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HOMMES
REGÉ-JEAN
PAGE
New Worlds
LOOK HERMÈS
ISSN 1777-9375
L 11435 - 74 H - F: 5,90 € - RD
DALI
BENSSALAH
New Worlds
LOOK DIOR MONTRE OMEGA
ISSN 1777-9375
L 11435 - 74 H - F: 5,90 € - RD
ISSN 1777-9375
L 11435 - 74 H - F: 5,90 € - RD
TRAVIS BARKER 90
PAR Jeremy Gordon
STYLISME Christopher Kim
PHOTOS Sam Dameshek
154
82
L’OOK BACK - KENZO TAKADA 160
PAR Piper McDonald & Tori Nergaard
LE CHOC “ATHENA” 48
PAR Baptiste Piégay
STYLISME Jennifer Eymère
PHOTOS Leon Prost
13/11/2015 60
PAR Baptiste Piégay
STYLISME Jennifer Eymère
PHOTOS Kenzia Bengel de Vaulx
30
ÉDITO 12
L’ESPRIT CAVIAR 18
PAR Baptiste Piégay
66
48
GLOBAL
CHAIRMAN
Dr. Calvin Choi
CHIEF FINANCIAL OFFICER CHIEF EXECUTIVE OFFICER DEPUTY CHIEF EXECUTIVE OFFICER
;DYLHU=HH Benjamin Eymère Maria Cecilia Andretta
PARIS
RÉDACTEUR EN CHEF
Baptiste Piégay
EXECUTIVE DIRECTOR
Giampietro Baudo
INTERNATIONAL EDITIONS
L’Officiel Paris, L’Officiel Hommes Paris, L’Officiel ART Paris, Jalouse, La Revue des Montres, The International Watch Review, L’Officiel Arabia, L’Officiel Hommes Arabia, L’Officiel Argentina, L’Officiel Austria, L’Officiel
Baltics, L’Officiel Belgique, L’Officiel Hommes Belgique, L’Officiel ART Belgique, L’Officiel Brasil, L’Officiel Hommes Brasil, L’Officiel Chile,L’Officiel China, L’Officiel Hommes China, L’Officiel French Riviera, L’Officiel Ibiza,
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EN MODE
CRÉATEURS
NOS STARS :Regé-Jean Page en HERMÈS. Travis Barker en TOMMY HILFIGER, TIFFANY & CO. et THIERRY LASRY. Dali Benssalah en DIOR HOMME
et OMEGA. Jordan Barrett en PRADA. (Homme à droite en BRUNELLO CUCINELLI et TAGLIATORE). David Dawson en PRADA.
Sofian Khammes en GUCCI ; Cédric Jimenez en GUCCI ; Sami Outalbali en SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO.
Création
libre
Aux âmes bien nées, la valeur n’attend
point le nombre des années.
Philéo Landowski, fils d’artistes,
répond à l’adage en créant, à bDQV,
sa marque de chaussures, Phileo.
À 15 ans déjà, il harcelait l’administration de son lycée pour avoir
des conventions de stage. Car Philéo Landowski ne se reconnais-
sait pas dans l’école et en cherchait la porte de sortie, avoue-t-il
très diplomatiquement. En 2017, il enchaîne ainsi deux stages
chez Celine. Même si de son propre aveu il ne connaît rien à la
mode, qui l’intéresse “assez mollement”, cette première expérience
professionnelle le conforte dans son intérêt pour la gestion de
l’espace, les volumes, et la façon dont un objet se comporte dans
un environnement donné. Ce qu’il appelle “l’ingénierie cachée”, c’est
son truc. Les chaussures aussi, et ça tombe bien parce qu’il estime
qu’il reste encore beaucoup à faire dans le domaine. Il imagine
donc un premier modèle, dont la construction et la fonctionnalité
répondraient aux besoins de l’époque. Une paire très simple, “la plus
simple du monde”, qu’il élève en partant (toujours) d’une semelle
socle, lui conférant un style notoire. Remarqué par Adrian Joffe de
Dover Street Market, il lance sa marque éponyme début 2020. Un
mauvais timing qu’il saura pourtant mettre à profit pour rattraper
quelques retards de livraison ! Et préciser son cahier des charges :
des produits unisexes, aucun matériau animal, un atelier portugais
et des points de vente sélectifs, une petite trentaine aujourd’hui.
—Par Anne Gaffié
Photo DR
Le son en images
Un sublime livre rend hommage à la création musicale américaine.
Alors que le CBGB, salle que les clichés désignent comme my- ces ampoules grillées depuis longtemps, nous racontent un cer-
thique, puisqu’y passèrent les Ramones, Blondie, Television – disons tain xxe siècle, fait d’insurrections, d’inventions, d’embardées folles.
que c’était un peu la version underground de l’Olympia parisien –, Nulle nostalgie donc, mais une mélancolie à contempler ce monde
s’apprêtait à fermer, en 2006, l’artiste Rhona Bitner s’est embarquée englouti, cette Atlantide aux ruines encore fumantes, brûlantes. Ces
dans une odyssée à la poursuite des derniers lieux où vécut et vit splendides images évoquent le travail de William Eggleston ou les
encore la musique. 26 États américains, 89 villes et 385 salles de voyages de Stephen Shore. Ces “vaisseaux fantômes de la musique”,
concert ou studios d’enregistrement. Aucune nostalgie ici, mais ainsi que les désigne Iggy Pop dans sa magnifique préface, n’ont pas
une captation de ces endroits où vibra plus fort qu’ailleurs le talent cessé de flotter au-dessus de nos yeux éblouis, certains ont dange-
émergeant – la première salle, dans un lycée, où se produisit Bob reusement flirté avec le sol, d’autres se sont envolés au-delà de tout
Dylan, l’église où chantait la jeune Aretha Franklin –, ou s’éteignant horizon humain, et il est beau que ce livre témoigne de leur exis-
– la pièce où Elvis aurait chanté Blue Eyes Crying in the Rain et tence. Certains jours, on en douterait presque, si l’on ne se souvenait
Unchained Melody, à l’intention de son cousin Billy, le 16 août 1977. pas de cette formule de l’écrivain Kurt Vonnegut, “Si jamais je devais
Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour rêver aux romans qui mourir, à Dieu ne plaise, que ceci soit mon épitaphe : ‘La seule preuve
se sont déployés entre ces murs, aux intrigues amoureuses formées dont il avait besoin pour l'existence de Dieu était la musique.’”
dans la fosse des salles de concert, aux embrouilles sans lendemain
au bar, aux engueulades homériques en studio pour déterminer Listen. Scènes et studios, voyage dans la musique américaine. Photos
s’il faut plutôt jouer un fa majeur ou un sol mineur sur le refrain. de Rhona Bitner. Sous la direction d’Éric Reinhardt. Éd. Rizzoli.
Ces murs jaunis, ces moquettes douteuses, ce plafond inquiétant, —Par Baptiste Piégay
Photo DR
A Mark of Allure
2 Avenue Montaigne
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L’ESPRIT caviar
PDG de Caviar Kaspia, Ramon Mac Crohon poursuit le développement
de sa belle maison à l’étranger, symbole de l’art de la fête à la française.
L’OFFICIEL HOMMES : Combien compte-on de maisons Caviar Kaspia torique, qui fête aujourd’hui ses 95 ans, notre image de marque ne
dans le monde en 2022 ? cesse d’évoluer avec le temps.
RAMON MAC CROHON : Quatre. Paris a ouvert en 1927 rue des Ma-
thurins, avant de s’installer place de la Madeleine en 1953. Dubai, LOH : Une grande partie du charme de Kaspia, c’est la salle, son anima-
ouvert en octobre 2021 ; São Paulo, en janvier 2022 ; Saint-Tropez, tion… Comment travaillez-vous sur ces paramètres à distance ?
en juillet 2022. Nous ouvrons à Los Angeles, Melrose Place, en oc- RMC : Pour toutes les ouvertures à l’international nous faisons venir
tobre 2022 ; à Londres, Mayfair, en novembre 2022, et à New York, les équipes à Paris pour s’immerger dans l’expérience Kaspia.
au Mark Hotel, mi-novembre 2022. À la fin de l’année, ce sera
Courchevel, et enfin un pop-up à Miami pour Art Basel. LOH : Comment rester fidèle à cet ADN tout en intégrant l’identité
d’une nouvelle adresse ?
LOH : Comment définiriez-vous l’ADN de Caviar Kaspia ? RMC : Chaque implantation a été pensée pour s’intégrer à la culture
RMC : Par la couleur aquamarine des nappes et serviettes qui re- de l’endroit. Ainsi, pour Dubai et Saint-Tropez nous avons insufflé
couvrent l’ensemble de nos salons. On peut aussi évoquer la sim- une dimension festive. Nous restons à l’écoute de la clientèle locale
plicité du menu qui vient se conjuguer à la très haute qualité des pour s’adapter tout en gardant nos codes et notre identité.
produits que l’on propose. Bien que nous soyons une maison his- —Par Baptiste Piégay
Photos DR
3 tailles, des dizaines de motifs,
des milliers de possibilités.
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La BR-X5
%HOOb b5RVV
Perpétuant l’héritage D«URQDXWLTXH
de Bell & Ross, la nouvelle BR-X5
ajoute un QRXYHDX chapitre à l’histoire
de la collection %5
Innover, oser, se différencier. Telle est la volonté de Bell & Ross
qui, avec son nouveau modèle, vient contenter toutes nos envies.
Comme l’explique Bruno Belamich, directeur de la création de la
marque, “si l’audace a été le fil conducteur tout au long des étapes créa-
tives, la notion de risque est bannie de notre vocabulaire quand il s’agit
de fiabilité et de précision”. Avec la BR-X5, la marque horlogère
ajoute une dimension à la fameuse collection BR 05 en la dotant
d’un mouvement manufacture conçu par le spécialiste suisse Ke-
nissi. Équipé d’une masse oscillante personnalisée au dessin inspiré
d’une jante de voiture de sport et d’un balancier à inertie variable,
le calibre BR-CAL.323 possède une réserve de marche d’environ
70 heures. Cette capacité dite “week-end proof ” permet de déposer
sa montre le vendredi soir et de la reprendre le lundi matin sans
avoir à la remonter. L’autre atout réside dans son dispositif de cor-
rection rapide du quantième qui permet un réglage à n’importe
quelle heure sans altérer le fonctionnement de la montre. De plus,
l’organisme officiel suisse de Contrôle des chronomètres lui a ac-
cordé l’appellation chronomètre, gage d’une grande précision. Une
première et une grande fierté pour Bell & Ross.
Côté design, la marque privilégie l’épure, la radicalité et la résistance.
Avec un boîtier de 41 mm de largeur tout en acier, une lunette car-
rée avec sa glace saphir ronde et un assemblage multicouche discret,
la montre joue la légèreté. Les différentes finitions – polie, satinée,
microbillée – redéssinent les lignes et les surfaces de ce puzzle hor-
loger.
La gamme se compose de deux modèles : la version cadran noir
pour une montre fonctionnelle sans concession de style, et la ver-
sion cadran bleu glacier pour un côté plus habillé. Chacune est
disponible sur bracelet acier ou bracelet caoutchouc. Plus qu’une
montre, un sacré caractère !
—Par Laure Ambroise
Photo DR
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À l’écouter, sa vie est un roman. Né de père marocain et de mère c’est l’ancêtre du code binaire. Je connais mes armures par cœur, les sergés,
égyptienne, élevé entre Paris et Tel-Aviv, ce Franco-Israélien de les plain wave, personne ne peut me concurrencer, et je bosse toujours avec
31 ans a déjà à son actif dix ans de péripéties, dont les épisodes Malhia Kent ! Le développement que nous avons réussi ensemble est un
s’entrecroisent aussi vite que des rubans sur un métier à tisser, te- vrai challenge industriel, car un fil de cassette, c’est plat. Aujourd’hui, en
chnique ancestrale revisitée par ses soins et dont il a fait l’étonn- deux semaines, je peux obtenir 1 000 m de tissu.”
ant ADN de sa marque. La toute première collection Benjamin Benmoyal est présentée à
Tout commence le 27 août 2013 : il est admis à Central Saint Mar- la presse et aux acheteurs en… février 2020. Quelques semaines
tins à Londres après avoir préparé son portfolio sur un lit d’hôpital avant les premiers confinements. “J’ai eu le nez creux ! Le pire timing,
– où il se remettait d’un accident survenu lors de son service mi- le KO technique ! Honnêtement, si c’était à refaire, j’hésiterais. J’avais
litaire obligatoire dans les commandos parachutistes. À dire vrai, tout donné, tout organisé, tout dépensé, sans compter que je pensais être
ses parents le voyaient plutôt devenir médecin, ou avocat ; lui avait psychologiquement blindé. Ma vie a basculé en deux semaines, et pourtant
choisi l’ingénierie aéronautique. Et pourtant. “Le 2 septembre, j’étais à j’en avais fait des guerres ! Annulation de toutes les commandes, alors que
Londres, explique Benjamin Benmoyal, fasciné par la liberté, la légèreté j’en avais lancé la production, sans avance des acheteurs. Ça s’est joué à
et l’insouciance qui à mes yeux régnaient dans cette école. J’avais 22 ans, 15 jours près. J’avais deux solutions : le dépôt de bilan ou le soutien d’un
c’était un vrai choc, je voulais en faire partie !” Après quatre ans d’étud- financier, que j’ai trouvé. Deux mois plus tard, j’étais à nouveau sur pied,
es et de stages chez Hermès et Alexander McQueen, il prend une je pensais que le covid allait faiblir, mais ça ne s’est pas passé comme prévu.
