Biographie

Naissance
v. 1153
Décès
v. 1211 (~58 ans)
Père
Andronic Ange
Mère
Euphrosyne Kastamonides
Épouse
Euphrosyne Doukaina Kamatera

Eirene Angelina
Descendance
Anna Angelina
Eudoxie Angelina

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Alexis III Ange (en grec byzantin : Ἀλέξιος Γʹ Ἄγγελος), né vers 1153, mort en 1211
ou 1212, est empereur byzantin de 1195 à 1203. Membre de la famille des Anges, il
est le frère d'Isaac II Ange qui parvient au pouvoir en 1185. Proche de ce dernier, il
prend finalement la tête d'un complot de l'aristocratie en 1195 et fait enfermer son
frère. Il prend le pouvoir dans un contexte compliqué pour un Empire byzantin
menacé sur de nombreuses frontières, mais surtout affaibli par des contestations
récurrentes de l'autorité impériale et une corruption grandissante, alors que
l'Occident chrétien fait preuve de plus en plus de défiance à l'égard
de Constantinople.

S'il est régulièrement défié par des soulèvements au sein de la capitale, dont celui
de Jean Comnène le Gros, et par des séditions provinciales, aucun de ces
mouvements ne peut fondamentalement le renverser car il bénéficie du soutien de
l'armée. En revanche, tous ces mouvements l'empêchent de renforcer les frontières
impériales, en particulier en Occident où il est sans cesse attaqué par le deuxième
empire bulgare, nouvellement créé et avec lequel il n'obtient la paix que péniblement.
Surtout, différents chefs valaques se rendent indépendants dans les Balkans et ne
sont que difficilement vaincus. Si les relations avec le sultanat de Roum sont parfois
compliquées, c'est surtout avec le mouvement des croisades qu'Alexis III fait face à
la plus grande menace. Pressé par Henri VI du Saint-Empire, il tente de renforcer
ses liens avec la papauté, sans aller vers une franche alliance.

Finalement, la fuite d'Alexis Ange, le fils d'Isaac II, qui rejoint les chefs de
la quatrième croisade, fait peser le plus grave péril sur l'Empire byzantin. Bientôt,
cette croisade se détourne de la Terre sainte pour s'attaquer à Constantinople à l'été
1203. Assiégé, Alexis III préfère s'enfuir tandis qu'Isaac II est rétabli sur le trône avec
son fils, Alexis IV, soutenus par les Croisés. Alexis III, parti en exil, tente d'opposer
une résistance au nouvel ordre latin établi après le sac de Constantinople en 1204.
Emprisonné puis libéré, il se rend au sein du despotat d'Épire puis tente de s'allier au
sultan Kay Khusraw Ier pour s'emparer de l'Empire de Nicée avant d'être vaincu et
confiné dans un monastère en 1211, où il meurt à une date inconnue. Il est souvent
vilipendé par les chroniqueurs de l'époque et largement critiqué par les historiens
modernes pour sa responsabilité dans la dislocation de l'Empire, mais certains
travaux récents lui reconnaissent un réel volontarisme, quoiqu'insuffisant au regard
des défis qui se présentent à lui.

Origines et arrivée au pouvoir[modifier | modifier le code]

L'Empire byzantin en 1180. Sous Alexis III, toute la


côte méridionale de l'Anatolie, Chypre et une partie des Balkans ont été perdus.
Isaac II aveuglé sur ordre de son frère. Manuscrit
français du XV siècle.
e

Alexis Ange naît vers 11531,2. Il est le deuxième fils d’Andronic Doukas Ange et
d’Euphrosyne Kastamonitissa. Son frère cadet, Isaac II Ange, a été porté au pouvoir
en 1185 par cette même foule qui a mis en pièces le dernier
empereur Comnène, Andronic Ier. Alexis est le seul des frères d'Isaac à ne pas avoir
été aveuglé par Andronic Comnène, lequel a châtié plusieurs membres de la famille
des Anges à la suite d'un soulèvement manqué en 1183 à Nicée, mené notamment
par Théodore Ange, un frère d'Isaac et Alexis3. Alexis quitte par la suite l'Empire
byzantin et se réfugie en terres musulmanes. Il est difficile de savoir s'il est prisonnier
ou simplement réfugié auprès de Saladin. Selon les sources latines,
notamment Magnus de Reichersberg, il apprend à Damas l'arrivée au pouvoir de son
frère. Isaac II le mande alors à la cour et Alexis se rend à Acre pour embarquer vers
l'Empire byzantin, mais il est arrêté sur ordre des barons latins Raymond III de
Tripoli et Bohémond III d'Antioche, apparemment en représailles des négociations
entre Saladin et Isaac II. Celui-ci aurait alors demandé au chef musulman d'attaquer
les Croisés et aurait lui-même envoyé une flotte en soutien, anéantie au large
de Chypre alors que Saladin parvient à libérer Alexis Ange4. Dans les faits, un tel
scénario est improbable et la flotte en question se dirige en réalité vers Chypre pour
combattre Isaac Doukas Comnène5. Dans tous les cas, Alexis finit par rejoindre
Constantinople et est nommé sébastokrator par son frère6.

Hyperpère en or datant du règne d'Isaac II. Celui-ci


est représenté debout, aux côtés de l'archange saint Michel tandis que c'est
la Vierge Marie qui est représentée sur l'autre face.
Fondateur de la dynastie des Ange, Isaac II ne sait mettre fin aux abus du régime
précédent. Le luxe excessif de la cour et la corruption endémique provoquent un
climat de mécontentement et d’agitation. Les tentatives de sécession se multiplient à
l’intérieur de l’empire : Théodore Mangaphas se rebelle à Philadelphie alors même
que la troisième croisade se met en route7 ; deux prétendants, se faisant passer
pour Alexis II, apparaissent, l’un en Asie Mineure qui, avec l’aide des Turcs, ravage
le thème des Thracésiens. Isaac envoie son frère Alexis contre lui, mais celui-ci ne
se distingue pas particulièrement et le prétendant est finalement assassiné par un
prêtreCH 1. L’autre pseudo-Alexis s'illustre en Paphlagonie avant d'être arrêté. À
l’étranger, Isaac doit faire face aux invasions normandes, les Turcs continuent leur
avance en Asie Mineure et la piraterie devient si répandue en mer Égée que
l'empereur doit rétablir les privilèges commerciaux de Pise et de Gênes d’où sont
originaires une bonne partie de ces pirates8. À la tête d'un régime fragile, qui ne
dispose pas de la légitimité des Comnènes, Isaac tente de se reposer sur certaines
personnalités de l'aristocratie, mais aussi sur son frère Alexis qu'il nomme
gouverneur du thème des Thracésiens et pour qui il a une certaine affection. Alexis
semble prendre assez tôt la tête d'un mouvement de conspiration contre le trône,
mais Isaac n'y prête guère attention9,10.

Profitant de l'impopularité de son frère, Alexis décide en 1195 de le déposer avec


l’aide d’une partie de la noblesse et des troupes, alors que l'empereur dirige en
personne une expédition contre les Bulgares avec son beau-père Béla III, roi
de Hongrie11,12. Après s’être emparé d’Isaac, Alexis le fait aveugler et le garde
prisonnier, de même que son jeune fils, également nommé Alexis. Parmi les
partisans d'Alexis Ange, cinq noms se détachent : Théodore Branas, Michel
Cantacuzène, Jean Pétraliphas, Constantin Raoul et Georges Paléologue. Tous
appartiennent à l'aristocratie militaire et représentent une élite déçue du règne
d'Isaac II. Par ailleurs, leur zone d'implantation est largement concentrée en Thrace
et en Macédoine, des régions menacées par les progrès des Bulgares et des
ValaquesCH 2.

Quand il s'empare du pouvoir, Alexis III est en dehors de Constantinople, une cité
acquise à Isaac II. Alexis Kontostéphanos tente immédiatement de provoquer un
soulèvement, soutenu par une partie des habitants de la ville. C'est l'épouse d'Alexis
Ange et désormais impératrice, Euphrosyne Doukaina Kamatera, qui mobilise les
troupes, dont la garde varangienne, pour sécuriser la cité et en garantir l'accès à son
mari13,CH 3.

