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UNIVERSITÉ DE POITIERS
UFR SCIENCES HUMAINES ET ARTS

Gérard GRIG

Art musical et Philosophie dans le Grand


Traité de la Musique d'Al-Fārābī (IXe-Xe
siècles), traduit du Kitābu l-Mūsīqī al-
Kabīr

2020

Première année de master de Philosophie


Sous la direction de monsieur Philippe Grosos
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Sommaire

INTRODUCTION

PARTIE I : Méta-musique
A Les universaux de la sensation musicale
1 Une science duale
2 La métaphore musicale
3 Le transfert d’héritage et l’ironie
B La politique de la musique
1 Le calife de Bagdad
2 Musique profane et musique sacrée
3 Le Souverain Bien de la musique

PARTIE II : Cantus Planus


A Le monde sectaire ésotérique
1 La réminiscence de Pythagore
2 La connaissance symbolique du monde
3 L’échelle pythagoricienne des sons
B L’utopie musicale
1 L’instrument parfait
2 La poésie et le chant
3 La langue parfaite de la musique

PARTIE III : Prophétologie


A Une philosophie de l’art
1 L’esthétique psycho-physique
2 L’expression des passions
3 L’art en tant qu’art
B Philosophie de l’art et spiritualité
1 L’image prophétique
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2 La mystique du rythme et de la mélodie


3 Art, religion et philosophie

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE
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INTRODUCTION

Al-Fārābī (872-950) est un philosophe médiéval persan, né en Sogdiane, région de plaines


sèches et fertiles d’Asie centrale où coulent l’Amou-Daria et le Syr-Daria, sur la route de la
Soie qui passe à Samarkand et Boukhara.

Située entre Orient et Occident, la Sogdiane a été conquise et hellénisée par Alexandre le
Grand, longtemps avant le califat abbasside contemporain d’Al-Fārābī. Après Alexandre, elle
a appartenu au royaume hellénistique séleucide, puis gréco-bactrien, avant que les Romains
n’y affrontent les Parthes et les Chinois. Le califat amorçait son déclin au début du Xe siècle,
après le règne d’Hārūn ar-Rachīd popularisé par Les Mille et une Nuits. La pensée politique
d’Al-Fārābī visera à la restauration de ce califat abbasside qui se disloquait.

Al-Fārābī est un faylasūf, un penseur de langue arabe qui a assimilé l'héritage éclectique de la
philosophie néoplatonicienne d'Alexandrie, la falsafa. Disciple d'Al-Kindī (801-873) et de
Rāzī (865-925 ou 935), il est un savant rationaliste à la culture encyclopédique, versé dans les
mathématiques et la musique, qui pratique la religion musulmane sous la forme du
mysticisme soufi esthétisé, après avoir été juge islamique.

Néanmoins, dans la région de Bagdad où il passera la majeure partie de sa vie – et où vivent


aussi des chrétiens – les païens sont encore majoritaires, alors que les musulmans sont divisés
entre sunnites et chiites. Les païens, dont la secte produira l'hermétisme, rendent un culte à
Hermès Trismégiste, qu’ils assimilent à l’Idrīs du Coran. Quant au chiisme, il deviendra la
religion d’État de la Perse au XVIe siècle, avec la figure de l’imām infaillible, source de
l’autorité spirituelle et temporelle. Le chiisme est apparu dans le contexte troublé de la lutte
entre les tenants de la tradition de l’islam et les successeurs politiques du Prophète.

– Une pensée éclectique qui ne sépare pas le savoir et la foi

À Bagdad, il existe des écoles mystiques soufies, ainsi qu’une multitude de sectes
musulmanes. Les plus notoires sont celles des gnostiques ismaéliens du chiisme (dont
dériveront les Assassins), tandis que la scolastique musulmane, à base de théologie juridique
qui débat de la relation entre la foi et le savoir, se fixe dans le kalām des acharites (du côté de
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la foi) et dans le kalām des mutazilites (du côté de la raison). Il faudrait ajouter les disputeurs
ou mutakallimins, qui rejettent l’interprétation littérale du Coran, tel Al-Kindī, et les « Frères
en pureté » (ikhwān al-safa'), sorte de franc-maçonnerie du courant chiite ismaélien, qui
réunit en secret des théosophes pythagoriciens.

En vérité, l’éclectisme alexandrin des penseurs gréco-arabes forme une pensée réconciliatrice,
à la fois péripatéticienne, platonicienne et plotinienne, et qui ne s’oppose pas à la foi. Selon
Ernest Renan, cet important ensemble gréco-arabe ne constituait pas une philosophie
originale, et il n’a pas eu de continuateurs 1. Cependant l'éclectisme, qui dissocie et unit les
contraires par le moyen de la dialectique (jadāl), est une pensée raffinée, qui demande une
grande culture philosophique. À cela s'ajoute le fait que la pensée gréco-arabe est prudentielle
– par sagesse autant que par politique – et qu'elle donne un nouveau souffle à l'ironie, qui
cultive la métaphore, mais qui a le droit de mentir pour la recherche du bien.

L’éclectisme des élites persanes constituait la philosophie de l’École savante de Bagdad (bayt
al-ḥikma), institution qui diffusait la compilation et le commentaire des traductions des grecs
antiques, en s’adonnant à la falsafa et aux arts, tandis que le peuple assimilait les falāsifa aux
membres d’une secte grecque qu’il suspectait de magie, voire de mécréance.

Au sein de la falsafa, et comme Al-Kindī, Al-Fārābī avait clairement une pratique extérieure
de la religion musulmane. Tout en admettant l’existence de la Révélation, tous deux limitaient
le Coran à une vulgarisation allégorique dispensée par le premier Mahomet, qui ne connaissait
pas les réalités profondes qu’il révélait, alors qu’eux-mêmes possédaient d’autres moyens
intellectuels de s’unir au divin dont ils émanaient. Pour les penseurs gréco-arabes, qui ne
voyaient pas d’opposition entre le savoir et la foi – celle-ci constituant une approche seconde
de la vérité – les théologiens kalamites représentaient un tiers inutile et nuisible, entre la
multitude et la philosophie.

Dans la chaîne de transmission de la philosophie des Grecs qui va d’Al-Kindī (IX e siècle) à
Averroès (XIIe siècle), et qui s’est produite dans les bordures des califats, Al-Fārābī se signale
par sa volonté constante de maintenir le cap rationaliste, évitant l’écueil des sectes islamiques
et gnostiques, ou bien celui du soufisme annihilateur conduisant à la dévotion exclusive, ou

1 Ernest Renan, Averroès et l’averroïsme : essai historique, dans Œuvres complètes, tome III : Œuvres

philosophiques, Paris, Calmann-Lévy, 1994.


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encore celui de l’incrédulité qui se permet tout sous le masque de l’initiation théosophique.
S’il a bien existé un « miracle grec », il a été prolongé par un « miracle gréco-arabe » dont Al-
Fārābī a été le meilleur artisan, en tant qu’héritier de la philosophie alexandrine fondée par
Plotin.

Pour lire et interpréter les falāsifa, il convient d’adopter leur prudence, qui n’était pas
seulement politique pour les temps de troubles. Il existe chez eux une recherche sincère de la
juste mesure et de la modération, qui nous permettent d’être raisonnables à défaut d’être
toujours rationnels.

Il serait louable d’éviter tout anachronisme à leur égard, comme de parler d’un « Islam des
Lumières », en rapport avec notre modernité. Le mysticisme ne constitue pas non plus le pilier
de la pensée d’Al-Fārābī, très différente de celle du platonicien illuminé Sohrawardi (1155-
1191), auquel Henry Corbin a consacré de belles pages. La pensée des falāsifa est toute en
nuances, en distinctions et en suggestions. Ceux-ci contiennent la religion dans les limites de
la raison, et ils font valoir les pouvoirs mesurés de l’imagination pure, dans leur pratique du
soufisme qu’ils ne confondent pas avec la falsafa.

En ce sens, les commentateurs modernes de langue arabe approuvent le rapprochement


éclairant de la pensée des falāsifa avec celle de Blaise Pascal, philosophe du dépassement du
savoir dans l’ordre de la foi. La pensée gréco-arabe ne constitue pas une fabrication
orientaliste de l’Occident latin, car elle représente la continuation de la pensée grecque.

– Une philosophie de l’art qui s’enracine dans la spiritualité

Toutefois, le Grand Traité de la Musique d’Al-Fārābī est novateur, en ce qu’il repose sur
l’alliance de l’art, de la science et de la technique, en dehors du mysticisme astrologique de
l’Harmonia mundi. Le Grand Traité de la Musique forme un manuel de bonnes pratiques,
dépourvues d’ésotérisme et appuyées par la théorie, qui sont à enseigner au musicien qui
recherche l’excellence dans son art. Bien que la théorie élémentaire de la musique n’ait aucun
but en soi, car elle est une contemplation d’entités abstraites, Le Grand Traité de la Musique
vise la réussite dans un métier noble, avec le pragmatisme arabe qui a traduit les œuvres
scientifiques d’Aristote pour développer le commerce et la navigation.

Tout cela explique qu’Al-Fārābī a été abondamment utilisé, imité et commenté depuis le
Moyen Âge, qui le nommait Alpharabius ou Avennasar. L’audace de sa pensée politique
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inspirée de Platon est encore saluée, ainsi que son commentaire pertinent, innovant dans le
détail, qu’il insère au milieu même de la traduction des œuvres grecques, comme l’ont fait
tous les péripatéticiens de langue arabe.

Néanmoins, ses nombreux écrits sur la musique ont été peu analysés, alors qu’ils ont
représenté la providence des musiciens pendant des siècles, et bien qu’ils tiennent dans son
œuvre une place centrale. Nous les mentionnons simplement dans la définition courante d’Al-
Fārābī comme penseur de la médiation. Musicien-philosophe, ou philosophe-musicien vivant
pendant l'âge d'or de la civilisation musulmane, savant encyclopédiste et soufi d’amour,
critique à l'égard de tous les pouvoirs, second maître après Aristote et néoplatonicien assumé,
Al-Fārābī représenterait un passeur idéal de mondes étrangers.

Pour les philosophes rationalistes de langue arabe, appelés « Arabes » dans un souci de
concision, et qui, comme Al-Ghazālī (1058-1111), ont parfois vécu des crises spirituelles, la
philosophie grecque ou falsafa avait trouvé son achèvement chez Aristote. Il ne restait qu’à
l’enseigner à la multitude et à en faire le plan des bâtisseurs de la Cité vertueuse, à condition
de revenir aussi à Platon, ce qui nécessitait au préalable d’accorder Aristote et Platon par le
biais de la Théologie du Pseudo-Aristote. Il s’agit de l’intérêt de l’éclectisme, de maintenir
une tradition en la faisant évoluer, mais jusqu’à quel point celui-ci était-il conscient et fondé?

Avec la falsafa, la Révélation était soumise au contrôle de la raison. Certes, nous devons à Al-
Fārābī d’avoir placé la Métaphysique au sommet de l’œuvre d’Aristote. En réalité, il mettait
surtout l’accent sur le passage de la métaphysique à la physique, et donc sur l’étude de la
nature, qui permet de comprendre l’acte divin de la Création, davantage que l’étude des
sciences religieuses. En musique, la psycho-physique du son représentait une alternative au
pythagorisme du nombre.

Aristote et Platon réservent une place de choix à la musique, qui exprime la transcendance de
la beauté et compose l’éducation du citoyen – à condition de trier les mélodies et les rythmes
– en servant de modèle pour l’harmonie des parties de l’âme comme pour celle des classes de
la cité. Pourtant, ils ne lui ont pas édifié un monument, comme le Grand Traité de la Musique
d’Al-Fārābī, qui rivalise en importance avec Le livre de la classification des sciences ou
Recensement des sciences.
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Je chercherai donc la raison de l’insistance d’Al-Fārābī à traiter de la musique, dont il jouait


aussi à profusion dans la vie, sur un simple instrument tétracorde à deux octaves, à l’aide
d’une plume d’aigle. Son art d’instrumentaliste était autant sollicité que sa sagesse et son
savoir. Il inventa même la cithare sur table, ou qanūm.

Certes, le Grand Traité de la Musique constitue l’introduction d’une compilation des théories
musicales existantes, dont les théories pythagoriciennes d’Aristoxène et de Ptolémée, qu'il
approfondit et clarifie. Il est produit par la pensée discursive, au sens où il est proprement
mathématique dans l'étude de la syntaxe des sons, et il est psychologique et anatomique quand
il aborde la sémantique du pathos musical.

Dès le Livre de l’introduction du Grand Traité de la Musique, la méthode d’Al-Fārābī est


celle de la science démonstrative des Grecs, qu’il développe dans sa Logique (mantiq), et à la-
quelle les falāsifa ont voué une sorte de dévotion.

Quoi qu’il en soit, en dépit du luxe de sa terminologie et de sa nomenclature, et malgré ses ta-
bleaux et ses graphiques, le Grand Traité de la Musique semble représenter avant tout une ini-
tiation aux pouvoirs d’immédiateté de la musique, en tant qu’elle forme un évènement pur qui
mobilise les ressources de la sensation et du sentiment, aussi bien que celles de la mémoire,
de l’imagination et de l’intuition intellectuelle. Dans cet évènement pur s’éprouve la joie de la
liberté d’être, de penser et de croire.

Puisqu’elle est assimilable à une science discursive, la science théorique de la musique –


application de l’arithmétique – compose, après la philosophie première et l’éthique, une
philosophie troisième qui participe à des idéalités mathématiques. Or, Al-Fārābī développe
aussi une science empirique de la musique, à partir d’un « bon sens » inné ou acquis, informé
par des universaux pour la sensation auditive, dans l'organologie des instruments et leur
accordage, ainsi que dans l'art de la composition musicale du rythme et de la mélodie.

Cette science pratique et locale de la musique, qui double sa théorie mathématique, et dont
prend acte le Grand Traité de la Musique, se fonde dans l’hyperesthésie du sens musical de
l’Orient, car le bon sens possède toujours des racines « nationales ».

Dans son Kitāb al-jadāl, qui expose la dialectique des Topiques d’Aristote, raisonnement
rigoureux à partir de la supposition du probable – qu’il identifie au possible – Al-Fārābī
invoque une « quatrième philosophie » nommée également philosophie exotérique
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(barrāniyya), qui s’adresse, par pédagogie et politique, aux techniciens des arts particuliers et
aux simples gens du commun (al-machūrāt)2.

Cependant, le Grand Traité de la Musique accorde-t-il une valeur philosophique, égale à celle
de la science théorique, à cette science empirique du bon sens informé par l’intellect agent et
la médiation de l’intelligence acquise ? Dans la science théorique, Al-Fārābī préfère les
calculs approximatifs et il cherche d'autres voies, comme la physique du son, ce qui semble
montrer les limites selon lui de la théorie mathématique. Néanmoins, si la philosophie
quatrième ne constitue pas une propédeutique, est-elle pour autant une philosophie à part
entière ?

Nous nous demanderons donc si la préoccupation d'Al-Fārābī pour la musique, au moins aussi
exclusive que son intérêt pour la théorie politique de Platon, pourrait résider effectivement
dans l’évidence immédiate de l’intuition de nous-mêmes et du monde, que nous offre la
pratique musicale et si cette pratique serait une voie sensuelle à suivre pour nous rapprocher
du divin. Cette voie que la mystique soufie appelle la « gustation du divin », est à mettre en
parallèle avec l’illumination théorétique de l’aristotélisme.

Si l’art musical possède la transcendance d’un élan vers Dieu, pourquoi choisir celui-ci pour
glorifier et adorer ce dernier ? Serait-ce parce que l’art existe en tant qu’art, et non plus
comme résultat d’une technique ? D’autre part, si cet art est également immanent,
n’observons-nous pas dans son empirisme les linéaments d’une esthétique du goût ?

Pour mon travail, je me suis servi de la reproduction de l’édition de 1930 de La Musique


arabe en six tomes de Rodolphe d’Erlanger, parue en 2001 à Paris aux Éditions de la Librairie
Orientaliste Paul Geuthner, qui contient la traduction du manuscrit hébreu du Grand Traité de
la Musique d’Al-Fārābī3.

2 Cf. Almantiqiyyāt lil-l-Fārābī (Logique, Rhétorique, Poétique), éd. M. T. Danechpajouh, Qom, Maktabat Ayat

Allah, 1988.

3 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr) [1930], dans La Musique arabe, trad.

Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tomes 1 et 2, 2001.


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En réalité, celui-ci comportait deux traités. Seul le premier traité, constitué de huit discours,
nous est parvenu. Outre le Livre de l’Introduction, il comprend le Livre des Éléments,
consacré aux intervalles et aux ratios harmoniques, puis le Livre des Instruments et le Livre
de la Composition musicale. Le second traité de quatre discours, dans lequel Al-Fārābī contait
l’histoire et réalisait la critique des théories précédentes, a été perdu.

Nous connaissons la liste des œuvres d’Al-Fārābī grâce au bibliographe et historien ottoman
Hadji-Khalfa, dit Katib-Tchelebi (vers 1600-1658).

Il n’a pas existé de théoriciens de la musique durant les deux premiers siècles de l’Hégire. La
Musique arabe de Rodolphe d’Erlanger comporte la traduction des principaux traités de
musique du Moyen Âge après Al-Fārābī, ceux de Safīyu-d-Dīn (XIII e siècle), Al-Lādhiqī
(XVIe siècle), l’Anonyme (XVe siècle) et Ibn Sinā, dit Avicenne (980-1037). Le traité d’Ibn
Zayla n’a pas été retenu, bien qu’il contienne de précieuses informations. Les manuscrits de
tous ces traités nous ont été transmis avec de nombreuses erreurs dues aux copistes.
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PARTIE I : Méta-musique

La pratique musicale a amplement précédé la théorie. Or, dans le Grand Traité de la Musique
d’Al-Fārābī, la science empirique de cette origine de la musique représente-t-elle une
philosophie quatrième, après la science théorique participant aux formes mathématiques ? En
général, Al-Fārābī ne semble pas faire de différence entre art et science.

Par la primauté de l’oreille, la sensation musicale, à laquelle s’appliquent des universaux, a


toujours directement accès à la nature, attribut de l'Âme universelle. Cependant, Al-Fārābī ne
cesse de répéter que ce qui est naturel ne s'obtient que par des moyens artificiels, qui sont les
moyens techniques de l’art.

Cela ne donne-t-il pas la raison de la place éminentissime qu'il accorde à la pratique de l'art
musical comme médiation, davantage que Platon et Aristote, ce qui ferait de lui un
philosophe-artiste ? L’art accède à la nature, parce que la nature est artiste. Ainsi, la musique
célèbre et adore Dieu à travers son œuvre.

À côté des idéalités mathématiques de la science théorique, les universaux musicaux, qui
informent la perception sensible, sont essentiellement : conjoint/disjoint, grave/aigu,
consonant/dissonant. Ils rappellent les couples de l'empirisme ionien d'Héraclite, mais en tant
qu’intelligibles (ma’qūlāt), ils participent aux plus grands genres platoniciens de l'Autre et du
Même. Ils ressortissent à une intelligence qui émane de l’Un-Dieu sans être Lui.

À cette méta-musique se rattache aussi la Logique « longue » d'Aristote, qu'Al-Fārābī élargit à


la Poétique et à la Rhétorique, à cause de la métaphore, laquelle relie le particulier au
particulier. En effet, la métaphore agit sur la sensibilité et l’imagination, en articulant le réel à
la modalité du possible. Elle est présente dans la poésie chantée. D’autre part, la mélodie
parfaite constituerait aussi la métaphore des idéalités de la science théorique, par le moyen de
l’image pure, détachée du sensible, qui provient d’une inspiration.

Cependant, la métaphore musicale, associée à l’ironie, représenterait surtout la figure du


transfert des héritages théologique et politique.
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A Les universaux de la sensation musicale

D’un point de vue formel, l'art de la musique reste proche de la grammaire. La musique est
constituée de sons concaténés à partir d’une palette finie dictée par la nature, tandis que le
langage est formé des lettres d’un alphabet « national » adopté par convention. Or, bien que
la musique vaille pour elle-même, l’émotion musicale a un sens. À la racine de cette émotion,
se trouvent les universaux de la sensation musicale, qui participent aux genres platoniciens.

