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23/11/2021 10:53 La sexualité comme force différentielle: pour une théorie deleuzienne de la sexualité | Trahir

17 JUILLET 2015 · 00:26

La sexualité comme force différentielle: pour une


théorie deleuzienne de la sexualité
Critique de Between Desire and Pleasure: A Deleuzian Theory of Sexuality de Frida Beckman, Edinburg, Edinburg
University Press, 2013.

Par Émilie Dionne, Santa Cruz

L’ouvrage Between Desire And Pleasure: A Deleuzian Theory of Sexuality de Frida Beckman propose
d’élaborer une théorie deleuzienne de la sexualité. Selon l’auteure, s’il est vrai que Gilles Deleuze a tenté, tout au long de sa
carrière, de se distancier de la sexualité, notamment des notions (interchangeables dans son ouvrage) du plaisir sexuel et de
l’orgasme, elle soutient que l’œuvre de Deleuze, y compris les projets qu’il a menés en collaboration avec Félix Guattari, est
porteuse d’une conception embryonnaire de la sexualité. Beckman considère qu’il est crucial que la philosophie se penche sur
le plaisir sexuel, et œuvre à le faire compter autrement, étant donné les rôles multiples que ce dernier joue, autant sur les
plans politique, culturel que conceptuel (vi). Elle croit qu’une théorie deleuzienne de la sexualité peut faciliter le déploiement
productif et positif du plaisir sexuel, et désorienter les politiques identitaires de type molaire.

Tout comme pour Deleuze, pour Beckman, les politiques de type identitaires et représentatives posent problème. Elles
adhèrent à des protocoles favorisant la stratification du corps et de la subjectivité, ce qui a pour effet d’étouffer à la source la
capacité singulière d’expression de chaque corps. Beckman conçoit le plaisir sexuel comme berceau de potentialités, à partir
duquel se créent des fenêtres, autant d’ouvertures encourageant de nouvelles connections et agencements, lesquels
pourraient œuvrer positivement (créativement) à la désorientation et la déterritorialisation des strates et des processus
stratifiants de la machine capitaliste. Elle considère que le plaisir sexuel peut faire une différence qui compte, contrairement à
ce que laisse entendre Deleuze, qui se détourne de l’orgasme, qu’il considère trop « matériel », physique, donc, stratifié,
surdéterminé. La théorie de Beckman permettrait, elle, l’activation positive (excessive et créative) des corps, de ce qu’ils
peuvent, ainsi que leur participation positive à la configuration de mondes plus sains, durables, positifs et créatifs. Elle
considère que la conception que se fait Deleuze des notions de plaisir sexuel et de l’orgasme est basée essentiellement sur sa
réception de la psychologie freudienne, une perspective qui conçoit l’orgasme exclusivement comme un organisme-
organisateur, qui enchaînerait la subjectivité au Sujet, figure molaire. Perçu comme mécanisme organisant le désir, liant (et
contraignant) sa capacité d’expression à une trajectoire linéaire et causale cherchant à atteindre la transcendance
(jouissance), l’orgasme-organisateur « saisirait » le désir pour l’inscrire dans une perspective du manque à combler. Par
conséquent, la capacité expressive du désir s’en trouve étouffée et, ce dernier est voué à un mouvement unique, celui de la
décharge, ce qui a pour effet de vider le corps de son énergie, de le transformer en corps déserté.

Un tel mode d’expressivité ne fait donc pas que contraindre la potentialité d’expressivité qu’est le désir, le corps; il asphyxie
toute possibilité créative. Voilà qui survient, explique Deleuze, étant donnée la « oh-que-trop » matérielle réalité du plaisir
sexuel. Trop actualisée, cette matérialité stopperait le mouvement du désir – le mouvement qu’est le désir – plutôt qu’elle ne
chercherait à favoriser son activation. Voilà pourquoi Deleuze préfère la notion de plateau, reprise à Gregory Bateson, et
délaisse celles d’orgasme et de plaisir. Contra l’orgasme-organisateur, le plateau est vu comme puissance qui attise la tension
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plutôt qu’elle ne la relâche. La notion de plateau s’harmoniserait donc davantage à « l’essence » (comme mouvance) du désir
en attisant ce dernier pour activer son expressivité dynamique et multiple.

