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REVUE LAMY

Droit Civil
J A N V I E R 2 0 1 0

Le vendeur d’immeuble,
le diagnostic amiante
et le champ contractuel
Par Marine DELAHAIS et David METAYER

Affaire du Distilbène :
une avancée majeure
Par Béatrice PARANCE

Quelle est la nature juridique


des arrérages des pensions ?
Par Jean-Grégoire MAHINGA

RÉFLEXIONS CROISÉES

La sécurisation des investissements


des entreprises en Afrique
francophone : LE DROIT OHADA

67
F IU QE U E
> Président Jacques Mestre

sommaire
Doyen honoraire de la Faculté
de droit d’Aix-Marseille
> Laurent Aynès
Professeur à l’Université Panthéon-
Sorbonne (Paris I)
> Bernard Beignier
Doyen de la Faculté de droit
I ET NI FT I Q

de l’Université des sciences sociales


de Toulouse
> Philippe Brun
Professeur à l’Université de Savoie Actualités
7
> Rémy Cabrillac
Professeur à la Faculté de droit
de Montpellier
> Bruno Camille
Contrat 37 > La sûreté réelle pour autrui réfractaire
à la disproportion!

39
E N

Avocat à la Cour de Toulouse ÉCLAIRAGE


> Pierre Crocq 7 > Le vendeur d’immeuble, Personnes et famille
S C SI C

Professeur à l’Université Panthéon-


Assas (Paris II) le diagnostic amiante
> Françoise Dekeuwer-Défossez
et le champ contractuel ÉCLAIRAGE
Agrégée des Facultés de droit, Par Marine DELAHAIS et David METAYER 39 > Regard sur vingt ans d’application
Professeur à la Faculté libre de droit de la Convention internationale
de Lille ACTUALITÉS DU DROIT DU CONTRAT
des droits de l’enfant par
> Philippe Delebecque 12 > Pas de rupture brutale du contrat nul les juridictions françaises
Professeur à l’Université Panthéon- 12 > Exequatur d’une anti-suit injunction Par Yves HONHON
Sorbonne (Paris I) américaine

15
C O N S E I L

> Bertrand Fages ACTUALITÉS DU DROIT DES PERSONNES


Professeur à l’Université Panthéon- ET DE LA FAMILLE
Sorbonne (Paris I) Responsabilité 46 > Versement du capital décès
> Michel Giray ÉCLAIRAGE d’un fonctionnaire : reconnaissance
Notaire à Paris du partenaire pacsé
15 > Affaire du Distilbène :
> Jean-Pierre Gridel 47 > Adoption par une homosexuelle :
Conseiller à la Cour de cassation une avancée majeure
Par Béatrice PARANCE le «feu vert» du juge administratif?
> Hervé Lécuyer
Professeur à l’Université Panthéon-

50
Assas (Paris II) ACTUALITÉS DU DROIT DE LA RESPONSABILITÉ

> Denis Mazeaud


21 > 1384 versus 1386: une pierre Régimes matrimoniaux,
pour les départager?
Professeur à l’Université Panthéon- successions et libéralités
Assas (Paris II) 25 > Conducteur-victime:
> Philippe Pierre prends garde à toi! ÉCLAIRAGE
Professeur à l’Université de Rennes 1

Droit Civil
27
Sûretés
ÉCLAIRAGE
27 > Le prix de revente d’un bien
affecté d’une réserve de propriété
50 > Quelle est la nature juridique
des arrérages des pensions ?
Par Jean-Grégoire MAHINGA

ACTUALITÉS DU DROIT DES RÉGIMES


MATRIMONIAUX, SUCCESSIONS ET LIBÉRALITÉS
REVUE LAMY
sous les feux de la rampe ! 55 > Détermination du régime matrimonial
Par Jean-Jacques ANSAULT
et Convention de La Haye
Éditée par WOLTERS KLUWER FRANCE 56 > Répétition de l’indu dans une succession :
SAS au capital de 300 000 000 €
Siège social: 1, rue Eugène et Armand Peugeot ACTUALITÉS DU DROIT DES SÛRETÉS les héritiers sont tenus au prorata
92856 Rueil-Malmaison cedex 35 > Les règles de l’imputation de leur part
RCS Nanterre 480 081 306 des paiements revisitées par le juge 57 > Perte d’un testament : tous les motifs
Associé unique : en présence d’une sûreté réelle? invoqués ne sont pas des cas fortuits
Holding Wolters Kluwer France
Directeur de la publication, Président Directeur
Général de Wolters Kluwer France : Xavier Gandillot
Directeur scientifique : Jacques Mestre
Rédacteur en chef : Gaëlle Marraud des Grottes
(01 76 73 38 79) – gmarrauddesgrottes@wolters-kluwer.fr
Perspectives
Numéro réalisé sous la responsabilité de Véronique RÉFLEXIONS CROISÉES
Maugeri (01 76 73 37 17) – vmaugeri@wolters-kluwer.fr
72 > Regards contractuels
Rédacteurs en chef adjoints : Élodie Pouliquen, La sécurisation sur l’OHADA
Actualités du droit des personnes et de la famille Par Jacques MESTRE
et actualités du droit des régimes matrimoniaux,
des investissements
successions et libéralités (01 76 73 37 11) et Véronique des entreprises en Afrique 75 > Prévenir et traiter les difficultés
Maugeri, Actualités du droit du contrat (01 76 73 37 17) Par Gérard BLANC
Responsable PAO et assistante d’édition :
francophone :
82 > L’internationalisation

59 LE DROIT OHADA
Florence Mamelin
Imprimerie : Delcambre, Avenue des Deux-Lacs, des échanges et le droit OHADA
BP 389, 91959 Courtabœuf cedex 59 > Les «espaces juridiques» Par Grégoire BAKANDEJA wa MPUNGU
Nº Commission paritaire : 0209 T 84333
Dépôt légal : à parution
de sécurisation des investissements 85 > Plaidoyer pour un espace
N° ISSN : 1768-4099 en Afrique : entre droits OHADA plus attractif pour
Abonnement annuel : 485 € HT (TVA 2,10 %), communautaires et droit uniforme les investissements étrangers
495,19 € TTC Par Samuel-Jacques PRISO-ESSAWE Par Michel AKOUÉTÉ AKUÉ
Prix au numéro : 45 € HT (TVA 2,10 %), 45,95 € TTC
Périodicité mensuelle 66 > S’installer pour affaires
Information et commande : Tél. : 0 825 08 08 00 dans l’espace OHADA La Rédaction de la Revue Lamy Droit Civil
Fax : 01 76 73 48 09 - contact@wkf.fr Par Louis-Daniel MUKA TSHIBENDE vous souhaite une excellente année 2010

La Revue Lamy Droit Civil actualise, dans sa première partie « Actualités », les cinq ouvrages de la Collection Lamy Droit civil :
le Lamy Droit du contrat, le Lamy Droit de la responsabilité, le Lamy Droit des sûretés, le Lamy Droit des personnes et de la famille
et le Lamy Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités.

Cette revue peut être référencée de la manière


suivante : RLDC 2010/67, n° 3665 (année/n° de
la revue, n° du commentaire) 4 R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L • J A N V I E R 2 010 • N 0 6 7
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
La sécurisation des investissements
des entreprises en Afrique francophone :
LE DROIT OHADA
L’Organisation pour l’uniformisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) œuvre incontestablement
pour la sécurisation des investissements en Afrique francophone. Le colloque organisé par le Centre de droit
économique de l’Université Paul-Cézanne d’Aix-en-Provence, le 20 mars dernier, revient sur le contenu du droit
OHADA et envisage ses possibles évolutions, notamment en droit du contrat.

>Les «espaces juridiques» de >S’installer pour affaires >Regards contractuels


sécurisation des investissements dans l’espace OHADA sur l’OHADA
en Afrique : entre droits
communautaires et droit uniforme par Louis-Daniel MUKA
par Samuel-Jacques PRISO-ESSAWE p. 59 TSHIBENDE p. 66 par Jacques MESTRE p. 72

>Prévenir et traiter >L’internationalisation >Plaidoyer pour un espace


les difficultés des échanges OHADA plus attractif
et le droit OHADA pour les investissements
par Grégoire BAKANDEJA étrangers
par Gérard BLANC p. 75 wa MPUNGU p. 82 par Michel AKOUÉTÉ AKUÉ p. 85
RLDC

3695

Par Samuel-Jacques
PRISO-ESSAWE Les «espaces juridiques» de sécurisation
Maître de conférences
à l’Université d’Avignon
et des Pays de Vaucluse,
des investissements en Afrique : entre
Laboratoire « Biens,
normes, contrats »
(EA 3788)
droits communautaires et droit uniforme*
La création de l’Organisation pour Éviter ce piège nécessite alors, en Afrique francophone, est le traitement
l’uniformisation en Afrique du droit d’une part, de mieux cadrer le rôle collectif de cette préoccupation.
des affaires (OHADA) et toute son législatif de chacun de ces acteurs et, La naissance de l’OHADA est la marque
activité juridique tiennent à la volonté d’autre part, de mieux coordonner d’une double prise de conscience par les
de renforcer le droit dans les opérations les actions des différents niveaux États signataires : d’une part, la nécessité
économiques, et de sécuriser ces dernières, de juridiction qui interviennent dans d’un droit moderne commun, permettant
la fluidité de l’investissement entre eux et,
aussi bien par une modernisation et ce champ (nationaux, communautaires,
d’autre part, le fait «qu’il est essentiel que
une stabilisation de la règle juridique, unifié).
ce droit soit appliqué avec diligence, dans
que par une sécurisation de l’application
de ce droit. Néanmoins, l’existence,
à côté de ce droit unifié des affaires,
L’ attirance réciproque entre les États
et les investisseurs est un refrain
connu depuis fort longtemps. Les légis-
les conditions propres à garantir la sécu-
rité juridique des activités économiques
afin de favoriser l’essor de celles-ci et d’en-
d’un autre type de construction lations nationales offrant des conditions courager l’investissement»; cela passe par
juridique et économique dans le cadre favorables aux investisseurs étrangers «l’élaboration et l’adoption des règles com-
de l’intégration économique est sont légion dans les États en développe- munes, simples, modernes et adaptées à
susceptible d’avoir pour effet ment, et les conventions internationales, la situation de leurs économies (et) par la
paradoxal, d’une part, de fragiliser bilatérales ou multilatérales, protégeant mise en œuvre de procédures judiciaires
le droit ainsi modernisé et unifié, ou garantissant – selon la terminologie appropriées (...) » (Traité de Port-Louis,
retenue – les investissements internatio- préambule et art. 1er).
d’autre part, d’accroître l’insécurité
naux dans ces mêmes États, se sont Parallèlement, dans le cadre de commu-
juridique pour les opérateurs économiques.
développées dans les relations entre États nautés ou unions économiques préexis-
* Cet article et les suivants sont issus du colloque « La
d’origine de l’investissement et États tantes et profondément rénovées par
sécurisation des investissements des entreprises en Afrique d’accueil. La préoccupation de la sérénité des traités revus dans la foulée de la
francophone : le droit OHADA », qui s’est tenu le 20 mars de l’investissement n’est donc pas une dévaluation de leur monnaie commune
2009 au Centre de droit économique de la faculté de droit et
des sciences politiques de l’Université Paul-Cézanne d’Aix-en- question nouvelle, loin s’en faut. La nou- (le franc CFA), les États d’Afrique de
Provence. La forme orale a le plus souvent été conservée. veauté, apparue au milieu des années 1990 l’Ouest comme ceux d’Afrique centrale >

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L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

ont voulu «rationalis(er) et harmonis(er)» I – CONCURRENCE DE DROITS L’observation de ces deux champs montre
« l’environnement des affaires » (Traités ET INSÉCURITÉ JURIDIQUE toutefois que, d’une part, le développe-
de l’UEMOA et de la CEMAC). Les ment des espaces communautaires a
objectifs sont donc proches, à défaut La coexistence, d’une part, de plusieurs conduit à leur chevauchement et que,
d’être les mêmes, puisque, a priori, les communautés économiques dont sont d’autre part, ce chevauchement se
organisations communautaires ont un membres les États parties au Traité de superpose avec l’espace de droit unifié
objet plus large que celui de l’OHADA. l’OHADA et, d’autre part, de ces com- de l’OHADA.
Mais le constat qui se dégage ensuite, munautés avec cette dernière organisa-
1 – Chevauchement des espaces
au-delà de ces affirmations de principe, tion, génère des rapports problématiques communautaires
est un manque de coordination entre à deux points de vue. Les deux catégo-
États et entre organisations, qui génère ries d’organisations sont établies sur des Les espaces CEEAC (dix États) et CEDEAO
une cacophonie, certes relative, mais espaces parfois identiques, sur lesquels (quinze États) sont plus larges que les es-
non moins préjudiciable dans cette fran- elles ont assis des normes régissant des paces CEMAC (six États, parallèlement
cophonie juridique africaine qui tente questions soit identiques, soit connexes, membres de la CEEAC) et UEMOA (huit
de s’organiser, de s’embellir et de se et dont les rapports n’ont pas toujours États, membres également de la CEDEAO).
rendre plus attractive pour mieux tirer été pensés dans le sens d’une coordina- Plus exactement, les États appartenant aux
son épingle du jeu de la mondialisation tion pourtant nécessaire. zones restreintes font aussi partie des zones
des échanges. larges. Se retrouvant au croisement des
La problématique n’est pas nouvelle ; A – Concurrence des espaces deux organisations, ils peuvent donc être
il a souvent été reproché aux États afri- juridiques susceptibles d’appliquer des règles diffé-
cains d’adhérer à des organisations Deux types d’organisations s’intéressant rentes dans l’hypothèse où les deux orga-
régionales sans que cette démarche soit à la sécurisation des investissements nisations édictent des normes contradic-
articulée avec des actes similaires anté- coexistent dans les États africains franco- toires ; la concurrence entre les règles
rieurs, entraînant ainsi des millefeuilles, phones. Des organisations d’intégration produites par les uns et par les autres porte
voire de véritables bols de spaghettis économique, d’abord, qui y ont vu le jour donc surtout sur ces États au croisement.
(l’expression est bien connue dans les Le chevauchement génère d’autant moins
milieux du commerce international, et de complémentarité entre ces espaces que
est décriée tant pour les États africains Il a été reproché aux les plus restreints ne se sont pas insérés
[v. Commission économique des Nations États africains d’adhérer dans les plus larges en tant qu’entité spé-
unies pour l’Afrique, État de l’intégra- à des organisations cifique ; il y a plutôt eu de la part de chaque
tion régionale en Afrique, Addis-Abeba, régionales sans que cette État partie une multi-adhésion aux deux
2004, p. 41 à 45] que pour l’Union démarche soit articulée types d’organisations, qui, de surcroît, sont
européenne [v. par exemple Sénat avec des actes similaires souvent apparues comme des espaces de
– français –, Délégation pour la planifi- antérieurs, entraînant leadership concurrents (par exemple, fran-
cation, Libéraliser les échanges com- ainsi des millefeuilles. cophonie vs anglophonie en Afrique de
merciaux : quels effets sur la croissance l’Ouest; leadership camerounais vs leader-
et le développement ?, Rapport d’infor- ship gabonais en Afrique centrale; sur ces
mation n° 120, 7 déc. 2005, p. 72]). Son dès le début des années 1960, rénovées au questions, v. Enjeux (Bulletin d’analyses
analyse, ici, sur la base des règles pro- milieu des années 1990 tant en Afrique géopolitiques pour l’Afrique centrale), janv.-
duites par ces différentes organisations, centrale qu’en Afrique de l’Ouest. Elles mars 2005, n° 22, et notamment Priso-
permet simplement d’approcher la réalité regroupent les États, selon la typologie de Essawe S.-J., L’intégration économique en
de plus près du point de vue juridique l’Union africaine, soit au niveau régional Afrique centrale est-elle otage des
et de mettre en évidence un fait. Si les – en Afrique centrale, la Communauté querelles de leadership?, p. 27.; v. aussi
efforts sont réels, et les réalisations visibles, économique des États de l’Afrique centrale Awoumou C. D. G., Le couple Cameroun-
il n’en reste pas moins que l’observation (CEEAC) ; en Afrique occidentale, la Gabon au sein de la CEMAC, L’Harmat-
du développement de ces deux groupes Communauté économique des États de tan, 2008, 464 pages).
de règles – communautaires, d’une part, l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) –, soit Les risques de chevauchement des règles
harmonisées, de l’autre – dissipe peu la au niveau sous-régional (l’Union écono- sont donc importants, accrus – en Afrique
crainte d’un effet paradoxal, radicalement mique et monétaire de l’Afrique de centrale – avec le regain d’activité que
opposé à l’objectif : alors même que cette l’Ouest (UEMOA), d’une part, la Commu- connaît la CEEAC (à la faveur certes de la
double harmonisation, cette modernisa- nauté économique et monétaire de l’Afrique négociation de l’accord susvisé, mais éga-
tion à double échelle, vise à sécuriser les centrale (CEMAC), d’autre part). La réor- lement du traitement de la sécurité en
investissements, notamment étrangers, ganisation de ces communautés écono- Afrique centrale ; un certain mélange des
par l’amélioration de la sécurité juri- miques – la CEMAC a succédé à l’Union genres peut d’ailleurs être signalé dans ce
dique dans les ordres légaux des États douanière et économique d’Afrique cen- domaine de la défense régionale, la Force
concernés, elle est elle-même source trale, et l’UEMOA à la Communauté multinationale en Centrafrique (FOMUC)
d’insécurité juridique, résultant tant d’une économique d’Afrique de l’Ouest (CEAO) – relevant à la fois de la CEMAC et de la
concurrence des règles produites (I) que a entraîné l’éclosion de véritables ordres CEEAC, de manière non concertée d’abord,
des croisements des actions et struc- juridiques communautaires, dans l’accep- puis de manière officielle par un transfert
tures juridictionnelles assurant leur tion européenne de cette notion. La créa- de l’autorité de ladite Force de la CEMAC
application (II). La sécurisation des tion en 1993 de l’OHADA a rajouté à cet à la CEEAC (Acte additionnel de la Confé-
affaires par la sécurité juridique se perd édifice une autre couche institutionnelle et rence des chefs d’État de la CEMAC
parfois dans les méandres des rapports surtout juridique, en mettant en place des n° 21/08 du 25 juin 2008). Et la naissance
entre droits communautaires et droit normes harmonisées, ou plus exactement de l’OHADA n’a fait que rajouter, sur ce
harmonisé. unifiées. plan, à la complexité existante.

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PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
2 – Superposition des espaces
communautaires et OHADA APPARTENANCES DES ÉTATS AUX DIFFÉRENTES ORGANISATIONS

Au problème précédent s’ajoute donc AFRIQUE CENTRALE AFRIQUE DE L’OUEST


celui de la superposition du droit OHADA, (6)
(8)
Burkina Faso – Bénin – Côte d’Ivoire –
à la fois en termes d’espace proprement 3 niveaux Cameroun – Centrafrique – Congo –
Guinée Bissau – Mali – Niger –
Gabon – Guinée équatoriale – Tchad
dit que de domaine matériel ; pour Sénégal – Togo
l’État au carrefour des trois organisations, 2 niveaux
(1)
(1)
République démocratique
le dilemme s’accroît... (dont OHADA)
du Congo
République de Guinée

(6)
a – Croisement d’espaces (3)
1 niveau Cap Vert – Gambie –Ghana – Liberia –
Angola – Burundi – Sao Tome ePrincipe
L’espace OHADA et les espaces commu- Nigeria – Sierrra Leone

nautaires ne se recoupent pas parfaite- dès le 1er janvier 1998 pour trois d’entre Réglementation des conditions d’exercice
ment. Tous les États membres de la eux, et trois mois plus tard pour le Gabon. de la profession de transporteur routier de
CEMAC et de l’UEMOA sont également Ces dix-huit mois de décalage auront donc marchandises (Acte 5/96-UDEAC-612,
membres de l’OHADA. Mais, à l’inverse, été une période de conflit potentiel entre 5 juill. 1996 ; etc.) qui, pour certains – on
si la participation de la République des les normes nationales congolaises et y reviendra –, posent quelques problèmes
Comores à l’OHADA ne pose pas de équato-guinéennes, d’une part, et les par rapport à ceux de l’OHADA.
problème puisqu’elle n’est membre normes nationales des autres États Les croisements sont aussi potentiels,
d’aucun des regroupements de type membres de la CEMAC, d’autre part, adap- résultant de l’approche volontariste ou
communautaire étudiés ici, il n’en va tées le cas échéant au droit OHADA confor- compréhensive (au sens mathématique
pas de même pour la république de mément aux dispositions de l’article 10 du du terme) du droit des affaires par le Traité
Guinée ou encore pour la République Traité de Port-Louis, la conformité au droit de Port-Louis. Le texte énonce en effet que
démocratique du Congo, respectivement de l’OHADA pouvant poser problème au le domaine de l’harmonisation comprend
membre et futur membre de l’OHADA : regard du droit communautaire de la aussi «toute autre matière que le Conseil
la première est membre de la CEDEAO, CEMAC, dans la mesure où les domaines des ministres déciderait, à l’unanimité, d’y
mais pas de l’UEMOA ; la seconde des deux organisations se croisent). inclure». L’harmonisation dans le cadre
est membre de la CEEAC, mais pas de l’OHADA s’orientera ainsi, à en croire
de la CEMAC. En résumé (v. tableau b – Croisement de domaines le Conseil des ministres de l’OHADA de
ci-contre) : Parmi les objectifs de l’UEMOA et de la Bangui (21-23 mars 2001), vers «(…) le
• en Afrique de l’Ouest, sur les 15 États CEMAC, figure le renforcement de la droit de la concurrence, le droit bancaire,
membres de la CEDEAO : compétitivité des activités économiques le droit de la propriété intellectuelle, le droit
– 8 États sont membres à la fois de la et financières des États membres « dans des sociétés civiles, le droit des sociétés co-
CEDEAO, de l’UEMOA et de l’OHADA, le cadre (...) d’un environnement juri- opératives et mutualistes, le droit des
– 1 État est membre à la fois de la dique rationalisé et harmonisé » ou contrats, le droit de la preuve». Or certaines
CEDEAO et de l’OHADA, « en harmonisant les règles qui contri- de ces questions, notamment le droit de
– 6 États ne sont membres que de la buent à l’amélioration de l’environne- la concurrence, sont déjà réglementées par
CEDEAO ; ment des affaires et qui régissent leur les droits communautaires (v., à ce sujet,
• en Afrique centrale, sur les 10 États fonctionnement » (respectivement les les règlements 1/99 et 4/99 de la CEMAC,
membres de la CEEAC : articles 4, a), du Traité de l’UEMOA et et les règlements 2/2002, 3/2002 et 4/2002
– 6 États sont membres à la fois de la 2, a), de la Convention UEAC). La pro- de l’UEMOA; v. aussi, pour une analyse
CEEAC, de la CEMAC et de l’OHADA, blématique de l’harmonisation et de la globale, Kamwe M.-C., Droit de confiden-
– 1 État est membre à la fois de la CEEAC modernisation du droit est donc pré- tialité et droits de la défense dans les pro-
et (potentiellement) de l’OHADA, sente aussi bien dans l’OHADA que dans cédures communautaires de concurrence :
– 3 États ne sont membres que de la les deux communautés économiques. UE, UEMOA, CEMAC, thèse de doctorat
CEEAC. Les domaines sont certes différents, mais en droit, Université Montpellier I, 2007;
L’on pourrait par ailleurs relever, à titre on peut néanmoins noter des points Priso-Essawe S.-J., L’émergence d’un droit
anecdotique, qu’au sein de la CEMAC, par communs. communautaire africain de la concurrence.
exemple, le rapprochement des dates d’en- Ces points communs sont d’abord actuels. Double variation sur une partition euro-
trée en vigueur du Traité OHADA à l’égard Le droit des affaires tel que défini par le péenne, RDI comp. 2004, p. 329). Dans
des différents États membres avec celles Traité de Port-Louis englobe les règles l’hypothèse où cette nouvelle action d’har-
des premiers Actes uniformes de l’OHADA relatives, entre autres, « au droit du monisation serait nécessaire, elle nécessi-
met en lumière une situation analogue de travail, au droit comptable, au droit (...) terait tout au moins une forte coordina-
dégroupage des appartenances au sein des transports». Or, dans ces domaines, tion entre les deux niveaux d’organisations.
cette fois-ci d’une même organisation les droits communautaires sont aussi pré- Cela s’avère d’autant plus nécessaire qu’il
(v. tableau infra). Ainsi, l’entrée en vi- sents ou prévoient de l’être. Tant l’UEMOA apparaît une concurrence entre les règles
gueur des six premiers Actes uniformes que la CEMAC avaient mis en place une des différentes organisations.
n’a d’abord concerné que quatre des six réglementation comptable avant celle de
États membres de la CEMAC, les deux l’OHADA; de même, dans le cadre de leurs B – Concurrence des règles
autres n’ayant suivi le pas que près de politiques communes des transports, des juridiques
dix-huit mois plus tard (le Traité OHADA textes ont également été adoptés (Conven- La concurrence entre les règles juridiques
– et donc les six premiers Actes uniformes tion réglementant les transports routiers de l’OHADA et celles des organisations
de l’Organisation – n’est entré en vigueur (15/84-UDEAC-146, 19 déc. 1984); Code communautaires se manifeste dans les
à l’égard du Congo et de la Guinée équa- UDEAC de la marine marchande (Acte deux sens de ce terme. Dans certains cas,
toriale que le 17 juillet 1999; les quatre 6/94-UDEAC-594, 22 déc. 1994); Code de elles concourent toutes à la réalisation
autres États membres de la CEMAC l’étaient la navigation intérieure, 17 déc. 1999 ; d’un objectif commun. Dans d’autres >

