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Revue du Nord

David (Maurice) — Un rétable des « Sept Archanges » au Musée


de Douai. — Fascicule XXXII des Mémoires et travaux publiés par
des professeurs des Facultés catholiques de Lille, 1927
F Beaucamp

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Beaucamp F. David (Maurice) — Un rétable des « Sept Archanges » au Musée de Douai. — Fascicule XXXII des Mémoires et
travaux publiés par des professeurs des Facultés catholiques de Lille, 1927. In: Revue du Nord, tome 14, n°56, novembre
1928. pp. 292-296;

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livre même, qui nous donnera la reconstitution complète de cette curieuse


économie, ayant passé un peu comme un météore. Les deux premières
parties n'appellent que des éloges. Dans la troisième, qui concerne « la
répartition », nous croyons que l'auteur aurait pu apporter plus de précision à
définir ce qu'il serait possible d'appeler « les- catégories économiques des
personnes », ou, si l'on préfère, la hiérarchie des professions : marchands,
entrepreneurs, drapiers, fabricants, maîtres, apprêteurs, valets. La place,
le rôle de ces divers participants à l'économie n'apparaissent peut-être pas
avec une clarté parfaite. Quel est par exemple le sens du mot apprêteur :
est-ce un fabricant-maître en général, ou un fabricant de l'apprêt en
particulier ? Il y a aussi des drapiers qui, les uns, ont des valets, les autres,
des tisserands maîtres... ? Bref, un tiers de page de définition, croyons-
nous, n'aurait pas été inutile. Cette légère obscurité, due simplement à la
trop grande brièveté de l'exposé, disparaîtra naturellement dans un travail
plus étendu. Georges Es pin as.

David (Maurice). — Un rétable des « Sept Archanges » au Musée de


Douai. — Fascicule XXXII des Mémoires et travaux publiés par des
professeurs des Facultés catholiques de Lille. — 22 p., 3 planches. Lille,
Facultés catholiques, 1927.
Sous le titre : « Un rétable des Sept Archanges au Musée de Douai »,
M. Maurice David a publié un excellent travail.
Il s'agit d'un rétable de bois sculpté et doré (1.68 X 0.97), rapporté
d'Italie par M. Foucques de Wagnonville, et légué par lui au Musée de
Douaà. L'auteur en a compris l'intérêt iconographique, qu'il reconnaît
d'ailleurs comme très supérieur à la valeur d'art du rétable.
Très fouillée, l'étude donne d'abord la description générale du rétable et
note au passage les traditions, les nouveautés ou les anomalies
iconographiques que comporte le décor du fronton. Mais, c'est surtout la bande
rectangulaire placée sous ce fionton, qui a retenu l'attention de M. David :
c'est là, en effet, que sont figurés, debout sous des arcades, sept anges
différenciés par des attributs qu'ils tiennent à la main.
C'était chose peu aisée de reconnaître, dans ces sept figures ailées, non
pas des anges,; mais, représentation très rare, les Sept Archanges, « dont le
culte, très ancien, mais tenu en suspicion par l'Eglise catholique, et
condamné plusieurs fois, eût au XVIe siècle un regain de popularité ».
Quels sont ces sept archanges ?
M. David rappelle les textes de l'Ecriture qui mentionnent leur nombre
(Tobie, XII, 15, Apocalypse, XV, I — VIII, 2). Selon l'auteur, les textes
authentiques n'en nomment que trois : Gabriel, Michel, Raphaël. « Les
quatre autres archanges, dit M. David, ne sont pas cités dans les saints
livres, et la liturgie catholique les ignore. Mais les apocryphes leur font une
large place ».
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v Le Livre d'Hénoch (IIe s. avant J.-C), apocryphe ou « pseudépigraphe »