1 Une science duale

Dans la pensée gréco-arabe, le sens de l’émotion musicale se fonde sur la définition de


la musique comme science duale. Il existe une dualité musicale ressentie, celle de
l’Autre et du Même, que les néoplatoniciens connaissent par la cosmogonie du Timée
de Platon. Ils connaissent toutefois aussi les Présocratiques. Ainsi, le Polemos
d’Héraclite oppose l’aigu et le grave, soumis à une justice cosmique supérieure. Dans
la synthèse de la théorie grecque et de la musique arabe, l’empirisme ionien couve-t-il
sous le platonisme ? Le grave et l’aigu relèvent d’une potentialité, celle de la notion
imprécise de dunamis basée sur la consonance d’une multiplicité d’intervalles
mobiles, ce qui permet de fixer l’accordage relatif des instruments4.

D’un point de vue subjectif, l’émotion musicale est teintée d’un plaisir intellectuel, qui
nous fait apprécier à l’oreille l’échange des procédés de la différence et de l’identité. À
côté d’un Organon logique, l’art musical constitue donc un Organon mimétique dont
les universaux sont ceux d’une quiddité appliquée à la perception sensible et qui
participent aux genres de l’Autre et du Même5.

Les universaux musicaux sont des intelligibles, donnés dans l’illumination d’une
intuition intellectuelle. Celle-ci constitue une forme de sensibilité de l’intelligence, qui
possède l’acuité de la perception. Les universaux de la mimèsis musicale comprennent
le conjoint et le disjoint, l’aigu et le grave, le consonant et le dissonant, mais aussi le
fort et le doux, le masculin et le féminin, le plein et le vide.

4 Al-Fārābī, op. cit., Introduction, Deuxième Discours, pp. 41-66.

5 Cf. Philippe Vallat, Fārābī et l’Ecole d’Alexandrie, Troisième Partie, Paris, Vrin, 2005.
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Percevoir la musique, n’est-ce donc pas aussi penser, pour transformer un ensemble de
sensations auditives en un monde objectif ? Toutefois, si les sons se ramènent à la
beauté mathématique des proportions, pourquoi faut-il aussi entendre la musique pour
éprouver un plaisir des sens, que partagent toutes les parties de l’âme ? Pourquoi ne
sommes-nous pas des êtres spirituels, comme les anges, qui sont des facultés de l’Âme
universelle ? Cela est dû au fait que notre existence, qui n’est qu’un accident, émane
de Dieu, le seul être à qui l’existence appartient essentiellement. Le plaisir de la
sensation musicale forme un prélude qui élève l’âme vers le Beau et le Bien.

Certes, de manière idéale, l’émotion musicale (tarab) s’obtient par un art musical
rigoureux, qui repose sur un savoir arithmétique et que la tradition médiévale définit
comme une science incluse dans le Quadrivium. Or, en réalité, pour Al-Fārābī cette
science est double.

Elle est indigène, quand elle étudie le chant poétique ou ghinā, et elle est étrangère en
tant qu’héritière de la musiké grecque – art des Muses qui est théorie musicale –
traduite en mūsīqī arabe. Son hybridité est complexe, dans la mesure où l’art musical
d’Al-Fārābī est non seulement gréco-arabe, mais aussi arabo-persan. En cela, l’art du
chant poétique ou ghinā est celui d’un ethos associé à un logos, tandis que la mūsīqī
cherche des clés mathématiques pour le chant (mélos) dans la théorie musicale héritée
des Grecs.

De toute évidence, la musique nous entraîne dans un inconscient mythologique de


création du monde, à partir du mélange de l’Autre et du Même, qui participent au
troisième genre intermédiaire de l’Être, tandis que les genres du Mouvement et du
Repos sous-tendent les lois de la physique atomiste du son. Il faudrait ajouter les
genres de l’unité et de la multiplicité, pour l’entrelacement de la mélodie, du rythme et
de leurs ornementations.

Du mélange originel, le Démiurge du Timée de Platon a prélevé des parts dans


certaines proportions qui sont les notes de la musique, ce que Platon nous expose dans
le condensé d’un véritable traité de musique, avec échelle diatonique, qui structure
l’Âme du monde :
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« Derechef, l’ensemble ainsi obtenu, il le distribua en autant de parties qu’il


convenait, chacune toutefois restant un mélange de Même, d’Autre et d’Être. Il
se mit donc à faire le partage que voici. D’abord, il retrancha une seule part sur
le tout ; après celle-ci, il en retrancha une seconde, double de la première ; et
encore une troisième, qui, valant une fois et demie la seconde, était le triple de
la première ; une quatrième, double de la seconde ; une cinquième, triple de la
troisième ; une sixième, valant huit fois la première ; et une septième, valant
vingt-sept fois la première. Après quoi, il combla les intervalles doubles et
triples, en détachant encore des morceaux du mélange initial et en les
intercalant entre les premières, de façon qu’il y ait dans chaque intervalle deux
médiétés, la première surpassant l’un des extrêmes tout en étant surpassée par
l’autre d’une même fraction de chacun d’eux, et la seconde surpassant l’un des
extrêmes d’un nombre égal à celui dont elle est elle-même surpassée. De ces
relations naquirent dans les intervalles ci-dessus mentionnés, des intervalles
nouveaux de un plus un demi, un plus un tiers et un plus un huitième. À l’aide
de l’intervalle de un plus un huitième, le dieu a comblé tous les intervalles de
un plus un tiers, laissant subsister de chacun d’eux une fraction, telle que
l’intervalle restant fût défini par le rapport du nombre deux cent cinquante-six
au nombre deux cent quarante-trois. C’est ainsi que le mélange, d’où il avait
détaché tous ces morceaux, il se trouva l’avoir entièrement utilisé. »6

Suivant la distinction de Platon, la musique et l’astronomie sont des mathématiques


mixtes, parce qu’appliquées, tandis que l’arithmétique et la géométrie sont des
mathématiques pures. L’objet de la musique est l’harmonie acoustique, définie par des
proportions géométriques7. Al-Fārābī reprend cette division dans Le livre de la
classification des sciences ou Recensement des sciences.

En réalité, toujours et partout, la musique est dyadique et mixte. Elle exprime une
identité, qui pourrait être identifiée aujourd’hui comme communautaire, ethnique ou
religieuse, mais elle laisse deviner aussi l’influence d’un Ailleurs, d’une altérité
6 Platon, Timée, 34 c-36 c, dans Œuvres complètes, trad. Luc Brisson, Paris, Flammarion, coll. « Essais », 2011.

7 Platon, La République, Livre VII, dans Œuvres complètes, trad. Luc Brisson, Paris, Flammarion, coll. « Essais »,

2011.
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conquise ou accueillie, qui a transité par la ville-frontière du caravanier sur la route de


la Soie, ou par le khan d’Alexandrie.

Cela reste vrai aussi dans le désert d’Arabie, où un chant plaintif s’élève, le hidā du
chamelier, que celui-ci chante à son chameau dans la langue des animaux, chant qui se
mêle au souffle du vent que rien n’arrête, et que le chanteur oriental imitera à son tour
de manière plus évoluée dans le chant poétique 8. D’ailleurs, le chant du chamelier
inspirera la mélopée de l’appel à la prière ou les lamentations funèbres des femmes.

D’un point de vue savant, la musique possède une syntaxe, car elle vaut pour elle-
même, mais elle a également une sémantique, puisqu’elle a un sens. C’est pour cette
raison que Al-Fārābī oppose les arts musicaux théorique et pratique.

Ainsi, l’art musical théorique étudie la théorie du son, les intervalles par addition et
soustraction à partir du ton ou seconde (ton majeur 9/8, ton mineur 10/9, demi-ton
16/15), ainsi que les accords d’octave (2/1), de quinte (3/2) et de quarte (4/3), les
genres (diatonique, chromatique, enharmonique) résultant du partage de la tierce et
combinés dans des groupes, puis les systèmes des modes, le rythme et la composition
musicale, l’évolution sur les notes qui crée les variations de la mélodie.

De son côté, l’art musical pratique, ou local, concerne la composition de la phrase


musicale qui donne à celle-ci sa forme et son expression, mais cette construction
pourrait s’envisager sans son expression. À la pratique se rattachent le savoir-faire de
la technique des instruments et de leur accordage.

L’expressivité de la phrase musicale s’organise autour de la voix (asmāt) et de ses


notes vocalisées, ou phonèmes, auxquels nous donnons un sens et qui sont dans un
rapport d’embellissement réciproque avec les notes simples de la mélodie des
instruments.

C’est pourquoi Al-Fārābī affirme dans le Livre de l’Introduction que le « terme


musique (mūsīqī) a pour sens les mélodies (alhān) »9.

8 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre de l’Introduction, Premier Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, p. 18.

9 Ibid., p. 5.
16
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Ces mélodies forment les modes, qui ne sont pas encore regroupés dans des maqāmāt
(pluriel de maqām) à l’époque d’Al-Fārābī. Cependant, celui-ci précise ensuite que la
mélodie (lhan) se décompose d’une part en succession de notes dans un sens
déterminé, et d’autre part en suite de notes associées dans la pratique à un chant
poétique (ghinā), ce qui correspond bien à une dualité de la musique.

Cependant, de manière générale et immédiate, la musique nous donne accès à la


nature. Le Grand Traité de la Musique constitue une réflexion sur les rapports entre
l’art, l’imitation et la nature.

Chez les péripatéticiens arabes, la notion de naturel revêt un sens universel. Il existe
une évidence naturelle de la science théorétique, et le naturel en tant que beauté
indissociable de l’acte moral, tandis que l’art musical fait partager la compréhension
intuitive de la beauté naturelle des sons, associée à un plaisir lui aussi naturel.
Pourtant, la musique entretient un paradoxe avec la nature :

« Presque tout ce qui appartient à la théorie musicale est un produit de l’art, étranger à
la nature. »10

Or, bien que l’être musical soit le plus souvent le produit de l’art, il est naturel :

« Quant à l’exercice de la faculté qui, par l’entremise de notre ouïe, nous


permet de discerner les phrases musicales, de reconnaître qu’une composition
est supérieure à une autre, de distinguer une composition harmonieuse d’une
autre qui ne l’est pas, on ne l’appelle pas art. Il est rare de rencontrer quelqu’un
qui soit dépourvu d’un tel discernement ; nous l’acquérons, en effet, par
accoutumance s’il n’est pas inné en nous. »11.

Plus loin, Al-Fārābī affirme que ce qui engendre le plaisir est naturel, et que ce qui
peine n’est pas naturel12.

Ainsi, les universaux d’un Organon mimétique sont ceux d’une quiddité appliquée à la
perception sensible, et comprise en premier lieu par le cœur, qui est le siège de la

10 Ibid., p. 28.

11 Ibid., p. 7.

12 Ibid., p. 27.
17
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sensation, de l’imagination et de l’intuition. C’est pourquoi, dans les effets sur le


caractère, la musique vertueuse s’oppose à la musique du principe vital du thumos, qui
est un mixte de désir et de raison.

Cependant, l’Organon mimétique contient un autre couple de contraires.

– La mythification de la musique grecque constitue-t-elle un orientalisme


inversé ?

Sur la carte du monde et des civilisations des peuples, les universaux musicaux sont
fondés sur la distinction entre l’Est et l’Ouest.

Nous le voyons dans le Deuxième Discours du Livre des Éléments, quand Al-Fārābī
nomme les notes de l’échelle, en les qualifiant selon leur place dans le groupe parfait
de deux octaves. Il les désigne selon leurs noms de lettres alphabétiques dans l’échelle
des notes du tétracorde, puis d’après leurs noms grecs, au même niveau. Ces noms
étaient connus par le Moyen Âge latin grâce au De Institutione musica de Boèce13 et
seront encore mentionnés par le Dictionnaire de Musique de Jean-Jacques Rousseau.

Or, selon Pythagore, les notes nommées par les Grecs représentent des êtres
surnaturels qui réalisent l’harmonie entre les sphères. Pour lui, Proslambanoménos, la
note la plus grave, relie la Terre à la Lune. Rappeler le nom grec d’une note avec
majuscule, chargé d’animisme astrologique, alors que celle-ci possède déjà le nom
d'une lettre de l'alphabet, n'en fait-il pas un nom propre, c'est-à-dire sans définition
spécifique, sinon référentielle, et n'ayant de signification qu'en contexte, subjective, ou
par des éléments de sa composition ? Un mot-symbole magique opposé au mot-signe
de la lettre alphabétique ? N’existe-t-il pas un réalisme du nom grec – comme il existe
un réalisme des essences – et un nominalisme de la lettre alphabétique ? Dans le
syllogisme, auquel la musique s’apparente quand elle culmine avec la poésie chantée,
Aristote préfère les noms aux lettres pour désigner les termes des prémisses, car les
noms sont une garantie de vérité.

Le nom grec de la note aurait une référence directe, une dénotation différente du sens,
une description qui aurait sa logique propre, même si le son de la note reste identique.

13 Boèce, Traité de la musique (De Institutione musica), trad. C. Meyer, Paris, Brepols, 2005.
18
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Al-Fārābī prend-il le risque du paralogisme pythagoricien, par l’association


traditionnelle d’une note à une planète, mais cela dans une intention pédagogique,
quand il construit le lieu commun (topos) de l’échelle du Tétracorde à partir du bon
sens de l’expérience ? Pour lui, la sophistique est acceptable, quand elle sert par
hasard le même but que la dialectique, comprise comme un raisonnement rigoureux,
un art des conclusions, à partir du probable.

Au surplus, il existe une enfance de l’art grec, et une forme de réminiscence des
ouvrages des anciens dans leur langue grecque, pour retrouver l’âge d’or d’un paradis
perdu dont le faylasūf nous donne la clé. Toutefois, si Al-Fārābī conserve le respect
formel de la tradition pythagoricienne, il sait faire évoluer celle-ci en réfutant dans
d’autres passages la croyance en l’harmonie des sphères.

Il est vrai qu’il est estimé que les Arabes ont pensé les structures modales de façon
similaire aux Grecs avec leurs modes (harmoniai). Néanmoins, un musicologue
comme Jacques Chailley nous a alertés sur le fait que les noms de ces modes sont
apocryphes et qu’ils sont trompeurs, car ils nous font croire que les modes de
l’Antiquité étaient les mêmes que les nôtres 14. L’histoire de la musique est obscure et
sujette au mythe. Al-Fārābī n’a pas échappé, lui non plus, à la mythification de la
musique grecque.

Ainsi, un groupe parfait possède quinze notes ou degrés. Le groupe parfait disjoint
invariable ressemble au mode mixolydien de sol des Grecs à partir de la gamme
majeure.

a) Dans ce groupe, se trouve, en haut de l’échelle, l’intervalle de disjonction


grave d’un ton, qui sépare la grave des données [sol] de la grave des
principales [la].
Dans l’échelle grecque, du grave à l’aigu, les mêmes notes s’appellent, avec
toute la magie de leurs sonorités évocatrices : Proslambanoménos (grave des
données [sol]), Hypaté Hypatôn (grave des principales [la]).
b) Puis, les autres notes de l’octave grave (moyenne des principales [si], aiguë
des principales [do#], grave des moyennes [ré], moyenne des moyennes [mi],

14 Jacques Chailley, L'imbroglio des modes, Paris, Éditions Leduc, 2015.


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aiguë des moyennes [fa#]), jusqu’à l’intervalle de disjonction aigu d’un ton
entre la médiane [sol] et la disjonctive de la médiane [la].
Dans l’échelle grecque, cela équivaut respectivement à : Parypaté Hypatôn
(moyenne des Principales [si]), Lichanos Hypatôn (aiguë des Principales
[do#]), Hypaté Mèsôn (grave des moyennes [ré]), Parypaté Mèsôn (moyenne
des moyennes [mi]), Lichanos Mèsôn (aiguë des moyennes [fa#]), Mèse
(médiane [sol]), Paramèse (disjonctive de la médiane [la]).
c) Enfin, les notes de l’octave aiguë (grave des disjointes [si], moyenne des
disjointes [do#], aiguë des disjointes [ré], grave des aiguës [mi], moyenne des
aiguës [fa#], aiguë des aiguës [sol]).
Pour les Grecs, cela donne dans l’ordre : Trité Diézeugménôn (grave des
disjointes [si]), Paranète Diézeugménôn (moyenne des disjointes [do#]), Nète
Diézeugménôn (aiguë des disjointes [ré]), Trité Hyperboléon (grave des aiguës
[mi]), Paranète Hyperboléon (moyenne des aiguës [fa#]), Nète Hyperboléon
(aiguë des aiguës [sol])15.
d) Puisque, pour les Grecs, l’échelle de l’octave plus la quarte constituaient
l’intervalle le plus parfait, Al-Fārābī figure une cinquième corde pour les trois
notes qui viennent immédiatement après la médiane dans cette échelle.

Ces notes aux pouvoirs évocateurs des Mystères de l’Antiquité se nomment,


après la Mèse [sol₂], Trité Synemménon [la], Paranète Synemménon [si], Nète
Synemménon [do]16.

Le Proslambanoménos avait-il vraiment la même fréquence que la note persane la


plus grave, comme le croit Al-Fārābī ? La musique grecque était adiastématique, car
ses notes n’avaient pas de hauteur fixe. D’autre part, les notions de tonique et de
gamme ne seront clarifiées qu’au XIIIe siècle, dans la musique arabe.

15 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre des Éléments, Deuxième Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, pp. 119-123.

16 Ibid., p. 126.
20
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Chez Al-Fārābī, le muthos de la musique grecque paraît constituer un orientalisme


inversé. La musique grecque serait née en Thrace et, pour les Grecs, la poésie chantée
aurait primé sur la théorie, bien que musiké signifie « théorie musicale ».

De même, la philosophie trouverait son origine en Chaldée et aurait d’abord migré en


Grèce, puis en Égypte, avant de revenir en Perse. Les textes grecs, qui ont été traduits
en arabe par des chrétiens syriens, sont commentés, résumés, abrégés et réinventés par
les falāsifa. Même s’ils n’ont plus accès aux textes originaux, ils font du grec
reconstruit une langue logique idéale, dans laquelle la forme grammaticale épouse
toujours la forme logique. Cependant, en exposant les espèces poétiques de la Grèce,
Al-Fārābī translittère les termes grecs et parfois en déplace le sens, ou bien il
catégorise des espèces qui ne correspondent à aucune pratique avérée 17. La critique de
l’orientalisme doute qu’il puisse être possible de comprendre la culture de l’autre,
mais la réappropriation de la culture grecque par les Gréco-Arabes semble épargner
cette critique à la lecture que nous faisons d’eux.

Cependant, la perception acoustique de la musique s’appuie sur le bon sens qui, selon
Al-Fārābī, possède une signature « nationale ». Cela suppose les principes du goût et
du jugement esthétique, ce dernier constituant un jugement de valeur.

– Le jugement du goût est-il arbitraire ?

La beauté musicale forme une essence, à laquelle le tout d’un objet participe, mais elle
s’éprouve par le plaisir du sens acoustique qui se communique à l’âme. Or, quand Al-
Fārābī admet qu’un sentiment général, de l’ordre du bon sens, reconnaît ce qui est
agréable à l’oreille, ne se pose-t-il pas le problème du jugement du goût ? Est-il
possible de juger universellement de la convenance du mélange entre consonance et
dissonance dans l’harmonie, alors que le goût dépend de la sensibilité de chacun ? Au
surplus, le jugement de goût platonicien est de type intellectuel : l’ouïe ne juge que de
la justesse et abandonne à la raison l’appréciation de la convenance du beau.

17 Traité sur les règles de l’art des poètes par le Second Maître [de l’Almantiqiyyāt lil-l-Fārābī], dans Al-Fārābī,

Philosopher à Bagdad au Xe siècle, trad. Stéphane Diebler, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points Essais », 1994,

pp. 123-125.
21
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Si le jugement esthétique est subjectif, il n’y a plus lieu de dissocier la beauté naturelle
de la beauté artistique.

