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Grumel Venance. La deuxième mission de saint Ambroise auprès de Maxime. In: Revue des études byzantines, tome 9, 1951.
pp. 154-160.
doi : 10.3406/rebyz.1951.1041
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1951_num_9_1_1041
MÉLANGES
(1) G. Rauscher, Jahrbücher der christlichen Kirche unter dem Kaiser Theodosius dem
Grossen, Excursus X, p. 487.
(2) J.-R. Palanque, Saint Ambroise et Vempire romain, Paris, 1933, p. 516-518.
(3) Rapport de saint Ambroise sur sa seconde ambassade en Gaule, Epist. XXIV, P. /,.,
1035-1038.
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de bien ferme touchant le problème posé. Il faut pourtant donner une con
clusion à cette critique. Je crois pouvoir en trouver le fondement dans ce
passage de l'oraison funèbre de Valentinien : Ego te suscepi parvulum, cum
le gat us ad hostem tuum pergerem: ego Justinae maternis tradition manibus
amplexus sum ego iterum legatus petivi Gallias, et mihi dulce illud officium
■
fuit pro salute tua primo, deinde pro pace atque pietate quafraternas reliquias
postulabas : nondum pro te securus, et jam pro fraternae sepulturae honore
sollicitus (1).
Ce texte doit être compris en ce sens que la première ambassade
d'Ambroise eut pour but de sauver Valentinien du péril, primo : pro salute
tua, et la seconde eut pour objet la paix à établir entre les deux cours et
la demande des restes de Gratien, deinde : pro pace atque pietate. En effet,
ce n'est pas seulement la seconde ambassade qui fut un dulce officium pour
Ambroise; c'est d'avoir rendu ce service en ces deux circonstances. Ensuite,
bien que les termes primo et deinde puissent exprimer un ordre de choses,
leur premier sens est d'exprimer un ordre de temps, et on ne peut l'écarter
dès là qu'ils sont en relation étroite avec une suite dans les faits. En outre,
il faut reconnaître qu'il y a plus d'affinité entre pro salute tua et pro pace
qu'entre pro pace et pro pietate, etc., et que s'il s'était agi d'un ordre de
choses, ce sont les deux premiers termes qui eussent été mis ensemble et
non les deux derniers. On ne peut donc douter que la première ambassade
n'avait qu'un seul but : sauver Valentinien, empêcher qu'il n'aille rejoindre
Maxime, auprès de qui on pouvait craindre qu'il n'eût le sort de son frère,
empêcher en même temps que Maxime ne vienne en Italie, en lui laissant
espérer, sans la promettre, cette arrivée de Valentinien qu'il réclamait.
La seconde ambassade eut pour objet d'assurer la paix avec Maxime. Le
péril imminent a disparu : la menace pourtant demeure et les relations
restent tendues; il s'agit de les normaliser : et précisément la demande de
la dépouille de Gratien est une occasion et un moyen de la faire.
Cette explication du texte était nécessaire pour nous introduire au cœur
du sujet. Nous y sommes avec les paroles : nondum pro te securus, et jam
pro fraternae sepulturae honore sollicitus. Elles nous font voir une certaine
hâte dans cette réclamation, et cela est absolument incompatible avec un
délai de plusieurs années. Ce jam avec son corrélatif nondum, doit emporter
la conviction : la nouvelle ambassade n'a pu avoir lieu en 386. Ajoutons que
le Chronographe de 452 place précisément en cette année 384 (2) (Babut
le recule en 385 ; à discuter ci-après) un fœdus de Maxime avec Valentinien
par crainte de Théodose, fœdus qui est difficilement concevable sans la remise
du corps de Gratien.
Il est donc incontestable que la seconde ambassade d'Ambroise doive
être très sensiblement rapprochée de la première. Ce serait tout de même
trop la rapprocher que de la placer, comme fait Seeck (3), au début de 384;
Tassez longue série des événements rappelés dans le rapport d'Ambroise
n'aurait pu se dérouler; et de plus, ce n'était pas le moment pour Valenti-
nien de faire cette démarche, alors que l'on s'attendait, à Trêves comme à
Milan, à une expédition armée de Théodose.
Nous venons de parler du fœdus entre Maxime et Valentinien. Babut (1)
en recule la date en 385, mais sans raisons décisives. Il pense que les événe
ments rapportés par Ambroise n'ont pu tenir dans l'année 384. Ce sont
choses qu'il est très difficile d'apprécier. Ils nous semblent à nous, au contraire,
de telle nature qu'ils ont pu se dérouler avant la fin ou même le milieu de
l'été 384, surtout si, du côté de Maxime, comme il est très probable, ils
ont commencé en automne 383. Un autre argument est qu'Evodius, préfet
du prétoire de Maxime, a été reconnu consul pour 386 à Milan et à Constant
inople, ce qui ne peut être qu'une conséquence du fœdus. Nous admettons
cette conséquence, mais pas jusqu'au point de dire que la cause l'ait immé
diatement précédé. Si, comme nous l'établissons plus loin, le fœdus ne peut
avoir lieu qu'au milieu de l'automne 384, il était alors trop tard pour la
désignation d'Evodius au consulat, les consuls étant déjà proclamés, et
d'ailleurs, même indépendemment de cela, il convenait qu'après l'avèn
ementde Valentinien au pouvoir effectif, la première désignation du consul
pour l'Occident allât à un personnage de son ressort : ce fut Bauto, qui était
pour ainsi dire son tuteur militaire. Rien donc n'oblige à changer la date
du Chronographe pour le fœdus susdit.
