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Règne
Biographie
Naissance
v. 1153
Décès
v. 1211 (~58 ans)
Père
Andronic Ange
Mère
Euphrosyne Kastamonides
Épouse
Euphrosyne Doukaina Kamatera
Eirene Angelina
Descendance
Anna Angelina
Eudoxie Angelina
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Alexis III Ange (en grec byzantin : Ἀλέξιος Γʹ Ἄγγελος), né vers 1153, mort en 1211
ou 1212, est empereur byzantin de 1195 à 1203. Membre de la famille des Anges, il
est le frère d'Isaac II Ange qui parvient au pouvoir en 1185. Proche de ce dernier, il
prend finalement la tête d'un complot de l'aristocratie en 1195 et fait enfermer son
frère. Il prend le pouvoir dans un contexte compliqué pour un Empire byzantin
menacé sur de nombreuses frontières, mais surtout affaibli par des contestations
récurrentes de l'autorité impériale et une corruption grandissante, alors que
l'Occident chrétien fait preuve de plus en plus de défiance à l'égard
de Constantinople.
S'il est régulièrement défié par des soulèvements au sein de la capitale, dont celui
de Jean Comnène le Gros, et par des séditions provinciales, aucun de ces
mouvements ne peut fondamentalement le renverser car il bénéficie du soutien de
l'armée. En revanche, tous ces mouvements l'empêchent de renforcer les frontières
impériales, en particulier en Occident où il est sans cesse attaqué par le deuxième
empire bulgare, nouvellement créé et avec lequel il n'obtient la paix que péniblement.
Surtout, différents chefs valaques se rendent indépendants dans les Balkans et ne
sont que difficilement vaincus. Si les relations avec le sultanat de Roum sont parfois
compliquées, c'est surtout avec le mouvement des croisades qu'Alexis III fait face à
la plus grande menace. Pressé par Henri VI du Saint-Empire, il tente de renforcer
ses liens avec la papauté, sans aller vers une franche alliance.
Finalement, la fuite d'Alexis Ange, le fils d'Isaac II, qui rejoint les chefs de
la quatrième croisade, fait peser le plus grave péril sur l'Empire byzantin. Bientôt,
cette croisade se détourne de la Terre sainte pour s'attaquer à Constantinople à l'été
1203. Assiégé, Alexis III préfère s'enfuir tandis qu'Isaac II est rétabli sur le trône avec
son fils, Alexis IV, soutenus par les Croisés. Alexis III, parti en exil, tente d'opposer
une résistance au nouvel ordre latin établi après le sac de Constantinople en 1204.
Emprisonné puis libéré, il se rend au sein du despotat d'Épire puis tente de s'allier au
sultan Kay Khusraw Ier pour s'emparer de l'Empire de Nicée avant d'être vaincu et
confiné dans un monastère en 1211, où il meurt à une date inconnue. Il est souvent
vilipendé par les chroniqueurs de l'époque et largement critiqué par les historiens
modernes pour sa responsabilité dans la dislocation de l'Empire, mais certains
travaux récents lui reconnaissent un réel volontarisme, quoiqu'insuffisant au regard
des défis qui se présentent à lui.
Alexis Ange naît vers 11531,2. Il est le deuxième fils d’Andronic Doukas Ange et
d’Euphrosyne Kastamonitissa. Son frère cadet, Isaac II Ange, a été porté au pouvoir
en 1185 par cette même foule qui a mis en pièces le dernier
empereur Comnène, Andronic Ier. Alexis est le seul des frères d'Isaac à ne pas avoir
été aveuglé par Andronic Comnène, lequel a châtié plusieurs membres de la famille
des Anges à la suite d'un soulèvement manqué en 1183 à Nicée, mené notamment
par Théodore Ange, un frère d'Isaac et Alexis3. Alexis quitte par la suite l'Empire
byzantin et se réfugie en terres musulmanes. Il est difficile de savoir s'il est prisonnier
ou simplement réfugié auprès de Saladin. Selon les sources latines,
notamment Magnus de Reichersberg, il apprend à Damas l'arrivée au pouvoir de son
frère. Isaac II le mande alors à la cour et Alexis se rend à Acre pour embarquer vers
l'Empire byzantin, mais il est arrêté sur ordre des barons latins Raymond III de
Tripoli et Bohémond III d'Antioche, apparemment en représailles des négociations
entre Saladin et Isaac II. Celui-ci aurait alors demandé au chef musulman d'attaquer
les Croisés et aurait lui-même envoyé une flotte en soutien, anéantie au large
de Chypre alors que Saladin parvient à libérer Alexis Ange4. Dans les faits, un tel
scénario est improbable et la flotte en question se dirige en réalité vers Chypre pour
combattre Isaac Doukas Comnène5. Dans tous les cas, Alexis finit par rejoindre
Constantinople et est nommé sébastokrator par son frère6.