de l'Ancien Testament, parle des Sept hommes blancs qui châtiaient les étoiles
coupables :
Uriel, celui du monde et du Tartare ;
Raphaël, celui des âmes des hommes ;
Raguel, qui tire vengeance du monde des luminaire» ;
Michael, préposé aux meilleurs des hommes ; .
Saraquiel, préposé aux enfants des hommes qui pèchent ;
Gabriel, préposé au Paradis, aux dragons et aux chérubins ;
Remaiel, que Dieu a préposé aux ressu cités ;
Et, ajoute le texte : « Des Archanges, ce sont les sept noms ».
Encore que le nombre biblique de sept archanges soit généralement
admis, il ne satisfera pas la curiosité humaine, et les noms de:: archanges,
presque inconnus, seront recherchés avec passion. Les Gnostiques prétendent
les connaître et, dans leurs formules magiques, ne craignent pas de mêler
ces noms avec d'autres, par exemple : Jao, Sabaoth, Khnoumis, Harpo-
crates, Abraxas et une déesse serpent (plaque d'hématite. British Museum,
IVe salle, Egypt. N. 303). > .

L'église romaine combat ce culte étrange. Elle le condamne en 363, au


Concile de Laodicée, en 492, au Concile de Rome, en 745, à un autre Concile
de Rome, qui déclare, par la bouche du pape Zacharie : « Nos autem... non
plus quant trium angelorum nomina cognoscimus, id est Michael, Gabriel,
Raphael »...
Ainsi les archanges douteux sont-ils exclus du sanctuaire. Un seul trouve
grâce, au moins chez les Grecs. C'est l'archange Uriel, qui, à la vérité, est
nommé trois fois au IVe livre d'Esdras, mais M. David tient ce livre pour
apocryphe. On voit parfois Uriel à la coupole de certaines églises byzantines,
mais, dit M. David, jamais en France, dans l'art roman ni dtns l'art yo-
thique. On n'en aurait connu qu'une seule représentation, dans une
mosaïque byzantine, vraisemblablement du VIe siècle, conservée autrefois
à la Daurade de Toulouse, mais disparue depuis 1764.
Ici, l'auteur ne semble pas d'accord avec Mgr Barbier de Montault.
Selon cet iconographe (Traité d'Iconographie chrétienne, t. II, p. 16), Uriel
est désigné nommément, non seulement sur le moule à vase liturgique
du Musée d'Orléans (VIIe siècle), que signale M. David, mais encore sur
le nœud d'une crosse d'ivoire du Musée de Lyon (XIe siècle).
La mosaïque de la Daurade est connue, grâce à une description détaillée,
établie après la restauration de 1633. Dans la mosaïque, étaient figvrés les
attributs spéciaux à chacun des quatre archanges désignés par les
inscriptions suivantes : HVRIHIL. — MICAHIL. — GABRIEL. — RAFAEL.
Quant aux sept archanges, M. David en a retrouvé les noms, dans un
manuscrit de la Bibliothèque de Cologne (CLXXIV) du Xe ou peut-être du
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,:IX*. siècle. C'est là qu'apparaît bien le caractère superstitieux de la


