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Sociologie du tourisme

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les aristocrates anglais mettent au point deux
formes de « mobilités de loisir » : le Grand Tour, forme de tourisme itinérant qui
« parachève l’éducation des jeunes aristocrates par les expériences de sociabilité
faites au cours du voyage, autant que par ce qu’ils ont vu et reconnu des sites et des
monuments »; le séjour dans des « stations » balnéaires ou thermales, qui se
développe à partir de la fin du XVIIIe siècle en lien avec une transformation du
regard portée sur la mer et les rivages, en lien avec la valorisation hygiéniste de la
pratique du bain et de la notion de plaisir. Ces pratiques de loisir peuvent être
analysées sociologiquement comme des « rites d’institution » très distinctifs,
permettant de « réaffirmer l’existence et la valeur d’une classe », l’aristocratie. Les
transformations sociales vont produire de nouvelles catégories de touristes au XIX e
siècle et des mobilités de loisir au-delà de l’aristocratie : le développement des
transports ferroviaires, la création d’agences de voyages, et le rôle des élites
locales dans l’aménagement touristique du territoire (le cas du tourisme alpin en
Suisse permet de mettre en lumière les formes d’organisation institutionnelle du
tourisme). Aux côtés des élites locales, des professionnels et commerçants, certains
membres des nouvelles élites d’ingénieurs et de professionnels libéraux
contribuent à « redéfinir les pratiques de loisir légitimes » : ils créent des
institutions, associations et groupes d’intérêts qui agissent comme des lobbys dans
l’élaboration des politiques publiques (par exemple, le tour des cyclistes). Alors
que les professionnels du secteur touristique militent dès le début du XX e siècle
pour que le tourisme soit reconnu comme une « industrie », mais un dispositif de
quantification du tourisme ne se met en place que lentement en France:
« l’ensemble des déplacements d’agrément qui comportement au moins 4 nuits
consécutives hors du domicile », à l’exclusion des week-ends de deux ou trois
nuitées et des déplacements professionnels.

Une « massification » du tourisme se produit en France à partir des années 1960 et


s’accompagne d’un maintien et d’une recomposition des inégalités sociales. Les
écarts entre les masses, entre la couche supérieure et les ouvriers, se sont même
creusés depuis une dizaine d’années en ce qui concerne le taux de départ en
vacances en ce qui concerne la part du budget consacré aux vacances. Il existe
également d’autres formes d’inégalités sociales.  Dans les classes supérieures, les
voyages internationaux des enfants jouent un rôle de socialisation des élites, les
séjours se font plus souvent à l’étranger ou dans des résidences secondaires. Il
s’agit alors d’intensifier les pratiques de sociabilité et de loisir, « pour compenser 
un temps de loisir quotidien en baisse ». Les enquêtes ethnographiques permettent
de préciser les usages sociaux de ce temps des vacances. Si la « quête
d’authenticité » est souvent présentée comme une des principales motivations du
tourisme et se trouve valorisée dans le tourisme solidaire, durable, humanitaire ou
ethnique, des enquêtes ethnographiques témoignent des malentendus entre les
touristes et la « population locale », mais aussi des procédures permettant
d’occulter la dimension marchande des interactions. La « quête de soi » semble au
principe du « tourisme des racines », notamment celui de touristes américains en
voyage sur les terres d’émigration de leurs ancêtres, en Afrique, en Asie ou en
Europe, mais également du tourisme de l’extrême dans l’Himalaya. Pour les
touristes non-occidentaux, l’authenticité de l’expérience touristique procède au
contraire de la « modernité » des installations et des « symboles du présent ». Les
frontières sont parfois poreuses entre les différentes formes de tourisme : le « dark
tourism » consiste à explorer les terrains de conflits ou de catastrophes naturelles et
se distinguerait du tourisme de mémoire (sites du débarquement, camps de
concentration) ou du tourisme politique (circuit dans les territoires occupés). Une
approche ethnographique du tourisme sexuel montre que « la question des
stratégies sociales, matrimoniales et migratoires, ou simplement des rencontres
amoureuses ne peut se réduire à la dénonciation des rapports de domination ».

Longtemps pratiqués uniquement par une élite cultivée, les grands sites du
patrimoine mondial (Florence, le Taj Mahal) sont devenus impraticables pour les
touristes qui veulent sortir des circuits balisés, trouver des « destinations
authentiques ». La « nature authentique » fait partie de cette culture-là, à travers le
tourisme d’aventure ou l’écotourisme. La quête d’une expérience authentique d’un
autre genre, celle de l’apprentissage avec les maîtres traditionnels, incite de
nombreux Japonais à venir à Buenos Aires parfaire leur tango.

La terre entière est « touristifiée » – même la Corée du Nord a ses agences de


voyage –, et les touristes en quête de différence doivent travailler durement pour
entretenir l’illusion d’un monde encore vierge de consommateurs.
(D’après Olivier Vanhé, sur Saskia Cousin et Bertrand Réau, Sociologie du tourisme, Ed. La Découverte,
coll. "Repères/Sociologie", 2019)

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