Quand il s'empare du pouvoir, Alexis III est en dehors de Constantinople, une cité
acquise à Isaac II. Alexis Kontostéphanos tente immédiatement de provoquer un
soulèvement, soutenu par une partie des habitants de la ville. C'est l'épouse d'Alexis
Ange et désormais impératrice, Euphrosyne Doukaina Kamatera, qui mobilise les
troupes, dont la garde varangienne, pour sécuriser la cité et en garantir l'accès à son
mari13,CH 3.
La personnalité d'Alexis III demeure mal connue et largement influencée par la vision
négative de Nicétas Choniatès, qui blâme son goût du luxe excessif, qu'il partage
avec son frère, et son incompétence en matière administrative. Il aurait suscité de
profondes espérances en arrivant au pouvoir pour lutter contre les nombreux maux
de l'Empire, espérances vite déçues selon Choniatès. Celui-ci reconnaît néanmoins
ses manières gracieuses et le dit opposé aux punitions cruelles et à la torture. Il
évoque aussi des douleurs périodiques aux articulations et aux pieds dont aurait
souffert Alexis III ; refusant longtemps les prescriptions des médecins, il visite
diverses sources chaudes en Bithynie pour calmer ses inflammations14. Enfin,
Choniatès met en avant l'influence supposée de l'impératrice sur les destinées de
l'Empire, allant jusqu'à souligner la passivité d'Alexis III15.
Michel Stryphnos, déjà influent sous Isaac II, devient mégaduc en dépit
d'accusations récurrentes de corruption. Ainsi, il se serait rendu responsable d'un
détournement des fonds destinés à la marine byzantine, contribuant à gravement
affaiblir celle-ci. Si une trentaine de navires peuvent encore affronter les pirates
italiens en 1196, ce n'est plus le cas quelques années plus tard24,25. De manière
générale, Jean-Claude Cheynet note une continuité dans les élites de l'Empire en
s'appuyant sur les patronymes des grandes familles qui se retrouvent d'un règne sur
l'autre. Étonnamment, les Anges sont relativement peu représentés et Alexis III lui-
même préfère utiliser le nom de Comnène pour rappeler son lien familial avec la
prestigieuse dynastie fondée par Alexis Ier, dont il est un arrière-petit-filsCH 4. En
revanche, l'empereur s'appuie plus sur les eunuques, tant dans des fonctions civiles
comme Constantin Philoxénitès, responsable du trésor impérial, que pour des postes
militaires. Les eunuques, qui ne peuvent prétendre à la fonction impériale,
représentent un risque moindre de révolte, même si leur nomination peut se faire
parfois au détriment d'officiers plus compétents mais dont la popularité risque de
faire ombrage au souverainCH 5.
La succession est un enjeu fort du règne d'Alexis III, d'autant qu'il tombe assez
gravement malade peu après avoir pris le pouvoir. Dénué d'héritier mâle, l'empereur
nomme rapidement l'époux de sa fille aînéeN 1, Alexis Paléologue, comme
successeur. Issu d'une famille qui n'a cessé de renforcer sa position au sein de
l'aristocratie impériale depuis l'époque d'Alexis Ier, Alexis Paléologue est un membre
éminent de la cour impériale, qui se mobilise régulièrement pour combattre les
adversaires de l'Empire, tant au sein des frontières qu'à l'extérieur de celles-ci. Il
reçoit d'ailleurs le titre de despote, particulièrement prestigieux. Parmi les autres
prétendants à la succession finalement éconduits figurent Manuel Kamytzès,
longtemps soutien de l'empereur avant de se rebeller, et Jean CantacuzèneCH 6. La
mort d'Alexis Paléologue au début de l'année 1203 prive Alexis III de son successeur
mais il n'a pas le temps d'en désigner un nouveau, même si Théodore Lascaris fait
figure de candidat favoriCH 7.