La personnalité d'Alexis III demeure mal connue et largement influencée par la vision
négative de Nicétas Choniatès, qui blâme son goût du luxe excessif, qu'il partage
avec son frère, et son incompétence en matière administrative. Il aurait suscité de
profondes espérances en arrivant au pouvoir pour lutter contre les nombreux maux
de l'Empire, espérances vite déçues selon Choniatès. Celui-ci reconnaît néanmoins
ses manières gracieuses et le dit opposé aux punitions cruelles et à la torture. Il
évoque aussi des douleurs périodiques aux articulations et aux pieds dont aurait
souffert Alexis III ; refusant longtemps les prescriptions des médecins, il visite
diverses sources chaudes en Bithynie pour calmer ses inflammations14. Enfin,
Choniatès met en avant l'influence supposée de l'impératrice sur les destinées de
l'Empire, allant jusqu'à souligner la passivité d'Alexis III15.

Politique intérieure[modifier | modifier le code]


Âgé d’environ quarante-deux ans à son avènement, Alexis III fait face à un grand
nombre de défis alors même que la stabilité politique de l'Empire est régulièrement
sapée par des mouvements de contestations variées depuis la mort de Manuel Ier en
1180. Régulièrement vilipendé pour ses difficultés à gérer l'Empire, il tente de trouver
des solutions aux différents enjeux qui se présentent à lui mais souffre d'une
impopularité parfois forte, surtout à Constantinople, qui sapent[pas clair] les fondements
de sa légitimité, alors même que l'Empire est confronté à des dangers extérieurs
croissants16.
Entourage[modifier | modifier le code]

Hyperpère en or représentant sur une face Alexis III


aux côtés de Constantin le Grand et, sur l'autre face, Jésus Christ.
L'arrivée d'Alexis III Ange au pouvoir fait espérer à certains de ses contemporains
des changements dans une administration et une élite de plus en plus corrompues.
Dans les faits, l'empereur fait peu pour y remédier. Parmi l'entourage direct
d'Alexis III, Basile Doukas Kamatéros, le frère de l'impératrice, occupe une place
importante. Il est logothète, possiblement du génikon, avec un rôle important en
matière financière17. De même, son oncle, Jean Doukas, fait partie de ses proches
conseillers jusqu'à sa mort en 1200. D'autres courtisans sont au premier plan
comme Jean Belissariotès, un membre d'une famille de hauts fonctionnaires de
l'Empire qui occupe la fonction de megas logariastes18. Quant au poste cardinal
de logothète du drome, il appartient d'abord à Démétrios Tornikès puis à son fils,
tandis que Nicétas Choniatès est le grand logothète. Certains fonctionnaires
importants sous Andronic Ier semblent revenir au premier plan comme un juge
du velum, Jean Apotyras, qui est réintégré. Parfois, des membres éminents de la
cour d'Isaac conservent leur position comme Constantin Mésopotamitès, sorte de
premier ministre dont l'omnipotence et l'ambition croissante finissent par lui attirer de
profondes inimitiés. S'il est d'abord congédié par Alexis III, l'épouse de ce dernier le
convainc de le rappeler rapidement19,20. En 1197, alors qu'il doit être intronisé comme
archevêque de Thessalonique, ses adversaires en profitent pour convaincre Alexis III
de le congédier. Ils n'hésitent pas à mettre en cause directement l'impératrice,
l'accusant d'adultère avec un certain Vatatzès, qu'Alexis III met à mort21. L'empereur,
contraint de partir en campagne, ne reçoit que quelques semaines plus tard
Euphrosyne. Ayant fait torturer certains des serviteurs de sa femme pour leur faire
avouer la conduite de celle-ci, il l’oblige à quitter le palais impérial pour un couvent 22.
Finalement, après quelques mois, elle est rappelée par l'empereur et retrouve sa
position d'impératrice, probablement par l'entremise de Mésopotamitès : ce dernier,
qui est parvenu à sauver son poste, est toujours plus influent et accumule les
fonctions et dignités, qu'elles soient civiles ou ecclésiastiques, jusqu'à l'excès. Alors
qu'il s'absente pour Thessalonique, ses adversaires redoublent d'efforts pour
convaincre l'empereur de le congédier, cette fois avec succès. Alexis III le remplace
alors par Théodore Eirenikos comme epi tou kanikleiou23.

Michel Stryphnos, déjà influent sous Isaac II, devient mégaduc en dépit
d'accusations récurrentes de corruption. Ainsi, il se serait rendu responsable d'un
détournement des fonds destinés à la marine byzantine, contribuant à gravement
affaiblir celle-ci. Si une trentaine de navires peuvent encore affronter les pirates
italiens en 1196, ce n'est plus le cas quelques années plus tard24,25. De manière
générale, Jean-Claude Cheynet note une continuité dans les élites de l'Empire en
s'appuyant sur les patronymes des grandes familles qui se retrouvent d'un règne sur
l'autre. Étonnamment, les Anges sont relativement peu représentés et Alexis III lui-
même préfère utiliser le nom de Comnène pour rappeler son lien familial avec la
prestigieuse dynastie fondée par Alexis Ier, dont il est un arrière-petit-filsCH 4. En
revanche, l'empereur s'appuie plus sur les eunuques, tant dans des fonctions civiles
comme Constantin Philoxénitès, responsable du trésor impérial, que pour des postes
militaires. Les eunuques, qui ne peuvent prétendre à la fonction impériale,
représentent un risque moindre de révolte, même si leur nomination peut se faire
parfois au détriment d'officiers plus compétents mais dont la popularité risque de
faire ombrage au souverainCH 5.

La succession est un enjeu fort du règne d'Alexis III, d'autant qu'il tombe assez
gravement malade peu après avoir pris le pouvoir. Dénué d'héritier mâle, l'empereur
nomme rapidement l'époux de sa fille aînéeN 1, Alexis Paléologue, comme
successeur. Issu d'une famille qui n'a cessé de renforcer sa position au sein de
l'aristocratie impériale depuis l'époque d'Alexis Ier, Alexis Paléologue est un membre
éminent de la cour impériale, qui se mobilise régulièrement pour combattre les
adversaires de l'Empire, tant au sein des frontières qu'à l'extérieur de celles-ci. Il
reçoit d'ailleurs le titre de despote, particulièrement prestigieux. Parmi les autres
prétendants à la succession finalement éconduits figurent Manuel Kamytzès,
longtemps soutien de l'empereur avant de se rebeller, et Jean CantacuzèneCH 6. La
mort d'Alexis Paléologue au début de l'année 1203 prive Alexis III de son successeur
mais il n'a pas le temps d'en désigner un nouveau, même si Théodore Lascaris fait
figure de candidat favoriCH 7.

Administration intérieure[modifier | modifier le code]


Sous Alexis III, de même que sous Isaac II, l'Empire byzantin connaît un degré élevé
de corruption lié à la mainmise d'une partie de l'aristocratie sur certaines fonctions.
La légitimité affaiblie des empereurs d'alors, non issus de la prestigieuse lignée des
Comnènes et arrivés au pouvoir par des usurpations, ne permet pas d'apporter un
remède efficace à ce phénomène qui affaiblit l'administration impériale. Ainsi,
Alexis III tente bien de s'attaquer à la vénalité des charges alors répandue dans
l'Empire mais la mesure d’interdiction n'est jamais appliquée26. Les écrits de Michel
Choniatès sur la rapacité fiscale des agents de l'Empire dans la région qu'il occupe,
en l'occurrence les environs d'Athènes, sont un témoignage précieux des abus
d'alors27. Les effets de ces pratiques sont multiples. Ainsi, les commerçants italiens
accusent régulièrement Michel Stryphnos d'abus et d'extorsions, au point qu[pas clair]'en
1195-1197, un Génois, Gafforio, se lance dans une piraterie intense en mer
Egée que la marine byzantine délabrée peine à combattre28.

