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Journal des savants

Amulettes grecques
Monsieur Louis Robert

Citer ce document / Cite this document :

Robert Louis. Amulettes grecques. In: Journal des savants, 1981, n° pp. 3-44;

doi : https://doi.org/10.3406/jds.1981.1421

https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1981_num_1_1_1421

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JANVIER - MARS 1981

AMULETTES GRECQUES

Le point de départ de ce travail fut la publication du catalogue des


amulettes du Cabinet des Médailles (Bibliothèque Nationale) à Paris. Elle était
due à Armand Delatte qui avait travaillé sur les documents de la magie
depuis 1913 et aussi sur les opérations magiques des ramasseurs de plantes
dans son volume Herbarius. Il s'était adjoint Philippe Derchain, égyptologue
connu dont la compétence profita au Catalogue pour la mythologie
égyptienne. Le volume, paru en 1964, porte ce titre : Les intailles magiques gréco-
égyptiennes (380 pp. in-8° ; 526 monuments). Chaque document est
accompagné d'une photographie et 3 planches en couleurs donnent l'aspect de pierres
diverses. La collection du Cabinet de Paris était déjà très riche dans son ancien
fonds, depuis le xvne siècle, et elle fut augmentée de façon sensible par l'apport
des collections de Wilhelm Froehner, de Gustave Schlumberger et d'Adrien
Blanchet l. Ce matériel, nouveau ou revu, a fourni une masse importante
pour l'étude, venant s'ajouter aux quatre centaines décrites, publiées en
photographies et commentées par Campbell Bonner, Studies in magical amulets
chiefly Graeco-Egyptian (334 pp. in-40 et 25 planches ; Ann Arbor, Londres
1. A. Barb (voir note 5) écrivait, p. 299, n. 7, que ces trois collections sont entrées
au Cabinet après l'année 1950 où il avait travaillé. En tout cas, la collection Froehner
y était installée depuis 1925, au lendemain de la mort du savant ; voir l'introduction de
Jean Babelon à ma publication des Inscriptions grecques (1936), pages i-v. Le don
Blanchet eut lieu en 1945 et le don Schlumberger en 1929.
4 LOUIS ROBERT

et Oxford ; 1950). Des comptes rendus détaillés et instructifs sont dus à


Karl Preisendanz 2, l'éditeur du Corpus des papyrus magiques 3, et surtout
à Henri Seyrig 4 et à Alexandre A. Barb 5. J'avais exposé au Collège de France
en 1968-1969 une série d'études sur certaines de ces amulettes ; une brève
analyse parut dans l'Annuaire de cet établissement 6. Une partie de mes
recherches est donnée ici.
Le titre « gréco-égyptiennes », comme déjà même le « chiefly Graeco-
Egyptian » de Campbell Bonner, fut critiqué par A. Barb 7, et aussi par
Morton Smith dans un compte rendu très exigeant, mais peu fécond 8. De fait
l'Egypte, avec ses traditions théologiques et mythologiques, a joué un très
grand rôle. Mais l'emploi de « gréco-égyptiennes » pour les amulettes me
paraît restreindre abusivement la part d'autres régions. Il peut arriver que
— les papyrus n'étant pratiquement conservés qu'en Egypte — la
provenance de cet admirable corpus des manuels magiques que sont les papyrus
magiques n'oriente trop exclusivement vers l'Egypte. Il ne faudrait pas
oublier la Syrie, entendue au sens large. Combien d'amulettes sont sorties
de ce pays, sous forme de pendentifs, d'anneaux, de bracelets, etc., ou sous
celle de phylactères, gravés sur le bronze et, plus encore peut-être, l'argent
et l'or ! Ceux-là étaient plies pour tenir peu de place et qu'on pût les porter
aisément ; souvent ils étaient contenus dans un tube de métal. On remarquera
dans les catalogues d'amulettes qu'une provenance syrienne assurée est
souvent indiquée. C'était le cas de la collection Péretié à Beyrouth au xixe siècle
ou de la collection De Clercq, d'objets aboutissant à Paris dans la collection
Froehner ou dans celle de Schlumberger ; le Père René Mouterde, professeur
à Beyrouth, eut à publier des collections locales, « le glaive de Dardanos »
ou les documents Ayvaz ; enfin les beaux exemplaires nombreux acquis par
Henri Seyrig — ils ont beaucoup fourni au catalogue de Campbell Bonner —
le furent au cours de son long séjour en Syrie, presque toute une vie.
Il me semble paradoxal que l'éminent Paul Perdrizet, au moins chanoine
dans la hiérarchie des clercs en sciences magiques, publiant une lamelle d'argent

2. Byzantinische Zeitschrift, 59 (1966), 388-392.


3. Papyri Graecae Magicae, Die griechischen Zauberpapyri, I (200 pp. in-8° et
3 planches ; Teubner ; 1928) ; II (216 pp. et 2 planches ; 1931).
4. Syria 1965, 409-412. Voir aussi Rev. Num. 1969, 283-285 : Tristes Hyades (sur le
n° 255 du Cabinet de Paris ; cf. ci-après section I, note 4).
5. Gnomon 1969, 298-307.
6. Maintenant Opera Minora Selecta, IV, 330-331.
7. Loc. cit., 302.
8. Am. J. Archaeology 1967, 417-419.
AMULETTES GRECQUES 5

de Syrie 9, ait indiqué que l'influence juive — dont témoigne ce phylactère —


avait dû s'exercer dans la magie à Alexandrie même où la communauté juive
était si importante. Des Syriens avaient-ils besoin de ce détour pour connaître
la pensée juive et en subir l'influence ? Dans les pages de ce mémoire le
lecteur remarquera à la fois l'influence de la Bible, sous sa forme grecque
répandue partout, et la fréquence des provenances syriennes. Un bon nombre des
documents de Syrie permettent de faire la part du sémitique, avec des
caractères hébreux ou araméens (voir ici, p. 15 et 26, « en hébreu », « en syriaque »),
des noms de puissances magiques ; le sémitique pourra véhiculer des noms
ou des notions très anciennes dans les pays syriens et mésopotamiens ; il se
prolongera bien après l'époque de nos amulettes, dont beaucoup se placent
sans doute du 111e au VIe siècle, à une époque où la magie sera sous l'habit
syriaque. Naturellement dans cette magie syncrétiste figures et noms
égyptiens apparaissent aussi en Syrie ; cela ne signifie pas que les amulettes,
phylactères, imprécations, ont été gravés, ni même conçus sous leurs formes
précises, à Alexandrie ; ces pierres ou ces feuilles sont composées et écrites
sur place par le magicien local, qui a ses traditions et sa bibliothèque
composites. Les éléments sémitiques — et d'abord juifs — de la diaspora ont passé
aussi dans les fabrications égyptiennes, puisque les Juifs de la diaspora étaient
dans toutes les villes, à Alexandrie, dans le Delta et à Cyrène comme à Antioche
et dans la Palestine. Quel contact des Juifs et des Syriens hellénisés dans une
ville comme Nysa-Skythopolis, où voisinaient les maisons juives et les maisons
païennes ! On les reconnaissait par leur décoration à l'occasion des fêtes,
lesquelles n'étaient pas les mêmes pour les uns et les autres.
D'autre part, il faudra signaler quelle doit être la simplicité de
l'interprétation de certains sujets, en dehors de toute mythologie. Le combat de
l'ichneumon contre le cobra est une amulette contre les serpents, comme
d'autres protègent contre les scorpions ; c'est l'héroïque combat de Rikki-
Tikki-Tavi, la mangouste, contre le serpent. Pour la déesse à la fourmi, il
n'y a pas à chercher quelque mythe. D'ailleurs la fourmi est le plus souvent
seule, poussant un grain de blé ; s'il y en a plusieurs, chacune a son butin 10.
Le symbolisme de la fourmi est universel : l'abondance. Pour ce type d'ailleurs
peut-on même parler d'amulette avec ce que ce terme implique de magie ?
Dans ce cas, ne rejoint-on pas ce que nous appelons porte-bonheur ? Ce n'est
point enlever des types à la magie pour en faire des « sujets de genre », sans
9. Rev. Et. Gv. 1928 ; voir ci-après.
10. J'en ai réuni une série abondante et j'ai fait photographier les types
significatifs.
6 LOUIS ROBERT

signification autre qu'esthétique. Le symbolisme de chaque animal est


d'ordinaire apparent. C'est lui qui conduit à reproduire l'image sur des gemmes
(anneaux, etc.). Cette image seule est-elle plus magique que celle de deux
mains unies sur un anneau de mariage ou que l'inscription [xvy^ovsue, «
souviens-toi », avec deux doigts prenant l'oreille, siège de la mémoire n ? L'image
ne deviendra magique que si une formule magique l'accompagne, par exemple
pour le lézard et les maux des yeux 12. Il faut certes tenir compte aussi du
symbolisme des pierres de par leur nature ou leur couleur. Mais, là aussi,
faut-il parler de magie si ces pierres donnent un sentiment de confiance à
celui qui les porte ? 13
Pour les divinités reproduites à toute époque sur les intailles, sans
inscription, cette image ne satisfait certes pas à un goût esthétique de dilettante
mis en face de plusieurs modèles. L'acheteur, le porteur a choisi telle divinité
parmi les autres. Il établit un contact avec une divinité préférée dont il attend
tel genre de secours, d'Asclépios à Héraclès ou à Aphrodite. Rien n'indique
qu'il y ait autre chose qu'un sentiment de prière, une demande de
protection. Ce sont médailles de piété ou de dévotion, mots qui peuvent s'appliquer
aussi bien aux religions antiques qu'aux modernes.

I. — Théophanies sur les montagnes.

Une cornaline de la collection Froehner, n. 460, ne porte pas d'images ;


chaque face est entièrement couverte par des lettres ainsi que la tranche.
11. Cf. notamment Noms indigènes dans l'Asie Mineure, 457-458 ; Bull. Épigr.
1980, 336.
12. Voir Campbell Bonner, loc. cit., pp. 69-71, 398.
13. Dans le catalogue de Paris, écrivait H. Seyrig, loc. cit., « les auteurs ont pris
le terme d'intaille magique dans un sens très large. Il est assurément difficile de faire
un partage exact entre l'amulette et le bijou, car les Anciens espéraient souvent une
efficacité magique de la part d'une intaille qui représentait une simple divinité ou quelque
objet de bon augure. Cependant une cornaline qui représente Tychè (pourquoi Isis ?)
avec les mots Bonne chance, Aristatnétè (n° 109) [Eùtûxi 'ApiGTsvsTir)] ne mérite sûrement
pas le nom de magique, non plus que le jaspe rouge avec Grande est la Fortune de
Marcella (n° 459) [MeyocXtq y; Tû/jq MocpxéXXirjç], ni la cornaline avec Longue vie, Agathonikos
(n° 467) ['Ayaó>óvtx£ trjcjaiç] ». On prend contact facilement avec ce type d'intailles
inscrites dans le mémoire d'E. Le Blant, 7 $0 inscriptions de pierres gravées inédites
ou peu connues (Mém. Ac. Inscr., 36, I, 1896). Dans le Catalogue Coll. De Clercq, VII 2
(1911), le n. 3417 est un anneau d'or massif, dont le chaton porte une inscription qui,
selon A. De Ridder, « est peut-être une formule magique », que l'éditeur reproduit en
majuscules sans coupe des mots ; on y lit simplement ce souhait : Eûtoxi 'Aauvxpî-a
(vocatif du nom 'Aauvxpmç, 'Aauvxpmo;) aùv Karacppovîw (nom de femme en -iov).
^v^u^^/,-1' •^,î^-^r.;v^:': ■Mi:r3ii^ *
8 LOUIS ROBERT

D'un côté, après les ' caractères ', on a lu cette conjuration sur 12 lignes
'E£opxi£co ere ftsòv tÒv [xéyav BapPa^t^awO- tÒv Soc^acoO- &£Òv tÒv xocO"/) fxsv
£7Tràvco toû opouç 7raXa[xvouou, fteòv tov xocxWjjaevov è-àveo toû ^octou, &eòv.
Le texte se continue de l'autre côté : tòv xa&Tjfxsvov è^àveo toû
aÙTÓc serri TravTOxpaTfop • Xéyst, croi, bàvera sàv xal auvT7][Aa Mapfjt,apauà)&
Enfin, sur la tranche : 'OpxKjfxòc outóc kax(i) 2a(3aò>£)- 'AScovat, toû
[XT] èyyicroa óti Kuptou frsoû 'Icrpoc/jX 'AxpajAji-a^afzapit. Bpacraou
'E£opxiÇ(o &sòv 'Evathàco Oa(3a&aXAov Ba^Xaiaiaco OaXay/poupcoo-apPç ,
jì.7] 7rapaxouo"7]ç to ouvo[xa toû 0soû.
Les éditeurs ont donné cette traduction : « Je te conjure par le grand
dieu Barbathieaoth Sabaoth qui demeure au-dessus du Mont de crime, le
dieu qui demeure au-dessus du roncier, le dieu qui demeure au-dessus du
Chérubin. C'est lui le créateur de l'univers. Il te dit de laisser tout et (te
donne ?) son mot d'ordre (?) Marmarauoth, Ieaoth. Cette conjuration est
de Sabaoth Adonai, de ne pas t'approcher parce que (cette personne
appartient) au Seigneur dieu d'Israël (3 noms magiques, dont Thouth) de ne pas
refuser d'écouter le nom de Dieu ».
Certaines difficultés sont marquées dans le commentaire, qui explique
ceci : « Texte douteux en plusieurs endroits. Travia où je suppose Ttàvra. cruvT7]fxa ;
je présume auvO-yj^a. Qu'est-ce que le Mont du crime (ou du vengeur du crime) ?
Mêmes questions à propos de « laisser » et de « ne pas t'approcher ». Pour le
singulier Xepou(3i(v), cf. PGM, IV, 3061. Autre exemple d'exorcisme dans
PGM, IV, 3008, hébraïque lui aussi et teinté de magie, et destiné à chasser
un démon du corps d'un possédé. Autres conjurations : voir le mot ec,opxitziv
dans PGM, III Reg. 1 ».
Tel est le point où nous en sommes l. Des trois côtés où se développe
l'inscription, je donne ici les deux côtés principaux en photographies très
agrandies fig. 1. Ce n'est pas ici la mythologie égyptienne qui peut nous aider.
Nous sommes dans un tout autre domaine.
La première expression qui soit claire pour tout lecteur et qui témoigne
d'influence juive caractérisée, c'est « celui qui siège sur le chérubin ». Les
éditeurs ont rapproché une expression du papyrus magique de Paris, Pap. Mag.,
IV, ligne 3061. Ce morceau, relatif au traitement d'un possédé, est une con-

1. M. Smith, Am. J. Arch. 1967, 418, stigmatisait ici : « several lines omitted ».
Cela signifie que les éditeurs n'ont pas transcrit le début de A, que le lecteur voit sur la
photographie et qui ne peut être ' transcrit ', puisque ce ne sont pas des lettres, mais des
signes ; les éditeurs n'ont pas omis d'indiquer : « characteres ». Le critique n'a pas eu
autre chose à faire remarquer.
AMULETTES GRECQUES 9

juration toute pénétrée d'influences juives ; on y nomme « le dieu des Hébreux


Jésus, Osraël, Salomon, le Jourdain, la Mer Rouge qu'a traversée Israël »,
« la pure Jérusalem ». On y conjure le lecteur de ne pas manger de porc et l'on
conclut : OóXocacrs xa&apòc; (= xa&apcoç ) • ó yàp Xoyoç èoViv 'E^païxàç y.ai çuXaa-
cto(xsvoç ~apà xaO-apoïç àvSpàaiv, « observe avec pureté ; car c'est une tradition
hébraïque, qui est observée chez les hommes purs » 2. On pourra même dire
que c'est une œuvre de propagande, — s'abstenir du porc, Jérusalem avec
son feu inextinguible et ses hommes purs — ; on a voulu rappeler un grand
nombre de faits hébreux. Il entre donc bien dans le contexte qu'on dise du
dieu ôv 6[xv£L ó oùpavoç tcov oùpocvôiv, ôv ufxvoixTi rà TiTôpuyfzaToc toû Xspou[3iv,
« lui que célèbre le ciel des cieux, lui que célèbrent les ailes du Chérubin ».
Cette mention nous intéresse moins que celle des documents où l'on trouverait
l'expression « celui qui siège sur les Chérubins » ou le Chérubin.
Or on la lit sur une imprécation de Carthage contre un cocher et des
chevaux de la Faction des Verts 3, vers la fin, 1. 25-26 : l^opxiÇco ôpiâç xorrà toû
è7ràv((o) Tou oùpavou &sou, roû xaS"7)[zévou ènl twv Xspou^i, ó Sioptcraç ttjv y7)v
xai ^copiaaç TTjv OàAaaaav 4, 'lato a^piaco, apfBafhaco, àScovaï, aa{3aw, « je vous

