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LA LUTTE CONTRE LE DRAME

DES ENFANTS SOLDATS OU LE CONSEIL


DE SÉCURITÉ CONTRE LE TERRORISME
À VENIR...

par

Anatole AYISSI Catherine MAIA


Bureau du Représentant spécial Doctorante
du Secrétaire général en droit international public
des Nations Unies pour de l’Université de Bourgogne
l’Afrique de l’Ouest, (Dijon) ( 1)
Dakar-Sénégal

Introduction

Il y a un peu plus d’un an, au moment même où le Conseil de


sécurité des Nations Unies, profondément divisé, s’engluait dans
d’interminables débats sur le désarmement et sur l’éventualité d’un
bombardement de l’Irak, cette même instance adoptait le 30 janvier
2003, dans une belle unanimité, la résolution 1460 relative aux
enfants touchés par les conflits armés ( 2). La brûlante actualité du
moment et des mois qui ont suivi a quasiment éclipsé l’importance
de cette résolution. Passé inaperçu, le texte mérite pourtant que
l’on s’y attarde. Nouvelle pierre venant consolider l’arsenal juridi-
que déjà existant, il marque en effet une avancée décisive vers une
meilleure protection des enfants affectés par les situations de
guerre ( 3). Plus encore, en osant pour la première fois franchir le pas

(1) Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux des auteurs en leur capa-
cité personnelle.
(2) Résolution S/RES/1460 (2003), 30 janvier 2003.
(3) Sur cette thématique, voy. l’incontournable rapport de Graça Machel, soumis
en 1996 à l’Assemblée générale des Nations Unies, Impact of armed conflict on chil-
dren, Document Nations Unies A/51/306, et son additif 1 du 9 septembre 1996. Dans
cette étude, le vœu était émis selon lequel « [l]e Conseil devrait être tenu continuelle-
ment et pleinement informé des considérations humanitaires, notamment celles qui
intéressent les enfants, dans l’action qu’il mène pour régler les conflits, maintenir ou
faire respecter la paix ou faire appliquer les accords de paix » (Document Nations
Unies A/51/306, § 282). Plus récemment, voy. également, du même auteur, The
Impact of War on Children, A Review of progress since the 1996. United Nations Report
on the Impact of Armed Conflict on Children, London, Hurst & Company, 2001.
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d’une désignation publique des gouvernements et des groupes qui


utilisent des enfants soldats, cette résolution pourrait s’avérer plus
efficace dans la lutte contre un véritable fléau susceptible de nourrir
à terme un terreau fertile pour le terrorisme.

I. — La résolution 1460 : un nouveau pas


vers une meilleure protection des enfants
victimes des conflits armés

Depuis 1998, année à partir de laquelle la préoccupation des


enfants touchés par les hostilités armées a été officiellement inscrite
à l’ordre du jour du Conseil de sécurité, la volonté de ce dernier
d’agir contre ce fléau s’est concrétisée par l’adoption d’importantes
mesures. C’est ainsi que non seulement des débats et un examen sur
cette question sont désormais organisés chaque année, mais aussi,
trois résolutions capitales adoptées dans un passé récent ont su
mettre en lumière l’ampleur du phénomène : les résolutions 1261,
1314 et 1379 ( 4).
S’inscrivant dans la continuité de la préoccupation du Conseil de
sécurité à l’égard du drame vécu par les enfants dans les zones de
violence armée, la résolution 1460, quatrième résolution sur la ques-
tion, a été adoptée le 30 janvier 2003. Ce texte réaffirme l’attache-
ment de la communauté internationale au respect des droits des
enfants, particulièrement vulnérables dans de telles situations, et
plus spécialement, à la mise en place de mesures appropriées afin de
lutter contre le recrutement et l’utilisation de jeunes combattants.
Dans cette résolution, le Conseil de sécurité commence, dans le
préambule, par réaffirmer la « responsabilité principale » qui est la
sienne en matière de « maintien de la paix et de la sécurité interna-
tionales » ( 5). S’appuyant sur cette base juridique de compétence, il
s’engage à « atténuer l’impact considérable des conflits armés sur les
enfants ». Concernant la question spécifique des jeunes enfants et
adolescents recrutés et utilisés comme instruments de violence dans
les conflits armés, en totale violation du droit international, le
Conseil rappelle que « la conscription et l’enrôlement d’enfants de
moins de 15 ans dans les forces armées nationales et le fait de les

