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Utopie du passant

Renouveler les imaginaires de la relation avec Abdourahman Waberi et Achille Mbembe

Justine Feyereisen
University of Oxford / Université libre de Bruxelles
Fondation Wiener-Anspach

La colonisation, entamée au début du XVIe siècle avec la conquête des Amériques, et la traite
négrière – atlantique, saharienne, océanique – constituent une « catastrophe » au sens
étymologique fort où l’entend É. Balibar : « un renversement de situation, qui change tout le
décor, l’enjeu, le sens des actions sur la scène historique1 ». En effet, elles sont à l’origine du
déracinement, géographique et culturel, ainsi que de la relocation, volontaire ou forcée, de
populations entières sur de vastes territoires auparavant habités exclusivement par des peuples
autochtones. La question de l’irréversibilité de ce renversement est fondamentale, aussi
fondamentale que celle de son événementialité2. Ces migrations furent des événements
décisifs de notre avènement à la modernité3, suite auxquels une nouvelle partition de la Terre
vit le jour avec, au centre, les puissances occidentales et, à l’extérieur ou aux marges, des
périphéries – « domaines de la lutte à outrance et voués à l’occupation et au pillage4 ». Il faut
donc prendre acte que la fin du monde a déjà eu lieu, au sens où une grande partie de
l’humanité dut renoncer au monde dans lequel elle croyait pouvoir encore vivre longtemps.
Depuis lors, l’Africain, quant à lui, doit composer avec une « culture à trois têtes5 » : celle
héritée de ses ancêtres, celle imposée par la colonisation et, enfin, celle née de son expérience
de migrant. Cette coexistence n’est pas sans conséquences : lorsque l’une des trois têtes prend
le dessus – en général la mondialisation –, nous lisons dans les journaux des tragédies
survenant en Méditerranée, aux frontières de l’Union européenne, au moment où des
Africains tentent de rejoindre le « Nord » afin d’échapper à l’austérité économique ou au
régime autoritaire en place le plus souvent depuis des décennies.

S’intensifiant depuis le tournant du XXIe siècle, le contexte de crise migratoire en


Méditerranée, – lui-même symptomatique d’une crise généralisée, profonde et systémique
(bouleversements climatiques et environnementaux, défi démographique, remise en cause de
la démocratie représentative, retour des droites extrêmes, etc.) –, invite de manière plus
pressante que jamais à solliciter à nouveau l’utopie6. Ce rapport entre la crise du sens, à la fois
individuelle et propre au vivre-ensemble, et la nécessité de se projeter dans un avenir
susceptible de rouvrir des possibles – ici pour l’exilé comme pour l’autochtone –, est très

1
Balibar Étienne, Histoire interminable. D’un siècle à l’autre. Ecrits I, Paris, La Découverte (Coll. « L’Horizon
des possibles »), 2020, p. 266.
2
Ibid., p. 267.
3
Gilroy Paul, L’Atlantique noir. Modernité et double conscience [1993], Trad. de Charlotte Nordmann, Paris,
Éd. Amsterdam, 2017.
4
Mbembe Achille, Politiques de l’inimitié, Paris, La Découverte, 2016, p. 20.
5
Mabanckou Alain et Waberi Abdourahman A., « Dictionnaire amoureux du Continent africain : deux entrées »,
dans Mbembe Achille et Sarr Felwine (dir.), Écrire l’Afrique-Monde, Paris, Philippe Rey / Jimsaan, 2017,
p. 239.
6
L’utopie est un concept forgé à l’époque renaissante à partir de l’ambiguïté de la prononciation anglais du grec
outopos (pour ou-topia et / ou eu-topia), le terme soulignant à la fois l’aspiration au bonheur et le caractère
d’irréalité de son modèle. De Cyrano de Bergerac (Voyage dans la lune) à Swift (Voyage au pays des chevaux)
et de Marivaux (L’Île des esclaves) à Restif de la Bretonne (La Découverte australe), l’utopie classique – que
l’on pense à La République de Platon ou à La Cité de Dieu de saint Augustin, ou encore à l’Utopia de More – est
un système normatif qui tend à donner une excellence à un objet, soit à la nature humaine, soit à la Cité, soit à la
société.
précisément ce que le concept d’utopie a jadis voulu problématiser7. Depuis une quinzaine
d’années émergent des propositions utopiques, non pas dans le sens traditionnel, largement
péjoratif, évoquant un avenir si brillant qu’il semble irréel, ce qui conduit à des pratiques
politiques oscillant entre impuissance et dictature ; mais en ce sens qu’elles iraient à contre-
courant des rapports sociaux dominants dans une démarche résolument active. L’essentiel ne
serait donc pas l’anticipation de l’avenir, mais, au présent, l’exercice d’une pensée concrète,
qui invente des contre-récits et expérimente des modes de relation alternatifs. Aujourd’hui,
ces forces utopiques et poétiques, notamment au regard des migrations, proviennent de
l’Afrique et de ses diasporas. L’Afrique a tous les éléments pour être le terrain d’où
s’élancerait une nouvelle utopie, une utopie émancipatrice d’où s’écriraient des contre-récits,
expliquait Françoise Vergès lors de la première édition des Ateliers de la pensée8. Parmi elles,
le récit contrefactuel, paru dix ans plus tôt, du romancier franco-djiboutien, Abdourahman A.
Waberi, Aux États-Unis d’Afrique (2006), que cet article analysera à l’aune de l’essai
politique de l’historien camerounais Achille Mbembe, intitulé Politiques de l’inimitié (2016).
Tous deux se lancent dans l’aventure utopique de renouveler l’imaginaire collectif du
mouvement, de la migration, de la circulation, bref de notre mode d’habiter une Terre,
pourtant compartimentée, elle qui incarne paradoxalement le mouvement-même. L’hypothèse
à l’origine de cette analyse textuelle est que l’utopie permet d’abord une suspension, un arrêt
sur image au sens benjaminien, permettant de contempler avec une perspective critique les
formes du pouvoir global ou de la violence politique, puis le déploiement d’une énergie
nouvelle s’ouvrant sur d’autres manières d’envisager l’hospitalité, – une manière
inconditionnelle d’être chez soi, et avec les autres, tout en se considérant soi-même comme
l’un des invités de passage sur cette planète –, à travers la création afin de répondre à la
question de savoir comment « refaire monde au lendemain de la destruction du monde ?9 ».