Le plateau permet au désir d’échapper aux processus de détermination et d’identification. Il favorise la création de processus
rhizomatiques de connectivité, dans l’immanence; autant de modes d’ouvertures à partir desquels le désir peut s’exprimer
différemment et différentiellement. Beckman endosse cette vision. Il faut effectivement se méfier d’un orgasme organisé, fait
organisme, puisque ce « mode de capture » de l’orgasme handicape le désir. Mais ce mode est loin d’être le seul qui soit. Pour
Beckman, l’analyse de Deleuze est incomplète, limitée et limitante. Elle lui reproche notamment de ne pas rendre compte de
la « potentialité différentielle » singulière du plaisir sexuel. Elle considère que son appréhension vis-à-vis de la sexualité
résulte de son incapacité à envisager le plaisir sexuel autrement que sous le mode de la décharge. Voilà qui révèle, signale
Beckman, une affectation paranoïaque de la part de Deleuze, similaire à celle caractérisant la machine capitaliste. Cette
affectation mène à l’apparition de deux problèmes dans sa philosophie. D’abord, Deleuze ne peut s’intéresser à la matière, à la
variation corporelle actualisée. Ensuite, en scindant le désir du plaisir sexuel, voilà qu’il participe à la reproduction non
réfléchie d’un certain nombre de préconceptions universalistes concernant l’individu.

Pour enrayer ces deux problèmes et activer le potentiel en latence du plaisir sexuel dans sa philosophie, Beckman entreprend
de situer la conception de Deleuze dans son contexte socio-historique, soit un modèle spécifique de sexualité, ici masculine –
et, j’ajouterais, hétéronormative – d’inspiration freudienne. Pour penser une théorie deleuzienne du plaisir sexuel, Beckman
suggère de prendre en considération la variation existante (actualisée) de l’expressivité sexuelle. Les deux premiers chapitres
s’emploient à cette tâche, en offrant un premier dialogue avec Foucault (chapitre 1), puis avec la psychanalyse (chapitre 2),
avec Jacques Lacan d’abord, et avec deux disciplines de ce dernier, Melanie Klein et Wilhelm Reich. En mettant l’accent sur le
contexte socio-historico-culturel et les dialogues philosophiques qui informent sa conception, Beckman déplore le mépris de
Deleuze pour la sexualité féminine, laquelle, démontre-t-elle, favoriserait la configuration d’une autre sexualité, d’un autre
désir, plaisir, et de sa capacité d’expression. Elle suggère aussi que la tendance de Deleuze à tenter de « réchapper » Lacan de
ses disciplines est génératrice d’une agnotologie, c’est-à-dire qu’il sédimente des processus favorisant l’ignorance d’aspects
singuliers au sein des conceptions de Klein et de Reich pouvant contribuer à une vision dynamique, créative et rhizomatique
du plaisir sexuel. Par exemple, alors que Deleuze (et Guattari) applaudissent la scissure proposée par Reich entre sexualité et
reproduction, ils lui reprochent son attachement à la notion d’orgasme. Toutefois, la lecture que Beckman effectue de Reich
laisse entendre que son usage de l’orgasme ne reproduit pas le modèle causal-linéaire d’une conception freudienne. Pour
Reich, l’atteinte du paroxysme sexuel favorise l’accentuation de l’excitation, donc la circulation continue et expansive de
l’énergie, un modèle qui résonne davantage avec la notion de plateau de Bateson.

Le chapitre 3 étudie des travaux récents dans le domaine des sciences naturelles et de la technologie attestant d’une variation
actualisée des corps contestant la vision que Deleuze se fait de la sexualité. Couplant ces recherches aux concepts du pli de
Gottfried Leibniz et d’individuation de Gilbert Simondon, Beckman propose un agencement littéraire où la sexualité
s’enchevêtre à même de nouvelles technologies de l’information et de communication (NTIC) pour déstabiliser les axiomes
spatio-temporels de la causation linéaire qui configurent plaisir et désir selon Deleuze. Elle emploie l’exemple de la
pornographie numérique pour démontrer que les modalités navigatrices qu’encouragent la technologie numérique
contribuent à l’émergence de nouvelles modalités et de nouveaux usages du plaisir sexuel, lesquels ne cherchent pas à faciliter
le retour du sujet vers lui-même, pour confirmer l’identité, mais participent plutôt à « la spatialisation et la multiplication de
formes de plaisir sur la toile, articulant ainsi l’acte de suspension comme moment toujours différé […], un mode d’ouverture
multidirectionnelle » (50). Les études récentes en sciences de la biologie font écho à cette nouvelle conception dynamique,
toujours en mode d’ouverture, faisant la preuve d’une matière non plus passive ou figée, mais ontologiquement résiliente
(54).

