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LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS

PARISIENS. ÉTUDE SUR LES PUBLICS ET LES FONCTIONS D'UN


HÔPITAL MODERNE EN 1887
Claire Barillé

La Découverte | « Le Mouvement Social »

2007/4 n° 221 | pages 71 à 94


ISSN 0027-2671
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Pour citer cet article :


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Claire Barillé, « Lariboisière : un hôpital pour les travailleurs parisiens. Étude sur les
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publics et les fonctions d'un hôpital moderne en 1887 », Le Mouvement Social


2007/4 (n° 221), p. 71-94.
DOI 10.3917/lms.221.0071
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Lariboisière : un hôpital
pour les travailleurs parisiens.
Étude sur les publics
et les fonctions
d’un hôpital moderne en 1887

par Claire BARILLÉ*

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’hôpital Lariboisière est un des plus vastes hôpitaux généraux de l’Assistance

L publique à Paris à la fin du XIXe siècle. Inauguré en 1854, il est installé dans ce
qui apparaît comme un quartier excentré, avant les annexions de 1860, au
nord de la capitale, sur un terrain appartenant à la Ville, le clos Saint-Lazare. Très
vite, il s’impose par son choix d’une architecture « pavillonnaire » comme l’un des
hôpitaux modèles (1) de la fin du siècle. En 1859, Florence Nightingale publie ses
Notes sur les hôpitaux et écrit à propos de Lariboisière : « Je crois reconnaître la
supériorité des plans français : avec quelques défauts, ils font voir une haute appré-
ciation de l’hygiène dans les hôpitaux » (2).
La décision de construire un hôpital au nord de Paris est prise en 1832 par le
Conseil général des Hospices, si l’on en croit Armand Husson, directeur de l’Assis-
tance publique de 1860 à 1870 (3). Les incendies de la Commune de Paris ayant
détruit en partie les archives du Conseil général des Hospices et de l’Assistance
publique qui lui succède, il est impossible de retrouver la trace des délibérations à
cette date. Les arguments qui plaident en faveur de cet édifice sont « l’encombrement
des hôpitaux de la rive gauche et l’absence d’établissement de charité dans une

* Doctorante d’histoire à l’Université Paris X-Nanterre et enseignante dans le secondaire, elle sou-
tiendra très prochainement sa thèse Hôpital et société à Paris dans le second XIXe siècle sous la direction
de Francis Démier. Elle est membre de l’UMR IDHE (Institutions et dynamiques historiques de l’économie).
(1) N. SAINTE-FARE GARNOT et P. MARTEL, L’architecture hospitalière au XIXe siècle, l’exemple pari-
sien, Paris, Éditions de la Réunion des Musées Nationaux, 1988, en particulier le chapitre III « Un pro-
gramme pour un modèle. L’hôpital Lariboisière (1839-1854) » p. 32-43.
(2) F. NIGHTINGALE, Notes on hospitals, Londres, John W. Parker & Son, West Strand, 1859, p. 103.
(3) A. HUSSON, Étude sur les hôpitaux considérés sous le rapport de la construction, de la distri-
bution de leurs bâtiments, de l’ameublement, de l’hygiène et du service des malades, Paris, Paul
Dupont, 1862.
Le Mouvement Social, no 221, octobre-décembre 2007, © Les Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières

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C. BARILLÉ

immense étendue où la population devenait de plus en plus dense » (4). C’est donc
un projet bien antérieur aux remaniements du Second Empire et dans lequel le lourd
tribut payé à l’épidémie de choléra de 1832 a indubitablement pesé (5). Les retards
dans sa construction sont multiples et imputables aux lenteurs de l’administration,
aux débats sur le choix de son plan, ainsi qu’aux événements de 1848. Son archi-
tecture le place encore à la fin du siècle comme un hôpital admiré pour ses propor-
tions harmonieuses et son respect des normes hygiénistes.

Il est facile de comprendre, en voyant Lariboisière, l’engouement qu’il a provoqué à


une époque où la plupart des hôpitaux de Paris n’étaient qu’un assemblage plus ou
moins vaste de constructions irrégulières et sans apparence, empruntées souvent à
d’anciens couvents. [...] Aujourd’hui même après la création de l’hôpital de Ménilmon-
tant (6), après la coûteuse réédification de l’Hôtel-Dieu, on ne peut s’empêcher de
reconnaître à l’hôpital du Nord (7) de justes proportions (8).

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Lariboisière est situé dans un quadrilatère à l’est de la gare du Nord, et à l’ouest
de la rue du Nord (futur boulevard Magenta). Il est bordé au nord par le boulevard
de la Chapelle, et au sud par la rue Ambroise Paré. Les rues Guy Patin et de Mau-
beuge complètent ses limites. Le terrain fait environ 55 000 m2.
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Le plan retenu est celui de l’architecte Gauthier, et répond en grande partie


aux instructions données par l’Académie des Sciences à la fin du XVIIIe siècle (9). Il
inaugure à Paris le type de l’hôpital pavillonnaire qui est reproduit ensuite dans le
nouvel Hôtel-Dieu inauguré en 1877, ainsi qu’à Tenon un an plus tard, mais dont
on a un exemple en France, l’hôpital Saint-André de Bordeaux, inauguré en 1829,
et en Allemagne, l’hôpital de Francfort, achevé en 1839.

L’hôpital Lariboisière se compose d’une série de bâtiments à deux étages chacun, séparés
entre eux par des préaux ou promenoirs, et établis sur deux lignes parallèles. Une grande
cour occupe le centre des bâtiments. Une galerie vitrée règne sur les quatre côtés de cette
cour, établit une communication à couvert entre tous les services et peut servir de promenoir
pour les convalescents. Les pavillons affectés aux malades sont au nombre de six, dont trois
pavillons à droite et à gauche. Chaque pavillon contient trois salles de 32 lits, plus 2 lits
installés dans une petite chambre au bout de chacune des salles et destinés aux malades agités
ou atteints d’affections contagieuses. Mais la salle d’accouchement ne compte que 28 lits, et
la petite chambre qui la termine ne reçoit de malades que pour l’opération de l’accouche-
ment et l’ablution des enfants. Il y a donc, dans l’ensemble des pavillons, outre 28 berceaux,
606 lits affectés aux services de médecine, de chirurgie et d’accouchement (10).

(4) F. GUÉRARD (Dr), L’hôpital de Lariboisière. L’enclos Saint-Lazare, Paris, Steinheil, 1888, p. 16.
(5) A. HUSSON, Étude sur les hôpitaux..., op. cit., p. 40.
(6) Il s’agit du premier nom donné à l’hôpital Tenon, et dont l’inauguration date de 1878.
(7) Lariboisière s’est successivement appelé Hôpital du Nord, Hôpital Louis-Philippe, puis Hôpital de la
République au moment de la Seconde République, pour enfin prendre le nom d’une donatrice : la comtesse de
La Riboisière en 1852.
(8) F. GUÉRARD, L’hôpital de Lariboisière..., op. cit., p. 65.
(9) J.-R. TENON, Mémoires sur les hôpitaux de Paris, Paris, Royez, 1788.
(10) Administration générale de l’Assistance publique, Notice sur l’hôpital Lariboisière ouvert à Paris
en 1854, Paris, Dupont, 1863, p. 5.

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LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

Plan de l’hôpital Lariboisière en 1854 (AAP, 793 FOSS 36)

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C. BARILLÉ

Outre cette disposition symétrique et en bâtiments isolés, les systèmes de ven-


tilation et de chauffage, particulièrement novateurs, suscitent l’admiration des
contemporains puisqu’ils servent, hormis le chauffage et l’aération des salles (cham-
bres et réfectoires), également au service des fourneaux d’office, à la distribution de
l’eau chaude, au chauffage des bains et à la buanderie, à la ventilation des fosses
d’aisances, et à la mise en mouvement de la pompe hydraulique. En 1887, cet hôpital
fait encore figure d’hôpital de pointe : un nouveau pavillon destiné spécialement aux
consultations gratuites a été érigé cette année-là le long de la rue Ambroise Paré,
tandis qu’un service d’ovariotomie, une nouvelle consultation d’ophtalmologie et une
autre de laryngologie se sont aussi ouverts.
Évaluer le renouvellement des fonctions hospitalières (11) à l’aune de cet
hôpital modèle, dans une ville transformée par l’haussmannisation (12), permet
de souligner l’intérêt des registres d’entrées des malades. Ces registres, conservés
aux Archives de l’Assistance publique, fournissent une base de données d’une très