Pour la date de la seconde ambassade d'Ambroise, il est important de
savoir quelle est sa relation chronologique avec le fœdus. Le rapport de l'évê-
que contient à la fin une allusion claire à des tractations où il n'a pas de part :
esto tutior adversus hominem pads involucro bellum tegentem (2). Il est bien
certain qu'il ne peut s'agir ici que des tractations qui ont abouti à ce fœdus.
Et cela nous fournit un point fixe pour notre chronologie. Le fœdus ayant
été conclu en 384, la deuxième ambassade d'Ambroise, qui l'a précédé,
a donc eu lieu avant la fin de cette année.
Poursuivons. Le Chronographe de 452 nous dit que Maxime a conclu
un fœdus par crainte de Théodose. Maxime n'a pu avoir cette crainte tant
qu'il espérait prendre la tutelle du jeune empereur, car la réussite de ce
plan mettrait en ses mains plus de forces que n'en avait l'empire d'Orient.
Quand il vit son espoir s'évanouir, c'est-à-dire au cours du printemps 384,
il devait déjà connaître ou connut bientôt les projets d'expédition de Théodose
contre lui. Il lui parut difficile de lutter à la fois contre les armées d'Orient
et celles d'Italie réunies. Il envoya donc une ambassade à Théodose pour
négocier la paix et demander sa reconnaissance. Théodose acquiesça, et
les termes de l'accord, — ceux proposés ou du moins attendus — furent
sans nul doute, car c'est cette situation qu'on observe dans la suite, que
Maxime cesserait de revendiquer la tutelle de Valentinien, et respecterait
son territoire, tandis que Théodose qui, de son côté, avait déjà occupé
l'Illyricum, observerait la même conduite (3). De ce fait, Maxime était
accepté par Théodose comme empereur collègue ; de ce fait aussi, Valenti-
nien était reconnu par tous deux comme empereur effectif, échappant à
toute tutelle politique.
La date de cet accord peut être déterminée comme suit. La longue pré
sence de Théodose à Héraclée de Thrace — il y date des lois du 10 juin
au 25 juillet 384 — marque que c'est là qu'il concentrait l'armée qu'il
devait conduire contre Maxime. Or, le 16 septembre suivant, on le voit
à Constantinople où il reste désormais (1). C'est donc qu'à cette date il
a déjà renoncé à son expédition et que l'accord avec Maxime est intervenu.
Il va de soi qu'un tel accord, pour avoir plein effet, devait en entraîner
un autre entre Valentinien et Maxime qui, aux yeux du jeune empereur,
faisait toujours figure d'usurpateur. Théodose dut communiquer à Valen
tinien la convention conclue en l'invitant à faire de son côté la paix avec
Maxime.
On 'peut s'étonner de la facilité de Théodose à s'entendre avec l'usur
pateur. Sans doute l'expliquera -t-on par son esprit « réaliste »; sans compter
que toute guerre comporte un risque, il aura voulu éviter à la république
le trouble et la désolation qu'apporterait une guerre civile de cette ampleur.
On présumera que Valentinien ne s'inspirait pas de ces vues de haute poli
tique. Il n'était certes pas sans connaître l'expédition projetée par Théodose
contre Maxime; peut-être l'avait-il lui-même provoquée. Il dut être désap
pointé en voyant le peu de chaleur que mettait son collègue oriental à
défendre sa cause ainsi que le renfort que sa reconnaissance apportait à
l'usurpateur. Par ailleurs, Maxime ne se faisait pas faute, depuis l'insuccès
de ses plans, de manifester son irritation vis-à-vis de la cour de Milan,
qu'il accusait de déloyauté : elle avait, selon lui, fait des promesses qu'elle
n'avait pas tenues (2). Il se plaignait d'avoir été joué; joué par Ambroise,
joué par Bauto. Il se plaignait que l'entourage de Valentinien se portât
plutôt du côté de Théodose (3). On comprend donc que Valentinien,
même après les accords de Théodose avec Maxime, ait gardé un sentiment
d'insécurité, puisque, loin d'être aidé par Théodose, il se voyait ainsi forcer
la main pour faire la paix avec un ennemi dont les dispositions ne semblaient
pas rassurantes. Aussi le mot de saint Ambroise convient bien ici : nondum
pro te securus.
Tant sous l'effet de ce sentiment d'insécurité que par la position où le
mettaient les accords de Théodose et de Maxime, faire la paix était une
nécessité pour Valentinien. Faire la paix, cela consistait essentiellement
à reconnaître Maxime comme collègue impérial, ainsi que l'avait fait Théo-
dose. Assurément, il ne pouvait être question de lui offrir ce cadeau sans
plus. Il fallait préparer et entourer cet acte de conditions psychologiques
et de compensations. Conditions psychologiques : il fallait désarmer les
préventions de Maxime. Compensations : Maxime rendrait le corps de
Gratien. C'est à Ambroise qu'échut cette mission; mieux que tout autre,
il pourrait, ayant assumé la première ambassade, mettre les choses au point
et convaincre Maxime qu'il n'y avait eu aucune tromperie à son égard et
V. Grumel.