année de césure et décide, à 26 ans, de lancer sa marque. Ses indem- Zéro sur la deuxième saison, aucun acheteur, personne n’achète en digi-
nités de l’armée ayant servi à financer ses études, il crée avec ce qu’il tal une marque inconnue. J’avais heureusement fermé tous les robinets,
a sous la main : des bandes magnétiques de cassettes audio et VHS, et calculé que dans le pire des cas je pouvais tenir trois saisons. Minimum
qu’il tisse lui-même à longueur de journée et garde en souvenir. “Je de frais, zéro employé, pas de salaire, pas de local… avec cinq mille euros,
n’avais aucune formation, et surtout aucune solution pour industrialiser le je faisais une collection. Puis l’hiver 2021 est arrivé, troisième collection,
procédé. En 2018, je décide de reprendre une deuxième année sabbatique aucune vente. Et les confinements se sont succédé. J’ai fait le dos rond. Ça
pour me former pendant six mois au métier de tisserand dans le sud de passait ou ça cassait.” Et c’est passé ! Sept points de vente, puis quator-
Londres. Mais je n’avais toujours pas la réponse à mon autre problémat- ze, trente à ce jour, dans une quinzaine de pays (La Samaritaine, Le
ique ! Décidé à trouver le moyen de développer le tissu, je prends un billet Printemps, Rent the Runway, Selfridges…), Benjamin Benmoyal
pour Paris, direction le Salon Première Vision, où je frappe à toutes les est aujourd’hui sur tous les radars. Il a racheté ses parts dans la so-
portes, sans succès. La seule qui ait trouvé le temps de m’écouter était Eve ciété, remboursé ses créanciers, son studio (il emploie une petite di-
Corrigan, qui dirige Malhia Kent, la référence mondiale en matière de zaine de personnes) est hébergé à La Caserne et il s’est même acheté
tissage. Mon projet lui plaît et elle accepte de m’aider au développement un appartement ! Petit à petit, il s’éloigne des bandes magnétiques,
pendant trois mois, gratuitement.” Retour à Londres avec ses “tissus qu’il garde seulement en empiècements, pour travailler d’autres
cassette” pour une dernière année d’étude, sans plus un sou en po- matériaux qu’il développe en recyclant des tonnes de fils de stocks
che, et endetté auprès de l’école. Acculé, il postule au Grand Prix dormants des maisons de couture qu’il trouve chez Nona Source et
Scholarship LVMH, qu’il remporte ! Avec la dotation, il monte son via des agents en Italie. Il teste de nouveaux tissages, cette fois en
entreprise et se met au travail, non sans avoir pensé à rembourser sa jacquard, et de nouveaux imprimés exclusifs. La recherche-dével-
dernière année d’étude ! “Le tissage est devenu ma passion. Je travaille oppement le passionne et puis, avoue-t-il, “ je veux commencer à me
sur des métiers vieux de 150 ans, lourds de 2 tonnes, c’est fascinant. Et puis challenger”.
Photo DR
Golden Goose a décidé de célébrer le Golden Spirit de nous avons introduit le concept du ‘ less is more, slow is faster’.
Los Angeles à l’iconique Pink Motel. Ce lieu incarne Le temps était venu de remettre à l’ honneur le lifestyle des
l’iconographie américaine et sert de pont entre la marque origines. Quel était le défi ? Créer une garde-robe intemporelle,
et les communautés de la ville californienne avec lesquelles avec des pièces life-wear. Comme pour les sneakers, l’objectif
elle a tissé des liens forts dans le cadre d’un principe très était de fournir au public une sélection de vêtements à porter
cher à la maison vénitienne, celui de la contamination en toute occasion. Nos collections sont genderless, elles ont une
culturelle. Le Pink Motel a été, en effet, la Mecque des vestibilité conçue pour convenir aux consommateurs, elles sont
skaters quand il a cessé son activité en tant que motel, et aussi seasonless. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que nous adhérons
sa piscine a accueilli les acrobaties de générations de jeunes fortement et de façon concrète au concept de durabilité. Nous
athlètes. L’événement s’est concentré non seulement sur avons passé deux années de confinement à penser que le monde
l’histoire de Golden Goose mais aussi sur la relation de la devait changer, mais à la fin, quels ont été les changements
marque avec le monde du skate. Cette relation privilégiée réels ? Golden Goose ne fait pas de défilés ni ne lance quatre
est rendue emblématique par l’inscription que les sneakers collections par an, la marque se concentre sur la satisfaction des
Golden Goose portaient sur la semelle extérieure, “For besoins fonctionnels du public : donner aux gens une garde-
Skaters Only”, modifiée plus tard en “For Dreamers Only”. robe essentielle d’excellence. Le contemporain est mort, tout
Si 2021 était l’année de “From Venice To Venice”, au cours ce qui est fonctionnel à un bel avenir.” La philosophie de
de laquelle Golden Goose avait apporté une piste de skate l’entreprise est guidée par un mantra gravé dans l’esprit
au milieu de la lagune de Venise devant la place Saint-Marc, et dans le cœur : “Golden Goose ne vend pas seulement des
pour cet événement dans la Cité des Anges, c’était au tour sneakers, il vend tous les souvenirs qui naissent en marchant
de la légendaire piscine du Pink Motel de se transformer en avec nos chaussures.” C’est précisément cette vision, associée
skate bowl et d’accueillir la performance spectaculaire de au savoir-faire artisanal perceptible derrière le produit fini,
Cory Juneau, capitaine de l’équipe nationale américaine de qui est à la base du succès de la marque. Laquelle, au fil des
skate et médaillé de bronze aux Jeux olympiques de Tokyo ans, a toujours poursuivi une communication bien à elle.
en 2021– son sponsor était justement Golden Goose. “La “Notre communication a toujours été différente. Notre objectif
marque est née il y a 20 ans en se concentrant sur le lifestyle. Ce était de faire en sorte que le consommateur nous connaisse par le
n’est qu’en 2007 que les sneakers ont été créées en complément bouche-à-oreille. Dans les années 2000, cette technique a rendu
de l’ habillement. Le hasard a voulu qu’au même moment, la la marque spéciale et unique, elle a donné à chacun la possibilité
macro-tendance de la casualization ait commencé à s’installer, de colorer Golden Goose avec ses propres nuances. Aujourd’ hui,
les uniformes ont alors été abandonnés au profit d’un style plus nous sommes entrés dans le monde numérique. Mais nous restons
personnel. C’est la clé du processus créatif de Golden Goose : fidèles à nous-mêmes. Nous nous sommes développés et avons
la capacité de laisser les gens s’exprimer, en mettant en valeur grandi, mais on nous appelle encore parfois ‘ceux des sneakers’.
leurs éléments personnels”, explique Silvio Campara, PDG Voilà, notre objectif, à travers le bouche-à-oreille, est d’arriver
de Golden Goose. Ces dix dernières années, nous avons surfé à se faire appeler ‘ceux qui fabriquent les chaussures à la main’.”
sur la vague des sneakers de luxe, nous avons exalté l’artisanat, –Traduction Hélène Guillon
Génie musical, icône politico-culturelle, le musicien nigérian
Fela Anikulapo-Kuti fait l’objet d’une exposition, accompagnée
de concerts en son hommage, à la Philharmonie de Paris.
Animé par l’inébranlable conviction que “ la musique est l’arme se de la scénographie de l’exposition offrira un juste écho au
du futur”, Fela Anikulapo-Kuti, disparu en 1997, a fait vibrer foisonnement d’une existence qui en recelait des dizaines,
ses puissantes créations bien au-delà du Nigeria. Partout, des mettant en lumière aussi bien son génie musical, son courage
Talking Heads jusqu’à Damon Albarn, ou encore les Roots, civique que son sens du style vestimentaire, avec de sublimes
et comptant parmi ses fans Paul McCartney, son influence se costumes dessinés par Henry Atem.
fait entendre, et plus que jamais au temps présent. Cet artiste Parmi les concerts au programme, l’on retrouvera Angélique
a marqué plus que son époque ; sa musique, en constante mu- Kidjo, qui reprendra dans son intégralité le séminal disque
tation, tel un organisme vivant, est introuvable sur les cartes des Talking Heads, fortement influencé, c’est peu de le dire,
conventionnelles : entre funk cramoisi à la James Brown, free par le travail de Fela, des performances de deux des fils de
jazz festif, la soul psychédélique des Temptations, sa magique Fela, Seun et Femi, et un un clin d’œil sentimental sera réser-
concoction hybride, désignée sous l’appellation afrobeat dit vé par Sébastien Tellier, Oumou Sangaré et Oxmo Puccino
finalement peu de son énergie, sexuelle, citoyenne et politi- au batteur Tony Allen, indissociable des prouesses du chan-
que. En effet, sa démarche est indissociable de son activisme teur. Le cœur de sa rébellion bat toujours aussi follement,
Photo Adrian Boot/Urbanimage.TV
gouvernement lors du premier septennat de François Mitterrand, scène cette formidable rétrospective au musée des Arts décora-
le vent de la culture en France souffle de nouveau fort dans les tifs. Signe du soutien qu’apporte l’État à une nouvelle génération,
voiles de la création française, notamment grâce à un budget dou- les commandes officielles se multiplient : Pierre Paulin imagine
blé en 1982. Les projets majeurs se multiplient, changeront le le mobilier du bureau présidentiel ; Jean-Michel Wilmotte, celle
visage de la capitale : Grand Louvre, Arche de La Défense, Opéra de la chambre du Président de la République ; Andrée Putman
Bastille. De grands noms du théâtre et du ballet apportent leur dessine le bureau de Jack Lang… Emblématique de cette décen-
génie – Patrice Chéreau, Rudolf Noureev –, les créateurs sont mis nie, Philippe Starck repense la chambre de Danielle Mitterrand à
à contribution pour célébrer l’histoire française ( Jean-Paul Goude l’Élysée et l’éternel fauteuil Costes pour le café du même nom. Les
conçoit le défilé du bicentenaire de la Révolution française ; Phi- galeries se multiplient pour offrir aux designers des écrins idoines :
lippe Decouflé signant la chorégraphie d’un de ses tableaux). Sur Yves Gastou, Perkal, Gladys Mougin sont des acteurs essentiels à
cette toile de fond émergent de nouvelles personnalités qui vont cette éclosion, faisant de nouveau du design un art noble, démo-
contribuer à ces mouvements tectoniques, faisant de la France cratisé par Starck, qui ne déviera pas de cette ligne.
une nouvelle place forte de la création, moderne et populaire, dans La pop musique made in France connaît aussi un nouvel élan,
toutes ses formes, explorant le champ infini des possibles. impulsé par Étienne Daho, Taxi Girl, Elli et Jacno… Palace et
Il n’est ainsi pas anodin qu’en 1986 ouvre le musée des Arts de Bains Douches offrent à la fête, débridée, comme libérée, de nou-
Fastes, insouciantes, les années 80 marquèrent l’avènement de grands noms
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veaux lieux où la new wave, le rock raide, et le hip-hop balbutiant, celle de tous les excès, du culte de la superficialité, négliger sa force
trouvent un écho, préparant doucement l’envol de la génération esthétique, où se mêlaient espérances politiques, ambition de la
French touch. S’il y a bien un autre domaine connaissant un nou- stratégie culturelle, libération des gestes esthétiques, serait une
vel âge d’or, c’est la mode. Bouillonnante, inventive, audacieuse, elle erreur. Le graphisme, les arts plastiques, la création vidéo – dont
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ose tout, couvrant tout le spectre de son expressivité : de l’univer- la publicité, portée par les premiers “auteurs” du genre, Goude,
salisme intemporel d’Agnès b. en passant par la précision couture Mondino ou Chatiliez, marquait les esprits au point de rejoindre
d’un Christian Lacroix, la sensualité d’Azzedine Alaïa, l’approche l’imaginaire collectif – connaissent aussi une époque féconde en
cérébrale de Martin Margiela, ou encore les extravagances de Jean idées et poésie inattendues.
