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Venance Grumel

La deuxième mission de saint Ambroise auprès de Maxime


In: Revue des études byzantines, tome 9, 1951. pp. 154-160.

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Grumel Venance. La deuxième mission de saint Ambroise auprès de Maxime. In: Revue des études byzantines, tome 9, 1951.
pp. 154-160.

doi : 10.3406/rebyz.1951.1041

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1951_num_9_1_1041
MÉLANGES

La deuxième mission de saint Ambroise auprès de Maxime.

La deuxième mission de saint Ambroise auprès de Maxime ne porte aucune


date dans les documents contemporains qui nous la font connaître, et il
faut, par suite, recourir à des inductions ou déductions pour lui en assigner
une. Le désaccord entre les historiens, avant Rauschen (1), était assez
minime : la date variait du milieu de 386 aux premiers mois de 387. Le savant
que nous venons de nommer a renversé cette chronologie pour les raisons
suivantes, ainsi résumées par Palanque (2) : « 0) il s'agit de réclamer le corps
de Gratien, ce qui serait surprenant si longtemps après sa mort; b) le
rapport (3) parle de la première mission comme récente et ne contient aucune
indication sur les événements postérieurs à 384; c) il y est question des
évêques qui réclament la mort des hérétiques, ce qui indique que Priscillien
n'est pas encore exécuté (il le sera en 385); d) Justine n'a pu confier cette
mission à l'évêque de Milan pendant qu'elle était en conflit avec lui : c'est
donc avant la crise arienne de 385. Il conclut en faveur de l'hiver 384-385 :
et, depuis, cette opinion a prévalu, Seeck se contentant d'avancer le voyage
au printemps de 384. »
A la première raison, Palanque répond que la demande des restes
de l'empereur défunt peut n'être qu'un prétexte officiel, puisque Ambroise
n'y insiste qu'après coup seulement, dans l'oraison funèbre de Valenti-
nien, alors que dans la discussion avec Maxime reproduite par le rapport,
elle n'est présentée qu'incidemment. Cette réponse est valable à la condi
tionde montrer pourquoi cette demande n'a pas été faite, comme on s'y
attendait, dès l'année qui suivit la mort de Gratien. Il faudrait pour expli
quer cela regarder du côté de Justine. C'est elle qui dirigeait l'esprit de
Valentinien II à peine âgé de 14 ans en 384. Elle n'avait pas d'affection
spéciale pour Gratien. Celui-ci avait marqué son mécontentement quand
elle eut fait, de sa propre initiative, proclamer empereur son fils Valent
inien. Il devait en être resté quelque froid. C'est pourquoi l'on peut com-

(1) G. Rauscher, Jahrbücher der christlichen Kirche unter dem Kaiser Theodosius dem
Grossen, Excursus X, p. 487.
(2) J.-R. Palanque, Saint Ambroise et Vempire romain, Paris, 1933, p. 516-518.
(3) Rapport de saint Ambroise sur sa seconde ambassade en Gaule, Epist. XXIV, P. /,.,
1035-1038.
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prendre qu'elle ne réclama pas d'abord le corps de Gratien, mais seulement