2. Sur ce chapitre du papyrus de Paris, voir notamment K. Dieterich, Abraxas


(1891), 137-148 ; P. Wendland, Jahrbûcher kl. Philologie, 22 Suppl. (1896), Die Thera-
peuten und die philonische Schrift vont beschaulichen Leben, 751-752 ; A. J. Festugière,
L'idéal religieux des Grecs et V Évangile, 298, n. 1 ; M. P. Nilsson, Die Religion in den
gr. Papyri (Lund, 1948 ; repris dans Opuscula Selecta, III, 129-166), 8 ; W. L. Knox,
Harvard Theol. Rev. 1938, 191-203 : Jewish liturgical exorcism (éléments juifs orthodoxes
avec des détails d'un mélange judéo-christiano-païen) ; S. Eitrem, Some notes on the
demonology in the New Testament2, 15-24, 29.
3. A. Audollent, Defixionum tabellae (1904), n. 241 ; R. Wunsch, Antike Fluch-
tafeln2 (Kleine Texte Lietzmann, 191 2), n. 3.
4. Une autre image cosmique se trouve dans une amulette sans influence juive
achetée par H. Seyrig à Beyrouth et publiée par A. Barb, Syria 1972, 362-367. Elle
était gravée sur un bracelet à la droite de quatre images (l'ensemble pi. XIX et XX,
le texte p. 363, fig. 7). On a lu : tov fipovTviaavTa xat, àarpâ^avra xal aTrjpicravTa y7jv xal
oùpavòv ou àxooaaç tò ovo[xa ó Xï)cov b^óyrpisv, « celui qui a tonné, lancé l'éclair, affermi
la terre et le ciel et dont le nom qu'a entendu le lion l'a fait crever ». L'éditeur a trouvé
des difficultés dans la construction ; il a supposé alors « qu'au début était tombé un mot
comme ' reconnais ' ou ' prie ' ». En addendum H. Seyrig a renvoyé à mes Hellenica,
XIII (1965), 98-103. J'y montrais que, le mot èçopxiÇco ou evso/ojiat n'étant pas exprimé,
l'accusatif avait dans certaines formules le sens de « par le dieu », même sans qu'il y ait
le pronom personnel tòv 8-sóv ctoi, tòv î>sov ûfxïv. Je trouvais et expliquais ce type
d'adjuration tov oùpocviov î>sov dans la plaine Killanienne, — au Memnonion d'Abydos
en Egypte : tòv xûptov Bïjaav (dans la publication de Perdrizet et Lefebvre, n. 504,
502, 524 ; aussi n. 552, où on ne peut dire « sous-entendu rpoo£x.ûv7)oa », et tòv Tzo^ToCk-t]^...
oùpdcviov ftsòv Byì<tocv, n. 500) ; —- tòv Xpt(aTÓv) à l'église de Doura-Europos, n. 595 ;
« par le dieu du Ciel, par le dieu Bésas, par le Christ ». Précisément un nouvel exemple
io LOUIS ROBERT

conjure par le dieu qui est sur le ciel, qui siège sur les Chérubins ; il a délimité
la terre et séparé la mer » ; suivent les noms Iaô, Adonaï, Sabaô et des
fioritures sur le premier de ces noms. R. Wiïnsch a rappelé la même formule dans
les Psaumes, 79, 1 et 98, 1 : ó xocO-t^evoç zt:1 twv Xspou^tv, et dans Daniel,
3, 55 (pas 31), un verset du chant des trois jeunes Hébreux dans la fournaise :
sùXoy/jTOç si, ó fiXeizcov àfivcaovç xoctHj^voç Itti XspoufUfx, « sois béni, toi qui
contemples les abîmes, siégeant sur les Chérubins ». L'origine de
l'expression sur notre amulette est claire et sûre. Ce verset figurera sur des maisons
chrétiennes ; ainsi dans le Hauran.
On lit assez fréquemment sur les amulettes ou dans les papyrus magiques
des précisions pour la formule xa^Tjixsvoç « qui siège sur » ; « sur le lotus « ziti
too àcotoG 5 ; « je suis le grand qui siège dans le ciel », èyw tl\d ó {Jtiyocç èv
oùpocvôi xaô-y)[A£voç 6, « celui qui siège à l'intérieur des sept pôles », ó èvroç tcov
sTrrà ttóXcov xa&yjfjisvoç, — « Michel qui siège au-dessus », ó èrcàvco xocôtjiaevoç
Mt,-/ca)X, — « celui qui siège sur la tête du monde », ó èm t% toû xócifjiou x£<paXvjç
xaO-yjfxsvoç ", etc. 8.
Plus caractéristiques sont les cas où les documents donnent une litanie
de ó xa$Y)[i.£voç. Ainsi sur une tablette en argent de Beyrouth avec un texte
très long 9, talisman pour une certaine Alexandra fille de Zoè, 1. 14 sqq. :

se voit sur une amulette en jaspe rouge qu'avait publiée A. Delatte, n. 254, d'après un
exemplaire chez H. Cahn : figures de Némésis et d'Hécate et l'inscription ajoutée :
pôcvov xai tòv xópiov rj^œv, « arrose aussi notre seigneur » ; H. Seyrig l'a reprise
heureusement, Rev. Num. 1969, 284-285, et il a lu : xai tòv xópiov tj^ûv Oùpavóv, les deux
premières lettres de ce mot étant renversées. C'est notre formule sans verbe, « et par notre
seigneur le Ciel ».
5. Ainsi dans le papyrus de Leyde, Pap. Mag., XII, 1. 84-85 : ó etti toû Xootoû xai
~ka.\L— uptScov T7]v ôXov oîy.oufxévYjv ; de même II, 103. Tablette en or au Louvre : èyco lyn ó
ènl toû Xcotoû ty]v Sóvapiiv iycav, ó àyioç ftsoç (A. Dain, Inscr. gr. inédites Musée Louvre,
n. 204). Sur le thème, cf. S. Morenz (et J. Schubert), Der Gott auf der Blume, eine
âgyptische Kosmogonie und ihre weltweite Wivkung (Ascona, 1954). C>n Y v°it qu'en
Egypte le lotus est l'être primordial d'où sort le monde, une expression comme Pap.
yiag., IV, I684, Ó XCOTOÇ TUEÇUXCOÇ £X TOÛ (3ui(>OÛ.
6. Tablette en argent d'Amisos publiée par R. Wûnsch, Archiv Relig., 12 (1909),
Deisidaimoniaka, 24-32 : Silbertâfelchen aus Amisos. Le texte reproduit dans F. Cumont,
Studia Pontica, III (1910), n. 10 g. Une édition que n'a pas connue Wiinsch avait été
donnée par S. Pétridès (cf. Hellenica, III, 249-250) dans Échos d'Orient 1905, 88 ; elle
était assez imparfaite.
7. Ces trois derniers textes sont rapprochés par Wiinsch. Ils appartiennent au
papyrus de Paris (maintenant Pap. Mag., n. IV), 1. 1026, 2768, 1012.
8. Voir l'index des Pap. Mag., s. v. xaGvjcrOai.
9. Publiée par A. Héron de Villefosse dans Florilegium Melchior de Vogué
(1909), 287-295. Cf. Campbell Bonner, loc. cit., 101-102. Comme l'indique ce dernier
savant, il y aurait intérêt aujourd'hui à revoir le texte et à en donner un commentaire
AMULETTES GRECQUES n

tòv xa#ifji£vov i—i toû — pœTOu oùpavou Map[xacofr, et jusqu'au


septième ciel, la localisation et le pouvoir étant indiqués par le génitif (les cinq
premiers), l'accusatif (le sixième), le datif (le septième) ; de même xa&éixsvoç
avec ztzI "."qc, 7zk<xvt]C, (1. 58-60), avec hz\ tw aTôpsofxorn, (1. 66-67), ^a planète (?),
le firmament, etc. 10. Il y a là une forte influence juive avec mention des
chérubins et quatre noms d'anges en -el, 1. 67-74 : ó xaOijxsvoç èm
fxéaov Twv Su(o) Xvjpou^lv tqÎ> aiôvoç tûv aìóvcov ó frsoç 'A(3paàfi. xal 6 &eòq 'Icraàx
xal ó O-soç 'Iaxcóp.
Il y a 6 ou 7 de ces invocations à la suite dans un papyrus de Berlin,
Pap. Mag., n. XXII b, que nous retrouverons plus loin. Un papyrus de Florence,
attribué au Ve siècle p. C, Pap. Mag., n. XXXV, témoigne « d'une forte
influence juive » n. Or il commence ainsi : 'E7uxaXoû[jwâ at, ó xaft-rç^evoç
kn\ t9jç à(3ucjou, BufraO-, ETrixaXoufzat. xal tov xatW]fi.£vov Iv rw 7rpwTco oùpavoi, Map-
; ainsi de suite jusqu'au sixième ciel. Ensuite e7ui.xaX0upt.at as, ó xa$r][zsvoç
tou ^iovoç, etc. Enfin ó xa^Yjfxsvoç èv fxéaw toû XaSpaXXou, [lécrov tc5v Suo
t 12 xal Zapacplv û[xvoXoyoi)(v)Tcov 13 tov xópiov as nàcr/jç aTpaTiaç tyjç utto
tov oùpavóv. On voit revenir là « les deux chérubins » qui apparaissaient dans
la tablette de Beyrouth comme bien d'autres formules communes aux deux
textes : « Je t'invoque toi qui sièges sur la neige... Celui qui est assis entre les
Chérubins et les Séraphins, qui chantent et te célèbrent, toi le seigneur de
toute l'armée qui est sous le ciel ». Dans le papyrus de Leyde, Pap. Mag.,
XIII, 1. 334-337, encore la même expression dans un logos à Helios : lycó
sìjjLt. ó £7ïl Twv Suo X£pou[3£lv dcv à [LZGOv tou xód[xou, oùpavou xal yTJç, 9C0TOÇ xal
ctxÓtouc, vuxtoç xal yjpt-épaç, 7T0Ta(i.wv xal S-aXàccr/jç, «pàvyjTi jjloi, àp^àvyysXE toû
&£ou, ó uTc'aÙTÒv tov Iva xal \ióvov T£Tay(xévoç, « je suis celui qui est sur les deux
Chérubins au milieu du monde, du ciel et de la terre, de la lumière et de
l'obscurité, de la nuit et du jour ; apparais devant moi, archange de Dieu, toi qui
es placé sous l'unique et le seul » 13a. Dans un papyrus de Londres on s'adresse

détaillé. Après Preisendanz (Pap. Mag., XXXV), H. G. Gundel, Weltbild und


Astrologie in den gr. Zauberpapyri (Munich, 1968), 43, note 14, a signalé l'étroite ressemblance
entre la tablette de Beyrouth et le papyrus XXXV. Le sens de TiXàvT] (j'improvise ici)
est très incertain ; voir Campbell Bonnhr, lac. cit., 101, note 26.
10. En outre nombreuses mentions de ó è-ì tocïç (3po/_atç, oziatole,, f>aXaaaY], oBolç,
etc.
11. Preisendanz : « stark jiïdisch beeinflusst » ; Campbell Bonner, loc. cit., pp. 29-32.
12. Sur cette expression, cf. G. H. Gundel, loc. cit., 43 ; 80, n. 2.
13. Écrit avec la prononciation vulgaire u^voXoyoOTtov, comme crrpaTYjyoÓTcov, àr:àTT][xa
ici même.
13a. Cf. F.-J. Dòlger, Sol Salutis2 (1925), 47, dans son étude sur la prière vers
l'Orient
12 LOUIS ROBERT

à qui est ó è~l Ta Xspou[3iv xatWjfxevoç, pour provoquer l'apparition du « véritable


Asclépios » 13b. Dans un papyrus chrétien de Prague, plein de noms d'anges
et qui invoque le dieu pantocratôr, ce dernier siège xatb][iévou ztzolvco Xc«pou(3ìv
£[X7rpoa&£v aÙTOÛ 13c.
Dans le même papyrus de Londres on invoque contre le déplacement
de la matrice « celui qui a créé les anges... loin de la terre et qui siège sur les
Chérubins, portant son propre trône », tov xTLcravTa àyyéXouç... ìrpócrco yyjç
xal £7rl Xepoupiv xafrrj^xevov, (JaaTaÇovTa tov ftpóvov tov lSiov 14. Un papyrus 15
de 14 cm 5 sur 5,5 fut « plié 3 fois dans le sens de la largeur, puis 12 fois dans
celui de la hauteur » ; j'en conclus qu'il fut porté sur le corps comme amulette,
comme phylactère, dans quelque repli du vêtement 16. Aux lignes 1-8 sont
des mots isolés où l'on a reconnu A(3paoqji et 'Ap^à(yy£Xot,). « A trois reprises
revient le groupe £k> surmonté d'un trait. Faut-il lire &u(yaT7)p) ? »
Certainement pas. Nomina sacra ! C'est la graphie abrégée normale de 0(so)u. La
seconde fois ces deux lettres suivent exactement 'Apya ; ce sont alors les
Archanges de Dieu. La personne s'appelle 'AfiScTiç, tk>yda7]p 'AScOvyjç. Cette
femme invoque ó x<x$"r][XEvo<; èm Xspouplv xal Zepoarsiv 17. Cette fois le
phylactère doit agir contre les fièvres : <xnb Trà^ouç plyouç 7rup£Toî> TpiTÊov, TpiTÊov
TETocpTÊov jjuav Tïocpà jxiav, ce qui détaille la fièvre quarte, tierce, et l'on précise
bien « un jour sur deux ».

Il faut expliquer une expression : « Celui qui siège sur le roncier ». C'est
Yahvé dans sa première manifestation à Moïse, dans la flamme du Buisson
Ardent sur la montagne, d'après l'Exode, 3 : « Moïse, qui paissait les moutons
de Jéthro, son beau-père, prêtre de Mâdian, et les avait menés par delà le
désert, parvint à la montagne de Dieu, l'Horeb. L'Ange de Yahvé se manifesta
à lui sous la forme d'une flamme de feu jaillissant du milieu d'un buisson.
Moïse regarda : le buisson était embrasé, mais ne se consumait pas... Et Dieu
l'appela du milieu du buisson : Moïse, Moïse... Dieu dit encore : C'est moi
le Dieu de ton père, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le dieu de Jacob.

136. Pap. Mag., VII, 634.


13c. Pap. Mag., tome III, p. 20, n. P 21.
14. A. Delatte, Musée Belge 1914, 82 ; Pap. Mag., VII, 262-265.
15. Pap. Gr. IFAO, III (1975), n. 50 (J. Schwartz et G. Wagner).
16. Les éditeurs le qualifient de « billet magique juif ». Qu'est cette notion de billet
magique ? Le papyrus n'est pas destiné à être déposé dans une tombe comme une tablette
de plomb. C'est exactement un phylactère.
17. Ce n'est pas « celui qui est assis parmi les Chérubins et les Séraphins ». J'ai
souligné parmi.
AMULETTES GRECQUES 13

Moïse alors se voila la face de peur que son regard ne se fixât sur Dieu » 18.
C'est le mot (3aToç que la Septante a employé pour le buisson 19 : cocpïb} Se ocûtw
xyysXoç Kupiou èv 9X07! — upoç èx toû (3octou xat, ópa 6x1 6 (3a7oç xaiSTai. rupi, ó Sé
j3a7oç où xaT2xat£T0... 'ExàXscrsv aÙTÒv Kupioç èx tou (3a7ou Xéywv xtX., « lui
apparut l'ange du Seigneur dans la flamme du feu sortant du batos et il voit
que le batos est brûlé par le feu, mais il n'est pas consumé... L'ange du
Seigneur l'appela depuis le batos en disant... ». C'est le même mot qu'emploie
le Deutéronome, 33, 16 dans les bénédictions de Moïse avant sa mort, pour
Joseph : -rà SsxTà :w oçfrÉvrt. èv rw pàxw. D'où Marc, 12, 26 ; « n'avez-vous
pas lu le livre de Moïse sur le batos, comment lui parla Dieu disant : Je suis
le dieu d'Abraham et le dieu d'Isaac et le dieu de Jacob ? » oùx dcvéyvcoTs èv
77) p[[3Xco McùOascoç stù toû Bàrou 7tg3ç eÏ7isv aÒTco ó Qzbç, Xéycov xtX. ; dans le
même contexte Luc, 20, 37 : Mwucnjç è|XY)vuaev zni ttjç Boctou gx; Xéysi xtX. Dans
les Actes des Apôtres, 7, 30, Etienne, avant sa lapidation, rappelle l'Exode :
wcp&Y) ocùtco Iv t9j èp7)[xco toû opoc, Sivôc àyysXoi; èv «pXoyl Tiupoç pàrou. La
tradition chrétienne continue en de multiples commentaires sur le Batos où Dieu
se révéla à Moïse 20, y compris une inscription du monastère du Sinaï, où il
est dit des Quarante Martyrs : uv rj eùcppocjuvY) yj (Sàxoç y) àXyjS-ivT) uTràp^si 21.
La littérature gréco-juive emploie le même mot. Par exemple dans ce
passage de Philon, Vita Mosis, I, 67-70 : « C'était un batos, plante épineuse
et très chétive. Sans que personne y ait mis le feu, elle s'enflamme tout d'un
coup et, enveloppée tout entière d'un grand feu de la racine à la grosse tige,
... elle demeure intacte, sans être consumée ». Le Buisson joue un si grand rôle
dans la pensée juive que, dans des formules de serments prêtés par les Juifs,
à l'époque byzantine, le personnage qui va jurer doit se ceindre de la ronce,
ïv<x Çwcttjtoci. —}]v (3dcTov, Çcovvoa&oo tyjv P<xtov, tva 7rspt,Çaxrr)Tai tt]v ocrçûv aÙTOÛ
pàTOv, xpaToûvTa xXàSov (3octou èv ttj ^stpL, r/jv àxocTaçXsxTov pà-rov. Dans cet
ensemble de textes le terme ordinaire est batos, une fois pàpivoç 22.
Nous voyons dans le texte de l'amulette le Buisson Ardent de Moïse,

18. Traduction Bible de Jérusalem.


19. Pour les discussions sur ce buisson, cf. A. Hermann dans Lexikon fur Antike
und Chrislentum, IV (1959), 5. v. Dornstrauch.
20. Voir la copieuse rubrique (Sàxoç dans le Patristic Greek Lexicon de Lampe, qui
classe les interprétations. Les textes de Grégoire de Nysse sont rassemblés par M. Aubi-
neau, Grégoire de Nysse, Traité de la Virginité, p. 491.
21. I. âEvcENKo, Dumbarton Oaks Papers, 20, p. 263, n° 6.
22. E. Patlagean, Rev. Et. Juives, 224 (1965), Contributions juridiques à l'histoire
des Juifs dans la Méditerranée médiévale : les formules grecques de serment ; les textre
pages 138 à 143 et 150 ; cf. 143, 153.
14 LOUIS ROBERT

cette image qui figure parmi les fresques de la synagogue de Doura-Europos,


introduit dans la magie par l'expression « celui qui siège sur le Buisson ». Ce
n'est pas surprenant ; le phénomène lui-même frappait les esprits et Moïse
était une des puissances invoquées par la magie syncrétiste 23.