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grande richesse. Ils comportent le nom du patient, son âge, sa profession, son
adresse, son département de naissance, sa situation familiale, la nature de la
maladie diagnostiquée, la date d’entrée, celle de sortie ou de décès éventuelle-
ment, la durée du séjour ainsi qu’une colonne annexe de renseignements complé-
mentaires assez succincts. Ces données sont consignées par les médecins au
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moment de l’admission. Les malades viennent le plus souvent spontanément se


présenter directement à l’hôpital à la consultation gratuite (13), ou au service de
garde dans le cas d’une urgence. Ils sont parfois envoyés par le Bureau Central
d’Admission (14), situé sur le parvis de Notre-Dame, qui offre tous les jours des
consultations gratuites et qui est chargé de répartir les malades les plus gravement
atteints entre les différents hôpitaux, en fonction de leurs lits disponibles. Ils peu-
vent encore être envoyés par la Préfecture de Police dans le cas particulier de
blessés sur la voie publique. Pour cet article, on a exploité les résultats d’un son-
dage pour 1887 (15) regroupant 1393 entrées, obtenus en prenant une semaine
par mois – du 1er au 7 – tous les deux mois – janvier, mars, mai, juillet, septembre,
(11) J. GAILLARD, Paris, la ville (1852-1870), Paris, H. Champion, 1976, réédition, L’Harmattan,
1997, notamment le chapitre « Assistance et urbanisme » dans lequel elle a consacré une partie au renou-
vellement des fonctions hospitalières, s’inscrivant dans le prolongement d’une attitude nouvelle des auto-
rités à l’égard des problèmes de charité. Voir également J. GAILLARD, « Assistance et urbanisme dans le
Paris du Second Empire », Recherches, décembre 1977.
(12) Au-delà de l’urbanisme de « régularisation » auquel on peut assimiler les travaux d’Haussmann à
Paris sous le Second Empire, motivé par des préoccupations de circulation, d’hygiène et d’esthétique, la
distribution des soins médicaux a aussi fait partie des centres d’intérêts du Préfet de la Seine. Voir F.
CHOAY dans G. DUBY, M. RONCAYOLO (dir.), Histoire de la France urbaine, t. IV : La ville de l’âge
industriel. Le cycle haussmannien, Paris, Le Seuil, 1983, rééd. 1988 ; voir également G.-E. HAUSS-
re
MANN, Mémoires, Paris, 1 édition 1890 ; nouvelle édition présentée par F. CHOAY, Paris, Le Seuil, 2000,
p. 678-700.
(13) Il y en a eu 36 000 en 1887 d’après F. GUÉRARD, L’hôpital Lariboisière..., op. cit.
(14) Le Bureau Central est un organisme qui dépend de l’Assistance Publique à Paris. Ses médecins
sont recrutés par un concours spécifique, en attendant qu’un poste dans un service d’hôpital se libère.
En 1887, il a envoyé seulement 64 patients à Lariboisière, mais 2 287 à Tenon. Il est supprimé en 1895.
Voir Comptes moraux pour l’année 1887, Archives de l’Assistance Publique (AAP) 3M38.
(15) Registres d’entrées de l’hôpital Lariboisière, AAP 1Q2 62, 63.

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LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

novembre –. Si on examine la totalité du nombre de malades admis au cours de


l’année 1887 à Lariboisière (16), on constate que l’échantillon choisi représente
presque 12 % du nombre de malades entrés annuellement, ce qui semble réaliste.
Afin de mieux connaître les malades venus se faire soigner à Lariboisière, on a
croisé ces registres avec les résultats du recensement de 1891 (17). À la suite de
travaux pionniers concernant la région lyonnaise (18), il a paru en effet pertinent
de s’intéresser au terrain privilégié que constitue Paris (19) à la fin du XIXe siècle :
alors que la question hospitalière connaît un regain d’intérêt auprès des autorités,
et que l’on tente dans le même temps de développer, pour des raisons essentiel-
lement économiques, le secours médical à domicile, l’hôpital jouit d’une image
encore très négative à la fin du siècle. Malgré des progrès évidents dans les tech-
niques médicales, comme dans la science, il semble bien que l’hôpital soit le der-
nier recours (20). Pour autant, l’analyse des registres d’entrées de l’hôpital
Lariboisière en 1887 permet de nuancer cette sinistre réputation. On se rend

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finalement à l’hôpital moins par fatalité que par choix, la population ayant intégré
le séjour à l’hôpital comme l’un des moyens efficaces de parvenir à la guérison. Il
s’agit bien d’éclaircir les raisons du recours à l’hôpital par une population, mieux
connue grâce aux registres d’entrées. Au-delà, une image renouvelée de l’hôpital
se dessine à la fin du siècle : loin de l’hôpital mouroir tel qu’il apparaît à la fin du
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XVIIIe siècle (21), Lariboisière comme Tenon (22) sont des hôpitaux modernes
désormais garants d’une réinsertion rapide sur le marché du travail, pour des
patients en attente de soins médicaux actifs.

(16) Ils sont 11 635. Voir Comptes moraux pour l’année 1887, AAP 3M38.
(17) Il s’agit de l’année la plus proche de 1887, dont les résultats ont été consignés par Jacques
Bertillon. Voir Préfecture de la Seine, Direction des affaires municipales. Service de la statistique muni-
cipale, Résultats statistiques du dénombrement de 1891 pour la ville de Paris et le département de
la Seine, et renseignements relatifs aux dénombrements antérieurs, Paris, Masson, 1894.
(18) O. FAURE, Genèse de l’hôpital moderne. Les hospices civils de Lyon, 1802-1845, Lyon, Presses
universitaires de Lyon, 1982. D. DESSERTINE, O. FAURE, Populations hospitalisées de la région lyonnaise
aux XIXe et XXe siècles, Lyon, Programme Rhône-Alpes, Recherches en sciences humaines, 1991.
(19) En termes de malades soignés, d’infrastructures hospitalières et de budget, Paris se place au
premier rang du territoire. « Paris représente à elle seule plus du cinquième des secours hospitaliers en
France » écrit le baron DE WATTEVILLE, inspecteur général des établissements de bienfaisance en 1851.
Voir Rapport à M. le Ministre de l’Intérieur sur l’administration des hôpitaux et des hospices, Paris,
Imprimerie nationale, 1851, p. 6.
(20) « Établissement où l’on reçoit gratuitement des pauvres, des infirmes, des enfants, des malades
[...]. Particulièrement, dans le langage administratif, maison de charité, établie pour donner des soins
gratuits aux malades indigents, par opposition à hospice où on ne reçoit pas les malades [...]. Fig. Misère,
pauvreté. Mettre quelqu’un à l’hôpital. » article Hôpital in E. LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française,
édition de 1877.
Cf. A. CAROL, Les médecins et la mort XIXe-XXe siècle, Paris, Aubier, 2004, p. 23.
(21) M. FOUCAULT, B. BARRET-KRIEGEL (dir.), Les machines à guérir. Aux origines de l’hôpital
moderne, Paris, Dossiers et documents d’architecture, Institut de l’environnement, 1976.
(22) V. PALISSE, Tenon, un hôpital pour les travailleurs du nord-est parisien, mémoire de maîtrise
sous la direction de F. DEMIER, Université Paris X-Nanterre, 2002.

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C. BARILLÉ

Les patients : de jeunes adultes pas encore établis


TABLEAU 1 : RÉPARTITION DES MALADES DE LA POPULATION PAR TRANCHES D’ÂGE

0-4 ans 5-19 ans 20-39 ans 40-59 ans 60 ans et +


Hôpital 7,11 % 9,48 % 51,18 % 21,82 % 7,04 %
e
10 4,64 % 17,62 % 45,09 % 34,36 % 7,73 %
10e, 18e, 19e 7,12 % 21,50 % 40,03 % 23,06 % 7,57 %
Paris 27,10 % 64,78 % 8,16 %

Lariboisière est avant tout un hôpital réservé aux adultes (23), même si toutes
les catégories d’âge y sont représentées. Le tableau 1 nous montre que 73 % des

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patients entrés ont entre 20 et 59 ans, ce qui correspond à une population en âge
de travailler. De plus, parmi cette classe d’âge très largement majoritaire à l’hôpital,
il est intéressant de noter que ce sont les plus jeunes qui sont les plus nombreux : un
peu plus de la moitié des 20-59 ans hospitalisés a moins de 40 ans. Enfin, les
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20-39 ans sont sur-représentés par rapport à la part qui est la leur dans la population
parisienne et dans l’arrondissement qui fournit le plus de malades (le Xe arrondisse-
ment). Comment expliquer cette relative jeunesse des malades en dehors du fait qu’ils
sont largement représentés dans la population ? En effet, leur présence à l’hôpital
est plutôt étonnante dans la mesure où il s’agit d’une catégorie a priori plus robuste
et moins fragile que les vieillards et les enfants.
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. On peut imaginer qu’il s’agit sur-
tout d’une population à risques car ils exercent des travaux physiques et donc dan-
gereux : ces malades jeunes sont ainsi plus exposés à des accidents du travail ou à
des intoxications professionnelles. Il apparaît toutefois que le public est davantage
composé de migrants récemment montés à la capitale que de natifs de Paris. Le
tableau 6 indique en effet que les malades nés en province représentent un peu plus
de 60 % des malades soignés à l’hôpital. Dans tous les cas, le déséquilibre provoqué
par la maladie est pour eux plus catastrophique, et ils n’ont bien souvent pas d’autre
choix que de se rendre à l’hôpital. Peut-être ont-ils moins souvent une famille à
charge ; par conséquent, ils peuvent se permettre de se rendre à l’hôpital sans risquer
de plonger une famille entière dans la misère en lui ôtant un salaire qui est bien
souvent l’unique source de revenu du foyer. Ainsi se dessine une image ambivalente
de l’hôpital : s’y rendre constituerait soit une fatalité pour des personnes jeunes et
isolées n’ayant pas d’autre recours, soit un choix, une possibilité librement consentie,
de la part d’individus qui font confiance à l’institution hospitalière.
Les 40-59 ans représentent une autre catégorie importante des malades entrant
à l’hôpital, mais leur présence est approximativement équivalente à leur proportion

(23) Il existe des hôpitaux destinés plus particulièrement aux enfants comme l’hôpital des
Enfants-Malades.