lorsque cette demande put lui paraître utile.
Palan que a répondu avec assez de vraisemblance aux autres objections :
à la seconde, en montrant que la relation d'Ambroise suppose entre les deux
voyages un intervalle assez considérable, en rapport avec la série des événe
ments qui y sont rappelés (1); à la troisième, en indiquant que le procès
de Priscillien ne peut servir à dater le voyage d'Ambroise, mais dépend
au contraire de lui pour sa chronologie; à la dernière, en rappelant que la
mission confiée à Ambroise était plutôt signe de méfiance que de confiance,
thème longuement développé par Palanque dans un chapitre précédent
de son ouvrage auquel on ne peut ici que renvoyer. De plus, ajoute Palanque,
si la lettre de Maxime à Valentinien (3), qui est certainement du Carême 386,
était postérieure à cette ambassade, nous n'y lirions pas un tel éloge
d'Ambroise. En fait, le texte ne parle pas spécialement du saint évêque.
On ajoutera que ce pouvait être une habileté de la part de Justine d'envoyer
à Maxime, qui se donnait pour le défenseur de la foi nicéenne, celui qui en
était le principal champion. Elle montrerait par là que la persécution que
l'on reprochait à la cour de Milan ne répondait pas à la réalité, puisque
Ambroise lui-même était accrédité auprès de Maxime pour les plus délicates
missions de confiance.
En tout cela, rien qui paraisse, de part et d'autre, bien décisif.
Palanque apporte encore d'autres arguments contre Rauschen. L'un
est tiré de la Vie d'Ambroise par Paulin (4) : il y est parlé de « cette mission
après la crise arienne et immédiatement avant la chute de Maxime, qui
serait survenue en châtiment providentiel pour son hostilité à Ambroise ».
Je crains bien que cet argument ne soit inopérant, car d'une part la mort
de Gratien, elle aussi, est mentionnée après la crise arienne, ce qui met
les deux événements, cette mort et l'ambassade, dans la même condition
chronologique, et d'autre part, il n'est pas indiqué que le châtiment fut
immédiat. Le plus simple est de dire, avec Ensslin (5), que Paulin a d'abord
achevé le thème de la lutte avec les ariens avant d'en aborder un autre
(celui des rapports avec Maxime).
L'autre argument est tiré de la lettre à Marcelline d'avril 386 : « L'évêque
ne parle que d'une seule ambassade (meae legationis) : Ep. XX, 23 : c'est
donc que la nouvelle est postérieure. » Là encore, je ne suis pas convaincu.
Que veut dire en effet saint Ambroise. Ceci, que Maxime se plaint qu'à
cause de l'ambassade de l'évêque il n'a pu passer en Italie : qui de meae
legationis objecta queritur ad Italiam non potuisse transire (6). Or il n'y a
eu qu'une ambassade qui a eu cet effet, la première. Il n'est donc pas besoin
d'en mentionner une autre, mais on ne peut en déduire qu'il n'y en a pas
eu une seconde pour un autre objet. Ensslin (7) va plus loin et voit dans le

(1) D'après Babut, Priscillien et le priscillianisme, Paris, 1909, p. 242, note 2.


(2) Palanque, Saint Ambroise, p. 168-172.
(3) Coll. Avellana, XXXIX : Guenther, 88-90.
(4) Vita Ambrosii, 12-18 et 19, P. L, XIV, 31-33.
(5) Dans RE2 Wissowa, R. II, XIV, 2210.
(6) P. L., XVI, 1001 Β (où on lit maximum au lieu de Maximum).
(7) Dans RE2 R. II, XIV, 2210-2211.
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passage cité de la lettre à Marcelline une allusion à ces paroles de Maxime