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L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

hypothèses, elles font plutôt apparaître L’UEMOA, quant à elle, a maintenu sa textuelle dans l’espace UEMOA, précité)).
des contradictions. législation comptable, ce qui génère non On peut aussi relever que le juge commu-
plus une complémentarité, mais une nautaire de la CEMAC adopte une bien
1 – Des droits parfois complémentaires confrontation (Yado Toé J., Quel ordre curieuse interprétation des liens entre le
La complémentarité entre les droits juridique dans les États d’Afrique de droit uniforme et le projet (en l’occurrence)
communautaires et le droit uniforme se l’Ouest?, Séminaire sous-régional de sen- de règlement CEMAC sur les moyens de
manifeste de deux manières : soit par la sibilisation sur le droit communautaire de paiement (v. infra à propos du croisement
conjugaison des deux, soit par l’aligne- l’UEMOA, Ouagadougou, 6 oct. 2003, § 31). des actions juridictionnelles).
ment des premiers sur le second.
2 – Des droits parfois en «confrontation»
Droits communautaires et droit uniforme b – La confrontation potentielle
se conjuguent en raison par exemple du Quelques exemples permettent d’illus- Les règles de concurrence sont aujour-
champ d’application des règles. On peut trer aussi bien la confrontation avérée d’hui régies par les communautés écono-
en effet considérer que le droit harmonisé que les cas potentiels. miques CEMAC et UEMOA, précisées par
étant destiné à moderniser les droits na- la jurisprudence communautaire lorsque
tionaux, son champ d’application serait a – La confrontation « avérée » les juridictions ont été sollicitées (ce qui
national, tandis que l’application des droits Dans le domaine des transports, la confron- n’est le cas, à ce jour, que devant le juge
communautaires serait conditionnée quant tation a lieu par exemple au sujet du contrat communautaire ouest-africain). Mais la
à elle par la dimension communautaire, de transport de marchandises par route. définition large du droit des affaires telle
en deçà de laquelle les règles nationales Le droit communautaire de la CEMAC qu’elle ressort du Traité OHADA n’exclut
auraient vocation à s’appliquer. Dans cette encadre le transport de marchandises par pas l’adoption par cette dernière d’une
hypothèse, droit harmonisé et droits com- route par une convention adoptée par le réglementation sur ces questions. Cette
munautaires se conjugueraient en effet Conseil des ministres ; l’OHADA, pour sa question des compétences croisées est ainsi
pour réaliser les objectifs de modernisa- part, a adopté un Acte uniforme sur le à même d’altérer la sécurité juridique des
tion affirmés de part et d’autre. Ce schéma transport des marchandises par route. Les investissements au sein de cette zone
pourrait s’appliquer par exemple à la deux textes indiquent, entre autres et dans d’Afrique, notamment si les textes présen-
réglementation de la concurrence (dans une énonciation similaire, les mentions tent quelques différences, voire des
la zone CEMAC, la réglementation com- obligatoires de la lettre de voiture. On peut divergences.
munautaire ne s’applique en effet que dès toutefois remarquer que la Convention La protection du consommateur ou en-
lors que les seuils définis par les articles 6 CEMAC requiert deux mentions obliga- core le droit de la propriété intellectuelle
et 11 respectivement des règlements 1/99 toires sur la lettre de voiture que ne sont d’autres domaines de friction poten-
et 4/99 et les critères de l’article 3 du requiert pas l’Acte uniforme OHADA, tielle. La volonté affirmée de l’OHADA de
règlement 1/99 sont atteints ; v. Priso- même au titre de mention facultative : se saisir de ces matières pourrait se heur-
Essawe S.-J., L’émergence d’un droit « (…) k) l’indication que le transport est ter à une volonté équivalente au sein d’une
communautaire africain de la concurrence, soumis, nonobstant toute clause contraire, communauté économique, ou encore aux
précité, p. 334). Lorsque les droits au régime établi par la présente Conven- règles posées par d’autres organisations
communautaires revendiquent une tion; (et) l) la signature de l’expéditeur, connexes, telles que l’Organisation afri-
exclusivité, la question devient autrement du transporteur et du destinataire » caine de la propriété intellectuelle (OAPI),
plus compliquée (la Cour de justice de (Convention CEMAC, art. 5, § 1). On créant ainsi, là aussi, de la confusion ou
l’UEMOA établit ainsi une compétence devine facilement l’embarras du justi- du conflit de normes.
exclusive de l’Union dans le domaine de ciable (et du juge) national quant à la En fin de compte, on peut distinguer
la concurrence, en interprétant quasi détermination du contenu des obliga- deux types de situations : celles où le
littéralement les articles 88 et 89 du Traité tions du transporteur sur la base de ces droit OHADA intervient en aval du droit
de l’Union : CJ UEMOA, avis, 27 juin 2000, règles contradictoires. communautaire, d’une part, celles où
n° 003/2000, Rec. CJ UEMOA, p. 119), et Concernant le droit financier, il a pu être le droit OHADA et le droit communau-
renvoie à l’hypothèse de la confrontation relevé que « sur la matière de l’appel taire interviennent (presque) simultané-
des droits, que nous abordons plus loin. public à l’épargne (...), le droit commu- ment, d’autre part.
Concernant la complémentarité par nautaire de l’OHADA et celui de l’UEMOA Dans le premier cas :
alignement, l’évolution des textes ont deux conceptions différentes (d)es • soit l’harmonisation OHADA intervient
communautaires dans le sens des Actes notions de titres et de valeurs mobilières» sous réserve du champ de compétence
de l’OHADA a quelquefois été constatée; (Feliho G. S., La coexistence textuelle dans communautaire et il n’y a pas de risque
c’est le cas notamment de la réglementa- l’espace UEMOA, http://droit.francopho- de confusion, au bénéfice d’une meilleure
tion comptable. Dans la CEMAC, le plan nie.org/dfweb/displayDocument.do?id= couverture et sécurité juridiques ;
comptable OHADA a remplacé les plans 13916). L’UEMOA s’appuie sur la «dicho- • soit le droit communautaire s’arrime –
comptables qui y existaient (au sein de la tomie titre de capital/titre de créance » volontairement – à la nouvelle orienta-
CEMAC, on peut citer les plans comptables (Feliho G. S., La coexistence textuelle dans tion juridique de l’OHADA et, là aussi,
général (Acte 3/70-UDEAC-113, 27 nov. l’espace UEMOA, précité), tandis que la sécurité juridique est accrue ;
1970) et sectoriels (banques et établisse- l’OHADA recourt « non seulement aux • soit enfin le droit communautaire,
ments financiers, agriculture, postes et actions ou parts de fonds commun de indépendant du droit harmonisé, ne se
télécommunications ; v. Nemedeu R., placement, mais également aux emprunts transforme pas dans le sens du nouveau
Présentation critique du texte de l’OHADA obligataires» (suivant la définition don- droit issu de l’OHADA et là, en revanche,
en matière comptable par rapport au texte née par l’article 81 de l’Acte uniforme sur la modernisation produit la disparité et
CEMAC, in Actes du séminaire sous- les sociétés commerciales et les groupes l’insécurité juridique.
régional de sensibilisation au droit d’intérêt économique, disposition rela- On pourrait inverser l’hypothèse et
communautaire de la CEMAC, Douala, tive à la définition de l’appel public à envisager une intervention ultérieure du
16 déc. 2002, Paris, GIRAF-AIF, 2003, p. 61). l’épargne (Feliho G. S., La coexistence droit communautaire. Il serait alors tout

62 R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L • J A N V I E R 2 010 • N 0 6 7
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
aussi logique que les mêmes considéra- et étrangers, tant du point de vue des La multiplication des règles internatio-
tions soient valables. juges internes que devant les juridictions nales, conséquence des adhésions mul-
Dans le cas de systèmes juridiques, communautaires. tiples des États aux organisations inter-
il semble logique que les interventions nationales parfois concurrentes, est
se fassent en bonne intelligence, et que A – Le juge national, le droit uniforme susceptible de désorienter considérable-
la coordination produise un droit harmo- et les droits communautaires ment aussi bien le justiciable que le juge.
nisé entre et au sein des différents Le droit uniforme et les droits commu- Ce risque peut cependant être relativisé
espaces juridiques concernés. En ce sens, nautaires constituent de nouvelles sources si l’on se base sur la particularité de la
la Charte des investissements adoptée de légalité pour les justiciables natio- règle uniforme par rapport au droit com-
au sein de la CEMAC prévoit que les États naux, créant pour le juge national un munautaire. Il est possible en effet que
membres se conforment au droit harmo- véritable casse-tête du fait des confron- le conflit ne surgisse pas parce que la
nisé dans le cadre de l’OHADA (Règl. tations de règles signalées plus haut. règle communautaire n’a pas atteint son
CEMAC n° 17/99, 17 déc. 1999. On La primauté des Actes uniformes OHADA seuil d’application. En dehors de cette
notera d’ailleurs que la date d’adoption est établie par le Traité de Port-Louis, qui hypothèse, le juge national devra faire
de ce règlement est de très peu posté- dispose que « les Actes uniformes sont la part des choses entre les questions
rieure à celle de l’entrée en vigueur du directement applicables et obligatoires dans relevant de chacun des deux droits
Traité OHADA pour le Congo (17 juill. les États parties, nonobstant toute dispo- extérieurs, ou alors choisir l’une des
1999) et la Guinée équatoriale (13 août deux sources de droit en fonction d’élé-
1999), derniers États membres de la ments qui lui seraient donc propres. Le
CEMAC à ratifier ledit Traité). Cela Dans le cas recours au juge extérieur pourrait aussi
devrait pouvoir signifier que la discus- de compétences croisées lui être d’une certaine aide, par le mé-
sion de nouveaux textes communautaires de systèmes juridiques, canisme du renvoi préjudiciel institué
tienne compte de l’évolution du droit il semble logique que les devant les juridictions communautaires.
OHADA, ainsi que le prévoit d’ailleurs interventions se fassent en Mais ces dernières ne sont pas non plus
la Convention de coopération signée entre bonne intelligence, et que à l’abri de croisements de leur action
les deux organisations (Accord de coopé- la coordination produise avec celle du juge de l’OHADA.
ration signé le 3 août 2001, CEMAC,
un droit harmonisé. B – Les « croisements » des actions
Recueil de textes de droit communau-
taire de la CEMAC, Paris, AIF-GIRAF, juridictionnelles communautaires
et du droit uniforme
2002, p. 269). Ce n’est malheureusement sition contraire de droit interne, antérieure
pas toujours le cas, comme le montrent ou postérieure» (Traité Port-Louis, art. 10). Les manifestations de ces croisements
les exemples énumérés plus haut. Les Traités de la CEMAC et de l’UEMOA sont multiples et des solutions tout aussi
La pluralité et la superposition, voire la prévoient eux aussi l’applicabilité directe diverses peuvent être proposées.
juxtaposition, des règles vont avoir une des règlements et directives communau-
1 – Manifestations
conséquence évidente dans leur appli- taires et leur primauté sur les lois natio-
cation, notamment par les organes juri- nales (selon l’article 44 du Traité de la Le croisement peut tout d’abord être
dictionnels, pourtant très heureusement CEMAC révisé, les Actes de la Commu- direct, c’est-à-dire par le biais du contrôle
créés ou renforcés par les droits harmo- nauté «sont appliqués dans chaque État d’un acte communautaire. La Cour de
nisé et communautaires. membre nonobstant toute législation justice de la CEMAC, dans sa fonction
nationale contraire, antérieure ou posté- consultative (CJ CEMAC, avis, 9 avr.
rieure»). Il revient alors au juge national 2003, Avant-projet de règlement sur les
II – APPLICATION DU DROIT d’assurer le respect, dans l’ordre juridique systèmes, moyens et incidents de
ET INSÉCURITÉ JURIDIQUE interne, de ces normes. paiement ; v. Revue trimestrielle de droit
L’apport de la création tant de l’OHADA Dans le cadre du droit OHADA, la Cour africain-Penant, 2007, n° 858, p. 122),
que de l’UEMOA ou de la CEMAC a été commune de justice et d’arbitrage (CCJA) a dû se frotter au droit de l’OHADA. Une
double. D’une part, leurs traités consti- se substitue au juge de dernier ressort de des dispositions du projet de règlement
tutifs ont clarifié le statut des normes l’État lorsque les Actes uniformes sont soumis à consultation prévoyait des
créées par ces deux types d’organisations concernés, mais les Cours de cassation sanctions pénales, ce que l’un des États
vis-à-vis du droit national. D’autre part, nationales restent compétentes dans tous membres, pendant la procédure, a consi-
et contrairement aux organisations les autres domaines. Elles peuvent dès lors déré comme contraire aux dispositions
d’intégration préexistantes (CEAO-UMOA se retrouver confrontées à des cas mêlant du Titre V de l’Acte uniforme sur les
en Afrique de l’Ouest, UDEAC en Afrique droit national et droit uniforme. La juris- procédures collectives d’apurement du
centrale), les Traités de Port-Louis, de prudence nigérienne en a fourni un passif (AUPCAP), lequel définit les
N’Djamena et de Dakar créent des juri- exemple intéressant (Cour suprême du infractions pénales, en laissant aux États
dictions spécifiques à ces organisations, Niger, 16 août 2001, Snar Leyma; sur ce le soin d’établir les peines correspon-
avec des compétences adaptées. Toute- conflit de juridictions, v. Meyer P., Les dantes. La Cour a observé que non
fois, si ces deux points contribuent sans conflits de juridictions dans les espaces seulement les États pouvaient décider
doute à renforcer les voies d’application OHADA, UEMOA, CEDEAO, Séminaire d’exercer en commun les compétences
et de garantie contentieuse des normes sous-régional de sensibilisation sur le droit qu’ils détenaient du Traité OHADA, mais
élaborées par lesdites organisations, ils communautaire de l’UEMOA, précité, p. 9). qu’en outre rien ne s’opposait à ce que
n’en éliminent pas pour autant des croi- Plus encore, le conflit peut opposer droit l’organe communautaire – en l’occur-
sements entre les actions juridictionnelles uniforme, droits communautaires et droit rence le Comité des ministres de l’Union
des uns et des autres, fragilisant là aussi national. monétaire de l’Afrique centrale
la sécurité recherchée pour tous, et Le risque est certain pour le juge national (UMAC) – adopte des dispositions
notamment les investisseurs nationaux de se retrouver dans un embarras de choix. relevant de ses attributions. Toutefois, >

N 0 6 7 • J A N V I E R 2 010 • R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L 63
L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

et c’est là le plus important, elle a Communauté. On peut relever par La concertation se fait également entre
relevé que certaines des dispositions du exemple que la directive de la CEMAC les juridictions des deux types d’organi-
projet de règlement étaient susceptibles relative à l’harmonisation de la taxe sur sations. Nombre de séminaires communs
de porter atteinte à l’AUPCAP, alors la valeur ajoutée consacre quelques-unes permettent en effet aux membres des
même que la primauté des Actes uni- de ses dispositions au recouvrement, au Cours CEMAC, UEMOA et OHADA
formes de l’OHADA visait aussi les redressement et au contentieux. Elle ren- d’évoquer des problèmes communs.
« normes primaires et dérivées issues voie pour cela aux procédures nationales Force est cependant de constater que cette
du Traité de la CEMAC » (sic). Deux pertinentes, mais ce renvoi résulte moins concertation n’a pas toujours fonctionné.
remarques méritent d’être faites sur cette d’une incompétence communautaire à Elle aurait pourtant évité quelques-unes
position : régir ces questions que d’une sorte de des divergences que nous avons relevées
• la référence par la Cour à l’article 10 self-restraint. plus haut. Quant aux juridictions, la juris-
du Traité OHADA est injustifiée, dans Le croisement peut ensuite être indirect : prudence, certes peu abondante, ne donne
la mesure où cette disposition ne pré- un arrêt de l’une ou l’autre des juridic- pas encore à observer un réel travail de
voit la primauté des Actes uniformes tions extérieures peut en effet avoir compréhension mutuelle de la spécificité
qu’à l’égard du droit interne des États un impact sur l’application d’un acte de chacun des systèmes, et des dangers
membres. Mais en tout cas, cette posi- communautaire ou d’un Acte uniforme, que comportent leurs intersections.
tion est la sienne, et est susceptible d’être sans pour autant que l’acte en question – ou
prolongée dans un contentieux ou dans son application par une autorité nationale – b – La répartition
un arrêt préjudiciel ; sauf revirement... Il s’agit ici d’une solution lourde,
souhaitable ; compliquée, consistant à revoir les
• malgré tout, au-delà de la vision que traités des deux types d’organisations,
l’on peut avoir de l’article 10 du Traité La multiplication afin de procéder à une répartition :
OHADA, le juge communautaire opère des règles internationales • des compétences entre elles (revoir par
une interprétation des Actes uniformes, est susceptible exemple la définition du droit des affaires
avec le risque que cette interprétation de désorienter au regard de l’existence des droits
diverge de celle donnée par la CCJA, considérablement communautaires) ;
normalement apte à y procéder. aussi bien le justiciable • des compétences matérielles entre les
La situation peut théoriquement être la que le juge. juridictions concernées (dans l’hypothèse
même devant le juge de l’OHADA. Il ne où les domaines de ces deux organisa-
peut être exclu qu’un contentieux éma- tions resteraient inchangés).
nant d’une juridiction nationale de la Il est évident – et la récente révision du
zone CEMAC arrive devant la Cour soit directement l’objet du contentieux (ou Traité de Port-Louis l’a montré – que cette
d’Abidjan, dès lors qu’un requérant de la consultation). On peut ainsi relever option de refonte des traités dans une
arguerait de ce que des dispositions de que les juridictions communautaires peu- perspective concertée n’emporte pas
droit interne (qui, le cas échéant, seraient vent être saisies, par voie de compromis, l’adhésion des États – et probablement
prises en application du règlement de «différends entre États membres ayant pas des organisations en cause.
concerné) sont contraires à l’AUPCAP. un lien avec le Traité et les textes subsé-
La CCJA ne pourrait donc résoudre le quents». Hypothèse probablement incluse c – La coopération
conflit sans se prononcer sur la validité ici, celle dans laquelle un différend résul- Face aux risques juridiques de superpo-
de l’acte communautaire concerné. Ainsi, terait d’un Acte uniforme «ayant un lien sition et de jurisprudences incidentes,
dans un avis du 30 avril 2001, tout en avec le traité». Qu’adviendrait-il alors? il peut être utile d’instaurer des méca-
relevant que « le droit fiscal ne fait pas La multiplication des carrefours entre les nismes mutuels de dialogue juridiction-
partie à ce jour (soulignons la précision droits communautaires et le droit har- nel formel entre les deux types de juri-
« à ce jour », montrant bien l’importance monisé accroît donc les risques de croi- dictions. Ce dialogue pourrait revêtir deux
de la rédaction de l’article 2 du Traité de sements contentieux, directs ou indirects. formes.
Port-Louis...) des matières rentrant dans Aussi convient-il d’explorer les solutions Il peut tout d’abord être de type préju-
le domaine du droit des affaires harmo- envisageables. diciel, lorsque l’une des juridictions est
nisé tel que défini par l’article 2 du Traité saisie d’un contentieux mettant en cause
2 – Quelles solutions ?
relatif à l’harmonisation du droit des un acte relevant de l’autre organisation.
affaires en Afrique », la CCJA a néan- Trois solutions peuvent être proposées. Cette procédure permettrait ainsi à
moins précisé que « si les procédures chacune des juridictions de respecter les
fiscales postérieures à la date d’entrée a – La concertation compétences de l’autre, et surtout
en vigueur de l’Acte uniforme concerné L’accord signé entre l’OHADA et la d’éviter tout risque de mauvaise inter-
(en l’espèce, l’Acte uniforme sur le CEMAC prévoit notamment que les deux prétation des règles juridiques relevant
recouvrement simplifié et les voies d’exé- organisations « s’accordent à coopérer de l’ordre juridique auquel appartient
cution) mettent en œuvre des mesures dans (...) la définition des domaines l’autre.
conservatoires, mesures d’exécution d’harmonisation du droit des affaires » Le dialogue peut aussi être orienté vers
forcée et procédures de recouvrement (Accord précité, art. 2). Il est donc à des résolutions de conflit de compé-
déterminées par ledit Acte uniforme, ces espérer que l’application par le Conseil tence, sur le modèle d’un tribunal des
procédures fiscales doivent se conformer des ministres de l’OHADA de l’article 2 conflits, lorsque l’une ou l’autre, voire
aux dispositions de celui-ci» (CCJA, avis, du Traité de Port-Louis tiendra compte les deux, s’estime (in)compétente, et
30 avr. 2001, n° 001/2001/EP). Or de de la production juridique de chaque qu’une des parties au différend estime
telles dispositions peuvent résulter aussi communauté économique dont les l’inverse; le juge du conflit pourrait alors
d’un acte communautaire dans le cadre États sont également parties au Traité être une chambre commune OHADA
de la politique fiscale poursuivie par la OHADA. Communauté.

