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DÉPARTEMENT D’ARCHITECTURE
N° d’ordre :
Série :
MEMOIRE
THEME
Présenté par :
RAHAL Kaoutar
Sous la Direction du Professeur Kaddour BOUKHEMIS
REMERCIEMENTS……………………………………………………………………. XIX
DEDICACE………………………………………………………………………………. XX
INTRODUCTION GENERALE……………………………………………………….... 01
PROBLEMATIQUE……………………………………………………………………… 02
METHODOLOGIE DE RECHERCHE………………………………………………… 05
PATRIE I :
INTRODUCTION………………………………………………………………………..... 15
CONCLUSION…………………………………………………………………………...... 39
INTRODUCTION…………………………………………………………………………. 40
CONCLUSION…………………………………………………………………………...... 64
INTRODUCTION……………………………………………………………………......... 65
CONCLUSION…………………………………………………………………………….. 84
PARTIE II :
INTRODUCTION…………………………………………………………………………. 89
I-1- Période entre 1830-1849 : Intervention sur le tissu traditionnel « la médina »……….. 90
I-2- Période entre 1849-1868 : Juxtaposition et débuts d’une extension extra muros……... 90
I-6- Période entre 1955-1962 : Les premières formes de l’extension moderne avec le Plan de
Constantine……………………………………………………………………………………... 95
II- Le permis de démolir : un acte préparatoire du renouvellement urbain………………... 99
CONCLUSION…………………………………………………………………………… 114
INTRODUCTION………………………………………………………………………... 115
II- Analyse spatiale des démolitions : délimitation du périmètre d'étude et identifications des
cas étudiés………………………………………………………………………………… 121
CONCLUSION…………………………………………………………………………… 137
INTRODUCTION………………………………………………………………………... 139
CONCLUSION…………………………………………………………………………… 157
INTRODUCTION………………………………………………………………………... 158
CONCLUSION…………………………………………………………………………… 190
ANNEXE…………………………………………………………………………………. 209
LISTE DES TABLEAUX
Tab.01 : La grille d’analyse du guide d’entretien avec les maîtres d’ouvrage privés……… 09
Tab.11 : Les rubriques de la fiche d’analyse d’un dossier de permis de démolir………..... 110
Fig.04 : Construction en Rdc avec jardin et en retrait par rapport à la voie………………. 144
Pho.01 : La vieille ville d’Annaba avec ses remparts avant la colonisation française……... 91
Pho.02 : Vue aérienne sur la vieille ville d’Annaba et l’apparition de la ville européenne… 91
Pho.05 : Le quartier résidentiel de Saint Cloud, tissu aéré avec des maisons avec jardins… 96
Pho.09 : Les travaux n’ont jamais débuté et les propriétés sont complètement
abandonnées……………………………………………………………………………….. 126
Pho.10 : Les travaux n’ont jamais débuté et les propriétés sont occupées………………... 126
Pho.15 : Les travaux de reconstruction sont achevés et les propriétés ne sont pas encore
occupées…………………………………………………………………………………… 129
Pho.16 : Les travaux de reconstruction sont achevés et les propriétés sont occupées…….. 129
Pho.25 : Occupation totale de la construction en R+3 sans jardin en alignement par rapport à
la voie (état après la démolition)…………………………………………………………... 144
Pho.26 : Reconstruction en cours d’un centre d’affaire à R+6 (état après la démolition)… 145
Pho.27 : Façade d’une maison en RDC avec tuile (état avant la démolition)……………... 147
Pho.29 : Remembrement de deux parcelles afin de construire une habitation collectif dans un
quartier pavillonnaire……………………………………………………………………… 148
Pho.33 : Rupture d’échelle entre l’immeuble collectif en R+5 et son voisinage de construction
de R+1……………………………………………………………………………………... 151
Pho.34 : Une nouvelle échelle qui remet en cause l’équilibre entre le bâti et son
environnement……………………………………………………………………………... 151
Pho.35 : Maison individuelle en R+1 avec tuile non mitoyenne (état avant la
démolition)………………………………………………………………………………… 152
Pho.36 : Reconstruction en cours d’une maison en R+3 avec commerce (état après la
démolition)………………………………………………………………………………… 152
Carte n°08 : Délimitation du périmètre d'étude et identifications des cas étudiés………… 122
LISTE DES ABREVIATIONS
RDC : Rez-de-chaussée.
RESUME (en français)
Si l'évolution permanente des villes témoigne de leur vitalité, elle n'en demande pas moins
d'être anticipée et maîtrisée à travers une stratégie réfléchie. Aujourd'hui, la reconstruction de
la ville sur la ville apparaît comme un nouveau principe d’urbanisme à travers lequel on pense
à reconquérir les villes dans leurs espaces les plus anciens. Cette reconquête peut être
planifiée issue d’initiative publique ou spontanée de la part des acteurs privés.
Le tissu colonial de la ville d’Annaba est dans ce sens un espace d’action pour ces maîtres
d’ouvrages. Le renouvellement de ce tissu est déjà amorcé, à travers des projets de
démolition-reconstruction ponctuels. Chaque année les demandes de permis de démolir
enregistrés par les services d’urbanisme ne cessent de s’accroitre. Les personnes ayant soumis
les demandes de permis de démolir sont majoritairement des propriétaires privés de
constructions individuelles datant de l’époque coloniale. Cette forme de renouvellement
implicite, qui se manifeste spontanément comme une conséquence du mécanisme de l’offre et
de la demande, et qui correspond finalement à un processus de transformation de la ville en
devenir, est lié à une intervention spontanée du « privé », du propriétaire foncier, qui rebâtit sa
propre parcelle. Toutefois ces interventions restent hétérogènes et ponctuelles dictées par des
stratégies individuelles en absence d'une vision globale.
Les collectivités locales restent indifférentes alors que ces opérations décident
progressivement de l’avenir de ce tissu colonial et par conséquent de celui de la ville. Par
conséquent, les politiques doivent se situer par rapport aux dynamiques locales et de marché,
s’y opposer, les accompagner, les initier. L’analyse de ces dernières ainsi que les stratégies de
ces maîtres d’ouvrages privés est donc primordiale pour adapter leurs actions aux besoins des
territoires selon leur contexte particulier. Au terme de ce travail, on a pu déduire que la
nécessité d'enclencher une opération de renouvellement « réfléchie » devient plus
qu'importante. C’est dans l’inscription à un projet stratégique et global que l’intervention sur
ce tissu urbain prendra sens et pourra ainsi s’inscrire dans la durée.
Mots clés : Reconstruire la ville sur la ville, renouvellement urbain, acteurs privés, stratégie
individuelle, tissu colonial, stratégie globale.
)RESUME (en arabe
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REMERCIEMENTS
Je remercie Dieu le tout puissant pour m’avoir donné la force, la santé et le courage
pour réaliser ce modeste travail.
Mes remerciements vont également aux membres du jury, pour leur contribution
scientifique lors de l'évaluation de ce travail.
Mes remerciements vont enfin aux personnes qui ont contribué, par la mise à ma
disposition des informations pour l’élaboration de ce travail et à tous ceux qui m’ont
apportée leur soutien et leur aide dans l'accomplissement de cette étude.
DEDICACE
Je dédie ce mémoire
A ma très chère mère et mon très cher père, uniques et indéniables symboles du
sacrifice, de l’amour, de l’encouragement et de la tendresse. Ce travail est le fruit de
vos sacrifices que vous avez consentis pour mon éducation et ma formation. Je
voudrais vous exprimer toute mon affection et admiration.
A mes frères, Abd Aziz et Abd Nour et ma petite sœur chérie Sara.
A toute ma famille.
Kaoutar
INTRODUCTION GENERALE
INTRODUCTION GENERALE
Les villes du monde ne cessent de s’accroitre, poussant toujours leurs limites encore plus loin,
par la création de nouveaux quartiers, de nouvelles cités, et allant même jusqu’à la création de
nouvelles villes. Du coup, d’importantes surfaces, notamment agricoles, ont été urbanisées
pour répondre aux besoins incessants et urgents de la ville en logements, en services et
équipements. Dans le même temps, les centres anciens connaissent une dynamique négative et
une certaine dégénération, liée à la saturation et à la vétusté du bâti des centres et de
l’incapacité de ces derniers à répondre aux nouveaux besoins des sociétés qu’ils abritent
entrainant la dévalorisation de leur image. Traiter cette question de la crise urbaine relève de
la problématique globale actuelle du retour à la ville, entendu comme une nécessité de
reconstruire la ville sur elle-même et donc une alternative à l’étalement urbain.
C’est dans ce contexte que s’inscrit notre recherche menée sur le renouvellement du tissu
colonial de la ville s’Annaba. Nous n’allons traiter qu’un des aspects du renouvellement : la
« démolition-reconstruction » du bâti existant du tissu colonial. Il ne s’agit donc de prendre,
ici qu’une des multitudes dimensions de la thématique plus globale et multidimensionnelle du
renouvellement urbain. En effet, la démolition-reconstruction est une réalité permanente de la
ville et les dynamiques individuelles et collectives des habitants conduisent à une permanente
reconstruction de la ville sur elle-même.
1
. CHALINE Claude, 1999.
PROBLEMATIQUE
Annaba, à l’instar des villes algériennes fait face à une croissance urbaine démesurée
induisant une forte consommation de l’espace d’une manière anarchique et incontournable,
rendant difficile sa gestion territoriale. Par ailleurs, l’héritage urbain de l’époque coloniale et
l’essentiel des espaces centraux de la ville, souffrent d’un manque d’entretien et portent des
signes de dégénération : cadre bâti dégradé et vétuste, congestion, dévalorisation des tissus
anciens et des patrimoines et une mauvaise image. Ce constat impose, çà et là, des opérations
de renouvellement qu’il est certes difficile d’imaginer dans l’air actuel, mais que la pression
de l’urbanisation imposera tôt ou tard. L’espace des tissus coloniaux constitue dans ce sens,
un espace privilégié dans ce processus de renouvellement urbain, vu l’ampleur de son étendue
spatiale et le nombre important de problèmes et dysfonctionnements auquel il fait face. Son
renouvellement et sa transformation sont d’autant plus nécessaires.
A ce propos, il est à signaler que le renouvellement de ces quartiers est déjà amorcé, à travers
des projets ponctuels. Chaque année des demandes de permis de démolir de constructions
individuelles datant de l’époque coloniale sont enregistrées par les services d’urbanisme. Le
tissu colonial, par ce processus de transformation, change continuellement d'aspect par le
remplacement du bâti colonial par de nouvelles constructions. Cette forme de renouvellement
implicite qui se manifeste spontanément comme une conséquence du mécanisme de l’offre et
de la demande, et qui correspond finalement à un processus de transformation de la ville en
devenir, est lié à une intervention spontanée du «privé», du propriétaire foncier qui rebâtit sa
propre parcelle, mais pour quels objectifs et avec quelles stratégies ?
Le fait que les travaux de reconstruction soient pris en charge par les propriétaires eux-mêmes
est une action louable puisqu’elle permet de faire face à des situations de dégradation souvent
très avancées. Est ce que ce processus de démolition-reconstruction est-il lié aux
caractéristiques intrinsèques des constructions ou plutôt est-il orienté vers les perspectives
qu’offre la reconstruction ?
En effet, ces opérations abusent régulièrement les pouvoirs publics, qui pensent pouvoir
réguler tout changement par le biais des autorisations de construire ou de démolir, là où ils
croient autoriser la modification de quelques immeubles, ils signent en réalité la
transformation à terme de quartiers complets, voire de la ville toute entière. Les
« démolitions-reconstructions » engagées par les propriétaires privés peuvent-elles être
envisagées comme une dynamique de valorisation urbaine ou au contraire comme un
danger pour la préservation de ces tissus anciens ? Les nouvelles interventions portent-elles
inévitablement atteinte à la continuité des tissus coloniaux ?
Cette forme individuelle et spontanée du renouvellement nous pousse à nous interroger sur le
rôle des pouvoirs publics dans la gestion de la ville. Es-ce un signe de désengagement
étatique ou au contraire, peut-elle être envisagée par les pouvoirs locaux comme un moyen
de renouvellement du tissu urbain grâce à l’implication des acteurs privés ?
Toutefois ces interventions ponctuelles restent hétérogènes et se font en l’absence d'une vision
globale, garantissant la cohérence des différentes interventions. La démarche de
renouvellement urbain, qui ne peut être que collective, se heurte à des logiques d’acteurs très
divers, dont les univers, les références, les intérêts, les objectifs et les méthodes peuvent
différer considérablement.
Hypothèse 1
La présence des acteurs privés dans le renouvellement des tissus coloniaux est dominante par
rapport aux acteurs publics. L’identification de ces acteurs concernés par les opérations de
renouvellement des tissus coloniaux et de leurs stratégies constitue, à notre avis, des
connaissances préalables à toute action d’intervention. Il est par conséquent essentiel
d'identifier ces acteurs (et non uniquement ceux qui dominent la scène), afin de s'assurer de la
bonne compréhension des représentations, des idéologies et des enjeux qui les caractérisent.
Hypothèse 2
Hypothèse 3
Les objectifs
L’objectif central de ce projet de recherche consiste à mettre en lumière les jeux et enjeux des
opérations de démolition/reconstruction réalisées ou projetées au niveau du tissu colonial de
la ville d’Annaba, ainsi qu’à identifier et à analyser le rôle des maîtres d’ouvrage privés et les
stratégies qu’ils développent en vue de la valorisation de leur patrimoine « biens », dans le
cadre des processus de démolition-reconstruction et du choix en matière d’affectation et
d’usage des constructions envisagées.
METHODOLOGIE DE RECHERCHE
La démarche et les méthodes mises en œuvre pour traiter notre sujet ont ainsi requis plusieurs
niveaux d’analyse :
L’étude que nous menons concentre toutes les interrogations qui fondent la problématique de
la reconstruction de la ville sur la ville ‘’renouvellement urbain’’ et la reconquête des tissus
anciens dans un contexte international marqué par les mutations économiques et par
l’émergence de nouvelles préoccupations en urbanisme, qui en cette dernière décennie se
tourne plus vers un urbanisme de transformation. Notre travail s’inscrit de ce fait dans la ligne
des recherches menées sur le renouvellement urbain et sur les tissus anciens. Il se nourri des
réflexions développées par les différentes recherches à travers la lecture des livres, des revues
ou des articles et se réfère aux résultats qu’ils ont produits.
Après avoir tout d’abord exploité la littérature et les travaux de recherche existants pour
comprendre comment la recherche urbaine a traité des questions abordées dans notre
problématique. On a ensuite jugé utile d’étudier des corpus de lois relatives à cette question
de démolition/reconstruction, pour avoir une meilleure appréhension du coté réglementaire de
ces opérations. Suite à cette étude, une analyse critique de la « Loi 90.29 du 1 décembre 1990
- décret exécutif 91.176 du 28 mai 1991 relative aux permis de démolir » s’est imposée afin
de recenser les forces et les faiblesses de cette loi.
La principale difficulté rencontrée dans notre travail est le manque d’informations disponibles
sur les opérations de démolition-reconstruction à Annaba, ce qui nous a conduits à effectuer
un travail de terrain considérable et à rencontrer une multitude d’acteurs dans les différentes
administrations. La récolte d’information concernant les permis de démolir a été très difficile
à mener. Il n’était pas aisé d’obtenir des informations sur les opérations, en raison de la
confidentialité des dossiers. Notre approche empirique est de ce fait importante. Une grande
partie des idées exprimées à propos de notre recherche proviennent d’observations directes, de
notre propre vécu et d’expérience sur terrain.
Ainsi, la collecte des informations s’est faite à travers plusieurs étapes. En premier lieu, il
s’agissait de prendre connaissance de ces opérations sur terrain, en les repérant, en les visitant,
pour repérer leur localisation , leur architecture, la morphologie urbaine de leur
environnement et leur spécificité. Ensuite, établir un échantillonnage de plusieurs cas ; leur
nombre dépendait du temps et des informations disponibles. Le choix a de plus été déterminé
dans une optique de rencontrer plusieurs types de situations contrastées au niveau de la
dynamique de la démolition-reconstruction.
L’étude de terrain nous a permis dans un premier temps, une bonne connaissance de la réalité
de terrain à propos de ces interventions de démolition-reconstruction et pour limiter la durée
du relevé de terrain, nous avons donc pris le parti de ne récolter que des informations
facilement repérables depuis l'espace public.
Etant donné le sujet de notre étude, nous avons donc décidé de porter notre intérêt sur:
• L'état du bâti colonial (des cas étudiés) et leur occupation afin d’avoir une vision
« avant démolition ».
• L’état et l’occupation ou affectation des cas étudiés après les interventions de
démolition-reconstruction.
La description de la situation s’est appuyée sur différents points, qu’on a synthétisé sous
forme de fiche technique de manière à être la plus descriptif possible. Cependant, une
description aussi détaillée a nécessité des informations qui ne sont pas directement accessibles
par une visite de terrain (type de maître d’ouvrage, par exemple) et on y a trouvé réponse
qu’en effectuant des entretiens.
En aval des études statistiques sur les permis de démolir, nous avons, par la suite mené un
travail de terrain qui a consisté en une série d’enquêtes et d’entretiens semi directifs, auprès
de maîtres d’ouvrage ayant sollicité les autorisations administratives pour démolir et produire
de nouvelles constructions (la destruction/reconstruction).
C'est en fait un questionnaire parlé : les questions sont fixées dans un ordre prédéfini. On s’est
s'appuyé sur un questionnaire qu’on complétait au fur et à mesure de l'entretien. On a choisi
ce type d’entretien parce que cette formule est plus adaptable que le questionnaire papier,
dans le sens où les explications et les reformulations sont possibles ; et où on peut recueillir
des commentaires accompagnant les réponses, ce qui nous a aidés à mieux comprendre les
stratégies de ces acteurs.
Il s’agissait de questionner les maîtres d’ouvrage privés ayant obtenu un permis de démolir
entre la période 2000-2011. Les informations ont été collectées aussi bien auprès de
particuliers qu’auprès de promoteurs professionnels. Elles concernaient des projets de
démolitions relatifs à des maisons individuelles, situées en périphérie, en situation péricentrale
ou dans le centre des quartiers coloniaux de la commune d’Annaba.
L’objectif de l’entretien
L’objectif de ces entretiens est de préciser les stratégies des maîtres d’ouvrages privés et les
leviers que devraient actionner les pouvoirs publics afin de maitriser ce renouvellement.
L’entretien envisagé auprès des propriétaires vise à répondre aux finalités suivantes :
Le guide d’entretien, présenté en annexe, sert de fil conducteur à ces rencontres. Il propose
une grille générale de questionnement, mais il a été adapté en fonction des interlocuteurs.
Selon que l’on se trouve face au maître d’ouvrage ou face à de simples habitants
(commerçants, voisins, gardiens), la manière d’aborder le projet diffèrera. Ce guide est divisé
en sept parties (tableau n°1).
La cartographie
Les différentes informations récoltées sur le terrain seront reportées sur un fond de carte.
Cette cartographie permettra d'analyser l'ampleur et la répartition géographique des cas
étudiés. Toutes les interventions (démolitions-reconstructions) n'ont pas été cartographiées car
elles n'ont pas été repérées de manière exhaustive. Seuls quelques exemples illustratifs (les
cas étudiés) ont été relevés.
La photographie
Les caractéristiques et le profil d'un individu sont des facteurs déterminants pour la compréhension
Les caractéristiques des maîtres
de l'activité et la stratégie de l’acteur. Alors, cinq facteurs ont été étudiés concernant les
d’ouvrages
caractéristiques des maîtres d’ouvrage : l’âge, le sexe, le lieu de naissance, la profession exercée et
le statut (particulier, promoteur ou faisant partie d’une société).
Il est également nécessaire de connaitre le mode d’occupation du bien immobilier ; la nature, le
statut de l’occupant et l’année d’occupation, l’ancien lieu de résidence et le choix d’installation
Mode d'occupation du bien immobilier
dans le nouveau quartier. Le mode d'occupation constitue une donnée objective qui permet de
connaitre les stratégies de positionnement et de mobilité des propriétaires.
La propriété peut être décrite de manière statique, comme une relation entre une personne et un
objet, qui a une vocation perpétuelle, qui n’est pas condamnée à rester figée. Les modes
Acquisition du bien immobilier d’acquisition de la propriété sont donc les mécanismes qui permettent la circulation des richesses.
Ce qui rend l’importance de l’étude des modes d’acquisition évidente. La question de l’acquisition
de la propriété concerne : le mode et l’année d’acquisition et également le biais par lequel
l’acquisition s’est effectuée.
Afin de pouvoir comparer les deux situations « avant/après la démolition », il est essentiel d’avoir
Etat du bien avant la démolition
une vision de la situation ; l’état des lieux et les caractéristiques des constructions « avant la
démolition », pour pouvoir effectuer la comparaison et faire émerger les contrastes entre les deux
situations.
Tableau n°1 : La grille d’analyse du guide d’entretien avec les maîtres d’ouvrage privés (suite)
Si l’obtention des autorisations administratives dépend en grande partie de la qualité des projets
Obtention des autorisations
présentés par les maîtres d’ouvrage, les pouvoirs publics jouent également un rôle déterminant
administratives (permis de démolir et
permis de construire) dans le processus d’octroi des permis. Lors de cette étape du projet, les maîtres d’ouvrage n’ont
donc pas toutes les cartes en mains. C’est la raison pour laquelle il nous semble opportun
d’analyser ce processus d’octroi des autorisations administratives.
Une fois les autorisations administratives obtenues, on passe à l’étape de l’exécution; étape très
Réalisation des travaux
importante car elle détermine véritablement le moment à partir duquel les maîtres d’ouvrages
prennent possession des lieux et en deviennent responsables pour pouvoir ainsi concrétiser leurs
stratégies et aspirations.
On ne peut pas procéder à l’analyse des stratégies des acteurs sans mettre au point les intentions de
ces derniers par rapport à leurs interventions ; occupation personnelle, location ou vente…etc, les
Les intentions du propriétaire
situations diffèrent selon les stratégies du maître d’ouvrage.
Source : Rahal K
Structure du mémoire
Le plan adopté tout au long de ce mémoire se divise en deux grandes parties principales : la
première partie, «renouveler l’ancien : représentation et pratique des acteurs », est théorique;
la deuxième partie, «la démolition-reconstruction : entre mutabilité du tissu colonial et
stratégies d’acteurs privés», est empirique. Ces deux grandes parties sont encadrées par une
introduction générale et une conclusion générale.
La partie introductive nous a permis de dégager les grandes lignes de notre mémoire et de
poser les hypothèses et les objectifs.
La première partie, qui est une partie théorique répond à un objectif élémentaire et
essentielle : une recherche bibliographique sur la problématique posée qui nous aidera à la
compréhension globale du phénomène de renouvellement des tissus anciens ainsi que les
acteurs impliqués.
Dans la deuxième partie, qui est une partie empirique, nous avons positionné notre recherche
à l’étude des cas de démolition-reconstruction effectués au sein du tissu colonial de la ville
d’Annaba.
Dans le quatrième chapitre, nous commencerons par présenter notre terrain de recherche « le
tissu colonial », en montrant, selon une perspective historique, sa genèse et son évolution
pendant la période coloniale. Ensuite, nous traiterons les différents aspects des autorisations
de démolir en analysant les demandes de permis de démolir afin d’évaluer le degré de
mutabilité de ce secteur colonial. Dans, le cinquième chapitre, nous tenterons de placer ces
demandes dans un contexte spatial, en essayant de comparer les situations de cas (avant/après)
la démolition. Puis dans le sixième chapitre, il sera question d’analyser les différents impacts
urbains de la démolition-reconstruction et plus spécifiquement ses effets sur le tissu urbain et
le patrimoine bâti. On abordera au final dans le septième chapitre, les stratégies et les
mécanismes adoptés par ces acteurs privés dans ces opérations de renouvellement urbain.
Enfin, la partie conclusive va nous permettre un retour aux hypothèses tout on proposant des
recommandations.
Partie I
La refonte de la ville sur elle-même est un phénomène « naturel » du temps qui s’inscrit
depuis toujours dans la constitution de la ville. Elle s’inscrit donc dans les notions
d’inachèvement, de processus de transformation permanente. François-Xavier Roussel
rappelle que « la ville est en mouvement, qu’elle se fait et se défait, qu’elle est le fruit de
métamorphoses. En fait, la ville se renouvelle constamment, régulièrement et il suffirait de
travailler sur et pour la ville pour œuvrer en terme de renouvellement urbain ».2
De nos jours, l’urbanisme se trouve face à de nouveaux enjeux. Repousser éternellement les
limites urbaines et « fabriquer » une ville nouvelle n’est guère plus possible. Il s'agit au
contraire d'intervenir dans la substance existante, de reprendre et de renouveler l'urbain. La
question d’une meilleure utilisation du sol urbain se pose sous une forme plus aiguë que
jamais : la remise en cause de l’étalement implique une réflexion sur la mutation des formes
urbaines.
La ville sur la ville est avant tout une culture du projet de renouvellement urbain qui implique
de s’inscrire dans un contexte et un cheminement, donc d’analyser la formation urbaine et de
tirer des conclusions pour pouvoir intervenir sur l’existant. Durant ce siècle, on a en effet
beaucoup construit, rapidement et sur l’ensemble du territoire urbain. Ainsi, les villes se
trouvent en présence d’une matière architecturale avec laquelle les professionnels de l’espace
doivent nécessairement composer ; et les questions sur les modalités d’insertion des nouvelles
opérations dans les tissus existants sont toujours en débat ; Que faut-il détruire et remplacer
et que faut-il conserver?
Intervenir sur la ville, s’attache à décrypter le système des acteurs urbains et les « actions »
portant sur leurs stratégies, en proposant une lecture en termes de valeurs qui les caractérisent.
D’abord, par l’exploration des effets possibles des rapports de coopération et d’opposition
entre les acteurs urbains. Ensuite, nous développerons les aspects spécifiques de ces rapports,
sur la pertinence de catégoriser les acteurs urbains, sur l’évolution du rôle de ces groupes dans
la production urbaine et sur la possibilité de formation d’alliances entre ces groupes. Qui sont
ces acteurs urbains ? Quelles relations entretiennent-ils entre eux ? Quels sont les rapports
d’association et d’opposition entre ces d’acteurs ? Et pour quelles coalitions ?
2
. ROUSSEL François-Xavier, 2003.
Ainsi, cette première partie sera structurée en trois chapitres : Le renouvellement urbain, une
nouvelle alternative à l’intervention urbaine classique ?; Les tissus anciens : entre
destruction et conservation ; Les stratégies des acteurs urbains : entre divergences et
convergence.
Chapitre I
La ville est vie, la ville est mouvement, la ville se transforme en permanence, la ville se
renouvelle sans cesse. Elle change certes plus ou moins régulièrement, plus ou moins
rapidement mais une ville qui ne change pas et qui se fige devient une ville morte. Evoquer la
ville renouvelée, parler de la reconstruction de la ville sur elle même peut donc sembler
comme un nouveau principe d’urbanisme. Toute ville est ainsi touchée par le phénomène du
renouvellement urbain, même si ce processus a connu des intensités variables dans le temps et
selon les contextes qui l’ont favorisé ou au contraire réfréné.
Faire la ville sur la ville, c’est introduire de la mutation et de la substitution afin de savoir
continuer à sédimenter la ville. Pour ce, depuis quelques années, une réflexion s’est engagée,
une politique s’amorce autour d’une ambition : mener à bien le renouvellement urbain sur
certains territoires.
Les villes sont toutes différentes les unes des autres, ces différences découlent dans
l’apparence physique de l’association de plusieurs facteurs3 mais un point reste en commun
pour toutes les villes, c’est leur dynamique dans le sens de vie. En effet, la ville nous apparaît
comme un organe vivant : elle naît, croit et évolue, elle change aussi, elle se détériore et se
dégrade, elle meurt et peut même se régénérer.
Les villes, présentes depuis les débuts des civilisations, n’ont cessé de se développer et de
concentrer une part croissante de la population et de l’activité économique. Mais en même
temps que la ville se développait quantitativement, elle opérait des changements dans sa
forme et dans ses fonctions.4 Ce dynamisme se mesure non seulement à son rayonnement
politique, économique, culturel, mais aussi à son aptitude à organiser l’espace occupé pour
l’adapter à l’évolution de ses besoins : croissance démographique, développement
économique, culturel, …etc. Alors, pour satisfaire leurs besoins, les villes se sont développées
à la fois par extension urbaine et par sédimentations successives de secteurs qui avaient déjà
été utilisés précédemment.
La première forme de mutation peut se définir comme une croissance sans extension
territoriale, que ce soit à l'échelle de la ville entière qui se densifie à l'intérieur de ses limites,
en comblant progressivement toutes ses réserves de terrain, que ce soit à l'échelle de l'îlot ou
de la parcelle. Ce type de mutation, Philipe Panerais l’a nommé « croissance bloquée »5,
puisque, dès le départ, des limites lui sont assignées.
Les villes n’ont jamais cessé de se détruire et de se reconstruire sur elle même. Dès
l’Antiquité, les vestiges du forum à Rome montrent qu’on a reconstruit sur l’existant en
réutilisant même parfois tout ou partie des matériaux des constructions préexistantes. Au
3
. PELLETIER Jean, DELFANTE Charles, 2000, p 28.
4
. BAILLY Antoine, HURIOT Jean-Marie, 1999, p 1.
5
. PANERAI Philippe, 1999, p 68.
Moyen-âge on reconstruisait sur l’existant pour rester le plus longtemps possible sous la
protection des remparts.
L’évolution des tissus bâtis a toujours été caractérisée par de continuels renouvellements. Ses
mutations urbaines sont inhérentes à tout tissu urbain constitué. Seuls changent le rythme, la
nature et les effets de ces mutations. Les formes urbaines résultent donc le plus souvent de
phénomène de superposition, stratification ou de substitution. En revanche quand le tissu
n’oppose pas de résistance particulière et que la conjoncture est porteuse, ces mutations
peuvent être très rapide.6 De ce point de vue, rien n’égale l’intensité et la vitesse du
renouvellement des centres de villes américaines ou asiatiques. A Chicago, dans le loop, le
bâti s’est au moins renouvelé trois ou quatre fois, faisant se succéder les maisons, les
immeubles R+5, les grattes ciels de la première génération puis les grattes ciels
contemporains.
La géographie particulière des villes est aussi un facteur de transformation. La forme des
villes peut favoriser le renouvellement urbain : « quand l’étendue est limitée, on a tendance à
construire en hauteur, pour loger le maximum de gens ou d’affaires sur le minimum de place.
Dans les villes fortifiées, il fallait se serrer à l’intérieur des remparts, et ceci explique
l’étroitesse des rues et le rapprochement des maisons dans les vieux quartiers historiques »7.
Les villes fermées, entourées d’une lourde ceinture de murs et de fossé, n’ont pour seul
espace d’extension que leur propre tissu ; elles se sont donc plus intensément renouvelées que
les villes ouvertes. La reconstruction - transformation est donc une réalité permanente de la
ville, les dynamiques individuelles et collectives des habitants conduisent à une permanente
reconstruction de la ville sur elle-même. Le renouvellement par démolition-reconstruction
demeure le principal levier de transformation urbaine.8
Le renouvellement urbain, dans une vision de la ville en évolution permanente, est constitué
par un mouvement continuel de mutations physiques qui affectent les tissus urbains. Ces
mutations prennent des formes différentes selon, d’une part, les types de bâtiments existants
et leur affectation et, d’autre part, les conditions économiques, sociales ou culturelles
6
. ALLAIN Rémy, 2004, p 211.
7
. BEAUJEU-GARNIER Jacqueline, 1995.
8
.VESCHAMBRE Vincent, 2005.
présentes. Elles sont le fruit d’opérations de transformations menées par les individus, les
propriétaires, par les entreprises privées mais aussi par les autorités publiques. La construction
de la ville se fait dans ce processus par « des bâtiments qui se transforment et des espaces
vides qui se remplissent »9. Le renouvellement urbain, fruit de multiples initiatives isolées,
induit donc un investissement financier et technique contribuant à l’amélioration, la
valorisation, la modification ou la rénovation des espaces bâtis. Les recompositions nouvelles
des tissus urbains issues de cet investissement peuvent prendre des formes et des échelles
variables selon les acteurs impliqués et les moyens financiers disponibles.
Dans ce cas de mutations lentes, les transformations bâties s’inscrivent dans le parcellaire
préexistant, les mutations se font parcelle par parcelle selon les disponibilités foncières et
les décisions d'investisseurs publics et privés. Ce type de renouvellement urbain implique un
investissement continu des propriétaires dans les bâtiments, un investissement public dans
l’entretien des espaces publics et dans la gestion des réseaux et un intérêt de la part des
promoteurs immobiliers pour mener des opérations de construction. Il s’agit donc d’un
modèle de développement continu et progressif10.
Dans d’autres cas en revanche, il peut s’agir d’une transformation radicale de la forme et de la
trame urbaine par la réalisation d’opérations de plus grande ampleur, menées par des maîtres
d’œuvre privés ou publics pour répondre à une demande de nouvelles activités ou par
entraînement dans des logiques immobilières spéculatives. Ce type d’opérations implique la
démolition des éléments bâtis, voire la modification des tracés viaires ou même la création de
nouvelles voiries. Dans ce deuxième cas, les mutations se font par bonds rapides11.
9
. DECLEVE B, 2004.
10
. PIRON Olivier, 2002.
11
. Idem.
Si certains lieux sont valorisés, d’autres au contraire connaissent un désintérêt. Celui-ci,
vecteur de désinvestissement et donc de dégradation immobilière, est en partie causé par
l’obsolescence des formes urbaines existantes. Dans ce deuxième cas de figure, deux types
d’évolution peuvent se faire jour :
- Soit, dans un premier scénario, les capacités financières des acteurs privés (petits
propriétaires, investisseurs) permettent d’envisager des nouvelles formes urbaines en
adéquation avec les besoins et les attentes des habitants/consommateurs. Dans ce cas, les
tissus urbains font l’objet d’une revalorisation qui va modifier en profondeur leur forme et
leur organisation.
- Soit, dans un deuxième scénario, la perte d’attractivité des tissus urbains et la dégradation
qui s’en suit ne sont pas compensés par un réinvestissement pour surmonter les blocages.
Dans ce processus, les tissus urbains, qui éprouvent des difficultés à se régénérer, se
dégradent rapidement, la qualité des logements diminue, l’activité économique perd de son
dynamisme. La perte d’attractivité engendre ainsi une impossibilité de réinvestissement
notamment par la perte de valeur immobilière pour les propriétaires.
Face à ces quartiers qui ne se renouvellent pas ou se renouvellent mal, et qui sont fortement
marqués dans une spirale négative. Il est indispensable de penser et agir pour le
renouvellement urbain ; « renouveler » objectifs, méthodes et moyens d’action des pouvoirs
publics sur ces territoires pour les faire entrer dans une spirale de valorisation.
Sous son aspect physique, une ville est constituée de bâtiments et d’espaces qui ont été
construits et conçus à certains endroits bien spécifiques à un moment donné et pour un usage
donné. L’évolution globale des villes se répercute de façon différenciée sur leurs différentes
composantes12. Les facteurs d’évolution sont les suivants:
- L'obsolescence technique des bâtiments : c'est le cas de bâtiments anciens qui s'adaptent
mal aux performances contemporaines. Les normes et les usages évoluent, qu’elles soient
12
. PIRON Olivier, 2002.
traduites en terme de besoins (confort, hygiène), de fonctionnalités (évolution des modes de
production). Les usagers, en raisons de ces progrès techniques qui s'offrent à eux (les
isolations thermiques, acoustiques, les différents réseaux performants : électriques, de
plomberie…etc.) et de l'amélioration de leurs capacités financières, préfèrent investir dans des
modèles urbains plus « modernes ».
- L’obsolescence urbaine de certaines formes bâties : qui deviennent inadaptées pour des
raisons d'hygiène, de sécurité, des îlots insalubres, l'étroitesse des réseaux viaires ; en somme,
ce sont les conceptions urbaines qui ne correspondent plus aux usages contemporains, soit par
le refus des utilisateurs, soit par les volontés des pouvoirs publics, elles perdent de leur
pertinence.
Si la présence de limites matérielles qui séparait la ville de son environnement fut une quasi
constante jusqu’au XVe siècle. Au moyen âge déjà, la ville avait commencé à se développer
13
. Idem.
hors ses murs. Elle exerçait sur ses terrains extra-muros14. Ce mouvement s’est
considérablement amplifié au cours de la seconde moitié du XXe siècle. La ville avec son
centre et ses limites bien définies a fait place à des territoires urbains aux contours incertains
et mouvants et à des nouvelles formes urbaines aux limites indéfinissables. L’urbanisation
moderne a complètement bouleversé la notion de la ville, l’étalement urbain a fait reculer
considérablement ses limites. Ainsi l’horizontalité a fait émerger de nouvelles appellations :
rurbanisation, périurbanisation…
David Mangin parle de « la ville franchisée »15 et explique pourquoi la ville c’est tellement
étendue ces cinquante dernières années. La réponse la plus immédiate se trouve dans le
développement de l’automobile et des réseaux routiers : « à l’échelle des agglomérations, ce
maillage a des conséquences décisives sur les formes de la croissance urbaine. ».
L’automobile a littéralement créé de nouveaux territoires en faisant éclater les frontières de la
ville.16 Face à l’ampleur de cette urbanisation, on s’interroge sur les conséquences de ces
mutations d’un point de vue spatial, environnemental, économique et social .