qui sont dans le rapport d'Ambroise : Quod si ego tune temporis, quando
venisti, non fuissem retentus, quis mihi restitisset et çirtuti meae? (1). Ce rap
prochement est loin de s'imposer, car les plaintes de Maxime existaient
avant cette ambassade comme il est évident par ces autres paroles
d'Ambroise : Propterea et ego veni,quia prima legatione, dum mihi credis,
per me deceptum te esse asserebas (2).
Ensslin (3) ne se contente pas de réfuter les arguments de Palanque;
il en voit un contre lui dans l'assurance que montre Ambroise à propos du
protocole, A la différence de la première ambassade où il n'avait fait aucune
difficulté d'être reçu seulement en audience publique, il voulut cette fois
être reçu en audience privée et se plaignit ensuite qu'on le lui eût refusé.
A la question de Maxime pourquoi il n'avait pas fait semblable demande
à la première ambassade, il fit cette réponse : Parce que, alors, je demandais
la paix pour un inférieur, mais maintenant c'est pour un égal. — Et grâce à
qui, égal? reprit Maxime, espérant qu'il serait nommé. — Grâce au Dieu
tout-puissant (4), dit Ambroise. Tout cela, pour Ensslin, signifie qu'entre
temps les relations avec Théodose avaient fortifié à Milan le sentiment de
la sécurité, ce qui permettait une liberté de langage incompatible à un
moment de péril. Nous pouvons répondre d'abord que le péril n'était pas
imminent et que les accords avec Théodose étaient toujours valables, et
de plus, qu'il pouvait paraître politique à Ambroise, pour donner le change,
d'affecter plus d'assurance qu'il n'en avait réellement. Supplier humble
ment eût été un aveu de faiblesse et attiré plus sûrement la guerre. Mais
surtout il ne semble pas qu'Ensslin ait compris pleinement ^opposition
tune ut inferiori... nunc ut aequali. Selon nous, ils signifient d'abord, c'est-
à-dire sans exclure l'autre sens, la condition impériale différente où se
trouvait Valentinien dans les deux cas. Au moment de la mort de Gratien
et de la première ambassade, Valentinien II n'est pas encore empereur
effectif. C'est un empereur en tutelle et qui se trouve tout d'un coup privé
de sa tutelle. Elle revient de droit à Théodose, et de son côté Maxime la
revendique. C'est cette qualité d'empereur mineur que marque le terme
inferiori. Ce qui confirme notre explication, c'est que saint Ambroise lui-
même dit un peu plus loin: Gloriosum mihi et hoc pro salute pupilli impera-
toris (5). Au temps de la seconde ambassade Valentinien est un empereur de
plein exercice, parfaitement autonome, et à ce titre absolument égal à
Théodose et à plus forte raison à Maxime. C'est même lui le plus ancien
empereur, et l'on comprend que saint Ambroise ait pu être alors chatouilleux
sur le protocole. Même en négociant la paix, il ne pouvait l'oublier. On
doit considérer le fait qu'il a fini par céder sur ce point comme un sacrifice
aux intérêts qu'il voulait servir (6).
De tout ce que nous venons de rappeler ou de discuter, il ne résulte rien
(1) P. L., XVI, 1036 C.
(2) Ibid., 1037 A.
(3) Dans RE8 Wissowa, l. c, 2211.
(4) P. L., XVI, 1036 B.
(5) Ibid., 1037 A.
(6) S. Ambroise, Epist. 21, n. 20; P. L., XVI, 1007 A.
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de bien ferme touchant le problème posé. Il faut pourtant donner une con
clusion à cette critique. Je crois pouvoir en trouver le fondement dans ce
passage de l'oraison funèbre de Valentinien : Ego te suscepi parvulum, cum
le gat us ad hostem tuum pergerem: ego Justinae maternis tradition manibus
amplexus sum ego iterum legatus petivi Gallias, et mihi dulce illud officium

fuit pro salute tua primo, deinde pro pace atque pietate quafraternas reliquias
postulabas : nondum pro te securus, et jam pro fraternae sepulturae honore
sollicitus (1).
Ce texte doit être compris en ce sens que la première ambassade
d'Ambroise eut pour but de sauver Valentinien du péril, primo : pro salute
tua, et la seconde eut pour objet la paix à établir entre les deux cours et
la demande des restes de Gratien, deinde : pro pace atque pietate. En effet,
ce n'est pas seulement la seconde ambassade qui fut un dulce officium pour
Ambroise; c'est d'avoir rendu ce service en ces deux circonstances. Ensuite,
bien que les termes primo et deinde puissent exprimer un ordre de choses,
leur premier sens est d'exprimer un ordre de temps, et on ne peut l'écarter
dès là qu'ils sont en relation étroite avec une suite dans les faits. En outre,
il faut reconnaître qu'il y a plus d'affinité entre pro salute tua et pro pace
qu'entre pro pace et pro pietate, etc., et que s'il s'était agi d'un ordre de
choses, ce sont les deux premiers termes qui eussent été mis ensemble et
non les deux derniers. On ne peut donc douter que la première ambassade
n'avait qu'un seul but : sauver Valentinien, empêcher qu'il n'aille rejoindre
Maxime, auprès de qui on pouvait craindre qu'il n'eût le sort de son frère,
empêcher en même temps que Maxime ne vienne en Italie, en lui laissant
espérer, sans la promettre, cette arrivée de Valentinien qu'il réclamait.
La seconde ambassade eut pour objet d'assurer la paix avec Maxime. Le
péril imminent a disparu : la menace pourtant demeure et les relations
restent tendues; il s'agit de les normaliser : et précisément la demande de
la dépouille de Gratien est une occasion et un moyen de la faire.
Cette explication du texte était nécessaire pour nous introduire au cœur
du sujet. Nous y sommes avec les paroles : nondum pro te securus, et jam
pro fraternae sepulturae honore sollicitus. Elles nous font voir une certaine
hâte dans cette réclamation, et cela est absolument incompatible avec un
délai de plusieurs années. Ce jam avec son corrélatif nondum, doit emporter
la conviction : la nouvelle ambassade n'a pu avoir lieu en 386. Ajoutons que
le Chronographe de 452 place précisément en cette année 384 (2) (Babut
le recule en 385 ; à discuter ci-après) un fœdus de Maxime avec Valentinien
par crainte de Théodose, fœdus qui est difficilement concevable sans la remise
du corps de Gratien.
Il est donc incontestable que la seconde ambassade d'Ambroise doive
être très sensiblement rapprochée de la première. Ce serait tout de même
trop la rapprocher que de la placer, comme fait Seeck (3), au début de 384;
Tassez longue série des événements rappelés dans le rapport d'Ambroise
n'aurait pu se dérouler; et de plus, ce n'était pas le moment pour Valenti-