(4) Voy. la résolution 1261 (1999), S/RES/1261, 25 août 1999 ; la résolution 1314
(2000), S/RES/1314, 11 août 2000 ; et la résolution 1379 (2001), S/RES/1379,
20 novembre 2001 (http://www.un.org/french/documents/scres.htm).
(5) Les citations mentionnées sont toutes extraites du préambule de la résolu-
tion 1460 (2003).
Anatole Ayissi et Catherine Maia 343

faire participer activement à des hostilités sont classés au nombre


des crimes de guerre par le Statut de Rome de la Cour pénale inter-
nationale, qui vient d’entrer en vigueur ».
Afin de marquer sa volonté d’inscrire dans la réalité les droits des
enfants, le Conseil de sécurité exprime également sa ferme intention
d’entamer un dialogue avec les protagonistes engagés dans des vio-
lences armées qui ne respecteraient pas leurs obligations internatio-
nales relatives au recrutement et à l’utilisation de jeunes combat-
tants. Ce dialogue devra permettre, à terme, l’élaboration de plans
d’action clairs, assortis d’échéances pour mettre fin à cette pratique.
Le Conseil insiste particulièrement sur « la responsabilité qu’ont
tous les Etats de mettre fin à l’impunité et de poursuivre les auteurs
de génocide, de crimes contre l’Humanité, de crimes de guerre et
d’autres crimes abominables commis contre des enfants ». Il
demande en outre aux parties concernées de faire en sorte que
soient pris en compte la protection des enfants, leurs droits et leur
bien-être dans tout processus et accord de paix, de même que dans
les phases de reconstruction post-conflit.

II. — Les enfants soldats : terreau privilégié


pour le recrutement des terroristes de demain

La résolution 1460 s’avère particulièrement importante en ce


moment précis où, suite aux événements du 11 septembre 2001, la
lutte contre le terrorisme est en passe de devenir une priorité
majeure dans l’agenda de diplomatie préventive de la communauté
internationale. Même si le lien peut, à première vue, paraître dis-
tendu et lointain entre les enfants utilisés comme combattants et les
mouvements terroristes, il n’est pas pour autant illusoire. Il est en
effet certain que les enfants soldats d’aujourd’hui forment un ter-
reau privilégié pour le recrutement des terroristes de demain.
Dans un récent rapport du 10 novembre dernier, le Secrétaire
général des Nations Unies rappelle cette terrible vérité : « Les
enfants continuent d’être les principales victimes des conflits » ( 6).
Venus au monde dans un climat hostile, ces jeunes ne connaissent
bien souvent du monde que la brutalité, sans autres perspectives.
Ayant perdu des années de scolarisation, exposés à la malnutrition

(6) Rapport du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés, Document
Nations Unies, S/2003/1053, du 10 novembre 2003, § 24 (http://www.un.org/french/
docs/sc/reports/2003/sgrap03.htm).
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et au manque de soins de santé, ils grandissent sans repères, devant


vivre avec des séquelles traumatisantes, aussi bien physiques ( 7) que
psychiques, qui en font trop souvent des adultes marginalisés et
enclins à la violence.
Les enfants réfugiés et déplacés, surtout les filles, sont particuliè-
rement exposés aux violences sexuelles. Violées, enlevées pour être
abusées, parfois obligées de se marier ou de se prostituer par les
groupes armés, les jeunes filles n’échappent pas toujours aux sévices
sexuels au sein même des camps d’assistance humanitaire ( 8). Sans
compter qu’il existe un rapport direct entre l’ampleur de ces sévices
sexuels et la propagation des maladies sexuellement transmissibles
et notamment de la pandémie du VIH/sida.
Sans doute ne pourra-t-on pas restituer à ces jeunes leur enfance
meurtrie par la cruauté des combats et par les atrocités dont ils ont
été à la fois les victimes et les acteurs. Toutefois, si des mesures
appropriées ne sont pas prises pour leur permettre de retrouver leur
dignité et pour stopper leur recrutement, notamment par l’applica-
tion de sanctions punitives exemplaires contre ceux qui les utilisent,
cette coupable indifférence de la communauté internationale fera, à
coup sûr, le lit du terrorisme.
L’expérience montre, en effet, que ces combattants aux dents de
lait ne sont rien d’autre que des instruments aux mains d’adultes
sans scrupules, cruels et assoiffés de pouvoir. Le plus fréquemment,
ils sont recrutés par la force après avoir été arrachés à leur famille,
à moins que leur enrôlement ne soit une stratégie désespérée de sur-
vie, simplement dans l’espoir d’échapper à une misère noire. Dociles
et malléables, plus facilement impressionnables que des adultes, ils
sont dressés pour tuer depuis l’enfance. Estimés à près de 300 000
de par le monde, la majorité ont entre 15 et 18 ans, mais beaucoup