Il est cependant clair qu’on ne peut pas stopper l’étalement mais on peut toujours le
rationnaliser, le freiner et le contrôler. Pour cette raison, nous devons développer des
14
. GODARD Francis, 2001, pp 18-19.
15
. MANGIN David, 2004.
16
. PIRON Olivier, 2002.
stratégies pour contrecarrer les dynamiques négatives de la ville et essayer d’améliorer la
qualité de vie et le cadre urbain déjà existant.
- La protection de l’environnement
Comme déjà énoncé, l’urbanisation est en voie d’achèvement dans de nombreux pays du
monde. La production extensive semble révolue.17 Ces préoccupations s’appuient sur des
exigences concernant le développement durable de l’environnement bâti et la revitalisation
des tissus urbains existants. Le renouvellement urbain se définit alors, comme « un nouveau
mode de développement et de fonctionnement de la ville visant à économiser les espaces et
l’énergie et à régénérer les territoires urbains dégradés »18.
Pour faire face aux dynamiques négatives que subissent les tissus urbains, il est mené
différentes interventions, qui au courant de l’histoire ont évolué. D’ailleurs, celles-ci
continuent toujours à évoluer du fait de la permanence des mutations urbaines et de
l’émergence de nouvelles exigences.
17
. SAFRI Saïd, 2008.
18
. JEGOUZO Yves, 2001.
19
. CHALINE Claude, 1999.
20
. MIUS François, 2003.
II- Renouvellement urbain : connotation et évolution du concept
Le terme de renouvellement urbain est apparu dans les années 90. Jusque-là, on utilisait
d’autres termes analogiques puisés dans le lexique des procédures opérationnelles :
rénovation, reconstruction, recyclage, réhabilitation, restructuration, etc. S’agit-il seulement
d’une innovation de vocabulaire ou bien d’orientation, de conception et de pratiques
nouvelles ?
Les interventions sur les tissus urbains existants regroupent différentes approches dont il est
utile, pour dissiper les confusions, d’éclaircir les terminologies.
La réhabilitation :
D’origine latine « Rénovatio » désigne l’action de remettre à neuf quelque chose par de
profondes transformations22. Le dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement23la définit
comme une opération d’ensemble qui concerne la totalité, ou l’essentiel, du bâti d’un secteur.
Elle peut être motivée par : la mauvaise qualité des bâtiments, leur inadaptation, leur
insuffisante occupation au sol, ou par leur inadaptation à la circulation automobile.
21
. CHOAY Françoise, MERLIN Pierre, 1988.
22
. Le Petit Larousse Illustré, 2012.
23
. CHOAY Françoise, MERLIN Pierre, 1988.
L’action de rénovation est une opération physique qui ne doit pas changer le caractère
principal du quartier. Elle est relative à une intervention profonde sur le tissu urbain. Elle peut
comporter la destruction d’immeubles vétustes et la construction sur le même site
d’immeubles normaux de même nature.
La rénovation urbaine est un terme générique désignant toute opération d’adaptation du bâti
aux normes contemporaines, allant de la démolition systématique (rénovation bulldozer), en
vu d'une construction nouvelle, d'un secteur urbain occupé par des logements, des activités
ou de façon mixte à la prise en compte des habitants et de l’habitat (rénovation douce)24.
Alors que le droit de l’urbanisme français, la définit comme opération ayant pour objet de
restituer aux anciens centres urbains dégradés par le manque d’entretien ou les constructions
anarchiques, une structure et une architecture compatible avec les exigences de l’hygiène et
de l’esthétique 25.
Ainsi, on peut dire qu’on a déjà fait du « renouvellement urbain » sous d’autres
dénominations. Les vocables utilisés marquent un retour mais aussi une évolution et parfois
une révolution dans le faire et la manière d’intervenir sur le tissu urbain hérité : rénovation,
requalification, réhabilitation, reconquête, régénération, réparation… Ces dénominations
donnent lieu à des prises de décisions de politiques urbaines et à des procédures adaptées,
parfois en contradiction les unes avec les autres. Les effets sur la ville apparaissent sélectifs et
donc hétérogènes. Il manquait un concept fédérateur qui prenne en compte la globalité des
aires urbaines à traiter.
24
. JOURET P, 1981.
25
. DANAN Yves Maxime, JACQUIGNON Louis, 1978, pp 223-224.
26
. SAïDOUNI Maouia, p129.
II-1-2- Le renouvellement urbain : un concept émergent
L’évolution de la ville sur elle même et sa croissance se fait par mutation du tissu urbain :
démolition/reconstruction, réutilisation du patrimoine ou construction dans les friches
urbaines ou industrielles et les « dents creuses ». Dans tous les cas, on est dans le processus de
mutations urbaines qui participent à la production de la ville, et à sa reproduction. Le
renouvellement urbain ne vise pas en soi une nouvelle conception de la ville, mais la prise en
compte de l’existant en pensant à sa gestion.
Le concept de renouvellement urbain est largement inscrit, aujourd’hui, dans les politiques
publiques en termes d’objectifs, de dispositifs législatifs et opérationnels, s’il suscite grand
nombre de colloques, séminaires et publications, sa définition ne demeure pas moins difficile
à cerner. A ce propos, Sylvaine le Garrec, évoque « le renouvellement urbain » comme une
notion fourre-tout29 ; un mot « valise », au contenu confus et incantatoire.
Pour clarifier les objectifs et les enjeux, il faut d’abord préciser ce dont il s’agit. Pour Georges
Cavallier30, le renouvellement urbain intéresse le traitement des quartiers victimes de
processus de dévalorisation urbaine et, il a pour finalité, la fabrication d’une ville plus
équilibrée et dont l’aspect et l’usage seraient pour chacun plus équitables. Il entend répondre à
une double question :
27
. Le petit robert, 2003.
28
. Idem.
29
.LE GARREC Sylvaine, 2006.
30
. CAVALLIER Georges, 1999.
2. La question du devenir, de la requalification, de la recomposition de la ville existante, dans
le cadre de projets urbains plus ou moins ambitieux, ainsi que la question de l’amélioration
de sa gestion et de sa maintenance au quotidien».
Ainsi, le renouvellement urbain a comme principe, que la ville peut se renouveler à partir
d'elle-même, en puisant dans ses propres forces, en pratiquant un urbanisme du coup par
coup, et en mobilisant ses habitants quartier par quartier. On n’est pas obligé d’envisager un
gigantesque déménagement spectaculaire et onéreux, mais des actions ponctuelles qui
s'inscrivent dans une reconquête de tous les territoires de la ville par ses citadins, où la
coordinance des actions, et la concertation entre les différents acteurs et à différentes
échelles restent la clef de réussite de cette entreprise de transformation.
La question qu’on se pose alors est « Qu’est-ce qui différencie ces situations de
renouvellement urbain inéluctable des autres cas d’intervention – majoritaires en nombre
comme en capitaux mobilisés – sur le tissu existant ? Ce pourrait être la taille ou la
complexité».33
31
. HARBURGER Sylvie, 2002, p7.
32
. PIRON Olivier, 2002.
33
. Idem.
De toute façon, le degré de complexité est incontournable, car la plupart des opérations sur le
parc existant sont de simples opérations de modernisation et d’amélioration, alors que toute
action de renouvellement urbain vise « une augmentation de l’intensité urbaine, avec plus
d’activité, plus de fréquentation, plus de diversité, une meilleure gestion, et portant plus de
valeur urbaine».34 On peut dire alors, que les interventions dites « ponctuelles » ont montré
leurs propres limites. Depuis, on est progressivement passé à des actions plus globales, celles
inhérentes au renouvellement urbain.
En termes d’action sur la ville, le renouvellement urbain n’est pas nouveau : la reconstruction
de la ville sur elle-même est un phénomène « naturel » qui s’opère depuis toujours dans la
constitution de la ville. Ce type de renouvellement existe de tous temps. Il est bien connu que
les parties les plus anciennes des villes n’ont plus aucun bâtiment de cette époque, car le
renouvellement spontané les a démolis et reconstruits sous une autre forme.
34
. PIRON Olivier, 2002.
35
. BADARIOTTI Dominique, 2006.
Le renouvellement est donc l’un des deux modes de la production de la ville, avec l’étalement
urbain. Jusqu’au XIXè Siècle, la ville se construisait par l’initiative privée dans une logique
de marché qui n’était soumise à aucun droit. Le droit de l’urbanisme et plus globalement
l’intervention de l’acteur public (urbanisme opérationnel) dans l’aménagement de la ville
remonte à la fin du XIXè Siècle notamment pour des objectifs de salubrité et de sécurité
(Haussmann à Paris). Ainsi l’acteur privé est celui dont l’action sur la ville est la plus
ancienne et même le plus courant de la construction et de l’aménagement d’une ville. Par
conséquent il existe bien un renouvellement de la ville qui est spontané et se fait par le libre
jeu du marché. Ce genre de renouvellement, bien que diffus, a pu avoir une action assez
rapide sur des secteurs entiers. À cet égard, on peut évoquer l’exemple des anciennes villes
américaines, comme New York ou Chicago : à un moment de leur histoire, se sont en effet
reconstruites sur elles-mêmes, substituant à des demeures basses et espacées des gratte-ciels
géants qui occupent désormais des îlots entiers.
Ce dernier processus, extrêmement diffus au niveau de la décision, finit par faire apparaître
une autre ville au bout de quelques décennies de laisser faire. Bien qu’agissant à une toute
autre échelle, ces modifications diffuses, restent ainsi comparables aux processus qui ont
dégagé Manhattan de l’ancienne Nouvelle-Amsterdam, soumise à la pression de la centralité
et du capitalisme, ou à ceux qui transforment Séoul ou Bangkok. Dans les deux cas, il s’agit
d’un processus d’émergence d’une nouvelle ville, fort différente, à partir de l’ancienne ville et
ceci sous l’impulsion de décisions diffuses et non concertées36. Dans ce cadre, le
renouvellement urbain est lié à une intervention du « privé », du propriétaire foncier, qui
rebâtit sa propre parcelle, et qui correspond finalement à un processus de transformation de la
ville. En termes de politiques publiques, on se trouve pratiquement au point zéro de l’action
publique. Les pouvoirs politiques ne maîtrisent pas grand-chose dans cette approche du
renouvellement urbain, la décision revenant au propriétaire du terrain et au financeur de
36
. Idem.
l’opération (souvent les mêmes) qui choisissent seuls de reconstruire ou de transformer un
immeuble. Tout au plus les pouvoirs publics ont-ils parfois le loisir d’infléchir ou d’influencer
les décisions, par le cadrage normatif qu’elles ont parfois exercé ou par des incitations
financières. Ce type de renouvellement apparaît donc comme une forme de régulation en
grande partie autonome, c’est à dire émergeant de la base même de la société.
Si ce renouvellement diffus des différentes cellules bâties qui composent nos agglomérations
se pratique depuis l’origine de la ville, ce n’est qu’à partir du XIXème siècle que se sont
développées les premières procédures efficaces permettant un renouvellement groupé du tissu
urbain de la part des pouvoirs publics.
Renouvellement planifié ou groupé car son action est généralement concentrée sur un espace
circonscrit, ou encore d’initiative publique car il a lieu dans le cadre d’opérations planifiées
d’aménagement. On observe ici une forme de renouvellement bien plus récente que le
renouvellement diffus. C’est le Préfet Haussmann qui a mis au point la formule du
renouvellement groupé la plus efficace, en le concevant comme une opération d’urbanisme
complète37, associant un véritable remembrement urbain à une opération de démolition et de
reconstruction : la réalisation des percées intégrait en effet la maîtrise foncière d’un secteur,
son dégagement, sa viabilisation, et finalement sa reconstruction en accord avec un plan
d’ensemble. Par la suite, les grands conflits du XXème siècle ont apporté des modifications,
complétant et étendant les procédures de renouvellement planifié. L’innovation a surtout été
introduite à l’issue de la guerre de 1939-1945, qui a dévasté l’Europe et a nécessité la mise au
point de procédures permettant d’appréhender les chantiers d’ampleur que représentaient
toutes ces cités détruites. La reconstruction de la seconde guerre mondiale s’est inspirée des
théories de la Charte d’Athènes, où on a décidé de reconstruire en rupture avec le passé,
profitant ainsi de l’opportunité présente de « changer la ville » en changeant son plan38. La
reconstruction de la seconde guerre mondiale, et donc le «renouvellement» des cités détruites,
porte ainsi le signe d’un double changement : on change d’échelle dans les opérations tout en
changeant de référentiel.
37
. Il s’agit des célèbres opérations de Haussmann menées à Paris à partir de 1852, qui seront imitées dans le
monde entier et donneront à la capitale son aspect actuel.
38
. VAYSSIERE Bruno, 1988.
Les opérations postérieures dites de « rénovation urbaine » ont été conçues sur le modèle de la
reconstruction : elles reposent en France sur une procédure définie en 1958 et intégrée au
Code de l’urbanisme. A l’instar de la reconstruction, l’objectif consiste à restructurer les
centres urbains en les modernisant (remembrement foncier) tout en apportant aux habitants
des conditions modernes d’habitat (confort) dans des immeubles respectant les principes de la
Charte d’Athènes (air, lumière et espace). La procédure comprenait des phases
opérationnelles successives permettant à la municipalité d’acquérir les terrains, de démolir les
constructions anciennes, de remettre en état les sols et de céder les terrains viabilisés aux
constructeurs39.
Le renouvellement urbain groupé, stratégique et planifié, apparaît donc lors des grandes
mutations urbaines qui suivent les crises démographiques, politiques, économiques ou
technologiques ou encore lors des catastrophes naturelles, il utilise l’ensemble des outils
législatifs et opérationnels développés par les pouvoirs publics pour gérer ces crises et
maîtriser cette transformation. Ici, le renouvellement est la conséquence d’une intervention
des pouvoirs publics avec un cadre réglementaire (expropriation, remembrement) défini et
adapté à ces opérations d’ampleur qui ne concernent pas un seul immeuble ou une seule
parcelle, mais un ensemble (îlot ou quartier).
D’une certaine manière, l’ampleur des opérations explique la méthode adoptée, basée sur la
planification : en effet, depuis Haussman, on sait qu’une programmation urbaine reposant sur
un plan permet de structurer avec succès de vastes opérations de réaménagement. On se
trouve donc typiquement dans un urbanisme où la décision émane du sommet, en général de
l’Etat, et s’impose aux acteurs de terrain à travers le plan. Cette situation est caractéristique
des débuts de la structuration de l’urbanisme en tant que politique publique40. Elle est aussi
caractéristique d’une forme particulière de régulation, appliquée à la régénération des tissus
urbains : la régulation organisationnelle de contrôle41.
39
. Idem.
40
. GAUDIN Jean-Pierre, 1993.
41
. DUTERCQ Yves, VAN ZANTEN Agnès, 2001.
(mais pas totalement, le renouvellement diffus continuant à être pratiqué) à une régulation
plus autonome du renouvellement urbain.
La conception de reconstruire la ville sur la ville peut être radicalement différente d’un pays à
autres, ce processus de renouvellement urbain est désigné par des termes assez divers :
recyclage, régénération, remodelage, changement, restructuration, .....Mais leur dénominateur
commun réside dans l'idée qu'il faut intervenir sur la ville existante, « fabriquer la ville sur
la ville ». La notion de « renouvellement urbain » a donc plusieurs origines :
Le renouveau urbain est une traduction de « urban renewal », qui peut également être traduit
par renouvellement urbain. Le mot anglais interpelle donc des significations telles que
renouvellement, renouement, reprise, en bref cela sous-entend une continuité avec le passé42.
Ce phénomène s'est d'abord formalisé aux Etats-Unis à partir des années soixante, lorsque la
délocalisation des activités maritimes a conduit au délaissement de vastes espaces, devenus
friches portuaires. Ces vides urbains ont été réaffectés, à l'initiative des municipalités, à des
activités tertiaires créant ainsi de nouvelles centralités, comme à Boston, Baltimore, et New
Orléans. Pour les expériences européennes, illustrées magistralement par le cas des London
Docklands, à partir des années quatre-vingt, puis de Barcelone, le renouvellement urbain a
consisté à reconvertir totalement des espaces délaissés, en y reconstruisant de véritables
« morceaux de ville » multifonctionnels.43
42
. PAQUOT Thierry, 1999.
43
. SAFRI Saïd, 2008.
régénération lancées au Royaume-Uni ont donc visé à rétablir, dans les espaces en
déshérence, un environnement physique et social adéquat pour attirer de nouvelles activités et
relancer la dynamique économique et sociale. L’évolution et la diffusion du concept font que
l’on applique aujourd’hui la régénération urbaine à toutes sortes de friches, mais, quel que soit
le type de friche ou d’espace concerné, la régénération consiste toujours à reconquérir et
redynamiser le territoire en question : recréer un environnement physique agréable et attractif,
redonner une image positive du secteur, aider la population locale à sortir de la précarité, faire
en sorte que l’espace soit réapproprié et attirer de nouveaux habitants et de nouvelles
activités.44
En France, les pouvoirs publics se sont récemment intéressés à nouveau de façon privilégiée à
ce phénomène que l’on rencontre à toutes les époques dans tous les pays. Ils ont cherché à
faire du renouvellement urbain un axe majeur de leurs politiques urbaines en liaison avec de
nouvelles composantes de ces politiques comme la mixité urbaine, la mixité sociale, le
développement durable et la lutte contre l’étalement urbain. Le concept de renouvellement
urbain a même fait son entrée dans la sphère juridique avec la loi SRU45 du 13 décembre
2000.
En dépit des multitudes dénominations liées au renouvellement urbain, ceci n'exclut en rien le
fait qu'il y est des préoccupations en commun entre telle ou telle vision de la ville
reconstruite, mais il se trouve qu’on ne dispose pas de modèles prédéfinis. Ce qui explique la
pluralité des stratégies entreprises et des territoires concernés.
Ils englobent les quartiers périphériques des villes. Ils sont mis sous le feu de l'actualité dans
les questions de renouvellement urbain, à cause d'une réalité qui nourrit des processus de
déqualification, de répétition d'un modèle unique, d’exclusion et de ségrégation sociale. Leurs
conditions de vie sociale se dégradent fortement ; ces circonstances ont autorisé la
reconsidération de ces quartiers, de leurs tissus urbains, de leurs bâtis et de leurs
fonctionnements.
Leur perte de valeur est due à l'évolution des activités économiques. Souvent bien placées, ils
ne comportent pas d'habitat ou très peu. Ce sont donc les entreprises et sociétés dévalorisées,
les anciens sites militaires et les casernes, les friches industrielles, les anciens docks ou silos,
les emprises portuaires, les gares de marchandises, les zones minières et sidérurgiques,…etc.
En bref, ce sont les sites urbains qui sont entrés durablement dans une spirale de
déqualification et d'abandon. Ils constituent un enjeu de taille qui peut contribuer à renouveler
la ville, et lancent aux pouvoirs publics des défis de maîtrise46.
Le renouvellement urbain concerne aussi les tissus anciens, sous des formes différentes, à des
rythmes adaptés pour permettre les évolutions souhaitées. Les territoires anciens à renouveler
dans une ville peuvent être d'une grande diversité; et cela dépend de facteurs changeants d'une
ville à une autre. Dans le cadre de notre étude nous avons essayé de constituer une typologie
des territoires anciens qui selon nous nécessitent une revalorisation et auquel s’effectuent des
opérations de renouvellement urbain.
46
. ROUSSEL François Xavier, 1999.
• Les secteurs résidentiels anciens hors marché
- Rester dans la dominance résidentielle par une résorption d’îlots insalubres ou une opération
de valorisation urbaine s’appuyant sur la conservation du patrimoine bâti ;
Les quartiers anciens et mixtes sont souvent péricentraux, associant de l’habitat souvent
modeste et vétuste et des activités industrielles notamment, qui se déclinent et/ou se
délocalisent, quelque peu oubliés et vieillissants. Ils ont généralement perdu leur capacité à se
régénérer. Nous citerons le cas des faubourgs et autres excroissances des centres anciens49. Ce
type de territoires constitue un important enjeu pour la ville, leur remise à niveau permet
d'enrichir les fonctions urbaines locales, Pour cela plusieurs procédures se distinguent50 ;
rester dans le domaine de l'activité (lorsqu'il s'agit d'industries ou d'entreprises), mais en le
47
. BONNEVILLE Marc, 2004.
48
. PIRON Olivier, 2002.
49
. ROUSSEL François Xavier, 1999.
50
. PIRON Olivier, 2002.
modernisant : substituer un ensemble d'entrepôts, de magasins ou de hangars par exemple par
un ensemble logistique, introduire le multimédia de tout genre, varier l'ensemble des activités
mono industrielles préexistantes. Cette possibilité permettra d'augmenter le taux d'activités
culturelles et de diversifier les usagers fréquentant le secteur ou changer carrément de
domaine d'activités en s'orientant vers les loisirs, et les équipements divers : dans ce cas on
peut aussi bien démolir que reconvertir des bâtiments.
Les noyaux historiques ont toujours représenté, toutes cultures confondues, le lieu d'échange,
d'habitation, de rencontre et de commerce par excellence d'une ville51. Au delà de cela, ils
sont l'âme et la composante la plus importante des villes et de leurs identités. Sauf exception,
le renouvellement s’y produit en douceur, car la préservation et la mise en valeur des tissus
anciens sont mises au service des stratégies d’image de la ville.52
Mais malheureusement, pour le cas des tissus historiques du tiers monde, les mutations et les
bouleversements survenus aux temps contemporains menaçant non seulement un cadre
physique qui est doté d’une valeur architecturale et urbanistique, mais aussi une valeur
historique, et la symbolique d'un vécu devenu proie aux dégradations multiples53. Ils souffrent
généralement de problèmes de détériorations, et une sorte d'inadaptation aux conjonctures
urbaines contemporaines.
III-2- Les objectifs du renouvellement urbain : une remise en valeurs des espaces en
déclin ?
La constitution d'une typologie des terrains urbains qui souffrent de dévalorisation nous a
permis de constater la possibilité de présence de symptômes de dégradation en commun pour
ces territoires. Ceci n'empêche pas la diversité des situations locales et par la même une
diversité des stratégies d'intervention.
Entre cet ensemble assez contrasté d'opérations envisageables dans la perspective de la ville
renouvelée, il existe des objectifs en commun qui caractérisent de manière générale les
interventions de renouvellement et plus particulièrement les tissus anciens :
51
. ANDRE Jean Louis, BOFILL Ricardo, 1989.
52
. ALLAIN Rémy, 2004, p 211.
53
. ANDRE Jean Louis, BOFILL Ricardo, 1989.
- L'intégration à la ville : que se soit recomposition du tissu préexistant ou carrément la
recréation d'un parcellaire, l'idée serait de se rapprocher de la taille moyenne des îlots, et de la
trame initiale qui forment les quartiers de la ville, et de créer au sein de ces secteurs des
espaces semblables à ceux qui existent dans l'agglomération.
- La mixité des fonctions urbaines : diversification, mixité et enrichissement tels sont les
mots clés de cette entreprise, qui peut s'acheminer sur des programmes lourds (centres
commerciaux), mais aussi sur des actions plus diffuses (évolution de l'artisanat, de certains
commerces de tourisme…) afin de redéfinir les fonctions de la ville, lui permettre d'occuper
une position privilégiée et concurrentielle dans l'armature urbaine.
Il y’a, la plupart du temps, diversification des fonctions, avec une forte dominance des
opérations mixtes. Les opérations de logements se traduisent toutes, en fait, pour une plus
grande mixité de l’habitat ; et même des changements d’usage à faible incidence quantitative,
par exemple du logement vers le commerce, peuvent déboucher sur une augmentation
sensible de la valeur urbanistique des ensembles de logements concernés.
− Elles sont parfois radicales quand on rase des usines ou des logements devenus obsolètes
pour des raisons techniques ou urbaines.
− Elles sont parfois minimales quand au contraire, comme dans les secteurs sauvegardés ou
urbains structurants, les démolitions sont à l’inverse très sélectives ou que l’on veut
conserver les activités qui se sont implantées spontanément.
Dans tous les cas, le degré de conservation du parc bâti est un paramètre essentiel d’analyse
et de décision. Mais il ne peut être connu à l’avance de façon définitive, étant donné qu’il
constitue souvent l’un des principaux paramètres faisant l’objet de discussions, voire de
controverses, pendant toute la durée des mutations.
54
. PIRON Olivier, 2002.
Par ailleurs, des analyses plus fines distingueraient ce qui est démolition indispensable, pour
cause d’obsolescence irréductible du bâtiment ou de volonté de mutation, des démolitions
résultant alors de choix plus factuels, après diagnostic technique, de coût et d’avantage entre
différents scénarios possibles.
- Un enjeu économique : par la revalorisation des territoires en marge, afin de les réintégrer
dans le marché.
- Un enjeu social : qui implique à la fois des actions relevant de la problématique d’habitat
mais aussi d’insertion sociale, culturelle, économique des populations qui restent
majoritairement défavorisées.
CONCLUSION
A l’opposition des interventions sur les tissus urbains classiques, le renouvellement urbain
vise à recomposer les équilibres sociaux et à revaloriser des territoires touchés par la
dégradation et la ségrégation, à travers une action menée à différentes échelles : quartier, ville,
agglomération, commune. Il prend en compte le court terme et le long terme, afin d’améliorer
durablement la qualité de vie urbaine. En effet, une multitude d’enjeux est placé sous le signe
du renouvellement urbain : la cohésion sociale qui intègre la revalorisation de territoires
marginalisés, le traitement spatial de la ville par la mutation du cadre bâti et de la
morphologie urbaine ainsi que la requalification des espaces publics et privés à différentes
échelles … Cette liste est évidemment non exhaustive, mais elle rappelle que la démarche de
renouvellement urbain, qui ne peut être que collective, fait appel à de multiples domaines et
donc à des acteurs aux objectifs, aux références et aux méthodes très diverses.55
55
. LE GARREC Sylvaine, 2006.
Chapitre II
Tissus urbains vivants, porteurs de multiples enjeux, les tissus anciens font ces dernières
décennies l'objet d'une attention soutenue, visant à promouvoir leurs évolutions positives.
Compte tenu de la forte dynamique, qu’ils engendrent, le paysage de ces tissus se transforme
à une rapide allure, qui affecte à la fois, fonctions, structures et formes ; et se pose à cet égard
le problème du déclin de l’espace. Il nous renvoie donc, à une stratégie de réorganisation, en
termes d’amélioration des conditions de fonctionnement.
Les opérations d’interventions sur ces tissus s'organisent autour d'une ligne de conduite, qui
oppose la sauvegarde-protection à la transformation-création. Faut-il avant tout tenir compte
de l'existant ou au contraire créer du neuf ? Privilégier la spécificité ou l'originalité ? « La
conservation ne stérilise-t-elle pas la création et l'innovation ? Mais la non-conservation ne
revient elle pas à nous priver de racines et de mémoires indispensables à l'innovation ? »56.
Quelle attitude adopter face à l’insertion de neuf dans une structure déjà existante ?
Pour pouvoir répondre à ces questions, on va essayer de souligner comment les réflexions sur
le clivage conservation/démolition se sont évoluées au cours de l’histoire ainsi que la
problématique qui entoure les questions relatives au processus d’édification dans les milieux
construits anciens. Ces problématiques sont, de toute évidence, d’ordre spatial et se présentent
de façon très compliqué se situant au niveau du rapport difficile, souvent délicat entre les
structures existantes, héritées du passé et les interventions contemporaines dans la ville.
Ainsi, ce chapitre sera structuré de la manière suivante :
56
. CHOAY Françoise, 1965, p 10.
I- Tissus anciens : déclin et question de survie
Métaphore qui fait référence57 au tissage « le textile », ou à la biologie « les tissus végétaux,
osseux ». Le terme de tissu urbain, selon Philipe Panerai entraine une double acception58 :
Parmi les multiples définitions du tissu urbain59, la notion de tissu urbain inclut l’idée d’une
imbrication et d’une solidarité de ses composants, ainsi que d’une capacité d’adaptation
spatiale et sociale. Les éléments de description des tissus urbains restent à définir. Pierre
Pinon en 197860définit le tissu urbain comme « le résultat de la combinaison plus ou moins
complexe et relativement stable d’un certain nombre de trames entre elles. C’est la partie
constante de la forme urbaine. Elle est formée habituellement par la superposition de trames
des niveaux : parcellaire, trame viaire, bâti et espace libre ». Ces niveaux, en tant que
composantes analytiques, peuvent être réduits ou augmentés, selon les besoins de l’analyse et
le degré de finesse souhaité.
57
. Dictionnaire Petit Larousse illustré 1996.
58
. DEMORGON Marcelle, DEPAULE Jean-Charles, PANERAI Philippe, 1999, p 70.
59
. GAUTHIEZ B., 2003, p 196.
60
. BORIE Alain, MICHELONI Pierre, PINON Pierre, 1976, p 21.
61
. DEMORGON M., DEPAULE J., PANERAI P., 1999, p 70.
62
. BORIE Alain, MICHELONI Pierre, PINON Pierre, 1976, p 21.
• Le réseau viaire : Le système viaire est le système de liaison de l’espace du territoire. Il
est constitué par l’ensemble des circulations de fonction et d’importance variables. Ce
réseau est destiné à innerver les parcelles, donc à relier entre elles les différentes parties
du territoire. Le tracé sert de support structurel du tissu urbain.
• Le parcellaire : Le système parcellaire est un système de partition de l’espace en un
certain nombre d’unités foncières en vue de leur appropriation. Le parcellaire fragmente
donc le territoire. Souvent déterminé par le tracé, il est une composition importante du
tissu et sert de support au bâti.
• Le bâti : Le système bâti regroupe l’ensemble des masses construites de la forme urbaine,
quelle que soit leur fonction (habitation, équipement) ou leur dimension. Le bâti se répartit
dans les espaces détourés par la voirie et il est partiellement divisé par le parcellaire63. Il
est aussi appelé tissu constructif, les immeubles constituent les pleins et sont caractérisés
par leur âge, leur fonction et leur élévation.
• L’espace libre : L’espace libre est défini comme l’ensemble des parties non construites,
qu’elles soient publics (places, esplanades, rues, etc.) ou privés (cours, jardins). Il
constitue le vide, opposé et complémentaire du bâti, considéré comme plein.
C’est la combinaison complexe de pleins et de vides qui engendre une structure définie
comme disposition relative des masses et de leurs espacements, et qui représente une variable
clé du paysage urbain. Les interrelations entre ces éléments physiques définissent les
caractéristiques du tissu urbain, lequel connait une mutation constante due à la révolution que
subissent ses éléments constitutifs, à des degrés divers, à travers l'histoire. Leur évolutivité est
fortement conditionnée par la taille des parcelles et leur mode d’affectation.
Les noyaux originels des villes correspondent généralement à l’espace urbain primitif d’une
ville ancienne. Ils sont les racines profondes sur lesquelles se sont greffées les villes
contemporaines. Les tissus anciens leur offrent toujours l’occasion de rappeler les conditions
d’établissement de leur site urbain. Ils sont souvent reconnaissables par leur architecture,
l’ancienneté de leurs bâtiments, la structure de leur voirie et de leur parcellaire. Mais, une
63
. GAUTHIEZ B., 2003.
question demeure, jusqu’à quelle époque faut-il remonter pour considérer « ancien » un
tissu ?
Le tissu ancien en Algérie englobe des réalités urbaines différentes voire même opposées dans
leurs modèles culturels et spatiaux :
Durant la période de colonisation française, l’Algérie, à l’instar des villes du Maghreb, a été
utilisée comme terrain d’essai, quasi expérimental, de nouvelles pratiques urbaines au service
de la domination coloniale. Au début de la colonisation française, militaires et colons
s’installaient dans les agglomérations urbaines précoloniales, dans les médinas.
L’appropriation physique des tissus urbains préexistants se faisait au prix de multiples
destructions pour le réaménagement d’un cadre bâti, qui pouvait abriter des modes de vie et
des usages auxquels il n’était pas destiné, cette pratique de l’espace disputé, au sein même des
médinas, s’est révélée insatisfaisante. Elle conduisait à la déstructuration et à la destruction
des tissus urbains précoloniaux sans pour autant fournir les conditions spatiales requises à
l’installation et aux activités des européens. Progressivement, la tendance évolue vers la
séparation des deux agglomérations et au début du siècle, vers une prise de conscience aigue
de l’incompatibilité entre deux ordres urbains64. A ce constat, va succéder une théorisation de
la séparation entre la cité musulmane et la ville coloniale qui constitue un tournant majeur.
Alors, l’expansion de la ville, commence par la création d’un tissu totalement différent, qui
ne sera plus superposé ou obtenu à partir du tissu préexistant.
La période coloniale a laissé ses propres strates que l’on reconnaît aisément dans le paysage.
Outre les opérations ponctuelles sur les villes traditionnelles (intervention sur médinas) qui
64
. « Il y a, à l’origine de la mutilation et même souvent de la disparition des villes indigènes, dans les pays où
s’installe les européens. La tendance toute naturelle, forcée même au début, à s’installer là où se trouvent la vie
et les affaires, c'est-à-dire dans la ville indigène. A très bref délai chacun s’y gène et en souffre. Toutes les
habitudes tous les gouts s’opposent. Peu à peu, la ville européenne chasse le naïf, En somme, il faut finir par
sortir de la ville indigène et créer de nouveaux quartiers. Mais il est alors trop tard : le mal est fait ; la ville
indigène est polluée, sabotée : tout le charme est parti. » Lyautey, « Paroles d’action, 1900-1929 », Paris, 1927.
ont été transformées de 1830–1870, car le pouvoir colonial s'est d'abord appuyé sur elles, il a
ensuite, mis en place un projet territorial (ingénieurs du génie) qui consiste en la création de65:
- Villages de colonisation.
- Centres urbains (villes coloniales).
Les villages coloniaux correspondent à des anciens villages créés par le pouvoir colonial afin
d’abriter la population coloniale. Ils étaient généralement entourés de terre agricole, attribuées
aux colons gratuitement ou à faible redevance pour encourager leur installation. De multiples
villages de ce genre ont été créés en Algérie, particulièrement dans les régions à importante
exploitation agricole. Ces villages sont très typés « aux rues orthogonales, aux maisons
basses.. »66. La majorité de ces villages, sont devenus les centres actuels pour beaucoup de
villes. « 475 villages de colonisation bâtis de la sorte au cours de presque un siècle,
constituent l’ossature du réseau actuel des centres agglomérés dans les compagnes, »67.
Conçus au départ pour abriter les seuls colons, ils ont progressivement attiré les algériens ; un
certains nombres sont aujourd’hui des villes.
Ces centres villes sont ainsi l’une des empreintes de l’urbanisme colonial sur les tissus
anciens de beaucoup de villes. Ils sont faciles à distinguer par leur tracé et leur morphologie
propre. Ils sont dans leur majorité, d’un tracé orthogonal (en damier) avec des parcelles assez
uniformes. L’architecture elle même y joue un rôle prépondérant. Les différents bâtiments,
qui constituent ces ensembles urbains, ont entre eux, comme un air de famille. Les matériaux
de constructions sont souvent les mêmes ; les ouvertures (portes et fenêtres), par leurs formes
65
. MOSBAH Zoubir, 2008.
66
. COTE Marc, 1992
67
. Idem.
68
. BOUMAAZA Wafa, 2010.
et leurs dimensions, mais aussi les toitures, présentent des formes apparentés. La plupart des
centres anciens sont caractérisés par une forte densité du bâti, aligné le long des rues et autour
des places et monuments. Les terrains, généralement de nature juridique privée, s’organisent
selon un parcellaire irrégulier et serré et gardent une grande permanence dans le temps.69
Au centre, la place, avec la triade caractéristique des villages français, école, mairie,
monument, telles sont les caractéristiques des tissus urbains créés par le génie militaire en
Algérie. A cette occasion, Malverti rajoute « les centres villes coloniaux sont avant tout des
villes militaires, le service du génie militaire se préoccupe en période de loger les troupes,
par la suite, le quartier civil est tracé »70. Ce sont ces quartiers de création ex-nihilo, conçu
pour les populations européennes, et qui développaient une logique spatiale propre avec une
texture architecturale et urbanistique bien spécifique, forment aujourd’hui, dans les pays
comme l’Algérie, des centres villes, qui après l’indépendance ont connu des transformations
considérables dû aux mutations sociales-économiques importantes.
Les déséquilibres sociaux de la période coloniale et leur manifestation spatiale ont imprégné
la réappropriation de la ville par les algériens71. Dés lors, le tissu colonial à connu une sur-
occupation dû à l’exode rurale de la population algériennes vers la ville « européenne ». Cette
pression démographique a entrainé une sur-densification de l’espace bâti par des divers
processus : fragmentation et parcellisation des habitations, surélévation des constructions,
reconversion des lieux d’activités en des logements, ….etc. Ces tendances à la parcellisation,
surélévation et squatterisation se sont accompagnées de l’accentuation du phénomène de
cohabitation de plusieurs ménages. Cette population, dans la plupart des cas à bas revenus, ne
disposaient évidemment pas des moyens pour entretenir les structures bâtis et souvent ne
reconnaissaient aucune « valeur » au tissu ancien. A cela vient s’ajouter une réglementation
69
. SAÏDOUNI Maouia, 2000, p 271.
70
. MALVERTI Xavier, PICARD Aleth, 1988.
