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Prologue

Kayla Watson pressa le pas, maudissant ses talons


hauts qui l’empêchaient de courir. Pourquoi fallait-il que
l’aéroport de Miami soit immense et que la porte
d’embarquement du vol se trouve justement à l’autre
extrémité du bâtiment ? Si jamais elle manquait son
avion…
Elle ne voulait même pas y penser, son emploi du temps
était déjà suffisamment insensé. Brusquement, son
portable se mit à sonner. Elle l’attrapa, excédée. Oh, non !
Nelson Sigler. Elle n’avait pas la moindre envie de lui
parler. Mais il était son patron et elle était censée répondre
à ses appels.
— Comment s’est passée la séance photo ? demanda
ce dernier, sans préambule.
Kayla l’avait trouvée épuisante. Mais en tant que
directrice des relations publiques du bureau new-yorkais
d e Fragrance, l’entreprise de cosmétiques la plus
innovante du marché, Kayla avait l’habitude de rester
positive. Surtout lors des séances photo, inénarrables
affrontements entre mannequins caractériels et
photographes lunatiques et impatients.
— A merveille, répondit-elle, s’efforçant de prendre un
ton enjoué tout en se frayant un passage au milieu de la
foule. Les photos vont être magnifiques, parfaites pour la
nouvelle campagne publicitaire.
C’était vrai. Mais quels trésors de patience et de
diplomatie il avait fallu déployer pour en arriver là !
— J’en suis ravi. Alicia n’a pas posé de problème ?
— Aucun, rétorqua Kayla avec une moue significative.
La jeune top model avait un visage sublime, mais un
ego démesuré qui la faisait se comporter en véritable diva.
Elle était arrivée en retard pour ses photos et s’était
montrée particulièrement exigeante. Il avait été impossible
de respecter l’horaire et voilà comment Kayla se retrouvait
à présent à slalomer dans cet aéroport pour tenter
d’attraper son vol.
— Vous semblez essoufflée.
— La séance s’est terminée plus tard que prévu et je
me dépêche pour attraper mon vol. Je vous vois demain au
bureau.
Kayla venait juste de raccrocher lorsque le haut-parleur
annonça le dernier appel pour le vol 254 à destination de
New York.
La porte d’embarquement était encore loin et la foule se
faisait de plus en plus dense. Kayla se baissa, ôta
prestement ses talons hauts et se mit à courir. Lorsqu’elle
se présenta à l’embarquement, cinq minutes plus tard,
pieds nus, en nage, et hors d’haleine, l’hôtesse lui
annonça :
— Je suis désolée, vous avez manqué votre vol. Mais je
peux vous inscrire sur le suivant. Il part dans deux heures.
Ravalant sa frustration, Kayla la remercia. Puis, sa
nouvelle carte d’embarquement en main, elle chercha un
siège et s’y laissa tomber. La tête lui tournait à l’idée de
tous les rendez-vous qu’elle allait devoir déplacer à cause
de ce retard. Mon Dieu, tout oublier, avaler un comprimé
pour enrayer la migraine qu’elle sentait poindre, fermer les
yeux et dormir. Si seulement ç’avait été possible !
Elle poussa un soupir et se penchait pour remettre ses
chaussures lorsque son regard tomba sur un numéro de
l’US Weekly abandonné sur le siège voisin. Elle en lut le
gros titre : Stressé ? Mal dans votre peau ? Pour avancer,
changez !
Elle eut un petit rire amer. Entre son travail, les
préparatifs de mariage de sa sœur aînée, la vie chaotique
de sa cadette, sa mère qui ne songeait qu’à la marier et
les relations lamentables qui semblaient être son lot avec
les hommes, stressée et mal dans sa peau reflétaient
parfaitement l’état dans lequel elle se trouvait depuis un an.
Kayla jeta un coup d’œil autour d’elle pour observer les
autres voyageurs. C’étaient, pour l’essentiel, des hommes
d’affaires, l’oreille rivée sur leur portable ou pianotant sur
leur ordinateur, tous enfermés dans leur bulle, étrangers au
monde et aux individus qui les entouraient, le sourcil froncé,
l’air préoccupé. Etait-ce à cela qu’elle ressemblait ? Etait-
elle devenue comme eux ? Elle en avait bien peur,
malheureusement.
Bon, que disait cet article ? Elle saisit le magazine, se
cala contre son dossier et lut. Lorsqu’elle eut terminé, elle
se sentait à la fois épuisée et pleine d’une énergie
nouvelle, résolue à agir. Elle se reconnaissait parfaitement
dans la description qui était faite du malaise et de la
frustration engendrés par le stress. Elle les vivait, elle
aussi, tant sur le plan personnel que professionnel. A croire
que l’article avait été écrit pour elle !
Oui, elle était stressé et oui, encore, elle menait une vie
qui ne la satisfaisait pas. L’article était clair : si elle ne
faisait rien, les choses ne pourraient qu’empirer. Pour
avancer, changez !
Son regard se posa sur les quelques mots griffonnés au
bas de la page, probablement par la personne qui avait
abandonné le magazine. « Cet article a changé ma vie.
J’espère qu’il en sera de même pour vous ».
Kayla referma le magazine et le serra contre sa poitrine.
Elle l’espérait de tout cœur. Elle ne pouvait plus
continuer ainsi.
1.

— Vous voulez que j’aille où et pour faire quoi ?


Kayla fixait Nelson, interdite. Trente secondes plus tôt,
elle aurait juré que son patron était un homme parfaitement
sain d’esprit. Visiblement, il était fou.
Nelson la fixa à son tour, par-dessus ses lunettes.
— Au Pérou. Pour espionner Brett Thornton.
Brett Thornton. Kayla s’efforça de conserver son calme.
Elle détestait cet homme bien qu’elle ne l’ait jamais
rencontré. En l’espace de quatre mois, il était devenu le
cauchemar de son existence. Elle, si à l’aise dans ses
relations avec les médias, les patrons les plus exigeants et
les top models les plus capricieux, elle pouvait laisser un
obscur chercheur lui poser problème ?
— J’ai échoué à mon examen de détective, dit-elle avec
un petit rire. Je ne suis pas la personne qu’il vous faut.
— Vous êtes exactement la personne qu’il me faut,
rétorqua Nelson sur ce ton implacable qu’elle lui
connaissait si bien.
Il était clair qu’il avait pris sa décision et qu’il n’avait pas
l’intention d’en changer.
— Thornton prétend avoir mis au point une formule anti-
âge totalement révolutionnaire, apte à rendre la chirurgie
esthétique obsolète et dotée, en outre, de vertus
aphrodisiaques. Il nous la faut.
— Toutes les entreprises de cosmétiques la veulent.
— Exact. C’est pourquoi je veux être certain que
Fragrance mettra la main dessus dès le départ. Nous nous
sommes fait doubler sur la nouvelle formule de gelée
d’autobronzant, il y a deux ans. Je n’ai pas l’intention de
perdre cette fois.
— Voilà quatre mois que Thornton agite cette carotte
sous le nez de tout le monde et il n’a toujours rien produit.
— Ce qui ne veut pas dire qu’il ne le fera pas.
Kayla eut un petit haussement d’épaules.
— A mon avis, il se délecte de toute l’attention dont il fait
l’objet de la part des firmes cosmétiques, la nôtre y
compris. On l’invite, on le chouchoute, on le courtise. Il boit
du petit lait. Et lorsque le moment viendra de sortir son
supposé produit miracle, il n’aura rien à montrer.
— C’est une possibilité, admit Nelson. Mais il s’agit
peut-être tout simplement de prudence de sa part. Aussi
exaspérant que cela puisse être, je le comprends. Si ce
qu’il avance est vrai, sa découverte va faire l’effet d’une
bombe sur le marché, non seulement en termes de soin de
la peau mais également de sexe. Et vous savez aussi bien
que moi que le sexe fait vendre. Alors, croyez-moi,
Fragrance commercialisera ce produit.
Il n’avait pas eu besoin d’ajouter « ou sinon ». C’était
inutile, Kayla avait compris. De toute façon, elle aussi
souhaitait que Fragrance achète la formule miracle. Si
cette dernière existait, toutefois.
Le problème, c’était l’antipathie qu’elle nourrissait à
l’égard de cet homme. Jusqu’à présent, elle n’avait pas eu
à entrer personnellement en contact avec lui. Son équipe
n’avait pas eu autant de chance. C’était un individu distant,
qui refusait les interviews et ne prenait jamais la peine de
vous rappeler. Et comme si cela ne suffisait pas, Kayla
avait essuyé un camouflet, deux mois plus tôt, ce qui l’avait
définitivement braquée contre lui.
En effet, elle avait passé des semaines à organiser une
soirée exceptionnelle en son honneur afin de le présenter
aux décideurs de Fragrance. Tout ce que New York
comptait de personnes influentes était là également, ainsi
que nombre de célébrités et l’équipe des top models au
grand complet. Et qu’avait fait Brett Thornton ? Il était parti
brusquement, sans un mot d’explication, alors que la soirée
venait à peine de commencer et avant même d’avoir été
présenté à l’équipe de direction, Kayla incluse. Furieuse,
indignée par une telle grossièreté, elle avait dû improviser,
fournir une explication au P.-D.G. et au conseil
d’administration pour justifier de la brusque disparition de
l’invité d’honneur.
A cette seule pensée, Kayla sentit sa colère se raviver.
En ce qui la concernait, Brett Thornton… oh, pardon, le Dr
Thornton, comme il tenait tant à ce qu’on l’appelle, lui
donnait de l’urticaire. Ce n’était qu’un individu arrogant et
imbu de lui-même, cherchant à tout prix à faire parler de lui
dans les médias, mais qui était le premier à s’en plaindre
dès qu’ils devenaient un peu trop « envahissants ».
Exactement le genre de personnage qui l’insupportait.
Nelson poussa une feuille dans sa direction, sur la
surface vitrée de son immense bureau.
— Voici votre feuille de route. Votre vol pour Lima
décolle à 21 heures. Cela vous laisse tout le temps de
rentrer chez vous et…
Kayla l’arrêta d’un geste.
— Un instant. Vous voulez dire 21 heures ce soir ?
Seigneur, elle n’avait même pas eu le temps de défaire
ses valises en rentrant de Miami, la veille !
— Oui, ce soir, confirma Nelson.
— C’est impossible, lança-t-elle, contre-attaquant
aussitôt. Demain, j’assiste au lancement de notre nouvelle
ligne de parfum, Secrets Volés.
— J’ai confié cette tâche à Caroline, rétorqua Nelson,
nommant la responsable de publicité de Kayla. Elle peut
parfaitement assurer vos rendez-vous jusqu’à votre retour.
— Caroline, ou n’importe qui d’autre dans mon
personnel, peut tout aussi bien faire ce voyage à Lima pour
courtiser Thornton.
Nelson secoua la tête.
— Vous ne m’avez pas bien compris. Il ne s’agit pas de
courtiser Thornton. Il s’agit de glaner des informations…
discrètement. Je veux savoir pourquoi il a choisi de se
rendre au Pérou et pas ailleurs.
Cette dernière remarque éveilla la curiosité de Kayla.
— Vous pensez que c’est en rapport avec la formule ?
Elle comporterait un ingrédient secret provenant d’une
plante que l’on ne trouverait que là-bas ?
— Possible. S’il ne s’agissait que de vacances,
pourquoi n’aurait-il pas choisi les Caraïbes ou Hawaii, ou
même l’Europe ? Pourquoi s’est-il rendu au Pérou ?
— Vous avez raison, c’est étrange.
— C’est ce que j’ai pensé. D’autant qu’il a pris toutes
les précautions pour que ce voyage demeure secret.
— Comment en avez-vous eu connaissance ?
Nelson lui décocha un de ses sourires énigmatiques.
— Je ne peux pas vous le dire. Sachez seulement que
je le tiens de source sûre.
— Qui vous dit que Lancôme, Estée Lauder ou nos
autres concurrents ne sont pas en train de faire comme
nous et d’envoyer des espions au Pérou ?
— Je doute que quelqu’un d’autre soit au courant du
voyage de Thornton. C’est par un hasard extraordinaire
que je l’ai découvert. Au pire, effectivement, la concurrence
sera déjà sur place. Dans ce cas, je compte sur vous pour
défendre nos intérêts. Mais je ne le crois pas et je pense
que ce sera pour nous l’occasion rêvée d’en apprendre
davantage. Pas seulement sur la formule et ses propriétés,
mais sur l’homme lui-même. Et tout cela, sans qu’il se
sache surveillé, surtout par quelqu’un de chez Fragrance.
Ce qui exclut automatiquement Caroline. Elle l’a déjà
rencontré.
— Et April ou Ted ? demanda Kayla, nommant deux
autres membres de l’équipe.
— Non. Ted l’a rencontré la semaine dernière. Vous
êtes notre meilleur atout et c’est ce qu’exige cette mission.
Kayla se sentit flattée de voir ses compétences ainsi
reconnues, mais elle ne pouvait s’empêcher de songer à
tout ce qu’elle avait dû sacrifier pour devenir la meilleure.
Une question d’une actualité pour le moins brûlante.
— Merci, dit-elle. Mais April est très compétente et elle
n’a jamais rencontré Thornton.
— Elle a des problèmes de dos.
Kayla fronça les sourcils.
— Je ne vois pas le rapport.
— Le voyage serait trop physique pour elle.
— Physique ?
Le regard de Kayla se fit soupçonneux.
— De quel genre de voyage s’agit-il ? Faire du rafting
sur l’Amazone grouillant d’anacondas ?
Nelson prit un air offensé.
— Bien sûr que non. Je connais votre aversion pour les
serpents.
— Dieu soit loué !
— De plus, il vous faudrait être vaccinée contre la fièvre
jaune pour descendre l’Amazone.
— Que vous soyez au courant de ce détail n’est
vraiment pas fait pour me rassurer.
— Ne vous inquiétez pas. Ce voyage ne présente aucun
danger et il n’y est pas question d’Amazone. Je sais quelle
jeune femme délicate et sophistiquée vous êtes.
— En effet. Et l’occasion me paraît idéale pour souligner
qu’il n’y a aucun mal à cela. Fragrance est une entreprise
de cosmétiques, pas une société de sports de l’extrême,
que je sache.
Nelson sourit.
— Ne vous inquiétez pas…
— Vous l’entendre dire pour la deuxième fois en dix
secondes commence justement à m’inquiéter. De quelle
sorte de voyage s’agit-il, au juste ?
— Vous voulez la bonne ou la mauvaise nouvelle
d’abord ?
— Oh, c’est à ce point.
Kayla ferma un instant les yeux et prit une grande
inspiration.
— La bonne. Je crois qu’il me faut ça.
— L’hôtel dans lequel vous résiderez, à Aguas
Calientes, est somptueux. Vue imprenable, cuisine
gastronomique, service cinq étoiles de bout en bout.
— Et la mauvaise ?
— Il faut quatre jours de randonnée pour atteindre
Aguas Calientes.
Kayla en resta bouche bée.
— Une randonnée ? dit-elle lorsqu’elle eut retrouvé sa
voix.
— Oui, une randonnée. Aguas Calientes est la ville la
plus proche de Machu Picchu, la cité perdue des Incas,
dans les Andes. Ces quatre jours vous conduiront, au
milieu de paysages magnifiques, jusqu’aux ruines
grandioses. Puis, à la fin du voyage, vous vous laisserez
dorloter au Sanctuary Lodge, summum du luxe.
— On croirait entendre parler un tour opérateur.
— Je m’efforce de vous montrer les aspects positifs de
cette mission. Cela dit, le voyage est certainement moins
fatigant que vous ne l’imaginez.
— Ah bon ? Me voilà rassurée. Car figurez-vous qu’une
randonnée de quatre heures me semble déjà un maximum.
Alors, quatre jours… c’est de la folie !
— Vous disposerez d’un guide et de porteurs pour les
tentes et le matériel de cuisine.
— Les tentes et le matériel de cuisine font sans doute
partie des aspects positifs ?
Kayla secoua la tête et reprit :
— Les limousines, les massages et les plages
tropicales inondées de soleil, voilà ce que j’entends par
aspects positifs.
— Tout se passera très bien. Je me souviens de vous
avoir entendue parler de votre expérience chez les scouts.
— Oui. J’avais dix ans. Aujourd’hui, je crains que mon
idée de vivre à la dure ne soit de séjourner dans un hôtel
quatre étoiles au lieu d’un cinq étoiles.
— Vous avez un abonnement dans un club de sport, ce
voyage est tout à fait à votre portée.
— Je ne suis pas inquiète quant à ma forme physique ni
à ma capacité à grimper en montagne. Mais ni le yoga, ni
les cours de fitness, ni la méthode Pilates n’ont jamais
préparé personne à dormir sous la tente, en pleine nature.
— Considérez cela comme l’occasion de faire quelque
chose de nouveau, de sortir du traintrain.
Sortir du traintrain… Kayla marqua un temps d’arrêt, se
souvenant brusquement de l’article qu’elle avait lu la veille.
Pour avancer, changez ! Si elle voulait que sa vie change
de cap, elle devait entreprendre, relever des défis, faire
des choses qu’elle n’avait encore jamais faites. Dans ce
domaine, Nelson avait frappé fort. Quatre jours de
randonnée en terre sauvage, voilà qui tranchait pour le
moins avec ses habitudes ! En matière de changement,
elle aurait plutôt imaginé quelques jours d’escapade dans
un spa, à St Bart, avec soins divers et enveloppements
d’algues face à la mer. Cela non plus, elle ne l’avait jamais
fait.
Mais il fallait reconnaître que se chouchouter ainsi dans
un lieu paradisiaque n’avait rien d’un défi. Etait-ce le destin
qui avait soufflé à Nelson l’idée de ce voyage ? Il n’y allait
pas de main morte, en tout cas. Seule, elle n’aurait jamais
rien entrepris de la sorte. Mais elle commençait à penser
que c’était peut-être ce qu’il lui fallait.
En fait, si le Dr Brett Thornton n’avait pas été mêlé à
l’affaire, tout aurait été parfait. Enfin, parfait… tout était
relatif.
Le moment, en revanche, était mal choisi. Sa sœur Meg
se mariait dans moins d’un mois, et elle allait s’affoler en
apprenant que Kayla serait absente toute une semaine,
précisément le week-end où ses futurs beaux-parents
arrivaient de Californie. Mais à moins de choisir de
démissionner tout de suite de son poste, elle n’avait pas le
choix.
— Ecoutez, Kayla, je sais que ce que je vous demande
ne fait pas vraiment partie de vos attributions, dit soudain
Nelson, l’arrachant à ses réflexions. Mais si Thornton qui,
j’imagine, doit passer son temps l’œil rivé à son
microscope, peut faire cette randonnée, vous aussi.
— Jusqu’ici, vous avez loué mes capacités, flatté ma
vanité et, à présent, vous cherchez à réveiller mon esprit de
compétition.
— Suis-je convaincant ?
Kayla avait envie de répondre que non, de lui dire que
rien n’allait dans sa vie, qu’elle était au bout du rouleau,
physiquement et moralement, lasse de faire des choses
qu’elle n’avait pas envie de faire, comme d’aller crapahuter
en montagne, justement, dans le but d’espionner un
homme avec lequel l’idée de passer ne serait-ce qu’une
minute lui était insupportable. Mais il était clair que Nelson
n’accepterait pas un « non » de sa part et que la
perspective de décrocher un contrat pour ce produit
miracle était tentante. Par ailleurs, approcher ce chercheur
arrogant et taciturne et lui extorquer des renseignements
sans qu’il s’en rende compte, voilà qui lui donnait
l’occasion de se venger de la façon dont il l’avait traitée.
C’était tout ce que Thornton méritait et Kayla s’en
réjouissait d’avance.
Elle sourit soudain.
— Briefez-moi, dit-elle à Nelson.
— Très bien. Vous passerez une journée à Cusco et
vous y dormirez avant de vous mettre en route pour Machu
Picchu. Cela vous donnera peut-être l’occasion d’entrer
déjà en contact avec Thornton. Son hôtel est très proche du
vôtre. Vous trouverez tous les détails sur votre feuille de
route.
Un sourire satisfait effleura les lèvres de Nelson.
— Cette semaine de voyage devrait vous donner
amplement le temps de vous lier d’amitié avec lui, de
découvrir quels sont ses projets concernant sa formule et
de vous assurer, bien sûr, que Fragrance y est associée.
Nelson se leva, signifiant clairement que l’entretien était
terminé.
— Je serai absent du bureau le reste de la journée, dit-
il, se dirigeant vers le hall et les ascenseurs. Je compte sur
vous pour me tenir régulièrement informé. Il n’est pas
certain, cependant, que les portables passent.
Kayla sentit un frisson d’appréhension la parcourir à
l’idée de se retrouver coupée de tout. Peut-être
s’aventurait-elle un peu trop loin de son domaine,
finalement. Mais elle chassa très vite cette pensée, se
répétant mentalement sa nouvelle devise : Pour avancer,
changez !
Parvenu devant l’ascenseur, Nelson pressa le bouton.
— Ramenez-nous la poule aux œufs d’or, Kayla, et
Fragrance saura se montrer généreuse. Nous parlons
d’avantages, de primes et de promotion.
Quelques mois plus tôt, Kayla aurait sauté de joie.
Aujourd’hui, pour des raisons qui lui échappaient et qui
avaient sans aucun doute un lien avec le mal-être qu’elle
ressentait, elle avait envie de répondre que rien de tout
cela ne l’intéressait.
Mais elle n’en fit rien et sourit.
— Vous pouvez compter sur moi, déclara-t-elle.
— Je le savais.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et Nelson monta.
— Oh, n’oubliez pas de prendre des vêtements chauds.
On m’a dit qu’il pouvait faire très froid la nuit.
Les portes se refermèrent et Kayla se retrouva seule,
fixant son reflet dans les portes d’acier, l’air abasourdi.
Ce qui n’avait rien de surprenant. Elle l’était.
Mais s’il fallait en croire l’article de l’US Weekly, ce
voyage était exactement ce qu’il lui fallait et elle avait
depuis longtemps appris que lorsque la vie vous tend une
perche, il faut savoir la saisir.
Dans ce cas, face à ce Thornton dont elle se méfiait
comme de la peste, ce n’était pas une mais plusieurs
perches que la vie allait devoir lui tendre. Ce ne serait
certainement pas de trop !
2.

Assis à la terrasse d’un des nombreux petits cafés de


Cusco, un verre d’eau gazeuse posé devant lui, Brett
Thornton étira ses jambes et inspecta les alentours. Le
calme qui régnait ici était incroyable. Dire que, quelques
heures plus tôt, il se trouvait encore en pleine agitation, à
Manhattan, et qu’à présent il était assis là, à l’endroit
même où les puissants Incas avaient vécu, voici des
siècles.
Son regard se posa sur l’imposante Plaza de Armas ,
point central de la pittoresque cité, autrefois capitale de
l’empire Inca. Baignée dans la lumière éclatante de la fin
d’après-midi, elle fourmillait de touristes et de marchands.
Avec ses arcades colorées, ses balcons de bois sculpté,
c’était un spectacle à ne pas manquer. Les Incas en
avaient édifié les fondations, cinq siècles plus tôt, et elle
semblait encore tout imprégnée de leur présence.
Brett Thornton se cala contre son dossier et but une
gorgée d’eau, la boisson recommandée pour aider à
s’acclimater à l’altitude et, pour la première fois depuis des
mois, il sentit s’apaiser la tension qui l’habitait. S’il avait pu
imaginer le tourbillon de folie qui allait s’emparer de sa vie
après avoir publié les résultats de ses recherches sur sa
molécule anti-âge aux vertus aphrodisiaques, il aurait pris
les précautions nécessaires pour se mettre à l’abri. Il
pensait être l’objet d’attention, mais jamais il n’aurait cru
qu’on allait se déchaîner à ce point autour de lui.
Et pas seulement les firmes cosmétiques. Des
connaissances dont il n’avait plus entendu parler depuis
des années cherchaient brusquement à renouer contact. Il
avait même reçu des appels et des courriers de personnes
prétendant être de lointains parents perdus de vue. Sans
parler de la pléthore d’avocats et de conseillers financiers
lui proposant de représenter ses intérêts, ainsi que les
associations caritatives se livrant à un véritable siège pour
obtenir des dons. Il avait changé deux fois de numéro de
téléphone mais on finissait toujours par le retrouver et les
messages arrivaient par centaines dans sa boîte mail.
Il savait, à présent, ce que devaient ressentir les
personnes qui gagnaient de fortes sommes au jeu. Elles se
retrouvaient, du jour au lendemain, assaillies, harcelées par
tous ceux qui voulaient une part du gâteau. Dans son cas,
une part de sa « formule ».
La formule ! Il en avait trouvé les composants de base
par hasard, dans son laboratoire. Sa curiosité de
chercheur l’avait ensuite poussé à l’affiner. A l’issue de
trois ans de recherche et d’expérimentation, il la savait
prête, maintenant. Il lui avait suffi de publier un article dans
une revue scientifique et la nouvelle s’était répandue, telle
une traînée de poudre. Depuis, sa vie n’avait plus été la
même.
Le point positif, c’était que si sa formule se révélait un
succès et était commercialisée, il serait définitivement à
l’abri financièrement. Une bénédiction pour lui qui habitait
un petit appartement dans une zone très modeste de
Manhattan avec, en outre, un prêt à finir de rembourser. Ce
serait formidable, également, de pouvoir donner un coup
de main à ses parents et de leur offrir les vacances dont ils
avaient toujours rêvé.
Le revers de la médaille, en revanche, c’était qu’à
l’exception de sa famille et de quelques amis très proches,
il ne savait plus à qui faire confiance. Les offres affluaient
de toutes parts – or, il était chercheur, pas homme
d’affaires. Il ne connaissait rien à la négociation d’un
contrat, à ses subtilités, aux pièges à éviter. Il avait besoin
des conseils d’un expert et depuis quelques mois, il
s’efforçait de trouver les personnes de qualité dont
s’entourer. C’est ainsi qu’il avait découvert que le monde
pullulait d’individus cupides, et que nombre d’entre eux,
malheureusement, possédaient ses coordonnées.
Le plus surprenant et le plus douloureux, dans l’affaire,
c’était que sa petite amie, Lynda, appartenait elle aussi à
cette catégorie. Comment, alors qu’ils sortaient ensemble
depuis un an, ne s’était-il pas rendu compte de sa véritable
nature ? Ils semblaient tellement faits l’un pour l’autre et ils
s’accordaient si bien sur le plan scientifique. Leur relation
manquait peut-être un peu de passion sur le plan physique,
mais celle qu’ils partageaient pour la science était si
intense, si enthousiasmante, qu’elle comblait largement ce
manque. Du moins, le croyait-il.
Il s’était rendu compte de son erreur, deux mois plus tôt,
lors d’une soirée donnée en son honneur par l’entreprise
de cosmétiques Fragrance lorsqu’il avait trouvé Lynda
dans les bras d’un jeune top model qu’elle gratifiait
d’attentions pour le moins osées. Il avait aussitôt quitté les
lieux. La politique agressive de Fragrance, destinée à
s’attirer ses bonnes grâces, lui avait déplu. Et les frasques
de sa petite amie avec l’un des top models n’avaient pas
contribué, loin s’en fallait, à lui rendre l’entreprise
sympathique.
Brett vida son verre d’eau d’un trait, regrettant que ce ne
soit pas une bière. Si seulement il existait une formule qui
puisse effacer à tout jamais de son esprit les images de
cette soirée ! Non pas qu’il ait eu le cœur brisé. Non. Il
avait été choqué et très vexé. Vexé que Lynda l’ait trompé
et, surtout, vexé de n’avoir rien vu venir.
Dire qu’elle avait craqué pour un top model, rien que
ça ! Le type d’homme dont il n’aurait jamais imaginé que la
très sérieuse Dr Lynda Maxwell puisse s’enticher.
Pourtant, elle avait été séduite et d’une belle manière.
De cette expérience douloureuse, il avait déduit que sortir
avec une collègue de travail n’était pas une bonne idée,
surtout une fois l’idylle terminée. Il avait appris, au sein de
Scientific Industries, le laboratoire pour lequel ils
travaillaient tous les deux, que Lynda et son bellâtre
s’étaient envolés pour une escapade dans une île très
branchée des Caraïbes. D’après ce que disait Lynda pour
expliquer cette toquade, à l’instant où elle avait posé les
yeux sur cet homme, elle s’était sentie comme propulsée
par un réacteur nucléaire. Une explication totalement
ridicule et qui n’avait absolument rien de scientifique.
Bref, entre cette histoire et la pression constante dont il
faisait l’objet, Brett en avait eu assez. Il avait besoin de
paix, de calme. Besoin de s’éloigner de toute cette
agitation qui avait fini par l’empêcher de se concentrer sur
son travail. Il rêvait d’un lieu où personne ne le connaîtrait,
où il pourrait faire le vide, se ressourcer, corps et âme, se
laver de toute cette folie qui avait envahi sa vie. Un lieu où il
pourrait retrouver la paix intérieure. Un lieu simple et sans
artifice, empreint d’histoire, de culture et de mythes. Un
retour en arrière dans le temps.
Aussitôt, une destination s’était imposée à lui comme
une évidence. Se rendre à Cusco et entreprendre une
randonnée qui le conduirait jusqu’à Machu Picchu. Il en
rêvait depuis des années, depuis qu’il avait étudié la
civilisation inca au lycée. Le peuple inca, son organisation
sociale et sa culture l’avaient toujours fasciné.
Malheureusement, les années d’université, la vie, ne lui
avaient pas permis de faire ce voyage, mais le désir était
resté présent dans son esprit.
Aujourd’hui, rien n’aurait pu l’arrêter. Ce n’était plus
simplement une question d’avoir envie de faire ce voyage,
Brett en avait besoin. Après ce temps de pause, de
réflexion, il serait prêt à prendre en main l’avenir de sa
découverte une fois de retour à New York.
Il termina sa bouteille d’eau et cherchait du regard le
garçon afin d’en commander une seconde lorsque son
attention fut attirée par une jeune femme qui traversait la
place. Des lunettes noires et un chapeau de paille à large
bord dissimulaient en grande partie son visage. Mais ce
qui captiva son regard, ce fut la grâce inouïe avec laquelle
elle se mouvait, ce léger balancement de tout son corps,
souple comme une liane, et sa longue jupe frôlant ses
chevilles, devenue presque transparente dans la lumière du
soleil qui baignait la place.
Eh bien, quelle apparition !
Il se redressa, fasciné par la façon dont le tissu léger
moulait la courbe envoûtante de ses hanches, le galbe de
ses cuisses, ses jambes interminables. Il se sentit la
bouche sèche brusquement, se surprenant à fantasmer sur
ce que la jeune femme portait dessous. A chacun de ses
pas, il sentait sa température grimper d’un cran. Son
regard remonta brusquement. Elle portait un débardeur
turquoise, légèrement irisé, qui mettait en valeur ses jolies
épaules et ses bras harmonieusement musclés, et laissait
entrevoir la naissance de sa gorge. En venant ici, pas un
instant Brett n’avait eu les femmes à l’esprit. Bien au
contraire. Il ne songeait qu’à fuir celles qui ne cessaient de
lui tourner autour, attirées par sa réussite.
Mais un seul regard à cette inconnue au jupon
transparent avait suffi à ramener la gent féminine au
premier rang de ses préoccupations. Et à lui rappeler, du
même coup, qu’il n’était plus sorti avec personne depuis
Lynda.
En une seconde, la belle inconnue venait de lui donner
envie d’oublier sa solitude et avec une intensité qui le
prenait totalement au dépourvu. La dernière fois qu’il avait
été à ce point subjugué par une femme, physiquement
s’entend, c’était… jamais. Cela ne lui était jamais arrivé.
Il plongeait la main dans sa poche, prêt à jeter quelques
pièces sur la table pour régler sa consommation et la
suivre, lorsqu’il se rendit compte qu’elle se dirigeait tout
droit vers le café où il était assis. Il se cala donc contre son
dossier, faussement nonchalant, et l’observa derrière ses
lunettes de soleil tandis qu’elle s’installait à quelques tables
de lui. Aussitôt, elle plongea la main dans son sac et en
sortit un magazine qu’elle ouvrit promptement et se mit à
lire.
Il jeta un vague coup d’œil au titre. L’ US Weekly
Revi ew, son magazine préféré, le seul qu’il lisait
régulièrement en dehors des publications scientifiques. Il le
remarqua d’autant plus que ce numéro contenait un article
très intéressant sur le stress et la recherche d’un nouvel
équilibre. La phrase clé de l’article lui revint brusquement à
la mémoire : Pour avancer, changez ! Un conseil qui lui
était allé droit au cœur et l’avait poussé à entreprendre ce
voyage.
A cet instant, le serveur s’approcha et l’inconnue baissa
son magazine. A cause du chapeau et des lunettes, Brett
ne vit que son sourire. Un sourire éblouissant. Lorsqu’elle
commanda une bouteille d’eau, il sut à son accent qu’elle
était américaine.
Américaine et certainement accompagnée, songea-t-il.
De son mari, sans doute. Il jeta un coup d’œil à sa main
gauche. Elle ne portait pas d’alliance. De son petit ami,
alors. Probablement un baraqué, ceinture noire de judo, qui
n’allait pas tarder à apparaître.
C’est à cet instant précis qu’elle le regarda. C’est ce
qu’il crut, tout du moins. Difficile à dire avec ces
incroyables lunettes noires qui lui mangeaient le visage. Et
elle sourit.
Au cas où le petit ami ceinture noire serait dans les
parages, Brett jeta un coup d’œil à droite, à gauche, par-
dessus son épaule. Personne. Pas de doute, le sourire lui
était destiné. C’était très agréable, mais surprenant,
néanmoins.
Bien qu’il ne soit jamais resté très longtemps sans
relation féminine dans sa vie, il ne s’était jamais considéré
comme un séducteur. L’expérience prouvait que les
femmes ne trouvaient pas forcément sexy sa blouse et ses
lunettes. Récemment, lors des nombreuses soirées
organisées en son honneur, il avait vu les mannequins les
plus séduisants se jeter littéralement à son cou. Mais il
savait ce qu’il en était. Habituellement, les femmes ne se
jetaient pas sur lui dans les soirées.
Peut-être parce que tu ne vas jamais dans les soirées,
lui souffla sa petite voix intérieure. On se dispute ton
attention lorsque tu y vas.
Son attention. Sa formule, oui. Il ne se faisait aucune
illusion.
Mais cette jeune femme, assise là, ignorait tout de ses
recherches. Ce sourire était pour lui et lui seul et c’était
formidable.
Il lui sourit en retour.
— Vous parlez anglais ? demanda-t-elle.
Elle avait une voix douce, légèrement rauque, comme si
elle venait juste de se réveiller. Il l’imagina soudain, nue
dans des draps froissés, et une onde de chaleur l’envahit.
— Uniquement lorsque je veux me faire comprendre.
Elle rit. Un rire sensuel et troublant qui s’insinua en lui,
titilla tout son être.
— Je me doutais que vous étiez américain.
— Pour quelle raison ?
— Votre chemise.
Il jeta un coup d’œil à la chemisette imprimée qu’il
portait, ouverte, par-dessus son T-shirt.
— Elle me donne à ce point l’air d’un touriste
américain ?
— Absolument. Mais je n’ai rien contre les chemises
hawaiiennes ni les touristes américains. A votre accent,
j’imagine que vous venez de la côte Est.
— Gagné. New York.
Son sourire s’épanouit. Elle se pencha, s’accouda à la
table.
— Incroyable. J’habite Manhattan.
— Le monde est petit. Moi aussi. Lower West Side.
— Upper East Side.
Il s’en serait douté. Tout en elle respirait la distinction et
le luxe de ce quartier huppé. Du sourire éclatant au corps
bronzé et tonique en passant par les lunettes, le chapeau et
les sandales très tendance portant, à n’en pas douter, le
logo d’un créateur. Exactement le genre de femme qui ne
cessait de lui tourner autour, en ce moment, et qu’il
s’efforçait d’éviter.
Pourtant, alors même qu’il se disait cela, il ne put
s’empêcher de demander :
— Qu’est-ce qui vous amène à Cusco ?
Elle eut un petit rire.
— Vous allez penser que je suis folle, mais je suis ici à
cause d’un article que j’ai lu dans ce magazine.
Elle brandit l’exemplaire de l’US Weekly Review.
— Il parle de redéfinir un nouvel équilibre dans sa vie.
Brett haussa les sourcils.
— Pour avancer, changez !
— Exactement. Vous l’avez lu ?
D’accord, songea Brett. Il n’avait peut-être pas besoin
de compagnie féminine en ce moment, mais comment
rester indifférent à une femme qui non seulement était très
attirante mais avait, de plus, des préoccupations si
proches des siennes ?
— Me croirez-vous si je vous dis que c’est en partie
pour cette raison que je suis ici ?
— Si cet article a réussi à me faire venir dans les Andes
pour grimper jusqu’à Machu Picchu, ce qui est tellement à
l’opposé de mes habitudes que c’en est risible, oui, je vous
crois. Vous avez raison, le monde est petit.
Avant que Brett ait eu le temps de répondre, le garçon
apparut, lui apportant sa bouteille d’eau. Brett saisit
l’occasion pour en commander une deuxième.
Dès que le serveur se fut éloigné, il observa Kayla. Elle
lui plaisait beaucoup. Si son allure et son chic la classaient
dans les femmes qu’il considérait comme n’étant pas pour
lui, son charme, en revanche, lui donnait envie de la
connaître. Et s’il fallait en croire la brusque émotion qui
assaillait son entrejambe, il en avait une envie folle.
— Voulez-vous vous joindre à moi ? demanda-t-il.
Elle hésita quelques secondes, puis se décida.
— D’accord. Pourquoi se parler de loin, après tout ?
Elle se leva, saisit son magazine, son sac et sa bouteille
d’eau et se glissa avec grâce entre les tables. Le regard
dissimulé derrière ses lunettes de soleil, Brett la suivit,
silhouette souple, si féminine, des épaules déliées
jusqu’aux pieds ornés de sandales aux lanières décorées
de petites pierres multicolores et il sentit son corps réagir
avec une vigueur redoublée. Pas de doute, sans le
moindre effort, cette femme avait allumé le feu en lui.
Elle s’installa à sa table, posa ses affaires.
— Merci pour l’invitation, dit-elle en lui souriant, attirant
son attention sur ses lèvres pleines, sensuelles, si
désirables avec cette petite touche de gloss qui les faisait
briller.
Elle lui tendit la main.
— Kayla Watson. New-Yorkaise stressée, à la
recherche d’un nouvel équilibre.
Il la serra, surpris par la fermeté de ses doigts,
l’incroyable douceur de sa peau.
— Enchanté de faire votre connaissance, Kayla, dit-il,
retenant sa main un peu plus longtemps que nécessaire.
Brett Thornton, New-Yorkais stressé, également à la
recherche d’un nouvel équilibre.
Il inspira soudain, titillé par son parfum délicieusement
troublant.
— Hum, vanille et une pointe d’agrumes.
Il inspira de nouveau.
— Et une note florale, il me semble.
Il la sentit surprise.
— C’est du gardénia, dit-elle. Seriez-vous testeur en
parfums ?
— Non. J’ai un odorat assez développé, c’est tout.
Notamment en présence de jolies femmes au sourire
éblouissant et dont le parfum évoque irrésistiblement les
nuits tropicales aux senteurs enivrantes.
Soudain, il eut envie qu’elle ôte ses lunettes, envie de
voir son visage, de savoir si le reste de sa personne était
aussi troublant que son sourire.
Et sa jupe transparente.
— Merci pour le compliment. Mais si vous ne travaillez
pas dans les parfums, puis-je savoir ce que vous faites
dans la vie ?
Brett se cala contre son dossier. Une délicieuse
sensation de détente l’envahit soudain. C’était si bon de se
trouver en compagnie de quelqu’un qui n’attendait rien de
lui.
— Devinez.
Le garçon réapparut, lui apportant sa bouteille d’eau.
— Tueur à gages ? dit Kayla dès qu’il se fut éloigné.
— Ai-je l’air d’un meurtrier ?
— Non, mais autant être sûre si nous devons partager la
même table.
— Rassurez-vous, je ne fais rien de tel.
— Chef dans un grand restaurant ? Il faut du nez en
cuisine.
— Je sais tout juste faire cuire un œuf.
Brett sentit qu’elle l’observait.
— Artiste ? Vos mains ont l’air fermes, agiles.
Agiles… Son corps s’embrasa aussitôt à l’idée de lui
montrer combien elles pouvaient l’être.
— Non, je dessine très mal.
— Œnologue ?
— Non plus, mais ce doit être un métier passionnant. A
qui dois-je envoyer mon CV ?
Elle rit.
— Barman ?
— Pourquoi ? Ils sont réputés avoir de l’odorat ?
— Non, parce qu’il est facile de vous parler.
— Merci, mais étant la seule personne présente à cette
terrasse, je ne suis pas certain que ce soit un compliment.
— C’en était un dans ma bouche.
— Je parie que vous dites cela à tous les New-Yorkais
stressés que vous rencontrez à Cusco.
— Gagné ! Quelle perspicacité !
Elle tapota son menton du bout de l’index, en pleine
réflexion.
— Vous donnez votre langue au chat ? demanda Brett,
provocateur.
— Pas si vite. Votre goût immodéré pour la chemise
hawaiienne élimine d’office toute carrière dans la mode.
— Sachez, pour votre gouverne, que je l’ai achetée sur
Madison Avenue.
— Je la trouve très jolie, mais je pense que, chez
nombre de créateurs, on ne serait probablement pas de
mon avis. Bon, voyons… Vous avez l’air en bonne forme
physique. Charpentier ?
— Non.
— Garde forestier ?
— Non.
— Banquier ? Avocat ? Agent immobilier ?
Mécanicien ?
Brett secoua la tête et rit devant cette avalanche de
propositions.
— Non, rien de tout cela.
— Je déclare officiellement forfait.
— Je vous aurais crue plus tenace. Vous abandonnez
aussi facilement la partie ?
Kayla leva le menton d’un air de défi.
— Il y a une différence entre abandonner la partie et
savoir à quel moment stratégique jeter l’éponge.
— Très bien. Dans ce cas, je vous aide. Je suis
scientifique. Dans mon métier, l’odorat est primordial pour
identifier les substances, les différents composants
chimiques. Cela dit, il s’agit rarement de vanille ou de
gardénia.
— Vous êtes le premier scientifique que je rencontre.
— C’est parce que nos laboratoires nous laissent
rarement sortir.
— Et que fait un scientifique, au juste ?
— Essentiellement de la recherche. Mais j’enseigne,
également.
— J’avoue que je n’aurais jamais deviné. L’image que
j’ai du scientifique, ce sont des cheveux hirsutes et un
regard halluciné derrière de grosses lunettes.
— Ça, ce sont les savants fous, ceux qui raflent tous les
rôles à Hollywood.
Brett poussa un soupir faussement désespéré.
— Ceux qui sont relativement sains d’esprit, comme
moi, n’ont aucune chance.
— Hum… qui sait si une lueur de folie ne se cache pas
derrière vos lunettes noires ?
Pas de folie, songea Brett, mais de désir intense, il en
était sûr. Il n’aurait su dire si cela était dû à la sensation
enivrante d’avoir quitté New York, à l’altitude, à la magie
qui planait sur cette cité antique, au parfum et au rire de
cette jeune femme assise en face de lui, mais pour la
première fois depuis très longtemps, il se sentait léger,
libre, détendu. Et follement attiré par la belle inconnue dont
le visage demeurait dissimulé.
— Il n’y a qu’un moyen de savoir si mes lunettes
dissimulent quelque chose, dit-il d’une voix douce.
Il posa ses coudes sur la table et se pencha vers Kayla.
— Otez-les.
3.