Alexis III prend diverses mesures pour essayer de remédier à certains des maux de
l'Empire. En 1196, il passe un décret visant à protéger le monastère de la Grande
Laure de l'Athos qui fait l'objet d'abus de fonctionnaires douaniers, alors que les
moines sont censés bénéficier de facilités fiscales pour le commerce maritime. Dans
l'ensemble, s'il est critiqué par Nicétas Choniatès pour son goût du luxe, le
chroniqueur reconnaît qu'il fait preuve de moins de prodigalité au fur et à mesure de
son règne, probablement en lien avec l'affaiblissement du trésor impérial29. Dans un
article, Kostis Smirlys va jusqu'à qualifier l'entourage direct de l'empereur
d'organisation criminelle qui dévore les ressources publiques impunément30. Michael
Angold souligne aussi la trop grande dépendance d'Isaac II et d'Alexis III envers des
familles de la bureaucratie impériale31.
Dans l'ensemble, les relations d'Alexis avec les Constantinopolitains sont mauvaises,
peut-être parce que les habitants de la capitale ont été de fervents soutiens d'Isaac
II. À la différence de son prédécesseur, Alexis III ne montre aucune générosité
particulière à l'égard des habitants de la capitale, ce qui n'aide pas à sa popularité 39.
Ainsi, quand il s'empare d'un riche banquier du nom de Kalomodios, il doit
rapidement le relâcher en raison du tollé provoqué parmi les commerçants et
artisans de la citéCH 8. Quand, en 1200 ou 1201, Jean Lagos, gardien de la prison du
prétoire, s'accapare les biens normalement donnés par charité aux prisonniers et
commence à piller des églises pour son enrichissement personnel. Alexis III laisse
faire jusqu'à ce que plusieurs guildes d'artisans investissent la prison et obligent Jean
Lagos à s'enfuir. Le mouvement tourne alors à l'émeuteCH 9. Alexis III tente d'envoyer
sa garde reprendre la prison, sans succès, et les prisonniers sont libérés. Des
violences sont perpétrées, une mosquée détruite. Il faut le regroupement d'une
importance force dirigée par Alexis Paléologue pour mater une foule mal armée qui
subit de lourdes pertes40,CH 8,N 2. Pour Magdalino, cette opposition de la capitale marque
l'enracinement d'une identité spécifiquement constantinopolitaine et distincte des
provinces, accroissant le fossé entre les deux ensembles41.
Jean Comnène le Gros enfonce les portes du Grand
Palais. E. Alonnier et J. Décembre, Dictionnaire populaire..., 1863.
Le 31 juillet 1201 intervient la principale révolte du règne d'Alexis III, celle de Jean
Comnène le GrosN 3. Membre obscur de la cour impériale et rejeton éloigné de la
dynastie des Comnènes, il est néanmoins soutenu par une partie de l'aristocratie,
dont peut-être le futur Alexis V Doukas42. Le climat général de déclin de l'empire,
marqué par la rétraction des frontières, favorise certainement ce soulèvement. En
effet, les partisans de Jean Comnène se dirigent vers la basilique Sainte-Sophie,
centre spirituel de l'empire, pour jurer de rétablir les frontières d'antan. Couronné par
un moine, Jean Comnène le Gros se proclame empereur et une partie de la foule
commence à brûler divers bâtiments. Jean Comnène parvient même à pénétrer dans
une aile du Grand Palais mais, selon des historiens comme Charles Brand, ne profite
pas suffisamment de la situation pour prendre des décisions énergiques comme la
nomination de ses partisans aux plus hauts offices ou la mobilisation d'une force
armée suffisante pour maintenir son pouvoir43. La capitale est alors partagée en deux
camps car Alexis III s'est barricadé dans le palais des Blachernes. Une xénophobie
ambiante semble motiver une partie des émeutiers tandis que des éléments italiens
et géorgiens se manifestent par le pillage de demeures ou encore d'églises, parfois à
la recherche de reliques précieuses. Le 1er août, une flotte loyaliste envoie des
renforts à la garde varangienne, qui tient toujours une partie du Grand Palais.
