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Aventurine BAFFIE DAUVIER M1 COMEDD

Compte rendu de lecture


Manières d'être vivant, Baptiste Morizot
RÉSUMÉ DE L’OUVRAGE :

Dans cet ouvrage, Baptise Morizot pose notre rapport au vivant comme enjeu majeur
de la crise écologique, qui est pour lui une crise de la sensibilité. Cet ouvrage jongle
avec les genres littéraires, entre récit de piste, poésie et essai philosophique, il
s'aborde comme un guide sur la piste de la pensée de l'auteur.

La crise écologique comme crise de la sensibilité :


Nous partageons une partie de notre constitution avec tous les êtres-vivants qui sont
nos parents, mais nous avons perdu le lien avec eux. Dans nos sociétés, nous ne
connaissons plus leurs noms, nous réduisons les chants des oiseaux à un "silence
agréable" car nous se savons plus les entendre. Nous avons perdu les légendes, les
imaginaires et les mythes liés à nos parents, les autres vivants. Paradoxalement, nous
avons une obsession de la compréhension biologique du vivant, cependant, nous les
étudions sans les considérer comme des parents mais comme une "altérité radicale".
Ce principe d'altérité, de dualisme entre l'homme et la "nature" a été développé par
les Modernes, et notamment Kant. De ce principe émerge la volonté de domestication
de la nature, de sa mise au travail de manière à ce que l'Homme puisse se libérer de
cette attention au milieu pour son confort. La crise écologique serait donc une crise
de nos relations au vivant.

Une saison chez les vivants


Baptiste Morizot est un philosophe sur le terrain, sur la piste des loups du Vercors, il
questionne la communication interspécifique. Les autres espèces communiquent
entre elles : les loups par exemple laissent des déjections sur des lieux clefs : devant
chaque pont pour témoigner de leur présence, ils partagent ce code avec les
renards. Les loups ont été réceptifs aux hurlements imités de l'auteur, ils sont venus
à sa rencontre, ils sont favorables à l'idée d'une prise de contact interspécifique et
au-delà du simple dialogue : venir observer plutôt que de répondre au hurlement.
Peut-être pourrait-on sentir dans nos comportements une ancestralité animale de
l'humain, comme le hug, geste partagé par tous les primates, ou bien le principe de
masque animal : le maquillage des yeux chez nous est bio-inspiré, lorsque nous
tentons de communiquer sans langue commune, les sourcils jouent un rôle majeur
dans la transmission. L'auteur clos cette partie sur "un pas de côté" : aller au-delà de
la traduction 1 et se questionner "qu'est-ce cela fait d'être une autre manière d'être
vivant ?".

1
Barbara Cassin : traduire les l'intraduisibles

1
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Les promesses d'une éponge

Baptiste Morizot remet ici en question l'affirmation selon laquelle l'humain est le plus
évolué des êtres vivants. Il ne l'est pas, chaque espèce a une forme d'intelligence
dont elle est le brouillon des évolutions futures. La thèse de l'improbabilité de notre
intelligence est pour l'auteur dépassée, il lui préfère la thèse des convergences de
Conway Morris. L'extinction de masse apparait alors comme un avortement des
futures espèces potentielles : nous ne laissons plus le temps et l'espace nécessaire à
l'évolution des espèces. Nous exterminons ceux dont nous descendons.

Cohabiter avec ses fauves

L'auteur questionne la métaphore du domptage animal des passions intérieures


:"dominer ses passions". 2 L'auteur distingue deux types de domestication : l'action
directe positive (ADP) qui juvénilise les animaux : les moutons sont rendus
dépendants de leur berger ; et l'action indirecte négative (AIN) où l'animal est en
coopération avec l'humain comme les Rennes des Touvains, un peuple animiste.
Baptiste Morizot préfère à la domestication des passions, un rapport diplomatique
d'une permaculture de soi, d'une "compréhension de l'écologie des passions".
L'ADP serait à l'origine de l'ubris, les animaux ne sont pas fous par nature. Morizot
retourne la problématique des désirs et de la raison : la raison devrait être un désir
dont la pratique est joyeuse. La raison n'est alors pas un but absolu, en s'inspirant
des éthiques asiatiques de La Voie, nous pourrions nous perfectionner sans avoir à
atteindre un idéal a priori.