Chiasmes

Aux États-Unis d’Afrique d.A. Waberi est une histoire de mouvements. La préposition à, datif
dans son emploi spatial, inaugure une direction, un élan d’approche ou une voie
« d’afférence10 » vers une destination. Une histoire de migrations par delà une « Méditerranée
noire réinventée11 », d’abord. À partir de 1596, les peuples africains conquièrent des parties
de l’Europe et de l’Amérique du Nord, établissant d’importantes routes commerciales et
l’envoi de missionnaires et d’universitaires, y compris de géographes, à la nouvelle colonie.
En 1792, l’empereur éthiopien Tewodros prend Belgrade aux Turcs, puis construit un réseau
routier, des tunnels et des ponts reliant l’Europe de l’Est. Ce récit colonial uchronique aboutit
à la création des États-Unis d’Afrique. Se déroulant dans un futur proche, le roman
panafricain imagine une civilisation africaine prospère, qui domine les nations euraméricaines
ayant, quant à elles, succombé aux conflits ethniques, aux maladies et à la pauvreté.
L’Eldorado africain attire des millions de réfugiés caucasiens d’ethnies variées, sans parler
des « boat people squelettiques de la Méditerranée septentrionale ». Or, de ces personnes qui
partent, qui succombent au syndrome de la fuite pour la survie, si typique de notre époque, de

7
Dumont Augustin (dir.), Repenser le possible : L’imagination, l’histoire et l’utopie, Paris, Kimé, 2019.
8
Vergès Françoise, « Utopies émancipatrices », dans Mbembe Achille et Sarr Felwine (dir.), Écrire l’Afrique-
Monde, p. 246. A lire au regard d’Afrotopia de Felwine Sarr (Paris, Philippe Rey, 2016).
9
Mbembe Achille, op. cit., p. 44.
10
Guillaume Gustave, Leçons de linguistique 1951-1952, Québec / Paris, Presses de l’Université
Laval / Klincksieck, vol. 15, p. 47.
11
Le roman adopte une perspective pédagogique de réflexion sur le panafricanisme, de référencement des grands
noms donnés aux bibliothèques, aux rues, aux écoles. À ce propos, l’étude d’Antje Ziethen : « The Black
Mediterranean reimagined : Counterfactual World-Building in Francophone Speculative Fiction », International
Journal of Francophone Studies 22.1-2 (2019), p. 63-85.

2
moins en moins arrivent à destination. Partir n’est plus le véritable enjeu. Arriver est
désormais la question, avec la probabilité élévée de ne jamais arriver à destination.

Fresque historico-politique à l’esthétique postmoderne, cette fable emprunte le topos du


« monde renversé12 », aboutissement extrême de l’imaginaire utopique13, qui se plie à ce que
Cioranescu appelle « la loi du contre-pied14 », laquelle veut, en l’occurrence, que les colonisés
d’hier soit les colons d’aujourd’hui. L’inversion systématique des rapports de force, visant à
l’éveil d’une réaction critique et d’une prise de conscience par l’observation d’un univers
familier dès lors perçu comme étranger, et vice versa, évoque irrémédiablement la figure du
chiasme. Suivre les méandres du chiasme waberien, de la colonie à la postcolonie, permet
d’appréhender le « chiasme profond15 » qui s’installe dans le présent, selon A. Mbembe,
nouant en Europe, et plus particulièrement en France, à l’aube du XXIe siècle, des désirs
antagonistes qui se donnent ensemble, mais dont nous ne percevons alternativement que l’un
ou l’autre côté : d’une part le désir de frontière, de séparation et de sélection, et, d’autre part,
le désir de reconnaissance symbolique et d’élargissement d’une citoyenneté en souffrance,
porté en particulier par les minorités et ceux qui les soutiennent. D’où l’idée incisive de
l’écrivain franco-djiboutien de permuter les identités pour mieux révéler l’irréversibilité de la
« catastrophe ». C’est donc à une expérience de la perception totale que nous convie le
narrateur, basculant et, ce faisant, embrassant les points de vue afin de tenter de penser les
polarités, mises en opposition, ensemble :

Ne savent-ils pas qu’ils doivent leur santé et leur prospérité aux silhouettes grises habillées de loques
qui traversent la Méditerranée pour se vendre aux industriels du Transvaal ou à la marine marchande de
Nouakchott ? Charité bien ordonnée commence par soi-même. Regarde de tous tes yeux, Maya.
Regarde autour de toi ! (AEU 81)

Plus qu’un cadre politique normatif, la Méditerranée noire devient, dans le roman waberien,
une utopie concrète au sens d’Ernst Bloch, comme l’est l’« Atlantique noir16 ». La conscience
utopique d’une communauté malgré elle, d’une multiculture non structurée par les frontières
de la nationalité et les hiérarchies raciales, s’inscrit dans la matérialité d’un espace maritime,
où les violences combinées du capitalisme et du racisme reconduisent une politique de la
mort, à l’œuvre dans les migrations des corps noirs.

Relations d’inimitié

12
La technique consistant à inverser les rapports entre deux termes du monde réel (êtres humains, animaux,
corps célestes…) afin de reproduire une représentation impossible, se rencontre dans de nombreuses
civilisations. En Europe, le thème du monde renversé apparaît dans la gravure au XVIe siècle.
13
Garcia Mar, « Orientalismo a contrapelo : paradojas postcoloniales y contra-utopía en Aux États-Unis
d’Afrique de Abdourahman Waberi », Via Antlantica 17 (Jun 2010), p. 201-213.
14
Cioranescu Alexandre, L’Avenir du passé. Utopie et littérature, Paris, Gallimard, 1972, p. 44.
15
Mbembe Achille, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2013 [2010],
p. 148-149. Le chiasme, rappelle Mbembe, est l’autre nom de ce qu’Ann Stoler qualifie d’« aphasie coloniale »
pour mettre en évidence l’incapacité organique de la France à prendre en compte son savoir, notamment par la
sous-estimation du fait colonial dans l’histoire du racisme en France, par l’oubli de la colonisation dans les lieux
de mémoire de la nation française ou par la très forte disjonction entre l’historiographie métropolitaine et
l’historiographie des mondes colonisés (Stoler Ann Laura, “L’aphasie colonial française : l’histoire mutilée”,
dans Mbembe Achille et al. (dir.), Ruptures postcoloniales. Les Nouveaux Visages de la société française, Paris,
La Découverte, 2010, p. 62-78 ; « Colonial Aphasia. Race and Disabled Histories in France », Public Culture
23.1 (Winter 2011), p. 121-156).
16
Kisukidi Nadia Yala, « Préface », dans Gilroy Paul, op. cit., p. 20-21.