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LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

dans la population : ils sont sans doute plus nombreux à être mariés et peuvent plus
facilement se faire soigner chez eux. La responsabilité d’une famille induirait le choix
de continuer à travailler le plus longtemps possible et d’éviter le recours à l’hôpital.
La catégorie des vieillards (60 ans et plus) est sensiblement équivalente à celle
qui est la leur dans la société. Ce chiffre indique peut-être qu’ils sont de plus en plus
nombreux à être orientés vers les hospices, en principe réservés aux vieillards...
Les enfants ne sont pas totalement absents de Lariboisière, même s’il n’est pas
un hôpital d’enfants au sens strict, comme c’est le cas pour l’hôpital Trousseau, par
exemple. Les moins de 4 ans sont 7 %, et les moins de 20 ans représentent 16,5 %
du total de mon échantillon pour 1887. Au total le pourcentage des 5-19 ans hos-
pitalisés est un peu au-dessous de leur part dans la population parisienne en 1891.
Si on exclut dans cette proportion les plus de 15 ans, qui peuvent être considérés
comme travailleurs la plupart du temps, on constate que les enfants ne représentent
plus que 7,2 % des malades dont 6,9 % de moins de 1 an et dont la présence

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s’explique par le fait de leur naissance (ils figurent alors comme « entrants » à l’hôpital)
ou bien parce qu’ils sont encore nourrissons et qu’ils accompagnent leur mère,
malade, à l’hôpital.

TABLEAU 2 : RÉPARTITION PAR ÂGE ET PAR SEXE DE LA POPULATION DES Xe, XVIIIe
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ET XIXe ARRONDISSEMENTS RÉUNIS

0-4 ans 5-19 ans 20-39 ans 40-59 ans 60 ans et +


Femmes 51,17 % 49,66 % 50,15 % 49,42 % 55,51 %
Hommes 50,02 % 48,85 % 49,85 % 50,64 % 44,49 %
Total 100,00 % 100,00 % 100,00 % 100,00 % 100,00 %

La population des quartiers (tableau 2) alentour est à peu près répartie équita-
blement entre les deux sexes, à l’exception des plus de 60 ans où les femmes sont
un peu plus nombreuses.

TABLEAU 3 : RÉPARTITION DES MALADES POUR 1887 PAR ÂGE ET PAR SEXE

0-4 ans 5-19 ans 20-39 ans 40-59 ans 60 ans et +


Femmes 45,45 % 53,03 % 52,24 % 32,89 % 39,80 %
Hommes 53,54 % 46,97 % 47,76 % 67,11 % 60,20 %
Total 100,00 % 100,00 % 100,00 % 100,00 % 100,00 %

Pour l’ensemble des malades hospitalisés, on constate une sur-représentation


des hommes à Lariboisière. Mais la répartition diffère selon les classes d’âge : parmi
les 5-19 ans et les 20-39 ans, les femmes sont majoritaires (tableau 3). Selon leur
âge, les hommes et les femmes n’ont donc pas le même comportement face à

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C. BARILLÉ

l’hôpital. Avant 40 ans, ce sont les femmes qui ont davantage recours à l’hôpital ;
après cet âge, les hommes l’emportent. La maternité est, du reste, la principale cause
d’hospitalisation, dans une tranche d’âge qui correspond à celle de leur plus grande
fertilité. En effet, dans toutes les autres tranches d’âge, les femmes sont moins nom-
breuses, et elles sont particulièrement sous-représentées dans la catégorie des
40-59 ans et celle des plus de 60 ans. Aller à l’hôpital pour une maternité suggère
que l’institution hospitalière et la médicalisation des soins entrent de plus en plus
dans les mœurs, à une époque où l’accouchement chez soi demeure encore large-
ment la norme.

TABLEAU 4 : RÉPARTITION EN FONCTION DE LA SITUATION FAMILIALE


– ON A ÔTÉ LES MOINS DE 15 ANS QUI SONT DES CÉLIBATAIRES OBLIGÉS –

Célibataires Mariés Veufs Divorcés

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Hôpital 50,54 % 33,2 % 8,97 % 0%
Xe 50,02 % 40,76 % 8,72 % 0,50 %
Xe, XVIIIe, XIXe 50,68 % 40,24 % 8,62 % 0,45 %
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Ainsi se rendent à l’hôpital de jeunes adultes, tous sexes confondus, dont il est
intéressant de mesurer les motivations : se faire soigner à l’hôpital peut être l’indice
d’un isolement ou d’une situation familiale précaire. Le tableau 4 indique qu’une
grande partie des hospitalisés n’est pas mariée : un peu plus de la moitié des malades
entrés serait célibataire. Loin d’être une preuve en soi, le célibat suggère néanmoins
une situation moins stable que celle du marié. Il augmenterait le risque d’entrée à
l’hôpital, ce que confirme la sous-représentation des mariés présents à l’hôpital par
rapport à la population parisienne en 1891 (tableau 4). Pour être plus juste, il
convient d’éliminer les enfants, qui sont des célibataires obligés.

TABLEAU 5 : RÉPARTITION DES 20-59 ANS


EN FONCTION DE LEUR SITUATION FAMILIALE

Célibataires Mariés Veufs Divorcés


Hôpital 39,99 % 29,94 % 6,17 % 0%
e
X 38,58 % 53,15 % 7,59 % 0,68 %
Xe, XVIIIe, XIXe 33,30 % 56,91 % 8,48 % 0,70 %
XIe, XIXe, XXe 29,85 % 61,04 % 8,43 % 0,68 %

Le tableau 5 nous indique alors une très légère sur-représentation des céliba-
taires et surtout une forte sous-représentation des mariés : ainsi le mariage serait-il
un frein à l’entrée à l’hôpital. En revanche, les veufs sont un peu sous-représentés :

78
LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

l’existence d’une famille, d’enfants, qui peuvent les prendre en charge en cas de
maladie est une possibilité que la source ne permet pas de vérifier.
Il semble bien qu’on puisse confirmer les hypothèses avancées lors de l’étude
par âge des malades. Dans une vision pessimiste de l’institution hospitalière, on peut
affirmer que la maladie et le chômage induits sont plus catastrophiques pour ces
patients car ils sont plus isolés. Les célibataires en effet sont moins installés, ils ne
bénéficient pas d’un double salaire, comme dans la plupart des ménages. L’hôpital
apparaît comme le seul recours pour ces isolés. Il conserve donc bien une fonction
de refuge importante en cas de crise. Cette explication mérite cependant d’être
nuancée. Les célibataires se rendent aussi sans doute à l’hôpital car ils n’ont pas de
famille à nourrir ou qui dépende d’eux. Ainsi l’entrée à l’hôpital résulterait-elle plutôt
d’un choix et non d’une obligation. Les deux hypothèses se conjuguent vraisembla-
blement, même si la première apparaît plus probable.

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TABLEAU 6 : ORIGINE DES MALADES HOSPITALISÉS

Hôpital Paris Xe Xe, XVIIIe, XIXe


Nés à Paris 15,79 % 36,34 % 37,10 % 37,71 %
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Nés dans la Seine 8,76 % 2,60 % 2,07 % 3,44 %


Nés dans les autres
62,45 % 50,30 % 49,75 % 47,63 %
départements
Nés dans les colonies 0,29 % 0,20 % 0,17 % 0,14 %
Nés en Alsace 0,43 % 4,20 % 4,96 % 5,90 %
Nés à l’étranger 3,44 % 6,30 % 5,87 % 5,18 %
Non déterminé 8,83 % 0 0 0
TOTAL 100 % 100 % 100 % 100 %

La plupart des malades sont des habitants de Paris. Il ne s’agit donc pas de
provinciaux venus à Paris spécialement pour recevoir l’assistance (24). Il apparaît
toutefois que le public est davantage composé de migrants récemment montés à
Paris que de natifs de Paris. Le tableau 6 indique en effet que les malades entrants
sont en majorité des provinciaux d’origine : environ 67 % sont nés dans un dépar-
tement autre que la Seine ou à l’étranger. Presque 25 % sont nés à Paris ou dans la
Seine. Par rapport au recensement de 1891, pour la population de Paris, comme
pour la population du Xe arrondissement, les écarts sont patents. À Paris, comme
(24) Il existe un discours récurrent des autorités à ce sujet accusant les provinciaux et les banlieusards
de venir se faire soigner gratuitement à Paris, sans que la Ville obtienne une contrepartie de la commune
d’origine. Voir Mémoire du préfet de la Seine présenté à la commission départementale sur l’admis-
sion dans les hôpitaux et dans les hospices des malades des communes rurales, Paris, Vinchon, 1852,
AAP, C-21288. Il est possible que les malades déclarent une adresse à Paris, pour éviter d’avoir à payer
des frais d’admission.