Paul Gaultier, l’ultraféminité des silhouettes dessinées par Chantal S’il fallait dégager une ligne de fuite propre à toutes ces expressions
Thomass ou Thierry Mugler, la rigueur de Claude Montana, les de points de vue créatifs, au-delà de leurs identités propres, disons
coupes architecturales et colorées de Jean-Charles de Castelbajac. que cette décennie prolifique aura eu l’immense mérite de mettre
Accueillant l’imaginaire irréductiblement singulier de Kenzo, elle l’art au centre du quotidien, de nos rues, de nos vies.
enrichit son histoire avec une générosité et une ouverture d’esprit
qui imprimera durablement sa marque – le succès de l’exposition Exposition “Années 80. Mode, design, graphisme en France”.
consacrée à Thierry Mugler dans ses mêmes murs en témoignant. Jusqu’au 16 avril 2023. Madparis.fr
Si la caricature, et le recul historique, ont fait de cette décennie — Par Baptiste Piégay
a modern spy story starring
3DUALYSSA KELLY
3KRWRJUDSKLHZEB DAEMEN
6W\OLVPHMICHAEL MILLER
jusqu’où on doit aller pour survivre à ce genre de circonstances pourra s’amuser. Et avec eux, j’ai touché le jackpot. Entre le
en restant heureux. Et ce que j’aurais fait, moi, pour m’en sortir. soutien qu’on a reçu et la façon dont on s’est épaulés entre nous,
Alors, entre ça et le fait que ce soit avec Michael Grandage, je je crois qu’on a vraiment pu donner naissance à quelque chose
voulais vraiment prendre part au projet. de spécial. Depuis, je suis allé voir Harry en concert pour la pre-
mière fois quand il est passé à Brixton. J’étais tellement fier de
L’OH : Comment c’était de tourner avec Harry Styles et Emma Cor- lui. C’est un showman hallucinant, et c’était bizarre de le con-
rin ? naître par une autre de ses facettes. Emma aussi, je suis allé la
DD : C’était génial. Tout à fait particulier. C’étaient des collè- voir sur scène dans le West End, et elle m’a ébloui. Ils sont tous
gues merveilleux, je le pense vraiment. Nous avons eu le luxe les deux très polyvalents, c’est enthousiasmant pour un acteur.
de pouvoir faire des répétitions, et donc le temps de bâtir une
complicité et une dynamique à trois. Et aussi séparément, Har- L’OH : Dans le film, Patrick comparaît devant un tribunal. C’est
ry et moi et Harry et Emma. J’ai eu beaucoup de chance parce peut-être le signe que les choses ont bien changé, mais je n’avais en-
que quand on s’embarque dans un projet comme ça, avec tro- core jamais pris conscience du fait que les queer dans les années cin-
is personnages aussi proches, on espère que les autres acteurs quante étaient en butte non seulement à la violence physique ou à
seront des gens en qui on peut avoir confiance, avec qui on l’éviction sociale, mais aussi à la persécution judiciaire. Qu’est-ce que
ça vous a fait de jouer un personnage que l’on juge pour ce qu’il est ?
(1289(5785(bManteau, TOD’S. Pull, SALVATORE FERRAGAMO. Pantalon, FRAME. DD : Quand j’ai fait mes recherches sur cette période, j’ai regar-
685&(77(3$*(bCostume, chemise et chaussettes, VALENTINO. dé pas mal de témoignages d’hommes qui l’avaient vécue. Ma
Mocassinsb9$/(17,12*$5$9$1, première réaction en tant qu’homosexuel a été très émotionnel-
3$*('('52,7(bCostume, MAISON
MARGIELA. Chemise, BUDD LONDON.
Cravateb'648$5('2. Chaussettes, LONDON SOCK COMPANY. le, chargée de colère aussi, j’imagine. Mais ça m’a rappelé qu’il y
Mocassinsb9$/(17,12*$5$9$1, a plusieurs années j’ai travaillé avec Tony Warren, qui a créé le
44
DD : Dans le sens d’un voyage introspectif, peut-être ? Oui.
La question universelle qui se pose, et j’adore ça, devant ce
trio amoureux complexe, c’est : jusqu’où doivent-ils tous aller
pour comprendre qui ils sont ? Et ça leur prend la vie entière.
Jusqu’où irait-on par amour ? Et pas seulement de quelqu’un
d’autre, mais de soi aussi.
L’OFFICIEL HOMMES : D’où vient une envie de film ? Une idée de récit, L’OH : Il y a une dimension de western, de péplum…
de personnages ? RG : La tragédie parle d’une réalité, mais on l’élève par la symboli-
ROMAIN GAVRAS : En général, d’une situation. Avec Ladj Ly (avec que, par la puissance des images. On voulait que certaines scènes
Elias Belkeddar, le coscénariste d’Athena, et par ailleurs réalisa- ressemblent à des scènes de siège, comme dans la guerre de Troie.
teur des Misérables, ndlr), on voulait parler d’une situation d’em- Avec le chef opérateur, Matias Boucard, on a revu Ran, d’Akira
brasement, la raconter depuis l’intérieur, et d’une certaine ma- Kurosawa, dans lequel les samouraïs évoquent avec leurs armures
nière. Pour moi, la forme et le fond s’allient à parts égales. La les CRS, et pour les plans de châteaux en feu. On a aussi regardé
façon de la raconter, avec des marqueurs de la tragédie grecque, beaucoup de vieux films ou tout était filmé sans fond vert, méca-
de parler en symbolique, en immersion dans une idée de temps. niquement, pour définir une grammaire classique.
Comme dans la tragédie grecque, l’acte de violence à l’origine
du récit n’est pas montré, on en prend connaissance à travers le L’OH : Comment avez-vous préparé le tournage ?
compte-rendu qui en est fait par un des protagonistes principaux. RG : Quand j’étais petit, je n’avais pas le droit de regarder des Walt
Il y a beaucoup de hors-champ dans le film, comme l’embrase- Disney. J’étais plutôt bercé par les tragédies grecques ou les grands
ment du pays, ou le deuil de la mère dont on ne voit le visage récits mythologiques. À la place du Roi Lion, j’avais droit à Œdipe
qu’une fois. Il est pourtant présent dans notre esprit pendant tout Roi… Mais on ne voulait pas être pieds et poings liés à une tragédie
le film. Pour nourrir le récit, avec Ladj et les comédiens, on parlait en particulier. C’est plus sur la structure narrative, la symbolique et
beaucoup des personnages, de leurs profils, de l’idée de fratrie. Le le rôle de la musique, avec le recours aux coryphées qui viennent
scénario est assez proche du film fini, mais on l’a adapté en fon- narrer l’histoire, que cette influence a joué. Par exemple, les paroles
ction du décor, de sa géographie, puisqu’au moment de l’écriture, ont été écrites par un ami grec, Noda Pappa, pour le thème de Ka-
nous n’avions pas encore le décor. rim – elles disent “Enfants de la lumière, sortez des ténèbres et montrez
la foudre aux Dieux.” On voulait que le film soit aussi divertissant.
L’OH : À ce sujet, la cité est quasiment le personnage principal du film. Avant le film, avec le chef opérateur, on regardait des tableaux,
RG : C’est pour ça qu’on a appelé le film ainsi, pour l’honorer (il comme ceux de Delacroix, ou des films, comme la version russe de
s’agit dans la réalité du quartier du Parc aux lièvres, à Évry-Cour- Guerre et Paix, ou Soy Cuba de Mikhaïl Kalatozov, un peu la bible
couronnes, dans l’Essonne, ndlr). C’est un huis clos à ciel ouvert. des plans séquences mécaniques, avant l’apparition de la 3D, mais
Je trouvais important que le film porte le nom de ce quartier, on a aussi essayé d’inventer une nouvelle manière de penser cet
même s’il est fictif. exercice technique, donc on a évité de trop se charger en références.
50
6$0,6/,0$1(bLongue veste Bar en gabardine de laine, DIOR HOMME. Bijoux, perso.
L’OH : Même s’il n’est pas réductible à cette catégorie, le film s’inscrit dans SAMI SLIMANE
un certain genre, le film dit “de banlieue”…
L’OFFICIEL HOMMES : En grandissant, quels acteurs vous ont
RG : Je pense que c’est presque une idée du passé. Le premier serait
Le Thé au harem d’Archimède, de Mehdi Charef, en 1985, sans doute inspiré ?
SAMI SLIMANE : Leonardo diCaprio, un vrai crack. Et Jim
un des meilleurs. Puis, il y a eu La Haine de Mathieu Kassovitz,
Ma 6-T va crack-er de Jean-François Richet… Pour moi, c’est plus Carrey.
une question de territoire qu’un style de film. Ce qu’on appelle la
L’OH : Comment êtes-vous arrivé sur le film ?
culture urbaine, aujourd’hui, c’est le mainstream, il suffit de regarder
SS : Le point de départ, c’est mon père, qui travaille dans
le top des musiques écoutées. Avec les scénaristes, on s’est vite posé
la question et cela vaut pour tous les genres de films : quelle est GHVbORJHVGÝDFWHXUVVXUGHVWRXUQDJHV,ODV\PSDWKLV«DYHF
notre responsabilité, au-delà des enjeux politiques ou moraux, d’un une comédienne, qui est devenue une amie. Elle connaît
point de vue formel ? Qu’est-ce qu’on peut apporter de nouveau, de Mohamed Belhamar, un directeur de casting, qui m’a proposé
différent ? C’est ça qui nous a guidés. de faire des essais pour un film sur la carrière de NTM. Ça n’a
pas abouti, mais il avait gardé mes coordonnées.Trois ans
L’OH : Il y a des personnages, des apparitions – comme ce cavalier – qui
plus tard, Romain Gravas cherchait des acteurs pour “Athena”,
poussent le film vers le fantastique, le surréalisme… et j’ai été pris. C’est vraiment Romain qui m’a donné l’envie
RG : Oui. Comme ces revenants du Djihad. Le personnage
GÝ\DOOHU,OPÝDIDLWFRPSUHQGUHTXÝLOPHODLVVHUDLWOD
d’Étienne est un peu le Nemesis d’Abdel, ils auraient pu se croiser SRVVLELOLW«GHPÝH[SULPHU,OHVWLQFUR\DEOH,OPÝDSULVXQ
sur un front différent, ailleurs dans le monde. coach, Sébastien, qui m’a grandement aidé, et fait prendre
conscience que j’étais légitime.
L’OH : Forcément, ce film peut vous amener à répondre à des questions sur
L’OH : Qu’avez-vous reconnu de vous dans le personnage ?
des enjeux sociaux qu’il soulève…
SS : L’amour. Je suis quelqu’un qui s’attache beaucoup, donc
RG : Quand on fait ce film, on est dans un certain type de codes.
Mais on ne voulait pas rester dans le fait divers ou le débat télévi- qui a été déçu par l’être humain et par la vie. Je me suis
sé. On voulait l’inscrire dans un cadre plus intemporel, il aurait pu inspiré de la grandeur de l’amour. Et aussi de personnages
se dérouler pendant la guerre de Troie, ou dans le futur. Il y a un que j’ai pu croiser, et qui ne me ressemblent pas,
archétype de la guerre civile, elle part d’une douleur intime qui va heureusement, parce que si ça avait été le cas, je n’aurais
déborder sur un petit territoire, en l’occurrence la cité, même au sens jamais pu faire ce film ! J’en suis très fier, elle a libéré des
grec de la Cité, pour ensuite se répandre dans tout un pays. C’est choses qui étaient en moi. Le film m’a permis d’abattre des
ce que dit Homère, dès qu’il y a un acte maléfique, une tragédie en barrières, de piocher dans mes expériences et mes
découle, puis le destin emporte tous les protagonistes. frustrations, parfois remontant à l’enfance, de prendre des
idées autour de moi. Romain a su capter ça, c’était super fort.
L’OH : Vous avez beaucoup répété avant le tournage ?
J’ai beaucoup travaillé avec Sébastien, autour de ces trois
RG : Oui, pendant un mois et demi. Comme le montage a été conçu
frères, pour inventer Karim. Comme Romain, je ne voulais pas
au tournage, c’était essentiel. On a filé tout le film, comme on ferait qu’il soit dirigé par la mort, il veut la justice, la vengeance, et
avec une pièce de théâtre, avec les comédiens, une petite caméra, ILQLWSDUFRPSUHQGUHTXÝLOIDXGUDXQbVDFULILFHSRXUIDLUH
au milieu d’un décor fait de cartons pour créer les volumes. Pour ERXJHUOHVbFKRVHV,OHVW¢ODIRLVSXUHWEUXW/ÝDPRXUFÝHVW
trouver le tempo, c’était nécessaire. J’ai travaillé avec mon monteur puissant, mais personne ne peut contrôler la mort, chacun
Benjamin Weill, en regardant les rushes des essais, il m’aidait à JªUH©D¢VDbPDQLªUHHW.DULPDWURXY«ODVLHQQH
trouver le rythme au moment du tournage.
L’OH : Vous avez travaillé comment avec l’équipe ?
SS : Romain m’a accompagné jusqu’au bout,
L’OH : Est-ce que tourner des clips et des publicités nourrit votre travail
de cinéaste ? professionnellement et humainement.Tous les comédiens
RG : Clips et pubs sont deux exercices différents. Les premiers per-
PÝRQWDLG«FRQVHLOO«,OQÝ\DYDLWDXFXQHFRPS«WLWLRQ&ÝHVWO¢
mettent d’évoquer des sensations par le symbolisme, certains de TXHMÝDLG«FRXYHUWODIRUFHGXbFROOHFWLIHWGXWUDYDLOHQ«TXLSH
mes clips sont un peu comme des singles, et Athena serait l’album…
L’OH : Quelle a été votre réaction en découvrant le film ?