Kayla ne bougea pas, comme paralysée par cette


invitation inattendue. Brett Thornton ne cessait de la
surprendre.
Il ne correspondait pas du tout à l’homme qu’elle avait
imaginé. D’après les interviews publiées dans la presse,
elle s’attendait à rencontrer un individu sévère, guindé,
imbu de lui-même. Elle découvrait un homme chaleureux,
drôle, amical et infiniment plus séduisant que ne le
laissaient supposer les quelques photos qu’elle avait pu
apercevoir.
Il possédait un très beau sourire, un visage aux traits
fermes, virils, et un physique qui semblait plutôt athlétique
sous le T-shirt et la chemise hawaiienne. Bras musclés,
épaules larges, cheveux bruns un peu ébouriffés qui
donnaient irrésistiblement envie d’y enfouir les doigts… En
fait, lorsqu’elle l’avait vu, elle avait pensé s’être trompée.
Puis il s’était présenté, dissipant le doute. Il s’agissait bien
de la personne qu’elle cherchait.
A présent, face à l’opportunité qui lui était donnée de
découvrir le personnage, elle se sentait à la fois pleine de
curiosité et étrangement nerveuse. Pas un instant, elle
n’avait envisagé que l’homme qu’elle était censée
espionner et dont elle voulait se venger puisse être, en
aucune manière, agréable ou attirant.
Elle prit une profonde inspiration, saisit ses lunettes, les
fit glisser doucement et plongea dans le regard brun le plus
fascinant qu’elle ait jamais vu.
Un ambre profond, pailleté d’or, qui captura aussitôt son
regard, sembla l’aspirer tels des sables mouvants. Cet
homme extrêmement séduisant n’était décidément pas
celui qu’elle s’attendait à voir.
L’intelligence, l’humour brillaient dans ses yeux. Et le
désir, aussi. Un désir intense qui fit courir une onde de
chaleur dans son corps. Pendant quelques secondes, elle
le fixa, comme hypnotisée, détaillant tout de lui, le grain de
sa peau, cette ombre de barbe naissante sur ses joues,
ses lèvres au contour ferme, si sensuelles, si désirables…
Se pouvait-il qu’un chercheur, reclus dans son laboratoire
et qui devait passer le plus clair de son temps l’œil rivé au
microscope, embrasse aussi bien que le laissait supposer
sa bouche si attirante ?
— Alors ? demanda-t-il, l’arrachant à ses réflexions.
Mon Dieu, mais que lui arrivait-il ? Elle perdait la tête. Il
était grand temps qu’elle se souvienne qu’elle n’aimait pas
cet homme et qu’elle se trouvait ici en mission et non pour
découvrir s’il embrassait bien.
— Alors, quoi ? demanda-t-elle, ayant totalement perdu
le fil de la conversation.
— Voyez-vous une quelconque lueur de folie ?
— De folie ? Non. Mais une lueur… peut-être.
Un sourire effleura lentement les lèvres de Brett
Thornton.
— Elle ne s’y trouvait pas avant votre arrivée, j’en suis
certain.
Bon sang. Cet homme et ses yeux bruns étaient
redoutables.
— Je parie que vous dites cela à toutes les New-
Yorkaises stressées que vous rencontrez à Cusco, dit-elle,
reprenant ses paroles sur un ton qu’elle voulait léger.
Le regard de Brett glissa jusqu’à ses lèvres.
— Non, absolument pas.
Kayla n’était pas tombée de la dernière pluie. Sa
première réaction fut de penser qu’il lui racontait des
histoires. Mais quelque chose dans sa voix, dans la façon
dont il la regardait, comme s’il était lui-même surpris par ce
qu’il venait de dire, lui fit écarter cette hypothèse.
Il se passait quelque chose entre eux, elle le sentait.
Quelque chose d’électrique et de très excitant. Sans doute
l’altitude affectait-elle ses capacités de raisonnement. Mais
après tout, si cet homme était attiré par elle, tant mieux.
Cela ne rendrait sa mission que plus facile.
A cette pensée, Kayla se sentit aussitôt prise de
remords. L’idée de soutirer des informations au très
déplaisant Dr Thornton ne lui posait aucun problème, mais
tenter de les obtenir du séduisant Brett lui apparaissait
soudain totalement malhonnête.
Il te fait bonne impression et, déjà, tu changes d’avis à
son sujet ? Bravo ! lui souffla sa petite voix intérieure.
C’était vrai. Hier encore… non, il y avait seulement
quelques minutes, elle pensait que le Dr Thornton, prêt à
faire se battre les firmes cosmétiques pour un produit qui
n’existait peut-être pas, n’était vraisemblablement qu’un
imposteur. Il était temps qu’elle redevienne un peu
cohérente.
La belle affaire qu’il soit séduisant ! Qu’il ait un sourire à
tomber à la renverse et des yeux fascinants ? Des hommes
plus beaux, plus séduisants que lui, elle en côtoyait tous les
jours chez Fragrance. Certes, le monde des top models
n’était pas sa tasse de thé.
Tout de même… il y avait chez Brett Thornton quelque
chose qui la troublait, qui l’excitait, quelque chose qu’elle
n’avait plus ressenti depuis longtemps et, surtout, jamais
avec une telle intensité face à un homme qu’elle venait
juste de rencontrer. Au point d’en oublier qui il était et ce
qu’elle venait faire au Pérou.
A croire que c’était l’un de ces rares et précieux
moments inscrits dans le destin et qu’ils étaient faits pour
se rencontrer ici, dans cette ville inconnue. Kayla rejeta
aussitôt cette idée. C’était ridicule. Mais son corps disait
tout le contraire. Et le fait que ce voyage leur ait été inspiré
par le même article ajoutait à son trouble.
— M’accorderiez-vous la même faveur ? demanda
soudain Brett, l’arrachant à ses pensées. Me laisseriez-
vous ôter vos lunettes ? Je suis curieux de voir si une lueur
brille dans vos yeux.
Kayla aurait pu lui répondre que oui. Elle la sentait,
intense, brûlant sa rétine. Et elle avait envie de savoir ce
qui se passerait lorsque leurs regards se rencontreraient,
envie de savoir si cet instant qu’ils vivaient était
exceptionnel. Peut-être se trompait-elle complètement au
sujet de cet homme. Il n’y avait qu’un moyen de le savoir.
Elle se pencha, s’accouda à la table.
— Je vous en prie, dit-elle. Faites.
Il se pencha à son tour, saisit ses lunettes et les fit
glisser. Ses doigts effleurèrent ses tempes et il lui fallut
toute sa volonté pour ne pas bouger, ne pas s’abandonner
à la douceur de cette caresse. Le bord de son chapeau la
protégea contre le brusque assaut de la lumière. Elle cligna
des yeux, puis son regard plongea dans le sien et elle
demeura le souffle coupé, à le fixer, totalement
bouleversée. Certes, l’air était rare à cette altitude, mais ce
qui se passait était absurde.
— Waouh, murmura Brett. Je vous imaginais jolie
mais… waouh.
Il s’éclaircit la voix.
— Au cas où vous l’ignoreriez, « waouh » est un terme
hautement scientifique qui signifie « vous êtes superbe ».
Kayla sentit son cœur s’emballer de façon totalement
ridicule.
— Merci.
— Vos yeux ont la couleur exacte du cuivre
incandescent.
— Mais, j’ai… les yeux verts.
— Précisément. Lorsqu’on brûle du cuivre, il s’en
dégage une lueur verte magnifique.
Un sourire un peu gêné effleura les lèvres de Brett.
— Tout cela, ce sont des histoires de laboratoire, mais,
croyez-moi, c’est un compliment.
— Dans ce cas, merci.
Il lui tendit ses lunettes et leurs doigts s’effleurèrent.
Kayla sentit comme une décharge électrique parcourir son
bras. Elle s’écarta, saisit prestement son verre d’eau. Il
fallait qu’elle résiste à l’envie de toucher de nouveau Brett,
de vérifier si le phénomène se reproduirait.
— Et vous, dit-elle très vite, quel métier pensez-vous
que j’exerce ?
— Magicienne, répondit-il sans hésiter.
— Qu’est-ce qui vous…
Il tendit la main, effleura la sienne du bout des doigts.
— Vous m’avez jeté un sort.
Kayla sentit un frisson délicieux parcourir son corps.
Ainsi, lui aussi ressentait le même trouble, lui aussi était
conscient que quelque chose se passait entre eux.
— Non, je ne suis pas magicienne, dit-elle.
— Mannequin ?
— C’est l’un de vos fantasmes ?
— Non, mais vous êtes suffisamment belle pour l’être.
— Vous montrez-vous toujours aussi flatteur ?
— Pas du tout. En fait, je suis très mauvais à ce jeu-là.
Vous avez bien vu, tout à l’heure, comparer vos yeux à du
cuivre incandescent… Vous l’avez déjà oublié ?
— Non. J’ai trouvé le compliment très original.
— Vraiment ?
Son doigt effleura une dernière fois la main de Kayla.
Puis il s’écarta, se cala contre son dossier.
Kayla avait envie de tendre la main et qu’il la caresse de
nouveau.
— Au sujet de votre profession…, commença-t-il. Vous
êtes agréable, vous parlez volontiers. Je vous verrais bien
dans la vente ou le marketing.
Elle rit.
— Vous passez sans problème de mannequin au
marketing.
— Dans une démarche très scientifique. Présentatrice à
la télévision, peut-être ?
— Vous étiez plus près avec le marketing. Je travaille
dans les relations publiques.
Il hocha la tête.
— J’aurais dû y penser. Et quelles relations entretenez-
vous avec le public ?
Pas celles que je rêve de partager avec vous en cet
instant, songea soudain Kayla.
Elle se reprit aussitôt.
— C’est un métier éprouvant. Certains clients sont d’un
abord facile, d’autres demandent plus de doigté.
— Je suis certain que vous réussissez fort bien.
— Oui, dit-elle sans fausse modestie. Mais
dernièrement…
Elle se tut, les sourcils froncés. Pourquoi avait-elle dit
cela ?
— Que s’est-il passé, dernièrement ?
Kayla eut un petit haussement d’épaules. Elle ne se
sentait pas prête à discuter de sentiments qu’elle avait
encore du mal à appréhender ni à rompre l’humeur badine
de leur conversation.
— Ces derniers temps, j’ai ressenti le besoin de
changement, ce qui explique ma présence ici.
Brett leva sa bouteille pour porter un toast.
— A votre présence ici, alors.
Elle trinqua avec lui et l’observa tandis qu’il buvait, sa
main ferme enveloppant la bouteille, les muscles de son
cou bougeant à chaque gorgée. Seigneur, il était séduisant
même dans les gestes les plus simples.
Lorsqu’il reposa sa bouteille, leurs regards se croisèrent
et elle se sentit de nouveau bouleversée par la force, le
magnétisme de ses yeux bruns.
— Quelle randonnée avez-vous choisie ? demanda-t-il.
— La Piste des Incas. Départ demain matin à 8 heures.
Je ne sais pas encore ce qui l’emporte, dit-elle avec un
petit sourire, l’excitation ou la nervosité.
— Connaissez-vous le nom de votre guide ?
— Je peux le trouver facilement.
Kayla sortit de son sac la pochette dans laquelle se
trouvaient ses documents de voyage et elle jeta un coup
d’œil à sa feuille de route.
— Paolo Trucero, annonça-t-elle. J’espère qu’il a de
l’expérience.
— D’après mon agence de voyages, oui. Et c’est tant
mieux. J’ai choisi la même randonnée que vous.
Kayla feignit la surprise et sentit soudain son cou, son
visage s’empourprer. Elle savait pertinemment qu’ils
étaient inscrits dans la même randonnée. Mon Dieu, si
seulement elle avait pu se réfugier derrière ses lunettes, se
soustraire au regard admiratif de Brett. Elle détestait
mentir.
Et se venger ? Où était passé son désir de vengeance ?
Elle n’aurait su le dire. En tout cas, la vengeance ne faisait
pas partie des sentiments troublants que lui inspirait cet
homme.
Allait-il deviner la vérité ? Elle l’aurait presque souhaité
pour mettre fin à cette mission qui lui paraissait de plus en
plus insensée à mesure que passaient les minutes. Mais il
n’avait pas l’air de soupçonner quoi que ce soit. Bien au
contraire. Il la regardait avec l’air émerveillé d’un homme à
qui l’on vient de faire un cadeau et elle se sentit encore
plus mal à l’aise.
— Il semble donc que nous soyons appelés à passer les
quatre jours à venir ensemble, dit-elle, s’efforçant de
sourire.
— C’est une excellente nouvelle. Auriez-vous faim, par
hasard, envie de quelque chose ?
Une image surgit soudain dans l’esprit de Kayla. Ils
étaient nus, haletants, corps enlacés, moites. Elle avait
noué les jambes autour de sa taille tandis qu’il la prenait,
plongeait en elle avec fougue. Une onde de chaleur assaillit
son ventre, ses reins.
— Je meurs de faim, parvint-elle à articuler, la gorge
sèche.
— On m’a recommandé un restaurant sur la place. On y
sert des plats locaux et des pizzas. Il est excellent, paraît-il.
Cela vous dit de vous joindre à moi ?
Se joindre à lui… Une nouvelle image surgit dans
l’esprit de Kayla. Elle le rejoignait dans la douche, se
glissait sous l’eau chaude et fermait les yeux tandis qu’il
l’attirait contre lui et que ses mains…
Elle cilla, revenant brusquement à la réalité. Elle
commençait à comprendre pourquoi l’on recommandait
aux voyageurs de s’accorder au moins une journée pour
s’habituer à l’altitude. Visiblement, la raréfaction de l’air la
rendait incapable de songer à autre chose qu’au sexe. Ou
peut-être était-ce parce que, pour la première fois depuis
très longtemps, elle se sentait libre. N’ayant à s’occuper de
personne d’autre qu’elle, aucun drame familial à gérer. Il y
avait cette mission, bien sûr, mais passer du temps avec
Brett Thornton n’était-il pas, précisément, ce qu’elle était
censée faire ?
Cet homme l’intriguait et son instinct, qui s’était toujours
révélé très fiable, lui disait qu’il était digne de confiance,
pas du genre à avancer de fausses prétentions. Et que s’il
avait quitté une soirée très importante, il devait avoir une
bonne raison. Néanmoins, il fallait qu’elle prenne en
considération le fait que son instinct puisse être perturbé
par ce désir fou, et pour le moins inattendu, qui l’assaillait.
Quoi qu’il en soit, sa réponse tomba, nette et précise.
— Je serai ravie de me joindre à vous. Toutefois,
ajouta-t-elle avec un sourire taquin, que ferons-nous si nous
découvrons au cours du repas que nous ne nous
supportons pas ? Ce serait un peu gênant pour la
randonnée.
Brett posa ses coudes sur la table et se pencha vers
elle. Son visage était tout proche du sien et l’intensité de
son regard lui coupa le souffle.
— Quelque chose me dit que cela n’arrivera pas. Mais
je suis prêt à prendre le risque si vous l’êtes aussi.
De nouveau, la réponse s’imposa à Kayla. Elle le
regarda droit dans les yeux.
— Je le suis.
4.

Un serveur les conduisit jusqu’à une petite alcôve, dans


le restaurant presque désert. Lorsqu’ils furent installés
dans le décor coloré et chaleureux fait de tentures des
Andes et d’artisanat local, Brett feignit de s’absorber dans
la lecture du menu. En réalité, il observait Kayla assise en
face de lui.
Elle avait ôté son chapeau de paille et il découvrait ses
cheveux magnifiques, lisses et brillants, coupés en un carré
souple. Des cheveux dans lesquels il mourait d’envie de
glisser les doigts. Il s’interrogeait sur l’opportunité d’un tel
geste lorsqu’elle leva brusquement les yeux.
— Avez-vous décidé de ce que vous voulez ?
Vous. Et de tant de façons que j’en ai la tête qui tourne,
faillit-il répondre.
— Vous voulez dire dans le menu ?
Il aima le feu qui brilla soudain dans son regard.
— Oui. Pour l’instant.
Elle n’était pas timide et cela lui plut. Il posa son menu.
— Commander sera une épreuve. Mon espagnol
consiste plutôt en gestes, expliqua-t-il. Et le vôtre ?
— Il est très basique, je dois l’avouer. Où se trouve
l’hôpital ? Où sont les toilettes ? J’ai besoin d’un agent.
— Visiblement, nos priorités ne sont pas les mêmes.
L e s deux mots que je connais sont « bière fraîche » et
« plat chaud ».
Kayla rit.
— A nous deux, nous couvrons les besoins essentiels,
je crois.
— Je n’en suis pas certain. Sauriez-vous dire…
Il tendit la main, mêla ses doigts au siens.
— Vous avez des mains d’une incroyable douceur.
Kayla sentit son pouls s’accélérer.
— Je crains que non. Mais je sais que pizza signifie
pizza et queso et tomate, fromage et tomate. Donc je crois
pouvoir commander un repas tout à fait convenable sans
trop de problème.
— Parfait. Dans ce cas, je m’en remets à vous. Avec la
chance que j’ai, je risque de commander des vers de terre
grillés.
— J’ai cru comprendre qu’on en servait sur la piste qui
mène à Machu Picchu, dit Kayla avec un sourire taquin.
— Merci de me prévenir.
Kayla passa leur commande auprès du serveur,
indiquant directement sur la carte la pizza qu’ils désiraient.
Dès que le jeune homme se fut éloigné, Brett écarquilla de
grands yeux.
— Même moi, j’aurais pu faire ça.
— Et nous nous serions retrouvés avec des vers de
terre grillés ? Non, merci.
Kayla baissa les yeux vers leurs mains enlacées. Il suivit
son regard. Sa main paraissait incroyablement petite et
délicate à côté de la sienne et l’impression d’intimité que
donnaient leurs doigts unis était incroyable. Et très
excitante. Il avait les doigts marqués de nombreuses
cicatrices, coupures, brûlures, pour la plupart le résultat
d’expériences de chimie faites lorsqu’il était enfant. Fort
heureusement, il était devenu un peu plus habile. Lorsqu’il
leva les yeux, Kayla l’observait.
— Vous avez envie de m’expliquer ce qui ne vous
convient pas dans votre vie ? demanda-t-elle d’un ton
léger. C’est confidence pour confidence. Si vous me parlez
de vous, je vous parle de moi.
Il se pencha, effleura ses cheveux. Ils étaient aussi doux
qu’il l’avait imaginé. De la soie.
— D’accord, dit-il, décidé à ne proposer qu’une version
très succincte. Mais dans ce cas, vous d’abord.
Kayla pesa rapidement le pour et le contre. Bon, autant
se lancer. Si elle se confiait à lui, espérons qu’il ferait de
même.
Plongeant la main dans son sac, elle en sortit l’US
Weekly Review, l’ouvrit à la page de l’article Pour avancer,
changez ! et pointa du doigt le premier paragraphe.
— Carrière, famille, relations amoureuses, mariage, lut-
elle. Peu ou prou, tous ces domaines clochent dans ma vie.
— Surtout, dites-moi que vous n’êtes pas mariée,
s’exclama Brett.
— Je ne le suis pas. Mais ma sœur, Meg, se marie le
mois prochain et je suis demoiselle d’honneur. Avez-vous
une idée de ce que cela veut dire ?
— Non, pas vraiment. Mais à votre ton, j’imagine le pire.
— Vous avez raison. Il y a plus d’un an qu’elle prépare
ce mariage et elle nous rend tous complètement fous. Elle
s’est mis en tête de tout planifier, jusqu’aux choses les plus
insignifiantes. Enfin, c’est ce que je pense. Croyez-vous
qu’il soit d’une importance capitale que les serviettes pour
le cocktail soient coquille d’œuf et non écrues ?
— Pas pour moi, mais je ne crois pas être très bon juge.
Je suis parfaitement incapable de faire la différence entre
les deux.
— Elle me téléphone sans arrêt pour me parler des
fleurs, du photographe, du traiteur ou de ses beaux-
parents, ou encore pour se plaindre que Robert, son
fiancé, ne l’aide pas.
Kayla secoua la tête.
— Ils sont tous les deux avocats et les discussions, ils
connaissent. Mais je crois que, cette fois, Robert en a
assez de discuter, ce qui veut tout dire.
— Si je comprends bien, je ne perds rien à être fils
unique.
Kayla se mit à rire.
— J’adore mes deux sœurs, mais il y a des jours où je
rêverais qu’elles aient perdu mon numéro de téléphone.
Brett se pencha, prit sa main entre les siennes et se mit
à la caresser doucement, voluptueusement.
— Et votre autre sœur ?
— Hum…
Kayla ferma les yeux.
— C’est délicieux. Quelle était la question, déjà ?
Il rit, poursuivit sa caresse.
— Votre autre sœur.
— Oh, oui. Cindy est la plus jeune. La semaine dernière,
elle a sorti un triplet gagnant. Elle a décroché sa licence,
elle nous a annoncé qu’elle partait vivre à Los Angeles
avec Jason, son petit ami acteur qui vient de décrocher un
rôle dans un James Bond et, pour clore le tout, qu’elle était
enceinte.
— Cela fait pas mal en une seule fois, en effet.
— A qui le dites-vous ! Depuis, elle m’appelle tous les
jours pour que je lui donne des conseils sur la maternité et
les bébés, comme si je m’y connaissais. Cela dit, je suis
ravie de devenir tante. On ne peut pas en dire autant de
Meg. La nouvelle l’a rendue hystérique. Non seulement elle
a peur que Cindy ne puisse plus rentrer dans sa robe de
demoiselle d’honneur signée Vera Wang, mais elle est
folle à l’idée que tout le monde va parler de la grossesse
de sa sœur et du rôle de Jason le jour de son mariage. Elle
m’appelle dix fois par jour pour pleurer ou se plaindre. J’ai
pris l’habitude de la mettre sur ampli, avec le son réglé au
plus bas.
— Vous feriez mieux de débrancher carrément votre
téléphone.
— Ce n’est pas tout. Il y a ma mère. Elle ne sait pas ce
qui l’ulcère le plus, le fait que Cindy soit enceinte en
dehors, comme elle le dit si bien, des liens sacrés du
mariage ou la perspective de devenir grand-mère, alors
qu’elle se trouve beaucoup trop jeune pour cela. Elle aussi
m’appelle plusieurs fois par jour pour me parler du mariage
ou du bébé. Et si elle n’aborde aucun de ces deux sujets,
c’est pire. C’est qu’elle a encore trouvé un célibataire avec
lequel me caser.
Kayla ne put s’empêcher de rire.
— Elles vont finir par me rendre folle toutes les trois.
— Sans vouloir offenser votre famille, vous
m’apparaissez comme la seule des quatre à avoir toute sa
tête.
— Uniquement les jours où je ne réponds pas au
téléphone.
— Et votre père, dans toute cette histoire ?
Kayla demeura quelques secondes silencieuse.
— Il est mort il y a cinq ans.
— Je suis désolé.
— C’était un homme merveilleux. Il me manque.
Brett désigna le magazine du menton.
— Voilà pour la famille. Et votre carrière ?
Kayla hésita, ne sachant comment expliquer les choses
sans risquer de déraper et d’en dire trop.
— J’ai beaucoup travaillé pour arriver où j’en suis dans
mon entreprise et mon métier m’a toujours passionnée.
Mais ces derniers temps, j’ai été très déçue par pas mal
de personnes avec lesquelles je travaille. Je les trouve
superficielles et futiles, et je me demande si cela ne
commence pas à déteindre sur moi.
— Vous ne m’apparaissez ni superficielle ni futile.
— Dixit un homme qui ne me connaît que depuis deux
heures.
— C’est vrai. Mais je suis prêt à parier que je penserai
la même chose dans deux heures.
Il l’observa quelques secondes, le visage empreint de
gravité.
— Mais je comprends ce que vous voulez dire.
Lorsqu’on est entouré de gens superficiels, il est facile de
tomber dans le piège, de se perdre de vue et de perdre de
vue ses objectifs.
Kayla hocha la tête, surprise qu’il ait visé aussi juste.
— Oui, c’est exactement ça.
— Mais lorsqu’on a suffisamment de force de caractère,
on s’en rend compte et on fait ce qu’il faut pour revenir là
où l’on voulait être. Vous ne devriez pas être aussi dure
avec vous-même. Faire un petit détour, ce n’est pas si
grave.
— C’est la voix de l’expérience qui parle, on dirait.
Un pli apparut au front de Brett.
— J’imagine que oui.
Du pouce, il caressa doucement ses doigts, la paume
de sa main. Kayla se sentit chavirer de plaisir.
— Restent les relations amoureuses, murmura-t-il. Je
suis certain que les hommes se disputent votre
compagnie.
— Vous savez, vous êtes une véritable bénédiction pour
mon ego.
— Pourquoi ? Vous avez besoin d’être rassurée ? Vous
venez de vous séparer et la rupture s’est mal passée ?
— Pour qu’il y ait rupture, il faudrait qu’il y ait eu relation.
La dernière s’est terminée il y a plus de six mois, après
que j’ai découvert que mon petit ami et moi n’avions pas
du tout la même conception de la monogamie.
— Vraiment ?
— Oui. Il prétendait m’aimer, mais il lui était impossible
de n’aimer qu’une personne. J’ai décrété qu’il était libre
d’aimer toutes les femmes qu’il voulait, mais que je n’en
ferai pas partie, voilà tout. Depuis, ma vie amoureuse n’a
été qu’un fiasco, une série désolante de rencontres
totalement ratées avec des hommes égoïstes, menteurs,
ou qui se sont carrément moqués de moi. Imaginez un
homme qui fait du charme à une autre femme, sous votre
nez, lors d’un premier rendez-vous.
— Comment peut-on se comporter ainsi ? C’est
lamentable. J’ai honte, parfois, d’appartenir au même sexe
que ce type d’individus.
Kayla s’efforça d’oublier un instant la caresse
envoûtante de ses doigts. Etait-il sincère ? Il en avait l’air.
— Notre premier rendez-vous semble se passer plutôt
bien, murmura-t-il.
— Un rendez-vous ?
Kayla se surprit à retenir son souffle dans l’attente de sa
réponse.
— Un restaurant charmant, une petite alcôve à l’écart
pour nous seuls… cela y ressemble, non ?
Oui, cela y ressemblait, en effet. Kayla ne savait que
penser. C’était inattendu. Tout autant que l’effet que Brett
Thornton produisait sur elle. La dernière fois qu’elle avait
ressenti cela avec un homme, comme si elle avait été
frappée par la foudre, c’était… jamais. Elle n’avait jamais
rien ressenti de tel.
Il retourna sa main, se mit à en caresser doucement la
paume. Son pouce traçait de petits cercles sur sa peau,
faisant naître de délicieux picotements tout le long de son
bras. Une chaleur intense monta au creux de ses reins.
Déjà, elle sentait sa concentration s’envoler.
— Quoi qu’il en soit, dit-elle, le souffle court, s’efforçant
de garder la tête froide, vous me paraissez très différent
des autres.
Oh, oui… très. Soudain, elle s’imagina faisant l’amour
avec lui, là, tout de suite. Une étreinte brève et passionnée,
intense. L’union fulgurante et sauvage de deux corps.
C’était si nouveau pour elle, si tentant et tellement
audacieux de songer à cela avec un homme qu’elle venait
juste de rencontrer.
Ce n’est pas comme si tu ne le connaissais pas du
tout, lui souffla sa petite voix intérieure.
C’était vrai. Elle possédait un dossier complet sur lui,
rempli d’articles scientifiques et de renseignements sur
ses études et sa vie professionnelle. Rien en revanche
concernant sa vie privée, ce qui, jusqu’à présent, ne lui
avait pas paru indispensable.
Mais c’était avant qu’elle découvre qu’il pouvait
enflammer son corps d’un simple regard. Il était vraiment
temps qu’elle en sache un peu plus sur cet homme qu’elle
ne cessait d’imaginer nu, qu’elle découvre s’il serait aussi
sensible à elle qu’elle l’était à lui.
— J’ai rempli ma part du contrat, dit-elle. C’est à votre
tour, maintenant, de me parler de votre vie.
Brett marqua un temps d’arrêt avant de répondre,
surpris par l’envie soudaine de lui raconter toute son
histoire. Il était venu jusqu’ici, au Pérou, décidé à oublier
tout ce qu’il avait subi ces derniers mois. Il n’avait
certainement pas entrepris ce voyage pour se confier à
une étrangère avec laquelle, en plus, il se verrait bien avoir
une aventure. Mais voilà, il en était là, à avoir envie d’elle et
envie de lui parler.
Il était sur le point de le faire lorsqu’il sentit son pied
frôler sa cheville. Son pouls s’accéléra et une onde de
chaleur soudaine irradia son cou. Lorsqu’elle avait dit que
c’était à « son tour », elle l’entendait visiblement de plus
d’une façon.
— D’accord, dit-il, mais autant que je vous prévienne
tout de suite. Je ne sais pas combien de temps je pourrai
rester concentré.
Une lueur malicieuse dansa dans les yeux de Kayla
tandis qu’elle caressait lentement sa cheville du bout du
pied.
— Chacun son tour. Cela me semble équitable, non ?
— Je n’ai touché que votre main. Je crains de prendre
du retard.
Elle sourit et il sut qu’elle ne verrait aucun inconvénient à
ce qu’il le rattrape. Aussitôt, il sentit son corps réagir, son
sexe se dresser en une érection violente. Il bougea
légèrement pour soulager la tension, allongea sa jambe.
— Prenez garde à ce que vous demandez, vous
pourriez l’obtenir.
Déjà, elle effleurait son mollet. Bon sang, elle le touchait
à peine et voilà qu’il se sentait quasiment prêt à exploser.
— Pourquoi dites-vous cela ? Il vous est déjà arrivé
d’obtenir quelque chose que vous espériez puis le
regretter ?
Brett s’efforçait de la suivre, mais il commençait à avoir
du mal. Son pied doux et chaud contre sa peau… Il avait le
corps parcouru de frissons.
— Au terme d’années de recherche, j’ai atteint un
objectif à la fois personnel et professionnel et fait une
importante découverte scientifique.
— C’est très bien, non ?
— Oui. Mais j’ai vite découvert, aussi, que cela n’allait
pas sans inconvénients.
— J’imagine que vous avez fait des envieux, des
jaloux ?
— Je me suis soudain retrouvé avec des tas d’amis,
assailli par des tas de gens intéressés.
— Etes-vous certain que je ne vais pas, moi aussi, vous
demander quelque chose ?
— Si vous continuez à me caresser comme vous le
faites, je suis prêt à vous donner tout ce que vous voulez.
Kayla laissa son pied remonter encore un peu et elle
sentit le souffle lui manquer.
— C’est bon à savoir, murmura-t-elle, effleurant
l’intérieur de sa cuisse. Et à part votre carrière, que
reprochez-vous à votre vie pour avoir envie qu’elle
change ?
— Pas grand-chose. Ma famille, mes amis ne me
posent aucun problème.
— Et les relations amoureuses ?
— Aucun non plus. Je suis libre comme l’air.
Décidant brusquement que deux personnes pouvaient
fort bien jouer au même petit jeu, Brett tendit la main sous
la table et saisit la cheville de Kayla. Elle sursauta,
surprise, et il sourit, très content de lui.
— Et dire que la première personne que je rencontre,
alors que j’ai mis quatre mille kilomètres entre New York et
moi, vient précisément de cette ville. C’est incroyable.
— Désolée. Si j’avais su que vous cherchiez à fuir tout
ce qui pouvait vous rappeler New York, je ne vous aurais
pas parlé.
Brett glissa sa main sous sa jupe, la laissa remonter le
long de sa jambe, caresser sa peau douce, satinée.
— C’eût été dommage.
— C’est faux. Je vous aurais parlé quand même.
Quelque chose m’a tout de suite intrigué chez vous, votre
expression. Vous aviez l’air…
Elle secoua la tête.
— Je ne sais pas l’exprimer. Vous sembliez éprouver la
même chose que moi. Vous aviez l’air heureux d’être là et,
en même temps si seul.
Il plongea son regard dans le sien et il se sentit perdre
pied, chavirer. Ce qu’il éprouvait pour cette femme, cette
attirance, ce désir si soudain, mais pas uniquement cela…
C’était vertigineux.
— J’étais seul, dit-il, caressant son genou, mais je ne le
suis plus.
— Peut-être vous aurais-je parlé également parce que
je vous trouve très séduisant.
— Je vous retourne le compliment. Encore que
« séduisante » ne vous rende pas vraiment justice.
— Oh ? Et quel mot vous semblerait approprié ?
Brett étudia un instant son visage.
— Vous possédez des millihélènes et des microhélènes
en abondance.
— Je vous demande pardon ?
— Vous avez entendu parler d’Hélène de Troie ?
— La jeune femme qui fut la cause de la guerre de
Troie ?
— Elle-même. On dit que son visage lança à la mer un
millier de vaisseaux. Dans le système de mesure troyen, un
millihélène est la beauté nécessaire pour lancer un
vaisseau et un microhélène la beauté nécessaire pour
motiver un marin.
Brett glissa les doigts à l’arrière de son genou. Il en
caressa la peau fine, délicate.
— Vous possédez suffisamment des deux pour lancer à
la mer toute une armada de vaisseaux et motiver une
armée entière.
Un sourire effleura les lèvres de Kayla. Elle laissa son
pied s’aventurer vers son entrejambe et il en oublia de
respirer.
— Merci, dit-elle. Vous gagnez des points en originalité.
— Comment puis-je en gagner encore ?
— Vous pourriez m’éblouir avec quelques faits
scientifiques marquants.
— Un centimètre carré de peau contient environ cent
trente glandes sudoripares.
Il laissa sa main remonter plus haut sous sa jupe et ses
doigts effleurèrent sa cuisse. Kayla s’immobilisa et il vit
avec satisfaction ses pupilles se dilater lorsqu’il se mit à la
caresser doucement, voluptueusement.
— Je veux bien vous croire, dit-elle, le souffle court. J’ai
l’impression de les sentir toutes à l’œuvre en cet instant.
Sans détacher son regard du sien, Brett prit sa main et
se leva. Puis dans l’intimité de leur petite alcôve, il l’attira
dans ses bras, laissa lentement ses mains glisser le long
de son dos.
— Dans le corps humain adulte, il y a soixante-douze
kilomètres de nerfs. Le foyer le plus sensible est ici…
Il massa doucement le creux de ses reins, l’attirant plus
près de lui, jusqu’à ce que leurs corps se touchent
intimement.
— A la base de la colonne vertébrale.
— C’est fascinant, murmura Kayla, laissant ses mains
remonter doucement le long de son torse.
Puis elle glissa les bras autour de son cou.
— Quoi d’autre ?
— L’accouplement des visons dure huit heures, celui
des élans ne dépasse généralement pas cinq secondes.
— Si je dois être réincarnée, je préfère que ce soit en
vison.
Brett sourit. Il se pencha, effleura son cou, caressa de
ses lèvres la peau si fine, si douce, juste au-dessous de
son oreille. Hum… elle sentait merveilleusement bon.
— Les chauves-souris s’accouplent en vol.
Kayla poussa un soupir et renversa la tête en arrière, lui
offrant son cou, sa gorge.
— C’est très… audacieux.
— Les mantes religieuses dévorent le mâle pendant
l’accouplement, poursuivit-il, mordillant doucement le lobe
de son oreille.
— Hum… Tout dépend de ce que l’on entend par
dévorer, cela peut se révéler très audacieux également.
— La femelle furet peut mourir si elle ne trouve pas de
mâle.
Les doigts de Kayla agrippèrent ses cheveux. Elle
poussa un gémissement, attira sa bouche à elle.
— Je sais exactement ce qu’elle doit ressentir,
murmura-t-elle contre ses lèvres, la voix rauque.
L’instant d’après, Brett prenait sa bouche en un baiser
fougueux, incontrôlable. Il voulait effleurer ses lèvres, les
caresser, la séduire lentement, savourer chaque seconde
de cette approche. Mais à l’instant où ses lèvres touchèrent
les siennes, il sentit un éclair traverser son corps,
l’embraser tout entier, le consumer sur place.
Le goût de sa bouche l’enivrait. Il poussa un
gémissement, recula jusqu’au mur et il la plaqua contre lui,
contre son sexe bandé, tandis que ses mains allaient et
venaient, impatientes, fébriles, le long de son corps.
Sa langue se mêla à la sienne, s’y enroula, pression
intense, érotique, qui fit perdre à Kayla le peu de contrôle
qui lui restait. Elle sentit ses mains glisser sur ses hanches,
se refermer sur ses fesses. Elle bougea contre lui, lui
arrachant un grognement. Et il se mit à bouger à son tour,
instinctivement, pressant son sexe contre le sien, encore et
encore, et il sut qu’ils devaient s’arrêter maintenant…
avant qu’il soit trop tard, qu’il en soit incapable.
Au prix d’un incroyable effort, il leva la tête. Il avait le
souffle rauque et Kayla le visage en feu. Avec ses cheveux
ébouriffés par ses mains impatientes, ses lèvres
entrouvertes, et son regard chaviré sous la longue frange
de ses cils, elle était infiniment désirable.
Elle cilla à plusieurs reprises, l’air totalement désorienté.
— Que se passe-t-il ?
Il secoua la tête, interdit, aussi bouleversé qu’elle.
— Je suis incapable de l’expliquer. Scientifiquement, je
qualifierais ce phénomène de réaction exothermique
instantanée.
— Je vous demande pardon ?
— Il s’agit d’une réaction très rapide et très forte qui
dégage une chaleur intense.
— Dans quelle branche des sciences travaillez-vous
pour être au courant de tous ces phénomènes ?
Brett écarta une mèche de cheveux de sa joue et la
glissa derrière son oreille.
— La chimie. Les réactions entre…
— Entre homme et femme ? coupa Kayla. L’alchimie
qui existe entre certaines personnes et qui…
Les mains chaudes et fermes de Brett caressèrent ses
fesses et elle se sentit chavirer, les reins en feu, enivrée
par la pression de son sexe tendu contre le sien.
— Que diriez-vous de quitter le restaurant ? suggéra
Brett, le souffle court. Nous pouvons peut-être emporter
notre pizza.
— Le peu d’espagnol dont je dispose devrait suffire à
régler le problème.
Elle le fixa de ses magnifiques yeux verts au regard
embrumé de désir, brûlant d’un feu aussi ardent que celui
qui le consumait et il sentit son pouls s’emballer.
— Venez, dit-il.
5.