64 R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L • J A N V I E R 2 010 • N 0 6 7
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
Le champ d’investigation est donc large, la problèmes de la sécurité des affaires et des plement d’appliquer les dispositions légis-
prospective bienvenue et l’imagination investissements dans les régions d’Afrique latives ou réglementaires en vigueur, y est
sollicitée afin de permettre une meilleure centrale et occidentale ne résultent pas pour beaucoup. Il semble donc important
rationalisation de l’aménagement juridique d’abord des cas de dysfonctionnement de que des efforts croisés des acteurs de
du cadre des affaires et des investissements. l’agencement des différentes strates du droit l’extérieur et de l’intérieur se conjuguent
Nul doute que d’autres circonstances per- de l’investissement et des affaires; l’appli- pour converger vers une amélioration de
mettront, dans les mois qui viennent, d’ap- cation imparfaite du droit dans les États, l’encadrement et de la protection juridiques
profondir ces questions. En attendant, il est qu’il s’agisse de mettre en œuvre des règles de l’activité économique et de l’investisse-
important de relever malgré tout que les communautaires ou uniformes, ou tout sim- ment, étranger ou national. ◆

ENTRÉE EN VIGUEUR DU TRAITÉ OHADA ET DES ACTES UNIFORMES À L’ÉGARD DES ÉTATS PARTIES
MEMBRES ÉGALEMENT DE COMMUNAUTÉS ÉCONOMIQUES

Zone Entrée
État partie AUDGG (1) AUSCGIE (2) AUS (3) AUPSRVE (4) AUPCAP (5) AUA (6) AUCE (7) AUCE (7) AURCMR (8)
communautaire en vigueur

Centrafrique CEMAC-CEEAC 18/09/95 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Tchad CEMAC-CEEAC 02/07/96 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Cameroun CEMAC-CEEAC 03/12/96 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Gabon CEMAC-CEEAC 05/04/98 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Congo CEMAC-CEEAC 17/07/99 17/07/99 17/07/99 17/07/99 17/07/99 17/07/99 17/07/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Guinée
Equatoriale CEMAC-CEEAC 13/08/99 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Bénin UEMOA-CEDEAO 18/09/95 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Mali UEMOA-CEDEAO 18/09/95 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Sénégal UEMOA-CEDEAO 18/09/95 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Niger UEMOA-CEDEAO 18/09/95 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Burkina Faso UEMOA-CEDEAO 18/09/95 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Togo UEMOA-CEDEAO 19/01/96 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Côte d’Ivoire UEMOA-CEDEAO 11/02/96 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Guinée
Bissau UEMOA-CEDEAO 20/02/96 01/0198 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Comores 18/09/95 01/01/98 01/01/98 01/01/98 10/07/98 01/01/99 11/06/99 01/01/01 01/01/02 01/01/04

Guinée 21/11/00 21/11/00 21/11/00 21/11/00 21/11/00 21/11/00 21/11/00 01/01/01 01/01/02 01/01/04

(1) Acte uniforme relatif au droit commercial général.


(2) Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et des groupements d’intérêt économique.
(3) Acte uniforme relatif au droit des sûretés.
(4) Acte uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
(5) Acte uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du passif.
(6) Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage.
(7) Acte uniforme relatif à l’organisation et l’harmonisation de la comptabilité des entreprises.
(8) Acte uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route.

* Tableau établi à partir de données recueillies sur le site de l’UNIDA (www.OHADA.com), agencées et complétées par nos soins. >

N 0 6 7 • J A N V I E R 2 010 • R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L 65
L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

RLDC
3696

Par Dr. Louis-Daniel


MUKA TSHIBENDE
Centre de droit économique –
Université Paul-Cézanne
S’installer pour affaires
(Aix-Marseille III)
Département de droit
économique et social –
Université protestante
dans l’espace OHADA*
au Congo-Kinshasa

Le thème retenu pour ce colloque I – ASPECTS JURIDIQUES Les conditions de l’exercice du commerce
constitue l’une des principales GÉNÉRAUX par les étrangers au sein du périmètre
finalités de l’Organisation pour OHADA revêtent donc une certaine
l’harmonisation en Afrique du droit Le commerçant personne physique (A) doit, importance, d’autant qu’elles appellent
des affaires (OHADA). L’objectif s’agissant de cette première catégorie une application des règles relatives à
d’aspects, être distingué du commerçant l’entrée et au séjour dans cet espace,
avoué étant la restauration
personne morale (B). questions relevant des législations des
de la confiance des opérateurs
États membres concernant la condition
économiques, les États parties A – Le commerçant personne des étrangers (c’est ainsi, par exemple,
au Traité de Port-Louis ont assez physique que, pour le Gabon, il faut solliciter un
vite intégré le fait que cela ne peut Le législateur OHADA a édicté des règles visa d’affaires et, une fois sur place, de-
se réaliser que par la sécurisation relatives à l’acquisition du statut de mander un titre de séjour ; tandis que,
des investissements. Ainsi, un certain commerçant (1) et aux obligations inhé- pour la Côte d’Ivoire et le Cameroun, il
nombre de dispositifs a été mis en rentes à ce statut (2). n’y a pas de visa type, mais pour pou-
place afin d’attirer les investisseurs, voir obtenir un titre de séjour il faut y
1 – Devenir commerçant en OHADA résider au minimum trois mois ; et c’est
notamment étrangers. Comment
ceux-ci se traduisent-ils en pratique ? Dans l’espace OHADA, l’exercice du ainsi que, au Sénégal, les ressortissants
commerce est libre. Mais comme toute li- de l’Union européenne sont dispensés
Autrement dit, quelles sont les règles
berté, celle du commerce n’est pas de visa (la présentation d’un passeport
qui doivent être respectées par les
absolue : son exercice est très encadré. valide et d’un carnet de vaccination à
opérateurs économiques pour pouvoir Pour accéder à la profession commerciale, jour suffisant), mais au-delà d’un séjour
s’installer et faire des affaires dans il faut avoir la capacité d’exercer le de trois mois, une carte de résident est
l’espace OHADA dans une totale commerce et s’inscrire sur le registre du indispensable). Il sied de relever qu’en
sécurité juridique ? commerce et du crédit mobilier (RCCM). ce qui concerne la qualité de commer-

L a réponse à ces questions dépasse


le cadre du droit des affaires. En
effet, l’installation dans l’espace OHADA
N’est donc pas commerçant qui le veut,
puisque le commerçant est défini (a),
et cela, au regard de la notion d’actes de
çant, le législateur OHADA ne fait au-
cune distinction entre les ressortissants
des États membres et les étrangers. Il en
passe par l’accomplissement d’un certain commerce (b). résulte que l’étranger qui s’installe dans
nombre de formalités administratives qui l’espace OHADA sera soumis à l’Acte
sont loin d’être négligeables. Il s’agit par a – Définition du commerçant uniforme.
exemple de celles prévues par les législa- Aux termes de l’Acte uniforme relatif au
tions des États membres sur les conditions droit commercial général, le commer- b – Aperçu des actes de commerce
d’entrée et de séjour des étrangers. Ces çant est celui qui accomplit des actes de Pris en compte dans la définition du
règles n’étant pas prévues par le droit de commerce et en fait sa profession habi- commerçant, les actes de commerce sont
l’OHADA, l’investisseur étranger devra tuelle (Acte uniforme portant droit également régis par les dispositions de
donc se renseigner sur la législation de commercial général, 17 avr. 1997, art. 2 l’Acte uniforme portant droit commer-
l’Etat dans lequel il projette de s’installer. (ci-après A.u.-Com.), JO OHADA, n° 1, cial général. Une distinction y est opé-
C’est après ces étapes préalables qu’il faut 1er oct. 1997, p. 1). Dans le contexte rée entre les actes de commerce par
envisager les questions ayant trait à romano-germanique, cette définition objet ou par nature (ces actes de com-
l’activité commerciale, à savoir les condi- paraît être des plus classiques. merce font l’objet d’une énumération
tions de l’accès à la profession commer- Concernant la capacité commerciale, il longue et non exhaustive ; v. A.u.-Com.,
ciale et de l’exercice du commerce, de ressort des termes de l’Acte uniforme sus- art. 3 : l’achat de biens, meubles ou
même que les différentes obligations qui visé que «nul ne peut accomplir des actes immeubles, en vue de leur revente ; les
pèsent sur le commerçant pendant l’exer- de commerce à titre de profession habi- opérations de banque, de bourse, de
cice de son activité. tuelle s’il n’est juridiquement capable change, de courtage, d’assurance, et de
Seront ainsi abordés, d’une part, quelques d’exercer le commerce» (A.u.-Com., art. 6). transit ; les contrats entre commerçants
aspects juridiques généraux d’une instal- En tant que question relative au statut per- pour les besoins de leur commerce ;
lation pour affaires (I) et, d’autre part, sonnel, le régime de la capacité est réglé l’exploitation industrielle des mines,
les principaux aspects comptables et par chaque droit national (Santos A. P. et carrières et de tout gisement de ressources
fiscaux (II). Yado Toé J., OHADA, Droit commercial naturelles ; les opérations de location de
général, Bruxelles, Bruylant, coll. Droit meubles; les opérations de manufacture,
* La présente étude est le fruit du travail collectif des
uniforme, 2002, p. 95). Mais en règle de transport et de télécommunication ;
membres du Club OHADA Aix-Marseille (COAM). Ont générale, l’incapacité frappe les mineurs, les opérations des intermédiaires de
activement participé à son élaboration, outre l’orateur : les majeurs incapables et les personnes commerce, telles que commission, cour-
Melles Olivia Betoe Bi Evie, Viany Onanga Opissina, Christelle
Yabi ; ainsi que MM. Ngagne Fave, Armand Joseph Mendy et
ayant fait l’objet d’une interdiction d’exer- tage, agences, ainsi que les opérations d’in-
Djibril N’Diaye. cer le commerce. termédiaire pour l’achat, la souscription,

66 R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L • J A N V I E R 2 010 • N 0 6 7
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
la vente ou la location d’immeubles, registre local. Cette juridiction est, commerciales (a), ainsi qu’à des règles
de fonds de commerce, d’actions ou de dans la plupart des États membres de particulières à certaines sociétés (b).
parts de société commerciale ou immobi- l’OHADA, le tribunal de première ins-
lière; les actes effectués par les sociétés tance statuant en matière commerciale a – Le régime commun
commerciales) et ceux par la forme (Santos A. P. et Yado Toé J., OHADA, De manière tout à fait classique, les règles
(A.u.-Com., art. 4 : lettre de change, billet Droit commercial général, op. cit., p. 115). à observer en vue de la création d’une
à ordre et warrant). Après vérification de la conformité de la société commerciale dans l’espace OHADA
Comme son homologue français dont il demande par rapport aux pièces justifi- – et ce quelle que soit sa forme – sont
s’est beaucoup inspiré, le législateur catives produites, le greffe procède à l’ins- relatives à l’actionnariat, aux apports, aux
OHADA a retenu la spécificité des actes cription proprement dite et au classe- statuts et à l’immatriculation.
de commerce en vertu de laquelle ils peu- ment du dossier auquel il attribue un S’agissant de l’actionnariat, le législateur
vent se prouver par tous moyens à l’égard numéro. Il transmet par la suite un exem- n’établit aucune discrimination entre les
des commerçants (v. A.u.-Com., art. 5). plaire du dossier au fichier national et sociétés commerciales en raison de la
au fichier régional tenu auprès de la Cour composition de l’actionnariat (à propos
2 – Les obligations du commerçant commune de justice et d’arbitrage (CCJA). de la qualité d’associé, v. notamment Acte
Une distinction est généralement faite Ces deux fichiers constituent pour les uniforme relatif au droit des sociétés
entre les obligations juridiques générales opérateurs économiques une importante commerciales et du groupement d’intérêt
concernant le RCCM (a) et les obliga- mine d’informations. économique, 17 avr. 1997, art. 7 à 9 –
tions comptables (b). ci-après A.u.-Soc. – JO OHADA, n° 2,
1er oct. 1997, p. 1). Les sociétés dont le
a – Les obligations juridiques Le législateur OHADA capital est majoritairement détenu par des
Pour obtenir la qualité de commerçant à a retenu la spécificité étrangers trouvent dans ce principe un
titre professionnel, il faut obligatoirement des actes de commerce facteur de sécurité et de prospérité pour
s’inscrire au RCCM, le législateur ayant posé en vertu de laquelle leurs investissements dans la mesure où
le principe de l’immatriculation au RCCM ils peuvent se prouver elles pourront concourir à armes égales
des personnes physiques et morales par tous moyens avec les opérateurs économiques locaux.
commerçantes (A.u.-Com., art.19, 1°, aetb), à l’égard Pour ce qui est des apports, le droit OHADA
des succursales et des établissements des commerçants consacre le triptyque traditionnel numé-
secondaires (A.u.-Com., art. 140 a), et de raire-nature-industrie (A.u.-Soc., art. 37
l’inscription des intermédiaires de commerce et s.). En ce qui concerne les statuts, il est
(A.u.-Com., art. 25 et 27). La demande d’im- b – Les obligations comptables à noter qu’ils donnent généralement lieu
matriculation doit être effectuée, pour les Le commerçant est assujetti à une série à un passage devant notaire, puisque, en
personnes physiques, dans le premier mois d’obligations relatives à l’établissement et effet, lorsqu’ils ne sont pas portés par un
d’exploitation ; et pour les personnes à la tenue de la comptabilité, à sa acte authentique (notarié), ils ne peuvent
morales, dans le mois de leur constitution production ou à sa communication à des qu’avoir la forme d’un acte sous seing
(A.u.-Com., art. 25 et 27). Elle doit conte- ayants droit désignés par le législateur, privé à déposer au rang des minutes d’un
nir des informations relatives à la personne ainsi qu’aux formalités de publicité qui notaire (A.u.-Soc., art. 10 et s.). Le recours
du commerçant et à son activité. doivent être observées en la matière. Ces à ce professionnel est également un fac-
La demande d’immatriculation concer- règles contribuent à la sécurisation des ac- teur de sécurité pour les créateurs d’en-
nant une personne physique doit indi- tivités non seulement du commerçant lui- treprise. En matière d’immatriculation, en-
quer les nom, prénom, domicile, date et même à qui elles offrent des instruments fin, comme les commerçants personnes
lieu de naissance et nationalité de de pilotage ou de support de décisions physiques, les sociétés sont tenues d’y pro-
l’assujetti ; et concernant les informa- adéquats, mais également des partenaires céder, sous réserve des cas de la société
tions relatives à l’activité exercée, le d’affaires éventuels de ce dernier. en participation (A.u.-Soc., art. 854 et s.)
commerçant doit mentionner le nom sous Si elles font l’objet de développements et de la société de fait (A.u.-Soc., art. 115,
lequel il exerce le commerce et, s’il y a ultérieurs, l’on peut néanmoins d’ores et 864 et s.).
lieu, l’enseigne utilisée, et préciser le ou déjà relever qu’elles permettent, d’une
les activités qu’il entend exercer et la part, aux commerçants personnes phy- b – Les dispositions spécifiques
forme de l’exploitation (sur ces indica- siques et aux dirigeants des sociétés Ces dispositions sont essentiellement
tions, v. A.u.-Com., art. 25). commerciales de suivre de près l’évolu- relatives au montant minimal du capital
Lorsque la demande d’immatriculation tion des affaires et d’adapter leur action social qui est exigé pour certaines formes so-
concerne une personne morale, elle doit en conséquence et, d’autre part, aux ciétaires. Pour les sociétés à responsabilité
mentionner l’identité de la personne autres destinataires de l’information limitée (SARL), il est de 1 000 000 francs CFA
morale, le sigle ou l’enseigne, le ou les ac- comptable et financière d’être au fait de (A.u.-Soc., art. 311). Dans le cas des socié-
tivités exercées, la forme juridique, le mon- la situation de l’entreprise. tés anonymes, le capital social minimal
tant du capital social avec l’indication des est de 10 000 000 francs CFA (A.u.-Soc.,
apports en numéraire et l’évaluation des B – Le commerçant personne morale art. 387), montant multiplié par dix – soit
apports en nature, l’adresse du siège social L’installation pour affaires dans l’espace 100 000 000 francs CFA – en cas d’appel
et la durée de la personne morale; elle doit OHADA peut également se faire par la public à l’épargne (A.u.-Soc., art. 824).
également contenir des informations rela- création d’une personne morale (1), être
tives à l’identité des associés et aux organes juridique qu’il faudra ensuite faire vivre (2). 2 – Faire vivre la société créée
sociaux (A.u.-Com., art. 27). La législation OHADA donne aux
La demande d’immatriculation doit être 1 – Créer une société en OHADA sociétés, après leur création, la possibi-
effectuée auprès du greffe du tribunal de La création des sociétés obéit à un régime lité de pouvoir évoluer en toute sécurité
la juridiction compétente qui tient le juridique commun à toutes les sociétés de manière isolée (a) mais également >

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L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

dans le cadre d’un groupement de active que d’intervention interne et d’elles – la société mère – de contrôler
sociétés (b). externe (v. Muka Tshibende L.-D., les autres (A.u.-Soc., art. 173). Quant au
L’information des actionnaires, source contrôle, il s’entend de la détention du
a – La société prise isolément d’un contre-pouvoir dans les sociétés pouvoir de décision au sein de la société
De la société comme être juridique, le anonymes de droit français et du péri- (A.u.-Soc., art. 174). La société mère est
législateur OHADA a prévu les règles de mètre OHADA, op. cit.). définie comme étant celle qui possède
la gouvernance et du financement. plus de la moitié du capital d’une autre
Financement société, celle-ci étant sa filiale (A.u.-Soc.,
Fonctionnement et gouvernance Des possibilités de financement variées art. 179).
Mû par le souci d’équilibrer les pouvoirs sont effectivement offertes aux entreprises. L’existence du groupe induit principale-
au sein des sociétés, le droit OHADA Toutes ne sont cependant pas régies par ment l’obligation pour la société mère
définit les règles relatives à la direction le droit OHADA. Ainsi notamment de d’établir des comptes de groupe. Elle peut
et au contrôle tant censorial qu’actionna- l’emprunt bancaire, car si le recours au également donner lieu à l’application des
rial des sociétés commerciales (pour un système bancaire pour la levée des fonds dispositions relatives aux participations
aperçu global, v. Muka Tshibende L.-D., constitue le mode traditionnel de finance- réciproques, dispositions par lesquelles le
L’information des actionnaires, source ment des entreprises, les règles régissant seuil de participation réciproque admis
d’un contre-pouvoir dans les sociétés les prêts bancaires sont cependant élabo- pour les SARL et les sociétés anonymes
anonymes de droit français et du péri- rées par les États membres dans le cadre est fixé à 10 % (A.u.-Soc., art. 176 à 178).
mètre OHADA, préf. Mestre J., PUAM, de l’Union économique et monétaire ouest-
coll. Institut de droit des affaires, 2009). africaine (UEMOA) et de la Communauté Le groupement d’intérêt économique
La législation OHADA est en effet venue économique et monétaire de l’Afrique Le législateur OHADA offre également aux
préciser, pour chaque type de société, les centrale (CEMAC). opérateurs économiques la possibilité de
pouvoirs au sens large et les devoirs des En revanche, le législateur OHADA a constituer un groupement d’intérêt éco-
dirigeants sociaux (v. A.u.-Soc., art. 276 élaboré un corps détaillé des règles rela- nomique (GIE), structure de collaboration
et s., pour la société en nom collectif ; tives aux emprunts obligataires auxquels entre entreprises préexistantes. Doté de la
art. 298 et s., pour la société en comman- les sociétés peuvent recourir. Sont ainsi personnalité morale et obligatoirement
dite simple ; art. 323 et s., pour la SARL ; édictées des règles concernant l’émission immatriculé au RCCM. (A.u.-Soc., art. 872),
art. 414 et s., pour la société anonyme), des obligations et les droits et prérogatives le GIE a pour but exclusif de mettre en
ainsi que les conditions de l’engagement des obligataires (v. A.u.-Soc., art. 779 et s.). œuvre pour une durée déterminée tous
de leur responsabilité (A.u.-Soc., art. 161 Le droit OHADA donne également aux les moyens propres à faciliter ou à déve-
et s. et 330 à 332). La sécurité réside ici opérateurs économiques la faculté de se lopper l’activité économique de ses
dans la possibilité donnée aux dirigeants (re)financer en faisant appel public à membres (A.u.-Soc., art. 869).
d’entreprise de prévenir la mise en jeu l’épargne (A.u.-Soc., art. 81 et s.). Est ainsi
de la responsabilité en ayant une conduite prévu un dispositif relatif à la transparence
adaptée. L’on relèvera avec intérêt, dans des opérations, dispositif au cœur duquel II – ASPECTS COMPTABLES
le régime des sociétés anonymes, d’une se trouvent l’obligation de publier des ET FISCAUX
part, la dissociation possible de la direc- documents destinés à assurer l’informa- Les opérateurs économiques qui souhai-
tion générale et de la présidence du tion du public sollicité, le contrôle desdits tent faire des affaires dans l’espace
conseil d’administration (A.u.-Soc., documents par les autorités de régulation OHADA trouveront dans les règles comp-
art. 415), consacrée bien avant la loi des marchés financiers locaux, ainsi qu’une tables (A) et fiscales (B) en vigueur une
n° 2001-420 du 15 mai 2001, dite « nou- palette de sanctions punissant la violation grande prévisibilité, facteur de sécurité.
velles régulations économiques » et, du régime ainsi établi (A.u.-Soc., art. 886
d’autre part, la possibilité, lorsque le et s. ; dispositions complétées par les A – Aspects comptables
nombre d’actionnaires est d’au plus trois, régimes juridiques spécifiques des mar- Le législateur OHADA met à la charge
d’opter pour la forme de société ano- chés financiers de l’UEMOA, de la CEMAC des commerçants un certain nombre
nyme sans conseil d’administration et du Cameroun. Pour un aperçu détaillé, d’obligations comptables, l’observation
mais avec un administrateur général v. Muka Tshibende L.-D., L’information par les opérateurs économiques de ces
(A.u.-Soc., art. 414). des actionnaires, source d’un contre-pou- obligations (1) ainsi que des principes (2)
Le droit OHADA est également venu voir dans les sociétés anonymes de droit qui gouvernent leur mise en œuvre consti-
renforcer le contrôle censorial dans les français et du périmètre OHADA, op. cit.). tuant un impératif.
États membres. Il a ainsi rendu la dési-
gnation du contrôleur légal des comptes b – Les groupements de sociétés 1 – Les obligations comptables
obligatoire dans les sociétés anonymes Il découle des dispositions du droit Doivent dans ce domaine être évoqués :
(A.u.-Soc., art. 694 et 702) et optionnelle OHADA la possibilité pour toute société les livres comptables dont la tenue est
dans les SARL (A.u.-Soc., art. 376) ; il a commerciale d’être perçue et d’évoluer obligatoire (a), les différents systèmes de
par ailleurs défini avec précision les droits, de manière non isolée, soit en faisant présentation des comptes prévus (b),
pouvoirs et devoirs des commissaires aux partie d’un groupe de sociétés, soit en ainsi que les régimes particuliers des éta-
comptes, ainsi que les règles gouvernant participant à la création d’un groupe- blissements bancaires et des entreprises
leur désignation, leur éviction, ainsi que ment d’intérêt économique. d’assurance (c).
la mise en jeu de leur responsabilité.
S’agissant du contrôle actionnarial Les groupes de sociétés a – Les livres comptables obligatoires
– exercé par les associés –, celui-ci se Le législateur OHADA définit le groupe Les commerçants personnes physiques
trouve également renforcé par des règles de sociétés comme étant l’ensemble comme personnes morales sont dans
définissant leurs prérogatives en matière formé par des sociétés unies entre elles l’obligation d’établir des livres comp-
aussi bien d’information passive et par des liens divers qui permettent à l’une tables. Il s’agit du livre-journal, du livre