Bientôt, les troupes d'Alexis III prennent le dessus et poursuivent Jean Comnène,
finalement rattrapé et décapité. Ses soutiens sont exécutés, emprisonnés ou
contraints à l'exil44. C'est peut-être cet événement qui incite Alexis Comnène et David
Comnène à se réfugier à Trébizonde, hors d'atteinte d'Alexis. Dans l'ensemble, la
loyauté de l'armée assure une certaine solidité au pouvoir d'AlexisCH 10.
Enfin, en 1200, alors qu'Alexis III mène une campagne contre le Valaque Ivanko, une
partie de la population soutient un soulèvement suscité par un membre de la famille
des Kontostéphanos mais, de nouveau, Euphrosyne Doukaina intervient pour le
réprimerCH 11,45.
Il fait preuve d'une certaine générosité envers les différentes institutions religieuses
et renouvelle régulièrement les privilèges octroyés aux monastères. Il permet
à Stefan Nemanja de restaurer le monastère de Hilandar sur la péninsule du Mont
Athos, avec l'octroi d'importants privilèges, ce qui en fait un haut lieu du monachisme
serbe55,56.
En 1197, Pierre IV est assassiné et c'est son fils, Kaloyan, longtemps otage à
Constantinople, qui lui succède66. Particulièrement belliqueux, il lance des raids
dévastateurs contre les terres byzantines67. La cité de Tzurulum est notamment
visée. Le raid, conduit autant par des Valaques que des Coumans, permet d'amasser
un grand butin et de nombreux prisonniers. Si une armée byzantine parvient à
intercepter cette troupe, elle est finalement vaincue, confirmant les difficultés
croissantes de l'Empire à contrecarrer les forces bulgares, valaques ou coumanes,
qui pénètrent de plus en plus loin en Macédoine ou en Thrace et profitent d'une
armée impériale démoralisée68,69. Vers 1198, des groupes de Coumans s'enfoncent à
nouveau en profondeur, jusqu'aux environs de la péninsule de Gallipoli70.
L'une des particularités de la politique d'Alexis sur la frontière bulgare est son recours
à des chefs de guerre valaques, qui rejoignent l'Empire byzantin et se voient conférer
des régions à défendre, mais en profitent parfois pour s'émanciper. Ainsi, Ivanko,
allié des Byzantins et marié à une petite-fille d'Alexis III, Theodora Angelina, se
soulève depuis la ville de Philippopolis qu'il gouverne. Les raisons de ce mouvement
sont inconnues mais il s'impose face à l'armée impériale, capturant le
général Manuel Kamytzès en 1199. Il faut l'intervention conjointe de Théodore
Lascaris et Alexis Paléologue en 1200 pour mater le rebelle et l'exécuter75,76. L'année
suivante, c'est au tour de Kamytzès de se révolter. Libéré par Dobromir Chrysos, il
sait qu'Alexis III a refusé de payer la rançon et le prend comme un affront, d'autant
que ses biens ont été confisqués. Avec Chrysos, il mène un soulèvement
en Thessalie. Les forces d'Alexis III peinent à s'imposer et l'empereur doit se rendre
en personne en Thessalie pour négocier la paix avec les deux hommes. Il offre à
Chrysos la main de sa petite-fille, Théodora Angelina, désormais veuve d'Ivanko77 et
promet l'amnistie à Kamytzès. Celui-ci refuse mais finit par être vaincu et disparaît
lors de sa fuite78. En dépit de cet échec, ces mouvements perturbent fortement
l'emprise byzantine sur la Macédoine et la Thessalie, facilitant les entreprises de
Spyridonagès et de Sgouros79. Par ailleurs, on note une similarité dans le scénario
des révoltes d'Ivanko et de Chrysos. Issus tous deux de l'Empire bulgaro-valaque, ils
s'allient d'abord aux Byzantins puis se révoltent en s'appuyant sur un contexte local,
avant d'être soumis par la ruse, avec notamment la promesse de mariages de
prestigeCH 14.
Face au sultan de Roum proprement dit, Kay Khusraw Ier, c'est un incident
diplomatique qui déclenche les hostilités. En effet, pour honorer le nouvel empereur
byzantin, le sultan d'Égypte lui envoie deux étalons en guise de cadeau mais, sur le
chemin, le sultan d'Iconium décide de les tester à la course. Or, un des chevaux se
blesse à la patte et le sultan envoie une lettre d'excuses à Alexis III, dans laquelle il
lui promet de lui envoyer les deux animaux une fois que celui blessé sera rétabli.