71
. SEMMOUD Nora, 2001, p 74.
ignorée et mal ajustée ; tous ces facteurs n’ont fait qu’accélérer le processus de détérioration
de ces tissus coloniaux.
La question autour du devenir des villes anciennes face à la modernisation a toujours était
débattue. Que faut-il conserver ? Et que faut-il détruire ?
72
. GODARD Francis, 2001, pp 56-57.
73
. GIOVANNONI Gustavo, 1998, p35.
bouleverser cet équilibre ancestral en accélérant considérablement le temps de l’évolution des
villes. L’homogénéité de leurs structures et même la cohérence, l’harmonie et l’unité dans
leurs formes urbaines se sont vues totalement bouleversées par de nouveaux apports. A titre
d’exemple, à Paris, les travaux de modernisation et d’extension entrepris par Haussmann
impliquent des démolitions massives et spectaculaires dans le tissu ancien. Il justifie la
destruction des vieux quartiers de Paris par le besoin de salubrité et de modernisation. Il
avance que le tissu urbain n’est pas conçu comme un monument en soi, et peut être détruit
pour dégager des perspectives autour des monuments dignes d’intérêt.74
La ville n’est plus désormais un phénomène naturel, mais elle devient un phénomène culturel
qui exige la réflexion de l’homme. Cette réflexion se fonde sur un même constat : le nouveau
désordre, le regard critique sur la ville industrielle naissante s’axe sur les notions d’hygiène,
de fonctionnalité, de chaos. Mais au-delà de ces critiques, c’est bien entendu le système
politique, économique et social responsable qui est mis en cause, avec un recours aux
concepts de la pensée économique et philosophique de la fin du XVIIIe siècle et du début du
74
. CHOAY Françoise, 1992.
75
. RUSKIN John, 1890.
76
. CARBALLO Cristina, EMELIANOFF Cyria, 2002.
XIXe siècle. Les notions d’industrialisme, d’exploitation de l’homme par l’homme,
d’aliénation par le travail sont les bases des théories d’Owen ou de Fourrier.
Les solutions qui seront formulées pour traiter ces maux vont opposer deux visions politiques
de la société. Ces deux tendances partent d’une même critique de la ville industrielle qui
s’inscrit en rupture avec l’ordre urbain de la ville ancienne. Dans son livre « Urbanisme,
utopies et réalités» F. Choay77, les a désignés comme le modèle progressiste et le modèle
culturaliste, chacun d’eux ayant ses propres conceptions et propositions relatives à la ville.
La pensée progressisme avait pour résolution que la ville du XXème siècle doit accomplir sa
grande révolution. Elle doit passer par la table rase avec la ville ancienne : l’histoire
urbaine est de toute façon jugée inutile. Le modèle progressiste a évolué des utopies
socialistes des penseurs comme : Robert Owen, Charles Fourier, Benjamin Richardson,
Etienne Cabet, François Proudhon. Les avocats de ce modèle prenaient comme point de
départ le concept de l’homme type avec les besoins déterminés. Ils croyaient dans l’avenir,
dans la science et la technique, dans l’idée du progrès, qui résoudrait, selon eux, les
problèmes des villes. L’idéologie progressiste se reflète aussi bien dans l'organisation
fonctionnelle de la ville que dans sa forme urbaine. Les progressistes proposent un nouvel
ordre urbain, susceptible de s’appliquer à n’importe quel groupement humain en n’importe
quel temps et en n’importe quel lieu. Cet ordre sous-tend le logement type, la croissance
urbaine illimitée et une forme urbaine ouverte à la campagne, organisée et découpée
conformément aux fonctions urbaines (l’habitat, le travail, la culture, les loisirs).
77
. CHOAY Françoise, 1965, p 23.
78
. DESCARTES René, 1966, p 57.
La ville progressiste refuse l’héritage du passé, leur principe de base est que la ville nouvelle
doit remplacer la ville ancienne. Car la ville ancienne, et en particulier son tissu urbain
ordinaire constitué par les immeubles de logements pour la grande masse symbolise
l’exploitation des opprimés. La démolition devient acte politique révolutionnaire qui permet
d’instaurer un nouvel ordre spatial. Dans ce modèle, la préservation de bâtiments anciens
inadaptés aux usages contemporains peut apparaitre comme une inutile complication ou
comme une nostalgie suspecte.
La grande référence des culturalistes ; c’est que ce modèle ne part pas de l’individu mais du
groupement humain, de la cité et contrairement au modèle progressiste, il s’attache aux
particularités plus qu’aux besoins types de chaque membre. Il n’admet pas les transformations
de l’espace urbain liées à l’ère industrielle et refuse les nouveaux traits que la modernité
donne aux villes. Contrairement à la ville progressiste, la ville culturaliste est bien limitée, ses
dimensions sont modestes et inspirées des villes médiévales. À l’intérieur de la ville il n’y a
pas de trace de géométrie et pas de prototypes80. Sur le plan politique, l’idée de la
communauté et de l’âme collective est fortement accentuée, sur le plan économique
cependant, c’est l’anti-industrialisme qui prédomine.
La ville du XXème siècle doit revenir à un modèle de ville ancienne. Le futur de la ville doit
se fonder sur l’histoire urbaine. Tandis que chez les progressistes l’hygiène joue un rôle
primordial, les conservateurs portent toute leur attention à l’esthétique de la ville
traditionnelle : « La laideur répandue par la société industrielle résulte d’un processus létal,
d’une désintégration par carence culturelle. Celle-ci ne peut être combattue que par une série
de mesures collectives, parmi lesquelles s’impose notamment le retour à une conception de
79
. HUGO Victor, 1998.
80
. CHOAY Françoise, 1965, p 23.
l’art inspiré par l’étude du Moyen Age»81. Une grande importance est attribuée au site
d’origine, à l’espace public et au caractère pittoresque des compositions comme l’ouvrage
« l’art de bâtir les villes »82 de Camilo Sitte, l’illustre par l’analyse de la qualité des places
dans les villes italiennes. De ce mouvement culturaliste va naitre pour la première fois une
conscience et une réglementation d’inspiration historiciste pour la protection du bâti ancien.
Dans la première partie du XXème siècle, l’expérience coloniale a fait avancer la réflexion sur
les centres anciens. En effet d’abord pour des raisons ethnologiques, plus secondairement par
souci esthétique, certaines médinas (vieilles villes) du Maroc vont être préservées. Elles sont
l’expression « bâtie » du mode de vie traditionnel, de la culture des populations et paraissent
incompatibles avec une urbanisation de type occidental. De ce fait les fondations urbaines
seront préservées et tenues à l’écart des actions de modernisation urbaines entreprises par les
français. Lorsqu’en retour, cette vision conservatrice se tourne vers l’Europe, elle fait
redécouvrir la particularité et la valeur des centres anciens encore intactes, témoins et vestiges
de modes de vies et d’époques passées.83
Dans les années 1920, au lendemain de la première guerre mondiale, le mouvement moderne
se fonde dans la ligne directe du modèle progressiste sur une vision dynamique du monde
dans la lutte contre l’ordre ancien comme incarnation de la pensée rétrograde. L’idée clef qui
sous tend ce modèle est l’idée de modernité. « Une grande époque vient de commencer, il
existe un esprit nouveau » proclame le Corbusier dans la revue L’esprit nouveau.84
Les CIAM85 prônent l’antihistoricisme, la table rase, appliqué dans les centres urbains dans
les années 1950 et soutenue par la charte d’Athènes86, qui précisait « qu’en aucun cas le culte
du pittoresque et de l’histoire ne doit primer sur la salubrité du logis »87.
Faire table rase du passé pour reconstruire fait donc partie des dogmes de l’urbanisme
moderne. « Une nouvelle civilisation est née, rien du passé ne peut l’exprimer, tout doit être
81
. RUSKIN John, 1848.
82
. CAMILLO Sitte, 1996.
83
. CHOAY Françoise, 1992.
84
. CHOAY Françoise, 1965, p 33.
85
. Congrès Internationaux d’Architecture Moderne.
86
. Le Congrès internationaux d’architecture moderne élabore en 1933 « la charte Athènes », sous l'égide de Le
Corbusier. Le thème en était « la ville fonctionnelle ».
87
. CORBUSIER, 1957.
neuf »88. En 1925, le Corbusier propose avec son plan voisin l’application de ces principes à
une partie de Paris. La vision du patrimoine architectural digne d’être préservé est très
restrictive : monuments, grands axes, ou œuvre d’art. L’objet exceptionnel peut être
sauvegardé mais le cadre de la ville traditionnelle, doit être détruit.
« Le passé historique, patrimoine universel, est respecté. Plus que cela, il est sauvé. La
persistance de l’état actuel de crise conduirait à la destruction rapide de ce passé.
……Aujourd’hui, ce passé est défloré dans notre esprit ; car la participation à la vie moderne
qui lui est imposée, le plonge dans un milieu faux. Je rêve de voir la place de la Concorde
vide, solitaire, silencieuse et les champs Elysées une promenade. Le plan Vision dégage toute
l’ancienne ville, de Saint Gervais à l’étoile, et lui restitue le calme. (…). Les quartiers du
Marais, des Archives du Temple, etc…seraient détruit. Mais les églises anciennes sont
sauvegardées. Elles se présentaient au milieu des verdures ; rien plus séduisant !... leur cadre
actuel est faux et par surplus triste et laid (…..) »89
Une telle vision est naturellement à l’antipode du sens que prendra la conservation dans le
modèle culturaliste et son développement. Celui-ci s’effectuera essentiellement en Angleterre
et en Allemagne avec Howard, d’une part, père de la première cité jardin, et son influence des
écrits de l’architecte-urbaniste Camilo Sitte, d’autre part. Pour ces tenants de la vision
historique, c’est la continuité de la ville qui convient de préserver au delà des bâtiments
isolées. C’est l’objet certes mais dans sa relation au groupe comme constituant d’un tout, la
forme de la rue, de la parcelle, de la place publique. Ce modèle sera surtout développé dans le
monde anglo-saxon mais le clivage démolition/conservation s’amplifie, avec la guerre et
prend l’échelle de la ville toute entière.
88
. CORBUSIER, 1925.
89
. Idem.
ancienne»90 dans une optique d’aménagement urbain en ne limitant pas seulement le rôle des
centres historiques à des icônes évoquant le passé mais en leur accordant une fonction d’usage
et des qualités propres à répondre aux besoins des villes modernes et de leurs habitants. Il va
introduire les tissus anciens dans les plans directeurs d’urbanisme en les réservant à des
usages adaptés à leur morphologie spécifique. Il lie les nécessités de la ville moderne et la
préservation de la ville ancienne.91
Ainsi l’idée d’une valeur historique de la ville s’est étoffée progressivement. Elle s’est
développée et a mûri en opposition aux courants d’urbanismes modernistes et rénovateurs.
Face à un héritage porteur de mémoire, dans le sens où il est transmis par une autre époque,
les professionnels et responsables des interventions sur le tissu existant se retrouvent souvent
confrontés à ce genre de questions: Quelle décision faudrait-il adopter ? Que faut-il
conserver, que vaut-il mieux démolir, sur la base de quels critères décidé ?
Trois types de considérations devront être analysés pour permettre d'établir un choix92 :
90
. GIOVANNONI Gustavo, 1998.
91
. CHOAY Françoise, 1992.
92
. SCHAWCH Paul, 1998.
plafonds, les largeurs de bâtiments, le nombre d'étages, le rythme des fenêtres, la forme du
bâtiment en lui même, et autre détails qui peuvent entraver la reconversion.
Il faut cependant préciser qu'il est possible de prendre en compte l'un de ces trois facteurs s’ils
existent, tout en composant, dans la mesure du possible, avec les autres. Le choix d’une
démolition ou d’une conservation n'est pas exclusivement technique. Il traduit un état d'esprit
qui consiste à s'appuyer sur les caractéristiques de l'existant avant de décider de le renforcer
ou de le remplacer. Car il est évident que la conservation d'un bâtiment ayant une valeur
spécifique, symbolique ou pouvant encore remplir des fonctions est préférable que de démolir
et reconstruire à nouveau. André Chastel disait : « le patrimoine se reconnaît au fait que sa
conservation suppose des sacrifices mais que sa perte constitue un sacrifice plus important
encore…».94 Ainsi considérer les opérations de renouvellement n'appelle forcément pas à des
démolitions, la réhabilitation de l'existant compte parmi les enjeux de cette démarche. Ce qui
demeure primordial c'est la valeur culturelle et authentique du morceau de ville conservée qui
va perdurer pour d'autres générations. Mais comment moderniser les tissus anciens en les
adaptant aux exigences de la vie moderne sans détruire leur morphologie ? Comment
intégrer le neuf dans l'ancien ?
La création architecturale est à l’ordre du jour. Elle est nécessaire, mais pose cependant de
délicats problèmes d’insertion dans les tissus urbains existants. A cet égard, urbanisme et
architecture sont étroitement interdépendants. La création architecturale peut faciliter et
93
. « Directement associé » signifie que le bâtiment a été occupé par un personnage connu ou lui a appartenu, ou
encore qu'un événement précis s'est déroulé dans le bâtiment.
94
. CHASTEL André, 1980.
parfois provoquer l’amélioration d’un environnement existant. Elle peut inversement,
accentuer ou engager le processus de dévalorisation d’un site urbain.95
Souvent les aménageurs se trouvent confrontés lors des opérations sur les tissus anciens à
réfléchir d’une façon pratique sur les modes d'intégration des héritages à une conception
moderne de l'architecture et de l'urbanisme. « En recherchant la part de la tradition dans la
modernité, on se demandera, si, dans la démarche de ressourcement, il faut réfléchir en terme
de rupture ou de continuité »96. Ainsi on est confronté de façon permanente sur le comment
d’adaptabilité des tissus anciens à nos besoins modernes, en restant dans un cadre
traditionnel ou l’inverse. Mais comment pouvons nous être authentique, et moderne à la
fois ? Quelle est l’attitude légitime à adopter ? Les interventions nouvelles portent-elles
inévitablement atteinte à la continuité des tissus préexistants ?
Afin d’y répondre, il serait à notre avis d’un grand intérêt, dans le cadre de cette partie du
présent chapitre, de montrer d’abord comment ce problème relatif au processus d’édification
dans les milieux construits anciens s’est posé dans l’histoire de l’architecture urbaine. Les
attitudes que les pouvoirs publics et privés ont adopté face à ce problème méritent d’être
examiner, ayant eu des effets positifs ou négatifs, considérables sur le plan architectural et
urbanistique, et dont les conséquences étaient le plus souvent, leur divorce avec l’histoire et
avec les structures existantes. L’opposition « ancien-nouveau » est devenue de plus en plus
importante et suscite des réactions liées, aux questions d’intégration, d’insertion et de
comptabilité architecturale et urbaine des nouvelles interventions à l’intérieur d’un paysage
existant. Ces questions sont d’importance majeure puisqu’elles ont engendré et engendrent
toujours des attitudes pouvant se résumer en deux écoles de pensée : pour l’une « …. La
première vertu du génie en architecture est d’adapter l’édifice à sa circonstance, à son
emplacement… »97, pour l’autre, « … c’est d’abord la recherche d’un bon projet qui compte,
celui que l’on qualifiera de bonne architecture… »98. Mais face à ces deux approches
opposées, les interrogations se multiplient toujours : Laquelle des deux démarches faut-il
emprunter ? Faut-il procéder par mimétisme, par contraste ou rechercher par compromis,
des solutions dites en harmonie avec le paysage existant ?
95
. MINISTERE DE L'ENVIRONNEMENT ET DU CADRE DE VIE, 1980.
96
. MECHTA Karim, 1991.
97
. RENY Claude, 1991, p140.
98
. Idem.
III-1- L’architecture de la reconstruction : rapport nouveau/ancien
Les exemples les plus illustratifs de la grandeur de la démolition restent les reconstructions
des tissus anciens des villes européennes touchées par la guerre mondiale. En France, des
villes entières ont été détruites. En 1945, 1800 communes sinistrées99 ont été recensées, les
besoins étaient immenses en équipements, en bâtiments publics et surtout en logements. Les
vingt années qui suivirent la seconde guerre mondiale se sont occupées à en effacer ses
traces : reconstruire sur les emplacements des démolitions. Ces vingt années, s’étendant de
1945 à 1965, constituent une période généralement « ….absente de toutes les histoires de
l’architecture qui abordent directement les grand ensembles des années soixante… »100. Elles
demeurent du moins décisives dans la formation du visage architectural et urbanistique
contemporain de certaines villes. Une période très intense en activité constructive et des
transformations des façons de bâtir et des formes architecturales. Il est même certain que, sur
le plan technique, la reconstruction, qui les a tant marqués, a été à l’origine d’une profonde
mutation caractérisée par la modernisation de l’industrie du bâtiment.
La question de la reconstruction des villes était une question où les enjeux politiques et
architecturaux sont fondamentaux. Le choix a été que l’Etat dirige la reconstruction, elle ne se
ferait pas de manière libérale, mais c’est l’Etat qui d’une part orientait les financements et
d’autre part orientait les formes de la reconstruction. Donc, pour mener à bien cette tache
difficile, le gouvernement de la république a créé le ministère de la reconstruction et de
l’urbanisme. Son rôle a été fondamental parce que pour pourvoir reconstruire, il fallait
99
. Communes qui comptaient plus de 75% de destruction.
100
. BOUCHER Frédérique, KOPP Anatole, PAULY Danièle, 1982, p 13.
présenter un plan de reconstruction qui souscrit un certain nombre de principes. Cette
reconstruction a suscité des débats sur la manière de reconstruire : Comment va se faire la
reconstruction ? Est-ce que les villes détruites doivent être reconstruites telles qu’elles
étaient avant ? Est-ce qu’on doit redonner à la ville détruite le même visage qu’avant ? ou
doit-on opter pour une nouvelle architecture et faire table rase du passé ?
Le choix du ministère de la reconstruction a été pris qu’il fallait tout faire à la fois, de la
reconstruction dite « à l’identique » et de la reconstruction dite « moderne ». Il ne s’agissait
pas d’opter seulement pour un style ou un autre, le premier dit « passéiste », défendu par les
fervents de la restauration historique et de la recherche de l’unité stylistique des lieux et des
paysages architecturaux, et le second dit « fonctionnaliste », optant pour l’urbanisme des
années vingt, prôné par les discours des hygiénistes. Le ministère a décidé de ne pas accorder
de préférence à l’un ou à l’autre des deux courants. Si, avec le premier, la ville devient un
vaste monument articulé dont chaque édifice est une composante susceptible d’être restaurée,
reconstruite ou remplacée de la même manière qu’on restaure, reconstruit ou remplace une
fenêtre d’un monument isolé, avec le second, la ville doit être une unité sanitaire,
fonctionnelle et rationnelle. Avec une telle conception, toute la ville ancienne se trouve
soudainement condamnée. La congestion des rues, l’insalubrité de son habitat et l’exiguïté de
ses lieux deviennent des arguments valables pour la moderniser, l’assainir et l’adapter aux
exigences de vie de la nouvelle société. De nouveaux principes, basés essentiellement sur ces
préoccupations d’ordre hygiénique, furent élaborés, presque partout, les rues sont élargies, les
constructions plus hautes, les cours des maisons ouvertes et aérées. Les îlots, ces éléments du
tissu urbain ancien qui proposent, à l’intérieur d’un réseau viaire harmonisé, des espaces
hiérarchisés, publics ou privés, sont parfois regroupés et leurs cœurs respectifs totalement
dégagés.
Cette situation a fait en sorte que les opérations de reconstruction totalement affranchies des
tracés anciens et des formes architecturales et urbaines traditionnelles soit plutôt rare. Et, si
des réalisations du type Saint Malo ou Varsovie, à préoccupation de reconstruction historique
aussi fidèle que possible, se comptent sur le bout des doigts, l’immense majorité des villes
reconstruites constituent des cas de « modernité modérée » ou raisonnable se présentant
généralement sous forme de compromis entre « l’ancien et le nouveau », où l’ancien
prédomine le plus souvent et où le nouveau n’est introduit que précautionneusement et de la
manière la plus modérée possible.
III-1-1-1- La reconstruction historique : une architecture d’accompagnement ?
Enfin, compte tenu de la médiocrité des résultats et l’ampleur des dépenses, cette catégorie de
reconstruction a été vite remise en cause. La rareté des exemples ayant suivis cette démarche
constitue, en effet, une preuve tangible. Qualifiée généralement de passéiste, cette approche a
privilégié le pastiche et une architecture d’accompagnement, qui cherche volontairement à se
faire oublier afin de ne pas nuire au site dans lequel ils s’inscrivent, et a mis par conséquent à
dos, toute expression de créativité contemporaine en milieu ancien.
Fondée particulièrement sur la primauté de l’histoire, cette forme de reconstruction n’a eu que
peu d’effets novateurs. Ses résultats étaient donc sans grand intérêt puisque toute originalité
en était presque absente. L’exemple le plus important dans cet esprit est la ville de Saint-
Malo, la reconstruction à l’identique dont a fait l’objet cette ville est décrite comme un plan
de reconstruction respectant le caractère de la vieille cité, en reprenant les tracés urbains
existants, en les régularisant et respectant l’aspect traditionnel des bâtiments, évitant les
ruptures d’échelle entre ces derniers et les nouvelles constructions. Les attitudes adoptées
dans ce contexte ont privilégié l’uniformité comme un modèle de sécurité que de prendre des
risques dans l’innovation.
101
. Ce concept fut développé, pour la première fois, par Viollet-Le-Duc qui l’utilisa comme base dans ses
restaurations de la cathédrale Notre Dame de Paris et la cité Carcassonne.
III-1-1-2- La modernisation modérée : y a-t-il un juste milieu ?
La plupart des villes françaises reconstruites après la guerre ont fait l’objet de ce que l’on
pourrait appeler d’une « modernisation modérée » ou de compromis. Modérée ou
raisonnable dans le sens, qu’aucun bouleversement radical ne fut apporté à la structure
urbaine de ces villes et qu’aucune innovation architecturale, qui aurait pu apparaitre comme
trop en rupture avec l’aspect des bâtiments. Cette modernisation raisonnable peut être
considérée comme la forme la plus courante de la reconstruction. Ce type de reconstruction a
été appliqué toutefois dans plusieurs villes comme : Caen, Amiens, Rouen et Saint-Lo. La
reconstruction s’est faite en rupture avec le caractère insalubre d’avant-guerre, adaptée aux
exigences de circulation, tout en voulant une certaine continuité avec la ville ancienne et une
« harmonie » esthétique avec les édifices-symbole de la ville.
Sans doute la mémoire est présente dans les monuments et les constructions qui ont échappés
aux destructions et qui constituent encore des ensembles évocateurs de ce que furent ces villes
avant la guerre. Mais les îlots de la reconstruction elle-même avec leurs immeubles ni
« modernes », ni « pastiches » de l’ancien, ses rues inspirées de loin par les anciens tracés
mais adaptées aux exigences de la circulation nouvelle, ont abouti à des villes où l’âme
ancienne s’est totalement perdue sans qu’une nouvelle clairement définie, ne la remplace.
La médiocrité des résultats obtenus dans les tentatives de reconstruction décrites ci-dessus
constitue l’un des facteurs qui incitèrent les pouvoirs publics et privés à réviser radicalement
leur doctrine et à adopter celle des tenants de la rupture et de la table rase. Leur doctrine
s’inscrivait dans l’insertion à un cadre ancien d’une architecture « moderne » de qualité.
Rompant définitivement avec la structure urbaine traditionnelle et prônant le renouveau.
Le plan de reconstruction du Havre au lendemain de la seconde guerre mondiale, sous la
direction d’Auguste Perret, offre un exemple de combinaison de traditions d'urbanisme avec
des conceptions d'avant-garde dans le domaine de l'architecture, de la technologie et de
l'urbanisme. Il n’était plus question, de « raccorder et de composer les vestiges d’un passé
encore dominant avec des ensembles neufs éparpillés, ni de reconstituer et d’améliorer
simplement la voirie d’une ville dont le réseau serait resté intact »102, mais de recréer
totalement sa structure urbaine et l’architecture de la plus grande partie des bâtiments. Si
certains éléments structurants anciens ont été repris (tracé de la voie Foch, emplacement de
l’hôtel de la ville), l’architecture est considérée comme originale. Elle utilise des procédés
techniques modernes (béton armé) et allie des éléments fonctionnalistes à une tradition plus
classique de la ville103. La Reconstruction repose sur une diversité des couleurs, de formes,
des volumes et de textures. L’influence moderne est manifeste dans la distribution des
bâtiments et des logements. Vu de l’extérieur, le plan de reconstruction du Havre est le
prototype de la ville « moderne » : « rues larges, aérées et baignées de lumière, vastes
espaces urbains, nouveaux équipements sportifs et culturels, grands et confortables
appartements équipés de tout le confort ».104
Enfin, cette forme de reconstruction constitue la seule opération dans laquelle la volonté des
urbanistes et des architectes a pu s’exprimer avec le plus de liberté. Elle a produit des tissus
urbains et une architecture ayant totalement rompu avec le caractère des structures existantes
et constitue une expérience ayant mis en œuvre des principes limités à un certain nombre de
règles de composition architecturale entièrement dicté par des procédés technologiques
contemporains.
102
. PERRET August, 1947.
103
. ABRAM Joseph, 2002.
104
. GRAVARI-BARBAS Maria, 2004.
consistaient essentiellement à combler des trous. Portant atteinte à l’homogénéisation
architecturale et urbaine de l’ensemble, ces opérations sacrifiaient généralement l’ensemble à
l’élément inséré et mettant en cause, la stabilité de toute la structure ancienne.
Dans les années 60, le tissu ancien suscite d’importantes inquiétudes ; étouffer sous le poids
des problèmes, frappé de maux, il s'agissait de trouver des solutions, ou remèdes. Les
formulations fonctionnalistes et le langage moderniste occupaient une place fondamentale : le
centre ville est conçu comme le cœur, le cerveau, le poumon de la ville, centre à partir duquel
irradient les rues ou artères permettant d'irriguer l'ensemble du tissu. Mais ce tissu souffre de
congestion et d’insalubrité. On s'interroge, par conséquent, sur les façons d'intervenir sur ce
corps malade. Le préfixe « re » (requalification, revalorisation, etc.) s'impose dès lors. Durant
cette phase, les analyses et perspectives fonctionnalistes dominent, avec leurs valeurs de
progrès et de modernisme. Le tissu ancien, en devenant le creuset des activités tertiaires, s'est
inscrit comme lieu de gestion et de décisions par excellence ; il regroupe des fonctions
nombreuses et variées qu'il s'agit de hiérarchiser à travers un système de voies adéquat.
Enfin, parmi l’immensité de l’héritage que la ville ancienne nous transmet et devant l’échec
évident de l’architecture « moderne », exprimée tant dans les opérations de reconstruction que
dans les travaux de rénovation, l’heure est venue de faire le tri, d’adopter une pratique
architecturale et urbanistique susceptible de contribuer à une organisation consciente du
milieu bâti.
Il est grand temps, en jetant un regard critique sur les expériences urbaines en matière de
reconstruction, de se rendre compte combien est absurde la séparation que ces dernière ont
produit avec la ville et avec l’histoire. Il devient même urgent, en comparent, avec un
minimum d’analyse, les aménagements modernes et les structures anciennes que le temps a
progressivement façonné, de sentir la richesse des tissus homogènes qu’elles nous proposent
et de saisir enfin la gravité de la fracture qui a émergé, au nom du progrès et de la science,
entre notre civilisation et celles qui nous ont précédé.
Pour y parvenir, il faut d’abord, et avant que leurs effets ne deviennent totaux et irréversibles,
sortir «des abstractions rationnelles »105 que l’architecture moderne a emprunté dans sa
logique de destruction et de substitution. Il faut, en d’autres termes, rompre avec les
explications mécanistes, qui conçoivent la ville comme le produit de systèmes fonctionnels.
L’enjeu est capital, non seulement pour la cause de l’architecture toute entière, mais aussi
pour l’habitant qui désire reconquérir son droit à la ville, le droit à une architecture différente,
urbaine avec laquelle, il s’identifie et développe un certain sentiment d’appartenance. Dans
cette perspective, il est nécessaire d’adopter un courant de pensée pour qui l’objet
architectural « compte moins pour lui même, que pour sa capacité de définir les espaces, pour
les dispositions qu’il opère, les pratiques qu’il accueille, voire parfois qu’il suscite »106, et
s’attacher prioritairement à l’apprécier, dans une vision à la fois positive et globalisante,
comme une architecture, comme une création, d’ordre collectif, inséparable de la vie des
citoyens et de la société où elle se produit.
Affirmer que l’architecture doit être urbaine n’est pas rechercher une tradition, ni reproduire
non plus le décor de la ville ancienne, mais tenter tout simplement de définir des relations
spatiales compatibles avec les pratiques urbaines. Compte tenu de ce qui précède, il est grand
temps, de lire la ville comme une organisation, d’en démontrer la logique, d’en décrire la
structure formelle, de comprendre l’ordre qui la régit et de saisir la signification de chacune
de ces composantes, le rôle qu’elle joue et la place qu’elle occupe dans cet ensemble cohérent.
Là, se situe aussi la matière que laquelle devrait s’exercer toute initiative architecturale ou
urbanistique, qu’elle soit en matière de protection et de préservation du cadre bâti ancien ou
dans le domaine de l’intervention nouvelle dans ce dernier. La connaissance, puis la
compréhension de ces phénomènes doivent permettre non seulement aux formes construites
contemporaines d’avoir lieu sans perturber la ville dans son environnement, mais d’articuler
en harmonie l’ancien et le nouveau, en veillant à associer passé et futur en émergence. Ils
procèdent à un travail de liaison entre espace et temporalités diverse, pour que les centres
historiques des villes ne se transforment pas en musées ou en simples produits de
consommation107. L’un des exemples les plus réussis du mariage ancien/nouveau est la
pyramide du Louvre, toute revêtue de verre, elle a su dialoguer avec le vieux palais royal et
les moulures de sa façade.
105
. CASTEX Jean, CELESTE Patrick, PANERAI Philippe, 1980.
106
. CASTEX Jean, DEPAULE Jean-Charles, PANERAI Philippe, 1997.
107
. GODARD Francis, 2001, p 56.
Richard Rogers, concepteur du centre de Georges Pompidou, un des édifices emblématique
de la modernité au milieu du cœur historique de Paris, a appuyé cette vision dans son ouvrage
« Des villes pour une petite planète »108: « conserver l'apparence historique de quartiers
entiers est un parcours semé d'embûches. Une œuvre contemporaine, intelligente, exécutée
avec intégrité, s'accordera mieux, dans tous les quartiers, à l'exception des plus sensibles,
avec ses voisins plus âgés que ne le ferait un bâtiment moderne drapé dans un costume
historique. Juxtaposer anciens et nouveaux bâtiments est une pratique qui a un long et
honorable passé dans nos cités et nos villes. » Il est donc très important d'apporter un
nouveau souffle, un souffle de vie à nos tissus anciens, ne pas attendre que les noyaux
historiques se dégradent et deviennent le repaire exclusif des marginaux, ne pas faire de nos
villes des musées qui sclérosent la société et étouffent notre futur.109
On doit remettre en cause les idées préconçues lors de la sauvegarde des tissus anciens.
L'approche courageuse de Pei pour la pyramide du Louvre devrait nous enseigner
l’exploration du changement, de ne pas avoir peur du choc de la nouveauté tout en respectant
l'ancien et ne pas le condamner. Mais on ne doit pas non plus bannir l'innovation : il existe
toujours des solutions intermédiaires : une troisième voie.
Dans ce même d’ordre d’idées, il importe que les apports d’architecture soient étroitement
subordonnés au caractère de l’ensemble dans lequel ils s’inscrivent. Cette subordination, sans
proposer forcément « le retour au passé, mais, une évolution harmonieuse composant
ensemble les structures existantes et les projets nouveaux »110, requiert le choix difficile
d’éléments équivalents aux éléments à remplacer ou à restaurer et exige, par conséquent, que
les intervenants cessent de réduire le projet aux seuls aspects esthétiques et fonctionnels pour
le mettre définitivement en rapport, d’une part à la ville et, d’autre part, à l’histoire. Cette
coordination « triangulaire »111 entre projet, l’histoire et la ville n’est pas simple et
nécessite de les concevoir ensemble, c'est-à-dire comme termes à la fois complémentaires,
concurrents et antagonistes. C'est selon cette perspective que les intervenants sur l’espace
démontrent que le projet doit « naître de l'existant ».
CONCLUSION
108
. ROGERS Richard, GUMUCHDJIAN Philip, 2000, p105.
109
. Idem.
110
. MINISTERE DE L'ENVIRONNEMENT ET DU CADRE DE VIE, 1980.
111
. CANIGGIA Gianfranco, MALFROY Sylvain, 1986.
Les tissus anciens peuvent être considérés comme une ressource non renouvelable, et donc à
sauvegarder, à économiser et à valoriser. Leur préservation et leur transmission serait même
devenue l’un des modes de légitimations privilégié de la durabilité à l’échelle planétaire. Ils
sont une ressource symbolique, étroitement lié à la question de la mémoire et de l’identité.
Parvenir à leur valorisation dans une perspective de la ville renouvelée s’attache surtout à
s’inscrire dans la continuité, au rejet de la table rase au profit d’une intégration des héritages
urbains dans la reconstruction permanente de la ville112.
Dans la perspective de cette ville renouvelée, on se trouve alors face à des questions et un
choix : effacer, conserver, transformer ou valoriser ces tissus anciens? Les réponses à ces
questions engagent la responsabilité collective vis-à-vis des générations futures. Il faut que,
cas par cas s’exprime une volonté politique, se construire une stratégie d’évolution urbaine, et
d’engager une démarche de projet associant les différents acteurs de l’aménagement et de la
population. Et ce choix de société ne peut s’opérer qu’à travers une stratégie par le dialogue
constructif entre les différents acteurs de la ville.
112
. GARAT Isabelle, GRAVARI-BARBAS Maria, VESCHAMBRE Vincent, 2008.
Chapitre III
La ville est le produit de processus historiques dans lesquels sont impliqués de multiples
acteurs. Lorsque on l’aborde, il convient de prendre en compte, non seulement l’espace
géographique, mais aussi les acteurs qui la construisent113. En effet, la ville est toujours un
construit d’acteurs, où, on ne peut se passer de les identifier et d’étudier leurs stratégies
spatiales, pour comprendre le sens des dynamiques urbaines qui s’y déroulent. Alors, quelle
est la place des différents acteurs dans la mise en place de ces territoires ? «L’espace n’est
rien sans ses créateurs qui sont en même temps ses usagers»114 et « les producteurs de
l’espace ne sont autre que les acteurs sociaux qui sont producteurs et consommateurs, à la
fois auteurs, acteurs et spectateurs »115. Cette complexité des relations entre acteurs va nous
faire réfléchir sur le processus de mobilisation et de coordination de ces acteurs urbains.
La première opération va donc consister à bien identifier tous les acteurs impliqués dans la
production urbaine, à essayer ensuite de percevoir les stratégies de chacun, certains diraient
leurs logiques d’action. Ces derniers, en effet, ne poursuivent pas tous les mêmes objectifs.
Une connaissance approfondie des aspects suivants est par conséquent fondamentale :
- L’identité des acteurs : Qui sont-ils ? Quelle est leur position au sein de la société ? Que
font-ils ? Quelles relations entretiennent-ils entre eux ? Quelles alliances se nouent ?
- Les valeurs qui caractérisent les divers acteurs : Que pensent-ils ? Quelles sont les logiques
et représentations qui guident leurs actions ?
113
. MULLER Pierre, 1997.
114
. KLEINSCHMAGE R, 1998.
115
. BRUNET Roger, DOLLFUS Olivier, p 46.
I- L’acteur : un système complexe
Ces individus peuvent appartenir à plusieurs groupes; en outre, certains acteurs, en dominant
la scène, en « cachent » d'autres qu'il est essentiel de prendre en compte. L’acteur possède une
compétence intentionnelle stratégique de nature à influencer les autres acteurs en termes de
décision et de comportement spatial.118
L’action est la raison d’être même de l’acteur. Il n’existe pas sans l’action réelle ou
potentielle. Cette action est de nature à modifier l’espace et/ou le comportement spatial des
autres acteurs, elle suppose une certaine puissance (le pouvoir), l’intentionnalité (l’objectif, la
finalité) et le déploiement d’une stratégie en vue d’atteindre un objectif.119 L’acteur est celui
qui agit, qui se trouve à l’origine d’une décision-action. Il ne peut être qu’intentionnel.
L’intentionnalité est cette capacité d’identifier un but à atteindre et de mettre en œuvre toute
une stratégie pour le faire. Enfin, les types d’acteurs varient en fonction des échelons
d'analyse considérés (espaces publics, quartiers, centres-villes, agglomérations, etc.).
Les villes sont la résultante d’un jeu de très nombreux acteurs urbains. Ces derniers divisés en
quatre grandes catégories défendent leurs intérêts et leurs valeurs respectifs. Il y a d’abord les
acteurs publics, associés à l’État au sens large, dont la logique est d’abord politique, et dont
116
. Dictionnaire Hachette, 2003.
117.
CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhard, 1992, p19.
118
. BELHEDI Amor, 2004.
119
. Idem.
on attend qu’ils soient les principaux «régulateurs». Les professionnels de l’espace
(architectes, urbanistes, ingénieurs), qui ont pour rôle, la planification, la conception et la
gestion de l’espace.