Il y a une certaine résonance. De plus, les clips permettent d’opti-
SS : Je l’ai vu avec ma famille, et j’ai pris une claque en
miser le budget qu’on a. Les pubs m’ont permis de composer avec
d’énormes budgets, et des équipes conséquentes, et d’apprivoiser découvrant la séquence d’ouverture, je n’en revenais pas de
certains aspects techniques du cinéma. me voir. Après, j’ai plus profité. À la projection à Venise, quand
il y a eu les applaudissements à la fin, je me suis dit “on l’a
L’OH : Il s’agit de votre troisième film, est-ce que vous avez l’impression
fait”, c’était tellement puissant, j’ai dû mettre mes lunettes
d’avoir trouvé votre identité de cinéaste, ou la réinventez-vous à chaque GHVROHLOå0DUªJOHGÝRUGªVOHG«EXW«WDLWVLPSOHbRQ
film ? pourra me reprocher de pas avoir été à la hauteur, mais
RG : J’espère qu’elle se réinvente à chaque film. C’est important d’a-
jamais de ne pas avoir absolument tout donné. J’ai vu
voir un style, même si j’irai sans doute sur un territoire totalement ß/Db+DLQHàMHQHVDLVSDVFRPELHQGHIRLVHWTXDQG9LQFHQW
différent pour le prochain film. Dans mes deux premiers films, il y &DVVHODXFRFNWDLODSUªVODbSURMHFWLRQHVWYHQXPHI«OLFLWHU
avait beaucoup d’humour, et pour Athena, j’ai voulu être dans l’ém- pour me dire de m’accrocher. Ça m’a regonflé pour la suite !
otion, la sensation, la tragédie, sans passer par l’ironie.
L’OH : Et maintenant, justement ?
SS : Essayer de vivre de la passion que m’a fait découvrir
Athena. Disponible sur Netflix. Un film de Romain Gavras, avec Dali
Benssalah, Sami Slimane, Ouassini Embarek et Anthony Bajon. Romain.
685&(77(3$*('$/,%(166$/$+bChemise en popeline de coton, DIOR HOMME.
3$*('('52,7(6$0,6/,0$1(bVeste et pantalon en velours, blouse en soie et bottines en cuir, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO. Collier, perso.
DALI BENSSALAH
L’OFFICIEL HOMMES : Quel film, ou acteur, vous a donné envie L’OH : Avec le recul, diriez-vous que votre carrière a pris
GHbIDLUHGXbFLQ«PD" XQbQRXYHOHVVRUDYHFYRWUHU¶OHGDQVß0RXULUSHXW
DALI BENSSALAH : Je n’avais pas de volonté précise de faire attendre”?
GXbFLQ«PD4XDQGMÝDLYXß&DVLQR5R\DOHàDYHF'DQLHO DB : 3OXW¶WDYHFOHFOLSGH7KH%OD]HYXSOXVGHPLOOLRQV
&UDLJMHbU¬YDLVVXUWRXWGHODYLHGXK«URVP¬PHVLHOOH GHbIRLVVXU<RXWXEHQGOUFHVLPDJHVRQWYR\DJ«HWVRQW
n’était pas forcément joyeuse. J’étais plutôt à fond dans arrivées sous les yeux des bonnes personnes, dont Rebecca
OHWK«¤WUH/RUVGÝXQVWDJHDYHF1DWKDOLH'RQQLQLDX =ORWRZVNLODU«DOLVDWULFHGHVß6DXYDJHVàHW&DU\-RML
Cours Florent, on avait improvisé face caméra, après on )XNXQDJDOHU«DOLVDWHXUGHß0RXULUSHXWDWWHQGUHàTXLRQW
G«EULHIDLWFHTXÝRQYR\DLW¢bOÝ«FUDQFÝ«WDLWXQSHX voulu me rencontrer après l’avoir vu.
J¬QDQWå,OQÝ\DYDLWSDVGHYRORQW«GÝHQIDLUHXQH
profession, plus un désir d’apprentissage. L’OH : Avez-vous des envies d’écriture ?
DB :Je prends souvent des notes mais je ne prends pas le
L’OH : 9RXVIDLVLH]DXVVLEHDXFRXSGHER[HWKD±H'DOL temps de revenir dessus. J’ai la chance de découvrir de
Benssalah a été champion de France de cette discipline à vrais auteurs, avec Rebecca, Romain ou Sabri Louatah (un
bDQVQGOUDYH]YRXVFRQWLQX«HQDUULYDQW¢3DULV" GHVVF«QDULVWHVGHVß6DXYDJHVàTXLPHWUDQVSRUWHQW6LXQ
DB : J’ai essayé, mais j’ai commencé à travailler de nuit, jour je me lance dans l’écriture, je serai très exigeant avec
c’était compliqué de tout faire. Je pensais faire le Cours moi-même, pour l’instant je ne gâche pas de papier.
Florent après trois ans de combats, mais je me suis blessé,
cela m’a ralenti dans ma progression. J’ai réfléchi et suis L’OH : Quand vous lisez un scénario justement, qu’est-ce qui
SDUWLGLUHFWHPHQW¢b3DULV$XMRXUGÝKXLMHIDLVHQFRUHXQSHX retient votre attention ?
de shadow boxing, mais mettre les gants me manque un DB : Le rythme, les surprises qu’il réserve, ce qui m’attrape
peu… par la main et m’emmène vers quelque chose d’inattendu,
la qualité de l’écriture des dialogues.
L’OH : Cette double formation, le théâtre et les sports de
combat, vous a-t-elle servi dans votre travail de comédien ? L’OH : Avez-vous encore des envies de théâtre ?
DB : Ça aide forcément, comme pour chaque acteur qui a DB :Oui, bien sûr ! Mais cela demande un engagement sur
son bagage personnel. Le théâtre apporte beaucoup de XQbWHPSVWUªVORQJHQWUHOHVU«S«WLWLRQVHWOHVWRXUQ«HV
ULJXHXUVXUbOÝDSSUHQWLVVDJHGXWH[WHODSRQFWXDOLW« Aujourd’hui, j’aime bien circuler entre des univers différents,
VXUbGHVGXU«HVOLPLW«HV
L’OH : Comment êtes-vous arrivé sur le casting d’“Athena”?
DB : Mourad Belkeddar, un des producteurs du film via la L’OH : Sur “Athena”, avait-il
de la place pour l’improvisation ?
VRFL«W«,FRQRFODVWPÝDHQYR\«OHVF«QDULR-ÝDLUHQFRQWU« DB :Un peu, lorsqu’il y avait plusieurs prises pour ajouter
Romain Gavras, autour d’un café pour en parler, et il m’a GHVb«O«PHQWV&HOD«FKDSSHSDUIRLVFÝHVWMXVWHXQPRWXQ
fait confiance pour le rôle. geste, il faut que cela vienne dans le flux du tournage.
CÉDRIC JIMENEZ
L’OFFICIEL HOMMES : Quel est le f ilm qui vous a donné envie de psychologie, une psychologie d’urgence. Il n’y a de place que
faire du cinéma ? pour l’évènement, pas pour l’intimité. Il fallait essayer de
CÉDRIC JIMENEZ : Casino de Martin Scorsese. faire ressentir ce poids fou, cette responsabilité. C’était une
mission insensée, chaque heure pouvait déboucher sur une
L’OH :Avez-vous hésité avant d’accepter de réaliser Novembre ? récidive. C’était un axe de travail fondamental pour créer
CJ : Avant de lire le scénario, j’étais un peu fébrile. Pour la la tension : économie des mots, des plans, des scènes, pour
première fois, il s’agissait de réaliser un film que je n’avais filmer des gens qui n’ont pas le temps. Prendre une pause
pas écrit. Il y avait deux questions : est-ce que je vais aimer ? était impensable. Ils étaient dans un effet tunnel, tant qu’il
Qu’est-ce que je vais en faire ? Sa lecture m’a bouleversé. Sa n’y a pas la lumière au bout, on est encore dans le tunnel, on
pudeur, sa mesure, et le choix du point de vue narratif défini n’en ressort pas.
par le scénariste Olivier Demangel m’ont convaincu. Je n’ai
plus hésité une seconde. L’OH : Vous êtes-vous senti investi d’une sorte de mission ?
CJ : Il fallait rester humble et digne, sans être écrasé par la
L’OH : Il n’a jamais été question de montrer les attentats ou les responsabilité, cela aurait été contre-productif. Il fallait gar-
scènes de crime ? der en tête qu’être maladroit ou irrespectueux serait grave.
CJ : Jamais. D’un point de vue moral, d’une part, et d’au- Sur la scène de l’hôpital, où il fallait filmer des victimes, j’ai
tre part, comme le film suit les policiers de la SDAT (la pris dix mille précautions pour être aussi délicat et pudique
sous-direction anti-terroriste), et que ceux-ci n’y déplacent que possible.
pas, c’était inenvisageable.
L’OH : Avez-vous rencontré beaucoup de policiers de la SDAT ?
L’OH : Comment se confronte-t-on en tant que metteur en CJ : Pas mal, oui. Mais seulement ceux qui ont quitté ce ser-
scène à une histoire aussi récente que traumatisante pour tout vice, car autrement, ses membres ne parlent pas. Ils ont tous
un pays ? vécu la même chose, quelque que soit leur grade hiérarchiq-
CJ : Le sujet est plus important que tout. Il ne peut pas être ue. Pendant ces cinq jours, il y avait une mission collective à
au service de la mise en scène ou des acteurs-actrices. Rien mener. Je voulais filmer l’action, et l’interaction entre eux. La
ne peut être au-dessus de lui. Nous sommes tous et toutes psychologie est celle de l’urgence, de la peur, de la maîtrise
à son service, il s’agit d’être humble. Ce qui m’intéressait, de son sang-froid. C’est autre chose que l’introspection, mais
c’était de rentrer dans la peau de ces personnages, de leur cela reste de la psychologie.
L’OH : Quel
CJ :
genre de directeur d’acteur êtes-vous ?
J’ai une approche horizontale, je ne crois pas en la ver-
“LA psychologie EST
ticalité. J’adore le travail d’équipe, faire confiance. Je suis sûr
de ce que je veux faire, mais je laisse beaucoup de liberté,
CELLE DE l’urgence,
c’est mon élément, je n’ai jamais peur de me laisser déborder.
Sur Bac Nord, il y avait beaucoup d’improvisation, ce qui DE LA peur, DE LA
n’était pas possible sur Novembre.
maîtrise DE SON
L’OH : Comment
CJ :
s’est traduite cette tension sur le tournage ?
Elle vient de la précision, du temps pris à tourner. En SANG-FROID. C’est
revanche, je faisais quasiment tous les jours des “mixtes”, on
commençait à 16 h pour terminer à 3 h, afin de suivre le AUTRE CHOSE QUE
rythme qu’ont dû suivre les membres de la SDAT. Pour es-
sayer de capter ce vertige à ne plus avoir de vie réglée. l’introspection, MAIS cela
L’OH : En termes de dramaturgie, quelles questions vous-êtes
vous posées ?
RESTE DE LA psychologie.”
CJ : Celles autour de la musique. J’ai fait tous mes films avec
Guillaume Roussel. Je lui ai demandé beaucoup de musique, L’OH : De même, vos f ilms parlent de justice…
tout en lui disant que je ne voulais pas l’entendre… Il fal- CJ : Je suis quelqu’un d’assez sensible. The Voice peut me
lait qu’elle se mêle au sound design, sauf dans les moments toucher. Je suis très sensible à l’injustice, donc au concept
d’émotion, de pics, pour rester dans les codes du récits. de justice.
L’OFFICIEL HOMMES : Comment avez-vous rejoint le f ilm ? l’enquête. Le personnage principal, c’est elle. Le film montre
SAMI OUTALBALI : Je venais de finir le tournage de Sex Educa- bien l’épuisement, les différents regards sur la situation.
tion en Angleterre. Mon agent m’a envoyé le scénario, j’ai aimé. L’OH : Cédric Jimenez nous dit qu’il a privilégié des tournages
C’était génial, palpitant, et j’étais déjà impatient de le voir à mixtes, qui commençaient tard dans la journée pour f inir dans
l’écran ! Après avoir passé un casting, j’ai été pris. J’aime ce per- la nuit…
sonnage car il n’a pas vécu les attentats comme les autres, il les SO : Oui, on tournait certaines scènes d’assaut à 7 h du ma-
a ressentis plus intensément, il est plus affecté que ses collèg- tin, c’est plus simple de jouer la fatigue.
ues. Comme dans la réalité, certains policiers n’ont pas tenu, ça SK : c’est comme si tout se passait en direct, on était tous
change une vie de vivre un tel moment. dans la mêmes temporalité.
SOFIAN KHAMMES : J’avais d’abord passé des essais pour le rôle SO : Le décor était tellement riche qu’il y avait toujours des
de Sami… mais je kiffais le rôle de Foued. Le scénario était très gens qui bougeaient autour de nous, on était sur le qui-vive
fort. On connaît tous l’histoire, son poids. L’approche était in-
téressante, elle n’ajoutait aucune charge, sans représentation de
(1289(5785(&'5,&-,0(1(=bPull en laine et chemise en popeline, GUCCI.
la violence. Cela faisait du bien d’avoir un point de vue tangible
3$*('('52,7(62),$1.+$00(6bChemise en popeline de coton et pantalon
sur la situation, concret, avec des personnages concentrés sur HQbFXLUGUCCI. Tennis, ADIDAS X GUCCI.