3
Aux États-Unis d’Afrique est une histoire de « relation », aussi. Jonglant avec les codes du
récit de voyage, « ce qu’on appelait autrefois la relation17 », Waberi noue les trajectoires
croisées de deux personnages exilés aux trajectoires opposées. Normande de souche, Maya,
adoptée par un riche médecin humanitaire de la glorieuse Asmara en Erythrée, entreprend le
chemin inverse dans l’espoir de retrouver sa mère biologique dans la France tiers-mondialisée
qui l’a vu naître. Son parcours contraste avec celui d’une autre individualité, surnommée
Yacouba, le charpentier helvète errant, que suivent « nos caméras de longue portée »
intrusives. Ces deux récits de migration, traités génériquement différemment eut égard à la
position ethnique parodiée de chacun, stigmatisent les relations en Afrique produites par des
Européens, « nos historiens vagabonds » (AEU 130), dès le XVe siècle, qui ont fait de ces
textes l’un des supports de l’« exotisme18 ». La littérature de voyage est ainsi montrée comme
l’un des supports de l’exotisme. En ce sens, la diffusion de tant d’images présentant
aujourd’hui les « étrangers », les exilés, dans toute leur étrangéité, est perçue, dans le roman,
comme servant à nourrir l’exotisme en tant que stéréotype, au sens où il s’inscrit dans un
processus de spectacularisation :

D’après [les médias], les nouveaux migrants propagent leur natalité galopante, leur suie millénaire, leur
manque d’ambition, leurs religions rétrogrades comme le protestantisme, le judaïsme ou le
catholicisme, leur machisme ancestral, leurs maladies endémiques. (AEU 18)

Dès les premières pages de la satire sont exposées les implications politiques et économiques
de l’exotisme. La question ne relève pas seulement de l’imaginaire, exclusivement intéressé
par les représentations : « C’est à travers l’exotisme que l’Occident appréhende et a
appréhendé le monde19 ». L’exotisme, en tant que catégorie de la pensée, détermine des
pratiques qui ont un effet réel sur le monde réel, et parmi ces pratiques, celles qui ont permis
et permettent encore à l’Occident de dominer et d’exploiter le reste du globe. En détournant
les récits exotiques obsessionnels, passionnels autant que pulsionnels, sur « le péril blanc »
(AEU 18) à l’origine d’une généralisation de l’affect de la crainte et de la démocratisation de
la peur, l’écrivain dénonce l’illusion contemporaine vécue comme le moteur du réel :
« Désormais, est vrai non ce qui s’est effectivement passé ou a eu lieu, mais ce qui est cru20 ».

Pour le théoricien de la « nécropolitique21 », la « société du spectacle22 » se nourrit d’un


« nanoracisme23 » hérité de l’exotisme, soit d’un racisme systémique, insidieux, anodin,
devenu véritable produit de consommation. Ce « capitalisme racial24 » englobe un système de
calcul et de marchandisation, où le « Nègre » ne désigne plus l’être de couleur, mais « une

17
Waberi joue avec l’économie narrative du récit de voyage en multipliant les références au genre. La relation
s’illustre, par exemple, dans les lettres que Maya envoie à son amoureux, Adama, alors qu’elle retourne dans son
pays natal, un clin d’œil aux « Lettres persanes évidemment » (Waberi Abdourhaman, « Entretien avec
Abdourahman Waberi (17/09/2016) », dans Bertho Elara et Chavoz Ninon (éd.), Les Rencontres d’Afriques
tranversales : entretiens littéraires à l’Ecole Normale Supérieure (2016-2017). Fabula. Colloques en ligne,
10.10.19, https://www.fabula.org/colloques/document6346.php, 20.05.20.
18
Jean-Marc Moura définit l’exotisme « comme la totalité de la dette contractée par l’Europe littéraire à l’égard
des autres cultures » (La Littérature des lointains. Histoire de l’exotisme européen au XXe siècle, Paris, Honoré
Champion (Coll. « Bibliothèque de littérature générale et comparée », n°14), 1998.
19
Staszak Jean-François, « Qu’est-ce que l’exotisme ? », Le Globe. Revue genevoise de géographie 148 (2008),
p. 28.
20
Mbembe Achille, Politiques de l’inimitié, p. 46.
21
Nécropolitique : « Formes contemporaines de soumission de la vie au pouvoir de la mort (politique de la
mort). » (Id., « Nécropolitique », Raisons politiques 21.1 (2006), p. 59.
22
Debord Guy, La Société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992 [1967].
23
Mbembe Achille, Politiques de l’inimitié, p. 80-90.
24
Robinson Cedric J., Black Marxism. The Making of the Black Radical Tradition, Chapel Hill, The University
of North Carolina Press, 2000 [1983].

4
catégorie subalterne de l’humanité, un genre d’humanité subalterne25 ». A. Mbembe établit
une relation analogique entre passé et présent, entre le colonialisme d’alors et l’immigration
d’aujourd’hui à partir de la figure du « Nègre », partout devenu « l’étranger » qu’il faut
abattre. L’épreuve que traverse le monde, où « les valeurs de solidarité, de convivialité et de
morale sont à présent menacées par la rapidité des transformations sociales et le déchaînement
du libéralisme sauvage » (AEU 13), est une « course à la séparation et la déliaison » qui se
fait « sur fond d’angoisse d’anéantissement26 ». Repolitisant le temps, A. Waberi comme A.
Mbembe formulent donc tous deux une critique du capitalisme utopique global comme
fabrication pulsionnelle de races et d’espèces. L’utopie capitaliste est dès lors dévoilée par sa
« réversibilité27 », sa logique normative, qui est aussi sa propre dystopie.

Comme l’explique É. Balibar28, la mondialisation a sonné le glas des grandes formes


classiques de l’utopie, dans la mesure, en particulier, où elles s’inscrivaient dans l’horizon du
cosmopolitisme des Lumières : extension aux dimensions du monde du rêve d’harmonie de la
città ideale, horizon de toute la pensée moderne du progrès, où l’on pouvait imaginer que la
domination de la planète, l’unification de l’espèce humaine au sein d’un unique espace de
communication intellectuelle et de division du travail, coïnciderait avec la résolution des
antagonismes raciaux ou nationaux, l’élimination des formes les plus inacceptables de
l’inégalité et de l’oppression de l’être humain par l’être humain. C’est cela qui, par
l’interpénétration croissante des populations du « Nord » et du « Sud », par les échecs
sanglants du nouvel ordre international et de ses prothèses humanitaires, a fini par se
dissoudre. Cela même qu’ironise le narrateur waberien alors qu’il déclame solennellement les
vers d’outre-tombe d’un candidat à l’exil, retrouvé gisant sur la plage de Port-Soudan, qui ont
« ému maints citoyens du premier continent. Bien sûr qu’il est mort le poète ! » :