Il y a ensuite les acteurs privés, qui œuvrent dans la sphère économique et qui répondent à
une logique le plus souvent marchande. Il y a enfin ceux que nous nommerons les «acteurs
civils», qui constituent la société civile, dont on reconnaît depuis Gramsci120 qu’elle forme
une catégorie, autonome par rapport à la sphère de l’économie, alors qu’avant lui on se
limitait à une distinction binaire entre État et société civile121.
Si nous distinguons pour les besoins de l’analyse ces quatre types d’acteurs, il est clair que
certains recoupements existent : tous sont, dans une certaine mesure, des acteurs civils
(HUC); les acteurs économiques peuvent aussi être des acteurs publics, etc
Le rôle des individus inconnus, ne jouant pas un rôle officiel, est aussi à considérer. Les
décisions individuelles pour les implantations, les architectures, les espaces verts, les refus ou
l’acceptation de l’urbanisation participant sans doute à des modes, qui sont inhérents à un
ordre social plus vaste, mais l’expérience montre tous les jours qu’elles ont pourtant un
coefficient d’irrationalité considérable122.
120
. ANDERSON Perry, 1978.
121
. THERIAULT Marius, TRUDELLE Catherine, PELLETIER Mathieu, VILLENEUVE Paul, 2006.
122
. DELFANTE Charles, PELLETIER Jean, 2000, p 67.
I-2-2- Les professionnels de l'espace
Ils constituent des groupes de pression efficaces et interviennent de plus en plus dans le
processus urbain ; leur rôle est même fréquemment officialisé de telle sorte que le terme du
privé que l’on peut employer pour les décrire devient ambigu.123
De part sa puissance financière, l’acteur économique décide d’investir qu’en fonction d’une
rentabilité. Nous savons que dans les systèmes libéraux, la puissance des financiers est
déterminante car, n’investissant qu’en fonction de la rentabilité potentielle, leur action a une
influence directe sur le choix des secteurs à urbaniser ou à « re-urbaniser », sur la qualité de la
ville et de ses constructions.
Parmi ces investisseurs, on retrouve le promoteur, qui est un professionnel, maître d’ouvrage,
qui prend le risque financier d’un programme immobilier et le conduit jusqu’à son terme. Il
réalise ou fait réaliser des opérations de constructions125. Les promoteurs peuvent aussi bien
réaliser des immeubles collectifs que des maisons individuelles, des équipements publics ou
privés. Le promoteur agit en tant qu’acteur incontournable, il achète le terrain, au besoin
procède aux équipements, construit puis cède le ou les logements à de nouveaux propriétaires
dispersés dans les lotissements ou des copropriétés. Les bénéfices et les risques sont
123
. DELFANTE Charles, PELLETIER Jean, 2000, p 65
124
. REYSSET Pascal, 1997, p 28.
125
. Idem, p 37.
également énormes.126 Le métier de promoteur est un métier à haute valeur ajoutée mais aussi
à haut niveau de risque, d’où l’intérêt pour lui de limiter ce risque dans le temps et ne se
porter acquéreur que de terrains déjà aménagés ou équipés.
En général, les promoteurs n’achètent les terrains qu’avec des clauses suspensives jusqu’à
l’obtention du permis de construire et ne tiennent pas à conserver des terrains très chers, dont
le rendement financier est nul, et qui constituent des immobilisations sans profits, ce qui a
conduit à la très forte élévation des prix fonciers.
Chaque individu vivant dans la ville est donc un acteur tricéphale : Habitant, Usager et
Citoyen, à des degrés divers. Ce groupe d'acteurs est constitué : d'habitants, pour qui
l'appropriation de l'espace est essentielle ; d'usagers, qui se distinguent selon les pratiques et la
fréquentation qu'ils ont de l'espace ; de citoyens, qui se portent en responsables de la gestion
urbaine. Relevons que les HUC sont parfois difficilement cernables et leurs connaissances et
ressources (moyens juridiques, budgétaires, etc.) peuvent varier considérablement. Enfin,
selon s'il est isolé ou s'il entraîne une fraction importante de citadins, le pouvoir des HUC est
nul ou considérable.127
Nous estimons que les HUC sont d'importants « créateurs » d'espace, dans la mesure où ce
sont leurs motivations qui mobilisent fréquemment d'autres acteurs, débouchant sur des
126
. DELFANTE Charles, PELLETIER Jean, 2000, p 66.
127
. BASSAND M., STEIN V., COMPAGNON A., JOYE D., MEURY M, 1999.
actions concrètes ou, au contraire, entravant des projets (destructions prévues par exemple).
Mais les HUC sont aussi des « consommateurs » d'espace, car ce sont à travers les
appropriations multiples qu’ils génèrent (usages et/ou représentations) que la ville devient un
véritable lieu de vie.
Les manières dont les HUC conçoivent et utilisent l'espace construit et aménagé par les autres
acteurs constituent de véritables « baromètres » des opérations. L'enthousiasme, l'indifférence
ou la protestation des HUC face à un projet urbain sont des clés permettant de guider les
actions ultérieures. C’est donc à condition de prendre en compte les désirs/besoins des HUC
et de les consulter régulièrement que les professionnels de l'espace, ainsi que les autres
acteurs, produiront un aménagement dont les enjeux seront le mieux assumés. Cette
reconnaissance à l’habitant, usager et citoyen, du statut d’acteur urbain, implique la
reconnaissance de son autonomie et de la capacité de créativité dont il dispose.
Cependant intégrer les différents acteurs : politique, professionnel, privé et civil dans le même
processus, implique des rapports conflictuels et complexes entre eux, d’où la nécessité
d’une équité dans le partage de pouvoir, selon lequel tous les acteurs sont réunis autour du
développement d’un projet durable et commun de la société.
Ces acteurs en présence s’affrontent, s’allient, font des compromis, déploient des stratégies
qu’ils sont appelés à changer au fil du temps et en fonction de la réaction des autres acteurs et
de leurs contre-stratégies mises en œuvre. Complicités, compromissions, compromis et
affrontements, antagonismes et complémentarités sont différentes formes de relations
qu’entretiennent les acteurs qui constituent un véritable système d’acteurs permettant la
régulation, la dynamique et le fonctionnement du système (Figure n°1).
Cette relation équivoque et dialectique constitue le jeu d’acteurs à l’instar d’un véritable jeu
où les différents protagonistes mettent tout en œuvre pour gagner en passant par le voilement,
le dévoilement, la tractation tacite ou explicite, les manœuvres légales ou informelles, souples
ou même violentes parfois128.
128
. BELHEDI Amor, 2004.
Les acteurs
politiques
Les professionnels de
l’espace
- Décision
- Planification
Les acteurs
- Conception
privés
- Gestion
- Négociation
Les acteurs de la - Mise en œuvre des projets
société civile urbains
Les acteurs ont des intérêts divergents, voire contradictoires d’où la stratégie qui varie de la
composition à l’affrontement, qui combine à la fois la compromission et le compromis, la
compétition et l’alliance selon les conjonctures spatiales, les moyens disponibles et les marges
de liberté possibles. La dynamique spatiale vise le rétablissement d’un équilibre double,
d’abord entre les acteurs, ensuite entre les moyens, les objectifs et les contraintes de chaque
acteur à part; enfin ce que procure, représente chaque espace, sa valeur d’échange,
symbolique et d’usage. Comme cet équilibre est avant tout subjectif, différent selon les
acteurs et leurs fins, il en découle une dynamique permanente où chaque acteur tend à se
rapprocher de son seuil optimal d’équilibre. En effet, il n’existe pas d’équilibre absolu valable
pour tous les acteurs. Or l’acteur n’existe qu’à travers cette volonté compétitive, cette
stratégie de maîtrise ou de domination créant toujours le décalage.
Le comportement d’un acteur est l’expression d’une stratégie rationnelle utilisant au mieux le
pouvoir pour accroître ses assises (gain) à travers la participation négociée en manipulant les
partenaires. Le partenaire est en même temps l’adversaire, c’est ce qui exprime l’ambiguïté et
le rapport instable des alliances.
Crozier et Friedberg129 considèrent qu'il faut se concentrer, non sur la fonction des acteurs ou
des sous-systèmes au sein d'une organisation, mais sur les stratégies individuelles des
acteurs. Mais comment rendre compte de ces stratégies ?
Le petit Larousse130, définit la stratégie comme étant un « Art de coordonner des actions, de
manœuvrer habilement pour atteindre un but ». Il faut avant tout rechercher
systématiquement les régularités observées dans les comportements, qui doivent être
réinterprétées dans le cadre du modèle de l'acteur stratégique. Mais ces stratégies ne
dépendent pas d'objectifs clairs et précis, elles se construisent au contraire en situation, elles
sont liées aux atouts que les acteurs peuvent avoir à leur disposition et aux relations dans
lesquelles ils s'insèrent. Le concept de stratégie renvoie donc à différentes dimensions131 :
• Les acteurs agissent pour améliorer leur capacité d'action et/ou s'aménager des marges
de manœuvre.
• Les projets des acteurs sont rarement clairs et cohérents, mais le comportement n'est
jamais absurde. Il a toujours un sens intrinsèque.
• Tout comportement humain est actif dans la mesure où il est le résultat de choix.
L’acteur stratège, doté d’une rationalité limitée, agissant à l’intérieur d’un système de
contraintes, il est ainsi doté d’une marge d’autonomie et d’une capacité de choix. Cette
capacité de choix implique une aptitude à raisonner. Un autre aspect, qui résulte du fait de la
rationalité de l’acteur, est le sens qu’il donne à son action dont les fondements seraient à
chercher parmi les intérêts et des valeurs (tableau n°2).
129
. CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhard, 1992, p 19.
130
. Le petit Larousse illustré 2012.
131
. CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhard, 1992.
Tableau n°2 : Regroupement des types d’acteurs, de pouvoirs et d’actions Source : Rahal K
L'analyse des acteurs débouche nécessairement sur un questionnement sur leurs modes
d'organisation ; la notion de gouvernance permet de souligner la transition d'un type de
pilotage donné à un autre et implique la mise en œuvre de nouvelles relations entre l'Etat et la
société civile. Le concept de gouvernance s'oppose à celui de gouvernement qui lui, est
associé « à une forme organisée, rationnelle, cohérente, où l'autorité locale est le lieu naturel
et légitime du pouvoir local et des politiques »132. La gouvernance implique de s'intéresser «
non plus seulement au gouvernement, à ses pouvoirs et ses instruments, mais au contraire à
des mécanismes alternatifs de négociation entre différents groupes, réseaux, sous-systèmes,
susceptibles de rendre possible l'action de gouvernement »133.
Depuis quelque temps, nous nous trouvons en présence de mouvements émanant de groupes
de populations diversifiés qui défendent des intérêts particuliers, remettant ainsi en cause
132.
GALES P., 1995, p 58.
133.
Idem, p 59.
134. BRUNET-JOLIVALD Geneviève, HOLEC Nathalie, 1999.
135
. Le terme de gouvernance est d’origine économique, il est apparu à la fin des années 80 dans le vocabulaire
de la Banque Mondiale, à l’occasion de bilans sur la politique d’ajustement structurel menée depuis 1980.
Confrontés aux échecs répétés des programmes économiques d’inspiration néo-libérale mis en place par les
institutions financières internationales dans un ensemble de pays en voie de développement, les experts
incriminent le cadre politico institutionnel défaillant de ces pays et recommandent d’agir en amont sur leur mode
de gouvernement. Selon les experts, ce sont ces distorsions d’ordre politique qui sont à l’origine de la plupart les
problèmes économiques rencontrés en Afrique Latine, en Europe orientale ou encore dans les pays de l’Est.
l'efficacité de la gestion urbaine. La production et la gestion de l'espace se caractérisent, par
conséquent, par de nouveaux rapports de force et de partenariats : ce n'est plus une institution
municipale qui gère les nombreuses activités, de nouvelles formes d'actions publiques et
privées prennent progressivement le relais. La gouvernance implique donc « le déplacement
des barrières entre acteur public et acteur privé, et le brouillage des repères traditionnels
»136. En effet, il est fréquent que des acteurs privés se rallient à des actions d'intérêt
général et à l'inverse, que des acteurs publics se comportent selon les règles propres au
secteur privé (spéculations immobilières par exemple).
La gouvernance urbaine pourrait être considérée comme un dispositif qui permet des
nouveaux modes de production de la ville et qui réunit les acteurs urbain dans une démarche
commune qui intègre préoccupations sociales, économiques, environnementales et spatiales.
Cette nouvelle manière de mener la politique urbaine consiste à impliquer l’ensemble des
partenaires pertinents, sur une base très large, à soumettre les décisions au débat démocratique
et à rechercher l’efficacité par le consensus.
L’Etat se trouve par conséquent dans une crise de légitimité : il n’est plus l’acteur
prédominant, d’autres acteurs sont présents (société civile et ses représentants, acteurs
économiques, politiques ou publics), leurs rapports de force pouvant varier considérablement
selon les situations, les enjeux et les échelles. Enfin, ces « nouvelles » formes de transaction
mettent en scène des forces d’organisation qui peuvent avoir des logiques d’intérêt ou de
fonctionnement divergents, voire contradictoires. Il est donc essentiel de cerner la structure
des réseaux en présence afin de prendre en compte la complexification des sociétés
urbaines137.
La gouvernance représente donc une recherche de « règles du jeu » et peut être comprise
comme une transaction politique ayant pour partenaire l’Etat (les pouvoirs publics) et d’autres
(groupes) d’acteurs. Cependant, la gouvernance comporte le risque de devenir « chaotique »
par la présence d'acteurs multiples et diversifiés posant de sérieux problèmes de coordination
et ne facilitant guère la prise en compte des usagers. L'élaboration de règles du jeu établies de
façon explicite, ainsi que la mise en place d'une organisation claire et adéquate du système
sont des facteurs essentiels de réussite du partenariat.
136
. GALES P., 1995, p 60.
137
. Idem.
II-2- A la recherche d’un partenariat public/privé
Un projet, un plan, un programme ne peut exister que s'il résulte d'un accord, tant sur les
objectifs que sur les moyens, entre les partenaires publics et privés. Or, leurs relations sont
souvent empreintes d'une méfiance et d'une méconnaissance réciproques. La transversalité,
notamment entre les institutions, doit permettre de bâtir les différentes coopérations
d'objectifs138.
La notion de partenariat renvoie avant tout à une solidarité entres les différents acteurs publics
et citoyen, fondé sur le financement croisé, la participation, la concertation et le dialogue.
Il s’agit donc d’associer tous les acteurs concernés et d’engager toutes les ressources
appropriées dans la réalisation des projets de développement urbain.
Force est de constater qu’en dépit des discours sur la nécessité et la conduite des partenariats,
la réalité témoigne davantage de relations de méfiance et de concurrence entre les différents
acteurs publics et privés. La mobilisation active des partenaires est pourtant nécessaire pour
bâtir aux bonnes échelles de territoire les différentes coopérations d’objectifs, et tisser des
liens de cohérence entre les réflexions, les décisions et la mise en œuvre et les effets des
actions menées. Il s’agit là d’une garantie d’efficacité des politiques menées.
138
. ROUXEL Françoise, 2005.
139
. BENYOUCEF Brahim, 2001.
Cette collaboration des secteurs privé et public pose un certains nombre de questions et
soulève de nombreuses difficultés. Comment adapter deux « cultures distinctes » ?
Comment concilier les temporalités différentes ? Comment faire collaborer des personnes
intervenant à des échelles différentes ?
La mise en place de cette structure partenariale, qui essaye d’intégrer à la fois les différents
acteurs de la ville dans le processus de gestion et de production urbaine, redéfinit les rôles
respectifs du secteur public et privé. Désormais, le secteur public doit accomplir
essentiellement des fonctions d’assistance technique et réglementaire, confirmant ainsi son
rôle d’élément de référence des populations publics en matière de prévisions, et nécessaire à
la programmation d’équipements d’intérêt général, d’infrastructures et de servitudes, que les
acteurs et capitaux privés ne pourront prendre en charge.
Dans ce nouveau contexte, une convention entre l’Etat et le secteur privé est nécessaire, dans
certains cas de quartiers en difficultés où l’appropriation de l’espace est majoritairement
publique, la politique de la ville doit s’appuyer sur un partenariat essentiellement public,
regroupant plusieurs échelons politico-administratif, avec l’objectif principal de redynamiser
ces quartiers et les réintégrer dans la ville.
Dans le cas des tissus urbains anciens et les friches urbaines, qui sont dévalorisés et de statut
privé, l’Etat semble favoriser le rôle des acteurs privés, plutôt qu’aux quartiers d’habitat
social où l’appropriation publique est importante. Dans cette nouvelle optique le rôle de
l’Etat ne se résume pas seulement au financement mais aussi dans la coordination des
différentes actions ponctuelles dans une logique globale « penser globalement et agir
localement »140, où la planification urbaine serait le cadre rationnel commun à la multitude
d’interventions particulières.
En effet les investisseurs eux même sont demandeurs de réglementations urbaines qui
garantissent un environnement cohérent pour leurs réalisations. Ainsi le rôle de l’Etat consiste
essentiellement à créer les conditions de développement économiques et sociales, nécessaires
pour le bon déroulement des interventions urbaines.
140
. CLEMENT Vincent, 2011.
II-2-3- Les conditions de réussite du partenariat
Dans cette même logique, les collectivités locales doivent être encouragées par l’Etat pour
chercher à s’associer avec le secteur privé selon un modèle complexe de partenariat où se
mélangent voire se confondent les intérêts privés et publics. Autant le privé se doit de
connaitre le contexte institutionnel local sur lequel il intervient afin de mener une action en
adéquation avec les politiques en place, autant réciproquement la puissance publique doit
présenter à l’investisseur des garanties de soutien et « montrer la voie » en présentant des
charges foncières acceptables, un environnement d’accueil et un cadre de vie favorable, des
constructions d’infrastructures publiques….
La mise en place de ces structures partenariales est destinée aux autorités locales. Les
fonctions de ces structures consistent essentiellement à travailler avec les investissements
potentiels publics et privés. Le nombre d’acteur impliqué et la complexité des montages
financiers imposent la création d’instances collectives de concertation et de négociation,
capables de rassembler l’ensemble des acteurs.
Pour le bon déroulement du projet et afin de concilier les intérêts antagonistes des différents
acteurs, la mise en place de structures de concertation est obligatoire. Fondée sur la souplesse
et l’évolution, la concertation doit d’abord assurer et faciliter le dialogue entre les différents
acteurs du projet : Elus, habitants, aménageurs et urbanistes, services techniques, promoteurs
public et privé, associations,…etc. Elle peut se définir donc comme une méthode d’échange et
de dialogue entre acteurs, nécessitant une transparence de l’information.
Dans sa démarche, la concertation essaye de redéfinir l’aménagement urbain dans le sens d’un
plus grand souci de la qualité urbaine, mais aussi, de participation active. Elle se déroule au
sein d’un cadre préalablement défini, en accord avec l’ensemble des partenaires. Dans cette
structure souple, il faut définir dés le départ, le rôle de chacun des participants et les limites
d’actions. La concertation contribuerait aussi à la fabrication d’aménagements et d’objets
urbains en meilleure adéquation avec les usages urbains. A travers la formation de ces
dispositifs, elle participerait à la projection de formes d’urbanité141.
141
. L’urbanité renvoie d'une part aux relations et manières d'être, à un état d'esprit, des modes de vie, des codes
de conduite et des conventions particulières ; d'autre part, l'urbanité évoque un cadre spatial.
II-4- L’implication de la société civile
Premiers acteurs concernés par l’aménagement urbain, les citoyens ont un rôle de plus en plus
important à tenir dans le processus d’élaboration des projets. Il est souhaitable de les insérer
dès l’amont de la décision à la réalisation du projet. Sont concernés aussi bien le secteur privé,
que les associations, les habitants et les communautés.
142
. ZETLAOUI-LEGER Jodelle, 2005.
143
. BOUCHEMAL Salah.
gestion insurmontables, dont les problèmes de croissances des villes littorales et le
délaissement des centres anciens144.
144
. SAIDOUNI Maouia, 2000.
145
. La Caisse Nationale d’Epargne et de Prévoyance.
146
. La loi n° 86 – 07 du 4 mars 1986 relative à la promotion immobilière.
jusqu’en 1986, son rôle fut crucial, contrôlant du foncier à la demande, en passant par la
réalisation, l’administration et la promotion147.
Les réformes engagées ont donné naissance à un corpus de textes axés sur la libéralisation
foncière et l’instauration du principe de droit comme interface à toute politique urbaine :
- La loi 90-25 du 18 novembre 1990 sur l’orientation foncière : elle permet la création d’un
marché foncier concurrentiel et met fin au monopole des communes en rétablissant la liberté
des transactions aux propriétaires fonciers privés, provoquant ainsi une dynamique urbaine
assez rapide.
Ces reformes ont constitué une adaptation nécessaire dans le passage à une logique de
marché, afin de démonopoliser la gestion foncière et instauré un marché foncier libre régi par
un urbanisme réglementaire. Ainsi, toutes les conditions semblent être réunies en vue d’une
implication active de l’acteur privé dans la construction et la maîtrise d’ouvrage.
Cette révolution foncière s’est accompagnée par l’apparition de nouveaux acteurs dans la
gestion du foncier. Les plus importants de ces acteurs sont les propriétaires fonciers
réhabilités dans leur droit à des titres de propriété réguliers, notamment dans le cadre de
l’auto-construction et de la promotion immobilière (les instructions du 27-10-1993 et du
31-07-1994 stipulent, respectivement, la régularisation des titres de propriété pour les auto-
constructeurs et les promoteurs immobiliers)148.
147
. SAID Aimen, 2010.
148
. SAIDOUNI Maouia, 2000.
III-2-1- Les propriétaires fonciers privés : acteurs individuels
Après la libération du marché foncier, l’Etat n’est plus le seul intervenant ou l’unique
producteur de l’espace au niveau des villes ; les politiques engagées ont favorisé l’apparition
de nouveaux acteurs. Parmi eux, on retrouve les propriétaires fonciers, qui restitués dans
leurs droit après 1990, sont devenus des promoteurs, des lotisseurs, ou des spéculateurs, donc
des acteurs majeurs dans la production de l’espace urbain et du développement des villes, vu
qu’ils détiennent un grand potentiel foncier à l’intérieur ou à l’extérieur des périmètres
urbains.
La loi 90-25 du 18 novembre 1990 portant sur l’orientation foncière, qui a été un véritable
tournant dans le domaine foncier en Algérie, a fixé dès le début des années quatre vingt dix la
nouvelle consistance technique et régime juridique du patrimoine foncier ainsi que les
instruments d'intervention de l'Etat, des collectivités locales et des organismes publics. Cette
loi a abrogé les dispositions de l'Ordonnance 74-26 du 20 février 1974 relative aux réserves
foncières et venait en application de la Constitution de 1989 qui garantit le droit à la propriété
privée149 et l'indemnisation juste, équitable et préalable en matière d'expropriation pour cause
d'utilité publique.
Désormais « la propriété foncière privée est définie comme étant le droit de jouir et de
disposer d'un bien foncier et/ou droits réels immobiliers pour tout usage conforme à la nature
ou la destination des biens ainsi qu'à l'intérêt général légalement établi »150.
Elle est régit par les seules dispositions du Code Civil : « La propriété foncière privée est
obligatoirement établie par acte authentique, soumis aux règles de publicité foncière; dès
lors, tout détenteur ou occupant d'un bien foncier et/ou de droit réel immobilier, doit
nécessairement disposer d'un titre légal justifiant cette détention ou cette occupation ».151
149
. Article 49 de la Constitution Algérienne, Des Principes Régissant la Société Algérienne, 1989.
150
. Article 27 de la loi n° 90-25 du 18 novembre 1990 portant orientation foncière.
151
. Extraits de la Circulaire du 17 février 1991 portant application de la loi sur l'orientation foncière.
152
. Article 52 de la Constitution Algérienne, Des Principes Régissant la Société Algérienne, 1996.
notamment la reconnaissance, au départ, de la propriété privée, limitée à la propriété
individuelle à usage personnel ou familial, par la Constitution de 1976 et consacrée dans tous
ses droits par la Constitutions de 1989 et surtout celle de 1996. La libération économique n’a
pas juste permis aux propriétaires fonciers de se positionner dans ce marché foncier et
immobilier mais elle a aussi légitimé d’autres acteurs incontournables dans la production
urbaine ; les promoteurs immobiliers.
Depuis le début des années 1990, le secteur de l’habitat a connu des évolutions majeures.
Celles-ci découlent essentiellement de la libéralisation de l’économie Algérienne, des
privatisations de nombreux secteurs d’activité qui l’ont accompagnée et de la place nouvelle
qui a été accordée aux principaux acteurs du secteur privé. Les promoteurs immobiliers
constituent l’un de ces acteurs privilégiés.
Le décret législatif n° 93-03 du 1er mars 1993 relatif à l'activité immobilière définit le cadre
dans lequel en Algérie la promotion immobilière s'inscrit : « L'activité de promotion
immobilière regroupe l'ensemble des actions concourant à la réalisation ou à la rénovation
de biens immobiliers destinés à la vente, la location ou la satisfaction de besoins propres. Les
153
. Office de Promotion et de Gestion Immobilière.
154
. Article 3 alinéa 2 de la loi 86-07 du 4 mai 1986 relative à la promotion immobilière.
155
. Article 5 de la loi 86-07 du 4 mai 1986 relative à la promotion immobilière.
biens immobiliers concernés peuvent être des locaux à usage d'habitation ou des locaux
destinés à abriter une activité professionnelle industrielle ou commerciale »156.
Les promoteurs, publics et privés, et les coopératives immobilières sont astreints à un cahier
des charges pour procéder à des opérations foncières et immobilières, afin de permettre aux
pouvoirs publics de veiller au respect de la destination prévue pour les terres acquises.
CONCLUSION
L’aménagement des villes suscite de plus en plus de débats et de conflits qui mettent en scène
les acteurs publics, privés et d’autres issus de la société civile. Elle n’est pas entièrement le
résultat ni des pressions économiques, ni des pressions politiques, ni des pressions sociales, ni
des individus, mais un compromis entre elles. Mais, ce compromis est-il le résultat d’une
stratégie réfléchie ou bien le fruit du hasard ?
L’étude du comportement des acteurs nous a confirmé l’intérêt d’une catégorisation ternaire
de ces acteurs et le bien fondé de croiser cette catégorisation avec le rôle tenu par les acteurs,
soit comme instigateurs ou comme antagonistes dans les projets qui soulèvent des conflits.
Intérêt public/intérêt privé, voila une relation conflictuelle, antinomique entre acteurs urbains,
qui les amènent à avoir des stratégies diversifiées. Mettre au jour cette diversité et complexité
des jeux d'acteurs en les situant dans un contexte de démocratisation, de coordination et de
partenariat représente un enjeu de taille pour une meilleure gouvernance urbaine.
156
. Article 2 du décret législatif n° 93-03 du 1er mars 1993 relatif à l'activité immobilière.
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Tout au long de cette partie, nous avons étudié le processus de reconstruction de la ville sur
elle même à travers les tissus anciens et les acteurs urbains. Dans la présente conclusion, nous
allons revenir sur certains aspects abordés dans les trois chapitres ; aspects permettant de
démontrer la pertinence de cette recherche. En outre, les trois dimensions composant cette
conclusion peuvent se lire comme un cheminement pour la partie suivante. La première
propose une vision globale du phénomène de renouvellement urbain, la seconde met en
exergue le lien entre modèle des tissus anciens et interventions contemporaines. Enfin, la
dernière incite à une prise en compte des systèmes de valeurs propres aux acteurs urbains.
Durant ce siècle, les discours et les actions multiples fusent de toute part dans le noble but de
reconquérir les espaces dits difficiles par leur revitalisation, leur réhabilitation, leur
restructuration et leur démolition-reconstruction…etc. Mais ce qu'il conviendrait plutôt
aujourd'hui de faire, c’est de les inscrire dans un processus de renouvellement urbain. En
effet, d’après notre étude sur ce processus, il est apparu qu’effectivement les villes renferment
en elles des évolutions et des mutations, souvent intrinsèques et spontanées, fruits des actions
d’acteurs privés. La réussite de ce processus dépendra en tout premier lieu de la cohérence de
l'ensemble des actions déployées. Les stratégies, mises en œuvre, devront se faire à une
échelle d'ensemble tout en articulant les actions ponctuelles. Nous avons aussi ressenti le
besoin de réaffirmer la place et l’importance des tissus anciens dans ce processus de mutation
et de souligner que ces derniers, bien qu’en déclin, continuent à jouer un rôle fondamental,
aussi bien en tant qu’entité spécifique porteuse de multiples valeurs, qu’une partie de
l’histoire et de la mémoire. Ces tissus anciens constituent un enjeu principal du processus de
« la reconstruction de la ville sur la ville ».
Nous nous sommes ensuite penchés sur la question de l’alliance de l’ancien et le nouveau, qui
sous-tend les dynamiques spatiales. En effet, dans ce processus de reconstruction de la ville
sur la ville, les modèles de la ville ancienne sont le plus souvent en conflit avec une
conception inverse qui prône le progrès, la technique et l’innovation. Ce clivage ancien/
nouveau a depuis longtemps suscité des débats, sur le choix de démolition ou de conservation
et sur la légitimité ou non d’introduire la modernité dans un environnement ancien.
L’articulation et l’harmonisation de ce couple ancien/nouveau, en veillant à associer passé et
futur en émergence, sont les principaux enjeux de la reconstruction de la ville sur elle même
et particulièrement dans ces espaces anciens, tant convoités par les acteurs urbains.
Dans le troisième chapitre, on a abordé les représentations des divers acteurs concernés par
l'aménagement et la gestion de l’espace urbain. Nous avons avancé l'idée selon laquelle on ne
peut intervenir sur la ville sans la compréhension globale des systèmes d’acteurs. Cette idée
nous a incité à cerner les divers acteurs concernés par les processus de la production urbaine.
Nous avons pu constater qu’une multitude d’acteurs sont présents. L'identification de ces
acteurs et de leurs représentations nous est apparue essentielle, ceci dans le but de dégager
leurs stratégies d’actions déployées. Nous avons constaté que chaque acteur renferme une
stratégie bien propre à lui, et que cette diversité de stratégies les mènent à avoir des relations
conflictuelles, dont les intérêts sont divergents, voire contradictoires.
C’est ainsi que s’achève la première partie pour entamer la deuxième avec l’analyse de notre
cas d’étude : le tissu colonial de la ville d’Annaba, où on essayera de répondre à cette
question principale : Quelles sont les stratégies des acteurs privés dans le processus de
démolition-reconstruction du tissu colonial d’Annaba ?
Partie II
LA DEMOLITION-RECONSTRUCTION : ENTRE
MUTABILITE DU TISSU COLONIAL ET STRATEGIES
D’ACTEURS PRIVES
INTRODUCTION
Traditionnellement, les villes ne se renouvelaient que très lentement. Aujourd’hui, les villes
algériennes sont à leur tour entrainé par l’accélération des changements de toute nature. Ces
nouvelles temporalités urbaines résultent des effets convergents des mutations
technologiques, des dynamiques économiques, des modifications des modes de vie et des
comportements individuels ou collectifs157.
Depuis 1990, c'est-à-dire depuis l'ouverture économique du marché, à l’instar des villes
algériennes, la ville d’Annaba se transforme à un rythme impressionnant. Cette ouverture a
permis aux acteurs privés de se positionner par rapport au marché foncier et immobilier et
faire jouer leurs propres cartes. Ces protagonistes agissent principalement dans les quartiers
centraux, par le biais de transformation urbaine. Ce passage à une société libérale a généré
une intensification du renouvellement urbain et des destructions que les acteurs justifient le
plus souvent par l'obsolescence du cadre bâti. Ce rythme soutenu des recompositions spatiales
des espaces anciens semble aujourd'hui exiger de nouvelles formes urbaines et architecturales,
par le biais de stratégies d'adaptation permanente des ressources matérielles aux changements
socio-économiques.
Pour mieux comprendre ces mutations et cerner les stratégies de ces maîtres d’ouvrages
privés, notre choix s’est porté sur la ville d’Annaba. Pour ce faire, on a opté pour l’analyse du
cas de démolition-reconstruction du tissu colonial. Cette intervention, qui se développe de
plus en plus, trouve une justification partielle dans la propriété privée ; chacun reconquiert et
s’approprie son bien à sa guise et souvent au mépris de tout cadre réglementaire. Comment
cette nébuleuse de la petite propriété urbaine peut-elle participer pleinement au
renouvellement urbain ?
Quoi qu’il en soit les acteurs privés sont parmi les acteurs les plus importants. Cependant, il
est à la fois difficile de les identifier et, surtout de définir leurs multiples modes
d’intervention. Comme les autres acteurs de la fabrication urbaine, ils ont leur propre logique,
mais à la différence des autres, celle-ci est très secrète. Dans la plupart des cas, ils sont
invisibles avant qu’ils entrent en action. Quelle est l’ampleur des interventions privées
157
. CHALINE Claude, DUBOIS-MAURY Jocelyne, HADJIEDDJ Ali, 2003, p11.
réalisées à Annaba, sur le tissu colonial ? Quels sont les impacts urbains et architecturaux
résultant de ces types d’opérations? Et quelles sont les stratégies de ces acteurs privés?
- En premier lieu, l'étude va porter sur la mise en état des démolitions du parc immobilier
colonial, en analysant les différents actes de démolition/reconstruction, ce qui va mettre en
évidence l’étendue de cette action et placer le rôle des acteurs privés dans ce processus de
démolition-reconstruction.
- En second lieu, étudier via les études de cas, la situation « Avant/Après la démolition » et les
processus mis en œuvre dans le cadre d’opérations de démolition/reconstruction, afin
d’identifier les leviers, les attitudes porteuses et les changements résultants de ce type
d’action. Ensuite, évaluer les impacts urbains et architecturaux pouvant être tirés de ces
opérations de renouvellement urbain.
L’objectif poursuivi est de comprendre les mécanismes de mise en œuvre des projets, les
objectifs et les moyens utilisés pour les atteindre, les blocages rencontrés, les acteurs
impliqués, grâce à une enquête auprès de différents acteurs impliqués dans ces interventions
et essayer de décrypter les logiques des acteurs privés du marché mais aussi les différentes
stratégies menées par ces protagonistes dans le tissu colonial.
Le but est, en finalité, de faire le bilan de ces interventions ponctuelles de façon à mieux
comprendre ces mutations et pourvoir les intégrer dans le futur, dans leur contexte urbain,
économique et social. En effet, la compréhension de ces mutations récentes va nous permettre
de mieux préparer les mutations futures.
Dans le cadre de cette recherche, cette seconde partie sera structurée autour de quatre
chapitres : Tissu colonial face au renouvellement urbain ; La démolition-reconstruction :
pour quelles stratégies d’action ?; Les opérations de démolition-reconstruction : rupture ou
continuité ?; Identification et décryptage des systèmes d’acteurs privés et leurs stratégies
déployées.
Chapitre IV
Le tissu urbain résulte souvent d'une évolution lente et complexe. Pour bien le gérer, et en
particulier pour bien comprendre les mutations qui s’y déroulent, il est important d'avoir une
bonne connaissance des étapes qui ont conduit à la situation actuelle. C'est pourquoi on
trouvera tout d'abord dans ce chapitre une approche historique du tissu colonial de la ville
d’Annaba, ainsi qu’une analyse de l’indicateur d’une des formes de son renouvellement « la
démolition ».
La démolition comme acte préparatoire à la reconstruction ne fait pas toujours l’objet d’une
autorisation préalable en raison de la pratique et du caractère limité des cas dans lesquels une
autorisation est requise158. Cependant nous avons souhaité, dans le cadre des actions de
démolitions/reconstruction conduites au sein du tissu colonial d’Annaba, faire le point des
données disponibles aux services d’urbanisme d’Annaba sur les autorisations de démolir. Il
s’agit de jeter un regard particulier sur le renouvellement urbain et sur les différentes actions
des acteurs sur cette partie de la ville d’Annaba. Donc, Quel est l’ampleur du renouvellement
des tissus coloniaux ? Quels sont les principaux acteurs de ce renouvellement ? Les permis
de démolir représentent un indicateur de la mutabilité d’un quartier en ce qu’ils apportent
comme informations en amont sur l’existence, ou non, d’un processus de renouvellement en
cours. C’est d’abord un indicateur possible de la démolition pour reconstruire et donc une
aide pour apprécier le potentiel de transformation physique du tissu urbain.
Dans ce chapitre, on étudiera l’évolution et la mutation du tissu colonial, ainsi que les
différents aspects des autorisations de démolir sous différentes facettes. L’objectif est
l'analyse du cadre historique du tissu colonial, qui va nous permettre de comprendre comment
le périmètre qui nous intéresse s’est progressivement structuré selon un jeu de formes
particulier, donnant lieu à la réalité actuelle, ensuite analyser les demandes de permis de
démolir et évaluer le degré de mutabilité de ces secteurs coloniaux, en vue de déterminer le
rôle, l’importance, les modalités de l’action privé et pouvoir tirer les informations nécessaires
pour établir l'échantillon sur lequel l’étude va s’effectuer. Ce chapitre va être structuré en
deux points:
La ville d’Annaba pendant la période coloniale a connu une évolution sans précédant, et cela,
s’est traduit par des modifications sur le tissu traditionnel existant ainsi qu’une extension de
son tissu urbain. D’après notre analyse des événements et des caractéristiques de toute la
période coloniale, nous avons jugé nécessaire de la partager en six grandes périodes :
Cette période se caractérise par l’arrivée des français sur le territoire algérien. Au début de
l’occupation française en 1830, la ville d’Annaba (anciennement nommée Bône) couvrait une
superficie de 14ha159 (photo n°1). Le noyau de la ville se limitait à la vieille ville actuelle,
entourée de murailles turques, de la Casbah et d’un débarcadère en guise de port (carte n°1).