Tout en traversant la Plaza de Armas , sa main dans


celle de Brett, Kayla inspira profondément, espérant que la
raison allait reprendre le dessus, qu’elle allait retrouver tout
son bon sens et se rendre compte que suivre un homme
qu’elle connaissait à peine dans sa chambre d’hôtel n’était
pas une bonne idée.
Mais au lieu de cela, son cœur lui souffla simplement :
j’en sais suffisamment pour l’instant. Et j’ai envie d’en
découvrir davantage.
Jamais elle n’avait éprouvé une attirance aussi violente,
aussi immédiate. Jamais elle ne s’était sentie transportée
à ce point, incapable de penser à autre chose qu’à l’envie
de se retrouver, nue, dans les bras d’un homme. C’était
une sensation violente, entêtante, impossible à ignorer et
Kayla n’avait aucune envie de se refuser le plaisir de la
vivre jusqu’au bout.
Toutefois, elle éprouva brusquement le besoin de mettre
les choses au point.
— Brett, je veux que vous sachiez… je ne fais pas cela
d’habitude.
Il ralentit le pas, se tourna vers elle.
— Cela ?
— Oui. Avoir une aventure d’une nuit. Avec quelqu’un
que je viens juste de rencontrer.
Il s’arrêta, emprisonna son visage entre ses mains. Son
regard brun plongea dans le sien, intense. Elle avait envie
qu’il prononce les mots qu’elle avait à l’esprit, qu’il dise que
ce qui se passait entre eux ne ressemblait pas à une
aventure d’une nuit. Que c’était fort, profond, déboussolant
justement parce que c’était exceptionnel. Mais au lieu de
cela, il demanda d’une voix douce :
— Est-ce vraiment la première fois que nous nous
rencontrons ?
Kayla sentit sa gorge se serrer, la panique l’assaillir. Se
pouvait-il qu’il l’ait vue chez Fragrance ? Mais avant qu’elle
ait pu songer à une réponse, il poursuivit :
— Parce que cela me paraît incroyable, complètement
fou. J’ai l’impression de vous connaître, Kayla. Depuis
longtemps.
Il rit, l’air totalement déboussolé.
— C’est illogique et cela échappe au raisonnement,
mais c’est ainsi. Je sais reconnaître lorsqu’il se passe
quelque chose entre deux personnes. Mais au risque
d’avoir l’air de citer bêtement les paroles d’une chanson, je
ne l’avais encore jamais ressenti à ce point.
— Je ne suis donc pas la seule. Peut-être est-ce dû au
lieu, à l’altitude.
— Peut-être. Mais je crois surtout que ce sont mes
molécules qui aiment beaucoup les vôtres.
Kayla sourit.
— Mes molécules ont de la chance.
— Les miennes aussi. Et si cela peut vous rassurer, les
aventures d’un nuit ne sont pas dans mes habitudes non
plus. De plus, puisque nous avons choisi la même
randonnée, cela pourrait se transformer en une aventure de
deux, trois, voire quatre nuits. Alors, encore des doutes ?
ajouta-t-il, caressant doucement ses joues de ses pouces.
Kayla le regarda et un frisson de désir intense traversa
son corps. Elle était venue à Cusco à cause du Dr
Thornton, mais c’était dans les bras de Brett qu’elle se
trouvait en cet instant et Fragrance n’y était pour rien. La
magie c’était elle, lui, ce désir irrépressible qui les poussait
l’un vers l’autre. Faire l’amour avec Brett serait la première
chose qu’elle s’accorderait à elle et à elle seule depuis
longtemps. Et si elle avait rencontré cet homme ailleurs,
c’eût été pareil, elle aurait fait l’amour avec lui. L’attirance
était trop forte pour résister.
— Non, plus de doutes, dit-elle. Et s’il en subsistait, le
fait que je me sente chavirer dès que vous posez les yeux
sur moi suffirait à le dissiper.
Brett se pencha vers elle, effleura ses lèvres.
— Venez.
Ils pressèrent le pas, puis se mirent à courir. Lorsqu’ils
arrivèrent au petit hôtel, Kayla était à bout de souffle.
L’altitude, les rires, l’excitation faisaient qu’elle avait du mal
à respirer.
— Je crois que je n’en peux plus, dit-elle, franchissant
les deux dernières marches qui menaient au second étage.
Lorsqu’elle atteignit le palier, Brett la souleva dans ses
bras, s’engagea à grandes enjambées dans le couloir.
— Ne vous faites aucun souci, j’ai de l’énergie pour
deux.
Kayla referma un bras autour de son cou et elle se
pencha, lui mordilla doucement le lobe de l’oreille.
— J’ignorais que les scientifiques étaient des hommes
aussi athlétiques.
— C’est que vous n’avez connu que des biologistes ou
des physiciens. Nous autres, chimistes, n’avons rien à voir
avec ces petites natures.
— De toute évidence, murmura Kayla, admirative,
laissant ses doigts courir sur les muscles solides de son
torse. Je crois que je vais très vite retrouver un second
souffle.
— Si ce n’est pas le cas, je me ferai un plaisir de vous
ranimer.
— Vous êtes secouriste ?
— Je connais de nombreux moyens de vous faire
revenir à la vie.
A cette perspective, Kayla sentit son pouls s’emballer.
— Je suis impatiente de voir cela.
Brett s’arrêta devant la porte de sa chambre.
— Un instant, dit-il, le temps de trouver la clé.
— Vous pourriez me lâcher, suggéra Kayla, tout en
déposant une série de petits baisers le long de sa
mâchoire.
— Pas question. Savez-vous pourquoi les hommes
portent les femmes pour franchir le seuil des maisons ?
— Aucune idée. Mais un génie comme vous doit le
savoir.
— Pour les protéger contre les mauvais esprits qui
rôdent autour des portes.
— Et moi qui croyais que c’était un geste romantique.
— C’en est un également.
Kayla laissa ses lèvres glisser le long de son cou, la
pointe de sa langue caresser sa peau. Il poussa un
grognement.
— Vous ne rendez pas les choses faciles.
— Le plaisir n’en sera que plus intense, non ?
— Je ne…
Les mots s’étranglèrent dans sa gorge et Kayla entendit
le bruit métallique de la clé dans la serrure. La porte
s’ouvrit brusquement. Brett entra, la referma du pied. Puis il
posa Kayla.
A peine ses pieds eurent-ils touché le sol que Kayla
laissa tomber tout ce qu’elle tenait. Le regard de Brett
brûlait d’un désir si intense qu’elle en était bouleversée, le
corps tout entier tendu d’un désir fou. Elle s’adossa au mur
pour ne pas chanceler.
La porte fermée à clé, il vint se camper face à elle, posa
ses mains à plat sur le mur, l’emprisonnant entre ses bras.
Quelques centimètres à peine les séparaient et elle sentit
la chaleur de son corps irradier le sien, l’odeur légèrement
musquée de sa peau mêlée au parfum frais et subtil du
savon assaillir ses narines. Un frisson délicieux la
parcourut.
— Alors ? dit-elle dans un souffle.
Avant qu’il ait pu répondre, elle plaquait sa main sur le
renflement de son pantalon. Il ferma un instant les yeux,
poussant un grognement sourd lorsqu’elle pressa
doucement son sexe.
— Je ne vais pas pouvoir tenir très longtemps si vous
continuez ainsi, dit-il, saisissant son poignet.
— Cela me va très bien.
Kayla ne se souvenait pas avoir jamais eu à ce point
envie d’un homme. Le désir qui la taraudait était tel qu’elle
n’avait qu’un objectif : se jeter sur Brett.
— Je ne crois pas pouvoir tenir très longtemps non plus,
dit-elle.
— Vraiment ? Voyons voir…
D’un geste vif, il la saisit par la taille et fit volte-face.
C’était lui maintenant qui était adossé au mur. Il ne lui
laissa pas le temps de respirer. Une main glissée sous sa
nuque, les doigts enfouis dans ses cheveux, il couvrit sa
bouche et toute la magie initiée par le baiser au restaurant
fut là, de nouveau.
En plus… profond, plus intense, plus passionné. Rien, à
présent, ne pouvait les arrêter. Kayla n’y tenait plus. Elle
voulait le toucher, sentir sa peau sous ses doigts. Fébrile,
elle fit glisser son T-shirt hors de son pantalon et plongea
les mains sous le coton léger.
Chaude… sa peau était chaude. Et douce. Elle plaqua
ses paumes sur les muscles durs de son ventre, sentit sous
ses doigts le fin ruban de toison qui remontait vers son
torse. Elle le suivit, écarta les doigts, les enfouit dans les
boucles soyeuses. Hum… ses muscles étaient fermes et
tièdes. Impatiente, elle fit remonter plus haut son T-shirt
et… fut distraite, soudain, par la caresse de ses mains,
partout sur elle à la fois. Il ôta les bretelles de son
débardeur, dénuda ses seins. D’une main, il en agaça les
pointes dressées tandis que de l’autre, il plongeait sous sa
jupe, saisissait son genou et relevait sa jambe contre lui,
fébrile, impatient de la caresser.
Il glissa les doigts sous la dentelle de son petit slip et
elle ne put retenir un gémissement lorsqu’ils effleurèrent
son sexe. Il interrompit leur baiser, laissa sa bouche
descendre lentement le long de son cou, la pointe de sa
langue lécher la peau satinée de sa gorge tandis qu’il
écartait les lèvres de son sexe, en caressait la chair douce
et chaude avec tant d’adresse et de volupté que Kayla
sentit ses jambes se dérober sous elle.
— Vous êtes si douce, murmura-t-il contre sa peau, déjà
si chaude, si humide.
— A cause de vous… oh…
Les mots de Kayla se perdirent dans un soupir lorsqu’il
glissa deux doigts en elle. Le désir, telle une lave brûlante,
irradia ses reins. Sans même s’en rendre compte, elle se
mit à bouger, ondulant contre sa main, s’offrant, ivre, à
l’assaut de plus en plus profond, de plus en plus rapide de
ses doigts. Planté fermement en elle, ne lui laissant pas le
moindre répit, il prenait possession de sa chair tandis
qu’elle haletait, éperdue. Alors, refermant sa paume entre
ses jambes pour intensifier sa caresse, il pressa son
clitoris et elle jouit soudain, sa sève sur ses doigts, en
longs spasmes qui la firent frissonner tout entière, lui
arrachant un long cri rauque. Cramponnée à ses épaules,
elle cherchait son souffle, bouleversée.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, Brett la regardait avec une
expression indéchiffrable sur ses traits.
Elle passa sa langue sur ses lèvres sèches.
— Brett, vous… tu… je t’avais dit que je ne tiendrais pas
longtemps, murmura-t-elle. C’était très bon.
Un sourire effleura les lèvres de Brett.
— Ce fut un plaisir.
— Je saurai me montrer reconnaissante.
Il se pencha, effleura ses lèvres.
— Je suis impatient.
— Le temps que je retrouve mes jambes. Elles ont une
nette tendance à se dérober sous moi.
Il rit et la souleva dans ses bras.
— Alors, mieux vaut être allongée, non ? dit-il, gagnant
le lit. Ces voyages, c’est terrible ! Je ne sais pas si je vais
pouvoir supporter cela, une femme superbe dans mon lit. Il
va falloir que je sois courageux.
Il la déposa sur le lit et s’éloigna.
— Ne t’enfuis pas, surtout.
Il n’y avait pas le moindre danger.
Elle le vit fouiller dans son sac de voyage, probablement
à la recherche de préservatifs, et un frisson délicieux la
parcourut à la perspective de se retrouver nue, dans ses
bras. Elle ôta ses sandales, se débarrassa de ses
vêtements. Puis elle s’étendit sur le lit, un petit sourire aux
lèvres.
Il était temps de passer aux choses sérieuses.
6.

Brett fouillait dans son sac, s’efforçant de contenir


l’impatience qui le gagnait. Où diable avait-il mis ces
préservatifs ? Et pourquoi fallait-il que ce sac ait autant de
poches ? Il ouvrit un nouveau compartiment et se sentit
soulagé soudain en apercevant le paquet familier. Il les
avait emportés machinalement, il ne pensait pas avoir à
s’en servir. Il en saisit un, se retourna vers le lit et demeura
figé sur place.
Kayla… Elle était magnifique, étendue, la tête posée sur
l’oreiller, ses beaux cheveux soyeux auréolant son visage,
son corps éclaboussé de taches de rousseur baigné dans
la lumière dorée du couchant qui entrait à flots dans la
chambre. Kayla entièrement nue, un sourire espiègle aux
lèvres.
Son regard glissa lentement sur elle, sur ses seins
ronds aux mamelons bruns, sur ses hanches aux courbes
envoûtantes, ses longues jambes fuselées. Elle était la
tentation faite femme, irrésistible et bouleversante, et le
seul fait de la regarder mettait son corps au supplice tant il
avait envie d’elle.
Il inspira, s’efforçant de se calmer, d’oublier la pression
de son sexe palpitant, gorgé de sève, et s’avança vers elle.
Arrivé près du lit, il posa le préservatif sur la table de
chevet et s’apprêtait à ôter sa chemise lorsqu’elle fit signe
que non et se redressa à genoux.
— Tu permets ?
Elle saisit sa chemise, la fit glisser le long de ses
épaules, la laissa choir sur le sol.
— Tout ce que tu as à faire, c’est te détendre, dit-elle,
glissant ses mains sous son T-shirt.
— Me détendre ?
Il rit et poussa soudain un soupir de plaisir lorsqu’elle se
mit à presser doucement les muscles de son torse. Elle
souleva le T-shirt et il leva les bras. Quelques secondes
plus tard, il rejoignait la chemise hawaiienne sur le sol.
— Ne bouge plus, à présent, dit-elle.
— C’est me demander beaucoup et…
Lorsqu’il la sentit se pencher, poser soudain ses lèvres
contre sa poitrine, il ferma les yeux.
— Si tu fais ce que je te dis, poursuivit-elle, son souffle
chaud balayant sa peau, tu ne le regretteras pas. Ote tes
chaussures, à présent.
Tandis qu’il s’exécutait, il lança, du ton le plus léger qu’il
put, compte tenu du désir presque douloureux qui tendait
son sexe :
— D’abord c’est « détends-toi » puis « ne bouge plus »,
et maintenant « ôte tes chaussures ». Ne t’a-t-on jamais dit
que tu étais autoritaire ?
— Je dirais plutôt que j’aime prendre l’initiative. Et que
je n’ai pas peur de dire ce que je veux. Et là, tout de suite,
ce que je veux, c’est que tu restes tranquille pendant que je
te déshabille afin de te remercier pour le plaisir fabuleux
que tu viens de me donner.
Elle glissa son index dans la ceinture de son pantalon et
attira Brett à elle.
— Tu y vois un inconvénient ?
— Pas le moins du monde. J’aime qu’une femme soit
directe. Mais avant de commencer…
Il tendit les mains, les referma sur ses seins, faisant
rouler doucement leurs pointes sous ses pouces, satisfait
de lui arracher soudain un gémissement sourd.
— Sache que je n’ai pas peur non plus de dire ce que je
veux. Et que je veux te voir jouir une fois encore. Deux, trois
même.
— Oh, oh, ferais-tu monter les enchères ? susurra Kayla
d’une voix un peu rauque.
— Exactement. Tu es partante ?
— Tout à fait. Que le jeu commence !
Le regard brillant d’une lueur malicieuse, elle saisit ses
poignets, repoussa ses bras le long de son corps, puis elle
dégrafa le bouton de sa ceinture.
Brett était au supplice. Il la regarda faire glisser
lentement la fermeture Eclair de son pantalon, puis passer
les doigts dans sa ceinture et, d’un seul mouvement, le
débarrasser de son pantalon et de son boxer short.
Lorsqu’ils tombèrent sur ses chevilles, il les enjamba,
soulagé d’être enfin libéré.
Mais le soulagement fut de courte durée. Posant les
mains sur son torse, Kayla le poussa doucement en
arrière. Puis elle se leva et vint se camper devant lui,
détaillant son corps d’un regard gourmand.
— Hum…, superbe, dit-elle, effleurant son ventre du bout
des doigts.
Elle sentit ses muscles se contracter et il serra les
poings pour résister à l’envie qui l’assaillait de la soulever
contre lui et de la faire sienne sur-le-champ.
— Ravi de te plaire, parvint-il à articuler, la gorge sèche.
Le regard de Kayla se posa sur son sexe dressé
fièrement et il la vit humecter ses lèvres. Ce fut comme si
un brasier enflammait soudain son corps. Ce regard sur lui,
ces lèvres… c’était exactement comme si elle venait de le
toucher, comme si elle venait de poser ses lèvres sur lui.
Son corps tout entier se tendit. Il n’allait pas pouvoir rester
longtemps immobile.
Et elle ne l’avait même pas effleuré.
Bon sang.
— Ce que je vois me plaît décidément beaucoup, dit-
elle d’une voix suave, faite pour séduire, et qui mit à mal ce
contrôle qu’il sentait déjà lui échapper trop vite.
Lentement, elle se mit à tourner autour de lui, laissant
ses doigts effleurer sa hanche au passage. Elle s’arrêta
derrière lui.
— La vue de dos n’est pas mal non plus. Dis-moi, est-
ce bien là l’endroit…
Ses doigts décrivirent de petits cercles au bas de son
dos.
— … où tu disais que se trouve la zone la plus sensible
de notre corps ?
Brett aspira un peu d’air.
— Oui. C’est là.
De nouveau, elle effleura ses reins et il sentit un désir
fulgurant transpercer son corps.
— En es-tu certain ? demanda-t-elle. Ici, précisément ?
J’aurais pensé que d’autres zones étaient beaucoup plus
sensibles. Nous devrions peut-être mener une petite
expérience pour vérifier la validité de cette assertion.
— J’adore ta façon de me parler de sciences.
— Es-tu prêt pour les travaux pratiques ?
Il baissa les yeux vers son sexe bandé.
— De toute évidence.
Une lueur enflamma le regard de Kayla.
— Parfait. Pour chaque partie de ton corps que je
toucherai, je veux que tu attribues une note entre un et dix,
dix représentant l’endroit le plus sensible. Nous verrons
lequel l’emporte. Qu’en dis-tu ?
J’en dis que c’est une délicieuse torture.
— Pour un homme comme moi, habitué à mener les
expérimentations les plus fines, cela me paraît très bien.
— Commençons, dans ce cas.
Kayla effleura de nouveau la petite zone au bas de ses
reins. Elle le sentit tressaillir sous ses doigts, retenir son
souffle.
— Alors ? demanda-t-elle, effleurant de ses lèvres la
courbe de ses épaules. Quelle note ?
— Dix.
— Et là ? poursuivit-elle, laissant une main glisser plus
bas, sa paume s’arrondir sur ses fesses.
— Dix, dit-il, la voix tendue, rauque.
Kayla rit. Son souffle balaya sa peau en feu, fit courir un
long frisson dans tout son corps.
— Je vois se dessiner un phénomène ici.
— Je le… sens, dit Brett, haletant.
De nouveau, elle le contourna, vint se placer devant lui.
Saisissant ses poignets, elle lui fit lever les bras.
— Derrière la tête, indiqua-t-elle.
Lorsqu’il se fut exécuté, eut noué ses mains sous sa
nuque, elle effleura lentement l’intérieur de ses bras levés.
Son corps tout entier frissonna, comme électrisé. Kayla
leva un sourcil interrogateur et il annonça aussitôt sa note :
— Dix.
Du bout du doigt, elle effleura son torse, les petits
boutons dressés et durs de ses seins, les caressa,
décrivant de petits cercles tout autour jusqu’à ce que les
mamelons se crispent sous ses doigts.
— Eh bien ?
— Dix.
Elle se pencha alors et ce furent ses lèvres qui prirent le
relais, sa langue qui s’enroula autour, puis elle les suça
doucement, voluptueusement, ravie d’entendre sa
respiration se faire saccadée.
— Onze, parvint-il à articuler.
Une lueur de triomphe traversa le regard de Kayla.
— Ah, voilà qui est intéressant. Il apparaîtrait non
seulement que le bas des reins ne soit pas la zone la plus
sensible mais, qu’en outre, la sensibilité ne dépende pas
uniquement de la zone considérée mais de ce avec quoi
on la touche, doigts ou lèvres.
— Tu sembles définitivement sur la piste d’une
découverte importante, admit Brett. Il me semble capital de
poursuivre l’expérimentation.
— Tu n’y vois pas d’inconvénient ?
— Je vais tâcher de prendre les choses avec le sourire.
Pour le bien de la science.
— Voilà ce que j’aime, l’esprit d’équipe.
— Tu peux compter sur moi.
Les mains de Kayla s’aventurèrent plus bas, effleurèrent
ses hanches. Il crispa les doigts sous sa nuque et ses
muscles se contractèrent sous cette nouvelle et délicieuse
torture.
— Dix, annonça-t-il.
Il sentit alors les mains de Kayla effleurer ses cuisses
musclées, descendre le long de ses jambes, venir
caresser l’arrière de ses genoux, si sensible. A chaque
nouvelle exploration, il annonçait « dix », perdant un peu
plus le contrôle. Partout où Kayla le touchait, il sentait le feu
s’allumer sous sa peau, son corps s’embraser. Et elle
l’avait touché partout, elle avait tout effleuré, caressé. Tout,
sauf son pénis qui se dressait, palpitant et dur, tendu à
l’extrême. Il respirait avec peine et il tremblait presque,
soumis à l’effort intense qu’il faisait pour ne pas bouger ; il
n’aurait su dire combien de temps encore il allait pouvoir
tenir.
— Ecarte les jambes, dit-elle.
Il la fixa droit dans les yeux, et, sans un mot, il fit ce
qu’elle demandait. Elle glissa une main entre ses cuisses.
— Douze, annonça-t-il, d’une voix étranglée, le regard
plongé dans le sien.
La main chaude et douce de Kayla se referma alors sur
ses testicules qu’elle pressa doucement. Il crut suffoquer.
— Quatorze, parvint-il à articuler, à peine audible.
Elle le lâcha doucement et, du bout de l’index, effleura
toute la longueur de son sexe. Il se dressa brusquement
sous la caresse et Brett serra les dents. Cette femme allait
le rendre fou.
— Alors ? Combien ? demanda-t-elle.
Le désir, telle une lave brûlante, irradiait ses reins et
c’est à peine s’il fut conscient d’avoir dit :
— Recommence, pour voir.
Elle s’exécuta et un désir, fulgurant, presque douloureux
enflamma tout son corps.
— Vingt.
Elle leva les sourcils, surprise.
— Intéressant…
Puis elle laissa son regard descendre le long de son
corps, se poser de nouveau sur son sexe. Il attendit, la
respiration suspendue. Sa main l’effleura alors et il ferma
les yeux, ne pouvant retenir un gémissement de plaisir
lorsqu’elle l’emprisonna entre ses doigts experts et pressa
doucement sa chair palpitante.
— Oui ? dit-elle, imprimant, avec douceur et fermeté, un
petit mouvement de va-et-vient.
— Trente, répondit-il, la voix rocailleuse.
Il ouvrit les yeux.
— Je ne vais pas pouvoir continuer longtemps à parler.
— Bon. Voyons ce que donne ceci, alors.
Kayla s’assit sur le bord du lit et l’attira à elle. Avant qu’il
ait eu le temps de se rendre compte de quoi que ce soit,
elle se penchait et, du bout de la langue, léchait toute la
longueur de son sexe.
Un tremblement parcourut Brett de la tête aux pieds,
mais il n’avait pas encore récupéré qu’elle recommençait,
léchant son gland cette fois. Puis elle leva vers lui son
regard vert où brillait une lueur de défi.
— Alors ?
— Tu vas me rendre fou.
Lentement, elle enroula sa langue autour de son gland,
la fit glisser sur la petite gorge tout autour. Il serra les
poings. La tête lui tournait.
— Fou ? murmura-t-elle. Et c’est bon ?
— Oh… oui, très… bon, parvint-il à prononcer, sa voix
s’étranglant dans sa gorge tandis qu’elle titillait son gland
du bout de la langue, le pressait de ses lèvres chaudes et
douces.
Puis, lentement, elle l’aspira dans sa bouche.
Il crut défaillir et s’arc-bouta, tous les muscles tendus,
pour résister à la vague de sensations insensées qui
déferlait en lui.
— Tu… ah…
Il la regarda se retirer, arrondir de nouveau ses lèvres
sur l’extrémité de son sexe, puis le prendre dans sa
bouche, l’absorber sur toute sa longueur. Il tendit les mains,
enfouit ses doigts tremblants dans ses cheveux. La
sensation de sa bouche se mouvant sur lui lentement, en un
rythme hypnotique, celle de ses mains entre ses jambes,
caressant ses testicules, les malaxant doucement, oh… il
se sentait perdre pied. Soudain, il crispa les doigts dans
ses cheveux.
Elle réagit aussitôt, intensifiant sa caresse. Ses lèvres le
caressaient tandis qu’elle l’engloutissait profondément en
elle, dans l’intimité de sa bouche. Et elle le suçait, le
prenant en elle, puis se retirant, tout en le caressant de sa
langue dont elle glissait la pointe, à chaque passage, dans
la petite fente de son gland.
Lèvres entrouvertes, Brett s’abandonnait à elle, aux
sensations délicieuses qui parcouraient son corps.
Lorsque Kayla resserra les mains à la base de son sexe
tout en continuant à l’embrasser voluptueusement, il sut
qu’il était perdu. Sa vue se brouilla soudain tandis qu’elle
accélérait le rythme et qu’il sentait le plaisir monter en lui.
Bientôt, il n’y tint plus et, au prix d’un effort insensé, il
s’écarta, se libéra de la caresse envoûtante de ses lèvres.
Elle leva vers lui un regard enflammé.
— Nous ne sommes pas encore quittes, protesta-t-elle.
— Cela ne saurait tarder. Mais à ce moment-là, je te
veux avec moi.
Il la renversa sur le lit, saisit le préservatif. D’un geste
preste, il le déroula sur son sexe dressé, puis il se glissa
entre ses jambes. Kayla se cambra à sa rencontre, le
corps tendu de désir. Il pressa un instant son gland contre
la chair douce, humide de son sexe. Puis, le regard plongé
dans le sien, il vint doucement en elle, l’ouvrit. Les doigts
de Kayla se crispèrent sur ses épaules. Elle se sentait
chavirer. Elle le voulait en elle. Maintenant.
Elle se tendit vers lui et il plongea alors, la pénétra
complètement, puissant, et il sentit se refermer sur lui le
fourreau étroit, infiniment doux de sa chair.
— Oh, c’est si bon… je te veux, Kayla.
— Oui, viens…, dit-elle, éperdue, tandis qu’il se retirait,
la provoquait.
Le souffle lui manqua soudain lorsqu’il la harponna d’un
coup de reins, l’emplissant tout entière de son sexe tendu.
Et il la prit alors, accélérant le rythme, se retirant pour
mieux plonger en elle l’instant d’après, chaque fois plus
fort, plus profondément. Kayla avait refermé les jambes
autour de sa taille et elle se donnait à lui, sans réserve.
Haletante, éperdue, elle n’était plus que plaisir, la tête
renversée en arrière, les yeux clos.
Soudain, elle se cambra, ses ongles griffèrent ses
épaules tandis qu’un long cri rauque montait de sa gorge et
il sentit sa chair palpiter autour de lui. Alors, il lâcha prise à
son tour et il jouit, longtemps, abîmé en elle, sa sève
s’échappant de lui en longs spasmes de plaisir.
Lorsqu’il fut au bout de la jouissance, il se laissa aller
contre elle, enfouit son visage au creux de son cou et ferma
les yeux.
Il n’aurait su dire combien de temps s’écoula avant qu’il
trouve la force de lever la tête. Il la regarda alors et son
cœur se mit à cogner comme un fou dans sa poitrine.
Joues en feu, cheveux ébouriffés, lèvres entrouvertes
encore toutes gonflées de leurs baisers, Kayla avait l’air
comblé. Elle était magnifique. Il se redressa sur ses
coudes, écarta une mèche de cheveux de sa joue. Un
gémissement de pur bonheur monta de sa gorge et elle
ouvrit les yeux.
Leurs regards se mêlèrent et Brett s’immobilisa, frappé
par la sensation étrange de… de quelque chose qu’il
n’aurait su nommer. Il ne l’avait jamais ressenti auparavant.
C’était comme une chaleur intense qui irradiait sa poitrine,
une émotion forte, profonde, intime qui lui plut, mais
déclencha aussitôt en lui une peur panique.
Il effleura la joue de Kayla.
— Tu as l’air tout étourdie, comblée, dit-il d’un ton qu’il
voulait léger.
Elle s’étira, lui sourit.
— Je me sens merveilleusement bien. Et très fière de
moi. Il semblerait que j’aie fait voler ta théorie en éclats. Je
crois que le score final était : creux des reins, dix, pénis,
trente. Ou quarante ? Je ne sais plus.
— Ce n’était plus quantifiable. Mais tu as changé la
règle en cours d’expérience. Te servir de tes lèvres, de ta
bouche…
— C’est un reproche ?
— Certainement pas. En fait, j’ai hâte de tester
l’expérience sur toi. De voir si je trouve des résultats
similaires ou si les conclusions ne s’appliquent qu’au sexe
masculin. Je t’emmène sous la douche et tout de suite
après, nous passons aux travaux pratiques. Qu’en dis-tu ?
Un sourire à couper le souffle illumina le visage de
Kayla.
— Je suis tout à vous, docteur Thornton.
7.

Kayla referma autour d’elle la chemise de Brett et sortit


sur le petit balcon de sa chambre d’hôtel. Des accords de
musique et un brouhaha indistinct de voix flottaient dans
l’air frais de la nuit, en provenance de la Plaza de Armas
bordée de nombreux petits bars animés et de
discothèques. La lune brillait, perle lumineuse sur le satin
noir du ciel dans lequel scintillait une pluie d’étoiles. Un
décor parfait pour souligner la magnificence des Andes
baignées dans la clarté argentée du clair de lune. La brise
ébouriffa soudain les cheveux de Kayla, apportant des
parfums délicieux de cuisine et son estomac gargouilla. Il y
avait déjà plusieurs heures qu’ils avaient dévoré la pizza.
Kayla s’assit dans le fauteuil en rotin et fouilla dans son
sac à la recherche de son portable. Elle ne savait pas
combien de temps Brett serait absent. L’hôtel ne disposant
pas de service de restauration, il était parti chercher
quelque chose à grignoter. Et comme, de toute évidence,
elle passerait la nuit avec lui, c’était le seul moment dont
elle allait disposer pour pouvoir consulter tranquillement
ses messages.
Elle ouvrit son téléphone. Il afficha huit messages sur sa
messagerie vocale et vingt SMS. Elle poussa un soupir et
décida de commencer par la messagerie vocale. Il y avait
trois messages de Meg concernant son mariage, rien de
très étonnant. Deux de Cindy, le premier au sujet du
prénom du bébé, l’autre pour se plaindre de Meg. Deux de
sa mère, l’un où elle répétait pour la énième fois qu’elle
était trop jeune pour devenir grand-mère et le second pour
l’informer que le fils de sa coiffeuse en avait fini avec son
divorce et qu’il serait parfait pour elle. Devait-elle organiser
une rencontre ?
Le dernier message était de Nelson, laissé une heure
plus tôt, et elle se figea en entendant soudain sa voix.
« J’espère que si vous ne répondez pas à cet appel, c’est
parce que vous êtes avec Thornton, occupée à lui tirer les
vers du nez. Tenez-moi au courant. »
Kayla coupa sa messagerie et enfouit sa tête entre ses
mains, assaillie par le remords et… un autre sentiment
qu’elle répugnait à nommer tant il lui déplaisait. Il la faisait
se sentir mal par rapport à elle-même et ce qu’elle était en
train de faire. Aurais-tu honte, par hasard ? lui souffla sa
petite voix intérieure.
Oui, exactement. Elle avait honte. Parce qu’elle s’était
mise à fouiller dans les affaires de Brett dès qu’il avait
quitté la chambre. Elle cherchait quelque chose, n’importe
quoi qui puisse lui fournir le genre d’indice que Nelson
attendait. Mais au lieu de penser qu’elle faisait son travail,
elle s’était sentie lamentable. Elle avait dû se forcer pour le
faire, mais cela ne soulageait en rien sa conscience. Elle
l’avait fait, voilà tout. Et au bout du compte, cela n’avait
servi qu’à ternir le bonheur, l’excitation, qu’elle éprouvait à
être avec Brett. Elle ne se sentait plus digne de partager
son intimité.
Dès qu’elle s’était rendu compte qu’il ne possédait
aucun dossier intitulé « Formule Secrète », pas le moindre
carnet comportant des notes scientifiques, elle avait
interrompu ses recherches. Mais le mal était fait. Tout ce
qu’elle avait appris, c’était qu’il voyageait léger, qu’il
affectionnait les chemises hawaiiennes et ne portait pas
d’eau de toilette. Et qu’elle ne s’aimait pas beaucoup dans
le rôle qu’elle jouait.
Jamais elle ne s’était sentie à ce point coupable. Et à
maints égards. Pour commencer, durant les six heures
qu’elle avait passées avec Brett, pas une fois elle n’avait
songé à Fragrance, à Nelson ou à sa mission. Elle n’avait
pas davantage songé à se venger de la situation
embarrassante dans laquelle Brett l’avait mise, face aux
dirigeants de son entreprise. Quant aux primes,
avancement, et autres promesses faites par Nelson, même
chose. Pas un instant, elle n’y avait songé.
Non, elle n’avait pensé qu’à Brett. A la façon
extraordinaire dont elle se sentait avec lui. A son
intelligence, son esprit, son sourire. A ses mains expertes,
sa bouche. A la magie de ses caresses.
Il produisait sur elle un effet insensé. Elle n’était pas
novice. Elle savait ce qu’était la passion. Elle avait déjà
désiré des hommes, elle avait même été amoureuse. Mais
ce qu’elle ressentait aujourd’hui était mille fois plus fort que
ce qu’elle avait pu connaître ; les sensations qu’elle
éprouvait étaient semblables à un ouragan balayant tout
sur son passage. Il était ridicule de s’emballer ainsi, elle le
savait. Elle venait juste de le rencontrer. Pourtant, elle se
sentait irrésistiblement attirée par lui.
Et ce n’était pas seulement physique. Au cours de
l’après-midi et de la soirée, elle avait appris beaucoup de
choses le concernant qui, toutes, avaient confirmé la
première impression très favorable qu’il lui avait faite.
Malheureusement, ce qu’elle avait appris au sujet de
Brett n’intéressait en rien Nelson. Lui, il voulait savoir si la
« formule » produisait vraiment les effets anti-âge et
aphrodisiaques annoncés par le Dr Thornton, mais surtout,
ce que devait faire Fragrance pour en obtenir l’exclusivité.
Au lieu de cela, elle avait découvert que Brett jouait au
tennis, qu’il aimait les échecs et chanter sous la douche.
Mais qu’il n’avait pas l’oreille musicale, ce qui les avait fait
beaucoup rire. Et de fil en aiguille, ils s’étaient retrouvés
dans la salle de bains où Kayla avait pu vérifier, pour son
plus grand plaisir, que chanter était la seule chose dans
laquelle Brett n’excellait pas.
Après la douche, tandis qu’ils dévoraient leur pizza, elle
avait appris qu’il avait longtemps vécu à Long Island et que
ses parents habitaient toujours la maison dans laquelle il
avait grandi, qu’il aimait les animaux et les musées, mais
détestait les boîtes de nuit branchées et bruyantes. Et qu’il
connaissait ses deux meilleurs amis depuis l’école
primaire.
Ils avaient discuté de choses et d’autres, de cinéma,
notamment. Il aimait les films d’action, elle, les comédies
romantiques. Il préférait les comédies musicales aux
ballets et ils s’étaient découvert un amour commun pour les
romans policiers et la cuisine chinoise.
Pour clore le tout, Brett Thornton était drôle, intelligent et
incroyablement séduisant. Assis en tailleur sur le lit, avec
pour tout vêtement une serviette nouée autour de la taille, il
avait eu un sourire à tomber à la renverse. Pas une seule
fois, il n’avait fait allusion à sa notoriété, ni parlé de sa vie
professionnelle, hormis pour raconter quelques anecdotes
amusantes survenues dans son laboratoire.
Kayla savait maintenant qu’il embrassait mieux que
personne et qu’il était un amant doué et très attentif. Il
l’avait fait jouir six fois. Elle se revit sur le lit, abandonnée,
la tête de Brett nichée au creux de ses cuisses et… oh…
Elle passa une main sur son visage. Elle se sentait
brûlante tout à coup.
Cet homme avait des mains magiques, des lèvres
magiques, une langue magique… Tout en lui était
magique. Et il lui tardait qu’il revienne pour faire de
nouveau l’amour avec lui. Elle ne pouvait s’en rassasier. Et
puis, il y avait du retard à rattraper, il n’avait joui que trois
fois.
Il lui était difficile, à présent, d’envisager que Brett
puisse n’être qu’un imposteur. Il n’avait rien de l’homme
détestable qu’elle avait imaginé. Bien au contraire. Certes,
l’exotisme du lieu, le fait d’être si bien avec lui, tout cela
pouvait influer sur son jugement. L’apprécier était une
chose, mais elle ne devait pas perdre de vue la raison pour
laquelle elle se trouvait à Cusco.
De nouveau, une sensation de malaise l’assaillit. Elle
n’aimait pas jouer ce double jeu, le tromper de la sorte. Elle
ne lui avait pas menti, au sens propre du terme, mais elle
ne s’était pas, non plus, montrée honnête envers lui.
Lui non plus ne l’a pas été totalement avec toi, lui
souffla sa petite voix intérieure.
C’était vrai. Il n’avait pas parlé de sa formule, de ce qu’il
entendait en faire. Il ne lui avait confié aucun secret à ce
sujet.
Cette constatation allégea un peu la conscience de
Kayla et elle entreprit de consulter ses SMS. De même que
sur sa messagerie vocale, tous provenaient de sa mère et
de ses sœurs. Tous sauf deux. L’un de Nelson qui répétait
son message oral, l’autre de sa grande amie, Suzanne
Freeland, décoratrice d’intérieur. Il tenait en une question :
« Alors, comment est ta bête noire ? »
Kayla avait été surprise de constater que Cusco se
trouvait sur le même fuseau horaire que New York. Ce qui
signifiait qu’il était plus de minuit là-bas aussi. Elle se
contenta donc d’envoyer des SMS. Le premier à Meg pour
lui dire de se détendre et de déléguer, le deuxième à Cindy
pour lui conseiller de choisir avec soin le prénom, on le
portait toute sa vie, le troisième pour rassurer sa mère, non
elle n’avait pas du tout l’allure d’une grand-mère. Le
quatrième fut pour Nelson, pour l’informer qu’elle avait bien
trouvé le Dr Thornton et le tiendrait au courant dès qu’elle
saurait quelque chose. Le dernier fut pour Suzanne : « il
n’est pas du tout tel que je l’imaginais ».
Dès qu’elle eut terminé, Kayla replaça son téléphone
dans son sac, puis elle se leva, s’approcha du bord du
balcon et posa les mains sur la rambarde de fer forgé. Elle
ferma les yeux et inspira profondément, s’imprégnant des
sons et des odeurs de ce lieu nouveau, si distant, si
différent de celui où elle vivait.
Un air de guitare monta soudain, apporté par la brise,
un rythme langoureux, envoûtant. Kayla se mit à onduler
doucement des hanches. L’air frais balayait sa peau et elle
huma son parfum, délicieux mélange d’air pur de la
montagne et de senteurs exotiques. Sa chambre d’hôtel
donnait sur la place, celle de Brett dans la direction
opposée, offrant une vue imprenable sur les Andes
majestueuses et le paysage noyé dans une nuit trouée, çà
et là, par les petites lumières des barrios de Cusco et des
villages au loin.
Soudain, elle entendit la porte s’ouvrir et jeta un coup
d’œil par-dessus son épaule pour s’assurer qu’il s’agissait
bien de Brett. Mais elle ne quitta pas le balcon, elle savait
qu’il la rejoindrait.
Quelques secondes plus tard, elle le sentit se glisser
derrière elle. Il referma les bras autour de sa taille, nicha
son visage au creux de son cou.
— Bonsoir, murmura-t-il à son oreille. Je t’ai manqué ?
Elle poussa un petit gémissement de plaisir et écartant
les pensées troublantes qui l’avaient assaillie, elle tendit
les bras derrière elle, les referma autour de son cou.
— Oui, tu m’as manqué, répondit-elle, se rendant
compte avec surprise que c’était vrai.
— Toi aussi.
— Alors, as-tu trouvé de quoi subsister ?
— Oui, le mot sandwich est universel, apparemment.
J’en ai pris deux pour chacun et quelques petites douceurs
locales. Mais… lorsque je te vois dans cette chemise, c’est
d’autre chose dont j’ai envie.
Un frisson de plaisir parcourut Kayla tandis que les
doigts experts de Brett déboutonnaient sa chemise, se
refermaient sur ses seins. Elle renversa la tête contre son
épaule, se cambra sous sa caresse.
— J’ai adoré la petite danse que tu faisais lorsque je
suis entré, murmura-t-il.
— Oh ? Tu veux dire celle-là ?
Kayla se mit à onduler des hanches, pressant avec
insistance ses fesses contre lui.
— Oui… celle-là.
Il était en pleine érection et elle sourit, satisfaite.
— Hum, quelque chose me dit qu’elle te plaît, en effet.
Il rit, laissa ses mains glisser le long de son ventre et la
plaqua plus fort contre son sexe. Kayla poussa un petit
gémissement de plaisir et tourna la tête, cherchant
fiévreusement ses lèvres.
Il la désarma totalement, les effleurant d’un
imperceptible baiser, caresse légère faite pour provoquer,
exciter. Elle ne put retenir un soupir tandis que, du bout de
la langue, il traçait le dessin de sa bouche, s’attardait sur
sa lèvre inférieure qu’il mordilla doucement. Puis il plongea
dans l’intimité de sa bouche, mêla sa langue à la sienne.
Elle ferma les yeux, s’abandonna à son baiser. La
caresse de ses lèvres était douce, la pression de sa
langue possessive. C’était délicieux, d’une lenteur presque
hypnotique, et elle se sentait chavirer tandis qu’un désir
irrépressible assaillait ses reins, son ventre, tendait tout
son corps, comblé pourtant il y avait encore si peu.
Une main caressant ses seins, Brett laissa l’autre
descendre, soulever la chemise et venir se refermer sur le
triangle de boucles douces au creux de ses cuisses.
— Oh ! tu ne portes rien, dit-il, plongeant les doigts vers
sa chair et tu es déjà tout humide…
Kayla écarta les jambes et il glissa un doigt en elle, lui
arrachant un long gémissement rauque. Il sourit, la retourna
vers lui. Alors, dans l’intimité du petit balcon plongé dans la
pénombre, il s’accroupit devant elle et, la soulevant contre
lui, il referma sa bouche sur son sexe. Les yeux fermés, la
tête renversée en arrière, Kayla s’abandonna à la caresse
envoûtante de sa bouche, de ses lèvres. Sa langue
pénétrait sa chair, plongeait en elle, la faisait sienne,
souple, experte, chaude dans son sexe, lui arrachant de
petits gémissements rauques lorsque sa pointe venait
soudain presser son clitoris.
— Si tu continues, murmura-t-elle, sentant le plaisir
monter en elle, je ne vais pas… ah… oh… oui… oui…
Sa respiration se fit plus saccadée tandis qu’il
accélérait le rythme, la suçait, sa sève sur ses lèvres, son
goût dans sa bouche. Soudain, elle se cambra, éperdue, et
bascula, emportée par la lame de fond du plaisir, tout son
être bouleversé.
La respiration haletante, le corps alangui, elle s’adossa
à la rambarde. Brett se releva, referma les bras autour de
sa taille.
— Ne me lâche pas, dit-elle.
— Il n’en est pas question.
— Je crois que je serais incapable de tenir debout.
Il sourit, glissa ses mains sous la chemise.
— A ce point ?
— Te rends-tu compte que notre score plaisir est
maintenant de sept à trois. L’honneur veut que je rattrape
ce retard. Tu vas devoir te tenir tranquille.
Brett caressa ses fesses, puis glissa doucement une
main entre ses jambes, lui arrachant un petit gémissement
de plaisir.
— J’ai bien peur que tu ne me demandes l’impossible.
Seigneur, il recommençait. Ses doigts la caressaient,
experts, et elle frissonnait déjà de la tête aux pieds, sentant
renaître le désir partout dans son corps. Elle aurait dû être
épuisée, s’écarter, vouloir un peu de temps à elle. Au lieu
de cela, elle ne pensait qu’aux sensations merveilleuses
qu’il éveillait en elle et à l’envie de le sentir de nouveau nu
contre elle. En elle. Elle avait l’impression qu’elle pourrait
passer toute sa vie dans cette chambre, avec Brett. Mon
Dieu, c’était à devenir folle…
Elle avait besoin de se soustraire, ne serait-ce qu’un
instant, à cette caresse si troublante. Elle bougea
légèrement. La main de Brett remonta jusqu’au creux de
ses reins. Voilà qui était mieux.
Elle tendit les mains, tremblante, et emprisonna son
visage. Sa barbe naissante picota délicieusement sa
peau. Elle plongea son regard dans le sien et secoua la
tête.
— Je ne sais pas ce qui m’arrive, murmura-t-elle. Ce
que tu m’as fait. C’est comme si j’avais été frappée par la
foudre.
Dès qu’elle eut prononcé ces mots, Kayla les regretta.
Les hommes n’appréciaient guère, généralement, ce
genre de confidences. Elles les agaçaient plutôt. Mais
Brett n’avait pas l’air agacé du tout. Il la regardait, le visage
empreint de gravité.
— Je comprends. Je ressens la même chose depuis
l’instant où j’ai posé les yeux sur toi. Et c’est très bien ainsi.
J’aime que les sentiments soient réciproques.
Kayla se sentit soulagée.
— Moi aussi.
Mais soudain, la réalité s’imposa. A quoi bon ? Il ne se
passerait rien entre eux au-delà de ces quelques jours.
Brett était un homme intelligent. Dès qu’il aurait découvert
qu’elle travaillait pour Fragrance, il n’y aurait pas besoin de
lui faire un dessin. Le seul fait d’y songer la rendit soudain
profondément malheureuse. Beaucoup plus qu’elle ne
l’aurait imaginé et elle s’empressa de rejeter cette pensée.
— Je crois que ce lieu est magique, que tout ici influe
sur nous, nous prédispose à éprouver des sentiments
extrêmes.
Il secoua la tête.
— Non, c’est ton parfum. Je suis certain que tu me
ferais le même effet ailleurs.
— Mon parfum ? Il y a longtemps qu’il s’est évaporé
sous la douche.
— Je ne parle pas de ce parfum-là, mais de ton odeur.
Celle de ta peau, de ton corps. Cette odeur qui nous est
propre. Une sorte d’ADN pour les glandes olfactives. Je
suis persuadé qu’elle influe énormément sur l’attirance
sexuelle.
Il enfouit un instant la tête dans son cou, inspira
profondément.
— Et la tienne me plaît. Ne me dis pas que tu en doutes.
Déjà, il se redressait.
— Nous dégageons tous une odeur correspondant à un
bouquet biochimique de phéromones.
— Les phéromones ? s’exclama Kayla. J’en ai entendu
parler mais je n’ai jamais pris cela au sérieux.
— Beaucoup de gens sont comme toi. Je pense qu’ils
se trompent.
Il marqua un temps d’arrêt.
— Non, je suis certain qu’ils se trompent. J’ai prouvé
que les phéromones ont une influence capitale.
Le cœur de Kayla se mit à battre plus fort. Etait-ce là le
secret de sa formule ?
— Comment es-tu parvenu à le prouver ?
— Au terme d’années de recherches dans mon
laboratoire.
Un sourire effleura ses lèvres.
— Mais surtout récemment, en faisant ta connaissance.
Il y a quelque chose dans le parfum de ta peau…
Il se pencha, laissa ses lèvres glisser le long de son cou,
de sa gorge.
— Quelque chose de délicieux, d’irrésistible, de très
troublant.
Kayla respira à son tour le parfum de son cou.
— Hum… toi aussi, ton parfum me trouble.
— Mon bouquet biochimique te plaît, alors ?
Elle pressa son corps contre le sien.
— Entre autres choses.
Alors, mettant sa conscience en sourdine, elle lui sourit
et fit ce que lui commandait sa mission.
— Parle-moi de tes recherches, dit-elle, nouant les bras
autour de son cou. C’est passionnant. Est-ce qu’il y a un
lien avec la découverte que tu as mentionnée cet après-
midi ?
Brett acquiesça d’un signe de tête.
— Oui, et je t’en parlerai si tu le souhaites. Mais, dans
l’immédiat, que dirais-tu de manger un morceau ?
Kayla se sentit brusquement soulagée. En fait, elle
n’avait aucune envie que la réalité fasse irruption dans leur
intimité, dans le cocon de bonheur, de plaisir, qu’était cette
chambre. Elle voulait que la magie dure le plus longtemps
possible.
Brett était prêt à lui parler de ses recherches et cela lui
suffisait pour l’instant. Elle n’avait pas envie d’en savoir
davantage, de devoir communiquer des informations à
Nelson. Cette seule perspective lui donnait la nausée.
— Manger un morceau ? Voilà une excellente idée, dit-
elle. J’ai faim et je sais exactement de quoi j’ai envie.
— Ah oui ? Et de quoi ?
En guise de réponse, elle pressa de manière très
suggestive son corps contre le sien.
— Tu y vois un inconvénient ? susurra-t-elle.
— Ce n’est pas près d’arriver. Pas dans cette vie, en
tout cas.
8.