(1) S. Ambroise, De obitu Valentiniani, n. 28, P. L., XVI, 1368 AB.


(2) Mommsen, Chronica Minora, I, 462.
(3) O. Seeck, Geschichte des Untergangs der antiken Welt, t. V, p. 185.
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nien de faire cette démarche, alors que l'on s'attendait, à Trêves comme à
Milan, à une expédition armée de Théodose.
Nous venons de parler du fœdus entre Maxime et Valentinien. Babut (1)
en recule la date en 385, mais sans raisons décisives. Il pense que les événe
ments rapportés par Ambroise n'ont pu tenir dans l'année 384. Ce sont
choses qu'il est très difficile d'apprécier. Ils nous semblent à nous, au contraire,
de telle nature qu'ils ont pu se dérouler avant la fin ou même le milieu de
l'été 384, surtout si, du côté de Maxime, comme il est très probable, ils
ont commencé en automne 383. Un autre argument est qu'Evodius, préfet
du prétoire de Maxime, a été reconnu consul pour 386 à Milan et à Constant
inople, ce qui ne peut être qu'une conséquence du fœdus. Nous admettons
cette conséquence, mais pas jusqu'au point de dire que la cause l'ait immé
diatement précédé. Si, comme nous l'établissons plus loin, le fœdus ne peut
avoir lieu qu'au milieu de l'automne 384, il était alors trop tard pour la
désignation d'Evodius au consulat, les consuls étant déjà proclamés, et
d'ailleurs, même indépendemment de cela, il convenait qu'après l'avèn
ementde Valentinien au pouvoir effectif, la première désignation du consul
pour l'Occident allât à un personnage de son ressort : ce fut Bauto, qui était
pour ainsi dire son tuteur militaire. Rien donc n'oblige à changer la date
du Chronographe pour le fœdus susdit.
Pour la date de la seconde ambassade d'Ambroise, il est important de
savoir quelle est sa relation chronologique avec le fœdus. Le rapport de l'évê-
que contient à la fin une allusion claire à des tractations où il n'a pas de part :
esto tutior adversus hominem pads involucro bellum tegentem (2). Il est bien
certain qu'il ne peut s'agir ici que des tractations qui ont abouti à ce fœdus.
Et cela nous fournit un point fixe pour notre chronologie. Le fœdus ayant
été conclu en 384, la deuxième ambassade d'Ambroise, qui l'a précédé,
a donc eu lieu avant la fin de cette année.
Poursuivons. Le Chronographe de 452 nous dit que Maxime a conclu
un fœdus par crainte de Théodose. Maxime n'a pu avoir cette crainte tant
qu'il espérait prendre la tutelle du jeune empereur, car la réussite de ce
plan mettrait en ses mains plus de forces que n'en avait l'empire d'Orient.
Quand il vit son espoir s'évanouir, c'est-à-dire au cours du printemps 384,
il devait déjà connaître ou connut bientôt les projets d'expédition de Théodose
contre lui. Il lui parut difficile de lutter à la fois contre les armées d'Orient
et celles d'Italie réunies. Il envoya donc une ambassade à Théodose pour
négocier la paix et demander sa reconnaissance. Théodose acquiesça, et
les termes de l'accord, — ceux proposés ou du moins attendus — furent
sans nul doute, car c'est cette situation qu'on observe dans la suite, que
Maxime cesserait de revendiquer la tutelle de Valentinien, et respecterait
son territoire, tandis que Théodose qui, de son côté, avait déjà occupé
l'Illyricum, observerait la même conduite (3). De ce fait, Maxime était
accepté par Théodose comme empereur collègue ; de ce fait aussi, Valenti-