Toutefois, il convient de distinguer le goût esthétique, qui est la faculté de juger le


beau, du goût sensitif qui porte sur le bon, et qui concerne le plaisir gustatif. Dans
l’extase musicale du soufi, la « gustation du divin » mêle le goût esthétique à un goût
sensitif spiritualisé.

Il semble donc que pour Al-Fārābī, le goût soit une faculté naturelle et subjective,
mais qui peut s’acquérir. Il existe une communauté naturelle de l’artiste et du public
autour du beau, car le bon sens compose l’esprit d’une civilisation. À cet égard, il est
douteux que les tonalités musicales expriment des sentiments uniques de manière
innée. Celles-ci peuvent évoquer différents avis quant aux sentiments exprimés. Le mi
majeur représente-t-il le désespoir absolu, ou bien cette tonalité est-elle brillante,
splendide et noble ? De plus, il n’est pas possible d’imiter une émotion sans
l’expression d’un comportement physique. D’autre part, l’usage de certains
instruments influe sur le pouvoir affectif des tonalités : le ré posséderait-il sa majesté
sans les trompettes naturelles ? Enfin, Al-Fārābī montre l’importance de l’imitation
d’imitation, en l’occurrence celle d’œuvres musicales précédentes qui influeraient sur
l’affectivité liée aux tonalités.

Au demeurant, la mimèsis musicale serait incomplète sans une figure de rhétorique, la


métaphore.

2 La métaphore musicale

La musique, en tant qu’image acoustique participant aux idéalités mathématiques de


la science théorique, compose une métaphore de ces formes. Quand cette image est
pure, elle constitue une mélodie parfaite, et la métaphore devient une « objectité » de
ces formes. Cela n’est-il pas difficile à concevoir d’un point de vue strictement
rationnel ? Il semblerait que l’image de la métaphore puise sa validité dans
l’inspiration de la prophétie :

« Pour se figurer les êtres harmoniques qui échappent à ses sens, le théoricien
procédera comme il le ferait pour ce qui est par essence non perceptible,
comme l’âme, l’intelligence, la matière première et l’ensemble des êtres
22
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séparés (les purs esprits) ; on ne peut, en effet, faire usage ni parler de ce qui
n’est imaginable d’aucune façon ; cependant, la sensation ne nous permettant
pas de nous figurer ces êtres, il nous a fallu trouver un autre moyen d’y
parvenir : c’est celui que l’on appelle le procédé par comparaison (métaphore)
ou par rapport. »18

Cependant, Al-Fārābī pense comme Platon que la musique atteint le fond de l’âme.
Ainsi, l’art musical forme une disposition à élément rationnel, mais qui a besoin des
facultés de mémoire, d’imagination et d’intuition, pour atteindre les êtres harmoniques
qui nous échappent.

Nous disposons également d’une forme d’inconscient, tant il est vrai qu’en écoutant de
la musique, nous faisons de l’arithmétique sans le savoir :

« Nous connaissons parfois inconsciemment les premiers éléments d’une science, d’un
art, sans les attribuer spécialement à cette science, à cet art. »19.

Bien qu’elle ne constitue pas une science, mais une technique auxiliaire de la science,
la Logique (mantiq) péripatéticienne, élargie à la Poétique et à la Rhétorique, possède
aussi une forme d’innéité. Les falāsifa lui ont témoigné une dévotion profane.

Cependant, comme la connaissance théorétique se fonde sur une cosmologie, le divin


atteint le fond de l’âme par l’illumination de l’intellect agent, dans une cascade
d’émanations que l’âme devra remonter. Cette illumination est celle d’une lumière qui
fait percevoir les couleurs et les sons du monde à travers le filtre diaphane de
l’intellect matériel, âme séparée du corps dont la connaissance spéculative est à base
de phantasmes de l’imagination. Par son émanation, l’intellect agent informe
l’intellect acquis dérivant de l’intellect matériel, ce qui nous fait connaître les autres
êtres, en commun avec les autres âmes. Les universaux de la musique s’appliquent
donc à toutes les formes d’intellect.

18 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre de l’Introduction, Premier Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, p. 36.

19 Ibid., Livre de l’Introduction, Deuxième Discours, p. 71.


23
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Dans la théorie de l’émanation, la connaissance théorétique représente une


continuation de la connaissance, un transfert (naqla)20. À cette intelligence collective
qu’est l’intellect agent, et qui sera reprise par Averroès, Sigmund Freud attribuera
l’inquiétante étrangeté du « ça pense ».

Or, la métaphore étant par excellence la forme du transfert, les falāsifa ont élargi la
logique à la poétique et à la rhétorique, afin d’intégrer la métaphore à la science
démonstrative. Alors que le raisonnement dialectique est vrai, mais en partie et
majoritairement, celui de la rhétorique est vrai à égalité. Dans des cas frontaliers, la
métaphore est présente dans la poésie chantée, perfection de la musique qui utilise
toutes les ressources de la persuasion rhétorique. C’est pour cette raison que le plaisir
poétique donne matière à réfléchir et à dire « c’est bien cela ».

En réalité, l’école de logique de Bagdad ne pense-t-elle pas une forme d’universel


composite ? Elle sait que la logique se contente souvent du possible, qu’il n’y a pas
loin du syllogisme au sophisme, et que la logique n’est souvent que rhétorique.
D’ailleurs, selon Aristote, la logique n’est qu’une propédeutique de la science.

Au surplus, le réel échappe au principe de contradiction, quand une opposition n’obéit


pas à ce principe. C’est pour cette raison qu’il est alors préférable de parler de «
grandeurs négatives », qui sont positives en soi car elles s’annulent entre elles. La
leçon de l’éclectisme enseigne qu’il ne faut donc pas confondre opposition logique et
opposition réelle.

La métaphore, à laquelle peut être associée la catachrèse, reçoit alors une promotion
épistémique, grâce à sa densité et à son ambivalence de sens. Comme figure de
comparaison abrégée qui omet le signe de la comparaison, elle est assimilable à une
opération logique. La métaphore pourrait aussi bien prendre la forme de l’analogie de
l’être, sur laquelle repose le concordisme néoplatonicien.

Il reste que nous associons, de façon métaphorique et plus ou moins consciente, la


musique à une illumination.
20 La naqla occupe une grande place dans la pensée d’Al-Fārābī. Cf. Guillaume de Vaulx d'Arcy, « La Naqla,

étude du concept de transfert dans l’œuvre d'Al-Fārābī », dans Arabic Sciences and Philosophy, vol. 20,

Cambridge, Cambridge University Press, 2010, pp. 125–176.


24
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Chez Al-Fārābī, cette illumination de la musique se décline sous la forme de


l’émanation d’une épiphanie esthétique. Nous avons une réminiscence du divin par la
musique, à travers la forme démonstrative élargie de la métaphore que nous
pressentons dans le plaisir musical.

– La dévotion pour l’Organon long héritée des Alexandrins

La musique constitue un art syllogistique étendu, proche de la rhétorique (khisāba) et


de la poésie (shi’r), puisque cette dernière atteint sa perfection quand elle est mise en
musique. Ainsi, si les Alexandrins avaient ajouté la musique à l’Organon long, Al-
Fārābī l'aurait accepté.

Cependant, dans Le Livre de la poésie, il note que, dans certaines cultures qui ne sont
pas arabes, la musique accompagnant un poème est comptée comme faisant partie de
celui-ci, et que cela peut être justifié quand le mètre poétique est soutenu par la
musique plutôt que par les mots.

Certes, la musique n'est pas constituée de mots, tandis que les syllogismes représentent
une forme de discours verbal (qawl). Toutefois, il est vrai que dans le syllogisme,
seules les prémisses sont verbales, car la conclusion est simplement une « chose », à
savoir une action.

En vérité, la poésie contient des mots qui obligent à donner leur assentiment à quelque
chose que nous ne connaissions pas auparavant. Combinée à la musique, elle excite
notre imagination et nous persuade ainsi d’adopter certaines attitudes. Néanmoins, la
métaphore apporte à nos esprits une verbalisation des pensées, et non un raisonnement
déductif. Elle fournit la conclusion et nous oblige à reconstruire mentalement les
prémisses par une suggestion imaginative. Elle copie des similitudes entre concepts.

Du reste, Al-Fārābī manie l’exagération néoplatonicienne quand il affirme que le


discours poétique est « universellement et nécessairement faux »21. L’énoncé imitatif

21 Traité sur les règles de l’art des poètes par le Second Maître [de l’Almantiqiyyāt lil-l-Fārābī], dans Al-Fārābī,

Philosopher à Bagdad au Xe siècle, trad. Stéphane Diebler, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points Essais », 1994,

p. 121.
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de la poétique donne l’illusion de la contradiction, alors que la sophistique vise à


donner l’illusion de la ressemblance.

Pourquoi le public donne-t-il alors si facilement son assentiment au poète, s’il sait
qu’il ce qu’il dit est faux ? Le Discours d’al-Fārābī sur la proportion et l’agencement
corrige cela en arguant que la poésie ne tend pas à dire des mensonges ou à ne pas en
dire, mais que son but est d’éveiller l’imagination et la passion de l’âme 22. En
suggérant des imitations à l’imagination et à la sensation, la poésie chantée reste plus
puissante que les arts décoratifs. Ainsi, Al-Fārābī prend à rebours le Ut pictura poesis
d’Horace.

Toutefois, il est certain que, pour lui, une fausse déclaration peut encore contenir une
vérité poétique, ce qui rend cet art très utile pour les chefs religieux, dans la mesure où
il exerce une influence sur les actions des hommes, lesquels recherchent dans leur vie
l’image de la beauté poétique.

D’ailleurs, Al-Fārābī définit curieusement la sophistique comme l'art de créer de


mauvais arguments à partir de fausses prémisses, alors que pour Aristote, elle
constitue l'art de détecter et de réfuter les mauvais arguments.

Pour les Gréco-Arabes, la logique consiste en tout ce qu'Aristote a dit dans l’Organon
long. Al-Fārābī donne une définition vague de la logique – comprenant la poésie
chantée – comme ce qui est utile à certaines fins dans la communauté qui utilise ses
règles. Il s’agit d’une logique « informelle », dont Platon avait déjà la matière. Cela est
perceptible quand Al-Fārābī n’établit pas d’emblée un lien nécessaire entre les
Catégories et les Analytiques. Il énonce seulement dans la Rhétorique que les termes
des prémisses du syllogisme peuvent entrer dans n’importe laquelle des dix catégories.
Au surplus, Al-Fārābī met en musique Aristote et en mouvement l’aristotélisme, en
faisant pousser des phrases au milieu de celles du texte traduit. Il apprécie également
la forme du compendium (talhīs), mi-résumé, mi-commentaire, dans laquelle il
paraphrase et improvise.

D’autre part, si les penseurs gréco-arabes entretiennent une véritable dévotion


sécularisée – et presque superstitieuse – pour la méthode démonstrative élargie de

22 Al-Fārābī, Discours d’al-Fārābī sur la proportion et l’agencement, op. cit., p. 109.


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l’aristotélisme, cette quasi-religiosité influencera aussi la scolastique du kalām. Sans


suivre la voie de la raison dialectique des falāsifa, elle empruntait un mode
d’argumentation intellectuelle pour prouver l’existence de Dieu et faire l’apologie de
la Foi, tout en s’appuyant sur la loi révélée. La théologie scolastique musulmane
formait à la fois la science des bases de la religion (‘ilm al-kalām), la jurisprudence
islamique (al-fikh al-akbar) et la science de la parole (‘ilm usūl ad-dīn). Dans le climat
de tolérance de son temps, Al-Fārābī réfute parfois les théologiens dans une éristique
publique qui emploie des outils démonstratifs communs.

Chez Al-Fārābī, la pratique profane de la musique arabo-persane, créée pour chanter


les noms de Dieu, Verbe éternel, dans la langue du Coran, est l’analogue en miroir du
culte quasi-religieux que les falāsifa vouent à la méthode de la mantiq des Grecs.

La dévotion d’Al-Fārābī pour la méthode démonstrative des péripatéticiens, exprimée


dans un style parfois obscur qui a posé des problèmes à ses traducteurs, apparaît dans
le Premier Discours du Livre de l’Introduction du Grand Traité de la Musique, à
propos des définitions de la mélodie et du chant poétique.

Son application des concepts logiques d’Aristote à l’esthétique ressemble au


développement de lieux communs, mais la philosophie quatrième n’a-t-elle pas pour
méthode la dialectique du raisonnement rigoureux à partir de la probabilité du
sentiment général d’une civilisation, appelé le bon sens ?

Cela amène Al-Fārābī à s’interroger sur le problème de l’antériorité logique de deux


idées, à propos du chant et de la mélodie, avant de conclure que le chant l’emporte sur
la mélodie :

« La première aura la priorité sur la seconde ou inversement. En ce sens que les


prémisses (les premières possibilités) d’une chose sont antérieures à la chose
elle-même, notre première définition primera la seconde. Cette dernière aura
cependant la priorité sur la première, si l’on tient compte de ce principe que le
bien en vue duquel une chose est faite l’emporte sur les prémisses de la chose
elle-même. Nous avons montré dans d’autres traités, et à plusieurs reprises,
qu’il est préférable de donner la priorité au but en vue duquel une chose est
27
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faite, plutôt qu’à la chose elle-même. Il est donc mieux de regarder comme
logiquement antérieure notre deuxième définition. »23.

De même, à propos de l’embellissement des mélodies par les sens, l’imagination et


l’intelligence, il distingue, comme tout aristotélicien, l’être du mélos – constitué des
éléments essentiels et nécessaires à son être – de sa perfection, obtenue grâce aux
éléments qui l’agrémentent24.

Par ailleurs, dans le Livre de l’Introduction du Grand Traité de la Musique, Al-Fārābī


prend soin de distinguer l’essence et l’accident des êtres musicaux. Ainsi, « […] il
arrive que certains êtres musicaux soient employés dans certains autres arts étrangers à
la musique, mais qui prennent par ce fait la qualification d’arts musicaux. »25.

Cependant, pour la causalité des conceptions abstraites de la théorie musicale qui


ressemblent chez lui aux « êtres de raison » de Leibniz, Al-Fārābī marque son
opposition à l’aristotélisme, quand celui-ci cherche à tout prix les quatre causes en
toutes choses, de même qu’il veut toujours trouver la matière et la forme :

« En ce qui concerne la causalité, la théorie musicale ne nous fait remonter que


jusqu’à la cause formelle et à la cause essentielle, celle qui indique ce qu’est la chose.
On n’y rencontre que celles-là parmi les quatre genres de causes dont il est parlé dans
les derniers analytiques. »26.

Ainsi, les causes efficientes des êtres musicaux ne doivent pas être recherchées. Quant
aux « causes que l’on appelle nécessaires ou matérielles, on peut admettre à la rigueur
leur existence en théorie musicale comme on l’admet en géométrie et en arithmétique
».

Un triangle n’a ni cause efficiente, ni fin, notions qu’Al-Fārābī confond, car il arrive à
l’Introduction du Grand Traité de la Musique d’étendre la distinction aristotélicienne

23 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre de l’Introduction, Premier Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, p. 6.

24 Ibid., Livre de la Composition musicale, Deuxième Discours, p. 88.

25 Ibid., Livre de l’Introduction, Premier Discours, p. 28.

26 Ibid., pp. 29-30.


28
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des causes à celle des buts27. Une sphère fait l’objet d’une déduction intellectuelle,
même quand nous fabriquons une sphère en bois. De même, la mélodie et la poésie ont
une forme, mais pas de matière.

Dans un autre passage, Al-Fārābī parle du compositeur de musique avec la rhétorique


platonisante de l’alexandrinisme qui s’exprime toujours comme les Grecs, pour ne
jamais s’écarter de leur méthode. Ainsi, selon Al-Fārābī, le compositeur possède en
tête le prototype idéal de son projet musical, analogue à ceux des Idées, et qu’il se
représente grâce à son imagination28. Pour Aristote également, le principe de la
création ne réside pas dans la chose produite, mais dans l’artiste. Cependant, la
composition musicale est-elle toujours la réalisation d’un projet préalablement conçu ?

L’œuvre d’art ne serait pas le fruit du hasard, mais de la volonté et du savoir-faire d’un
artiste qui suit ses propres règles. Le compositeur saurait donc ce qu’il fait. Mais
ailleurs, Al-Fārābī parle d’autres compositeurs, qui ne sont pas inférieurs au premier,
et qui « peuvent improviser des mélodies non dessinées dans leur esprit » 29. Dans ce
cas, les artistes suivent l’improvisation du moment en travaillant, grâce à l’imagination
et à l’inspiration, parce qu’ils n’ont pas de plan, mais seulement des contraintes
techniques.

En ce sens, la connaissance nette et explicite de la mélodie est le rasin ou murtasim.


Al-Fārābī établit également une comparaison avec le dessin. L’improvisation
représente le dessin ébauché, tandis que le projet complet évoque le dessin explicite.

La métaphore, qui s’appuie sur l’image pure ou née de la sensation, constitue la figure
par excellence de la méta-musique de l’intelligence. Cependant, elle a un usage
ironique, quand le transfert est celui d’un héritage.

27 Ibid., pp. 12-13.

28 Ibid., pp. 8-9.

29 Ibid., p. 10.
29
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3 Le transfert d’héritage et l’ironie

Suivant une tradition herméneutique, reprise par Léo Strauss, Al-Fārābī évoquerait en
réalité le transfert de l’héritage de l’islam et de son évolution nécessaire, quand il se
pose la question du progrès de la théorie musicale 30. En cela, Al-Fārābī manierait la
taqīyya, forme d’ironie qui a le droit de mentir parce qu’elle recherche le bien.

Les penseurs gréco-arabes souhaitent-ils davantage progresser que conserver le savoir


et les valeurs des ancêtres ? Le passé contient toutes les vraies valeurs et il est
fondateur, car n’est vrai que ce qui dure. Mais le conservatisme emprisonne l’esprit,
comme l’être s’oppose au devenir, alors que sans présent, le passé n’aurait jamais
existé. Au surplus, rejeter l’histoire aboutit à une forme de fanatisme.

Faire progresser la théorie musicale, n’est-ce pas enrichir sa science mathématique au


moyen d’une science empirique à l’origine de la musique ?

La science théorique est grecque, il s’agit d’une référence absolue et d’une tradition
qu'il est nécessaire de respecter. Le calife en a commandé la compilation. Néanmoins,
la musique arabe fonctionne à l'oreille et à la transmission orale. Une échelle
pythagoricienne générale des sons n'est-elle pas splendidement inutile, quand il s’agit
de l'orientaliser pour une musique de microtons ? Les musicologues ne savent toujours
pas définir une échelle arabe des sons.

Au début du Grand Traité de la Musique, Al-Fārābī expose sa mission, qui consiste à


rassembler les œuvres de ses prédécesseurs, à les diffuser et à les poursuivre, au
besoin en les corrigeant :

« Un ouvrage comporte-t-il des passages obscurs, des expressions tombées en


désuétude ou tout autre défaut, il est permis à un autre de l’expliquer, de le parfaire,
mais en reproduisant la pensée de l’auteur. »31

30 Léo Strauss, La Persécution et l’Art d’écrire, trad. Olivier Seyden, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2009.

31 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Préface, dans La Musique arabe [1930],

trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, p. 1.


30
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Le transfert de la théorie musicale est un transfert de compétences, par un intellect


collectif. Cette transmission est orale, mais elle s’accompagne d’une évolution au fil
des générations.

Dans le domaine de toute loi en général, Al-Fārābī déplore que l’innovation, survenue
au début ou à la fin, possède un caractère intouchable. Il préfère la voie moyenne
d’une longue suite d’innovations graduelles, qui ne lèsent personne, afin d’atteindre
une forme parfaite. Selon lui, l’innovation doit aussi savoir rester discrète, en ne
s’annonçant pas toujours.