Très vite des opérations de démolition et de destruction du tissu traditionnel ont été entamées
dés 1833 sous prétexte de nettoyer et d’améliorer la ville. Cette période se caractérise par la
volonté des colons de faire des modifications sur la ville afin de s’adapter à ce nouveau tissu
qui ne coïncide pas avec la culture coloniale européenne. Ces changements se manifestaient à
travers l’élargissement des voies et la création de nouveaux percements ainsi que la
destruction d’une partie des remparts.
I-2- Période entre 1849-1868 : Juxtaposition et débuts d’une extension extra muros
Administrativement, par ordonnance du 31.01.1848, est née la commune d’Annaba (ex Bône).
En 1849, la ville européenne commençait à se démarquer de la vielle ville par le Cours
Jérome Bertagna (actuel Cours de la Révolution) et les premières extensions se sont traduites
par la disposition de quelques immeubles tout autour, marquant ainsi la rupture avec le tissu
ancien (photo n°3). La construction de la ville sur un plan ordonné n’a commencée qu’a partir
de 1850. Ainsi, les premières constructions entourant le noyau de la ville étaient
essentiellement des constructions militaires : caserne d’Orléans, caserne la Poudrière, caserne
159
. PDAU 2004, Annaba, chap.2, p6.
Photo n°1 : La vieille ville d’Annaba avec ses
remparts avant la colonisation française
Source : www.abcdelacpa.com
Carte n°1 : La ville de Bône (Annaba) Photo n°2 : Vue aérienne sur la vieille ville Carte n°2 : Evolution historique de la ville
en 1832 d’Annaba et l’apparition de la ville européenne d’Annaba entre 1832 et 1849
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la Batterie du Lion et caserne Place Faidherbe (actuellement Ben Bekka). Les travaux du port
débutèrent en 1856.
En 1865 fut construite la voie ferrée du Mokta pour acheminer le minerai de fer à Annaba, en
plus des travaux d’aménagement du port pour aboutir à un plan d’eau de 80 ha. Ces derniers
se sont poursuivis jusqu’en 1868 (carte n°3).
Entre 1865 et 1871, une ville coloniale a été construite (le centre ville actuel) en dehors de
l’ancienne. Pour des raisons de « protection », des remparts délimitant le périmètre de la ville
ont été édifiés par l’administration coloniale. C’est à partir de cette date qu’a commencé
l’édification d’une nouvelle ville propre aux règles d’urbanisme cités dans le plan
d’urbanisme régis en 1845, avec l’apparition d’un nouveau tissu totalement différent du tissu
existant à savoir la vieille ville. Ce nouveau tissu qui répond aux principes de régularité et de
symétrie se caractérise par un tracé régulier bordé de voies régulières très larges et qui a
donné naissance à des formes d’îlots réguliers. Ce tissu dit « haussmannien » se déploie dans
les différents espaces centraux de la ville. La trame définit des îlots constitués de plusieurs
immeubles mitoyens et alignés, formant ainsi un tissu continu avec des façades
particulièrement chargées de décors (photo n°4).
En 1874, un réseau de chemin de fer était lancé avec la construction de la ligne Annaba
Guelma. Avec le développement de l’industrie, la ville d’Annaba (ex Bône) devient de plus
en plus attractive; sa population atteint 30806 habitants en 1881.
Dès 1875, l’oued Béjjima qui envasait la petite darse et source de maladies pendant les
grandes périodes de chaleurs fut dévié vers la Seybouse. Les deux oued ne se déversaient plus
en mer que par un seul estuaire. Sur l'ancien lit du oued comblé, tout le quartier de la gare
ferroviaire sera créé. Pendant ce temps, le centre ville se développe ; monuments et édifices
publics s'élèvent et entourent le " Cours ", dont le plus imposant est sans conteste l'Hôtel de
Ville, construit entre 1884 et 1888. Entre 1869-1905, les constructions dans la zone appelée
aujourd’hui « hyper centre » ont été achevées et l’extension de la ville se dirigeait alors vers le
Nord-Ouest ainsi que le Sud Ouest (carte n°4).
Photo n°3 : La séparation entre la ville
européenne et le tissu traditionnel
« médina » par le Cours de la révolution
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Carte n°3: Evolution historique de la ville Photo n°4 : Le tissu régulier de la ville Carte n°4 : Evolution historique de la ville
d’Annaba entre 1849 et 1868 européenne (Centre ville) d’Annaba entre 1868 et 1905
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I-4- Période entre 1905-1925 : Apparition des premières extensions européennes
La ville qui comptait à cette époque 35000 habitants éprouvait le besoin de se libérer de la
contrainte que lui imposait sa vieille enceinte. Le décret du 28 Avril 1906 avait enfin
prononcé cette mesure qui permettait d’envisager l’expansion de la ville vers le Nord.
En 1905, les premières constructions recensés étaient : la cité El M’haffer, la cité Auzaz et
l’Usine à gaz. En 1909, la ville double de superficie avec les quartiers de « La colonne »,
« Sainte Anne » et « Saint Ferdinand ». Le développement de la ville était lancé, Annaba (ex
Bône) devenait de plus en plus importante. Le 4 août 1914, la ville comptait 40000 habitants
répartis en cinq quartiers nettement distincts ; la vielle ville, le faubourg « Sainte Anne », la
Pépinière, Saint Cloud et la cité Auzas.
Vers les années 1925, la nouvelle ville a pris une forme tentaculaire à partir du centre, avec la
création de certaines constructions telles que : le quartier résidentiel du Beauséjour inférieur,
le quartier de l’orangerie et la cité Chancel-Auzaz (actuellement Sidi Brahim).
Cette extension, donnait naissance à d’autres quartiers tels que « Ste Thérèse » et Chapuis
(actuellement Rizzi Amor). La colonisation agricole, attirée par la ville, a essayé de
maximiser ses bénéfices en implantant des constructions industrielles près du port telles que
les coopératives de tabac, coton, tomates, etc.…..
Au lendemain de la 2ème guerre mondiale, la ville prenait forme et l’on pouvait nettement
discerner une ségrégation dans la qualité du contenant et contenu des constructions.
Au Nord, le secteur résidentiel était occupé par les européens détenteurs des moyens de
production qui avaient édifié des villas de part et d’autres de l’actuel Boulevard du Ier
Novembre. Les villas s’étendaient du Beauséjour jusqu’à St Cloud auquel s’ajoutait le
quartier de l’Etoile (photo n°5). Ces maisons individuelles avec jardins, formant de grandes
propriétés privées, étaient édifiées pour une population européenne aisée.
Alors qu’au Sud et à l’ouest de la ville apparaissaient les premiers lotissements destinés à une
classe ouvrière tels que : Elisa, Juanola (actuellement Pont Blanc) et Juanoville (photo n°6).
Ces maisons individuelles mitoyennes avec cours, destinées à la population autochtone, dont
l’organisation spatiale semble être une réinterprétation de la maison à patio, du fait que la
cour fonctionne comme espace de transition entre domaine public et privé, n’ont fait que
diviser la ville en deux segments bien distincts ; ancrés racialement et spatialement.
La population d’Annaba (ex Bône) est passée de 86000 habitants en 1936 à 102000 habitants
en 1942. En effet, à partir des années 1950, suite à l’exode rurale, la ville va connaître un
mouvement démographique sans précédant, forçant une réaction d’urgence et précipitée de
l’administration coloniale pour faire face à ce besoin de logements (carte n°6).
I-6- Période entre 1955-1962 : Les premières formes de l’extension moderne avec le Plan
de Constantine
Vers 1955, la ville s’étendait sur presque la totalité de l’espace urbain actuel. Plusieurs
constructions ont été achevées :
- Le port, les entrepôts et hangars sur les quais tout autour du port avaient meublé l’espace
vide.
Entre 1952 et 1962, la ville d’Annaba (ex Bône) a connu une extension autour des quartiers
existants, suite à l’afflux de la population rurale (fuyant les représailles). En 1958, le plan
d’extension de la ville a été élaboré dans le cadre du « Plan de Constantine », selon un mode
de production capitaliste, ayant favorisé la ségrégation sociale. Et là, on voyait apparaître des
cités de recasement telles que : Cité Bou Hamra, Cité Sidi Salem, ainsi que des ensembles
représentés par : la Cité du 8 Mai, la Cité du 11 Décembre, les 1000 Logements et la cité
Kouba, où les immeubles de plus de dix étages projettent leur silhouette moderne sur les
artères. Les opérations de logement social collectif du Plan de Constantine se distinguèrent
Photo n°5 : Le quartier résidentiel de Saint
Cloud, tissu aéré avec des maisons avec jardins
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Carte n°5 : Evolution historique de la ville Photo n°6 : Le quartier de La Colonne, Carte n°6 : Evolution historique de la ville
d’Annaba entre 1905 et 1925 tissu dense avec des maisons mitoyennes d’Annaba entre 1925 et 1955
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par des compositions planimétriques variables, avec une base commune de leur conception
soit la rentabilisation de l’espace pour loger le plus grand nombre de population au moindre
coût, avec un bâti formé surtout de barres avec de nombreux vides urbains (photo n°7).160
En 1959, suite à une étude, la ville de Bône s’étendait du Nord au Sud sur près de cinq
kilomètres alors que sa largeur d’Est en Ouest ne dépassait pas deux kilomètres, soit moins de
10 km² (carte n°7).161 C’est de cette manière que la ville d’Annaba (ex Bône) s’est agrandie à
l’époque de la colonisation et a continué son évolution tentaculaire après l’indépendance
(photo n°08).
Après avoir essayé de reconstituer la genèse du tissu colonial d’Annaba, on arrive à l’ère
actuelle. Arrivé à ce stade, beaucoup d’interrogations se posent : Après l’indépendance,
comment la population algérienne s’est appropriée un modèle « européen » étranger à la
société ? N’a-t-elle pas provoqué la transformation de ce dernier ? Si oui, par quelles
réappropriations et quelles mutations ?
Ces modèles urbains conçues à l’époque coloniale, même s’ils ont été créés pour une autre
population ayant une culture et des valeurs différentes des notre et qui répondaient à un ordre
exogène à notre société, étaient des modèles de cohérence, d’identité et de signification. Mais,
la succession et le lègue de cet héritage ne se sont pas déroulés sans avoir laissé des traces.
De l’indépendance à nos jours, les tissus coloniaux ont été l’objet de processus de
réappropriation – transformation de la part de la population algérienne. Cette dernière s’est
appropriée un parc immobilier qui ne lui était pas destiné, qui ne répondait ni à ses besoins, ni
à ses idéologies, surtout pour qui la population ne représente aucune signification ou
attachement et ne lui reconnait aucune « valeur ». Tous ces facteurs entremêlés avec la
prédominance des aspects économiques et la dynamique du marché immobilier n’ont fait
qu’accélérer le processus de mutations de ces tissus coloniaux.
160
. SEMMOUD Nora, 2001.
161
. PDAU 2004, Annaba, chap.2, p6.
Photo n°7 : L’immeuble barre du Plan de Constantine
(Quartier de Menadia)
Source : www.annaba-photos.com
Carte n°7 : Evolution historique de la ville d’Annaba Photo n°8 : Vue aérienne de la ville d’Annaba en 1960
entre 1955 et 1962 Source : www.abcdelacpa.com
II- Le permis de démolir : un acte préparatoire du renouvellement urbain
Ayant pour principal objectif, l’analyse des stratégies des acteurs privés dans le
renouvellement des tissus coloniaux de la ville d’Annaba, une analyse exploratoire des
données a été effectuée préalablement à l'enquête auprès des maîtres d'ouvrage privés, afin
d'obtenir une vue d’ensemble sur l’ampleur et la nature de l’action de
démolition/reconstruction à Annaba.
La plupart des données relatives à la construction sont recensées par les services de la
construction et de l’urbanisme. Les données des permis de démolir sur laquelle l’étude a été
effectuée proviennent de la Direction de l’Urbanisme et de la Construction (DUC) et sont
fournies à l’échelle communale (commune d’Annaba). Au sein de ces établissements, il existe
un recueil officiel des noms et adresses des demandeurs de permis de démolir, qui a pour
principe de classer les dossiers par ordre alphabétique sur la base du nom de famille du
déposant. Il constitue l’un des principaux instruments de référence des documents
d’urbanisme. Toutefois, on ne pouvait pas l’utiliser comme base de données pour des raisons
de la classification des dossiers, et aussi parce qu’on ne pouvait retrouver le dossier que
lorsque l’on connaît le nom du déposant. Par conséquent, on a été contraint de procéder à la
consultation des dossiers classés par ordre chronologique ; il s’agit d’un classement par année
et numéro d’ordre de dépôt du permis de démolir. Désormais, il était possible de connaître
avec précision les nombres de dossiers de permis de démolir de chaque année sur une période
de dix années.
La collecte des données a permis de rassembler beaucoup d'informations utiles aussi bien
pour la conduite des visites de terrain que pour l'étape suivante, c'est-à-dire les entretiens avec
les maîtres d’ouvrages privés concernés par le renouvellement urbain. La principale difficulté
rencontrée lors de notre travail est la collecte des données relatives aux permis de démolir qui
a duré presque 12 mois. Il n’était pas aisé d’obtenir des informations sur les demandes de
permis, surtout que ces derniers sont classés comme documents confidentiels, ce qui a
systématiquement retardé notre avancement dans cette recherche. Après plusieurs refus, on a
finalement pu y accéder et constituer un échantillon assez représentatif de ces opérations de
démolition.
Remarquons que les permis d’urbanisme forment un indicateur assez imparfait des actions du
secteur de la construction. En effet, bon nombre de travaux de démolition peuvent être
exécutés sans permis de démolir162. Il est également assez courant de réaliser des travaux de
démolition sans en faire la demande du permis. Utiliser les permis de démolir comme source
de données pour l’évaluation du processus de renouvellement urbain nous amène, par
conséquent, à une sous-estimation en matière de travaux de démolition/reconstruction. Les
statistiques qui vont suivre ne représentent qu’une partie de la réalité de cette dynamique
urbaine.
Les informations fournies directement par le service d’urbanisme de la ville d’Annaba vont
nous aider à :
- Trier, sélectionner et extraire les informations nécessaires pour le bon déroulement des
enquêtes (terrain et entretien).
L’effet de mouvement des demandes de permis de démolir est de plus en plus fort et montre
que l'action de renouvellement subit davantage les effets de la conjoncture économique. Faut-
il considérer pour autant que le mouvement de desserrement des activités, lors de la
libération du marché, a provoqué une diffusion du processus de renouvellement ? Si tel est
le cas, on supposerait que la démolition des constructions serait alors moins une donnée
objective (mis à part les cas de grande vétusté) qu'un processus d’un système finalisant. La
demande de démolition devient dépendante du contexte général de production de l'immobilier
et de ses finalités, à savoir le gain économique. Pour répondre à cette question, il est
nécessaire d'analyser plus en détail le contenu même des opérations de démolition.
163
. Afin d’établir les statistiques sur le nombre de permis de construire et de permis de démolir, la direction de
l’urbanisme et de la construction nous a fourni que les relevés entre 2003 et 2010. Cependant, il ne nous a pas été
possible d’avoir les constats pour les années restantes, alors, on a mis le nombre de permis recensés lors de notre
propre collecte exhaustive.
II-2-2- Le permis de démolir : la constitution d’échantillons d’étude
L'opération de tri des données (permis de démolir) nous a conduit donc à l'identification de
deux groupes de dossiers : les dossiers proposés à l’analyse et les dossiers ne répondant pas
aux critères de sélection. Dans un premier temps, nous avons dû opérer une sélection dans ces
données, afin de ne retenir que les permis qui nous intéressaient, à savoir :
Notre échantillon ne prend pas en considérations les cas qui présentent les caractéristiques
suivantes :
Type de
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Total
permis
Déposé ? ? ? 1036 1066 1174 1170 1821 1173 1184 1106 ? 9730
Permis de
Refusé ? ? ? 452 401 589 542 1220 604 656 571 ? 5035
construire
Accordé ? ? ? 584 665 585 628 601 569 528 535 ? 4695
Déposé 33 31 30 37 49 61 58 67 52 71 71 33 593
Permis de
Refusé 6 5 4 8 18 28 14 21 16 32 38 20 210
démolir
Accordé 27 26 26 29 31 33 44 46 36 39 33 13 383
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Total
Permis de
33 31 30 34 40 27 23 56 46 37 0 9 366
démolir
La demande de permis de démolir est instruite par les services compétents de l’urbanisme de
la commune. Un exemplaire de la demande est transmis dans les huit jours qui suivent son
dépôt au service de l’Etat chargé de l’urbanisme au niveau de la wilaya, qui dispose d’un délai
d’un mois pour faire connaitre son avis, en concertation avec les services des autres secteurs
concernés (Personnes publiques, services ou organismes). Les services d’urbanisme sont
tenus de communiquer leur décision d’octroi ou de refus du permis de démolir par le renvoi
du dossier au demandeur. L’avis doit être dument motivé s’il est défavorable ou assorti de
prescriptions spéciales.
D’après le tableau n°06, près de 83% des demandes examinées ont fait l’objet d’un avis
favorable. Cependant, dans près de 17% des cas, un refus a été formulé. Dans la majorité de
ces cas, un recours a eu lieu. Parmi les raisons ou motifs du refus, on citerait :
- Les dossiers des demandes de permis incomplets (par exemple l’absence d’acte de propriété,
d’expertise technique, des documents graphiques tels que le plan de situation et le plan de
masse, de l’échelle au niveau des documents graphiques).
- La non-conformité du contenu de l’acte de vente avec les plans remis, notamment en termes
de niveau, des surfaces, du nombre de pièces ou de la nature de l’occupation de la propriété.
D’après l’analyse, on a constaté que le refus des administrations compétentes est toujours
centré sur les formulaires administratifs mais aucunement pour des raisons techniques (état de
la construction). L’état et la valeur de la construction passent au second degré alors qu’ils
devraient présenter les principaux axes de l’instruction de la demande du permis de démolir.
Le permis de démolir est une autorisation administrative devant être obtenue préalablement à
la démolition totale ou partielle d’un bâtiment. Le recours à la démolition, comme étape du
processus de production de nouveaux espaces, renvoie à des types d'intervention divers. On
distingue d'une part les démolitions intégrales, donnant lieu à des opérations de démolition-
reconstruction conduisant à modifier complètement la structure du bâti et l’affectation de la
parcelle ; et d'autre part, les démolitions partielles qui se produisent dans un bâti existant avec
seulement des aménagements internes et qui sont plus ou moins radicales. Le nombre de
demande de permis pour les démolitions totales restent relativement élevé avec 87,3% par
rapport aux demandes de permis pour les démolitions partielles (tableau n°07). Ce qui nous
amène à avancer l’hypothèse que les propriétaires favorisent la démolition totale pour
pourvoir effectuer plus de changement et avoir plus de liberté et de possibilité au niveau de
leurs stratégies et ne pas être contraint de suivre une structure déjà existante. Il faut aussi
spécifier que dans la plupart des cas, les propriétaires préfèrent effectuer des démolitions
partielles sans pour autant demander d’autorisation.
La démolition est un acte qui touche tous les secteurs, aussi bien l’habitat que les secteurs
d’activités et d’industries, mais à des intensités variables et suivant les stratégies des acteurs
impliqués dans ce renouvellement. Dans notre étude, la démolition concerne majoritairement
le secteur d’habitat avec 86,6% et particulièrement les maisons individuelles (tableau n°08).
Au plan du volume, la part réalisée par l’activité de démolition dans les secteurs industriel
(friche) et commercial est relativement modeste. Pour cette raison, on a décidé de se pencher
que sur les cas des démolitions des maisons individuelles coloniales.
Tableau n°05 : La localisation géographique des cas de démolition
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2011 Total
Dans le périmètre d’étude 31 30 30 32 35 25 25 51 39 31 8 334
Hors du périmètre d’étude 2 1 0 2 5 2 1 5 7 6 1 32
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2011 Total
Permis de démolir délivré 27 26 26 30 32 21 22 47 33 31 9 304
Permis de démolir refusé 6 5 4 4 8 6 1 9 13 6 0 62
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2011 Total
Démolition totale 33 28 23 21 37 24 21 47 43 36 8 321
Démolition partielle 0 3 7 13 3 3 2 9 3 1 1 45
En ce qui concerne les maîtres d’ouvrages, ils peuvent être classés en trois catégories :
− Les particuliers,
− Les entreprises du secteur privé (qu’elles soient spécialisées dans la promotion
immobilière ou non),
− Les pouvoirs publics.
D’après les résultats du tableau n°09, les entreprises privées ne jouent pas un rôle majeur dans
les opérations de démolition-reconstruction (1,5%) et les pouvoirs publics sont quasis
inexistant et laissent le marché à l’initiative privée dans ce secteur. Ainsi, Une information clé
à retenir des données rassemblées dans ce tableau correspond à la faiblesse des initiatives
publiques, qui ne représentent que 0,8% des cas de démolitions. Qu’on le veuille ou non, ces
chiffres démontrent qu’il n’y a pas d’implication des pouvoirs publics pour renouveler ces
quartiers anciens qui le nécessitent tellement.
En raison du caractère foncier privé du tissu colonial, les particuliers forment le principal type
de maîtres d’ouvrage lorsqu’il s’agit de démolition de maisons individuelles, avec 97.7%.
Parmi ces particuliers, on retrouve à la fois des ménages qui vont occuper les propriétés
reconstruites (auto-occupation) et des ménages qui vont vendre ou louer ces propriétés après y
avoir entrepris les travaux. Cependant, à ce stade on ne peut pas différencier ces deux cas de
figures.
Pour les propriétés reconstruites après démolition, on suppose une forte dominance des
entreprises du secteur privé et des promoteurs immobiliers dans la maîtrise d’ouvrage qui ne
peut être différencié par rapport aux particuliers à ce stade. Cette hypothèse de dominance
s’explique par l’ampleur des surcoûts liés à la démolition. Pour assurer une rentabilité de
l’investissement, des opérations de ce type nécessitent la reconstruction d’un nombre
important d’appartements par immeuble. Dès lors, elles nécessitent des frais que ne couvrent
que rarement les particuliers, sauf les plus fortunés. Il faudra donc s’appuyer sur une
meilleure mobilisation des moyens privés projetés dans ce secteur du renouvellement, afin
qu’ils alimentent des montages souhaitables pour le bien commun, c’est-à-dire des opérations
de renouvellement à caractère global.
II-2-2-2- Méthode d’analyse de l’échantillon retenu
Après avoir trié les demandes de permis de démolir, nous avons ainsi retenu 227 demandes de
permis sur un nombre de 366, soit un pourcentage de 62% (tableau n°10). Sur la base des
données du permis de démolir, on a pu retenir, entre autres, les indications qui revêtent de
l’importance pour notre objectif ; cerner les stratégies des acteurs privés dans le
renouvellement des tissus coloniaux en analysant le contexte avant/après démolition.
Ce qui nous a conduit à élaborer notre propre méthodologie de production de données, cela
via une fiche de collecte de l’information de chaque demande de permis de démolir. Ces
informations vont nous permettre d’avoir une vision plus claire du contexte « Avant la
démolition ».
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2011 Total
Habitation 33 28 26 21 34 25 20 49 43 30 8 317
Activité 0 3 4 13 6 2 3 7 3 7 1 49
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2011 Total
Particulier 32 31 29 33 40 27 22 55 46 34 9 358
Entreprise 0 0 1 1 0 0 0 1 0 2 0 5
Public 1 0 0 0 0 0 1 0 0 1 0 3
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2011 Total
Permis de démolir 24 22 19 18 27 16 16 32 20 26 7 227
Rubrique
Nature de l’information Objectif de l’information
N° Identification
Rubrique
Nature de l’information Objectif de l’information
N° Identification
Les données sur les conditions
d’utilisation ou d’occupation de la
Une description brève et complète de la propriété, incluant les
construction (affectation des étages et
La description de la caractéristiques de la construction afin d'obtenir des informations
propriété avant la nombre de pièces).
5 nécessaire à la compréhension de l’usage et l’occupation de la
démolition La surface totale de la propriété.
propriété avant la démolition.
La surface bâtie.
Le nombre d’étages.
Source : Rahal K
Tableau n°11 : Les rubriques de la fiche d’analyse d’un dossier de permis de démolir (Suite n°2)
Rubrique
Nature de l’information Objectif de l’information
N° Identification
Source : Rahal K
Tableau n°11 : Les rubriques de la fiche d’analyse d’un dossier de permis de démolir (Suite n°3)
Rubrique
Nature de l’information Objectif de l’information
N° Identification
Les documents démolir. (plan RDC, plan d’étage..). Pour certaines opérations, des documents
9
graphiques Plan des étages. photographiques ont été également insérés pour avoir un meilleur
Façade. aperçu de la maison avant la démolition.
Photo (seulement dans certains cas)
Les documents graphiques et photographiques accompagnant la
demande ont plus souvent été utiles pour compléter les données
manquantes, comme par exemple l’état de la construction. Ils ont
également rendu possible la localisation précise de chacune de ces
opérations.
Source : Rahal K
Après l’analyse des demandes de permis de démolir, nous disposons maintenant d’un nombre
assez important de cas d’étude. Le lourd travail de collecte et de rapport des données nous
permet maintenant de disposer d’assez d’informations sur l’aspect des constructions « Avant
démolition ». La poursuite de cette recherche devrait également s’opérer via la réalisation
d’une enquête de terrain afin d’avoir une vision « Après démolition ».
CONCLUSION
Sur la base de l’analyse des permis de démolir délivrés par les organismes d’urbanisme de la
ville d’Annaba, l'observation de l'évolution de la démolition pendant la décennie 2000, à
travers la principale modalité de « démolition intégrale », montre une importante activité de
renouvellement des maisons coloniales dans la ville d’Annaba. Le nombre de permis de
démolir, en continuel augmentation, semble donc dénoter une volonté de démolir et
reconstruire, tant de la part des professionnels et surtout des particuliers. Ce phénomène nous
laisse supposer que le marché de l'immobilier était désormais un marché de renouvellement.
LA DEMOLITION-RECONSTRUCTION : POUR
QUELLE STRATEGIE D’ACTION ?
INTRODUCTION
Si dans le chapitre précédent, nous avons analysé les permis de démolir relatifs à notre
périmètre d’étude, nous tentons à présent de placer ces demandes dans un contexte spatial, en
essayant de comparer les situations (avant/après) la démolition. Afin de définir les stratégies
d’action dans le domaine de démolition-reconstruction, on commencera par une étape de
diagnostic qui aura comme finalité principale d’identifier des secteurs touchés en matière de
démolition. L’analyse spatiale de ces opérations va nous permettre aussi d’apprécier un
potentiel de démolition en termes de concentration/dispersion. Chaque étude de cas décrit un
projet en le resituant dans son contexte spatial et historique (état avant la démolition). Elle en
détaille l'objet et sa phase dans le processus de démolition-reconstruction. Chaque cas va faire
l'objet d'une analyse détaillée et approfondie, tenant compte des données à disposition, d'une
rencontre avec l'ensemble des acteurs ou intervenants (maître d'ouvrage, commerçant,
voisin…), tout en veillant à bien tenir compte du contexte général dans lequel il a été établit.
Notons, toutefois, que pour appréhender l’objectif de ces projets de démolition, il est difficile
de se contenter d’un recensement des permis de démolir voire même de leur localisation.
Dans cette optique, on s'intéressera également à la nature du bien démoli. Alors, il est
intéressant de connaître la destination prévue des terrains libérés en enrichissant l’observation
d’éléments relatifs au projet futur ; Quelles sont les typologies de construction adoptées ?
Pour quelles fonctions et pour quelles catégories d’acteurs ?
- Présentation de la méthodologie,
La collecte des informations s’est faite à travers plusieurs étapes. Sur les 227 dossiers de
permis de démolir retenus, on a identifié 100 cas. En premier lieu, il s’agissait de prendre
connaissance de ces opérations sur terrain, en les repérant et en les visitant, afin de pouvoir
analyser leur localisation , leur architecture, la morphologie urbaine de leur environnement et
leur spécificités. Ensuite, établir un échantillonnage de plusieurs cas, leur nombre a dépendu
du temps et des informations disponibles. Il a de plus été déterminé dans une optique de
rencontrer une variété de types de situations. Plusieurs critères ont orienté le choix des cas.
Premièrement, la recherche est centrée sur le bâti colonial se situant en milieu urbain. C’est là
où se trouve l’essentiel de cas de démolition-reconstruction.
Et enfin, le choix a de plus été déterminé dans une optique de rencontrer plusieurs types de
situations contrastées au niveau de la dynamique de la démolition-reconstruction
(interventions terminées, interventions en cours, interventions à venir….etc).
Une méthode d’étude de terrain efficace est un outil pour une gestion stratégique de l’espace.
En effet, l’étude de terrain, nous a permis dans un premier temps, une bonne connaissance de
la réalité de terrain à propos de ces interventions de démolition-reconstruction. On a pu alors
identifier les lieux où l’action se concentre le plus. Enfin, on a pu identifier au plus tôt les
tissus bâtis qui subissent des mutations, principalement au niveau des fonctions qu'ils abritent.
Dans un second temps, cette connaissance spatialisée et évolutive du phénomène de
démolition-reconstruction va nous permettre une meilleure planification, ainsi que
d'éventuelles stratégies d’interventions.
Sachant que l’étude approfondie des cas demande beaucoup de temps, alors pour limiter la
durée du relevé de terrain, nous avons donc pris le parti de ne récolter que des informations
facilement repérables depuis l'espace public. En effet, dans un premier temps, il s'agissait
essentiellement d'avoir une vision générale des opérations de renouvellement des quartiers
coloniaux et pas nécessairement d'avoir une connaissance approfondie de chaque cas. La
récolte d'informations plus complètes a pu se faire lors d'une étape ultérieure, au cas par cas,
en fonction de la situation. Afin de pourvoir gagner du temps et pour nous faciliter le
déplacement sur terrain, on a regroupé les cas étudiés par quartier. Etant donné le sujet de
notre étude, nous avons donc décidé de porter notre intérêt sur:
• L'état du bâti colonial (des cas étudiés) et leur occupation; afin d’avoir une vision
« avant démolition »
• L’état et l’occupation ou affectation des cas étudiés après les interventions de
démolition-reconstruction.
Enfin, il nous a également paru intéressant de repérer les changements visibles de fonction
des constructions, qu'ils aient été effectués après la reconstruction. Ceci concerne
principalement les activités commerciales. En effet, la réoccupation de certains logements par
des commerces, par exemple, sont des signes de mutation des fonctions dans certains cas.
La description de ce contexte devait s'appuyer sur ces différents points, de manière à être la
plus descriptif possible. Cependant, une description aussi détaillée nécessite des informations
qui ne sont pas directement accessibles par une visite de terrain (l’état d’occupation, par
exemple) et qu’on n’a pu trouver réponse qu’en effectuant des entretiens avec les
propriétaires. D'autre part, certains de ces angles de vue pour la description ne sont pas
totalement objectifs et varieront en fonction de la subjectivité de l'observateur.
Les analyses de cas feront ensuite l’objet d’une synthèse sous forme de « fiches techniques »
qui doivent tenir compte de la grande diversité et complexité des cas envisagés. En effet, les
démarches sont loin d’être homogènes, que ce soit sur le plan des contextes généraux, des
objectifs poursuivis, de l’objet et de l’échelle de l’intervention, des acteurs impliqués…etc
Chaque fiche est un exemplaire unique dans le sens où elle se réfère à une demande de permis
de démolir sélectionnée et caractérisée par des critères tirés de la banque de données (tableau
n°12).
Dans cette collecte de données, nous nous sommes heurtés à des difficultés inattendues liées à
la complexité de l’identification des propriétés. En effet, lors de nos visites de terrains, le
premier obstacle et le plus fréquent dans certains cas était lorsque le bien se situait dans une
rue où les numéros (postaux) des propriétés ne sont pas précisés ou ils sont inscrits mais il y a
un décalage entre les numéros de porte (par exemple : on passe du numéro 50 à 70), dans ces
cas là, la visite de terrain n’a pas permis de localiser exactement la construction concernée. En
effet, à une même parcelle peuvent correspondre plusieurs numéros postaux situés parfois
dans des rues différentes. Ceci était très fréquent dans le Boulevard de Bouzerad Hocine où
d’après nos enquêtes, on était informé qu’il ya peu de temps, ils ont effectué un changement
au niveau des numéros postaux, ce qui nous a rendu l’identification des cas quasi impossible.
Dans ces cas, seul le recours au plan cadastral et une visite sur le terrain auraient pu
solutionner ces problèmes, mais par manque de temps, on a écarté cette piste de recherche.
Une autre difficulté ayant freinée notre recherche est le manque de concordance des
informations sur les permis de démolir avec la réalité du terrain. Par exemple, les adresses se
contredisaient entre l’acte de propriété et les demandes de permis ; dans la plupart des cas, la
différence se fait au niveau des numéros postaux, ce qui nous a rendu l’identification des cas
sur terrain encore plus difficile et dans certains cas impossible. On a rencontré aussi un autre
type de problème ; il est fréquent aussi que les descriptions de la base de données concernant
les travaux entrepris ne correspondent pas à ce que les maîtres d’ouvrage réalisent en réalité.
Les exemples sont multiples : la base de données parle de démolition totale alors que c’est
juste une démolition partielle ou juste une simple transformation ; de démolition de logements
adjacents alors que la démolition ne touche d’un seul logement ; de démolition de logements
et de commerce alors qu’il n’a jamais été question de démolir le logement,… etc
Une description plus fiable des travaux ne serait donc pas inutile. Rappelons également
qu’une précision des termes employés serait souhaitable, sachant que le terme « démolition »
peut recouvrir des réalités très diverses.
Tableau n°12 : Les rubriques de la fiche technique de chaque cas d’étude
Rubrique
Nature de l’information Objectif de l’information
N° Identification
- Nom et prénom,
Identification du dossier de la demande de permis
Le maître d’ouvrage - Numéro du dossier et année du dépôt
1 de démolir et du maître d’ouvrage.
3 construction périphérie urbaine, …), de les raccorder avec leur environnement urbain.
- Le type de rue, de quartier, Essayer de lier le processus de démolition avec
- Etat du quartier. l’état général des quartiers dont lequel les
propriétés sont insérées.
Source : Rahal K
Tableau n°12 : Les rubriques de la fiche technique de chaque cas d’étude (suite)
Rubrique
Nature de l’information Objectif de l’information
N° Identification
Source : Rahal K
II- Analyse spatiale des démolitions : délimitation du périmètre d'étude et identifications
des cas étudiés
Nous avons choisi le tissu colonial de la Ville d’Annaba comme territoire d’étude de par
l’assez grande diversité de situation existant en son sein (depuis les quartiers denses et
multifonctionnels du centre et l’hypercentre jusqu’aux lotissements périphériques les plus
banaux en passant par des quartiers bourgeois, des cités de recasements et des quartiers
d’ancienne industrie). Pour chaque demande de permis, nous avons déterminé le POS164 dans
lequel se situe la propriété (Annexe I).
Source : Rahal K
Sur base de la carte n°8, toutes les interventions, n'ont pas été cartographiées car elles n'ont
pas été repérées de manière exhaustive. Seuls les échantillons illustratifs ont été relevés.
D’après le tableau n°13, le couple centre ville /périphérie est un exemple explicatif de l’action
de démolition. On peut supposer que la logique centre urbain (investissement plus
conséquent), périphérie (faible investissement) est en partie valable en matière de démolition,
sauf pour un nombre limité de quartiers de la périphérie de l’hyper centre. Dans les quartiers
résidentiels bordant directement l’hyper centre, la dynamique de démolition apparaît assez
importante. Les avantages liés à la proximité du centre-ville semblent aussi pouvoir expliquer
la concentration de telles opérations dans ce type de quartiers. Pour l’essentiel, on observe que
les démolitions/reconstruction n’ont une réelle importance qu’au sein de quartiers centraux.
164
. D’après le découpage du POS (Plan d’Occupation du Sol) de 2008 de la ville d’Annaba.
Cela démontre que le facteur n°1 pour expliquer la présence de démolitions de logements est
le manque des disponibilités foncières en milieu urbain. Même si l’on dénombre quelques
démolitions en milieu diffus dans la plupart des quartiers, en règle générale, les secteurs les
plus denses sont les plus concernés par la démolition. Ainsi, en dehors de l’agglomération
centre, le tiers des démolitions est localisé dans l’hyper centre. Par ordre d'importance, le
centre ville (la Colonne1, une partie de l’Avenue Colonel Amirouche, Etoile, Beauséjour,
Majestic, Caroubier et Avant port) détient le nombre de démolition le plus important, avec
33%, puis les quartiers du POS Didouche Mourad (la Colonne2, Orangerie, Eliza, une partie
du Boulevard Colonel Amirouche) sont dernière avec 26% et le POS Champs de Mars
(quartier de la Gare, Usine à Gaz, boulevard de Bouzared Hocine, Avenue Bouali Said) avec
22%.