79
C. BARILLÉ

dans les Xe, XVIIIe et XIXe arrondissements pris à part, on constate que 40 % de la
population est née à Paris ou dans la Seine et 60 % est née dans un autre départe-
ment ou à l’étranger. Il semblerait donc bien qu’on ait plus de provinciaux et d’étran-
gers parmi les malades hospitalisés que dans la population parisienne de l’époque.
S’il est difficile d’avancer une date sur leur arrivée à Paris, le fait qu’on ait affaire à
une population plutôt jeune, et en majorité née en province, laisse penser qu’il s’agit
de récents immigrants.
La structure par âge, la répartition entre les sexes, l’origine géographique des
malades hospitalisés suggèrent donc que l’hôpital est une destination privilégiée pour
des patients plutôt jeunes, pas encore véritablement installés et qu’une famille ne
protège pas de l’institution hospitalière dont l’image est encore très négative en cette
fin de siècle. Plus surprenante se révèle l’étude des professions contenues dans les
registres d’entrées.

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Un hôpital de travailleurs : les catégories
socio-professionnelles présentes à l’hôpital
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Environ 90 % des malades déclarent une profession, ce qui est déjà très impor-
tant. Or beaucoup de malades ne travaillent pas en raison de leur jeune âge : il a
donc paru intéressant d’exclure les moins de 15 ans, toujours indiqués sous le terme
sans profession. Du reste, la loi de 1874 interdisant le travail des enfants et les lois
sur la scolarisation obligatoire sont plutôt bien respectées dans la capitale. Si on les
en enlève, on retient 1293 malades : dans ce nouvel échantillon, près de 95 % tra-
vaillent. En examinant le tableau 7 on constate qu’à l’intérieur du groupe des sans
profession les femmes sont les plus nombreuses, mais cela est lié à leur part moindre
dans la population active.

TABLEAU 7 : RÉPARTITION PAR SEXE DES SANS PROFESSION

Femmes Hommes Total


Sans profession 3,79 % 1,23 % 5,03 %

Dans cet échantillon de 1 293 malades, on a finalement très peu d’indigents


mentionnés comme tels ou assimilés, car le groupe des sans profession est constitué
essentiellement par des ménagères, dont plus de la moitié sont mariées, des étu-
diants, donc avec peut-être un revenu parental, et un rentier. En somme les indigents
représentent au maximum 2 % des plus de 15 ans, ce qui est peu. Il faudrait pouvoir
comparer ce chiffre avec le nombre d’indigents comptabilisés à Paris à la même
époque, mais le dénombrement de 1891 est assez peu clair à cet égard. Distinguer,
comme l’a fait Jeanne Gaillard, entre les « nécessiteux » d’une part et les « indigents »

80
LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

avérés d’autre part fournirait un éclairage utile sur la population hospitalisée. Elle
désigne en effet sous le terme de nécessiteux des personnes pauvres, qui vivent de
manière précaire au jour le jour, et risquent de tomber dans la misère à tout moment,
surtout en cas de crise. Ces nécessiteux ont cependant un métier et un logement, et
ne touchent que ponctuellement des secours d’assistance, dans les bureaux de bien-
faisance notamment. Quant aux indigents avérés, ce sont des miséreux, qui semblent
exclus de toute activité de long terme, et pour lesquels l’assistance est indispensable
à la survie. Malheureusement, les registres d’entrées ne sont pas suffisamment précis
pour opérer cette distinction. On peut néanmoins envisager qu’environ 10 % de la
population des grandes villes (25) ne survit que grâce à une aide publique ou privée
à la fin du XIXe siècle : on est bien au-dessous de ces 10 % à Lariboisière en 1887.
Comme le fait remarquer Gérard Noiriel (26), on estime pourtant à environ 200 000
le nombre de chômeurs à Paris entre 1882 et 1886. On n’en trouve aucune mention
dans l’échantillon des patients de Lariboisière en 1887. Là encore les registres

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d’entrées montrent leurs limites puisqu’ils sont remplis d’après les déclarations des
patients eux-mêmes au moment de leur admission. Incontestablement, la notion de
chômeur est encore une catégorie transitoire, floue, qui ne définit pas l’individu (27).
Il est intéressant de constater qu’une compétence, même relative, trouve presque
toujours une expression professionnelle, aussi ténue soit-elle.
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Le travail apparaît donc un élément constitutif de la population hospitalisée à


Lariboisière. On peut se faire une idée des secteurs représentés grâce à notre échan-
tillon qui compte plus de 300 noms de métiers différents. Nous avons choisi de
procéder à des regroupements en grandes catégories. Même si ce type de regrou-
pement peut être discuté, il a semblé préférable de faire une étude des groupes
socio-professionnels, plutôt qu’un classement par secteur d’activité, comme c’est le
cas dans les recensements parisiens de la fin du XIXe siècle, et ce qui a l’inconvénient
de niveler les distinctions sociales. Ainsi, par exemple dans la nomenclature retenue
dans le recensement de 1891, on trouve regroupés, dans la catégorie « industrie »,
des dentellières mais aussi des fabricants de produits chimiques, des libraires-éditeurs,
et des bijoutiers-horlogers, autant de métiers qui renvoient à des réalités sociales, des
conditions de salaires et de travail fort différentes. Dans ces conditions, il a paru plus
judicieux d’opter pour un regroupement en sept catégories, non exemptes d’une
marge d’erreur, puisqu’il a fallu pour chacune d’elles déterminer, parfois de manière
radicale, quel type de métier pouvait s’en rapprocher (28).

(25) A. GUESLIN, Gens pauvres et pauvres gens dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1998,
p. 85.
(26) G. NOIRIEL fait référence à la thèse de Jacques NÉRÉ datant de 1959 sur la crise économique de
1882 et le mouvement boulangiste. Il écrit : « Comme l’a montré J. Néré, entre 1882 et 1886, on compte
200 000 chômeurs rien que pour la région parisienne ». G. NOIRIEL, Les ouvriers dans la société fran-
çaise, Paris, Le Seuil, 1986, p. 88.
(27) Cf. C. TOPALOV, Naissance du chômeur 1880-1910, Paris, Albin Michel, 1994.
(28) La typologie a été élaborée par Virginie Palisse, pour son mémoire de maîtrise sur l’hôpital Tenon
(voir note 21), s’appuyant elle-même sur les travaux d’Olivier Faure et Dominique Dessertine. Celle-ci est
du reste tout à fait conforme à ce que l’on trouve dans M. LÉVY-LEBOYER (dir.), Histoire de la France
industrielle, Paris, Larousse-Bordas, 1996, p. 184 et suiv., et 220 et suiv.

81
C. BARILLÉ

TABLEAU 8 : GROUPES SOCIAUX DES MALADES DÉCLARANT UNE PROFESSION


(Y COMPRIS LES MOINS DE 15 ANS)

Ouvriers
Statut Patrons Employés Domestiques Total
et petits métiers
Hôpital 13,61 % 58,84 % 8,47 % 18,50 % 100 %
e e
X , XVIII ,
18,89 % 59,84 % 17,37 % 3,89 % 100 %
XIXe
XIe, XIXe,
16,38 % 68,40 % 13,42 % 1,80 % 100 %
XXe

TABLEAU 9 : RÉPARTITION DES MALADES DE PLUS DE 15 ANS


PAR CATÉGORIES PROFESSIONNELLES

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Ouvriers 32,97 %
Petits métiers 22,60 %
Artisans-boutiquiers 11,76 %
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Domestiques et gens de maison 17,57 %


Employés 8,04 %
Professions libérales et intellectuelles, artistes 1,31 %
Travailleurs agricoles 0,31 %
Autres
Inconnue 0,38 %
Sans profession 5,03 %
Total 100 %

Sous le terme ouvriers, on a rassemblé tous les travailleurs manuels exerçant


sous les ordres d’un patron, à l’usine comme dans un atelier, et disposant d’un certain
savoir-faire, si minime soit-il. On y a inclu notamment les ouvriers du textile – dont
les couturières, et les lingères –, de la métallurgie – comme les fondeurs, les chau-
dronniers... –, du bâtiment – comme les peintres, les terrassiers, les maçons... – mais
aussi les ouvriers de la fabrique et du luxe – comme les orfèvres, les batteurs d’or...
La catégorie des petits métiers rassemble tous les travailleurs au statut précaire, sans
savoir-faire particulier, du type journaliers, vendeurs à la sauvette, travailleurs de la
rue. La troisième catégorie est celle des artisans et des boutiquiers ; elle renvoie à
ceux qui travaillent pour leur propre compte et possèdent un petit avoir : on y a
regroupé les boulangers, les bouchers, les cordonniers, les menuisiers, les ébénistes,
les coiffeurs... La catégorie des domestiques et gens de maison rassemble tous les
personnels servant soit chez un particulier, soit dans un établissement comme un

82
LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

hôtel ou un restaurant. Le groupe des employés renvoie à des métiers impliquant


l’acquisition d’une certaine éducation : secrétaires, clercs de notaire, employés de
banque, demoiselles de magasin (29). Dans le groupe des professions libérales et
intellectuelles, dans lequel on a joint les artistes, figurent une institutrice, un libraire-
éditeur, un médecin. Enfin une dernière catégorie, très peu représentée, est consti-
tuée par les travailleurs agricoles, où on a rangé par exemple un bouvier. Lorsque
le doute était trop grand, on s’est appuyé sur le recensement de 1891, qui, en plus
de ses divisions en de multiples catégories sectorielles, détaille pour chacune d’elles
le nombre de patrons, d’employés, d’ouvriers en précisant à chaque fois le sexe des
individus. Ainsi, lorsqu’il a fallu choisir, on a regardé dans les colonnes la proportion
de patrons, employés ou ouvriers qui dominait dans la profession considérée.
L’étude des professions indique que les plus représentées sont les ouvriers
(33 %) et les petits métiers (23 %) comme l’indique le tableau 9. La catégorie
« ouvrier » recouvre généralement des professions plus stables et plus qualifiées que