Brett s’éveilla et jeta un coup d’œil au réveil sur la table


de chevet.
6 heures.
Il ne fut pas surpris. Il se réveillait tous les matins à la
même heure quelle que soit celle à laquelle il s’était
couché. Son horloge interne ne lui faisait jamais défaut.
Mais ce matin, une très belle femme nue se trouvait
dans son lit, lovée tout contre lui, son corps pressé
intimement contre le sien. Il avait refermé une main sur ses
seins chauds et doux et sentait son érection matinale
presser la chair ferme de ses fesses. Hum… Son parfum
enivrant emplissait ses narines, mêlé à l’odeur de leur
passion.
Se réveiller ainsi… Il avait la très nette impression qu’il
pourrait très facilement s’y habituer.
Il ferma les yeux, inspira profondément. Tout en elle était
délicieux. Sa peau sous ses doigts, ses lèvres, sa langue
se mêlant à la sienne, son parfum, la petite note
impertinente qui s’insinuait dans sa voix lorsque son regard
pétillait de malice, son rire un peu rauque, la façon dont elle
gémissait lorsqu’il la prenait, profondément ancré en elle
et, soudain, ce petit cri guttural au moment de jouir. Tout.
Il frotta du pouce la pointe de ses seins et les sentit
aussitôt durcir sous sa caresse. La nuit dernière avait été
incroyable. Il n’en était pourtant pas à sa première
expérience. Il avait passé des nuits dans les bras d’autres
femmes, mais il y avait chez Kayla quelque chose qui
rendait la relation sexuelle plus intense, plus fusionnelle,
plus passionnée. Cela le fascinait et lui faisait peur en
même temps. Si, la veille encore, on lui avait demandé s’il
croyait au coup de foudre, il aurait éclaté de rire. C’était
une notion tellement éloignée de lui, tellement en
contradiction avec sa nature scientifique, pragmatique !
Mais aujourd’hui, il n’était plus sûr de rien. Il s’était bel et
bien passé quelque chose en lui à l’instant où il avait vu
Kayla. Idiot, lui souffla sa petite voix intérieure. Il ne s’agit
que d’une pure attirance physique, voilà tout.
Il ne pouvait nier la réaction immédiate et violente de
son corps lorsqu’il avait vu Kayla, mais le désir, il
connaissait. Cette fois, il le savait, c’était différent.
Cependant son bon sens lui disait que le moment était mal
choisi pour s’impliquer dans une relation. Il avait des
décisions importantes à prendre. Et de toute façon, cette
princesse des quartiers chic de New York n’était pas faite
pour lui.
Pourtant tout le bon sens du monde ne pouvait rien
contre l’émotion qu’il avait ressentie en voyant Kayla, en
respirant son parfum. La façon dont il avait réagi confirmait
sans le moindre doute sa découverte scientifique. C’était la
preuve irréfutable que l’odeur d’une personne, largement
déterminée par son ADN et son système immunitaire, était
un puissant aphrodisiaque. Il n’avait pas besoin de preuve
supplémentaire, mais le fait d’en avoir fait personnellement
l’expérience était la cerise sur le gâteau.
Kayla s’intéresserait-elle à ses explications s’il lui parlait
de sa découverte ou lirait-il l’ennui dans son regard comme
cela avait toujours été le cas avec Lynda ? Cela dit, aurait-il
envie d’en parler à une femme qu’il connaissait à peine ? Il
avait suggéré qu’il le ferait, mais qu’était-il prêt à lui
dévoiler au juste ?
Brett était persuadé de l’efficacité de sa formule, mais
rendrait-elle Kayla plus désirable ?
Un sourire effleura ses lèvres.
Il ignorait si c’était possible, mais une chose était
certaine : une deuxième nuit comme celle qu’il venait de
vivre ne se refusait pas. Ce ne serait pas aussi confortable
que la première fois, ils seraient sur la piste et dormiraient
sous leurs tentes, ce soir. Mais Brett savait d’avance que
l’une des deux resterait vide et qu’il ne serait guère
question de dormir dans cette randonnée.
A ce propos, justement, il était temps de se lever. Il
devait préparer ses affaires et régler sa note d’hôtel. Et
Kayla devait faire de même. Ensuite, ils prendraient le petit
déjeuner ensemble avant de gagner le point de ralliement.
Son regard glissa sur les beaux cheveux brillants de
Kayla, sur la courbe satinée de son épaule nue. Il aimait
tout chez elle, mais il n’était guère difficile d’aimer une
femme spirituelle, intelligente et totalement libérée au lit. Ni
pour elle de se montrer sous ce jour favorable dans le
confort d’une chambre d’hôtel ou au restaurant. Restait à
savoir ce qu’il en serait sur la piste et comment elle se
comporterait.
Kayla lui avait avoué ne rien avoir d’une aventurière,
n’avoir jamais fait de camping et ne connaître pour seul
terrain de randonnée que les rues de Manhattan. Elle était
sportive, certes, mais comment réagirait-elle au confort
probablement très sommaire de leur expédition ? Si elle se
montrait à la hauteur, il risquait bel et bien d’y laisser son
cœur. Et il sentait que ce serait le cas, qu’il avait, sans le
vouloir, découvert un trésor. Sa vie, déjà, lui semblait
transformée et la randonnée n’avait pas encore
commencé. En tout cas, en matière de plaisir, il rattrapait
le temps perdu. A ce propos, justement…
Il laissa sa main glisser vers le ventre de Kayla, insinua
doucement ses doigts au creux de ses cuisses. Elle
poussa un petit gémissement de plaisir et bougea contre
lui, pressant son corps contre le sien, puis elle se renversa
sur le dos, écarta les jambes, s’offrant à lui.
Il enfouit les doigts dans sa toison douce, effleura les
lèvres de son sexe, chercha son clitoris. Elle gémit
doucement, ouvrit plus grand les jambes, se cambrant sous
sa caresse.
Il leva les yeux, vit ses joues se colorer, sa poitrine se
soulever plus vite et il la sentit devenir moite sous ses
doigts. Lentement, il glissa un doigt en elle tandis qu’il se
penchait pour effleurer ses lèvres.
— Bonjour.
— J’aime la façon dont commence cette journée,
murmura-t-elle.
Elle tendit la main, effleura son pénis en pleine érection.
— Tu sembles heureux de me voir, ajouta-t-elle,
refermant les doigts sur lui et le pressant doucement. Je
dirais même très heureux.
Elle jeta un bref coup d’œil au réveil, puis se tourna de
nouveau vers Brett, son beau regard vert embué de désir.
— Il est encore très tôt.
— Il faut que nous nous préparions, que tu passes à ton
hôtel et que nous déjeunions avant de prendre l’autocar.
Elle s’étira langoureusement tandis que sa main
refermée sur son sexe le titillait, pressait son gland, le
rendant fou de désir.
— Préparer ses affaires et déjeuner… C’est tout ce que
tu as à me proposer comme programme matinal ? Surtout
si l’on songe aux quatre jours d’épreuves qui m’attendent.
Il se pencha, effleura de sa langue les pointes dressées
de ses seins avant de les prendre tour à tour dans sa
bouche.
— Je devrais pouvoir offrir mieux.
— C’est déjà mieux, répondit Kayla, se cambrant sous
lui. Et après ?
— Après ? Que veux-tu ?
— Toi. En moi. Tout de suite.
— Es-tu toujours aussi directive ? demanda Brett,
saisissant un préservatif sur la table de nuit.
— Lorsque je veux vraiment quelque chose, oui. Et
lorsque tu es nu, tout près de moi, j’ai tendance à vouloir
beaucoup de choses.
Elle lui prit le préservatif des mains. Déjà, d’un
mouvement souple, elle s’installait à califourchon sur lui. Il
se renversa sur l’oreiller, la contempla, cheveux en
désordre, les pointes de ses seins dressées, encore
humides de la caresse de sa bouche. Elle était divine.
— Te rends-tu compte que je vais vouloir être réveillée
de la même façon tous les matins ? murmura-t-elle,
déroulant lentement le préservatif sur toute la longueur de
son sexe gonflé et dur.
— Et tu es exigeante, en plus.
— Autant que tu connaisses tout de suite tous mes
défauts.
Elle se souleva et, dirigeant doucement le sexe de Brett
vers elle, elle introduisit son gland entre les lèvres délicates
de sa chair, se baissant juste assez pour le prendre en elle.
La sensation était extraordinaire. Il étouffa un cri rauque,
mélange de plaisir et de frustration. Kayla se laissa alors
descendre lentement sur lui, l’absorbant tout entier en elle.
— Et si je me conduis en enfant gâtée, dit-elle,
bougeant doucement contre lui, c’est entièrement ta faute.
Son mouvement se fit plus ample et elle se mit à onduler
des hanches. Brett sentit les muscles de son sexe se
resserrer autour de lui tandis qu’elle le chevauchait
maintenant avec ardeur, cambrée, la tête renversée en
arrière. Il souleva les hanches pour accompagner son
mouvement et la sentit soudain plus intimement. Une
sensation violente, primitive, intensément érotique qui le
submergea.
Elle avait refermé les mains sur ses épaules et
accélérait le rythme, haletante, éperdue. Il enfouit les doigts
dans ses cheveux, saisit sa nuque et la maintint fermement
contre lui tandis qu’il se soulevait, s’accordait à son rythme
dans un mouvement saccadé des reins, la prenant de plus
en plus fort, de plus en plus profondément, s’efforçant de
résister, de tenir jusqu’à ce qu’elle jouisse, tâche insensée
tant la caresse de son sexe sur le sien, la chaleur qui
l’enveloppait étaient enivrantes.
A l’instant où il la sentit se tendre, où il sentit les
spasmes de son plaisir contracter sa chair, il abandonna
tout contrôle et, poussant un gémissement rauque, il la
saisit par les hanches, la plaqua contre lui, s’arrimant en
elle de toutes ses forces tandis que l’extase le
submergeait, soudaine, violente, inouïe.
Son cœur battait frénétiquement et il n’avait pas encore
repris son souffle lorsqu’il sentit les lèvres de Kayla
effleurer sa mâchoire. Elle était abandonnée sur lui, la tête
nichée au creux de son cou. Il n’avait pas lâché ses
hanches, toujours enfoui en elle.
— Seigneur…, murmura-t-elle contre son oreille.
Oui, il n’aurait su mieux dire. Ce qu’ils venaient de vivre
était extraordinaire. Toutefois, il ne pouvait s’empêcher de
songer qu’il n’avait rien contrôlé, qu’il s’était senti chavirer
totalement, comme jamais cela ne lui était arrivé.
Kayla souleva soudain la tête et ouvrit les yeux. Ils
brillaient, intensément verts, telles deux émeraudes.
— Je me sens merveilleusement bien, prête à conquérir
le monde.
— Moi, je me verrais bien faire un petit somme, rétorqua
Brett en s’étirant.
— Voilà qui est typiquement masculin. C’est hors de
question. Nous devons faire nos bagages, prendre le bus.
Des kilomètres de marche nous attendent.
— Quelle énergie !
Kayla rit et posa un baiser sur ses lèvres.
— Allez, debout, paresseux ! Tu te sentiras mieux après
une bonne douche.
Brett la serra soudain contre lui.
— Je sens déjà mes forces revenir. Je te préviens, si
nous prenons une douche ensemble, je ne suis pas certain
que nous quittions cette chambre.
— Il le faut et très vite. De toute façon, il ne reste qu’un
préservatif.
Kayla poussa un petit cri lorsqu’il se redressa soudain,
la souleva contre lui.
— Voilà qui me donne des idées. Accroche-toi.
Lorsqu’elle eut noué les bras autour de son cou, refermé
les jambes autour de sa taille, il se leva, saisit le dernier
préservatif et gagna la salle de bains.
— Tu sais dire préservatif en espagnol ? demanda-t-il.
— Non, mais j’ai un petit dictionnaire à l’hôtel.
— Oh, en plus d’être incroyablement sexy et désirable,
tu es également pleine de ressources.
Kayla lui mordilla l’oreille, effleura sa mâchoire, en suivit
le tracé de la pointe de sa langue. Puis elle la pressa
contre ses lèvres, la glissa dans sa bouche. Brett sentit son
corps renaître brusquement à la vie. Il était déjà dur. Il la
souleva alors, glissa fermement son sexe entre ses
cuisses, songeant qu’il était inutile de nier, désormais.
Cette femme lui plaisait et représentait une menace
sérieuse pour son cœur.
— Pleine de ressources…, dit-elle avec un sourire
aguicheur. Tu as raison. Dès que nous serons sous la
douche, je compte bien te montrer à quel point.
Il pénétra sous l’eau chaude. Peu lui importait soudain
de ne plus contrôler grand-chose.
— J’ai hâte de voir, dit-il.
9.

Après seulement quinze minutes passées dans le vieil


autocar brinquebalant censé les conduire au point de
départ de la randonnée, Kayla dut se rendre à l’évidence :
elle était nettement trop habituée au luxe.
Les ressorts de la banquette meurtrissaient ses fesses
tandis qu’elle serrait à s’en faire mal la rambarde
métallique près de la fenêtre ouverte, l’air conditionné
n’étant plus qu’un lointain souvenir. Le vent rabattait ses
cheveux sur son visage et c’était tant mieux. Autant ne pas
voir combien l’autocar passait près des parois rocheuses
qui bordaient la route défoncée.
A peine installé au volant, le chauffeur avait lancé le
véhicule à une vitesse folle et Kayla s’était cramponnée
pour ne plus lâcher la rambarde. Et il en serait ainsi jusqu’à
l’arrivée, elle en avait bien peur.
En revanche, lorsque le paysage apparaissait soudain
au détour d’un virage, il était d’une beauté à couper le
souffle. Palette de bruns et de verts colorant les versants
des Andes majestueuses, sur fond de ciel bleu étincelant,
ponctué çà et là d’un petit nuage cotonneux, il offrait un
décor somptueux aux villages pittoresques dispersés le
long du chemin.
Le seul point positif de cette folle équipée aurait dû être
de la distraire de l’homme assis à côté d’elle. Il n’en était
rien. Malgré la crainte de voir à tout moment l’autocar
s’écraser contre le rocher, Kayla ne pouvait s’empêcher de
penser à Brett, à la nuit fantastique qu’ils avaient passée
ensemble, au bonheur qu’elle éprouvait à être avec lui. Et
pas seulement lorsqu’ils faisaient l’amour, même s’il fallait
bien admettre qu’il était merveilleux au lit, et sur le balcon,
et dans la douche, et…
Kayla poussa un soupir. Il fallait qu’elle se calme. Brett
prenait trop d’importance. Mais il était vrai qu’elle se
sentait merveilleusement bien avec lui. Il avait une façon de
la regarder, de l’écouter, de s’intéresser à elle qui la flattait,
la séduisait. Elle aimait parler avec lui, échanger des
idées. Elle aimait son humour, sa voix, regarder bouger
ses lèvres sensuelles. Il avait une bouche magnifique et…
Seigneur…, songea-t-elle, c’était inouï. Elle avait tout
d’une collégienne énamourée. Le seul fait d’être assise à
côté de Brett Thornton lui faisait battre le cœur. Il était
temps qu’elle se ressaisisse, qu’elle se souvienne de ce
qu’elle était venue faire au Pérou.
La formule. La crème miracle antirides et aphrodisiaque
du Dr Thornton.
Mais il lui était de plus en plus difficile de voir sous les
traits de Brett le Dr Thornton qu’elle aurait dû se réjouir de
trahir. Comment allait-elle s’en sortir ? Ce matin, la
perspective de mentir à Brett lui était insupportable.
Cependant avait-elle le choix ? Si Fragrance voulait
pouvoir rivaliser avec les sociétés cosmétiques les plus en
vue, il lui fallait commercialiser un produit choc tel que cette
crème. Quant à elle, décrocher ce contrat signifierait
beaucoup sur le plan professionnel et lui ouvrirait bien des
portes.
Tout ce qu’elle avait à faire, c’était dissimuler la vérité,
ne pas dire pour qui elle travaillait ni ce qu’elle était venue
faire ici. Et trahir Brett, lui souffla sa petite voix intérieure.
Comme si elle ne le savait pas déjà. Comme si elle
n’avait pas, déjà, suffisamment mauvaise conscience.
Bien. Puisqu’il fallait trouver une solution, elle allait
couper la poire en deux. Elle ne ferait pas des pieds et des
mains pour obtenir des informations de Brett, mais s’il lui
en donnait de lui-même, elle n’irait pas jusqu’à faire
comme si elle n’entendait pas.
Voilà. Elle se sentait mieux, à présent. Enfin, un peu
mieux.
L’autocar prit soudain un virage abrupt et Kayla le sentit
décoller. Elle ferma les yeux, ne les rouvrit que lorsqu’il fut
de nouveau stabilisé.
— Je crois que ce trajet a pour but de nous faire trouver
la randonnée facile, dit-elle, se crispant soudain lorsqu’ils
sautèrent sur un énorme nid-de-poule.
Brett rit et glissa un bras autour de ses épaules.
— Nous sommes loin, évidemment, du type de
limousine auquel tu dois être habituée, dit-il, le regard
malicieux.
— Une limousine ? Moi ? Je me déplace partout à pied
dans Manhattan. Mais aujourd’hui, je dois dire que les
pauvres muscles de mes fesses déclarent forfait. Cette
route aurait besoin d’être refaite. C’est incroyable, tout de
même.
— Pardon ? dit Brett. J’ai perdu le fil de ce que tu disais
au moment où tu as parlé de tes fesses. Je les trouve très
attirantes.
— Et moi, je les trouve bien malmenées.
— Je suis un excellent masseur, je ne sais pas si je te
l’ai déjà dit.
— Non. Mais je ne suis pas surprise. Tu as des mains
très expertes.
— Tu les inspires. Ainsi que bon nombre de fantasmes,
d’ailleurs.
Kayla sentit une onde de chaleur parcourir son corps.
— Hum… J’ai hâte de me retrouver seule avec toi pour
en parler.
— En parler ? murmura Brett à son oreille. J’ai
nettement mieux à te proposer.
Kayla sentit aussitôt les pointes de ses seins durcir,
presser l’étoffe de son petit haut. C’était incroyable l’effet
que cet homme produisait sur elle. Incroyable et
merveilleux… et elle commençait sérieusement à y prendre
goût. Au-delà de ce qui était raisonnable.
— Je pense notamment à certaines caresses que tu
dispenses avec ta langue…, poursuivit Brett.
Un éclair de désir traversa les reins de Kayla. Elle aussi
y pensait. Fort heureusement, le chauffeur ralentit soudain
et elle en profita pour sortir sa trousse de maquillage.
— Mes lèvres sont toutes sèches, dit-elle, attrapant son
rouge à lèvres Fragrance préféré.
Avant qu’elle ait eu le temps de l’appliquer, Brett se
penchait et posait un baiser sur sa bouche.
— Je les trouve parfaites.
— Parce que je les hydrate avec ce produit, dit-elle,
brandissant le tube. Encore que cela relève du défi de
garder quoi que ce soit sur les lèvres avec toi.
— C’est un reproche ?
— Jamais de la vie.
Elle sentit le regard de Brett posé sur elle tandis qu’elle
appliquait le rouge. Puis il jeta un coup d’œil à sa trousse.
— Du maquillage, princesse ? En randonnée ?
— Une femme doit protéger sa peau et l’hydrater,
surtout en montagne.
Dès qu’elle eut refermé le tube, il le prit, observa la
petite fleur qui l’ornait, la même que sur sa trousse.
— Fragrance, dit-il.
Il connaissait, évidemment.
Kayla leva les sourcils, feignant la surprise.
— Tout à fait. Comment le sais-tu ? Tu suis de près les
développements de l’industrie cosmétique ?
Un muscle tressaillit à sa mâchoire.
— J’ai reconnu le logo. Leurs publicités sont placardées
partout sur les murs de Manhattan. Tu te sers de leurs
produits ?
— Oui. Parmi toutes les marques et elles sont
nombreuses, c’est celle que je préfère.
— Ah bon ? Pourquoi ?
— A cause de la pureté des ingrédients, de la palette
très étendue de couleurs. Certaines marques possèdent un
ou deux produits que j’affectionne. Chez Fragrance, ils me
plaisent tous.
Brett tendit la main, caressa sa joue.
— Ta peau est belle et douce.
— Encore grâce à Fragrance. Je suis une
inconditionnelle.
Kayla le vit froncer les sourcils.
— Que se passe-t-il ?
— Disons que je suis… surpris. Encore que ce ne soit
pas le mot juste. Je ne suis pas un fan de cette marque.
— Tu as testé leur gamme pour homme ? demanda
Kayla, prenant son air le plus innocent.
— Non, je suis plutôt du genre savon et eau. J’ai eu
affaire à eux pour le travail. Je n’en ai pas gardé un très
bon souvenir.
— Ça s’est mal passé ?
— Disons que leur nom est associé à un épisode très
désagréable.
— Vraiment ? Lequel ?
— Je me suis rendu à une soirée organisée par
Fragrance et j’ai trouvé ma petite amie dans les bras d’un
de leurs top models.
Le cœur de Kayla fit un bond. Il avait dit « petite
amie » ?
— Que faisaient-ils ?
— Est-il vraiment nécessaire de le préciser ?
Kayla était désolée pour lui. Mais elle ne songeait déjà
plus qu’au reste de sa phrase : « une soirée organisée par
Fragrance ». La seule à laquelle il ait assisté avait été…
celle qu’elle avait organisée. Celle qu’il avait brusquement
quittée, la mettant dans le plus grand embarras.
— Quand cela s’est-il produit ? demanda-t-elle, voulant
être sûre.
— Il y a deux mois.
Bon sang. Elle comprenait, à présent, pourquoi il avait
disparu si subitement. En un instant, la rancune qu’elle
avait pu nourrir à son égard s’envola. Elle pensait qu’il
devait avoir une bonne raison, mais de là à imaginer… Et
en plus, il était parti sans faire le moindre esclandre. En
pareille circonstance, elle n’aurait probablement pas pu
conserver un tel sang-froid.
— J’imagine combien ce genre de situation doit être
désagréable.
— Désagréable est un euphémisme.
— Et ta petite amie ? hasarda Kayla. Vous êtes toujours
ensemble ?
Le regard de Brett se fit dur.
— Non. Je ne voyais pas l’intérêt de poursuivre une
relation avec une femme qui me mentait. De toute façon, si
nous avions encore été ensemble, la nuit dernière n’aurait
pas eu lieu. J’ai des défauts, mais tromper une femme n’en
fait pas partie.
Kayla posa sa main sur la sienne.
— Désolée. Je n’ai jamais pensé cela. Ce que je
voulais savoir, mais que j’ai demandé de manière très
maladroite, c’est si tu souffrais encore.
Il plongea son regard dans le sien. Il s’était radouci.
— Mon cœur est guéri et libre.
Aussitôt, elle sentit une joie immense l’envahir. Le bon
sens la tempéra aussitôt. Quelle différence cela faisait-il ?
Le cœur de Brett ne lui appartiendrait jamais. Et quand
bien même il lui en accorderait une petite part, il la
reprendrait aussitôt lorsqu’il découvrirait qu’elle l’avait trahi.
Quels étaient ses mots exacts, déjà ? « Je ne voyais pas
l’intérêt de poursuivre une relation avec une femme qui me
mentait ». Mieux valait qu’elle ne l’oublie pas.
Elle qui mettait un point d’honneur à se montrer toujours
honnête. Bien sûr, comme tout le monde, il lui arrivait de ne
pas dire certaines choses pour ne pas blesser, mais elle
n’était ni menteuse ni dissimulatrice. Jusqu’à présent, tout
du moins. Jusqu’à ce que Nelson la mette dans cette
situation qui devenait vraiment impossible.
Elle repoussa ces pensées, mais d’autres aussitôt
l’assaillirent concernant l’ex-petite amie de Brett. Comment
était-elle ? Combien de temps étaient-ils restés
ensemble ? Faisait-elle bien l’amour ? Elle se garda, bien
évidemment, de poser la moindre question. De toute
manière, peu importait. Elle appartenait au passé,
désormais.
Brett lui sourit.
— Mon cœur était libre, précisa-t-il. Mais c’était avant
de te rencontrer. Je devrais appeler la police et te faire
arrêter pour vol.
Le pouls de Kayla s’était mis à battre plus fort. Ils
ressentaient la même chose. Pourquoi fallait-il que le
destin soit si cruel et que leur histoire se termine si vite ?
— Tu sais, je ne suis pas inquiète, dit-elle d’un ton
qu’elle voulait léger. Avant que tu trouves les mots en
espagnol, j’aurai largement eu le temps de me sauver.
— Je te retrouverai.
— Et que feras-tu, alors ?
Il se pencha, pressa doucement ses lèvres, lui arrachant
un soupir de plaisir.
— Avant ou après t’avoir déshabillée ? murmura-t-il.
A cette seule pensée, Kayla sentit son corps parcouru
d’un frisson délicieux. Avant qu’elle ait eu le temps de
répondre, l’autocar s’arrêtait dans un nuage de poussière.
Le chauffeur se retourna.
— Bienvenue à Quoriwayrachina, dit-il, prononçant avec
aisance le nom si complexe de la petite bourgade d’où
partait la randonnée.
Brett posa une main sur la sienne.
— C’est ici que commence la grande aventure !
Kayla regarda tour à tour les montagnes, la végétation
luxuriante, le groupe de personnes rassemblées non loin
de là, préparant ce qui ressemblait à des tentes.
L’aventure commençait, oui. Restait à espérer qu’elle s’en
remettrait, que son corps et son cœur, surtout, en
sortiraient indemnes.
Mais à la vue de ces montagnes impressionnantes et
de l’homme si séduisant à ses côtés, elle en doutait
sérieusement.
10.

Kayla se tenait aux côtés de Brett et des neuf autres


personnes qui composaient leur groupe. Chacun se
présenta. Outre leur guide, Paolo Trucero, il y avait
également Alberto et Miguel, ses deux frères cadets qui
feraient office de porteurs et leur sœur Ana, la cuisinière de
l’expédition. Tous les quatre se ressemblaient : cheveux
noir de jais, yeux sombres et sourires éclatants.
Eileen et Bill Carlson se révélèrent être deux
enseignants en sociologie. Un autre couple, Shawn
Deavers et Ashley Laine, venaient de terminer leurs études
et ils faisaient une pause avant d’entrer dans la vie active.
Dan Smith, originaire de Chicago, un homme discret d’une
cinquantaine d’années, complétait le groupe.
— Bienvenidos, bienvenue à tous, dit Paolo.
Aujourd’hui, nous commençons notre randonnée le long de
Camino del Inca ou Piste des Incas. Ce chemin qui
traverse les Andes nous conduira aux portes de Machu
Picchu, l’un des sites les plus beaux et les plus
énigmatiques du monde, et également l’une des
découvertes archéologiques les plus fantastiques qui
soient. Tout d’abord, je tiens à vous féliciter pour votre
choix car suivre cette piste est la façon la plus authentique
et la plus spectaculaire d’atteindre Machu Picchu, de
comprendre la réalisation architecturale prodigieuse des
Incas et leur profond attachement à la nature.
Un sourire illumina son visage.
— Et vous pourrez rabattre leur caquet à tous les
touristes qui ne savent que prendre le train pour se rendre
à Machu Picchu.
Tout le monde rit et il poursuivit :
— Comme vous le savez, le voyage sera ardu, compte
tenu de l’altitude essentiellement, mais je peux vous
garantir qu’à l’arrivée, vous ne serez plus les mêmes. La
montagne, la faune et la flore exotiques, les ruines inca,
tous auront exercé leur magie sur vous. Nous avons la
chance que la saison touristique n’ait pas encore
commencé. La piste sera moins encombrée et plus
propice, de ce fait, à la contemplation silencieuse
qu’inspirent les lieux que nous traverserons. Je donnerai
des explications tout au long du voyage, mais n’hésitez pas
à poser toutes les questions que vous souhaiterez, à moi
ou à mes frères et sœur. Leur anglais n’est pas très bon,
mais suffisant pour crier « un touriste américain vient de
tomber de la falaise » !
Le sang de Kayla se glaça, mais Paolo ajoutait déjà :
— Cela ne se produira pas si vous respectez la règle
numéro un qui est…
— Ne jamais quitter la piste, répondit tout le monde en
chœur.
— Parfait. Je vous demande de prendre maintenant
quelques minutes afin de vérifier si vos sacs à dos sont
bien arrimés, si vous avez suffisamment d’eau et de crème
solaire à portée de main. Ensuite, nous nous mettrons en
route. Nous traverserons d’abord le Rio Urubamba, puis
nous commencerons notre ascension.
Kayla appliqua une couche supplémentaire de crème et
mit son chapeau à large bord. Puis Brett et elle vérifièrent
mutuellement leurs sacs à dos.
Lorsque ce fut fait, elle se tourna vers lui.
— En route pour la grande aventure et le changement !
Brett s’approcha, emprisonna son visage entre ses
mains.
— Kayla, dit-il, très sérieux, ma vie a déjà changé et la
grande aventure a commencé hier après-midi, à la
terrasse du café où je t’ai rencontrée.
Kayla sentit sa gorge se serrer. Malgré l’épreuve
qu’allaient constituer ces quatre jours, il y avait longtemps
qu’elle ne s’était sentie aussi heureuse. Et cela, grâce à
Brett. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de songer que
dans quelques jours à peine ce bonheur ne serait plus
qu’un souvenir. Alors, il fallait vivre l’instant présent et
c’était exactement ce qu’elle avait l’intention de faire.
Cela et prier pour réchapper à ces quatre jours.
Pourquoi Brett n’avait-il pas choisi d’aller réfléchir à sa
vie sur une île tropicale où la plus grande difficulté
consistait à décider si l’on allait boire une tequila sunrise
ou une piña colada, où l’hôtel donnait sur un lagon
turquoise et voyager léger consistait à emporter toute une
collection de jolies petites robes à bretelles, d’adorables
sandales et de minuscules Bikini ? Voilà qui était
beaucoup plus dans son style que de porter un énorme sac
à dos et de dormir sous la tente. Elle remplirait sa mission
de la même manière, mais dans un cadre confortable.
Sans parler de l’élégance.
Brett la trouvait séduisante mais qu’en serait-il au bout
de quelques jours de piste ? Elle imaginait déjà le
désastre ! Il ne restait plus qu’à espérer que ses lunettes
de soleil et son chapeau cacheraient en partie sa mine
défaite.
Lorsque tout le monde fut prêt, Paolo tendit à chacun un
petit dépliant de poche plastifié.
— Vous y trouverez représentées de nombreuses
espèces végétales et notamment les deux cent cinquante
types d’orchidées qui poussent le long de la piste, mais
également des oiseaux, des insectes et une grande variété
de papillons. Toutefois, le spectacle le plus rare et le plus
prisé le long de la piste est incontestablement l’ours à
lunettes.
Kayla devint blême.
— Un ours ! s’exclama-t-elle, aussitôt rejointe par
Ashley, tout aussi paniquée qu’elle.
— Inutile de vous inquiéter, dit Paolo. Il est très timide.
C’est lui qui aura peur de vous.
— J’en doute, dit Kayla.
Paolo se mit à rire.
— Il est herbivore, vous ne courrez aucun danger. C’est
une espèce en voie de disparition. Nous aurons beaucoup
de chance si nous en apercevons un.
— Tant que c’est de loin, marmonna Kayla, ignorant le
petit rire de Brett.
Ils se remirent en route. Au bout de quelques pas, Brett
prit sa main, l’attira à l’écart.
— Ne t’inquiète pas, dit-il, je te protégerai.
— Je reconnais bien là l’orgueil masculin. Merci, mais je
me débrouille très bien toute seule et ce, depuis fort
longtemps.
Un sourire effleura les lèvres de Brett. Il se mit à
caresser la paume de sa main du plat du pouce.
— Je pense que tu ne diras plus cela ce soir, lorsque je
te proposerai de te masser pour te détendre.
— Qu’est-ce qui te fait croire que je te laisserai faire ?
rétorqua Kayla, levant le menton d’un air de défi.
Il porta sa main à ses lèvres, caressa l’intérieur de son
poignet du bout de la langue. Kayla sentit un frisson
délicieux parcourir son corps.
— Voilà ce qui me le fait croire, murmura Brett, levant
les yeux vers elle, son souffle balayant sa peau encore
humide de sa caresse. Je suis fou de toi. Il n’y a que
quelques heures que nous avons fait l’amour et je suis déjà
impatient. D’ici à ce soir, je me demande comment je vais
tenir.
Son regard glissa lentement sur elle.
— T’ai-je dit combien tu étais sexy dans cette tenue de
randonneuse ?
— Pas depuis que nous sommes partis de Cusco, cela
fait plus de quatre heures. D’ailleurs, ajouta Kayla, prenant
un air faussement offusqué, je me sens totalement
abandonnée.
— Tu es à croquer, dit-il, effleurant de nouveau la peau
fine, délicate, de son poignet.
Seigneur, songea Kayla. Elle n’allait jamais pouvoir faire
cette randonnée s’il continuait ainsi ! Savait-il, lui aussi,
combien il était désirable ? Irrésistible, pour tout dire, avec
sa chemise délavée, son short beige et ses chaussures de
marche. Grand, musclé, ses cheveux sombres balayés par
le vent et cette ombre de barbe naissante à ses joues, il
avait tout d’un aventurier. Un aventurier bien trop attirant…
Elle s’éclaircit la voix.
— Merci pour le compliment, mais je ne…
— Je suis sincère. Ces chaussures de marche font
paraître tes jambes encore plus longues et musclées. Et
ton short kaki souligne très harmonieusement la courbe
des plus jolies fesses que j’ai jamais vues.
Le regard de Brett se posa sur ses seins. Leurs pointes
se dressaient fièrement, toutes dures, sous le coton fin du
T-shirt.
— Et je dois dire que ce T-shirt moule ta poitrine d’une
façon… oh, bon sang !
Il se pencha à son oreille.
— Je vais avoir beaucoup de difficulté à marcher dans
l’état où je suis, je le crains, murmura-t-il.
— C’est toi, alors, qui risques d’avoir besoin d’un
massage, ce soir.
— Je suis partant.
— Dans ce cas, il t’intéressera sans doute de savoir
que je viens de lire un ouvrage intitulé L’Art du Massage
Erotique. C’est une lecture des plus instructives.
Devant le regard soudain brûlant de désir de Brett,
Kayla sentit sa température monter d’un cran.
— Je suis ravi de l’apprendre. Mais crois-tu qu’en parler
maintenant soit le meilleur moyen d’améliorer mon état ?
— Ne t’inquiète pas. Mes lèvres sauront te procurer les
caresses qui détendent.
Brett ne put réprimer un grognement.
— Quelle cruauté ! Comment veux-tu que je me
concentre sur cette randonnée alors que je ne songe qu’à
toi, à tes lèvres, aux massages érotiques ?
— Si cela peut t’aider, sache que, juste avant, j’avais lu
Tout savoir sur le baiser sensuel.
— Tu exagères.
— Pas plus que toi lorsque tu as parlé de me
déshabiller dans le bus.
— Et encore, je ne t’ai pas dit ce que j’avais l’intention
de te faire une fois que tu serais nue.
Kayla trébucha et faillit tomber.
— Je t’interdis de me le dire. J’ai vraiment besoin de
faire attention, de me concentrer sur…
— Sur l’image de ma langue léchant…
— Sur le chemin ! lança Kayla, le souffle court, jetant un
bref coup d’œil autour d’elle pour s’assurer que personne
ne les avait entendus. J’ai besoin de me concentrer sur le
chemin.
Le sourire enjôleur que lui décocha Brett ne fit qu’attiser
le feu qui, déjà, brûlait en elle.
— Tu as raison, concentre-toi sur le chemin que je vais
tracer du bout de la langue jusq…
— Pouce ! dit Kayla. Je n’y tiens plus.
— Bienvenue au club.
— Je propose que nous nous occupions du chemin sur
lequel nous marchons, d’accord ?
— Excellente suggestion. Je veux bien essayer, à
condition que tu ne me parles plus de tes lectures.
— Marché conclu !
Paolo venait de s’arrêter. Il rassembla le groupe.
— Nous allons traverser la rivière, expliqua-t-il. Le pont
est solide mais étroit. Nous devrons marcher en file
indienne.
Brett s’effaça pour laisser passer Kayla.
— Honneur aux dames.
— Quelle galanterie !
— Je suis un garçon très poli. Mais l’honnêteté m’oblige
à reconnaître que ce n’est pas l’unique raison.
— Que veux-tu dire ?
Kayla sentit sa main effleurer ses fesses et le souffle lui
manqua.
— J’adore ton côté pile.
N’avait-elle pas dit « pouce » il y avait moins d’une
minute ? S’il voulait jouer à ce petit jeu, il n’allait pas être le
seul. Lorsqu’elle avança pour se placer dans la file, elle
plaqua ostensiblement son corps contre le sien au
passage, laissant sa main glisser le long de sa braguette.
— Ainsi, tu aimes mon côté pile ? susurra-t-elle. C’est
bon à savoir. Je vais faire en sorte que tu en profites au
maximum.
Elle imprima une petite pression à son sexe, ravie
d’entendre Brett inspirer brusquement, la respiration
sifflante.
— Bonne randonnée, bello !
11.