62
tout le temps, comme l’étaient les policiers, et Cédric cap- SO : Je n’avais jamais connu un tel plateau, avec de tels
tait super bien ces moments-là. Tout était fait pour travail- enjeux qui mettent la pression. Mais il fallait rester concen-
ler de manière ludique, même pour les scènes de bureaux. tré sur son taf, des objectifs concrets. Il y avait une notion
SK : Le plateau était un terrain de jeux, ça nous aidait be- de fierté à faire ce film, à avoir participé à son existence. On
aucoup. avait beaucoup de chance. Ces évènements nous ont tous et
toutes touchés. C’est bien que le film sorte après le verdict
L’OH : Vous vous étiez préparés pour suivre ce rythme de tourna- du procès, parce qu’il montre que tout ce travail policier n’a
ge très particulier ? pas été en vain.
SO : J’ai fait du sport, suivi un régime alimentaire… SK : Tu te souviens, Sofian, de ce que nous avait dit ce
SK : Non, parce que je trouvais intéressant de me laisser sur- membre de la BAC qui nous avait fait une formation un
prendre par ce que vit le personnage, pendant cinq jours, après-midi ? Qu’on ne faisait pas n’importe quel film, qu’on
quasiment sans dormir, même si je ne pouvais pas imaginer
reproduire la tension qu’il a dû affronter. Dès les premiers
jours, j’ai essayé de faire des nuits assez courtes, même si je
ne tournais pas tous les jours.
“TU TE souviens,
L’OH : Vous avez beaucoup répété ? SOFIAN, DE CE
SK : Pas vraiment. Mais on a rencontré des anciens membres
de la SDAT pour comprendre ce que ça représentait pour QUE NOUS avait
eux. Mais il ne s’agissait pas de les représenter par mimétis-
me. On voulait être fidèles à la méthodologie, plus qu’à leu- DIT CE MEMBRE
rs personnalités, ce qui nous importait, à Cédric et à nous,
c’est qu’il n’y ait pas d’épaisseur romanesque, mais qu’on soit DE LA BAC qui NOUS
au plus proche de l’enquête. Ça passait, par exemple, par la
connaissance des différents services de police. On ne savait AVAIT fait UNE
pas si cela servirait, mais c’était important de l’intégrer.
SO : Nos voitures ressemblaient à des voitures de planque, FORMATION UN
après-midi ? QU’ON
avec des bouteilles d’eau vides qui font office de cendrier,
des emballages de nourriture, on se parlait entre nous de
vraies histoires…
SK : J’en profite pour m’excuser auprès de l’équipe technique
pour toutes les discussions au talkie-walkie…
NE FAISAIT PAS
L’OH : Quel genre de directeur d ’acteur est Cédric Jimenez ?
n’importe QUEL FILM,
SK : Il dégage tellement d’énergie qu’on ne peut que le sui-
vre. Mais il arrive toujours à installer une ambiance, à poser
QU’ON AVAIT une
RESPONSABILITÉ.”
“DANS la RÉALITÉ, SOFIAN KHAMMES
certains POLICIERS avait une responsabilité. Ce qui est resté, c’est l’importance
de faire partie de ce genre de films. Même si tous les films
sont importants, celui-ci parlait de quelque chose qui a
N’ONT PAS TENU, touché notre pays, et au-delà, qui a marqué notre époque.
L’OH : Avec le recul, comment avez-vous vécu ce tournage ? *5220,1*bJessica Boussuge. $66,67$17(67</,60(b9LFWRULD6DUUDGH
64
Le doigt sur la Photos Association Willy Maywald ADAGP ; Morgan O’Donovan
En redonnant vie aux archives femme de Christian Dior, Kim Jones signe
l’une de ses plus belles collections masculines. En conciliant codes tailleur
et sportswear, il réussit le tour de force de détourner les pièces mythiques de
la maison, telle la veste Bar dont la réalisation reste une prouesse technique.
68
du travail d’expertise technique de ses ateliers, consistant
à effacer les coutures par un jeu de construction fait main.
Deux tiers de siècle plus tard, Kim Jones la repense dans sa
version masculine, sans rien lui faire perdre de sa sensualité,
en laissant bien visible le jeu de coutures brutes et contra-
stantes, histoire d’y apposer sa signature, qui vient souligner
le travail de découpe et l’ajout de crin utilisé traditionnel-
lement pour le volume du galbe. Des courbes caractéristiq-
ues que l’on retrouve sur d’autres pièces de la collection, un
manteau long, une veste en cuir… “C’est la première fois que
je travaille avec de véritables ateliers, dont un exclusivement
dédié aux collections homme, et c’est unique à Paris, souligne
le créateur. Ici, on dispose d ’un savoir-faire exceptionnel, dont
naissent des créations qui se démarquent vraiment de celles de
nos concurrents. C’est une Maison très différente des autres, où
l ’on pense ‘couture’.” Et bien au-delà de la veste Bar, d’autres
clins d’œil au travail de Christian Dior animent toute la
collection : les couleurs d’abord, dont la palette rappelle la
maison d’enfance du couturier à Granville, comme le bleu,
le rose pastel et surtout ce gris Trianon, parfois appelé gris
Montaigne, qu’il avait, dès 1947, fait sien pour la réfection
de l’hôtel particulier de l’avenue Montaigne, et qui est resté
depuis. Les imprimés ensuite, comme le léopard, le muguet,
le cannage, et même l’effigie de Bobby, le chien du coutu-
La veste Bar tient son galbe d’une des deux lignes lancées si difficile à trouver, et dont Kim Jones est un des rares à avoir
à l’époque par Christian Dior, baptisée Corolle, et recon- le secret. “Je suis convaincu que les jeunes veulent apprendre du
naissable entre mille à son jeu de volumes assuré par l’asso- passé. Je continuerai à respecter l’histoire et l’esprit de Dior, cul-
ciation d’une jupe ample et d’une veste aux épaules douces tivé au fil des décennies, tout en créant des choses à ma façon qui
mais à la taille marquée de basques accentuant les hanches. intéresseront les gens. Dior est toujours très moderne quand on
Référence en matière de tailoring, cette veste a traversé les regarde les pièces d’archives. C’est probablement pour cela qu’il est
décennies du 30 avenue Montaigne et reste caractéristique toujours là, et si important.”
69
La carte et le territoire.
Vagabondes, curieuses, sentimentales,
ouvrant en grand les fenêtres pour
dégager d’autres horizons culinaires :
et si les cuisines d’ailleurs faisaient
de Paris la ville la plus fascinante du
moment ? À l’image du poème de
Blaise Cendrars, son offre gastronomique
“tourne/dans la cage des méridiens/
comme l’écureuil dans la sienne”,
donne le tournis des grands voyages.
L’OFFICIEL Hommes donne la parole
aux protagonistes de cette belle aventure,
qui nous emmène de la Tunisie au Brésil
en passant par Israël et les Balkans.
Par BAPTISTE PIÉGAY
MORY SACKO L’OH : Est-ce que la spécificité de ce répertoire s’accommode bien des
exigences en matière de saisonnalité, locavorisme, etc., ou est-ce
À peine ouvert, en 2020, son qu’il faut apprendre à faire des concessions ?
MS : J’ai toujours travaillé avec ces notions, autant que possible.
restaurant parisien MoSuke s’est Le poulet yassa, je ne le fais que pendant la saison des agru-
vu décerner une étoile Michelin. mes, de novembre à février. Le mafé, je le prépare avec des
cacahuètes de Soustons, les patates douces viennent de Picar-
À l’été 2022, il a signé la carte du die. Les épices arrivent par voilier, avec Terres Exotiques, pour
restaurant Louis Vuitton à Saint- un bilan carbone neutre. On peut faire des cuisines d’ailleurs
tout en prenant très au sérieux les enjeux écologiques de notre
Tropez. L’ascension de ce jeune chef siècle. Mais sous couvert de locavorisme, on ne peut pas gom-
ne fait que commencer : sa cuisine, à mer toutes les cuisines étrangères et se replier sur soi-même.
l’amplitude sensorielle impressionnante, L’OH : Quels sont les plats qui symbolisent le mieux votre démarche ?
L’OH : C’est alors que s’est construit votre palais de cuisinier ? L’OH :Vous tâtonnez beaucoup avant d’arriver à la version finale
MS : Ah, oui, surtout pour la gastronomie japonaise. Je ne suis d’un plat ?
jamais allé au Japon, j’ai pu goûter le Japon, à travers toutes MS : Je travaille de façon assez organique. Soit j’y arrive du
les saveurs qui le constituent, tout en restant à Paris. Comme
l’unami, impossible à définir clairement, qui se situe quelque
part entre le sucré et le salé… J’ai voulu la comprendre, d’un
point de vue chimique, en isolant le glutamate, qui permet
de jouer sur les goûts. Et j’ai retrouvé des traces de mon édu-
cation familiale, autour de l’utilisation du poisson séché, que
l’on retrouve dans la composition du bouillon dashi et que je
connaissais déjà parce que ma mère s’en sert dans sa cuisine.
ET se replier SUR
d’apprentissage assez rigoureuse, et j’ai appris aux côtés des chefs,
en tant que commis dans mon propre restaurant. Je n’avais pas les
épaules pour endosser une telle responsabilité tout de suite. Je ne
SOI-MÊME.” dis pas que je suis cheffe aujourd’hui, mais cuisinière, même si j’ai
gagné en assurance technique.
Transmettre l’ADN de ce répertoire à une brigade n’a pas toujours
me un exercice de style qui montre qu’on peut croiser la France, été facile, c’est une cuisine qui reste méconnue, elle peut faire peur.
l’Afrique et le Japon avec sincérité, pour donner du plaisir.
Ibrik Café : 43, rue Laffite, 9e. Ibrik Kitchen : 9, rue de Mulhouse, 2e.
Ibrik.fr
“J’AIME ce MÉTIER,
PARCE QUE J’Y mets
beaucoup DE MON
HISTOIRE ET DE mes
SOUVENIRS.”
nergie positive, cela se sent. Et cela vaut pour toutes les cuisines.
La dimension française, chez Ibrik, tient surtout à la technique,
à l’organisation rigoureuse de la cuisine. Je m’intéresse beaucoup
aux méthodes venues d’ailleurs, par exemple, à la fabrication des
tacos. J’adore l’histoire, comprendre pourquoi tel produit est fait
de telle façon. Dans les Balkans, il y a beaucoup de techniques,
qui ont assez peu évolué, comme les cuissons au feu de bois. La
saisonnalité y est naturelle.
Une des fondations de cette gastronomie balkanique, c’est la con-
Photos Pierre Lucet Penato
devenir parent, on idéalise l’arrivée de l’enfant, mais on n’a pas parlait hier de la cuisine péruvienne, alors que celle-là est installée
idée de la réalité… ici depuis longtemps, mais on n’en parlait pas. Avant, surtout, on
Je n’avais pas d’idée fixe à l’esprit, je voulais que cela soit naturel. Je ne me mettait pas les cuisines dans des cases.
n’avais même fait de carte en amont. J’ai commandé les légumes,
les viandes, les poissons, et les idées sont arrivées… Plume : 24, rue Pierre-Leroux, 7e. Dune : 35, rue des Jeuneurs, 2e.
Dune sera la continuité, déjà sur l’identité visuelle. Plume est le Dune.paris
76
ALESSANDRA MONTAGNE
gne depuis le début, et avec qui j’ai monté ce projet. Quand je l’ai Je suis souvent inspirée par des couleurs, cela peut-être dans une
vu, si beau, à la fin des travaux, il ne me paraissait pas juste de ne exposition ou un vêtement vu dans la rue. Quand je vois une robe
le garder que pour moi. Désormais, c’est notre histoire. blanche, je pense à une aubergine blanche !
Je travaille le plus possible avec des fournisseurs locaux, mais je
laisse une porte ouverte à mes racines brésiliennes. J’importe par Tempero : 24, promenade Claude-Lévi-Strauss, 13e. Nosso : 22,
an, 2 à 3 % de produits, ce qui est très peu. Aujourd’hui, je trouve promenade Claude-Levi-Strauss, 13e. Nosso-restaurant.fr
77
TOMER LANZMAN
Balagan, Shabour, Tékès, et
maintenant l’épicerie Shosh, il a
donné à Paris toute la place que
la gastronomie israélienne méritait.
Vive, sensuelle, joyeuse : les adjectifs
manquent pour dire les bonheurs
qu’elle nous offre.
Avec Dan Yosha et Assaf Granit, on essaie de proposer ce qu’on
ne trouve pas ailleurs. On a douze adresses en Israël, une à Berlin,
une à Saint-Barth et trois à Paris, bientôt quatre. L’idée de Shosh,
notre épicerie, c’était de reproduire l’atmosphère de la cuisine de
nos grands-mères. La mienne est d’origine irakienne, elle cuisinait
tout le temps. Je voulais faire un restaurant avec elle, en rentrant
des États-Unis, un petit endroit, qui fermerait quand il n’y aurait
plus rien dans les casseroles. Mais mon grand-père lui a interdit.
“LA CUISINE
israélienne, EN SOI,
ÇA N’EXISTE PAS,
C’EST UN melting-
pot D’IDENTITÉS,
D’ORIGINES.”
Seize ans plus tard, Shosh est né, dans cet esprit, en son hommage.