dévotion envers les sept archanges.
« Nomina archangelorum. — GABRIHEL archangelus cum tonat habe in
mente, et non nocebit tibi. — MICHAEL cum te mane levas, in mente habe,
et letum diem habebis. — ORIHEL contra adversarium tuum in mente habe
et omnia vincis. — RAPHAEL cum panent tuum et potum intaminas in
mente habe et omnia habundabit tibi. — RA GVHEL cum in itinere exieris in
mente habe prospéra agebis. — BARACHAEL cum judicem alicum potentem
salutare volueris et omnia explicabis. — PANTASARON cum in convivio
veneris in mente habe et omnes congandebunt tibi ».
« Pendant tout le moyen âge, écrit M. David, ce culte plus ou moins
orthodoxe reste en faveur. Nombreux sont en Italie, en Ombrie surtout, les
sanctuaires dédiés aux anges... ».
A la fin du XVe siècle, Brunellesco ayant à élever une église des Anges,
trace un plan circulaire à sept chapelles. L'édifice n'a jamais été achevé,
mais le plan existe, et il est copié sommairement dans l'album dit de Michel-
Ange (Musée de Lille).
C'est d'ailleurs, ajouterons-nous, vers la fin du XVe siècle, également,
que Pérugin peint, au Vatican même, les quatre archajQges : Michel,
Gabriel, Raphaël et Uriel (1). La Renaissance semble bien éveiller une
curiosité nouvelle autour de la question des archanges inconnus.
« Au XVIe siècle, dit M. David, la dévotion aux sept archanges jouit
d'une faveur inattendue et faillit obtenir une consécration officielle ».
Une découverte, faite en 1515 à Sant-Angelo de Palerme, en fut la cause.
On y avait retrouvé, en très mauvais état, une fresque donnant la figuration,
les noms et les fonctions des sept anges. Leur culte fut repris, une confrérie
instituée. On essaya même de ressusciter le culte à Rome Une copie de la
fresque de Palerme y fut apportée, posée sur un autel au tepidarium des
Thermes de Dioclétien. Mais l'essai demeura sans suite, et le tableau
disparut.
Un autre tableau avait été placé aux Thermes : c'était une Madone
aux Sept Anges, copiée sur une mosaïque de l'église Saint-Marc à Venise. Ce
tableau existe encore et a donné aux Thermes, transformés en église par
Michel-Ange, le nom de Sainte-Marie des Anges. Mais, par ordre de
Benoît XIV, les noms des anges ont été effacés des phylactères qui les
désignaient. M. David croit cependant pouvoir les reconnaître, notamment
Gabriel, Raphaël, Salathiel, Uriel ou Michel, Barachiel.
Une icône russe, publiée en 1884 par le Bulletin Monumental, donne la
représentation des Sept Archanges : Michael tient une lance et une épée ;
Raphaël tient un vase et est accompagné d'un enfant ; Egudiel porte une
couronne et un fouet ; Salathiel a les mains croisées sur la poitrine ; Barachiel
\1) Gf. Barbier de Montault, Op. cit., T. II, p. 8.
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porte un voile couvert de fleurs ; Ogriel, une épée, Gabriel, un miroir et une
palme.
C'est à peu de chose près les noms et les emblèmes que donne aux sept
archanges un tableau de Martin de Vos (1536-1603) gravé par Raphaël
Sade.ler (1561-1628). Il est vrai que Martin de Vos a également peint deux
séries d'archanges — celles-ci de neuf figures, très différentes comme noms
et attributs, du tableau gravé par Sadeler. Et même, la première de ces
deux séries diffère beaucoup de la seconde. La première a été gravée par
G. de Jode (1509-1591) ; la seconde, par Crispin de Passe l'ancien (1565-
1637), et Philippe Galle, de Haarlem (1537-1610) — (Bibl. Nat. Cabinet
des Estampes. R. d. 1).