(7) Le dernier rapport du Secrétaire général dénonce les fréquentes mutilations


délibérées dont sont victimes les enfants qui se trouvent dans les zones de combat,
lorsqu’ils ne sont pas tout bonnement tués. Voy. ibid., §§ 25 et s.
(8) Une récente enquête, menée conjointement par le Haut-Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés et par l’Organisation non gouvernementale britanni-
que Save the Children, a dévoilé un véritable réseau d’exploitation sexuelle des
enfants dans les camps de réfugiés au Libéria, en Guinée et en Sierra Leone. Voy.
Le Monde du 27 février 2002, « L’abus sexuel d’enfants dans des camps de réfugiés
d’Afrique ».
Anatole Ayissi et Catherine Maia 345

sont enrôlés de force dès l’âge de 10 ans, voire même 8 ans, pouvant
alors à peine soutenir leurs armes ( 9).
Si rien n’est fait pour leur réinsertion après les conflits, une fois
adultes, n’ayant d’autres alternatives viables, ils se transforment
parfois en véritables mercenaires, se vendant au plus offrant ( 10).
D’où le cycle infernal de violence en circuit fermé, qui touche tout
particulièrement l’Afrique de l’Ouest ( 11), mais auquel aucun conti-
nent n’a vraiment échappé, cycle ô combien dévastateur pour le
tissu social et économique de tout pays. On comprend mieux, dès
lors, ces paroles prononcées par Olara Otunnu, représentant spécial
du Secrétaire général de l’ONU pour la protection des enfants en
période de conflit : « Aujourd’hui, la guerre en Afrique, notamment
l’exploitation, la maltraitance et l’utilisation des enfants, n’est
après tout qu’un processus d’autodestruction... Voyez l’Angola, le
Soudan, la Somalie, la Sierra Leone. C’est là un problème d’enver-
gure qui nous conduit immédiatement à nous demander si, sur une
grande partie du continent africain, ces sociétés ont ou non un ave-
nir prometteur » ( 12).
Aujourd’hui, la persistance du phénomène des enfants impliqués
dans des hostilités explique que ces combattants de misère, particu-
lièrement vulnérables, continuent d’être exploités comme guetteurs,
porteurs, fantassins, détecteurs de mines, voire même comme
esclaves sexuels ou boucliers humains. Vivant dans la terreur et le
dénuement, ils se battent pour la promesse d’une paire de chaus-
sures, d’un bol de riz ou de quelques poussières de diamants. Ils
tuent sur commande, rompus à l’utilisation des grenades, des
machettes, mais aussi à celle des kalachnikovs, des M-16, R-15 et
autres fusil d’assaut AK-47. Armes légères et de petit calibre, peu

(9) Ces chiffres, sans doute sous-estimés en raison des difficultés qu’il y a à
recueillir des statistiques fiables en la matière, sont extraits du site internet de
l’UNICEF : http://www.unicef.org/. Pour plus d’informations, on peut également
consulter : Graça Machel, The Impact of War on Children (...), op. cit. ; Susan et
Raymond Alan, Children in War, New York, TV Books, 2000 ; et Child Soldiers. Glo-
bal Report 2001, London, Coalition to Stop the Use of Child Soldiers, 2001.
(10) Abdel-Fatau Musah and J. Kayode Fayemi (eds), Mercenaries, London,
Pluto Press, 2000.
(11) C’est ainsi que les enfants utilisés par les chefs de guerre lors de la guerre
civile du Libéria (1989-1997) ont combattu plus tard, une fois adultes, en Sierra
Leone. Actuellement, ce sont les survivants à ces atrocités qui sont en train de semer
mort et désolation à l’ouest de la Côte d’Ivoire. Demain, ils franchiront peut-être la
Guinée ou un autre pays de la région. Le même phénomène est à, l’heure actuelle,
de plus en plus visible dans la sous-région d’Afrique centrale et des Grands Lacs.
(12) Propos rapportés dans « Des soldats redeviennent de simples enfants », Afri-
que Relance, vol. 15, octobre 2001, p. 10.
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coûteuses, faciles à manier et à porter, on estime à trente millions