Le dieu invoqué sur l'amulette siège aussi sur une montagne,


tou opouç 7ïocXoc£zvoc[oi>. Il me semble qu'on doit penser pour cette
montagne à une autre théophanie de l'Ancien Testament : le sacrifice d'Isaac.
La scène eut lieu sur une montagne, dans le désert à trois heures de marche,
sic r/jv y/jv T7jv \)<l/y]kï]v... àcp' êv tcov òpécov &>v àv croi, zïnoi (Genèse, 22). Tout
est prêt pour regorgement d'Isaac, acayrj 24. « Abraham y construisit un autel
de sacrifice et, ayant ligoté Isaac son fils, il le plaça sur l'autel au-dessus du
bois ; et Abraham étendit la main pour prendre le coutelas pour égorger son
fils ; et un ange du Seigneur l'appela du ciel et lui dit : Abraham, Abraham » 25.
Un mouton, les cornes prises dans un buisson, remplaça Isaac. Le sang de la
bête seule fut répandu et son corps brûlé en holocauste. Mais le tragique de
cette scène d'obéissance à la volonté divine peut marquer le lieu de sang et
de violence. D'autant plus facilement que des traditions rabbiniques
admettaient que le meurtre avait eu lieu et parlent des cendres d'Isaac 26. Notre
amulette a pu dépendre de cette tradition, dont le tragique correspondait
bien au ton de violence et de malheur des textes magiques 27.
D'autre part, la scène du sacrifice d'Isaac n'a pas été seulement
représentée sur les fresques de la synagogue de Doura 28. De même qu'on la voit
23. Par exemple K. Dieterich, Abraxas, index p. 208 s. v. Moses ; M. P. Nilsson,
loc. cit., 6-7 ; Campbell Bonner, loc. cit., 171 ; E. Peterson, Frûhkirche, Judentum und
Gnosis, 346-354, en partant d'une amulette d'Akrai en Sicile (cf. Bull. Épigr. 1950,
242 ; 1951, 257 ; 1953, 286), qui « est un monument important de la magie juive comme
l'imprécation d'Hadrumète [Audollent, loc. cit., n. 271] et qui a pour titre :
Mcoaécoç ots àvé[3aiv£v t<5 opsi » ; on y lit aussi [çuXa]xT7jpiov w [Mcoajîjç £XP^ro XT^-
24. C'est le terme propre dans la Genèse, 22, 10 : xal eretvsv Appaapi tt]v /
ocùtoû Aa(3sïv r/]v [Adcyoapav (le couteau du sacrifice, terme technique) açdc^oa tòv ulòv
aùxoG. Le terme revient et revient dans le traité de Philon, De Abraahmo, açoey/), açayiâ-
Çstv.
25. Traduction Bible de Jérusalem.
26. Cf. M. Simon, Recherches d'histoire judéo-chrétienne, 190-198, 205-208, sur
l'exégèse du sacrifice d'Isaac chez les Juifs de l'époque impériale et chez les chrétiens.
27. Dans les inscriptions le mot est rare. Il s'agit bien de mort violente dans une
imprécation funéraire de la région de Sardes contre qui mutilerait l'inscription : ti tic,
Ss sxxó^ec ti, — aXafivaîov (j.ópov £c,zi (SEG, I, 442, d'après E. Preuner ; cf. Ad. Wilhelm,
Phil. Woch. 1924, 927-928) ; le contrevenant périra de mort violente.
28. Campbell Bonner, loc. cit., 226-228, comme Kraeling, loc. cit., 58, note 130,
rappelle aussi la présence de cette scène sur une mosaïque de Palestine, à la synagogue
AMULETTES GRECQUES 15

sur des lampes chrétiennes 29, elle a trouvé son chemin dans l'imagerie des
amulettes, que celles-ci soient juives, judaïsantes ou chrétiennes. Le recueil
de Campbell Bonner en a enregistré trois, n. 343 (Newell) 30, 344 (Paris) 31
et 345 (Gotha), qu'il a commentées (pp. 29, 226-227) ; la première porte au
revers des caractères hébreux ou araméens 32.
de Beth Alpha, dans l'art chrétien et dans l'art byzantin. Pour les deux synagogues, voir
aussi E. Peterson, Frùhkirche, Judentum und Gnosis, 5, note 24. H.-J. Geischer,
Jahrbuch Ant. Christ., io (1967), 126-144 e^ pi- !3-i7 : Heidnische Parallelen zum friih-
christlichen Bild des Isaak-Opfers, aboutit à une conclusion négative ; il a pris pour point
de départ les sarcophages chrétiens.
29. Pour ce sujet sur les lampes chrétiennes, je renverrai au premier exemplaire
publié (E. Le Blant, Rev. Arch. 1875, I, 2, à Ostie) et à une publication assez récente,
avec provenance assurée, la grotte des Sept Dormants à Ephèse, déjà Jahreshefte, 23
(1925), Beiblatt, 296, fig. 72). — Campbell Bonner, loc. cit., à la dernière planche de
son volume, XXV, reproduit l'angle droit d'une plaque de terre cuite, au musée de
Berlin, avec les éléments du sacrifice ; le mouton tourné vers la droite, la main de Dieu,
Abraham, la figure tournée vers la main ; il tient dans la main droite le large couteau
effilé ; Isaac est couché à genoux, la tête sur un autel bas et la main gauche d'Abraham
est posée sur sa tête.
30. Th. Klauser (voir la note 32), note 87, indique que « la même gemme
réapparaît dans E. R. Goodenough, Jewish Symbols, III (1953), n- IO39- Chez Kraeling,
The synagogue (Dura, Final Report, pi. 40, 2 ; cf. pp. 58, 130), le même type de la
collection Torrey. « Comme l'auteur remarque que cette gemme se trouve dans la collection
Torrey et était jusqu'ici inédite, il pourrait s'agir d'un second exemplaire. Il serait alors
certes surprenant que les deux morceaux, exemplaire Newell et exemplaire Torrey
ensuite, certainement pour rendre les gemmes utilisables comme amulettes, aient dû
être percés » (Klauser). Il est naturel, à mon avis, qu'il n'y ait pas un trou de suspension
sur un seul exemplaire ; voir ci-après l'amulette Schlumberger-Froehner. Voilà trois
cas où le port de l'objet comme amulette suspendue est assuré. L'amulette Newell
est reproduite, droit et revers, par F. M. et J. H. Schwartz, Am. Num. Soc. Museum
Notes, 24 (1979), 181-182, n. 44 et pi. 38. Campbell Bonner écrivait pour le revers : «Quatre
lignes, la première érasée et indistincte, d'une écriture en alphabet sémitique ; plusieurs
savants à qui ce texte a été soumis n'ont pas pu le lire et il est possible que des mots
magiques de sens inconnu aient été écrits en lettres hébraïques ou araméennes ». Les
Schwartz, sur avis de J. Teixidor, écrivent que « l'inscription est déconcertante. Il
apparaît qu'elle est en hébreu, mais contient trois caractères qui, bien que ressemblant à des
lettres hébraïques, en diffèrent significativement. Si elles étaient lues comme lettres
hébraïques, l'inscription contiendrait des lettres d'époque différentes. En dépit de quelques
lectures partielles possibles et excitantes, nous ne pouvons encore comprendre
l'inscription ».
31. Loc. cit., avec photographie. « Décrit par E. Babelon, Guide illustré au Cabinet
des Médailles (1900), pp. 37 sq., comme ' intaille chrétienne de la Perse ancienne '. Mais
il parle du bélier comme tenu par l'ange, en méconnaissant apparemment le sens de
l'arbre étrangement stylisé ». Cela venait en fait de Chabouillet, Catalogue des camées
et pierres gravées de la Bibliothèque Nationale (1858), n. 1330, parmi les « pierres
chrétiennes de l'Asie (intailles) ».
32. Th. Klauser, Jahrbuch fur Antike und Christentum, 4 (1961), Studien zur
Entstehungsgeschichte der christlichen Kunst, IV, 13 : Die frùhesten biblischen Komposi-
i6 LOUIS ROBERT

L'amulette Froehner nous permet, je crois, de restituer un passage d'un


papyrus magique, le n° XXII b du recueil de Preisendanz. Ce papyrus de
Berlin est intitulé « Prière de Jacob », npoaeu^v] 'Iaxcóp. Les emprunts aux
doctrines juives y sont continuels 33 et l'on invoque ainsi « le dieu des anges
et des archanges, » « le créateur des anges et des archanges », « le Seigneur
dieu des Hébreux », ó xupioç iïzhc, tôôv 'E(3pa«ov, 'E^aya^X... ZouyjX. La prière
vient « de la race d'Israël » 34. Or il y a une série de formules « celui qui siège »,
plus ou moins mutilées, au nombre de 6 ou 7. La seconde s'adresse « à celui
qui siège sur la mer », ó xaô-/)|zsvoç iizi ttjç O-a[Xà(jcr]-y)ç. L'invocation
précédente a été lue et restituée ó x[a]&[y]fi.svo<;] èuri ôpouç îTepou Sjivatou, « celui
qui siège sur le mont sacré Sinaï ». Notre amulette fournit, semble-t-il,
l'expression que l'on ne pouvait deviner : ini Ôpouç 7r[aXa[z]vaiou.

Le nombre des amulettes au type du sacrifice d'Isaac s'augmente et


s'augmentera. A Cesaree de Palestine, parmi les gemmes et les amulettes
recueillies dans les dunes, l'une, très mutilée, le représente ; il ne reste guère
que la main de Dieu ; dans la bande sur le pourtour, des voyelles EEEE AA.
Au revers, les restes d'une figure humaine étendue et peut-être des restes
d'un lion ; autour dans une bande circulaire, des signes du zodiaque, qui
devait être complet : la Vierge, la Balance, le Scorpion, un morceau du
Sagittaire 35.
Il est dommage que ni Campbell Bonner ni Delatte n'aient connu dans
leurs inventaires une amulette publiée en 1893 par Gustave Schlumberger 36 :
« en forme de médaille, formée d'une matière cornée brune, de 25 mm de
diamètre environ, percée d'un trou de suspension pour être portée au col ».
« Au centre Abraham tient dans la main gauche Isaac placé à sa droite, levant
tionen der christl. Grabkunst, Neuschôpfungen oder Entlehnungen, 143-144, avec dessin
de la pierre Newell. Il admet l'origine hébraïque de la pierre ; si l'inscription était magique,
« elle montrerait que, depuis une certaine époque, la représentation de cet événement
important de l'histoire des Israelites, qui avait toujours une position centrale dans la
théologie juive et dans la tradition cultuelle, non seulement devait rappeler l'acte de
foi héroïque d'un Israélite exemplaire, mais, d'après l'opinion de beaucoup, pouvait
en même temps émettre des forces magiques. Quant à la pierre de Paris, qui n'offre
aucun signe de judaïsme, on peut la considérer comme chrétienne ».
33. Cf. M. P. NiLSSON, loc. cit., 8 : « das Gebet Jakobs... das den Gott in Worten
preisst, die sehr stark jiidisch gefârbt sind ».
34. Aióp&waov tov syovxa [r/)]v eù%7)v [s]x toô yévoufç] 'IaparjX.
35. Atiquot, 8 (1968), 1-38 : Anit Hamburger, Gems from Caesarea Maritima,
pp. 33-34, n. 118 et pi. VI ; commentaire sur le sujet, pp. 16-17.
36. Byz. Zeitschrift 2 (1893) — Mélanges d'archéologie byzantine, I, 165-166, avec
dessin.
AMULETTES GRECQUES

Fig. 2. — Amulette : le sacrifice d'Isaac.

la droite pour le frapper du couteau. Derrière Isaac, l'autel en forme de fût


de colonne sur une base. Au-dessus de l'autel, Dieu, sous la forme d'une
dextre divine, issant des nuages représentés par une simple ligne en demi-
cercle. A la gauche d'Abraham le bélier attaché au buisson. Cette scène est
représentée d'une manière très rudimentaire ». L'autre côté était garni par
une légende en quatre lignes : « Seigneur d'Abraham, guéris (mon) estomac »,
Kvpioc, toô 'A(3paâ[x, Ocpà-sucrov tòv cftcófxa/ov. « Au-dessous deux lignes de
signes cabalistiques ».
L'objet était alors « entre les mains d'un marchand de Paris ». Or il passa
dans la collection Froehner et celui-ci transcrivit l'inscription sur un carnet,
IX 219, avec la description : « tessere ronde en corne, rapportée d'Orient
en 1892 ». Je publie ici, figure 2, la photographie des moulages du droit et du
revers. Il ne manque pas d'intérêt puisqu'il montre bien le caractère
d'amulettes des figurations du sacrifice d'Abraham et qu'il établit un lien avec les
maladies d'estomac. Je ne saurais dire d'où l'on tirait une affinité entre cette
scène et les maladies de l'estomac 37. Existe-t-il un lien entre le feu du bûcher

37. Pour des amulettes mentionnant l'estomac, voir Campbell Bonnkk, loc. cit.
pp. 51-62.
i8 LOUIS ROBERT

et les brûlures de l'estomac ? ou bien le geste du sacrificateur est-il une menace


pour les maladies de l'estomac comme, par exemple, « Ares coupe la douleur
du foie », "Apvjç £T£fi.£v tou YJ7taTOç tov tiovov ? 38

Revenons à la première amulette Froehner. Le dieu est appelé « tout


puissant », 7iavToxpaTcop ; tel est le sens, et non pas « créateur de l'univers » 39.
L'épithète est très rare dans les textes païens et ceux-ci sont tardifs. Elle
foisonne dans la Septante 40 et ensuite dans les textes chrétiens, les Pères 41
ou les inscriptions, notamment les malédictions et interdictions du type
TÒv &£ov aoi TÒv TravToxpdcTopoc. Elle est fréquente dans les papyrus magiques.
Un papyrus de Paris donne exactement la phrase de l'amulette, Pap. Mag.,
Ill, 219 : TTOCVTOXpaTCOp frsOÇ io'l.
La formule Xéysi aoi se trouve dans les papyrus magiques, surtout Xéyco
ctol. Elle est courante pour Dieu dans la Septante 42.

Les éditeurs n'ont su que faire de « ne pas t'approcher », toû p) zyyioou.


C'est une interdiction au génitif substantive qui s'applique au mal, à quelque
mal (maladie, Envie, etc.) et qu'exprime souvent la formule çeûys « fuis,
va-t'en » 43 ; aussi « ne touche pas », comme sur une amulette de Tunisie : Mrj
iKyyjç fiou, (3(aa)x(o)ff(ó)v(?)) 44. Hélios tire de l'arc et l'inscription dit aussi :
Sicóxt, ore (le Phthonos) "H>aoç, « le Soleil te poursuit » 45. Dans le papyrus de

38. Cf. Campbell Bonner, loc. cit., p. 42. Sur Ares, Hadad, le foie et l'hématite,
voir A. A. Barb, Syria 1952, 271-284, dans son article Bois du sang ,Tantale.
39. MiCHAELiDis, Theolog. Wôrterbuch zum Neuen Testament, III, 914, avec la
note 10, le remarque expressément.
40. Voir Hatch et Redpath, A concordance to the Septuagint, s. v.
41. Voir Lampe, A patristic Greek English Lexicon, s. v.
42. Cf. Preisendanz, III, 5. v. pour les premiers ; Hatch et Redpath, loc. cit.,
s. v. pour la Septante.
43. Cf. notamment Hellenica, XIII, 267-268.
44. Rev. Phil. 1944, 41, n. 4 (Opera Minora, III, 1407). Campbell Bonner, loc. cit.,
97 écrivait : « Une inscription sur le revers semble avoir été entendue comme \lt) ^iyyjç
(jiou, PacxocûvY), Sicùxst. az "HXioç ; mais la lecture est incertaine et le mot {3aaxoaóv7) est
abrégé d'une manière tout à fait insolite (fixav) ». lia renvoyé à « Bull, arch., 1922,
pp. lxvi, Lxvii » [transcription en majuscules, sans coupe des mots, en sorte qu'il ne
ressort aucun sens] et à « Suppl. Epigr. Graecum, IX, 2, n° 818 », où ma
lecture-interprétation a été reproduite avec « suppl. Rob., leg. id. ». C'est l'inconvénient de se
contenter d'une publication comme SE G et de ne pas se reporter à la publication originale
Rev. Phil. 1944, 41, note 4 ; j'expliquais là : « l'amputation même d'une partie du nom
détesté, notamment des voyelles, doit avoir quelque efficacité ». C'est un procédé
normal de la magie.
45. Sur la formule Rev. Phil., loc. cit., avec les renvois.
AMULETTES GRECQUES 19

Leyde. XIII, 302, une formule « pour éteindre le feu » adjure : où pj (xou
&i*f!)ç, 7iup, où [xy] [zou XufxàvT] aàpxa, « Feu, ne me touche pas, ne détruis pas
ma chair ». On fait aussi usage de u.iz'zza&ou. M?) à^aa&oa r% cpopoùcrrçç, « ne touche
pas la porteuse (de cette amulette) », lit-on sur une feuille d'or 46, qui doit
protéger contre les pneumata de toute espèce et qui se réfère à une Siafrrjxy) vjv
eO-evTO £7tt [xeyàXou 2oXo(ì,gWoc xal Mi^arjXou tou àyyéXou, le pacte où
interviennent Salomon et l'ange Michel. L'amulette protégeait une Syntychè contre
les dangers divers : ttôcv Û5pocpo(3av xal Trâv (3dccTxavov òcO-aX^òv xal è~a— ocrro-
Xrçv (3iatav ~v£U[xa[riX7]]v xal Trâcrav cpapfxaxsCav jjiou àòacrO-at., « que ne me touche
pas toute rage hydrophobe, tout œil envieux, toute attaque violente d'un
esprit envoyé contre moi, tout poison ». Ici le mal ne pourra même pas «
approcher ». Ainsi dans les maisons placées sous l'invocation de Saint Michel et
de Sisinnios, la diablesse Gyllou, ravisseuse d'enfants, n'entrera pas (où \à\
et elle n'en approchera pas à moins de trois milles : où fr/j toX^ctco
èv tw oïxco ex£ivw àXX' à~ò Tpitov (xiXtcov (pzûc,o[iixi êx tou oi'xou éxsi-
vou 47. Ce texte est très tardif. Mais le mot se trouve avec un contexte analogue
dans la Septante. Un des passages le plus intéressant 48 est le Psaume 90,
qui a fourni tant de formules de protection 49. Il énumère les maux perfides.