En considérant la sexualité sous l’angle proposée par ces deux courants d’études, on peut alors penser les corps comme
agencements « hyper-naturels », des corps de « communication qui plient et se plient » (57); autant de modes de célébration
de la capacité de connectivité de l’immanence. S’inspirant des « cris, rythmes et balbutiements d’Artaud », Beckman envisage
la possibilité d’un orgasme comme orgasme-sans-organisme/sujet (58), qui « détruit le langage et la rationalité » et facilite
« l’émergence d’une multitude de formes de déploiement de la pensée » (62). Cet orgasme schizophrénique crée des êtres-
larves, lesquels participent à des processus immanents de multiplication et d’expansion, à partir desquels « des corps,
émergeant de l’orgasme, se décomposent » (62).

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L’orgasme est donc événementiel, matrice de mondes, d’agencements et d’affinités nouvelles. Procédant par processus
d’individuation, le sexe se matérialise ici comme acte de tissage, connectant des corps comme multitudes pour former des
agencements dynamiques non permanents (65). Cette nouvelle image de l’orgasme construit des individus, certes, mais
comme articulations d’affinités éphémères qui résistent ontologiquement à tout processus de détermination, de stratification.
Il crée des corps comme modes vibratoires plutôt que blocs, ce qui permet d’imaginer le plaisir sexuel autrement que comme
simple mécanisme de survie, mais plutôt un plaisir sexuel qui s’ex-tasie pour célébrer son inutilité et son a-signifiance.

Les chapitres 4 à 7 procèdent à l’application d’une théorie deleuzienne du plaisir sexuel en contrastant figure molaire et
devenir moléculaire au sein d’une série d’articulations du plaisir sexuel. Le chapitre 4 se penche sur le plaisir sexuel de la
« Femme » dans sa forme molaire, dans une perspective socio-politico-historique d’abord, puis son devenir moléculaire, le
devenir-femme du plaisir sexuel. Le chapitre 5 prend en compte les usages politiques, sociaux et économiques de la sexualité
des personnes ayant des incapacités, et envisage un devenir-incapable de l’orgasme. Le chapitre 6 se tourne vers la
conception du plaisir sexuel de l’animal, puis prend en compte les effets d’un devenir-animal de l’orgasme. Le chapitre 7
cherche enfin à désorienter la machine capitaliste et la visagéité du plaisir en utilisant l’exemple du « money shot » dans le
cinéma pornographique, l’éjaculation masculine; Beckman suggère que la fascination capitaliste pour l’usage de l’effet visuel
du « gros-plan » sur le visage de l’éjaculant participe à une hyper-visagéité du visage qui déterritorialise le plaisir sexuel du
Sujet. Alors que l’objectif du « gros-plan » serait de synchroniser le moment du paroxysme sexuel et l’expressivité de
l’éjaculant (une « volonté de savoir » qui cherche à déterminer les coordonnées spatio-temporelles de l’orgasme dans
l’optique de capturer sur écran les flux des capitaux), ce dernier est désorienté par son zèle, l’hyper-expressivité qu’elle
provoque, de façon à faciliter l’émergence d’un orgasme-sans-organisme/sujet en mouvement.