Nous tous, attendant leur mise à mort, il nous faut dépasser notre propre enfermement par la grande
évasion du verbe, par la calligraphie de nos chimères, par la poésie, pour tout dire, pour tout éructer,
tout écrire. Tout. […] Nous, trompetant, tempêtant, fulminant de santé et d’utopies. (AEU 93-94)

Violence spéculaire

Dans Critique de la raison nègre, A. Mbembe définissait la race comme « cette manière
d’asseoir et d’affirmer la puissance », qui en tant que structure imaginaire « échappe aux
limitations du concret, du sensible, voire du fini, tout en participant de, et en se manifestant
immédiatement dans le sensible29 ». Le pouvoir de la race en tant que dispositif social se
vérifie par des résultats concrets, lorsqu’elle est bien assise dans les imaginaires, elle détient
une capacité « à peupler et repeupler le monde des substituts, des êtres à désigner, à
casser30 ». Lorsque Maya, surnommée « face de lait » par ses camarades d’école, s’observe
dans le miroir, c’est son je qui défaille dans un éclatement du sujet où l’ombre
schizophrénique du narrateur hante le reflet de cette « fille du vent et de l’exil » (AEU 156) :

Qui suis-je ? te demandes-tu parfois, Maya. Et celui qu’on voit chaque matin dans le miroir : le double,
le sosie, est-il si familier ? N’est-il pas déjà de trop ? Qu’est-ce qu’il trame derrière ton dos ? Qu’est-ce

25
Mbembe Achille, op. cit., p. 165.
26
Ibid., p. 8.
27
Attalah Marc, « Utopie et dystopie. Les deux sœurs siamoises », Bulletin de l’Association F. Gonseth. Institut
de la méthode 148 (juin 2011), p. 17-27.
28
Balibar Étienne, « Après l’utopie, l’imagination ? », Le Monde, 24.10.1997. L’avis du philosophe sur le
concept d’’utopie a considérablement évolué depuis, comme en témoigne le dernier chapitre d’Histoire
interminable, p. 264-298.
29
Mbembe Achille, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013, p. 57.
30
Ibid.

5
qu’il raconte sur ton compte ? Tu crois qu’il va rester tranquille, repu et fatigué comme les lionceaux
après le festin ? Il n’attend que toi : c’en est devenu une obsession, une raison de vivre, un destin. Il
guette le moindre de tes gestes. Il t’imagine rival, concurrent ou, pire, ennemi mortel. (AEU 61)

Phénoménologiquement, la dépersonnalisation commence avec la non-reconnaissance de


l’image spéculaire. Dépossédé de sa relation au grand Autre, le sujet ne peut éprouver la
« structure en chiasme du remplissement31 », ce conditionnement normatif que déploie le
regard lorsqu’il reçoit de l’image une manifestation en retour, depuis le visible révélé, du sens
latent ou invisible qui conditionnait son apparition. La fascination schizophrénique de Maya
devant la glace ne s’interrompt que lorsque la jeune femme projette son regard vers un être
tout aussi perdu, le charpentier alémanique, cet « autre au bonnet crade, l’homme qui a perdu
son ombre », « plac[é] dans la situation psychique intenable de sans-papiers, faux réfugiés ou
faux convertis » (AEU 63). Cette condition psychique et sociale est le résultat de la
conception traditionnelle du politique selon laquelle l’Occident seul serait le lieu décisif où se
déploie l’être, le reste ne serait qu’étant, pour reprendre la terminologie heideggerienne :
« L’Occident seul aurait développé cette capacité à faire l’expérience du recommencement
puisqu’il serait le lieu décisif de l’être. C’est ce qui le rendrait universel, ses significations
étant valables de façon inconditionnelle32 ». Emblématique d’une rivalité mimétique, la scène
du miroir est la métaphore de la violence spéculaire qui déchire et dirige les démocraties
libérales actuelles vers une sortie d’elles-mêmes. A force de lutter contre l’« ennemi » – qui,
lui, n’a rien de métaphorique33 –, celles-ci exercent une dictature contre elles-mêmes dans
l’espoir d’assurer leur sécurité à coup de murs et de frontières.

De « société du contrôle34 », l’Union européenne devient une « société de la sécurité35 » : ses


États membres investissent massivement dans de nouvelles infrastructures, pratiques et
technologies pour identifier, contrôler, trier, réguler et redistribuer les mouvements humains
qui s’acheminent vers leurs portes. À ces fins, des espaces de confinement et de mise à l’écart
sont spécifiquement aménagés (centres de réception, couloirs d’exil, camps, îles de rétention).
Mais la frontière n’est pas toujours où l’on croit, elle n’est pas toujours au même endroit, elle
n’est pas naturelle mais labellisée comme telle, elle est sans cesse déplacée (le cas le plus
emblématique est le bateau-camp), investie et remodelée par de multiples acteurs (publics,
privés, humanitaires) nationaux ou internationaux, mobilisant une véritable économie de la
sécurité. La frontière du XXIe siècle est un « processus36 », « un dispositif quasi-ontologique
capable de fonctionner de lui-même en lui-même, avec ses propres lois »37. Ubiquitaire, elle
est embarquée dans le statut de chacun38, faite de technologies de contrôle dématérialisées et

31
Merleau-Ponty Maurice, L’Œil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1964, chapitre 4.
32
Mbembe Achille, Politiques de l’inimitié, p. 88.
33
À la suite de Carl Schmitt (La Notion de politique. Théorie du partisan, Paris, Flammarion, 1992, p. 64), A.
Mbembe qualifie l’ennemi comme « un antagonisme suprême. Il est, dans son corps comme dans sa chair, celui
dont il est possible de provoquer la mort physique parce qu’il nie, de manière existentielle, notre être. » (Ibid.,
p. 70).
34
Deleuze Gilles, « Post-scriptum sur les sociétés du contrôle », Pourparlers 1972-1990, Paris, Minuit, 1990.
35
Mbembe A., « Le grand débarras », Chamoiseau P. et Le Bris M. (dir.), Osons la fraternité ! Les écrivains aux
côtés des migrants, Paris, Philippe Rey, 2016.
36
Ritaine Evelyne et al. (dir.), Cultures & Conflits. Effets-frontières en Méditerranée : contrôles et violences 99-
100/3-4 (2015).
37
Mbembe Achille, « Pour un droit universel à l’hospitalité », Analyse, Opinion, Critique (AOC), 17.11.18,
https://aoc.media/opinion/2018/11/16/droit-universel-a-lhospitalite, 13.06.19.
38
Guénif-Souilamas Nacira, « Le corps-frontière », dans Mbembe Achille et al. (dir.), Ruptures postcoloniales,
p. 217-229.