«Chronologiquement, écrit M. David, le panneau de Douai se place


entre les gravures de Sadeler, de Jode, de Crispin de Passe, et le tableau
vénitien (de Sainte-Marie des Anges). Par son objet, il est aussi différent
des amulettes gnostiques que des compositions de Martin de Vos. et reflète
une tradition qui, entre le XIIe et le XVe siècle, s'est peu à peu épurée et
précisée »,
L'auteur tient pour certain que « le rétable de Douai représente, avec
leurs attributs, les sept archanges, copiés de la fresque de Palerme, soit :
Uriel, celui que la fresque de Palerme désigne comme fortis socius,
porteur d'un glaive flamboyant, chargé avec Michel, Raphaël et Gabriel, de
conduire les âmes devant le tribunal de Dieu, et grand exécuteur des
vengeances divines.
Gabriel, le nuncius de Palerme, portant un miroir et une lanterne —-
attributs que lui prête le grand ménologe de Moscou, c'est-à-dire : le miroir
de jaspe sanguin et la lanterne garnie d'une chandelle allumée.
Salathiel. — Oratio Dei, à Palerme — porteur d'une monstrance ou d'un
reliquaire, et tenant par la main un enfant qui se croise les mains sur la
poitrine.
Michel, un jeune guerrier, avec casque, cuirasse, bottines (les autres
anges ont des sandales ou les pieds nus). Il tient une palme et un étendard.
C'est Michel, salutis ignifer — le victoriosus de Palerme, celui que le moyen
âge, à la suite des byzantins, prépose à la pesée des âmes, et que le
XVIe siècle représente terrassant Lucifer.
Raphaël, à Palerme medicus — figuré par un ange conduisant par la
main un enfant qui tient un poisson. De la main gauche, il serre contre sa
poitrine un vase en forme de ciboire. Ici, comme l'explique M. David,
l'iconographie est claire : « L'enfant, c'est le jeune Tobie, le poisson est celui qui
a voulu lui dévorer le pied ». Il reste cependant un doute : « Le vase est-il
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simplement un bocal- de pharmacie, tel qu'en produisaient alors les ateliers


de Faenza, ou un véritable ciboire... ?»
Ëgudiel, ou Jehadiel, le remunerator de Palerme, tient une couronne et un
fouet à plusieurs lanières, symboles des récompenses ou des châtiments
réservés aux humains dans l'autre vie. « Le même fouet, note M. David, se
voit aux mains d'Osiris et des pharaons, dans les monuments égyptiens ».
Barachiel, adjutor à Palerme, porte une corbeille de fleurs et de fruits.
C'est la bénédiction de Dieu (d'où le symbole de fruits et de fleurs). Ces
fleurs, dans l'icône russe, ne sont pas tenues par l'ange, mais brodées sur
son voile.

Ainsi les rapports entre les sept archanges de Douai et ceux de la fresque
de Palerme paraissent bien établis. Et le rétable de Douai, comme le
démontre clairement M. David, respecte une tradition très ancienne.
Mais l'auteur ne démontre pas moins clairement que ce rétable est une
œuvre factice, composite, faite de pièces rapportées, non sans habileté
d'ailleurs. « II n'est pas absolument sûr que les pièces proviennent d'une
même source ». Mais si on admet la même source - — et nous l'admettons
comme M. David — il devient évident que, suivant l'observation de
l'auteur, le panneau de Douai est constitué des restes d'encadrement d'un
tableau d'autel ou rétable qui « vraisemblablement n'a jamais servi de
rétable en son état actuel ».
« Sans être une œuvre d'art de premier ordre, conclut M. David, le soi-
disant rétable n'est pas non plus une œuvre banale. A défaut d'autre, il à le
mérite d'enrichir une série iconographique jusqu'ici bien indigente, en nous
offrant un groupe complet des Sept Archanges avec leurs attributs et de
remettre en mémoire une dévotion longtemps combattue, tolérée parfois,
le plus souvent condamnée, et peu à peu tombée dans l'oubli ».
On ne pourrait mieux, nous semble-t-il, définir l'intérêt du rétable de
Douai. Sachons gré à M. David d'avoir publié son utile travail. Non sejale-
ment nous reconnaissons avec lui, dans le rétable qu'il a si bien étudié, une
œuvre florentine ou romaine exécutée entre 1540 et 1560 environ, mais
encore nous félicitons l'auteur de l'information très abondante et de la
critique prudente et sûre, sur lesquelles s'appuient ses rapprochements et
ses conclusions (1).
:

Quoi qu'en dise M. David, l'importance et la valeur de ses recherches


seront justement appréciées de tous les érudits.
Fernand Beaucamp.
(1) Que l'auteur nous permette une petite remarque. Page 10, la
découverte de Palerme est datée de 1515 ; page 20, de 151 (?.

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