J’ai grandi à Tel-Aviv. À 16 ans, j’ai bossé pendant presque six ans
en cuisine en Israël, puis je suis parti aux États-Unis pour profiter
un peu de la vie. Après je suis arrivé à Paris, sans rien. J’ai com-
mencé à faire la cuisine dans une famille. Il se trouve que la femme
avait été mariée à Jean-Louis Costes. Il y avait un souci de person-
nel dans un des restaurants, et j’ai bossé au Village pendant trois
ans. Et puis en 2017, avec Assaf et Dan on a lancé Balagan, no-
tre premier restaurant à Paris. Le chef Ottolenghi cartonnait déjà
depuis un moment, on sentait que ses propositions rencontraient
de plus en plus d’échos. La cuisine israélienne, en soi, ça n’exi-
ste pas, c’est un melting-pot d’identités, d’origines, nos voisins en
Israël venaient de Syrie, de Pologne… tout le monde s’échangeait
Photos Joann Pai ; Benjamin Rosemberg, DR
Regé-Jean Page s’absorbe dans le silence tant qu’il le peut encore. nique des Bridgerton. L’arrivée sur Netflix du hit en costumes a
Une semaine avant notre entretien, il foulait le tapis rouge du fait l’effet d’un baume, alors qu’enflait une incertaine deuxième
festival du film de Venise à l’invitation d’Armani, tout sourire de- vague de covid-19. Ardente, sensuelle et intelligente, la fiction de
vant les paparazzis. Là, il est à Londres, s’excusant d’être essoufflé. Shonda Rhimes a fédéré les fans de séries salées. Il se trouve que
Car en ce moment, il s’est éloigné des caméras et s’adonne à un celle-ci se déroule en Angleterre et réimagine l’ère Régence. Page,
travail certes fatigant, mais finalement moins intense qu’il n’en incarnant le duc sur lequel Daphne Bridgerton jette son dévolu,
a l’habitude : il aide un ami à rénover sa maison. “Aujourd’hui, en occupe le centre charnel : si apprécié des spectateurs de tous
c’était pelles et tournevis, dit-il. D’habitude c’est plutôt avions, billets âges que son nom résonne dans le pays entier. Un nom assez ban-
et feuilles de route.” kable maintenant pour lui ouvrir les portes de films à gros budget.
Dans quelques mois, le Britannique – que vous connaissez sûre- Un bouleversement dont on pourrait penser qu’il est survenu
ment pour le rôle qui a fait de lui une star dans Bridgerton – re- avec Bridgerton, mais Page en a un souvenir différent. Deman-
prendra le collier pour préparer la sortie de Donjons & Dragons : dez-lui quand il a commencé à percevoir un changement dans sa
L’honneur des voleurs, premier titre d’une future franchise inspirée vie et il vous ramènera plus loin encore dans le passé, sur la plage
du célèbre jeu de rôles. Ces plages de calme lui sont devenues de Santa Monica en 2016. Malachi Kirby, son partenaire dans
indispensables, surtout depuis ces deux dernières années. C’est Racines (Roots), le remake de la minisérie à grand succès de la fin
en décembre 2020 – le jour de Noël, pour être précis – que sa des années 1970 qui retraçait la vie d’un Afro-Américain jusqu’à
notoriété a évolué d’une manière que peu d’acteurs connaissent. ses ancêtres esclaves, faisait un séjour chez lui. “Un type lambda
La veille, il n’était qu’une présence discrète dans des fictions amé- passe à côté de nous, et soudain il se rend compte de quelque chose, et il
ricaines à succès (Racines ; For the People) ou des soaps anglais dit ‘Hééé, c’est les mecs de Racines !’”, se rappelle l’acteur. Ce qui était
(Waterloo Road). Le lendemain, tout le monde ne parle que de lui, surréaliste pour le passant l’est aussi pour Page. OK, cool, s’est-il
ainsi que de son personnage du duc de Hastings dans La Chro- dit. Mon visage est lié à ça, maintenant.
*5220,1*b Carlos Ferraz. 6(7'(6,*1b Penny Mills. 352'8&7,21b Alexandra Oley. /80,5(6b Benjamin Kyle. 6(7$66,67$17(b Lucy Swan.
Rester centré, surmonter son anxiété, devenir un mentor
pour une nouvelle génération d’artistes… autant de sujets
qu’aborde avec nous le batteur de blink-182.
Par JEREMY GORDON - Photographie SAM DAMESHEK - Stylisme CHRISTOPHER KIM
DEPUIS SON engagement AVEC BLINK-182,
TRAVIS BARKER A toujours ÉTÉ considéré
COMME “LE SÉRIEUX” – UNE OASIS DE
CALME relatif ET DE maturité AU MILIEU
DES BLAGUES salaces ET DES comportements
trash DE SES COMPAGNONS.
Barker vouait un culte aux batteurs de jazz, et pratiquait quo- L’OFFICIEL HOMMES : Dans vos Mémoires, vous rapportez plusieurs
tidiennement durant des heures. Mais, surtout, cette dévotion moments où on vous a dit avoir été bluffé par votre jeu. Vous vous sou-
à sa technique se doublait d’un je-ne-sais-quoi qui distingue venez de quand vous avez compris que vous aviez cet effet sur les gens ?
les vraies rock-stars des imposteurs. Alors il n’est peut-être TRAVIS BARKER : C’était toujours cool quand on me disait ça ; ce
pas surprenant que, une paire de décennies plus tard, Bar- sont ces moments où on se dit “Oh, peut-être que je fais ce qu’il faut.”
ker soit toujours réputé pour son sens musical et son style, Mais ça ne m’a jamais fait gonfler l’ego. Ça m’a motivé à continuer
alors qu’il se mue en mentor pour une nouvelle génération d’avancer. Je jouais avec qui voulait de moi, je me jetais dans ces
d’artistes : l’exemple d’un mariage heureux entre célébrité et situations pour voir si je tenais le coup. Qu’est-ce que j’aurais bien
travail acharné. La veille de notre rencontre au Baccarat Hotel pu faire d’autre ?
de Manhattan, il avait ponctué son apparition au show Tom-
my Hilfiger de la fashion week par une interprétation en live L’OH : Beaucoup de gens ont des problèmes d’ego. Vous faites quoi pour
d’un morceau original, pour lequel il avait répété dix heures. rester centré ?
“La musique, c’est ma religion. Je ne fais rien d’autre, dit-il très TB : Je fais de la boxe, je prends quelques coups dans la figure. Ça
sérieusement, assis dans la salle à manger de l’hôtel. Du mo- remet toujours l’ego en place.
ment où je me réveille jusqu’à celui où je me couche, tous les jours,
je suis en train soit de produire, d’écrire ou de jouer. À part mes L’OH : Ces dernières années, on a remarqué vos collaborations avec des
gosses, je ne m’occupe de rien d’autre.” artistes plus jeunes. Qu’est-ce qui vous a orienté dans cette direction ?
TB : Le covid est arrivé, et ça a tout bouleversé. D’habitude, je
Un engagement de chaque instant qui a permis à Barker de reste un mois en studio, et puis je m’en extirpe pour des con-
connaître de multiples vies dans la musique mainstream état- certs, et là j’en sortais juste. Alors ç’a été très simple. Je venais
sunienne, au-delà de la prédominance pop-punk de blink-182. de finir la production d’un tas de trucs pour Trippie Redd ;
Il est devenu un batteur incontournable survolant les genres et une chanson pour Machine Gun Kelly ; on avait cette petite
les générations, sollicité tant par les rappeurs que par les punks, équipe qui traînait là tout le temps. Et à peu près au même
supervisant la carrière de jeunes pousses comme Willow ou moment, on se retrouve tous en confinement – je me suis dit
Machine Gun Kelly. C’est aussi un nouveau corps céleste dans et puis merde, je vais rester en studio tous les jours, écrire et
la galaxie Kardashian, après avoir très publiquement fait la cour enregistrer, parce que personne ne savait ce qui allait se passer.
à Kourtney avant de l’épouser. L’avenir lui réserve toutes sortes Je suis littéralement resté dans mon studio vingt heures par
de bons plans qui l’enthousiasment, bien qu’il ait poliment refusé jour, tous les jours, pendant quoi, six mois, et j’ai coécrit et
de nous livrer le moindre spoiler (notamment concernant les ru- produit Tickets to My Downfall [l’album de 2020 de Machine
meurs persistantes de retour du guitariste Tom DeLonge au sein Gun Kelly]. Je ne bosse qu’avec des gens avec qui j’ai envie de
de blink-182, des années après son départ). Travis nous parle des travailler ; ce n’est pas un manager qui me colle en studio avec
hommages aux amis disparus, de réapprivoiser l’avion, de ce qui d’autres artistes. Kelly et moi, on se connaît depuis quinze
le fait tenir, et de bien d’autres choses encore. ans. Il est venu à des concerts de blink, et j’ai gardé l’œil sur
lui pendant toute sa carrière. J’ai été une sorte de mentor pour
(1289(5785(bChemise vintage, TOMMY HILFIGER. Pantalon, TOMMY HILFIGER X lui, et il est comme mon frère. Alors tout se passe assez natu-
RICHARD QUINN. Bijoux, TIFFANY & CO. Chaussures, perso. rellement. C’était vraiment sympa de ne pas partir en tournée,
3$*('('52,7(bVeste et pantalon en denim vintage, TOMMY HILFIGER.
d’être en studio, de créer et de faire toutes ces choses qu’on ne
'HVVRXV9HVWHbLPSULP«HTOMMY HILFIGER X RICHARD QUINN.
Collier, TIFFANY & CO. Bague, SPINELLI KILCOLLIN. Chaussures, perso. fait pas en temps normal.
92
L’OH : Vous rentrez tout juste de Londres, où vous avez joué au concert
hommage à Taylor [Hawkins, le batteur des Foo Fighters depuis 1999,
mort au début de l’année]. Parlez-nous-en…
TB : C’était doux-amer. Je connaissais Taylor depuis longtemps ;
j’ai quitté la maison après le lycée parce que mon père m’a-
vait dit : “Soit tu vas bosser soixante heures par semaine pour nous
payer un loyer, soit tu vas jouer de ta batterie et faire de la musique,
mais c’est pas ici que tu le feras.” Un copain m’a appelé, je lui ai
dit : “Je vais aller travailler, mon boss veut que j’entre à l’armée”, et
il m’a répondu “Tu fait une grosse connerie. Viens dormir sur mon
canap’ et jouer dans ce groupe punk que je viens de former.” Je vous
la fais courte, on jouait tous les jeudis dans un club, et Taylor
venait tout le temps. J’étais un éboueur qui jouait dans un
groupe punk, je faisais du skate tous les jours, et Taylor venait
à mes concerts. Il n’était pas encore Taylor Hawkins ; enfin,
si, pour beaucoup d’entre nous, mais sinon il n’était pas vrai-
ment connu. Et il me disait, “hé, mec, je viens toutes les semaines
t’écouter jouer de la batterie ; tu iras loin, mec.” C’était tellement
sympa d’avoir le soutien de quelqu’un que je ne connaissais
même pas ; on parlait batterie, juste des trucs d’acharnés. Et
puis un an plus tard, il entre dans les Foo Fighters et un an
après je suis avec blink, et on se retrouve ensemble en Austra-
lie. Notre amitié s’est développée et puis, bizarrement, la vie
nous a menés tous les deux à Calabasas, à trois kilomètres l’un
de l’autre, alors on se voyait tout le temps. Je le croisais à la
banque ; on gardait le contact par texto, ou il m’appelait à l’im-
proviste pour me parler de chansons de The Police, comme ça,
sans raison : “T’as déjà remarqué ce que fait Stewart [Copeland]
sur The Bed’s Too Big Without You ?” Des trucs de batteurs
que personne d’autre n’aurait compris. Alors c’était doux-amer,
mais un super hommage.
L’OH : Quel est le conseil que vous auriez aimé entendre à vos débuts et
que vous prodiguez aux jeunes artistes ? “PLEIN DE GENS
TB : On ne sait pas tant qu’on n’est pas passé par là, pas vrai ? Quand
blink était au top, le label nous disait ce qu’on devait faire. On ne sa-
vait pas qu’on pouvait leur dire Non, ça, on ne veut pas – on pensait
écrivent DES
qu’il fallait faire ce qu’on nous disait si on voulait rester sous contrat. CHANSONS QUI
accrochent,
Mais on était aussi super bons en autodérision ; moi, j’ai réussi à
éviter de me prendre au sérieux juste ce qu’il fallait. Je n’ai pas eu de
mentor à proprement parler. Il reste que, avant que ça puisse mar-
cher sur TikTok, tu as quand même besoin d’une bonne chanson.