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celles des petits métiers. À l’intérieur de cet ensemble, les ouvriers du textile sont
particulièrement nombreux (environ un quart des ouvriers). Ce sont également les
plus nombreux dans la population des quartiers environnants. Ils travaillent en ate-
lier, en usine mais aussi beaucoup à domicile. Leur travail, souvent pénible, l’est
plus particulièrement pour ceux qui travaillent chez eux, car leurs journées sont
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très longues. Cette main-d’œuvre, essentiellement féminine, correspond à un


authentique prolétariat. Le secteur du textile est, du reste, la proie d’un chômage
structurel et les ouvriers de ce secteur connaissent une alternance de périodes de
presse et d’inactivité. Un peu plus de la moitié de ces ouvriers du textile sont des
couturières et des lingères (30). Les ouvriers de la métallurgie représentent le
deuxième groupe (15 %). Ce sont des ouvriers plus qualifiés, mais ils exercent des
métiers épuisants et plus dangereux : près de 50 % sont des mécaniciens, c’est-
à-dire responsables de machines. Les ouvriers du bâtiment sont assez bien repré-
sentés (12 %) également : la plupart sont peintres, terrassiers ou maçons. Ils font
aussi partie de ces catégories exerçant des métiers à risques professionnels impor-
tants. Il faut enfin mentionner la part plus faible des ouvriers de la fabrique et du
luxe (environ 5 %), qui correspond à un groupe privilégié, une élite détentrice d’un
savoir-faire, qui la met à part au sein des ouvriers. Les « petits métiers » recouvrent
environ 23 % des malades de plus de 15 ans. Ce sont des patients au statut social
instable et précaire, travaillant au jour le jour et en permanence au bord de la
misère. Journaliers, petits vendeurs à la sauvette, blanchisseuses (31) sont les caté-
gories les plus souvent rencontrées.
Loin derrière les petits métiers et les ouvriers, on trouve les artisans et les bou-
tiquiers qui forment une catégorie avec un niveau social plus élevé : 12 % des malades
(29) Cf. D. GARDEY, La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau,
1890-1930, Paris, Belin, 2001.
(30) Cf. J. COFFIN, The politics of women’s work : the Paris garment trades, 1750-1915, Princeton,
Princeton University Press, 1996.
(31) On a intégré les blanchisseuses dans les petits métiers, plutôt que comme des ouvrières, dans la
mesure où cette activité, qui comporte une minorité de patrons : 3,6 % dans le seul XVIIIe d’après le
recensement de 1891, ne paraît pas nécessiter de qualification particulière.

83
C. BARILLÉ

s’en réclament, ce qui correspond à leur présence dans le quartier. À l’inverse des
précédents, ils possèdent un petit capital, ce qui les différencie dans un premier
temps. Mais celui-ci peut être réduit à leurs seuls outils : par conséquent leur niveau
de vie est sensiblement équivalent à celui de certains ouvriers. Les plus représentés
sont les cordonniers, métier assez mal rémunéré et qui subit une forte concurrence
de la part des populations étrangères (32). En général, l’artisanat de production est
un secteur en déclin hormis quelques secteurs protégés comme l’artisanat d’art et de
luxe, par exemple l’ébénisterie, ou l’artisanat de service, notamment la coiffure (33).
La boutique est mieux lotie et continue de résister à l’évolution urbaine et indus-
trielle (34), mais beaucoup de boutiquiers vendent à crédit et restent souvent très
pauvres. À Lariboisière, on trouve beaucoup de boutiquiers de l’alimentaire comme
des bouchers et des boulangers.
Le groupe des domestiques et gens de maison représente environ 18 % des
malades entrés, ce qui est nettement plus que leur part dans les arrondissements

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environnants. Ils sont cochers (35), gardiens, valets ou femmes de chambre,
bonnes... Leur salaire est souvent plus élevé que celui de l’ouvrier d’usine et d’un
travailleur à domicile (36), mais ils n’ont aucune sécurité de l’emploi, et leur vie est
pleine de contraintes : ils travaillent de 15 à 18 heures par jour et sont souvent des
célibataires obligés. 8 % des malades sont des employés. Ils sont plutôt sous-repré-
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sentés par rapport à la population globale. Catégorie intermédiaire entre ouvriers et


patrons, ils peuvent travailler dans des maisons de commerce, des grands magasins,
ou les bureaux des grandes entreprises. À Lariboisière sont présents notamment les
employés des compagnies de chemins de fer des gares du Nord et de l’Est (plus de
la moitié des employés hospitalisés). En effet, ces compagnies ont un accord avec
l’hôpital pour qu’y soient soignés et pris en charge leurs salariés.
L’ensemble de ces travailleurs correspond à une petite bourgeoisie, même si
elle reste modeste. Leurs conditions de travail sont moins pénibles, les journées sont
moins longues que pour les ouvriers, même si leurs salaires restent peu élevés. Ils
ont également des perspectives de carrières mineures mais bien réelles, grâce à la
promotion interne, et possèdent quelques avantages en nature grâce aux fonds de

(32) En 1860, on note que « les salaires des cordonniers comptent encore parmi les plus faibles des
salaires parisiens ». Malgré la hausse du salaire moyen dans la deuxième moitié du siècle, il paraît probable
que ceux-ci font encore partie en 1887 des métiers à faible revenu. Voir L. CHEVALIER, La formation de
la population parisienne au XIXe siècle, Paris, PUF, 1950, p. 116.
(33) Les résultats statistiques du dénombrement de 1891 indiquent que les coiffeurs sont 6410 en
1891 à Paris dont 2 027 ouvriers et 316 patrons, soit une augmentation de presque 24 % par rapport à
1886.
(34) J. GAILLARD, Paris, la ville..., op. cit., notamment les chapitres « Cadre et contraintes du
commerce parisien », p. 259-286, et « Un nouveau pacte entre l’atelier et la ville », p. 287-358. Elle y
montre qu’à la fin du Second Empire, les boutiquiers parisiens s’en sortent et se maintiennent, malgré la
concurrence des grands magasins.
(35) Cf. N. PAPAYANIS, The coachmen of nineteenth-century Paris : service workers and class
consciousness, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1993.
(36) 500 à 600 F par an à Paris contre 300 à 350 en province. Cité dans J. LE YAOUANQ, Les
structures sociales de la France de 1815 à 1945, Paris, Ellipse, 1998, p. 97.

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LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

retraites, de prévoyance et de secours souvent constitués dans ces sociétés. C’est le


cas en particulier des employés de la Compagnie du chemin de fer du Nord (37).
La société dans son ensemble n’est pas complètement représentée à l’hôpital.
On constate en effet que les véritables indigents, ainsi que les classes supérieures
(propriétaires, négociants, rentiers, hauts fonctionnaires), sont absents des malades
soignés à Lariboisière à la fin du siècle. Cependant on doit signaler la présence de
quelques représentants de catégories sociales plus favorisées : un médecin, un insti-
tuteur, un agent de police, un rentier, mais ils sont rares. Cela est peut-être la marque
d’un certain élargissement de la clientèle. Ainsi l’hôpital n’apparaît-il donc pas destiné
aux extrêmes de l’échelle sociale. Il s’adresse à un vaste ensemble : les groupes inter-
médiaires avec une préférence pour les catégories les plus populaires (ouvriers et
petits métiers).
L’homogénéité même de ces groupes intermédiaires doit être nuancée. À l’inté-
rieur des groupes populaires, il existe en effet de grandes disparités de niveau de vie

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et de conditions. Parfois un même métier peut renvoyer à des conditions de vie ou
de travail très éloignées, selon, par exemple, qu’on travaille en usine ou en atelier.
La présence plus ou moins forte de tel groupe de travailleurs à l’hôpital s’explique
en partie par les conditions d’exercice et les risques attachés à telle ou telle activité.
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Certains travailleurs ont des conditions de vie précaires : ainsi en est-il des petits
métiers et d’un certain nombre d’ouvriers. Or on constate que les plus pauvres ne
sont pas forcément les plus nombreux. Par exemple, en repérant les ouvriers de la
métallurgie, catégorie assez présente dans les malades hospitalisés, il faut noter que
la plupart d’entre eux (57 %) font partie de l’élite des ouvriers de ce secteur (comme
les mécaniciens, les régleurs, les monteurs, les ajusteurs...), ceux qu’on surnomme
les Sublimes, et qui ont la maîtrise d’une machine. Ils sont généralement mieux payés
et ont conscience de leur valeur professionnelle (38). En ce qui concerne l’artisanat
et la boutique, les métiers recouvrent là encore des réalités très diverses (39). Ce
secteur est en grande partie en déclin, mais certains métiers continuent d’être floris-
sants, comme l’artisanat de luxe (il y a d’assez nombreux bijoutiers, autant que de
menuisiers ou d’ébénistes) ou de service (on a déjà souligné la part relativement
importante des coiffeurs). À l’inverse, les boutiquiers sont moins nombreux. Il faut
tout de même mentionner le fait qu’ils demeurent encore, à la fin du siècle, plus
riches que les ouvriers même si l’écart s’est considérablement réduit. En 1911, la
fortune des artisans-boutiquiers est encore 6,5 fois plus élevée que celle des ouvriers
contre 41 fois au début du XIXe siècle et la barrière de classe demeure très difficile à

(37) F. CARON, Histoire de l’exploitation d’un grand réseau. La Compagnie du chemin de fer du
Nord 1846-1937, Paris, Mouton, 1973, p. 316-325.
(38) D. POULOT, Le Sublime ou le travailleur comme il est en 1870 et ce qu’il peut être, étude
préalable d’A. COTTEREAU, Paris, Maspéro, 1980 (rééd.).
(39) H.-G. HAUPT et Ph. VIGIER (dir.), « L’atelier et la boutique », Le Mouvement Social, no 108, 1979,
notamment les contributions de J. LE YAOUANQ, « La mobilité sociale dans le milieu boutiquier parisien
au XIXe siècle », p. 89-112, et d’A. FAURE, « L’épicerie parisienne au XIXe siècle ou la corporation éclatée »,
p. 113-130.