le nombre de ces instruments de mort qui circulent à l’heure
actuelle en Afrique, dont huit millions dans la seule partie occiden-
tale du continent, une prolifération inquiétante qui vient alimenter
l’exploitation cynique des jeunes enfants ( 13).
Demain, à l’occasion, ces derniers deviendront des poseurs de
bombes et des tueurs à gages (grassement payés) au service du
crime organisé et des réseaux terroristes internationaux qui, partout
dans le monde, ont commencé à frapper les grandes puissances dans
leurs maillons les plus vulnérables, représentations diplomatiques,
centres d’affaires ou encore ensembles résidentiels.

III. — La lutte contre le drame


des enfants soldats : les récents engagements
de la communauté internationale

Ces violations graves des droits des enfants sont longtemps res-
tées inconnues, se produisant dans un climat général d’impunité qui
a alimenté la poursuite du phénomène. Heureusement, la commu-
nauté internationale semble prendre conscience des enjeux, non seu-
lement éthiques, mais également stratégiques, liés à l’instrumentali-
sation des enfants comme armes de guerre. Ainsi, plusieurs dévelop-
pements importants au cours de ces dernières années augurent peut-
être d’un avenir moins terrifiant pour l’Afrique en particulier et
pour le reste du monde.
Au plan universel, il y a d’abord le Protocole facultatif à la
Convention des droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants
dans les conflits armés. Entré en vigueur le 12 février 2002 ( 14), ce
traité marque un progrès notable en ce qu’il fixe un âge plancher
pour le recrutement obligatoire dans les forces armées, exigeant des
Etats parties en conflit de « veiller à ce que les membres de leurs
forces armées qui n’ont pas atteint l’âge de 18 ans ne participent
pas directement aux hostilités » (art. 1 er). De plus, il est demandé

(13) En dépit de l’adoption par la Communauté économique des Etats de l’Afri-


que de l’Ouest, le 31 octobre 1998, d’un moratoire visant à mettre un terme aux
transferts et à la fabrication d’armes légères dans la sous-région, le Conseil de sécu-
rité, dans sa résolution 1467 du 18 mars 2003, a exprimé « sa vive préoccupation face
aux conséquences de la prolifération des armes légères et de petit calibre ainsi que
de la pratique du mercenariat sur la paix et la sécurité en Afrique de l’Ouest, qui
contribuent à de graves atteintes aux droits de l’homme et au droit humanitaire
international ».
(14) A la date du 10 novembre 2003, 63 Etats ont ratifié le Protocole facultatif.
Anatole Ayissi et Catherine Maia 347

aux Etats parties de prendre « toutes les mesures possibles dans la


pratique » à l’égard des entités non-étatiques afin d’« empêcher l’en-
rôlement et l’utilisation de ces personnes, notamment les mesures
d’ordre juridique voulues pour interdire et sanctionner pénalement
ces pratiques » (art. 4). Même si la formulation est insatisfaisante,
car elle inscrit les engagements étatiques dans la catégorie des obli-
gations de moyen et non de résultat, il n’en demeure pas moins que
cette prise en compte des groupes armés permet d’englober les
conflits à caractère non international, qui sont précisément les plus
nombreux à l’heure actuelle.
Il y a ensuite la session extraordinaire de l’Assemblée générale des
Nations Unies consacrée aux enfants, tenue au mois de mai 2002.
Première réunion du genre exclusivement dédiée aux enfants ( 15),
elle fut l’occasion de renouveler solennellement la promesse de la
communauté internationale de bâtir un monde qui soit digne d’eux.
A cette fin, elle recommande, entre autres, de protéger les enfants
« contre les horreurs des conflits armés », de « mettre un terme au
recrutement et à l’utilisation d’enfants dans les conflits armés, en
contravention du droit international » et de « mettre fin à l’impu-
nité » dans ce domaine ( 16).
Il y a également la création d’une juridiction pénale permanente
et indépendante, fer de lance d’une justice sans frontière, qui a com-
pétence à l’égard des crimes les plus graves touchant l’ensemble de
la communauté internationale. Parmi ceux-ci, explicitement quali-
fiés de « crimes de guerres », le Statut de la Cour pénale internatio-
nale ( 17), entré en vigueur au 1 er juillet 2002, fait mention du « fait
de procéder à la conscription ou à l’enrôlement d’enfants de moins
de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer
activement à des hostilités » (art. 8), qu’il s’agisse de conflits inter-
nationaux ou internes.
La Convention n o 182, adoptée en 1999 par l’Organisation inter-
nationale du travail, souligne que l’emploi d’enfants soldats consti-