46. W. Froehner, Sur une amulette basilidienne inédite du Musée Napoléon III
(extrait de Bull. Soc. Antiqu. Normandie, 7 (1867), 217 sqq.). Froehner n'avait pas reconnu
que SuvTÛ/rjv, à plusieurs reprises, était le nom de la femme protégée par ce talisman ;
d'où plusieurs erreurs. Il entendait aussi qu'il était question de la gorge (pharangi)
de la femme, alors que ce sont des mots magiques, bien attestés depuis lors. Sur ce
document voir Campbell Bonner, loc. cit., 100-101. Cf. G. Schlumberger, Mél. arch, byz.,
133 {Rev. Et. gr. 1893, 87).
47. Cf. Hellenica, XIII, 268.
48. Pour le n° 391 de Delatte et Derchain, voir ci-après, section II : àr.iyz xr.b à8i-
xou xal 90(3oç oùx èyyiazi aoi.
49. De là, verset 1, ó xoctoixwv èv {3o7]t}eta toû u^icttou èv ay.ir.zi roû 0-eoû toû oùpavoû
aûXiaîhf) aerai On le grave sur les maisons, ainsi en Syrie, et sur les amulettes. Pour ces
dernières, avec le Saint Cavalier, cf. Campbell Bonner, loc. cit., n. 319, 321, 324, 328.
La formule y est plus ou moins complète. Ainsi, sur deux anneaux du Musée
Britannique, O. Dalton, Early Christian Ant. Br. Mus. (1901), n. 157 et 158, on a lu et
transcrit en majuscules : OISATOINKOBOH et OISATOIKONEN. Il y a eu la mélecture, si
facile et si fréquente de iota et de sigma au lieu de kappa (cf. J. Zingerle, Jahreshefte,
23, Beiblatt, 371, n. 4 ; G. W. Bowersock, Harvard St. Cl. Phil., 71 (1966), 42) et on
doit entendre : ó xaToixôv èv (3or) (ftsia toû û^icttou). Sur des amulettes de Syrie, on lit
seulement après une croix, OKATYKO. H. Seyrig en les faisant connaître, Bevytus 1
(1934), 9, entendait ó xoctoixoç ou plutôt ó xa-roixwv et voyait dans « cet habitant » le
cavalier, « le protecteur mystique de la maison ». C'est le début du Psaume 90.
Campbell Bonner n. 319, a interprété ainsi une amulette exactement semblable de la
collection Xewell. Dans le même psaume, verset 13, la garantie : è— ' òlgt.ìSol xaì {3acuXtxa<rv
xal xaTaTraTrjasiç Xéovxa xal Spâxovxa. Là aussi le verset 9, tov 'j^igtov ëftou xara-
20 LOUIS ROBERT

Des versets 5 et 6 sont venues les formules où <po[37)0"y)crr]


pivoû, arcò péXouç tctojzsvou 7][xépaç, arcò TtpàyfJWCTOÇ SiotTropsuofiévou èv ctxotei,
au{X7îTco[xaT0c; xal Saifxoviou [i.£<T7]fjiPpi.avou, « tu ne craindras pas la terreur
nocturne (nocturnae timorés), le trait qui vole dans le jour, la chose qui
circule dans l'obscurité (negotium perambulans in tenebris), l'accident et le
démon de midi ». On lit au verset 10, « les maux ne t'atteindront pas et le fouet
ne s'approchera pas de ta tente », où —poazkzvaz-oLi —poç aï xocxà xal (xàa-
tiE, oùx èyyisï tco ax^vcópiaTL cjou ; au verset 7, « il tombera de ton côté un
millier et une myriade à ta droite, mais cela ne s'approchera pas de toi »,
izzazï'zoLi èx tou xXxtouç cou yikià.ç xal [zupiàc, 7rpoç crè ?>ï oùx èyyisï. Ce
dernier verbe aussi est dans notre amulette une marque du vocabulaire gréco-
juif. Il est remarquable, en face de l'emploi massif dans la Septante du verbe
èyyiÇsiv, « s'approcher », en ses divers sens, qu'il n'y en ait pas d'exemple
dans l'index des Papyri Magicae.
Ce qui précède dans l'amulette devait indiquer les maux qui ne doivent
pas « s'approcher ». Je ne sais que faire des syllabes TravSAEAN 50. Mais il me
paraît que o-ùvr^a pour o-ùvO-yjjxa ne convient pas avec le sens : « un mot d'ordre ».
D'autre part, après au en fin de ligne et avant vnrj(xa au début de la suivante,
il semble qu'il y ait, à la fin de la première de ces lignes, une lettre, quelque
chose comme un alpha. Je penserais alors à rétablir le mot auva(v)T7]fxa, «
rencontre », mot qui s'applique à la « rencontre » (occursus) de quelque être
malfaisant. Ainsi le papyrus de Leyde, Pap. Mag., XIII, 79g sqq., déclare :
oùx dcvriTa^Toci [i.01 uàv Trvsujxa, où Saijxóviov, où o-uvà(v)T7][j.a oùSè àXAo 11 twv
xafr'Afôou 7rovY]pcov, « ne s'opposera à moi aucun esprit, aucune démonerie,
ni rencontre ni aucune des méchancetés de l'Hadès ». A peu près les mêmes
mots dans un papyrus de Berlin, ibid., XXI, 22 sqq. : :ràv 7zvz\jy.<x, toxv auvàv-
TY]fi.a, [7t5cv Sou^óviov, 7râv 7iov7]póv] », tout esprit, toute rencontre, toute
démonerie, toute méchanceté » 51. Un papyrus de Yale, qui doit protéger de divers

cou (cf- aussi le verset 2 et ailleurs dans les Psaumes) ; de là est venue dans une
inscription de l'époque impériale à Sibidounda de Pisidie une dédicace au Dieu Très
Haut et à la sainte Kataphygè (hagia), expliquée Bull. Épigr. 1961, 750 ; 1965, 412 ;
C.R. Ac. Inscr. 1978, 249, dédicace d'un judaïsant.
50. S'il y avait un verbe « laisser », ce serait èàv. Le mot n'est pas rare, avec divers
contextes, dans les textes magiques (voir l'index de Preisendanz) . Campbell Bonner,
loc. cit., p. 55, cite un passage d'un lapidaire : ó «popoófisvoc oùx éà ôXœç àXyviaai tòv axó-
{xa^ov, « cette pierre, portée, ne permet absolument pas que l'estomac soit douloureux ».
51. Ce texte a été oublié dans l'index de Preisendanz. Pour sentir la force de ponéros,
il faut se rappeler que, dès le Pater et autres passages des évangiles, le ponéros est le
Diable, le Malin, le Mauvais ; sur ces mots ponéros, poneria, cf. Hellenica, XIII, 270.
Dans le phylactère de Syntychè, «pûXa^ov Suvtûxtqv òltzò rcoviqpou irvsu^aT
AMULETTES GRECQUES 21

périls, n'oublie pas fà-ò 7:avTO]ç cfuvavry]fJt.aToç 52. Un papyrus chrétien de


Giessen doit écarter de celui qui le porte, notamment, outre la maladie, le
7TovY)pòv (juvàvT7][xa, la Mauvaise Rencontre 53.
Le mot est abondant dans les textes médiévaux, comme l'ont relevé
A. Delatte et Ch. Josserand dans une « Contribution à la demonologie
byzantine » 54 : « 'A7tàvT7][j(.a, (juva7ràvTY]fjia, cruvàvTr^a : ces mots sont tout d'abord
employés pour marquer la rencontre dangereuse d'un esprit méchant [cinq
références]. Puis par une personnification dont nous trouverons encore des
exemples, ils désignent le démon lui-même, sans qu'on puisse dire s'il s'agit
d'un démon spécial, dénommé la (mauvaise) Rencontre ou démon en général
[neuf références] ». Ils renvoient aussi au moderne antéma d'après B. Schmidt
et après F. Pradel 55.
Selon l'astrologue Manéthon, IV, 554, certaines personnes sont exposées,
de par leur horoscope, à ces fâcheuses rencontres : « ils feront la rencontre
d'apparitions démoniaques », <pdcc7|zacn Soafzovioiat, auvocvryjaouai, èxsïvot, 55a.
Artémidore, l'interprète des songes, avait beaucoup à dire sur la rencontre
d'Hécate, à^avTcocra 'Exqctv], mais il garde le silence pour ne pas divulguer
les mystères de la déesse (Oneir., II, 37), ces mystères dont la diffusion
croîtra encore au 111e et au IVe siècle 56. « Voir Hécate tricéphale debout sur une

52. R. W. Daniel, Z. Pap. Epigr., 25 (1977), 145-154 : Some phylacteria, dans


le n. 1.
53. Pap. Mag., II, Christl., P 17, 1. 17. Notamment le Pater avec sa fin àXXà pûaai
7)[i.àç arò toû Trovyjpoû. Aussi l'exorcisme de Salomon : Trpoç ràv àxà&apTov ttvsGjxoc. Acquis
à Hermoupolis ; « mauvaise écriture du Ve ou du vie siècle ».
54. Mélanges Bidez, I (Ann. Inst. Phil. Hist. Or., 2 ; 1934), 207-232. Les auteurs
classent les renseignements sur ce sujet fournis par les nombreux textes édités par
A. Delatte, Anecdota Atheniensia (1927), et Codices Athenienses (1924), tome X du
Catalogus codicum astrologorum ; sur synantéma ibid., p. 212.
55. Griechische und siiditalienische Gebete, Beschworungen und Rezepte des Mittel-
alters, 96-97. Voir aussi E. Peterson, Eis Theos, pp. 111-112, 311, S. Eitrem, P. Oslo,
I, p. 142, et Peterson ont cité un passage des Cyranides, p. 70, 1 : Sodfzovaç où courrai
oùSè FeXouv (la ravisseuse de bébés) xocl vux-rspivà àvr^ara. On verra plus loin qu'une
version du livre de Tobie, après avoir mentionné l'a— ivzr^oc Saifzoviou, conclut que
ÇE'JÇETOCl X7Z' aÙTOÛ 7TÔCV aVT7][ia.
55a. Sur 9aa[i.a, çâvxacjj.a, çavxaaia voir Delatti: et Josserand, ibid., 211-212.
56. Il est remarquable que la collection des hymnes orphiques s'ouvre par l'hymne
à Hécate, n. 1, EtvoSiav 'Exscr/)v xArjiÇco. Cet hymne se termine, v. 9-10, par l'invitation
à la déesse d'être présente, -apsïvat, à ses initiations sacrées et d'être favorable : XicraopLsvoc
xoupyjv -zhz-oûç, oaioLiq rrapsivai / j3ouxóÀcoi EÙfievéouascv àsi xr/aprjoTi ftupiok. J'ai fait
remarquer que, dans une malédiction phrygienne pour un tombeau, à Usak, Hécate en colère
était tirée du monde souterrain pour être Céleste (CRAc. Inscr. 1978, 264), sHsi ttjv
Oùpavtav 'ExaTirçv xs/oÀw^Évyjv ; l'hymne orphique à Hécate, n. 1, salue, v. 2, la déesse
comme oùpaviav, yftoviav ~.z xai eîvaÀtav. Monuments du culte d'Hécate en Phrygie et
22 LOUIS ROBERT

base signifie des mouvements et des départs en voyage ; car la déesse est
appelée Énodia, protectrice des routes 57. La voir avec un seul visage est
mauvais pour tous (ttovyjpóv) ; cela prédit le plus souvent que des malheurs
viendront de l'étranger ou de la part d'un étranger. D'autre part, quel que
soit le caractère de son apparition, elle retire toujours le songeur de l'état
présent et ne lui permet pas d'y rester. Que la déesse, étant en mouvement,
soit venue à votre rencontre, cela signifie des accomplissements
correspondant à son attitude (a^^oc), à son aspect et aux objets qu'elle tient en mains.
En traiter n'est ni permis par la loi divine ni sûr ; le sujet est clairement
connu de ceux qui ont été initiés à la déesse ; que les non-initiés l'apprennent
des initiés » 58. 'A:ravT<ocra 'ExaTT), c'est la rencontre d'Hécate, qui peut
être le ponéron apantéma. Le mot àacpaXéç, sûr, me paraît une allusion à la
vengeance de la terrible déesse, à cette colère, -/oXy] 59, dont les épitaphes de
Phrygie menacent les violateurs d'une tombe (les démons d'Hécate la Noire) 60,
ou qu'invoquent ceux qui, pour la propreté de certains lieux, font appel à
la colère de la déesse 61, — la triple Hécate aux trois paires de bras, armées
l'une de la torche, une autre du couteau, la troisième enfin du fouet.
C'est pour parer au danger possible de ces rencontres que l'épithète
Euantétos est donnée à des déesses. Ainsi pour Hécate elle-même. En
Phrygie, près d'Amorion, un Publius Aneinius Paramonos a dédié un autel à Hécate
Euantétos 62. A Aphrodisias, c'est sur un autel avec l'image de la triple Hécate
qu'est gravée la dédicace Zcotixoç EùavrrjTW £Ùyj]v 63. D'autres divinités peuvent
être saluées de l'invocation Euantétos ; ainsi la Mère des Dieux, accompagnée

en Lydie, Hellenica, X, 115, n. 2 ; ils sont fréquents dans la première région, très rares
dans la seconde. Notons que Hécate peut être aussi Sôteira et que des personnes sont
qualifiées de TifrrçS-évTEç utcò SwTEipaç 'E>câT7]ç. La part d'Hécate est à relever dans le trésor
des sculptures sacrées enfouies pieusement dans le sol à Tomis à la fin du paganisme.
57. Sur Énodia, protectrice des voyageurs, et sur Hécate, cf. Bull. Épigr. 1980,
3I3-
58. Traduction A. J. Festugière, Artémidore, La clef des songes (1975). Ilepl wv
/.éystv oute Ôctiov ouxs àaçaXéç • euSïjXoç Se ó Xoyoç toïç fxe[i.UY)[jtivcHç ttj ftsôi • ol Se àjxÛTjTOt
TCapà TWV ^£[Jt,U7][i£VCûV [LCCJ&OLvé'ZlùGCCV.
59. Sur la colère des dieux Hellenica, XI-XII, 406-407 ; Bull. Épigr. 1978, 436 ;
CRAc. Inscr. 1978, 272, n. 7 ; 279, n. 21 ; 279 ; 282.
60. Cf. CRAc. Inscr. 1978, 264-265 ; Bull. Épigr. 1978, 19 ; 1979, 24 et 511.
61. Cf. Bull. Épigr. 1981, 420 et 442.
62. W. M. Calder, Klio (1910), 241, n. 13 ; pour le nom du dédicant, voir
Hellenica, XIII, 286.
63. R. Noll, Gr. lat. Inschriften Wiener Antikensammlung (1962), p. 37, n. 67.
Aussi avec photographies, pi. XXV, dans L. R., Hellenica, XIII, 285.
AMULETTES GRECQUES 23

à l'occasion de l'épithète latrine 64. C'est le même sens qu'a l'épithète Méter
Antaia 65 dans l'hymne orphique 41 : 'AvToda (3aaiXsia ; ce n'est pas une
Méter agressive, comme on a pu le penser 66 ; l'hymne se termine, 1. 9-10,
par l'invitation à venir euantétos :
àXXà, 9-sà, XtTOfxai as, 7roXuXX[aTY
V £7l' sÙlépWt. OSO [L\i(JTt]l.
Hécate aussi est Antaia chez Eschyle et chez Sophocle 67.
Dans l'hymne à Artémis, n. 36, la déesse, qui a ses colères et ses
vengeances et qui peut être assimilée à Hécate, est invoquée deux fois comme
euantétos, v. 7 et, vers la fin, v. 13-14 : èXOi, frsà aoOTsipa, cpiX-y;, {xocttyjictiv oltzcc-
<nv / cùàvTYjToç 68. La même déesse dans son rôle de prothyraia et Eileithuya,
n. 2, est aussi, v. 5, xXsiSoû^', sùûcvt/jts, cpiXoxpocs, Trâcjt, 7rpocr/)vy)ç.
Les papyrus magiques allégués ci-dessus et ci-après sont une bonne
introduction à la lecture de l'hymne à la Nuit n. 3, cette Nuit primordiale
à qui, seule, on offre comme encens pour la prière des éclats de pin 69. Nuit,
Nyx, protège des terreurs nocturnes. L'hymne est une enumeration des
bienfaits qu'elle apporte par le sommeil et les songes, « mère des songes,
donneuse de sommeil, amie de tous, oubli des soucis, relâche aux souffrances,
amie de la tranquillité et de la solitude propice aux songes ». Conclusion,
v. 12-15 : « qu'elle vienne, bienheureuse, désirée de tous, dont la rencontre