85
C. BARILLÉ

franchir (40). Il convient donc de percevoir les limites du regroupement opéré par
catégories socio-professionnelles, pour constater la présence de patients d’origines
populaires, mais qui peuvent avoir des attitudes différentes face à l’institution hospi-
talière en fonction par exemple de leurs conditions d’habitat et d’hébergement.
Les employés sont assez peu représentés par rapport à leur part dans la popu-
lation de l’arrondissement. Les domestiques sont eux très sur-représentés car ils sont
18 % des malades et seulement 4 % dans la population totale. Un facteur d’explica-
tion réside peut-être dans leurs conditions de vie et d’habitat. Les employés ont, en
effet, des situations plus stables que les domestiques, qui ne sont jamais à l’abri d’un
renvoi et n’ont pas de logement personnel. Pour eux la maladie est une catastrophe
et leur seul refuge est l’hôpital. La précarité de l’emploi et celle du logement sont
donc bien des facteurs importants dans l’hospitalisation. On peut se demander éga-
lement si les employés ne rejettent pas l’hôpital en raison de sa connotation popu-
laire, alors même qu’ils cherchent à se distinguer du petit peuple. Pour les catégories

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les plus aisées, l’entrée à l’hôpital est moins liée à un besoin d’assistance sociale,
comme pour les domestiques, qu’à un besoin de soins médicaux spécifiques. Ces
individus sont plus nombreux à l’hôpital non parce qu’ils sont plus pauvres ou isolés
mais parce qu’ils sont plus malades. Dans cette perspective, le degré de risque
encouru dans le cadre du travail est déterminant (41) (ouvriers en métallurgie ou dans
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le bâtiment). Ainsi pourrait s’expliquer la moindre présence des boutiquiers par rap-
port aux artisans, qui ont un métier moins physique et moins soumis aux risques
d’intoxication par des gaz ou des poussières nocifs.
Lariboisière serait un hôpital de travailleurs des classes populaires et moyennes.
Cependant la variété des situations conduit à éviter tout déterminisme social. Si cer-
taines professions sont sur-représentées parmi les malades, comme les domestiques,
il faut en chercher les raisons dans la précarité de leur emploi et de leur logement
plutôt que dans la pauvreté et le dénuement. De même, les conditions de travail
particulièrement dangereuses de certaines professions expliquent qu’on trouve ainsi
plus d’ouvriers de la métallurgie ou du bâtiment que d’employés. En somme, l’hôpital
est une institution qui s’adresse à des catégories insérées socialement et profession-
nellement, modestes le plus souvent, et pour lesquelles il conserve une fonction de
refuge.

Le séjour à l’hôpital

Les causes médicales sont précisées dans les registres d’entrées. Comme pour
les professions, les noms des maladies sont très variés et un regroupement par

(40) A. DAUMARD, Les fortunes françaises au XIXe siècle, Paris, Mouton, 1973.
(41) L. et M. BONNEFF, Les métiers qui tuent. Enquête auprès des syndicats ouvriers sur les mala-
dies professionnelles, Paris, Bibliographie sociale, 1905.

86
LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

catégories a été nécessaire (42). Les maladies sont divisées en deux grands ensem-
bles, eux-mêmes subdivisés en sous-groupes : d’une part, les maladies générales,
c’est-à-dire les maladies qui ne se limitent pas à un organe précis du corps – on y
distingue les maladies épidémiques des non-épidémiques ; d’autre part, les maladies
locales, qui sont classées en fonctions de l’organe atteint. On a ainsi les maladies :
– de l’appareil respiratoire
– de l’appareil digestif
– de l’appareil circulatoire
– du système nerveux et des organes des sens
– de l’appareil génito-urinaire
– des organes de locomotion
– de la peau
– des âges extrêmes
– une catégorie pour les accouchements, les naissances et les affections

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puerpérales
– une catégorie pour les accidents.

TABLEAU 10 : RÉPARTITION DES MALADES PAR CAUSE D’HOSPITALISATION


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Maladies générales 19,87 %


Maladies locales 68,55 %
nulle 3,26 %
indéterminée 8,23 %

Au début du XIXe siècle, l’hôpital accueille des malades mais aussi des pauvres.
Désormais les malades sont largement majoritaires dans la population hospitalisée. La
distinction entre les hôpitaux et les hospices est encore toute récente (1849) et en
1877 une circulaire (43) rappelle aux directeurs d’hôpitaux de bien respecter cette
différence lors de l’admission. À Lariboisière, une faible proportion, 3,26 %, des hos-
pitalisés ne sont pas des malades en 1887. Et la plupart d’entre eux sont là parce
qu’ils accompagnent un malade : c’est le cas des nourrissons non-sevrés qui accom-
pagnent leur mère malade, mais c’est aussi le cas des mères admises en même temps
que leur enfant, pour les mêmes raisons. On trouve parfois la mention « rien » ou
« supercherie » qui évoquent la possibilité d’une simulation dans l’espoir d’être admis à
l’hôpital. Il ne s’en trouve pas sur l’échantillon étudié en 1887. Il arrive aussi que les
médecins et les internes ne parviennent pas à déterminer la nature de la maladie : c’est
le cas dans 6 % des patients de l’échantillon ; si on y ajoute les mentions illisibles, on
obtient 8,23 % des cas de Lariboisière en 1887 (tableau 10). Cependant, pour l’essen-
tiel, on a pu intégrer les différentes causes médicales dans les grandes catégories.

(42) On a utilisé le modèle de classification donné dans l’Annuaire Statistique de la ville de Paris
pour l’année 1891.
(43) AAP, Recueil des Arrêtés, Instructions et Circulaires (RAC), 1J5, p. 520.

87
C. BARILLÉ

La deuxième observation concerne la relative faiblesse des maladies épidémi-


ques. Les maladies générales totalisent 19,87 % des causes d’hospitalisation
(tableau 10), dont 7,41 % de maladies épidémiques, un peu plus que la moyenne des
hôpitaux pour 1891 (environ 4,5 %). Le Xe et le XVIIIe sont des arrondissements où
la promiscuité et l’entassement sont encore le lot de nombreux habitants : les épi-
démies sont soumises à de fortes fluctuations en fonction des années et des vagues
épidémiques. En 1887, ce chiffre est un peu plus élevé du fait de la fièvre typhoïde,
maladie assez irrégulière. Selon les années, elle est plus ou moins meurtrière (44).
En ce qui concerne les autres maladies générales (c’est-à-dire non épidémiques),
il est apparu plus logique de les étudier en les rapprochant des maladies locales dont
elles sont une dérivation. En théorie, les maladies générales sont plus graves que les
maladies locales, mais ce n’est pas toujours vrai : les rhumatismes sont classés parmi
les maladies générales, or le taux de mortalité pour cette maladie à Lariboisière n’est
que de 2 %.

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TABLEAU 11 : MALADIES LOCALES : RÉPARTITION DES MALADES

Maladies locales dont : 68,55 %


Maladies de l’appareil respiratoire 15,94 %
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Accouchements, naissances et affections puerpérales 15,79 %


Accidents 8,15 %
Maladies de peau et du tissu cellulaire 6,60 %
Maladies de l’appareil digestif 5,11 %
Maladies des organes de locomotion 4%
Maladies de l’appareil circulatoire 3,78 %
Maladies du système nerveux et des organes des sens 3,11 %
Autres 3,04 %
Maladies de l’appareil génito-urinaire 2,96 %
Maladie des âges extrêmes 0,07 %

L’examen des pathologies nous donne un aperçu de maladies populaires (45).


Les maladies locales sont plus nombreuses (tableau 11) : elles représentent 68,55 %
des cas. Elles sont classées en fonction de l’organe malade.

(44) Préfecture du département de la Seine. Service de la Statistique générale, Cartogrammes et


diagrammes relatifs à la population parisienne et à la fréquence des principales maladies à Paris
pendant la période 1865-1887, Paris, Masson, Librairie de l’Académie de médecine, 1889. En 1887,
elle a fait 61 morts.
(45) G. JACQUEMET, « Médecine et « maladies populaires » dans le Paris de la fin du XIXe siècle », Recher-
ches, décembre 1977, p. 349-364.