(15) Placée sous le signe de la participation des enfants à la construction d’un


monde meilleur, la session a accueilli pour la première fois, plus de 400 jeunes origi-
naires de 150 pays qui sont intervenus en qualité de membres officiels des déléga-
tions, représentant des gouvernements ou des organisations non gouvernementales.
Voy. La situation des enfants dans le monde 2003, New York, UNICEF, pp. 71-75.
(16) Document Nations Unies A/S-27/19/Rev.1. Voy. également la résolution de
l’Assemblée générale A/RES/S-27/2, du 11 octobre 2002, relative à « Un monde digne
des enfants » (article 8).
(17) A la date du 10 novembre 2003, 92 Etats ont ratifié le Statut de la Cour
pénale internationale.
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tue l’une des pires formes de travail des enfants et interdit le recru-
tement forcé ou obligatoire de jeunes âgés de moins de 18 ans dans
les conflits armés.
Au plan régional, il faut encore souligner les efforts menés ces der-
nières années par l’Afrique, et tout particulièrement l’Afrique de
l’Ouest, pour protéger les enfants affectés par les situations d’hosti-
lités armées. Adoptée en 1990 par la Conférence des chefs d’Etat et
de gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine, la Charte
africaine des droits et du bien-être de l’enfant est le premier traité
régional à interdire le recrutement d’enfants de moins de 18 ans ou
leur participation directe dans les hostilités ( 18). Au mois de
décembre 2001, à Dakar, la Communauté économique des Etats de
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a adopté la Déclaration pour une
décennie (2001-2010) d’une culture des droits de l’enfant en Afrique
de l’Ouest, qui reconnaît explicitement la place centrale de l’enfant
dans les efforts de développement sous-régional.
Plus récemment encore, en avril 2002, les ministres des Affaires
étrangères et de la Défense de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest
se sont réunis à Accra pour adopter la Déclaration et le Plan d’ac-
tion d’Accra sur les enfants affectés par la guerre. Aujourd’hui,
l’une des principales recommandations d’Accra a été réalisée avec la
création du Service de la protection de l’enfance de la CEDEAO,
qui constitue une base solide pour que l’organisation fasse de la pro-
tection des enfants affectés par la guerre l’un de ses chevaux de
bataille. A n’en pas douter, la toute jeune Cour africaine des droits
de l’homme aura également un rôle primordial à jouer dans cette
lutte ( 19).

IV. — Des engagements aux faits :


l’immense défi de l’action concrète

Ce travail normatif est admirable. Et l’unanimité qui se fait


autour de la reconnaissance de l’initiation massive et systématique
des enfants à la violence armée comme une menace potentielle sur
la paix et la sécurité internationales, est louable. Demeure toutefois

(18) Article 22, § 2 de la Charte africaine : « Les Etats parties à la présente Charte
prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’aucun enfant ne prenne direc-
tement part aux hostilités et, en particulier, à ce qu’aucun enfant ne soit enrôlé sous les
drapeaux ».
(19) Il faut saluer l’entrée en vigueur du Protocole portant création d’une Cour
africaine des droits de l’homme et des peuples le 25 janvier 2004.
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le défi — immense — de l’action concrète. Comment passer de