Le soleil couchant dardait ses rayons, allongeant les


ombres sur le paysage, lorsque Paolo donna enfin le signal
de s’arrêter. Ils avaient atteint Huayllabamba, le village où
ils allaient installer leur camp. Ce fut un soulagement pour
tout le groupe. Brett ôta son sac à dos et se tourna vers
Kayla.
— Ça va ?
Elle se débarrassa à son tour de son chargement qui
tomba lourdement sur le sol, soulevant un petit nuage de
poussière.
— Voyons voir, dit-elle, faisant tourner sa tête de droite
et de gauche. Après avoir parcouru dix kilomètres à cette
altitude, ce qui est une première, je ne sens plus mes
muscles et mon dos est complètement endolori. J’ai faim,
soif, je suis couverte de poussière et, pour couronner le
tout, mes cheveux frisottent, complètement emmêlés.
Kayla s’interrompit et décocha à Brett un sourire
éblouissant.
— Et en dépit de tout cela, je ne me suis jamais sentie
aussi vivante, aussi tonique. Mon corps est épuisé, mais je
suis heureuse. J’ai entrepris et réussi quelque chose que je
n’avais encore jamais fait. C’est déjà un grand changement
et j’en sens les effets.
Le regard vert de Kayla brillait intensément.
— Et puis, il y a cette multitude de sensations que ce
lieu inspire, la présence si forte du passé, cette impression
de remonter le temps. C’est à la fois excitant, merveilleux
et très apaisant. Et j’aime aussi beaucoup notre groupe.
Ce sont des gens charmants.
Elle tendit la main, effleura la joue de Brett.
— Une personne en particulier. J’ai beaucoup aimé
partager cette journée avec toi, Brett. Découvrir la beauté
de cette piste, les différentes espèces de plantes, marcher,
parler avec toi. Ce fut vraiment formidable.
Incapable de résister, Brett l’attira dans ses bras. Elle
se serra contre lui et il se sentit aux anges. Sa formule, ses
soucis, il avait du mal, soudain, à se souvenir que tout cela
existait. Et que le moment était mal choisi pour se laisser
envahir par le trouble, les émotions que Kayla faisait naître
en lui. Il aurait dû se ressaisir, mais refusant d’y penser, il
l’attira plus près.
— Formidable, répéta-t-il d’une voix douce. Oui, c’est le
mot qui convient.
Il se pencha, effleura ses lèvres. Un désir fulgurant
traversa son corps, comme s’il venait de s’embraser.
Durant les dix kilomètres qu’avait duré la marche, il
s’était efforcé de combattre l’attirance qu’il éprouvait pour
elle, de se concentrer sur la beauté du paysage, sur les
commentaires historiques de Paolo, mais il n’avait pu
chasser Kayla de son esprit. Jamais il n’avait été à ce
point troublé par la présence d’une femme. Il avait cherché
tous les prétextes pour l’approcher, la toucher. Il savait à
qui elle avait parlé, quand elle avait bu, pris des photos,
remis une mèche de cheveux en place sous son chapeau. Il
n’avait rien perdu d’elle, de ses faits et gestes.
La curiosité dont elle faisait preuve à l’égard de tout ce
qu’elle voyait, les questions pertinentes qu’elle posait à
Paolo, ses commentaires pleins d’humour qui amusaient le
groupe, tout en elle lui plaisait, l’attirait aussi
irrésistiblement qu’un aimant. Elle n’avait pas hésité un
instant à marcher dans la boue pour aller observer de près
les minuscules espèces végétales indiquées par Paolo et
pas une fois elle ne s’était plainte des conditions difficiles.
Bien au contraire, elle avait avancé avec détermination,
mettant de côté ses habitudes de citadine pour prendre à
bras-le-corps l’aventure avec un courage et une réelle
envie de découverte qui l’avaient impressionné.
Il avait également pu observer combien elle était
attentive aux autres membres du groupe, en particulier Dan
Smith avec lequel elle s’était attachée à discuter lors des
courtes pauses.
— Il me fait penser à mon père, lui avait-elle confié
après un arrêt.
Ils avaient marché côte à côte, admirant le paysage, l’un
et l’autre saisis par le calme et la sérénité du lieu. Pour
Brett, tenir sa main dans la sienne suffisait à le contenter. Il
se sentait bien. Il aimait la chaleur de sa paume si douce
pressée contre la sienne, le contact de ses doigts fins
enlaçant les siens. Et à présent qu’il la tenait serrée contre
lui, ce dont il avait rêvé toute la journée, tous les sentiments
qu’il s’était efforcé de contenir le submergeaient. Il la
désirait comme jamais il n’avait désiré personne.
Et toi, comment te sens-tu après cette journée
éprouvante sur la piste ? demanda-t-elle.
— Eprouvante, mais incroyable, tu l’as dit toi-même. Et
d’autant plus que je l’ai partagée avec toi.
Brett baissa la voix.
— Au cas où tu ne t’en serais pas rendu compte, tu me
plais beaucoup.
Il avait lancé ces mots d’un ton léger, préférant ne pas
songer à quel point ils étaient en dessous de la réalité.
Le regard de Kayla se fit tendre et un sourire effleura
ses lèvres.
— Toi aussi, tu me plais beaucoup.
Comment réagirait-elle, songea Brett, s’il lui disait qu’il
n’avait jamais rien vécu de semblable, qu’elle ne quittait
pas ses pensées une seconde et que ce qu’il éprouvait
pour elle tant physiquement que sur le plan émotionnel était
si fort que cela l’effrayait ? Mais il ne s’y risqua pas.
— Tu sais, dit-elle, j’aurais su que je te plaisais même si
tu ne me l’avais pas dit.
Une lueur malicieuse traversa son regard et elle pressa
doucement son corps contre le sien, son sexe contre son
érection.
— Il est assez facile de s’en apercevoir.
— Il est indéniable que tu as l’art de réveiller mes
ardeurs.
Elle rit, referma les bras autour de son cou.
— C’est parce que tu n’as pas encore vu mes cheveux.
Aussitôt, Brett lui arracha son chapeau, libérant une
masse de boucles auburn se dressant dans toutes les
directions.
— Tu as été frappée par la foudre ? plaisanta-t-il.
— Ha, ha, c’est malin !
Il enfouit ses doigts dans les boucles souples, soyeuses.
— Hum… très sexy. Mais ils étaient beaucoup plus
raides hier.
— Lorsque je m’emploie à les coiffer. Mais si je ne fais
rien, voilà le résultat.
Paolo s’éclaircit la voix, réclamant l’attention de tous.
— Vous pouvez prendre quelques minutes pour vous
étirer, vous détendre pendant que nous commençons à
installer le campement. Dans la mesure où nous ne
disposons pas de toilettes, je vais installer la tente toilettes
en premier, ce qui devrait prendre une dizaine de minutes.
Kayla s’écarta de Brett et il dut pincer les lèvres pour ne
pas rire devant son expression horrifiée.
— Il a bien dit « pas de toilettes » ?
— Oui, dit Eileen Carlson avec un sourire réconfortant.
C’était pareil lorsque nous partions en camp, enfants.
— Mais je ne suis jamais partie en camp, enfant,
rétorqua Kayla, affolée. Ce que j’ai de plus approchant
comme référence, c’est un voyage avec ma classe, juste
avant l’année de terminale. C’était en autocar et nous
avions des toilettes.
Lorsqu’elle se tourna vers Brett, il lut la panique dans
son regard.
— Tu as connu ça, toi ?
Il hocha la tête.
— Oui. Un camp différent chaque été. Mes préférés,
c’étaient les camps scientifiques, lorsque nous faisions
des expériences dans la nature. Nous avions des toilettes,
mais nous, les garçons, nous préférions aller dehors, faire
pipi dans les bois. Cela faisait plus viril.
Il glissa un doigt sous son menton.
— Eh, princesse, ce n’est pas si grave.
— Evidemment, pour quelqu’un qui peut faire pipi
debout.
— L’avantage d’être un homme.
— Comme s’il n’y en avait qu’un ! lança Kayla.
— Ah bon ? Et quel autre ?
Elle croisa les bras sur sa poitrine et le toisa.
— Tu veux dire en dehors du fait que vous n’avez pas à
vous préoccuper de maquillage, de coiffure, de mincir tous
les étés au moment de vous mettre en maillot, que les
cheveux gris et les rides vous donnent un charme
supplémentaire au lieu de vous faire paraître vieux et
décatis ? Tu veux dire en dehors de toutes ces choses-là ?
— D’accord, dit Brett. Désolé d’avoir posé la question.
Mais nous payons plus cher en assurance automobile.
— Parce que vous conduisez comme des fous.
Eileen se mit à rire.
— J’ai l’impression de nous entendre, Bill et moi,
lorsque nous sommes tombés amoureux. Il y a vingt-sept
ans de cela et nous avons toujours les mêmes discussions
sur les inégalités homme-femme.
Elle secoua la tête, l’air désespéré.
— Croyez-moi, Kayla, inutile d’user votre salive, les
hommes n’y comprennent rien. Sans vouloir t’offenser, mon
chéri, ajouta-t-elle, tapotant le genou de son mari.
— Il n’y a pas de mal.
Bill adressa un grand sourire à Brett.
— Je me porte très bien à ne rien comprendre aux
arcanes de la beauté féminine, maquillage, cheveux et que
sais-je encore ? C’est le résultat qui compte et il me plaît
beaucoup, ajouta-t-il, portant la main de son épouse à ses
lèvres pour l’embrasser tendrement.
Il était évident qu’il l’aimait d’un amour profond.
Il fallut à Brett quelques secondes pour intégrer les
paroles troublantes d’Eileen. Les pensait-elle amoureux
l’un de l’autre, Kayla et lui ? Amoureux… Ces mots
l’obsédaient, ne voulaient plus le lâcher. Etait-ce l’image
qu’ils donnaient aux autres ? Leurs compagnons de
randonnée seraient-ils surpris d’apprendre qu’ils ne
s’étaient rencontrés que…
La veille ?
Il prit subitement conscience de la réalité. Comment
était-il possible que Kayla l’ait envoûté à ce point, si vite ?
Qu’il se sente si bien, tellement en accord avec elle alors
qu’ils se connaissaient depuis si peu de temps ? Et par-
dessus tout, qu’il songe déjà à poursuivre leur relation de
retour à New York ?
D’ordinaire, il était plus prudent avec les femmes,
surtout dernièrement. Il avait appris à se méfier.
S’intéressait-on à lui pour sa personne ou pour sa
formule ? Mais avec Kayla, pas de danger. Elle ignorait
tout de sa découverte. Et face à l’irrésistible attirance qui le
poussait vers elle, il n’existait qu’une explication logique
pour rendre compte de ce phénomène. Une explication
étayée par sa recherche : leurs phéromones s’attiraient
irrésistiblement.
Ashley les rejoignit, interrompant Brett dans ses
réflexions. Elle posa une main compatissante sur le bras
de Kayla.
— Je comprends votre réaction au sujet des toilettes.
J’ai eu la même la première fois où je suis partie avec
Shawn, mais il est fou de ce genre d’expéditions. Alors,
c’était cela ou bien changer de petit ami.
Elle se tourna vers Shawn, assis un peu plus loin, en
grande conversation avec Dan Smith, et sourit.
— J’ai fait le bon choix. On s’habitue vite. Le tout est de
faire attention aux plantes qui ont des épines et aux
serpents.
Brett vit Kayla pâlir.
— J’y veillerai, soyez-en sûre. Hum, poursuivit-elle,
s’éclaircissant la voix, je présume que si les toilettes sont
aussi primitives, il n’y a pas de douche non plus.
— Prenez des seaux, lança Alberto, occupé à dérouler
les tentes. On remplit à la rivière et on se verse sur la tête,
ajouta-t-il dans un anglais approximatif.
Un grand sourire illumina son visage tandis qu’il mimait
la scène.
— Ça fait bonne douche.
— Très froid, très bon, ajouta Miguel, avec un sourire
aussi étincelant que celui de son frère.
— Très froid, très bon ? répéta Kayla. Il y a visiblement
un problème de traduction.
— Prenez les seaux, répéta Alberto, je vous donne
serviettes.
Il hocha la tête en direction de Brett.
— L’homme vous réchauffera.
— Ça me va très bien, répondit Brett, s’efforçant de
garder son sérieux.
— Moi aussi, renchérit Bill. Tu as entendu, Eileen ?
Ashley et Eileen gloussèrent, puis elles se dirigèrent
vers la tente des toilettes que Paolo venait de finir de
monter.
Kayla se tourna vers Brett.
— Tu es donc partant pour une douche froide ?
Il s’avança, l’attira dans ses bras.
— Oui. D’ailleurs, j’en aurais bien eu besoin d’une,
aujourd’hui. Des heures à regarder tes fesses, tu
imagines ? Au fait, je les ai photographiées.
— Mes fesses ? Au lieu de photographier le paysage ?
— Je l’ai photographié. J’ai pris des clichés des
sommets des Andes, des espèces animales et végétales,
des ruines de Llaqtapata et de tes fesses.
Kayla rit.
— Tu es vraiment un homme impossible.
— Attention. Sois gentille avec moi ou pas question que
l’homme te réchauffe après la douche.
— L’homme a intérêt à me réchauffer sinon pas de
massage érotique.
Il rit à son tour.
— Allez, viens. Prenons ce seau, des vêtements de
rechange et nos serviettes et allons nous doucher avant
que le soleil ne soit couché et qu’il fasse froid.
Tandis que Kayla allait chercher ses affaires, Brett
s’avança vers Alberto. Ce dernier lui tendit deux grandes
serviettes moelleuses et dit, baissant la voix :
— Après la tente toilettes, gros rocher. Suivre le chemin
par là, indiqua-t-il. Endroit isolé.
Brett leva un sourcil étonné.
— Isolé ? A quel point ?
— Vous, seuls, dit Alberto, hochant la tête. Toujours
envoyer les randonneurs dans directions différentes pour
se laver en privé. Personne pour déranger, sauf si en
retard pour dîner. On part chercher. Dîner dans une heure.
Pas être en retard.
Brett sourit au jeune homme.
— Gracias, dit-il, employant l’un des rares mots
d’espagnol qu’il connaissait.
Alberto lui sourit en retour et reprit son travail de
montage des tentes. Brett s’arrêta pour prendre ses
affaires, puis il s’engagea avec Kayla sur le chemin
sinueux qui conduisait à la rivière.
Et à leur petit îlot d’intimité.
12.

Brett brûlait d’impatience et il pressa le pas.


— Pas si vite, protesta Kayla, tirant sur sa main.
La perspective de se retrouver seul avec elle dans un
endroit isolé, après avoir passé la journée à la désirer
comme un fou, avait fait monter la pression. Il n’aurait pas à
attendre le moment de se retirer dans la tente pour lui faire
l’amour et il ne songeait déjà plus qu’à cela.
Au détour du chemin, ils aperçurent Eileen et Ashley.
— Pour les toilettes, c’est un peu plus loin, dit cette
dernière. Bonne chance.
— Voilà qui est encourageant, dit Kayla, lorsqu’elles
eurent disparu. Bon. Je n’ai pas le choix, de toute façon.
Quelques mètres plus loin, ils aperçurent la fameuse
tente. Elle consistait en quatre poteaux adossés à un arbre
et sur lequel étaient tendus deux rideaux de plastique. Une
pancarte de bois avec le mot « Libre » peint dessus était
posée au pied de l’arbre.
— J’imagine que je ne vais pas être mordue par un
rideau en plastique. Ouvre l’œil, au cas où un ours viendrait
rôder.
— D’accord. Et je ferai également attention aux chats
sauvages et aux serpents.
— Très drôle.
— Je ne serai pas loin, dit-il, désignant un buisson.
Après avoir jeté un dernier coup d’œil autour d’elle pour
s’assurer qu’il n’y avait rien de suspect en vue, Kayla
rassembla son courage et se dirigea vers la tente, du pas
décidé d’un bon petit soldat.
Brett s’éloigna discrètement, amusé de la voir retourner
la pancarte du côté « occupé » avant de la poser de
nouveau au pied de l’arbre.
Cinq minutes plus tard, elle réapparaissait.
— Alors ? demanda-t-il.
— J’ai survécu. Désormais, je crois que j’apprécierai le
confort à sa juste valeur.
Kayla leva les yeux vers lui et il fut surpris de leur
expression sérieuse. Elle s’approcha, posa les mains à
plat sur sa poitrine.
— J’ai l’impression de voir les choses différemment,
déjà. Ça va très vite.
Il referma les mains sur les siennes, les pressa
tendrement.
— Je ne saurais pas l’expliquer, poursuivit-elle, mais je
me sens une autre ici. Aussi étrange que cela puisse
paraître, je me sens changer.
— C’est un bon début. Tu es venue à la recherche d’un
nouvel équilibre, tout comme moi. Tu avais raison
d’espérer.
De nouveau, Brett vit une étrange lueur traverser son
regard, comme si elle était soudain mal à l’aise. Mais ce
fut si fugace qu’il n’aurait pu l’affirmer.
— Peut-être que ce lieu a quelque chose de mystique
en lui, de magique, finalement, dit-elle.
Mystique ? Magique ? Autant de notions que l’esprit
rationnel, scientifique de Brett rejetait. Toutefois, il ne
pouvait nier que lui aussi se sentait différent ici. Mais cela
tenait surtout à elle. C’était comme si elle l’avait ensorcelé,
comme s’il n’était plus maître de lui-même, irrésistiblement
attiré par elle.
Il la prit contre lui et l’embrassa. Toute la journée, il en
avait rêvé. Les bras refermés autour de son cou, elle
entrouvrit les lèvres. Il les effleura, puis sa langue trouva la
sienne et il plongea dans sa bouche pour en explorer
l’intimité, la douceur satinée. Et soudain, ce fut comme si
une lave brûlante inondait ses veines. Il la serra plus fort,
les mains plaquées au creux de ses reins et pressa contre
elle son sexe bandé et dur. Elle était douce et chaude dans
ses bras, souple comme une liane et il poussa un
gémissement, ivre de désir.
L’écho d’un rire résonna soudain dans le lointain. Brett
leva la tête. Il croisa le regard de Kayla, chaviré de désir.
— Si seulement nous pouvions être seuls, dit-elle,
pressant doucement ses seins contre son torse.
Il la plaqua plus fort contre lui, contre son sexe tendu,
presque douloureux.
— Alberto m’a indiqué un endroit où nous ne serons pas
dérangés.
— Alors, allons-y. Je suis impatiente.
Brett s’empara du seau dans lequel il avait mis toutes
leurs affaires, puis il prit Kayla par la main.
Le chemin se fit plus étroit, serpentant au milieu des
buissons. A chaque pas, le bruit de la rivière bondissant
sur les rochers se faisait plus intense. Et soudain, elle fut là,
le chemin finissant sur sa rive en une petite crique nichée
au creux d’un bouquet d’arbres. Un gros rocher, à hauteur
de taille, formait une barrière naturelle, isolant un peu plus
encore la petite crique. Sur la rive opposée, l’eau déferlait
de la falaise en cascade, brume de gouttelettes argentées
scintillant dans la lumière du couchant.
— C’est magnifique, murmura Kayla.
Brett laissa tomber le seau et sa serviette et l’attira dans
ses bras.
— Enfin seuls…, murmura-t-il.
Puis ses lèvres pressèrent les siennes. Elle s’offrit
aussitôt à son baiser tandis que ses doigts s’employaient
sans plus attendre à dégrafer la ceinture de son short. La
maîtrise dont il avait fait preuve toute la journée s’envola
instantanément.
Lèvres unies, souffles haletants, ils s’arrachèrent leurs
vêtements, pressés et gauches, au milieu des soupirs.
Brett dégrafa le short de Kayla et le fit glisser d’un geste
preste le long de ses jambes, entraînant son petit slip. Puis
il insinua un genou entre ses jambes. Déjà, sa main glissait
le long de sa cuisse.
— Hum… j’ai tellement envie de toi, dit-il, la tête nichée
au creux de son cou, mordillant la peau si fine derrière son
oreille.
— Prends-moi, dit-elle d’une voix tendue, bougeant
contre ses doigts qui, déjà, caressaient sa chair douce,
humide.
— Tout de suite ?
— Oui, tout de suite. Je te veux, maintenant. Il y a un
préservatif dans la poche de mon short.
— J’en ai un, moi aussi.
Elle lui ôta sa chemise. Puis elle dégrafa son short,
libérant son sexe dardé et dur. Tandis qu’il enfilait le
préservatif, elle acheva de se déshabiller.
Dès qu’il eut terminé, il se laissa tomber à genoux,
l’entraîna avec lui et roula sur le dos. Elle le chevaucha
aussitôt et d’un seul mouvement, s’empala sur son sexe
dressé.
Il sentit sa chair l’envelopper, chaude et douce, tandis
qu’un désir fulgurant traversait ses reins. Alors, il lui donna
ce qu’elle voulait, ce qu’ils voulaient tous deux. Il la prit très
fort, très vite, en rafales de coups de reins qui firent perler
la sueur à son front et s’évanouir de son esprit toute autre
pensée que celle de ce point où s’unissaient leurs deux
corps.
Elle se cambra violemment contre lui et il se redressa,
prit tour à tour ses seins dans sa bouche, pressant
follement ses lèvres contre leur chair ferme et douce,
mordillant leurs pointes, les suçant, les aspirant dans sa
bouche. L’odeur musquée de son désir l’enivrait et il
accéléra soudain le rythme, les amenant tous deux au bord
de la jouissance. Kayla eut un gémissement rauque au
moment où elle chavirait, pressant fiévreusement son corps
contre le sien, unie à lui, soudée, tout entière traversée par
le plaisir. Un plaisir si intense qu’il le fit basculer à son tour
et, dans un dernier coup de reins, il jouit, le corps secoué
de longs spasmes.
Il n’avait toujours pas repris son souffle lorsqu’elle
murmura :
— Oh, que c’était bon… J’avais tellement envie de toi.
Il leva la tête et la regarda. Son sourire lui fit battre le
cœur.
— Tu es si désirable, si belle… waouh !
— Essaierais-tu encore de m’impressionner avec tes
termes scientifiques ?
Il rit.
— Je me contente de décrire ce que je vois.
— Tu exagères.
— Pas du tout, dit-il, posant un baiser sur ses lèvres. Au
fait, d’où vient ce préservatif dont tu parlais ?
— Je n’ai pas acheté que des pellicules photo et des
cachets pour purifier l’eau, ce matin. Je tenais à avoir des
préservatifs à disposition si jamais il me prenait l’envie de
t’entraîner dans les bois.
— J’adore cette idée. Mais tu aurais tout aussi bien pu
en prendre dans mon sac.
Kayla sentit ses joues s’empourprer.
— Je n’ai pas envie de fouiller dans tes affaires. Et puis,
ajouta-t-elle avec un petit sourire, une femme n’est jamais
trop prévoyante. Qui sait ce qui peut arriver ?
Contre toute attente, l’idée que Kayla puisse en avoir
besoin avec un autre homme que lui traversa soudain
l’esprit de Brett. Une sensation désagréable l’envahit,
oppressant sa poitrine. Il répugnait à l’admettre, mais il n’y
avait aucun doute : il s’agissait bien de jalousie. L’idée que
Kayla puisse faire l’amour avec un autre homme, le
regarder comme elle le regardait en cet instant, avec cette
lueur malicieuse et complice dans les yeux, cet abandon…
cela ne lui plaisait pas. Pas du tout.
Il dut l’exprimer d’une certaine façon car elle fronça
soudain les sourcils et emprisonna son visage entre ses
mains.
— Quelque chose ne va pas ?
Brett chassa la vision désagréable de Kayla lovée dans
les bras d’un autre et se força à sourire.
— Non, tout va bien.
Il la serra plus fort contre lui, refusant de voir dans ce
geste quoi que ce soit de possessif.
— Grâce à toi.
— Et grâce à moi, encore, nous disposons d’un second
préservatif que je suis toute disposée à partager.
Brett sentit se dissiper un peu la tension qui l’habitait.
— Je suis partant.
— Dans ce cas, que dirais-tu de partager une douche
froide et de voir ensuite comment utiliser au mieux ce
préservatif ?
Il pressa la chair douce et ferme de ses fesses.
— C’est un programme qui me va parfaitement.
13.

— Oh, mon Dieu, s’exclama Kayla, le souffle coupé,


tandis que l’eau glacée ruisselait sur ses cheveux, son
corps.
Elle referma les bras sur elle, dans un effort désespéré
pour arrêter le tremblement qui l’avait saisie et regarda
Brett. Il souriait, le seau vide à la main.
— C’est atrocement froid.
— Disons un peu frais.
— Un peu ?
Elle fixa son corps mouillé avec un mélange
d’admiration et de méfiance.
— Tu n’as même pas réagi lorsque j’ai versé l’eau sur
toi. De quoi es-tu fait ? D’acier ?
— La température corporelle des hommes est
généralement plus élevée que celle des femmes.
Il laissa son regard glisser lentement vers sa gorge, ses
seins, la courbe envoûtante de ses hanches.
— De plus, te regarder suffit à la faire grimper.
Toute tremblante, Kayla saisit le savon et commença à
se savonner tandis que Brett s’accroupissait pour remplir
de nouveau le seau dans le courant. Lorsqu’il se releva,
elle oublia un instant le froid qui la faisait frissonner pour
l’admirer. Il était incroyablement désirable, grand, musclé,
la peau encore tout humide de la douche, des gouttelettes
s’accrochant à la toison de son torse et… Son regard
glissa le long de son ventre, jusqu’à son sexe que la
fraîcheur ne semblait pas affecter le moins du monde.
Lorsqu’il fut face à elle, il posa le seau.
— Tu as besoin d’aide ?
Avant qu’elle ait eu le temps de répondre, il refermait les
mains sur ses seins couverts de mousse et pressait
doucement leurs pointes. Une onde de chaleur parcourut
instantanément le corps de Kayla.
— Tu aurais dû me prévenir que l’eau était si froide, dit-
elle, s’efforçant de garder un ton posé.
Mais ce fut peine perdue et ce qu’elle voulait dire se
perdit soudain dans un gémissement de plaisir tandis que
les mains de Brett exploraient son corps, sa peau douce,
satinée, sous la mousse du savon.
— Si je t’avais prévenue, tu aurais refusé que j’en verse
une seule goutte sur toi. Tu vois ce que tu aurais perdu.
Il avait raison. La caresse de ses mains était magique
et elle ne frissonnait déjà plus que de plaisir. Pleine de
gratitude, elle frotta le savon sur son torse tandis qu’il
massait son dos endolori, que ses doigts fermes glissaient
vers ses reins, lui arrachant un gémissement de pur
bonheur.
— Hum… c’est fou l’effet que tu me fais, dit-il, regardant
ses mains glisser sur les muscles de son torse, les presser
voluptueusement.
Kayla baissa à son tour les yeux. Le sexe de Brett se
dressait fièrement entre eux, puissant, dur, tellement
tentant. Elle ne résista pas et laissa ses mains descendre
le long de son ventre, en savonner les muscles tendus.
Lorsqu’elle referma ses doigts pleins de savon sur son
pénis et le pressa doucement, Brett ne put réprimer un
gémissement et il ferma les yeux.
Encouragée par sa réponse, elle arrondit les doigts
autour de son gland. Puis, simulant une résistance, elle le
fit glisser dans sa main serrée avant de caresser toute la
longueur de sa verge, jusqu’à la base, tandis que, de
l’autre main, elle savonnait doucement ses testicules et les
zones les plus sensibles et les plus secrètes de son
entrejambe.
— Tu sais, finalement, murmura-t-elle, je trouve cette
randonnée beaucoup plus intéressante que je ne l’aurais
cru.
— Moi aussi. Ah…, dit-il, incapable de poursuivre. Que
c’est bon…
— Quoi ? Ça ? demanda Kayla, mutine, laissant
doucement remonter ses doigts jusqu’à son gland gorgé
de sève qu’elle pressa doucement du pouce avant de le
prendre dans sa main, le faisant rouler sous sa paume.
— Oui. Ça.
Tout en répondant, il avait laissé une main glisser sur
ses fesses, s’insinuer entre ses jambes, trouver son sexe.
Le savon échappa des mains de Kayla et elle laissa sa
jambe remonter doucement, la cala contre sa hanche,
s’ouvrant sans retenue à sa caresse.
Le visage enfoui au creux de son cou, Brett la caressait.
Ses doigts pressaient sa chair, écartaient, experts, les
lèvres de son sexe. Elle se sentait humide, palpitante,
abandonnée à lui. Soudain, il lui mordilla le lobe de l’oreille
tandis qu’il glissait deux doigts en elle. Elle tressaillit.
— Alors, tu as toujours froid ?
— Oh mon Dieu, non, haleta-t-elle, le corps parcouru
d’un long frisson.
Elle ne savait déjà plus où elle en était, éperdue, offerte
à cette caresse hypnotique, à ces doigts qui prenaient
possession d’elle. Soudain, elle poussa un petit cri, au
bord de la jouissance. Il ôta aussitôt ses doigts et elle
protesta, frustrée.
— Ne bouge pas, dit-il. Je reviens.
Il récupéra son short, sortit le préservatif de sa poche.
Puis il s’empara des serviettes, du seau et prit Kayla par la
main. Il la conduisit jusqu’au gros rocher, étendit leurs deux
serviettes sur la pierre et se posta derrière elle.
Jetant un coup d’œil par-dessus son épaule, Kayla le vit
se baisser, puis elle sentit un petit filet d’eau froide effleurer
son cou, couler le long de son dos. Elle retint son souffle,
parcourue d’un frisson. Il recommença, rinçant
progressivement tout le savon de son corps, sans hâte,
faisant ruisseler l’eau sur elle, sensation intensément
érotique de l’eau froide sur sa peau brûlante. Jamais elle
n’avait senti son corps vivre avec une telle intensité,
chaque parcelle à l’écoute des sensations qu’il faisait
naître en elle.
Lorsque ce fut terminé, elle le rinça à son tour, faisant
couler un mince filet d’eau sur lui, lentement,
voluptueusement. Elle le regarda ruisseler sur ses muscles,
tracer un chemin dans la mousse du savon, la rincer peu à
peu, révélant son corps. C’était insensé. Il n’aurait pas dû
être permis d’être aussi beau, aussi attirant.
La vue de l’eau glissant sur sa peau, sur son corps
tendu de désir tandis qu’il s’efforçait de ne pas bouger,
l’enflamma tout entière. Lorsqu’elle eut terminé de le rincer,
elle avait le corps en feu et ne songeait plus qu’à une
chose : le sentir en elle. Sa chair palpitait, gonflée, au creux
de ses cuisses, impatiente, le réclamant, attendant la
délivrance. Elle lâcha le seau. Il tomba sur le sol avec un
bruit mat. Elle tendit alors les mains vers lui.
— Brett…
Sa voix était rauque de désir. Elle vit une lueur
enflammer son regard. Sans un mot, il se glissa derrière
elle, pressa son front contre sa nuque. Elle sentit soudain la
chaleur de son corps l’envahir tout entière. Incapable de
résister, elle se mit à bouger, pressant ses fesses contre
son sexe dur comme l’acier. Il laissa ses mains glisser le
long de ses bras, mêla ses doigts aux siens. Puis il se
pencha, la courba sous lui, lui fit poser les mains à plat sur
le rocher.
— Reste comme ça, murmura-t-il à son oreille.
Elle aurait été incapable de bouger. Tout son corps le
réclamait. Elle le voulait, maintenant. Elle le sentit se
redresser, l’entendit déchirer l’emballage du préservatif.
Toujours penchée, elle jeta un coup d’œil par-dessus son
épaule et le vit dérouler le préservatif sur son sexe dressé.
Oh, vite, qu’il la pénètre. Elle n’y tenait plus. Elle voulait
sentir son gland écarter sa chair, sa verge plonger en elle,
puissante, possessive. Lorsqu’il leva soudain les yeux,
leurs regards se croisèrent. L’instant d’après, il était
derrière elle et elle sentit ses mains agripper fermement
ses hanches.
Elle écarta les jambes, tendit ses fesses vers lui,
cambrée à l’extrême, telle une chatte provoquant le mâle.
Il la pénétra alors, en un long mouvement fluide, de toute
la longueur de son sexe, lui arrachant un gémissement de
plaisir.
— Encore, murmura-t-elle.
Il se retira pour mieux replonger en elle l’instant d’après,
lentement, encore et encore, la provoquant, l’excitant, la
rendant folle de désir. Très vite, elle fut au bord de la
jouissance. Une jouissance qu’elle appelait de tout son
corps, désespérément, mais qu’elle refusait néanmoins
d’atteindre trop vite tant le sentir en elle était merveilleux.
Pourtant, incapable de résister, elle accéléra
brusquement le rythme, plaquant fiévreusement ses fesses
contre lui. Il se pencha, la couvrit de tout son corps. D’une
main, il pressait ses seins, faisait rouler leurs pointes
dures, dressées, sous ses doigts, tandis qu’il plongeait
l’autre entre ses cuisses, cherchait son clitoris et le
caressait, le pressait avec insistance tout en la prenant
avec force, profondément, intensément.
La caresse de ses mains, de ses lèvres dans son cou,
la morsure de ses dents sur sa nuque et ses
gémissements de plaisir à son oreille la firent basculer
soudain et elle jouit, cambrée, la tête renversée en arrière,
dans un cri rauque, saccadé, sa chair palpitant en longs
spasmes autour de son sexe planté en elle. Il lâcha prise
alors et, dans un dernier coup de reins, explosa en elle,
libérant sa semence, le corps parcouru d’un long
frémissement.
Kayla haletait, tout son être endolori de plaisir, lorsqu’il
se retira d’elle. Il la retourna doucement, la prit dans ses
bras et la serra contre lui.
Elle sentit son souffle chaud balayer sa joue et elle
ferma les yeux, savourant le contact de sa peau, la chaleur
de son corps tandis que se répercutaient en elle les
battements sourds de son cœur. Le murmure de l’eau
bondissant sur les rochers se mêlait au bruissement des
feuilles et aux chants d’oiseaux en une musique douce à
leurs oreilles, apaisante. Kayla inspira profondément
l’odeur de terre mouillée et celle, musquée, de leur passion
et un sentiment de plénitude l’envahit. Elle se sentait
comblée, détendue, heureuse comme il y avait longtemps
qu’elle ne l’avait pas été. Grâce à ce lieu et à la profonde
sensation de paix qu’il inspirait. Grâce à cet homme et la
myriade d’émotions qu’il faisait naître en elle.
Elle leva la tête, ouvrit les yeux. Leurs regards se
croisèrent, se mêlèrent. Ils ne prononcèrent pas un mot,
mais Kayla sentit qu’il se passait quelque chose. Un
échange silencieux qui parlait de passion et d’intimité et
qui disait, plus clairement que n’auraient pu le faire des
paroles, que ce qui venait de se produire entre eux était…
extraordinaire.
Brett tendit la main, écarta une mèche humide de sa
joue. Ses doigts tremblaient légèrement.
— Kayla, murmura-t-il.
La façon dont il avait prononcé son nom, cette note
d’émerveillement mêlé de respect et de désir dans sa voix,
résonna profondément en elle et elle sentit l’émotion
étreindre sa gorge. Elle voulut parler mais ne fut capable
que d’articuler son prénom.
— Brett.
Il pencha la tête et elle lui offrit ses lèvres. Leurs
bouches s’unirent en un baiser langoureux, profond,
infiniment doux.
Lorsqu’il libéra sa bouche, Brett posa son front contre le
sien.
— C’était…
Elle hocha doucement la tête.
— Oui. Pour moi aussi.
Le silence se fit de nouveau. Point n’était besoin de
mots. Brett glissa les doigts dans ses cheveux, la serra une
dernière fois contre lui.
— Bien que je n’en aie aucune envie, je crois qu’il nous
faut regagner le campement, à présent. Alberto m’a dit que
si nous n’étions pas revenus dans une heure, ils
enverraient quelqu’un nous chercher.
— Dans ce cas…
Kayla se haussa sur la pointe des pieds et effleura ses
lèvres d’un baiser.
— Allons-y.
Au moment où elle se détournait, il la retint par la main.
— Je suis très heureux d’être venu au Pérou et très
reconnaissant au destin de nous avoir inscrits dans la
même randonnée.
Kayla sentit son sang se glacer. En un instant, sa belle
euphorie s’était envolée, laissant la place à la désagréable
réalité, celle d’avoir triché, menti. Culpabilité d’autant plus
aiguë que Brett lui plaisait de plus en plus, ce qui ne faisait
qu’accroître sa détresse lorsqu’elle songeait qu’en d’autres
circonstances, leur brève aventure aurait pu se transformer
en autre chose. Jamais elle n’aurait dû s’impliquer dans
une relation avec lui, car il ne faisait aucun doute qu’il
partirait sans même un regard en arrière s’il découvrait la
vérité. Et il finirait par la découvrir. Peut-être était-il déjà
trop tard. Elle s’était conduite comme une idiote.
Repoussant les pensées qui l’agitaient, elle s’efforça de
sourire.
— Moi aussi, je suis heureuse que le destin nous ait
réunis dans la même randonnée. Ce qui n’est pas peu dire
me concernant, compte tenu des conditions pour le moins
éloignées de mes critères.
— Je trouve que tu te défends très bien.
— Je dois admettre que je me suis prise au jeu et que
ce défi me plaît. C’est un tel changement par rapport à ma
routine, mes histoires de famille et mon travail ! Et puis je
dois dire que la perspective de faire l’amour avec toi à la
fin de la journée est plus que stimulante.
— Je suis tout à fait d’accord. Et maintenant que nous
l’avons fait…
— Deux fois.
— Deux fois, oui, dépêchons-nous de nous habiller et
de rejoindre les autres. Je meurs de faim. Je me sens prêt
à dévorer.
— A dévorer quoi ? lança Kayla d’un ton taquin.
— Un repas, pour l’instant. Mais dès que nous nous
retrouverons dans la tente, je te montrerai ce que je suis
prêt à dévorer.
Kayla sourit, mais une ombre planait sur cette promesse
de moments heureux car plus le temps passait, plus elle
partageait d’expériences avec Brett, moins elle avait envie
que le voyage se termine.
Et plus elle se rendait compte qu’elle n’avait pas le
choix.
14.

Tous les randonneurs étaient installés autour du feu.