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PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
d’inventaire et du grand livre auquel fiques (A.u.-Compt., art. 5). Ces régimes tat de chaque exercice doit être indépen-
est liée une balance générale récapitu- particuliers sont élaborés dans le cadre dant de celui qui le précède et de celui
lative (v. A.u.-Com., art. 13 et 17 ; de l’UEMOA, de la CEMAC et de la Confé- qui le suit (A.u.-Compt., art. 59).
v. Acte uniforme portant organisation rence interafricaine des marchés d’assu- Un autre principe, celui de la continuité
et harmonisation des comptabilités des rance (CIMA). de l’exploitation, postule que, pour l’éta-
entreprises, 24 mars 2000, art. 19, (ci-après blissement de ses états financiers an-
A.u.-Compt.), JO OHADA, n° 10, p. 1). nuels, le commerçant, personne physique
Les commerçants personnes morales sont 2 – Les principes comptables ou morale, est présumé poursuivre ses
par ailleurs tenus d’établir des états Le droit OHADA consacre les principaux activités dans un avenir raisonnablement
financiers de synthèse ou comptes standards de la comptabilité moderne (a). prévisible (A.u.-Compt., art. 39).
annuels (A.u.-Com., art. 17). Il s’agit du Une importance singulière est accordée à
bilan, du compte de résultat, de l’annexe, deux exigences fondamentales (b). Et le b – Les exigences fondamentales
ainsi que du tableau financier des contrôle interne est également appréhendé(c). Deux exigences fondamentales contri-
ressources et des emplois et de l’état buant à la qualité des comptes ont éga-
statistique (A.u.-Compt., art. 8 et 12). Le a – Les principes conventionnels lement été établies en droit OHADA.
contenu de ces documents est précisé. Le législateur OHADA a consacré une En vertu de l’exigence de régularité et de
Lorsque le commerçant personne morale série de principes conventionnels dans sincérité des comptes, il est posé que les
est une société qui se trouve à la tête le but notamment de faciliter la compré- états financiers de synthèse annuels ou
d’un groupe de sociétés, il doit, en sus hension des informations fournies par consolidés doivent décrire de façon
de ses états financiers de synthèse les états financiers des entreprises. régulière et sincère les événements,
annuels, établir et publier, selon le cas, C’est ainsi que l’Acte uniforme portant opérations et situations de l’exercice
des comptes consolidés (A.u.-Compt., (A.u.-Compt., art. 8, 22 et 100).
art. 74) ou des comptes combinés (A.u.- L’application du système Pour ce qui est de l’exigence de l’image
Compt., art. 103), le législateur s’étant comptable OHADA fidèle, elle est importante puisque les
en outre employé à fixer un corps de états financiers devront toujours donner
implique que la règle de
règles relatives à la détermination du pé- une image fidèle du patrimoine, de la
rimètre de consolidation et de combinai-
prudence soit en tout cas situation financière et du résultat de
son ainsi que des méthodes de consoli- observée, à partir d’une l’entreprise (A.u.-Compt., art. 8).
dation et de combinaison des comptes. appréciation raisonnable
des opérations c – Le contrôle interne
b – Les différents systèmes à enregistrer au titre Le législateur supranational de l’OHADA
de présentation de l’exercice. impose enfin aux sociétés de mettre en
Le droit OHADA ouvre aux sociétés com- place un système de contrôle interne.
merciales la possibilité, en fonction de droit comptable dispose que l’applica- Obligation est en effet faite aux respon-
leur taille, d’opter pour une présentation tion du système comptable OHADA im- sables des comptes de mettre en place
simplifiée de leurs comptes annuels. plique que la règle de prudence soit en et en œuvre des procédures de contrôle
Il est ainsi prévu que chaque entreprise tout cas observée, à partir d’une appré- interne indispensables à la connaissance
est, sauf exception liée à sa taille, sou- ciation raisonnable des événements et qu’ils doivent normalement avoir de la
mise au système normal de présentation des opérations à enregistrer au titre de réalité et de l’importance des événe-
des états financiers et de tenue des l’exercice (A.u.-Compt., art. 6). ments, opérations et situations liés à
comptes (A.u.-Compt., art. 11, al. 2). Pour permettre la comparaison des l’activité de l’entreprise (A.u.-Compt.,
En revanche, lorsque le chiffre d’af- comptes sociaux, le principe de la per- art. 6).
faires de l’entreprise est inférieur à manence des méthodes impose une pré-
100 000 000 francs CFA, la société a la sentation identique des états financiers B – Aspects fiscaux
faculté d’utiliser le système allégé annuels de l’entreprise d’un exercice à Il convient, en ce qui concerne les consi-
(A.u.-Compt., art. 11, al. 3). l’autre (A.u.-Compt., art. 34), les chan- dérations fiscales, de distinguer la fisca-
Enfin, pour ce qui est des très petites gements dans la présentation devant être lité générale (1) des fiscalités particu-
entreprises dont les recettes annuelles portés à la connaissance des actionnaires lières (2).
ne dépassent pas certains seuils fixés, (A.u.-Compt., art. 41).
elles sont, sauf utilisation volontaire du Quant au principe des coûts historiques 1 – La fiscalité générale
système normal ou du système allégé, assu- (nominalisme), il postule qu’à la date de Retiennent particulièrement l’attention des
jetties au système minimal de trésorerie leur entrée dans le patrimoine de l’en- investisseurs : la taxation des opérations
(A.u.-Compt., art. 13, al. 2). treprise, les biens acquis à titre onéreux de création de la société (a), ainsi que
sont enregistrés à leur coût d’acquisition, l’imposition des revenus d’activité (b).
c – Les cas particuliers : banques, ceux acquis à titre gratuit le sont à leur
établissements financiers et assureurs valeur vénale, et ceux produits à leur a – La taxation de la création
En tenant compte de l’existence d’autres coût de production (A.u.-Compt., de la société
organisations sous-régionales(de type art. 35). Son application est tempérée Plutôt que de parler d’imposition, il
sous-régional) dans le cadre desquelles par le recours à la notion de juste valeur conviendrait d’user du vocable générique
sont harmonisées ou uniformisées cer- (A.u.-Compt., art. 42 et 63). de taxation. En effet, à ce stade de la
taines branches du droit des affaires, le Le principe de l’indépendance des exer- constitution de la société, un certain
législateur OHADA pose par réalisme que cices implique que les informations nombre de droits divers doivent être
les banques, les établissements finan- comptables couvrent des périodes de acquittés qui sont pour l’essentiel
ciers et les entreprises d’assurances sont douze mois appelées exercices. Le légis- fiscaux, mais aussi administratifs et par-
assujettis à des plans comptables spéci- lateur énonce à ce propos que le résul- fois des honoraires de notaire. À titre >

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L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

illustratif, l’on peut considérer le cas du milaires prévoyant l’impôt sur les socié- la fiscalité est plus incitative quant à
Sénégal et celui du Bénin. tés, l’impôt sur les revenus des personnes l’implantation des entreprises, par
physiques et des contributions accessoires. rapport à certains États non membres où
Le cas du Sénégal la fiscalité est moins attrayante (à titre
En droit sénégalais, le coût de constitu- L’impôt sur les sociétés d’exemple, nous pouvons citer le cas du
tion de la société varie selon le montant S’appliquant généralement de plein droit Congo-Kinshasa où il y a une obligation
du capital social. Ainsi, le montant des et quel que soit leur objet aux sociétés pour les fondateurs des SARL de payer
coûts de constitution respectifs de la SARL commerciales et à toute personne morale 6 % du capital social à la constitution de
et de la société anonyme, formes de se livrant à une exploitation ou à des opé- la société et à l’augmentation du capital).
société les plus utilisées, peut atteindre rations à caractère lucratif, cet impôt frappe
l’équivalent de 20 % du capital social donc l’ensemble des bénéfices ou revenus L’imposition des revenus
pour la première forme et 5 % pour la réalisés par les sociétés et autres personnes des personnes physiques
seconde. Pour une SARL dont le capital morales, dans des entreprises exploitées Cet impôt est assis sur les traitements et
est de 1 000 000 francs CFA, le coût de ou pour des opérations réalisées dans le salaires, les dividendes et les revenus des
la constitution sera de 215 420 francs CFA, pays concerné. valeurs mobilières.
soit 47 420 francs CFA de frais fiscaux, Les taux d’imposition varient, selon les Les rémunérations versées aux salariés
75 900 francs CFA de frais administratifs pays, de 25 à 40 % du bénéfice impo- font à ce titre l’objet de retenues men-
et 92 100 francs CFA de frais de notaire. sable. À titre d’exemple, il est de 25 % suelles à la source, l’impôt étant calculé
Et pour une société anonyme dont le au Sénégal, 35 % au Gabon, 38,5 % au sur la base d’un barème progressif, fonc-
capital est de 10 000 000 francs CFA, le Cameroun, avec une spécificité en Côte tion des charges de famille du contri-
coût sera de 567 340 francs CFA, soit d’Ivoire où sont distingués deux taux : buable. Actualité du débat sur le bou-
195 240 francs CFA de frais fiscaux, 35 % pour les bénéfices industriels et clier fiscal oblige, il est intéressant de
85 900 francs CFA de frais administratifs commerciaux et 25 % pour les entre- souligner que le montant de cet impôt
et 286 200 francs CFA de frais de notaire prises individuelles. Dans tous les cas, est, dans la majorité des pays de droit
(Agence de développement et d’encadre- son montant ne peut être inférieur à un OHADA, généralement plafonné (par
ment des PME (ADEPME), www.senegal- certain pourcentage du chiffre d’affaires exemple, au Sénégal, son montant ne
entreprises.net). de l’entreprise, à l’exception des deux peut dépasser 50 % du revenu impo-
premières années de fonctionnement. sable). Par ailleurs, l’assujettissement du
Le cas du Bénin Des règles spécifiques sont prévues pour personnel étranger est souvent condi-
Tout opérateur économique – national les plus-values et les exercices défici- tionné par l’exigence d’un certain nombre
ou étranger – qui procède à la création taires. Les plus-values sont différenciées de jours de présence sur le territoire du
d’une société devra s’acquitter d’une selon qu’elles sont à court ou à long pays hôte. C’est ainsi qu’au Gabon le per-
série de frais relatifs aux formalités d’en- terme. Pour ce qui est des exercices sonnel étranger est passible de l’impôt
registrement. À ces frais qui connaissent déficitaires, ils supportent en règle géné- après cent quatre-vingt-trois jours de
des fortes variations selon qu’ils s’appli- rale un impôt minimal forfaitaire selon présence dans l’année sur le territoire
quent à un national ou à un étranger, il le chiffre d’affaires réalisé (par exemple, gabonais.
faut ajouter, comme dans la plupart des en Côte d’Ivoire, le minimum de percep- Quant aux dividendes perçus par les
pays de l’OHADA, un ou plusieurs timbres tion est de 2 000 000 francs CFA et le actionnaires, ils sont inclus dans la base
fiscaux. Respectivement pour les natio- maximum de 30 000 000 francs CFA ; imposable et assujettis à l’impôt sur le
naux et les étrangers, ces frais se décom- au Sénégal, le minimum est de revenu à un taux de 15 %. Le versement
posent comme suit : immatriculation 500 000 francs CFA et le maximum de de ces dividendes au titre des bénéfices
(5 000/7 000 francs CFA), publication au 1 000 000 francs CFA [v. Agence pour la réalisés dans l’espace OHADA donne
Journal officiel (5 000/5 000 francs CFA), création d’entreprises, www.apce.com.]), droit à un crédit d’impôt lorsque ces
inscription au fichier de la Chambre impôt dont les nouvelles sociétés sont dividendes sont imposés en France ; de
de commerce et d’industrie du Bénin exonérées durant leurs deux premiers même, les résidents d’un État de l’espace
(CCIB) (25 000/100 000 francs CFA), exercices (il en va de même pour les OHADA peuvent bénéficier de l’avoir
première cotisation annuelle CCIB sociétés ayant pour objet exclusif l’édition, fiscal correspondant à des dividendes
(10 000/50 000 francs CFA), déclaration l’impression et/ou la vente de feuilles versés en France.
d’établissement (2 000/2 000 francs CFA), périodiques [par exemple, Sénégal]). Enfin, les revenus des valeurs mobilières,
carte professionnelle de commerçant Conscients des inconvénients relatifs à qui sont, entre autres, les intérêts d’obli-
(5 000/5 000 francs CFA), prestation du une forte pression fiscale, les gouverne- gations et d’emprunts négociables, sont
centre de formalités des entreprises (CFE) ments des différents pays de l’OHADA imposables par retenue à la source dans
(20 000/20 000 francs CFA), soit un coût fournissent des efforts en vue d’une le pays de domiciliation de l’entreprise qui
total de 72 000 francs CFA pour les réduction de celle-ci. À ce propos, on les verse. Lorsqu’ils sont imposés, le taux
nationaux et 189 000 francs CFA pour les peut citer le cas du Sénégal qui a baissé varie entre 10 et 15 % (v. www.apce.com).
étrangers(www.westafrica.smetoolkit.or). son taux d’impôt sur les sociétés de 35
à 25 % en 2006. Et il est à noter qu’un Les contributions accessoires
b – L’imposition des revenus d’activité projet d’harmonisation des taux d’impo- Sont à ce titre brièvement évoquées : la
Dans la plupart des pays de l’OHADA où sition au sein des pays de l’UEMOA est taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la taxe
les revenus d’activité s’entendent des en discussion depuis 2008 et devrait pro- douanière et les patentes.
bénéfices, dividendes distribués, salaires chainement aboutir. Ledit projet vise à Le taux de la TVA ne semble varier que très
et autres revenus tels les jetons de pré- faire varier les taux d’impôt entre 28 et faiblement d’un État à un autre. Il est en
sence, la fiscalité est généralement régie 33 % (v. Le Quotidien, 26 juin 2008, effet compris entre 15 et 20 %, soit 19,25 %
par un Code général des impôts. Ces pays www.lequotidien.sn). Il est intéressant au Cameroun, 16,70 % en Côte d’Ivoire,
ont des régimes fiscaux relativement si- de noter que dans les pays de l’OHADA 18 % au Gabon et autant au Sénégal.

70 R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L • J A N V I E R 2 010 • N 0 6 7
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
En matière de taxe douanière, l’UEMOA Généralement, pour éviter ce risque, le la liberté de transfert de capitaux, la
et la CEMAC doivent être envisagées sé- droit d’imposition est partagé entre garantie des droits acquis de toute
parément. Dans le cadre de la CEMAC, l’État de résidence du bénéficiaire des nature et en particulier le droit de pro-
le système douanier repose sur le tarif revenus et l’État de la source du revenu priété. De plus, outre la procédure
extérieur commun (TEC) qui classe les (v. en ce sens, Beltrame P., La fiscalité d’arbitrage prévue dans le cadre de
marchandises en quatre catégories, avec en France, Hachette, 12e éd., 2006-2007, l’OHADA, la sécurité des investissements
des taux variant de 5 à 30 % (produits p. 107). Toutefois, certaines conventions est assurée par l’adhésion des pays de
de première nécessité : 5 % ; matières passées avec les pays dits en voie de dé- l’OHADA à l’Agence multilatérale de
premières et biens d’équipement : 10 % ; veloppement comportent des disposi- garantie des investissements (AMGI) et
biens intermédiaires et divers : 20 % ; tions particulières dérogeant au principe au Centre international pour le règlement
biens de consommation courante : 30 %). d’une réciprocité absolue, et ce dans des différends relatifs aux investisse-
À côté du TEC il existe un tarif préféren- l’esprit d’un dialogue Nord-Sud ments (CIRDI).
tiel généralisé (TPG) qui s’applique aux (v. Grosclaude J. et Marchessou P., Droit Au titre des mesures incitatives, d’autre
produits fabriqués et commercialisés en fiscal général, op. cit., p. 22 et 23 ; part, l’on voit fleurir dans les différents
zone CEMAC et dont le taux équivaut à Beltrame P., La fiscalité en France, pays des programmes d’investissements
20 % du TEC du produit concerné. Dans op. cit., p. 108). C’est le cas des conven- agréés pour lesquels des avantages, pour
la zone UEMOA également s’applique tions fiscales passées entre la France et l’essentiel d’ordre fiscal et douanier, sont
un TEC. les pays de droit OHADA, dans lesquelles prévus. Ces avantages sont accordés aux
S’agissant enfin de la contribution des la notion d’établissement stable – qui entreprises qui satisfont un certain
patentes, il s’agit d’un impôt auquel est apparaît comme le critère attributif de la nombre de conditions parmi lesquelles
assujettie toute personne physique ou recette fiscale à son État d’implantation le nombre d’emplois créés, le montant
morale exerçant un commerce, une (les conventions fiscales internationales de l’investissement, la zone d’implanta-
industrie ou une profession non salariée. tion et surtout le secteur d’activité choisi.
Il se compose d’un droit fixe (les tarifs Il est à souligner, par ailleurs, que si dans
sont récapitulés dans des tableaux figu- Certaines conventions la zone UEMOA les avantages et autres
rant généralement dans le Code général comportent des protections consentis sont directement
des impôts de chaque pays concerné) et dispositions particulières issus des Codes des investissements des
d’un droit proportionnel (celui-ci est dérogeant au principe différents États (un projet de Code com-
établi sur la valeur locative des bureaux, d’une réciprocité mun des investissements est en phase
magasins, boutiques, usines, ateliers, absolue, et ce dans d’élaboration), au niveau de la CEMAC,
hangars et autres locaux servant à l’exer- l’esprit d’un dialogue une Charte des investissements (cette
cice des professions imposables). Il existe Nord-Sud. Charte, issue du règlement n° 17/99/
notamment au Sénégal (par exemple, CEMAC-20-CM 03 du 17 décembre 99,
pour une activité de restauration indus- constitue le cadre général commun du
trielle dont le chiffre d’affaires est supé- reprenant généralement la définition du droit des investissements dans les États
rieur à 500 000 000 francs CFA, le droit modèle OCDE selon laquelle l’établisse- membres de la CEMAC, les États conser-
fixe est de 800 000 francs CFA et le droit ment stable est « une installation fixe vant toutefois la possibilité de préciser
proportionnel est de 19 %). d’affaires par l’intermédiaire de laquelle et/ou de compléter par des réglementa-
une entreprise exerce tout ou partie de tions nationales les dispositions de la Charte
2 – Les fiscalités particulières son activité ») – est conçue de manière sans toutefois pouvoir contredire les dis-
Dans le domaine des fiscalités particu- très large afin d’étendre la compétence positions essentielles) est venue harmo-
lières, l’investisseur aura toujours inté- fiscale des pays en développement (v. par niser les différentes mesures de protection
rêt à s’assurer qu’il peut bénéficier des exemple l’article 3 des conventions fis- et d’incitation à l’investissement.
dispositions des conventions fiscales cales liant respectivement la France avec
internationales (a) ou de celles des Codes le Gabon, le Sénégal, le Cameroun et la Des particularités
des investissements (b) applicables dans Côte d’Ivoire). Peuvent être mentionnés les cas du
les États membres. Cameroun, de la Côte d’Ivoire et du
b – Opportunités offertes Sénégal.
a – Incidences des conventions par les Codes des investissements Le Code des investissements applicable
fiscales internationales L’évocation des généralités sur les Codes à l’activité économique au Cameroun a
Dans l’espace OHADA comme ailleurs, des investissements permet de mieux en été institué par l’ordonnance n° 90/007
les conventions fiscales internationales appréhender les particularités. du 8 novembre 1990, modifiée par
sont, pour l’écrasante majorité d’entre l’ordonnance n° 94/003 du 24 janvier
elles, des conventions bilatérales conclues Des généralités 1994. Ce Code comporte quatre régimes
entre deux États souverains afin d’éviter Dans les pays de l’OHADA, les législa- différents pour lesquels est prévue une
la double imposition ou l’absence d’im- teurs nationaux ont mis en place, dans batterie de conditions spécifiques d’accès
position qui pourrait résulter pour les le cadre des Codes des investissements, et une panoplie d’avantages particuliers.
personnes physiques ou morales dont le des mécanismes à la fois de protection Il s’agit du régime de base, durégime des
domicile fiscal est situé dans l’un des des investisseurs et d’incitation à PME, du régime des entreprises straté-
États contractants de la perception l’investissement – notamment étranger – giques et, pour les entreprises existantes
simultanée ou excessive dans cet État subordonnés à la satisfaction d’un cer- en fonctionnement, du régime de réin-
contractant et dans l’autre État des im- tain nombre de critères spécifiques. vestissement. Une ordonnance n° 90/001
pôts sur les revenus lato sensu (v. Gros- Les mécanismes de protection, d’une du 29 janvier 1990, ratifiée par la loi
claude J. et Marchessou P., Droit fiscal part, consistent en des garanties géné- n° 90/023 du 10 août 1990, régit le
général, Dalloz, 3e éd., 2001, p. 21 et s.). rales comportant la liberté d’entreprendre, régime de la zone franche industrielle. >

N 0 6 7 • J A N V I E R 2 010 • R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L 71
L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

L’arrêté n° 51/MINDIC/IGI du 28 dé- régi par la loi n° 2004-627 du 7 mai 2004. nières dérogatoires au Code des inves-
cembre 1990 en détermine les modalités Les projets éligibles peuvent concerner tissements ; le ministre compétent négo-
d’application (les dispositions du Code des activités variées énumérées par la ciera alors avec l’investisseur les avan-
des investissements comme celles du loi. Pour ce qui est de la procédure tages et les soumettra à l’avis de
régime de la zone franche industrielle d’agrément, tout dossier de demande non-objection du Premier ministre
ont été améliorées par les dispositions d’agrément au Code des investissements (v. L. n° 2007-25, 22 mai 2007).
de la loi n° 2002/004 du 19 avril 2002 est déposé à l’Agence nationale chargée
relative à la Charte des investissements). de la promotion de l’investissement et Propos conclusifs
En Côte d’Ivoire, le Code des investisse- des grands travaux (APIX) qui délivre un Sont ainsi édictées les règles permettant
ments porté par la loi n° 95-620 du 3 août récépissé de recevabilité ou de rejet. aux investisseurs de s’installer pour
1995 comprend des dispositions qui Au terme de la procédure, l’Agence donne affaires dans l’espace OHADA. Les
s’appliquent de manière uniforme à tout acte à l’intéressé. Toutes les formalités investissements y bénéficient ainsi d’une
investisseur sous forme de société, de administratives de création et d’exten- sécurité juridique due notamment à la
nationalité ivoirienne ou étrangère, sion sont prises en charge par le guichet clarté, à la simplicité et à la modernité
résident ou non-résident, éligible aux unique de l’Agence. De nombreux avan- des normes en vigueur concernant tant
différents régimes mis en place dès lors tages sont attachés à l’obtention de l’agré- la création que l’exploitation d’une
qu’il remplit les conditions. Il existe un ment. Il faut cependant relever que pour activité économique au sein de cet
régime de déclaration et un régime tout investissement d’un montant supé- espace d’intégration juridique qui pour-
d’agrément. rieur à 250 000 000 000 francs CFA, le suit également comme objectif d’assu-
Au Sénégal, le Code des investissements gouvernement peut accorder à l’inves- rer la croissance des économies des États
applicable à l’activité économique est tisseur des conditions fiscales et doua- membres. ◆
RLDC

3697

Par Jacques MESTRE


Professeur à l’Université
Paul-Cézanne d’Aix-Marseille,
Directeur du Centre
Regards contractuels
sur l’OHADA
STÉPHANE RICHARD

de droit économique

Un colloque portant sur la sécurisa- I – UNE HARMONISATION lisme informatif protecteur du consen-
tion juridique des investissements PONCTUELLE DÉJÀ RÉALISÉE tement du cessionnaire ;
dans l’Afrique de l’Ouest pouvait • l’Acte uniforme OHADA relatif au droit
difficilement faire l’impasse sur Cette harmonisation partielle est le fruit, commercial général organise une garan-
la matière contractuelle ! Car, s’il est pour l’essentiel, de l’Acte uniforme OHADA tie légale contre l’éviction du fait person-
du 17 avril 1997 relatif au droit commer- nel et du fait d’un tiers ;
une matière où l’objectif de sécurité
cial général qui est l’un des trois Actes uni- • l’acquéreur a l’obligation de payer le
est prédominant, c’est bien celle
formes entrés en vigueur le 1er janvier 1998 prix au jour et au lieu fixés dans l’acte
du contrat. Prévisions des parties, sur le territoire des États parties à l’OHADA de vente, entre les mains du notaire ou
loi arrêtée par elles pour gouverner et, accessoirement, de l’Acte uniforme de l’établissement bancaire désigné d’un
l’avenir, respect ensuite de cette loi, OHADA du 22 mars 2003 relatif aux contrats commun accord entre les parties à l’acte.
tels sont en effet les axes majeurs de transport de marchandises par route. Ce paiement à un intermédiaire a été
d’une matière qui est, par ailleurs, Pour présenter l’essentiel des disposi- rendu obligatoire afin de protéger les
au cœur de la vie économique tions contractuelles harmonisées qui créanciers en permettant des oppositions
et des opérations quotidiennement résultent de ces Actes uniformes, on et en prescrivant des mesures de publi-
bâties par ses acteurs. distinguera les contrats structurels (A), cité. Les créanciers sont également
les contrats d’intermédiaires (B) et les protégés contre une éventuelle contre-lettre

L e regard porté sur le contrat via


l’Organisation pour l’harmonisation
en Afrique du droit des affaires (OHADA)
opérations contractuelles ponctuelles (C).