Passer de l'autre côté de la nuit

Lors de ses observations nocturnes des loups et troupeaux pour CanOvis, l'auteur crée
un parallèle dans l'affrontement des chiens de bergers contre les loups et le conflit
des deux visages de l'humain : celui du domesticateur contre le chasseur-collecteur.
Les itinéraires de pâtures favorables à la protection des brebis vis-à-vis du loup sont
ceux les plus favorables à la protection du milieu de montagne 3, le loup est alors un
"accélérateur" vers la protection des territoires. De là, émerge le principe de
communautés d'importances et des alliances diplomatiques comme apiculteur-
abeilles. Morizot distingue deux temps de la diplomatie : celle de la lutte par alliances
interspécifiques (la lutte politique contre l'adversaire est prioritaire) et celle de la
diplomatie de composition (créativité du point de vue des interdépendances). Le
slogan " nous sommes le vivant qui se défend" serait alors une réponse à la crise

2
Platon, morale du cocher
3
Aldo Léopold, Penser comme une montagne

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écologique mais aussi à la crise existentielle de la sensibilité : qui nous sommes, ce qui
nous fait.

ARGUMENTATION :

La thèse proposée par Baptiste Morizot dans cet ouvrage, serait, comme réponse à la crise
écologique, crise de la sensibilité de renouer avec le vivant et s’intégrer à lui, mettre fin à
l’altérité radicale. Il s’agirait d’aimer le vivant, au sens spinoziste du terme : se réjouir de son
existence et donc se réjouir de sa santé et de sa sauvegarde. Baptiste Morizot imagine une
sauvegarde de ce monde par son amour pour lui et non par la haine des principes qui le
dictent. Comme l’annonce Pablo Servigne : ce serait étendre le social au vivant. Cependant,
la manière de renouer avec ce vivant me pose problème, comment peut-on, dans nos
sociétés naturalistes dépasser ce dualisme sachant que nos imaginaires se fondent sur celui-
ci ?

Descola distingue trois types de manières d’être au monde : l’animisme, le totémisme et


l’analogisme. Pour Bruno Latour, nous sommes la seule civilisation à opérer le “Grand
partage” : “Nous sommes les seuls qui fassions une différence absolue entre la nature et la
culture, la science et la société”. En effet, dans certaines cultures, comme les Jivaros étudiés
par l’anthropologue Philipe Descola, le concept de nature n’existe pas, il n’y a pas de mot
pour la décrire. Dans la composition des mondes, il écrit “ Selon les jivaros Achuar, les
animaux et les plantes se voient eux-mêmes comme des humains, et, puisqu’ils se voient
comme tels dans les rêves lorsque l’âme voyage, le rêveur les aperçoit sous l’aspect de leur
humanité aussi, et c’est ce qui permet aux humains de communiquer avec les non-humains”.
Ces peuples ont un rapport social au vivant, comme le propose Pablo Servigne. Cette
cosmologie est en lien avec le vivant. Il en est de même pour les peuples animistes, dans
Manières d’être vivant, Baptiste Morizot rapporte les propos d’un Amérindien Nabesca à
Marie-Françoise Guédon, autrice de Le Rêve et la forêt “ Autrefois, les animaux étaient des
gens comme nous et nous pouvions nous parler directement, mais les choses ont
changé…aujourd’hui ils nous parlent en rêve ou bien dans leur langage. Mais parfois, tout
redevient comme avant et le loup te parlera et tu comprendras”. Le rêve, que l’on peut
étendre à l’imaginaire joue un rôle prépondérant dans ces deux visions. Remplacer nos
imaginaires par rapport animiste au vivant pourrait être une manière de renouer avec le lui
et donc, de résoudre la crise de la sensibilité. La théorie de l’animiste comme une des
solutions à la crise écologique a été parcourue, notamment par Alessandro Pignocchi, qui,
dans Petit Traité d’écologie sauvage, imagine que nos sociétés et nos gouvernements aient
adopté cette vision. Il dépeint une société durable, dans laquelle les gouvernants n’ont plus
besoin de se réunir car il n’y a pas de problèmes, ceux-ci tentent même de se libérer de leur
rôle de gouvernants, en transposant leurs âmes dans le corps de grèbes. Cet ouvrage
propose aussi une vision d’anthropologie inversée : un anthropologue amérindien à Paris

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tente de déchiffrer nos comportements en appliquant sa vision de la société à la nôtre, ce


dont résulte des interprétations absurdes, comme nos anthropologues ont dû le faire vis-à-
vis des cultures amérindiennes. Cette proposition d’anthropologie inversée fait écho à
l’ouvrage d’Ailton Krenak Ideaias para adiar o fim do mundo, ouvrage d’anthropologie
inversée dans lequel il exprime son inquiétude pour l’homme banc, qui, coupé de son
environnement, ne sait rien faire. Ainsi, ces propositions d’anthropologie inversées
témoignent sans doute de ‘l’impossibilité d’appliquer une vision du monde très différente à
une autre société. Imaginer l’animisme comme une solution à notre crise du sensible serait
une erreur. Une conversion massive de nos sociétés vers une cosmologie animisme est
difficilement pensable.