Brett huma l’odeur délicieuse qui montait de l’assiette
posée sur ses genoux.
— Pour les habitants de la montagne tels que les Incas,
expliqua Paolo, la viande accompagnée de pommes de
terre représentait le plat de base du régime alimentaire.
Ce qu’Ana a préparé pour vous, ce soir, est un exemple
type de repas inca. Le maïs cultivé à Cusco et dans la
Vallée Sacrée était, et est toujours, appelé choclo. Il était
considéré comme le meilleur de tout l’empire avec ses
gros grains blancs et son goût sucré très particulier. Ce
soir, vous le dégusterez préparé de la façon la plus
traditionnelle, c’est-à-dire bouilli et servi avec un morceau
de fromage de montagne. Le plat principal, poursuivit-il, est
appelé lomo saltado. Il consiste en lamelles de bœuf
cuisinées avec des tomates, des oignons et de gros
morceaux de pommes de terre, le tout servi sur du riz. Ana
a également préparé du rocoto relleno, un poivron farci
avec de la viande et des légumes. Attention, la farce n’est
pas très épicée, mais le poivron, en revanche, est très fort.
Paolo sourit et leva son verre.
— Ce soir, nous boirons l’un des breuvages les
meilleurs du Pérou, chicha morada. Il est sans alcool et
doit sa couleur violette au maïs bleu à partir duquel il est
fabriqué. Mais avant de commencer notre repas, nous
observerons la coutume péruvienne qui consiste à offrir
une gorgée de notre boisson à Pachamama ou terre
nourricière, pour la remercier de sa générosité envers
nous.
Il pencha son verre, laissa tomber quelques gouttes sur
le sol, puis il le porta à ses lèvres et but.
Chacun l’imita. Brett sentit couler avec délice le liquide
frais et sucré dans sa gorge. Il se tourna vers Kayla. Elle
avait fermé les yeux et savourait ce goût étrange,
inhabituel. Paolo s’empara alors de sa fourchette.
— Bon appétit ! lança-t-il.
Et tout le monde attaqua le repas.
Venant récompenser une journée d’efforts, le repas que
Brett aurait trouvé excellent en d’autres circonstances lui
parut le meilleur qu’il ait jamais pris. Tous l’apprécièrent et
complimentèrent Ana qui les remercia chaleureusement.
La conversation s’engagea autour de la randonnée de
la journée, chacun donnant ses impressions et discutant de
ce qu’il avait le plus apprécié.
— La piste des Incas représente une véritable fête pour
les sens, dit Paolo. J’invite chacun d’entre vous à nous
parler de ce qu’il a le plus aimé en fonction de celui de ses
cinq sens qui a été le plus sollicité.
Eileen et Ashley choisirent la vue, s’émerveillant des
orchidées, des paysages à couper le souffle et des
kilomètres de ciel d’un bleu si intense. Dan, Bill et Shawn
choisirent le toucher, rapportant que ce qu’ils avaient le
plus admiré étaient les ruines de Llaqtapata et ils
confièrent leur émotion à avoir pu sentir sous leurs doigts
ces pierres ancestrales.
Brett réfléchit un instant et se décida finalement pour
l’odorat.
— Je me suis toujours intéressé aux parfums, j’étudie
moi-même leurs effets sur nous. Le mélange des senteurs,
ici, l’air frais, la forêt, le soleil et quelque chose d’autre,
quelque chose d’insaisissable et de particulier à ce lieu,
fait qu’il s’en dégage une sensation de… de paix.
Tout le monde fut d’accord pour dire qu’il régnait une
atmosphère sereine sur la piste et qu’en dépit de la
difficulté de la randonnée et de l’altitude, on se sentait très
détendu.
— Moi, ce sont les sons que j’ai préférés, dit Kayla. La
rivière qui coule sur les rochers, les feuilles qui craquent
sous les pas, les chants des oiseaux, le vent dans les
arbres. J’habite New York et j’ai rarement l’occasion
d’écouter les bruits de la nature.
Tandis qu’ils continuaient d’échanger leurs impressions
de la journée, Ana proposa de reprendre du plat. Personne
ne refusa.
— C’est incroyable ce que fait Ana, dit Kayla, se
penchant vers Brett tout en piquant une bouchée du bœuf.
Etre capable de préparer un tel festin au beau milieu de la
forêt, sans aucune installation, pas même l’électricité.
Même à New York et avec l’aide d’un chef, je serais
incapable d’en faire autant.
Brett prit une bouchée de fromage de montagne
crémeux.
— Tu ne sais pas cuisiner ?
— Pas vraiment. Je vais même te confier un secret. Je
me sers de mon four pour ranger le pain et les biscuits.
— Parce qu’on peut en faire autre chose ?
Kayla se mit à rire.
— Pas à ma connaissance. Quel besoin a-t-on d’un four
lorsqu’on possède un micro-ondes et des douzaines de
petits restaurants qui proposent des plats à emporter à
deux pas de chez soi ? Mais toi, avec l’habitude que tu as
de combiner des ingrédients, tu te débrouilles
certainement très bien.
— Il y a longtemps que j’ai découvert que le laboratoire
et la cuisine étaient deux terrains fondamentalement
différents. Je ne brille pas vraiment sur le second. Mais dis-
moi, tu parlais de biscuits. Quels sont tes préférés ?
— Ceux au chocolat.
— Moi aussi.
— Hum… rien que d’y penser, j’en ai l’eau à la
bouche… Et en parlant d’eau à la bouche…, ajouta Kayla,
un sourire espiègle aux lèvres.
Brett vit son regard glisser lentement le long de son
corps et il sentit un frisson le parcourir tout entier.
— Je vais m’étouffer avec mon fromage si tu continues
à me regarder ainsi.
— Ce n’est pas toi que je regarde, mais une certaine
partie de toi que j’imaginais dans ma bouche…, murmura-
t-elle.
Brett sentit comme un éclair de feu traverser ses reins.
Le fromage lui échappa des mains, tomba dans son
assiette.
— Tu veux me tuer ? dit-il d’une voix étranglée.
Avant que Kayla ait eu le temps de répondre, Ana se
levait et demandait :
— Qui veut du dessert ?
— Moi ! répondit aussitôt Kayla, une lueur amusée
dansant dans ses yeux verts.
Tout le monde acquiesça. On débarrassa les assiettes
et Alberto et Miguel proposèrent du café et du thé pendant
qu’Ana distribuait à chacun un petit gâteau cuit dans son
moule individuel en céramique.
— Il est encore chaud, s’exclama Kayla, refermant les
mains autour.
— Et il sent divinement bon, ajouta Dan, se penchant
pour humer le parfum. Il est au chocolat. Ce que je préfère.
— Moi aussi ! s’exclamèrent en chœur Brett et Kayla.
Ils se regardèrent et sourirent.
— Après le dîner, la première nuit sur la piste, dit Paolo,
la coutume veut que chacun partage un peu de lui, de sa
vie, avec les autres. L’endroit où vous vivez, votre métier,
vos loisirs, quelque chose de cet ordre. Et surtout, ce qui
vous a amené à entreprendre ce voyage. Cela vous aide à
vous sentir plus proche des autres avec lesquels vous
partagez cette expérience. Beaucoup d’amitiés très
profondes sont nées sur la Piste des Incas.
Il sourit et poursuivit :
— Je commence, généralement, pour rompre la glace.
Je suis né à Cusco et j’y vis toujours, non loin de la maison
où j’ai grandi et où mes frères et ma sœur habitent encore.
Quoi qu’ils aient tendance à se retrouver souvent chez moi.
— Beaucoup de jolies filles chez toi, dit Alberto avec un
grand sourire.
Tout le monde rit.
— Et de beaux garçons, ajouta Ana, ignorant le
froncement de sourcils de ses frères.
— J’enseigne l’histoire durant l’année scolaire, expliqua
Paolo et, l’été, je conduis des groupes sur la Piste des
Incas. Je me sens en profonde affinité avec l’histoire de ce
lieu et bien que j’aie beaucoup voyagé en Amérique du
Sud, je n’ai jamais rencontré un endroit qui me procure une
telle sensation de sérénité. Tous les ans, j’attends l’été
avec impatience pour grimper jusqu’à Machu Picchu
m’emplir l’âme de paix.
Paolo but une gorgée de thé.
— Pour vous parler un peu plus personnellement de
moi, j’ai vingt-huit ans et je ne suis pas marié, ce que ma
mère ne manque pas de me rappeler régulièrement.
J’espère rencontrer un jour la femme de ma vie. Peut-être,
un été, empruntera-t-elle la Piste des Incas. Mais comme
vous êtes tous en couples, hormis Dan, je crains que ce ne
soit pas pour cette fois.
Paolo jeta un regard circulaire au groupe.
— A qui le tour ?
— Je prends le relais, dit Bill. Eileen et moi venons
d’Atlanta où nous enseignons tous deux dans un lycée.
Nous avons deux fils jumeaux qui viennent d’obtenir
brillamment leur licence.
Il se tourna vers son épouse et prit sa main.
— Nous aimons les grands espaces et sommes curieux
de découvrir de nouveaux lieux. Il y a longtemps que nous
rêvions de ce voyage.
— En fait, ajouta Eileen, nous avions prévu de le faire il
y a deux ans lorsqu’on m’a diagnostiqué un cancer du sein.
Ce fut une épreuve, mais elle m’a appris à distinguer ce
qui est réellement important dans la vie.
Elle posa sa main sur celle de Bill et sourit au groupe.
— Je suis guérie aujourd’hui et heureuse d’être ici,
parmi vous.
Une salve d’applaudissements crépita et elle se leva,
salua l’assemblée.
Shawn se trouvait juste à côté d’elle et ce fut lui qui prit
la suite.
— J’ai grandi en Pennsylvanie, garçon unique dans une
famille de cinq filles et dans une maison qui ne possédait
qu’une seule salle de bains.
Un murmure de sympathie émana du groupe des
hommes et Shawn hocha la tête.
— Ce fut difficile, je vous assure. Mon père et moi ne
faisions pas le poids. Avec six enfants, les finances étaient
trop justes pour s’offrir des vacances, alors nous partions
camper. C’était bon marché et je pouvais au moins me
sauver dans les bois et échapper à mes sœurs.
Il glissa un bras autour des épaules d’Ashley.
— Voici la première femme avec laquelle je fais du
camping sans avoir envie de me sauver. J’ai terminé mes
études le mois dernier et ce voyage est mon cadeau. La
semaine prochaine, j’entre dans la vie active et cela me fait
un peu peur, quitter la vie d’étudiant pour devenir un adulte
responsable. Mais j’ai quelques belles journées à vivre ici,
avant. Avec ma bien-aimée, ajouta-t-il, serrant Ashley
contre lui.
— Hip hip hip, hourrah ! lança Paolo.
Et tout le monde reprit en chœur.
— J’ai obtenu ma maîtrise en même temps que Shawn,
enchaîna Ashley. Je n’avais jamais fait beaucoup de
camping avant de le rencontrer. J’ai grandi dans l’Idaho,
près de Sun Valley, aussi suis-je une bonne skieuse.
Quitter la vie d’étudiante me fait un drôle d’effet. D’un côté,
je me sens adulte et suis impatiente de démarrer ma
carrière, de l’autre j’ai l’impression d’être un acrobate qui
marcherait sur un fil sans filet de sécurité. J’ai entrepris ce
voyage parce que j’aime découvrir des lieux nouveaux
avec lui. Nous sommes ensemble depuis trois ans et il m’a
appris combien dormir sous les étoiles et communier avec
la nature était fantastique. Je préfère mille fois être ici,
avec lui, que dans un cinq étoiles avec un autre homme.
Tout le monde applaudit et Ashley, intimidée, enfouit son
visage au creux du cou de Shawn.
— Bien, visiblement, je suis le suivant, dit Brett.
Il n’aurait su l’expliquer, mais ce soir, autour du feu,
après cette journée de marche, ce repas pris tous
ensemble, il sentait exister un lien de camaraderie très fort
avec ce groupe de personnes pourtant étrangères. Et il
éprouva l’envie soudaine de se confier.
— Je suis de New York et j’ai entrepris ce voyage dans
le but d’échapper au chaos qu’était devenu ma vie ces
derniers mois. Je suis chimiste. Après avoir publié les
résultats de ma récente découverte, une nouvelle formule
cosmétique pour la peau, tout est brusquement devenu…
fou.
Il fixa un instant le feu, se remémorant ce qui s’était
passé.
— Je me suis retrouvé assailli de toutes parts. Au début,
je dois reconnaître que j’ai trouvé flatteuse l’attention que
l’on me témoignait. C’est la sorte de reconnaissance dont
rêvent la plupart des scientifiques sans jamais la connaître.
» Mais très vite, la situation est devenue incontrôlable.
Je ne savais plus en qui je pouvais avoir confiance ni ce
qu’il était judicieux de faire. Les firmes cosmétiques me
harcelaient sans relâche. Je n’ai pas pu le supporter. C’est
alors que je suis tombé sur un article qui traitait de la façon
de retrouver un équilibre et qui conseillait, notamment, de
se rendre dans un endroit nouveau pour faire quelque
chose que l’on n’avait jamais fait. J’avais toujours rêvé de
Machu Picchu, alors j’ai fait mon sac et me voilà. Et je dois
avouer qu’il y a longtemps que je n’avais pas ressenti une
telle paix en moi. »
Son regard se posa un instant sur Kayla.
— Longtemps que je ne m’étais pas senti aussi
heureux.
Brett prit une grande inspiration. Il se sentait
incroyablement soulagé tout à coup, comme si un poids
énorme venait de lui être ôté des épaules.
Il regarda Kayla et lui sourit.
— A toi, à présent.
Elle passa sa langue sur ses lèvres. Il eut l’impression
qu’elle était soudain mal à l’aise.
— Je viens également de New York, commença-t-elle,
et il se trouve que j’ai lu le même article que Brett. Vous
pouvez me croire : en choisissant cette randonnée, je ne
pouvais pas être plus éloignée de mes habitudes. Me voilà
donc, loin du stress de mon travail dans les relations
publiques et hors de portée d’une famille géniale mais
envahissante. Et bien que je sois aux antipodes de ma vie
de tous les jours, je me sens, moi aussi, très sereine.
— C’est justement parce que vous êtes loin de tout ce
qui fait votre quotidien que vous vous sentez aussi
paisibles, dit Paolo. C’est un phénomène fréquent, ici. Ces
lieux où les Incas ont vécu ont le pouvoir de vous apporter
la sérénité, de vous aider à trouver ce que vous cherchez
pour peu que vous acceptiez de lâcher prise.
Il se tourna vers Dan.
— A vous l’honneur de conclure, senõr.
Dan hésita. Il passa une main dans ses cheveux gris
coupés en brosse.
— Je n’avais pas envie de parler de moi, mais vous
avez tous fait preuve de confiance et d’honnêteté et je vous
dois la pareille.
Kayla fronça les sourcils devant son air triste. Brett se
rapprocha, glissa un bras autour de ses épaules.
— J’ai perdu mon épouse voici trois ans, commença
Dan, fixant le feu d’un air absent. Un accident de voiture.
Un conducteur ivre. Nous étions mariés depuis trente-cinq
ans.
Brett sentit le corps de Kayla se tendre tandis qu’elle
joignait sa voix au murmure de sympathie émanant du
groupe. Le chagrin de Dan était palpable et il se sentit lui
aussi plein de compassion pour cet homme. Ses parents
venaient de fêter leur trente-huitième anniversaire de
mariage et il ne pouvait les imaginer l’un sans l’autre.
— J’ai deux filles, poursuivit Dan d’une voix tendue.
Elles sont toutes les deux mariées et, fort heureusement
pour moi, elles n’habitent pas loin. Je les vois souvent ainsi
que mes petits-enfants. Cela m’aide.
Il s’interrompit quelques instants, le regard rivé sur ses
mains. L’émotion était trop forte.
— Marcie et moi avons toujours aimé voyager. Chaque
été, nous choisissions une destination différente. Il y avait
une longue liste de lieux que nous avions envie de visiter
ensemble.
Dan leva la tête et fixa de nouveau les flammes.
— Le Machu Picchu faisait partie de la liste, c’est
pourquoi je suis là.
Le silence retomba. Kayla se leva. Brett vit qu’elle avait
les yeux brillant de larmes. Elle s’approcha de Dan, prit sa
main.
— Je suis désolée, dit-elle. Mon père est mort dans des
circonstances analogues. Un accident de voiture, quelqu’un
qui était drogué. Je sais combien c’est douloureux,
combien il est difficile d’en parler.
Dan hocha la tête, le regard voilé de larmes.
— Cela me déchire le cœur chaque fois.
— C’est courageux ce que vous faites, vous rendre
dans les lieux qu’elle aurait aimé découvrir.
— C’est vrai, dit Eileen.
Brett et tous les autres acquiescèrent à leur tour. Dan
s’éclaircit la voix.
— Merci à tous pour vos paroles de réconfort.
Il sourit, gêné brusquement.
— Je crains d’avoir jeté une ombre sur la soirée.
— Non, dit Paolo. C’est en parlant de nos vies, dans le
partage de nos espoirs et de nos rêves, que nous trouvons
les réponses à nos interrogations, le réconfort et la paix. Et
pas seulement avec des amis, avec des étrangers, parfois.
Paolo se leva et désigna les tentes derrière lui.
— Elles sont prêtes. Vous trouverez une torche dans
chacune. Rien ne vous empêche de profiter encore du feu,
mais sachez que la journée de demain, la deuxième de
notre périple, est la plus difficile des quatre, alors reposez-
vous. Je vous souhaite à tous une très bonne nuit.
Tout le monde se leva et gagna les tentes. Brett se
tourna vers Kayla. Son visage reflétait une immense
tristesse. Parler de son père avait, de toute évidence, fait
resurgir des souvenirs douloureux. Il prit sa main et
s’apprêtait à lui parler lorsqu’elle leva les yeux vers lui.
— Je suis désolée, dit-elle. Je crois que je vais aller me
coucher.
Sans un mot de plus, elle tourna les talons et se dirigea
vers sa tente. Brett aurait tant voulu pouvoir la réconforter.
Elle semblait si triste, si lasse tout à coup. Mais il ne savait
comment s’y prendre pour qu’elle ne croie pas, surtout,
qu’il n’agissait que dans le but de faire l’amour avec elle.
Il avait mal pour elle et n’aurait su nommer le sentiment
qui, brusquement, étreignait sa poitrine et dont l’intensité,
la force firent soudain naître en lui une peur panique.
15.

Kayla avait beau être épuisée, elle comprit tout de suite


qu’elle ne dormirait pas. Trop de pensées agitaient son
esprit, mêlées aux souvenirs que la conversation de ce soir
avait fait resurgir. Et pour ajouter encore à sa détresse, il y
avait la promesse faite à Brett d’un massage et d’une nuit
ensemble, promesse qu’elle se sentait incapable de tenir
tant elle était à bout, physiquement et moralement. Sans
doute le prendrait-il mal et lui en voudrait-il ? Peu importait.
Leur histoire, de toute façon, n’avait aucun avenir. Quelle
différence cela faisait-il qu’elle se termine maintenant ou
dans trois jours ?
Aucune, normalement. Pourtant, Kayla redoutait de voir
arriver la fin du voyage. Quelle folie ! Comment avait-elle pu
s’attacher à Brett ? Un homme auquel elle mentait depuis
le premier instant. C’était une catastrophe.
Elle s’accroupit devant sa tente, jeta un coup d’œil
autour d’elle. Tout le monde s’installait pour la nuit. Elle
aperçut Ashley qui glissait son sac de couchage dans la
tente de Shawn et lui fit un petit signe. Les pans de la tente
de Brett étaient fermés. Sans doute était-il déjà couché.
Etait-il en colère contre elle ? Probablement, et elle ne
pouvait pas lui en vouloir. Elle rangea quelques affaires,
installa son sac de couchage, mais elle n’avait pas envie
d e se coucher. Le feu crépitait encore. Elle referma sa
tente, s’approcha.
Le dos calé contre un rondin de bois, bras repliés autour
des genoux, elle fixait les flammes qui dansaient,
s’efforçant de faire le vide dans son esprit. Ce fut peine
perdue.
Peu à peu, le murmure des voix dans les tentes
s’estompa. On n’entendait que le crépitement du feu. Sa
chaleur réconfortait le corps de Kayla mais ne pouvait rien
contre la solitude glacée qui étreignait son cœur.
Il y eut soudain un bruit de pas derrière elle et elle se
retourna. C’était Brett. Il tenait à la main une tasse de thé
fumant. Il s’approcha, s’accroupit devant elle.
— J’ai pensé que tu aurais peut-être envie de boire
quelque chose de chaud et de réconfortant.
— Merci.
Elle prit la tasse, la serra entre ses mains glacées,
s’obligeant à lever les yeux vers lui.
— Je suis désolée.
Il posa doucement un doigt sur ses lèvres.
— Tu n’as aucune raison de t’excuser. C’est moi qui
suis désolé de n’avoir pas su trouver les mots, les gestes,
pour te réconforter. Si tu as besoin de quelqu’un à qui
parler ou tout simplement de compagnie, je serai heureux
de me joindre à toi. Mais je comprendrais que tu préfères
rester seule.
Contre toute attente, Kayla sentit soudain les larmes
affluer dans ses yeux. Mortifiée, elle se détourna très vite,
mais Brett n’était pas dupe. Il plongea la main dans sa
poche, lui tendit un mouchoir.
Elle l’accepta, tamponna ses yeux.
— Contrairement aux apparences, je ne suis pas du
genre à pleurer facilement.
— Je te crois.
Il la croyait alors qu’elle n’avait cessé de lui mentir. Les
larmes perlèrent de nouveau à ses yeux, roulèrent sur ses
joues.
Brett lui prit le mouchoir des mains et les essuya
doucement.
— Mon Dieu, Kayla, que puis-je faire ? Je ne veux pas
te voir triste. Puis-je m’asseoir auprès de toi ?
— La plupart des hommes fuient dès qu’une femme
pleure.
— Je ne suis pas la plupart des hommes.
Non, de toute évidence. Et Kayla ne se sentit que plus
coupable encore. Elle aurait dû lui dire d’aller se coucher,
mais l’idée de se retrouver seule, en proie à toutes les
pensées qui l’agitaient, la terrifiait.
— Je veux bien un peu de compagnie, dit-elle
finalement. Mais tu dois être fatigué, alors si tu préfères
aller te coucher…
Il ne la laissa pas terminer sa phrase. Déjà, il s’installait,
le dos calé contre le rondin de bois, jambes allongées,
mains enfouies dans les poches. Kayla se rendit compte
qu’il avait pris soin de laisser un peu de distance entre eux,
manière silencieuse de lui dire qu’il la respectait et
respectait ce qu’elle éprouvait.
Kayla porta très vite sa tasse à ses lèvres pour
dissimuler l’émotion que faisait naître en elle tant de
délicatesse. Ils demeurèrent un moment sans parler, le
silence rompu seulement par le crépitement du feu et le
bruissement des feuilles dans le vent. La présence de Brett
l’apaisait. La tête penchée sur le côté, elle contemplait les
étoiles tout en buvant son thé. Lorsqu’elle eut terminé sa
tasse, elle avait repris le contrôle d’elle-même.
Elle inspira profondément et dit, d’une voix douce :
— Lorsque j’étais enfant, tous les dimanches soir en
été, nous dînions dehors. C’était toujours un événement.
Nos voisins nous rejoignaient, nos pères s’occupaient du
barbecue et nos mères avaient confectionné d’énormes
salades de pommes de terre ou de pâtes.
Un sourire effleura les lèvres de Kayla.
— Après le dîner, lorsque la nuit tombait, nous
attrapions des lucioles. Puis nous mangions des
marshmallows grillés sur le feu en regardant les étoiles.
Mon père me disait que les étoiles étaient de petites
lumières magiques qui éclairaient le ciel et que chacun
pouvait les voir où qu’il se trouve. Lorsqu’il était en voyage
pour son travail, je pouvais les regarder en songeant qu’il
voyait les mêmes. Ainsi, nous serions toujours ensemble.
Kayla les regarda un moment en silence.
— Je me demande s’il les voit en ce moment.
Elle ne s’était même pas rendu compte qu’elle avait
parlé à voix haute. Brett la surprit en répondant soudain :
— Oui, j’en suis certain. Et il sait que tu les regardes
aussi.
Ses paroles lui firent chaud au cœur.
— Et toi, tu regardais les étoiles lorsque tu étais petit ?
— Oui. Et je les regarde encore très souvent. Mais
enfant, lorsque j’interrogeais mon père, il me répondait
qu’elles étaient des sphères de plasma en équilibre
hydrostatique qui généraient leur propre énergie par un
processus de fusion nucléaire.
— Tu plaisantes ?
— Pas du tout. Sa réponse n’était pas surprenante pour
un astrophysicien. Si j’avais posé la question à ma mère
qui était artiste, j’aurais obtenu une réponse plus
fantaisiste.
— Un astrophysicien et une artiste, c’est une
combinaison intéressante.
— Ils forment un couple intéressant. Ils se sont connus à
l’université où mon père, qui a tendance à oublier où il va
lorsqu’il est en train de réfléchir à une question scientifique,
s’était trompé de salle. Au lieu du cours de chimie
organique, il s’était retrouvé dans celui de dessin de nu.
— Pour une rencontre originale, c’en est une.
— Oui, surtout lorsqu’on sait que c’était ma mère le
modèle.
— De toute évidence, elle lui a fait impression.
— Beaucoup. Elle posait pour payer ses études. Mon
père raconte qu’en la voyant, il a ressenti une explosion
d’une violence insensée. Le Big Bang.
— Tu as l’air d’avoir une relation très chaleureuse avec
eux.
— Oui. Ce sont des gens formidables.
— Mon père me manque énormément, mais j’ai appris
à vivre avec ce manque. Je me laisse rarement dépasser
par la douleur comme ce soir, mais lorsque Dan a parlé de
son épouse, tout m’est revenu en force, le chagrin, la haine
contre la personne qui me l’a pris et…
Kayla ferma les yeux, serra les paupières, s’efforçant
d’endiguer le flot des souvenirs. Mais il était trop tard.
— Et le procès ensuite, poursuivit-elle. Le gamin qui l’a
tué n’avait que dix-huit ans. Il est sorti de prison maintenant.
Mon père a disparu trois jours avant son anniversaire.
Nous avions préparé une grande fête pour ses cinquante
ans.
Kayla se tut, serrant plus fort les bras autour de ses
genoux.
— Je sais que c’est ridicule de dire ça, mais je suis
vraiment désolé pour ton père, dit Brett.
— Merci. Pour tes paroles et pour ta gentillesse ce soir.
— Je n’ai jamais perdu quelqu’un que j’aimais.
— Tu as de la chance.
— Je ne sais pas ce que c’est, mais j’imagine.
— Ce fut terrible pour nous tous, mais surtout pour ma
mère. Ils étaient si proches, ils s’aimaient tant. Ils se
tenaient toujours par la main et riaient ensemble, amoureux
comme au premier jour. Mes sœurs et moi avons perdu
notre père, ma mère, elle, a perdu son meilleur ami, son
complice, l’homme avec lequel elle avait décidé de passer
toute sa vie. Il lui a fallu très longtemps pour accepter de se
remettre à vivre.
Un pâle sourire effleura les lèvres de Kayla.
— C’est la raison pour laquelle je m’efforce d’être
patiente face à cette mission qu’elle s’est assignée de
vouloir me marier. J’aurais préféré qu’elle trouve autre
chose. Je n’ai rien en commun avec la plupart des hommes
qu’elle me fait rencontrer.
— Et elle, elle voit d’autres hommes ?
— Elle recommence à peine à avoir une vie sociale.
Cela viendra, peut-être. Pour l’instant, elle est
complètement affolée à la perspective de devenir grand-
mère. Mais c’est surtout parce que mon père n’est plus là
pour être grand-parent avec elle. Dès qu’elle verra le bébé,
je suis certaine qu’elle en sera folle.
— Et toi, tu te réjouis d’être tante, si je me souviens
bien.
— Oui. J’adore les enfants. Je me suis beaucoup
occupée de ma petite sœur, le soir, de la sortie de l’école
jusqu’au dîner. Au point que ma mère me rémunérait mes
heures de baby-sitting. C’est formidable d’être payée pour
quelque chose que l’on aime faire, non ?
— C’est ce qui peut nous arriver de mieux.
Il y avait dans la voix de Brett comme une pointe de
regret qui poussa Kayla à demander :
— Tu aimes ton travail ?
Il fronça les sourcils, ne répondit pas tout de suite.
— J’aime la recherche, dit-il finalement. Le défi que
représente la découverte de quelque chose de nouveau et
j’aime travailler dans ce laboratoire à la pointe de la
technologie. Mais je déteste les intrigues et les magouilles
qui régissent une grande partie de notre activité. En cela,
ce n’est pas très différent du travail de bureau. J’aime
aussi enseigner. Les relations avec mes étudiants
m’apportent beaucoup. Dans mon laboratoire, je suis très
solitaire.
Brett chercha le regard de Kayla.
— Je commence à être fatigué d’être seul.
Ses paroles résonnèrent en elle. Elle savait ce qu’était
la solitude et elle lui pesait aussi.
— Et ta découverte ? demanda-t-elle. J’ai l’impression
qu’elle a fait de toi une célébrité.
Kayla se sentit coupable d’avoir posé la question, mais
elle se ressaisit aussitôt. La curiosité l’y avait poussée, pas
l’envie d’obtenir des informations pour Fragrance.
— Oui. En apparence.
Le ton était amer, désabusé.
— Mais le résultat a été de m’isoler davantage. Il ne
reste qu’une poignée de personnes en qui je peux avoir
confiance.
Kayla hocha la tête. Elle comprenait parfaitement.
— Tu as découvert combien on peut se sentir seul au
milieu de la foule.
— Tu parles d’expérience, on dirait.
— Oui. Tu faisais le parallèle avec les relations au
bureau. Tu as raison. Les intrigues, l’arrivisme, les coups
de poignard dans le dos, je connais. Je t’envie d’avoir une
carrière d’enseignant sur laquelle rebondir au besoin. Si
j’avais une option similaire, je songerais sérieusement à
partir.
Kayla se rendit soudain compte à quel point c’était vrai.
— J’en ai assez de calmer des divas caractérielles, de
m’accommoder de l’égocentrisme des autres.
Et qu’on me demande de jouer les espionnes.
A cette pensée, un frisson parcourut Kayla.
— Tu as froid ?
— Un peu.
— Tu veux que j’aille te chercher une couverture ? A
moins que tu ne préfères un peu de chaleur humaine ? dit
Brett, décroisant les jambes et l’invitant à le rejoindre.
Kayla s’installa entre ses jambes, le dos calé contre sa
poitrine. Il referma les bras sur elle et elle sentit sa chaleur
irradier son corps. Il sentait bon le savon et elle se revit
avec lui tandis qu’ils se savonnaient à la rivière, se
caressaient au bord de l’eau et soudain, toute sensation de
froid la quitta.
— Ça va mieux ? demanda Brett.
Kayla ferma les yeux et se nicha plus près de lui, dans le
délicieux cocon que formaient son torse solide, ses bras et
ses jambes musclés.
— Oui, bien mieux.
— Alors, dis-moi, demanda-t-il, sa joue contre ses
cheveux. Qui sont ces divas ? Un poignée de starlettes ?
— Pire. Une poignée de mannequins et de
photographes aussi capricieux les uns que les autres.
— Oh. Mon laboratoire me paraît soudain moins
antipathique. Depuis combien de temps fais-tu ce travail ?
— Dix ans. J’ai été promue directrice des relations
publiques l’année dernière. J’étais ravie. Jusque-là, mon
métier m’avait toujours passionnée. Mais aujourd’hui, je me
sens… fatiguée, vidée.
— A bout ?
— Exactement.
— As-tu songé à changer ?
Kayla secoua la tête.
— J’ai investi dix années dans ce travail.
— Mais si tu n’es pas heureuse, peut-être devrais-tu
l’envisager ? Nous passons un tiers de notre vie d’adulte
dans notre travail. Tu te souviens ? C’est ce que disait
l’article.
— Tu le connais par cœur ? plaisanta Kayla. Et toi, tu as
envisagé de changer ?
— Non. Mais les décisions que je vais prendre
concernant ma découverte auront un impact sur mon
avenir. Des changements se produiront, c’est inévitable.
Le seul mot de « découverte » fit resurgir la culpabilité
de Kayla.
— J’espère que ce seront des changements heureux,
dit-elle, profondément sincère.
— Moi aussi. En ce moment, j’ai l’impression de nager
dans un océan infesté de requins sans la moindre côte en
vue.
Il resserra un instant ses bras autour de Kayla.
— Non, c’est faux. En ce moment, je me sens détendu
et heureux.
Nouvel assaut de culpabilité. Il ignorait qu’il tenait dans
ses bras l’un des requins qu’il avait tant cherché à fuir.
Kayla en avait des nœuds dans l’estomac.
— Moi aussi, je suis heureuse, dit-elle. Et je te suis
reconnaissante de me tenir compagnie, de m’écouter, de
me faire rire.
— C’est très intéressé de ma part. J’adore entendre ton
rire.
— Ne cherche pas à minimiser ce que tu fais, je ne te
laisserai pas faire. C’est très gentil de ta part.
— Mais je suis un gentil garçon.
Kayla le sentit sourire contre sa tempe, et son cœur se
serra. Un homme extraordinaire et gentil… une espèce
rare.
— Tu semblais avoir besoin d’un ami, murmura-t-il à son
oreille, son souffle chaud balayant délicieusement sa peau.
Je suis heureux de m’être trouvé là.
Elle ferma les yeux, refusant d’admettre combien il était
douloureux que toute chance de voir cette amitié se
poursuivre soit perdue, que toute relation avec cet homme
qui lui plaisait tant soit impossible, vouée à une fin si
proche.
16.

— Il est l’heure de se lever ! Petit déjeuner dans vingt


minutes.
La voix enjouée de Paolo filtra à l’intérieur de la tente.
Brett se réveilla, fit la grimace, le dos endolori. Bon sang,
que le sol était dur ! Mais lorsqu’il sentit la délicieuse
pression d’un corps chaud et doux contre le sien, toute
sensation d’inconfort se dissipa aussitôt.
Kayla.
Il inspira profondément et le parfum troublant de sa
peau, de ses cheveux, emplit ses narines. Elle dormait, la
tête nichée au creux de son épaule, une jambe glissée
entre les siennes. Il resserra doucement son étreinte,
savourant la sensation délicieuse de se réveiller auprès
d’elle après avoir dormi ensemble.
Et seulement dormi.
Lorsque le feu n’avait plus été que braises
rougeoyantes, l’air devenant soudain froid autour d’eux,
Brett s’était levé, lui avait tendu la main. La fatigue avait
marqué les yeux de Kayla de cernes bleus. Il l’avait
conduite jusqu’à sa tente, puis ils avaient ôté leurs pull-
overs et leurs chaussures et s’étaient glissés dans son sac
de couchage. Aussitôt, elle était venue se blottir contre lui
et quelques instants plus tard, à sa respiration profonde et
régulière, il avait compris qu’elle dormait. Il avait posé un
baiser sur ses cheveux et fermé les yeux.
Kayla bougea soudain dans ses bras et un bonheur
indicible le submergea. Ils étaient habillés, ils n’avaient
même pas échangé un baiser la veille et pourtant, il se
sentait comblé.
Ils n’avaient pas fait l’amour, mais ils avaient partagé un
moment d’intimité exceptionnel. Jamais il ne s’était senti
aussi proche d’une femme, d’aucune femme.
Et il lui devenait de plus en plus difficile d’en imaginer
une autre après elle.
Kayla bougea de nouveau, leva la tête et cilla à
plusieurs reprises. Ses beaux cheveux auburn encadraient
son visage encore tout ensommeillé, mais il constata avec
satisfaction que les cernes avaient disparu. Elle avait l’air
reposé, toute douce, sexy et infiniment désirable.
Leurs regards se rencontrèrent et elle lui sourit.
— Bonjour, dit-elle, d’une voix encore tout engourdie.
Un seul mot, un seul regard suffirent à bouleverser Brett.
Il écarta une mèche de cheveux de sa joue, caressa sa
peau douce comme du velours.
— Bonjour.
Il se tourna sur le côté, la renversa doucement sous lui.
Puis il se pencha, prit ses lèvres offertes. Et ce fut comme
une redécouverte après une longue absence. Bouches qui
se retrouvent, s’explorent, langues qui s’apprivoisent,
s’unissent, montée lente et progressive du désir.
Avec la même absence de hâte, leurs regards soudés
l’un à l’autre, ils ôtèrent leurs vêtements. Brett saisit un
préservatif.
Il la pénétra lentement, le corps parcouru d’un frisson
délicieux tandis qu’il plongeait dans la douceur satinée et
chaude de son sexe. Il s’immobilisa quelques instants,
savourant la pression de sa chair autour de la sienne. Puis
il se retira lentement, plongea de nouveau en elle, attentif à
chaque expression de son visage, accordant son souffle au
sien.
La respiration de Kayla se fit soudain plus rapide et il
accéléra le rythme, la prenant plus profondément à chaque
coup de reins. Il vit ses joues rosir, son regard se troubler,
bouleversé de désir. Elle se souleva à sa rencontre,
referma les jambes autour de sa taille et attira sa bouche à
elle, lui offrant de nouveau ses lèvres en un long baiser
profond, intime. Lorsqu’il la sentit se cambrer soudain, son
cri se perdant dans leur baiser, les premiers spasmes de
son plaisir se répercutant en lui, il lâcha prise à son tour.
Encore enfoui en elle, le cœur battant sourdement, il
leva la tête. Elle le regarda, ses yeux verts encore chavirés
de plaisir et, en cet instant, il sut qu’il n’y avait pas endroit
plus merveilleux au monde qu’ici, allongé contre son corps
chaud et doux.
Il aurait voulu dire quelque chose de léger, faire une
plaisanterie, mais rien ne lui vint. Il était tout entier envahi
de sensations et d’émotions qu’il ne connaissait pas mais
dont aucune ne pouvait être qualifiée de légère.
Kayla tendit la main, effleura son visage du bout des
doigts comme si elle voulait à jamais en inscrire les traits
dans sa mémoire.
— Que vais-je faire lorsque mes amis me demanderont
ce que j’ai le plus aimé durant ce voyage ? dit-elle.
Comment vais-je pouvoir leur dire qu’au milieu de ces
paysages somptueux, de ces vestiges historiques si
impressionnants, ce que j’ai préféré, c’est m’endormir
dans tes bras, me réveiller contre toi, faire l’amour avec toi
le matin, lentement, voluptueusement ?
Brett sentit l’émotion lui nouer la gorge. Il dut avaler à
plusieurs reprises pour retrouver sa voix.
— Je ne sais pas. Lorsque tu auras trouvé la réponse,
dis-le-moi car moi non plus je ne sais pas ce que je vais
dire lorsqu’on me posera la question.
— Merci, dit-elle doucement. Pour la nuit dernière, pour
m’avoir réconfortée, pour avoir été… mon ami.
Brett posa son front contre le sien.
— Merci de m’avoir laissé t’aider. C’est bon de se
sentir utile.
Un bruit de voix étouffé filtra soudain dans la tente. Brett
leva la tête et huma l’air.
— Hum… je sens une délicieuse odeur de café et de
bacon.
— Moi aussi.
Elle lui jeta un regard malicieux.
— Je parie que je suis la première habillée et arrivée au
petit déjeuner.
— Si vite prête ? Une princesse comme toi ? Ça
m’étonnerait. De plus, tu te mesures à un homme qui adore
le bacon et qui a vraiment besoin d’un café.
— Moi aussi, j’adore le bacon et j’ai vraiment besoin
d’un café. Ça tombe mal pour toi. Alors, on parie ?
— Ce n’est pas dans mes habitudes, mais bon. Qu’es-
tu disposée à perdre ?
— Que veux-tu parier ?
Une réponse lui vint naturellement à l’esprit et
puisqu’elle était si évidente, il la donna.
— Toi.
— Ah. Une récompense en nature.
— Exact.
— Et si je gagne, oh toi, grand professeur de chimie,
qu’es-tu prêt à perdre ?
Il lui décocha un sourire provocateur.
— Je ne perdrai pas.
— C’est ça.
— Bon, imaginons que tu gagnes, princesse, que veux-
tu ?
— Toi.
Une lueur malicieuse traversa le regard de Kayla.
— Deux fois.
— Te rends-tu compte que je serai gagnant dans
l’affaire, moi aussi ?
— Personne ne pourra m’accuser de ne pas partager la
victoire.
— Et si je refuse ?
— Tu n’auras pas une miette de mon bacon.
— Je te trouve bien arrogante pour quelqu’un qui va
mordre la poussière.
— Et toi, je te trouve bien arrogant pour quelqu’un qui va
devoir me faire mourir de plaisir… selon les modalités que
j’aurai choisies.
— Car tu choisis, en plus ?
— Evidemment !
Elle lui sourit et le cœur de Brett s’emballa, comme
chaque fois qu’elle le regardait.
— Que le meilleur gagne, dit-il.
— Prêt ?
— Prêt.
— Un, deux, trois… partez !
17.

— Tu as triché ! marmonna Brett entre ses dents.