De même, au Moyen Âge, il n’existe pas d’histoire de la philosophie, car cette


dernière progresse. L’histoire est liée à la dégradation lente, qui incite à la recherche
d’un âge d’or. C’est pourquoi Diogène Laërce, philosophe de l’Antiquité tardive, fait
de l’histoire des idées en tant que philosophe, mais sans philosophie de l’Histoire. La
pensée constitue une continuité qui évolue, de sorte qu’il est parfaitement possible de
corriger Aristote ou de réfuter les erreurs de Platon à la lumière des nouvelles
doctrines. Pour les penseurs gréco-arabes, il n’existe donc pas de principe d’autorité
de la scolastique qui répète « Aristote l’a dit ». Si la philosophie grecque a trouvé son
achèvement avec Aristote, cela ne signifie pas la fin de la philosophie et de l’Histoire.

Néanmoins, cela pose le problème de la vertu épistémique de l’éclectisme alexandrin,


continué par les falāsifa. La question de la conciliation de Platon et Aristote a été
posée dès l’Antiquité mais, pour y répondre, les néoplatoniciens ont accepté sans
critique l’illusion de la Théologie d’Aristote, qui était en fait un faux.

D’autre part, jusqu’à quel point un penseur gréco-arabe considère-t-il le Coran comme
un livre de philosophie ?

La Préface du Grand Traité de la Musique affirme une idée de progrès chez les
théoriciens antiques de la musique, alors que celle-ci était rare chez eux :

« Ces gens d’une intelligence subtile se sont succédé ; chacun étudiait les dires de ses
prédécesseurs pour augmenter, à son tour, les connaissances qu’il avait reçues. »32.

Néanmoins, si la théorie évolue, la pratique reste traditionnelle, et les musiciens sont


toujours moins théoriciens que praticiens. C’est aussi le cas pour la transcription des
32 Ibid., p. 2.
31
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œuvres musicales dans les partitions. La transmission de ces œuvres était auditive,
reposant sur la mémoire des musiciens, ce qui les garantissait contre les plagiats, mais
quantité de recueils de mélodie ont été perdus. Cette méfiance vis-à-vis de l’écriture
musicale fait penser au Phèdre de Platon.

Il reste que la métaphore de l’art musical, transmis de toutes les manières, serait
indispensable à la pensée politique qui est l’aboutissement de l’œuvre d’Al-Fārābī.

Selon Guillaume de Vaulx d'Arcy33, Al-Fārābī se serait masqué car, en évoquant les
mélodies, il semble s’adresser de façon cryptée aux théologiens kalamites :

« Tout en tenant compte de ce que nous venons de dire, il ne faut cependant


pas considérer les mélodies comme des lois ou des dogmes. Une loi, un dogme,
sont des choses qui ont été imposées, à une certaine époque, à tous ou à la
plupart des hommes. Ces derniers se les transmettent les uns aux autres par
voie d’imitation ; ils les admettent et les trouvent satisfaisants, tout comme on
est satisfait d’une chose à laquelle on est habitué ; il en va autrement de ce qui
est naturel en musique. Si telle ou telle chose est adoptée ou rejetée dans cet
art, elle ne l’est pas sans considération ; mais nous la jugeons bonne ou
mauvaise selon d’autres choses qui lui sont associées, et qui durent un certain
temps. »34

La pensée prudentielle et en clair-obscur d’Al-Fārābī utiliserait le transfert évolutif de


la théorie musicale comme modèle à suivre pour la transmission chiite de l’islam
depuis le Prophète Ali.

Convaincu que la religion est analogue à la philosophie, Al-Fārābī estimait que la


pensée du prophète-législateur était la même que celle du roi-philosophe, dans une
Cité vertueuse. Comme les prophètes et les philosophes empruntent le même chemin
pour atteindre la vérité suprême, toutes les métaphores, dont celle de la musique,
visent à faire comprendre cela.

33 Guillaume de Vaulx d’Arcy, loc. cit.

34 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre de l’Introduction, Premier Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, p. 69.
32
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Un millénaire plus tard, en Occident, le savant deviendra le prophète du positivisme


romantique, en liant indissolublement le savoir, la politique et la religion.

B La politique de la musique

Néanmoins, d’un point de vue politique et religieux, la musique selon Al-Fārābī possède,
dans sa pratique, la spontanéité d’une liberté, voire d’une résistance, face aux pouvoirs.

1 Le calife de Bagdad

Les allusions à la Cité vertueuse sont rares et implicites. Pourtant, le Grand Traité de
la Musique n’oublie pas de mentionner que la création musicale, même quand elle
n’est pas occasionnelle, n’est pas intemporelle et qu’elle est le reflet d’une société
donnée. Ainsi, Al-Fārābī rapporte la phrase d’un musicien célèbre, qui aurait dit :

« La musique est un ouvrage écrit que les hommes conçoivent et que les femmes
rédigent avec soin. »35.

Parce que Dieu est cause première, que la philosophie et la vertu sont indissociables
et que les meilleurs doivent gouverner, dans le Grand Traité de la Musique il semble
clair que la hiérarchie de la Cité vertueuse se divise en trois classes, hormis celle des
esclaves copistes que le calife, musicien inspiré à toute heure, fait réveiller la nuit.

Il existe ainsi :

a) une classe des sages qui gouvernent ;

b) une classe de leurs disciples, qui se fient aux démonstrations des


philosophes ;

c) une classe de tous ceux qui se contentent de croire, et qui sont la


majorité.

Au demeurant, il est évident que la métaphore musicale sert particulièrement à


l’éducation morale et politique de la multitude. L’art peut-il donc à la fois endosser
une fonction politique et représenter l’expression de la liberté associée à l’imagination
? Toutefois, est-il vrai qu’une fonction uniquement spirituelle de l’art, aspirant au
beau et au sublime, n’aurait aucune conséquence politique ?

35 Ibid., Livre de l’Introduction, Premier Discours, p. 11.


33
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Ce problème est ancien. Avant Platon et à la suite de Lasos d'Hermione, Damon


d'Athènes a déjà étudié les effets des différents types de musique sur le caractère. Il a
été le précurseur de l'éthique musicale, qui envisage les conséquences sociales et
politiques de la musique. En tant que mimèsis, cette dernière joue un rôle éducatif,
mais elle peut pervertir ceux qui la reçoivent. Elle manifeste des qualités ou des
défauts, qui s'impriment dans l'âme du citoyen et lui impose des conceptions
religieuses et morales, ou bien des attitudes et des émotions36.

Soumise au nombre et à la mesure, la musique prépare l'âme à la raison, en la


pénétrant au plus profond d'elle-même. En effet, l’âme humaine possède une aptitude
« à cet ordre dans les mouvements qu’est le rythme » et à « cette combinaison des
aigus et des graves qu’est l’harmonie »37.

En suivant le logos, rythme et harmonie sont bien mesurés, telle l’âme. La musique
exprime alors le ton propre à l’âme, au moyen d’une modulation sonore. Ainsi, le
mode dorique exprime le ton de la vertu de courage, tandis que le mode phrygien
traduit la tempérance. De son côté, Aristote dans sa Poétique argue que le musicien
imite les caractères, puisque l’art imite la nature.

Ainsi, certains modes musicaux nous incitent à la tristesse, alors que d’autres nous
amollissent et provoquent une sensation de détente. Or, la musique peut procurer aux
hommes une joie innocente propre à les détendre après un long effort, mais aussi des
émotions enthousiastes ou mystiques. D’ailleurs, la tendance naturelle de l’homme à
imiter la nature se combine avec la recherche de la purification nécessaire à l’âme,
ici-bas et pour l’au-delà, bien que l’art offre aux passions une occasion de se réaliser
de façon imaginaire, ce qui est cause de plaisir.

D’autre part, dans le Premier Discours du Livre de l’Introduction du Grand Traité de


la Musique, le développement d’Al-Fārābī sur l’histoire de la musique nous rappelle

36 Platon, La République, 401 a-d ; ou bien dans Ion, 533 d-534 e, l'allégorie de la chaîne d'anneaux aimantés.

Dans Œuvres complètes, trad. Luc Brisson, Paris, Flammarion, coll. « Essais », 2011.

37 Ibid., La République, 664 e-665 a.


34
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tout l’intérêt qu’il manifeste pour les origines des sociétés, dont l’étude est nécessaire
à l’édification de la Cité vertueuse38.

Par ailleurs, dans la Préface de son Grand Traité de la Musique, qui annonce le
sommaire de son livre, Al-Fārābī s’adresse directement au calife, le commanditaire de
l’ouvrage, la clé de voûte de la monarchie aristocratique et le commandeur des
croyants, qui est censé assurer la prospérité de la cité, quand son cœur est intelligent
et magnanime. Son modèle est l’Empereur Marc-Aurèle islamisé.

Al-Fārābī développe cette allégorie de l’organisme social, issue de la sagesse


indienne, dans Les Opinions des habitants de la cité vertueuse39.

Ainsi, dans la cité, qui a vocation à être universelle parce qu’elle est la cité des
croyants, la milla constitue un ensemble d’opinions et d’actions prescrites, liées à des
conditions et fixées par le gouvernant premier, qui définit une fin à atteindre. Ce
gouvernant premier n’est pas nécessairement le prophète-législateur, mais en tout cas
un équivalent, étant entendu que la religion révélée ne s’oppose pas à la raison
politique, à condition que la religion soit vertueuse elle aussi. Le destin collectif
dépend d’une seule personne, au nom du messianisme politique des individus qui
changent l’histoire40.

Avec le calife ou l’émir, qui sont des despotes éclairés, Al-Fārābī entretient une
relation de sympathie réciproque et de rivalité courtoise, grâce aux arts et aux
sciences, bien qu’une forme plus tendue de joute entre eux s’installe parfois au palais.
En principe, cette relation est de l’ordre du « jeu de rôle », codifié et empathique,
entre le roi-philosophe et le philosophe-roi, où chacun reconnaît la valeur, la place et
l’utilité de l’autre dans l’ordre du monde et de la cité, mais où chacun pourrait
prendre la place de l’autre et le fait quelquefois symboliquement, comme lorsque Al-

38 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre de l’Introduction, Premier Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, p. 18.

39 Al-Fārābī, Opinions des habitants de la cité vertueuse (Mabādī’ Ārā ahl al-Madīna al-Fādila), trad. Amor

Cherni, Paris, Éditions Albouraq, coll. « Sagesses musulmanes », 2011.

40 Al-Fārābī, La religion (al-Milla), trad. Amor Cherni, Paris, Éditions Albouraq, coll. « Sagesses musulmanes »,
2011.
35
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Fārābī va s’asseoir à la place du calife. Le roi-philosophe et le philosophe-roi


s’entendent au moins sur l’eudémonisme de la musique.

Néanmoins, dans la Préface du Grand Traité de la Musique, Al-Fārābī ne glorifie ni


ne dresse le panégyrique de son mécène. Il se contente de prier Dieu, pour le salut de
son prophète41. Cependant, cette dédicace constitue une figure de rhétorique imposée
par la société de son temps.

2 Musique profane et musique sacrée

En principe, la licéité (sama’) de l’islam accepte la musique, même si son usage est
limité, parce que frivole, mais en réalité l’islam n’est jamais mentionné par Al-Fārābī.

La musique nous fait exister dans le temps, alors que l’Un-Dieu n’est soumis à
aucune espèce de changement. La musique peut aussi mener à tous les excès de la
sensualité. Pourtant, l’islam l’admet pour la cantillation de la prière ou pour les
mariages, mais avec peu d’instruments.

Al-Fārābī n’affirme nulle part dans toute son œuvre qu’il serait musulman, sauf dans
des formules rhétoriques d’introduction et de conclusion, alors qu’à la fin de l’âge
d’or du « miracle gréco-arabe » les penseurs seront davantage tenus de proclamer leur
foi. Il est donc exact qu’il existe des différences entre eux. Certains ont une pensée
plus profane et plus laïque, d’autres utilisent plus de références religieuses. Avicenne
et Averroès prennent davantage de distances avec Aristote qu’Al-Fārābī. Cela a fait
dire à Ernest Renan qu’Averroès avait plié devant les théologiens, mais Renan
transposait des débats du Moyen Âge dans l’université du XIX e siècle, ce qui l’a fait
accuser d’orientalisme.

Certes, dans son Livre de la Composition musicale, le Grand Traité de la Musique


comporte une mention de la cantillation coranique, à la psalmodie nasalisée et qui
entre dans la catégorie du samā, ou audition spirituelle, mais Al-Fārābī vise
essentiellement la beauté du chant liturgique, cette mélopée de l’adhān du muezzin
qui apaise l’âme et le corps :

41 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Préface, dans La Musique arabe [1930],

trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, pp. 1-4.


36
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« On peut aussi associer aux notes un logos comportant ou non des périodes. L’appel
à la prière, la déclamation du Coran et les récits nous fournissent des exemples d’un
logos modulé et dont les membres ne composent pas des périodes. »42.

Néanmoins, pour Al-Fārābī, certaines mélodies frivoles méritent d’être condamnées


par la loi coranique, mais en raison d’une vertu d’art musical qui est morale. Al-
Fārābī recommande de ne pas abuser des modalités par lesquelles la musique agit sur
l’auditeur, qui est aussi un citoyen. En cela, il reste surtout fidèle à Platon et Aristote.

En réalité, sans motif religieux profond, Al-Fārābī prend parti dans une querelle des
anciens et des modernes, qui oppose l’art musical classique au goût de l’exubérance,
du luxe et du jeu.

3 Le Souverain Bien de la musique

Pour Al-Fārābī, la forme musicale la plus haute, ordonnée selon la parole poétique qui
donne des mots aux émotions, a pour fin le bonheur suprême.

Le Grand Traité de la Musique l’affirme : le Souverain Bien, ou saāda, est sur terre,
et nous pouvons l’atteindre par la musique43. En réalité, l’homme poursuit deux fins,
qui sont le bonheur ici-bas, dépendant des vertus, et son salut dans l’autre monde,
qu’il prépare aussi ici-bas. L’absence de trouble s’obtient par la catharsis, mais Al-
Fārābī ajoute le repos aux bienfaits de la musique. D’ailleurs, les notes libres et les
notes vocalisées ont un effet thérapeutique sur l’âme et le corps, et une tradition
antique associait l’instrument tétracorde aux quatre tempéraments d’Hippocrate.

La musique et la poésie divertissantes, quand elles ne sont pas frivoles, ne mènent pas
au bonheur suprême, mais elles apportent le repos après la fatigue, ce qui nous
relance dans la quête de ce bonheur :

« On a vu que le but [humain] suprême n’est pas le jeu. Ce que l’on demande
aux diverses espèces de jeux, c’est de compléter, de parfaire, le repos. Or, ce
que l’on demande au repos, c’est de compenser [l’effort] qui nous fait
accomplir des actions sérieuses. On ne cherche donc pas le repos pour lui-

42 Ibid., Livre de la Composition musicale, Deuxième Discours, p. 65.

43 Ibid., pp. 97-98.


37
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même, mais pour se procurer quelques-unes des choses qui amènent au


bonheur suprême. »44.

D’autre part, selon ses disciples, Al-Fārābī atteignait une forme d’extase en société,
obtenue par l’harmonie imitative des rythmes du corps et par l’union des phénomènes
de l’ouïe et de la vision. Son public, quand il jouait de son instrument, était quant à lui
saisi par le tarab : il vibrait, riait, pleurait, défaillait, pensant qu’il allait mourir, ou
même s’endormait, ce qui montrait aussi l’étendue des pouvoirs du musicien.

Pourtant, dans le Grand Traité de la Musique, Al-Fārābī ne mentionne jamais


explicitement l’extase soufie du faqīr, sublimation de la foi provoquée par la
musique. Cependant, il conviendra d’examiner si l’émotion musicale pourrait
atteindre son acmé dans l’intuition sensible du mystique.

Il reste à se demander si la composition musicale n’exerce pas sur son public un effet
produit en lui comme malgré lui, comme dans l’épisode d’Al-Fārābī prié de jouer de
son instrument à la cour du calife, dans lequel il fait ce qu’il veut de son public, allant
d’une émotion extrême à l’autre. L’œuvre musicale ne possède-t-elle pas une réalité
en soi qui fait son public, davantage que l’écoute du public fait l’œuvre musicale ?

D’ailleurs, Al-Fārābī ne pense-t-il pas que l’art existerait sans les chefs-d’œuvre, et
que seule compte l’intention artistique ?

Après Al-Fārābī et afin de regrouper les mélodies, l’art musical arabe appellera
maqām le mode, car il forme un système de gammes, une « station » d'une échelle
mélodique, mais aussi un « rang élevé » pour un modèle transcendant. De même, dans
la musique indienne, les notes de la gamme chromatique sont appelées shruti, qui
signifie « audition », « oreille », mais aussi « révélation ».

L’art musical est-il un luxe réservé à une élite ? Les penseurs arabo-andalous
professeront le même rejet de la musique populaire que les Arabo-Persans. La
musique arabe était savante et aristocratique, mêlée de mathématiques grecques,
tandis que l’instrument-roi du peuple était l’instrument à vent, dont il jouait avec
facilité sans avoir appris. Pourtant, la tradition soufie maintenait une tradition

44 Ibid., p. 97.
38
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préislamique (la Jāhilīya) de la musique et de la danse, en laquelle le monde bédouin


et nomade se reconnaissait aussi.

La musique ne serait-elle donc pas une langue universelle ?


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PARTIE II : Cantus Planus

Lien social par excellence, la musique représente moins le secret mystico-astrologique du


monde que la possibilité d’une langue naturelle de la Cité universelle, née d’une science
empirique.
En tant que théoricien néoplatonicien de la musique, Al-Fārābī est l’héritier de Pythagore,
mais il se détache de la version radicale du pythagorisme que pratique la théosophie.
Y aurait-il donc une universalité immédiate du chant et de la psalmodie dans la langue, dans
les Livres II et III du Grand Traité de la Musique ? Au Moyen Âge, l'arabe coranique est la
langue internationale des savants et des croyants. Jusque sur son chameau et au quotidien, le
Prophète psalmodie et vocalise quand il parle. Le chant du chamelier dans la langue des
animaux ne serait-il pas une langue originelle que comprennent tous les êtres ?

Al-Fārābī voit bien que l'intégrité de l'information se perd, quand sont plaquées des notes
vocalisées et des silences sur le débit quotidien de la parole lors d’une transaction au marché :

« Il n’est pas d’usage dans la conversation d’avoir recours à des modulations et à des
combinaisons de sons, et si on en use, ce n’est que rarement et en évitant d’alourdir le logos.
»45.

Il existe toutefois des moyens plus subtils, que rapporte la tradition. Le Prophète ne parle pas
le « Solresol » de Jean-François Sudre, mais sa parole est un plain-chant, car il prolonge
toujours ses voyelles sur deux temps : « a » long ('alif), « i » long (yā'), « ou » long (wāw), en
leur donnant un sens caché (« a » est la loi, « i » est Dieu, « ou » est le monde). Comme le
genre-voyelle de l’Autre chez Platon, la voyelle est l’autre de la consonne, qu’elle fait être, ou
bien le Prophète exploite la ressource de la consonne dédoublée (chadda), dans laquelle il faut
insister sur l’une des deux lettres. En réalité, il met de la liturgie partout, à moins qu'il ne la
sécularise. La langue musicale universelle est une esthétique généralisée, qui peut donner lieu
à un débat théologique.

Cette langue dérive du mythe du langage mathématique du monde, cher aux pythagoriciens.
Pourtant, au Moyen Âge, il n'existe en réalité plus, depuis longtemps, de pythagoriciens purs.

45 Ibid., Livre de la Composition musicale, Deuxième Discours, p. 64.


40
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Ils sont devenus des théosophes, donc des éclectiques, ce qui explique leur voisinage avec
l'alexandrinisme. De plus, l’harmonie des sphères apparaît surtout dans l’Antiquité tardive,
avec Boèce et Nicomaque de Gérase. Aristoxène, disciple d’Aristote, n’y avait pas cru.
Néanmoins, Al-Fārābī n'est pas un ésotériste numérologue. D'autre part, le mythe de
l'instrument parfait et l'accordage à l'oreille en pinçant les cordes sur une échelle de vingt-
quatre degrés nous éloignent encore davantage du culte du nombre. Au demeurant, la langue
musicale universelle est au moins possible sous la forme de la psalmodie.