Alexis III prend diverses mesures pour essayer de remédier à certains des maux de
l'Empire. En 1196, il passe un décret visant à protéger le monastère de la Grande
Laure de l'Athos qui fait l'objet d'abus de fonctionnaires douaniers, alors que les
moines sont censés bénéficier de facilités fiscales pour le commerce maritime. Dans
l'ensemble, s'il est critiqué par Nicétas Choniatès pour son goût du luxe, le
chroniqueur reconnaît qu'il fait preuve de moins de prodigalité au fur et à mesure de
son règne, probablement en lien avec l'affaiblissement du trésor impérial29. Dans un
article, Kostis Smirlys va jusqu'à qualifier l'entourage direct de l'empereur
d'organisation criminelle qui dévore les ressources publiques impunément30. Michael
Angold souligne aussi la trop grande dépendance d'Isaac II et d'Alexis III envers des
familles de la bureaucratie impériale31.

La dévaluation de la monnaie byzantine, déjà sensible sous Isaac II, s'accroît. La


valeur du trikephalon, la pièce en électrum, déjà passée de cinq carats à quatre sous
Isaac descend à trois carats sous Alexis III32,33. Il reste malgré tout difficile de
déterminer précisément l'état de l'économie byzantine sous Alexis III Ange. Si Judith
Herrin a récemment mis en évidence qu'elle est affaiblie par l'influence devenue
prédominante des marchands étrangers, notamment italiens, Michael Hendy plaide
pour une économie plutôt dynamique34,35,36.

Contestations et répressions[modifier | modifier le code]

Reproduction du sceau de Léon Sgouros,


mentionnant son titre de sébastohypertatos.
Constantinople rebelle[modifier | modifier le code]
À l'image de celui de son frère, le règne d'Alexis III est constellé de révoltes et de
soulèvements. Ce phénomène traduit la perte d'autorité progressive du
gouvernement impérial, fragilisé par les règnes trop courts d'empereurs affaiblis,
n'ayant plus la légitimité des Comnènes et de plus en plus confrontés à une
aristocratie que le prestige impérial ne contient plus. L'administration impériale elle-
même offre une certaine résistance à Alexis III. Quand il rentre à Constantinople
revêtu de la tenue impériale, certains juges du velum refusent de se soumettre à lui
et sont immédiatement remplacés. Quand, en 1197, il impose une nouvelle taxe pour
acheter la paix avec Henri VI du Saint-Empire, cet impôt, parfois appelé Alamanikon,
rencontre une telle opposition du Sénat byzantin, du clergé et de certaines guildes
commerciales que l'empereur doit y renoncer37. Anthony Kaldellis note qu'Alexis
rassemble ces corps constitués au sein de l'hippodrome de Constantinople pour
annoncer cette nouvelle taxe ; l'historien analyse ce renoncement comme la
démonstration d'une limite posée à l'absolutisme impérial byzantin, qu'il rapproche
d'autres occurrences similaires dans l'histoire byzantine38.

Dans l'ensemble, les relations d'Alexis avec les Constantinopolitains sont mauvaises,
peut-être parce que les habitants de la capitale ont été de fervents soutiens d'Isaac
II. À la différence de son prédécesseur, Alexis III ne montre aucune générosité
particulière à l'égard des habitants de la capitale, ce qui n'aide pas à sa popularité 39.
Ainsi, quand il s'empare d'un riche banquier du nom de Kalomodios, il doit
rapidement le relâcher en raison du tollé provoqué parmi les commerçants et
artisans de la citéCH 8. Quand, en 1200 ou 1201, Jean Lagos, gardien de la prison du
prétoire, s'accapare les biens normalement donnés par charité aux prisonniers et
commence à piller des églises pour son enrichissement personnel. Alexis III laisse
faire jusqu'à ce que plusieurs guildes d'artisans investissent la prison et obligent Jean
Lagos à s'enfuir. Le mouvement tourne alors à l'émeuteCH 9. Alexis III tente d'envoyer
sa garde reprendre la prison, sans succès, et les prisonniers sont libérés. Des
violences sont perpétrées, une mosquée détruite. Il faut le regroupement d'une
importance force dirigée par Alexis Paléologue pour mater une foule mal armée qui
subit de lourdes pertes40,CH 8,N 2. Pour Magdalino, cette opposition de la capitale marque
l'enracinement d'une identité spécifiquement constantinopolitaine et distincte des
provinces, accroissant le fossé entre les deux ensembles41.
Jean Comnène le Gros enfonce les portes du Grand
Palais. E. Alonnier et J. Décembre, Dictionnaire populaire..., 1863.
Le 31 juillet 1201 intervient la principale révolte du règne d'Alexis III, celle de Jean
Comnène le GrosN 3. Membre obscur de la cour impériale et rejeton éloigné de la
dynastie des Comnènes, il est néanmoins soutenu par une partie de l'aristocratie,
dont peut-être le futur Alexis V Doukas42. Le climat général de déclin de l'empire,
marqué par la rétraction des frontières, favorise certainement ce soulèvement. En
effet, les partisans de Jean Comnène se dirigent vers la basilique Sainte-Sophie,
centre spirituel de l'empire, pour jurer de rétablir les frontières d'antan. Couronné par
un moine, Jean Comnène le Gros se proclame empereur et une partie de la foule
commence à brûler divers bâtiments. Jean Comnène parvient même à pénétrer dans
une aile du Grand Palais mais, selon des historiens comme Charles Brand, ne profite
pas suffisamment de la situation pour prendre des décisions énergiques comme la
nomination de ses partisans aux plus hauts offices ou la mobilisation d'une force
armée suffisante pour maintenir son pouvoir43. La capitale est alors partagée en deux
camps car Alexis III s'est barricadé dans le palais des Blachernes. Une xénophobie
ambiante semble motiver une partie des émeutiers tandis que des éléments italiens
et géorgiens se manifestent par le pillage de demeures ou encore d'églises, parfois à
la recherche de reliques précieuses. Le 1er août, une flotte loyaliste envoie des
renforts à la garde varangienne, qui tient toujours une partie du Grand Palais.
Bientôt, les troupes d'Alexis III prennent le dessus et poursuivent Jean Comnène,
finalement rattrapé et décapité. Ses soutiens sont exécutés, emprisonnés ou
contraints à l'exil44. C'est peut-être cet événement qui incite Alexis Comnène et David
Comnène à se réfugier à Trébizonde, hors d'atteinte d'Alexis. Dans l'ensemble, la
loyauté de l'armée assure une certaine solidité au pouvoir d'AlexisCH 10.

Enfin, en 1200, alors qu'Alexis III mène une campagne contre le Valaque Ivanko, une
partie de la population soutient un soulèvement suscité par un membre de la famille
des Kontostéphanos mais, de nouveau, Euphrosyne Doukaina intervient pour le
réprimerCH 11,45.

Séparatismes provinciaux[modifier | modifier le code]


Le séparatisme provincial, déjà sensible depuis quelques décennies, se confirme
sous Alexis III Ange. Ainsi, Léon Sgouros, gouverneur de l'Argolide et de la Nauplie,
profite des troubles provoqués par Manuel Kamytzès et Dobromir Chrysos pour se
proclamer indépendant en 1201-120246. L'empereur envoie Michel Stryphnos le
combattre en 1201-1202, sans grand succès47 et, en 1203, alors que la quatrième
croisade pénètre en terres byzantines, Sgouros s'attaque à Athènes dont il
s'empare48,49. Seule l'Acropole résiste, défendue par une garnison dirigée par Michel
Choniatès. Cette révolte dans une terre traditionnellement acquise aux Byzantins
émane d'un membre d'une aristocratie provinciale éloignée de l'élite de la capitale et
de moins en moins fidèle à celle-ci. En cela, elle ressemble à la sédition de Théodore
Mancaphas intervenue sous Isaac II en Asie MineureCH 12,N 4. Deux autres révoltes
appartiennent à cette catégorie. Jean Spyridonakès, le gouverneur
du thème de Smolyan en Macédoine, se soulève en 1201 mais est facilement vaincu
par les troupes impériales d'Alexis PaléologueCH 13. Michel Ange Doukas, gouverneur
de la région de Mylasa au sud-ouest de l'Anatolie, essaie aussi de se rendre
indépendant sans succès en 1200 et se réfugie auprès du sultanat de Roum, d'où il
lance des raids dans la vallée du Méandre50,51,N 5. Si ce séparatisme grandissant
atteste d'un affaiblissement du pouvoir central, des historiens comme Jean-Claude
Cheynet mettent en garde contre l'idée d'une déliquescence complète de l'Empire à
l'aube de la quatrième croisade52.