Le groupe venait juste de quitter le campement et de
s’engager à la queue leu leu sur la piste.
Kayla prit un air innocent et se tourna vers lui.
— Moi ? Tricher ? Jamais de la vie.
— Tu avais dit « le premier habillé et arrivé au petit
déjeuner ». Sauf que tu ne t’es pas habillée.
— Faux. Tu m’as vue sortir nue ?
— Non, mais…, protesta Brett.
Kayla battit des cils, l’air mutin.
— Tu sais que tu es très mignon lorsque tu prends cet
air furieux ?
Il faillit lui sourire, mais se ressaisit aussitôt.
— Ça suffit. Te précipiter hors de la tente avec pour seul
vêtement ma chemise en flanelle, je n’appelle pas cela être
habillée.
— Je ne suis pas d’accord. Tout ce qui devait être
couvert l’était.
— A peine. J’ai cru que Miguel et Alberto ne s’en
remettraient pas.
La petite pointe de jalousie dans la voix de Brett ne fut
pas pour déplaire à Kayla.
— Ne sois pas ridicule. Ils n’ont pas fait le moindre
commentaire.
— Comment auraient-ils pu ? Ils avaient le souffle
coupé.
Kayla se mit à rire.
— C’est plus que je ne porte à la plage.
— Tu me fais regretter de ne pas y être.
— Tu es vexé parce que tu n’as même pas pensé que tu
n’étais pas obligé de t’habiller complètement.
— Et tu sais pourquoi je n’y ai pas pensé ? Parce que je
ne suis pas un tricheur, moi !
Kayla leva le menton, refusant de songer à la brusque
chaleur qui assaillit ses reins lorsque Brett la saisit par le
bras et l’immobilisa.
— Il y a une différence entre tricher et avoir l’ingéniosité
de trouver une porte de sortie, lança Kayla.
— Une porte de sortie…
— Exactement. Tu regardes les choses par le petit bout
de la lorgnette. Tu devrais plutôt me remercier.
— Ça, c’est la meilleure !
— Je trouve que pour quelqu’un qui possède un
doctorat, tu es lent à la détente. Si tu avais gagné, je te
devais un paiement en nature. Comme j’ai gagné, tu m’en
dois deux, ajouta Kayla en venant le narguer juste sous le
nez. Je trouve très insultant que tu te plaignes.
— Oh, je ne me plains pas et il y a longtemps que j’ai
compris où était mon intérêt. Je n’avais pas la moindre
intention d’arriver avant toi au petit déjeuner. S’il avait fallu,
j’aurais passé une demi-heure à lacer mes chaussures
pour que tu sois la première.
Kayla le fixa, interloquée.
— Tu veux dire que tu m’as laissée gagner ?
— Avec deux paiements en nature à la clé ?
Evidemment !
— Mais… tu as triché, alors !
Brett rit.
— Tel est pris qui croyait prendre. En plus, grâce à ma
tactique, j’ai eu le plaisir immense de te voir à quatre
pattes, sans sous-vêtements, en train de t’activer pour
sortir de la tente la première. La vue était somptueuse.
— Oh, non. Là, je suis vraiment furieuse contre toi.
— Génial. Nous allons, en plus, devoir faire l’amour pour
nous réconcilier. Il avait également été question d’un
massage érotique, je crois.
Un sourire diabolique effleura les lèvres de Brett.
— Décidément, j’aime beaucoup cette randonnée.
Kayla avait du mal à demeurer sérieuse. Elle y parvint
néanmoins.
— Tu es incorrigible.
— Je vais avoir au moins deux occasions de te prouver
que je peux me racheter, rétorqua Brett, la déshabillant
d’un regard brûlant de désir.
Kayla sentit une onde de chaleur l’envahir. Déjà, son
corps s’affolait à la perspective des choses délicieuses
qu’il allait lui faire.
— J’ai hâte, dit-elle, le souffle soudain un peu court.
Brett lui adressa un petit clin d’œil.
— Voilà qui n’est pas fait pour me déplaire.
Brusquement, elle le vit froncer les sourcils.
— Tu as dit que je possédais un doctorat, tout à l’heure.
Comment le sais-tu ?
Elle faillit trébucher et son cœur se figea. Brett n’en avait
jamais fait état. Elle le savait grâce à la fiche que
Fragrance lui avait fournie. Brusquement, elle eut envie
qu’il découvre toute la vérité et que c’en soit fini de cette
mission.
Mais elle ne pouvait oublier l’engagement pris avec
Nelson. Ne lui devait-elle pas de maintenir toutes les
chances de Fragrance concernant ce futur marché ? Et
puis, il y avait cette promesse de prime et de promotion à
laquelle elle n’était pas insensible. Mais cette histoire lui
plaisait de moins en moins. Et elle aimait de moins en
moins le rôle qu’elle y jouait.
Elle s’efforça de sourire, de ne pas avoir l’air prise au
piège.
— Tu as dû en parler à un moment, dit-elle.
— Non. J’en fais rarement état, à moins qu’on me le
demande. Cela fait très prétentieux.
— Oh. C’est moi qui ai dû le supposer, alors, compte
tenu du fait que tu enseignais à la fac. J’imagine qu’une
université aussi prestigieuse que Columbia n’emploie que
les professeurs les plus diplômés.
Kayla fut sauvée de toute argumentation supplémentaire
par Paolo qui fit soudain arrêter le groupe.
— A partir d’ici, la piste devient plus raide et plus
escarpée et vous allez voir la végétation changer au fur et à
mesure que nous grimperons. Nous atteindrons les ruines
de Llullucharonc dans une heure environ. Regardez bien où
vous mettez les pieds et parlez le moins possible afin de
contrôler votre souffle. Si l’un d’entre vous a besoin que
nous ralentissions ou que nous fassions une pause,
n’hésitez pas à le dire.
Le visage de Paolo s’illumina d’un grand sourire.
— Nous ne tenons pas à avoir de victimes sur la
conscience.
Tout le monde se remit en file indienne. Kayla pressa la
main contre sa poitrine.
— Des victimes ? murmura-t-elle à Brett. Ce Paolo est
vraiment désopilant.
— J’espère que tu as rédigé tes dernières volontés ?
— Oh, mais tu es vraiment très drôle, toi aussi. Vous
devriez faire un numéro tous les deux.
Prudente, néanmoins, Kayla suivit les instructions de
Paolo et concentra toute son attention sur la piste. Comme
il l’avait annoncé, le terrain était pentu et difficile, et
l’ascension rendue d’autant plus éprouvante que l’air se
raréfiait au fur et à mesure. Kayla sentait ses muscles tirer,
de plus en plus douloureux.
Si un jour… il y avait peu de chance, mais sait-on
jamais… enfin, si un jour, elle devait renouveler pareille
expérience, elle voyagerait plus léger. Encore faudrait-il
qu’elle survive à celle-ci !
Lorsqu’ils parvinrent aux ruines, ils firent une halte pour
se désaltérer, croquer une barre énergétique et prendre
quelques photos. Puis ils se remirent en route vers l’étape
suivante, Llulluchapampa, un petit village isolé au milieu
d’une prairie.
— Nous allons grimper pendant environ deux heures
avant de nous arrêter pour déjeuner, annonça Paolo. C’est
une partie éprouvante, mais le paysage est extraordinaire,
notamment la vue sur la vallée. Il vaut vraiment la peine de
faire l’effort.
— Ça va, Kayla, tu tiens le coup ? demanda Brett en
hissant son sac à dos.
— Pas trop mal. Mieux en tout cas depuis que j’ai avalé
quelques calories.
— Moi aussi.
— C’est étrange, mais chaque fois que je commence à
me demander ce que je fais ici, apparaît soudain quelque
chose de magnifique. Une autre espèce d’orchidée ou un
oiseau ou encore des ruines comme celles que nous
venons de voir et je me rends compte, alors, combien cette
expérience est incroyable.
Kayla fit rouler ses épaules et la douleur lui arracha une
grimace.
— Bien sûr, il y a aussi plein de moments où je me dis
que je serais mieux chez moi à regarder tout cela en photo.
La marche reprit. Paolo n’avait pas exagéré la difficulté
de l’ascension. Les conversations se turent peu à peu,
chacun se concentrant sur son effort. Quant au paysage, il
était stupéfiant. Ils marchaient littéralement dans les
nuages, traversant de longues écharpes de brume blanche
qui se dissipaient comme par enchantement sur leur
passage.
La vue sur la vallée verdoyante et la rivière en contrebas
leur arracha des exclamations émerveillées et fit cliqueter
les appareils photo. Lorsqu’ils s’arrêtèrent finalement pour
déjeuner, le groupe tout entier poussa un énorme soupir de
soulagement. Kayla se débarrassa de son sac et se laissa
choir sur le sol, les yeux fermés, en poussant un
grognement.
Elle sentit un sac atterrir tout près d’elle, Brett souffler
longuement, puis poser sa main sur la sienne.
— Oh, dit-elle, ces deux heures m’ont épuisée. Je n’en
peux plus.
— Si cela peut te consoler, tu n’es pas la seule. Tout le
monde est dans le même état.
Kayla ouvrit les yeux et vit les autres randonneurs
effondrés sur le sol. Ashley, qui avait dix ans de moins
qu’elle, paraissait tout aussi éprouvée. Elles échangèrent
un sourire las et le regard de Kayla se posa sur Paolo.
— Tout le monde sauf la famille Trucero. Ils ont l’air en
pleine forme. C’est tout juste s’ils ne sont pas montés en
courant.
— Ils sont habitués à l’altitude, dit Brett.
— Sûr. C’est l’altitude sans doute qui fait que j’ai les
muscles tétanisés et le dos en compote.
— Disons que c’est l’explication la moins démoralisante
que j’ai trouvée et je m’y tiens.
Après un déjeuner très simple où tous se régalèrent de
sandwichs au jambon et au fromage, le groupe se remit en
route.
— Quand je pense que nous n’avons pas encore atteint
la partie la plus difficile ! s’exclama Kayla.
— Nous sommes sur le point d’aborder la section la
plus éprouvante de notre randonnée d’aujourd’hui, dit
Paolo.
Kayla réprima un grognement. Tous ses muscles
demandaient grâce.
— Le terrain va changer, poursuivait Paolo, et la
végétation aussi. Des bois nous passerons aux buissons,
puis à la prairie et enfin aux versants dénudés de la
montagne qui deviendront plus arides au fur et à mesure
que nous approcherons du sommet culminant aux alentours
de 4 700 mètres, à Abra de Huarmihuanusqua ou Col de la
Dame Morte. L’origine du nom n’est pas connue.
— Elle me paraît très claire, malheureusement, dit Kayla
à mi-voix.
Ils poursuivirent leur route et Kayla comprit ce
qu’« éprouvant » signifiait exactement. Ils avançaient
lentement, la raréfaction de l’air les obligeant à faire des
pauses régulières. Le soleil, ardent, impitoyable, dardait
ses rayons sur eux et ils se seraient crus dans une
fournaise. Puis, soudain, le climat changea et ce fut un vent
glacial qui les assaillit à l’approche du sommet.
Kayla n’avait même plus la force de se plaindre. Son
énergie tout entière était dévolue à l’effort de mettre un
pied devant l’autre. Les conditions difficiles, toutefois,
avaient encore davantage soudé le groupe et il était
réconfortant de savoir que l’on n’était pas seul à souffrir.
Lorsqu’ils atteignirent le sommet, tous se congratulèrent,
épuisés mais heureux. Après s’être reposés et avoir pris
une collation bien méritée, ils se préparèrent pour la
descente vers la vallée, vers Pacamayo où ils installeraient
le campement pour la nuit.
Kayla jeta un regard en arrière, à la piste qu’ils avaient
empruntée.
— Jamais encore je n’avais vécu une expérience aussi
intense et éprouvante, dit-elle à Brett.
— Moi non plus. Bravo, princesse. Je ne t’ai pas
entendue te plaindre une seule fois.
— Il aurait fallu avoir de l’air à gaspiller pour cela. Je
suis très fière de moi, de nous tous.
Si Kayla avait imaginé que la descente serait plus
facile, elle déchanta dès les premières minutes. Le chemin
était abrupt, accidenté et rendu particulièrement périlleux
par les cailloux dont il était jonché. Il fallait une attention de
tous les instants. Le seul point positif résidait dans l’air qui
devenait de plus en plus respirable à mesure qu’ils
approchaient de la vallée.
Lorsqu’ils atteignirent Pacamayo, ils avaient parcouru
dix kilomètres, sensiblement la même distance que la
veille, mais ils avaient l’impression d’en avoir parcouru dix
fois plus. Kayla posa son sac, se laissa glisser au sol et se
recroquevilla en position fœtale.
— Basta. Je suis finie. Continue sans moi, dit-elle.
Brett se mit à rire, mais elle l’entendit aussitôt pousser
un juron.
— Ne me fais pas rire, j’ai trop mal.
Elle ouvrit un œil et le vit s’asseoir à côté d’elle. Il
s’adossa à son sac à dos, puis la souleva et l’installa sur
ses genoux. Elle se lova contre lui, posa la tête au creux de
son épaule.
— Comment fais-tu pour ne pas être mort
d’épuisement ?
— Je suis fatigué, je t’assure.
— Fatigué ? Moi, j’étais « fatiguée » au bout de dix
minutes de marche. J’ai mal partout, même dans des
endroits dont j’ignorais l’existence.
Un gémissement plaintif lui échappa.
— Quelle idée d’être venue faire cette randonnée !
J’aurais dû partir à la recherche d’un nouvel équilibre dans
les Caraïbes.
— Je sais très exactement ce qu’il te faut pour que tu te
sentes renaître.
— Ce qu’il me faut c’est savoir demander où se trouve
l’hôpital en espagnol.
— Inutile, je suis Docteur et je m’y connais en thérapies
physiques.
— Tu es peut-être Docteur, mais pas en médecine et ce
que mon physique me dit, en cet instant, c’est qu’il n’est
plus capable de rien. Jamais je n’aurais cru possible de
déclarer un jour à un homme, surtout aussi séduisant et
merveilleux amant que toi, que je suis trop fatiguée pour
faire l’amour.
— Merveilleux amant ? J’apprécie le compliment. Mais
je ne parlais pas de faire l’amour. Je parlais de massage.
Lorsque je me serai occupé de toi, tu seras ressuscitée.
— Ressuscitée ?
— Oui. Je vais chasser toutes tes tensions et toutes tes
douleurs.
— Je crains que tu ne doives me masser longtemps.
Les lèvres de Brett effleurèrent sa tempe, douces et
chaudes.
— Très longtemps…, murmura-t-il. J’y compte bien,
princesse.
18.

— Alors, comment te sens-tu, princesse ?


Brett sourit en entendant le soupir de plaisir que poussa
Kayla. Il poursuivit le massage de son dos, laissant ses
mains glisser sur sa peau nue, alternant les longs
mouvements fluides et les brèves pressions destinés à
dénouer les tensions musculaires.
Il se sentait bien, compte tenu de la journée sportive
qu’ils avaient vécue. Bien sûr, la douche et le dîner roboratif
avaient largement contribué à le remettre sur pieds. Ce
soir, pour la première fois, Ana avait fait chauffer de l’eau,
donnant à chacun l’occasion de profiter au maximum de ce
moment de détente.
Comme la veille, Alberto leur avait indiqué un endroit où
ils seraient tranquilles et il se souvenait du bonheur que
reflétait le visage de Kayla tandis qu’il faisait couler l’eau
chaude sur sa peau savonnée. L’air était très frais et ils ne
s’étaient pas attardés. Ils s’étaient lavés, avaient enfilé des
vêtements propres, puis ils avaient regagné le campement.
Ils avaient trouvé les tentes déjà installées et, à peine le
repas terminé, tout le monde s’était souhaité bonne nuit,
impatient de profiter d’un repos bien mérité.
Aussitôt dans la tente de Brett, Kayla s’était effondrée à
plat ventre sur son duvet en poussant un gémissement.
— Je crois que je ne pourrai plus jamais bouger.
— Ce ne sera pas nécesaire. Tu n’as plus qu’à te
détendre.
— Me détendre ? Heureusement que tu me le dis, je
m’apprêtais à aller faire un petit jogging.
Il rit, l’aida à se déshabiller, puis il ôta son T-shirt et
s’installa à califourchon sur ses cuisses.
— Aurais-tu un lait ou une lotion qui puisse servir pour le
massage ?
— Poche de devant de mon sac.
Il repéra tout de suite le tube portant le logo de
Fragrance. Il versa un peu de lotion dans ses mains, frotta
ses paumes l’une contre l’autre pour la réchauffer et
commença le massage.
Il y avait de cela vingt minutes. De temps en temps,
Kayla montrait signe de vie.
— Oh, que c’est bon…, dit-elle, tandis qu’il pressait
doucement les muscles de ses épaules. Si je suis capable
de bouger un jour d’ici, je te jure que je te revaudrai cela.
— D’accord, j’en serai ravi. Mais pour l’instant, c’est de
toi dont je veux m’occuper.
— Tu sais que tu es un homme fabuleux.
— Merci.
— Et qui a des mains fabuleuses.
— Oh, oh, continue.
— Et qui est très attentionné. Grâce à la douche de ce
soir et à ce massage merveilleux, je serai peut-être en
mesure de bouger demain matin.
— J’en suis très heureux.
Les mains fermes et douces de Brett pressèrent une
dernière fois ses épaules avant de glisser voluptueusement
jusqu’au creux de ses reins.
— C’est tout ?
Kayla leva la tête, le regarda par-dessus son épaule.
— Tu veux dire en plus de sexy et intelligent, sexy et
superbe ?
Elle reposa la tête sur ses bras croisés.
— Oui, c’est tout. Je crois que cela résume parfaitement
ce que tu es.
— Toi aussi, tu es fabuleuse.
L’espace d’une seconde, Kayla se raidit sous ses
doigts.
— Je… je suis heureuse que tu penses cela.
— Je suis sincère. Et tu sais, sexy et intelligent, sexy et
superbe, tout cela s’applique à toi aussi, princesse.
En parlant de sexy et superbe… Le regard de Brett
suivit le trajet de ses mains tandis qu’elles glissaient sur sa
peau claire, effleuraient les petites taches de rousseur qui
la parsemaient, çà et là, et venaient s’arrondir finalement
sur ses fesses. Kayla accueillit sa caresse d’un long soupir
de plaisir tandis qu’elle se cambrait, levait les fesses vers
lui. Il bandait déjà, mais il se sentit durcir encore, prenant
brusquement conscience de la délicieuse torture que
représentait ce massage.
S’efforçant de maîtriser le désir qui taraudait ses reins, il
lui écarta doucement les jambes et s’installa à genoux
entre ses cuisses. Puis, versant de nouveau une dose de
lotion dans ses mains, il reprit son massage, pressant
doucement ses hanches, descendant tour à tour le long
d’une jambe puis de l’autre, s’attardant sur l’arrière de ses
cuisses, ses mollets. Aux gémissements de plaisir que
poussait Kayla, il sut qu’il faisait très exactement ce qu’il
fallait pour la satisfaire.
— C’est bon ? demanda-t-il, massant lentement la
plante de son pied du plat des pouces.
— Bon est très en dessous de la réalité. Je crois que
mes doigts de pied viennent d’avoir un orgasme.
A ce mot, Brett sentit son corps s’enflammer tel un
brasier. Il inspira un peu d’air, sentit l’odeur légèrement
musquée du désir de Kayla. De toute évidence, elle était
aussi excitée que lui.
Lentement, il remonta le long de ses jambes. Lorsqu’il
atteignit ses fesses, il changea le rythme et la force de ses
pressions, muant son massage en une caresse sensuelle.
Il écarta les genoux, lui ouvrit un peu plus les cuisses. Puis
ses doigts pressèrent une dernière fois sa chair ferme
avant de glisser plus bas.
Son sexe était humide et doux et il plongea deux doigts
dans le velours de sa chair tout en continuant de caresser
ses fesses.
— Brett…
Sa voix était rauque de désir et il sentit son sexe se
tendre encore, se dresser, presque douloureux. Elle
poussa un gémissement et s’appuyant sur ses coudes, elle
se cambra contre sa main, se releva à quatre pattes.
— Oui, dit-elle. Continue…
Il se mit à bouger en elle, pompant doucement, puis de
plus en plus vite. Elle haletait, le souffle rauque, cambrée,
offerte, ondulant des hanches. Puis, soudain, elle
s’immobilisa. Un cri s’étrangla dans sa gorge et il sentit sa
chair palpiter, les spasmes de son plaisir se répercuter
dans ses doigts.
Lorsque ce fut fini, il se retira. Elle tourna alors la tête
vers lui, lui jeta un regard enflammé.
— Encore, dit-elle, tendant les fesses vers lui.
Il sortit un préservatif de son sac à dos, baissa son
boxer short, libérant son sexe tendu. D’un geste, il l’enfila,
puis s’asseyant sur ses talons, il la saisit par les hanches,
l’amena vers lui, son sexe contre le sien, son gland
pressant sa chair.
Elle se laissa descendre lentement et il sentit le fourreau
étroit, satiné de sa chair se refermer autour de lui. La
sensation était merveilleuse et il ferma un instant les yeux,
savourant ce plaisir intense jusqu’à ce qu’il soit
profondément enfoui en elle. Il se pencha alors, effleura son
épaule de ses lèvres, caressa doucement sa peau, puis
soudain il saisit sa nuque, la mordit. Un frisson la parcourut
tout entière.
— Encore, murmura-t-elle, refermant ses mains sur les
siennes, les faisant remonter le long de son torse, jusqu’à
ce qu’elles viennent s’arrondir sur ses seins.
Il en saisit les pointes déjà dures entre ses doigts, les
caressa, les titilla tandis qu’il se mettait à bouger en elle,
mesurant ses mouvements, contrôlant la fougue de ses
coups de reins pour retarder le plus longtemps possible le
moment de la jouissance. Mais Kayla ne faisait rien pour
l’aider. Bien au contraire. Elle s’était mise à onduler des
hanches, lentement, si désirable et si provocante qu’il se
sentait déjà perdre pied. Il n’allait pas pouvoir résister très
longtemps.
Alors, laissant une main glisser le long de son ventre, il
la referma sur le triangle de boucles douces entre ses
jambes et, caressant sa chair, pressant le petit bouton dur
de son clitoris, il accéléra le rythme, la prenant de plus en
plus fort, de plus en plus profondément, dents serrées,
dans un effort de volonté terrible pour ne pas jouir. Mais à
l’instant où elle se figea, où il sentit les premiers spasmes
de son plaisir se répercuter en lui, il referma un bras autour
de sa taille et la soulevant contre lui, il s’immergea plus
profondément en elle et lâcha prise.
Ils étaient encore hors d’haleine lorsqu’elle se laissa
aller contre lui, posa ses lèvres dans son cou.
— Waouh ! murmura-t-elle.
— Mon terme scientifique préféré. Encore ?
Il la sentit sourire dans son cou.
— C’est assez pour l’instant. Nous verrons dans
quelques minutes.
C’est assez.
Brett sentit son être tout entier se cabrer. Non, ce n’était
pas assez. Il ne s’imaginait pas en avoir jamais assez. Pas
seulement de faire l’amour avec elle, mais de tout ce
qu’elle représentait, de tout ce qu’il ressentait à ses côtés.
Depuis l’instant où il l’avait vue, la fascination qu’elle
exerçait sur lui ne cessait de grandir et les sentiments qu’il
éprouvait pour elle également.
Les sentiments. Cette brusque prise de conscience lui
fit l’effet d’une bombe.
Il était en train de tomber amoureux d’elle.
En train ? lui souffla sa petite voix intérieure. De qui te
moques-tu ? Il y a longtemps que c’est fait.
Il marqua un temps d’arrêt. Comment le nier ? Il était
clair qu’il était amoureux de Kayla.
Et alors qu’il aurait dû être pris de panique, il sentit une
profonde sensation de plénitude l’envahir à l’idée d’avoir
enfin trouvé la femme capable de faire naître ce sentiment
en lui. Et qu’importe que cela soit arrivé si vite. Il n’existait
aucune règle en ce domaine. Ses parents en étaient
l’illustration parfaite.
Tout allait bien et Kayla était incontestablement la
femme de sa vie.
Les mots « je t’aime » jaillirent spontanément sur ses
lèvres et il s’en fallut de peu qu’il ne les dise à voix haute.
Ce n’étaient pas des mots que l’on prononçait à la légère
et il n’avait jamais eu envie de les dire à personne avant
elle.
Mais il sentait qu’il était encore trop tôt. Elle penserait
qu’il était fou et il risquait de l’effrayer plus qu’autre chose.
Et puis, pourquoi se presser ? Ils habitaient tous les deux
New York et bien qu’ils n’en aient encore jamais parlé, il ne
voyait pas pourquoi leur relation ne continuerait pas à leur
retour du Pérou.
A cette idée, il se sentit envahi d’un profond sentiment
de paix, comme si le puzzle éclaté qu’était sa vie se mettait
soudain en place.
Non, la relation avec Kayla ne pouvait s’arrêter là.
Et il allait faire en sorte qu’elle ne s’arrête pas là.
19.

Le lendemain matin, Kayla marchait avec prudence le


long du sentier étroit qui devait les conduire à leur première
halte de la journée, les ruines de Runkuracay.
Elle savait que Brett se trouvait derrière elle et que son
regard devait assez souvent s’égarer sur ses fesses. Elle
aurait dû en sourire, mais cette pensée ne fit que rendre
son cœur plus lourd encore.
Après une bonne nuit de sommeil, un réveil délicieux
dans ses bras, l’amour avec lui juste avant le petit déjeuner,
elle aurait dû se sentir heureuse, elle en était consciente.
Mais rien n’y faisait. Une immense détresse l’avait assaillie
qui devenait plus aiguë à mesure que le temps passait et
que le moment de la séparation approchait.
Elle ne se réveillerait plus dans ses bras. Ils ne riraient
plus ensemble, complices. Elle ne verrait plus son regard
s’assombrir, brusquement embué de désir. Elle ne se
pelotonnerait plus dans ses bras après l’amour, heureuse
d’écouter battre son cœur, tout simplement.
Brett ne serait plus qu’un souvenir.
La certitude que ces moments magiques lui
échapperaient bientôt s’était inscrite dans son esprit, et
c’était comme si une horloge décomptait le temps
désormais, inexorablement, lui rappelant non seulement
que tout finirait, mais que ce que Brett éprouvait pour elle
serait réduit à néant.
Car bien sûr, il croirait qu’elle ne s’était rapprochée de
lui que pour servir les intérêts de Fragrance. Et comment
lui en vouloir ? A sa place, elle aurait certainement pensé la
même chose. Cette mission lui devenait à chaque seconde
plus insupportable.
Peut-être devrait-elle tout simplement lui dire la vérité,
espérer qu’il la comprendrait. Mais pour quelle raison la
comprendrait-il ? Pourquoi ferait-il cet effort ? Non, Kayla
savait qu’il la rejetterait et que les deux derniers jours sur la
piste deviendraient un enfer. Un enfer qui se poursuivrait à
New York lorsque Nelson se rendrait compte qu’elle avait
fait échouer son projet. Il ne serait plus question alors ni de
prime, ni de promotion. Elle perdrait son emploi. Et même
si Nelson ne la renvoyait pas, la situation serait trop
délicate pour pouvoir continuer à travailler dans
l’entreprise.
Bref, quoi qu’elle fasse, à l’issue de ces quatre jours,
elle perdrait Brett. Et la douleur était insupportable rien que
d’y songer.
Comment avait-elle pu en arriver là ? Quand exactement
était-elle devenue le genre de personne capable
d’espionner quelqu’un, de fouiller dans ses affaires, de
vouloir se venger pour des actions dont elle n’avait même
pas vérifié le bienfondé ?
Elle qui s’était toujours targuée d’être intègre et juste,
depuis un an et, surtout, depuis qu’elle avait été promue
directrice, elle avait changé et elle n’aimait pas beaucoup
la personne qu’elle était devenue, capable de
compromissions dans le seul but de faire avancer sa
carrière.
Que penserait Brett de cette femme ? Il méritait mieux
que cela, lui si droit, respectable, intègre. Un homme
attentionné, respectueux, avec lequel une femme pouvait
envisager de partager l’avenir.
Un homme dont elle aurait pu tomber amoureuse.
Aurait pu tomber amoureuse ? lui lança, sarcastique,
sa petite voix intérieure. Tu ne veux pas plutôt dire un
homme dont tu es tombée amoureuse ?
Kayla pressa un instant ses doigts contre ses tempes,
voulant faire cesser le tumulte qui agitait son esprit. Etait-
elle vraiment tombée amoureuse ? Elle était tellement
déboussolée qu’elle ne savait plus ce qu’elle ressentait
exactement, mais elle avait bien peur que la réponse ne
soit oui. Se pouvait-il qu’elle ait commis cette folie ?
Dire qu’elle avait entrepris cette randonnée dans
l’espoir de retrouver un équilibre, remettre un peu d’ordre
dans sa vie. Et au lieu de cela, elle se retrouvait
tourmentée par sa conscience, bouleversée par les
sentiments qu’elle éprouvait pour cet homme. Elle se
sentait plus mal aujourd’hui qu’elle ne l’avait jamais été.
Et comme si cela ne suffisait pas, le physique aussi se
mettait de la partie. Ils avaient à peine entamé les quinze
kilomètres prévus ce jour et déjà son corps protestait. Ses
cheveux frisottaient dans tous les sens et elle avait pris un
coup de soleil sur le nez.
La journée commençait mal.
Une heure plus tard, après avoir vu les petites ruines
circulaires de Runkuracay dont on supposait qu’elles
avaient servi de relais pour les courriers et leurs animaux,
ils poursuivirent leur dure ascension vers le second col,
Abra de Runkuracay, avant d’entreprendre la descente
vers la vallée et son lac pittoresque. La pause déjeuner fut
la bienvenue, la fatigue se faisant déjà sentir chez tout le
monde.
Lorsqu’ils se remirent en route, Paolo précisa :
— La piste change à partir d’ici et devient une petite
route pavée, œuvre des Incas et début de la véritable Piste
des Incas.
Malgré le trouble qui l’agitait, Kayla fut saisie
d’émerveillement devant la beauté du paysage entre
montagnes majestueuses et vallée profonde.
Moins éprouvante que la veille, la randonnée demeurait
fatigante et Kayla se réjouit des nombreuses pauses qu’ils
effectuèrent pour admirer les sites tout le long du chemin,
notamment les ruines magnifiques de Sayacmara. Puis ils
gagnèrent Phuyupatamarca ou « Ville dans les Nuages »,
de loin le site le plus impressionnant de l’avis de tous. Pour
quitter les ruines, il fallait effectuer une descente
vertigineuse de plus de deux mille marches en pierre.
Parvenue en bas, Kayla déclara :
— J’appelle tout de suite un chirurgien orthopédiste
pour envisager une prothèse du genou.
Tout le monde rit.
— Impossible, dit Paolo avec un grand sourire. Il n’y a
pas de réseau pour les portables ici.
Au cours de la journée, le sentiment de culpabilité qui
taraudait Kayla ne fit que croître devant la sollicitude et
l’attention que lui témoignait Brett. Il discutait avec elle, lui
tenait la main, était toujours prompt à l’aider dans les
passages difficiles et elle se sentait de plus en plus mal.
Incapable de faire face à la situation, elle saisit le
prétexte d’une question à poser à Paolo pour gagner le
devant de la file, loin de Brett, et elle y resta, se méprisant
d’avoir eu recours à un tel stratagème.
Après le déjeuner durant lequel elle s’employa à
discuter avec les autres randonneurs, ils poursuivirent leur
marche durant plusieurs heures, traversant des paysages
sublimes, jusqu’à Huinay Huayna, nommée ainsi en raison
des orchidées roses du même nom qui y poussaient et
demeuraient éternellement en fleur. Paolo leur annonça
alors qu’il avait une surprise pour eux. Il les conduisit à
l’écart de la piste, vers un bâtiment vétuste au toit de tôle
ondulée. Lorsqu’il précisa qu’il était équipé de douches
chaudes et de toilettes, ce fut la liesse générale.
— Je crains que ce ne soit pas le Ritz, dit Brett.
— Peu importe. Je crois que je n’ai jamais été aussi
heureuse d’entendre les mots « douche chaude ».
— Cela me fait plaisir, je ne t’ai pas trouvée bien
aujourd’hui.
Son regard chercha le sien.
— Quelque chose ne va pas ?
— Si. Enfin, je veux dire… non.
A ce stade, elle n’en était plus à un mensonge près.
Brett la saisit doucement par le bras, l’entraîna à l’écart
du groupe. Il paraissait préoccupé, inquiet, lorsqu’elle
croisa son regard.
— Kayla, ai-je dit ou fait quelque chose qui t’a
contrariée ?
Elle secoua la tête, tendit aussitôt la main et la posa sur
sa joue, toute rugueuse de barbe naissante.
— Non, tu as été parfait.
— Mais quelque chose ne va pas. Je peux t’aider ?
Elle ferma les yeux, pressa un instant les paupières.
Oui, avait-elle envie de crier. Cesse d’être aussi gentil
avec moi, compréhensif et généreux. Je ne suis pas la
personne que tu crois.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle lui sourit. Un pâle
sourire.
— C’est un problème que je dois régler seule. Je
suppose que ce voyage m’a amenée à faire le point sur
moi-même et à découvrir que je ne suis pas forcément à la
hauteur dans tous les domaines.
— Je suis prêt à parier qu’il en est de même pour nous
tous. Ce voyage offre le temps nécessaire et un cadre
propice à la réflexion, ce qui est exactement ce qu’il nous
faut pour trouver un nouvel équilibre.
Il porta la main de Kayla à ses lèvres et l’embrassa
tendrement.
— Si cela peut t’aider, sache que je te trouve
fantastique.
Kayla sentit soudain les larmes affluer dans ses yeux.
Ce n’était vraiment pas le moment.
— Merci. Toi aussi, tu es fantastique.
Et tu vas tellement me manquer, songea-t-elle, le cœur
brisé.
— Viens, dit Brett. Allons nous doucher, à présent. Tu as
besoin de te détendre. La journée a été difficile.
Bien que spartiates, les installations apparurent à Kayla
le summum du confort. Elle resta un long moment sous la
douche, se savonna deux fois de la tête aux pieds. Puis
elle enfila un jean et un grand pull confortable. Si elle ne se
sentait pas mieux moralement, du moins était-elle propre et
un peu plus détendue.

* * *
Le dîner, ce soir-là, fut une véritable fête. Ana, Alberto et
Miguel étaient partis devant pour installer les cuisines et le
campement. Le repas se composait de pachamanca, un
plat inca traditionnel dont l’originalité résidait dans le mode
de cuisson. La viande, les pommes de terre, le fromage,
les poivrons et les herbes étaient cuits sur des pierres
chaudes, dans un trou creusé à même le sol, des feuilles
de bananier séparant les différentes couches de nourriture.
— L’acte de cuire des mets dans la terre est très
symbolique chez les Incas, expliqua Paolo. Ils la vénéraient
et c’était pour eux un moyen de l’honorer, de la remercier
pour ses bienfaits.
Le dîner terminé, tandis qu’ils buvaient le café autour du
feu, il prit de nouveau la parole :
— Le dernier soir de la randonnée, j’encourage chacun
à parler de son expérience, de ce qu’il a appris, de ce qui
restera inoubliable pour lui.
Il se tourna vers Dan Smith qui était resté très solitaire
ces deux derniers jours.
— Vous avez parlé le dernier, la première fois, señor, je
vous invite donc à commencer, ce soir.
Tous les regards se tournèrent vers Dan. Quelques
secondes s’écoulèrent avant qu’il ne se décide.
— Ce voyage m’a montré qu’il est des lieux qui ne sont
pas seulement beaux mais qui vous inspirent. J’ai aimé
chaque pas de cette traversée, chaque sensation même
douloureuse, chaque chose extraordinaire que j’ai vue.
Marcie m’a manqué au point d’en avoir la poitrine
oppressée. Elle aurait adoré ce voyage, mais détesté le
manque de confort, peut-être encore plus que Kayla.
Il jeta un regard à Kayla et un sourire effleura ses lèvres.
Il s’éclaircit la voix.
— J’ai appris qu’il ne faut pas longtemps à des
étrangers pour se sentir proches, surtout lorsqu’ils
accomplissent ensemble des tâches difficiles.
Son regard, de nouveau, se posa sur Kayla et un
profond sentiment d’affinité passa entre eux.
— Et j’ai appris que c’est une immense aide de savoir
que d’autres personnes comprennent exactement ce que
vous ressentez. Je n’oublierai jamais le plaisir éprouvé
dans l’effort et le dépassement de soi qu’a exigé cette
randonnée. Je n’oublierai jamais non plus votre gentillesse
à tous.
Ses propos furent salués par des applaudissements.
Puis Paolo fit signe à Bill et Eileen que c’était leur tour.
— Pour moi, cette randonnée demeurera
exceptionnelle. Contrairement à d’autres sites historiques
que nous avons visités, Eileen et moi, ici tout est baigné
dans la nature et rien ne vient nous distraire de la présence
du passé. En revanche, ajouta-t-il, faisant pivoter sa tête
avec une grimace, j’ai découvert que je n’étais plus aussi
jeune que je le croyais.
— Il en va de même pour moi, dit Eileen. Mais ce dont je
me souviendrai, ce sera la paix, la sérénité. Au milieu de
notre vie agitée, nous n’avons guère l’occasion de goûter
le calme absolu, le silence.
De nouveaux applaudissements retentirent. Paolo se
tourna vers Brett.
— Et vous, señor, avez-vous trouvé l’équilibre que vous
veniez chercher ?
Kayla se tourna vers Brett assis à côté d’elle. Elle
contempla son beau profil, ses cheveux sombres qui
brillaient dans la lumière dorée du feu. Elle avait envie de
tendre la main, de caresser sa joue rasée de près.
— Le fait de me trouver ici, loin de tout, m’a permis d’y
voir plus clair et je sais qu’en rentrant, je serai prêt à agir
au mieux. Grâce au calme, à la sérénité, je me suis
retrouvé. Quant à ce qui demeurera à jamais inoubliable,
cela se résume en un prénom : Kayla.
Force acclamations saluèrent la nouvelle. Kayla sentit
sa gorge se nouer. Lorsque Brett se tourna vers elle et
plongea son regard dans le sien, elle crut que son cœur
allait s’arrêter de battre. Soudain, ils étaient seuls au
monde et elle était la femme la plus belle et la plus
désirable. Pendant quelques secondes, il n’y eut plus que
le crépitement des flammes tandis qu’elle se perdait dans
les profondeurs envoûtantes de ses beaux yeux, le cœur
bouleversé.
Puis il y eut un petit sifflement et tout le monde applaudit,
l’arrachant brusquement à cette bulle où seuls Brett et elle
se trouvaient, un lieu où rien ne pouvait les séparer.
Un lieu qui n’existait pas.
— C’est tellement romantique, dit Ashley, donnant un
petit coup de coude à Shawn.
— Il va être difficile de rivaliser avec votre homme,
déclara Paolo en se tournant vers Kayla.
Votre homme . Elle sentit une douleur aiguë oppresser
sa poitrine. Si seulement c’était vrai.
Ses yeux s’emplirent de larmes et elle baissa
promptement la tête, s’efforçant d’éclaircir sa voix.
— Ce… cette randonnée a été une expérience unique,
commença-t-elle. La plus difficile, mais la plus
enrichissante que j’ai jamais vécue. Elle m’a permis de
découvrir beaucoup de choses sur moi, dont certaines me
plaisent et d’autres beaucoup moins.
Elle cilla à plusieurs reprises pour refouler ses larmes,
contenir l’émotion qui menaçait de prendre le pas sur elle.
— J’ai appris que je prenais un peu trop pour acquis le
confort de la vie moderne, l’eau chaude en particulier.
Elle leva les yeux vers Brett. Leurs regards se croisèrent
et elle sentit sa gorge se nouer de nouveau. Elle ne pouvait
pas ne pas parler de lui.
— Et bien sûr, je me souviendrai toujours de Brett,
murmura-t-elle, la voix brisée. Brett qui est… inoubliable.
Oui, elle se souviendrait toujours de lui et son cœur
souffrirait à jamais en songeant à ce qui aurait pu être, à ce
qu’ils auraient pu vivre.
Lorsque les applaudissements cessèrent, Paolo se
tourna vers Ashley.
— Depuis que j’ai rencontré Shawn, nous avons fait de
nombreuses randonnées, mais celle-ci demeurera la plus
belle de ma vie. Je suis fière de ce que j’ai accompli et j’ai
la preuve que je peux aller partout avec lui, quelles que
soient les conditions.
Elle se pencha et planta un baiser sonore sur sa joue.
Acclamations et sifflets fusèrent.
— Je suis heureux, enchaîna Shawn, car pour moi, c’est
exactement pareil. Et ce que j’ai appris n’est que la
confirmation de ce que je savais déjà : je veux partager ma
vie avec toi. Et j’espère que ce qui va se passer à présent
sera un moment inoubliable.
Il se pencha, sortit une petite boîte de sa poche et
l’ouvrit. Un solitaire brilla soudain de mille feux dans la
clarté des flammes.
— Ashley, tu es la femme de ma vie et je t’aime. Veux-tu
m’épouser ?
Ashley écarquilla de grands yeux. Elle regarda tour à
tour Shawn et la bague, puis avec un petit cri, mi-rire, mi-
sanglot, elle se jeta à son cou.
— J’imagine que cela veut dire oui, murmura Brett à
l’oreille de Kayla.
— J’imagine, répondit-elle.
— C’est oui ! s’écria soudain Shawn en se levant. Elle a
dit oui !
Tous les félicitèrent et Shawn sortit une bouteille de
champagne de son sac.
— Elle a pesé toute la journée, dit-il en riant.
— Heureusement que j’ai dit oui, plaisanta Ashley.
On trinqua au bonheur des futurs époux tout en admirant
la bague et lorsque le champagne fut terminé, on se
souhaita bonne nuit et tous regagnèrent leurs tentes.
— C’est une jolie façon de terminer la soirée, dit Brett
lorsqu’il s’installa dans sa tente avec Kayla. Heureusement
qu’elle a dit oui, il était très anxieux.
— Comment le sais-tu ?
— Il m’avait mis dans la confidence. Il avait besoin d’en
parler, d’entendre quelqu’un lui dire qu’il avait pris la bonne
décision.
Elle haussa les sourcils, surprise.
— C’est ce que tu lui as dit ? Je croyais les hommes
plutôt solidaires dans le fait de ne pas s’engager.
— Pas moi. Il est fou amoureux d’elle et il faudrait être
aveugle pour ne pas voir qu’elle aussi. Je lui ai dit de
foncer.
Brett ôta son T-shirt et Kayla fut un instant distraite par la
vision de son beau corps musclé.
— Je suis heureuse pour eux, dit-elle. En tout cas, ce
sera un souvenir inoubliable.
Il s’approcha, referma les bras autour d’elle et l’attira
tout contre lui. Elle sentit ses lèvres chaudes et douces
dans son cou, la pression de son sexe contre son ventre et
une onde de chaleur l’envahit.
— Je propose que, nous aussi, nous fassions de cette
soirée un souvenir inoubliable, murmura-t-il.
— Oui.
Mais alors même que Kayla entrouvrait les lèvres, les
offrait à son baiser, ce fut une immense tristesse qui la
submergea. Bientôt, la fête serait finie, son bonheur envolé.
Il ne lui resterait plus que des souvenirs.
20.