6
s’exerçant à distance, non plus linéaire mais pixellisée et algorithmée39. Investie, elle n’est pas
simplement une barrière à traverser, « elle s’habite un temps très court » (AEU 39). Multiple,
la frontière se rapporte aux notions de cosmopolitanisme, d’afropéanisme40 ou encore
d’afropolitanisme. Des concepts qui rejoindraient tous ce que Waberi nomme la « condition
ultra-contemporaine », une condition qui fait référence à la fin du productivisme capitaliste et
à l’urgence d’inventer de nouvelles humanités41.

Utopie

Au cœur du chiasme, les processus de déshumanisation convergent dans un « monde zéro42 »


devenu enfer uchronique. En proposant une histoire alternative, Waberi donne à voir ce temps
hors catégorie où le « passé est dans le présent43 », tout hanté qu’il est d’un crime contre
l’humanité jamais assumé, celui de l’esclavage et des atrocités coloniales. C’est l’état
d’aphasie dans lequel se trouve Docteur Papa, hébété, pétrifié dans un mutisme sans fond ni
fin, ou son épouse passablement hibernante, puis plongée dans le coma, tous deux somnolents
(AEU 46-47) : « L’immobile est dans le mouvement. La parole est dans le silence44 ». Et c’est
justement, selon W. Benjamin45, dans l’immobilité provoquée par la mise en tension des
extrêmes qu’apparaît l’« image dialectique46 », image qu’incarne leur fille adoptive :

Tu as encore fait un rêve insolite qui t’a donné des sueurs froides. […] Tu étais seule et surtout sans une
seule histoire en tête et sans audience. Schéhérazade éplorée. Seule donc au milieu d’un monde enfin

39
Bigo Didier, « Gérer les transhumances. La surveillance à distance dans le champ transnational de la
sécurité », dans Granjon Marie-Christine (dir.), Penser avec Michel Foucault. Théorie critique et pratiques
politiques, Paris, Karthala, 2005, p. 129-160.
40
Apparaissant pour la première fois dans le titre de l’album (Adventures in Afropea, 1992) du groupe de
musique belge, aux origines zaïroises, Zap Mama, le terme « afropéen » désigne, selon Leonora Miano, « ces
personnes d’ascendance subsaharienne ou caribéenne et de culture européenne : des individus qui mangent certes
des plantains frits mais dont les particularismes ne sont pas tellement différents de ceux qu’on peut trouver dans
les régions de France » (Magazine littéraire, 2010). La romancière camerounaise a largement contribué à
diffuser le terme en France avec ses ouvrages Afropean Soul et autres nouvelles (2008) ou Blues pour Elise
(2010).
41
Bocandé Anne, « “Toute mon expérience, qui remonte à l’enfance de mon art, était déjà transfrontalière”.
Entretien de Anne Bocandé avec Abdourahman Waberi », Africultures 106.1 (2018), p. 35 ; 34-43.
42
Mbembe Achille, Politiques de l’inimitié, p. 151-158.
43
Ibid., p. 154.
44
Ibid.
45
Convoqué dans Passage des larmes (2009), le philosophe allemand est une figure tutélaire pour A. Waberi,
auprès duquel il cherche la flamme de l’espérance dans le ciel africain afin, du moins, « de trouver quelques
raisons de penser que l’avenir appartiendrait aux Africains ». (Waberi Abdourahman, « Pour moi, le Rwanda est
une source d’espoir », Courrier international, 26.11.2008,
https://www.courrierinternational.com/article/2008/11/27/pour-moi-le-rwanda-est-une-source-d-espoir,
04.08.19 ; « Le cousin djiboutien de Walter Benjamin par A. Waberi », Slate Afrique, 15.02.11,
http://www.slateafrique.com/351/litterature-djibouti-berlin-walter-benjamin, 04.08.19). Sur les liens entre A.
Waberi et W. Benjamin : Garcia Mar, « Waberi, Benjamin et leurs anges : du temps de la nécessité au temps des
possibles », dans Garcia Mar et Delmeule Jean-Christophe (éd.), Abdourahman A. Waberi ou l’écriture révoltée,
Lille, Éd. du Conseil Scientifique de l’Université Lille 3, p. 183-201.
46
Dans le projet des Passages, « l’image dialectique » – émanant des conversations de W. Benjamin Theodor
Wiesengrund [Adorno], Gretel Karplus [Adorno], Max Horkheimer et Asja Lacis à la fin des années 1920 – fait
une apparition remarquée. Davantage de références à l’image dialectique peuvent être trouvée dans d’autres
textes non-publiés, tels que l’« Exposé » de 1935 du Paris, capitale du XIXe siècle. À ce sujet, nous conseillons
de lire M. Abensour, qui rassembla et commenta les textes benjaminiens sur l’utopie : « Le Guetteur de rêves.
Walter Benjamin et l’Utopie », Tumultes 12 (avril 1999), p. 81-119 ; L’Utopie de Thomas More à Walter
Benjamin, Paris, Sens & Tonka, 2000. Concernant l’image dialectique dans la poésie utopique contemporaine
relative aux migrations en Méditerranée : Feyereisen Justine, « From Sideration to Consideration. Reimagining
Migration Representations with Utopian Poetry », Migration & (Im)mobility Magazine Routed, 29.05.20,
https://www.routedmagazine.com/omc2020-5-sideration.

7
remis à l’endroit par un Dieu droitier, à la faveur d’une dérive tectonique à l’échelle de la planète,
puisque le monde actuel régi par notre Dieu gaucher, comme chacun d’entre nous l’éprouve à chaque
instant au plus profond de son âme, ne satisfait plus personne. […] Le Sud se retrouvant au Nord, ou
l’inverse ; les fleuves, les autoroutes, les gazoducs et les forêts suivant la même déroute ou l’inverse.
(AEU 75)

Entre éveil et sommeil, Maya, d’un glissement d’ailes, passe de l’autre côté du miroir « pour
aller là-bas, là où il fait grand jour. Où la terre est silencieuse, suspendue à [s]es lèvres,
attentive à [s]a venue » (AEU 47), et découvre notre réalité. L’écrivain procède de ce fait, non
à un suspens contemplatif, mais à un arrêt pratique, un arrachement à l’histoire – au
continuum de la domination –, bref à un sauvetage. « Cet arrêt est utopie », dit W. Benjamin,
au sens d’un surgissement du Nouveau, davantage même, de l’advenue d’une altérité radicale.
Comme si cette immobilisation des tensions, de la dialectique, donnait soudain libre cours à
l’évasion que la pensée réaliste reproche si pesamment à l’utopie, au non-lieu, creusant tout à
coup la possibilité d’un lieu autre. Pensée sous le signe de la fulguration, l’image dialectique
est l’énergie qui polarise soudain le champ du rêve, tire Maya du sommeil, la projette vers le
réveil. Comme si le moment du réveil, en même temps qu’il résout l’ambiguïté des images du
rêve, ou plutôt la fait éclater, arrachait l’utopie à l’ensorcellement qui n’a cessé de la ruiner.
Face à l’extinction effective d’un monde, il faut activer ce qui reste le propre de l’espèce
humaine, être « constamment en état de veille, disposé à accueillir l’inconnu47 » : « Comment
envisager une politique de l’avenir, sinon en faisant place à l’imprévisibilité et en s’ouvrant à
une infinité de devenirs ? » s’interroge l’historien.