64. Voir Hellenica, III, 287-288, où sont utilisées et complétées par des documents
plus récemment connus les études d'O. Weinreich en 1912 et 1914 (maintenant Ausgew.
Schriften, I, 171, note 1, 313).
65. Le sanctuaire de Méter Antaia était le sanctuaire principal de Colophon
l'Ancienne, où furent découverts les très intéressants décrets du ive et du 111e siècle.
66. La juste interprétation chez Weinreich, loc. cit., I, 311-313. Il traite de l'oracle
de Didymes (maintenant /. Didyma, 504) sur l'épithète à donner à Korè : Sómpav
xXt)Çoù|Z£v utt' eùiépoiai {3oaîai / [xiXi/ov, àvrtav eïvai àei aùv [tr^xépi Atqoï. Sur le prophète
Damianos, ses scrupules pieux et son origine cyzicénienne, voir L. Robert, CRAc. Inscr.
1969, Trois oracles de la Théosophie, 583-584 ; BCH 1978, 471-472.
67. Voir C. F. H. Bruchmann, Epitheta deorum quae apud poetas Graecos leguntur
(1893), 96. Mystes d'Hécate à Tyndaris Bull. Épigr. 1966, 525.
68. Telle est la ponctuation de l'excellente édition W. Quandt, Orphei hymni
(1955 ; l'édition ayant été détruite dans un bombardement avant d'être sortie, l'auteur
avait eu l'amitié de me donner en 1951 un jeu d'épreuves de cette édition disparue).
Si l'on ponctuait après ircxaiv, le sens ne serait pratiquement pas changé.
69. Cf. Stéle Kontoleon, 4. Leur emploi pour l'éclairage dans des villages de Turquie,
que j'ai rappelé là, les cira ; par exemple Ch. Fellows, Asia Minor (1839), 140 (région
de Kûtahya, même dans les villes chez les pauvres ; à Aizanoi) ; Mrs. Scott-Stevenson,
Our ride through Asia Minor (1881), 161, dans le Taurus ; Th. Wiegand, traduit dans
BCH 1978, 444, dans le Sud-Est de la Mysie.
24 LOUIS ROBERT

est heureuse ; elle entend la voix suppliante ; qu'elle vienne dans sa


bienveillance » :
, <pó(3ou<; S'à7rÓ7T£(
Les textes magiques montrent à quel péril on échappe quand la
Rencontre est favorable, que Y apantéma n'est pas ponéron. Ce que sont « les
terreurs nocturnes », on l'a senti, et les angoisses de la nuit qui dépassent celles
du jour. A l'époque des hymnes orphiques, païens et chrétiens redoutent
également les esprits et les diables, de quelque nom qu'on les nomme, et
beaucoup sans doute cumulent les craintes des uns et des autres ; témoin
ce pandemonium que sont les amulettes et les papyrus. Les phylactères sont
un besoin constant pour les nerfs des hommes et des femmes. La douce Nuit
repousse les terreurs nocturnes ; cette suprême prière est caractéristique.
La déesse Nuit, sans culte pratiquement 70, mais vénérable, doit faire ce que
font tous les phylactères, repousser les malheurs, Yapopompè.
La seule divinité mâle à laquelle soit appliqué le mot euantetos est Zeus
Ourios sur la rive droite du Bosphore. Le voyageur Philon, fils d'Antipatros,
a élevé une statue du dieu dans ce sanctuaire comme signe d'une heureuse
navigation, àya^ç au(x(3oAov £Ù7tAoiy)ç. Telle est la fin de la jolie épigramme
du Musée Britannique connue depuis longtemps 71. Le premier mot est Oupiov,
suivi de Z9]va. Au début du dernier distique, Philon a consacré -ròv £Ùàvry]Tov
àsl tteóv. Ce Zeus du Bon Vent, en son sanctuaire du Bosphore, est bien un
dieu « à l'heureuse rencontre », à cause de sa situation géographique. Il faut
honorer Zeus Ourios, dit l'épigrammatiste, que l'on parte ou que l'on revienne
de l'Egée. Le départ, c'est, peu après le sanctuaire de la bouche du Bosphore,
affronter la terrible Mer Noire et ses colères fréquentes ; la faveur du dieu est
indispensable. Le retour dans le Bosphore après la navigation dans le Pont-
Euxin est une heureuse Rencontre 72.
Apantéma n'est pas signalé dans la Septante. La version du Sinaïticus
de Tobie relate ainsi les conseils de l'Ange : « brûle le cœur et le foie du
poisson devant l'homme ou la femme & à7ràvrr)fxa Soci^oviou yj tcveUjaoctoc ttovt}-
70. Cf. Stélè Kontoleon, 7-9.
71. Notamment Boeckh, CIG, 3797 (commentaire très développé toujours
intéressant) ; Kaibel, Epigr. 779 ; Gr. Inscr. Br. Mus., IV, 1012, avec photographie.
72. Pour l'importance du sanctuaire dans le commerce avec le Pont, voir L. Robert,
/. Savants 1978, 159, n. 32. Sur les tempêtes en Mer Noire, aussitôt que le navire est
sorti du détroit, cf. Et. Anat., 252-253, au sujet du port d'Héraclée ; sur les cimetières
de navires perdus sur la côte à l'Ouest de la sortie du détroit avec la Fausse Bouche,
voir Rev. Phil. 1959, 195-196 ; Gladiateurs dans l'Orient grec, 233 ; Bull. Épigr. 1954,
*33 ! I978, 316 ; Opera Minora, IV, 261 ; ibid., 343, sur la côte bithjmienne.
AMULETTES GRECQUES 25

pou xal çsû^eTai <xri aù-roû" uâv àvT7][xa,« qui a fait la rencontre d'un être
démoniaque ou d'un esprit mauvais et toute Rencontre fuira de lui ». Tobie est
ainsi protégé contre le démon Asmodée dans la nuit de ses noces.
Les mots rrôv... auvàvTTjjxoc me paraissent acquis. L'amulette doit
protéger contre la Mauvaise Rencontre. Mais il reste à expliquer les lettres que
j'ai laissées de côté.

On revient à une certitude avec le dernier groupe de mots. Un des sens


du verbe rcapaxousiv est «désobéir». Des règlements évoquent ce cas à l'époque
impériale 73. Ainsi dans un fragment de Philadelphie de Lydie 74, cpuXà^oa [xou
ty)v StaTayvjv rauTYjv xai, [XT] rcapaxoOaai TeQ-axOTOç [xou tyjv àpav, « d'observer
cette mienne disposition et de ne pas l'enfreindre, car j'ai établi aussi une
malédiction ». Très proche est l'interdiction dans une malédiction funéraire
à Diocésarée de Cilicie 75 : ôç àv Tïapaxoûcj-y] twv àpwv xal TOxpavoiqrj y; àXXo 7iTW[i.a
èizzv&ri, « Celui qui aura désobéi aux malédictions et aura ouvert le tombeau
illégalement ou aura déposé un autre corps ». Nous avons retrouvé ce verbe
dans une épitaphe de Philippoupolis 76. Il est attesté aussi en Egypte 77.
Le dictionnaire de Liddell-Scott- Jones renvoie à un passage de Lucien 78
et à trois de Josèphe 79. Le mot se trouve dans Isaïe 80 et dans six passages

73. Beaucoup plus tôt le verbe [7ra]paxoósiv semble se trouver dans l'inscription
boustrophédon I. Didyma, 18, 1. 8.
74. Hellenica, XI-XII, 258.
75. JHS 1891, 266, n. 59; MAMA, III, 77.
76. Bull. Épigr. 1962, 198 sur IGBulg., III, 1001, 1. 3 : 7Tapaxo[ûcnr]].
77. A la fin d'une imprécation funéraire à Hermoupolis Magna, SEG, 18, 692,
on a gravé : Taûra ctou 8éo\t.a.i • outcoç tuxe'v Y^v0lT0 T&v ^v P^V àyaftcôv eùopxoûvu, Trapa-
xoûovti Se "rà èvavna, « Je te demande ceci : qu'à celui qui tient son serment, il arrive de
jouir des biens de la vie, à celui qui ne le tient pas le contraire ». Dans un serment
sacerdotal sur un papyrus d'Oxyrhynchos, R. Merkelbach, Z. Pap. Epigr., 2 (1968), on
lit : éàv... [t'Î;ç 7Tap' è][/.oG racpaxoócrr) cru^pouXîaç (p. 15, 1. 4 ; p. 17).
78. Cronosolon, 10 : û[izXç 8è, co 7rXoócnoi., opôcTS [ir\ TrapavofxrjaiQTZ pnr)8è TrapaxoûairjTS
tcôvSs tcôv TrpoaTayjjiâTcov, « et vous, les riches, voyez à ne pas violer les lois et à ne
pas désobéir à ces instructions ».
79. Ant. Jud., I, 190 (Agar ; -apaxoûoucrav [xèv xou fteoû, « désobéissant à Dieu ») ;
I, 47, Trapaxoûaaç tcôv ê{i.ôiv èv-roXcov, « ayant enfreint mes commandements » ; VI, 142 :
7rapa9povsîo{>at Se xal ::apaxoûaî>a!., « déraisonner et désobéir ».
80. 65, 12 (renvoi dans Liddell-Scott-Jones) : Dieu dit (outcoç léyzi Kûpioç), èxâXeaa
'j[iôiç xal oùx 'JTcr^xouaaTS, ÈÀàXyjaa xai T:apr;xoûcaT£ xal è~ot7;caT£ xò r:ov7)pòv èvavTLov è[ioù
xal â oùx È^ouXo^v zizhzL%G§z, « je vous ai appelés et vous n'avez pas écouté, j'ai
parlé et vous avez entendu de travers et vous avez fait le mal devant moi et vous avez
choisi ce que je ne voulais pas ».
26 LOUIS ROBERT

d'Esdras 81. Il est fréquent dans les papyrus magiques 82, et on lit ^
Trapaxoucrflç 83 comme [xtq [aou 7rapaxoî><T7]ç, vsxuSocifzov, tcov èvtoAcov xaì tcov òvo-
aàicov 84, « ne désobéis pas, démon du mort, à mes commandements et aux
noms » (des puissances que j'évoque). On lit aussi èycó sîjxi ó è7iixaXoû{Aevoç
as SuptCTTt freòv [xéyav ÇaaXa7]pt.9pou, xal au frrç TiapaxoucnQç tyjç 9cov9jç, *E|3pa'ùm •
a(3XavafraXf3a a(3pacn.Xa>a 85, « je suis, moi, celui qui t'évoque en syrien, dieu
grand, etc., et toi ne désobéis pas à la parole, en hébreu, ablanatalba abra-
silôa ». Le verbe se trouve notamment dans le papyrus IV, 3008 sqq.,
formule judaïque pour exorciser les possédés du démon, SoapumaÇofjisvoi : « je te
conjure par celui qui s'est révélé (Ò7crav0évTa) à Osraël dans une colonne de
lumière et un nuage de jour et qui a sauvé (puaàfxsvov) son peuple de Pharaon
et qui a apporté à Pharaon les dix plaies parce qu'il n'obéissait pas, ttjv
Ssxà7rXr)Yov 8t,à to uapaxousiv ocutóv». Ces cas de désobéissance font penser aux
adjurations des papyrus magiques : àxouaov, âxous, èuàxoucrov 86. La fréquence
du mot de notre amulette dans les papyrus magiques et dans la Bible est
intéressante.

Les rapprochements faits ci-dessus montrent assez la parenté de notre


morceau avec la Bible dans son vocabulaire comme dans ses invocations.
Avec ses invocations au dieu des Chérubins, son rappel du Buisson Ardent et
du sacrifice d'Abraham, c'est une amulette juive ou très fortement judaï-
sante. L'absence d'images est aussi à relever sur cette pierre entièrement
couverte d'inscriptions. Elle apporte un document notable à l'étude de la
pénétration juive dans les documents magiques, papyrus et amulettes sur
pierres ou sur métal 87. Il ne s'agit pas d'un de ces morceaux qui répètent

81. Hatch et Redpath, Concordance, s. v. Ainsi / Esdras, 10, 3, 4 : Trap^xouaav yàp


tcôv èvToXcóv ctou, « ils ont désobéi à tes commandements ».
82. Tome III, index, avec 14 références.
83. Pap. Mag., II. 86 : •yjj/.STspTqç çoùv^ç vûv, ôcç^lts, \j.t) Tuapaxoûoyjç.
84. Pap. Mag., IV, 368.
85. Pap. Mag., V, 473 sqq. Cf. A. Deissmann, Bibelstudien, 10, sur xûptoç ~wv
(Hénoch et Nombres au sujet des malédictions juives de Rhénée) et sur
86. Dans Josèphe (histoire de Sara) il s'y oppose (du côté du Seigneur) 8ià tò dcra-
xouaoa tòv &sòv r7)ç îxsataç. On a vu ci-dessus dans Isaïe l'opposition ÛTraxoûstv-Tiapa-
xoijetv. Dans Pap. Mag., V, 468 sqq. : sicâxouaov [iov zrtç çcovyjç quelques lignes avant xal
au jX7) 7rapaxoocnr)ç Tréç çwvîjç.
87. Sur l'apport hébraïque (Genèse, Exode, Psaumes, etc.) dans les papyrus
magiques, je renverrai seulement à K. Dieterich, Abraxas, 68-71, 169, n. 3 ; R. Wùnsch,
Antike Fluchtafeln, pp. 12-15 ; P. Wendland, Die hellenistisch-rômische Kultur in ihren
AMULETTES GRECQUES 27

les noms divins Iaô, Sabaoth, Adonai, parmi bien d'autres, mais d'emprunts
continus et significatifs aux textes sacrés juifs et au vocabulaire de la
Septante.

II. — Le profit de la justice.

Le verbe éyyiÇeiv se lit sur une autre amulette du Cabinet des Médailles
que les éditeurs décrivent ainsi, n° 391 :
« Froehner 2916. Scorpion décapode entouré du Bélier et du Taureau
représentés par les têtes seules, de la Balance, du soleil et de la lune. — Rev.
Palme et signe rappelant un chrisme. En légende : omz^/z o"10 àStxou xal <po[3oç
oùx èvyio-eo croi, « tiens-tois à l'écart de l'injustice (ou de l'homme injuste)
et la crainte ne s'approchera pas ». Jaspe jaune et brun, 27 X 21 ».
Cette maxime morale fait penser aussitôt à l'Ancien Testament, aux
règles que donnent par exemple les Proverbes, la Sagesse de Sirach ou la
Sagesse de Salomon. Le mot èyyiÇsiv, on l'a vu ci-dessus, est fréquent dans
la Septante. De fait, la ' Concordance ' 1 nous assure qu'il s'agit, avec un très
léger changement, d'un verset d'Isaïe 2, où le prophète ordonne et assure,
54, 14 : (XTzé~/o\) ano àSixou 3 xal où <po(3y]&Y]O7] xal Tp6[ioc, oùx êyytsï aoi, « abstiens-
toi de l'injuste et tu ne seras pas effrayé et le tremblement d'effroi
n'approchera pas de toi ». C'est ainsi que la Septante adapta le texte hébreu qui donne
(Bible de Jérusalem) : « tu seras fondée sur la justice, à l'abri de l'oppression,
car tu ne craindras plus, à l'abri de la terreur, et le tremblement d'effroi ne
s'approchera pas de toi ». Tpoji.oç a été remplacé sur la pierre par <poj3oç.
Comme phobos, tromos se lit dans la Septante et les deux mots vont souvent
ensemble ; ainsi dans l'Exode, le Deutéronome, les Juges, Isaïe, le Psaume 54,

Beziehungen zu Judentum und Christentum (1907), 108 ; M. P. Nilsson, loc. cit., 63-67 :
« der jiidische Einschlag ist ausserordentlich stark » ; R. Heim, Incantamento, magica,
522, 523, 527 ; A. J. Festugière, L'idéal religieux des Grecs et V Évangile, 287, n. 9 ;
294, n. 1 ; 298, n. r ; La révélation d'Hermès Trismegiste, IV, 183, notes 3 et 4 ; 186, note 2,
8, 9 ; 187, n. 6 ; 189, n. 7 ; 196, n. 7 ; M. Simon, Verus Israel, 394 sqq. ; Recherches
d'histoire judéo-chrétienne, 142-144 ; Campbell Bonner, loc. cit., 26-32.
1. Hatch et Redspath ; cf. ci-dessus.
2. Il s'agit de la partie que la critique moderne appelle « le deutéro-Isaïe ». La
distinction n'a pas d'importance pour notre monument.
3. De son serviteur Job le Seigneur dit : à.r.zyó\Ltvoc, óltzò Tiavròc xaxoû, Job, 2, 3 ;
cf. 28, 8 : to 8è àTré/ea&ai ârrô xax.ûv.
28 LOUIS ROBERT

etc. 4. Phobos n'est pas ici le tpófioc, $sou 5, commencement de la sagesse, et


c'est bien plus fort que « la crainte ».
Dans le monde grec, depuis une époque ancienne, Phobos est
personnifié et divinisé 6, comme dans la fameuse inscription de Sélinonte au Ve siècle ;
il est un des dieux qui donnent la victoire ". A la différence de tromos, c'est
une puissance surnaturelle, puissance hostile, et les gens doivent se défendre
contre ses attaques. Cette figure a pénétré assez naturellement dans la magie-
On peut faire apparaître un Phobos tout armé, comme Ares, Oo(3oç ècpàvy]
xa^co7iXi.(j[j.évo<; 8. Surtout on redoute les <pó(3oi, qui sont les terreurs causées
par les démons et les esprits 9. Une amulette de Rome, de couleur noire, avec
l'image d'Anoubis, est destinée à protéger izphc, 8é^ova(ç) xè <po(3ouç 10. La
« terreur nocturne » a sa place dans le Psaume 90, cité ci-dessus : où <po(37]0-y]cry)
Ó7TÒ cpó(3ou vuxTspivoû, et ce passage sera largement utilisé dans les exorcismes
chrétiens à l'époque médiévale ou moderne n. Un papyrus de Londres, Pap.

