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"Odessa", le film qui


exhorte les Roumains à
assumer leur rôle dans
l'Holocauste
Le Point.fr
4-5 minutes

Alternant témoignages émouvants et


commentaires ironiques, le documentaire
"Odessa" du réalisateur Florin Iepan se
penche sur l'un des pires massacres de la
Seconde guerre mondiale pour inviter les
Roumains à assumer leur rôle dans
l'Holocauste.
"La Roumanie est vulnérable, une nouvelle
flambée d'intolérance, de haine ou de
xénophobie peut éclater à tout moment" en
l'absence de ce travail de mémoire, a déclaré
M. Iepan à l'AFP.
Montré en avant-première dans le cadre du
festival international de documentaires "One
World Romania", ce film évoque l'exécution
en masse de 22.500 civils juifs ukrainiens par
l'armée roumaine, sur ordre du maréchal pro-
nazi Ion Antonescu.
Ce massacre fut ordonné en représailles à la
mort d'une centaine de militaires dans un
attentat contre le quartier général roumain à
Odessa, perpétré par des partisans
soviétiques mais attribué aux juifs.
Le 23 octobre 1941, des milliers d'hommes,
de femmes et d'enfants furent menés vers
des entrepôts de la banlieue de cette ville où
ils furent enfermés, avant que des militaires y
mettent le feu.
Ceux qui ne sont pas morts brûlés vifs et ont
tenté de s'enfuir ont été mitraillés.
"Je me rappelle les milliers de femmes
marchant en colonne, dans un silence
profond" vers la mort, raconte un témoin
roumain, âgé à l'époque de sept ans, qui
ajoute avoir appris beaucoup plus tard
l'explication de cette "odeur persistante de
chair brûlée qui avait plané sur la ville
pendant trois jours".
Cet épisode, "le plus sombre de l'histoire des
Roumains", selon M. Iepan, est le point de
départ d'une pénible démarche pour secouer
les consciences, alors que la Roumanie a
longtemps nié sa participation à la Shoah et
tandis que de nombreux Roumains vénèrent
toujours Antonescu.
Le massacre d'Odessa est passé sous
silence dans les manuels scolaires roumains.
Selon une commission internationale
d'historiens mise en place par le Prix Nobel
de la paix Elie Wiesel, entre 280.000 et
380.000 juifs roumains et ukrainiens sont
morts pendant l'Holocauste en Roumanie et
dans les territoires alors sous son contrôle,
tandis qu'environ 25.000 Roms furent
déportés, plus de 11.000 trouvant la mort.
Agé de 44 ans, M. Iepan avoue avoir lui-
même appris la vérité sur le passé fasciste de
la Roumanie en 2006, lorsqu'il a été sollicité
par la télévision publique pour réaliser un bref
documentaire sur Antonescu.
Figurant sur une liste des 100 Roumains "les
plus grands", le maréchal n'est finalement
arrivé qu'en 6e position dans les options des
téléspectateurs. Mais l'honneur de cette
compétition, qui risquait de couronner un
criminel de guerre, semble avoir été sauvé
par une manipulation des voix.
Choqué, M. Iepan se propose alors de lancer
une campagne de sensibilisation des
Roumains. Il obtient un soutien inespéré de la
part d'un survivant du massacre d'Odessa,
Mikhaïl Zaslavski, qui vient en Roumanie.
Mais la présence de ce témoin âgé
aujourd'hui de 86 ans et dont la mère, trois
soeurs, un frère et une tante périrent dans le
carnage, dérange.
Lors d'un colloque d'historiens dédié à
l'ancien roi Michel de Roumanie, il se fait
couper le micro, tandis que M. Iepan est
accusé de perturber la réunion.
L'ancien président de centre droit Emil
Constantinescu évite de serrer la main à M.
Zaslavski, et d'autres hommes politiques
refusent d'évoquer ce sujet sensible.
"Ma démarche est une protestation contre
l'absence de réaction des autorités", a
déclaré M. Iepan à l'issue du film, devant une
salle acquise, alors que quelques rares
spectateurs lui reprochaient des "contre
vérités".
"Je pense que 70 ans après, un haut
responsable roumain devrait aller à Odessa
et exprimer ses regrets devant le dernier
survivant du massacre et devant la
communauté juive, en assurant que la
Roumanie d'aujourd'hui est différente de celle
d'Antonescu", dit-il à l'AFP. "Il s'agirait peut-
être d'un geste formel mais il pourrait
néanmoins ouvrir un débat".

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