Ce qui te préoccupe, ce n’est pas le monde lointain, ses gens étranges et ses catastrophes imprévisibles,
mais l’ordinaire de la condition humaine. Ce qui te préoccupe, ce sont les cinq prochaines minutes, le
sort de l’homme au bonnet sale que tu n’as pas revu ces jours-ci. La menace est dans le présent.
Personne ne peut se sentir à l’abri, pas plus dehors dans les sous-bois que dans l’enclos de nos maisons.
Quelque chose peut traverser la scène ou l’existence comme une balle perdue. Cette chose peut surgir à
tout instant, ébranler les assises du monde. C’est ça qu’on appelle la vie. Ce sont des cris, des visages,
des douleurs aussi. Ce que tu vois dans tes tableaux te décharge un peu de ce poids existentiel. Tu as
devant toi l’essence de la souffrance étoilée d’infimes instants de bonheur. (AEU 60-61)

Aux États-Unis d’Afrique inviterait à suivre une vis utopica pour ouvrir des brèches dans
l’histoire. Le raisonnement contrefactuel permet de tester la relation entre ce qui est et ce qui
aurait pu être. S’intéresser aux futurs possibles non advenus remet en cause l’idée d’une
linéarité de l’histoire et d’un temps qui s’écoule, orienté vers une finalité précise. Cela
renforce l’idée que les événements auraient pu être différents : « ce qui est advenu, ce présent
que nous vivons, n’est qu’une des possibilités plurielles ; et donc autre chose peut advenir48 ».

En-commun

Te taire, ce serait te dédire, te défigurer et te renier. Et cela non plus, tu n’en as pas la force.
Voilà pourquoi tu es venue. (AEU 157)

La création d’un espace de l’en-commun, telle est l’utopie qu’esquisse la parabole waberienne
dix ans plus tôt. Aux États-Unis d’Afrique met en scène une double énonciation propre à la
représentation théâtrale. Le récit est assuré par un « narrateur-témoin » omniscient, lequel
engage une narration de conversation, ou métaconversation, avec deux co-énonciateurs aussi
distincts que muets : intradiégétique (Maya) et extradiégétique (la figure du lecteur construite

47
Mbembe Achille, op. cit., p. 44.
48
Sarr Felwine, « Rouvrir les futurs », dans Mbembe Achille et Sarr Felwine (dir.), Politique des Temps.
Imaginer les devenirs africains, Paris, Philippe Rey / Jimsaan, 2019, p. 185.

8
par la scénographie). Ces derniers sont mis en position de récepteurs de l’énonciation, et
n’accèdent pas au procès évoqué par l’énoncé :

Cependant, je ne puis taire longtemps les mouvements discrets de mon cœur. Je dois te dire que ta
logique et ton enthousiasme m’effraient quelque peu. Pourquoi, Maya, cette faim d’altérité, cette
disponibilité constante, cette sensibilité si contraire à l’assurance hautaine de nos intellectuels africains
qui ne nourrissent que sarcasmes et rancœur contre leur patrie ?

Les paroles de Maya sont toutefois exprimées par le biais du narrateur en discours
essentiellement direct libre. Si la jeune fille n’accède jamais à la fonction de narratrice, ses
paroles sont systématiquement rapportées libres de leur contenu, laissant entrevoir une
personnalité toute différente de celle du narrateur. C’est la spécificité des êtres qui transparaît
dès lors, plutôt que des identités abstraites. Le personnage waberien ne se confond donc pas
dans une histoire et une culture, mais il s’y installe sur un mode critique. Maya ne prend pas
soudainement conscience de son appartenance à la communauté normande ; elle la découvre
progressivement, par une analyse sous la forme d’un dialogue avec des figures issues de
différentes époques et de divers espaces. La reconnaissance de la communauté est donc le
fruit d’une démarche qui intègre l’altérité : Maya découvre le « nous » en s’adressant à un
« tu ». Et plus profondément, elle se découvre et se construit elle-même. Ce « nous », s’il
englobe le lecteur, « n’est pas un “nous” fièrement claironné, “nous” roulant les mécaniques,
gonflant les pectoraux, c’est un autre “nous” en attente, en écoute, bref un “nous” en dialogue
qui viendra » (AEU 151). Il existerait bien un autre « nous » qui ne serait pas inclusif. Sonne
l’appel à une démocratie distincte de l’universel - en tant qu’uniformisation des singularités –
en faveur d’une poétique de l’en-commun où toutes espèces confondues partagent le bien qui
leur est commun, à savoir, le monde puisqu’il est le seul que nous ayons et qui, pour être
durable, doit être partagé par l’ensemble de ses ayants droits49.

Un tel modèle polyphonique se déploie jusque dans les confrontations ironiques de style d’un
langage auctorial hybride. L’hybridité opère au cœur même de l’échange conversationnel
avec le narrataire extradiégétique vous fréquemment sollicité. L’« excès » syntaxique que
suppose l’emploi du datif éthique50 nous renvoie à un excès plus radical, celui de
l’énonciation narrative sur ce qui est narré. Alors qu’elle se donne pour simple moyen de
rendre agréable une histoire, la narration d’A. Waberi inverse en réalité la hiérarchie
traditionnelle : c’est la relation entre la narration et l’histoire racontée qui passe au premier
plan. Le texte se présente alors comme une subversion parodique du conte philosophique, où
les multiples histoires et moralités du texte ont beau donner à voir un monde de violence et
d’injustice, leur énonciation implique une socialité associée à tout art de vivre. Si le conte
classique décrit un univers cruel, il le conteste en même temps par sa narration, qui se donne
comme participant d’une connivence, d’une conversation entre membres d’une élite raffinée.
Or, toute parodie satirique suppose un équilibre délicat entre la conformité du discours
parodié et la mise à distance de celui-ci. La trame, et ses sous-titres, obéissent aux règles du
genre philosophique, mais le recours d’expressions populaires, telles que compter les poux,
venant supprimer l’ethos attaché au merveilleux au profit d’une désinvolture mondaine, est
l’un des signaux adressés au lecteur : « Où il arrive qu’on envoie ad patres des Caucasiens
qui ne sont pas des gens comme vous et moi. Le madré shérif Ouedraogo ne se laisse pas
compter les poux sur la tête par la presse nationale liguée contre lui. » (AEU 32). Ainsi
l’ethos de l’énonciation disqualifie-t-il l’énoncé qu’elle porte. Le recours à l’ironie permet ici

49
Mbembe Achille, op. cit., p. 59.
50
Maingueneau Dominique, Manuel de linguistique pour les textes littéraires, Paris, Armand Colin, 2012
[2010], p. 71

9
de maintenir la coopération conversationnelle avec le lecteur tout en marquant un rejet de
l’énoncé.