Politique religieuse[modifier | modifier le code]

Le monastère de Hilandar, refondé par


les Serbes sous le règne d'Alexis III.
À la différence d'Isaac II, Alexis III se montre plus conciliant envers le clergé,
notamment dans le choix des patriarches. Il laisse en fonction Georges II Xiphilin,
pourtant peu favorable à son arrivée au pouvoir et le remplace, à sa mort en 1198,
par Jean X Kamatéros. Celui-ci est un proche de l'impératrice, autant qu'un membre
respecté du clergé, en tant que chartophylax. Il est un soutien constant de
l'empereur, se réfugiant notamment dans une armoire au moment de l'irruption
de Jean Comnène le Gros à Sainte-Sophie pour ne pas le couronner53. Plutôt
conciliant envers l'Église, pour éviter qu'elle ne soutienne son prédécesseur, il ne
rencontre que peu d'opposition, sauf lors de la levée de la taxe dite Alemanikon,
finalement abandonnée54.

Il fait preuve d'une certaine générosité envers les différentes institutions religieuses
et renouvelle régulièrement les privilèges octroyés aux monastères. Il permet
à Stefan Nemanja de restaurer le monastère de Hilandar sur la péninsule du Mont
Athos, avec l'octroi d'importants privilèges, ce qui en fait un haut lieu du monachisme
serbe55,56.

Une controverse théologique éclate sous son règne à propos de l'incorruptibilité de


l'Eucharistie, contestée par Michel Glycas57. Si Jean Kamatéros n'est que
modérément opposé à cette doctrine, un synode se tient en 1200 qui l'invalide, sans
la qualifier d'hérésie, ce qui n'intervient qu'un peu plus tard58.

Défense des frontières[modifier | modifier le code]


Face aux Bulgares[modifier | modifier le code]
Carte présentant les évolutions territoriales
sous Kaloyan, dont certaines interviennent dès le règne d'Alexis III Ange.
Depuis la révolte bulgaro-valaque en 1185-1186, le deuxième empire bulgare fait
peser une menace persistante sur la frontière occidentale de l'Empire, contestant sa
domination sur les Balkans. Ainsi, en 1195, Alexis III s'impose alors qu'Isaac II
décide de mener une nouvelle campagne contre les Bulgares qui poursuivent des
raids de plus en plus profonds en terres byzantines. Profitant de l'arrivée au pouvoir
du nouvel empereur, les Bulgaro-valaques attaquent la région de Serrès à l'automne
1195 et battent l'armée byzantine dirigée par Alexis Aspietes59. Alexis III réagit par
l'envoi de renforts dirigés par le sébastokrator Isaac Comnène60,61. Celui-ci tente
d'intercepter l'adversaire qui se dirige vers Amphipolis, mais il tombe dans une
embuscade meurtrière et lui-même est fait prisonnier62.

En 1196, les Byzantins pensent profiter des dissensions naissantes au sein de


l'Empire bulgare. Ivan Asen s'aperçoit que l'un de ses boyards, Ivanko, a une
aventure avec la sœur de sa femme. Mécontent, il veut faire arrêter Ivanko mais
celui-ci le tue63. S'emparant de la capitale, il en est délogé par Pierre IV, le frère
d'Ivan Asen, et il préfère fuir vers l'Empire byzantin. Le rôle de ce dernier dans ces
événements demeure flou. Il a parfois été suspecté que Isaac Comnène, alors
prisonnier, aurait encouragé Ivanko à agir mais cela paraît improbable64. Quoi qu'il en
soit, Alexis III tente de profiter de la situation et envoie Manuel Kamytzès, à la tête
d'une importante armée, envahir la Bulgarie. Seulement, les soldats se mutinent et
Kamytzès doit se retirer. Quant à Ivanko, il devient gouverneur de Philippopolis,
devenue une position avancée de la défense byzantine, s'acquittant de sa tâche
avec efficacité65.

En 1197, Pierre IV est assassiné et c'est son fils, Kaloyan, longtemps otage à
Constantinople, qui lui succède66. Particulièrement belliqueux, il lance des raids
dévastateurs contre les terres byzantines67. La cité de Tzurulum est notamment
visée. Le raid, conduit autant par des Valaques que des Coumans, permet d'amasser
un grand butin et de nombreux prisonniers. Si une armée byzantine parvient à
intercepter cette troupe, elle est finalement vaincue, confirmant les difficultés
croissantes de l'Empire à contrecarrer les forces bulgares, valaques ou coumanes,
qui pénètrent de plus en plus loin en Macédoine ou en Thrace et profitent d'une
armée impériale démoralisée68,69. Vers 1198, des groupes de Coumans s'enfoncent à
nouveau en profondeur, jusqu'aux environs de la péninsule de Gallipoli70.

En 1201, Kalojan s'attaque à la cité côtière de Varna à l'est et s'empare de


Constantia du Rhodopes à l'ouest mais bientôt, les Coumans, alliés traditionnels des
Bulgares, sont attaqués sur leur frontière nord par les Russes et les forces de
la principauté de Galicie-Volhynie. Les Byzantins concluent alors certainement une
alliance avec le prince galicien Roman Mstislavitch puisque des ambassadeurs sont
mentionnés en 1200 à la cour d'Alexis III71,72. Fragilisé, Kalojan doit concéder la paix à
Alexis III à la fin 1201 ou au début 1202. Le massif du Grand Balkan redevient la
frontière entre les deux empires, permettant aux Byzantins de reprendre une partie
du terrain perdu73,N 6. Cette paix permet à Alexis III de concentrer ses efforts sur la
réduction des révoltes de Kamytzès et Dobromir Chrysos et donc de sécuriser la
frontière balkanique, ce qui constitue un réel succès74.

L'une des particularités de la politique d'Alexis sur la frontière bulgare est son recours
à des chefs de guerre valaques, qui rejoignent l'Empire byzantin et se voient conférer
des régions à défendre, mais en profitent parfois pour s'émanciper. Ainsi, Ivanko,
allié des Byzantins et marié à une petite-fille d'Alexis III, Theodora Angelina, se
soulève depuis la ville de Philippopolis qu'il gouverne. Les raisons de ce mouvement
sont inconnues mais il s'impose face à l'armée impériale, capturant le
général Manuel Kamytzès en 1199. Il faut l'intervention conjointe de Théodore
Lascaris et Alexis Paléologue en 1200 pour mater le rebelle et l'exécuter75,76. L'année
suivante, c'est au tour de Kamytzès de se révolter. Libéré par Dobromir Chrysos, il
sait qu'Alexis III a refusé de payer la rançon et le prend comme un affront, d'autant
que ses biens ont été confisqués. Avec Chrysos, il mène un soulèvement
en Thessalie. Les forces d'Alexis III peinent à s'imposer et l'empereur doit se rendre
en personne en Thessalie pour négocier la paix avec les deux hommes. Il offre à
Chrysos la main de sa petite-fille, Théodora Angelina, désormais veuve d'Ivanko77 et
promet l'amnistie à Kamytzès. Celui-ci refuse mais finit par être vaincu et disparaît
lors de sa fuite78. En dépit de cet échec, ces mouvements perturbent fortement
l'emprise byzantine sur la Macédoine et la Thessalie, facilitant les entreprises de
Spyridonagès et de Sgouros79. Par ailleurs, on note une similarité dans le scénario
des révoltes d'Ivanko et de Chrysos. Issus tous deux de l'Empire bulgaro-valaque, ils
s'allient d'abord aux Byzantins puis se révoltent en s'appuyant sur un contexte local,
avant d'être soumis par la ruse, avec notamment la promesse de mariages de
prestigeCH 14.