Alexis III refuse et prend cette péripétie pour un affront87. Il fait saisir tous les biens de
ceux qui commercent avec Iconium pour les distribuer à ses favoris. Kay Khusraw
réagit, probablement dès 1196, par l'envoi d'un raid dans la vallée du Méandre. Il
s'empare de quelques positions, dont la ville de Tantalos et s'avance
jusqu'à Antioche du Méandre mais, trompé par les bruits de festivités qu'il prend pour
des soldats s'apprêtant à partir au combat, il préfère se replier. Il emmène avec lui un
grand nombre de prisonniers qu'il installe du côté de Philomelion avec des avantages
fiscaux substantiels, au point que d'autres Byzantins viennent volontairement les
rejoindre88,89,CH 16.
Alexis III tente de réagir par l'envoi du général Andronic Doukas qui est
immédiatement repoussé. À l'automne 1196, l'empereur doit se déplacer en
personne pour assurer la sécurité de la Bithynie, pillée par des hordes de
Turcomans. Il fait une démonstration de force autour de Nicée et de Pruse avant de
rentrer à Constantinople. Néanmoins, dans l'ensemble, les Turcs ne représentent
qu'une menace secondaire car Kay Khusraw est concurrencé par plusieurs de ses
frères et peine à imposer son autorité. En 1197, vaincu par Suleiman, Kay Khusraw
doit même demander l'asile à Alexis III mais celui-ci refuse de l'aider à reprendre son
trône. Kay Khusraw tente alors de susciter des soutiens dans d'autres régions, sans
grand succès et finit par revenir à Constantinople où il se convertit au christianisme,
sous le parrainage d'Alexis III90. Avec Suleiman, les relations sont globalement
pacifiques, même si des incidents de frontières sont mentionnées en 1200, au
moment où Michel Ange Doukas, un gouverneur de province, se révolte et trouve
refuge à Iconium, gagnant le soutien du sultan. Dans le même temps, Alexis III prend
diverses mesures qui bloquent le commerce des marchands turcs, mobilisant le
pirate Constantin Phrangopoulos qui pille différents navires turcs en mer Noire91. Il
aurait même essayé de faire assassiner le sultan mais le commanditaire aurait été
arrêté sur le chemin92. Il réalise également une démonstration de force en Bithynie en
120091. Finalement, une paix est conclue en 1200-1201, probablement défavorable
aux Byzantins mais qui assure la stabilité de la frontière byzantino-turque jusqu'à la
fin du règne d'Alexis III93,94.
Alexis III tente d'exiger la rétrocession de Chypre, siège d'un royaume latin depuis
1191, en échange d'un large soutien financier au royaume de Jérusalem. Il va
jusqu'à menacer de lancer une armada à l'assaut de l'île. Cette fois, le pape réagit
vivement, déniant les droits impériaux sur l'île et prévenant que tout assaut
détournerait les forces chrétiennes de la lutte contre les infidèles. Cependant, Alexis
III n'ayant guère les moyens de reconquérir Chypre, cette menace vise plutôt à tester
la détermination papale107,108. En définitive, entre 1198 et 1202, le pape et l’empereur
byzantin échangent au moins huit ambassades et douze lettres substantielles, dont
une envoyée par Alexis III à l'automne 1202 et dans laquelle il s'inquiète des
déroutements de la quatrième croisade. Si les négociations échouent en raison
notamment de la volonté de Constantinople de maintenir l’indépendance de l’Église
nationale et d'un manque d'empressement à intervenir en Terre sainte, le pape
continue toujours d'interdire toute attaque contre Byzance109,110.