Plein de gens écrivent des chansons qui accrochent, certaines se CERTAINES SE
résument à vingt secondes de mélodie populaires sur TikTok, mais
il y en a d’autres qui composent des superalbums, vous voyez ? Le RÉSUMENT À vingt
secondes DE MÉLODIE
disque de Turnstile [Glow On, 2021] est génial de bout en bout ; il
est pas fait pour trender sur TikTok. Je vois ça arriver tout le temps,
“KELLY ET MOI, ON SE
connaît DEPUIS 15 ANS,
ET J’AI gardé L’ŒIL SUR
LUI pendant TOUTE SA
carrière. J’AI ÉTÉ UNE
SORTE DE mentor POUR
LUI, ET IL EST comme
MON FRÈRE.”
trer que pour dormir. Mais un jour l’une de mes amies [Kourtney
Kardashian], avec qui je faisais de la gym quotidiennement – on
s’est rapprochés et on est tombés amoureux. Et elle me disait : “Je
veux t’emmener dans tant d’endroits”, et ça me faisait presque mal de
l’entendre parce que j’étais limité – je me suis passé moi-même les
menottes. Le seul fait qu’on me dise “Tu ne veux pas essayer quand
même ?” me donnait des cauchemars pour plusieurs jours. Alors je
lui ai dit : “Si tu veux essayer, ne m’en parle même pas – donne-moi
vingt-quatre heures de préavis et on verra bien.” Elle l’a fait, et ça a
marché. Ça ne l’aurait pas fait si je n’étais pas amoureux, si ne je me
sentais pas invincible. Depuis, j’ai volé une vingtaine de fois.
L’OH : Quels sont les projets qui vous font envisager l’avenir avec im-
patience ?
TB : [Il sourit.] L’année prochaine sera une année de dingue.
–Traduction Légère Balivet
Depuis sa sortie sur Netflix en avril, Heartstopper, l’adaptation du de l’amour sous toutes ses formes. Cette série a bouleversé la vie de
webcomic d’Alice Oseman, est devenu un phénomène culturel. certaines personnes, et je peux vous le dire en toute certitude, parce
Avec la pluie de louanges qui a accueilli cette série pour son portrait qu’elle a changé la mienne. Elle nous rappelle quelque chose qu’on
positif de l’adolescence LGBTQ+, ce sont la célébrité et les fan- n’entend pas si souvent – que nous sommes tous dignes d’amour.
clubs qui ont fondu sur ses jeunes acteurs. Bien que son personnage, On mérite de s’aimer et d’aimer les autres. C’est un beau sentiment
Ben Hope, en soit un peu le méchant, l’honnêteté de l’interpréta- qu’on devrait davantage célébrer. Elle a aussi donné naissance à une
tion de Sebastian Croft lui a valu une légion de fans et l’approba- famille, ce ne sont pas que des fans de la série. Quand on a l’im-
tion des critiques. pression que le monde avance à reculons, il n’y a qu’à regarder ces
millions de gens qui apprécient les amours queer de Heartstopper, et
L’OFFICIEL HOMMES : Quel est votre genre préféré, celui dans lequel vous ça nous rappelle qu’aucun d’entre nous n’est tout seul.
aimez le plus jouer ?
SEBASTIAN CROFT : J’adore les mondes excentriques, plus grands que L’OH : Vous vous sentez investi d’une responsabilité quand vous incarnez
nature. De l’Alice au Pays des merveilles de Tim Burton à Moulin un méchant tel que Ben Hope ?
Rouge et même The Hunger Games. Plus l’univers est intéressant et SC : Oui. Je pense que chaque fois qu’on joue un personnage aimé
décalé, mieux c’est. (Aussi, Helena Bonham Carter m’obsède – son ou, dans ce cas, détesté du public, on a une responsabilité parce
style, son jeu, ses choix artistiques ; je la trouve tout simplement qu’on veut lui faire honneur, ainsi qu’au scénario. Dans ce cas, je me
géniale.) Je n’ai assez d’expérience pour avoir un genre préféré, mais suis appliqué à être vraiment vulnérable et sincère dans mon inter-
je trouverais assez marrant de tourner dans une dystopie. prétation de Ben. C’était effrayant parfois, notamment pendant la
scène de l’agression sexuelle, parce que c’était très réaliste. Mais ce
L’OH : Pourquoi est-il important aujourd’hui de faire une série comme sens de la responsabilité m’aiguillonne, ajoute à l’exploration créa-
Heartstopper ? tive, parce que c’est une occasion d’établir une connexion avec les
SC : Elle met en scène de jeunes ados innocents queer qui tom- gens. Les fans ont tout de suite été réceptifs à mon casting, très
bent amoureux. C’est positif et léger, comme doit l’être un premier accueillants, alors quand le tournage a commencé, j’étais très con-
amour, même si son optimisme est loin d’avoir été le sentiment tent de me plonger dans l’univers de Heartstopper et d’y accomplir
dominant qu’ont connu beaucoup de jeunes LGBT durant leurs quelque chose qui leur parle. L’implication d’Alice Oseman était
années lycée. Pour moi, Heartstopper est une bouffée d’air frais. Ce précieuse. Alice nous laisse nous approprier les personnages. Ben
n’est pas ultra-sexualisé, ça ne parle pas de gens qui meurent ; juste n’est pas très présent dans la BD, j’ai bien aimé l’étoffer un peu,
“ LA SÉRIE ‘Heartstopper’
A bouleversé LA VIE DE
CERTAINES personnes,
ET JE PEUX VOUS LE
dire EN TOUTE certitude,
PARCE QU’ELLE A
CHANGÉ la mienne.”
L’OH : Certains de vos looks sont particulièrement audacieux. Comment
êtes-vous sûr que c’est bien vous qui portez les vêtements et pas eux qui
vous portent ?
SC : J’adore porter ce genre de vêtements. Je pense qu’on peut s’ha-
biller comme on veut tant qu’on se sent confortable. Quand on me
explorer sa personnalité, savoir quels sont les pans de son histoire harcelait à l’école, j’allais à Brick Lane [rue de Londres où se con-
qu’on ne voit pas. Il commet des actes impardonnables, mais je vois centrent les friperies vintage] avec des copains plus vieux (et plus
aussi un gamin qui souffre, qui a peur de qui il pourrait être, et cool) le week-end, on portait les fringues les plus délirantes et on
j’espère que les gens peuvent compatir à ça. achetait les trucs les plus colorés et excentriques qu’on pouvait trou-
ver. On développe une sorte de pouvoir quand on n’a pas peur de
L’OH : Avec qui aimeriez-vous travailler ? s’habiller de manière tape-à-l’œil.
SC : Greta Gerwig. Ça a l’air évident alors que Barbie est en train
de conquérir le monde avant même sa sortie, mais je la trouve tout L’OH : Les fans de Heartstopper sont très passionnés ; qu’est-ce que vous
simplement fantastique dans Frances Ha, et Lady Bird et sa version préférez dans votre rapport avec eux ?
des Filles du docteur March sont deux de mes films préférés. Ce serait SC : Récemment, j’ai fait un T-shirt avec deux dinosaures s’embras-
génial d’apprendre d’un maître, mais je suis encore plus enthousia- sant, et en sous-titre “Queer was always here”. C’était pour collecter
smé par la nouvelle génération de cinéastes. La plupart de mes ac- de l’argent pour Choose Love, une association qui aide les réfugiés
teurs favoris travaillent avec des réalisateurs qui font régulièrement queer. La vitesse et la force avec lesquelles les fans sont entrés en
appel à eux, et avec qui ils progressent. J’adorerais construire cette action ont été phénoménales. Grâce à eux, on a réuni 150 000 livres
relation de confiance avec quelqu’un au fil de projets différents. sterling, et 100 % de cet argent va sur le terrain. J’étais absolument
soufflé. Je ne saurai jamais ce que j’ai bien pu faire pour mériter que
L’OH : Comment décririez-vous votre style ? ces gens témoignent autant d’intérêt, à moi et à mes actions.
SC : En chantier.
L’OH : Qu’est-ce que le futur vous réserve, Sebastian Croft ?
SC : Je suis sur le tournage d’un nouveau film, je joue quelqu’un de
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3$*('(*$8&+(bTotal look, ALEXANDER McQUEEN. que le public découvre notre travail. Je suis aussi très content de lui
présenter un personnage qu’il ne sera pas obligé de détester…
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104
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marque Bluemarble, le jeune Parisien d’origine fran- l’effort constant. Pas même un confinement n’aura su le ra-
Portrait par Edward Lane ; looks Bluemarble automne-hiver 2022.
co-philippine vient de remporter le Prix Pierre Bergé de lentir, mis à profit, dit-il, pour se “challenger” et se concen-
l’Andam 2022. Une consécration amplement méritée pour trer sur l’ADN de la marque, qu’il résume à “une traversée
celui qui enchaîne les bonnes nouvelles avec discrétion de l ’océan Pacifique sur un vinta (voilier traditionnel philip-
mais enthousiasme. Chez ce fan de glisse et de grands pin, ndlr), des Philippines aux États-Unis, pour une aventure
espaces, la f luidité apparente cache une opiniâtreté à toute colorée et festive qui célèbre la rencontre de ces deux cultures”.
épreuve. Parcours atypique que celui de cet ancien diplômé Aujourd’hui Bluemarble, c’est plus de 25 points de vente
en économie passé par le monde des finances, élevé aux dans le monde parmi les meilleurs, l’ouverture imminente
États-Unis (dont il a gardé le culte du sporstwear, ADN de de pop-up, le lancement d’une ligne de sneakers annoncée
ses collections) qui décide à 26 ans de placer toutes ses éco- pour l’été 2023 et des collaborations à venir. Quand on sait
nomies dans le lancement d’une marque de mode mascu- que Blue Marble est le nom donné à la première photo de
line, en apprenant sur le tas. De petits drops en concours, la terre prise en 1972 dans son entièreté depuis l’espace, on
d’artisanat local en communauté digitale, d’explosion de comprend mieux !
FLORENTIN GLÉMAREC ET KEVIN NOMPEIX, EGONLAB Portrait courtesy of Egonlab ; looks Egonlab automne-hiver 2022 et printemps-été 2023.
Ces deux-là sont animés par une volonté d’inclusivité, et avec. Egonlab est tout sauf une marque élitiste, faite seulement
leur grande communauté, baptisée la “Egonlab Family”, pour des vitrines.” Boostée par le Prix Bergé de l’Andam
le leur rend bien. Quand Florentin Glémarec (27 ans) et 2021, la petite entreprise Egonlab a, cette année, doublé
Kevin Nompeix (29 ans) se rencontrent en 2018, ils ont son chiffre d’affaires et bien grandi : embauches, bureau de
à cœur de créer une marque fédératrice, genderless et af- presse, premier défilé, e-shop annoncé et quinze nouveaux
franchie de toute convention. Le premier sort de l’École points de vente dans le monde (Dover Street Market, Cor-
du Louvre, le second d’un master en sémiologie de l’ima- so Como, Les Galeries Lafayette, La Samaritaine, Net à
ge et de la mode, et leur méthode de travail s’en ressent. Porter…). Les tissus sont italiens, les ateliers européens, et
De sérieuses bases techniques mais un style “tailored ur- le nouvel Egonlab Tech gère une communication d’avant-
ban-punk” iconoclaste, que le duo prend un malin plaisir garde (metaverse, NFT, hologrammes…). Cette dernière
à repenser chaque saison pour, dit-il, “ brouiller les pistes”, étant, selon eux, le seul point sérieusement mis à mal
quitte à bousculer les acheteurs. “Ce que nous voulons, di- pendant la crise covid mais “ l’avantage de s’ être lancé juste
sent-ils, c’est faire descendre la marque dans la rue. Que nos avant, c’est qu’ il n’y a pas de comparaison possible, donc aucune
créations appartiennent à ceux qui la portent, qu’ ils s’amusent frustration à avoir”. CQFD.
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STEVEN PASSARO
Portrait courtesy of Steven Passaro ; looks Steven Passaro automne-hiver 2022.
Touche-à-tout visionnaire, technicien et cérébral, ce tout seul et dont l’expertise reconnue fait aujourd’hui recette
juste trentenaire parisien a de son propre aveu pour prin- en consulting. Car il est l’un des seuls jeunes créateurs à
cipal moteur d’adorer la complexité ! Et ça se sent autant parfaitement la maîtriser, avec une approche toute singu-
dans son parcours que dans ses créations. Diplômé en desi- lière. La construction du vêtement est primordiale pour
gn d’espaces de l’École Duperré, il complète son parcours lui. Il ne dessine rien qu’il ne sache déjà monter. En résulte
d’un master en Menswear Fashion Design au London Col- des collections au design raffiné, inspiré d’un tailoring à
lege Of Fashion, avant de lancer sa marque éponyme en oc- l’anglaise subtilement détourné, qu’il travaille de son stu-
tobre 2019. Un pari financièrement risqué, qu’il assure par dio aux Ateliers de Paris. “Mes créations sont intemporelles,
des interim en free lance comme mécanicien modèle chez explique-t-il, mais elles sont surtout une invitation à l ’expres-
Hermès et Loewe. À l’annonce du premier confinement, il sion personnelle, avec des codes genderless interprétés de façon
file dans le Sentier acheter des tissus et s’enferme chez lui traditionnelle, dans le respect des techniques couture.” Il fon-
pendant deux mois et demi pour y travailler sa première ctionne en pré-commande, se fournit en stocks dormants
collection mais aussi sa passion (une échappatoire, dit-il) européens et fabrique à Paris. Il est vendu sur Ssense.com
pour la digitalisation 3D sur le logiciel CLO, qu’il apprend et sur son site www.stevenpassaro.com.
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NAOMI GUNTHER Portrait courtesy of Gunther ; looks Gunther automne-hiver 2022 et printemps-été 2023.