Dans les Balkans occidentaux[modifier | modifier le code]


En revanche, les Balkans occidentaux sortent de l'orbite byzantine sous Alexis III. En
renversant Isaac II, il met fin de facto à l'alliance avec le royaume de Hongrie, qui
repose fortement sur l'entente entre Isaac et Béla III80. Cette perte d'influence se
mesure à l'évolution de la principauté de Serbie. Rétablie par Isaac II dans son statut
d’État vassal de l'Empire, elle gagne en autonomie sous Alexis III, qui n'a guère les
moyens d'intervenir. Au retrait de Stefan Nemanja en 1195, un conflit successoral
éclate entre ses deux fils qui entraîne l'intervention de la Hongrie, de Bulgarie et du
pape Innocent III, qui essaie d'étendre l'influence de Rome sur des terres
traditionnellement dépendantes du patriarcat de Constantinople. En 1198, Stefan
Nemanjic, l'un des deux fils de Nemanja, marié à Eudoxie Angelina, une fille d'Isaac
II, la répudie pour adultère, ce qui fragilise le lien entre Byzance et la Serbie.
Finalement, en 1202, Stefan Nemanjic est battu par son frère, Vukan Nemanjić,
soutenu par la Hongrie, et la Serbie passe alors dans la sphère hongroise sans
qu'Alexis III n'intervienne, déjà aux prises avec l'avancée de la quatrième croisade80.
Surtout, cette région voit l'influence croissante de la papauté. Innocent III, qui
soutenant Vukan, parvient à étendre son emprise spirituelle sur la Serbie et se
rapproche de Kalojan, menaçant une zone traditionnellement rattachée au patriarcat
de Constantinople81,82.

En Asie mineure[modifier | modifier le code]


Statue de Kay Khusraw Ier à Antalya. D'abord rival
d'Alexis III, il se réfugie auprès de lui lorsqu'il est déposé et fait partie de la cour de
l'empereur.
Face au sultanat de Roum, Alexis III opte pour une posture défensive car il est
davantage préoccupé par son front occidental. Néanmoins, dès son accession au
trône, un pseudo-Alexis II venu de Cilicie se manifeste auprès des Turcs. Ce n'est
pas la première fois qu'un homme se réclame de la descendance
de Manuel Ier Comnène, essayant de profiter du prestige de la lignée des Comnènes.
Il obtient le soutien de l'un des fils de Kılıç Arslan II, Muhyi ad-Dîn. Alexis III tente
d'infléchir la position turque sans succès et il se déplace lui-même à l'automne
119583. Cependant, l'offre de paix de Muhyi ad-Dîn comprend un important tribut que
l'empereur refuse. Alexis III mène quelques opérations militaires pour renforcer la
frontière de la Bithynie puis laisse le commandement à Manuel Kontostéphanos.
Dans l'intervalle, l'empereur se rend à Malagina, une localité qui a reconnu le
pseudo-Alexis. Alexis III discute avec la population en arguant de la mort d'Alexis II
et du fait que, dans tous les cas, il détient l'ensemble des insignes du pouvoir qui
légitiment sa prétention à l'Empire, sans parvenir à complètement convaincre son
auditoire84,CH 15.

De son côté, Kontostéphanos mène campagne contre la troupe qu'a pu constituer le


Pseudo-Alexis, sans parvenir à le vaincre. Finalement, l'usurpateur est assassiné
dans des circonstances obscures à Gangra au printemps 1196. Les Turcs profitent
de ces troubles pour prendre la cité de Dadibra, non sans avoir vaincu une armée de
renforts byzantins dirigée notamment par Théodore Branas85. Quelque peu acculé,
Alexis III accepte le tribut demandé par Muhyi ad-Dîn, lequel met à disposition de
l'empereur un contingent de soldats utilisé sur le front occidental86.

Face au sultan de Roum proprement dit, Kay Khusraw Ier, c'est un incident
diplomatique qui déclenche les hostilités. En effet, pour honorer le nouvel empereur
byzantin, le sultan d'Égypte lui envoie deux étalons en guise de cadeau mais, sur le
chemin, le sultan d'Iconium décide de les tester à la course. Or, un des chevaux se
blesse à la patte et le sultan envoie une lettre d'excuses à Alexis III, dans laquelle il
lui promet de lui envoyer les deux animaux une fois que celui blessé sera rétabli.
Alexis III refuse et prend cette péripétie pour un affront87. Il fait saisir tous les biens de
ceux qui commercent avec Iconium pour les distribuer à ses favoris. Kay Khusraw
réagit, probablement dès 1196, par l'envoi d'un raid dans la vallée du Méandre. Il
s'empare de quelques positions, dont la ville de Tantalos et s'avance
jusqu'à Antioche du Méandre mais, trompé par les bruits de festivités qu'il prend pour
des soldats s'apprêtant à partir au combat, il préfère se replier. Il emmène avec lui un
grand nombre de prisonniers qu'il installe du côté de Philomelion avec des avantages
fiscaux substantiels, au point que d'autres Byzantins viennent volontairement les
rejoindre88,89,CH 16.
Alexis III tente de réagir par l'envoi du général Andronic Doukas qui est
immédiatement repoussé. À l'automne 1196, l'empereur doit se déplacer en
personne pour assurer la sécurité de la Bithynie, pillée par des hordes de
Turcomans. Il fait une démonstration de force autour de Nicée et de Pruse avant de
rentrer à Constantinople. Néanmoins, dans l'ensemble, les Turcs ne représentent
qu'une menace secondaire car Kay Khusraw est concurrencé par plusieurs de ses
frères et peine à imposer son autorité. En 1197, vaincu par Suleiman, Kay Khusraw
doit même demander l'asile à Alexis III mais celui-ci refuse de l'aider à reprendre son
trône. Kay Khusraw tente alors de susciter des soutiens dans d'autres régions, sans
grand succès et finit par revenir à Constantinople où il se convertit au christianisme,
sous le parrainage d'Alexis III90. Avec Suleiman, les relations sont globalement
pacifiques, même si des incidents de frontières sont mentionnées en 1200, au
moment où Michel Ange Doukas, un gouverneur de province, se révolte et trouve
refuge à Iconium, gagnant le soutien du sultan. Dans le même temps, Alexis III prend
diverses mesures qui bloquent le commerce des marchands turcs, mobilisant le
pirate Constantin Phrangopoulos qui pille différents navires turcs en mer Noire91. Il
aurait même essayé de faire assassiner le sultan mais le commanditaire aurait été
arrêté sur le chemin92. Il réalise également une démonstration de force en Bithynie en
120091. Finalement, une paix est conclue en 1200-1201, probablement défavorable
aux Byzantins mais qui assure la stabilité de la frontière byzantino-turque jusqu'à la
fin du règne d'Alexis III93,94.

Alexis III et l'Occident[modifier | modifier le code]

Henri VI, empereur germanique, d'après le Codex


Manesse. Comme son père, Frédéric Barberousse, Henri VI se révéla toujours un
adversaire de l'Empire byzantin.
La menace d'Henri VI[modifier | modifier le code]
Face à l'Occident chrétien alors en pleine expansion, l'Empire byzantin entretient une
profonde méfiance, en particulier à l'égard du phénomène des croisades. Dès
la première croisade sous Alexis Ier, les relations sont tendues d'autant que les
conceptions de la chrétienté diffèrent. Lors de la troisième croisade, Isaac II est au
bord de la guerre avec Frédéric Ier Barberousse qui traverse le territoire de l'Empire
avant de mourir aux confins de l'Anatolie. Son successeur, Henri VI du Saint-Empire,
a une attitude belliciste à l'égard des Byzantins. Il écrase notamment
les Normands du royaume de Sicile en 1194 et reprend leurs ambitions
expansionnistes à l'égard de l'Empire byzantin. Il profite d'avoir capturé Irène Ange,
la fille d'Isaac II veuve de Roger III (mort en 1193), pour la marier à son fils, Philippe
de Souabe et renforcer sa légitimité à revendiquer le trône byzantin. Après une
première ambassade auprès d'Isaac II en 1195 demandant des cessions territoriales,
Henri VI en envoie une deuxième à Alexis III, exigeant le paiement d'un tribut de
360 000 hyperpères95. À cette occasion, l'empereur byzantin se distingue par le faste
avec lequel il accueille les émissaires germaniques, arborant de riches vêtements
destinés à impressionner ses hôtes mais qui trahissent aussi les richesses de
l'Empire, lesquelles suscitent de grandes convoitises96. En parallèle, l'empereur
germanique prépare sa propre croisade et envoie des émissaires réaffirmant ses
demandes financières à Alexis III et l'informant de l'imminence de l'expédition. Alexis
III doit rapidement accepter de payer l'importante somme demandée par Henri VI,
sachant qu'une guerre risquerait d'être à son désavantage. Il envoie Eumathius
Philokalès auprès d'Henri VI pour obtenir une baisse de la somme demandée à
115 000 hyperpères97. Néanmoins, elle reste substantielle et Alexis III tente de lever
un impôt nouveau pour y faire face (l’Alamanikon) mais, face à l'opposition populaire,
il en est réduit à récupérer l'or des tombes impériales de l’église des Saints-Apôtres.
Finalement, la mort d'Henri VI en 1197 éloigne le danger et soulage les Byzantins 98,99.