A Le monde sectaire ésotérique

Dans le Livre des Éléments du Grand Traité de la Musique, la théorie mathématique de la


musique d’Al-Fārābī tendrait à prouver la relation du philosophe avec le monde sectaire
ésotérique.

1 La réminiscence de Pythagore

Bien qu’il critique l’harmonie des sphères, ainsi que la correspondance entre
mouvements des astres et mélodies agissant sur la psychologie, Al-Fārābī s’inspire de
la théorie de Pythagore, transmise par Nicomaque de Gérase et reprise sous sa forme
radicale par les Frères en Pureté ismaéliens. Sans son rehaussement par Pythagore,
qui avait découvert en elle des proportions mathématisables, la musique pour les
Grecs serait restée le plus bas des arts, qui n’intéressait que la police des mœurs et la
bonne politique.

Avec sa méthode empirique, Aristoxène de Tarente fondait déjà l’art musical sur le
respect des proportions. Il partait des calculs de l’acoustique pythagoricienne pour
proposer une suite de rapports numériques capables de rendre compte des intervalles
entre les notes de musique.

Avant Al-Fārābī, les traités de musique ont généralement repris la division


pythagoricienne de la musique suivant trois dimensions : céleste, humaine et
instrumentale. Les gammes planétaires célestes étant les modèles divins des échelles
musicales terrestres, la musique prépare l’astronomie, qui est aussi une astrologie.
41
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Des disciples d’Al-Fārābī, comme Al-Hasan (XIe siècle), feront encore allusion à
cette division46.

Selon Pythagore, un principe unique, la Monade, constitue la source des nombres car
à chaque nombre correspond une réalité, en même temps qu’il contient en sa racine
une opposition, ce qui donne dix couples d’opposés (limité/illimité, impair/pair,
un/beaucoup, droite/gauche, mâle/femelle, immobile/mobile, rectiligne/courbe,
lumineux/sombre, bien/mal, carré/rectiligne)47.
Comme les nombres permettent de traduire l’harmonie du réel, le théoricien
pythagoricien de la musique définit la hauteur de la note par le rapport calculable
entre la longueur de la corde vibrante et sa section. Al-Fārābī utilise cette méthode
acoustique, notamment pour la pratique de l’accordage des instruments, mais il
s’écarte de la mathématisation du cosmos et de l’ésotérisme de la numérologie. Ainsi,
les rapports mathématiques superpartiels des intervalles s’inversent sur le monocorde
(le ton pur 9/8 correspond à 8/9 sur le monocorde, la fraction 3/2 de la quinte devient
2/3, etc.). Cependant, le passage de l’addition d’une fraction d’intervalle en théorie du
nombre à une soustraction de fraction d’intervalle dans la pratique du monocorde n’a
plus de signification ésotérique dans le Grand traité de la musique. De même pour la
fraction 3/2 de la quinte elle-même, qui contiendrait les deux nombres de la moitié du
Dix sacré.

– La psycho-physique du son contredit-elle la cosmologie des sphères ?

Pour accorder son tétracorde, Al-Fārābī fixe la hauteur des sons de manière relative,
avec un morphophorisme musical appelé dunamis, basé sur la consonance d’une
multiplicité d’intervalles mobiles possibles, définis par un simple rapport épimore
([n+1]/n). Le caractère grave/aigu est donc défini par la pratique instrumentale, pour
les cordes comme pour les flûtes et la voix, et non par une théorie de rapports

46 Cf. Al-Hasan, La perfection des connaissances musicales (Kamāl adab al Ghinā’), trad. Shiloah Amnon, Paris,

Geuthner, 1972.

47 Antelme-Édouard Chaignet, Pythagore et la philosophie pythagoricienne, Fragments de Philolaüs, Paris,

Didier, tome 1, 1874, p. 226.


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numériques qui expriment des variations différentielles. La dunamis représente une


notion psycho-physique, en raison de l’absence de hauteur de son absolue mesurable.
En mettant en jeu des différences de tension pour la hauteur relative réelle des sons
dans un système, elle définit le ton.
Au contraire, pour Pythagore, les nombres sont des choses, et les choses sont des
nombres.
À partir du 1 de l’unité primordiale, il définit le 2 du soleil et de la lune, le 3 de l’eau,
de la terre et du feu, et enfin le 4 des quatre points cardinaux. Le nombre 10, résultat
de la somme de ces quatre premiers nombres, forme la source de la nature éternelle.
Ainsi, de l’unité primordiale à la source de la nature éternelle, le nombre rend compte
de la réalité de toute chose. Le nombre 10 construit la Trinité pythagoricienne, dans
laquelle s’inscrit la Tétractys, censée régir le Tétracorde. Elle signifie « à quatre
rayons », au quadruple éclat rayonnant. Il s’agit d’une lumière rayonnante (actys)
associée au nombre 4 (tetra).
Comme la Terre se situe au centre de l’univers et que chaque planète obéit aux
rapports numériques de la gamme, il existe un ton pour la distance de la Terre à la
Lune. Celle-ci émet la, Saturne si, Jupiter do, Mars ré, le Soleil mi, Mercure fa et
Vénus sol. Les sept planètes sont comme les sept cordes d’une lyre. Boèce a repris
cette construction de Pythagore, mais en attribuant des notes différentes aux
planètes48. Les jours de la semaine, associés aux planètes, se réfèrent à la gamme de
Boèce. D’autre part, Ptolémée a insisté sur les relations entre les mouvements des
astres et les propriétés caractéristiques des notes, entre le tétracorde et le système
solaire, entre les propriétés des planètes et celles des sons 49. Cependant, si nous
voulons que la Terre elle aussi produise un son, elle devrait être mobile. C’est
pourquoi Philolaos avait proposé un modèle non-géocentrique. En outre, les
théoriciens ont fait évoluer les instruments, pour entendre les sons de toute la musique
céleste. Alypius en était arrivé à la cithare à dix-huit cordes, et il a fallu étendre le
système harmonique à quatre octaves et demie50. Bien plus tard, l’astronome-
astrologue Kepler défendra encore l’Harmonia mundi, qui a aussi intéressé Galilée.

48 Boèce, op. cit.

49 Claude Ptolémée, Les Harmoniques, trad. Jon Salomon, Leyde, Brill, 2000.
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En ce qui concerne l’être humain, dans la numérologie de Pythagore, le premier


nombre féminin est 2. Le premier nombre masculin est 3. Le nombre qui signifie le
mariage, union du pair et de l’impair, est 5, ce qui évoque la quinte.
Dans le Grand Traité de la Musique, Al-Fārābī est en principe hostile à ce
pythagorisme radical, que les Frères en Pureté reprennent dans leur Encyclopédie
Ahwān as-Safā’, et qui explique toute la réalité, telle qu’elle est, par les nombres.

Ainsi : « L’opinion des pythagoriciens que les planètes et les étoiles, dans leur course,
font naître des sons qui se combinent harmonieusement est erronée. En physique, il
est démontré que leur hypothèse est impossible, que le mouvement des astres et des
étoiles ne peut engendrer aucun son. »51.

Bien qu’il soit néoplatonicien, alchimiste, astrologue et devin, et bien qu’il admette
que notes et mélodies influent sur l’âme de l’auditeur, Al-Fārābī nie que le
mouvement rotatoire des sphères et leur frottement les unes contre les autres
engendrent des mélodies aussi belles que celles du luth et de la flûte, qui atteignent
notre âme.

Il ne croit nullement que le Proslambanoménos, la corde ou la note la plus grave des


Grecs, va de la Terre à la Lune, dans la neuvième sphère concentrique et translucide,
et que l’harmonie des sphères donnerait à l’âme le désir de retourner jusqu’aux lieux
du divin après la séparation d’avec son corps. Au contraire de Ptolémée, il est
remarquable qu’Al-Fārābī ne compare jamais l’octave (diapasson) à l’âme
raisonnable, la quinte (diapente) à l’âme sensible, et la quarte (diatessaron) à l’âme
végétative.

Néanmoins, le Grand Traité de la Musique semble hanté par l’inconscient de la


réminiscence, qui représente l’émanation de Dieu jusqu’au fond de nos âmes et qui
associe malgré nous l’instrument tétracorde aux quatre éléments ou aux quatre
saisons, et la lyre aux sept planètes. D’ailleurs, la Cité vertueuse sera construite sur le

50 Alypius, Introduction musicale, trad. Charles-Émile Ruelle, Paris, Firmin-Didot, coll. « Collection des auteurs

grecs relatifs à la musique », 1897.

51 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre de l’Introduction, Premier Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, p. 28.
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modèle des sphères concentriques accueillant les sept planètes, autour d’un édifice
religieux.

Au surplus, les micro-intervalles qui colorent la musique arabe sont dans la gamme
pythagoricienne. La musique est-elle toujours nécessairement d’essence ésotérique ?

Al-Fārābī a bien laissé l’image d’un penseur obscur. Il est vrai que dans le Grand
Traité de la Musique, quand il aborde un aspect d’un problème, il lui arrive de
s’arrêter en disant que ceci ne sera pas traité ici, ou bien que cela est ou sera envisagé
ailleurs, mais il ne dit pas où est cet ailleurs.

Al-Fārābī est l’auteur de Gemmes de la sagesse52, sortes de pensées d’un sens profond
et difficile, à partir des ahādīt (pluriel de hadīth) de la Sunna, et auxquelles
s’adonnaient les penseurs musulmans, avec une pratique proche de la Kabbale juive.

Contrairement à Platon, Al-Fārābī croit à la hiérarchie des essences et à


l’emboîtement des sphères translucides. Pour lui, Dieu est l’Un, nombre impair. Des
intellects, des âmes, des cieux et des anges peuplent les sphères célestes, qui ont une
harmonie, même si elle n’est pas physiquement musicale. La pensée de Platon lui-
même, avec son beau métaphysique qu’Al-Fārābī tente d’unir au beau sensible
d’Aristote, s’enracine dans la philosophie de Pythagore en effectuant sa synthèse.

Ainsi, au Chapitre VII d’Opinions des habitants de la cité vertueuse, Al-Fārābī


reprend l’effusion lumineuse de l’Un décrite par Plotin dans les Ennéades (V, 1-6), en
s’appuyant sur la définition de la Métaphysique d’Aristote (Lambda, 9, 1074 b) :
« L’intelligence suprême se pense donc elle-même, puisqu’elle est ce qu’il y a de plus
excellent, et sa Pensée est pensée de sa pensée. ».
En réalité, l’intellect ou intelligence collective, définie par la théorie de la
connaissance, est inséparable d’une émanation (fayd) à partir de l’Un-Bien, dans
laquelle l’intellect divin forme une substance productive. Cela conditionne toute
théorie musicale.
Il s’agit de la lumière de cette intelligence, qui n’est pas individuelle car elle émane
de l’Un, et qui fait percevoir les couleurs et les sons du monde à travers le filtre

52 Al-Fārābī, Gemmes de la sagesse (Fusūs al-Hikma), dans Friedrich Dieterici, Alfārābī’s Philosophische

Abhandlungen, Die Petschafte der Weisheitslehre, Leyde, Brill, 1892, pp. 108-138.
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diaphane de l’intellect possible séparé du corps. Dans le cas des universaux musicaux,
l’intellect agent, intuition intellectuelle a priori, informe l’intellect ayant acquis ces
universaux sous une forme première par le truchement de l’intellect possible, qui est
matériel.
Chez Al-Fārābī, la métaphysique aristotélicienne est donc « plotinisée » grâce à la
Théologie du Pseudo-Aristote, qui n’est qu’une paraphrase des Ennéades de Plotin.
Ainsi, dans la procession de Plotin, reprise par la pensée gréco-arabe, l’émanation est
fondée dans le dynamisme même de son identité absolue. L’Un est Essence,
Substance et Être du Premier. Al-Fārābī précise que les attributs premiers ne
concernent que l’unité divine.
C’est la raison pour laquelle il est impossible de séparer l’Âme universelle, ayant la
nature comme faculté et structurée par un traité de musique, de la cosmologie d’Al-
Fārābī, qui constitue aussi une cosmogonie, si nous voulons lui conserver tout son
sens53. La théorie de l’intellect agent se double même d’une angélologie. L’intellect
agent, qui peut être appelé « l’Ange », se rapproche donc du Dieu de la métaphysique.
Au terme de l’émanation, dans le monde sublunaire, l’intellect agent constitue l’une
des intelligences séparées dans la neuvième sphère translucide des êtres intelligibles
dérivant de Dieu. Dans cette cosmogonie, l’intellect acquis, ou intelligence collective
réalisée, représente la médiation entre le monde sublunaire et le monde céleste. Avec
la première intelligence, l’Un absolument transcendant amorce un processus
d’engendrement qui n’est pas une création. L’émanation, à base de causalité de la
pensée, engendre continûment une cascade d’intelligences.
Ainsi, la première intelligence, en pensant son principe (l’Un), en produit la
deuxième. En même temps, quand elle se contemple elle-même, la première
intelligence engendre la sphère translucide du premier ciel, où il n’y pas de corps
céleste, pour l’être de la deuxième intelligence.
Cette procession se poursuit jusqu’à la dixième intelligence, avec la Lune comme
planète, à l’issue d’un emboîtement successif des sphères translucides et de leurs
corps célestes (les étoiles fixes pour le troisième intellect, puis Saturne, Jupiter, Mars,
le Soleil, Vénus, Mercure, et enfin la Lune). La dixième intelligence devient alors
l’intellect agent de la neuvième sphère, qui est le monde sublunaire. La métaphysique
53 Cf. Al-Fārābī, L’Épître sur l’intellect (Al-Risāla fī-l-'aql), trad. Dyala Hamzah, Paris, Harmattan, 2001.
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d’Al-Fārābī repose donc sur une cosmogonie de l’Âme universelle, qui a la nature
pour faculté et dont la mesure est la musique sans notes célestes.
Néanmoins, Al-Fārābī affirme que la métaphysique constitue la science des étants
plutôt que celle du Premier Moteur. Son système cosmologique est donc de nature
ontologique.
Certes, nous devons à Al-Fārābī d’avoir placé la métaphysique au sommet du corpus
d’Aristote, mais en vérité il mettait surtout l’accent sur le passage de la métaphysique
à la physique, et donc sur l’étude de la nature, qui permet de comprendre l’acte divin
de l’émanation, davantage que sur l’étude des sciences religieuses.
Ainsi, dans le domaine de la connaissance théorétique, le divin atteint le fond de
l’âme, grâce à l’illumination de l’intellect agent de la neuvième sphère translucide, au
terme d’une cascade d’émanations. Al-Fārābī oppose cette illumination à celle du
Soleil pour la chauve-souris.
Ensuite, il convient à l’homme de remonter la cascade des dix intelligences émanées
de l’Un, pour s’unir à Lui. En effet, dans la procession de l’émanation, les neuf cieux
sont l'échelle de la descente, tandis les dix intellects constituent le câble de la
remontée. L’Un-Dieu révèle donc ce qu’il est par l’intermédiaire d’une hiérarchie.
Ensuite, l’ascension de l’homme vers Dieu se fait en trois étapes : purification,
illumination, perfection de l’union.
Selon Al-Fārābī, seuls les racontars de sorcière prétendent que sans purification, et
avec le seul secours de la réminiscence, les âmes accèdent nécessairement à
l’immortalité, qui représente le vrai bonheur et la vision ultime de la vérité. Le
soufisme musical participe à cette purification. Cette immortalité fera débat, dans la
tradition gréco-arabe.
Au demeurant, dans le Grand Traité de la Musique, le Livre des Éléments n’expose ni
astrologie, ni cosmogonie, ni numérologie, et les autres Livres non plus.
Il faudrait donc supposer qu’Al-Fārābī serait demeuré secrètement un pythagoricien
ésotérique et que, si tel était le cas, le Livre des Éléments recèlerait un locus
mathematicus obscur. Au surplus, dans le calcul du demi-ton, Al-Fārābī rejette la
racine carrée, dont les pythagoriciens avaient une sainte horreur, et qui est incluse
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dans « (9/8)1/2 ». Il lui préfère l’approximation d’Aristoxène, en partageant le ton en


rapports fractionnaires inégaux, de la forme « 1+1/n : 18/17 et 17/16 »54.

Dans les tableaux du Grand Traité de la Musique, les combinaisons des lettres
alphabétiques, représentant les notes, n’auraient-elles pas une signification « proto-
formelle », car concernant des entités abstraites liées à une ontologie de l’émanation
divine ? Les lettres de l’alphabet des Grecs étaient aussi les chiffres de leur
numération55.

En outre, dans Le Livre de la Composition musicale, nous croyons reconnaître la


théorie des qualités élémentaires des pythagoriciens, quand les qualités des notes
vocales sont « l’humidité, la sécheresse, la nasalité, la rétention », et quand leurs
autres qualités sont d’être « claires ou sombres, rauques ou douces, molles, fermes ou
dures »56.

Al-Fārābī n’aurait-il pas appartenu secrètement à la secte illuminée des ismaéliens,


comme il a été dit de son disciple Avicenne (980-1037), auteur d’un Traité sur les
lettres de l’alphabet57 ? Pour Al-Fārābī, il aurait donc fallu passer par l’initiation
illuministe pour atteindre la vérité, car, l’homme étant le miroir de la divinité, il existe
un lien secret entre eux, qui permet à celui-ci d’acquérir une connaissance totale de
l’univers émanant de Dieu.

Si les penseurs gréco-arabes ont hésité entre le théisme et le déisme, auraient-ils


trouvé une issue secrète dans la théosophie, cet éclectisme pythagoricien, en
confondant l’inconnu avec le mystérieux ?

54 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre des Éléments, dans La Musique

arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, p. 97.

55 Cf. R. Rashed et J. Biard, « Combinatoire et métaphysique : Ibn Sīnā, al-Ṭūsī et al-Ḥalabī », dans Les Doctrines

de la science de l’antiquité à l’âge classique, Louvain, Peeters, 1999, pp. 61-86.

56 Ibid., Livre de la Composition musicale, Deuxième Discours, p. 57.

57 Cf. Diane Steigerwald, « La pensée d’Al-Fārābī (259/872-339/950) : son rapport avec la philosophie

ismaélienne », dans Laval théologique et philosophique, 55 (3), Québec, LTP, 1999, pp. 455–476.
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2 La connaissance symbolique du monde

La théorie musicale du pythagorisme reste séparée de sa pratique, dans la mesure où il


faudrait comprendre intellectuellement la musique avant de l’entendre.

À l’image du divin, la théorie musicale repose sur des principes uniques, établis hors
de toute discussion, car la musique constitue l’une des sciences premières.

La logique de la connaissance symbolique offre-t-elle donc une connaissance intuitive


de l’indicible, en nous faisant percevoir le monde tel qu’il est réellement et tel que
notre esprit peut le percevoir ?

Notre connaissance du monde passe-t-elle par les symboles des objets mathématiques
et de leur réalité objective ? En ce cas, l’esthétique musicale ne semblerait pas sortir
du cadre de la logique, car elle l’utiliserait pour accéder à l’élément mystique ou
illogique de la vie.

Les pythagoriciens se sont transmis des formules magiques, qui traduisaient des
correspondances mystérieuses entre les nombres et les choses. Toutefois, les nombres
étaient-ils vraiment pour eux les choses mêmes ou seulement leurs modèles auxquels
elles participent ?
En réalité, les pythagoriciens ne séparaient pas l'esprit de la matière. Pourtant, leur
réalisme total n’était-il pas dans le vrai ? Le son est un être, même s'il reste
mystérieux, et ce n’est que dans le son que le nombre se dévoile comme un être. La
consonance, dans son immédiateté, ne forme pas une perception, mais une chose
indépendante de la conscience et qui a autant de réalité que la corde qui la produit.
Cependant, si Al-Fārābī, pouvait approuver l’éthique pythagoricienne comme règle de
perfection – ainsi que sa réflexion morale et politique – il ne pouvait admettre son
projet magico-religieux de faire de la méditation une méthode de voyage dans l’au-
delà, en recherchant l’harmonie de la nature divine de l’homme et de sa nature
animale. Les penseurs gréco-arabes n’acceptaient de confraternité que philosophique,
et non théosophique.

