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REB 30 1972Francep. 179-186
S. Maslev, Les lettres de Théophylacte de Bulgarie à Nicéphore Mélissènos. — La correspondance de Théophylacte de Bulgarie
contient trois lettres adressées au césar Mélissènos. De l'examen de leur contenu l'auteur conclut que leur destinataire n'était
pas le beau-frère du basileus, mais le basileus lui-même. Ceci ressort des expressions employées par Théophylacte à l'égard de
son correspondant, des pouvoirs impériaux reconnus à ce dernier et de la chronologie des lettres.
Maslev Stoyan. Les lettres de Théophylacte de Bulgarie à Nicéphore Mélissènos. In: Revue des études byzantines, tome 30,
1972. pp. 179-186.
doi : 10.3406/rebyz.1972.1455
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1972_num_30_1_1455
LES LETTRES DE THÉOPHYLACTE DE BULGARIE
A NICÉPHORE MÉLISSÈNOS
Stoyan MASLEV
Fausses adresses
Jusqu'ici on n'a jamais mis en doute que ces lettres aient été adressées
au césar Nicéphore Mélissènos, comme il ressort des suscriptions. On y lit
tout de même des adresses, des épithètes et des expressions qui ne convien
nent point à un césar. Ainsi par exemple dans la première lettre, Théophyl
acte s'adresse au destinataire de la manière suivante : Όρφς δπως με
νικάς..., βασιλεΰ φιλοδωρότατε και χρηστότατε ; Όρφς δπως βασιλεύεις και
κρατιστεύεις ημών εν άπασι ;4 Plus loin dans la même lettre il l'invite à régner
en faisant beaucoup de bien : ... και τη άγαθ-οχυσία βασίλευε5, selon
l'expression du Psaume 44, 5. Mais l'expression suivante nous paraît d'une
importance toute particulière pour contester l'authenticité de l'adresse de
cette lettre : Ει γαρ Θεού μεν είκών άπας βασιλεύς, σύ δε τούτου του
θ-ειοτάτου μετέσχηκας και πράγματος και ονόματος, πάντως ώσπερ απάν
των ύπέρτερον τό άρχέτυπον, οΰτω δη πάντως ύπερέξει και το έκτύπωμα6.
Nous traduirions ainsi ce passage : « Puisque tout empereur est une image
de Dieu et que tu es en possession à la fois de cette réalité et de ce nom très
saints, à coup sûr de même que le prototype est au-dessus de tout, de même
l'image aussi l'emportera absolument. » II est donc expressément question de
l'empereur comme destinataire. Un autre argument contre l'authenticité
de l'adresse réside dans le fait que Théophylacte parle dans cette lettre d'un
prostagma que le destinataire a promulgué en sa faveur, alors que cette
catégorie d'actes était de la compétence de l'empereur, comme on le sait7.
Il faut relever aussi une inconvenance d'ordre chronologique en rapport
avec l'adresse suspecte de la même lettre, sur laquelle nous nous arrêterons
plus loin. Dans la deuxième lettre (Lamius 9), le destinataire est désigné
comme θ-εοστεφής δεσπότης8, c'est-à-dire de la même façon que Théophyl
acte désigne l'empereur dans sa lettre à Jean Comnène, le fils du sébasto
cratorIsaac Comnène9. On y trouve encore d'autres expressions qui sont,
4. PG 126, 512fl.
5. PG 126, 513^.
6. PG 126, 512°.
7. Cf. F. Dölger, Aus den Schatzkammern des Heiligen Berges, Munich 1948, p. 20.
8. PG 126, 5\1D.
9. PG 126, 516D.
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pour autant que nous sachions, tout à fait propres au basileus, à savoir
το θ-εοστεφές σου κράτος, το Ιίν&εόν σου κράτος10. La troisième lettre
(Meursius 12) qui est, comme je l'ai déjà dit, exclusivement de consolation,
nous paraît étrange par le fait qu'elle est adressée non pas au parent le plus
proche et de la ligne directe du défunt, mais au mari de la sœur du défunt,
Nicéphore Mélissènos, sans faire aucune mention du parent direct, c'est-à-
dire de la sœur du défunt. Cependant cela n'est pas absolument exclu;
mais nous nous heurtons à une autre anomalie : Théophylacte compare non
seulement la sagesse, mais aussi le pouvoir impérial du destinataire à ceux
du grand roi Salomon : Και πάντοτε μεν γάρ σε πιστεύω, κατά τον του
Παροιμιαστοΰ λόγον, ώ την σοφίαν ούχ ήττον ή την βασιλείαν έχεις ταύτόν...11
Ces particularités des trois lettres en question sont-elles compatibles avec
la position du césar Nicéphore Mélissènos ? Il est bien connu que Nicéphore
Mélissènos fut proclamé empereur en 1080, quand il se révolta contre
Nicéphore Botaniate, mais après la prise de la capitale par Alexis Comnène
en 1081 il dut se contenter du titre de césar suivant l'accord conclu au
préalable avec son beau-frère. Jusqu'alors ce titre était le plus haut après
celui d'empereur. C'est pourquoi on l'accordait rarement et on le réservait
spécialement aux princes héritiers12. D'autre part en ce temps-là le principe
dynastique de la succession à l'empire était devenu très solide et Alexis Ier
Comnène prit tout de suite des mesures pour prévenir de nouvelles préten
tionsdu césar Nicéphore Mélissènos au trône impérial. En poursuivant
ce but il créa un nouveau titre plus haut que celui de césar — celui de
sébastocrator — et l'accorda à son frère Isaac. En tenant compte de cette
évolution de la position du césar Nicéphore Mélissènos, il nous semble donc
que les appellations, les expressions et les circonstances ci-dessus mention
nées ne correspondent pas à ce qu'on attendrait pour un destinataire portant
le titre de césar. C'est pourquoi nous sommes porté à croire qu'elles étaient
destinées à l'empereur Alexis Ier Comnène.