L’ouvrage de Beckman offre une théorie deleuzienne de la sexualité satisfaisante; bien documentée et circonscrite, elle établit
des bases solides pour ses usages éthico-onto-épistémologiques et esthético-politiques. L’attention qu’elle confère à la
variation sexuelle, aux modalités multiples d’expressivité du plaisir, de même qu’aux rôles divers dont le plaisir sexuel a été
investi permet de penser le sens autrement que selon les usages des pespectives de la santé, du genre, du corps et de l’être
humain. Beckman amène le corps deleuzien sur de nouveaux terrains, et revitalise la matière corporelle en mettant l’accent
sur la variation existant entre les corps, des corps ici conçus comme toujours dynamiques, ouverts et ontologiquement
« résilients ». Sa lecture permet de susciter la curiosité, l’intérêt et l’enjouement de la philosophie pour d’autres types d’objets
d’études, non pas uniquement des objets de suspicion comme Deleuze le fait du plaisir sexuel. Toutefois, si Beckman affirme
que son projet est essentiellement deleuzien, voilà qui sème le doute vis-à-vis de sa préoccupation incessante, même sa
déception, pour le peu d’intérêt que portera Deleuze au plaisir sexuel. Sa préoccupation vient hanter son texte de manière
inquiétante, comme un spectre de la reconnaissance. Beckman passe énormément de temps à se lamenter que le plaisir
sexuel n’a pas fait l’objet de curiosité chez Deleuze alors même que c’est précisément en raison de l’ouverture que Beckman
parvient à identifier au cœur de la philosophie deleuzienne qu’elle parvient à contribuer positivement, à créer cette théorie
deleuzienne de la sexualité, projet qui n’aurait pas été possible si Deleuze avait déjà effectué ce travail! Cette énergie, qu’elle
dévoue, semble-t-il, à un projet bien irréaliste, celui de recevoir l’approbation de Deleuze, affecte négativement son œuvre.
N’aurait-il pas été plus positif d’œuvrer à l’expansion de cette sublime vitalité qu’elle attise pour le plaisir sexuel chez son
lectorat en insufflant vie à ce devenir deleuzien du plaisir sexuel singulièrement sien? Autrement dit, cet objet d’intérêt et de
curiosité qui a donné naissance à cette œuvre, c’est la contribution singulière de Beckman, une expression de sa potentialité
différentielle. Voilà ce qui doit être célébré, projet singulier, exemple cinglant de ce qu’est (peut) la différence, le cœur de cette
ontologie du désir; cette ontologie désirante, sans référent ni approbation, ou désir et recherche de reconnaissance et
d’approbation.

En effet, ces questions dont elle orne chacune des conclusions de ses chapitres quant à la soi-disant inaptitude de Deleuze à
se laisser attiser par l’objet de sa curiosité – le plaisir sexuel –, elles teintent son projet d’un désir de reconnaissance et
d’approbation qui s’inscrit essentiellement contre un projet deleuzien. De fait, Beckman semble instituer une certaine relation
maître-disciple qui ferait frémir Deleuze en donnant l’impression au lectorat que Beckman « avait besoin de se faire dire
comment entamer une théorisation deleuzienne de la sexualité, et comment le faire de manière juste » (107; ma traduction, je
souligne).

De plus, on se demandera pourquoi Beckman demeure si désireuse de conserver la notion d’orgasme. Et, par le fait même,
comment se fait-il qu’elle emploie de manière interchangeable plaisir sexuel et orgasme? N’aurait-il pas été alors essentiel de

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procéder à une contextualisation socio-historique et philosophique de ces deux concepts? Un mot, un concept, est toujours
plus qu’un mot, bien sûr, et plus que du sens également. M’inspirant ici des travaux de la philosophe féministe des sciences,
Karen Barad (2007), le mot n’est jamais que du sens mais toujours déjà un enchevêtrement discursif-matériel, qui compte
comme sujet d’importance, auquel on accorde de la valeur (et, multiple) et qui se compte, qui peuple la configuration
(toujours dynamique) du monde. Ainsi, cherchant à se faire l’héritière d’un terme, n’importe-t-il pas de tracer la généalogie
de ce dernier, et du désir qui sous-tend ce dernier? Autrement dit, il ne s’agit pas de dire qu’il faut se faire l’héritier-disciple
d’un mot, mais plutôt que des « mots » sont autant d’enchevêtrements qui nous lient et distinguent à la fois de multiples
spectres temporels (passés, présents et futurs).

Beckman n’explique pas son geste. Couplé à son usage interchangeable des termes d’orgasme et de plaisir sexuel, on verra
alors le lectorat sourciller. Toutefois, mon objectif ici ne sera pas de critiquer Beckman en lui reprochant de ne pas s’être
intéressée à tel ou tel champ de recherche, puisque ces autres points, ce sont là les objets que moi-même j’apporte au texte. Je
souhaite plutôt susciter une pratique dialogique avec elle et d’autres; un mode d’ouverture visant à créer des opportunités de
dialogue, à les cultiver et les courtiser pour activer le potentiel différentiel dont chacun regorgerait, et se laisser ainsi
transporter par le courant d’un désir immanent.

La critique négative ne voit pas qu’elle est créative, innovatrice en soi. Mais elle n’en crée pas moins des objets. Toutefois, ces
objets sont essentiellement des objets de suspicion, de souci, plutôt que des objets positifs, de curiosité, ouverts et d’ouverture
pour la potentialité différentielle immanente. La critique négative aussi est singularité; elle porte avec elle un nouvel objet,
qui s’ajoute dans la configuration actuelle du sensible, un nouvel objet à partir duquel on peut entrer en relation de manière
variée. Toutefois, la critique négative ne conçoit pas l’émergence de ces objets comme étant ses objets..

