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Coquery-Vidrovitch Catherine. Analyse historique et concept de mode de production dans les sociétés pré-capitalistes. In:
L'Homme et la société, N. 55-58, 1980. Modes de production et de consommation. pp. 105-113.
doi : 10.3406/homso.1980.2044
http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1980_num_55_1_2044
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(1) Adoptant, en outre, une position volontairement «historique», nous nous contentons d'examiner
ici les modes de pfoduction pré-capitalistes : pour les modalités de la dépendance, par le choc et la
domination du mode capitaliste, on se reportera i mon article sur «La mise en dépendance de l'Afrique noire,
1800-1970», Cahiers d'étudet africaines, le sera. 1976.
14
106 CATHERINE COQUERY-VIDROVITCH
n° 57-58,
(1) Cf. 1967.
«Premières
Sur lessociétés
sociétésdeprécapitalistes,
classes et modeCERM,
de production
Editions sociales,
asiatique»,
1970.Recherche
Sur le mode
Internationale,
de
production asiatique, Ibid., 2ème édition, 1974 (recueil des articles publiés dans Za Pensée).
(2) Sur le mode de production asiatique, op. cit., p. 9.
(3) J. Chesneaux, Sur le mode..., Ibid., p. 17.
ANALYSE HISTORIQUE ET CONCEPT DE MODE DE PRODUCTION 107
1) Tentatives généralisantes
Je mettrai au compte de ceUes-ci la démonstration de M. GodeUer qui,
afin de faire coexister monde asiatique, amérindien et africain, a proposé
un «Mode de production asiatique» global, mais «avec grands travaux» ou
«sans grands travaux» selon les cas, mode préjudiciel permettant de passer,
suivant les circonstances, au mode de production antique (combinaison de la
propriété privée et de la production marchande) ou au mode féodal (1).
Cette typologie assimUationniste, qui revient finalement à court-circuiter
certaines étapes de type occidental, est en fait historiquement non
contrôlable : à l'hypothèse théorique ne sont apportées que des preuves hypothétiques
(la société mycénienne aurait été de type asiatique ; la société inca aurait été
sur le point de se féodaliser... ). On ne voit guère, non plus, dans ce schéma,
la place des sociétés de type «asiatique» plus tardives, comme les sociétés
africaines, où les tendances pseudo-féodales sont perceptibles seulement au
XIXème ou même au XXème siècle, et apparaissent bien plutôt comme des
contaminations occidentales que comme nées des contradictions internes de
la société (la féodaUsation des terres au Buganda ou le mouridisme sénégalais
sont des émanations de la colonisation favorable, par ses réformes foncières,
à la fixation et à l'appropriation privée du sol). Bref, une teUe typologie ne
permet guère de rendre compte du dynamisme évolutif des sociétés
historiques réeUes.
Dans un autre ordre d'idée, la tentative de Jean Suret-Canale pour faire
entrer les sociétés d'Afrique noire dans le «monde asiatique» nous paraît
risquer le même écueil (2) ; tout en présentant pour l'historien
l'incomparable avantage de se référer constamment au concret, l'auteur bloque finalement
la réflexion en avançant l'idée d'un système condamné à la stagnation du fait
de ses contraintes sociales internes. C'est d'une part, et paradoxalement, une
notion a-historique parce que, par définition, toute société est dynamique -
même si le rythme en est plus ou moins lent (la stagnation ou l'« équilibre»
est, en histoire, un concept aberrant). Mais aussi, à l'opposé, l'argument ne
fait qu'exprimer une évidence puisque, quel que soit le type de société
considéré, le mode de production dominant ne peut être «dépassé» que du fait
de l'éclatement de ses structures propres, laissant place à de nouveaux
rapports de classe destinés à surmonter les contradictions du mode précédent...
2) Emiettement de l'analyse
Pour lutter contre la tendance globalisante, historiens ou anthropologues,
qui travaiUent sur des terrains précis, donc toujours spécifiques, ont eu
souvent, au contraire, tendance à différencier à l'extrême chacun des cas
étudiés. J'ai, pour ma part, succombé naguère à la tentation en suggérant un
«mode de production africain» où la majeure partie du surplus proviendrait
non de l'exploitation directe mais du contrôle exclusif du commerce à
grande distance par la classe dirigeante ce qui en ferait un cas particuUer du
«mode de production asiatique», non nécessairement d'aiUeurs limité à
l'Afrique noire (1). Un cas extrême me semble être la définition d'un «mode de
production Ugnager» spécifique (2) dont on voit mal comment il peut
s'insérer dans l'histoire évolutive des sociétés, sinon sous la forme d'une
communauté bloquée dès l'origine et survivante à l'état résiduel. Non que les Uens
de parenté doivent être négligés : à tout le moins l'anthropologie
économique a-t-eUe eu le mérite de révéler à quel point ils sont à la base de la
production viUageoise d'autosubsistance (3). Mais, à ce titre, les Uens familiaux
ont précisément été, dans l'histoire, le lot commun des sociétés paysannes
(aussi bien pour le Moyen Age occidental, qu'en Afrique ou qu'en Chine... ) ;
ils n'ont été battus en brèche que par le développement décisif des forces
productives du mode de production capitaUste dont le résultat a été de
dissoudre le rôle productif naguère fondamental du noyau de parenté.
(Dlbid., p. 345-368.