On observe également un fort taux de démolition dans les quartiers résidentiels du Nord (Pos
Menadia), comme le Caroubier, Patrice Lumumba, Kouba où on recense près de 17% des
autorisations de démolir. Concernant la situation dans ces quartiers traditionnellement
résidentiels et dits favorisés, on observe une tendance à la hausse depuis 2002. Ceci
s’explique, en partie, par le fait que ces quartiers sont les derniers à receler encore des terrains
de grandes tailles. Initialement occupés par des villas, ces terrains sont suffisamment vastes
pour accueillir des opérations de construction d’immeubles pour logement. Sachant que la
majorité des démolitions dans ces quartiers se font sans autorisation de permis de démolir,
pour raison que toutes les maisons sont non mitoyennes.
Les stratégies des acteurs de la démolition investissent le champ de la ville, animées par les
enjeux de la localisation dans la structure urbaine. Les maîtres d’ouvrages privés ont de plus
en plus une connaissance et une compétence en matière de pratiques urbaines qui leur
permettent de mesurer les avantages et les inconvénients de chaque localisation dans la ville.
Autrement dit ces stratégies de localisation renvoient à la capacité de maitriser sur le plan
symbolique et économique les éléments liés au type de construction et au fait qu’ils s’y
prêtent ou non au marché immobilier et économique et à leur proximité ou non des activités
économiques et de la centralité urbaine.
Notons, toutefois, que pour appréhender l’impact réel des démolitions et les stratégies prévues
par les maîtres d’ouvrage privés, il est difficile de se contenter d’un recensement des permis
de démolir voire même de leur localisation. Il est nécessaire de connaître la phase dans lequel
se situe le cas étudié dans ce processus de démolition-reconstruction et la destination prévue
des terrains libérés en enrichissant l’observation d’éléments relatifs au projet futur. Cela passe
par une mise en parallèle entre les cas étudiés et leur mise en chantier.
En finalité, chaque étude de cas a fait l'objet d'une analyse approfondie qui le décrit, en le
resituant dans son contexte spatial et historique (la situation avant la démolition), et qui en
détaille le projet et les étapes mises en œuvre. Nous présentons ci-dessous une brève synthèse
de ces études de cas. Celles-ci ont été classées par type de situations rencontrées, afin de
dégager les points communs entre chaque catégorie d’opérations. Nous présentons tout
d’abord les principaux résultats de l’enquête terrain. En complément, nous reprenons
certaines conclusions de l’entretien/enquête mené auprès des propriétaires. Il s'agit tout
d’abord de comparer les rythmes des démolitions, appréciés en fonction du nombre
d'autorisations de permis de démolir délivrées, à ceux des mises en chantier, afin de pouvoir
appréhender l'attitude d'acteurs plus ou moins « activistes » ou « attentistes » vis-à-vis de leur
stratégies. Seul dans les cas où les demandes ayant donné lieu à l’octroi d’un permis de
démolir, et pour lesquelles une visite de terrain a été effectuée, qu’on a pu différencier les
situations suivantes :
3%
Les travaux de reconstruction ont été interrompus et sont complètement
abandonnés
8%
Les travaux sont en cours de reconstruction (reconstruction inachevée)
21%
Les travaux de reconstruction sont achevés et les propriétés ne sont pas
encore occupées
2%
Les travaux de reconstructions sont achevés et les propriétés sont
40%
occupées
Total 100%
Source : Rahal K
D’après le tableau n°14, on remarque qu’il ya au total 8 phases du processus de démolition-
reconstruction ; chacune d’elles est représentative d’un nombre de cas et d’un processus
particulier qu’on va essayer d’analyser par la suite :
Le schéma de répartition des logements n’ayant pas encore été démolis par les propriétaires
est concentrique, avec une part de 20%, dont 3% sont abandonnés (photo n°09), accompagné
d’une augmentation des proportions au fur et à mesure que l’on se rapproche du centre ville,
plus particulièrement dans le quartier de la Colonne et la rue Tcherkaski. Sachant que la
moitié de ces propriétés ont dépassé le délai des 3ans du permis de démolir, ce qui le rend
totalement caduc. Les causes de la vacance ou du choix de ne pas encore entretenir les travaux
de démolition sont multiples. On distingue ainsi, les causes que les propriétaires ont livré lors
des entretiens, dont les blocages juridiques, les problèmes de succession, de partage entre
héritiers ou de litiges sur les limites avec voisins sont les causes principales que les
propriétaires évoquent lors des entretiens. Le manque de financement et la sous estimation des
coûts des travaux revient en deuxième position, et ce, pour les propriétaires qui habitent déjà
dans les lieux, sachant que pour certains cas les propriétés sont occupées par des locataires
(photo n°10).
Photo n°09 : Les travaux n’ont jamais débuté Photo n°10 : Les travaux n’ont jamais
et les propriétés sont complètement débuté et les propriétés sont occupées (Rue
abandonnées (Rue Zemour Ahmed) Tcherkaski Mohamed)
Source : Rahal K. Le 25/01/2012 Source : Rahal K. Le 23/01/2012
Et parmi, les raisons que nous avons supposées comme causes de la non démolition, on trouve
le désir de la spéculation. Les propriétaires préfèrent ne pas se précipiter sur les chantiers de
démolition, en attendant peut être une évolution favorable du marché, sachant que les prix des
marchés ne cessent d’augmenter ces dernières années, accompagné aussi d’une rétention et
d’un délaissement (attente, désintérêt du propriétaire, refus de mise sur le marché). La
vacance pour cause d’obsolescence ou d’inadaptation (logements vétustes, inconfortables) est
aussi prise comme cause présumée du choix des propriétaires d’abandonner leurs propriétés.
Une autre cause aussi qui nous a frappé est les difficultés de commercialisation. En effet un
nombre de propriétaires trouvent des difficultés de louer ou de vendre leurs biens et ce, pour
cause technique (dégradation), accompagné dans certain cas de mauvaise localisation
(impasse). Environ la moitié des immeubles inoccupés sont dans un état de délabrement fort
avancé. Cela est sans doute l’un des deux facteurs les plus importants pour expliquer le choix
de la démolition.
En résumé, cette situation de blocage est ponctuelle, et elle est volontairement gérée dans
l’attente d’une situation meilleure. La connaissance de la durée de la vacance permettra
toutefois d'approcher mieux la question de stratégie. Ces propriétés abandonnées constituent
en effet un grave handicap. Outre le fait qu’elles se dégradent plus vite que des immeubles
occupés, elles ternissent considérablement l’image du quartier. Parmi les cas des propriétés
qui n’ont pas fait objet de démolition, on a fait face à un cas particulier où le propriétaire
présume ne pas avoir fait l’objet d’une demande de démolition, malgré qu’il ya aucune
confusion par rapport au nom du propriétaire et du demandeur du permis. Outres les
propriétés non démolies, l’espace colonial regorge de cas de terrain mis à nue par la
démolition.
Les terrains mis à nue (terrains libérés après la démolition) qui représentent 9% des cas sont
des terrains vierges (photo n°11); ils constituent des espaces vides qui parfois déstructurent le
tissu bâti. Ils sont généralement utilisés, comme parking sauvage ou dépôt de déchets, ce qui
nuit à l’image de leur environnement. Dans cette phase les acteurs sont plutôt attentistes par
rapport au lancement de leur projet et ce pour des raisons de manque de financement, sachant
qu’une opération de démolition coûte aussi cher dans certains cas qu’une opération de
reconstruction, ou d’attente de l’octroi du permis de construire.
En moyenne, 85% des cas (ayant effectué les travaux de démolition) ont lancés leur chantier
de démolition dans les délais de 3 ans après avoir obtenu le permis de démolir ; les autres ont
pris du retard par rapport au délais, ce qui a conduit à l’échéance et l’expiration de leur permis
de démolir, mais ça ne les a pas empêché pour autant d’entamer les travaux de démolition et
ce, sous les yeux des administrations d’urbanisme.
Photo n°11 : Les terrains mis à nue (propriété Photo n°12 : Propriété partiellement démolie
totalement démolie) Quartier de l’Etoile (Avenue de Ben Boulaid Moustapha)
Source : Rahal K. Le 25/01/2012 Source : Rahal K. Le 26/11/2011
D’après le tableau n°14, les chiffres de la reconstruction confirment la tendance des maîtres
d’ouvrages à lancer les chantiers de reconstruction avec un pourcentage de 81%. Ces cycles
sont nettement reliés à ceux des mises en chantier de démolition, bien que généralement
décalés de plusieurs années. En effet, 29% des chantiers sont en cours de reconstructions,
dont prés de 8% des cas ont déjà commencé le chantier de la reconstruction mais ont du
l’arrêter généralement pour cause des couts élevés que peut générer une reconstruction,
surtout quand le maître d’ouvrage est un particulier qui fait de l’autofinancement (photo
n°13). Alors que pour les 21% restants, le chantier est en cours de reconstruction et ne semble
pas faire face à des problèmes ou des empêchements en particulier (photo n°14). Il faut faire
remarquer aussi, que ce pourcentage élevé des chantiers en cours de reconstructions durent en
moyenne quatre ans et donne un aspect non fini des opérations.
Photo n°13 : Les travaux de reconstruction Photo n°14 : Les travaux sont en cours de
ont été interrompus (Majestic) reconstruction (Rue Boussentouh Belkacem)
Source : Rahal K. Le22/01/2012 Source : Rahal K. Le 06/12/2011
En final et pour prés de 42% des cas, la reconstruction des propriétés est achevée, dont 2%
des propriétés achevées mais inoccupée (photo n°15). On retrouve les cas où les propriétaires
ont des difficultés à commercialiser leurs maisons (location ou vente). Cette proportion de
personnes ayant déjà tenté de revendre ou de louer leur immeuble depuis sa reconstruction
mais ne l’ayant toujours pas fait est un peu plus en baisse. On doit mettre cette proportion en
lien avec la volonté de nombreux propriétaires de ne pas céder leur bien en dessous d’un prix
supérieur au prix du marché pour un type de propriété et un type de quartier bien spécifique et
surtout de se faire des bénéfices par rapport aux travaux entrepris. Pour les 40% des cas
restants, les propriétés sont occupées soit par les propriétaires ou des locataires (photo n°16).
Photo n°15 : Les travaux de reconstruction Photo n°16 : Les travaux de reconstruction
sont achevés et les propriétés ne sont pas sont achevés et les propriétés sont occupées
encore occupées (Majestic) (Rue Ainouz Abdelaziz)
Source : Rahal K. Le22/01/2012 Source : Rahal K. Le22/01/2012
Dans cette perspective, il apparaît que la démolition-reconstruction des maisons coloniales
n'est pas un processus lent, régulier qui renvoie à une évolution continue, mais qu'il est fait
d'à-coups, d'arrêts et d'accélérations et que les acteurs engagés dans ce processus sont des
acteurs activistes. Celui-ci ne conserve pas systématiquement une destination identique à celle
pré-démolition et associe souvent de nouvelles fonctions ou change totalement d'affectation,
selon la stratégie du maître d’ouvrage.
La différence de signification attribuée par les acteurs privés à l’habitat ou à une activité
économique dans le logement constitue pour nous un indicateur précieux pour affiner notre
analyse des stratégies. Ainsi, nous avons donc pu définir trois types de stratégies qui se
distinguent chacune de l’autre par sa forme et sa représentation (tableau n°15) :
Source : Rahal K
L’habitat est depuis toujours un enjeu majeur dans le développement économique et social de
l’espace urbain. Voilà pourquoi, il reste le premier choix des acteurs privés en matière de
reconstruction sous ses deux formes, collectif et individuel, avec un pourcentage de 40%
(tableau n°15).
L’habitat individuel prend plusieurs formes. Globalement, c’est une maison occupant toute la
surface de la parcelle de taille plus ou moins grande, qui reste le modèle le plus représentatif
dans ce type d’intervention de reconstruction. L’habitation individuelle est soit isolée,
construite de manière diffuse dans le tissu urbain ou de manière plus organisée selon la
procédure de la réglementation du quartier. Elle prend la forme d’une construction isolée au
milieu de la parcelle avec 4 façades sans mitoyenneté, souvent située au milieu d’un jardin
privatif (photo n°17). Les constructions sont variées mais l'homogénéité du parcellaire renvoie
souvent une image paysagère pas vraiment uniformisée de par leur implantation, qui reste
souvent dominante dans son échelle et gabarit. L’occupation d’espace y est importante avec
une densité supérieure à l’occupation avant la démolition. Cette forme d’habitat renvoie
l’image d’un statut social et un confort recherché par ces acteurs assez aisés et qui trouvent sa
plate forme que dans certains quartiers, souvent bourgeois comme le Caroubier.
L’autre forme, qui reste la plus étendue est l’habitation individuelle dense. Ce deuxième cas
de figure concerne des terrains insérés dans les tissus centraux ou péricentraux comme
l’Orangerie ou l’Eliza, qui sont forcément mitoyens et souvent de petites superficies. Ces
formes d’occupation contraignantes ne sont acceptés par les bénéficiaires, qu’au regard des
avantages offerts par leur localisation. Cette forme urbaine est le résultat de la pression
croissante des prix du foncier et de la sur-occupation en matière de m² (photo n°18). Ça reste
probablement un champ de réflexion intéressant pour offrir aux maîtres d’ouvrage le plus
grand nombre des attraits de la maison individuelle tout en assurant une sur-occupation de
l'espace. On retrouve de nombreuses mitoyennetés et des dessertes en voies ou impasses.
Ce type d’habitat individuel à standing moyen mais à des échelles sur dimensionnées, en
allant de R+2 à R+4, bien qu’elles soient de taille importante, elles ne sont occupées en
moyenne que par 6 personnes seulement. Ces constructions, qui totalisent parfois jusqu’à 15
pièces, sont généralement conçues selon un immeuble de deux à trois appartement
indépendants, voire plus, chacun occupant parfois un niveau, dans certains cas avec deux
entrées indépendantes.
Quelque soit le groupe social concerné, une préférence très nette apparait pour ce que nous
appelons « villa-building » ou « immeuble-villa ». Son organisation spatiale se caractérise par
la superposition de plusieurs logements, plus ou moins indépendants dans un immeuble
implanté sur un même lot où cohabitent, dans des appartements séparés, les parents et les
enfants ménages. Généralement la cage d’escalier et les espaces extérieurs, tels que la cour, le
jardin et la terrasse sont utilisés en commun. Cette catégorie d’acteurs sépare totalement
l’espace des activités économiques de son lieu de résidence. Ce dernier est considéré comme
l’espace domestique privé par excellence, et il est protégé de toute incursion lié à l’activité
économique. C’est dans cette optique que la bourgeoisie localise son habitat dans des espaces
strictement résidentiel et bien localisés. Toutefois, il ne s’agit pas ici, quasi-exclusivement de
logement individuel comme c’est le cas des constructions avant la démolition. Une fraction
non-négligeable de permis de démolir entre dans le cadre de la réalisation d’immeubles
d’habitation.
Construction d’une hauteur minimum R+4, l’habitat collectif est disséminé un peu partout sur
la commune d’Annaba, souvent en proximité des voies principales, avec un tissu bâti
individuel très proche en arrière plan. Il est en majorité présent sur le Boulevard de la
libération et Ben Boulaid. Il prend des formes différentes selon sa localisation. Il est
majoritairement composé d’appartements avec chacun, balcon ou terrasse. Les stationnements
sont souvent intégrés au projet et les rez-de-chaussée sont toujours occupés par des activités
économiques afin de maximaliser la rentabilité économique (photo n°19). Le tissu collectif est
remarquable tant par sa forme bâtie, souvent imposante que par son organisation de l'espace
où le bâti y est disposé de manière discontinue. Son implantation par rapport au contexte est
souvent en désintégration urbaine, par rapport à son échelle et son gabarit. L’habitat collectif
contribue certes à l’intensité urbaine de la ville, à condition d’offrir une insertion aussi bien
urbaine qu’architecturale. Il n’est malheureusement pas adapté à tous les contextes urbains,
qui sont souvent avoisinés de maisons individuelles mais malgré cela il reste le choix de 16%
des acteurs privés comme le moyen le plus rentable pour eux (tableau n°15).
IV-2- Reconstruire pour une cohabitation des fonctions résidentielles et commerciales
Parmi les projets de démolition-reconstruction, ceux qui visent à associer le logement à des
activités économiques, notamment commerciales, occupent une place particulièrement
intéressante avec plus de 41% (tableau n°15). Dans cet habitat, le type et la taille des activités
installés confèrent à ces quartiers un poids économiques important au sein de la ville. Ces
activités recouvrent des commerces souvent de luxe (bijouteries, magasins de meubles…), des
professions libérales, des bureaux et occupent parfois plusieurs étages dans la maison.
Photo n°19 : Cohabitation entre l’habitat Photo n°20 : Cohabitation entre l’habitat
collectif et activité économique (Avenue individuelle et commerce (Boulevard
Ben Boulaid Moustapha) Ernesto Che Guevara)
Source : Rahal K. Le 26/11/2011 Source : Rahal K. Le 06/12/2011
L’importance de ce projet est soulignée par le fait que les acteurs privés, au moment
d’acquérir leur terrain, choisissent d’emblé les lots les mieux desservis par les voies et
écartent ceux desservis exclusivement par une impasse, comme ce fut le cas de plusieurs
maisons de types coloniales. Celle-ci, en tant que desserte semi-privée, est considérée comme
un espace qui rebute les passants et par conséquent la clientèle potentielle. Les habitants des
maisons qui se trouvent dans une impasse, font rarement ce choix d’articuler l’activité au sein
de leur habitat mais choisissent des commerces de proximité tels que l’alimentation générale.
Les acteurs privés sont ainsi plus sensible au choix de leurs activités économiques et aux
caractéristiques de la morphologie urbaine de leur habitat qui leur permettent une meilleure
maitrise de leurs projets et par conséquent une concrétisation de leurs stratégies.
Cette pratique est particulièrement visible dans tout le tissu colonial. Mais sa forme et son
contenu différent qu’un quartier à un autre. Dans les tissus qui forment les quartiers
populaires denses ou les anciennes cités de recasement comme Oued Dheb ou cité El
Moukawma les habitants réservent systématiquement dans leur logement un espace qu’ils
destinent à une activité commerciale ou artisanale (mécanique, tôlerie, ferronnerie), activité
qui doit leur permettre de s’adapter et à faire face à une situation de vulnérabilité sociale.
Mais cette stratégie de l’insertion d’une activité au sein de l’habitat est une pratique que l’on
retrouve également dans les quartiers favorisés, souvent situés dans des lotissements
résidentiels. Cependant, ces acteurs souvent aisés confèrent à cette pratique une signification
plus importante de celle des milieux populaires. Dans ce cas de figure, l’espace réservé aux
activités est plus important car il est conçu pour accueillir des entreprises, une profession
libérale ou des bureaux loués par étage à des entreprises. En revanche l’activité commerciale
dans ces quartiers centraux ou péricentraux n’est pas limitée à l’alimentation générale, comme
c’est souvent le cas dans les quartiers populaires, elle englobe également le prêt à porter, des
magasins de cosmétique, vente de céramique, etc, un commerce destiné à une clientèle aisée.
Ce mariage des fonctions devenu tellement important dans la conception de la société de son
logement et ses projections sur l’avenir que souvent les constructeurs entament d’abord la
réalisation de cet espace avant l’achèvement de la maison. A cet égard, ces activités
représentent une source de nuisance pour l’habitat voisin (bruit, déchets…) et déclenchent
souvent des conflits. Mais à cet égard une question se pose, est-ce que ces activités
économiques qui sont souvent intégrées dans des zones principalement résidentielles sont-
elles en règle par rapport aux instruments d’urbanisme ?
Les immeubles de bureaux ou des sièges de sociétés sont utilisés comme des outils de travail
mais surtout comme des objets de spéculation. Ces activités sont très employées dans la
reconstruction avec un pourcentage de 19% (tableau n°15), et pour cause, elles ont les prix
d’acquisition ou de location les plus élevés dans le marché immobilier. Alors, plus on densifie
et plus en monte en hauteur et très vite ces opérations immobilières deviennent spéculatives et
contribuent à entretenir la valeur des biens immobiliers de ces sociétés (photo n°21).
La dynamique économique dans le centre est toute relative et diversifiée, notamment du fait
de la concurrence de commerces implantés le long des voies principales. Les commerces
situés dans des zones urbaines de la première périphérie ou dans des centres urbains
secondaires sont plus ouverts. En effet, ils ne présentent pas la taille et l’attractivité des
centres ville. Alors les acteurs choisissent d’y implanter plutôt des immeubles de bureaux. En
dehors de cela, les commerces du quartier consistent essentiellement en magasins
d’alimentation, de prêt-à-porter ou autres magasins.
Cette dynamique économique locale repose sur un grand nombre de forces : l’Horeca
(Hôtellerie, Restauration et Café), un certain nombre de grosses entreprises, du commerce,
des services aux entreprises et des activités, etc. Le commerce est bien souvent le reflet du
dynamisme économique et contribue fortement à l’attractivité et à l’image positive de son
environnement. Les commerces situés dans des tissus urbains denses offrent une certaine
mixité avec d’autres activités (logements, bureaux, etc.), (photo n°22). Dans les centres
urbains et les hyper centres, le commerce peut prendre tellement d’importance qu’il menace
parfois les autres fonctions, en particulier le logement. Cette mixité et densité des activités
peut présenter certaines incompatibilités. En effet, certain nombre d’activités intégrées dans
les tissus coloniaux produisent des nuisances (odeurs, pollution, bruit, etc.), comme par
exemple : Salles des fêtes, salles de sport. Même si les normes de sécurité et de pollution sont
respectées, il est difficile de convaincre et répondre aux exigences des habitants vis-à-vis de
leur cadre de vie, ce qui mène souvent aux conflits de voisinages.
Les facteurs de contrainte ou les potentialités au renouvellement urbain sont inévitables aux
documents d’urbanisme. Ainsi, les affectations réglementaires du site peuvent être
compatibles ou non avec les stratégies des acteurs privés. Une connaissance des documents
d’urbanisme réglementaire locaux est donc nécessaire. En effet, les instruments d’urbanisme
(PDAU et POS) jouent un rôle très important pour la mutation des fonctions et se présentent
comme des indicateurs qui renseignent sur la mutabilité d’un quartier sous l’angle de
l’observation des dynamiques de construction pour les fonctions autres que le logement. Il est
nécessaire que ces instruments évaluent l'impact de la reconstruction dévolue aux activités
économiques sur l’évolution du territoire et il est nécessaire de connaître le type d’activité
implantée après la reconstruction. Est-ce que de part l’implantation des nouvelles activités
comme les bureaux ou les commerces, on pourrait conclure à l’attractivité du quartier et à
une tendance à sa valorisation ? Ou au contraire peuvent-ils nuire à son image et sa
composition spatiale ?
CONCLUSION
Dans ce sens, un des premiers enseignements que l'on peut tirer de l'analyse de la démolition
est, précisément, que le renouvellement du parc colonial est relativement déconnecté du
facteur de l’état du bâti. Le fait que les immeubles soient dégradés ou pas, ne constitue plus
un obstacle à la destruction, telle qu'elle soit. Ainsi, ce n'est plus l’état des biens qui détermine
le besoin de renouvellement, mais l'inverse. La démolition n'est plus une donnée objective
(mis à part les cas de grande vétusté), mais inscrite dans un système finalisant, c'est-à-dire
relatif aux stratégies que développent les acteurs privés de la filière de la démolition-
reconstruction (promoteurs, constructeurs, investisseurs…) pour en tirer profit.
L'analyse des motifs de la démolition permet par ailleurs de confirmer que ce processus de
démolition intégrale est principalement relié au dynamisme de la production immobilière. En
effet, la majorité des maîtres d’ouvrage insiste sur la "remise en valeur des sols", la "mise à
disposition des terrains", mais c’est surtout les perspectives de "reconstruction" qu'elles
offrent qui les guident dans leurs actions. Les perspectives de démolition-reconstruction
mettent en évidence les objectifs de la filière investissement de créer des opportunités de
réalisation de nouveaux programmes. Ceux-ci ne conservent pas systématiquement la
destination identique « l’habitat » et associent souvent de l’activité au logement ou changent
totalement d'affectation avec le choix des activités économiques, selon l'emplacement de la
parcelle dans la commune. En effet, la destruction renforce les activités de services ; les
logements délabrés insalubres sont remplacés par des immeubles collectifs ou de bureaux en
privilégiant les formes capables d’accroitre au maximum la plus valus des terrains, le tout
inscrit dans une doctrine bien encadrée dans le profit.
Ce processus spéculatif conduit nos tissus coloniaux vers un chaos, par une composition
d’éléments hétérogènes sans souci de l’intégration urbaine d’une part, de l’identité et du
patrimoine d’autre part. Alors, quels sont les réels impacts de ces interventions sur le tissu
urbain et son patrimoine ?
Chapitre VI
Ces transformations urbaines posent une série de questions : Quels sont les réels impacts de
la reconstruction sur le tissu colonial ? Dans quelle mesure ces opérations nuisent-ils à cet
héritage urbain ? La reconstruction peut-elle être envisagée comme une dynamique de
valorisation urbaine ou cette démarche principalement privée constitue au contraire un
danger pour la préservation du tissu colonial ?
Afin d’essayer de répondre à cette série de questionnement, ledit chapitre va être structuré de
la sorte :
Après la voirie, le deuxième élément fondamental d’une trame urbaine est constitué par les
découpages en lots de propriétés dont l’héritage demeure également sur de longues périodes.
En effet, même s’il est possible de faire évoluer le parcellaire par regroupements ou divisions
de parcelles, les transformations sur la trame parcellaire, en tant qu’élément fondateur et
organisateur de la ville, prennent plus de temps. C’est ce découpage qui conditionne en partie
les tissus urbains.
Les tissus urbains coloniaux sont aujourd’hui en mutation ; ils se transforment facilement et
fréquemment par le biais de densification des cœurs d’îlots et de réaménagements
parcellaires, sous l’effet des opérations de démolition-reconstruction. Ce phénomène
provoque une densification rapide des quartiers coloniaux, ce qui a des répercussions entre
autres sur la qualité des milieux de vie et sur les formes bâties: surhaussement des habitations,
construction sur la totalité des parcelles, diminution des espaces non-bâtis, hétérogénéité des
formes dans le milieu bâti, augmentation de l'utilisation des infrastructures présentes. Ce sont
ces transformations qui, en étant plus ou moins contrôlées, affectent la qualité et la richesse de
ces tissus anciens. Comment alors gérer les problèmes de densification tout en conservant
l’organisation spatiale représentative de ce type de tissu ? Comment faire évoluer la
reconstruction du tissu colonial afin de permettre un développement plus cohérent avec la
structure du tissu existant? Et où se situe donc le juste milieu ?
I-2-1- La densification du tissu colonial : congestion de l’occupation du sol
Il n’existe pas de statistiques à propos des superficies au sol pour l’ensemble du parc colonial
de la ville d’Annaba. Néanmoins, d’après notre banque de données, on peut supposer qu’une
proportion importante de propriétés démolies est située sur des parcelles plus ou moins petites
à moyennes par rapport au parc du logement (entre 200 et 500m²), avec 56% de ces parcelles
se situant principalement dans les quartiers comme l’Eliza, le Majestic, l’Avant Port et
l’Orangerie (tableau n°16). La superficie de la parcelle varie en fonction de sa situation
géographique. Les petites surfaces (moins de 200m²) sont situées dans les quartiers de l’hyper
centre, dans des anciennes cités de recasement comme Oued Dheb ou dans les quartiers de la
Colonne et l’Orangerie avec un pourcentage de 34%. Les grandes surfaces qui représentent
10% sont situées dans les quartiers bourgeois (anciennement européens) comme Patrice
Lumubia, Etoile ou le Caroubier.
Si l’on s’intéresse aux superficies bâties des cas de constructions achevés, on peut se douter
que, là aussi, les surfaces bâties des propriétés avant la démolition sont caractérisées par leurs
faibles tailles avec 88% pour une surface de moins de 200 m² (tableau n°17). Or, après la
démolition la tendance est plutôt réversible avec 64% pour la surface de plus de 200 m². Plus
on se rapproche du centre ville, plus la superficie habitable des logements a tendance à
augmenter. Voici une des raisons qui nous permet de comprendre pourquoi le parc colonial, et
plus encore au hyper-centre, sont caractérisés par un grand nombre de démolition. Les acteurs
de la reconstruction ont plus optés pour une stratégie d’optimisation dans l’occupation du sol,
afin d’avoir le maximum de m² et en conséquent avoir plus d’usage et de fonction.
Tableau n°17: Surfaces bâties des propriétés
Source : Rahal K
La reconstruction d’un bâtiment détaché ou d’une annexe reliée au corps de bâti est une
stratégie qui a été retenue par les propriétaires des parcelles, plus ou moins grandes, et qui ont
pour la plupart une arrière-cour qui accueille une seconde construction (photo n°23). La
construction d’annexes reliées au corps de bâti existant est une stratégie qui se jumelle
souvent à la construction d’un nouveau bâtiment. Le choix de ne pas restructurer la totalité de
la parcelle est du au fait que la parcelle est occupée par plusieurs propriétaires. Ainsi, l’achat
de l’une de ses propriétés déjà peu accessibles étant donné les dimensions de la parcelle et du
lot serait entravé par le nombre de propriétaire. Ce type d’opération s’observe principalement
sur les cas de constructions qui n’ont pas toujours démolies et qui ont souvent des litiges avec
le reste des propriétaires.
La stratégie de la restructuration complète de la parcelle consiste en la démolition du ou des
bâtiments existants occupants toute la parcelle pour reconstruire un bâtiment plus haut ou plus
grand (photo n°24). Dans la majorité des cas, le bâtiment reconstruit occupe toute la
superficie de la parcelle. Ce phénomène de restructuration totale se produit fréquemment sur
les parcelles les plus étroites. On remarque également que cette stratégie a été retenue par la
majorité des propriétaires des parcelles.
Tous ces éléments nous laissent penser que les stratégies de la reconstruction ne sont plus
inscrites dans l’axe de confort humain mais plutôt dans la recherche d’un confort économique.
Cependant, il est constaté que les parties de l’espace qui ne sont pas bâties, sont utilisées pour
des fins d’aménagement extérieur, par exemple : l’avant n’est exploité que pour un parking
afin de garer les voitures et les côtés de la maison individuelle ne sont pas ou peu pratiqués en
tant qu’espace de vie.
Tableau n°18: Surfaces non bâties des propriétés
Source : Rahal K
La forme la plus visible de cette intensification du sol urbain est la verticalisation. Ses aspects
les plus spectaculaires sur le plan des formes sont les centres commerciaux, les bureaux et les
grands immeubles d’habitation. Les parcelles sont densifiées, le bâti se modifie par
substitution ; la substitution fréquente des maisons individuelles en rez-de-chaussée ou en
R+1 (figure n°05) pour des immeubles de 4 à 5 étages ne fait qu’augmenter l’occupation du
sol (photo n°26). Est-ce que ce choix de la verticalité est une réponse à la pression foncière
ou une aspiration au profit ?
Figure n°05: Façade de la construction avant Photo n°26: Reconstruction en cours d’un
la démolition (Boulevard de la Libération) centre d’affaire à R+6 (état après la
Source : DUC démolition) (Boulevard de la Libération)
Source : Rahal K. Le22/01/2012
La recherche d’effets de proximité spatiale s’ajoute donc aux effets précédents pour éclairer la
surdensification. Ceci dit, cette suraccumulation de m² a eu des conséquences sur la
spéculation immobilière progressivement valorisée et densifiées. Par ailleurs les exigences
évidentes de constructibilité maximale des maîtres d’ouvrage et constructeurs sont freinées
par les logiques urbanistiques et par la réglementation (instruments d’urbanisme : POS).
Les diverses règles régissant l’occupation ou l’utilisation du sol peuvent être des freins ou des
accélérateurs à la densification et la verticalisation. Le coefficient d’occupation des sols
(COS) limite les surfaces de bâti permises au regard de la surface de foncier constructible : en
cas de COS faible, la rentabilité économique d’un projet sera moins forte. De même, les
règles d’emprise au sol, de retrait des constructions par rapport aux limites du terrain, de
hauteur maximale, limitent les possibilités de réalisations bâties. Un changement de
règlements des POS (notamment augmentation des COS) ainsi que le changement des
règlements de la nature d’occupation entrainent la construction de nombreux petits immeubles
collectifs dans des quartiers jusqu’alors uniquement constitués de villas ou de maisons basses.
Ce phénomène opérant en continu peut aboutir à une transformation fondamentale des
contenus résidentiels et des caractères du bâti de ces quartiers coloniaux principalement
résidentiels.
Source : Rahal K
Cette intensification, certains propriétaires la poussent encore plus loin qu’une simple
restructuration d’une seule parcelle, en essayant d’adopter une stratégie de regroupements des
parcelles, à savoir acquérir plusieurs parcelles avoisinantes afin d’étendre l’opération de
reconstruction, avec pour seule solution, le recours à une procédure de remembrement, afin
d’avoir plus de liberté quant à l’accomplissement de leurs stratégies.
La troisième stratégie que certains maîtres d’ouvrages adoptent lors des opérations de
démolition est le remembrement urbain. Certaines opérations s'attachent à démolir plusieurs
immeubles d'un même îlot afin de pouvoir en réunir les parcelles et d'y édifier un immeuble
de très grande taille. L'objectif visé n'est plus d'accompagner ponctuellement la modernisation
d'une parcelle, mais de transformer le tissu dans ce qu'il a de plus permanent et de plus stable :
le parcellaire. La structure urbaine coloniale souvent finement découpée peut constituer un
blocage à la réalisation de certains projets. L’exemple du quartier de la Gare montre qu’une
structure urbaine trop serrée ne permet de faire que de petits logements et laisse peu de
marges de manœuvre quant à la réalisation de grands immeubles (photo n°30). Alors arrive un
niveau où il faut regrouper des parcelles ou remembrer pour densifier encore, passer de
l’individuel au collectif. C’est ainsi qu’un même détenteur privé peut détenir de nombreuses
parcelles (photo n°29). Ces démolitions "groupées" sont destinées à édifier des immeubles de
plus de 1000 m2, pour le compte des entreprises et de promoteurs, portées par le mouvement
des fusions-acquisitions recherchant de très grandes surfaces pour leurs grands projets.
D’après le tableau n°20, le pourcentage des opérations ayant effectuées un remembrement est
de 9%.
La mutation urbaine que nos tissus coloniaux connaissent sur le plan morphologique et du
paysage urbain, ont essentiellement pour effet un problème d’intégration, à l’échelle aussi
bien architecturale qu’urbaine. L’observation des opérations de reconstructions permet de
déterminer si ces derniers sont en harmonie avec leur environnement. Dans cette lecture
peuvent se dégager des dispositions, des orientations dominantes du bâti : alignement, fronts,
ou au contraire discontinuité, espacement…etc. L’étude des hauteurs et des gabarits
complétant cette investigation, permet la mise en relation des hauteurs des nouvelles
constructions avec celles précédentes du site. De cette façon, apparaissent les ruptures
d’échelle (par exemple, coexistence d’un tissu pavillonnaire et de grand immeuble) ou
l’homogénéité d’un tissu.
Quand nous observons la démolition totale de certaines parties de ce tissu ancien colonial qui
sont généralement dans un état de dégradation, et ce, pour les remplacer par des constructions
dites « modernes ». Nous constatons que cette transplantation de typologies nouvelles avec de
nouveaux matériaux et de nouvelles formes, crée donc un nouveau paysage urbain, respectant
parfois l’ancien tissu, mais souvent, ne le respectant malheureusement pas du tout. Quant à la
transformation à l’échelle urbaine, elle concerne la perte de l’homogénéité du tissu colonial
par la démolition des structures anciennes et leur remplacement par les typologies nouvelles,
essentiellement constituées de « bloc », où la notion d’urbanité des quartiers coloniaux est
définitivement perdue.
Le paysage qui ceinture le tissu colonial de la ville ne laisse pas d’être paradoxal ; les
proportions, les volumes sont très différenciés selon la qualité des édifices mais constituent
des compositions souvent harmonieuses (photo n°31). A présent, les moyens techniques de
construction permettent d’élever en quelques mois une construction qui peut rompre cette
harmonie et créer des ruptures au sein du paysage urbain (photo n°32). Les maisons et
immeubles anciens sont ainsi progressivement remplacés par des immeubles plus grands et
souvent en rupture avec leur environnement. L'intégration urbanistique des différents
éléments des constructions n'est pas toujours correctement assurée, ce qui tend à banaliser et à
dévaloriser le tissu bâti.
Photo n° 31: Maison en RDC avec tuile Photo n°32 : Immeuble de bureaux en R+4
(état avant la démolition) (Avenue Saouli) (après la reconstruction) (Avenue Saouli)
Source : DUC Source : Rahal K. Le 06/12/2011
Photo n°33: Rupture d’échelle entre Photo n°34 : Une nouvelle échelle qui
l’immeuble collectif en R+5 et son voisinage remet en cause l’équilibre entre le bâti et
de construction de R+1(Boulevard du 1er son environnement (Rue Strasbourg)
Novembre) Source : Rahal K. Le 06/12/2011 Source : Rahal K. Le 12/03/2011
Les règlements jouent un rôle décisif. Par exemple le relèvement des niveaux autorisé par les
POS transforme le paysage des rues. L’évolution se fait parfois de manière chaotique. C’est le
cas pour beaucoup de grandes rues et boulevards où les règlements autorisent des hauteurs
très supérieures et où on remarque le plus grand nombre de démolition. Les contraintes de
prospect des nouveaux immeubles multiplient les reculements qui brisent l’harmonie des
fronts bâtis sur rue. Cette évolution est accentuée par la tendance à l’occupation du rez-de-
chaussée par des garages (commerce). Les administrations par leur manque de vigilance et la
défaillance dans leur suivi des chantiers, ont aussi beaucoup de responsabilité dans ce chao
urbain. L’omission de concordance du contenu des permis de construire avec ce qui est réalisé
en réalité nous pousse à se poser des questions, par exemple : un panneau de chantier sur
lequel est affiché que la construction (centre commercial) est à R+2 alors qu’en réalité le
projet en cours de reconstruction est à R+4. Alors, est-ce une simple erreur d’affichage ou
une manière de détourner les règlements ?et qu’en est-il du suivi des administrations dans
tout ce processus de démolition-reconstruction?