4. Voir Hatch et Redspath, loc. cit., s. v. xpo^oç. Les deux mots aussi dans une
imprécation inédite de Carthage ou d'Hadrumète, 1. 11-13 : àvoysTCùcàv [toi où mikcci
toû "ASouç xal è^sfystpjaç àvccTzéyL'^ov [i[oi] tôv ììtzò as vsxpwv 7rv[e]u[(x]dcTcov é'va SaLjjiova ço(3co
[xai] Tpó[[x]w xarsxófXEVOv.
5. Cf. A. DiETERiCH, Abraxas, 87.
6. Voir notamment A. Dieterich, ibid., 86 sqq. ; L. Deubner, Ath. Mitt. 1902,
253-364 : Phobos ; P. Wolters, Bonner Jahrbiicher, 118 (190g), Ein apotropaion aus
Baden im Aargau, 269-274 ; Weiszâcker, dans Roscher, Lexikon, s. v. Phobos. Une
lampe d'Athènes publiée par Deubner porte le nom Phobos au-dessus d'un ours.
L'éditeur y a vu Phobos personnifié sous la forme d'un animal redoutable ; de même P.
Wolters. Je pense que, selon la suggestion de Gustav Kôrte, c'est le nom d'un ours dans les
combats de l'amphithéâtre, où la bête était aux prises avec un bestiaire spécialisé dans
ce combat, l'ursarius. Sur les noms de bêtes dans l'amphithéâtre, cf. mes Gladiateurs
dans l'Orient grec, 158, avec la note 2, et 191. Ce nom-ci est bien naturel. A Carthage,
sur une mosaïque de chasse à l'amphithéâtre, deux ours sont appelés Homicida et Cru-
delis (Mon. Piot, 34 (1932), 129-130). Pour les ursarii, depuis mes Gladiateurs et les
suppléments dans Hellenica, III, V, VII, Vili, j'aurai à ajouter toute une série de
monuments, relevés surtout en Asie Mineure.
7. Sylloge3, 1122 ; Tod, Hist. Gr. Inscr., I, n. 37 ; cf. Bull. Épigr. 1964, 632 ; 1965,
505 ; 1966, 521 ; 1967, 716.
8. Pap. Mag., XIII, 519. Cf. Dieterich, loc. cit.
9. Cf. Dieterich, loc. cit., 89.
10. IG, XIV, 2413, 8. Cf. Dieterich, loc. cit., 89 ; L. Deubner, Ath. Mitt. 1902,
256 ; P. Wolters, loc. cit., 269 ; surtout F. Pradel, Griechische und suditalienische
Gebete, Beschwôrungen und Rezepte des Mittelalters (Relig. Vers. Vorarb., III 3 ; 1907),
77 ; aussi Campbell Bonner, loc. cit., p. 95.
11. Ainsi dans F. Pradel, loc. cit., p. 7. S. Eitrem, Pap. Osloenses, I (1925), p. 52,
renvoie à Pradel pour cette formule ; mais c'est, dans le manuscrit médiéval, la
reproduction du Psaume 90, comme l'avait indiqué Pradel, et le [xoccttiç, le fouet, n'est point
celui des dieux égyptiens, mais celui de l'Ancien Testament.
AMULETTES GRECQUES 29

Mag., X, 25 sqq., donne la recette d'un thymokatochon, qui est efficace contre
tous, -poç Ttàvraç 7:01st. Le verbe 7:01s tv a le sens fort de « faire, agir sûrement ».
C'est exactement celui qu'il a dans l'astrologie, où les astres ne « signifient »
point telle destinée, mais ils la « font » 12. Des astres kakopoioi et phthoro-
poioi rapprochons l'amulette de Madrid IG, XIV, 2413, 11 13, qui emploie
ces mots pour les esprits : ~5.v ([i)izpbv 7:vsijfj.a xal xaxo—otòv xal
a~oiky.Gov xtX. La recette de Londres agit, 7:01st yàp ~poç éyj}poùç xal
xal X^a-rac xal 90{3ouç xal çavTacrptoùç ôvstpcov, « contre les ennemis, les
accusateurs, les brigands, les terreurs et les apparitions des rêves ». Dans l'hymne
orphique à la Nuit, cette divinité est priée de renvoyer les terreurs nocturnes,
<po[3ouç 8' òltzó-zil-z vu/auystç 14. Le papyrus de Leyde, Pap. Mag., XIII, fournit
cette invocation : sTuxaXoOtzat as ròv èv tw oùpàvco (jtéyav 0-sóv, xuptov, [Asyacr-
O-ev9j 'Iàco (puis série de voyelles) ó wv, StaçûXaçov fxs aTrò Travroç cpó(3ou, à~ò
TravTOç xtvSuvou toû svso"7cotOç [xot, sv tyj cr/jfxspov 7)[xépa, év tt] àpTt topa, « je
t'invoque, le grand dieu dans le ciel, seigneur, à la grande force, Iaô, celui
qui est, protège-moi de toute terreur, de tout danger qui me menace, dans
l'heure d'aujourd'hui, dans l'heure présente ». L'influence juive est
spécialement marquée par l'expression ó oov 15. D'autres documents magiques, aussi
des amulettes, protègent à-ò <pó[3ou, 7:pòc cpó(3ov 16. On a remarqué que la
Septante employait volontiers la formule StacpuXa^ov, en publiant cette prière
chrétienne 17 : « protège cette maison avec tous ses habitants de tout mal,
de toute fascination des esprits aériens et du mauvais œil humain et de la
souffrance terrible et de la morsure du scorpion et du serpent par le nom du
12. Cf. Entretiens Fondation Hardt, XV, L'épigramme grecque (1968), 215-217.
Le papyrus magique d'Oslo, I (1925), n. 1, emploie ce verbe plusieurs fois : sic TràvTa
tïouôv (1. 1), [xé/pstç xal :rpoç PaaiXéaç t.qizï (1. 36), roiTjaarat tï)v &£Ïva v^v etexev 7) Sstva
àypoiTcvsîv (1. 147, adressé « aux démons sous la terre », « aux démons de la profondeur »),
TToisï Se xal -poç 87]!ì.ovio7:Xt)xtouc, ceux qu'a frappés un démon (1. 276) ; aussi Pap. Leyde).
P. 203, S. Eitrem commente : « presque identique à ivyysiv, agir, être efficace » ; il allègue,
avec L. S. J., Strabon, V, 234 C, à Sinuessa, Ospjzà Xourpà xdcXXioTa, Troiouvra 7rpoç voaouç
èviaç.
13. Cf. Bonner, loc. cit., p 96.
14. Voir la section I.
15. Cf. M. P. XiLSSON, Opuscula Selecta, III, 297-303 : Zwei Altare aus Pergamon,
traitant surtout d'un autel de Pergame, avec l'inscription singulière : 0soç xûpioç, ó o>v
sic àsl ; au-dessous la dédicace : Zcorcupoç tcô xvpioìi tòv pco^òv xal tyjv çonTocpopov [iz-zà.
toû çXoyoo/ou ; sur le même autel E. Bickerman, Studies in Jewish and Christian
history, II, The Altars of Gentiles, 341-342.
16. Voir E. Peterson, Eis Theos, 353, note 34, partant de la tablette d'Aerai.
17. A. Friedrichsen dans S. Eitrem et A. Friedrichsen, Ein christliches Amulett
auf Papyrus (Kristiania, 1921), 25. Repris dans P. Oslo, I, n° 5, p. 21 et dans Pap. Mag.,
tome II, P 3 (p. 190) ; cf. aussi M. X. Tod, /. Eg. Arch. 1939, 58 sqq., pour les reptiles.
30 LOUIS ROBERT

dieu très haut » 18, ce SuxcpuÀot^ov qui se lit dans le Psaume 90 19. Une des
amulettes de la Bibliothèque Nationale, n. 177, montre d'un côté le génie
anguipède cuirassé avec tête de coq et le palindrome Ablanathanalba, et
de l'autre, avec un dieu ailé debout sur le dos d'un lion couché et des lettres
magiques, cette prière dans un cartouche : SiacpuAa^óv jxs fatò ttocvtoç xaxou 20.
Tandis qu'on se protège du phobos, il est bon aussi de l'inspirer aux puissances
adverses. Ainsi dans un texte tardif comme la Prière de Saint Michel, on dit
à l'Envie fascinatrice, au Mauvais Œil : cpo^O-^Tt, Bacjxoauvy], to ^sya ovopx
tou ftsou 21, « prends peur, Fascination, par le grand nom de Dieu ».
Notre amulette présente simplement une sentence morale. Ce qui
protège du phobos, c'est l'intégrité de l'homme juste, de celui qui s'est abstenu
de toute injustice. La source de cette morale et les termes qui l'expriment
sont tirés de la sagesse hébraïque, ici spécialement du prophète Isaïe. D'autre
part, l'autre côté du talisman nous introduit, par ses figures, dans les
doctrines astrologiques avec les signes planétaires, lien remarquable. Enfin, au
centre de la face qui contient la sentence qui borde en cercle l'amulette, le
christianisme est évoqué par cette image : une croix en tau traversant et
surmontant une croix de Saint André et accostée d'une palme.

III. — Je suis N oskamardotenan.

Parmi les monuments publiés par Campbell Bonner avec la formule


« Un Seul Dieu vainqueur des maux » et l'image du Cavalier transperçant la
diablesse se trouve, n. 312, un bronze de Syrie de la collection Henri Seyrig.
Je traduis la description.
« Bronze. Longue plaque ovale, se rétrécissant vers la boucle. 55 x 24.
A. Cavalier transperçant une figure féminine. Inscription endommagée à
la fin. Cette face non reproduite. — R : èyco tlyn vocrxafiocpSoTevocv. La
lecture est certaine, mais le dernier mot ne s'est pas rencontré ailleurs » 1.
18. AiaçûXa^ov tòv oTxov toûtov [izjà rtov èvoixoûvxtov arcò TravTOç xaxou, arcò {3aaxooûv7)ç
7tâcnqç àepîvœv 7TV£U[xàTC0v xal àv&pcomvou oç&aXfZoû xal rcóvou Setvou xal SY)YtAaT°Ç crxopmou
xal oçecoç Sia tò Òvofxoc toû û^iotou ftsoO.
19. Verset n : cm toïç à.yyê'koii; aùxoû èvTsXsÏToa Trspî crou tou StaçuXà^at os Iv Tràoaiç
toûç oSoïç cou.
20. Cf. la note 18.
21. P. Perdrizet, Negotium perambulans in tenebris (1922), 24, d'après R. Reit-
zenstein, Poimandres, 298.
1. Cf. p. 214 : parmi les mots inintelligibles et la mystification magique, «
seulement èyó) sljjit est intelligible ».
AMULETTES GRECQUES

~- ^ ^e "'fir~m* ^ -."•>; • .'2 \

Fig. 3. — « Je suis Noskamardotenan ».

La lecture est verifiable en tous ses détails sur la photographie. Il est


intéressant de savoir qu'il en existe un autre exemplaire qui se trouve dans
la collection Froehner. Lorsque je préparais le catalogue des inscriptions
Froehner, j'avais copié aussi, avec 1' ' instrumentum domesticum ' les
inscriptions de caractère magique sur plomb, sur bronze ou ' mica ', et j'en avais
eu des photographies 2. Or le n° IX 201 est une plaquette de bronze, ovale,
avec bélière. L'inscription du revers n'offre aucune difficulté ; c'est èyw
2. Cat. inscr. gr. Froehner, pp. vi et 106-107.
32 LOUIS ROBERT

Evav 3. La coupe des cinq lignes est seulement différente. — De


l'autre côté, le cavalier et la diablesse avec l'inscription ó vixcov -zà [xocxà] ;
ce dernier mot n'a pas été gravé. Avant ces mot, je croirais lire EIç O-soç, sans
en être assuré. Je donne ici la photographie des deux côtés, fig. 3.
Ce rapprochement montre naturellement que le nom Noskamardotenan
n'est pas une invention pour une seule amulette. D'autre part, Froehner
indiquait cette provenance : Sayda, 1890. Cette formule est donc syrienne,
comme il apparaît aussi normalement d'après les origines de la collection
Seyrig.

Le début du nom se retrouve sur une autre amulette provenant aussi


de Syrie. H. Seyrig avait publié en 1934 une intéressante amulette en bronze
destinée à protéger un Théodôros, fils de Christina 4. Par un heureux hasard,
le même savant achetait à Beyrouth en 1965 une amulette, complète cette
fois, avec des figures qui donnent l'image de la face A, très mutilée dans
l'autre amulette. Plus encore, sur la face B se trouve le nom du frère de celui
qui portait l'autre amulette, Constantinos, fils de Christina, cpuÀaçov KociTav-
tïvov ôv stsxsv Xpicmva * zìe, ftzoç 5. Or sur le côté A la nouvelle amulette,
après la même formule que sur l'ancienne, « Cheval, Michael, Gabriel, Ouriel »,
et une autre phrase assez obscure, déjà connue, après encore l'invocation
« Sceau de Dieu, sois avec nous », acppaylç Qeou \itd-' yjjxcov yévou, on lit : 'Eycó
£t[xt, Nocrxocfz, suivi de xaxacpaye : « je suis Noskam ; avale ».
L'amulette a été publiée par A. Barb 6, spécialiste de ces documents,
qui fut naturellement très embarrassé par Noskam. « Le mot est énigmatique.
Il apparaît aussi au revers d'une amulette de bronze dont le droit montre
l'habituelle représentation du cavalier (n° 312 de Bonner). Le « je suis
Noskam » se rapporterait-il au roi Salomon figuré là ? Et ce noskam serait-il
le mot latin noscam, « je reconnaîtrai », écrit en lettres grecques ? D'ailleurs
Bonner ne connaît aucun exemple de mots latins dans les textes grecs de ses
amulettes 7 et la récolte dans les papyrus magiques paraît très maigre 8.
Mais Pradel a trouvé dans les prières magiques grecques qu'il a publiées une

3. Copie de Froehner.
4. Berytus, 1, pp. 5 sqq. et dessin. Voir plus loin note 12.
5. Au bas de cette face, le Mauvais Œil assailli en bas par ses ennemis traditionnels,
deux lions, ibis, serpent, scorpion ; en haut deux couteaux le transpercent.
6. Syria, 49 (1972). Magica Verba, pp. 344-353.
7. Loc. cit., pp. 173-174. A. Barb relève que plus tard Bonner, Hesperia 1951,
331, n. 41, a publié une amulette avec les mots coufzap9-a çy)X^ (= felix) tx$px*,o<.ç.
8. Renvoi à Preisendanz, III, p. 207.
AMULETTES GRECQUES 33

série de mots et de formules latines écrites en lettres grecques » 9. Sur une


autre amulette de Syrie vue et photographiée par H. Seyrig en 1963 et publiée
par Barb, pp. 353-357, on lit les mêmes formules que sur les deux amulettes
des fils de Christina : çsûys, çsuys A|3iÇiov • è'v&a yàp xaToixsï Sictivioç xal
Statvia xal ó Xà(3paç xouov, « fuis, fuis Abizion, car ici habitent Sisinios et Sisi-
nia et le chien vorace », Zoàwjjlov ó [Njocxapi, [cpóXa]£[ov — ] 10.
Sisinnios, le saint cavalier parthe, est invoqué pour protéger les nouveau-
nés contre la diablesse qui les enlève. Sa protection s'affirme dans les
inscriptions des maisons ou sur les amulettes où il est figuré transperçant la femme
de sa lance du haut de son cheval. La diablesse possède « douze noms et demi »,
connus par diverses listes et que Sisinnios et ses compagnons l'ont forcée
à leur livrer n. Or l'un des noms de cette Gyllou est Abyzion, Abyzou, Aby-
ziou.