En outre, Baptiste Morizot aborde dans son ouvrage le principe de permaculture intérieure
à propos de la domination des passions. Il ne serait pas envisageable d’appliquer le principe
de domestication à la pensée et aux désirs comme nous le domestiquons le vivant. Pour
André Georges Haudricourt, la relation originelle qu’une société met en place avec les
animaux reflète la relation qu’elle met en place entre les humains. Ainsi, dans un contexte
de domestication, et de domination de l’animal, il est également appliqué entre être-
humains. Ce principe de domestication intra-espèce humaine est développé dans le
parallélisme que fait Baptiste Morizot lors de l’affrontement entre les loups et les chiens de
bergers, ce à quoi il rapproche la domestication du chasseur-collecteur par l’Homme
domesticateur. Ce parallélisme des rapports peut être étendu au vivant en général par cette
phrase d’Ernst Friedrich “ étudiez quel traitement une société fait subir à sa terre, et vous
arriverez à des conclusions relativement dignes de foi quant à l’avenir qu’elle se réserve.” Le
rapport qu’a une société aux vivants, animaux comme végétaux, est en corrélation étroite
avec la prospérité de celle-ci. Ainsi, Baptiste Morizot propose une agriculture de la
philosophie. Dans Zabriskie Point, film de Michelangelo Antonioni, Daria questionne “
Imagine que tes pensées soient comme des plantes, qu’est-ce que tu y vois ? C’est comme
un jardin soigné et net ? Ou bien tu y vois des choses sauvages, des fougères grimpantes,
des mauvaises herbes ?” La formulation de Baptiste Morizot pourrait-être une réponse à la
question de Daria : “ “Je” suis une forêt-jardin permacole, là où les morales classiques
voudraient que je sois un impeccable jardin à la française, là où le romantisme me fantasmait
en jardin à l’anglaise et, là où la morale néo-libérale exige que je sois une parcelle de
monoculture à haut rendement”. Morizot préfère à la domination des passions, une éthique
diplomatique, qui révèle d’une permaculture de soi, d’une compréhension de l’écologie des
passions. Ainsi, notre rapport au vivant pourrait-être lié à nos rapports internes et nous
pourrions appliquer le même principe de permaculture, de l’écologique de compréhension,
à notre monde intérieur et extérieur., comme nous l’avons fait avec le principe de
domination. Traiter nos pensées dans la même démarche que nous traitons le vivant, c’est-
à-dire comme une raison dont la pratique est joyeuse nous permettrait de renouer avec ce
vivant. De comprendre l’ensemble de nos mondes de manière systémique, leur

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interdépendance, de résoudre cette crise de la sensibilité. Par ailleurs, la philosophie de la


permaculture a une dimension sociale très forte, ses trois piliers sont : prendre soin de la
terre, prendre soin des autres, partager équitablement. Dans ces principes, la terre, que
nous pouvons élargir au sens du vivant, est sur un pied d’égalité avec “les autres”, entre qui
le partage est équitable. Peut-être que ces principes permaculturels sont la clef de ce que
Pablo Servigne annonce par l’étendue du social au vivant en général.
Peut-être que la solution à cette crise écologique et de la sensibilité serait de trouver un
imaginaire nous permettant de traiter de la même manière notre monde intérieur que le
monde extérieur, inspiré de la philosophie de la permaculture.

Ainsi, renouer avec le vivant pour résoudre la crise écologique et notre crise du sensible
passerait possiblement par l’instauration d’un rapport similaire avec nos pensées et le vivant,
inspiré de la permaculture. Peut-être pourrions-nous nous inspirer de l’animisme pour
considérer le vivant, le re-sentir, et se servir des principes de la philosophie permaculturelle,
une écologie de la compréhension aussi bien de nos pensées que des êtres-vivants pour
étendre le social au vivant dans son ensemble.

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