l’adoption de normes à leur application sur le terrain ? Comme le
relève avec pertinence le Secrétaire général des Nations Unies,
Kofi Annan, dans son discours du 7 mai 2002 devant le Conseil
de sécurité, « [t]o accept the use of child soldiers in conflict is to
accept the destruction of our future ». Et d’en conclure que l’utilisa-
tion des enfants comme combattants, aujourd’hui simplement
« regrettable », devrait devenir absolument « intolérable » pour
tous ( 20).
La communauté internationale en général, et l’ONU en particu-
lier, peuvent-elles se donner les moyens d’une telle politique de
tolérance zéro ? Au regard du passé, la réponse à cette question
est loin d’être évidente, tant les avancées concrètes sont minces en
matière de lutte contre l’élimination de cette forme de maltrai-
tance des enfants. Toutefois, au regard de certaines évolutions
récentes, il y a lieu de penser que l’espoir demeure permis. Ainsi
par exemple, la résolution 1379, adoptée par le Conseil de sécurité
le 20 novembre 2001, demande aux Etats de « mettre fin à l’impu-
nité » en poursuivant pénalement les criminels de guerre auteurs
de crimes contre des enfants, « d’exclure autant que possible ces
crimes des mesures d’amnistie et des actes législatifs du même
ordre » (§ 9 a) et « d’envisager les mesures juridiques, politiques,
diplomatiques, financières et matérielles conformes à la Charte des
Nations Unies qui garantiraient que les parties à un conflit armé
respectent les normes internationales de protection des enfants »
(§ 9 b).
En outre, ce même texte prie in fine le Secrétaire général de
l’ONU « d’annexer à son rapport la liste des parties à des conflits
armés qui recrutent ou utilisent des enfants en violation des disposi-
tions internationales qui les protègent » (§ 15). Faisant suite à cette
résolution, ce dernier remettait au Conseil de sécurité, le
26 novembre 2002, un rapport officiel faisant le point sur les progrès
accomplis dans l’application du corpus juridique visant à protéger

(20) « Use of Child Combatants Will Carry Consequences. Secretary-General Tells


Event on Child Soldiers », Document Nations Unies, SG/SM/8226, du 8 mai 2002. Kofi
Annan note que, « [f]or far too long, the use of child soldiers has been seen as merely
regrettable. We are here to ensure it is recognized as intolerable. Even on the battlefield,
there are minimal norms of conduct that must be upheld », ibidem.
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les jeunes des souffrances de la guerre ( 21). Ce rapport est extrême-


ment novateur en ce qu’il met clairement en évidence la distance
qui sépare les normes posées au niveau international de leur respect
effectif sur le terrain, et ce, afin que cette prise de conscience
s’ouvre enfin sur une « phase de mise en œuvre » ( 22). Mais surtout,
il fournit en annexe une liste où sont recensés et explicitement men-
tionnés ceux qui violent les lois de protection des enfants victimes
des guerres. Un tel procédé, en rupture totale avec une certaine
« langue de bois », doit être salué avec d’autant plus de force qu’il
marque une première historique : avant ce texte, aucun rapport
officiel de l’ONU n’avait encore jamais cité nommément les prota-
gonistes à des hostilités se rendant coupables d’exactions contre les
enfants.
Cette liste accusatrice, qui comptabilise et expose à la « honte » 23
acteurs, comprend non seulement des belligérants non-étatiques
(rebelles, groupes insurrectionnels), mais également — fait, là
encore, sans précédent — des forces régulières gouvernementales.
Cinq sites de violence armés sont sur la sellette : l’Afghanistan, le
Burundi, le Libéria, la Somalie et la République démocratique du
Congo, qui à elle seule comptabilise 10 des 23 unités militaires
citées ( 23). Sont également mentionnés d’autres lieux de conflits, où
des informations font état d’utilisation d’enfants soldats : Colombie,
Myanmar, Népal, Philippines, Nord ougandais et Sri Lanka ( 24).
A cette occasion, Kofi Annan a rappelé que le temps était à la
transparence et que l’ère de l’impunité était révolue. Il a par ail-
leurs averti que la liste des 23 « brebis galeuses » n’était que le début