(1) E. Ch. Babut, Priscillien et le Priscillianisme, p. 242, note 3, et 243.


(2) S. Ambroise, Epist. XXIV, n. 13, P. L., XVI, 1038 B.
(3) Cf. Notre article · L'Illyricum oriental..., voir ci-dessus, p. 16.
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nien était reconnu par tous deux comme empereur effectif, échappant à
toute tutelle politique.
La date de cet accord peut être déterminée comme suit. La longue pré
sence de Théodose à Héraclée de Thrace — il y date des lois du 10 juin
au 25 juillet 384 — marque que c'est là qu'il concentrait l'armée qu'il
devait conduire contre Maxime. Or, le 16 septembre suivant, on le voit
à Constantinople où il reste désormais (1). C'est donc qu'à cette date il
a déjà renoncé à son expédition et que l'accord avec Maxime est intervenu.
Il va de soi qu'un tel accord, pour avoir plein effet, devait en entraîner
un autre entre Valentinien et Maxime qui, aux yeux du jeune empereur,
faisait toujours figure d'usurpateur. Théodose dut communiquer à Valen
tinien la convention conclue en l'invitant à faire de son côté la paix avec
Maxime.
On 'peut s'étonner de la facilité de Théodose à s'entendre avec l'usur
pateur. Sans doute l'expliquera -t-on par son esprit « réaliste »; sans compter
que toute guerre comporte un risque, il aura voulu éviter à la république
le trouble et la désolation qu'apporterait une guerre civile de cette ampleur.
On présumera que Valentinien ne s'inspirait pas de ces vues de haute poli
tique. Il n'était certes pas sans connaître l'expédition projetée par Théodose
contre Maxime; peut-être l'avait-il lui-même provoquée. Il dut être désap
pointé en voyant le peu de chaleur que mettait son collègue oriental à
défendre sa cause ainsi que le renfort que sa reconnaissance apportait à
l'usurpateur. Par ailleurs, Maxime ne se faisait pas faute, depuis l'insuccès
de ses plans, de manifester son irritation vis-à-vis de la cour de Milan,
qu'il accusait de déloyauté : elle avait, selon lui, fait des promesses qu'elle
n'avait pas tenues (2). Il se plaignait d'avoir été joué; joué par Ambroise,
joué par Bauto. Il se plaignait que l'entourage de Valentinien se portât
plutôt du côté de Théodose (3). On comprend donc que Valentinien,
même après les accords de Théodose avec Maxime, ait gardé un sentiment
d'insécurité, puisque, loin d'être aidé par Théodose, il se voyait ainsi forcer
la main pour faire la paix avec un ennemi dont les dispositions ne semblaient
pas rassurantes. Aussi le mot de saint Ambroise convient bien ici : nondum
pro te securus.
Tant sous l'effet de ce sentiment d'insécurité que par la position où le
mettaient les accords de Théodose et de Maxime, faire la paix était une
nécessité pour Valentinien. Faire la paix, cela consistait essentiellement
à reconnaître Maxime comme collègue impérial, ainsi que l'avait fait Théo-
dose. Assurément, il ne pouvait être question de lui offrir ce cadeau sans
plus. Il fallait préparer et entourer cet acte de conditions psychologiques
et de compensations. Conditions psychologiques : il fallait désarmer les
préventions de Maxime. Compensations : Maxime rendrait le corps de
Gratien. C'est à Ambroise qu'échut cette mission; mieux que tout autre,
il pourrait, ayant assumé la première ambassade, mettre les choses au point
et convaincre Maxime qu'il n'y avait eu aucune tromperie à son égard et

(1) O. Seeck, Regesten, p. 265.