(2) Cf. Pierre-Philippe Rey, Colonialisme, néo-colonialisme et transition au capitalisme, Maspero,
1971 , et F. Pouillon (éd.), JL Anthropologie économique, Maspero, 1976.
. (3) Cf. Tarticle-pubte de Cl. Meillassoux, «Essai d'interprétation du phénomène économique dans
les sociétés traditionnelles d'autosubsistance», Cahiers d'Etudes Africaines, 1, 4, 1960, pp. 38-67.
* (4) Cf. Communication de Samir Amin, «A quoi sert la réflexion sur les sociétés pré-capitalistes ?»,
IDEP, Dakar, nov. 1976. On se reportera à ce texte pour la définition théorique du «mode de
production tributaire».
ANALYSE HISTORIQUE ET CONCEPT DE MODE DE PRODUCTION 109
gation par exemple). La subsistance est assurée pour sa quasi-totalité par une
société paysanne, même s'U existe un noyau urbain et des activités marchandes
relativement spécialisées. Et, chez les ruraux, la spécialisation reste réduite (la
plupart des professionnels vivent aussi de la terre) et les échanges demeurent
marginaux («périphériques»). Enfin, au niveau des villages au moins, U s'agit
d'une organisation communautaire qui ignore largement ou totalement
l'appropriation privée du sol : tous ces caractères concernent bien l'ensemble
des sociétés pré-capitalistes - qu'U s'agisse des sociétés asiatiques,
amérindiennes ou africaines, aussi bien que de l'Occident chrétien médiéval et peut-être
même postérieur (dans la mesure où, jusqu'à la révolution industrieUe, la
production de base reste le blé).
2. Par la séparation de la société en deux classes principales : la paysannerie,
regroupée en communautés viUageoises, et l'aristocratie dirigeante,
relativement indifférenciée, qui cumule l'autorité poUtique et le pouvoir économique
(incarné par la perception du tribut). Certes, une certaine spécialisation peut
intervenir, lorsque par exemple des colonies marchandes sont nettement
séparées des guerriers au pouvoir (1). Mais c'est finalement ce groupe, et lui
seulement, qui constitue l'Etat, greffé sur une masse villageoise de type
communautaire dont la vie (tribut excepté) s'est organisée parallèlement au
pouvoir étatique sans en être intrinsèquement affectée. D'où, à la différence du
mode capitaUste (à vocation conquérante), la coexistence durable possible
de différents «modes» (analysés auparavant comme nécessairement distincts)
au sein du même ensemble, où peuvent interférer des éléments exclusivement
Ugnagers (au niveau du village), des formes d'esclavage, ou d'appropriation
foncière (au niveau dirigeant).
En adhérant à ce concept, retomberais-je dans Ferrement de la «généraU-
sation abusive», donc non opérationnelle ? A l'opposé d'une présentation à
vocation typologique en stades successifs détaiUés, quel qu'en soit l'ordre
U me paraît beaucoup plus fécond de laisser l'analyse «ouverte» en
prétendant seulement offrir, à chaque niveau, un outil conceptuel adapté qui
permet e à l'historien de procéder à de nouveUes explorations armé d'un minimum
de méthode.
Reste à préciser un problème cher à l'historien : à ce niveau de généralité,
queUe est l'efficacité du concept ? Je ne crois pas qu'U réside dans la quête
d'une systématisation de l'évolution des sociétés. Toute entreprise de ce genre
est dangereuse, car finalement incapable d'éviter les travers stigmatisés plus
haut : la typologie et le formalisme. L'enseignement à tirer est de portée plus
générale. Il s'agit peut-être surtout de lutter contre la vision ethnocentriste de
l'historiographie occidentale. Dans cette ligne, la première conquête, remontant
(1) Cf. CL Meillassoux, L 'évolution du commerce en Afrique de l'Ouest, Londres, 1971 (introduction).
110 CA THERINE COQUER Y-VIDRO VITCH
(1) W. Kula, Théorie économique du système féodal. Pour un modèle de l'économie polonaise, lôème-
1 Sème siècles, Paris-La Haye, Mouton, 1970. .
(2) J. Suret-Canale, Sur le mode de production... op. tit., p. 127.
ANALYSE HISTORIQUE ET CONCEPT DE MODE DE PRODUCTION 111
(1) J'ai récemment écrit,» dans l'article ctdessus cité sur «La mise en dépendance» : «C'est le mode de
production capitaliste ; qui ; apparaît comme une exception, née d'une conjonction exceptionnelle de
facteurs... «a un point donné du globe». Contrairement aux apparences, les deux propositions ne sont pas
contradictoires : tout revient, à définir quelle est cette «conjonction exceptionnelle de facteurs». Jusqu'à
présent, il faut Wan reconnaître qu'aucune analyse ne s'est montrée véritablement satisfaisante
(l'hypothèse du rôle décisif des «entrepreneurs» et de «l'esprit d'entreprise» proposé, par exemple, par Yves
Lacoste - Les Pays sous-développés, Que sais-jej 1959 - n'est guère éclairante, puisqu'elle renvoie au
pourquoi de l'émergence de cette; catégorie, sociale... ). Dans une vision plus globale, Samir Amin l'attribue
au développement inégal- :4<ce qui est une idée et non une démonstration. Mais que faire d'autre en
l'absence d'études historiques suffisamment nombreuses et précises sur le thème ?
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