D’ailleurs, ces penseurs avaient conscience d’une autre limite du pythagorisme.


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3 L’échelle pythagoricienne des sons

L’échelle pythagoricienne diatonique des intervalles de la hauteur des sons, construite


à partir d’un cycle de quintes, reste l’idéal d’Al-Fārābī, même s’il lui ajoute les
intervalles neutres de la musique arabe.

Après l’échelle des sons du Premier Discours du Livre des Éléments du Grand Traité
de la Musique, Al-Fārābī reprend, dans le Deuxième Discours, le grand système
parfait quant à la division de l’octave, d’un Ptolémée resté très pythagoricien.

Cependant, en dépit des travaux des orientalistes, nous ne savons pas avec précision
ce qu’était l’échelle générale mélodique, pour la musique arabo-persane.

Malgré tous ses efforts, l’échelle d’Al-Fārābī ne peut pas comprendre tous les modes
des Arabes. Elle semble même être inutile pour cette musique, alors qu’une simple
échelle pratique de quarts de tons suffirait. Cependant, cette échelle garde un certain
mystère, qui renforce le caractère ésotérique que la postérité lui a attribué. Il reste que
la mystique du nombre peut engendrer une forme d’utopie, quand nous nous en
éloignons.

B L’utopie musicale

Puisque la théorie musicale d’Al-Fārābī s’écarte de la mystique du nombre, la musique


humaine prend sa dimension utopique dans le monde sublunaire.

1 L’instrument parfait
Le Livre des Instruments du Grand Traité de la Musique traite de l’organologie ou
science des instruments, en se fondant sur une modélisation expérimentale de
l’instrument idéal.
Les Grecs ne distinguaient pas de façon tranchée les techniques et les arts, de même
que le Moyen Âge n’a pas opposé absolument les « arts mécaniques » et les « arts
libéraux ». Il existe donc des « arts ménagers » qui collaborent avec ceux qui
produisent le beau. Aristote définissait la poïésis, ou création, à côté de la praxis, ou
action58.

58 Aristote, Éthique à Nicomaque, Première Partie, I, trad. Tricot, Paris, Vrin, coll. « Biblio Textes

Philosophiques », 1994.
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Cependant, quelles modifications, apportées à la théorie musicale, l’expérimentation


de l’organologie a-t-elle entraînées ?
En effet, le perfectionnisme des instruments permet à la musique de progresser. Les
musiciens grecs, cherchant à découvrir d’autres sons, perçaient déjà leur flûte,
tendaient leurs cordes de manière différente. Ces améliorations ont permis à l’art
musical de progresser.
À cela, nous objecterons que les techniques progressent, mais que l’art évolue, parce
qu’il est éternel, en ce qu’il vise à composer l’image sensible de la beauté, mais au
moyen de techniques qui changent d’époque en époque.
Au demeurant, l’étude des instruments du Grand Traité de la Musique est
principalement axée sur ceux de la famille du luth : le luth à manche court (oud) et le
luth à manche long (tunbūr), qui possède deux cordes.
Pour l’accordage, la place de chaque doigt sur chacune des cordes et la place de
chaque note sur les ligatures sont fixées empiriquement en faisant confiance à
l’oreille. Il s’agira de fixer les touches de l’instrument à cordes par un partage des
cordes, et non par résolution d’octaves.
Le musicien ne doit-il pas reconnaître un primat au pragmatisme de l’accordage, qui
nous suggère que le vrai est ce qui réussit ? La musique arabe constitue-t-elle un « fait
particulier » que la science empirique, assortie d’images descriptives, doit traiter avec
l’appoint modeste des mathématiques ?
Dans la famille des cordes, Al-Fārābī ajoute les cithares et la viole (rabāb).
Les instruments à vent sont les flûtes, ainsi que les cavités du larynx des organes
vocaux. Al-Fārābī leur applique les principes de sa physique du son.
Avec Safiyu-d-Dīn (XIIIe siècle), il laisse une étude intéressante sur l’anatomie des
organes de la voix59. En temps qu’instrumentiste, Al-Fārābī a le souci d’équilibrer les
usages de la science et de la technique, laquelle forme un art et un savoir-faire.
Au demeurant, l’étude des instruments de musique à cordes est subordonnée à
l’utopie d’un instrument parfait.

59 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre de la Composition musicale,

Deuxième Discours, dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 2, pp. 55-

57.
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Tout instrument n’est-il pas déjà un miracle de la technique, en ce qu’il prolonge


l’esprit et non le corps ? D’ailleurs, l’instrument, s’il endosse en premier lieu une
fonction utilitaire et technique, et non esthétique, tend à devenir de plus en plus beau,
au point de devenir lui-même une œuvre d’art.
Il s’agit de ce que Platon appelait la convenance, qui rend beaux et utiles les objets, et
qui fait qu’il est possible de parler d’une « belle marmite »60.
À la fin du Deuxième Discours du Livre des Éléments du Grand Traité de la
Musique, Al-Fārābī détaille donc le projet d’un instrument parfait et mythique, sorte
de panharmonicon répondant aux buts de la pratique et de la théorie61.
Cet instrument ressemble au oud, issu de la lyre grecque, doté d’un manche et de
volutes rococos que nous avons adoptées pour nos instruments à cordes.
L’instrument parfait est donc composite. Il évoque l’instrument utopique destiné à
créer l’euphonie, dans la cité idéale, que Joël-Marie Fauquet décrit dans son livre
Musique en Utopie :
« En Utopie, un instrument de musique doit souvent sa spécificité à
l’hybridation dont il est l’objet. En ce qui concerne sa morphologie d’abord.
Elle est faite d’éléments empruntés à d’autres instruments disparates ou bien
elle résulte de l’extension d’une ou de plusieurs fonctions de l’un de ces
instruments. Sa singularité sonore ensuite. Elle est due fréquemment à la
transformation, plus ou moins parodique, du timbre d’un instrument de
référence dont les limites techniques sont repoussées. Son statut d’objet enfin.
Les dimensions de l’instrument rompent avec celles des instruments de même
nature qui sont en usage dans le réel, la norme étant le plus souvent l’énorme.
»62

60 Platon, Hippias Majeur, 287 d-288 b, dans Œuvres complètes, trad. Luc Brisson, Paris, Flammarion, coll. «

Essais », 2011.

61 Al-Fārābī, op. cit., tome 1, Livre des Éléments, Deuxième Discours, pp. 158-160.

62 Joël-Marie Fauquet, Musique en Utopie : Les voies de l'euphonie sociale de Thomas More à Hector Berlioz,

Chapitre XIV, Paris, Sorbonne Université Presses, 2019, p. 208.


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Le oud, instrument-roi de la musique arabe classique, au caractère hétéroclite et aux


touches orientales caractéristiques échappant à la théorie grecque et nécessitant des
ligatures, explique le privilège accordé à la mélodie arabe, qui est limitée à la
monodie, aux dépens de l’harmonie.
Les intervalles neutres de seconde et de tierce, joués par les touches orientales du oud,
étaient inconnus des Grecs. Ils permettent les modes mélodiques du genre zalzalien,
qui emploie l'intervalle de trois quarts de ton, seconde neutre ou tierce neutre du
genre enharmonique.
Néanmoins, Al-Fārābī ne parle pas encore nommément du maqām, qui sera défini
pour la conception modale, afin de regrouper les mélodies arabes intégrées aux
Éléments.
Le mode forme ainsi un système particulier d’organisation des intervalles musicaux,
adapté à la pratique musicale arabe.
Cependant, le mythe de l’instrument idéal engendre une autre utopie, quand
l’instrument est l’appareil vocal.

2 La poésie et le chant

Al-Fārābī rapporte que les Grecs utilisaient un rythme propre à chaque espèce de
poésie, au contraire des Arabes. Cela lui a été confirmé par les poètes qui se sont
placés avec lui sous la protection de l’émir hamdanide Ali Sayt al-Dawla d’Alep, et
qui étaient Al-Mutanabbī (915-965), panégyriste et satiriste auteur d’un Dīwān, Abū
al-Faraj al-Isfahānī (897-967), auteur d’un célèbre Livre des Chansons (Kitāb al-
Aghānī), et Abū Firās al-Hamdānī (932-968).

Ce dernier, poète-chevalier, écrira des Rūmiyyāt durant sa captivité chez les


Byzantins, dont se souviendra Charles d’Orléans, prisonnier des Anglais au XV e
siècle. De son côté, dans son Livre des Chansons, Al-Isfahānī a évoqué le poète-
brigand Ta'abbata Sharran, traduit et mis en vers par Goethe, auteur d’un Divan
occidental-oriental au XIXe siècle, inspiré des thèmes soufis du Persan Hafez (XIVe
siècle), et adapté par de nombreux musiciens romantiques. Quant au satiriste
mentionné Al-Mutanabbī, il est l’auteur d’un poème élégiaque sur sa grippe
53
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saisonnière, qui lui infligeait une souffrance d’amour, et qui constitue une leçon
stoïcienne pour s’habituer à vivre avec les épidémies.

En vérité, la musique arabe classique est inséparable de la poésie et du chant, bien


qu’elle s’en distingue. Serait-il possible de dire qu’en art, seules les formes
comptent ? Nous pouvons mettre en musique la poésie, parce que l’élan créateur de
l’esprit anime des formes différentes. En musique arabe classique, la mélodie reste
tributaire de la métrique et de la prosodie. Sa composition se cale sur le distique et
l’hémistiche.

En prosodie, la métrique représente l’équivalent du rythme disjoint pour la mélodie :

« La Métrique, en prosodie, joue ainsi, par rapport aux phonèmes, un rôle semblable à
celui du rythme disjoint par rapport aux notes musicales. Le rythme disjoint est, en
effet, une évolution, entrecoupée d’interruptions régulières, à travers les notes
musicales, et la métrique poétique une évolution entrecoupée de pauses à travers des
phonèmes. Ayant déjà montré comment naissent les rythmes disjoints, nous avons par
cela même montré comment se forment les mètres poétiques. »63

Aussi les notes vocales, nées du chant du chamelier, sont-elles supérieures aux notes
instrumentales, car elles possèdent davantage de qualités. Une note vocale peut
devenir un son articulé, un phonème, apte à recevoir un sens exprimé par le logos.
Ainsi, la perfection musicale est à son comble quand elle sert les paroles poétiques,
évènements purs dans le langage. Par elle, les mots ordinaires trouvent un sens «
extraordinaire » et touchent le lecteur dans les profondeurs de son être. Il est vrai que,
pour Al-Fārābī, dans le discours poétique l’imitation est plus importante que le
rythme.

Toutefois, la métrique de la poésie arabo-persane provient in fine des séquences


mélodiques de la musique. En effet, le son et la musique sont comme l’âme des mots.
S’il souhaite corriger la métrique d’une poésie, un poète persan la fait toujours
chanter dans un mode de la musique traditionnelle, car les mots n’ont un sens que
63 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre de la composition musicale,

Deuxième Discours, dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 2, 2001, p.

62.
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s’ils trouvent leur musique dans la déclamation et le chant. La poésie persane récitée
ou chantée, avec sa métrique, ses rimes et son accentuation, demeure l’âme d’un
peuple, malgré la langue et l’écriture arabes, car elle est musicale par essence.

– L’art, l’imitation et la nature

D’autre part, si l’art plastique imite la nature par une représentation, la musique ne
prétend pas l’imiter. En effet, nous ne savons trop à quel objet réel de la nature, ou du
monde moral, comparer l'œuvre musicale. Dans l’expression des sentiments, la note
de musique n’est qu’un symbole, associé à un sentiment humain. De plus, pour les
Anciens, l’art n’imite pas toute la nature, car l’imitation n’est pas belle en elle-même,
mais par rapport à un objet qui doit être beau. Cependant, Al-Fārābī fait de l'imitation,
représentation du réel, le principe de la poésie chantée, à l’instar de la Poétique
d’Aristote. Mais ce réel est épuré de sa contingence, ce qui rend la poésie plus
philosophique que l'Histoire. L'historien vise le particulier, alors que le poète atteint la
généralité imaginaire d’un caractère vrai.

Au contraire, quand la musique imite les bruits de la nature, le problème n'est plus de
ressemblance, mais de reconnaissance. Platon se moque des musiciens qui imitent les
sons de la nature et les voix des animaux avec leurs instruments, comme s’ils
recherchaient une pure harmonie sans voix humaine. Il semble néanmoins oublier
que les lois de la gamme et de la composition mélodique peuvent rendre
méconnaissables les accents de la parole humaine.

C’est pourquoi, bien que l’islam loue généralement Dieu pour la beauté du chant de
l’oiseau – jusqu’à affirmer que le chant humain ne représente qu’une imitation de
celui des oiseaux – Al-Fārābī ne traite pas de l’imitation de l’oiseau dans la chanson
ou la musique instrumentale. Au contraire, l’Occident moderne a admiré les chants
d'oiseaux dans la musique de Mozart, qui fait plus que les imiter, en les «
transfigurant » et en leur donnant des « âmes », au point que l'oiseau que nous
entendons dans la nature paraît chanter du Mozart 64. Au Moyen Âge latin, le chant
d’oiseau apparaît déjà dans les chansons des trouvères et des Minnesänger. Deux

64 Cf. Marcel Moré, Le dieu Mozart et le monde des oiseaux, Paris, Gallimard, 1971. On pourrait objecter que

dans ce cas, l’incertitude de l’esthète, qui perçoit la nature à travers les œuvres qu’elle a inspirées, est feinte.
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modèles opposés sont créés, l'un pour l'imitation concrète et l'autre pour l'évocation
poétique, qui influenceront la musique : le chant du coucou est un motif bref de deux
notes formant une tierce descendante, tandis que celui du rossignol est une ligne
mélodique complexe, ornementée et très libre par rapport au chant réel de l'oiseau. Le
chant d’oiseau existait aussi dans la musique populaire arabe, que les Gréco-Arabes
ont ignorée.

Cependant, si la sensation musicale est naturelle, elle forme l’aboutissement d’un art.
Toutefois, quand la musique est vocale, cet art ne peut-il atteindre une forme de
perfection, afin de rendre meilleur le commerce entre les hommes ?

3 La langue parfaite de la musique

L’art musical constitue-t-il un langage qui exprime ce que les mots ne peuvent pas
dire ? Ne représente-t-il pas un langage matériel et la source des langues ? À cela,
nous pourrions objecter que l’art forme un système clos, qu’il ne peut pas parler de lui
et qu’il n’est pas constitué d’unités signifiantes.

Les notes de musique vocalisées sont des phonèmes. Quand il existe plusieurs
phonèmes dans une note, il s’agit d’une note pleine. Inversement, le plain-chant
vocalise le même phonème sur plusieurs notes.

Les sons vocaux constituent-ils l’essence du langage, parce qu’ils reposent sur la
notion de différence ? Véhiculent-ils immédiatement un sens, ou ne sont-ils que des
bruits, quand ils sont dépourvus de la grammaire du logos ? Existe-t-il une connexion
entre la pensée et les organes vocaux ?

Un débat récurrent entre théologiens kalamites et philosophes gréco-arabes porte


justement sur la compatibilité entre la grammaire arabe et la pensée grecque, s’il est
vrai que la logique trouve son origine dans la grammaire. En tant que grammairien,
Al-Fārābī ne souhaite pas réformer la langue arabe, car la langue idéale est le grec.

En réalité, la musique donne peut-être la clé des arcanes mathématiques du monde,


mais elle est surtout destinée à former une langue universelle dans la cité élargie au
monde. La musique, lien social, constitue la pratique de l’honnête homme (al-adīb).
Par elle, il rejoint l’âme cosmopolite, qui est comme la conscience de soi de
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l’humanité. À cet égard, le son doué de sens revêt une dimension utopique d’un son
primal, un cri de la nature.

En effet, dans Musique en Utopie, Joël-Marie Fauquet écrit :

« En utopie, on a pu le constater, la différence entre le parlé, le chanté ou le


joué est absorbée par la notion de son. Le son est considéré comme une entité
autonome qui globalise les fonctions d'énonciation, d'expression et de
communication. Cette ambivalence génère diverses formes de paralangage à
partir desquelles l'utopie reconstruit le mythe de la voix originelle, ce cri primal
de l'humanité qui aurait projeté dans le futur, comme graines au vent, les
potentialités du son absolu et multiple à l'infini.

Dans la création utopique, le son, comme élément de structuration, prévaut


contre l'image. Il occupe une véritable fonction génératrice. Les systèmes
"musurgiques" [emploi, à propos, de consonances et dissonances] que les
utopistes inventent matérialisent la cité idéale aussi sûrement que les pierres
dont elle est faite. C'est pourquoi, dès l'Antiquité, les moyens de fixer la parole
ont été recherchés. »65

– La beauté de la langue récitée est-elle due à la spiritualité ?

La musique vocale, psalmodiée ou chantée, pourrait-elle réellement devenir une


langue universelle ? Elle possède la même vocation que l’arabe classique, cet «
espéranto » coranique à base d’hébreu, d’araméen et d’himyarite, qui formait la
langue internationale des voyageurs et des savants. Le Coran récité par cœur et
psalmodié, même par les musulmans non-arabes, a vocation à représenter une langue
universelle. Son chant rythmé dispose d’une mélodie peu marquée et il s’appuie sur
une prosodie d’unités et de groupes rythmiques.

D’ailleurs, il existe des analogies de sonorités dans les langues, qui nous font croire à
l’existence d’une langue ancestrale commune. Étant donné le nombre limité des
phonèmes des productions articulées, dépendant de l'activité musculaire des organes
vocaux – lesquels ont des contraintes mécaniques pour produire des sons – les
65Joël-Marie Fauquet, Musique en Utopie : Les voies de l'euphonie sociale de Thomas More à Hector Berlioz,

Chapitre XIII, Paris, Sorbonne Université Presses, 2019, p. 196.


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phonèmes du monde entier partagent de nombreux points communs, sans être


identiques. Il arrive même que des mots soient identiques par hasard, d'une langue à
l'autre, étant donné le nombre réduit des possibilités de productions articulées.

La psalmodie, analogue au plain-chant, ferait de la musique une langue universelle,


mais cette langue pourrait constituer celle des anges, la glossolalie que nous parlons
par un miracle permanent sans la connaître 66. Il s’agissait de la langue des premiers
chrétiens, qui ne voulaient plus parler la langue des païens et qui bégayaient, à la
recherche d’une langue œcuménique. Des mystiques musulmans l’ont également
pratiquée, mais sans lui donner la même signification, ni la même amplitude.
Au demeurant, Al-Fārābī invoque la langue musicale de la cité des Lois de Platon,
dont il fait le Compendium.
Dans Les Lois, Platon part à la recherche d’une cité première, qui identifiait la
musique comme modèle de mesure pour la cosmologie, la politique et la poésie
épique qui procure un plaisir divin, en chantant les exploits des rois vertueux.
Certes, trouver le rang des notes équivaut à découvrir la hiérarchie des êtres dans
l’univers par rapport à Dieu, tandis que le rythme, quand il est identifié à la mesure,
proportionne l’ordre de l’âme. Platon va toutefois plus loin, en assimilant la poésie à
la loi, car la loi est un poème, du moins dans son préambule, le proême (prooimion)67.
Le vers et l’hémistiche ne forment-ils pas des proverbes potentiels ? Le législateur va
inscrire la loi dans l’âme des citoyens au moyen du chant rythmé, qui les fera vivre
ensemble.
Le préambule chanté contient l’esprit de la loi. Il en expose les motifs, pour traiter la
nature humaine dans sa dignité. Le prélude ressemble à celui du chant du luth, car il
harmonise les mœurs et la loi. En vérité, les chants sont régis par la loi parce que les
lois sont des chants68. Al-Fārābī assimile donc clairement la loi à un poème, au

66 Cf. Ernest Renan, Histoire des origines du christianisme Livre 2. Les apôtres [1866], Paris, Hachette Livre BNF,

2013.