A – Les contrats structurels


puisque la nullité de cette dernière n’est
plus ici uniquement une disposition d’ordre
fiscal, mais relève bien du droit commer-
n’est pas de prime abord très enrichis- Ces contrats sont naturellement ceux cial général. En effet, l’article 126 de l’Acte
sant. Car, parmi les Actes uniformes de qui gravitent autour du fonds de uniforme de droit commercial général
l’OHADA, on attend toujours celui qui commerce. dispose qu’«est nulle et de nul effet toute
porterait précisément sur le droit des contre-lettre ou convention ayant pour
contrats. Ce qui ne veut cependant pas 1 – La vente du fonds de commerce objet de dissimuler partie du prix d’une
(Acte uniforme OHADA, 17 avr. 1997,
dire, d’abord, que certains des Actes art. 115 à 136) cession de fonds de commerce».
uniformes existants n’appréhendent
À noter que : 2 – La location-gérance du fonds
pas ponctuellement la matière contrac- (Acte uniforme OHADA, 17 avr. 1997,
tuelle (I), et ensuite qu’une réflexion ne • la vente est réalisée par acte sous seing art. 106 à 114)
soit pas d’ores et déjà en cours sur ce privé ou par acte authentique ;
que pourrait être un droit unifié des • l’article 118 de l’Acte uniforme de droit Les dispositions sont ici assez inspirées
contrats dans l’OHADA (II). commercial général prévoit un forma- de la loi française du 20 mars 1956,

72 R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L • J A N V I E R 2 010 • N 0 6 7
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
notamment sur le terrain des délais courtiers et commissionnaires, avec • « l’intermédiaire qui a reçu des instruc-
requis pour pouvoir mettre le fonds en cependant quelques réglementations tions précises ne peut s’en écarter, sauf à
location-gérance et pour les publicités. nationales particulières, par exemple au établir que les circonstances ne lui ont
Cependant, on regrettera que la régle- Cameroun et au Sénégal, l’Acte uniforme pas permis de rechercher l’autorisation
mentation reste un peu sommaire, et ne OHADA du 17 avril 1997 a substantiel- du représenté, lorsqu’il y a lieu d’admettre
précise pas en particulier les obligations lement changé la donne. que celui-ci l’aurait autorisé s’il avait été
des parties, ou la durée de la relation À présent, s’appliquent ici des règles informé de la situation » (Acte uniforme
contractuelle. générales harmonisées pour les intermé- OHADA, 17 avr. 1997, art. 147) ;
diaires précités mais aussi pour les agents • « l’intermédiaire est responsable envers
3 – Le bail commercial commerciaux, et existe également un le représenté de la bonne et fidèle exécu-
(Acte uniforme OHADA, 17 avr. 1997,
art. 69 à 101) premier chapitre consacré aux intermé- tion du mandat» (Acte uniforme OHADA,
diaires en général. 17 avr. 1997, art. 150) ;
Les dispositions impératives de l’Acte Ces dispositions OHADA s’inspirent des • le jeu éventuel de la théorie du man-
uniforme composent un véritable statut, Conventions de Genève du 11 février 1983 dat apparent ;
mais uniquement dans les villes de plus sur la représentation en matière de vente • et des dispositions très précises, dans
de cinq mille habitants (Acte uniforme internationale de marchandises, de la les articles 156 et 157 de l’Acte uniforme
OHADA, 17 avr. 1997, art. 69). Un sta- directive européenne du 18 décembre 1986 OHADA du 17 avril 1997, sur la cessa-
tut qui est applicable aux personnes sur les agents commerciaux, et aussi des tion du mandat de l’intermédiaire.
morales de droit public à caractère dispositions du Code des obligations
industriel ou commercial, et aux socié- civiles et commerciales sénégalais. C – Des opérations contractuelles
tés à capitaux publics, qu’elles agissent ponctuelles : vente et transport
de marchandises par route
comme bailleur ou comme preneur.
À noter encore : La détermination du prix 1 – La vente commerciale
• une présomption de bail commercial dès reste une condition
lors qu’une activité commerciale, indus- C’est le Livre V de l’Acte uniforme
de formation du contrat,
trielle, artisanale ou même simplement pro- OHADA du 17 avril 1997 sur le droit com-
fessionnelle est exploitée dans les lieux loués
mais l’Acte uniforme mercial général qui lui est consacré.
avec l’accord du propriétaire, et ce même admet la référence Sa structure, classique, est ordonnée en
si la convention n’est pas écrite (Acte uni- au prix habituellement quatre titres consacrés au champ d’ap-
forme OHADA, 17 avr. 1997, art. 71); pratiqué sur le marché. plication et aux dispositions générales,
• les parties fixent librement la durée des à la formation du contrat de vente, aux
baux (Acte uniforme OHADA, 17 avr. obligations des parties et aux effets du
1997, art. 72). Le bail commercial peut Pour s’en tenir ici au chapitre Ier consa- contrat de vente.
être conclu pour une durée déterminée cré à l’intermédiaire de commerce en Ce Livre V a choisi de moderniser la légis-
ou indéterminée ; à défaut d’écrit ou de général, on relèvera : lation existant en la matière en introdui-
terme fixé, le bail est réputé conclu pour • une définition de l’intermédiaire, don- sant dans le droit positif des États membres
une durée indéterminée ; née par l’article 137 de l’Acte uniforme la plupart des principales dispositions de
• la continuation du bail en cas de ces- OHADA du 17 avril 1997 : « celui qui a la Convention de Vienne du 11 avril 1980
sion des locaux (Acte uniforme OHADA, le pouvoir d’agir, ou entend agir, habi- sur la vente internationale de marchan-
17 avr. 1997, art. 78) ; tuellement et professionnellement pour dises. Mais pas toutes cependant, de sorte
• la libre fixation du loyer par les parties le compte d’une autre personne, le que la cohérence interne des dispositions
(Acte uniforme OHADA, 17 avr. 1997, représenté, pour conclure avec un tiers n’est pas toujours parfaite.
art. 84); un contrat de vente à caractère commer- Au titre des dispositions inspirées par la
• le droit au renouvellement (Acte uni- cial » ; Convention de Vienne, on relèvera
forme OHADA, 17 avr. 1997, art. 91) qui • l’intermédiaire est un commerçant (Acte notamment :
bénéficie aussi au sous-locataire auto- uniforme OHADA, 17 avr. 1997, art. 138); • le champ d’application même du Livre V,
risé (Acte uniforme OHADA, 17 avr. 1997, • de façon générale, l’Acte uniforme dont les dispositions ne s’appliquent qu’aux
art. 98), avec des précisions intéressantes OHADA du 17 avril 1997 prévoit l’appli- contrats de vente (à l’exclusion du contrat
sur le calcul de l’éventuelle indemnité cation des règles du mandat. Ce qui peut d’entreprise, Acte uniforme OHADA, 17 avr.
d’éviction (Acte uniforme OHADA, 17 avr. ne pas paraître toujours approprié à la si- 1997, art. 204) conclus entre commerçants
1997, art. 94: «à défaut d’accord des par- tuation de certains professionnels. Mais, et portant essentiellement sur des meubles
ties sur le montant de cette indemnité, en fait, l’Acte est quand même finalement corporels (Acte uniforme OHADA, 17 avr.
celle-ci est fixée par la juridiction compé- très précis sur toute une série de disposi- 1997, art. 202 et 203);
tente en tenant compte notamment du tions, de sorte que l’enjeu de la qualifica- • l’importance accordée aux usages, avec
chiffre d’affaires, des investissements réa- tion retenue n’est pas considérable; par exemple la codification de certains
lisés par le preneur, et de la situation géo- • l’absence d’exigence de forme dans desdits usages comme le remplacement
graphique du local ») ; l’acte de représentation, avec l’admis- des marchandises (Acte uniforme
• et enfin une jurisprudence déjà très sion d’une preuve par tous moyens (Acte OHADA, 17 avr. 1997, art. 250), et aussi
fournie sur la résiliation anticipée qui uniforme OHADA, 17 avr. 1997, art. 144); la place qui leur est accordée dans la
n’est pas sans rappeler la jurisprudence • la normativité des usages profession- recherche de l’intention des parties ;
française. nels, et même, de manière très originale • la détermination du prix reste une condi-
et presque avant-gardiste, «des pratiques» tion de formation du contrat, mais l’Acte
B – Les contrats d’intermédiaires établies entre intermédiaire, représenté uniforme admet la référence au prix habi-
Alors que ceux-ci étaient largement sou- et tiers (Acte uniforme OHADA, 17 avr. tuellement pratiqué sur le marché (Acte
mis aux règles françaises de 1807 sur les 1997, art. 145) ; uniforme OHADA, 17 avr. 1997, art. 235); >

N 0 6 7 • J A N V I E R 2 010 • R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L 73
L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

• le souci de sauvegarder le contrat qui pal à déplacer par route, d’un lieu à un autre, des contrats, l’Afrique francophone sou-
explique que la résolution apparaisse une marchandise que lui remet une autre haite manifestement, pour sa part, profiter
comme une solution subsidiaire et que personne, appelée expéditeur, par le moyen de la dynamique créée par l’OHADA, pour
chaque partie puisse donc impartir à l’autre d’un véhicule et en contrepartie d’une se doter elle-même d’un nouvel Acte uni-
un délai supplémentaire pour parfaire l’exé- rémunération (Acte uniforme OHADA, forme en matière contractuelle. Mais, ici
cution du contrat (Acte uniforme OHADA, 22 mars 2003, art. 2, b). Les parties au contrat encore, la tâche apparaît délicate, tant la
17 avr. 1997, art. 251 et 257); sont l’expéditeur ou le donneur d’ordre et matière contractuelle paraît vouée au
• la solution du moment du transfert de le transporteur. Cependant, l’acceptation débat et surtout à la controverse.
la propriété qui s’inspire de l’article 5 du expresse ou tacite du contrat de transport Pourtant, un avant-projet existe depuis
Code des obligations civiles et commer- par le destinataire fait de celui-ci une partie quelques années, dû à la plume du
ciales du Sénégal puisqu’elle retient que au contrat de transport. Par ailleurs, l’Acte professeur de Louvain Marcel Fontaine,
c’est la prise de livraison qui attribue la uniforme du 22 mars 2003 envisage le trans- qui s’est exprimé dans le cadre d’une
propriété du bien à l’acheteur. port successif avec plusieurs transporteurs expertise confiée, en 2002, par le Secréta-
Cela étant, des insuffisances ont pu être re- qui se partagent les itinéraires, et le trans- riat permanent de l’OHADA à l’Institut
levées (v. Akuété Pedro Santos, OHADA port superposé où une partie seulement de international pour l’unification du droit
commenté, Juriscope, 2008, p. 284). Ainsi, l’itinéraire est routier. privé, dit Unidroit.
certaines questions ont échappé à l’atten- On n’entrera pas ici dans le détail des Après avoir beaucoup consulté, et notam-
tion du législateur, telles que la définition réglementations applicables. Simplement, ment rencontré de nombreux acteurs juri-
même de la vente, ou ses conditions de pour bien mesurer l’ampleur de l’harmo- diques et économiques de l’Afrique franco-
validité. De même, la notion de livraison nisation réalisée, on rappellera le contenu phone, Marcel Fontaine a remis un texte
manque de clarté puisque, pour le vendeur, de l’article 1er de l’Acte uniforme du 22 mars qui s’inspire assez largement des célèbres
c’est la mise à disposition qui la constitue 2003, qui en délimite le champ d’applica- Principes Unidroit relatifs aux contrats du
(Acte uniforme OHADA, 17 avr. 1997, tion en ces termes : «Le présent Acte uni- commerce international, mais entend
art. 280 et 288), tandis que, pour l’ache- forme s’applique à tout contrat de trans- également tenir compte des spécificités
teur, la prise de livraison est, de manière africaines (d’où, par exemple, l’absence de
générale, le fait d’accomplir l’acte tout en tout formalisme dans la formation du
permettant au vendeur d’effectuer la livrai- Les États de l’Afrique contrat).
son. Enfin, en matière de résolution, il y a francophone aspirent, Naturellement, nous n’allons pas reprendre
lieu de constater que plusieurs articles (Acte toutes les dispositions de cet avant-projet.
pour leur développement
uniforme OHADA, 17 avr. 1997, art. 245, Simplement nous paraît-il intéressant de
247, 250) prévoient le caractère judiciaire
économique, à une plus mettre concrètement l’accent sur les prin-
de la résolution alors que, par ailleurs, si le grande harmonisation cipales originalités qu’il renferme. Nous
principe de la résolution unilatérale n’est de leurs dispositions retiendrons ici les suivantes:
pas formellement affirmé, plusieurs dispo- contractuelles. • l’affirmation de principes directeurs, tels
sitions organisent sa mise en œuvre. que la bonne foi (Avant-projet, art. 1-6 :
Il reste que l’Acte uniforme de 1997 consti- « Les parties sont tenues de se conformer
tue un premier pas important dans la port de marchandises par route lorsque le aux exigences de la bonne foi. Elles ne
voie de l’harmonisation, et qu’il doit être lieu de prise en charge de la marchandise peuvent exclure cette obligation ni en
salué, au même titre que l’Acte uniforme et le lieu prévu pour la livraison, tels qu’ils limiter la portée »), la cohérence (Avant-
de 2003 sur le transport de marchandises sont indiqués au contrat, sont situés soit projet, art. 1-7 : « Une partie ne peut agir
par route. sur le territoire d’un État membre de en contradiction avec une attente qu’elle
l’OHADA, soit sur le territoire de deux États a suscitée chez l’autre partie lorsque cette
2 – Le contrat de transport
de marchandises par route différents dont l’un au moins est membre dernière a cru raisonnablement à cette
de l’OHADA. L’Acte uniforme s’applique attente et a agi en conséquence à son désa-
Il est gouverné par un Acte uniforme quels que soient le domicile et la nationa- vantage»), ou encore ce qu’on pourrait
adopté à Yaoundé le 22 mars 2003. lité des parties au contrat de transport». appeler la mesure (Avant-projet, art. 7-6 :
Là encore, l’évolution est très importante, Ainsi l’ambition normative des rédac- « Une partie ne peut se prévaloir d’une
au regard tant de l’importance pratique teurs de l’Acte uniforme de 2003 est-elle clause limitative de responsabilité en cas
de ce contrat pour les pays de l’Afrique forte. Ce qui montre bien que les États d’inexécution d’une obligation, ou lui
francophone que des divergences juri- de l’Afrique francophone aspirent, pour permettant de fournir une prestation
diques qui préexistaient dans les divers leur développement économique, à une substantiellement différente de celle à
États membres. plus grande harmonisation de leurs laquelle peut raisonnablement s’attendre
L’Acte uniforme OHADA du 22 mars 2003 dispositions contractuelles. D’où l’incon- l’autre partie si, eu égard au but du contrat,
est fondamentalement inspiré de la tournable question d’un éventuel droit il serait manifestement inéquitable de le
Convention applicable au transport inter- commun harmonisé des contrats. faire», et art. 7-26 : «Le débiteur ne répond
national des marchandises par route (CMR), pas du préjudice dans la mesure où le créan-
établie et ouverte à la signature à Genève cier aurait pu l’atténuer par des moyens
le 19 mai 1956, et qui a été ratifiée par la II – UN AVANT-PROJET D’ACTE raisonnables. Le créancier peut recouvrer
plupart des États européens ainsi que par UNIFORME SUR LE DROIT les dépenses raisonnablement occasion-
ceux du Maghreb et de l’Asie qui sont DES CONTRATS nées en vue d’atténuer le préjudice»);
voisins du continent européen. À l’heure où l’Europe réfléchit, mais désor- • une réglementation substantielle de
On relèvera que le contrat de transport ici mais assez timidement, à un éventuel droit cette période cruciale qu’est aujourd’hui
visé est entendu comme tout contrat par le- harmonisé des contrats, et où la France devenue la négociation précontractuelle
quel une personne physique ou morale, ap- s’efforce, mais aujourd’hui assez difficile- (Avant-projet, art. 2-15 : «Les parties sont
pelée transporteur, s’engage à titre princi- ment, de bâtir un nouveau droit modernisé libres de négocier et ne peuvent être

74 R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L • J A N V I E R 2 010 • N 0 6 7
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
tenues pour responsables si elles ne • une directive originale pour l’interpré- 2) La demande ne donne pas par elle-même
parviennent pas à un accord. Toutefois, tation des contrats, dans la mesure où à la partie lésée le droit de suspendre l’exé-
la partie qui, dans la conduite ou la l’article 4-3 de l’avant-projet conduit à cution de ses obligations; 3) Faute d’ac-
rupture des négociations, agit de mauvaise prendre notamment en compte les négo- cord entre les parties dans un délai raison-
foi est responsable du préjudice qu’elle ciations préliminaires entre les parties, les nable, l’une ou l’autre peut saisir le tribunal;
cause à l’autre partie», et art. 2-16 : « Qu’il pratiques établies entre elles, le compor- 4) Le tribunal qui conclut à l’existence d’un
y ait ou non conclusion du contrat, la tement des parties postérieur à la conclu- cas de bouleversement des circonstances
partie qui, au cours des négociations, sion du contrat, la nature et le but du peut, s’il l’estime raisonnable : a) mettre
reçoit une information donnée à titre contrat, le sens généralement attribué aux fin au contrat à la date et aux conditions
confidentiel par l’autre partie, est tenue clauses et aux expressions dans le secteur qu’il fixe; ou b) adapter le contrat en vue
de ne pas la divulguer ni l’utiliser de concerné et enfin les usages; de rétablir l’équilibre des prestations »);
façon indue à des fins personnelles. Le • le choix de la souplesse et du pragma- • l’affirmation d’une faculté de résilia-
manquement à ce devoir est susceptible tisme sur le terrain de la fixation du prix tion unilatérale (Avant-projet, art. 7-13 :
de donner lieu à une indemnité compre- (Avant-projet, art. 5-7 : «1) Lorsque le contrat « Une partie peut résoudre le contrat s’il y
nant, le cas échéant, le bénéfice qu’en ne fixe pas de prix ou ne prévoit pas le moyen a inexécution essentielle de la part de l’autre
aura retiré l’autre partie ») ; de le déterminer, les parties sont réputées, partie »), qui peut même être exercée de
• un traitement novateur de l’avantage sauf indication contraire, s’être référées au manière anticipée, avant une inexécution
excessif (Avant-projet, art. 3-10 : «1) La prix habituellement pratiqué lors de la conclu- avérée (Avant-projet, art. 7-15 : « Une
nullité du contrat ou de l’une de ses clauses sion du contrat, dans le secteur considéré, partie est fondée à résoudre le contrat si,
pour cause de lésion peut être invoquée par pour les mêmes prestations effectuées dans avant l’échéance, il est manifeste qu’il y
une partie lorsqu’au moment de sa conclu- des circonstances comparables ou, à défaut aura inexécution essentielle de la part de
sion, le contrat ou la clause accorde injus- d’un tel prix, à un prix raisonnable ; l’autre partie »).
tement un avantage excessif à l’autre par- 2) Lorsque le prix qui doit être fixé par une Ainsi, on le voit, cet avant-projet est par
tie. On doit, notamment, prendre en partie s’avère manifestement déraisonnable, bien des côtés innovant, à la pointe de
considération : a) le fait que l’autre partie il lui est substitué un prix raisonnable, certaines évolutions contemporaines du
a profité d’une manière déloyale, de l’état nonobstant toute stipulation contraire ; droit des contrats. D’où, sans doute, les
de dépendance, de la détresse économique, 3) Lorsqu’un tiers chargé de la fixation du réserves qu’il suscite chez certains et,
de l’urgence, des besoins, de l’imprévoyance, prix ne peut ou ne veut le faire, il est fixé corrélativement, l’enthousiasme qu’il
de l’ignorance, de l’inexpérience ou de l’in- un prix raisonnable; 4) Lorsque le prix doit provoque chez d’autres ! Qu’en sortira-
aptitude à la négociation de la première; b) être fixé par référence à un facteur qui n’existe t-il ? Nul ne le sait à l’heure présente.
de la nature du contrat; 2) Le tribunal peut, pas, a cessé d’exister ou d’être accessible, Simplement est-il permis d’espérer que
à la demande de la partie lésée, adapter le celui-ci est remplacé par le facteur qui s’en la forte volonté qui a fait naître l’OHADA
contrat ou la clause afin de le rendre conforme rapproche le plus»); et lui permet très régulièrement de se
aux exigences de la bonne foi; 3) Le tribu- • la prise en compte équilibrée d’un bou- développer ne s’endorme pas ici car, une
nal peut également adapter le contrat ou la leversement imprévu des circonstances fois encore, comme nous le disions en
clause à la demande de la partie ayant reçu initiales (Avant-projet, art. 6-24 : «1) En introduction, la matière contractuelle
une notification d’annulation pourvu que cas de bouleversement des circonstances, reste au cœur des échanges économiques,
l’expéditeur de la notification en soit in- la partie lésée peut demander l’ouverture et ne peut donc raisonnablement demeu-
formé sans tarder et qu’il n’ait pas agi rai- de renégociations. La demande doit être rer en marge du mouvement d’harmo-
sonnablement en conséquence»); faite sans retard indu et être motivée ; nisation en cours. ◆
RLDC

3698

Par Gérard BLANC


Professeur à la Faculté
de droit et des sciences
politiques de l’Université
Prévenir et traiter
Paul-Cézanne, membre
du Centre de droit
économique (CDE)
les difficultés
Prévenir et traiter les difficultés des Jusque-là la législation applicable en la cédures collectives ou prévoyaient à
entreprises, tel est l’objet de l’Acte matière était très éparpillée. l’époque de le faire.
uniforme de l’Organisation pour Certains États africains avaient conservé L’état de l’évolution du droit à l’époque
l’harmonisation en Afrique du droit la législation française comme source nor- oscillait entre un relatif immobilisme du
des affaires (OHADA) du 10 avril 1998 mative de référence, elle-même figée dans droit et une frénésie à légiférer dont le droit
portant organisation des procédures des textes anciens : Code de commerce de français est une bonne illustration. La
1807, loi du 4 mars 1889 sur la liquida- succession rapide de textes s’explique sans
collectives d’apurement du passif.
tion judiciaire et décrets-lois des 8 août et doute par une croyance excessive dans
À quelques semaines près, on fête
30 octobre 1935. Or cet ensemble de textes l’efficacité de l’action du droit sur l’éco-
cette année le onzième anniversaire français a été remplacé en France par une nomie. Or le bilan de ces lois à répétition
de son application. Pour parfaire législation en fréquente évolution (1967, devrait, au contraire, inciter le juriste à
sa diffusion auprès des opérateurs 1985, 1994, 2005, 2008). davantage de modestie au regard de l’im-
économiques, l’occasion de ce colloque D’autres États africains, en revanche, pact limité de ces textes dans un régime
est donc particulièrement bienvenue. avaient déjà réformé leur droit des pro- d’économie libérale (Sawadogo F. M., >

N 0 6 7 • J A N V I E R 2 010 • R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L 75
L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