En termes d’insertion au paysage urbain préexistant, l’objectif est d’éviter ces ruptures
d’échelle par des opérations hors-sol où on a pour cas par exemple les grands collectifs au
contact d’un tissu pavillonnaire et qui soient hors d’échelle vis-à-vis du contexte de par leur
gabarit car l’intimité des habitants ne sera pas garantie. Il est donc particulièrement important
de moduler les hauteurs afin d’éviter les ruptures d’échelle brutales. La reconstruction doit
également être proportionnée à son gabarit initial et à la hauteur des différents niveaux de
constructions avoisinantes. Une surhausse importante peut écraser la perception d’une maison
de proportion horizontale. De la même façon, la succession de constructions mitoyennes
coloniales donnent un rythme à une séquence de rue. Ce rythme doit être préservé dans le cas
de constructions nouvelles disposant d’une grande largeur ou hauteur de façade.
Ce résultat de rupture n’est d’ailleurs pas nécessairement provoqué par la réalisation d’une
construction de grande taille mais peut être le fait d’une maison modeste (photo n°35). La
rupture d’échelle peut en effet provenir de l’introduction d’éléments à première vue
insignifiants, mais dont les dimensions perçues vont déséquilibrer l’ensemble des valeurs des
rapports de proportions antérieurs (photo n°36). Dans les quartiers comme l’Eliza ou
l’Orangerie, les effets des interventions sont très visibles, du fait du caractère contemporain
des nouvelles reconstructions. La composition de la façade apparait sous forme d’amalgame
d’éléments de styles différents (mauresque, moderne.. ) et où les matériaux utilisés sont très
variés, au point, où souvent sur une même façade, on trouve de la brique pleine, de la pierre
de taille, du fer forgé, marbre, mosaïque…etc.
Photo n°35: Maison individuelle en R+1 Photo n°36 : Reconstruction en cours d’une
avec tuile non mitoyenne (état avant la maison en R+3 avec commerce (état après la
démolition) (Cité Plaisance) démolition) (Cité Plaisance)
Source : Rahal K. Le 01/04/2006 Source : Rahal K. Le 26/11/2011
Dans ces secteurs urbains connaissant déjà une intensité en reconstruction, il s’agit de
s’inspirer du contexte architectural. Cela n’est pas contradictoire avec une architecture
contemporaine. L’ensemble des constructions existantes de ces zones est caractéristique d’une
époque, d’un style ou de singularités remarquables. Les couleurs, les volumes, les
modénatures, les décors, les menuiseries extérieures, les toitures, les clôtures, les portails, et
toutes sortes d’éléments singuliers y présentent un intérêt (photo n°37). Dans ces zones,
peuvent exister aussi des constructions similaires ou semblables ayant été réalisées au même
moment, avec la même conception, les mêmes volumétries, les mêmes éléments
d’architecture. A ce titre, il est nécessaire de préserver la qualité et la cohérence de l’ensemble
de ces constructions.
En termes d’architecture, l’objectif est d’avoir des quartiers où l’harmonie est préservée. Le
but n’est évidemment pas de reproduire les façades avoisinantes ou d’en faire un pastiche,
mais d’en saisir la composition et les proportions d’ensemble, ainsi que les rythmes afin
d’adapter la façade nouvelle à son contexte particulier. Ce faisant, cela n’exclut pas d’opter
pour un vocabulaire novateur et contrasté. Il faut s’inspirer des proportions, des rythmes et
des matériaux. Il s’agit surtout de ne pas proposer des produits uniformes et banalisés,
reprenant des éléments stéréotypés mais avoir le meilleur compromis, celui d’opter pour un
« style local ». La qualité du cadre de vie quotidien de tout un chacun passe nécessairement
par la qualité de l'architecture qui l'entoure.
Cette insertion des nouveaux projets dans la silhouette du tissu doit se faire de manière à
intégrer les nouvelles constructions de manière harmonieuse au contexte. Les ensembles dans
lesquels les constructions, les paysages, les aménagements existants de toutes sortes
présentent un intérêt et une homogénéité sont à préserver. Chaque projet doit donc être
composé de manière à respecter le contexte dans lequel il s’insère: l’environnement bâti, les
perspectives, la topographie…etc. L’objectif est d’éviter des implantations en rupture avec
l’environnement, c’est une insertion de qualité qui est recherchée, favorisant des transitons
bâties en accord avec le paysage. Par ces transformations des paysages urbains de ces tissus,
s’agit-il d’une revalorisation de l’image des quartiers, souvent dégradés ou au contraire
une dévalorisation par une perte de cohérence, d’identité et d’un patrimoine?
Un quartier se définit par sa morphologie, par ses frontières (limites naturelles ou bâties),
souvent par une architecture, par des usages, par sa relation au reste de la ville ou du centre
ville165 et par son image. On y renouvelant son tissu, ne risque t-il pas de perdre son image,
son identité, alors du coup il ne sera qu’un ensemble d’éléments hétérogène sans aucune
harmonie qui fait tant l’identité des quartiers coloniaux ? Est-ce qu’après tant de
reconstructions, peut-on toujours parler de tissu colonial ?
Les démolitions peuvent bien toucher la ville comme sa périphérie. Cependant, les
conséquences sont nettement plus dommageables en ville, car il s’agit généralement de
bâtiments qu’on détruit et que l’on abandonne, ou d’intervention toujours en cours de
165
. FAYETOU Philipe, 2000, p145.
démolition ou de reconstruction qui offre une image non finie de l’opération. Ces immeubles
abandonnés ou non achevés constituent en effet un grave handicap, outre le fait qu’ils vont se
dégrader plus vite, ils ternissent l’image du quartier. Certes, les maisons construites dans les
quartiers coloniaux sont porteuses de valeurs, par l’histoire, la mémoire et les traces de leurs
habitants et souvent par des valeurs architecturales (photo n°39). Mais la transmission de cet
héritage ne se concrétise pas forcément par une sauvegarde du patrimoine bâti. Dans la
majorité des cas, les propriétaires préfèrent la méthode bulldozer qui leur permet de
concrétiser leurs aspirations (photo n°40). Ces acteurs privés empiètent-ils sur l’héritage
urbain en réalisant ces travaux de démolition?
Photo n°39: Maison pas encore démolie Photo n°40 : Maison en Rdc avec tuile pas
en R+1 avec tuile (Eliza) encore démolie (Beauséjour)
Source : Rahal K. Le 23/01/2012 Source : Rahal K. Le 22/01/2012
Le tissu colonial regroupe les lieux les plus appréciés par ses habitants et contient des
éléments qui sont considérés comme les symboles de la ville toute entière. Il n’en demeure
pas moins que les raisons qui inspirent les démolitions sont avant tout dictées par des objectifs
économiques et sociaux, et non patrimoniaux. Les démolitions-reconstructions ne sont pas
effectuées au nom d’une prise en compte de l’héritage bâti colonial en vue d’une
revalorisation mais plutôt elles sont accompagnées de bien d’autres stratégies, qu’on va
essayer de décrypter par la suite. Notons tout de même que les acteurs considèrent que les
tissus dans lesquelles ils opèrent ne contiennent pas d’élément bâti digne d’intérêt. Ceci
montre combien la perception d’ensemble du patrimoine bâti, surtout dans un contexte
globalement dégradé, est négative voire inexistante, surtout par des personnes intervenant
dans le champ de la reconstruction. Et pour cause, les nouveaux propriétaires ne ressentent
pas un attachement particulier envers leurs maisons. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à les
démolir et reconstruire sans pour autant respecter les principes constructifs du tissu colonial.
Les tissus anciens ont eu notamment pour conséquence l'implantation de "bâtiment-building"
se démarquant du bâti existant par leur gabarit, leurs matériaux et leur style. Cette évolution,
qui n'a épargné aucun tissu, allant du centre à la périphérie, n’a pas souvent suscité la réaction
des habitants, loin soucieux de protéger leur patrimoine quotidien.
Ces tissus anciens constituent des espaces clairement identifiés, souvent riches d'un
patrimoine bâti assez homogène. En dépit des transformations qu'ils subissent, ils constituent
des zones privilégiées pour la bonne gestion du territoire communal. Les acteurs locaux
doivent prendre conscience du rôle joué par l'espace bâti, et en particulier par le patrimoine
bâti, comme levier de valorisation et de développement durable. Ces interventions de
démolitions peuvent bien toucher une parcelle, un îlot, une rue ou même bien un quartier. Une
prise de conscience est nécessaire quelle que soit l'échelle d'intervention sur l'espace bâti. Ces
éléments sont également nécessaires, comme une vision globale à long terme de l'espace bâti
sur lequel on intervient, pour une bonne connaissance de son évolution et une grande volonté
de porter à terme un projet global. Même s'ils sont certainement améliorables, les outils
locaux (Plan Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme, Plan d’Occupation Sol) peuvent
aider les acteurs locaux à aller dans ce sens pour une meilleure prise en compte du bâti
colonial dans les aménagements urbains.
On n’avance pas que tout le tissu colonial doit être protégé ou sauvegardé. La démolition reste
l’unique solution pour quelques cas (de vétusté extrême ou ruine), mais la prise en charge du
cas par cas est nécessaire afin d’éviter la disparition des constructions digne d’une valeur
historique ou architecturale. Sachant que de nombreux bâtiments anciens portent une valeur
symbolique ou affective importante, ils représentent des points de repère ou contribuent à
l’identification de quartier.
On note aussi que cette ambiguïté par rapport à la valeur du tissu colonial est entretenue dans
les textes réglementaires. Dans son article 41, la loi 98-04166 fait uniquement référence aux
centres historiques traditionnels tels la casbah, la médina ou les ksours sahariens mais
aucunement elle fait référence aux tissus coloniaux. Cette absence volontaire ou non peut être
préjudiciable à la sauvegarde du patrimoine que recèle le tissu colonial. Cet oublie soulève
aussi un certain nombre de questions sur la place à donner à l’héritage urbain colonial, et pose
le rapport de notre société à son histoire et à son patrimoine qui est aujourd’hui en péril et
avec qui on entretient toujours des relations confuses.
CONCLUSION
De ce fait, nous considérons que toute intervention de démolition-reconstruction quel que soit
son ampleur, son échelle de la parcelle ou de l’îlot, devrait en premier lieu chercher à
concilier les transformations nécessaires du cadre bâti existant avec son environnement
urbain. Cela suppose l’adoption d’une vision globale à l’égard de tout le contexte
d’intervention du tissu colonial. Il doit par conséquent obéir à une vision unitaire de
l’ensemble de ses composantes, et non un résultat d’interventions ponctuelles. L’évolution de
ces différents effets sur le tissu nourrit les réflexions sur l’évolutivité future de ces tissus
coloniaux. En outre, on peut estimer qu’au rythme actuel, quelques années seraient suffisantes
pour la transformation radicale du paysage des quartiers coloniaux et même de la ville
d’Annaba. Alors, qu’en est-il du devenir de ces tissus anciens dans cette logique de
reconstruction ?
Ces interventions de démolition-reconstruction, qui sont introduites dans le tissu existant sans
aucune préoccupation d’intégration globale, entre autre grâce à la faiblesse des règlements
d’urbanisme, ne sont que le fruit d’une action des propriétaires « maîtres d’ouvrages privés »
qui cherchent avant tout une plate forme pour accomplir leurs stratégies. Mais, quand la
stratégie de la plus value tient lieu de philosophie, la surdensification au sol, l’envahissement
du ciel et la transformation du paysage au mépris de structures qui assuraient une harmonie au
moins visuelle, ne sont plus compris. Qui sont ces acteurs privés qui empiètent sur le tissu
colonial? Et quelles sont leurs stratégies ?
166
. Article 41 de la loi 98-04 du 15 Juin 1998 relative à la protection du patrimoine culturel : « Sont érigés en
secteurs sauvegardés, les ensembles immobiliers urbains ou ruraux tels que les casbahs, médinas, kssours,
villages et agglomérations traditionnelles caractérisés par leur prédominance de zone d’habitat, et qui, par
homogénéité et leur unité historique et esthétique, présentent un intérêt historique, architectural, artistique ou
traditionnel de nature à en justifier la protection, la restauration, la réhabilitation et la mise en valeur».
Chapitre VII
En aval des enquêtes de terrain, notre démarche vise à poursuivre l’analyse en menant des
entretiens auprès de différentes catégories de maîtres d’ouvrage privés (tant les professionnels
que les particuliers) afin de cerner leurs représentations et stratégies par rapport aux
interventions de démolition-reconstruction qu’ils mènent dans le tissu colonial. Pour ce faire,
nous avons étudié les processus des opérations à partir, entre autres, d’enquêtes menées
auprès de cette catégorie d’acteurs.
Nous présenterons les résultats des enquêtes, afin d’obtenir un aperçu représentatif de la
réalité dans sa globalité. Rappelons que l’objectif de ce chapitre est d’identifier et de
décrypter les stratégies des acteurs privés dans le renouvellement du tissu colonial : d’une
part, étudier les processus mis en œuvre dans le cadre des opérations de démolition-
reconstruction, sur la base de diverses situations vécues par les acteurs privés, et d’autre part,
identifier les leviers, les enjeux et les attitudes porteuses de ces projets. Ce chapitre sera
structuré de la manière suivante :
- Méthodologie de l’entretien,
L’enquête a été menée de porte à porte sur une période d'enquête allant début Octobre 2011 à
fin Janvier 2012. Dans la majorité des cas, pour lesquels les maîtres d’ouvrage sont
interrogés, se sont des projets qui sont achevés ou des cas de reconstruction très avancés.
Cependant, puisque nous avons rencontrés des cas de projets non achevés ou qui sont aboutis
mais inhabités, nous n’avons donc pas pu s’entretenir avec les propriétaires des lieux. Pour
ces cas là, on a essayé de tirer le maximum d’informations soit des gardiens (dans le cas de
constructions non achevées), des voisins, des commerçants à coté, façons qui nous a un peu
aidé dans la collecte des informations et à répondre à certaines de nos questions soulevées. La
récolte des données a été effectuée du samedi au jeudi entre 10 heures et 17 heures.
Malheureusement, la période d'enquête a été dominée par le mauvais temps, ce qui
naturellement a eu un impact assez négatif sur nos enquêtes et ce qui nous a contraint dans
certains cas de reporter les visites de terrains.
Ces entretiens se sont fait auprès d’un panel de maîtres d’ouvrage privés ayant réalisé des
travaux de démolition/reconstruction au sein du tissu urbain de la commune d’Annaba.
L’enquête porte sur les demandes de permis de démolir sélectionnées et le groupe ciblé était
composé des demandeurs des permis qui sont aussi les maîtres d'ouvrage des projets. Comme
mentionné au chapitre IV, trois catégories de maîtres d’ouvrage ont été distinguées : les
particuliers, entreprises privées et les pouvoirs publics. Malgré certains points communs,
chaque type d’acteur répond à des logiques qui lui sont propres ; logiques qui orienteront ses
pratiques lors du montage de l’opération de démolition/reconstruction.
L’objectif de ces entretiens est de préciser les stratégies des maîtres d’ouvrages privés et
essayer de comprendre le processus d’acquisition, démolition et reconstruction. L’entretien
envisagé auprès des propriétaires vise à répondre aux finalités suivantes :
- Identifier et expliciter les stratégies et les aspirations de ces propriétaires par ces
interventions,
- Vérifier et faire coïncider les informations tirées de l’analyse des demandes de permis de
démolir avec la réalité du terrain,
Comme nous l’avons déjà précisé dans les chapitres précédents, il s’est avéré, lors de nos
entretiens, que la base de données des permis de démolir est bien imparfaite pour appréhender
la réalité de manière efficace. Les quelques lacunes déjà formulées dans les chapitres
précédents sont toujours d’actualité dans cette partie du travail (classification difficile du type
de maîtres d’ouvrages, indications manquantes quant à l’occupation des constructions ou à
leur localisation …). A celles-ci, de nouvelles s’ajoutent :
La difficulté de correspondre les informations tirées des permis de démolir au terrain. Dans
notre analyse des permis de démolir, lorsque le maître d’ouvrage était renseigné sous la forme
nom-prénom, nous l’avons assimilé à un particulier, or, il s’avère qu‘il s’agit parfois d’un
particulier qui représente une entreprise ou un promoteur.
L’autre difficulté est que les maîtres d’ouvrage montrent parfois une réticence à nous livrer
des informations sur certains aspects de leur activité. Les cas où ceux-ci refusent
catégoriquement de répondre à notre enquête sont toutefois rares. Par rapport à l’ensemble des
quartiers étudiés, il semble que l’opacité sur l’activité des maîtres d’ouvrage soit légèrement
plus importante et fréquente aux quartiers plus ou moins aisés où les propriétaires se sont
avérés plus méfiants et retissant par rapport aux réponses données. En effectuant les enquêtes,
des questions ont été supprimées de la grille d’entretien en vue de la sensibilité des personnes
face à ces questions et à fournir des réponses comme par exemple sur le niveau d’éducation,
le prix de l’acquisition..etc.
Cependant, cerner à travers ces enquêtes « entretiens » les stratégies propres aux acteurs
privés s’est avéré complexe et a posé un certain nombre de problèmes : non concordance des
réponses fournies avec les conceptions réelles des interlocuteurs, difficulté à aller en
profondeur par rapport aux réponses données, etc. Mais, on peut cependant estimer que des
réponses spontanées et rapides des interlocuteurs ont été parfois plus proches de la réalité que
celles accordées de façon réfléchie.
Sachant qu'abstraction faite des opérations conduites par les opérateurs publics, l'activité
immobilière du secteur privé dans le domaine de renouvellement se chiffre en millions de
dinars. Plus particulièrement focalisée sur les territoires centraux, les espaces concernés par ce
processus de démolition-reconstruction remplissent dans le tissu colonial deux conditions :
une position favorable dans le champ de valeurs foncières (potentiel de rente) et un potentiel
de transformation et d’intensification (au sens technique et réglementaire). L’étude de ce
marché devenu porteur peut être un indicateur de l'évolution du marché du renouvellement et
des stratégies des acteurs privés et permettre d'anticiper les possibilités de mutabilités liées à
l'évolution du bâti ou à son occupation. Sachant qu’un marché actif peut être un signe
d’investissement par les acteurs privés, il est intéressant de connaître l'importance et les
modalités des transactions des biens immobiliers mis sur ce marché de renouvellement.
En outre, la mise en place d'une action et d’une stratégie efficace du renouvellement urbain
supposerait au préalable la compréhension des mécanismes régissant le marché foncier et
immobiliers privés dans le domaine de la démolition-reconstruction. Sachant que, les marchés
fonciers et immobiliers en Algérie se caractérisent toujours par leur opacité, leur non-fluidité
et une information presque inexistante, on a essayé de coordonner les résultats de l’analyse de
« l’acte de propriété ou de vente » avec ceux des entretiens pour pouvoir en tirer certaines
informations.
Afin de décrypter les stratégies des acteurs, on a tenté de mettre la relation entre l’année de
l’acquisition et l’année de l’obtention du permis de démolir, pour vérifier, si les acteurs ont
des stratégies d’acquisitions ciblées ou pas. En effet, si l’acheteur a acquis le bien peu de
temps avant de faire la demande de permis de démolir, on est inscrit dans une stratégie
d’acquisition-démolition, alors que s’il était déjà en possession de ce bien quelques années
avant de décider de passer à l’acte de démolition, alors on est dans une stratégie d’adaptation
ou d’amélioration, dans le sens où l’acquisition ne s’est pas faite juste pour des raisons de
démolition.
Source : Rahal K
Pour les 26 % des personnes ayant fait la demande après 10 ans ou plus de l’acquisition sont
des personnes qui occupaient déjà ces propriétés avant la démolition, et dont l’occupation est
antérieure à la demande de permis de démolir lorsqu’il s’agit de la maison familiale dans
laquelle ils ont vécu et dont ils ont ensuite hérité. La part des propriétaires qui se sont portés
acquéreurs du bien entre deux et dix ans est assez limitée, 14% dans l’ensemble.
Les transactions effectives devront être questionnées au regard de leur importance et des
niveaux de prix, mais aussi des types d'acheteurs et des modalités de transmission. La
connaissance des types d'acheteurs, ainsi que les transactions effectuées, peut interroger sur
l'orientation du marché, et ce qu'elle peut éventuellement entraîner comme mutabilité.
Source : Rahal K
La transmission des biens est le mode d’acquisition le plus courant puisqu’on devient
propriétaire d’un bien à partir d’une transaction avec l’ancien propriétaire. Les modes de
transmission sont variés : il peut s’agir d’une succession, d’une donation et encore d’une
vente. D’observation constatée de la dynamique de l’acquisition des propriétés dans le secteur
colonial (tableau n°22), l’achat est de loin le mode dominant, avec 75% des propriétés qui ont
été achetés, 27% par le biais des particuliers, 38% par le biais des héritiers et 10% par le biais
de l’Etat, sachant que les transactions effectuées par le biais de l’Etat remontent à plus que 10
ans. On constate que le mode de l’achat par le biais des héritiers reste dominant et ce pour
régler le souci de partage et division entre héritiers. Après le décès des propriétaires, les
héritiers passent à la division de cet héritage immobilier en le vendant à un prix généralement
assez élevé pour garantir une part importante pour chaque héritier. Il est à noter que certaines
des propriétés ont une origine mixte : héritage partiel et rachat de la part du reste des
cohéritiers. Il semble aussi que l’héritage joue un rôle assez important dans le processus de
démolition ; près de 23% des propriétés proviennent d’un héritage, 6% d’un lègue en héritage
et 17% de donation, généralement à un fils. Ces héritiers par donation sont ceux qui vendent
le plus le bien en question après avoir effectué la demande de permis de démolir. L’échange
de propriétés vient en dernière position, avec seulement 2%. Sachant, qu’en cas d’une
succession par héritage, d’une donation ou d’un échange de propriété, la transmission des
biens s’est faite sans vente, alors l’étude des prix d’acquisition ne concerne que les cas des
propriétés vendues.
Il existe des surcoûts liés à une intervention au sein d’un tissu urbain existant. Afin d’avoir un
support de terrain vierge pour une nouvelle construction, une opération de démolition est
nécessaire. Toutefois, démolir un logement ancien pour le reconstruire à neuf représente un
certain coût. Afin d’objectiver cette problématique des frais de démolition, nous avons relevé
les bilans financiers lié aux travaux de démolition. Mais, on a jugé nécessaire de les
représenter en termes de coûts par rapport au m² bâti, afin de ne pas être influencé par les
caractéristiques intrinsèques de la propriété à démolir (en particulier la surface bâtie). Afin
d’obtenir des informations quant aux coûts techniques de démolition, les données nécessaires
à la réalisation de tels traitements se trouvaient dans les rapports d’expertise techniques des
constructions. Les coûts sont ainsi présentés dans le tableau n°24.
Tableau n°24 : Coûts des travaux de démolition
En comparaison des chantiers sur site vierge, la phase technique de construction en tissu
urbain présente aussi des charges supplémentaires. Outre les frais de la démolition, une
charge de taxe est appliquée sur les permis immobilier, dont le montant est calculé à raison de
300 dinars le m² de la surface de l’emprise au sol de la construction à démolir lors de la
délivrance du permis de démolir. A titre d’exemple, le montant de la taxe à payer pour un
permis de démolir d’une maison construite sur une superficie bâtie de 100 m² est de 30.000
Dinars Algériens (3 millions de centimes).167 Quant aux surcoûts de la destruction, prés de
58% des maîtres d’ouvrage ont payé le coût de la démolition pour le m² entre 1000 et 5000
Da ; même si le coût de la démolition reste inférieur au prix que coûterait l’achat d’un terrain
à construire, il ne demeure pas moins qu’il peut être assez conséquent.
Les paramètres et caractéristiques liés aux acteurs privés qui sont en liaison avec leurs
stratégies d’intervention dans le processus de démolition-reconstruction sont présentés dans
les tableaux suivants.
167
. La loi n° 90-29 du 1er décembre 1990, le décret exécutif n° 91-176 du 28 mai 1991 fixant les modalités
d’instruction et de délivrance des actes d’urbanisme.
Tableau n°25 : Age des acteurs privés (maîtres d’ouvrage)
Source : Rahal K
Sur la base de l’enquête et des entretiens réalisés, il semble qu’un grand nombre de
constructions (reconstruites) sont des propriétés de personnes plutôt âgées. Les propriétaires
sont pour une bonne partie des personnes âgées (tableau n°25) : 45% dépassent les 60 ans,
47% sont entre 40 et 60 ans et 8% pour de moins de 40ans. On ne peut que faire avancer que
la capacité financière d’entreprendre des travaux de ce type ou la volonté d’investir soit plus
forte parmi les personnes âgées que parmi les plus jeunes et que dans le cas des propriétaires
jeunes, l’acquisition s’est faite par une transmission d’héritage. Les propriétaires sont
majoritairement des hommes avec 79% contre 21% de femmes. Ces dernières se trouvent être
dans la totalité des cas des femmes au foyer ayant acquis ces propriétés par le biais d’un
héritage, d’une donation ou d’un achat par le mari (tableau n°26).
Source : Rahal K
Le niveau de revenue dont dispose un ménage est bien entendu un facteur déterminant dans sa
stratégie d’intervention. Les propriétaires présentent en général un profil socio-économique
plutôt favorisé. En effet, ceux ayant le plus investi appartiennent à des catégories
socioprofessionnelles relativement solvables. La comparaison des profils professionnels met
en évidence qu’au sein des propriétaires, on retrouve que 12% des personnes ont un statut
socio-professionnel élevé (cadres, dirigeants de société, banquier..) et 68% des maîtres
d’ouvrages sont des indépendants commerçants ainsi que des personnes du secteur des
professions libérales (médecin, avocat), malgré que le plus grand nombre de propriétaire
soient des personnes âgées, seulement 5% sont en retraites (tableau n°27).
Il semble que la distribution des revenus des propriétaires soit marquée par une nette
prédominance des tranches supérieures. Cette situation privilégiée permet de comprendre leur
capacité à entreprendre des travaux aussi couteux et dans certains cas, le peu d’empressement
que mettent un certain nombre d’entre eux à rentabiliser leur bien, du moins à court terme,
dans le cas des propriétés abandonnées ou reconstruites mais pas encore occupés. La
dominance reste par rapport aux commerçants, qui essayent d’exploiter au maximum leur
investissement. Les ressources économiques et financières sont souvent tenues pour
l’ingrédient majeur de la réussite des projets de démolition-reconstruction.
Profession Le pourcentage
Cadres supérieur 12%
Indépendants 68%
Employés salariés 10%
Retraités 5%
Sans travail 5%
Source : Rahal K
Bien que l’étude de la mobilité résidentielle ne soit pas l’objet de cette recherche, ce
phénomène, largement présent dans notre analyse, a conduit à ébaucher quelques
questionnements. En effet, la mobilité résidentielle se trouve au cœur de notre problématique,
car elle se situe précisément dans les stratégies de localisation des acteurs privés dans
l’urbain. Par conséquent, la question de la mobilité résidentielle exige aussi une réflexion sur
ce désir d’appropriation d’un habitat spécifique.
Source : Rahal K
Nous constatons qu’une grande majorité des propriétaires (sociétés et particuliers confondus)
résident ou ont leur siège à la ville d’Annaba (tableau n°28). D’ailleurs, 83% des propriétés
concernées sont la propriété de personnes ou sociétés situées sur le territoire de cette
commune. Concernant les 12% des propriétés appartenant à des personnes habitant ou ayant
leur siège en dehors d’Annaba, une grande proportion de ces propriétaires réside à proximité
immédiate de la ville. Parmi ceux-ci, les propriétaires étrangers ne représentent que 5% du
total. Les propriétaires résidant à l’étranger sont tous des algériens vivants en France et qui
ont acquis les propriétés par un héritage. Malgré la dominance des résidants à Annaba, la
volonté des acteurs à investir à Annaba reste assez imposante, ce qui prouve que la ville attire
de plus en plus de flux extérieur et que l’acquisition de propriétés reste un très bon moyen
d’investissement.
Afin de comprendre les stratégies de localisation des propriétaires, on a aussi tenté de saisir
les raisons qui les ont poussées à déménager et à s’installer dans un nouveau quartier en
essayant de faire le lien avec leurs anciennes propriétés. La maison individuelle est la réponse
la plus abordée lors des entretiens. D'après l'étude, la maison individuelle représente une
aspiration quasi unanime : 51 % des propriétaires habitaient auparavant dans des habitats
collectifs et avouent avoir une préférence pour l’acquisition de propriétés individuelles. La
maison individuelle symbolise le "logement sur mesure, idéale pour les familles avec
enfants". La localisation géographique arrive au deuxième rang, sauf chez les cadres où elle
représente le premier critère de sélection, qui cherchent les quartiers dit « bourgeois », au
contraire des commerçants, qui s’intéressent le plus aux localisations stratégiques ce qui leur
permet le mieux de faire marcher leurs affaires et faire le plus de rentabilité économique.
La typologie des maîtres d’ouvrage établie suite à l’étude des permis de démolir semble
moins adéquate pour décrire la réalité. Suite aux enquêtes menées auprès des acteurs privés,
les maîtres d’ouvrage pouvaient clairement être répartis en trois catégories : particulier,
promoteur et société.
Source : Rahal K
Cette typologie était basée sur la distinction entre, d’une part, la filière de « l’auto-
occupation» et, d’autre part, la filière « commercialisation ». Pour la filière de l’auto-
occupation, ce sont des particuliers qui gèrent la maîtrise d’ouvrage, en vue d’une future auto-
occupation, d’une auto-occupation avec commercialisation. Par contre, les développements de
la filière « promoteur » ont pour finalité la commercialisation (soit par vente, soit par
location). Parmi les représentants de la filière « promoteur », nous avons choisi de différencier
les promoteurs principaux des particulier-promoteurs qu’on a identifié dans la catégorie
« particulier ». Si le maître d’ouvrage tire l’essentiel de ses revenus de son activité dans
l’immobilier, il sera considéré comme promoteur principal. Par contre, les maîtres d’ouvrage
actifs dans le domaine de l’immobilier à titre complémentaire seront répertoriés comme
particulier-promoteur (promoteur secondaire).
Source : Rahal K
Les maîtres d’ouvrage peuvent être animés par deux objectifs distincts : l’auto-occupation ou
la commercialisation (tableau n°30). Par définition, les promoteurs professionnels sont des
maîtres d’ouvrage dont l’objectif est la commercialisation. Dans le cas de l’auto-occupation,
on parlera d’auto-promotion lorsqu’un particulier fait démolir et reconstruire pour son propre
compte afin de l’occuper lui même ou le faire commercialiser.
A côté des particuliers occupants, on trouve un large panel de maîtres d’ouvrage dont le but
est de commercialiser des biens reconstruits. C’est dans ce cadre qu’interviennent les
particuliers-promoteurs. Les logiques et pratiques des promoteurs secondaires au sein des
contextes analysés se confondent avec celles des particuliers occupants et du promoteur
professionnel. En effet, ils ne réalisent, le plus souvent, qu’un nombre limité d’opérations qui
s’insèrent souvent dans un cadre familial ou de groupe, en optant pour une commercialisation
ou une auto-occupation accompagnée d’une commercialisation, comme c’est le cas de 33%
des projets réalisés (tableau n°30). Ceci est sans doute nécessaire pour supporter les surcoûts
liés à la démolition que seuls les projets de commercialisation peuvent dégager un chiffre
d’affaire qui peut les couvrir. L’histoire de la politique du logement explique également cette
spécificité en matière de l’auto-promotion. Sur ce sujet, la tradition visant à soutenir la
propriété immobilière depuis la libération du marché est un élément bien connu. Par contre,
cette politique ne visait pas uniquement à favoriser les propriétaires-occupants, mais aussi à
laisser libre jeu à la stratégie de commercialisation.
III-2-2- Les promoteurs et leurs stratégies de commercialisation
Photo n°41 : Reconstruction d’un immeuble à Photo n°42 : Reconstruction en cours d’un
appartement (Boulevard du 1er Novembre) centre commercial (Avant Port)
Source : Rahal K. Le 22/01/2012 Source : Rahal K. Le 06/11/2012
Le plus souvent, les surcoûts liés à l’acquisition du sol-support se répercutent directement sur
les niveaux de commercialisation. En effet, la commercialisation constitue le premier choix
des acteurs privés dans le domaine de la reconstruction avec 39% des cas étudiés (tableau
n°30). Les coûts de constructions étant quasi identiques quel que soit le contexte spatial, seuls
les niveaux de commercialisation conditionnent le montant maximum consenti pour l’achat
du sol-support. Dans les centres urbains, les valeurs foncières étant élevées et les niveaux de
commercialisation plafonnés, les maîtres d’ouvrage voient leurs marges bénéficiaires
augmentées. Les surcoûts liés à l’acquisition du sol-support rendent donc difficile la
commercialisation des biens à un prix raisonnable ce qui augmentent le prix de la
commercialisation. Les données sur les opérations de destruction-reconstruction sont
également cohérentes par rapport aux raisonnements avancés dans le cadre des points
précédents. En effet, nous vérifions que ces opérations correspondent à des développements
susceptibles de couvrir les surcoûts de l’opération.
De par cette distribution, on peut déduire que, dans la plupart des cas, des opérations de ce
type conduisent à la production d’immeubles comportant un nombre plutôt élevé
d’appartements. Ceci est sans doute nécessaire pour supporter les surcoûts liés à la
démolition. De plus, les opérations de démolition-reconstruction ne semblent rentables aux
yeux des promoteurs que dans des quartiers centraux de « haut standing ».
Finalement, les maîtres d’ouvrage interrogés nous confient orienter leurs investissements en
fonction des niveaux de commercialisation et donc de la demande. Ainsi, la prise en compte
des aspirations de la demande en milieu urbain est un autre élément qui pousse ces maîtres
d’ouvrage à intervenir dans le tissu existant. Le potentiel de commercialisation dépend du
contexte économique local et de sa localisation dans la ville. Une propriété bien située, peut
être l’objet d’une attente spéculative en prévision d’une revente et d’une réutilisation plus
intensive. Les promoteurs principaux montent souvent des projets plus vastes et plus
complexes ; projets qui auront généralement davantage d’impacts sur le quartier dans lequel
ils s’inscrivent. Ce type d’acteur maîtrisant généralement bien les procédures administratives,
l’administration ne doit pas tant jouer un rôle de guide pratique mais devrait davantage
s’inscrire en tant que partenaire afin de trouver le meilleur compromis entre les logiques
publiques et privées.
Le rôle croissant joué par les entreprises privées dans la démolition-reconstruction marque un
tournant dans ce processus de renouvellement. Malgré qu’elles ne représentent que 9%,
l’émergence de ces nouveaux acteurs privés dans la fabrique de la ville a révélé de nouveaux
enjeux (tableau n°29). Cliniques privés, restaurants, entreprise de communication ou banque,
la principale stratégie de ces entreprises reste l’auto-occupation, en cherchant des localisations
stratégiques pour leur siège (photo n°43).
Vu les charges couteuses qu’une opération de reconstruction impose et des besoins techniques
à rencontrer sur site urbain (le coût de la destruction), il n’est guère étonnant que 39% des
opérations de destruction reconstruction s’inscrive dans des projets à vocation économique et
de commercialisation (immeubles de bureaux, centres commerciaux…) ou dans la réalisation
d’immeubles à appartements (photo n°44). Par contre, pour les projets de maisons
individuelles ou d’auto-occupation, ils ne représentent que 28% en raison du chiffre d’affaire
trop faible par surface pour assurer les surcoûts d’une intervention en milieu bâti (tableau
n°30).
C’est pour cette raison, qu’on peut avancer qu’il n’y a que les personnes assez aisées qui
peuvent se lancer dans ce genre d’opération. Dans cette commercialisation, seuls 14% des
propriétés ont été vendues et 25% eux ont été destinés à la location, qui reste plus rentable à
long terme (tableau n°31).
En ce qui concerne les opérations immobilières, le résultat est présenté comme mitigé. Ce
n’est pas ce qu’on pourrait appeler une grande réussite. La commercialisation très élevée reste
une des principales raisons qui incitent les acheteurs à investir encore plus dans le marché de
l’immobilier. Cette situation est également attribuée au manque du foncier et à la proximité
par rapport au centre ainsi qu’un marché immobilier très actif ces dernières années.