Cultivant un ethos de dialogue, Waberi démontre l’importance de la narration dans


l’expression de la résistance et le déploiement stratégique de la subversion. Imaginer de
nouvelles utopies dans un monde qui exclut toute possibilité pratique et concrète de
réalisation de cette utopie est un geste qui allie pensée et pratique, qui exige de croiser une
multiplicité de niveaux, de déplacer radicalement le champ de vision. En réunissant une
diversité de voix dans l’espace commun de la parole narrative, l’écrivain offre un espace
ouvert de discussion, de confrontation d’idées et de représentation, une agora propice à
l’expression politique51, libre de toute hiérarchie et de tout rapport de domination :

L’erreur constante que font les gens de chez nous, Maya, consiste à projeter sur les individus les choix,
les attitudes, les décisions et les orientations de notre gouvernement fédéral, de notre presse ou de nos
églises toutes-puissantes. Aucune analyse politique, aussi « juste » soit-elle, ne peut rendre compte du
millième de ce que vivent les individus. Cela est vrai dans toute l’Europe occidentale. Mais ici, ce
décalage devient proprement tragique. D’où les secours, les remèdes, les solutions d’urgence. A ton
avis, où se fait la jonction entre le prix et le politique, entre l’histoire individuelle et la grande Histoire ?
Tu connais la réponse, Maya. Tu dis sans hésitation : dans l’art et dans la littérature. Donc le remède est
là aussi : dans l’art et dans la littérature. (AEU 149)

Le remède par l’art et la littérature, tel est la voie utopique que suggère le narrateur d’Aux
États-Unis d’Afrique pour rétablir la continuité organique avec la vie africaine d’aujourd’hui,
quelque altérée qu’elle soit, et avec la vie dans la diaspora, quelque aliénée qu’elle soit. C’est
au nom de cette continuité qu’il tente de réinstaurer la confiance en l’être humain et de la
perception de l’avenir face à « l’enthousiasme pour la fin52 », incarné par les
« nouveaux cavaliers de l’apocalypse » (AEU 33) mandatés par un petit shérif burkinabé pour
tuer l’immigré, le sans-papier et le clandestin au crépuscule. Et c’est cette question de la cure,
qui fait revenir A. Mbembe au pharmakon de Frantz Fanon, auquel Politiques de l’inimitié
rend un vibrant hommage.

Habiter le monde

Dans les traditions africaines antiques, rappelle A. Mbembe, le point de départ de


l’interrogation sur l’existence humaine n’est pas la question de l’être, mais celle de la
« relation », de l’implication mutuelle, c’est-à-dire de la découverte et de la reconnaissance
d’une autre chair53. La peau, ce « nœud de significations vivantes54 », poreux, perméable,
serait alors le lieu, non de l’assignation raciale, mais de l’en-commun, du partage du monde,
toutes espèces confondues :

La peau : unique réceptacle par lequel le monde est monde. […] Elle cherche par toutes ses fibres
l’émoi, l’amour, la confusion, le dérèglement des sens. Elle veut fusionner avec la peau de l’autre,
mêler sa sueur, ses larmes, ses effluves à ceux de son prochain. Elle veut vriller dans sa chair, boire son
eau. Remonter à la source en sa compagnie. Etendre son empire. Signer une paix blanche avec autrui.
Pas de domination, plus de négation. Emulsion, fusion. (AEU 130-132)

Cette approche du vivant par la peau permet de toucher au fond commun de l’humanité, c’est-
à-dire à la vulnérabilité, selon F. Fanon. Ce « fond commun » affecte et relie les êtres à la
51
Kodjo-Grandvaux Séverine, Philosophies africaines, Paris, Présence africaine Éd., 2013, p. 215.
52
Mbembe Achille, op. cit., p. 59.
53
Ibid., p. 43.
54
Merleau-Ponty Maurice, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard (Coll. « Tel », n°4), 1976 [1945],
p. 177.

10
manière d’un geste, d’un « geste soignant comme pratique de re-symbolisation55 »
resubjectivante, rendant possible une rencontre authentique, une reconnaissance réciproque,
une relation avec d’autres, sans laquelle il n’y a ni sollicitude, ni soi. Or, ce serait notre
capacité même à sentir en commun, comme manifestation de la sunaisthesis aristotélicienne,
qui serait en train de se perdre56. Une difficulté, voire un refus de co-sentir, pourrait culminer
dans un état latent d’anesthésie générale. La décision éthique d’abandonner les émotions
issues des sensations aboutirait alors à une « image inversée », et donc inhumaine, où
l’hospitalité n’aurait plus cours. Si nous devions assumer l’ensemble des conséquences
éthiques de cette position, il nous faudrait en même temps abandonner tout projet de
refondation d’un monde commun. Le texte de Waberi participe tant à dénoncer la
déliquescence de ce lien dans le monde contemporain qu’à le renouer, et ce en suscitant
l’empathie de son lecteur.

C’est pourquoi le protagoniste d’Aux États-Unis d’Amérique est avant tout le prototype d’un
corps, d’un corps d’artiste, plus spécifiquement, sans autre caractéristique que la couleur de sa
peau – qu’elle oublie –, et la créativité de ses mains. « (Ah ! tes mains amoureuses de
potière ! Tes mains courant sur ma peau, descendant mon échine ! Je m’emporte, ma petite
Maya) » (AEU 104). L’écrivain a fait de Maya « un cas d’espèce, un être doté d’une mobilité
mentale inconnue chez nos clercs figés dans l’orgueil de leur caste et l’immobilisme de leur
fonction. » (AEU 151). L’anonymat devient la condition nécessaire pour que l’artiste puisse
donner la parole au monde muet, celui des choses ou des expériences, lesquelles « en tant
qu’expériences humaines appartiennent à tous57 ».