L’application judiciaire du droit des pro- ont une fonction concurrentielle dans une 1. A été adoptée une structure très
cédures collectives en Afrique francophone économie de marché. Il s’agirait ainsi de classique des procédures, avec une
à partir de l’exemple du Burkina Faso, Rev. permettre des restructurations d’entre- procédure amiable dite de règlement
burkinabé de droit, n° 26, juill. 1994, prises en organisant l’élimination des préventif et deux procédures judiciaires
p. 195). entreprises inadaptées au marché et en comportant un redressement judiciaire
À partir de cette évolution, on peut faire facilitant pour les autres leur rachat ou pour les entreprises qui peuvent être
plusieurs constats : leur prise de contrôle (Jeantin M., Droit sauvegardées et une liquidation des biens
• constat de la primauté de plus en plus commercial, Instruments de paiement et pour les autres. Seules les entreprises en
prononcée du droit pour des solutions de crédit, Entreprises en difficulté, Dalloz, mesure de faire une proposition de
de redressement prévalant sur le seul 2e éd., 1990, n° 551; dans le même sens, concordat sérieuse pourront bénéficier
objectif d’apurement du passif et de sanc- Boy L., Guillaumond R., Jammeaud A., d’une procédure de redressement judi-
tion du débiteur fautif. Or ces solutions Jeantin M., Pagès J. et Pirovano A., Droit ciaire ; les autres déjà en cessation des
qui sacrifient quelque peu les intérêts des faillites et restructuration du capital, paiements seront vouées à la liquidation
des créanciers ne permettent pas tou- PU Grenoble, 1982). des biens.
jours d’atteindre les objectifs de sauve- C’est dans ce contexte qu’est intervenu,
garde des entreprises ; au sein de l’OHADA, il y a un peu plus de 2. Quelle que soit la procédure mise en
• constat de l’élargissement du champ dix ans, l’Acte uniforme portant organisa- œuvre, la finalité affichée est identique.
d’application des procédures collectives, tion des procédures collectives d’apure- Il s’agit d’aboutir à l’apurement collec-
la dernière évolution en date en droit ment du passif (JO OHADA, n° 7, 1er juill. tif du passif. C’est donc l’intérêt des créan-
français étant l’extension de ces procé- 1998, p. 1; v. également OHADA, Traité ciers qui prévaut par rapport au redres-
dures aux personnes physiques exerçant et Actes uniformes commentés et anno- sement de l’entreprise, même si celui-ci
une profession libérale (L. n° 2005-845, tés, Juriscope, 2002, p. 867 et s., avec le n’est pas négligé.
26 juill. 2005, JO 27 juill. 2005) ; commentaire de Sawadogo F. M.).
• constat de la volonté du législateur En quelques lignes, on ne peut évidem- 3. Le champ d’application rationae
de permettre une intervention du juge ment présenter de manière exhaustive personae des procédures collectives
beaucoup plus précoce : à un stade, par les huit titres et les deux cent cinquante- demeure également d’un grand classi-
exemple, où l’entreprise n’est pas encore huit articles que comporte l’Acte uni- cisme. La formule retenue est en effet
en cessation des paiements. forme, qui n’est pourtant pas le plus celle de la loi française de 1985. Sont
On est passé ainsi d’un droit des procé- volumineux de tous les Actes uniformes. justiciables de ces procédures toutes les
dures collectives à un droit dit des On se limitera donc à une présentation personnes physiques ayant la qualité de
entreprises en difficulté. des principales caractéristiques de ce commerçant et les personnes morales de
Malgré ces évolutions, certains traits texte (I), avant de décrire schématique- droit privé sans distinction de leur
caractéristiques des procédures collec- ment quelles solutions normatives ont qualité. On y a ajouté les entreprises
tives demeurent dans les législations été retenues pour le traitement technique publiques ayant la forme d’une personne
contemporaines : des difficultés des entreprises (II). morale de droit privé. Celles-ci sont de
• l’aspect collectif de ces procédures plus en plus nombreuses, ne serait-ce
subsiste. Il s’agit d’éviter qu’un créan- qu’en raison de l’obligation qui leur est
cier puisse profiter du prix de la course, I – LES CARACTÉRISTIQUES faite d’adopter cette forme par les poli-
d’où la nécessaire organisation des créan- DU DROIT UNIFORME tiques d’ajustement structurel du Fonds
ciers de telle manière que soient disci- La source d’inspiration de ces textes est monétaire international. Demeurent en
plinés leurs comportements ; évidente. Il s’agit de la loi française du dehors de ce domaine les artisans, les
• demeure également pris en compte le 13 juillet 1967 et des législations afri- agriculteurs, les professions libérales et
conflit d’intérêts qui existe entre le débi- caines qui s’en sont inspirées, voire des de manière générale l’ensemble du sec-
teur et ses créanciers et, parmi les créan- réformes ultérieures intervenues en teur économique informel très développé
ciers, entre les créanciers titulaires de France. L’Acte uniforme traite en outre en Afrique sub-saharienne. Cette exclu-
sûretés et les créanciers chirographaires; des procédures collectives internationales sion est sans doute opportune tant le
• le rôle du juge, même s’il évolue, et de la compétence internationale des régime des procédures collectives mises
demeure primordial. En effet, malgré l’in- juridictions. Le législateur a opté pour en œuvre dans l’Acte uniforme ne paraît
troduction d’une procédure de règlement un pluralisme des procédures qui marie pas en adéquation avec le fonctionne-
amiable, l’existence d’un procès de nature à la fois des principes d’un grand classi- ment de cette économie informelle. Le
judiciaire demeure essentielle. cisme (A), tout en introduisant ce qui en secteur informel vit souvent en effet en
Au total, l’évolution des législations 1998 constituait des innovations (B). marge de la légalité et des modes de ges-
contemporaines consacre la poursuite tion des entreprises tels qu’on peut les
simultanée de trois objectifs dont la hié- A – Des principes connaître en Europe (Ould Bouboutt A. S.,
rarchie peut varier d’un droit à l’autre. d’un grand classicisme Rapport de synthèse, in Les pratiques
Il s’agit certes d’obtenir le paiement des Ce classicisme a l’avantage pour l’inves- judiciaires économiques et sociales
créanciers et éventuellement de punir le tisseur étranger de lui permettre d’être informelles, Actes du colloque interna-
débiteur fautif, mais il s’agit également de en pays de connaissance. Il n’est pas sûr, tional de Nouakchott (réunis par
faciliter chaque fois que possible la sau- en revanche, que certaines petites et Lespès J.-L.), 8-11 déc. 1988, PU Orléans,
vegarde de l’entreprise, dont on sait l’im- moyennes entreprises africaines s’y p. 550), par exemple. N’a-t-on pas évo-
pact négatif que peut avoir sa disparition retrouvent, tant les techniques procédu- qué à ce sujet la pratique dite de la clé
sur l’économie d’une zone géographique. rales mises en œuvre paraissent éloignées sous le paillasson ? Rien ne sert, en effet,
À l’examen des textes récents, un autre de certaines pratiques coutumières de recourir au droit des procédures
objectif plus spécifiquement économique propres aux relations entre créancier et collectives lorsque le fonds de commerce
a été souligné. Les procédures collectives débiteur. n’existe plus et donc a fortiori lorsque

76 R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L • J A N V I E R 2 010 • N 0 6 7
PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
plus aucun actif n’est à partager. Au sein l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 dé- gage. Cet effort confirme l’objectif pre-
de ce secteur informel, culturellement, cembre 2008 (JO 19 déc. 2008), ne mier des procédures collectives dans
on est en outre peu porté à la saisine de ressuscite-t-elle pas implicitement ce l’Acte uniforme, à savoir l’apurement du
la justice lorsqu’un débiteur n’honore mécanisme ? passif. Cette faveur dont bénéficient les
pas ses dettes (Sawadogo F. M., L’appli- créanciers constitue en revanche une
cation judiciaire du droit des procédures 6. Ces procédures classiques prennent différence par rapport au droit français
collectives en Afrique francophone à fin de manière tout aussi classique, soit qui, depuis la loi de 1985, n’affiche plus
partir de l’exemple du Burkina Faso, par un vote et une homologation du ce souci comme prioritaire.
précité, n° 138). concordat, soit par des décisions de clô- On mentionnera enfin une très large
Pour beaucoup de très petites et ture de l’union, de clôture pour extinc- panoplie de sanctions applicables aux
moyennes entreprises en Afrique, enfin, tion du passif ou encore de clôture pour débiteurs ou aux dirigeants fautifs : qu’il
la seule rémunération du syndic suffirait insuffisance d’actif. s’agisse de sanctions patrimoniales
à compromettre le redressement de l’en- (action en comblement du passif, exten-
treprise. Dès lors, les procédures collec- B – Des dispositions sion de la procédure), de sanctions
tives telles qu’elles sont conçues ne plus innovantes pénales (banqueroute simple ou fraudu-
présentent d’intérêts pratiques que pour Il est à noter que le caractère innovant leuse) ou de l’indisponibilité des titres
les entreprises d’une certaine taille. On de ces dispositions doit être apprécié au sociaux appartenant aux dirigeants dès
observera, en outre, que les procédures regard du droit des États parties à le jugement d’ouverture. Ces dernières
collectives ne sont que rarement ouvertes l’OHADA et non pas au regard du droit innovations au regard du droit antérieur
contre des commerçants personnes phy- français, par exemple. Pour l’essentiel, des Etats membres vont à contre-courant
siques, peut-être en raison des relations en effet, la loi française sur les entre- aujourd’hui d’une tendance générale
personnelles unissant le débiteur à ses prises en difficulté avait déjà fait l’objet à l’allègement des sanctions de toute
créanciers. de ces dispositions innovantes, en nature. L’ordonnance du 18 décembre
2008 en France a indiscutablement
4. Pour apprécier la situation d’une en- confirmé cette tendance. Ce texte récent
treprise en difficulté, a été également a ainsi supprimé l’obligation aux dettes
consacré le critère de la cessation des L’Acte uniforme consacre sociales qui représentait déjà en France
paiements. Ce critère permet de distin- un effort significatif dans la loi de 2005 un allègement des
guer traditionnellement les entreprises pour clarifier la situation sanctions civiles comparé à l’extension
qui relèvent d’une procédure amiable de des créanciers et assurer de la procédure collective aux dirigeants
celles qui relèvent d’une procédure au mieux la satisfaction qui figurait dans la loi de 1985.
judiciaire. On peut regretter que le légis- de leurs intérêts. Au total, les caractéristiques de cet Acte
lateur africain ne se soit pas montré uniforme ne doivent pas être source de
en la matière un peu plus audacieux. perplexité pour l’opérateur économique.
Aujourd’hui, on s’accorde en effet à L’analyse même succincte des normes
reconnaître que la condition de cessa- particulier dans la loi n° 85-98 du 25 jan- techniques de traitement des difficultés
tion des paiements constitue un critère vier 1985 (JO 26 janv. 2005). Leur consé- des entreprises mises en œuvre confirme
trop tardif interdisant au juge d’interve- cration dans l’Acte uniforme confirme cette première impression.
nir utilement en vue du redressement de donc une certaine forme d’alignement
l’entreprise. sur les systèmes normatifs existants, ce
La définition de la cessation des paie- qui ne peut que rassurer sur la sécurité II – LE TRAITEMENT TECHNIQUE
ments consacrée par l’Acte uniforme du juridique des investissements étrangers DES DIFFICULTÉS DES ENTREPRISES
10 avril 1998 est elle-même d’un grand en Afrique. DANS L’ACTE UNIFORME
classicisme, situation dans laquelle le La première innovation remarquable a Dans bon nombre d’écrits, on a cou-
débiteur est «dans l’impossibilité de faire pour objet la mise en œuvre d’une tume d’opposer la prévention des diffi-
face à son passif exigible avec son actif procédure préventive de traitement des cultés des entreprises au traitement des
disponible » (Acte uniforme, art. 25). difficultés des entreprises. Y est adjoint difficultés. On veut par là signifier la né-
Logiquement, l’Acte uniforme autorise un mécanisme de concordat préventif cessaire distinction qui doit être opérée
d’ailleurs la clôture pour extinction du soumis à l’homologation de la juridic- entre les techniques mises en œuvre
passif à condition que l’actif soit supé- tion compétente. selon que l’entreprise est ou non en
rieur au passif (Acte uniforme, art. 178). La seconde innovation notable est la situation de cessation des paiements.
volonté d’accélérer les procédures aussi Pourtant, il s’agit dans les deux cas de
5. A été par ailleurs conservée la notion bien pour la procédure de règlement pré- traiter les difficultés des entreprises,
de masse des créanciers, qui avait été ventif que pour la procédure de redres- mais avec des techniques différentes,
pourtant supprimée dans la loi française sement judiciaire. Il s’agit là d’un souci selon le moment auquel est administré
de 1985. Cette masse aura notamment à constant des législateurs contemporains, ce traitement. L’Acte uniforme n’échappe
se prononcer sur la proposition de concor- car c’est une condition essentielle du pas à cette distinction, selon que l’en-
dat par un vote majoritaire des créan- succès des procédures collectives. treprise est (A) ou non (B) en cessation
ciers. On pourrait déplorer la consécra- L’Acte uniforme consacre également un des paiements.
tion d’un mécanisme qui, en droit effort significatif pour clarifier la situa-
français, paraît relever d’un autre âge. tion des créanciers et assurer au mieux A – Le traitement des difficultés
Mais est-ce vraiment le cas ? La notion la satisfaction de leurs intérêts. Par d’une entreprise en l’absence
de cessation des paiements
de comité des créanciers, certes réservée exemple, l’inaction du syndic confère aux
aux grandes entreprises, dans la loi fran- créanciers titulaires de sûretés spéciales On parle aussi parfois de traitement
çaise de 2005 récemment réformée par la possibilité de réaliser eux-mêmes leur préventif des difficultés pour signifier par >

N 0 6 7 • J A N V I E R 2 010 • R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L 77
L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

là que la situation de l’entreprise ne permet à tout associé de poser deux fois Le débiteur adresse une requête à la
justifie pas encore l’ouverture d’une par an des questions aux dirigeants de juridiction compétente ; il lui expose sa
procédure collective. la société (AUDSG, art. 157 et 158) ; situation et indique les créances pour
Il n’entre pas dans ce propos d’analyser citons encore l’expertise de gestion lesquelles il sollicite une suspension des
les causes des difficultés des entreprises (AUDSG, art. 159 et 160) qui autorise un poursuites individuelles. Le risque d’abus
qui sont identiques en Afrique à celles ou plusieurs associés représentant le d’une telle procédure est limité par
que l’on connaît dans d’autres pays. On cinquième du capital social à demander l’impossibilité de renouveler une telle
sait la diversité des clignotants qui au président de la juridiction compétente requête dans un délai de cinq ans à comp-
doivent alerter sur la situation d’une de désigner un ou plusieurs experts ter d’une précédente décision ayant
entreprise : recours massif au crédit, chargés de présenter un rapport sur une abouti à un règlement préventif.
non-fonctionnement des organes sociaux, ou plusieurs opérations de gestion. En même temps, dans les trente jours,
succession d’exercices déficitaires, etc. Ce traitement amiable comporte naturel- le débiteur doit déposer au tribunal une
L’Acte uniforme sur les sociétés commer- lement la possibilité de remplacer les offre de concordat préventif. Cette offre
ciales du 17 avril 1997 a d’ailleurs inté- dirigeants à l’origine des difficultés et doit préciser les mesures et conditions
gré certains de ces clignotants. Il en est surtout la possibilité de demander des envisagées pour le redressement de l’en-
ainsi du refus du commissaire aux délais de paiement. treprise (Acte uniforme, art. 7). Elle est
comptes de certifier les comptes de l’en- Il s’agit pour le débiteur d’obtenir de ses transmise au président du tribunal qui
treprise, possibilité prévue par l’article 710 créanciers des reports d’échéance dans peut décider sans délai d’une suspen-
de ce texte ; de même l’article 664 de cet le cadre d’un concordat amiable. Le sion des poursuites individuelles des
Acte uniforme prévoit la situation d’une débiteur peut également obtenir des créances visées par le débiteur. Mais cer-
entreprise dans laquelle les capitaux reports d’échéance en vertu de l’Acte uni- taines créances y échappent, telles les
propres deviennent inférieurs de moitié forme sur les procédures simplifiées de créances de salaires ou les créances cam-
au capital social en raison des pertes recouvrement et les voies d’exécution biaires. Cette suspension des poursuites
subies. Ce sont autant de circonstances (v. Acte uniforme portant organisation des comporte des contreparties qui limitent
qui sont susceptibles de révéler les procédures simplifiées de recouvrement les pouvoirs du débiteur, notamment des
difficultés d’une entreprise. et des voies d’exécution, JO OHADA, n° 6, interdictions de paiement, sauf autorisa-
Parmi l’ensemble des procédures envi- 1er juin 1998, p. 1, art. 39 ; v. également tion du président du tribunal. Le non-
sagées par les textes de l’OHADA pour OHADA, Traité et Actes uniformes respect de ces dispositions est sanctionné
traiter ces difficultés, on peut distinguer commentés et annotés, op. cit., avec le par l’inopposabilité des actes, voire par
entre celles purement amiables interve- commentaire de Diouf N.). Comme en des sanctions pénales.
nant dans le cadre du fonctionnement droit français (C. civ., art. 1244-1 et s.), Le président du tribunal, tout en déci-
normal de l’entreprise (1) et celles la juridiction compétente peut ainsi dant la suspension individuelle des pour-
nécessitant une intervention judiciaire (2). reporter ou échelonner le paiement des suites, doit nommer un expert dont la
sommes dues dans la limite d’un an en mission centrale est de faciliter la conclu-
1 – Le traitement amiable
des difficultés des entreprises fonction de la situation du débiteur et sion d’un accord entre le débiteur et ses
du créancier. À ce stade, le juge entre créanciers.
On connaît les solutions internes ou donc en scène. Si un concordat est conclu avec les créan-
externes à l’entreprise qui lui permettent ciers, la juridiction compétente peut
d’obtenir des financements nécessaires 2 – Le traitement judiciaire en l’absence l’homologuer sous certaines conditions ;
de cessation des paiements
pour faire face à ses difficultés : avance en particulier le concordat doit permettre
en compte courant, emprunts obliga- Selon l’article 2 de l’Acte uniforme sur les leredressement de l’entreprise et ne pas
taires, augmentation de capital, crédits procédures collectives, le règlement pré- prévoir des délais de paiement excédant
bancaires, etc. Ces solutions font appel ventif est une procédure destinée à éviter trois ans.
à des techniques financières extérieures la cessation des paiements, voire la ces- Si, en revanche, le concordat n’est pas
à ce propos, mais que le droit de l’OHADA sation d’activité de l’entreprise. Il s’agit de homologué, toutes les solutions sont
n’exclut pas. Il en est de même des parvenir à un concordat préventif en vue ouvertes : renégociation aux conditions
interventions étatiques toujours possibles. de permettre l’apurement du passif. Le fixées par le tribunal, redressement
Mais il semble qu’en Afrique ces inter- règlement préventif s’inspire de solutions judiciaire ou liquidation des biens, si
ventions soient aujourd’hui moins nom- ayant existé en France : qu’il s’agisse de l’entreprise est en cessation des paie-
breuses que par le passé, tant il est vrai la suspension provisoire des poursuites ments, ou encore rejet du concordat, si
que le désengagement de l’État est un instituée par l’ordonnance du 23 septembre la situation économique de l’entreprise
phénomène qui ne touche pas que la 1967 ou du règlement amiable issu de la ne le nécessite pas.
France. loi du 1er mars 1984, remplacé depuis, en Les effets du concordat homologué
Plus spécifique est le cas de la procédure France, par la procédure de conciliation concernent essentiellement les créan-
d’alerte mise en œuvre par le commis- initiée par la loi du 26 juillet 2005. ciers antérieurs, privilégiés ou non ; ils
saire aux comptes et consacrée par les Ce règlement préventif s’applique aux sont tenus par les conditions relatives
articles 150 à 158 de l’Acte uniforme mêmes entreprises que celles visées dans aux délais ou aux remises consenties
relatif au droit des sociétés commerciales l’Acte uniforme par le redressement dont ne peuvent pas cependant se
et du groupement d’intérêt écono- judiciaire ou la liquidation des biens. Mais, prévaloir les cautions et coobligés du
mique (AUDSG). Ce mécanisme était sur le plan économique, peuvent être débiteur.
inconnu jusque-là dans les États parties affectées par cette procédure les entre- Au total, le règlement préventif apparaît
à l’OHADA. prises qui connaissent une situation diffi- certes comme très influencé par le droit
Est également prévue, comme en droit cile, mais non irrémédiablement compro- français. Mais il représente en Afrique,
français, une procédure d’alerte au mise, c’est-à-dire celles qui ne sont pas malgré quelques défauts relevés par la
bénéfice des associés : droit d’alerte qui encore en cessation des paiements. doctrine (Sawadogo F. M., L’application

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PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
judiciaire du droit des procédures collec- Les modes de saisine sont ceux habituel- a – À l’égard des organes
tives en Afrique francophone à partir de lement pratiqués : saisine par le débi- de la procédure
l’exemple du Burkina Faso, précité, teur, par les créanciers, saisine d’office. Le premier de ces effets concerne les
n° 86), une véritable innovation. Il n’exis- Le ministère public ne dispose pas, en organes judiciaires et non judiciaires qui
tait pas jusque-là, en effet, dans les États revanche, du pouvoir de saisine ; rien ne vont gérer la procédure tout au long de
parties de véritable procédure d’assai- l’empêche néanmoins de communiquer son déroulement.
nissement antérieure à la cessation des les informations dont il dispose au Parmi les organes judiciaires, le tribunal
paiements. tribunal qui pourra se saisir d’office. joue un rôle essentiel dans l’administra-
Constatant la cessation des paiements, tion proprement dite de la procédure,
B – Le traitement des difficultés la juridiction saisie doit prononcer l’ou- mais assume aussi une fonction de
d’une entreprise en cessation verture d’une procédure de redressement centralisation des contestations.
des paiements
judiciaire ou de liquidation des biens. La L’Acte uniforme a également prévu la
C’est la partie la plus importante de cet question du choix de la procédure se nomination d’un juge-commissaire
Acte uniforme, allant de l’article 25 pose donc dès l’ouverture de celle-ci ; parmi les membres du tribunal. Il
à l’article 225, à l’exception des textes mais elle peut être également tranchée dispose de moyens d’information et
consacrés au règlement préventif, aux dans un délai très bref à compter du d’attributions nombreuses relatives au
dispositions en matière pénale et à celles jugement d’ouverture. Il n’y a donc pas, contrôle des opérations accomplies en
relatives aux procédures collectives comme en droit français, de période particulier par le syndic. Il statue par
internationales (pour un texte qui, au d’observation, d’où l’importance de la ordonnance et exerce au total sa com-
total, comporte deux cent cinquante-huit proposition d’un concordat sérieux au pétence pour trancher toute difficulté
articles). On se limitera évidemment dans non attribuée à la compétence d’un autre
notre propos à une présentation synthé- organe.
tique de ces principaux dispositifs. L’Acte uniforme ne fait Quant au ministère public, il dispose
À l’exception de quelques particularités pas exception par également de pouvoirs d’information,
remarquables, l’investisseur étranger, s’il rapport à la plupart d’investigation et de poursuite, notam-
est notamment familier du droit français, des systèmes juridiques ment sur le plan pénal en cas de ban-
ne sera pas désemparé. actuels : l’ouverture queroute.
Est donc organisé à travers ces textes le Ce rôle des organes judiciaires est essen-
d’une procédure
traitement curatif de l’entreprise qui, tiel dans la conduite de la procédure.
paradoxalement, pour la doctrine domi-
collective nécessite Selon les commentateurs, il ne semble
nante, n’est considérée comme malade un jugement. pourtant pas que les juges aient en
qu’à partir du moment où elle est en Afrique pleinement conscience des attri-
cessation des paiements. Les textes butions qui leur ont été confiées par l’Acte
prévoient deux procédures : la procédure moment de la saisine du tribunal. uniforme. On déplore ainsi que de
de redressement judiciaire et la procé- La nécessité d’un jugement pose le nombreuses procédures se terminent sans
dure de liquidation des biens. On en problème de la licéité d’une faillite de jugement de clôture, ni paiement
examinera successivement les conditions fait. Cette question est tranchée par l’ar- substantiel des créanciers.
d’ouverture (1) et les effets (2). ticle 32 de l’Acte uniforme. En l’absence Parmi les organes non judiciaires, le
de jugement ouvrant la procédure, le syndic joue un rôle fondamental tant en
1 – Les conditions d’ouverture débiteur ne saurait profiter du régime matière de redressement judiciaire que
On ne reviendra pas sur les conditions avantageux du droit des procédures de liquidation des biens. Son statut doit
d’ouverture des procédures aussi bien collectives au détriment des créanciers. normalement lui assurer l’indépendance
rationae personae que rationae materiae L’Acte uniforme reconnaît en revanche dans l’exercice de ses fonctions. Le syn-
déjà examinées (v. supra, I). la validité de la faillite de fait en matière dic exerce des fonctions multiples : en
Au plan procédural, l’Acte uniforme pénale. Peut être ainsi condamné pour tant que mandataire de justice, il agit
ne fait pas exception par rapport à la banqueroute simple ou frauduleuse le pour le compte de la juridiction compé-
plupart des systèmes juridiques actuels : débiteur ou le dirigeant, alors même que tente. Mais en cas de liquidation des
l’ouverture d’une procédure collective la cessation des paiements n’aurait pas biens, il agit aussi en lieu et place du
nécessite un jugement. Est donc posée été constatée (Acte uniforme, art. 236). débiteur ou bien il l’assiste en cas de
la question du tribunal compétent qui Cette disposition est contraire à une ten- redressement judiciaire. Enfin, il est en
est dans l’Acte uniforme celui du princi- dance lourde du droit français qui privi- même temps un représentant de la masse
pal établissement ou du siège social du légie actuellement la dépénalisation en des créanciers. Il en résulte le risque d’un
débiteur (Acte uniforme, art. 4, 25 et 26). matière de droit des affaires. conflit de fonctions que le droit français
Mais le texte admet la possibilité d’ou- a résolu en séparant les fonctions entre
2 – Les effets du redressement
vrir une procédure contre une entreprise judiciaire et de la liquidation plusieurs organes.
qui n’a pas son siège social dans l’État des biens L’Acte uniforme a maintenu une assem-
du tribunal saisi ou encore la possibilité blée des créanciers chargée de voter le
d’ouvrir une procédure principale et des Les effets produits par le jugement d’ou- concordat ; en cela le texte se rattache
procédures secondaires (Acte uniforme, verture du redressement judiciaire ou davantage à la loi française du 13 juillet
art. 247 à 256). de la liquidation des biens sont ana- 1967. Mais cette assemblée n’est pas
La hiérarchisation des procédures joue logues à ceux que fait produire le droit obligatoire, puisqu’un concordat sim-
évidemment en faveur de la procédure français. Ces effets sont opposables aux plifié a été prévu lorsque la proposition
principale, ce qui permet de remédier au tiers dès le jour du jugement avant même ne comporte ni demande de remise de
désordre qu’engendre la pluralité des qu’il n’ait été procédé à la publicité dettes, ni délai de paiement supérieur
procédures. légale. à deux ans. >