67 Platon, Les Lois, Livre IV, 722 d, dans Œuvres complètes, trad. Luc Brisson, Paris, Flammarion, coll. « Essais »,

2011.

68 Ibid., 799 e.
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septième traité de son Compendium des Lois69. Les lois sont des hymnes (tadākīr),
terme formé sur la même racine que la mémoire (d-k-r). Les lois, récitées davantage
que chantées, sont remémorées et commémorées. Elles évoquent la prononciation de
la cantillation liturgique. En frappant l’imagination et l’affectivité, la cantillation du
préambule forme une parole mythique, tandis que l’exposé de la loi qui le suit est
précis et univoque.
La psalmodie de la langue de la cité ne peut donc pas être permanente, même si elle
tend à devenir universelle. Cependant, la spiritualité ouvre d’autres horizons à la
science pratique de la musique.

69 Le Compendium des Lois de Platon (Nawāmīs Aflātūn, Alfarabius Compendium legum Platonis), dans Al-

Fārābī, Philosopher à Bagdad au Xe siècle, trad. Stéphane Diebler, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points Essais »,

1994, pp. 176-179.


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PARTIE III : Prophétologie

La science empirique de la musique découvre enfin la sensualité de l’intuition du divin au


fond de l’émotion musicale la plus intense, car la musique est célébration et adoration de
l’œuvre de Dieu. Dans la pensée gréco-arabe, il n'existe pas de conflit entre l'art et la foi,
comme il n'existe pas d'opposition entre le savoir et la foi.

En quoi le cœur de l'intuitionnisme farabien est-il d’essence spirituelle ? La mystique affleure


dans le rythme et la mélodie, lié à la transe, tandis que le pouvoir métaphorique de l'image,
pareille au rêve prophétique inspiré par le Ciel, imprègne l'art de la composition musicale.

Pourquoi est-il si évident que l'art et la religion s'entrelacent dans la musique arabe, au point
que les penseurs ne questionnent pas cela ? Pourquoi également célébrer et adorer Dieu et son
œuvre par la musique ? La falsafa n'assure-t-elle pas une médiation implicite entre l'art et la
foi ?

Dans la culture musulmane, l’Un-Dieu, qui compose la lumière pure et immatérielle dans le
désert, est accessible immédiatement par une forme de sensualité mystique. L’émotion
musicale cultivée par le soufi y parvient, elle aussi, et elle s’unit à cette lumière.

Néanmoins, si dans le Grand Traité de la Musique circule une prophétologie cachée, que
définit l'intuitionnisme soufi du rêve et de la transe dans le rythme et la mélodie, un penseur
gréco-arabe sait raison garder. Il existe chez Al-Fārābī une véritable mimétique du soufisme,
un soufisme esthétisé de la sensation et de l’image musicales, qu'il convient d'intégrer à son
Organon mimétique.

Il importe de se poser la question des rapports de l'art, de la religion et de la philosophie dans


le Grand Traité de la Musique. Néanmoins, l'esthétique comme discipline n'existe pas encore
au Moyen Âge. En outre, quand Platon et Aristote – qui constituent les sources constantes
d'Al-Fārābī – parlent d'art et d'image, ils se réfèrent surtout à la peinture et au théâtre. La
musique, qui touche le fond de l'âme, semble bénéficier d’un traitement particulier, de l'ordre
de la subjectivité et de l'affectivité plus que de la représentation.
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A Une philosophie de l’art

Dans le Grand Traité, la musique fait l’objet d’une philosophie de l’art, basée sur la
connaissance de la psychologie des passions de l’homme et de ses facultés, associée à une
physique atomiste.

1 L’esthétique psycho-physique

Pour s’éloigner de l’Un-Nombre pythagoricien et se rapprocher de l’Un-Dieu, il est


nécessaire de développer l’esthétique sous son aspect psycho-physique, plutôt que
mathématique.

De même, puisque la connaissance de Dieu est abstraite mais qu’elle s’abolit dans
l’inconnaissable, elle recourt à l’immédiateté du sensible. Cela est illustré par
l’esthétique médiévale issue de la pensée de Plotin.

Comme Al-Fārābī ne réalise pas de calculs sur les notes en soi, elles demeurent de
simples idéalités, produites par la physique du son, tandis que le rythme est représenté
par des atomes de temps idéalement délimités.

Pour les penseurs gréco-arabes, le temps musical, abstrait et linéaire, existe hors de la
pensée qui le saisit objectivement. Nulle part ils n’affirment que le temps en soi n’est
pas mesurable. Dans le Timée de Platon, le Démiurge fabrique le nombre du temps.
Cependant, le temps n’est-il pas aussi une réalité subjective, que l’âme déploie sans la
constituer, puisqu’elle forme une partie de l’Âme du monde ? De plus, le soufi ne vit-
il pas un instant d’éternité dans son extase tournoyante ?

Pour la mélodie, en ce qui concerne les intervalles de l’octave arabo-persane, ils sont
au nombre de vingt-deux, comme ceux des shrutis indiens, bien que seuls dix-sept
intervalles soient fréquemment utilisés par les musiciens orientaux.

Pourtant, Al-Fārābī ne se réfère pas au symbolisme des vingt-deux intervalles et des


sept notes de l’octave, qui exprime l’universalité de la musique, pas plus qu’il ne
mentionne le symbolisme de ce rapport en astronomie. En effet, le rapport 22/7
représente la perfection du cercle, pour les pythagoriciens et les hindous70.

70 Alain Daniélou, Traité de musicologie comparée, Paris, Hermann, 1987, pp. 110-111.
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En réalité, la théorie des cordes de Pythagore, pour le ton, est imprécise, de même que
l’utilisation des nombres fractionnaires par Aristoxène, pour définir les genres.
Comme le pouvoir de la théorie musicale, celui du jugement de l’oreille, auquel
Aristoxène accordait un privilège absolu, rencontre aussi ses limites71.

C’est pour cette raison que Al-Fārābī souhaiterait recourir à une physique du son –
assortie de l’impetus alexandrin qui explique la transmission du mouvement – ainsi
qu’à d’autres avancées scientifiques dont il aurait la prescience dans son étude
(théorie des vibrations, logarithmes, dynamique des fluides).

Le Livre des Éléments du Grand Traité de la Musique pose donc les fondements
d’une physique du son, de sa production et de sa transmission, et de cette variété de
son qu’est la note :

« La note est un son unique qui se poursuit pendant une durée perceptible au sein du
corps dont il est né. »72.

Le Grand Traité de la Musique aborde également la physique du son des flûtes, qui
annonce la dynamique des fluides73.

Or, cette science du son est une physique atomiste.

Du point de vue de la méthode, Al-Fārābī distingue l’induction de la déduction, qu’il


nomme respectivement synthèse et analyse. L’art musical s’appuie sur la synthèse et
donc sur les principes de la physique du son d’Aristote et de ses disciples, dont
Straton. Al-Fārābī reprend le Traité de l’âme d’Aristote, qui développe une physique
du son à partir de l’étude de la perception, mais il décrit les corps non sonores et
sonores d’une manière plus imagée, plus physique qu’Aristote74.

Le son résulte d’un choc et d’une résistance à celui-ci. Prise en étau, une portion d’air
comprimé s’échappe en rebondissant, telle une perle pressée entre ses doigts. Le son

71 Aristoxène, Éléments Harmoniques, Livre II, Chapitre Premier, Charleston, Nabu Press, 2014.

72 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre des Éléments, Premier Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, pp. 80-82.

73 Ibid., Livre des Instruments, Deuxième Discours, pp. 262-268.

74 Aristote, De l’âme, Livre II, Chapitre 8, Paris, Vrin, 2002.


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résulte du choc des corps et sa force est proportionnelle à la compression de l’air. Al-
Fārābī reprend la distinction d’Aristote, entre les corps polis et les corps rugueux, qui
accroissent et affaiblissent la force du son (exemples de l’airain et de la laine). Il y
ajoute toutefois le cas où l’air lui-même est frappé, comme avec un fouet, de sorte
qu’il est possible de définir l’acuité et la gravité.

C’est ce qu’affirme Al-Fārābī :

« L'acuité et la gravité du son dépendent généralement du degré de


compression imprimé aux molécules d'air qui rebondit sous le choc. Plus cette
compression est grande, plus le son est aigu. Plus elle est faible, et plus lâche
est le milieu, plus le son est grave. »75

En réalité, le Grand Traité de la Musique transmet la théorie du son d’Aristote, mais


en la faisant évoluer. Nous passons à une physique de la compression et de la
décompression, avec communication à un milieu selon l’impetus alexandrin, mais
sans notion explicite du phénomène vibratoire76.

D’autre part, Al-Fārābī revient au matérialisme atomiste de Démocrite, en rupture


avec la physique des éléments d’Aristote. Il s’agit d’une forme d’atomisme naïf,
propre aux « intuitions atomistiques » définies par Gaston Bachelard.

L’atomisme de l’espace est nécessaire à la création du monde par Dieu. Néanmoins,


la création dans le temps semble réfuter la perfection de Dieu et l’éternité du monde.
Il faudra donc appliquer l’atomisme au temps, constitué de petits moments
indivisibles, d’atomes de temps, pour libérer Dieu de la contrainte du temps linéaire.
Les néoplatoniciens cherchaient à concilier l’éternité du monde et sa création, mais en
excluant la souveraineté de Dieu, ce qui explique la théorie de l’émanation.

Al-Fārābī représente donc le rythme par des atomes de temps idéalement délimités.

75 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre des Éléments, Premier Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, p. 82.

76 Cf. Amine Beyhom, Théories de l'échelle et pratiques mélodiques chez les Arabes - L'échelle générale et les

genres - Théories gréco-arabes de Kindi (IXe siècle) à Tusi (XIIIe siècle), Paris, Geuthner, volume 1, tome 1, 2010.
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En vérité, le rythme intéressait peu les Grecs. Il constitue une nouveauté, dans le
Grand Traité de la Musique, mais seul le développement de l’horloge soumettra
véritablement la musique aux impératifs rythmiques.

Au demeurant, pour les penseurs médiévaux, l’instant forme une division artificielle
du temps. Dans leur pensée, n’existerait-il donc pas de place pour un flux de
conscience du temps musical intérieur, qui échapperait à la théorie mathématique de
la musique ? À tout le moins, Al-Fārābī distingue bien le rythme de la cadence :

« Lorsque l’évolution d’une mélodie est accélérée par l’introduction de


percussions supplémentaires, les Arabes donnent à cette évolution le nom de
idrāj (gradation). Si le passage d’une note à une autre est accéléré sans que
cette accélération soit due à l’introduction de percussions supplémentaires, les
Arabes donnent à cette opération le nom de hath. La gradation ne change donc
pas la durée totale de la mélodie, tandis que l’accélération la modifie, la réduit.
»77.

D’autre part, le matérialisme milésien d’Anaximandre a-t-il inspiré Al-Fārābī ? Pour


Anaximandre, il existe deux principes, le Temps (Chronos) et la Justice (Dikè), qui
régissent la lutte des contraires de la matière dans un Illimité (Apeiron) sans éléments.

De même, le retour à Empédocle permettait aux néoplatoniciens de faire évoluer la


physique aristotélicienne, selon laquelle les corps obéissaient à une finalité propre,
celle du passage de la puissance à l’acte. Au contraire, la physique d’Empédocle
postulait l’existence de deux forces universelles exerçant leurs effets sur tous les
corps, à la manière de la physique mécaniste, et cette physique était atomiste, même si
elle se limitait à quatre éléments.

Cependant, une science expérimentale de la musique s’appuie également sur une


psychologie des passions.

77 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre de la Composition musicale, Premier

Discours, dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 2, 2001, pp. 38-39.
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2 L’expression des passions

La psychologie musicale est celle d’un ethos.

La mélodie est composée dans des buts précis en rapport avec les passions, grâce à la
couleur des genres, mais en distinguant bien, d’une part la théorie mathématique de
l’harmonisation, et d’autre part la psychologie de l’expression musicale associée au
chant, avec le concours de la poétique, de la rhétorique et de la morale. En effet, la
rhétorique intervient dans la poésie chantée, quand celle-ci veut user de persuasion.

Dans le Livre de la Composition musicale du Grand Traité de la Musique, Al-Fārābī


traite de l’action de la musique sur les passions78. Parmi les modulations du chant
poétique, peuvent être identifiées celles qui procurent du plaisir, celles qui provoquent
des passions et celles qui donnent plus de portée aux paroles.

Avicenne (980-1037), disciple d’Al-Fārābī, développera une musicothérapie, à partir


des intervalles consonants et dissonants qui génèrent des états de tension ou de
détente.

La base des mélodies est constituée des sensations naturelles, c’est-à-dire celles qui
sont éprouvées par le plus grand nombre. Cependant, la finalité de la mélodie est
d’être vocalisée, et cette vocalisation est assujettie aux règles de l’art, qui sont les lois
de la composition.

3 L’art en tant qu’art

Le Grand Traité de la Musique semble penser l’art en tant qu’art, et non plus comme
simple résultat d’une technique au service d’un projet. Il faudrait ainsi parler de
philosophie de l’art surtout en ce sens.

L’art en tant qu’art est-il l’art pour l’art ? Comment est-il possible cependant d’être
platonicien et de cultiver l’art pour l’art, alors que selon Platon il n’existe d’art que
pour la vie, en fonction de ses avantages et de ses inconvénients pour elle ?

L’art en tant qu’art impose à toute nécessité intérieure l’impératif de se plier aux lois
de la composition musicale. Il existe une vie des formes, qui n’a de but qu’elle-même,
et l’art existe en tant qu’art ainsi.

78 Ibid., Livre de la Composition musicale, Deuxième Discours, p. 88.


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Al-Fārābī reconnaît plutôt la multiplicité des formes musicales, en fonction du milieu


géographique et du climat qui déterminent la physiologie et le comportement. Ce
faisant, ne va-t-il toutefois pas jusqu’à recourir à un « élémental » présocratique,
(chaud/froid, sec/humide) qui modifierait la voix ?

Cependant, le caractère perceptif de la musique échappe à l’art de persuader, plutôt


conceptuel, de la rhétorique et de la poétique, que les penseurs arabes incluent dans
l’Organon logique d’Aristote.
Dans le Grand Traité de la Musique, se trouve donc déjà un culte moderne de l’objet
musical et de sa singularité « ontologique », objet qui existe pour lui-même, sans
finalité aucune, et qui revêt un sens symbolique.

– La musique arabe est-elle baroque ?

Bien que la musique arabe classique n’utilise pas le contrepoint, parce qu’elle est
monodique, il existe chez elle comme un maniérisme baroque, celui du quart de ton,
qui est intrinsèque à son ethos. Le maniérisme repose sur la dissonance qui n’offense
pas l’oreille, ce que permet précisément le quart de ton.
Physiquement, une fréquence de quart de ton ne peut pas vibrer en harmonie avec une
fréquence de demi-ton. Le quart de ton, ou diésis, appartient au genre enharmonique.
La musique arabe altère donc des notes avec des demi-dièses et des demi-bémols. À
la limite de la perception par l’ouïe, et comme la musique indienne, la musique arabe
utilise également d’autres micro-intervalles plus petits que le demi-ton, tel le limma,
plus petit de 1/10 de ton que le demi-ton, ou bien le comma, qui équivaut à 1/8 de ton.
Le double limma vaut un ton mineur ; le comma, un surplus de ton sur deux limmas ;
le quadruple limma, une tierce mineure ; l’apatome, un comma plus un limma.
Par exemple, le comma sépare le do dièse du ré bémol. Le diésis, ou quart de ton,
sépare le bécarre du bémol. Sur le oud, au-dessus de l’annulaire, les touches orientales
du médius perse et du médius de Zulzul permettent d’atteindre le quart de ton.

Ainsi, le système pentatonique de Pythagore (do, sol, fa, ré, la) est rendu instable par
la mobilité du mi et du si, qui s’accroît quand ces notes sont bémolisées, ou quand
leur est ajoutée la hauteur intermédiaire du quart de ton ou demi-bémol, dans la
musique orientale.
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Dans le Timée, Platon retrouve, par ses calculs, cette distinction entre les notes du
système pentatonique et les notes mobiles « orientalisables » 79. La musique arabe ne
donne-t-elle pas à comprendre qu’aucune construction purement intellectuelle
n’exprimera jamais parfaitement les passions et la profondeur de l’âme humaine, pour
ébranler celle-ci ?
D’une autre manière, la pratique musicale arabe entre en dissonance avec la théorie
musicale grecque. En effet, elle se particularise par l’idiophone de l’instrument à
percussions, ou par l’instrument à vent, telle la flûte arabe, tandis que le luth arabe, le
oud, est la métamorphose de la lyre grecque, à laquelle un manche et des volutes ont
été adjoints.

Hors de toute finalité, sinon celle de l’utilité vitale, les mélodies orientales donnent
libre cours à la création et à l’interprétation, en favorisant l’improvisation. Le culte de
l’objet musical des Orientaux pour lui-même donnera la nostalgie d’un paradis perdu
à l’Occident.
Il est vrai que la musique arabe est elle-même imprégnée de la nostalgie d’un monde
divin.

B Philosophie de l’art et spiritualité


La philosophie de l’art d’Al-Fārābī ne se limite pas à la psychologie des effets de la
mélodie enrichie par le rythme, car elle semble être liée à la spiritualité.
1 L’image prophétique

L’image de la forme harmonique serait semblable à l’image prophétique.

En effet, la mimétique, par la mélodie parfaite qui constitue la métaphore des figures
harmoniques de la raison, ne peut concerner directement celle-ci. C’est pourquoi elle
s’adresse à une forme d’imagination pure (tahayyul et tasawwur), issue de la
prophétie, et qui représente l’auxiliaire de la raison.

79 Platon, Le Timée, 34 c-36 c, dans Œuvres complètes, trad. Luc Brisson, Paris, Flammarion, coll. « Essais »,

2011.
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En principe, l’imagination a pour origine la sensation. Elle forme une combinaison


d’idées, une déformation d’images existantes qui peut être poétique. Néanmoins, les
Grecs ont distingué l’imagination compréhensive de l’imagination non-
compréhensive. Diogène Laërce, dans Vies, doctrines et sentences des philosophes
illustres, oppose « une image qui vient de ce qui existe réellement » et celle
concernant « ou bien ce qui n’existe pas, ou bien ce qui existe mais non réellement
»80. L’imagination pourrait-elle être une création ex nihilo ? L’être humain, dans son
œuvre de connaissance, n’est-il néanmoins pas parti d’une totale ignorance initiale ?

En réalité, l’image reste le moyen privilégié de l'action de Dieu sur nos pensées, dans
les profondeurs de notre âme et non dans la conscience. C’est la raison pour laquelle
le Grand Traité de la Musique étudie le rôle de l’image dès le Livre de l’Introduction.

Puisque l’image intervient dans les « dispositions avec élément rationnel », il existe
dans l’imagination des mélodies pures, analogues à des formes intelligibles :

« Nous avons dit celles qui sont agentes, et celles qui ne le sont pas. Parmi les
dispositions agentes et rationnelles, les unes agissent d’après une image vraie qui se
produit dans l’âme, d’autres selon des imaginations fausses.

Celle à laquelle convient le nom d’art de la musique pratique est une disposition
rationnelle qui agit selon une imagination vraie qui naît dans l’âme. Elle donne
naissance aux mélodies imaginées sous une forme sensible. Le second art auquel
convient ce nom est une disposition rationnelle, qui, agissant selon une image vraie
qui se forme dans l’âme, donne naissance aux mélodies sous forme d’images [non
sensibles]. »81

Platon reconnaissait une forme de vérité aux rêves divinatoires. Néanmoins, Aristote
se limitait à une explication physique, avec une possibilité d’ouverture sur l’au-delà,
car, selon lui, le rêve divinatoire constituait la perception des perturbations produites

80 Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, VII, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2

tomes, 1993.