Il est difficile de savoir si Henri VI a réellement eu l'intention de conquérir l'Empire


byzantin. La croisade qu'il planifie a certainement pour but la Terre sainte et non
Constantinople mais peut-être conserve-t-il l'ambition, à plus long terme, de prendre
Byzance. Dans les faits, l'échec de Guillaume II de Sicile à prendre Constantinople
en 1185, de même que l'influence papale, hostile à une guerre ouverte avec les
Byzantins, ont probablement joué un rôle dissuasif100. En parallèle, la rivalité
byzantino-germanique s'exprime aussi en Asie mineure. En 1197, Alexis Ange tente
de réaffirmer l'influence impériale chez les Arméniens de Cilicie, constitués en
un royaume indépendant, en leur envoyant une couronne royale. Néanmoins, le
souverain arménien, Léon II, la refuse au profit de la reconnaissance d'Henri VI,
attestant de la perte d'influence byzantine dans la région101.

Relations avec la papauté[modifier | modifier le code]


En dépit des positions qui les opposent, le
pape Innocent III (1198-1216) interdit toujours aux princes chrétiens toute attaque
contre Byzance.
Déjà sous Isaac II, le pape a pu constituer un allié face aux ambitions de certaines
puissances occidentales dont le Saint-Empire qui menace aussi la position papale en
Italie102. Alexis III reprend les échanges diplomatiques avec Célestin III qui voit d'un
mauvais œil l'expansionnisme d'Henri VI et ce dernier intercepte un émissaire
byzantin sur la route de Rome. Néanmoins, si les échanges sont soutenus, aucune
véritable alliance entre Rome et Constantinople ne parvient à émerger103. Le
successeur de Célestin III à partir de 1198, Innocent III, poursuit la politique de
rapprochement avec Alexis III. Pour les deux hommes, l'objectif est clair : profiter de
la mort d'Henri VI pour détacher la Sicile de l'orbite du Saint-Empire, alors aux prises
avec un conflit successoral. Par ailleurs, Innocent III espère renforcer les relations
avec Alexis III pour le convaincre de soutenir son projet de croisade et de libération
de la Terre sainte. Pour cela, il alterne entre menaces et flatteries104. Les relations
sont intenses même si l'insistance d'Innocent à faire reconnaître la suprématie
papale agace les Byzantins. En 1199, Alexis III se dit prêt à participer à la libération
de la Terre sainte quand les moyens seront réunis, une réponse suffisamment vague
pour ne pas l'engager. Il émet aussi l'idée de réunir un concile pour discuter de l'unité
des deux Églises. Dans le même temps, le patriarche Jean X rappelle l'enjeu
du filioque, qui reste la principale pomme de discorde entre les deux pôles de la
chrétienté avec la reconnaissance de la suprématie papale105. Néanmoins,
l'acceptation d'un concile demeure un succès pour le pape106,102.

Alexis III tente d'exiger la rétrocession de Chypre, siège d'un royaume latin depuis
1191, en échange d'un large soutien financier au royaume de Jérusalem. Il va
jusqu'à menacer de lancer une armada à l'assaut de l'île. Cette fois, le pape réagit
vivement, déniant les droits impériaux sur l'île et prévenant que tout assaut
détournerait les forces chrétiennes de la lutte contre les infidèles. Cependant, Alexis
III n'ayant guère les moyens de reconquérir Chypre, cette menace vise plutôt à tester
la détermination papale107,108. En définitive, entre 1198 et 1202, le pape et l’empereur
byzantin échangent au moins huit ambassades et douze lettres substantielles, dont
une envoyée par Alexis III à l'automne 1202 et dans laquelle il s'inquiète des
déroutements de la quatrième croisade. Si les négociations échouent en raison
notamment de la volonté de Constantinople de maintenir l’indépendance de l’Église
nationale et d'un manque d'empressement à intervenir en Terre sainte, le pape
continue toujours d'interdire toute attaque contre Byzance109,110.

Quatrième croisade[modifier | modifier le code]


Articles détaillés : Quatrième croisade et Siège de Constantinople (1203).

Boniface de Montferrat élu chef de la quatrième


croisade, Soissons (1201), (Henri Decaisne, Salles des Croisades, Versailles).
La menace grandissante[modifier | modifier le code]
Bientôt Alexis doit faire face à un danger plus important encore, mais qu’il sous-
estime : en 1202, diverses armées européennes s’assemblent à Venise en vue de
la quatrième croisade, prêchée en 1198 par Innocent III. À la même époque,
Alexis III relâche son neveu, Alexis Ange, le fils d’Isaac II déposé, pour que celui-ci
prenne part à ses côtés à une expédition en Thrace ; Alexis en profite pour s’enfuir à
bord d’un bateau pisan et va se réfugier à la cour de Philippe de Souabe où il
rencontre le marquis Boniface de Montferrat qui venait d’être choisi pour diriger la
quatrième croisade111,112,113.

Carte de Constantinople, faisant notamment figurer la


chaîne qui barre la Corne d'Or.
La quatrième croisade, qui a besoin de navires en nombre suffisant pour se rendre
en Terre sainte, se tourne vers le doge Enrico Dandolo et l'imposante flotte
vénitienne. La république italienne accepte mais demande aux Croisés de l'aider à
reprendre Zara, une cité dalmate qui s'est émancipée de la tutelle vénitienne. Les
Croisés s'en emparent en novembre 1202 mais cela ne suffit pas à ce qu'ils
s'acquittent de l'entièreté des frais de transports. En outre, les provisions viennent à
manquer alors que les soldats passent l'hiver à Zara. Bientôt, Constantinople émerge
comme nouvelle cible, d'autant qu'Alexis Ange promet aux Croisés de leur fournir un
contingent, de l'argent, du ravitaillement et de restaurer l'unité de l’Église. Si cette
proposition reçoit l'approbation des principaux chefs de la croisade, il en est
autrement de bon nombre de soldats qui renâclent à l'idée d'attaquer une cité
chrétienne114,115. Tandis que la flotte part de Corfou au printemps pour contourner
le Péloponnèse et remonter vers la mer de Marmara, Alexis Ange débarque
à Dyrrachium pour progresser par voie de terre. Alexis III a conscience qu'il risque
d'être prochainement attaqué. Il envoie un émissaire latin, Nicolas Rosso, auprès de
Boniface de Montferrat qui s'est installé en juin à Chrysopolis, sur la rive asiatique du
Bosphore. L'ambassadeur leur délivre un message qui mêle menace et flatterie, ainsi
que de nombreux cadeaux que Boniface refuse. Il transmet comme exigence à
Alexis III que celui-ci laisse le trône à Alexis Ange116.