N 0 6 7 • J A N V I E R 2 010 • R E V U E L A M Y D R O I T C I V I L 79
L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

L’Acte uniforme prévoit enfin la possibi- Il y a, d’une part, les créanciers de la au nom de l’intérêt collectif des créan-
lité pour le juge-commissaire de nom- masse ou contre la masse dont les droits ciers (Acte uniforme, art. 118).
mer des contrôleurs choisis parmi les sont nés après le jugement d’ouverture Logiquement, la masse dotée de la per-
créanciers. Ils ont une mission de contrôle en conformité avec le dessaisissement ; sonnalité morale devrait disposer d’un
et de surveillance peu précise, par ces créanciers correspondent à la caté- patrimoine propre. Mais l’Acte uniforme
exemple, assister à la vérification des gorie des créanciers dits postérieurs en ne définit pas un régime juridique de ce
créances. droit français. Soit ces créanciers sont patrimoine distinct de celui du patrimoine
payés au comptant (Acte uniforme, du débiteur. Il y a donc la nécessité de faire
b – À l’égard du patrimoine art. 108), soit ils bénéficient d’un droit en sorte que toutes les opérations de
du débiteur d’être payés par priorité car leurs pres- paiement se déroulent dans le cadre d’un
Les effets de l’ouverture de la procédure tations sont présumées avoir profité à seul patrimoine, celui du débiteur.
vont également affecter le patrimoine du la masse. Un ordre de paiement avan- Pour être admis dans la masse, ces créan-
débiteur. tageux est fixé par les articles 166 et 167 ciers sont soumis à un mécanisme de
En revanche, ces mesures ne concernent de l’Acte uniforme. Mais encore faut-il production de leurs créances. Cette pro-
pas la personne du débiteur. En effet, que les biens composant l’actif ne soient duction se traduit par une déclaration
avant l’entrée en vigueur de l’Acte uni- pas grevés de sûretés spéciales. Le jeu des créances adressée au syndic dans un
forme, l’idée même d’incarcération du de ces sûretés risquerait en effet de délai strict (trente jours) à compter de la
débiteur avait déjà été abandonnée par priver ces créanciers de la masse du publicité de l’ouverture de la procédure.
les législations contemporaines. bénéfice tiré de cet ordre de paiement Le créancier doit préciser dans cette
Les mesures patrimoniales ont d’abord avantageux. déclaration le montant de sa ou ses
un caractère conservatoire et doivent On rappellera l’existence de créanciers créances, les sûretés qui y sont attachées,
permettre simultanément de connaître hors masse dont les droits nés également les sommes à échoir ainsi que les dates
l’actif du débiteur : autant de mesures après le jugement d’ouverture l’ont été d’échéance. Le défaut de déclaration est
très classiques en la matière. au mépris du dessaisissement. Leurs sanctionné par la forclusion ; c’est une
En second lieu, diverses mesures tendent droits sont inopposables à la masse. sanction grave qui rend la créance inop-
au dessaisissement plus ou moins complet À cette première catégorie s’opposent les posable à la masse et ne pourra plus être
du débiteur. Entre le redressement judiciaire créanciers de la masse dont les droits honorée qu’une fois la procédure clôtu-
et la liquidation des biens, il y a seulement sont nés avant le jugement d’ouverture : rée, autant dire jamais. Mais la forclu-
une différence de degré à l’intérieur d’une autrement dit les créanciers dits anté- sion est une sanction réversible décidée
même situation qui est le dessaisissement. rieurs, catégorie bien connue du droit par le juge-commissaire chaque fois
En cas de redressement judiciaire, le débi- français. Cette catégorie de créanciers que le créancier démontre que la non-
teur doit se faire assister par le syndic, c’est- regroupe aussi bien les créanciers titu- déclaration de sa ou ses créances n’est
à-dire obtenir son accord et sa participa- laires de sûretés spéciales réelles ou de pas de son fait.
tion à l’acte envisagé. Dans une liquidation privilèges généraux que les créanciers L’exigibilité des créances à terme, clas-
des biens, le débiteur est purement et sim- chirographaires. sique contrepartie de la suspension des
plement représenté par le syndic. Mais quelle L’article 72 de l’Acte uniforme constitue poursuites individuelles, n’est consa-
que soit la procédure mise en œuvre, le syn- cette seconde catégorie de créanciers en crée que partiellement en matière de
dic dispose seul du pouvoir d’opter pour une masse. Celle-ci est représentée par liquidation des biens. Elle ne joue pas,
la continuation des contrats en cours, se- le syndic qui seul agit en son nom, dans en revanche, en matière de redresse-
lon un dispositif très classique. son intérêt collectif, et peut l’engager. ment judiciaire, ce qui du point de vue
Quelques limites à ce dessaisissement Contrairement au droit français, l’Acte du créancier l’encourage à se détourner
concernent classiquement certains biens uniforme a donc conservé la notion de de cette procédure (Acte uniforme,
déclarés insaisissables, notamment de masse et y fait appel à de nombreuses art. 76).
nature alimentaire. De même certains reprises dans les textes ; ainsi parle-t-on Le jugement d’ouverture arrête, sauf
actes conservatoires utiles aux créanciers de l’« inopposabilité à la masse » (Acte exception, le cours des intérêts de toute
peuvent être accomplis par le débiteur uniforme, art. 67 à 71), de l’« hypothèque nature à l’égard des créanciers de la
seul. Comme le droit français, l’Acte uni- légale de la masse» (Acte uniforme, art. 74 masse (Acte uniforme, art. 77). On
forme déclare également licite le méca- et 135), des « créances de la masse » ou notera que les intérêts continuent néan-
nisme de la compensation lorsque le « contre la masse » (Acte uniforme, moins à courir à l’égard des cautions et
débiteur est en même temps créancier art. 108, 117, 142, 166 et 167), de la coobligés.
de son créancier. « représentation de la masse » (Acte uni- De même, est arrêté le cours des inscrip-
Le non-respect du dessaisissement forme, art. 72 et 75), etc. Autant de textes tions de sûretés (Acte uniforme, art. 73).
expose à une inopposabilité de l’acte à qui lui confèrent donc un certain nombre La solution a un domaine étendu à toutes
la masse des créanciers ; celui qui a payé de prérogatives. les sources de sûretés conventionnelles,
le débiteur s’expose donc schématique- Même si l’Acte uniforme ne le précise judiciaires ou légales.
ment à payer deux fois ou à restituer le pas expressément, la masse est semble- Sont également suspendues les pour-
bien acquis. t-il dotée de la personnalité morale. Elle suites individuelles et les voies d’exécu-
peut dès lors faire valoir un intérêt tion exercées par les créanciers dans la
c – À l’égard des créanciers distinct de celui des créanciers qui la masse. Il s’agit des poursuites tendant à
On retrouve à ce sujet une distinction composent. Toute personne, créancière ou faire reconnaître des droits et des créances
essentielle entre deux catégories de non, ayant par exemple contribué à la ou des voies d’exécution tendant à en
créanciers, distinction qui prend en diminution de l’actif ou à l’accroissement obtenir le paiement (Acte uniforme,
compte la préservation de la notion de du passif du débiteur peut être condam- art. 75). Dans les procédures collectives,
masse des créanciers, abandonnée en née à réparer le préjudice subi par la on le sait, le prix de la course est rangé
droit français. masse. L’action est exercée par le syndic au magasin des accessoires. Le principe

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PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
d’égalité des créanciers s’accommode invoque une clause résolutoire (Acte uni- une solution de redressement qui ne
mal, en effet, de l’exercice anarchique forme, art. 104 à 106). dépend plus forcément de la bonne
de poursuites individuelles. Le caractère aléatoire des droits du ven- volonté des créanciers, l’Acte uniforme
Un certain nombre de limites et d’amé- deur de meubles en fonction de leur loca- a conservé le concordat. Il s’agit d’une
nagements atténuent la brutalité de la lisation géographique milite justement en convention conclue entre le débiteur et
règle. On notera, par exemple, la suspen- faveur de la stipulation d’une clause de ses créanciers. Cette convention doit être
sion des délais impartis aux créanciers réserve de propriété. La licéité de celle-ci homologuée par le tribunal qui en
pour agir. Mais les actions tendant à est également consacrée, sous réserve garantit le sérieux et la fiabilité (Guyon Y.,
l’annulation ou à la résolution d’un cependant que cette clause ait été publiée Droit commercial (règlement judiciaire,
contrat ne sont pas suspendues, même au registre du commerce et du crédit liquidation de biens, suspension provi-
lorsque ces actions se traduisent par le mobilier du greffe du tribunal où est soire des poursuites, faillite personnelle),
paiement d’une somme d’argent. Cette immatriculé le titulaire de la clause. Licence en droit, Les Cours de droit,
dernière solution se différencie de la loi 1978-1979, 2 fascicules, p. 279).
française du 25 janvier 1985 dont ces d – Les solutions du redressement Avant même le prononcé du jugement
restrictions de droits s’inspirent pourtant judiciaire et de la liquidation des biens d’ouverture, le débiteur présente un plan
dans l’Acte uniforme. Dans le conflit d’intérêts qui oppose les de règlement du passif et de redresse-
Concernant la révision des droits des créanciers au débiteur, les solutions ment de l’entreprise qu’il s’engage à exé-
créanciers du fait de l’ouverture de la permettant de mettre un terme à la cuter une fois remis à la tête de ses
procédure, l’Acte uniforme reprend, en procédure collective sont évidemment affaires. Ce concordat doit être distingué
outre, le régime de l’inopposabilité des essentielles. du concordat préventif intervenant au
actes accomplis pendant la période cours d’un règlement préventif. Ce
suspecte (Acte uniforme, art. 67 à 71). Contrairement au droit concordat peut en outre comporter une
Sanctionnant une rupture du principe français, l’Acte uniforme cession partielle d’actif.
d’égalité entre créanciers, ce dispositif a opté pour davantage La recherche de la sauvegarde de l’entre-
comporte, d’une part, des inopposabi- prise paraît acquérir de plus en plus
lités de plein droit dont la liste est
de réalisme. Chaque fois d’importance dans la pratique judiciaire
équivalente à celle connue en droit fran-
qu’il apparaît que en Afrique. Mais elle demeure largement
çais, excepté des inopposabilités ajou- l’entreprise ne pourra dépendante de la volonté des créanciers.
tées récemment dans la loi de 2005 et pas être redressée, Cela suppose un vote de leur part auquel
l’ordonnance de 2008. Figurent, d’autre sa liquidation ne prennent part que les créanciers dans
part, des inopposabilités facultatives dont doit s’imposer. la masse. L’homologation par le tribunal
la condition essentielle est la connais- n’est prononcée ensuite qu’à condition
sance de la cessation des paiements du Mais un observateur averti souligne que que le concordat respecte les conditions
débiteur qu’avait le créancier au moment fréquemment la procédure collective se de validité prévues par le texte et offre des
de la conclusion de l’acte. termine en « queue de poisson », selon possibilités sérieuses de redressement de
L’acte ayant été déclaré inopposable à la une expression très significative (Sawa- l’entreprise.
masse, il ne restera plus au créancier qu’à dogo F. M., L’application judiciaire du Le concordat met fin à la procédure. Le
produire sa créance à titre chirographaire droit des procédures collectives en Afrique débiteur peut reprendre la libre adminis-
dans la procédure avec les autres créan- francophone à partir de l’exemple du tration de ses affaires. Le concordat est
ciers dans la masse. Si l’acte, en revanche, Burkina Faso, précité, nos 131 et s.). Le opposable à tous les créanciers antérieurs
a eu pour objet une libéralité, non seu- dossier est ainsi refermé sans redresse- dans la mesure de leurs engagements. Mais
lement le bénéficiaire devra restituer le ment de l’entreprise, sans paiement son bénéfice est relatif, en ce sens qu’il ne
bien, mais il ne sera pas autorisé à substantiel des créanciers et sans même profite qu’au débiteur et à lui seul et non
participer dans la masse aux distribu- un jugement de clôture. pas aux cautions et coobligés. Ces der-
tions de dividendes. L’Acte uniforme, pour sa part, envisage niers, après s’être acquittés de leurs enga-
Enfin, d’une part, l’Acte uniforme a quatre types de solutions au terme du gements, seront donc dans la position de
organisé le régime des actions en reven- déroulement de la procédure collective : créanciers dans la masse qui subissent les
dication de biens ou de droits exercées • soit la procédure est clôturée pour stipulations concordataires.
par certains créanciers (Acte uniforme, extinction du passif ; c’est une solution Concernant l’exécution du concordat,
art. 102, 103). Le principe de l’admission exceptionnelle autrement appelée par- soit il est correctement exécuté, et il prend
de l’action en revendication est posé. fois clôture pour défaut d’intérêt de la alors fin au paiement de la dernière
Pour les biens immeubles, il n’y a pas masse ; échéance concordataire, soit différents
de difficultés en raison des règles de la • soit, après l’ouverture d’un redresse- incidents jalonnent son exécution, il peut
publicité foncière. Ce principe joue aussi ment judiciaire, un concordat est conclu être, dès lors, selon le cas, annulé ou
pour les biens meubles malgré l’appa- entre les créanciers et le débiteur ; résolu, la procédure étant alors conver-
rente propriété du débiteur résultant de • soit, après l’ouverture d’une liquida- tie en liquidation des biens si la cessa-
la détention du bien. Mais l’action en tion des biens, est offerte une alternative tion des paiements perdure.
revendication est enfermée dans un entre deux solutions : l’union ou la
délai très strict et nécessite que le reven- clôture pour insuffisance de l’actif. La liquidation de l’entreprise. — Contrai-
diquant ait produit sa créance en bonne En définitive, soit l’entreprise est redres- rement peut-être au droit français, l’Acte
et due forme. sée, soit elle est liquidée. uniforme a opté pour davantage de
D’autre part, l’Acte uniforme réglemente réalisme. Chaque fois qu’il apparaît que
les droits du vendeur de meubles, selon Le concordat, solution de redressement. — l’entreprise ne pourra pas être redressée,
qu’il n’est pas encore dessaisi, que la Alors que la législation française a évo- sa liquidation doit s’imposer. Deux
chose est en cours de transport ou qu’il lué, par le biais de la loi de 1985, vers dispositifs permettent d’aboutir à cette >

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L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

disparition : l’union et la clôture pour Sont possibles également des cessions par- À l’instar de l’union, la clôture met fin
insuffisance d’actif. tielles ou globales d’actif (Acte uniforme, à la procédure de liquidation des biens
L’union est la procédure qui suit le constat art. 160). La cession globale sera d’autant et permet aux créanciers de retrouver
fait dans le jugement d’ouverture ou de plus opportune qu’elle comporte des uni- leur droit de poursuite individuelle. On
conversion en liquidation des biens, tés d’exploitation autonomes, ce qui notera la différence avec le droit français
selon lequel l’entreprise ne pourra pas nécessite des offres formulées par des qui pose désormais le principe de la
être redressée, ne serait-ce qu’en repreneurs dans certaines conditions. Le libération du débiteur à l’égard des
l’absence d’une proposition de concor- traitement de ces offres incombe au créanciers, sauf exceptions.
dat sérieuse ou de rejet de celui-ci. syndic et au juge-commissaire. Au terme de cette brève analyse, on
Les créanciers sont unis pour liquider Le syndic et le juge-commissaire procè- peut avoir un sentiment partagé sur ces
l’actif de leur débiteur et se payer sur le dent ensuite à l’apurement du passif qui textes.
produit qui en résultera. L’union est ainsi est l’objectif essentiel dans une liquida- D’un côté, on ne peut que se féliciter de
la conséquence d’un constat d’échec, tion des biens. Cela ne présume pas du la teneur de cet appareil normatif qui est
quelles qu’en soient les causes (Thaller E., paiement intégral de toutes les créances à même de répondre, au moins en théo-
Traité élémentaire de droit commercial, admises. Tout dépendra de l’actif réalisé. rie, aux attentes des investisseurs étran-
6e éd., revue et mise à jour par Percerou J., Un mécanisme de collocation est mis en gers. L’Acte uniforme sur les procédures
Paris, Librairie A. Rousseau, 1922, p. 990). œuvre selon lequel les créanciers sont collectives s’intègre ainsi parfaitement
Il en résulte un régime juridique qui payés dans un ordre privilégiant les dans un ensemble de normes qui font de
gouverne la réalisation de l’actif, tant en créanciers titulaires de sûretés. l’OHADA un acteur et un partenaire à part
ce qui concerne les meubles que les Au terme de ces opérations, doit être entière de la mondialisation du droit.
immeubles. En cas de contestation, le normalement prononcé un jugement de C’était le vœu des initiateurs de cette
syndic est autorisé à compromettre ou à clôture de l’union. Les créanciers recou- organisation : il semble comblé. Cela per-
transiger chaque fois que les intérêts de vrent l’exercice individuel de leurs actions mettra-t-il à l’Afrique sub-saharienne de
la masse sont en cause. Mais le compro- pour le reliquat impayé ou lorsqu’ils mieux s’insérer dans le concert écono-
mis ou la transaction sont soumis à ont été exclus de la distribution des mique mondial? La question est posée;
l’homologation du tribunal lorsque le dividendes. mais la réponse n’est pas évidente tant
montant en jeu est supérieur au mon- Seconde solution de la liquidation des cette insertion ne dépend pas que du seul
tant en dernier ressort du tribunal biens, la clôture pour insuffisance facteur juridique.
compétent. Quant aux créanciers munis d’actif est pour les créanciers la pire des De l’autre, on ne manquera pas de s’in-
de sûretés réelles, ils font l’objet d’une solutions (Acte uniforme, art. 173 à 177). terroger sur l’adaptation de cet appareil
protection particulière : par exemple, le Il s’agit pour le tribunal de constater normatif à une certaine réalité de l’éco-
créancier gagiste peut conserver le l’absence de fonds nécessaires pour nomie africaine. Le secteur informel de
bien tant que sa créance n’a pas été poursuivre les opérations de liquidation. cette économie trouvera-t-il des réponses
remboursée. La clôture peut être prononcée à toute adéquates dans l’Acte uniforme sur les
Toute une série de dispositions gouver- époque de la procédure. Mais l’Acte uni- procédures collectives ? On peut avoir
nent la réalisation des immeubles ; ces forme impose de manière paradoxale la quelques doutes. À cela on répondra que
dispositions mettent en œuvre des vérification des créances et revendica- l’OHADA est encore une organisation
mécanismes de vente sur saisie immo- tions, quelle que soit l’importance de jeune dont la construction normative est
bilière, par voie d’adjudication amiable l’actif et du passif, ce qui ne peut que en devenir. L’optimisme l’emportera donc
ou de vente de gré à gré. retarder la décision de clôture. délibérément ! ◆
RLDC

3699

Par Grégoire
BAKANDEJA
wa MPUNGU
L’internationalisation des
Doyen, Docteur d’État
en droit économique,
Professeur aux Universités
de Kinshasa et Paris I Sorbonne
échanges et le droit OHADA
Vice-président de l’INEADEC

L’entreprise est une unité de décisions imaginé pour répondre à ce besoin gouvernance. C’est par le droit que cette
économiques qui utilise le capital de sécurité. Personne ne doute sécurité peut être garantie à l’entreprise
et le travail pour produire des biens aujourd’hui de la réalité du droit lorsqu’elle entend développer ses activi-
et services dans un but de profitabilité. OHADA. Dans l’esprit de ses tés au plan international.
Lorsqu’elle entend développer fondateurs, c’est un droit à vocation En effet, l’entreprise engagée dans le
ses activités à l’étranger, elle a besoin régionale et donc internationale. commerce international attend du droit
que lui soient garanties, à l’étranger, la
du droit pour la protection de ses
investissements. Elle a besoin d’un
cadre juridique et judiciaire sécurisé.
D roit actuel et rénové, droit qui par-
ticipe du mouvement de la mon-
dialisation, le droit OHADA présente des
sécurité et la liberté de son personnel
ainsi que la disposition de ses actifs. Elle
compte, à cet égard, notamment sur les
En Afrique, le droit de l’Organisation atouts majeurs pour le développement traités et les règles coutumières. Elle
pour l’harmonisation en Afrique sécurisé des affaires dans un continent attend, en second lieu, le maximum pos-
du droit des affaires (OHADA) a été confronté à de nombreux problèmes de sible d’organisation du cadre économique