On a reconnu Sisinnios avec S. Michel 12 sur une amulette byzantine qui


n'est connue que par un dessin de Du Cange 13. Au droit, la Théotokos et
l'enfant. Au revers, sur une bande au pourtour à sept compartiments, sept
personnages dans diverses positions du sommeil ; ce sont les Sept Dormants
d'Éphèse. Comme sur une médaille russe, ils apportaient « une sorte de
somnifère » 14. N'est-ce point pour les enfants que le sommeil est le plus indispen-

9. Ces textes sont bien plus tardifs et ils viennent de l'Italie du Sud.
10. Telle est la coupe des mots adoptée par Barb, et non 2oXwjì.ovo (ç ) [NJomtajx.
11. L'étude de cette diablesse d'après des textes byzantins, une fresque de Baouit
et des amulettes, est une partie importante du beau mémoire de P. Perdrizet, Nego-
Hunt perambulans in tenebris (Strasbourg, 1922), 11-27. Sur les origines de cette figure
voir E. Peterson, Eis Theos (1926), 103-130, 311. Quant au « chien vorace » des amulettes,
voir Hellenica, XIII (1965), 267, n. 1, où est restituée et expliquée la formule, après
les noms de Sisinnios et Sisinnia, [xal] ó Xà{3pa£ xoûov (= xûgjv). Je n'ai pas considéré
ce chien comme le chien des Enfers, persistance de Cerbère. Je croirais que c'est un chien
de chasse, qui accompagne les cavaliers partis à la poursuite de la diablesse comme des
xuv7jyoî, des chasseurs (le mot se trouve dans la rédaction de la légende republiée par
Perdrizet). Pour les listes des noms, outre Perdrizet, voir A. Delatte et Josserand
dans les Mélanges Bidez (p. 21), 231-232 ; pour la demie s'ajoutant au chiffre des noms,
après Perdrizet, voir ibid., 226, pour les démons. Pour le premier nom Gyllou, voir aussi
après Perdrizet et Delatte- Josserand, A. Barb, Journal Warburg Courtauld Inst., 16
(1953), 211 et 237, n. 315-316.
12. A. Grabar (note suivante) rappelle que des amulettes unissent S. Michel et
S. Sisinnios. Sisinnios et Sinodôros sont nommés dans une Légende de S. Michel ; cf.
P. Perdrizet, loc. cit., 20.
13. A. Grabar, Mélanges Henri-Charles Puech, Amulettes byzantines du Moyen
Ag*> 534-535 et pi. III, au bas.
14. A. Grabar, ibid., 537 et pi. VII.
34 LOUIS ROBERT

sable ? l'image les empêchera de pleurer et de crier toute la nuit. Au droit


à gauche, S. Michel ailé brandit une massue et, selon le dessin, il semblerait
menacer un enfant nu, accroupi, qui est aux pieds de Sisinnios. Il n'est pas
nécessaire que S. Michel ait un adversaire figuré devant lui. Le dieu cavalier
Kakasbos, dont on a tant d'images sur de petits reliefs en Lycie et en Pisi-
die, brandit sa massue ; cette attitude offensive suffit pour assurer la
protection de ses fidèles contre tous maux et dangers. « A côté de Michel, un homme
barbu et nimbé, saint Sisinnios. L'identité de ces personnages se laisse établir
à l'aide de l'inscription (mutilée) qui les entoure. Il s'agit de deux
triomphateurs qui apparaissent déjà dans cette qualité sur les amulettes de la plus
haute époque byzantine 15. La présence de Sisinnios sur cette pièce médiévale
établit un lien entre les phylactères de haute époque byzantine et du Moyen
Âge ». Un autre enfant nu, dos contre le dos de l'autre, ployé sur un genou,
s'accroche de la main droite au boid du grand manteau de Sisinnios. Ce ne
peut être un démon, bien inoffensif, terrassé par l'archange et dépourvu
de tout attribut du Mauvais. Je crois que ces deux bébés se sont réfugiés
auprès de leur protecteur traditionnel, Sisinnios, contre les tentatives de
la diablesse. Ils sont à ses pieds et l'un s'accroche au manteau, — un manteau
comme celui de la Vierge de Miséricorde, qui protège les dévots, parfois en
grand nombre. Médaille de protection pour les enfants.

Il me paraît clair que l'on ne peut chercher à expliquer Noskam par le


latin noscam, alors que la formule non abrégée est Noskamardotenan. Un
sémitisant débrouillerait-il quelque chose dans ce nom complet ?
C'est ici l'occasion d'expliquer une formule dans une amulette du
Cabinet des Médailles n° 270. D'un côté, les trois Grâces, dans le groupement
traditionnel, les deux qui sont de face tenant « un fruit sphérique ». N'est-ce
point une pomme, symbole et gage d'amour ? De l'autre côté « une jeune
femme nue, dissimulant son sexe de la main gauche, offre de la droite un
fruit au génie anguipède alectorocéphale, vêtu comme à l'ordinaire et tenant
de la main gauche le bouclier et de la droite le fouet. En légende : Ai
Il est facile d'isoler les trois dernières syllabes sous la forme
« taisez-vous, gardez le silence ». C'est le silence de rigueur dans le culte et,
comme ici, dans des opérations magiques 16. Dès lors, ?ayous se laisse aisément
transcrire par le latin linguae 1", /avete linguis.
15. Renvoi à P. Perdrizet.
16. Pour la magie, cf. notamment A. Dieterich, Mitras Liturgie*, 42-43 et 64,
et (Weinreich) 229 ; l'index des Pap. Mag,., Ill, s. vv. aiyâv, aiyrj. Un texte de la « Mithras
AMULETTES GRECQUES 35

IV. — Sphyridas et le cynocéphale.


Le numéro 19g, provenant de la collection Froehner, est ainsi décrit
et expliqué. « A. Cynocéphale ithyphallique debout à droite, coiffé d'une
étoile, dans un geste d'adoration, les deux mains levées. Derrière lui, un
ménisque. — R. En inscription de trois lignes : IAH / IAEI / IEQ. En légende

commençant sur le biseau et se continuant par une seconde ligne sur le plat :
Aoç /àpiv [/.opcprjv vbcvjv ZçupiSaSt, / ôv stsxsv ©(.voucnpic. (Trad.) : Donne la
grâce, la beauté, la victoire à Sphyridas, qu'a mis au monde Thinousiris.
On notera que la filiation est donnée par rapport à la mère, en des termes
rappelant la formule égyptienne. Intaille décrite par Froehner, Cahier XIV, 20.
Jaspe jaune, 16 x 12 ».
La filiation par la mère n'est pas une « formule égyptienne ». Elle est
régulière dans tous les documents de la magie, que ce soit à Carthage, en
Macédoine, dans l'Asie Mineure, en Syrie, à Rome, partout : ôv stsxs Mapxiavv],
quem peperit Ma. Toute opération magique doit désigner sans erreur la victime
ou le bénéficiaire, en fournir une identification exacte ; d'où la mention de la
mère en vertu de l'adage mater certa, pater incertus. Il n'est guère de savant
familier avec les documents magiques qui n'ait rappelé cette règle de
l'état civil dans le monde innombrable de la magie l ; il serait oiseux de

Liturgie » étudié par Dieterich est caractéristique : au Se sûOicoç èm&zq SsEiòv SàxT<j>.ov
IîtI tò arópia xal Àéys * Sty/], Siy/], Sty/), <7Ûpi[3oXov frsoû Çwvtoç àcpftâp-rou, « mets le doigt
droit sur la bouche et dis : Silence, Silence, Silence, symbole (cf. p. 64, note 3) du dieu
vivant, incorruptible » ; çuXa^ov, \iz, Siy/), « protège-moi, Silence ». Cf. A. Barb, Gnomon
ig6g, 304, avec la note 4.
17. La disparition de la nasale est un phénomène courant dans les transcriptions
en grec ; par exemple Clemens est transcrit par Kàyj[ì.7]c
1. C'est l'occasion de citer une amulette, feuille d'or achetée à Damas, publiée par
P. Perdrizet, Rev. Et. Gr. 1928, 73-82 : Amulette grecque trouvée en Svrxe. Après douze
lignes de noms divins et de « caractères », on lit cette formule pour la santé Kûpiot.
ap/dcvysAot. &sol xal f>ïoc yjxpxxzr^zq a-zXo.aoi.TZ ttSv xaxòv xai. -âaav [èrîX^Jtx'yt.v xal -àaav
:

fxoiXjapytav (ou xapSiaÀyîav) à(y.)-\b raiSîjou ?jv STSxsfv] OPII — ; « la prière ne devait
pas dire le nom de l'enfant ». Mais ne faut-il pas retrouver le nom, bien nécessaire
dans la magie, en restituant 'Ay.r.\z7i]o'j ? Le nom féminin 'Ajj.r£À!.ov est bien attesté ;
ainsi à Blaundos (J. Ki;il et A. von Pri;mi:rsti:in, IIe Reise, n. 276) ; à Héraclée de
Macédoine (Bull. Epiçr. 1955, I3i)) à Syros (/G, XII 5, 678 ; Peek, Gy Versinschriften,
2030), à Smyrne (BCH 1894, 199), en Egypte. Une imprécation inédite de Carthage
'•

ou d'Hadrumète vise non pas à la possession d'une femme, comme d'ordinaire, mais
à la constitution d'un petit harem, 1. 20-27 s— l r/;v FIoaTouixav [rtv st|exs[v TjspToGÂXa
xal èri 7f,v TîCTOU/.AÏvav rtv ërcxsv OXaouîa xal i~\ tyjv IIïprsTO'Jav t'.vsç <AoL zia'.v Ojoào'jctioc
:
36 LOUIS ROBERT

citer des noms pour quelque partie du monde antique que ce soit.
Le nom Sphyridas est connu par deux témoignages au moins. Dans
un compte d'Épidaure au IVe siècle a. C. apparaît un [2]cpupi8ocç 2. Scpupwv
était allégué par Bechtel à Iasos au Ve siècle 3 parmi les noms des parties du
corps, en l'espèce la cheville. Mais il notait l'ambiguïté du nom, car il
pourrait avoir aussi pour origine un outil, açûpa, le marteau. Il rapprochait aussi
le nom Sphyros, fils de Machaon, fondateur d'un des temples d'Asclépios
à Argos selon Pausanias, I , 23, 4 4, le nom encore à Argos de la subdivision
civique des SçupîjSai. Il semble qu'il y ait là un groupe homogène en Argo-
lide 5.
Parmi les noms en Egypte, le Namenbuch de Preisigke enregistre un
Hcpûpiç ó xal Oécov dans les papyrus de Tebtunis en 208 p. C. et le même en
205 6. D. Foraboschi ajoute pour 2<pOpiç un ostracon de Michigan, 93, au
ive siècle. En Asie Mineure, dans la ville phrygienne de Tymandos, MAMA,
IV, 257, une épitaphe de l'époque impériale mentionne, au datif, une 'Icrcpu-
piSt, ; l'index a transcrit le nom 'Iccpupiç ; mais il s'agit du iota prosthétique
de t<7TpaTi,GVr/]ç, tcrréçocvoç, etc., et la personne s'appelait Zcpuptç. Le
nominatif ZcpupiSâç — un nom en -ôcç — est assuré pour le bénéficiaire de l'amulette

par le datif 2<popi85c8t, qui pourrait être aussi, spécialement en Egypte, Scpupi-
8ôcti. Cette même forme est introduite dans l'anthroponymie de l'Egypte
xal Oauaaavoç xal è-l rrçv KâvSiSav rtv 2tsxsv Zouxéaaa * xaTaSTjaov xal xpàr/jcov aÙTàç ëpam
xal Trónco • àypuTrvstTWCTav, (jLspijjLvetTcoaav 81 'ôX/jç vuxtoç xat Tjfiipaç oïaTpw xal tzô^cù èizi rfj
sjiT) çiXla, e-l t£> è{zÇ> spom toû Tatou ô stsxsv OùiraXiç * xat s7Ti9-u(JLÎa rupoujxevot. ràç f^ux*Çi
Tàç xapSîaç, zac, arcXâv/yaç aùrtov, paaavi^opLevot èizì tov 7% ^wtjç \iox> xpóvov.
Même litanie 1. 33-37, après les impératifs xaxaSYjaov xat xaûoov, çXéÇov, rûpwcov xal àçov
[toi T7)v IIoaToûpiav Yjv Stsxsv TspToûXXa et la suite. — Dans le Catalogue de la collection
De Clercq par A. De Ridder, VII, 2, Les pierres gravées (191 1), le n. 3437 offre l'image
du génie à tête de coq et à jambes de serpent. Au revers, l'éditeur a reconnu, 1. 3-4,
cpóXa^óv [is, et après des séries de voyelles, èyw eî|zi. C'est ainsi qu'ordinairement — on
l'a vu — se présente le dieu ou génie. Ici je reconnais le porteur du jaspe vert, qui donne
son identité, car je lis : Ayj^tpic (= A7)(ZY)Tpi.oç) ôv ersxs (l'éditeur avait lu la 3e lettre
comme sigma lunaire), puis, après un rhô douteux, un nom qui doit se continuer en
ap(3ou ; ce peut être un nom de femme au nominatif en -où ; ensuite B0AS, fin du nom
de la femme en -âç ? En tout cas, le nom de la mère. Enfin, dans IlKFISTP^IAON, je
reconnais TrspiaTsTXóv \xz, « protège-moi ».
2. Publié par Charitonidis ; voir Bull. Épigr. 1958, 235.
3. Hist. Personennamen, 283. L'inscription d'Iasos : Sylloge3, 169, 17.
4. Cf. Pfisïer dans le Lexikon de Roscher, s. v. Sphyros, qui commente le nom
considéré comme abréviation de Sphyromachos et l'emploi d'un marteau dans la
trépanation.
5. Bechtel, loc. cit., 603, parmi les noms tirés d'outils (aussi sur opitXYj et rópov),
cite Sphyrôn d'Iasos avec le commentaire : « l'explication est incertaine ».
6. P. Tebtunis, II, 307, 1. 7 et 605.
AMULETTES GRECQUES 37

impériale par un papyrus d'Erlangen 7, au début du ive siècle. Deux comptes,


n. 28, 1. 44, et n. 30, 1. 47, nomment la même personne SçucpiSScç.
Dans ces deux cas, l'étymologie par « la cheville » me paraît claire. D'autres
représentations de cynocéphales sont connues sur des amulettes, ainsi chez
Campbell Bonner : il est assis (n. 244), debout, assez semblable au nôtre (n. 243,
246, 247) 8 ; l'éditeur a commenté le sens et l'entourage du cynocéphale,
être solaire 9. Je donne ici une photographie très agrandie d'un moulage de
la pierre du Cabinet des Médailles, fig. 4. Devant la tête de l'animal une
étoile ; derrière, le croissant lunaire.
Le cynocéphale de l'amulette de Sphyridas a la même attitude générale
que ceux que je viens de rappeler et qui sont debout : les bras tendus dans
un geste d'adoration, l'ithyphallisme et la queue. Mais un détail est à noter :
les genoux sont plies et les pieds appuient sur le sol par l'extrémité des doigts.
L'animal est dans une position de danse.
Un certain nombre d'imprécations, de défixions sont — prolixité de la
haine — très détaillées pour s'attaquer à toutes les parties du corps détesté
ou désiré 10. Il ne semble pas y être question des chevilles.
On les trouve dans deux tablettes de Syrie (Spheca, TransJordanie)
contre un Hyperechios n. En plusieurs passages on parle de la faction des
Bleus, [xépouç too xaAastaou. Les éditeurs ont cru reconnaître un cocher 12.
Audollent s'est étonné pourtant qu'aucune parole ne soit dirigée contre les
chevaux, comme il est normal dans les tablettes de cette catégorie trouvées
à Carthage et à Hadrumète ; j'ajoute que char et cocher sont aussi absents 13.
Il y a longtemps déjà 13a je fis remarquer qu'abondaient dans ce texte les pré-