L'indécision et la fuite d'Alexis III ont largement contribué aux critiques qui ont
émergé à son encontre. Les historiens débattent encore des raisons de ce
comportement. Dans l'article qu'il consacre à la réaction byzantine à la quatrième
croisade, Jean-Claude Cheynet met en avant des éléments d'analyse plus favorables
à l'empereur. Il estime que sa retenue pourrait être le signe de sa conscience de la
supériorité des Croisés dans le combat au corps à corps, tandis que sa fuite
résulterait du choix de poursuivre le combat depuis les provinces, qui lui sont plus
favorables. Dès le XIII siècle, le chroniqueur plus tardif Georges Acropolite estime
e
qu'Alexis III cherche moins à fuir qu'à trouver un moyen de conserver son trône,
quitte à devoir abandonner la capitale134,135. Par ailleurs, Théodore Lascaris, gendre
d'Alexis III et héritier présomptif, reste à Constantinople, ce qui peut être vu comme
une tentative d'un partage des tâches, même si l'empereur souhaite certainement
garder la main sur sa succession en emmenant sa fille aînée et désormais veuve
avec luiCH 7.
Quoi qu'il en soit, une fois en Thrace, Alexis III cohabite avec Alexis V Doukas
« Murzuphle » (porté au pouvoir, au détriment d'Alexis IV, à la suite d'une révolution
anti-latine, il est assiégé et vaincu par les croisés en avril 1204 à Constantinople) qui
s'est d'abord réfugié à Tzurulum en Grèce continentale d’où il contrôle la Thrace
orientale138. Bientôt, sous la menace des Latins qui avancent, il doit s’enfuir à l’ouest
et va se réfugier auprès d’Alexis III. Au début, les relations sont cordiales entre les
deux hommes. Alexis III donne la main de sa fille Eudoxie Angelina à Alexis V, bien
qu'il soit possible que l'union ait été célébrée avant l'arrivée d'Alexis V à Mosynopolis
mais, dans tous les cas, l'entente ne dure pas. Voyant en lui un rival, Alexis III tend
une embuscade à Alexis V Doukas puis lui fait crever les yeux. Ce geste affaiblit la
résistance byzantine face aux Latins tout en profitant à Boniface de Montferrat,
lequel, déçu de voir le trône impérial lui échapper, cherche à se tailler un royaume
autour de Thessalonique. Alexis V est bientôt capturé et mis à mort par l’empereur
latin pendant qu’Alexis III s'enfuit vers le sud. Il rencontre à Larissa, Léon Sgouros,
lequel tenait un territoire comprenant Nauplie, Corinthe, l'Attique, Thèbes, et marche
alors sur la Thessalie. Alexis lui donne la main de sa fille Eudoxie, séparée
d'Alexis V, pour s'assurer son appui139. Bientôt, Boniface de Montferrat avance en
Grèce, capture Alexis III et force Léon Sgouros à s’enfuir dans le Péloponnèse140,141.
En septembre 1207, Boniface de Montferrat périt dans une embuscade tendue par le
tsar bulgare Kalojan (r. 1197-1207). L'empereur Henri profite de la succession de ce
dernier pour installer son frère Eustache comme régent au nom du jeune fils du
défunt, Démétrios144, après quoi, il reçoit, de l'ensemble des seigneurs latins de
Grèce, l’hommage de vassalité. Michel Comnène Doukas, qui dirige l'Épire, propose
alors une alliance à Henri, qui, méfiant, propose plutôt que Michel se reconnaisse
vassal de l’Empire latin, alors que ce dernier vient de se reconnaître vassal de
Venise ou s’apprête à le faire. Il contourne cette difficulté en offrant au frère de
l’empereur, Eustache, la main de sa fille aînée, celle-ci apportant en dot le tiers des
États de son père145.
C'est à cette occasion que Michel paie la rançon du couple impérial (Alexis et sa
femme) aux Latins, obtient sa libération en 1209 ou 1210146,147 et les accueille à
Salagora, le port de la ville d'Arta148. Michel leur offre une généreuse hospitalité, mais
Alexis ne désire pas demeurer à Arta. L’empereur veut reconquérir son trône grâce à
l’aide du sultan seldjoukide Kay Khusraw Ier qu'il a hébergé par le passé. Il souhaite
s'emparer d’abord de Nicée où Théodore Lascaris, en se proclamant empereur, a
clairement montré son intention de reprendre Constantinople.
Laissant son épouse derrière lui, Alexis fait voile vers l’Asie mineure avec le demi-
frère de Michel, Constantin Comnène Doukas. Sa tentative se termine par un
lamentable échec lors de la bataille d’Antioche sur le Méandre en 1211 ; Théodore
Laskaris tue le sultan et fait prisonnier l’empereur149. Capturé par Théodore, Alexis est
envoyé dans un monastère de Nicée où il meurt quelques mois plus tard150,151,152.