Naturellement on s'interroge tout de suite sur la possibilité d'une pareille
confusion dans les lemmes, et cela dans trois lettres qui se trouvent dispersées
dans les manuscrits. En principe, comme on l'a déjà plus d'une fois relevé,
les erreurs ne sont pas exclues. Il est acquis qu'une lettre publiée par Meur-
22. Th. Uspensku, La formation du second empire bulgare (en russe), Odessa 1879,
p. 25-26, n. 4.
23. F. Chalandon, Essai sur le règne d'Alexis Ier Comnène (1081-1118), Paris 1900,
p. xxvi, n. 5 ; R. Katiökü, Vizantijskij izvori, III, p. 262.
24. Métropolite Siméon, Les lettres de Théophylacte d'Ohrid (en bulgare), Sofia 1931,
p. 196-197 et 205.
25. V. N. Zlatarski, op. cit., p. 326 et s.
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destinataire : Δέσποτα μου άγιε, τη βαρβάρω καΐ καθ·' ημάς οικουμένη Θεός
έπιπεμφ&είς ελευθέριος και πασι μέν εΐ παράκλησις και παραψυχή τοις τω
■9-εοστεφεΐ σου κράτει προστρέχουσι26, μάλιστα δέ τη της έμής ταπεινότητος
άσ&ενεία ράβδος δυνάμεως και πύργος ισχύος άπό προσώπου έχθ-ρου27,
δντινα νοητέον τον έχθρον είναι είτε πειραστήν άδικώτερον, είτε λύπην
την εντός τα βέλη έναπερείδουσαν · εί τι τούτων και όπωσοΰν ένο-
χλήσειεν, εύ&ύς έγγύ&εν σύμμαχος...28 L'expression que le destinataire
était envoyé dans cette région signifie que cela était dû à la Providence.
La chronologie proposée par Uspenskij, Chalandon et Katicic nous paraît
mal fondée pour une autre raison encore, à savoir parce que le territoire
de l'archevêché de Bulgarie n'était pas menacé en ce temps-là par les Petché-
nègues et les Coumans. On peut ajouter aussi que la lettre Lamius 9 laisse
supposer un plus long séjour du destinataire dans le voisinage de l'archevê
que que celui de Nicéphore Mélissènos pendant sa campagne de recrutement
parmi les Bulgares et les Valaques, dont parle Anne Comnène29. La présence
en Bulgarie du destinataire, qui est à mon avis Alexis Ier Comnène, indique
que la frontière de l'empire n'était pas sûre et que le destinataire devait
faire des préparatifs militaires ou plus encore une expédition quelconque.
Alors il faudrait prendre en considération, pour déterminer la chronologie
de la lettre, les possibilités suivantes : 1091, lors de l'expédition de l'empereur
contre les Serbes; 1093-1094, lorsqu'Alexis Ier Comnène apparut dans les
régions bulgares de l'ouest à cause de l'hostilité du jupan serbe Vucan ;
septembre 1105-novembre 1106 et hiver 1106-1107, lorsque l'empereur
mettait au point la défense de la frontière de l'ouest. La période de novembre
1107 à septembre 1108 serait à exclure, parce que l'empereur était engagé
dans la lutte contre Bohémond, car Théophylacte ne fait aucune allusion
à des combats. Etant donné ces possibilité:», il faudrait également tenir
compte des circonstances suivantes : 1) dans la lettre il n'y a de plainte
contre personne et Théophylacte ne parle que d'ennemis éventuels ; 2) pen
dant la période 1107-1108 Théophylacte s'était rendu en personne auprès
de l'empereur, contraint évidemment par ses difficultés d'affaires ; 3) les
lettres précédentes (Lamius 6, 7 et 8) se réfèrent à une période antérieure à
1105. C'est pourquoi nous pensons que la lettre 9 provient de la période
1091-1094.
36. Siméon, Les Lettres de Théophylacte, p. 197 ; V. N. Zlatarski, op. cit., p. 328, n. 2.
37. D. A. Xanalatos, op. cit., p. 20.
38. R. KATièié, Vizantijskij izvori, III, p. 262.
39. Compte tenu de cette chronologie, Denise Papachryssanthou (JREB 21, 1963,
p. 253) date le procès contre le bogomile Basile d'avant 1104. Ljubarskij (Anne Comnène.
Alexiade [en russe], Moscou 1965, p. 622, n. 1555) écrit que les données de V Alexiade
ne nous fournissent pas de points d'appui sûrs pour la datation de ce procès ; tout de
même il est porté à accepter l'année 1111, comme le laissent entendre la note 1262 (p. 593)
et la table chronologique (p. 655). D. Angelov (Le Bogomilisme en Bulgarie [en bulgare],
Sofia 1969, p. 417) se déclare en faveur de l'année 1111 pour le procès et soutient l'opi
nion que le sébastocrator Isaac mentionné en rapport avec le même procès aurait été le
neveu de l'empereur Alexis Comnène (ibidem, p. 394), malgré l'affirmation expresse
d'Anne Comnène que c'était le frère de l'empereur (Anne Comnène, Alexiade, xv, 8 :
Leib III, p. 220-221).
40. Voir les discussions sur ce problème chez Ljubarskij, Alexiade, p. 621, n. 1555.