7. Signalé par D. Foraboschi et comme nom nouveau en Egypte. Mais les références
106 et 108 sont prises à l'index du recueil qui, par une gênante bizarrerie, renvoie aux
numéros de l'inventaire, et non à ceux de la publication.
8. Planche XII. Le n. 248 est tout à fait différent : le singe monte un lion. Dans 246,
aux pieds, un cobra.
9. Loc. cit., 154-155.
10. Il suffit de renvoyer à A. Audollent, Defixionum tabellae (1904 ; ainsi le n. 487
de Chypre) ou à R. Wùnsch (1909 ; cf. ci-dessus, p. 10, n. 6). Encore la tablette d'Athènes
Bull. Épigr. 1938, 23 (publiée par G. W. Elderkin) ; celle de Nysa-Skythopolis, ibid
!939> 13 (publiée par H. C. Youtie et C. Bonner).
11. A. Audollent, loc. cit., n. 15 et 16; lectures d'Audollent et de R. Wunsch.
12. Ils ont été suivis par divers auteurs. De même encore Preisendanz, ci-après
note 15.
13. Pour Beyrouth, lire l'imprécation contre cochers et chevaux publiée par
R. Mouterde, Mèi. Beyrouth, 15 (1930), Le glaive de Dardanos, Objets et inscriptions
magiques de Syrie, 106-123. Dans la tablette de Carthage, Audollent, loc. cit., n. 247,
on remarquera, 1. 51 sqq., la précision des détails corporels contre quatre cochers de la
38 LOUIS ROBERT

cisions expresses, èpy^a~/]ç, c'est-à-dire pantomime, òpy^aai, danser, à six


reprises. Le personnage se produisait dans une épideixis au théâtre, le samedi :
les spectateurs ne pourront applaudir, la malédiction portant sur leur voix,
leur langue, l'ouverture de leur bouche, leur mâchoire ; il ne s'agissait donc
pas de décourager un cocher en excitant ses concurrents dans la course des
chars. A trois reprises, le chœur était envoûté, et une fois le chef du chœur,
le mésochoros 14. C'est le bruyant orchestre soutenant de sa musique le
pantomime muet, qui ne s'exprime que par ses gestes et par ses attitudes 15.
Quand Dion de Pruse disait, dans son discours 32 aux Alexandrins, 62, xod
xpoûfzocTa opyjjCTTcov, il désignait ainsi les musiques d'accompagnement des
pantomimes 15a. Or quels sont les membres maudits, où réside l'originalité
de la pantomime ? « Tenez liés son cou, ses mains, ses pieds, liez les..., les nerfs,
les ..., les chevilles », xaraS^aacs aùroù twv rpày;/]Xcov, ràç yjpaç, touç ttoSocç,
Stjctoctc GuvSrjaaTî zzazi..., Ta veùpa, Ta ~s-, Ta acpupà. Le pantomime, privé de
la voix, exprime tout par ses membres ; il a subi l'entraînement qui en fait
un homme tout en souplesse, en mouvements indépendants de la tête (le cou),
des mains 1(i, des pieds 17. Il doit être comme désarticulé. Nombreux sont les
faction des Rouges, outre les yeux : ~âv (xlÀoç, t:5cv vsùpov, toùç w^ouç, toùç xap^oùç, toùç
àvzwvaç Twv yjvló/cov tou poucaéou, « tout membre, tout nerf », et les parties
essentielles pour le cocher : « les épaules, les poignets, les coudes »
13a. Études épigr. philol. (1938), Fêtes, musiciens et athlètes, 99-102.
14. Ce titre de fonction était étudié ibid., pp. 94-99.
15. La bonne dissertation de Bonn de Hugo Bier, De saltatione pantomimoyum
(1917), publiée en 1920 en quelques exemplaires reproduisant le manuscrit lisible de
l'auteur, m'avait été accessible en Suisse pour la rédaction de mon mémoire Hermes
1930 ; Erich Preuner m'avait fait envoyer en prêt l'exemplaire de l'Université de Berlin,
qui m'avait été transmis par l'Université de Bâle, où Felix Stahehn facilitait par de
nombreux prêts de cette Université mon travail isolé à Leysin. Récemment seulement
j'ai pu acquérir un exemplaire de la bibliothèque de M. P. Xilsson. P 83, dans sa liste
des pantomimes, Bier avait rangé le Hyperechios de la tablette parmi eux ; cet « orchestes
sine dubio pantomimus fuit ; nam et chorus et mesochorus eius devoventur ». K Prei-
sendanz, Archiv. Pap., 9 (1930), dans sa bibliographie des tablettes magiques, rappelle,
p. 133, pour cette « tablette d'un concurrent du cirque », que R. Munsterberg, Zeitschr.
osterr. Gvmnas., 50, 728, indiquait : « II s'agit peut-être d'une représentation de
pantomime ou d'un certamen theatnci carminis » II n'y a pas à évoquer la seconde
hypothèse. Preisendanz ajoutait « mots magiques et image d'un combattant du cirque ».
15a. Cf. dans le traité de Lucien, 2 : les mythes sont accompagnés ù-ò xpoufmai xai
:

TspcTÎcjpt.o(.ç xai -oSwv xt'j-co, la dernière expression s'appliquant aux scabella.


16. 'Trrroplaç Ssîçaç xai /eipaiv aravra Aa^oaç, « ayant dit toute parole avec les
mains », dit la belle épitaphe d'un pantomime à Rome ou aux environs, IG, XIV, 2124,
avec les mots de Lucien, Saltat., 63 : àxoùco, avfl-pco-s, â ttoisïç, où/ ôpâ> [xóvov, à^Xà \ioi
àoxeïç Taïç -/spaiv aÙTaïç ÀaÂsïv. Cf. Opera Minora, I, 661 {Hermes 1930, 113) ; O. Wein-
reich, Sitz. Heidelberger Akad., 1944-48, I, Epigramm und Pantomimus, 73-77 ; 140-145 ;
L. Robert, Hellenica, XI-X1I, 441.
AMULETTES GRECQUES 39

textes qui célèbrent la souplesse du pantomime, comme il est naturel pour


un danseur. Mais c'est sans doute le médecin Galien qui en donne l'image la
plus précise 18 : « Les mouvements intenses et soutenus (al auvTovoi. xivyjcsiç)
des danseurs, dans lesquels ils sautent le plus, tournoient en tous sens le
plus vite, se plient pour se redresser ensuite, allongent et fendent leurs membres
au maximum et, pour tout dire, dans lesquels ils s'agitent de la façon la plus
rapide, rendent le corps léger, musculeux, dur et dru, et aussi bien tendu
(auvTovov) ». Le terme kinésis est technique ; il fait partie du nom du
pantomime à l'époque impériale, Tpayixv) è'vpuft^oç xivyjacç etc. 19 Syntonos doit
être technique aussi et correspondre à l'sù-rovia des athlètes chez Philon,
l'sÙTovfoc toô è'pyou chez un Hercule des théâtres honoré à Delphes 20, celle
aussi des danseurs chez Diodore, V, 34 : op/^aiv two. X0Û9YJV xal Tispti^ouaav
ttoXXtjv ôÙTOviav Tcov axsXcov. Galien, dans la suite, oppose aux mouvements
ci-dessus ceux qui sont IxXutouç, [SpaSsiaç, fAaXaxàç, relâchés, lents, mous.
Cela nous explique à la fois le choix du cynocéphale dansant pour
l'amulette et le nom du bénéficiaire. Ce dernier le tire des chevilles, avec la forme
populaire en -aç, Sphyridas, nom de métier, nom professionnel ; Sphyridas
était un pantomime 20a.
Ce métier rend compte parfaitement des biens dont l'amulette doit
assurer la possession. Aoç jjloi. est la formule courante dans les papyrus magiques ;
ici -/àptv, [Aopcpyjv, vbajv. La légende émane de Sphyridas lui-même. Le plus
caractéristique dans la prière est la victoire, la victoire dans les compétitions
de pantomimes. Certes le souhait peut s'appliquer au succès de toute
entreprise et contre tout mal 21. Héraclès ou le cavalier transperçant la diablesse

17. Libamus, Pro salt., 57 : nous montons au théâtre sEetxsOvteç Oiaiv tzoHwv,
çopàv ysipcôv, vsujj-drrcov... E'jxpizocjTÎav, oàcoç toû ttxvtoç sùa/r^ocriv/jv.
18. Galien, H}'!,., II, éd. Kùhn, VI, 155 : òpy-^cs-cóv oli ctjvtovoi •/.w'rpzic,, zv xïç
àXÀovTxi ixéyiaTX xal —spiSivouvxat (JTpsçojxsvoi idyiazx xai ozÀâaav-rcç ê£avîaTavTai xai ~poa-
a-'jço'iai y.oà ^.xa/uo'jtjtv z-i -~azïo~ov Ta axéXï) y.xi à-Xâiç eJ-sîv èv aïç oçÛTara zivouvrai, àc-tov
xai [iuwSsç xal rrxXvjpòv xal tt'jxvov eti te aûvrovov àrrorsAouai to atoii-x.
10. Voir ci-après note 33
20. Opera Minora, I, 423 (BCH 1928) ; 436 (REG 1929) ; /^7. épi<j,r. philol., 102-103.
Dans ce dernier livre, 108, eutonia des athlètes chez Philon et de la danse chez Diodore
20a. Prise de position sur certains travaux relatifs à la pantomime dans Rev. Phil
195X, 52, n. 1 et Bull. Épigr. 1954, 20 1959, 68 ; 1963, 484 1972, 242.
21. Typique le papyrus de Florence, XXV, qui assure yâpiTxv xxl àuvxpûxv xal
;

VLX7]V (XXÌ TTVS'JfAX, ÏCTV'JV ) E[.£~pOC7f}EV — XVTWV, XvSpcôv [AlXpCOV XXL IjLSVXAOùV, OJÇ Xal [XOVOfi.â"/G)V
xal GTpaTtcaTcôv xal ~xyxvwv xal yuvxixcov xal xopxaîcov xal ~xi8icov xal ~âvTwv, « hommes
petits et grands, comme au?si gladiateurs, soldats, civils, femmes, filles, enfants
et tous ». La victoire peut être remportée au jeu de dés ; Pap. Ma^.,[izz'VII, 423 sqq.
xulicjovTa vixàv ' le joueur devra se dire [XY]S' zXc, was twv rat^óvTcov èfi.oO Xaoc, ït~o>
:
:
40 LOUIS ROBERT

sont salués du cri 6 vtxcov Ta xaxà 22. Mais la magie est très répandue
naturellement dans le monde du cirque, du stade, du théâtre et, si la figure s'y
prête, comme ici, l'interprétation agonistique de nikè sera la plus obvie. Le
mot apparaît dans les défixions contre des auriges à Carthage, à Berytos 23.
Dans le papyrus IV, à Paris, 2145 sqq., le « tristique » d'Homère servira,
détaille-t-on, à diverses catégories : l'athlète sera invaincu, àXsiTiToç 24 ; de
même le cocher ; pareillement dans un tribunal ; enfin, que le gladiateur le
porte, xal fxovo[xaxoç Se tocutoc cpopsiToo.
Morphè, la beauté, peut être un souhait universel. Mais elle est
indispensable à l'art de Sphyridas et aux succès amoureux si vantés des danseurs.
Dans l'épitaphe métrique du pantomime Crispus à Héraclée du Pont 25,
au vers 5, à la tombe est confiée to xàXXoç iacpépouaa ^opcp-yj ; les vers 14-16
sont un intéressant résumé de la profession de ce citoyen d'Alexandrie : « il a
reçu la plus haute couronne de la tragédie rythmique ; le monde a admiré
le jeu de ses mains et l'a glorifié ; il a vu en lui la fleur dorée de ses théâtres » 26.
Tïjç èvpu&jxou TpaycoSiocç 27 azé<poq XaJBwv tò TtpcoTOV 28
tÒv ^£t,povo[xoûvTa 29 &aufxàaaç xal Soçàcraç 6
àv&oç y_pûo-£ov tcov iSicov sISs
ou Xafjuropiévyjv tt]v /àpiv zafizazv à
ó ~piGiv Ssxàcnv — Xï]pou[i.évaiç Xittoov èviauTÓc.
xal (3à).Xco QO7. OéXo>, « que personne ici parmi ceux qui jouent avec moi ne me soit
égal et je jette ce que je veux » ; pour le vulgarisme t^tco il convient très bien au
vocabulaire des malédictions et de la magie, comme je l'ai fait remarquer, CRAc. Inscr.
1978, 262 avec la note 113.
22. Je donnerai ailleurs mon interprétation du type Héraclès et les trois K, avec
ses variantes dont chacune renforce la magie contre les forces mauvaises.
23. Audollent pour Carthage, R. Mouterde pour Berytos dans Le glaive de Dar-
danos. Un seul exemple à Carthage (Audollent, n. 237 ; L. R., Et. épigr. philol., 100, n. 3) :
açsXs aÙToiv ty]v vsLXTjv. J'en reparlerai (la magie et le cirque ; cf. L'épi gramme grecque
(1969), 274) en complétant l'interprétation de l'épigramme Anth. Pal., XI, 259, de
Lucilhus sur un cheval thessalien à Rome.
24. Sur le sens exact du mot, voir Hellenica, XI-XII, 330-342.
25. Sencer Çahin, Z. Pap. Epigr., 18 (1975), 293-297.
26. C'est un texte grec intéressant à joindre aux Epigrammstudien de Weinreich.
27. C'est une variante intéressante des mots que j'ai expliqués : rpaytxr] lvpui>[i.oç
xiv/jciç, èvpó$ti.ou xivrjcscoç UTroxpiaiç, Tpaytxrjç xsivïjascoç ûrcoxpicriç, TpaytXT) xêvtjckç, voir
Hermès 1930 {Opera Minora, I) ; Rev. Et. Gr. 1966, 765 ; Bull. Epigr. 1976, 721. Chez
Libanius, Sait. 72, xivrçciç àcpcovoç.
28. Je n'ai pas traduit « la première couronne » pour éviter que l'on ne comprenne
éventuellement : la première couronne remportée dans des concours. C'est la couronne
suprême, la première de toutes, une couronne à la mesure du monde. Cf. Bull. Épigr.
1976, 687.
29. Pour le jeu des mains, voir note 16.
AMULETTES GRECQUES

Fig. 4. — Cynocéphale dansant.


42 LOUIS ROBERT

Les deux derniers vers indiquent que sa charis brillante fut éteinte à l'impro-
viste par la 29e année de son âge 30. Ils nous fournissent le mot charis, qui
s'applique aussi à Sphyridas le pantomime.
La charis, la grâce, la faveur, est souvent demandée dans les papyrus
magiques et sur les amulettes. Le mot fut étudié par Bell, Nock et Thomas 31.
C'est très souvent la grâce amoureuse. Le sens peut être précisé par la figure
choisie ; ainsi une inscription yj yjy.pic accompagne le couple Arès-Aphro-
dite 32. Sur un papyrus, è'Scoxaç aÙTyj <ç> ryjv yjnoiv hi èxsivyj -ryj yjjjiépa ;
l'image représente une Isis parfumée se rendant vers Osiris 33. Cela nous
rappelle que le prophète Alexandre d'Abônouteichos, en sa jeunesse, fut le
compagnon et le disciple d'un sorcier, yoyjç, « de ceux qui promettent
sortilèges, charmes étonnants et faveurs pour les affaires d'amour, des évocations
contre les ennemis, des trésors qui surgissent, des héritages », twv fxaysiaç xal
sgticcuouç U7uc%voufji.évû)v xal yónpi7y.q èrcl Tote èpcorixotç xal £~aya>yàç ~oïç
ic, xal ÔTjcraupwv àvaTtofX7ràç 34. Les lecteurs de ce passage ne sentent
vraiment ces lignes que s'ils se sont promenés un temps parmi les papyrus magiques
et les amulettes. Nous tenons dans le jeune Alexandros un utilisateur de ces
documents, loin loin de l'Egypte. Une gemme du Cabinet des Médailles,
n. 468, doit assurer au possesseur la charis, yjxpiv KavàiSco ; les éditeurs ont
bien vu qu'elle était portée par quelque cocher du cirque, car après
l'inscription sont incisés un fouet et une couronne. La « recette de victoire d'un
coureur » évoquée ci-dessus lui dit d'écrire sur les ongles : àoç [xot, c-'/ru/iav,
£7ra9po((it.)aiav, 5ó^av, */àpt,v zv -£> G-yMo? « donne-moi le succès, la beauté
qui inspire l'amour, la gloire, la faveur du stade » 35. Une autre pierre du

30. Exactement l'année qui manquait encore au compte de trois décennies.


:

31. Proc. Br. Ac, 17 (1931), 259-260, en publiant un papyrus. Cf aussi


Campbell Bonner, loc. cit., pp. 178-180 et 325.
^z. Campbell Donner, loc. cit., n. 159.
33. Brashear, Z. Pap. Epigr., 33 (1979), 263, col. II, 1. 4-6. Xâpiq dans l'épigramme
d'Hadrien au Jardin de Narcisse à Thespies, BCH 1978, 441, n. zq.
34. Lucien, Alexandros, 5.
35. Preisendanz entend qu'il s'agit d'un « cheval de course » : yp*V0V ^-i toùç
[xzyxAo^c, ovu/aç auToû ypâçov -/aÀzôJ ypaosiw toùç /apay.T^paç to'jtouç. Cela va bien pour
le cheval, non pour l'homme et le ocjtoîj n'est pas asauToû. D'autre part les biens demandés
ne conviennent pas à un cheval, mais à un homme ; on passe alors au cocher. « Dans le
stade » convient pour un coureur, pas pour un animal ; les courses ont heu au cirque.
N'aurait-on pas un texte abrégé et quelque peu incohérent ? Les « caractères » seraient-ils
seuls gravés sur le cheval et le « donne-moi... » sur quelque phylactère que porte l'homme ?
Dromeus peut-il désigner un cheval ? S. Eitrem, P. Oslo, I, pp. 141-142 entendait « a
runner ».
• ■ .tfw • -iBi|v.
(ì em mes au Cabinet de Paris et dans hi collection (ìuilhou.
44 LOUIS ROBERT

Cabinet des Médailles, n. 514, qui a mérité un commentaire détaillé 36,


introduit dans le milieu des artistes, auxquels elle fait la morale : rIç &zbc, Àéy, •
ôç àyaS-r) tyu~/Ji ctxyjvtjv ftufxéXTjç STOXT/jae, toutco xè Néfxsau; xè Xàpt,T£ç ctuvettovts •
l §é tiç o)v àfxa&Yjç '^"/J]^ éoyz TCspispyov toûtov àTnrjpvYjaavTO fteol xal Oacpiy^ç
aûvoSoç, « celui qui a foulé avec une âme honnête la scène de la thymélè, Némésis
et les Grâces l'accompagnent ; mais si quelqu'un, dans son ignorance, avait
une âme indiscrète, il a été repoussé par les dieux et par la confrérie
d'Aphrodite ».
Louis Robert.

36. Cf. déjà P. Perdrizet, BCH 1914, 100 ; E. Peterson, Eis Théos (1926), 87,
257-260, 310 ; A. D. Nock, Harvard Theol. Rev., 33 (1940), 257 ; K. Preisendanz,
Byz. Z., 59 (1966), 392. Il peut rester à dire sur Aphrodite Hilara. Je signale ici que la
bizarre figure de la face A trouve son pendant exact dans un anneau d'or dont la
photographie se trouve dans le catalogue Sotheby Catalogue of the superb collection of rings...
formed by the late M. E. Guilhou, of Paris (nov. 1937), n- 60, PI. XXVII. Je donne ici
la photographie très agrandie du n° 514 du Cabinet des Médailles et celle de l'anneau
Guilhou, à la dimension et très agrandie, fig. 5.

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