Lorsque la voix de Paolo filtra dans la tente, annonçant


qu’il était temps de se lever, Brett ouvrit un œil et
constatant qu’il faisait encore nuit, roula sur le côté en
grognant.
Et découvrit qu’il était seul.
Il se souleva sur un coude, chercha sa torche à tâtons.
Le faisceau illumina la tente et il cligna des yeux.3 h 30.
Soudain, il sentit l’odeur du café. Visiblement, Ana et
Paolo étaient debout. Au moins, Kayla n’était pas seule.
Il se rallongea, les bras repliés sous la tête, s’accordant
un moment pour rassembler ses pensées.
Elles concernaient toutes Kayla. Et plus
particulièrement, le massage érotique qu’elle lui avait fait la
veille.
Il ferma les yeux, revoyant, comme s’il y était, la façon
dont elle lui avait ôté ses vêtements, puis lui avait massé le
dos, les jambes, les pieds en longs mouvements souples.
Ensuite, elle l’avait fait se retourner et avait consacré la
même attention méticuleuse à son torse, ses bras, ses
mains, tournant autour de son sexe sans jamais y toucher,
faisant monter en lui la tension alors même qu’elle le
massait pour le détendre.
Et alors, enfin, lorsqu’elle en avait eu terminé, elle s’était
entièrement consacrée à son sexe.
— Le principe de base du massage érotique masculin,
avait-elle déclaré, est d’amener l’homme de façon répétée
au bord du plaisir et de s’interrompre lorsqu’il va jouir. Il faut
donc que tu me préviennes lorsque ce sera le cas.
Alors, la plus délicieuse des tortures qu’il ait jamais
connue avait commencé. Kayla l’avait pris dans ses mains,
caressé, stimulé, experte dans l’art de l’exciter jusqu’à le
rendre fou. Chaque fois qu’il l’avait avertie qu’il était au
bord de l’orgasme, elle avait entrepris quelque chose de
nouveau, massé une autre partie de son corps jusqu’à ce
que le besoin pressant d’éjaculer s’estompe. Puis elle
avait recommencé à faire monter le plaisir.
A la sixième reprise, la vue brouillée, perdant totalement
pied, il avait demandé grâce, signifié qu’il n’y tenait plus.
Alors, elle avait tranquillement déroulé un préservatif sur
son sexe bandé à l’extrême, presque douloureux, et avait
entrepris de le rendre fou de nouveau, le prenant tout entier
en elle, l’absorbant dans la douceur enivrante de sa chair.
Ondulant lentement des hanches, elle l’avait chevauché,
annihilant le peu de conscience qui subsistait dans son
cerveau. Et lorsqu’il avait joui, enfin, l’intensité de son
orgasme avait été telle qu’il s’était senti chavirer, exploser
littéralement et se dissoudre.
Elle s’était alors retirée doucement, rabattant la
couverture sur eux, les enveloppant dans un cocon de
chaleur, et elle s’était nichée contre lui. C’était la dernière
chose dont il se souvenait. Avant que la voix de Paolo ne le
réveille.
Maintenant qu’il était réveillé, il avait envie de la voir, de
lui parler, de l’embrasser, de lui faire l’amour.
Il sourit. Bon sang, il était sérieusement épris. Il savait
désormais ce que son père voulait dire en parlant de Big
Bang au sujet de sa rencontre avec sa mère. Tel père, tel
fils !
Il tendit la main, effleura la place vide à côté de lui. Il était
déçu que Kayla ne soit pas là. Ce matin, il avait prévu de
lui parler de la suite de leur relation. Pour lui, cela allait de
soi, mais il voulait s’assurer que c’était le cas pour elle
aussi. Il voulait qu’elle sache qu’en ce qui le concernait, leur
histoire n’avait rien d’une aventure de vacances et qu’il
désirait ardemment continuer à la voir. Il ne fallait pas
s’affoler, toutefois. Il avait encore le temps de lui parler.
Pour l’instant, il voulait la voir.
Il s’habilla à la hâte et prit la direction de la cuisine. A
mi-chemin, il l’aperçut, venant à sa rencontre.
— Bonjour, dit-elle, lui tendant une tasse de café fumant.
Je te l’apportais, justement.
— Si je ne me suis pas réveillé, c’est entièrement ta
faute.
Il glissa un bras autour de sa taille, l’attira contre lui.
— Tu m’as manqué.
— Je ne parvenais pas à dormir. Lorsque j’ai senti
l’odeur du café, je me suis levée.
Il se pencha, observa son visage. Elle avait les yeux
cernés.
— Ça ne va pas ?
— Si. Mais les pensées n’arrêtaient pas de tourner
dans ma tête.
— Toi, tu m’as complètement vidé l’esprit, hier soir. Si
Paolo n’avait pas appelé, je ne sais pas combien de
temps j’aurais dormi. C’était merveilleux.
— Nous voilà quittes, à présent.
— Je crois me souvenir qu’il était question de faire
l’amour pour se réconcilier.
— Je n’y vois aucun inconvénient. Mais pour se
réconcilier, il faut s’être disputés, non ?
Kayla se haussa sur la pointe des pieds, glissa la pointe
de sa langue dans son oreille et en mordilla doucement le
lobe.
— Et se disputer n’est pas du tout ce que j’ai à l’esprit.
Paolo arriva sur ces entrefaites et donna une tape
amicale sur l’épaule de Brett.
— Petit déjeuner dans cinq minutes. Ensuite, nous
devons faire nos bagages pour arriver à Machu Picchu au
lever du soleil.
— Cinq minutes ? grommela Brett, dès qu’il se fut
éloigné. Ce n’est pas suffisant pour ce que j’avais à
l’esprit.
— Moi non plus, renchérit Kayla.
Il posa un baiser sur ses lèvres.
— Rendez-vous cet après-midi, à l’hôtel.
Tout le monde se retrouva bientôt autour du petit
déjeuner. Paolo en profita pour donner quelques
explications concernant la cité de Machu Picchu.
— Elle fut découverte en 1911 par une équipe
d’archéologues américains. Les Incas n’ayant laissé aucun
écrit, elle demeure auréolée de mystère. S’agissait-il d’un
sanctuaire habité par de grands prêtres ? Servait-elle
d’observatoire pour les études astronomiques ou de
citadelle ? Son architecture est très sophistiquée. Mais
nous en reparlerons sur place.
Le petit déjeuner terminé, le groupe plia bagage et se
mit en route pour l’ultime étape de la randonnée. Pour le
plus grand bonheur de tous, elle se révéla plus courte et
nettement moins difficile que les précédentes. Ils suivirent
un chemin large et plan qui serpentait tranquillement dans
une zone boisée. L’air était frais et pur. Dès les premières
lueurs de l’aube, des nuées de papillons aux couleurs
magnifiques envahirent la piste.
Ils atteignirent Intipunku, la Porte du Soleil, peu de temps
après. A l’issue d’une dernière épreuve de cinquante
marches abruptes à escalader, Machu Picchu leur apparut
dans toute sa splendeur, sa gloire énigmatique, baignée
dans la lumière dorée du lever du soleil. Brett fixait la vue
somptueuse qui s’offrait à lui, les incroyables séries de
terrasses nichées dans le paysage verdoyant et il avait
l’impression d’avoir remonté le temps.
Kayla glissa sa main dans la sienne.
— C’est encore plus impressionnant que je l’imaginais.
Ils passèrent leur journée à explorer les ruines, celles du
Temple du Soleil, extraordinaire construction en pierres
sèches, à celles du Temple de la Lune, ensemble de
cavernes mystérieuses orné d’un trône sculpté et d’un
autel.
Alors que le soleil commençait à disparaître derrière les
pics enneigés, au loin, le groupe se dirigea vers la sortie.
Tous se rendaient à la gare ferroviaire d’Aguas Calientes
afin de regagner Cusco. Tous sauf Kayla et Brett qui
passaient la nuit au Sanctuary Lodge.
On échangea les adresses mail, les promesses de
rester en contact et de s’envoyer des photos. Puis on
s’embrassa, on se serra la main, triste de voir se terminer
l’aventure, de ne pas se retrouver le lendemain pour
partager de nouvelles émotions.
Lorsque Brett se tourna vers Kayla, il vit que ses lèvres
tremblaient.
— Ils vont me manquer, dit-elle, la voix soudain brisée.
Il l’attira dans ses bras et elle posa son front contre sa
poitrine.
— A moi aussi. Mais ce qui me console, c’est de ne pas
me séparer de toi. Nous habitons la même ville, c’est
génial, non ?
Un petit son étranglé monta de la gorge de Kayla. Elle
enfouit son visage au creux du cou de Brett et éclata
soudain en pleurs, le corps secoué de sanglots.
Surpris, il la serra contre lui, caressa sa tempe de ses
lèvres, murmurant des paroles rassurantes. Tout irait bien,
ils garderaient le contact avec les autres. Lorsque l’orage
se fut un peu calmé, il sortit un mouchoir de sa poche et le
lui tendit.
— Je suis désolée, dit-elle après s’être mouchée.
— Ça va mieux ?
Pendant quelques secondes, elle le regarda, une
expression indéchiffrable sur ses traits. Brett aurait tout
donné pour savoir à quoi elle pensait. Finalement, elle
hocha la tête.
— Oui, ca va mieux. Mais je dois être horrible, à
présent, le nez rouge, les yeux gonflés.
— Tu es très belle et j’ai hâte de me retrouver dans la
chambre d’hôtel pour te prouver à quel point je le pense.
— J’ai peine à croire que tu puisses avoir envie de moi.
— Et pourtant, si, répondit Brett, pressant sans
ambiguïté son corps contre le sien.
— Seigneur, es-tu toujours aussi insatiable ?
Il la regarda, très sérieux.
— Non. Uniquement avec toi et toi seule.
Les lèvres de Kayla se mirent à trembler et il vit ses
yeux s’emplir de nouveau de larmes. Il prit aussitôt les
devants.
— O.K. Je vous emmène à l’hôtel, mademoiselle
Niagara. Avant d’avoir épuisé ma réserve de mouchoirs.
Une demi-heure plus tard, ils se dirigeaient vers leur
chambre dans le couloir somptueux du Sanctuary Lodge.
Kayla avait annulé sa réservation. Elle avait bien fait.
Compte tenu de l’impatience qui les gagnait, il y aurait eu
une chambre de trop.
Lorsque Brett referma la porte derrière eux, ils se
débarrassèrent de leurs sacs et se jetèrent l’un sur l’autre.
Ils se débarrassèrent à la hâte de leurs vêtements, mains
fébriles, souffles haletants.
— Je te veux, maintenant, vite, murmura Kayla, le regard
assombri de désir tandis qu’elle libérait son sexe, le
prenait dans sa main.
Il l’entraîna et ils roulèrent sur le lit. Il se glissa entre ses
jambes ouvertes, la pénétra aussitôt et il la prit avec
fougue, lui donnant ce qu’elle voulait, ce qu’ils voulaient
tous les deux : une étreinte sauvage, intense, qui les laissa
éreintés, ivres de plaisir.
Lorsque Brett eut un peu récupéré, il se redressa sur un
coude et la regarda en souriant.
— Que dirais-tu de partager un bain chaud dans notre
magnifique salle de bains ?
— Te rends-tu compte que tu es parvenu à me faire
oublier que nous disposions d’un tel luxe ? Il faut vraiment
que tu sois très attirant et très doué.
— Attends de voir de quoi je suis capable dans un
bain…
Quelques instants plus tard, allongé dans la baignoire,
Brett tenait Kayla calée contre lui, entre ses jambes, son
menton contre sa tempe. Elle avait posé les mains sur ses
cuisses tandis qu’il laissait ses doigts glisser doucement
sur son ventre, caresser sa peau satinée. Une vapeur
subtilement parfumée montait du bain, les enveloppant de
senteurs florales.
— Au fait, dit-il, je ne t’ai pas encore parlé de ma
formule. Ça t’intéresse d’en savoir plus ?
Il la sentit se raidir brusquement.
— Non.
Gênée par la brusquerie de sa réponse, elle eut un petit
rire.
— Je veux dire, ce n’est pas nécessaire…
— Tu t’attends peut-être à un exposé ennuyeux, mais
lorsque je t’aurai expliqué ce que ma formule est capable
de faire, je t’assure que tu seras très intéressée.
Il lui raconta tout, la découverte, la mise au point, les
effets spectaculaires, le harcèlement des sociétés de
cosmétiques et le moment où, encouragé par l’article du
magazine, il avait décidé de partir pour le Pérou. De
s’éloigner pour réfléchir à ce qui serait le mieux pour son
avenir, car son avenir reposait sur cette découverte.
Lorsqu’il eut terminé, il se rendit compte que Kayla
n’avait pas dit un mot, qu’elle n’avait même pas bougé.
— Hé, dit-il en riant, tu dors ?
Elle secoua la tête.
— Non, répondit-elle d’une voix étranglée. J’ai entendu
chaque mot de ton explication. Ton produit a vraiment l’air
extraordinaire.
— Il l’est. Voilà pourquoi je dois prendre les bonnes
décisions et vite. Si je fais confiance aux bonnes
personnes, mon avenir est assuré financièrement.
— Oui… il est important de faire confiance aux bonnes
personnes.
— Je pourrai enfin offrir des vacances à mes parents.
Peut-être un voyage jusqu’à Machu Picchu, qui sait ?
ajouta-t-il en riant.
Au lieu de rire avec lui, Kayla se redressa, lui fit face. Il y
avait dans ses yeux une lueur de profonde tristesse qui le
surprit, mais avant qu’il ait eu le temps de dire quoi que ce
soit, elle nouait les bras autour de son cou et l’embrassait
avec fougue, avec une urgence presque désespérée, et il
cessa de se poser des questions.
Lorsqu’elle libéra ses lèvres, il avait la tête qui tournait.
— Fais-moi l’amour, Brett, murmura-t-elle. Je t’en prie.
Il ne fut que trop heureux de la satisfaire. Une fois, puis
deux encore au cours de la soirée avant qu’ils ne sombrent
dans le sommeil, dans les bras l’un de l’autre, épuisés.
Lorsqu’il se réveilla le lendemain, il tendit le bras. La
place à côté de lui était vide. Il sourit. Kayla devait se
trouver dans la salle de bains, profitant du confort retrouvé
après leur périple.
Au bout de quelques minutes, n’entendant aucun bruit, il
finit par appeler.
— Kayla ?
Pas de réponse.
Il se redressa. Le soleil entrait en longs rayons dorés au
travers des persiennes. Il allait appeler de nouveau lorsque
son regard tomba sur l’oreiller à côté de lui. Une enveloppe
y était posée, portant son nom.
Il jeta un regard circulaire à la chambre. Toute trace de
Kayla avait disparu. Son sac, ses vêtements éparpillés sur
le sol… Il ne restait rien.
Il fixa de nouveau l’enveloppe et sentit un frisson glacé
parcourir son dos. Tel un automate, il s’en empara, déplia
la lettre et lut.
Lorsqu’il eut terminé, il serra le poing, froissant la feuille
de papier entre ses doigts. Puis il la lança de toutes ses
forces à travers la pièce. Elle heurta le mur et tomba sur le
sol, rejoignant les morceaux de son cœur brisé.
21.

Kayla prit place à côté de Meg, dans la somptueuse


limousine, arrangeant avec soin le voile de la future mariée.
Sur la banquette d’en face, leur mère se tamponnait les
yeux, transformée en fontaine depuis qu’elle avait vu sa fille
apparaître en robe blanche. Cindy pratiquait des
respirations profondes pour tenter d’enrayer la nausée qui
lui soulevait l’estomac. Meg avait promis de lui faire un
procès si jamais elle était malade dans la limousine. Et elle
n’avait pas l’air de plaisanter.
En tout cas, aujourd’hui, Meg l’hystérique serait mariée,
et avec un peu de chance, après deux semaines de
voyage de noces à Hawaii, elle rentrerait, enfin redevenue
elle-même.
— Ça va, Kayla ? demanda sa mère, lui jetant un coup
d’œil par-dessus son mouchoir. Tu as l’air toute chose
depuis quelque temps. En fait, depuis que tu es revenue du
Pérou. J’espère que tu n’as pas attrapé un de ces virus
dont on parle dans les journaux.
— Mais non, maman. Tout va bien, répondit Kayla,
mentant effrontément.
En fait, elle n’allait pas bien du tout, mais elle n’avait pas
envie d’en parler. Et surtout pas ici, maintenant. Peut-être
après le mariage. Mais qu’y avait-il à dire ? Une femme
rencontre un homme merveilleux dont elle tombe
éperdument amoureuse. Comme une idiote, elle lui ment et
elle le perd. Elle est seule maintenant et il ne lui reste que
ses yeux pour pleurer.
Parce qu’elle avait définitivement perdu Brett.
Il y avait exactement un mois qu’elle avait quitté la
chambre du Sanctuary Lodge, laissant cette lettre pour lui,
sur l’oreiller. Sa raison avait beau lui dire qu’elle
n’entendrait plus jamais parler de lui, son cœur refusait de
s’y résoudre. Il avait continué d’entretenir l’espoir que Brett
comprendrait, qu’il lui pardonnerait, qu’en dépit de ce
qu’elle lui avait écrit, il aurait encore envie de la voir, envie
d’elle dans sa vie.
Mais les jours, les semaines avaient passé et son cœur
n’était plus que cendres. Brett n’avait pas compris et il
n’avait rien pardonné.
Et bien sûr, il ne voulait plus d’elle dans sa vie.
Pourquoi en aurait-il été autrement, d’ailleurs ? Il pouvait
avoir toutes les femmes qu’il souhaitait. Durant quatre jours
magiques, c’était elle qu’il avait voulue. Cependant ce
temps était révolu et il fallait qu’elle poursuive sa route.
Mais que c’était difficile alors que chaque fois qu’elle
pensait à lui, une douleur intense oppressait sa poitrine, lui
coupant le souffle ! Et elle pensait à lui tout le temps.
Les préparatifs du mariage étaient tout de même
parvenus à l’absorber un peu au cours de ces semaines
misérables. Malheureusement, demain, ce serait fini. Il n’y
aurait plus rien pour la distraire. Elle aurait tout le temps de
penser à Brett.
— Tu sais, il va y avoir des hommes très bien à ce
mariage, lui dit sa mère, hochant la tête pour l’encourager.
Tu pourrais parfaitement trouver l’homme de ta vie parmi
les amis avocats de Robert. Il y a plusieurs célibataires.
— Si tu en trouves un qui te plaît, parle-m’en d’abord,
intervint Meg. Certains ont des petites amies en dehors de
New York, détail qu’ils ont un peu tendance à oublier
lorsqu’elles sont absentes.
— Merci de me prévenir, dit Kayla, regardant défiler les
rues animées de Manhattan derrière la vitre fumée. Mais je
ne cherche personne.
— C’est toujours lorsqu’on ne cherche pas que l’on
trouve, déclara sa mère, d’un ton docte.
Trop tard. Je l’avais trouvé et je l’ai perdu. Peut-on
passer à autre chose ?
— Bon, la semaine prochaine, Cindy, toi et moi, nous
allons aller faire les magasins de chaussures, reprit-elle.
Cela te distraira.
— Je ne veux pas aller faire les magasins de
chaussures, dit Cindy, sortant de sa torpeur. Tout ce que je
veux, c’est dormir et arrêter de vomir.
— Nous voulons toutes que tu arrêtes de vomir, lui lança
Meg sur un ton qui, à n’en pas douter, devait arracher des
confessions aux criminels les plus endurcis. En fait, je
t’interdis de vomir.
Kayla s’efforça de sourire, pour faire plaisir à sa mère.
— Nous verrons, maman.
La limousine s’arrêta à un feu et Kayla aperçut la
pâtisserie Delriccio, à l’angle de la rue. C’était à cette
enseigne qu’elle achetait ses biscuits au chocolat préférés.
Et elle ne s’était pas privée depuis un mois. Il n’y avait qu’à
voir à quel point sa robe de demoiselle d’honneur Vera
Wang la serrait.
Elle bougea sur le siège et sentit la fermeture Eclair lui
pincer la peau. Elle n’avait pas intérêt à respirer trop fort si
elle ne voulait pas que le tissu craque. Si cela arrivait et
que la honte ne la tue pas, ce serait Meg qui s’en
chargerait pour lui apprendre à saboter son mariage.
De toute manière, malheureuse comme elle l’était,
quelle différence pouvaient faire quelques centimètres de
tour de taille et un peu de cellulite ? Ah oui, il y avait aussi
les trois petits boutons qui ornaient son front ce matin, pour
faire bonne mesure.
Elle jeta un coup d’œil à sa montre. Encore une dizaine
d’heures à passer dans cette robe trop étroite et ces
chaussures insensées et elle pourrait rentrer chez elle.
Terminé le calvaire ! Elle se glisserait dans son lit,
rabattrait sa couette sur la tête et rideau !
A l’arrivée à l’église, elle n’eut quasiment rien à faire.
Meg avait réglé jusqu’au moindre détail. Sa sœur avait
peut-être tendance à tout vouloir diriger, mais sa
détermination était admirable. Kayla ne put s’empêcher de
le reconnaître. Depuis le début, elle savait ce qu’elle voulait
et elle avait tout mis en œuvre pour l’obtenir afin que ce
mariage soit exactement comme elle l’imaginait, voilà tout.
Aussi, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’au moment
de remonter l’allée, dans l’église, Meg se tourna vers elle,
l’air inquiet.
— Tout va bien, non ? Qu’en penses-tu, Kayla ?
Kayla posa sa main sur la sienne et la pressa
tendrement.
— Meg, tout est parfait.
Tandis qu’elle remontait l’allée, Kayla garda la tête
haute et sourit aux parents et amis rassemblés de part et
d’autre de la nef, s’efforçant d’oublier sa détresse pour ne
penser qu’au bonheur de sa sœur. Et accessoirement à ne
pas respirer trop à fond pour éviter tout accident avec sa
robe.
La cérémonie fut en tout point magnifique, des fleurs à
la musique en passant par le discours du prêtre. Lorsque
Meg et Robert échangèrent leurs vœux, leur amour
rayonnait avec une telle intensité que Kayla sentit ses yeux
s’emplir de larmes. Des larmes d’envie car elle aurait aimé
être à leur place. Des larmes de bonheur car elle était
sincèrement heureuse pour sa sœur. Et des larmes de
tristesse, aussi, car elle avait perdu un homme qui l’avait
regardée avec un désir et une admiration en tout point
semblables à ceux qui brillaient en cet instant dans le
regard que le marié posait sur sa jeune épouse.
Après la cérémonie et la longue série des félicitations,
on se rassembla pour les photos. Ce fut interminable. A se
demander combien ils étaient capables d’en prendre.
Puis on sortit pour poser sur les marches de l’église et
en prendre de nouvelles. Heureusement, Meg avait refusé
le traditionnel lancé de riz. A la place, chacun disposait
d’une minuscule bouteille pour faire des bulles. Au signal,
tout le monde se mit à souffler et les mariés se retrouvèrent
auréolés d’une myriade de bulles multicolores flottant
doucement dans la brise d’été.
Ils coururent au milieu des bulles jusqu’à la Rolls blanche
qui les attendait afin de les conduire à Central Park pour
une troisième séance photo et ensuite à l’hôtel Waldorf où
aurait lieu la réception. Les invités, tous conduits en
limousine, les y retrouveraient. Inutile de dire que des
photos étaient encore prévues au programme.
La foule se dispersait lentement et Kayla, debout sur la
plus haute marche de l’église, discutait avec son cousin
Daniel qui résidait en Floride et qu’elle n’avait pas vu
depuis cinq ans. Il lui parlait d’un night-club dans lequel il
venait d’investir. Elle l’écoutait, hochant poliment la tête,
tout en observant les invités qui se pressaient sur les
marches et sur le trottoir. Oncle Will et tante Gwen en
grande conversation avec sa mère et Cindy. Le patron de
Meg et son épouse discutant avec un jeune couple qu’elle
ne connaissait pas. Il y avait également ses cousines
Debbie et Marla et deux autres personnes que Kayla ne
parvint pas à identifier. Et Brett Thornton.
Elle crut que son cœur allait s’arrêter de battre. Elle cilla
à plusieurs reprises. Elle avait dû mal voir.
Mais non, aucun doute. Il s’agissait bien de Brett. La
tête levée vers le haut des marches, il la regardait.
Pendant quelques secondes, elle demeura figée sur
place, le souffle coupé, le fixant à son tour. L’espace d’un
instant, elle songea qu’il était peut-être invité, lui aussi.
Que, par quelque ironie du destin, il connaissait Meg ou
Robert et qu’il était venu sans se rendre compte que la
mariée était sa sœur.
Mais non. Il n’aurait pas été en jean et en chemise à
manches courtes.
Son cœur s’emballa soudain et elle saisit la rambarde,
les jambes tremblantes. Elle n’osait bouger de peur que
l’image disparaisse, qu’elle n’ait été qu’un mirage, le fruit
de son imagination. Elle s’excusa auprès de Daniel,
esquissa un pas. Brett était toujours là. Elle descendit une
marche. Il n’avait pas disparu. Elle en tenta une deuxième,
puis une autre et une autre encore.
Son regard ne la quitta pas une seconde tandis qu’elle
continuait de descendre, tel un automate. Lorsqu’elle
passa devant sa mère, elle l’entendit demander :
— Ça va, ma chérie ?
Elle hocha la tête. Elle pensa l’avoir fait, tout du moins.
Elle sentit le regard de sa mère peser dans son dos, mais
elle ne s’arrêta pas. Elle ne s’arrêta que lorsqu’elle fut à un
mètre de Brett. Et là, pour comble, sa gorge se noua. Elle
déglutit à plusieurs reprises, mais parvint seulement à
articuler un « bonjour » d’une voix haut perchée qui n’était
pas la sienne.
— Bonjour, Kayla.
Le soulagement l’envahit. Jusqu’à ce qu’il parle, elle
n’avait pas totalement exclu la possibilité qu’il ne soit qu’un
mirage, qu’il se dissolve soudain devant ses yeux.
— Que… que fais-tu ici ? Tu te promènes ?
— Non. Je suis venu pour te voir.
— Vraiment ?
Oh, mon Dieu ! Elle allait s’évanouir, là, sur le trottoir.
Elle inspira. Du calme…
— Oui. Il y a une semaine que j’essaie de te joindre,
mais comme nous n’avons échangé ni adresses ni
numéros de téléphone et que tu te trouves sur liste rouge,
ça n’a pas été facile.
Il glissa les mains dans les poches arrière de son jean
et Kayla s’efforça de ne pas penser à leur caresse
enivrante sur son corps, à leur douceur lorsqu’il
emprisonnait tendrement son visage.
— J’ai tenté de te trouver par l’intermédiaire de
Fragrance, mais lorsque j’ai téléphoné, tout ce que l’on a
consenti à me dire, à l’accueil, c’est que tu ne travaillais
plus dans l’entreprise.
— C’est exact. Je n’y travaille plus.
Il l’observa quelques instants et elle se demanda à quoi
il pensait.
— C’est alors que je me suis souvenu que ta sœur se
mariait. J’ai parcouru les annonces dans le New York
Times, reconnu le nom, Watson, et su que le mariage avait
lieu aujourd’hui. Et me voilà.
Oui. Et te voilà…, songea Kayla. Si grand, si fort, si
séduisant qu’elle n’avait qu’une envie : se jeter dans ses
bras. Et ce regard fixé sur elle…
Son cœur cognait comme un fou dans sa poitrine.
— C’est bon de te voir, murmura-t-elle, affolée
d’entendre sa voix se briser de nouveau.
Oh, non, s’il vous plaît, mon Dieu, faites que je ne
pleure pas. Pas maintenant. Une aussi petite prière peut
bien être exaucée, non ? A deux pas d’une église.
— Tu disposes de quelques minutes ? demanda Brett,
ou tu dois partir tout de suite ?
— J’ai un peu de temps. Meg et Robert passent par
Central Park pour prendre quelques photos.
Elle leva les yeux au ciel.
— Quelques centaines de photos, avant de gagner le
Waldorf.
Un sourire effleura les lèvres de Brett et son cœur se
serra. Seigneur, qu’il était beau !
— Crois-tu que nous pouvons entrer nous asseoir pour
discuter ?
— J’imagine que oui. Ce ne sont pas les places qui
manquent.
Kayla se retourna et commença à monter les marches,
soulevant le bas de sa robe. Ce n’était pas le moment de
trébucher et de tomber. Brett lui emboîta le pas et une
image traversa aussitôt son esprit. Elle le revit sur la piste,
derrière elle, un sourire malicieux aux lèvres tandis qu’il
regardait ses fesses d’un air gourmand.
Elle se sentit rougir aussitôt. Avec tous les biscuits au
chocolat qu’elle avait mangés… Oh non, elle espérait qu’il
n’était pas en train de les regarder, surtout.
Lorsqu’elle arriva à la hauteur de sa mère et de sa
sœur, toutes deux en train de les dévisager, elle leur lança
un regard suppliant qui voulait dire « surtout ne me
demandez rien ».
— Je n’en ai pas pour longtemps, dit-elle. Ne faites pas
attendre la limousine pour moi. Je prendrai un taxi pour
vous rejoindre au Waldorf.
Et au cas où elles n’auraient pas bien saisi le sens de
son regard, elle continua de monter les marches, ne tenant
absolument pas à leur présenter un homme qu’elles ne
reverraient de toute façon jamais. Déjà, elle savait qu’elle
allait devoir répondre à une foule de questions dès qu’elle
arriverait à la réception !
— Qui est cet homme avec Kayla ? entendit-elle Cindy
murmurer à l’oreille de sa mère.
Malheureusement, Cindy n’avait jamais su murmurer.
Lorsqu’elle essayait, le résultat était pire que si elle avait
parlé normalement.
— Je l’ignore, mais j’imagine que c’est celui qui la met
sens dessus dessous, répondit sa mère, parfaitement
incapable de parler bas elle aussi.
— Sens dessus dessous ?
— Oh oui, ma chérie. Depuis qu’elle est revenue du
Pérou. Tu as passé tellement de temps à vomir que tu ne
t’en es même pas rendu compte.
Kayla fit la grimace et continua de monter, freinée dans
son envie de courir par ses talons hauts et sa robe étroite.
Parvenue dans l’église, elle se glissa dans la dernière
rangée de sièges, soulagée de se poser enfin. Brett s’assit
à son côté, se tourna vers elle.
Elle n’avait aucune envie de croiser ce beau regard brun
qu’elle avait vu tant de fois brûler de désir pour elle. Mais
elle ne pouvait se permettre d’être incorrecte.
Lorsqu’elle leva les yeux, son cœur se serra devant
l’expression indéchiffrable de son visage, de son regard.
Sans doute était-ce tout ce qu’elle méritait. Mais puisqu’il
semblait décidé à s’expliquer avec elle, autant en finir tout
de suite.
— De quoi voulais-tu me parler, Brett ? demanda-t-elle.
— De beaucoup de choses. Et tout d’abord, de ton
travail. Pourquoi ne travailles-tu plus chez Fragrance ?
— Quelle importance ?
— Je ne te poserais pas la question si cela n’en avait
pas. As-tu perdu ton poste à cause de moi ?
— Non.
Il parut surpris.
— J’aimerais savoir ce qui s’est passé, Kayla,
demanda-t-il d’une voix douce.
Elle hésita, baissa les yeux vers ses mains.
— Très bien. J’ai démissionné. J’ai déposé mon
préavis le jour où je suis rentrée du Pérou.
Le silence retomba quelques instants avant qu’il
demande :
— Pourquoi ?
Kayla leva la tête, croisa son regard.
— Parce que je ne pouvais plus me regarder en face,
parce que j’en voulais à mon patron de m’avoir demandé
de t’espionner et que je m’en voulais encore plus d’avoir
accepté. Je ne voulais plus rien avoir à faire, ni de près, ni
de loin, avec ta formule. J’ai donc décidé de me retirer du
jeu.
— En démissionnant ?
— Oui.
— Donc, tu n’as plus de travail ?
— Non.
Kayla leva le menton.
— Mais j’ai retrouvé mon intégrité et ma dignité. Je m’y
emploie, tout du moins. Malheureusement, ce n’est pas ce
qui paie le loyer, mais j’ai quelques propositions
intéressantes en vue.
Elle marqua un temps avant de reprendre.
— Je veux que tu saches… concernant ta formule, je
n’ai absolument rien révélé de ce que tu m’avais dit à mon
patron. Tu n’es pas obligé de me croire, mais…
— Je te crois.
Ces mots la bouleversèrent et elle pressa ses mains
l’une contre l’autre pour les empêcher de trembler.
— Merci. C’est plus que je ne mérite.
Elle attendit qu’il dise quelque chose, n’importe quoi.
Mais lorsque le silence se prolongea, elle n’y tint plus.
— Pourquoi as-tu cherché à me joindre ?
— Cette dame sur les marches de l’église, c’était ta
mère ? demanda Brett au lieu de répondre à sa question.
— Oui. Avec ma sœur Cindy.
— Elle a dit que tu étais sens dessus dessous depuis
ton retour du Pérou.
Kayla eut un petit haussement d’épaules.
— Tu sais comment sont les mères.
— Elle avait l’air de penser que c’était à cause d’un
homme.
— Ma mère ne sait pas que j’ai démissionné et mes
sœurs non plus. Je ne voulais pas leur en parler avant le
mariage. Elles se seraient inquiétées et auraient posé des
milliers de questions auxquelles je ne me sentais pas prête
à répondre.
Brett plongea son regard dans le sien.
— Donc, si tu es sens dessus dessous, comme elle dit,
c’est uniquement dû au fait que tu as démissionné ?
— Cela n’a rien à voir. Je ne suis pas et n’ai jamais été
sens dessus dessous parce que j’avais quitté mon travail.
C’est une décision que j’ai prise et que je ne regrette
absolument pas.
— Dans ce cas, qu’est-ce qui te met dans cet état ?
— Tu n’en as pas la moindre idée ?
— Je préférerais que ce soit toi qui me le dises.
Kayla baissa de nouveau les yeux vers ses mains,
rassemblant son courage. Puis elle leva la tête, soutint son
regard.
— Très bien. Je te dois la vérité. Ce qui me met dans
cet état, c’est d’être tombée amoureuse de toi et de t’avoir
perdu. Et ce, uniquement par ma faute. J’espère qu’un jour
je m’en remettrai, mais ce n’est pas aujourd’hui. Et ce n’est
pas pour tout de suite.
Elle prit une grande inspiration.
— Et bien que je t’aie tout expliqué dans ma lettre,
j’estime te devoir des excuses. Je suis désolée, Brett. Je
regrette sincèrement les raisons qui m’ont amenée à
entreprendre ce voyage au Pérou et je réaffirme qu’elles
n’avaient strictement rien à voir avec l’attirance que j’ai
éprouvée pour toi, ni avec ma décision de faire l’amour
avec toi et les sentiments qui s’en sont suivi.
Un muscle tressaillit à la mâchoire de Brett.
— Merci de me dire tout cela. Je ne peux nier que le fait
que tu sois partie si subitement, en me laissant seulement
cette lettre… m’a fait très mal.
— Je suis désolée. C’était la dernière chose que je
voulais.
— Je crois que ce qui a été le plus douloureux, c’est que
tu refuses de t’expliquer avec moi, que tu préfères t’enfuir.
Kayla secoua la tête.
— C’était très égoïste de ma part, je le sais. Mais je ne
supportais pas l’idée de voir ton regard se vider de toute
l’affection que j’y avais lue.
— C’était bien plus que de l’affection, Kayla. J’étais
tombé amoureux de toi.
Ses paroles la bouleversèrent. Et l’imparfait, aussi. Il
était tombé amoureux. Kayla crut que son cœur allait
s’arrêter de battre.
— Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu avais
démissionné ?
— Nous n’étions pas vraiment restés en contact.
— Dans ta lettre, tu n’y faisais même pas allusion.
— Non. En fait, je ne voulais pas que tu le saches.
C’était mon problème. Et je te le redis, tu n’as aucune
raison de t’inquiéter. Je n’ai pas le moindre regret. Du
moins, pas à ce sujet.
La cloche de l’église sonna la demie. Elle allait devoir
partir.
— Tu ne m’as toujours pas dit pourquoi tu avais cherché
à me joindre.
— Je voulais te voir, te parler. Les trois premières
semaines, je souffrais et j’étais très en colère contre toi, à
cause de ce que tu avais fait, de la façon dont tu m’avais
quitté. J’étais comme un lion blessé. Je me persuadais
que j’étais aussi bien sans toi, que cela n’avait aucune
importance. Je me suis absorbé dans la recherche d’un
avocat pour défendre mes intérêts et j’ai finalement pris
une décision concernant ma formule.
Kayla ne dit rien.
— Tu n’as pas envie de savoir ?
— Seulement si tu as envie de me le dire.
— J’ai signé un contrat avec Parisian Cosmetics.
Kayla hocha la tête.
— Petite entreprise basée en France, produits haut de
gamme vendus exclusivement dans les boutiques
spécialisées.
Elle sourit.
— Félicitations.
— Merci.
— Tu peux donc offrir un voyage à Machu Picchu à tes
parents.
— Je le leur ai proposé, mais ils préfèrent Las Vegas.
Va savoir pourquoi.
— Pour avancer, changez ! La recette s’est révélée une
réussite pour toi, finalement. J’imagine que ta vie a
retrouvé un nouvel équilibre.
— Pas totalement.
Le visage de Brett se fit grave. Il tendit la main, saisit
doucement la sienne.
— La colère et la douleur passées, je me suis soudain
senti très seul.
Du pouce, il se mit à caresser sa paume, la peau fine et
douce.
— J’ai finalement décidé qu’il fallait que je prenne un
dernier risque, celui de te voir, de te parler. J’en avais
besoin. Et je ne me suis pas trompé. Tu es la femme
intègre et droite que j’imaginais. Faire des erreurs est
humain, nous en faisons tous. Nul n’est parfait.
Brett porta la main de Kayla à ses lèvres et l’embrassa
tendrement. Un frisson délicieux courut le long de son bras.
— Et je voulais savoir, également, si tu étais aussi
malheureuse que moi, si je te manquais autant que tu me
manquais.
— Si tu me manques ? Oh…
Pour son plus grand désarroi, Kayla sentit soudain les
larmes affluer dans ses yeux, ruisseler sur ses joues.
Brett sortit un mouchoir de sa poche et les essuya
tendrement.
— Et maintenant, Meg va être furieuse parce que j’aurai
les yeux rouges et des taches sur ma Vera Wang.
— Pardon ?
— Sur ma Vera Wang. Ma robe.
— Vous les femmes, vous avez décidément de drôles
de noms pour les vêtements. Elle ne dira rien, tu es très
belle.
— Je sais que tu dis cela pour me consoler, mais…
— Je ne dis pas cela pour te consoler. Tu es superbe,
dit Brett, emprisonnant son visage entre ses mains. Tu
étai s sérieuse lorsque tu as dit que tu étais tombée
amoureuse de moi ?
— Oui. Oh oui.
— Et tes sentiments n’ont pas changé ?
— Si. Ils sont encore plus forts.
Brett la saisit dans ses bras, la serra comme un fou
contre lui.
— Kayla, je t’aime. Je t’ai aimée dès le premier instant.
Déjà ses lèvres se posaient sur les siennes et il prenait
sa bouche en un baiser ardent, fougueux, qui lui coupa le
souffle.
— Waouh, dit-elle dès qu’il libéra ses lèvres. C’était très
bon et… parfaitement déplacé.
— Tu as raison. Tu me fais oublier où je suis.
— Dans une église !
— A ce propos, tu as un cavalier pour le mariage ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Il y avait une seule personne que je voulais inviter,
mais elle n’était pas… disponible.
— Oh ? Tu lui as demandé ?
— Non. J’aimerais beaucoup qu’il vienne, mais cela
signifierait pour lui non seulement rencontrer toute ma
famille mais risquer, en plus, de devoir répondre à des
tonnes de questions.
— Je crois qu’il peut faire face. Je crois même qu’il
pourrait faire un saut chez lui, enfiler un smoking et être au
Waldorf dans une heure.
Kayla referma les bras autour de son cou.
— Je t’ai déjà dit que je t’aimais ?
— Je ne sais plus…
— Je t’aime.
— Moi aussi.
Elle poussa un profond soupir et grimaça, sentant la
fermeture de sa robe la pincer brusquement.
— Seigneur, j’ai hâte de me débarrasser de cette robe !
— Nous sommes deux, dans ce cas, rétorqua Brett.
Elle lui jeta un regard espiègle.
— Tu sais, si nous nous dépêchons, je pourrai peut-être
t’accompagner chez toi pour que tu te changes…
Déjà, Brett la saisissait par la main et l’entraînait vers la
porte.
— Excellente idée.
— Pas si vite, protesta Kayla, trottinant derrière lui. Je
ne porte pas des chaussures de randonnée.
Il fit volte-face. Un instant plus tard, elle se retrouvait
dans ses bras.
— Tu ne peux pas descendre ces marches avec moi
dans les bras.
Brett s’arrêta et la regarda. Le désir et l’amour brillaient
dans ses yeux.
— Pourquoi ? Tu y vois un inconvénient, princesse ?
Kayla noua les bras autour de son cou et se mit à rire.
— Non, dit-elle, se nichant tout contre lui. Pas le
moindre.
TITRE ORIGINAL : JUST TRUST ME…
Traduction française : CLAIRE NEYMON
HARLEQUIN®
est une marque déposée du Groupe Harlequin
et Audace® est une marque déposée d’Harlequin S.A.
© 2006, Jacquie D’Alessandro. © 2007, Traduction française : Harlequin S.A.
ISBN 978-2-2802-6649-9
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