81 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre de l’Introduction, Premier Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, pp. 7-8.
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par un moteur éloigné82. Aux pouvoirs de l’imagination pure, Aristote préférait celui
des images sensibles que le gouvernement de la cité employait pour implanter dans
l’âme des habitudes vertueuses.

D’autre part, le chant poétique fait également naître des images dans l’âme :

« Nous allons parler maintenant des manières d’être des mélodies qui font
qu’elles évoquent dans l’âme des images quand elles sont associées à un logos.
Les musiciens de notre langue n’ont pas attribué de noms à ces modalités. Il
faut que nous en inventions pour leurs diverses espèces, en nous basant sur
ceux que l’on donne aux diverses espèces de logos dont la mélodie
accompagne les phonèmes. »83

L’image est toujours d’essence plus ou moins prophétique. Cette essence apparaît
dans les songes, qui sont donc capables de vérité. Comme un Songe de Descartes a
été à l’origine de sa vocation84, il existe un songe du philosophe-prophète, qui attend
la visite d’un archange d’une sphère de l’intellect. Ce songe fonde et amorce sa
démarche intellectuelle. Le corps ne forme pas une prison, mais une voie d’accès à un
au-delà.

L’image associée à la musique rejoint donc l’angélologie de l’intellect agent.

En effet, l’imitation est la muhakat. L’imagination se dit kayal en tant qu’elle produit
des symboles et des simulacres. L’image se dit sourah, mais quand le mot se
prononce sou-rah, il signifie la Réalité suprême, le principe des existants. Cela
explique le lien de l’image et de la prophétie, qu’Al-Fārābī envisage pourtant dans un
cadre encore rationnel. De plus, ce lien influence les beaux-arts, par un ut musica

82 Aristote, De la divination dans le sommeil, dans Psychologie d’Aristote, Opuscules (Parva Naturalia), trad. J.

Barthélemy Saint-Hilaire, Paris, Dumont, 1847.

83 Al-Fārābī, op. cit., tome 2, Livre de la Composition musicale, Deuxième Discours, p. 91.

84 Cf. Jacques Maritain, Le Songe de Descartes, Paris, Corrêa, 1932. Maritain donne de ce songe une

interprétation rosicrucienne.
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pictura venant de la mélodie pure, comme l’a montré Fredj Bergaoui dans sa thèse de
doctorat85.

L’image pure de la musique ne serait-elle pas, pour Al-Fārābī, un « imaginal », une


épiphanie esthétique à base de soufisme, semblable à la théophanie de l’imagination
créatrice, qu’un phénoménologue de la religion comme Henry Corbin a définie pour
la prophétie ? Dans ce cas, l’imagination créatrice d’Al-Fārābī serait plus proche d’un
« imaginal » phénoménologique que de l’imagination transcendantale de Kant.

Cependant, au rêve de l’image s’ajoute la transe du rythme et de la mélodie.

2 La mystique du rythme et de la mélodie

Le rythme et la mélodie arabes, étudiés par Al-Fārābī dans le Grand Traité de la


Musique, sont d’inspiration mystique. La beauté de l’art vient-elle de l’Un-Dieu ? À
travers l’artiste, Dieu nous révélerait la beauté du monde en lui inspirant une œuvre
d’art de premier ordre, tout comme Dieu a mis toute sa bonté dans la beauté du
monde.

– Le rythme biologique de la musique arabe ouvre les sens à la spiritualité

Al-Fārābī aborde l’étude du rythme dans le Livre des Éléments 86, puis dans le Livre de
la Composition musicale87.

Ce traitement semble recéler un intertexte soufi dans le rythme disjoint, axé sur le
rituel préislamique, donc datant de la Jāhilīya, pour la communion avec les esprits au
moyen de l’imitation du rythme physiologique du cœur, qui entre en résonance avec
celui de la Terre, que marque le tambour.

85 Fredj Bergaoui, La Théorie de l’image chez Al-Fārābī, Thèse sous la direction d’Edmond Couchot, Paris, ANRT,

1987.

86 Al-Fārābī, Le Grand Traité de la Musique (Kitābu l-Mūsīqī al-Kabīr), Livre des Éléments, Deuxième Discours,

dans La Musique arabe [1930], trad. Rodolphe d’Erlanger, Paris, Geuthner, tome 1, 2001, p. 150.

87 Al-Fārābī, op. cit., tome 2, Livre de la Composition musicale, Premier Discours , p. 26.
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À l’origine, le rythme arabe classique tend à se confondre avec la mélodie, du fait du


caractère rudimentaire des instruments à percussions, restés proches de la nature, mais
il s’en distingue et lui est consubstantiel.

Les rythmes disjoints donnent ordre, noblesse et beauté à l’évolution de la mélodie,


davantage que les rythmes conjoints, sauf quand ces derniers sont lourds, c’est-à-dire
accentués88. Le rythme constitue un intervalle vertical, opposé au caractère horizontal
de l’intervalle de la mélodie. Al-Fārābī définit ainsi une forme d’accentuation du
rythme, qui est lourd, léger ou modéré, et qui annonce la distinction entre temps fort
et temps faible.

Pourtant, la notation d’Al-Fārābī ne comporte ni timbre, ni accent pour les


percussions. De plus, au contraire de celle d’Ibn Zala (XI e siècle), sa notation s’aligne
sur la métrique poétique, en privilégiant l’aspect quantitatif du rythme, tandis que ses
composantes qualitatives sont ressenties par une vibration intérieure. Al-Fārābī figure
par des cercles (O) les atomes de rythme des percussions (tan, ta ou na), et les
silences par des points. L’ornementation devra remplir les silences. Quand elle est
assurée par un autre instrument, il s’agit de la polyrythmie.

Du point de vue quantitatif, le rythme possède deux unités de mesure opposées et


arithmétiques : d’une part le « temps premier » (al-zamān al-’awwal) symbolisé par
les cercles (O) et les points, d’autre part le « temps primitif » (zamān al-mabda’)
représenté par les syllabes tan, ta ou na. L’un est le temps le plus court compatible
avec le rythme à transcrire, l’autre a une durée qu’Al-Fārābī présente ainsi : « la plus
longue durée d’une note adaptable à un rythme équivaut à celle de l’articulation de
huit syllabes légères [ou brèves] suivies d’une pause ; la valeur de cette pause étant à
peu près double de celle du temps qui sépare l’attaque de deux de ces syllabes, émises
de suite, sans arrêt »89. Cela revient à dire que le temps premier est la basse d’un
temps chanté primitif. Les durées du cycle rythmique sont à la fois les multiples du
temps premier et les subdivisions du temps primitif.

88 Ibid., p. 39.

89 Ibid., pp. 28-29.


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Cependant, dans l’aspect quantitatif du rythme, les syllabes tan, ta et na indiquent


seulement la place des frappes du grave et de l’aigu sur la peau de l’instrument, et non
les durées des temps qui séparent les frappes dans un cycle rythmique. Ces durées
sont donc de l’ordre de la vibration intérieure, car les syllabes ne correspondent pas
aux points qui séparent les cercles (O) dans le temps premier. Certes, Al-Fārābī ajoute
les syllabes au-dessus des cercles, mais elles ne sont dynamiques que lorsqu’elles sont
égales à la brève du temps premier ou à son double.

La composante dynamique du rythme est donc essentiellement qualitative et non


représentable, car elle est celle d’une durée intérieure.

Or, un rythme disjoint qui anime le rythme primitif des battements et des silences
réguliers, en se mélangeant avec lui, reproduit le rythme physiologique du cœur (deux
battements séparés par un petit silence et un grand silence). Le rythme disjoint
provoque un transport spirituel, celui de la transe soufie.

Au rythme conjoint primitif, le Hazaj, se mêle le rythme disjoint, imitatif du rythme


cardiaque, qui lui insuffle la vie. Leur mélange donne les rythmes Léger-Ramal,
Ramal, Lourd-Second, Mahuri ou Léger du Lourd-Second, Lourd-Premier, et Léger
du Lourd-Premier, en fonction de leur accentuation. Al-Fārābī distingue sept rythmes
arabes traditionnels, en ignorant leur rapport avec les sept planètes.

De même, la mélodie mélange une ligne mélodique et une ligne d’ornementation, que
permet l’improvisation de la musique modale. D’ailleurs, un intervalle est essentiel à
la mélodie elle-même, car il lui sert d’ornement en créant une disjonction.

D’autre part, dans la mélodie entrelacée du chant, il existe des notes pleines, qui
peuvent accueillir plusieurs phonèmes successifs, et des notes vides qui ne
contiennent qu’une syllabe ou la modulation d’une voyelle prolongée sur deux temps.
Les deux catégories de notes s’embellissent entre elles 90. La mélodie de la musique
orientale est fine et suggestive, en dépit de sa monodie. Elle est toute en nuances, en
variations par déplacements de touches de quantités minimes, par ajouts de notes
supplémentaires aux notes essentielles, de fioritures et d’accents.

90 Ibid., Livre de la Composition musicale, Deuxième Discours, pp. 66 -67 et pp. 75-77. Cette technique est plus

compliquée que la modulation de Kyrie et Amen, dans le plain-chant.


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D’ailleurs, l’évolution de la mélodie est guidée par les deux tableaux, dans lesquels
les notes sont représentées par des lettres :

a) tableau des espèces particulières d’octave, de quarte et de quinte ;


b) tableau des formes particulières d’évolution à travers les notes d’un groupe,
lequel combine les genres résultant du partage de la tierce91.
Par ce mélange de la ligne mélodique évolutive et de la ligne d’ornementation, cette
mélodie invoque la dualité et le mixte de la multiplicité et de l’unicité, dans un élan
mystique, qui pressent par la musique l’Un et le Multiple du divin.

3 Art, religion et philosophie

La spiritualité, avec ses sensations, ses images et son bonheur suprême, semble
expliquer le rôle central de la musique dans l’œuvre d’Al-Fārābī, qui accorde à la
musique une place bien plus importante que Platon et Aristote. L’appréhension de la
matière sonore de la musique nous fait oublier l’écoulement du temps et l’angoisse de
la conscience que nous en avons.

L’intelligence de la matière sonore dans l’élément de l’air, perçue au moyen du corps,


forme l’union de l’intellect agent et de l’intellect matériel. Elle s’appuie sur la
psycho-physique du son de l’Antiquité.

En effet, les penseurs gréco-arabes, sous l’impulsion d’Al-Fārābī, ont manifesté un


effort encyclopédique proche de celui de la Renaissance européenne, pour restituer la
pensée scientifique, morale et politique de l’Antiquité dans toute sa rigueur et sa
diversité, tout en relativisant la pensée dogmatique de la religion. En ce sens, la
théorie musicale leur ouvrait des horizons.

C’est pourquoi, si la musique arabe est imprégnée de mysticisme, pour elle


l’inconcevable n’est pas l’irrationnel. Cependant, comment l’expérience mystique, qui
ressemble à un délire, à un mode de vie au-delà de la raison, peut-elle être rendue
compatible avec le rationalisme gréco-arabe ? Pour lui, la religion n’aurait-elle donc
pas plutôt une fonction comparable à l’art et à la philosophie ? L’éclectisme
alexandrin des penseurs gréco-arabes est ouvert à des vérités intelligibles qui ne sont
pas différentes de celles que les prophètes ont reçu de Dieu.

91 Ibid., Livre de la Composition musicale, Premier Discours, pp. 18-26.


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Les néoplatoniciens estimaient que le salut de l’âme passait par la purification de la


philosophie, parce que Dieu a inspiré Platon. Néanmoins, les penseurs gréco-arabes
préféraient la connaissance dialectique fondée sur une supposition, à l’unité
immédiate des choses, même s’ils étaient ouverts au monde éternel des anges, des
morts et des prophètes, ainsi qu’à la pratique de la clairvoyance qui fait connaître le
passé et l’avenir au-delà du monde.

Cependant, le syncrétisme néoplatonicien ne tend-il pas surtout à considérer la


philosophie comme un art ? En procédant par intuitions, images, tâtonnements et
inspirations, la pensée et l’écriture philosophiques ressemblent à une démarche
artistique. À cela, nous objecterons que si la philosophie est semblable à la science et
qu’elle explique l’art, sa fonction n’est pas d’embellir la science.
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CONCLUSION

Quel rapport le calcul des intervalles de l’échelle des sons entretient-il avec le chant du
chamelier dans la langue des animaux ? Un rationaliste persan peut-il appeler sans
conséquence la note la plus grave Proslambanoménos, du nom de la note céleste du
pythagorisme reliant la Terre à la Lune ?

Ouvrage éclectique, qui contenait initialement une compilation perdue de l’héritage de la


musicographie alexandrine pour un calife persan, savant et artiste, le Grand Traité de la
Musique nous a légué une théorie mathématique et une science empirique de la musique, dans
lesquelles Al-Fārābī parle pour son compte, comme dans ses ouvrages politiques.

D’entrée de jeu, le Grand Traité de la Musique aborde la perception acoustique qui, reposant
sur un bon sens arabe, reconnaît l’harmonie comme ce qui lui est agréable. De la même
manière, l’oreille permet l’accordage des instruments et amorce l’accès aux intelligibles de la
musique. C’est pour cette raison que le recours aux mathématiques, pour faire de la musique,
ne sert qu’à compenser un défaut d’oreille. Au surplus, les calculs mathématiques sont
approximatifs, quand il s’agit de partager le ton.

Le dialecticien de la science empirique effectue une démonstration rigoureuse à partir de la


probabilité du bon sens. Dans celle-ci, il recourt à la logique élargie à la rhétorique et à la
poétique, laquelle concerne aussi le chant poétique, sommet de la musique. En un sens très
large, la musique appartient à une logique « informelle », que les Alexandrins ont attribué à
Aristote, en même temps qu’ils ont donné leur assentiment à sa pseudo-Théologie, paraphrase
de Plotin.

Cependant, la science empirique de la musique s’épanouit dans la théorie psycho-physique


des instruments, dont le plus beau reste l’organe vocal du chant. L’invention, l’amélioration et
l’accordage des autres instruments reposent aussi sur l’expérience.

Il en est de même pour la composition musicale, qui constitue l’art de la mélodie et du


rythme. L’image, analogue au rêve prophétique et liée à la transe du rythme disjoint, est le
ressort de cette composition musicale. Quant à la composante dynamique du rythme, elle est
qualitative, mais elle n’est pas représentée, car elle est ressentie par une vibration intérieure.
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Quelle est donc la nature de l’empirisme musical, qui a une valeur égale à celle de la science
théorique de la musique ?

Il repose sur l’immédiateté de l’intuition. Cette dernière se donne dans le plaisir de la sensa-
tion musicale, qui fait naître une image, et qui s’épure dans l’intellect matériel devenant ac-
quis. Une autre image, née dans l’imagination pure et analogue à une forme, vient toutefois
aussi au musicien, qui est semblable au mystique, inspiré de façon directe quand il rêve, et
dont l’âme immortelle s’unit à Dieu. Enfin, l’intuition intellectuelle des intelligibles purs – qui
est comme l’inconscient mathématique de la musique – illumine l’intellect acquis dans une
cosmologie des sphères, qui est régie par la mesure d’une harmonie sans notes célestes.

En réalité, dans la pensée gréco-arabe, il n’existe pas d’opposition ni entre le savoir et la foi,
ni entre l’art et la religion. Ainsi, l’inspiration empirique du Grand Traité de la Musique pro-
vient de la spiritualité. Il s’agit d’une forme d’intuitionnisme prophétologique de l’image, que
préparent une logique plurielle et une psalmodie universelle, avec ses rythmes, sa modulation,
ses silences et ses soupirs, et qui possède un analogue dans le plain-chant latin.

D’ailleurs, la cosmologie de l’Un-Dieu, la politique de la Cité vertueuse, comme la poésie qui


atteint son sommet dans le soufisme persan, bénéficient d’une même harmonie. La psalmodie
représente la langue universelle du monde, parce qu’en son fond celui-ci est discontinu, com-
posé d’atomes de matière et de vide, tel un rythme.

Ainsi, l’éclectisme, qui caractérise le néoplatonisme et dont hérite la philosophie gréco-arabe,


trouve son ciment dans la spiritualité. Cette forme d’éclectisme autorise également la science
duale de la musique.

Néanmoins, si la religion et le savoir, incluant la science de la musique, se confirment l’un


l’autre, ils s’entre-corrigent également. Par ailleurs, il est surtout essentiel que la raison ne va-
lide que la religion vertueuse, celle qui admet les vérités de la philosophie comme étant aussi
les siennes. Cela conditionne le mélange de l’art et de la spiritualité.

De même, si le soufisme inspire l’art musical, cette mystique est esthétisée sous la forme du
soufisme d’amour, donc non-annihilateur, qui repose sur la sensation, l’image et le bonheur.

L’éclectisme fait voir enfin que la critique anti-orientaliste s’applique difficilement à la pen-
sée gréco-arabe, qui n’est pas une fabrication de l’Occident latin, car elle s’inscrivait d’elle-
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même avec dévotion dans la tradition philosophique des Grecs, qu’elle faisait évoluer lente-
ment. Les falāsifa ont compilé les œuvres des auteurs grecs. Ils ont copié, résumé, commenté,
paraphrasé et réécrit ces œuvres traduites dont la source était oubliée. Si l’intellect était pour
eux une forme d’intelligence collective, de nos jours leur pratique philosophique serait celle
d’une intelligence en réseau, servie par la technologie la plus évoluée.

Cependant, le Grand Traité de la Musique, manuel d’initiation, représente-t-il un ouvrage


pour initiés, comme l’écrivaient les théosophes pythagoriciens ? S’il comporte des obscurités,
il s’inscrit surtout dans une intention pédagogique et morale, qui est celle de l’ironie gréco-
arabe. Les Préliminaires indispensables à l’étude de la philosophie recommandent de mettre
en pratique, par ce moyen, une purification, une sélection et une endurance de la pensée, à
l’invitation d’Aristote92.

92 Cf. Les Préliminaires indispensables à l’étude de la philosophie [de l’Almantiqiyyāt lil-l-Fārābī], dans Al-Fārābī,

Philosopher à Bagdad au Xe siècle, trad. Stéphane Diebler, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points Essais », 1994.
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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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La religion (al-Milla), trad. Amor Cherni, Paris, Éditions Albouraq, coll. « Sagesses
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Le Compendium des Lois de Platon (Nawāmīs Aflātūn, Alfarabius Compendium legum


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Le Livre de la poésie [de l’Almantiqiyyāt lil-l-Fārābī], dans Al-Fārābī, Philosopher à Bagdad


au Xe siècle, trad. Stéphane Diebler, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points Essais », 1994.

Le Livre des lettres ou Livre des particules (Kitāb al-Hurūf), [Grammaire], trad. Aziz Hilal,
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Le Livre du régime politique (Kitāb al-Siyāsa al-Madaniyya), trad. Philippe Vallat, Paris, Les
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Les Préliminaires indispensables à l’étude de la philosophie [de l’Almantiqiyyāt lil-l-Fārābī],


dans Al-Fārābī, Philosopher à Bagdad au Xe siècle, trad. Stéphane Diebler, Paris, Éditions du
Seuil, coll. « Points Essais », 1994.

Opinions des habitants de la cité vertueuse (Mabādī’ Ārā ahl al-Madīna al-Fādila), trad.
Amor Cherni, Paris, Éditions Albouraq, coll. « Sagesses musulmanes », 2011.

Three Arabic Treatises on Aristotle's Rhetoric: The Commentaries of Al-farabi, Avicenna, and
Averroes, trad. Lahcen Elyazghi Ezzaher, Carbondale, Southern Illinois University Press,
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Traité sur les règles de l’art des poètes par le Second Maître [de l’Almantiqiyyāt lil-l-Fārābī],
dans Al-Fārābī, Philosopher à Bagdad au Xe siècle, trad. Stéphane Diebler, Paris, Éditions du
Seuil, coll. « Points Essais », 1994.

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Paris, Geuthner, tome 4, 2001.
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