(2) S. Ambroise, Epist. XXIV, n. 5, 6 et 7; P. L·., XVI, 1037 AB.
(3) Ibid., η. 11; 1038 D-1039 Α.
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qu'il n'avait vraiment aucune raison valable de s'irriter. Ainsi, Maxime,


apaisé, rendrait le corps de Gratien, et cet acte scellerait la réconciliation
entré les deux cours : Habeat Valentinianus imperator vel fratris exuvias
pacis tuae obsides (1). De son côté, Valentinien reconnaîtrait Maxime
comme collègue.
On sait comment échoua la mission d'Ambroise. Mal engagée par une
question de protocole, poursuivie sur un ton qui put paraître trop vif,
elle se trouva barrée par son refus de communier avec les évêques rigoristes
qui entouraient Maxime. C'est pour se justifier devant l'empereur que
l'évêque écrivit le rapport que nous avons sur cette ambassade.
L'échec était seulement celui d'Ambroise, récusé comme médiateur.
Il ne signifiait pas une aggravation des rapports entre les deux cours. Maxime
retenait que Valentinien avait fait une démarche en vue de relations paci
fiques, et les arguments d'Ambroise, dont le ton avait pu irriter, étaient
au fond trop justes pour n'avoir pas fait impression. C'était du reste l'intérêt
de Maxime de poursuivre la conversation avec Valentinien, et d'obtenir
sa reconnaissance comme il avait obtenu celle de Théodose. Il y était de
plus en quelque sorte obligé par son accord avec ce dernier. Et c'est pourquoi
il envoya aussitôt ses propres messagers, sans s'occuper d'Ambroise, à la
cour de Milan. C'est à la suite de ces nouvelles tractations que fut conclu
le fœdus dont parle le Chronographe de 452, et auquel fait allusion Rufin
par ces paroles : simulatione oblatam pacem Maximo simulans ipse quoque
libeitter amplectitur (2) ainsi que Socrate : Ούαλεντινιανός δέ καΐ άκων, ανάγκη
τοϋ καιροϋ πεισθείς, τήν Μαξίμου βασιλείαν προσδέχεται (3). C'est à l'occasion
de ce fœdus très probablement que le corps de Gratien fut envoyé à Milan.
Nous avons paru nous écarter de notre sujet. En réalité, nous n'en
sommes pas sorti, puisqu'il fallait expliquer les divers textes en rapport
avec l'ambassade auprès de Maxime pour en fixer plus sûrement la date.
Faisons donc maintenant le point. L'accord de Théodose et de Maxime
est à placer avant le milieu de septembre 384. Le fœdus entre Maxime
et Valentinien eut lieu avant la fin de cette même année. L'ambassade
d'Ambroise s'insinue entre ces deux accords. D'une part, son rapport en
effet suppose le premier, car Valentinien y est désigné comme empereur
effectif : nunc ut aequali. Ambroise connaît évidemment la convention
passée entre Théodose et Maxime. Il fait allusion, d'autre part, aux
tractations qui, après sa propre ambassade, ont abouti au second. Valent
inien a dû être informé de l'accord de Théodose avec Maxime vers le
milieu ou dans la seconde moitié d'octobre 384. On ne risque pas de se
tromper en plaçant à la fin d'octobre ou dans la première moitié de
novembre l'ambassade d'Ambroise, le reste de l'année devant être laissé
libre pour les tractations du fœdus dont parle, à l'année 384, le Chroniqueur
de 451.

V. Grumel.

(1) Ibid., n. 10; 1038 G.


(2) Rufin, XI, 15.
(3) Socrate, V, 11; P. G., LXVII, 596 B. Cf. Sozomêne, VII, 13; P. G.,LXVII, 1449 C.

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