De son côté, l'empereur tente de mettre en défense la cité impériale en inspectant


les murailles. Avant l'arrivée des Croisés, il a rassemblé les navires disponibles mais
l'état de décrépitude de la marine byzantine est tel que seule une vingtaine de
navires mal entretenus peuvent être réunis, ce qui est largement insuffisant. En
conséquence, il fait dresser une solide chaîne pour barrer l'accès à la Corne d'Or, le
port naturel de la ville117. En mai 1204, il octroie d'importants privilèges commerciaux
à la république de Gênes, rivale de Venise, agrandissant notamment leur
implantation dans la cité, peut-être pour susciter des renforts maritimes de la cité
italienne mais les délais sont trop courts118,119,120. De façon générale, Jean-Claude
Cheynet a souligné le délai court dont dispose Alexis III pour mettre en défense la
capitale, n'acquérant la certitude d'une attaque à venir qu'à l'orée du mois de mai,
quand la flotte latine quitte Corfou. Peut-être estime-t-il encore possible que les
Croisés se contentent de menacer Constantinople pour obtenir des vivres ou des
moyens supplémentaires121. Les relations avec Venise ne sont alors pas si mauvaises
puisqu'en 1198, Alexis III a concédé à la république italienne d'importants privilèges
sur la base de ceux déjà accordés par ses prédécesseurs, exemptant notamment les
marchands vénitiens de taxes commerciales. Cette chrysobulle réaffirme aussi les
droits de citoyens vénitiens qui résident à Constantinople en renforçant leur
protection juridique, les rendant principalement justiciables devant les autorités
vénitiennes et non devant les tribunaux byzantins122,123.

Siège de Constantinople et fuite d'Alexis III[modifier | modifier le code]


Si certaines portions de la partie européenne de l'Empire accueillent favorablement
Alexis Ange, la capitale reste calme malgré la pression imposée par les Croisés. Le 6
juillet, ces derniers décident de forcer le passage de la Corne d'Or et s'emparent de
la tour de Galata, d'où ils peuvent détacher la lourde chaîne et permettre aux navires
d'entrer dans le bras de mer. Choniatès blâme ensuite la passivité d'Alexis III alors
que les restes de la marine byzantine sont incapables de la moindre action124,125. Les
Croisés peuvent dorénavant attaquer les remparts maritimes, bien plus faibles que
la muraille de Théodose mais les défenseurs parviennent à les repousser, non sans
qu'un important incendie se déclare dans certaines zones de la ville126. Dans le même
temps, des forces croisées tentent d'attaquer la muraille de Théodose mais elles sont
aussi repoussées. L'empereur dispose encore d'une importante armée à sa
disposition, dont la garde varangienne, une unité d'élite, et il dispose certainement
d'une égalité voire d'une supériorité numérique, alors que les Croisés manquent de
vivres127. S'il est possible que l'armée byzantine ait connu une décrue de ses effectifs
sous Alexis III et que des mouvements d'indiscipline et de baisse du moral liés à des
défaites récurrentes fragilisent l'appareil militaire, celui-ci demeure substantiel128,129,130.
Le 17 juillet, l'empereur tente de rassembler les soldats pour contre-attaquer et
repousser les troupes latines qui ont commencé à débarquer mais l'initiative manque
d'énergie et, bientôt, les Byzantins se replient derrière leurs murs. Alors que
l'indiscipline commence à gagner les rangs de l'armée impériale, agacée par le
manque d'initiative, Alexis III décide de s'enfuir dans la nuit avec une partie du trésor
impérial mais laisse sa femmeN 7 et ses enfants derrière lui, à l'exception d'Irène.
Bientôt, Constantin Philoxénitès, l'un des principaux courtisans, décide de faire
enfermer l'impératrice et fait sortir de prison Isaac II Ange, qui peut reprendre son
titre impérial. Il envoie immédiatement des émissaires aux Croisés qui acceptent de
cesser leur attaque et font rentrer dans la cité Alexis Ange, qui est couronné comme
coempereur sous le nom d'Alexis IV131,132,133.

L'indécision et la fuite d'Alexis III ont largement contribué aux critiques qui ont
émergé à son encontre. Les historiens débattent encore des raisons de ce
comportement. Dans l'article qu'il consacre à la réaction byzantine à la quatrième
croisade, Jean-Claude Cheynet met en avant des éléments d'analyse plus favorables
à l'empereur. Il estime que sa retenue pourrait être le signe de sa conscience de la
supériorité des Croisés dans le combat au corps à corps, tandis que sa fuite
résulterait du choix de poursuivre le combat depuis les provinces, qui lui sont plus
favorables. Dès le XIII siècle, le chroniqueur plus tardif Georges Acropolite estime
e

qu'Alexis III cherche moins à fuir qu'à trouver un moyen de conserver son trône,
quitte à devoir abandonner la capitale134,135. Par ailleurs, Théodore Lascaris, gendre
d'Alexis III et héritier présomptif, reste à Constantinople, ce qui peut être vu comme
une tentative d'un partage des tâches, même si l'empereur souhaite certainement
garder la main sur sa succession en emmenant sa fille aînée et désormais veuve
avec luiCH 7.

L’exil[modifier | modifier le code]

L'éclatement de l'Empire byzantin, partagé entre États


grecs et latins, au moment de la mort d'Alexis III.
Les provinces européennes de l’empire lui étant largement restées fidèles, Alexis III,
après avoir débarqué à Develtos, tente d’organiser la résistance à partir
de Mosynopolis d'où il contrôle la Thrace occidentale et la région de
Thessalonique136,N 8. Plusieurs sources slaves, notamment le chroniqueur polonais Jan
Długosz, affirment que, entre sa fuite de Constantinople et son arrivée à
Mosynopolis, où il est attesté au printemps 1204, Alexis III se serait rendu auprès de
son allié Roman Mstislavich pour requérir son aide. Les historiens sont très divisés
sur la question et plusieurs ont rejeté cette hypothèse137.

Quoi qu'il en soit, une fois en Thrace, Alexis III cohabite avec Alexis V Doukas
« Murzuphle » (porté au pouvoir, au détriment d'Alexis IV, à la suite d'une révolution
anti-latine, il est assiégé et vaincu par les croisés en avril 1204 à Constantinople) qui
s'est d'abord réfugié à Tzurulum en Grèce continentale d’où il contrôle la Thrace
orientale138. Bientôt, sous la menace des Latins qui avancent, il doit s’enfuir à l’ouest
et va se réfugier auprès d’Alexis III. Au début, les relations sont cordiales entre les
deux hommes. Alexis III donne la main de sa fille Eudoxie Angelina à Alexis V, bien
qu'il soit possible que l'union ait été célébrée avant l'arrivée d'Alexis V à Mosynopolis
mais, dans tous les cas, l'entente ne dure pas. Voyant en lui un rival, Alexis III tend
une embuscade à Alexis V Doukas puis lui fait crever les yeux. Ce geste affaiblit la
résistance byzantine face aux Latins tout en profitant à Boniface de Montferrat,
lequel, déçu de voir le trône impérial lui échapper, cherche à se tailler un royaume
autour de Thessalonique. Alexis V est bientôt capturé et mis à mort par l’empereur
latin pendant qu’Alexis III s'enfuit vers le sud. Il rencontre à Larissa, Léon Sgouros,
lequel tenait un territoire comprenant Nauplie, Corinthe, l'Attique, Thèbes, et marche
alors sur la Thessalie. Alexis lui donne la main de sa fille Eudoxie, séparée
d'Alexis V, pour s'assurer son appui139. Bientôt, Boniface de Montferrat avance en
Grèce, capture Alexis III et force Léon Sgouros à s’enfuir dans le Péloponnèse140,141.

Portrait de Théodore Lascaris dans le mutinensis gr.


122. Souverain de l'empire en exil de Nicée, il est considéré comme le
continuateur de facto de l'Empire byzantin et fait prisonnier Alexis III en 1211.
L’ex-empereur est d’abord traité honorablement par Boniface, mais les relations
entre les deux hommes se dégradent. Les sources diffèrent sur les raisons : selon
les unes, Alexis aurait tenté de fuir vers les terres de Michel Ier Doukas et aurait été
capturé dans sa fuite par les troupes de Boniface ; selon les autres, Boniface aurait
commencé à voir dans l’ancien empereur un rival potentiel pour la loyauté des
populations grecques. Alexis et son épouse sont alors emprisonnés, à
Thessalonique selon les uns, à Montferrat selon les autres142,143.

En septembre 1207, Boniface de Montferrat périt dans une embuscade tendue par le
tsar bulgare Kalojan (r. 1197-1207). L'empereur Henri profite de la succession de ce
dernier pour installer son frère Eustache comme régent au nom du jeune fils du
défunt, Démétrios144, après quoi, il reçoit, de l'ensemble des seigneurs latins de
Grèce, l’hommage de vassalité. Michel Comnène Doukas, qui dirige l'Épire, propose
alors une alliance à Henri, qui, méfiant, propose plutôt que Michel se reconnaisse
vassal de l’Empire latin, alors que ce dernier vient de se reconnaître vassal de
Venise ou s’apprête à le faire. Il contourne cette difficulté en offrant au frère de
l’empereur, Eustache, la main de sa fille aînée, celle-ci apportant en dot le tiers des
États de son père145.