(21) La résolution 1379 (2001) du Conseil de sécurité a pris soin de rappeler quels
sont les principaux instruments juridiques internationaux relatifs à la protection des
enfants dans les conflits armés : « les Conventions de Genève de 1949 et les obliga-
tions dont elles sont assorties en vertu des Protocoles additionnels de 1977 y relatifs,
la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfants de 1989 et le Proto-
cole facultatif y relatif du 25 mai 2000, le Protocole II à la Convention sur l’interdic-
tion ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être consi-
dérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans
discrimination, tel qu’amendé, la Convention n o 182 de l’Organisation internationale
du travail contre les pires formes de travail des enfants, ainsi que la Convention
d’Ottawa sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert
des mines antipersonnel et sur leur destruction ».
(22) Expression utilisée dans le Rapport du Secrétaire général sur les enfants et les
conflits armés, Document Nations Unies, S/2002/1299, du 26 novembre 2002. L’ex-
pression est reprise dans la résolution 1460 (2003), article 1 er.
(23) Rapport du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés, Document
Nations Unies, S/2002/1299, du 26 novembre 2002.
(24) Idem.
Anatole Ayissi et Catherine Maia 351

d’un processus. Parce que nommer publiquement c’est aussi respon-


sabiliser, ce geste, bien que (une fois de plus) totalement éclipsé par
les bruits de bottes de la guerre en Irak, est davantage qu’un simple
avertissement. Diplomatiquement — et même juridiquement —, il
s’agit d’une véritable petite « révolution » au sein des modes d’agir
des Nations Unies.
La dernière édition du rapport du Secrétaire général des Nations
Unies, en date du 10 novembre 2003, s’inscrit résolument dans ce
mouvement. Examiné devant le Conseil de sécurité le 20 janvier
dernier, ce texte inscrit dans la durée l’importance du suivi de la
protection de l’enfance et de la définition des responsabilités. Il
franchit même un pas supplémentaire en incluant en annexe non
seulement une liste actualisée des milices et mouvements armés qui
ont porté atteinte aux droits des enfants lors de conflits armés, mais
également, en fournissant la liste des parties qui recrutent ou utili-
sent des enfants au cours d’hostilités qui ne figurent pas à l’ordre
du jour du Conseil de sécurité.
Ce dernier rapport permet de révéler que le phénomène des
enfants soldats loin de régresser, est en extension. Aux cinq sites de
violence précédemment identifiés, s’ajoute aujourd’hui la Côte
d’Ivoire, autre pays africain, ce qui vient encore assombrir la situa-
tion déjà tragique sur le continent. Alors que 23 factions étaient
répertoriées en 2002, on en dénombre désormais 32, toutes à une
exception près — l’Afghanistan — en Afrique. Le rapport men-
tionne également pas moins de 22 autres parties impliquées dans
l’exploitation d’enfants dans des hostilités armées, qui se répartis-
sent dans neuf régions. En plus des pays cités dans le rapport de
2002, il faut signaler la République de Tchétchénie, l’Irlande du
Nord et le Soudan.
La situation globale dépeinte dans ce nouveau rapport demeure
aussi grave qu’inacceptable. Mais en maintenant le cap d’une dési-
gnation publique de ceux qui exploitent les enfants dans les com-
bats, ce rapport offre à l’opinion mondiale une plus grande visibilité
de la cause des enfants, tout en cristallisant un consensus autour de
l’urgence qu’il y a à mieux les protéger.

Conclusion

Assurément, les enfants ne sont pas encore une priorité suffi-


sante : l’adoption d’instruments internationaux visant à les proté-
ger des ravages de la guerre doit s’accompagner de « mesures
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concrètes (...) lorsque les parties n’ont pas progressé ou ont pro-
gressé insuffisamment » ( 25) dans la voie de cette protection. Néan-
moins, il est heureux de constater que ce n’est certainement pas un
hasard de calendrier si l’accélération perceptible de la détermination
nouvelle de la communauté internationale à lutter contre l’impunité
en matière d’utilisation des enfants comme instruments de violence
armée est concomitante à l’entrée en activité de la Cour pénale
internationale. Il reste à espérer que les efforts de l’ONU permet-
tront d’honorer les promesses de ses résolutions et que ceux qui sont
mis en cause sauront lire les signes des temps ( 26). Car, en définitive,
si l’Humanité ne met pas tout en œuvre pour protéger ses enfants,
quel sens garde encore l’avenir ?

(25) Rapport du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés, Document
Nations Unies, S/2003/1053, du 10 novembre 2003, § 105, g).
(26) Voy. les intéressantes analyses sur cet aspect de la question dans le numéro
spécial de la revue de désarmement de l’Institut des Nations Unies pour la recherche
sur le désarmement (UNIDIR), Disarmament Forum, « Children and Security », n o 3,
2002. On peut aussi utilement visiter le site de l’UNIDIR : www.unidir.org.

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