88
LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

La catégorie la plus représentée (en-dehors des accouchements) est celle des


maladies respiratoires avec 15,94 % des malades hospitalisés d’autant qu’il faut y
rajouter les tuberculeux, qui sont comptabilisés dans les maladies générales. Cela
signifie que pratiquement 20 % des hospitalisés le sont pour des raisons respiratoires,
soit près d’un quart.

TABLEAU 12 : PRINCIPALES MALADIES RESPIRATOIRES FACTEURS D’HOSPITALISATION

Maladies respiratoires dont


Tuberculose 40,00 %
Bronchite 23,15 %
Pneumonie 16,84 %

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À l’intérieur de cet ensemble, les maladies les plus courantes sont la bronchite,
la tuberculose et la pneumonie, qui représentent à elles seules 80 % des affections
de l’appareil respiratoire. On ne peut manquer d’y voir un lien avec l’insalubrité des
usines et des ateliers, en raison de l’humidité, du manque d’aération, de la poussière...
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Ces affections, très contagieuses de surcroît, sont favorisées par le surmenage phy-
sique, l’insuffisance de l’alimentation et surtout l’entassement dans des logements
insalubres. À l’évidence, il s’agit de maladies caractéristiques des milieux populaires
(mais pas exclusivement) et particulièrement répandues dans les milieux ouvriers (46).
Les maladies traumatiques, provoquées par un effort physique important ou
par un accident dans le cadre du travail, sont aussi de fréquentes causes d’hospita-
lisation. Deux groupes de maladies correspondent à ces critères :
– les maladies des organes de locomotion ;
– les accidents.
Il convient d’y rajouter les rhumatismes, souvent le fruit d’un effort prolongé.
On obtient ainsi 16,68 % des malades, hospitalisés à la suite d’un effort physique ou
d’un accident. Dans cet ensemble, les maladies les plus courantes sont :
– les fractures (3,48 %) ;
– les rhumatismes (4,52 %).
Parmi les maladies de peau, de l’appareil digestif, des organes des sens ou de
l’appareil génito-urinaire, un certain nombre ont sans doute des origines profession-
nelles. C’est en particulier le cas des infections des yeux (ophtalmie, kératite, ectro-
pion...), causées par des poussières ou des gaz toxiques, ainsi que du saturnisme (ou
colique de plomb), lié à un contact avec le plomb (0,5 % des malades). Cependant
les conditions dans lesquelles ont été contractées ces maladies ne sont pas précisées
et il est difficile d’avancer un chiffre.

(46) Préfecture de la Seine. Service de la statistique municipale, Atlas de statistique graphique de la


ville de Paris, t. I et II, Paris, Masson, Librairie de l’Académie de médecine, 1889 et 1891, cartes XV :
Fréquence des principales causes de mort dans chacun des arrondissements de Paris (1886-1890).
L. et M. BONNEFF, La vie tragique des travailleurs, Paris, J. Rouff et Cie, 1908.

89
C. BARILLÉ

On peut être surpris par le petit nombre de cas de syphilis ou d’alcoolisme alors
que ces maladies sont considérées comme de véritables fléaux dans les classes popu-
laires. Pour la totalité des malades, on a seulement 8 cas de syphilis et 10 cas d’alcoo-
lisme. En réalité, il est probable qu’un grand nombre d’alcooliques et de syphilitiques
n’apparaissent pas dans les registres comme tels car ils sont hospitalisés pour une
infection tout autre, celle-ci découlant de la première maladie. Par exemple on a
beaucoup de cirrhoses (granulation jaune roux dans le foie qui empêche son fonc-
tionnement) ou de néphrites (inflammation des reins) qui sont souvent le résultat de
l’alcoolisme. Concernant la syphilis, il faut signaler qu’il existe des hôpitaux spécia-
lisés dans le traitement de cette maladie : l’hôpital du Midi et Saint-Louis ; il est
probable que les syphilitiques déclarés s’y rendent, de préférence à un hôpital général
comme Lariboisière. Enfin, la maternité et ses suites sont une autre cause importante
de l’hospitalisation à Lariboisière : presque 16 % des admis sont concernés.
Dans l’ensemble, l’étude des maladies est très typique de la population hospi-

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talisée. Ce sont des maladies fréquentes dans une population dont on a mis en évi-
dence le caractère populaire, provoquées en grande partie par les conditions de vie
et de travail des malades. Les grandes vagues épidémiques, qui ont tant inquiété les
médecins, les démographes et les responsables politiques, n’occupent, en 1887,
qu’une part réduite. C’est plutôt la grande diversité des pathologies qui frappe, avec
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le poids considérable, mais prévisible, de la tuberculose et des affections respiratoires.


Pour mieux comprendre les fonctions hospitalières, il convient d’étudier le degré
de gravité des maladies. Est-ce le lieu où l’on se rend en dernière extrémité pour
mourir ? Ou bien commence-t-on à se rendre à l’hôpital pour des raisons bénignes ?
L’étude des maladies est insuffisante car une même maladie peut renvoyer à
des degrés de gravité bien différents en fonction de son stade de développement ou
de ses complications éventuelles. L’examen du taux de mortalité et de la durée du
séjour doit permettre de répondre à ces questions (tableaux 13, 14 et 15).

TABLEAU 13 : TAUX DE MORTALITÉ À LARIBOISIÈRE

Décès Répartition
Non-précisé 3%
Non 84,94 %
Oui 11,97 %
TOTAL 100 %

Le taux de mortalité est un assez bon indicateur de la gravité des maladies qui
conduisent à l’hôpital. L’hôpital est encore assez peu efficace et s’il soulage, il est
encore très dépourvu face à beaucoup de maladies. À Lariboisière (tableau 13), le
taux de mortalité est encore légèrement inférieur à 12 %, chiffre qui remet en cause
l’idée d’un hôpital-mouroir. Le taux de mortalité est assez régulier au cours de l’année,
même s’il connaît des pointes durant les mois d’hiver, ainsi que l’été, liées

90
LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

vraisemblablement à la recrudescence des maladies épidémiques. Cependant, si l’on


compare aux autres arrondissements parisiens, on constate que le taux de mortalité
à Lariboisière est légèrement plus élevé : il est d’environ 10 % pour l’ensemble des
hôpitaux parisiens (47). Ce taux plus élevé est d’ailleurs le sujet d’un débat houleux
à l’Académie de Médecine en 1862, portant sur la salubrité des établissements hos-
pitaliers de l’Assistance publique et la comparant avec les hôpitaux étrangers. Lari-
boisière fait alors l’objet de très vives attaques d’un chirurgien, Malgaigne. « M.
Bonnafond, déclare-t-il à propos d’un de ses collègues, avait fait éclater son enthou-
siasme pour l’hôpital de Lariboisière, cependant il n’a pu s’empêcher de noter l’odeur
désagréable qui régnait dans les salles. Pour lui, à une certaine distance c’était l’idéal
de la Beauté, c’était Vénus. De plus près, il a trouvé sa Vénus un peu puante. [...]
Au point de vue architectural, il n’est aucun hôpital qui le surpasse, ce ne sont que
colonnes, portiques, arcades ; mais depuis sept ans, il y est mort une femme en
couches sur 21, 52 amputés sur 100 ». Le docteur Guérard, qui rapporte ses propos

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en 1888 (48), ne peut que constater que les statistiques semblent donner raison à
Malgaigne. Il indique néanmoins que cette forte mortalité est liée à un encombrement
de l’hôpital, bien au-delà de ses capacités d’accueil, de 50 à 55 malades par salle,
alors qu’elles sont prévues pour 44. Les raisons de cette surpopulation sont multiples
pour le docteur Gallet, directeur de Lariboisière en 1888. Premièrement, Lariboisière
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serait victime de son succès, « d’une sorte de légende qui, peu à peu, aurait pris corps
à la suite d’éloges qui ont salué les débuts de l’hôpital » et qui expliquerait la forte
fréquentation de Lariboisière. Puis il indique que le maintien à l’hôpital « pour diverses
causes » de convalescents en qualité d’aides ne contribue pas à alléger les services.
Surtout la fréquentation très importante de malades chroniques et notamment des
tuberculeux, alors que Lariboisière est destiné à soigner des affections aiguës,
contribue à engorger l’hôpital et explique ces résultats médiocres. Guérard ajoute
fort justement que c’est la surpopulation du quartier lui-même qui est sans doute
l’explication déterminante. Du reste, en 1891 (49), dans les Xe et XVIIIe arrondisse-
ments, le taux de mortalité atteint 17 ‰, alors qu’il est de 22,45 ‰ pour l’ensemble
de la capitale. En effet, le Xe et le XVIIIe sont des arrondissements très peuplés, avec
peu de vieillards et pas d’hospices. On peut donc supposer que dans ces arrondis-
sements, la population vient davantage mourir à l’hôpital que dans d’autres arron-
dissements. En 1891, sur 7 706 décès dans les Xe et XVIIIe arrondissements, 1 932
ont lieu à l’hôpital, soit 25,07 %. V. Palisse, dans son mémoire sur l’hôpital
Tenon (50), en dénombre 35,8 % dans le XXe arrondissement (51). Peut-être a-t-on

(47) AAP, 3 M 38, Comptes moraux pour l’année 1887.