C'est à cette occasion que Michel paie la rançon du couple impérial (Alexis et sa
femme) aux Latins, obtient sa libération en 1209 ou 1210146,147 et les accueille à
Salagora, le port de la ville d'Arta148. Michel leur offre une généreuse hospitalité, mais
Alexis ne désire pas demeurer à Arta. L’empereur veut reconquérir son trône grâce à
l’aide du sultan seldjoukide Kay Khusraw Ier qu'il a hébergé par le passé. Il souhaite
s'emparer d’abord de Nicée où Théodore Lascaris, en se proclamant empereur, a
clairement montré son intention de reprendre Constantinople.

Laissant son épouse derrière lui, Alexis fait voile vers l’Asie mineure avec le demi-
frère de Michel, Constantin Comnène Doukas. Sa tentative se termine par un
lamentable échec lors de la bataille d’Antioche sur le Méandre en 1211 ; Théodore
Laskaris tue le sultan et fait prisonnier l’empereur149. Capturé par Théodore, Alexis est
envoyé dans un monastère de Nicée où il meurt quelques mois plus tard150,151,152.

Récemment, Anthony Kaldellis a réestimé le rôle d'Alexis III comme symbole d'une
résistance antilatine à la suite de la prise de Constantinople en 1204. Son statut
d'empereur en exil lui confère une légitimité forte et Théodore Ier Lascaris prétend au
début gouverner en son nom153, tandis que le despote d’Épire cherche à s'allier avec
lui, ce qui explique la rançon payée par Michel Ier. Là encore, Kaldellis met en
évidence l'influence des écrits dépréciateurs de Nicétas Choniatès154.

Historiographie[modifier | modifier le code]

Le sac de Constantinople, dont Alexis III a souvent


été tenu pour l'un des principaux responsables, peint par Eugène Delacroix (musée
du Louvre).
Le récit du règne d'Alexis III dépend très largement de la chronique de Nicétas
Choniatès, son contemporain et, de loin, le principal historien de son temps.
Son Histoire est un récit détaillé et vivant de l'Empire byzantin avant 1204 mais
l'auteur se distingue par son jugement très partial sur l'empereur. Déjà critique
d'Isaac II, il l'est encore plus d'Alexis III. Volontiers moqueur, il écrit ainsi : « Quelque
papier qui fût présenté à la signature de l’empereur, celui-ci le signait
immédiatement. Il importait peu qu’il se fût agi d’un amas de mots incompréhensible
ou que l’auteur demandât que l’on naviguât par terre ou que l’on cheminât par mer,
ou comme le veut le dicton que l’Athos se trouvât au sommet de l’Olympe155. ». Dans
un article, Stanislas Kuttner-Homs souligne que le récit de Choniatès fait largement
écho à des personnages des récits antiques associés au anti-héros, à l'image
de Thersite156. Cette description contribue largement à faire d'Alexis III l'un des
empereurs les plus vilipendés de l'histoire byzantine, d'autant qu'aucun récit byzantin
d'importance ne permet de contrebalancer celui de Choniatès157.
Récemment, Anthony Kaldellis a mis en évidence les fragilités du récit de Choniatès
et l'importance de prendre en considération d'autres écrits du même auteur,
intervenus alors qu'il est au service d'Alexis III. Souvent, il s'agit de discours plus ou
moins officiels qui vantent les mérites du souverain mais permettent aussi une
approche différente du règne d'Alexis III, aux côtés d'autres écrits élogieux de
membres de la cour comme Nicéphore Chrysoberge ou Euthyme Tornikès158,159.

Par ailleurs, les auteurs occidentaux, volontiers hostiles aux Byzantins perçus
comme des adversaires des Croisés, reprennent largement le jugement de
Choniatès160. C'est d'autant plus vrai qu'Alexis III fait alors figure d'ennemi de la
quatrième croisade et de tyran à renverser pour placer sur le trône Alexis IV, allié
des Latins161.

Les jugements que A. A. Vasiliev et Steven Runciman portent au milieu du XX sièclee

sur la politique étrangère des Anges sont moins cyniques que Choniatès, mais
également sévères. Pour Vasiliev, « la dynastie des Ange ou des Ange-Comnène,
grecque par son origine, ne donna pas à l’empire un seul empereur de talent : elle ne
fit qu’accélérer la décadence de l’empire, déjà affaibli à l’extérieur et désuni à
l’intérieur »16. Selon Runciman, « Alexis III n’était pas un homme à inspirer une
grande loyauté personnelle. C’était un usurpateur qui avait gagné son trône non par
quelque mérite que ce soit en tant que soldat ou homme d’État, mais par une
médiocre révolution de palais ; et il s’était montré peu digne de gouverner. Il était peu
sûr, non seulement de son armée, mais de l’état d’esprit de ses sujets. Il semblait
préférable de ne rien faire »162. Georg Ostrogorsky va globalement dans le même
sens : « Alexis III est un authentique produit de cette époque de décadence avec son
curieux mélange de poltronnerie et de goût du pouvoir. » Il estime que si l'Empire
peut encore tenir sous Isaac II malgré son état de délabrement, l'irruption d'Alexis III
finit de l'achever163.

Dans son ouvrage fondateur sur la période 1180-1204, dans lequel il met l'accent sur
la détérioration des relations entre Byzance et l'Occident, Charles Brand consacre à
Alexis III un chapitre intitulé « Vers le désastre ». Il reprend les critiques
traditionnelles à l'endroit d'un souverain considéré comme laxiste, incapable de
remédier aux maux d'une administration corrompue et affaiblie par les dissidences et
dont les quelques succès extérieurs ne peuvent masquer l'échec global d'un règne
qui se termine par une fuite honteuse164.

Des historiens plus modernes comme les professeurs Warren Treadgold et Jonathan
Harris ont tenté de montrer que Isaac II autant qu’Alexis III avaient fait ce qui était en
leur pouvoir pour protéger l’empire des attaques qu’il subissait à l’extérieur, que ce
soit ceux venus d’Occident ou d’Orient, mais que leur faiblesse de caractère, leur
mauvaise gestion de l’administration publique, leur dépendance de leur entourage
aristocratique, ont fait qu’ils n’ont pu qu’assister, impuissants, à la décomposition de
l’empire. Les analyses plus récentes réhabilitent quelque peu Alexis III. Sans en faire
un grand souverain, des auteurs comme Alicia Simpson et Anthony Kaldellis mettent
en exergue ses efforts pour combattre les nombreux maux de l'Empire. Kaldellis
rejette ainsi le procès en indolence et en incompétence que lui fait Choniatès pour
souligner un certain volontarisme parfois fructueux165.
Postérité[modifier | modifier le code]
Alexis III est marié à Euphrosyne Doukaina Kamatera, la fille d'Andronic Kamatéros.
Quand celle-ci devient impératrice, elle se distingue par une influence non
négligeable sur le gouvernement de l'Empire et elle exerce plusieurs fois une forme
de régence en l'absence de son mari, quand celui-ci est en campagne notamment166.
Les deux époux ont trois filles, dont les mariages jouent un rôle important pour Alexis
III, notamment en vue de sa succession et de former des alliances avec la haute
aristocratie167 :

 Irène Angelina, qui épouse successivement Andronic Kontostephanos, puis


Alexis Paléologue, devenant ainsi la grand-mère du futur
empereur Michel VIII Paléologue168 ;
 Anne Angelina, qui épouse d’abord le sébastocrate Isaac Comnène, petit-neveu
de l’empereur Manuel Ier Comnène, puis Théodore Laskaris, empereur de
Nicée168 ;
 Eudoxie Angelina, qui épousa successivement le roi serbe Étienne Nemanjić,
puis l’empereur Alexis V Doukas et, enfin, Léon Sgouros, souverain de
Corinthe168.

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