Récemment, Anthony Kaldellis a réestimé le rôle d'Alexis III comme symbole d'une
résistance antilatine à la suite de la prise de Constantinople en 1204. Son statut
d'empereur en exil lui confère une légitimité forte et Théodore Ier Lascaris prétend au
début gouverner en son nom153, tandis que le despote d’Épire cherche à s'allier avec
lui, ce qui explique la rançon payée par Michel Ier. Là encore, Kaldellis met en
évidence l'influence des écrits dépréciateurs de Nicétas Choniatès154.
Par ailleurs, les auteurs occidentaux, volontiers hostiles aux Byzantins perçus
comme des adversaires des Croisés, reprennent largement le jugement de
Choniatès160. C'est d'autant plus vrai qu'Alexis III fait alors figure d'ennemi de la
quatrième croisade et de tyran à renverser pour placer sur le trône Alexis IV, allié
des Latins161.
sur la politique étrangère des Anges sont moins cyniques que Choniatès, mais
également sévères. Pour Vasiliev, « la dynastie des Ange ou des Ange-Comnène,
grecque par son origine, ne donna pas à l’empire un seul empereur de talent : elle ne
fit qu’accélérer la décadence de l’empire, déjà affaibli à l’extérieur et désuni à
l’intérieur »16. Selon Runciman, « Alexis III n’était pas un homme à inspirer une
grande loyauté personnelle. C’était un usurpateur qui avait gagné son trône non par
quelque mérite que ce soit en tant que soldat ou homme d’État, mais par une
médiocre révolution de palais ; et il s’était montré peu digne de gouverner. Il était peu
sûr, non seulement de son armée, mais de l’état d’esprit de ses sujets. Il semblait
préférable de ne rien faire »162. Georg Ostrogorsky va globalement dans le même
sens : « Alexis III est un authentique produit de cette époque de décadence avec son
curieux mélange de poltronnerie et de goût du pouvoir. » Il estime que si l'Empire
peut encore tenir sous Isaac II malgré son état de délabrement, l'irruption d'Alexis III
finit de l'achever163.
Dans son ouvrage fondateur sur la période 1180-1204, dans lequel il met l'accent sur
la détérioration des relations entre Byzance et l'Occident, Charles Brand consacre à
Alexis III un chapitre intitulé « Vers le désastre ». Il reprend les critiques
traditionnelles à l'endroit d'un souverain considéré comme laxiste, incapable de
remédier aux maux d'une administration corrompue et affaiblie par les dissidences et
dont les quelques succès extérieurs ne peuvent masquer l'échec global d'un règne
qui se termine par une fuite honteuse164.
Des historiens plus modernes comme les professeurs Warren Treadgold et Jonathan
Harris ont tenté de montrer que Isaac II autant qu’Alexis III avaient fait ce qui était en
leur pouvoir pour protéger l’empire des attaques qu’il subissait à l’extérieur, que ce
soit ceux venus d’Occident ou d’Orient, mais que leur faiblesse de caractère, leur
mauvaise gestion de l’administration publique, leur dépendance de leur entourage
aristocratique, ont fait qu’ils n’ont pu qu’assister, impuissants, à la décomposition de
l’empire. Les analyses plus récentes réhabilitent quelque peu Alexis III. Sans en faire
un grand souverain, des auteurs comme Alicia Simpson et Anthony Kaldellis mettent
en exergue ses efforts pour combattre les nombreux maux de l'Empire. Kaldellis
rejette ainsi le procès en indolence et en incompétence que lui fait Choniatès pour
souligner un certain volontarisme parfois fructueux165.
Postérité[modifier | modifier le code]
Alexis III est marié à Euphrosyne Doukaina Kamatera, la fille d'Andronic Kamatéros.
Quand celle-ci devient impératrice, elle se distingue par une influence non
négligeable sur le gouvernement de l'Empire et elle exerce plusieurs fois une forme
de régence en l'absence de son mari, quand celui-ci est en campagne notamment166.
Les deux époux ont trois filles, dont les mariages jouent un rôle important pour Alexis
III, notamment en vue de sa succession et de former des alliances avec la haute
aristocratie167 :