Elle le reconnaît volontiers, le lancement de sa marque permis de passer sans trop d’encombres les stop-and-go
Gunther relève quelque peu du coup de chance ! Alors des deux dernières turbulentes années. Elle se fournit en
qu’elle rentre tout juste de New York avec sa collection de matériaux issus de stocks dormants dans toute l’Europe et
fin d’études sous le bras (cinq looks !), le rappeur Offset fait fabriquer dans des ateliers parisiens. Ce qu’elle aime,
porte, poste et “tag” l’une de ses créations pendant la fa- c’est la personnalisation, le service exclusif, les pièces uni-
shion week de janvier 2019. Un sérieux coup de pub. En ques, même si le bouche-à-oreille la pousse aujourd’hui à
trois ans, la Parisienne de 27 ans, diplômée de l’Atelier de accélérer son rythme de production. Hébergée aux Ateliers
Sèvres et de la Parsons School à Londres, a su surfer cet- de Paris, qui l’accompagnent dans son développement,
te vague providentielle. Inf luencée par l’esprit streetwear Naomi vient de présenter sa dernière collection en défilé
américain, elle propose une mode masculine urbaine aux (même si elle ne figure pas encore au calendrier officiel de
volumes oversized mais à la confection tailleur, qu’elle la fashion week parisienne) et de signer pour une première
réalise principalement en pré-commande. Un système mis diffusion en boutique à Dubai, complétant la vente en
en place dès le départ, afin d’éviter les coûts de surpro- ligne sur son site www.guntherparis.com, Le Printemps
duction, de gestion des stocks et d’invendus, et qui lui a ainsi que Zalando.
LOUIS-GABRIEL NOUCHI
Portrait courtesy of LGN ; looks LGN automne-hiver 2022 et printemps-été 2023.
Formé à “l’école belge”, diplômé de La Cambre et passé soutien financier du groupe immobilier Duval, auquel il
par la maison Raf Simons, le Parisien de 34 ans en a gardé est toujours associé. Un démarrage sans précipitation, or-
le souci de la perfection, mâtinée d’une sensibilité com- ganique et sain, qui s’accélère contre toute attente ces deux
municative. Pour monter sa marque éponyme (sans le trait dernières années. Ouverture de boutique en plein confine-
d’union), il a su faire preuve d’une rigueur à toute épreuve. ment, lancement de l’home-wear, puis de l’underwear, le
“Pour être un bon employeur, il faut d ’abord être un bon em- moins qu’on puisse dire, c’est que Louis-Gabriel Nouchi a
ployé ”, aime-t-il rappeler. Malgré une vocation mode datée eu le nez creux. Le positionnement niche de la marque, la
du berceau ou presque, il prend le temps d’apprendre, et haute technicité de sa fabrication et la maîtrise du réseau
est un des rares à avoir plus d’une fois reculé le moment de distribution comptent parmi ses principaux facteurs de
du grand saut entrepreneurial. Après des années de colla- réussite, dopée sur la durée par le soutien des institutions
borations menées de front pour financer ses études, suivi et celui d’une communauté grandissante. Une base de tra-
d’une sélection au Festival d’Hyères en 2014 où il rempor- vail on ne peut plus solide, c’est rare, qui explique le succès
te la première édition du Prix Galeries Lafayette, il crée d’estime de ce créateur qui a su garder la tête froide. Son
LGN en 2018 avec des codes personnels bien ancrés et le rêve ? “Atteindre la performance tout en restant simple.”
L’œil avisé de
“ON TRAVAILLE
ensemble, MAIS chacun
AMÈNE UN REGARD
PLUS pointu À
CERTAINES ÉTAPES
DES projets
EN FONCTION de
ses SPÉCIFICITÉS.”
L’un est né à Gènes, en Italie, et est architecte DPLG, l’autre armes chez Locatelli Partners et réalise des projets pour Mis-
a étudié les Arts décoratifs et est parisien. À eux deux, ils soni ou Valentino puis fonde son cabinet en solo. À Paris, les
forment le duo de l’agence Lecoadic Scotto. Avant de les deux hommes collaborent régulièrement jusqu’à ouvrir une
rencontrer, on aurait pu imaginer qu’ils avaient étudié en- agence ensemble en 2001. Quand on les écoute raconter leur
semble ou qu’ils se connaissaient depuis l’enfance, mais il histoire, on a envie de parler de complémentarité, et pas seu-
n’en est rien. La rencontre s’est presque faite par hasard. lement à cause de leurs formations, mais également de leurs
Comme nous le raconte Yann Le Coadic : “En sortant des origines et de leurs cultures. Comme nous l’explique Ales-
Arts-Déco, j’ai eu la chance d’être l’assistant personnel de l’ar- sandro, “sur tous les projets, on travaille ensemble. On partage
tiste Christian Astuguevieille qui était, entre autres, le directeur tout, mais chacun amène un regard plus pointu à certaines étapes
artistique des parfums Comme des Garçons. Rey Kawakubo ve- du projet en fonction de ses spécif icités”.
nait régulièrement lui rendre visite. Il était également en charge
d’une collection de mobilier un peu étrange vendue chez Holly Des projets substantiels
Hunt à New York. On échangeait aussi avec Christian Liaigre. Dès l’ouverture de leur cabinet, ils continuent sur leur lan-
Toutes ces rencontres étaient passionnantes. Je travaillais à huis cée dans le monde du luxe, que ce soit pour le parfumeur
clos avec lui, c’était une personne très exigeante et donc une très Francis Kurkdjian ou la créatrice de bijoux Aurélie Bider-
bonne école. C’est à ses côtés que je suis un peu tombé dans la mann. Pour eux, ils réalisent des petits écrins très parisiens
marmite de la mode. La première boutique que j’ai réalisée en où tout est histoire de détails. L’élégance semble innée chez
solo fut celle de Loulou de la Falaise, rue Cambon. Un écrin à la eux qui préfèrent parler d’intuition. Est-ce que leur élégance
façon d’un cabinet de curiosités. Grâce à lui, mais de façon indi- est toujours la même en 2022 ? “On aime bien travailler les
recte, j’ai aussi rencontré Olivier Theyskens pour qui j’ai réalisé atmosphères. Faire en sorte de ne pas suivre les tendances ni les
la boutique Rochas lorsqu’il en était le directeur artistique. Un modes. On est très méf iant à l’égard de cet air du temps que l’on
joli projet avec de beaux moyens. Je retrouve quelques années retrouve chez tout le monde. Cela nous effraie et on aurait plutôt
plus tard, Olivier chez Nina Ricci, pour réaliser la boutique de tendance à se baser sur les choses que la France a déjà ancrées
l’avenue Montaigne. La pression n’est pas du tout la même. La en elle.” Question signature et ADN, Le Coadic et Scotto
marque appartient à un géant des cosmétiques qui désire radi- répondent par simplicité. Même si on essaie de leur imposer
calement changer l’image de la marque et imposer celle de leur certaines choses, ils essaient toujours de garder la main sur
Photos Yannick Labrousse
nouveau designer. On est au milieu des années 2000, j’ai plu- le gouvernail. Ils évoquent également le sens des proportions
pour rester juste, parlent de lumière qu’ils essaient toujours
de capter et de faire circuler. Enfin et surtout, ils se tournent
(1289(5785(bLes architectes d’intérieur Yann Le Coadic et Alessandro Scotto.
&,'(6686bScénographie pour Artcurial. vers des projets substantiels avant d’être instagrammables.
3$*('('52,7(bAppartement jardins du Palais-Royal. Chose que leurs amis photographes, comme Mathieu Sal-
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“ON AIME BIEN premier à Venise. Il arrive à point nommé avec la part belle que
font le cinéma, l’art et la mode à la Cité des doges.”
TRAVAILLER LES Du design à l’archéologie
SORTE DE NE pas suivre la main courante en fer forgé qui y a laissé ses empreintes.
Chaque projet est l’occasion de se plonger dans un univers
et d’en tirer les ficelles. Pour l’hôtel Cours des Vosges, ils ont
LES TENDANCES NI pris possession d’un hôtel particulier du xviie. Quand ils sont
arrivés sur place, ils y ont découvert “un showroom en open
LES MODES. ON EST space déglingué avec du lino et du faux parquet Versailles. La
TRÈS P«ùDQW À
seule chose qui était dingue était la vue, sur la place des Vosges”.
Ils refont tout, du sol au plafond, et jouent avec l’idée de
chambres communicantes pour un effet bluffant. Très sou-
L’ÉGARD DE CET AIR vent, leurs chantiers les poussent presque vers l’archéologie.
Ils décollent les papiers peints, tombent les faux plafonds,
DU TEMPS QUE L’ON regardent sous les planchers et parfois découvrent des mer-
veilles comme un enduit du xviie ou un plafond d’époque in-
retrouve CHEZ TOUT LE tact. Chacun de leur projet les amène à rencontrer des clients
impliqués, passionnés, cultivés qui leur sont fidèles. Ils com-
MONDE. CELA NOUS mencent toujours par savoir comment vivent leurs clients.
Leur première rencontre ressemble presque à une séance de
HÿUDLH ET ON AURAIT psy. Ils veulent connaître la moindre habitude : est-ce qu’ils
reçoivent, fument le cigare, aiment prendre un verre, écoutent
PLUTÔT TENDANCE de la musique ?… “À la f in, ce sont eux qui vont vivre dedans
et en prof iter longtemps…” Cette notion d’habitat passionne
À se baser SUR LES Yann Le Coadic qui l’étudie à travers les musées d’archéolo-
gie du monde entier. “C’est une quête sans f in. On murit. On
CHOSES QUE LA grandit. Notre œil continue sans cesse de s’améliorer. Il voit mieux
et il continue de chercher.” En plus de cette passion, l’architecte
FRANCE A DÉJÀ ancrées est revenu en solo vers le design, l’un de ses premiers amours,
avec sa première collection d’objets et de mobilier, Ehrerò,
tout en métal, éditée par Pouenat et sortie au tout début de
EN ELLE.” cette année. “Je l’ai initiée parce que je disais à Alessandro que
j’aimerais bien faire autre chose que des chantiers, des travaux
plus personnels. Je me suis donc lancé et je vais continuer à déve-
vaing ou François Hallard, ne manquent pas de leur rappe- lopper des projets dans un esprit un peu plus radical. J’ai besoin
ler avec humour. “Au début, on s’est demandé pourquoi puis on d’expérimenter, redessiner, peindre, sculpter pour nourrir mon
a compris : l’image parfaite n’est pas dans nos priorités même travail et mes inspirations d’architecte.”
si c’est important. Nous essayons plutôt de faire ressentir une
ambiance.” Et justement, il suffit de pousser la porte d’un
hôtel ou d’une maison qu’ils ont réalisés pour comprendre
que chacun de leur projet raconte une histoire. Le Nolinski
Venise – qui va ouvrir en début d’année prochaine, et qui
a été acheté aux enchères par le même groupe hôtelier que 3KRWRV-HDQ3LHUUH9DLOODQFRXUW<DQQLFN/DEURXVVH9LQFHQW/HURX[$OH[3URāW
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L’influence de Kenzo Takada sur la mode perdure à travers
l’esthétique espiègle de la marque qui porte son prénom.
Quand Kenzo Takada lance sa première maison de mode à directeurs artistiques. Il y eut le duo Humberto Leon et Carol
Paris dans les années 1970, ses influences japonaises et ses Lim, qui relança la marque en 2011 et redonna du tonus à
étoffes de kimono font souffler un vent nouveau sur un secteur son désormais célèbre tigre. Avance rapide jusqu’à 2021, avec
traditionnellement tourné vers l’Occident. Dès ses débuts, à la barre le designer japonais Nigo. Son travail, qui continue
Kenzo figure régulièrement en bonne place dans les pages de de référencer les archives colorées de la maison – tout en les
L’Officiel, ses vêtements côtoyant les collections de couturiers mixant avec son propre style streetwear –, perpétue et honore
iconiques tels Dior, Saint Laurent et Pierre Cardin. Lorsqu’il l’espièglerie signée Kenzo.
prend sa retraite de directeur de la création en 1999, L’Officiel L’exaltation de l’héritage de la marque par Nigo n’est pas
consacre son numéro de mai 2000 à l’histoire de sa marque et à qu’un clin d’œil stylistique à l’esthétique joyeuse de Kenzo.
son impact. L’héritage de celui qui a ouvert les portes du Paris Sa première collection a été présentée à la galerie Vivienne, à
de la mode à d’autres créateurs non occidentaux comme Rei Paris, là même où le créateur avait organisé son premier défilé
Kawakubo ou Yohji Yamamoto continue de s’épanouir. en 1970. Alors que Kenzo renouvelle son identité pop à chaque
Tandis que le vestiaire masculin évolue au-delà de ses génération, l’énergie en son centre ne tarit pas, et électrise d’un
fondamentaux, on peut voir Kenzo comme l’initiateur de ces consistant et pourtant polymorphe enthousiasme le monde de
éléments colorés et singuliers si en vogue aujourd’hui. Ses la mode et du design.
patchworks et motifs graphiques pour hommes sont restés —Piper McDonald & Tori Nergaard
des incontournables de sa maison alors que se succédaient les —Traduction Légère Balivet