(48) F. GUÉRARD, L’hôpital de Lariboisière..., op. cit., p. 108.
(49) Préfecture de la Seine. Direction des affaires municipales. Service de la statistique municipale,
Annuaire statistique de la Ville de Paris, XIIe année, 1891, Paris, Masson, 1893.
(50) V. PALISSE, Tenon, un hôpital pour les travailleurs..., op. cit.
(51) Pour une comparaison avec le XXe siècle, cf. J.-J. COCHETON, D. MEYNIEL, « Un siècle de décès à
l’hôpital Tenon », La Revue de Médecine interne, no 17-3, 1996, p. 517. Ils ont étudié les causes et
âges des décès à Tenon en 1888, 1917, 1943, 1955 et 1980 et constatent que « contrairement aux
idées reçues, on mourait plus à l’hôpital au début du siècle qu’aujourd’hui ». En 1888, les causes de décès

91
C. BARILLÉ

également une population qui se rend plus facilement à l’hôpital, ce que semble
confirmer la remarque du docteur Gallet à propos de la « légende » de Lariboisière.
Cependant l’entrée à l’hôpital n’est pas le signe d’une mort certaine ; le diagnostic
de la maladie est en revanche déterminant.

TABLEAU 14 : PRINCIPALES CAUSES DE DÉCÈS

Tuberculose 33,52 %
Cause inconnue, illisible, non rempli 11,51 %
Néphrite, urémie, mal de Bright 6,59 %
Pneumonie 5,49 %
Maladie organique du cœur 5,49 %

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Naissances 4,39 %
Fièvre typhoïde 3,85 %
Alcoolisme 3,85 %
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Accidents, fractures, suicides, brûlures 3,30 %


Cancer 3,30 %
Hémorragie cérébrale, congestion, ramollissement
2,20 %
cérébral
Méningite 1,10 %
Péritonite 2,20 %
Bronchite 1,65 %
Diarrhée, athrepsie 0,54 %
Typhus 0,54 %
TOTAL 90 %

L’étude des principales causes de décès (tableau 14) nous renseigne enfin sur
les facteurs de la mortalité du XIXe siècle. La première cause de décès est la tubercu-
lose (52). Parmi les 20-39 ans, elle est responsable de 61,3 % des décès. Ces chiffres

à Tenon sont dues essentiellement à des pathologies infectieuses, dont pratiquement 56 % à la tuberculose
et aux pneumopathies.
(52) Voir les chiffres donnés dans le chapitre « La maladie sociale » de P. GUILLAUME, Du désespoir
au salut : les tuberculeux aux XIXe et XXe siècles, Paris, Aubier, 1986, p. 130. Il cite notamment p. 138
les ouvrages du médecin bordelais G. Marmisse : Statistique mortuaire de la ville de Bordeaux, 1861
ainsi que ses Recherches statistiques sur la phtisie pulmonaire, 1867. Marmisse fait part d’une idée
intéressante selon laquelle les tuberculeux seraient davantage célibataires que d’autres catégories de la
population car ils se savent malades et atteints d’un mal incurable et contagieux.

92
LARIBOISIÈRE : UN HÔPITAL POUR LES TRAVAILLEURS PARISIENS

n’ont rien d’étonnant, tant cette maladie est un fléau qui décime la population, mais
de manière insidieuse car elle suit un développement plus lent que d’autres maladies
contagieuses. Elle est finalement beaucoup plus meurtrière que le choléra par
exemple, puisqu’elle est responsable de 23 % des décès à Paris en 1891 et de 25 %
dans le seul Xe arrondissement. En examinant le nombre des décès à Lariboisière en
1887, on remarque une surreprésentation des décès dus à la tuberculose ; de plus,
si on ajoute les autres maladies respiratoires, on obtient 52,5 % des décès.
Ainsi 12 % des malades entrés à l’hôpital y meurent. Ce taux est très variable
selon les maladies : 33 % des tuberculeux décèdent, à l’inverse d’autres maladies
pourtant très présentes à l’hôpital, qui ont un taux de mortalité très faible voire nul.
Seulement 1,65 % des bronchitiques meurent, pourtant c’est une maladie fréquente
qui touche presque 10 % des malades. On ne vient donc pas à l’hôpital uniquement
pour des maladies très graves et donc pas forcément en dernière extrémité. 85 %
des malades ressortent de l’hôpital : ils n’en sont pas pour autant guéris. Que devien-

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nent les deux tiers restants des patients atteints de tuberculose qui ne décèdent pas
à l’hôpital ? À la fin du XIXe siècle, le diagnostic de cette maladie condamne à plus
ou moins brève échéance. Le départ de l’hôpital est-il le résultat de la décision du
médecin qui veut faire de la place à un malade moins désespéré qu’il sera possible
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de soigner ? Ou bien est-ce le signe de la volonté du patient qui préfère mourir chez
lui ? Dans les deux cas, l’hôpital n’a plus vocation à accueillir ceux qui vont mourir.
C’est désormais un lieu où l’on attend d’être soigné de manière plus ou moins
efficace.

TABLEAU 15 : RÉPARTITION DES DURÉES DE SÉJOUR

de 8 à de 1 à de 3 à plus de
> à 8 jours ? TOTAL
30 jours 3 mois 6 mois 6 mois
371 671 299 38 13 1 1393
26,63 % 48,17 % 21,46 % 2,73 % 0,93 % 0,07 % 100 %

La durée des séjours (tableau 15) fournit un autre renseignement sur la gravité
des maladies et la fonction médicale de l’hôpital. Presque la moitié des séjours dure
de 1 à 3 semaines, les séjours très courts sont assez courants : ils concernent 26 %
des malades. Quant aux séjours de plus de 3 mois, ils sont beaucoup plus rares, a
fortiori ceux de plus de 6 mois. Les installations permanentes à l’hôpital ne semblent
plus avoir cours. Les séjours de très longue durée existent mais deviennent excep-
tionnels. Ceci est lié à l’existence depuis 1855 de deux maisons de convalescence,
au Vésinet et à Vincennes. Désormais la vocation de l’hôpital est d’accueillir les
malades de façon temporaire, même parfois quelques jours, le temps d’être remis
sur pied. Tout cela confirme l’idée que Lariboisière est un hôpital de travailleurs dont
la vocation n’est pas le regroupement et la mise à l’écart des exclus et des fragiles,
mais un tremplin vers leur réintégration dans la vie professionnelle. On peut se
demander dans quelle mesure la durée du séjour est réellement significative. Il est

93
C. BARILLÉ

assez difficile de le dire car les registres d’entrée ne précisent pas le degré de gravité
des maladies. Par exemple, pour une fracture, la moitié des malades reste de 1 à
3 mois et 80 % d’entre eux entre une semaine et trois mois. En général, on compte
trois mois pour la consolidation complète d’une fracture : ainsi la durée de séjour
semble correspondre avec la durée de rétablissement. Cela peut être généralisé, mais
il est assez difficile de faire la part des facteurs sociaux ou médicaux.
L’étude des maladies renvoie donc à un ensemble de pathologies typiques d’une
population de travailleurs issus de milieux populaires. Les épidémies y ont leur place,
mais on constate aussi une grande variété d’affections quotidiennes, qui sont large-
ment causées par les mauvaises conditions de vie et de travail des malades hospita-
lisés. Il convient également de faire la part de la limite relative des savoirs médicaux :
on commence, par exemple, tout juste à découvrir l’existence d’agents infectieux.
Ainsi la faiblesse de la mortalité est à mettre sur le compte de la diversité des maladies
plutôt que sur les possibilités de guérison. Si l’hôpital est encore loin de guérir toutes

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les maladies, et tous les malades, la réduction de la durée de séjour et le faible taux
de mortalité montrent que sa vocation a changé. L’hôpital fournit une aide à la fois
sociale et médicale à une population fragilisée, mais qui cherche à s’intégrer.
Lariboisière, présenté comme un des hôpitaux modernes de la fin du XIXe siècle,
fleuron des nouveaux hôpitaux de l’Assistance publique comme l’hôpital Tenon (53),
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un peu plus tard, est l’un de ceux qui illustrent ces nouvelles pratiques de l’hôpital
pour les Parisiens des quartiers populaires. À la question de savoir qui fréquente le
plus l’hôpital la réponse est donc qu’il s’agit d’une population plutôt jeune, récem-
ment arrivée à Paris, plutôt bien insérée professionnellement mais qui ne paraît pas
l’être d’un point de vue familial : ce sont plus souvent des personnes vivant seules et
fraîchement arrivées à Paris. L’examen des professions nous donne un aperçu de la
population des quartiers environnants : les classes populaires et intermédiaires sont
les plus représentées. Néanmoins la précarité n’est jamais très loin. Surtout l’étude
du séjour à l’hôpital est révélateur d’un usage assez moderne, disons désacralisé, de
l’hôpital, dont on attend moins le secours et l’assistance que le soin, le remède, le
palliatif pour une cause de mieux en mieux identifiée. En même temps que la méde-
cine progresse, l’usage de l’hôpital évolue pratiquement simultanément, preuve que
les avancées médicales sont sinon intégrées, du moins comprises par une partie de
la population, qui a désormais toute confiance dans l’institution hospitalière.

(53) V. PALISSE, Tenon..., op. cit. V. Palisse a obtenu des résultats sensiblement comparables pour un
hôpital plus tardif puisqu’il date de 1878, mais construit sur un modèle identique, et dans un quartier
également très populaire, le XXe arrondissement.

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