Je suggère plutôt une autre modalité de faire de la critique. Je m’intéresse non pas à critiquer Beckman en fonction des
interlocuteurs avec lesquels elle a choisi d’interagir ou non, mais en me laissant plutôt affecter et attiser par son objet de
passion, en invitant d’autres interlocuteurs à se joindre, eux aussi, au dialogue. Voilà qu’il est alors possible de faire éclore
une autre trajectoire de curiosité aux effets autant éthiques, ontologiques qu’épistémologiques.

Qu’on se laisse donc inspirer par la manière selon laquelle Beckman conçoit sa théorie deleuzienne de la sexualité, en
s’adonnant à un exercice de littérature mineure. Pour ce faire, en effet, Beckman crée un agencement dialogique
d’enchevêtrements qui prennent vie en ce qu’ils sont aptes à émerger relationnellement, tissés les uns à travers les autres et
générant ainsi de la différence. C’est à la potentialité différentielle propre à chaque singularité, qui insuffle vie, curiosité,
importance, perceptibilité et matérialité à un tel agencement. En s’inspirant de sa méthode, l’objectif ne serait pas de lui
adresser une critique (négative), en laissant sous-entendre que Beckman aurait failli à la tâche qu’elle s’était donnée
initialement; en fait, il n’y a échec que lorsqu’on se sera donné un point de référence, qu’un projet donné n’est pas parvenu à
représenter. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne son projet, soit de concevoir une théorie deleuzienne de la sexualité. Au
contraire, cherchons plutôt à prolonger le mouvement qu’elle initie, à attiser les processus différentiels, à titiller le désirant,
de manière à faire circuler la tension ailleurs, faire éclore et multiplier cette force, générer plus d’affinités, de connectivité et
plus de pratiques dialogiques.

Voilà comment je vois et célèbre son projet.

Il est déplorable que Beckman ne parvient pas elle-même à incarner pleinement ce devenir d’une littérature mineure dont son
texte transpire. Elle reproche à Deleuze, et à d’autres (Donna Haraway, notamment), d’entreprendre des lectures sélectives en
constituant des agencements littéraires douteux, de manière à pouvoir soutenir leurs théories. Le problème c’est que
Beckman en fait la démonstration en sélectionnant un agencement littéraire de son inspiration. Elle illustre alors en quoi ce
nouvel agencement donne naissance à des objets entièrement différents (et, bien entendu, uniques). Le point que je souhaite
ici démontrer est que ces objets, qu’elle fait passer dans le champ de la perceptibilité, ce sont ses objets d’intérêts, c’est-à-dire
que ces objets-là se sont matérialisés – ils se sont ajoutés au champ du réel, et ils viennent à compter – à partir de sa capacité
affective singulière, de sa curiosité, une célébration de la Différence, donc, comme pure immanence.

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À cet effet, il semble que son épilogue laisse présager un tel projet. Mais elle laissera cette potentialité-là jouer le rôle d’un
compagnon spectral qui, lui aussi, pourrait compter et se compter autrement, notamment comme agencement singulier apte
à faire circuler le désir, à l’attiser, en multipliant la possibilité d’affinités, et en tissant d’autres et toujours plus de dialogues,
notamment avec le féminisme matérialiste. Ne devrait-on donc pas prendre sérieusement cette tâche de la philosophie qu’elle
célèbre dans sa conclusion, qui serait de titiller hors de son terreau la perspective paranoïaque qui fait que chacun d’entre
nous, ceux et celles qui fabriquons du savoir, cherchons inlassablement les raisons pour justifier et expliquer l’appareillage
littéraire que l’on tisse? Une perspective qui fait compter une lecture particulière sous le mode négatif, soit du désintérêt, du
manque de curiosité ou d’une lecture imparfaite? Et de célébrer plutôt que c’est précisément en se laissant chatouiller,
provoquer, et affecter par une théorie que chacune d’entre nous, de par sa singularité et la potentialité différentielle de
chacune, peut prendre part à l’affectation et à l’émergence dans l’actuel des objets de notre curiosité singulière; nos capacités
affectives, à partir de notre capacité désirante unique qui excède et touche en la transformant la configuration corporelle de
tout corps et de toute subjectivité, pour les faire vivre, valser, danser, et créer… davantage.

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