Pour laisser cette peau s’exprimer, Waberi convoque un rythme spécifique. Le rythme, selon
Senghor, est, dans « le style nègre », la chose la plus sensible et la moins matérielle que le
créateur émet à l’adresse des Autres. C’est l’élément vital par excellence. Et donc
empathique : chacun peut la ressentir sans pour autant s’y perdre. Comme la respiration « qui
se précipite ou ralentit, devient régulière ou spasmodique, suivant la tension de l’être, le degré
et la qualité de l’émotion58 », le rythme waberien n’est ni reprise, ni répétition pure, il
s’incarne dans la « variation de la répétition, unité dans la diversité59 ». Les analogies, les
paraphrases sémantiques ou encore la construction paratactique laissent entendre que la chose
décrite n’est pas exactement appropriée, mais que c’est la seule façon de la laisser s’exprimer.
En d’autres termes, le rythme, partant du vécu commun, ne peut être que rhizomatique.

Ainsi l’histoire familiale de Maya, « ressassée, convulsive, racontée dans le désordre » (AEU
20), n’amorce-t-elle pas tant un mouvement vers une nouvelle topie, une nouvelle figure du
réel, qu’elle poursuit la mise en question du réel jusqu’à s’orienter vers un autrement qu’être.
Peut-être tient-on là un critère distinctif entre deux formes d’utopie : celles qui, emportées par
le déplacement, fond du lieu de nulle part leur séjour, hors du réel, et celles qui inclinent le
mouvement initial vers une nouvelle topie quant à elle bien ancrée dans le réel, qu’elles
tentent de réinventer. Cet autrement qu’être prend la forme, chez Maya, d’une instabilité,
d’une errance perpétuelle et pleinement assumée, « qui n’est pas déperdition ». Le monde
entier est sa patrie. L’état de nomadisme fertilisant est dès lors perçu par le sujet comme
normal et non conflictuel : « Cette quintessence toute à toi, on ne la retrouvera pas au centre
55
Mbembe Achille, op. cit., p. 12.
56
Heller-Roazen Daniel, Une Archéologie du toucher, Paris, Le Seuil, 2012, p. 320.
57
Merleau-Ponty Maurice, Le Visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964, p. 190.
58
Senghor Léopold S., Liberté I, Paris, Le Seuil, 1964, p. 35, cité par Souleymane Bachir Diagne, Léopold Sédar
Senghor. L’Art africain comme philosophie, Paris, Riveneuve, 2019 [2007], p. 67.
59
Senghor Léopold S., op. cit., p. 211-213. Ces mots sont tirés de l’article sur « L’esthétique négro-africaine »
(Diogène, octobre 1956).

11
de l’empire africain mais à sa périphérie, colportée par des personnalités sans amarres comme
toi » (AEU 151). Le voyage, la migration, l’exil ne signent plus l’absence. Maya est
psychiquement et émotionnellement présente en plusieurs lieux. Les appartenances ne sont
pas disjointes et ne s’excluent pas. Elles s’ajoutent et se multiplient : « Tu es et tu restes une
exilée, une exilée à la racine qui plus est. A Asmara. Tu seras une autre et toi-même à la fois.
(AEU 157). A la périphérie, l’étranger, le réfugié, l’exilé, le migrant, rappellent à autrui
qu’« au fond, nous sommes faits de divers emprunts à des sujets étrangers60 » et que, par
conséquent, nous sommes et avons toujours été des êtres de frontière61.

Conclusion : « Te voici cigogne »

Tu écriras, tu peindras et tu sculpteras sous la pluie de lumière d’Afrique. Tu te consumeras


dans l’exécution de ton œuvre. Qui sait, tu lui survivras peut-être. Le voyage continuera pour
toi, Maya, dans le déchiffrement des signes et dans le compagnonnage des lettres. Dans la
marche et dans la vie aussi. (AEU 174-175)

Le temps qui est le nôtre, – le temps du repeuplement et de la provincialisation du monde sous


l’égide du techno-militarisme et du capitale et, conséquence ultime, le temps de la sortie de la
démocratie (ou de son inversion) –, nécessite de repenser l’utopie à l’aune d’autres horizons.
Redéfinissant l’origine du futur, Aux États-Unis d’Afrique démontre comment un récit
contrefactuel, dès lors qu’il explore « un passé en train d’advenir62 », est un puissant vecteur
de changement par sa capacité de réveil face au désastre qui nous guette ; comment
reconstruire les récits historiques et les représentations sur l’Afrique rouvre les possibles pour
les pays africains sans qu’il y ait pour autant un repli identitaire ; comment un changement de
point de vue permet une réélaboration du sensible et une adhésion à l’en-commun ; et enfin
comment tester les possibilités d’un renouvellement des imaginaires de la relation (privée,
interpersonnelle, politique, sociale, économique) nous invite, tous, à apprendre à « habiter le
monde63 », en passant : « Devenir-homme-dans-le-monde n’est ni une question de naissance
ni une question d’origine ou de race. C’est une affaire de trajet, de circulation et de
transfiguration64 ». La réinvention du politique par le poétique passe par la circulation des
œuvres, des idées et des livres (AEU 150) comme elle passe par les passeurs que sont les
écrivains ou les académiques, dont les luttes rassemblent une communauté sans frontières. À
lire A. Waberi à la lumière de l’œuvre humaniste d’A. Mbembe, il apparaît enfin que
« l’éthique du passant65 » est le pharmakon qui permettrait par ailleurs d’influencer le champ
tout entier de la création institutionnelle, avec sa dimension collective, pratique, et sa
dimension juridique, symbolique. Pouvoir circuler et séjourner – et non s’approprier –
librement dans tous les faisceaux constituerait les conditions sine qua non du partage de la
Terre unique dont nous disposons. C’est là l’une des utopies du XXIe siècle, l’utopie du
passant, qui nous vient tout droit des archives du Tout-Monde, une utopie concrète puisant
dans le réel à partir de l’expérience migrante elle-même, telle que vécue par Maya l’artiste.

Bibliographie
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___, L’Utopie de Thomas More à Walter Benjamin, Paris, Sens & Tonka, 2000.

60
Mbembe Achille, op. cit., p. 45-46.
61
Bocandé Anne, « “Toute mon expérience, qui remonte à l’enfance de mon art, était déjà transfrontalière”.
Entretien de Anne Bocandé avec Abdourahman Waberi », Africultures 106.1 (2018), p. 35.
62
Mbembe Achille, op. cit., p. 175.
63
Sarr Felwine, Habiter le monde. Essai de politique relationnelle, Montréal, Mémoire d’encrier, 2017.
64
Mbembe Achille, op. cit., p. 176.
65
Ibid., p. 173-179.

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