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PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
où elle devra évoluer, notamment par financiers africains, principalement en dans les pays francophones au moment
l’existence des accords monétaires, tari- Afrique de l’Ouest, d’éviter l’effondre- de leur accession à l’indépendance, l’uni-
faires, etc. Elle attend enfin que ses ment de ces marchés et l’accentuation fication de leur droit des affaires devait
relations privées avec les entreprises étran- de la crise économique. constituer une priorité.
gères obéissent à des règles commodes et Le droit OHADA présente ainsi l’atout Le rôle premier de l’OHADA est donc
précises, acceptées par toutes les parties majeur d’être un droit de recherche celui de servir de moyen de renforcement
en cause. Le droit de l’OHADA, nous d’équilibre en vue de la promotion des de la sécurité juridique et judiciaire dans
semble-t-il, apporte des réponses à ces investissements; l’objet primordial étant son espace d’application en vue d’un
préoccupations (v. Schapira J. et Leben C., de les sécuriser et donc de protéger les progrès commun par des investissements
Le droit international des affaires, PUF, acteurs économiques qui sont les créa- sécurisés et d’une intégration écono-
3e éd., 1996. p. 3). teurs de richesses. mique consolidée par un droit des
Cependant, quatorze ans après la mise en Si le droit OHADA, qui participe à l’in- affaires unifié que les États se sont offert
vigueur du Traité de Port-Louis relatif à ternationalisation des affaires, constitue en partage.
l’Organisation pour l’harmonisation en à n’en point douter un cadre approprié Conformément aux dispositions de
Afrique du droit des affaires (OHADA), de sécurisation des investissements, on l’article 1er du Traité de Port-Louis, les
il est normal de se poser la question de ne devrait pas pour autant ignorer les objectifs de l’OHADA consistent à harmo-
savoir si l’intégration juridique visée dans obstacles auxquels ce droit est confronté niser le droit des affaires des États parties
l’espace OHADA, appelé à s’élargir avec dans sa mise en œuvre pour des raisons «par l’élaboration et l’adoption des règles
des adhésions annoncées de nombreux diverses. communes simples, modernes et adaptées
États issus de systèmes juridiques autres à la situation de leurs économies» et à pro-
que romano-germaniques, répond aux mouvoir l’arbitrage comme un mode de
attentes des acteurs économiques qui se L’harmonisation est règlement des différends contractuels, à
méfiaient des disparités des réglementa- le maître mot du droit améliorer le climat d’investissement, à
tions et des solutions de règlement des OHADA. Cela implique soutenir l’intégration économique africaine
différends applicables au droit des affaires et à favoriser l’institution d’une commu-
à terme l’uniformisation
au lendemain des indépendances dans la nauté économique africaine, « en vue
plupart des ex-colonies françaises.
des règles pour d’accomplir de nouveaux progrès sur la
Il peut paraître paradoxal de traiter de la les rendre applicables voie de l’unité africaine».
sécurisation des investissements des et opposables En ce sens, la mission principale de
entreprises en Afrique francophone au aux acteurs. l’OHADA est de créer un droit des affaires
moment où l’actualité financière interna- uniforme applicable de la même façon
tionale est dominée par les effets collaté- dans tous les États, ce qui confirme son
raux de la crise de la mondialisation, C’est de ce constat d’internationalité caractère international.
appelée autrement crise financière. Cette et la revue des problèmes et solutions
crise financière actuelle qui s’accompagne nées de la pratique des affaires en B – Le droit OHADA participe
de la crise économique avec ses consé- Afrique que s’articulera cette note de la mondialisation de l’économie
et du droit
quences ressenties dans les principaux d’observation.
pays industrialisés et émergents conduit Le droit OHADA est désormais une réa-
au ralentissement des investissements. lité en Afrique. Il est une opportunité
Curieusement, c’est une crise qui n’a pas I – LE DROIT OHADA, UN DROIT sans précédent pour le développement
frappé durement les États du périmètre QUI S’INSCRIT DANS LE PROCESSUS des affaires. Ses mérites ont été démon-
OHADA. La raison est toute simple, le DE MONDIALISATION trés à travers les communications des
droit OHADA a protégé l’Afrique. Il est évident que le mouvement de mon- intervenants lors de ce colloque.
Le présent colloque initié par le Centre dialisation de l’économie et du droit a En effet, comme l’écrivent Issa-Sayegh
de droit économique de la faculté de droit atteint, au cours de la dernière décennie et Lohoues-Oble (Issa-Sayegh J. et
d’Aix-en-Provence est une preuve qu’il du XXe siècle, des proportions telles qu’au- Lohoues-Oble J., OHADA, Harmonisa-
est plus qu’urgent de mener une réflexion cune partie de la planète ne peut y échap- tion du droit des affaires, Bruxelles,
sur la question de la sécurisation des per (v. Bakandeja wa Mpungu G., Le droit Bruylant, coll. Droit uniforme africain,
investissements des entreprises en du commerce international, Les peurs jus- 2002), la mondialisation du droit se
Afrique pour baliser le chemin et tifiées de l’Afrique face à la mondialisa- traduit par :
construire l’avenir. C’est donc à juste titre tion des marchés, Bruxelles-Paris-Kinshasa, • un affaiblissement de la souveraineté
que les organisateurs de ce colloque ont De Boeck et Larcier, Afrique éditions, 2001). de l’État par suite du renforcement des
estimé nécessaire de tenir ces assises en Dans un tel contexte, les États qui se sen- facilités d’établissement, de circulation
ces temps difficiles pour les entreprises, taient menacés par ce phénomène irréver- des personnes, des biens, des services et
le continent africain en étant épargné sible se sont engagés dans une dynamique des facteurs de production ;
dans sa grande majorité pour le moment, de solidarité par la régionalisation des • une concordance plus ou moins grande
mais pour combien de temps encore ? normes. L’OHADA a été créée pour et nette des régimes juridiques appli-
Pour revenir à la crise financière qui répondre à cette préoccupation. cables aux activités économiques, quel
frappe le monde industrialisé, on peut que soit le lieu de leur accomplissement;
rappeler que l’harmonisation des règles A – Rôle et objectifs de l’OHADA • un ensemble de droits et d’obligations
en matière d’affaires, et principalement Il est indéniable que le développement communs à tous les acteurs économiques
dans les domaines du droit des sociétés économique en Afrique ne peut se faire où qu’ils exercent leurs activités (code
et des groupements d’intérêt économique, sans un cadre juridique sécurisé et de conduite des entreprises) ;
du droit comptable, a permis, par le attractif pour les investissements. Au • une tendance très nette et constante à
contrôle prudentiel exercé sur les marchés regard de la disparité des législations la dénationalisation du règlement des >

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L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

conflits de nature économique (arbitrages se considèrent comme étant des suiveurs de l’économie informelle, les acteurs uti-
et procédures non juridictionnelles). de l’OHADA pour n’avoir pas été asso- lisant des artifices juridiques pour échap-
Droit d’expansion, devenu international ciés à la rédaction des textes fondateurs per aux normes.
par l’élargissement de son périmètre, le et de certains Actes uniformes). En effet, la question de l’économie infor-
droit OHADA est d’application dans seize Le droit OHADA est menacé dans sa mise melle doit être comprise dans une forme
États (quatorze pays francophones et en œuvre par le développement cumulé circulaire, car cette économie produit ses
deux pays d’expressions hispanique de pratiques informelles (A), le dévelop- propres normes connues des acteurs. Une
– Guinée équatoriale – et portugaise – pement des droits communautaires (B) autre question est de savoir comment
Saô Tomé et Principe), qui ont ratifié le et la disparité des techniques de publi- rendre ces circuits capables de participer
Traité de Port-Louis. Il le sera davantage cité des actes de société (C). au développement. Autrement dit,
avec l’adhésion de la République démo- l’économie informelle ou populaire est
cratique du Congo qui a déjà franchi la A – Incidence de l’économie confrontée à l’éthique de l’économie et
plus importante étape de signature du informelle et coexistence des normes des acteurs, ce qui pose le problème de la
OHADA et des normes internationales
Traité. On n’attend plus que la ratifica- transparence et de la lutte à mener contre
tion des instruments par le Parlement. Dans la plupart des pays africains, l’éco- la corruption. Ce qui différencie l’écono-
À noter que certains pays anglophones nomie a une dimension informelle très mie populaire de l’économie formelle, c’est
sont à la porte de l’OHADA. importante, voire excessive, tandis que la normalisation.
L’on pense ici au Ghana, à la Gambie et des législations des plus complexes ont Dans le cas qui nous occupe, puisque
à la Sierra Leone. été introduites pour répondre notamment l’informalité est utilisée par tous les
Le droit dérivé du Traité OHADA est à l’inflation juridique engendrée par la acteurs (entreprises, particuliers, admi-
aujourd’hui bien connu dans plus de la plupart des grands acteurs économiques nistrations), on peut suggérer de conser-
moitié des États de l’Union africaine. à l’échelle mondiale face à la mondiali- ver les règles de droit pour les investis-
Il est appliqué autant par les acteurs sation. sements de grande taille qui seraient
africains et internationaux (Banque mon- Si les processus de privatisation et de ainsi uniformisées et d’encadrer
diale, Fonds monétaire international), libéralisation de certains secteurs de l’éco- l’informalité pour les petites activités.
ces derniers conseillant même à certains nomie se sont globalement développés On ferait coexister ainsi les deux
États d’intégrer cet espace. Avec ses huit à l’échelle planétaire, les règles des systèmes juridiques, le Code des
Actes uniformes pour la sécurisation des échanges sont de plus en plus complexes, investissements constituant un régime
affaires dans les États parties, on peut ce qui engendre une croissance de la dérogatoire.
considérer que c’est un droit dont l’effi- formation et de la recherche en droit
cacité ne fait l’ombre d’aucun doute. Ceci économique. Il est donc nécessaire B – La préférence des droits
confirme qu’il s’agit d’un véritable droit d’organiser une meilleure information communautaires au droit OHADA
dans certaines zones du périmètre
international. On admet cependant des citoyens sur leurs droits, de même OHADA
aujourd’hui que ce droit est l’objet de qu’il faut veiller aux structures adminis-
menaces diverses. tratives qui doivent être effectivement L’harmonisation est le maître mot du
capables d’accomplir leur mission. droit OHADA. Cela implique à terme
On constate cependant, et particulièrement l’uniformisation des règles pour les rendre
II – LE DROIT OHADA, UN DROIT en Afrique sub-saharienne, que les États applicables et opposables aux acteurs.
MENACÉ DANS SES FONDEMENTS n’ont jamais bénéficié d’un encadrement On admet cependant l’existence, dans la
PAR SES PRINCIPAUX ACTEURS juridique pour pouvoir se (re)construire. zone OHADA, d’autres ordres juridiques
Certes, le concept OHADA présente des Ils se contentent d’imposer un droit qui communautaires, avec pour conséquence
atouts considérables et on l’a vu. C’est ne tient pas compte des réalités africaines la coexistence des juridictions commu-
un droit moderne et rénovateur. Cepen- et des conditions objectives pour arriver nautaires pouvant avoir des compétences
dant, la question que l’on peut se poser à une économie normalisée. Cette situa- concurrentes.
est celle de savoir si cette rénovation ou tion a été reconnue notamment par la À titre indicatif, l’Union économique et
modernité a attiré les investissements. Banque mondiale. Ce sont des freins à monétaire de l’Ouest africain (UEMOA)
C’est à ce niveau que l’on rencontre un l’expansion économique de ces pays qui a développé des règles analogues à celles
certain nombre d’obstacles que l’on en ont besoin bien plus que d’autres afin de l’OHADA. L’OHADA n’ayant pas les
rappellera ici brièvement. de permettre à leur population d’amélio- moyens de ses ambitions, il y a un
Dans un premier temps, on peut partir rer leurs conditions de vie précaires. contournement de l’OHADA par des
du constat que le droit OHADA semble Face à ces phénomènes, il apparaît dispositions concurrentes alors que les
être en contradiction avec certaines nécessaire pour tous les acteurs de Actes uniformes sont censés annuler
réalités locales et surtout avec le déve- prendre conscience de ces contraintes toutes les dispositions antérieures ou
loppement de l’économie populaire ou d’informalité et de duplication des normes postérieures.
informelle. Le deuxième obstacle est et de développer une approche métho-
relatif à l’éclatement du périmètre d’ac- dologique efficiente en vue d’appréhen- C – L’application distributive
tion du droit OHADA entre des États der un pan de l’économie informelle qui des règles de publicité des actes
de société
disposant des textes et ceux qui n’en présente plusieurs facettes (criminelle,
disposent pas et qui ne trouvent pas non fiscalisée, etc.) en la définissant pour On peut signaler ici que la difficulté liée
d’intérêt à en disposer. Enfin, il existe- essayer de la saisir par le droit. au fait que les investissements sont
rait certains freins intellectuels et idéo- Par ailleurs, pour attirer les investisseurs, régis par le droit notarial de chaque pays.
logiques entre les défendeurs de l’OHADA a-t-on tenu compte du concept de l’in- La disparité de prix des actes notariés
(pays ayant joué un rôle majeur dans l’éla- formel, chaque pays ayant ses spécifici- constitue un handicap pour le dévelop-
boration des Actes uniformes – Sénégal, tés locales. Ce qui justifie l’intérêt d’iden- pement des investissements dans
Cameroun, Côte d’Ivoire – et ceux qui tifier les problématiques fondamentales l’espace OHADA.

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PERSPECTIVES RÉFLEXIONS CROISÉES
Que conclure, sinon de dire que la éviter cet écueil, on peut penser que tissements des entreprises en Afrique par
dynamique développée par l’introduc- seules la synergie des efforts et la la formalisation de certaines pratiques
tion du droit OHADA est irréversible collaboration franche et loyale sont la informelles de gestion des affaires obser-
pour la promotion des investissements clé de la réussite dans une institution vées dans la plupart des pays du droit
des entreprises dans l’espace franco- interétatique comme l’OHADA, où les de l’OHADA en vue d’une sécurisation
phone ? Cependant, s’il est aisé d’ad- souverainetés étatiques s’entrechoquent. efficiente des investissements sur le conti-
mettre ce principe, il faut également Comment sauver le droit OHADA des nent africain. Le droit OHADA offre ce
reconnaître que sa mise en œuvre menaces qui le guettent ? Autant la crise cadre pour atteindre cette fin et ainsi
apparaît problématique tant en ce qui financière menace les économies des contribuer à la réduction de la pauvreté
concerne l’élaboration de normes que États les plus développés de la planète, qui s’est aggravée en Afrique au cours
dans l’application de ce droit. Pour autant est-il urgent de sauver les inves- des trente dernières années. ◆

RLDC
3700

Par Michel
AKOUÉTÉ AKUÉ
Juriste d’entreprise,
Plaidoyer pour un espace
Consultant
Associé Gérant CH
Consulting, Togo
Président de Cercle
OHADA plus attractif pour
Horizon, Club OHADA
Orléans les investissements étrangers
OHADA, Outil de fiabilisation législation obsolète, illisible et inadaptée l’écrit Philippe Tiger, elle « se manifeste
et de sécurisation des investissements et, d’autre part, aux affres d’une justice de façons très diverses : décisions contes-
en Afrique. Tel est le thème débattu imprévisible. Le conseiller Martin Kirsch tables, décisions en délibéré depuis
lors de l’Université d’été OHADA exposait la situation de façon péremp- plusieurs années, exécutions impossibles,
que la ville d’Orléans a accueillie toire : « Le constat unanime de la situa- négligences diverses, méconnaissance des
tion (peut) se résumer par la formule sui- règles de déontologie, accueil des moyens
du 1er au 3 juillet 2008 *.
vante : insécurité juridique et judiciaire » dilatoires les plus évidents et renvois à
«Légiférer est un acte de volonté,
(Kirsch M., Historique de l’OHADA, répétition qui finissent par décourager
mais aussi un acte de communication» Recueil Penant, mai-août 1998, n° 827, les demandeurs de bonne foi (…) »
(Portalis). En retenant la même spécial OHADA, p. 129). (Tiger Ph., Le droit des affaires en
thématique pour votre colloque, Insécurité juridique, car nombre de textes Afrique – OHADA, op. cit., p. 24). Cette
gardons-nous de voir un acte de applicables au droit des affaires sont situation entraîne deux conséquences
répétition stérile. Nous faisons œuvre vétustes ; pour la plupart, ils datent de immédiates inévitables : une jurispru-
de pédagogie, la répétition étant la période coloniale, et souvent les opé- dence instable et aléatoire et des diffi-
une vertu du pédagogue. Bien plus, rateurs économiques, comme les prati- cultés dans l’exécution des décisions des
la démarche à Orléans et la nôtre ont ciens du droit, ont des difficultés pour juridictions. Elle entraîne aussi comme
le mérite de ramener l’OHADA connaître la règle de droit applicable. conséquence une perte de confiance dans
Il en résulte une insécurité juridique le système judiciaire des États africains
à ses fondamentaux tels que résumés
définie par Philippe Tiger comme étant et, subséquemment, la réticence des
par feu Kéba M’Baye, maître d’œuvre
« la situation d’incertitude dans laquelle investisseurs.
de l’OHADA, dans une formule peut se trouver un opérateur économique Prenant la mesure de l’enjeu, les poli-
prémonitoire : «L’OHADA est un outil sur l’issue d’une éventuelle procédure à tiques sont entrés en action pour mettre
imaginé par l’Afrique pour servir laquelle il pourrait être partie, et son im- en chantier l’Organisation pour l’harmo-
le développement et la croissance». puissance à infléchir le cours de la jus- nisation en Afrique du droit des affaires,
tice dans le sens de l’équité si besoin était» connue sous l’acronyme OHADA.
(Tiger Ph., Le droit des affaires en Afrique Ainsi, les principales étapes ayant abouti
I – L’AVANT OHADA – OHADA, PUF, coll. « Que sais-je ? », au lancement de la réforme OHADA
Il y a eu un avant OHADA, un no man’s 1999, p. 2). Cette situation crée une in- peuvent être résumées comme suit :
land juridique dans le domaine écono- sécurité juridique handicapante pour les 1. Ouagadougou (Burkina Faso), avril
mique (une image d’Épinal qui a fait son investissements. 1991 : réunion des ministres des Finances
temps) et qui exposait l’opérateur éco- L’insécurité judiciaire, quant à elle, est et conception du Projet d’harmonisation
nomique, d’une part, aux aléas d’une la conséquence de l’insuffisance de la du droit des affaires en Afrique.
formation des magistrats et des auxi- 2. De mars à septembre 1992 : une
* Université d’été OHADA, 1re édition placée sous le haut
parrainage de S.E. Monsieur Abdou Diouf, secrétaire général
liaires de justice, notamment en matière mission d’experts effectue des visites
de l’Organisation internationale de la francophonie, et économique et financière, d’une part, et, dans les différents États de la zone
présidée par Maître Madické Niang, ministre d’État, garde des d’autre part, de la modicité des moyens franc : information et sensibilisation
Sceaux du Sénégal et président du Conseil des ministres de
l’OHADA (les actes du colloque sont reproduits in Recueil
humains et matériels dont sont généra- des autorités ; état des législations
Prenant, nov. 2008, n° spécial). lement dotées les juridictions. Comme appliquées. >

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L A S É C U R I S AT I O N D E S I N V E S T I S S E M E N T S D E S E N T R E P R I S E S E N A F R I Q U E F R A N C O P H O N E : L E D R O I T O H A D A

3. Le 17 septembre 1992 : réunion des En ce qui me concerne, j’insisterai sur la là d’une avancée considérable vers la sé-
ministres des Finances de la zone franc. gouvernance judiciaire en mettant en curisation judiciaire des investissements
Feu le juge Kéba M’Baye présente son exergue, d’une part, le rôle et l’utilité de en Afrique.
rapport de mission. Le projet est adopté. la Cour commune de justice et d’arbi- C’est également ce souci de sécurisa-
4. Libreville (Gabon), les 5 et 6 octobre trage (CCJA) et, d’autre part, la promo- tion judiciaire qui justifie le recours à
1992 : conférence des chefs d’État de tion de la justice alternative, à savoir l’ar- la justice alternative dans l’espace
France et d’Afrique, adoption du projet bitrage pour le règlement des litiges OHADA.
par les chefs d’État africains de la zone commerciaux.
franc et formation d’un directoire de trois B – Montée en puissance
membres présidé par le juge Kéba M’Baye A – Rôle dissuasif de la Cour de l’arbitrage et des modes
commune de justice et d’arbitrage alternatifs de règlement des conflits
et composé de Martin Kirsch et Michel
Gentot pour la rédaction du traité. La CCJA de l’OHADA, basée à Abidjan, Le recours à l’arbitrage comme mode de
5. Libreville (Gabon), les 7 et 8 juillet en Côte d’Ivoire, est l’instance judiciaire règlement des litiges commerciaux men-
1993 : réunion des ministres de la Justice. suprême de l’OHADA. Avec sa triple tionné dans le Traité OHADA est un signal
Examen du projet de traité. attribution consultative, judiciaire et fort à l’endroit des opérateurs économiques.
6. Abidjan (Côte d’Ivoire), les 21 et 22 sep- arbitrale, elle constitue la clé de voute La mise en place au sein de la CCJA d’un
tembre 1993 : réunion des ministres de la du système. Centre d’arbitrage témoigne de la volonté
Justice suivie de celle des ministres des de l’OHADA d’aller dans le sens de l’his-
Finances. Le projet de traité est finalisé. toire en accompagnant les professionnels
7. Port-Louis (Île Maurice), le 17 octobre dans leur souci de recourir aux modes
1993 : réunion de la Conférence des pays Pour les observateurs alternatifs de règlement des conflits (MARC)
ayant en commun l’usage du français. avertis, la CCJA pour la résolution de leurs contentieux**.
Signature du traité portant création de constitue un sérieux Avec les vingt-sept affaires reçues et
l’OHADA. rempart contre traitées depuis son lancement en 1997,
Pour la chronologie complète, v. Mou- l’arbitraire et l’instabilité le Centre d’arbitrage de la CCJA a toute
loul A., Comprendre l’OHADA, Annexe I, judiciaire tant déplorés. la compétence pour répondre aux
Editions NIN, avr. 2000. besoins des professionnels au même titre
que la Chambre de commerce interna-
tionale (CCI) et le Centre de médiation
II – L’APRÈS OHADA Au plan judiciaire, elle joue le rôle de Cour et d’arbitrage de la CCI de Paris.
Il y a l’après OHADA, avec un droit pri- de cassation et juge en dernier ressort les Pour clore ces propos conclusifs, je
mitif, le Traité de Port-Louis d’octobre 1993, contentieux commerciaux relatifs à l’ap- voudrais partager avec vous un vœu, un
récemment révisé et renforcé au Québec plication des Actes uniformes. Véritable espoir déjà gravé dans le préambule du
le 17 octobre 2008 (pour plus d’informa- épée de Damoclès sur la tête du juge Traité OHADA : l’OHADA, un puissant
tions, v. http://www.ohada.com/newslet- national, la CCJA évoque sur le fond les vecteur de l’union et de l’intégration
ter.php?news=29102008-502). litiges dont elle est saisie et censure en africaine.
L’OHADA, c’est aussi le droit dérivé, toute souveraineté et indépendance les À ceux qui doutent de cette capacité
c’est-à-dire les huit Actes uniformes dont décisions rendues en appel et contraires fédératrice de l’OHADA, compte tenu
l’ensemble constitue le droit positif des à l’esprit et à la lettre de l’OHADA. de son ancrage francophone originel,
affaires en vigueur dans l’espace OHADA, Pour les observateurs avertis, la CCJA je rappelle que, dans les contrées afri-
un marché regroupant seize pays et qui constitue un sérieux rempart contre l’ar- caines, « le coq chante pour tout le
abrite une population de 105 millions bitraire et l’instabilité judiciaire tant village même s’il n’appartient qu’à un
d’habitants. déplorés. D’autres y voient un correctif seul propriétaire ». ◆
Tout au long de cette journée, nous avons à l’insécurité judiciaire en Afrique.
entendu les témoignages assez édifiants En tout cas, les praticiens habitués aux ** Selon les propos introductifs du secrétaire général de Cercle
de praticiens et de chefs d’entreprise qui prétoires africains n’ont pas manqué de Horizon, Achille Ngwanza, lors du Workshop de formation sur
ont une pratique régulière du droit OHADA. relever le rôle dissuasif et la pression les MARC qui s’est tenu les 17 et 18 mars 2009 à Paris,
« il convient de s’interroger sur la correspondance des
Nicolas Chevrinais, qui veille sur les inté- qu’exerce l’OHADA sur le juge national normes OHADA avec les standards internationaux et surtout
rêts de ses clients au sein du cabinet Ernst & appelé à trancher les litiges faisant inter- évaluer la pratique arbitrale eu égard à sa nouveauté pour
Young à Libreville, nous a expliqué venir le droit uniforme. Conscient de sa plusieurs États. De plus, la percée des modes alternatifs
de règlement des conflits révèle une grande variété
comment l’OHADA aidait ses clients à vulnérabilité et sachant que sa décision morphologique peu intégrée par le législateur africain, qu’en
structurer leurs investissements. Olivier peut tomber sous la censure de la CCJA, est-il des techniques amiables qui rappellent la conception
négro-africaine du procès. La justice en Afrique sub-
Roclore (ORTEC), avec le langage réaliste on peut aisément soupçonner chez le saharienne repose sur la quête de rétablir un équilibre
qui caractérise les chefs d’entreprise, nous juge national une certaine vigilance dans collectif brisé et non de répartir les responsabilités aux fins
a révélé toute l’utilité que son groupe tire la motivation de ses décisions. d’application des sanctions. La colonisation ayant relégué au
second plan cette approche pacifique du règlement des
d’un droit des affaires harmonisé pour Sans trop tomber dans un triomphalisme différends, peut-on voir dans le développement massif de la
consolider ses filiales en Afrique. béat, force est de reconnaître qu’il s’agit justice amiable un retour aux sources ».

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