Dans les cas de frilosité des acteurs privés à investir en milieu déjà bâti, s’explique en partie
par la plus grande complexité des opérations, la multiplicité des acteurs en présence, et les
craintes de rejets de la population locale, porteurs d’exigences souvent en contradiction avec
le souci de rentabilité maximale et les activités souvent nuisibles (bruit, flux…). Ces rejets
sont parfois justifiés, parfois exagérés (photo n°46). Les risques de refus de permis, de
contestations, de recours et de retards sont plus importants pour un projet caractérisé par une
mixité d’usages ou qui s’insère mal dans son environnement urbain. Notons que, en cas de
refus du permis de construire, les maîtres d’ouvrages ont généralement beaucoup de
difficultés à accepter les modifications imposées en raison de leur attachement au projet. Ils
ne comprennent pas qu’on puisse les contraindre à respecter certaines règles urbanistiques et
considèrent souvent ces impositions comme une atteinte au droit de propriété. Dans la
majorité des cas, la situation en matière de prescription urbanistique n'a posé aucun problème;
dans 75% des cas, le projet correspondait aux prescriptions applicables à la zone de
construction. Seul 25% des cas ont eu des difficultés quant à la conformité de la zone et
étaient obligés de revoir et de modifier leurs projets initiaux.
En effet, en milieu urbain, l’organisation des administrations est plus complexe et les
riverains potentiellement inquiets plus nombreux. De manière concrète, ces quelques éléments
font que, pour une même réalisation immobilière, les autorisations seront obtenues en
fonction de la position du projet et des relations du maître d’ouvrage avec les administrations.
Dans ces rapports entre les différents types d’acteurs, on peut déceler une multitude d’actions
et enjeux qui peuvent alimenter et orienter leurs stratégies. Ces enjeux, sont-ils liés à des
ambitions individuelles ou peuvent-ils aussi servir à un projet collectif ?
La reconstruction n’est pas seulement une nécessité spatiale, elle s’affirme aussi comme un
outil social. Ce double rôle n’est pas nouveau. Les habitations anciennes ont toujours été au
cœur d’une logique de renouvellement spatial et ont souvent reflété l’image que voulaient leur
donner leurs propriétaires. Si auparavant ce reflet se dissimulait discrètement, il a pris
aujourd’hui de plus grandes dimensions. A ces logiques individuelles s’ajoutent des
aspirations plus récentes, tournées vers des objectifs économiques ou vers la recherche d’un
confort amélioré. L'analyse des motifs de la démolition permet par ailleurs de confirmer que
ce processus de démolition totale est principalement relié au dynamisme conjoncturel de la
production immobilière. En effet, la majorité des propriétaires insiste sur la mise en valeur des
sols et les perspectives qu’offre la démolition-reconstruction.
Il est important de rappeler que le renouvellement du tissu urbain est un effet naturel, souvent
fondé sur la limite de vie d’un bâti jugé obsolète et dégradé. Nous avons donc cherché à
préciser si l’état physique des propriétés était imputable à leur démolition ou c’est juste une
carte justificative de cet acte ? Une autre éventualité était aussi à analyser : l’état des
propriétés était-il déjà dégradé à la suite de la dernière occupation des propriétaires ? Cette
analyse cherche en fait à distinguer si la dégradation est la véritable cause de la démolition.
Les propriétaires sont une grande majorité à considérer l’état de leur propriété avant la
démolition comme dégradé, soit 90%. La moitié juge même celle-ci fortement dégradée. Chez
les propriétaires récents qui n’ont pas occupés les propriétés avant la démolition, le jugement
est encore plus sévère que celui posé par les propriétaires ayant déjà habités des lieux. Parmi
ceux qui déclarent que l’état physique avant la démolition ou dans le cas où la démolition n’a
pas encore eu lieu, est fortement dégradé, la plupart indique qu’au moment de l’acquisition,
celui-ci était dégradé ou, plus souvent encore, fort dégradé. Dans peu de cas, les propriétaires
semblent signaler que l’état délabré des propriétés est lié à leur dernière occupation et à leur
manque d’entretien.
Nous avons aussi interrogé les propriétaires sur l’importance des travaux qui devraient être
consentis pour rendre habitables leurs propriétés selon les critères de confort actuel, et si la
démolition était bien la seule solution possible pour faire face aux problèmes de dégradations
et sur les raisons qui les ont poussés à démolir. Les propriétaires estiment que la dégradation
avancée des bâtisses est la principale raison du choix de la démolition. Ils jugent que la
réhabilitation ou la rénovation ne pouvaient être entreprises pour cause que les propriétés
présentaient des inadaptations fonctionnelles et un sérieux manque de confort et de salubrité.
Si l’on confronte ces résultats à ceux observés pour l’ensemble des cas n’ayant pas encore
démolis, on se rend compte que les travaux de gros-œuvre, à la toiture et à la façade sont
proportionnellement moins nécessaires et que l’aspect extérieur des constructions reste
relativement bon.
Sur la base de ces observations de l’état du bâti, on pourra classer les bâtiments en plusieurs
niveaux de dégradation : bâtiment nécessitant des travaux d'entretien mais pas de
transformations majeures ; bâtiment fortement dégradé occupé ou pas; bâtiment en assez bon
état. Le constat sur l'état du bâti est plutôt bon. Sur les 20% des propriétés pas encore
démolies, on a relevé près de 8% de constructions dégradées (photo n°47), 3% environ en état
de dégradation avancée et 9% en assez bon état (photo n°48). Les concentrations de bâtiments
dégradés s'observent principalement dans les axes commerçants: rue de Kabbar Adra, rue
Saouli. Par contre, les bâtiments déclarés insalubres sont essentiellement situés rue du Colonel
Amirouche et dans les rues voisines. Mais on reste assez prudents par rapport à ces résultats,
même si certaines caractéristiques extérieures peuvent en quelque sorte jouer un rôle de signal
d'alarme relatif à l'état de dégradation probable du bâtiment en question, on peut faire face à
des cas où la dégradation n’est pas visible à l’extérieur alors que l’intérieur de la construction
peut être sérieusement affecté.
Photo n°47: Construction à démolir dans un Photo n°48 : Construction à démolir dans
état de dégradation (La Colonne) un assez bon état (Rue Salvador)
Source : Rahal K. 23/01/2012 Source : Rahal K. 06/12/2011
Malgré que la recherche de confort et de modernité pour ces bâtisses coloniales restent tout à
fait légitime, la démolition demeure un remède qu’on doit doser, et ce, pour protéger et faire
perdurer un héritage, souvent pas reconnu, mais porteur de valeur architecturale, urbanistique
et d’une mémoire collective que le bulldozer force à effacer.
La démolition-reconstruction reste un danger qui altère le paysage urbain en ne répondant
qu’à des logiques sociales et économiques et non patrimoniales. La reconstruction est donc
accusée de provoquer de véritables désastres architecturaux qui résultent d’une démarche
individuelle. Les éléments patrimoniaux des habitations sont détruits au profit d’un meilleur
confort ; les façades se succèdent suivant l’inspiration de leurs propriétaires, réduisant à néant
l’unité spatiale et la cohérence de ces tissus. Dans cette course au prestige social et
économique, chacun essaie de faire encore plus haut, encore plus beau, encore plus moderne
que son voisin. Le cycle de la reconstruction s’emballe alors très vite et dans ce contexte, la
préoccupation patrimoniale est secondaire car chacun privilégie ses propres objectifs et
stratégies.
Démolir pour reconstruire sa maison répond aussi à des logiques sociales. Les transformations
ont radicalement changé la physionomie des quartiers. Seulement quelques rares maisons,
souvent de propriétaires très riches qui optent pour un style architectural ou urbain rappelant
la nature du tissu d’origine, représentées par une villa avec un jardin. Cette catégorie là,
recherche dans cette démolition, un meilleur cadre de vie et surtout un autre sens du confort,
non pas matérialisé par le béton et la sur-densification mais plutôt un effet d’esthétisme. En
effet, une pratique spécifique dans l’ensemble des villes algériennes consisterait à détruire
l’ancienne bâtisse pour reconstruire progressivement des immeubles qu’on force à appeler
« villa », destinés à loger toute la famille et surtout les fils mariés. Les nouvelles
constructions, de volumétrie massive et de hauteur élevée, occupent quasiment l’ensemble du
lot, en mitoyenneté et en contiguïté avec la maison voisine. Ce processus de formation d’une
morphologie urbaine nouvelle, similaire à celle de l’habitat à forte densité, correspond à la
substitution d’un type à un autre. Dans ce cas, le type originel conçu pour une population
européenne dans un autre contexte ne correspondrait plus aux représentations et aspirations
des habitants actuels.
La première raison qui pousse les propriétaires de se lancer dans la reconstruction des
« immeubles-villas » est cette envie obsessionnelle de la société algérienne de loger leurs
enfants (Photo n°49). En effet, dès que la reconstruction est entamée, les familles
matérialisent dans l’organisation de leur habitat la perspective de loger les enfants de leurs
ménages respectifs, même dans le cas où ils sont encore très jeunes. Dans ce milieu social,
cette inscription du logement des enfants dans ce que nous appelons « immeuble-villa »
concerne aussi bien les garçons que les filles. Cette construction se distingue par
l’aménagement d’appartements indépendants qui occupent chacun un étage. Conformément à
la tradition, on a tendance à construire grand, afin de réserver de l’espace aux fils et leurs
familles. Les parents attribuent au jeune couple un étage, pour s’y installer. Construire en
plusieurs étages sa maison devient le symbole de la construction de la famille algérienne,
ancrée spatialement et socialement par les murs qui l’abritent, supports de la mémoire
individuelle et de la société, qui autrefois réservé une chambre aux couples (photo n°50).
L’héritage familial, déconsidéré pendant la période colonial, est de plus en plus mis en valeur
par les transformations (reconstruction) à l’heure actuelle.
A notre sens, l’option de construire ces maisons à plusieurs étages, comme mode d’habiter au
sein des catégories sociales souvent aisées, relève aussi bien du spectre de la crise de
logement que d’un attribut social. Construire plus grand est représentatif comme un signe de
richesse ou d’un statut social élevé. En effet, l’habitation est la concrétisation de la famille et
participe à sa consolidation sociale. Elle est un instrument privilégié pour montrer aux yeux
de tous, le statut de ceux qui l’habitent. Construire grand sa propriété contribue à accroître le
prestige social du propriétaire et de sa famille. Si un habitant peut réaliser des travaux, c’est
qu’il a les moyens financiers de le faire. Avoir plusieurs étages, plusieurs chambres, utiliser
des matériaux nobles comme le marbre est un signe de richesse, de prestige, donc, de
respectabilité sociale. Ce qui compte est la valeur sociale attribuée au bâti. Ces mesures
d’apparat ont des impacts spatiaux très visibles qui participent à la perte de cohérence du
paysage urbain, à la déliquescence du tissu ancien. Ce dernier est maintenant ponctué
d’immeuble-villa dont l’architecture s’inspire d’images pseudo occidentales dans un style
hétéroclite. L’unité spatiale des quartiers coloniaux est peu à peu remise en question tant par
le style architectural que par les matériaux utilisés pour édifier ces nouvelles bâtisses.
Les résidents de ce type d’habitat l’évoquent avec fierté comme l’accomplissement de leur
réussite sociale. Cette position privilégiée dans les représentations de ces acteurs est due à
trois conditions très recherchées, le statut du propriétaire, le caractère individuel de l’habitat et
la possibilité d’offrir un logement aux enfants. Le sentiment disparu d’appartenance et le désir
de revalorisation, accompagnés d’un besoin de confort et d’adaptation de la maison, font
aboutir à des situations avec les pires bouleversements. L’habitation est donc au cœur d’un
conflit de valeurs entre tradition et modernité, dont le moteur est l’argent, qu’il faut montrer
lorsqu’on en a et qu’il faut gagner lorsqu’on n’en a pas.
Les propriétaires expliquent que le principal problème dans la maison coloniale est le manque
de confort. Ils considèrent que la démolition leur a offert le moyen de vivre dans des maisons
plus confortables et souhaite que les maisons inconfortables soient détruites car ils estiment
que « s’ils ont les moyens de se procurer un meilleur environnement pour eux et pour leur
famille, ils ne voient pas pourquoi ils se priveraient de ce confort », voila ce qu’un des
propriétaires nous a raconté. Une autre habitante, pour qui la maison n’est pas encore détruite
explique que « seul le confort compte, on veut une maison individuelle sécuritaire et qui
répond à nos besoins actuelles, on veut plus habiter dans de telles conditions de
dégradation». Soucieux de répondre à leurs besoins et leurs attentes, les habitants prennent le
relais ; ceux qui ont des moyens financiers et techniques suffisants optent pour la destruction
pour que le confort s’installe.
Autrement dit, c’est les caractéristiques intrinsèques de la futur construction : confort, espace
vert privé, pièces nombreuses, grandes pièces qui intéressent ces propriétaires, qui cherchent
avant tout des propriétés reflétant leurs images et qui répondent avant tout à leurs besoins.
Chacun de ces acteurs a son propre sens du confort et sa propre vision de la reconstruction.
Mais une initiative les unissent et domine très largement dans ce marché de renouvellement,
quelle que soit la qualité de la construction et au détriment de sa structure et de sa forme, c’est
la rentabilité économique.
IV-3- Un enjeu économique : la rentabilité économique
Photo n°51: Appartements loués avec un Photo n°52 : Appartements à louer avec un
Rdc en commerces (Avant Port) Rdc en commerce (Avenue Saouli)
Source : Rahal K. Le 06/12/2011 Source : Rahal K. Le 23/01/2012
Un exemple de propriétaire qui a décidé de construire une maison à étages pour héberger son
fils et son épouse mais le couple a fini par déménager et l’étage est resté vide. Alors le
propriétaire a décidé de louer cet étage, vu que la maison est devenue trop grande pour lui.
Cette maison n’a donc pas été façonnée dés le départ pour des activités économiques ; la
logique initiale de la reconstruction était familiale, mais le propriétaire a voulu profiter de cet
espace non exploitable pour avoir un gain d’argent. Mais, on peut trouver des cas où les
objectifs poursuivis lors de ces reconstructions soient purement économiques, comme c’est le
cas des promoteurs immobilier, qui misent tout sur la commercialisation ou des particuliers
qui se lancent dans l’édification d’entreprises, sociétés privés ou des maisons à location
(photo n°52).
Quel que soit le contexte, nous avons été étonnés de la forte représentation des particuliers
(particuliers occupants et particuliers-promoteurs) actifs en matière de reconstruction ;
opérateurs qui ne disposent le plus souvent d’aucune expérience technique, ni de compétences
particulières dans les domaines architectural et urbanistique, mais qui se lancent dans cette
expérience généralement pour des fins économiques. Il faut dire que la seule motivation des
acteurs privés à travers ces interventions reste le gain et le profit économique, même si ça
reste au détriment d’un tissu qui mérite une attention et une réflexion aussi bien de la part de
ces propriétaires que des acteurs publics.
Nous tenons, finalement, à attirer l’attention sur le fait que le rôle des collectivités locales vis-
à-vis de ces interventions est double. Ils doivent, d’une part, prendre en considération ces
enjeux dans l’établissement, les révisions des instruments d’urbanisme et l’instruction des
actes d’urbanisme. D’autre part, assurer une maitrise et une stratégie plus globale et réfléchie
pour ces opérations qui restent ponctuelles mais à effets irréversibles. Les collectivités locales
ont la responsabilité de l’urbanisme et de l’attribution des permis de démolir et de construire.
Est-ce qu’elles ont tendance à soutenir ces transformations, ou est ce simplement du laisser
faire ?
Après avoir passé en revue les éléments relatifs aux enjeux et différentes stratégies des acteurs
privés, il nous a semblé utile de dresser un tableau récapitulatif des stratégies de chaque type
de maîtres d’ouvrage (tableau n°32). Celui-ci permet de mieux comprendre les logiques de
chaque type d’acteur et donc le pourquoi du choix de leurs investissements.
Tableau n°32 : Tableau récapitulatif des stratégies d’acteurs privés dans la démolition-reconstruction
Type de maître Particulier occupant Particulier-promoteur à titre Promoteur à titre Entreprise privée
d’ouvrage secondaire principal
Destruction du patrimoine,
Aspects généraux Surcoûts de démolition,
(démolition- Indispensable quand le bien est dans un état de dégradation avancée,
reconstruction) Opération ponctuelle et individuelle,
Impact sur le tissu urbain.
Constituent la majorité Inexpérience, Plus de moyens financiers, Plus de moyens.
Caractéristique des des maîtres d’ouvrage, Les opérations sont souvent dans un Plus de professionnalisme Inexpérience
maîtres Inexpérience, cadre familial ou de groupe. (expérience), architecturale ou
d’ouvrages Opérations de petite Tirent une partie de leurs revenus de Projets de grande envergure. urbanistique,
taille. ces interventions. Projet d’envergure.
Habitat individuel accompagné Habitat collectif, Siège d’entreprise,
Typologie d’occupation Habitat individuel d’activité économique, Activité économique. Immeuble de
Activité économique. bureaux.
Auto-occupation, Auto-occupation+commercialisation
Stratégie d’occupation Auto-occupation+ Commercialisation. Commercialisation Auto-occupation
commercialisation
Source : Rahal K
V- La critique du cadre réglementaire du permis de démolir
Le problème posé par la gestion du bâti ancien issu de la colonisation se pose à l'échelle
nationale. Toutes les agglomérations urbaines héritées de la colonisation sont concernées et la
démolition qui s’effectue sur ce type de constructions ne fait qu’accentuer la situation et nous
amène à se poser des questions sur le rôle et l’efficacité du permis de démolir. Alors, quel
est le rôle du permis de démolir dans ce processus de renouvellement ? Quelles sont ses
dérives ? Et dispose t-il de failles que les maîtres d’ouvrages utilisent à leurs propres fins ?
Y a-t-il un moyen pour sauver le vieux bâti ? Oui, le permis de démolir ! Dans les cas où la
protection de l’héritage est en jeu, il y a nécessairement permis de démolir. Voila ce que
promulgue la réglementation. Mais qu’en est-il de son application ?
Dans certaines situations, la démolition est susceptible d’être subordonnée à l’obtention d’une
autorisation préalable. Le permis de démolir est une autorisation administrative préalable aux
travaux de démolition totale ou partielle de bâtiments, qui a pour vocation, par son caractère
obligatoire dans nombre de cas, à préserver certaines catégories de bâtiments et à protéger le
patrimoine architectural et urbain bâti. « Aucune opération de démolition partielle ou totale
d’un immeuble ne peut être entreprise sans l’obtention au préalable d’un permis de démolir,
lorsque ledit immeuble est situé sur un site classé ou en voie de classement sur la liste du
patrimoine historique, architecturale, touristique, culturel ou naturel, conformément aux
dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables, ou encore, lorsque
l’immeuble à démolir est solidaire de constructions mitoyennes »168.(Annexe III)
Le permis de démolir a pour fonction principale la protection du patrimoine, Mais est ce qu’il
remplit réellement sa fonction ? Pourquoi le permis de démolir n’est obligatoire que pour
les immeubles ou secteurs classés ou en voie de classement ? Pourquoi ne s’applique t-il
pas sur l’ensemble du territoire ? Sachant qu’un nombre restreint de patrimoine est protégé
en Algérie.
Le permis de démolir ne s’applique pas de manière généralisée sur le territoire. Qui dit
« démolition » ne dit pas forcément « permis de démolir ». Les bâtiments menaçant ruine et
les bâtiments isolées (qui ne disposent pas de constructions mitoyennes) viennent appuyer ce
constat ; ces bâtiments sont dispensés de permis de démolir. Ce qui nous pousse à avancer
168
. Article 61. Permis de démolir « loi 90.29 du 1 décembre 1990 - décret exécutif 91.176 du 28 mai 1991 ».
que le permis de démolir à pour seule disposition la protection technique des constructions
avoisinantes à l’immeuble à démolir qu’autre chose.
Lorsqu’on effectue une démolition en général c’est pour reconstruire après, alors, pourquoi
n’est-il pas possible de demander une seule autorisation pour les démolitions et les
reconstructions ? Le projet sera alors instruit dans son ensemble et l'autorisation de démolir
serait intégrée dans le permis de construire, une simple procédure qui va permettre aux
organismes d’urbanisme d’avoir une vision bien précise sur l’action projeté par le demandeur
du permis et mieux comprendre ses stratégies futurs et ses intentions par cette démolition.
Pour obtenir le permis de démolir, des pièces doivent être jointes à la demande. Que contient
la demande de permis de démolir ?
- Un plan de situation,
- Un plan de masse de la construction à démolir, ou à conserver dans le cas de
démolition partielle,
- Un exposé détaillé des motifs de l’opération projetée,
- Les données sur les conditions actuelles d’utilisation ou d’occupation,
- L’importance et la nature des travaux de démolition,
- L’affectation éventuelle du site libéré,
- S’il y a lieu, une expertise technique précisant les conditions de démolitions
envisagées.
Dans ce contexte, un fait retient l’attention : les autorités n’exigent pas très fréquemment
d’importants documents complémentaires pour les demandes de permis de démolir déposées.
En effet, lors de notre analyse des demandes des permis de démolir, les deux documents :
« l’exposé détaillé des motifs de l’opération projetée et l’affectation éventuelle du site
169
. Article 62. Permis de démolir « loi 90.29 du 1 décembre 1990 - décret exécutif 91.176 du 28 mai 1991 »
libéré », ne sont nullement fournis dans le dossier de la demande, alors qu’ils représentent les
deux pièces maitresses du permis, qui vont permettre à l’autorité d’avoir un aperçu de la
future occupation de la bâtisse démolie et de cerner plus les stratégies de ces maîtres
d’ouvrages. Pour les rares cas où ils précisaient l’affectation future de la propriété, ils
utilisaient de fausses informations quant à l’usage futur ou le nombre d’étage projeté après la
reconstruction. Par exemple, on fait référence dans l’objet de la reconstruction à la
construction d’un centre commercial de R+2 alors qu’en réalité le projet est à R+4 ou le cas
d’une maison projetée à R+1 alors qu’elle est à R+3. Ce manque de suivie et de vigilance de
la part des administrations ne fait que discréditer le poids du permis de démolir et accentuer la
situation du laisser faire. Les administrations devraient être plus vigilantes et en éveil par
rapport à ces interventions, sachant que les maîtres d’ouvrages utilisent tous les moyens et
toutes les failles pour concrétiser leurs stratégies.
On a remarqué aussi quelques confusions au niveau de l’octroi des permis. Il se trouve qu’il
ya des demandes qui n’ont pas fourni des pièces maitresses, comme par exemple, acte de
propriété ou d’expertise, mais qui au final ont été acceptées. Il est à signaler que d’autres cas
de permis n’ont pas été acceptés pour absence de documents. Cela, se traduit par une
appréciation négative de l’instruction des administrations. Est-ce que, c’est la conséquence
d'une procédure légère en soi, qui se contente normalement de peu de documents et exige
davantage en cas de besoin, ou l'expression d’une relation fondamentalement bonne entre
les demandeurs de permis de démolir et les autorités, certainement favorisée par les
contacts préalables ?
Par cette critique, il n’est pas dit que toutes les vieilles constructions devront être restaurées
ou sauvées, mais il y’a des cas où la démolition reste la seule solution. Alors comment être
sure que c’est le cas ?
A mon sens, les vraies questions à poser sont de savoir «Qui doit faire quoi, avec quoi,
quand et comment ?». On ne peut plus admettre certaines confusions entretenues qui
provoquent des dégâts en boule de neige.
Cette critique du permis de démolir évoque à juste titre des dégâts dus à l’intervention d’un
bulldozer pour détruire les constructions coloniales. Quelle que soit la réponse aux questions,
l’état actuel de notre l’héritage bâti colonial est fort significatif d’une absence totale de vision
à long terme. Nous n’avons jamais eu ni stratégie, ni législation, ni même une moindre
réflexion en temps opportun. Toutes nos décisions sont prises sur les situations vécues au jour
le jour. Il faudrait revoir les procédures d’attribution des actes d’urbanisme. Il faudrait aussi
revoir la loi 98-04 relative à la protection du patrimoine culturel, qui reste confuse et assez
timide vis-à-vis l’héritage colonial, pour sauver encore ce qui peut l’être. Et enfin, la révision
de la loi 90-29 et ses décrets exécutifs relatif aux permis de l’urbanisme est primordiale pour
les rendre plus efficace et les adapter à l’évolution de la société.
CONCLUSION
A l’issue de ce travail, il ressort que les enquêtes menées auprès de maîtres d’ouvrage ont
globalement confirmé nos hypothèses. La confrontation de nos réflexions théoriques à la
situation observée sur le terrain a en effet permis de vérifier que les actions des maîtres
d’ouvrages privés qui ont réalisé une opération de démolition/reconstruction sont alimentées
par de nombreuses stratégies pas toujours visibles. Quel que soit le contexte, nous avons été
étonnés de la forte représentation des acteurs actifs en matière de démolition/reconstruction,
qui agissent différemment selon leurs stratégies, leurs motivations et le contexte dans lequel
ils exercent. Ils transforment l’espace en apportant chacun une réponse individuelle à leurs
besoins et attentes personnelles.
Ainsi, ce renouvellement ponctuel est appelé à être contrôlé et maitrisé. Son rythme s'explique
par la volonté de produire en continu des immeubles toujours plus neufs, plus modernes que
ceux antérieurement édifiés. Par la suite, la démolition des maisons coloniales se conçoit de
plus en plus comme faisant partie à part entière d'un processus où se succèdent démolition,
reconstruction, commercialisation et profit. L'acte de démolition tend dans ce cadre à
s'étendre, s'institutionnaliser, se normaliser et se banaliser. Les stratégies individuelles fortes
des acteurs privés profitent des brèches et des failles des actes d’urbanismes (spécifiquement
le permis de démolir) pour s’ancrer encore plus dans ce système de production. Dans ce
clivage de stratégie privée forte et règles d’urbanisme affaiblies, on ne peut qu’espérer un
rééquilibrage naturel où l’intérêt public et général prime sur l’intérêt individuel et où stratégie
globale remplace les stratégies ponctuelles.
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
La problématique proposée n’est donc plus seulement celle des territoires en composition-
recompositions. Le processus de démolition ponctuelle s’opère par une multitude de petites
opérations qui, tout en passant inaperçues, constituent le canal essentiel du renouvellement
urbain. Dans un marché à économie libre, s’opposer à ces opérations peut être considéré
comme dérisoire et non productive. Nous estimons au contraire qu’il faut essayer de les
encadrer et de les orienter selon des objectifs définis dans une stratégie globale et réfléchie.
La ville est considérée, désormais, comme un bien économique qui va évoluer dans un
environnement de plus en plus compétitif. Ceci nous incite à apporter des réponses globales et
cohérentes qui puissent à la fois répondre à cette dynamique de renouvellement urbain, mais
en même temps ne pas remettre en cause ce fragile équilibre entre l’ancien et le nouveau.
C’est réfléchir à une stratégie qui favorise l’approche globale plutôt que ponctuelle,
qualitative plutôt que quantitative. De cela, l’action des collectivités locales doit reposer sur
l’observation de ces mutations et des projets de renouvellement en cours, seul moyen
d’identifier un projet global, de l’orienter et de l’accompagner.
CONCLUSION GENERALE
CONCLUSION GENERALE
Perspectives d’une stratégie globale et d’une nouvelle organisation des acteurs
participant au renouvellement du tissu colonial de la ville d’Annaba
Notre première hypothèse évoque les représentations et les actions des divers acteurs privés
concernés par le renouvellement (démolition-reconstruction) dans les tissus coloniaux. Nous
avons avancé l'idée selon laquelle la présence des acteurs privés dans le renouvellement des
tissus coloniaux est dominante par rapport aux acteurs publics et que ces acteurs
(propriétaires, promoteurs) peuvent revendiquer un rôle incontournable dans la recomposition
de ces espaces. Par conséquent, la bonne maitrise de ces dynamiques urbaines en cours
dépendrait de la compréhension globale de ces stratégies d’acteurs. Cette idée nous a incité à
cerner les divers acteurs concernés par les processus de démolition-reconstruction. Nous
avons pu constater qu’une multitude d’acteurs privés sont présents et non une poignée
d’acteurs décisionnels. L'identification de ces acteurs et de leurs stratégies nous est apparue
essentielle, ceci dans le but de dégager, de faire émerger une stratégie urbaine cohérente et
globale.
La propriété privée est le régime prépondérant en ce qui concerne le foncier bâti colonial et
ces détenteurs privés constituent un ensemble socio-économique très diversifié. Un premier
clivage se fait sentir, opposant les acteurs dont l’orientation est essentiellement de l’auto-
occupation à ceux préoccupés par les questions de la commercialisation. Pour les uns, il s’agit
d’un patrimoine familial et d’une valeur refuge, pour d’autres, c’est le gage de leur activité
productive ou de service, pour d’autres encore, c’est un placement dont on escompte des
retombées lucratives dans le contexte du marché immobilier.
A l’échelle temporelle de quelques décennies, on peut donc s’interroger sur les mécanismes
de ces reconstructions qui renouvellent sans cesse le parc du logement individuel colonial. Le
bâti n’étant pas éternel, que vont devenir ces tissus ayant basculé dans les possibilités
économiques de la reconstruction ?
La sévérité du contexte économique actuel conduit à la recherche d’une plus grande
participation des propriétaires privés et à en faire des acteurs significatifs du renouvellement
urbain. A condition toutefois que cette nouvelle mode ne s'interprète pas uniquement en
termes économiques et que la reconstruction ne se traduise pas en un bourreau des valeurs
symboliques, architecturales, urbaines, de continuité et de qualité de vie de ces tissus anciens,
au seul bénéfice de ceux qui ont les moyens économiques. Il nous est encore possible
d'espérer…
Nous avons affirmé, dans notre seconde hypothèse, que les modèles actuelles de « la
reconstruction » sont en rupture avec leur environnement urbain. Les représentations du tissu
colonial effectivement ne guident pas les opérations de renouvellement des tissus coloniaux ;
elles entrent souvent en conflit avec une conception inverse qui prône le progrès et la
technique.
En outre, on a pu constater que, dans la plupart des cas, il manque une perception globale du
tissu urbain dans lequel les interventions s’effectuent. Par dimension globale, il faut entendre
non seulement une approche socio-économique et urbaine du quartier, mais aussi une
perception à la fois culturelle et identitaire intégrant les éléments qui, favorisent l’ancrage
identitaire ou même affectif des habitants. C’est là qu’intervient la valeur patrimoniale du
bâti, non pas perçu en termes d’élément prestigieux, mais essentiellement dans sa dimension
sociale, vécue, « ordinaire ». On constate d’ailleurs l’absence de prise de conscience de la
valeur patrimoniale du bâti colonial, de sensibilité au patrimoine de la part de certains acteurs
(architectes, décideurs politiques,...).
Le problème aujourd’hui est que même s’il existe des volontés individuelles de la part des
acteurs urbains, nous butons contre un sérieux manque de cohérence. On gère encore dans
l’urgence, on ne fait pas de prospective. Il y a souvent des projets qui échappent au contrôle
des administrations chargées de la croissance et de l’urbanisme. On voit ainsi des grands
projets apparaître qui, au demeurant, peuvent être valables. Mais, sont-ils en adéquation avec
leur environnement? Toute la question est là. Un projet n’est valable que par sa pertinence et
son intégration au site où on l’implante. Souvent, il y a une incohérence quant à leur
dimension, quant à leur échelle et surtout quant à leur intégration par rapport à l’ensemble
urbanistique environnant, macro et micro. En final, nous débouchons sur la difficulté à
harmoniser toutes ces desseins de façon à pouvoir dire qu’ils vont être l’image de notre ville.
Ces options, si elles sont déclarées, restent néanmoins à nuancer, tant il est vrai que des
processus de renouvellement peuvent apparaître et transformer cette quête d'urbanité en
dynamiques purement économiques. Cependant, la relation au passé reste radicale. Alors, il
s’agit de retravailler avec le passé pour recréer de nouvelles structures. Ce qui nous fait
conclure et nous interroger sur l'avenir des tissus coloniaux. Quel est le devenir de ces
morceaux de la ville ancienne ? Vont-ils survivre et garder leur authenticité devant les
actions de démolition des bulldozers ? Le tissu colonial d’Annaba est-il menacé de
disparition ? Parviendrait-il sa mue en alliant son passé ou bien sombrerait-il dans un
futur sans passé en mettant à dos son héritage?
Par suite, la démolition des tissus coloniaux se conçoit de plus en plus comme faisant partie à
part entière d'un processus continu où se succèdent démolition et reconstruction. L'acte de
démolition tend dans ce cadre à s'étendre, s'institutionnaliser, se normaliser et se banaliser. Ce
phénomène pourrait être qualifié de dynamisme et d’évolutivité de la ville dans la mesure où
le renouvellement urbain actuel est à entendre comme une stratégie ponctuelle et hétérogène
de projets renvoyant à un mouvement incessant de construction, de dé-construction puis de re-
construction de l'espace.
A la recherche d’une stratégie globale
Dans notre troisième hypothèse, nous avons affirmé que ces opérations de renouvellement
jouent un rôle essentiel dans les dynamiques urbaines actuelles et de la recomposition de
l’espace. Ces interventions ponctuelles restent toutefois hétérogènes et manquent de
coordination. Cependant, la prise en compte coordonnée de ces interventions dépend de la
réussite d’une éventuelle stratégie globale concernant ces tissus coloniaux.
Les acteurs privés possèdent des logiques propres qu’on a essayé d’analyser à travers leurs
motivations, leurs projets, les facteurs de développement (de valorisation) qui comptent à
leurs yeux et leurs méthodes de travail. Cependant, leurs propres dynamiques doivent être
confrontées à celle, plus large, du quartier et à celle des acteurs publics et des capacités
d'intervention publique. En effet, le projet de reconstruction doit permettre de situer le degré
d'articulation et de complémentarité entre initiative privée et initiative publique, par rapport
aux besoins du quartier et de la ville. Pour ce fait, nous allons essayer d’aborder quelques
recommandations pour la réussite de ce dessein :
Le renouvellement est un phénomène naturel qui est en adéquation avec les mutations
économiques que nous vivons. Les flux financiers s’accompagnent ainsi d’une refonte
profonde du tissu urbain. Alors, si l’on doit parler de la manière avec laquelle ces mutations
se font, il convient de souligner d’emblée que les villes n’impulsent leur véritable croissance
dans le sens qualitatif que quand il y a une implication de la puissance publique. La puissance
publique doit être le régulateur premier parce que l’urbanisme, c’est d’abord l’ordre que la
puissance publique assure. Malheureusement, force est de constater aujourd’hui une
défaillance de la puissance publique en termes de cohérence et une inadéquation des outils de
gestion à travers lesquelles les choses sont en train d’évoluer au sein des villes suites aux
impacts de certains projets.
Pour inscrire l’action publique dans une réelle stratégie de renouvellement urbain, une
première étape devrait consister dans l’annonce d’objectifs précis et quantifiables. Au
moment ou les pays occidentaux comme l’Angleterre et l’Allemagne développent depuis la
fin des années quatre-vingt-dix une politique urbaine dont la stratégie préconise que les trois
quarts de la nouvelle offre urbaine soient positionnés en en périmètre déjà bâti. Pour le cas de
l’Algérie, des objectifs chiffrés n’existent pas encore en matière de renouvellement urbain ; ce
qui nous démontre l’intérêt limité des principaux décideurs pour cette problématique.
C’est davantage une meilleure gestion spatiale qu’il faudrait mettre en œuvre. Pour mieux
faire correspondre la réalité du renouvellement urbain aux besoins des principaux espaces
urbains, le meilleur usage territorial de la politique du logement pourra largement s’appuyer
sur les initiatives et compétences techniques des particuliers. A ce propos, nous avons vérifié
que la filière de « l’auto-promotion » est très dominante pour la reconstruction du bâti
colonial. Par contre, si l’on cherche à localiser convenablement les nouveaux projets
immobiliers, l’intervention des particuliers ne suffit plus. Même soutenus par la puissance
publique, ces acteurs ne disposent pas de l’expertise suffisante, tant en termes de gestion ou
de management de projets. C’est ici l’action des acteurs privés qui permettrait de bien
«territorialiser» les investissements. Au final, ce sont en effet les décisions d’implantation des
promoteurs et particuliers qui dictent en grande partie la localisation des immeubles à
appartements ou des sites d’activités économiques. Ce sont donc leurs décisions
d’implantations qui « aménagent » le territoire. Si l’on tient vraiment à s’insérer dans une
stratégie globale, c’est l’action de ces acteurs privés qu’il faut piloter.
L’idée de la nécessaire vision à long terme, qui mette en avant la nécessité d’agir tant au
niveau ponctuel qu’au niveau global, en incitant tous les acteurs urbain à s’inscrire
concrètement dans la voie du renouvellement urbain est plus que nécessaire à l’heure actuelle.
Cependant, il manque un outil efficace permettant une réelle gestion du bâti colonial ainsi que
de véritables choix politiques en la matière. Il ne peut y avoir de montage de projet efficace et
durable concernant le bâti que si on intègre toutes les dimensions et valeurs touchant à cette
partie au cachet particulier de la ville.
Les démolitions sont surtout le fait de particuliers ce qui montre les risques d’interventions
ponctuelles, déconnectées de toute stratégie globale. Les interventions se font surtout au cas
par cas, en fonction des opportunités et des disponibilités financières. Il manque souvent une
stratégie globale dans laquelle inscrire les interventions. Les instruments d’urbanisme sont
bien perçus comme des outils pouvant aider à établir une trame d’intervention générale.
Toutefois, force est de constater une négligence de ces derniers par rapport aux tissus
existants. Cette absence de vision globale, doublée d’un manque de volonté politique, est
ressentie comme particulièrement stérilisante et débouche parfois sur des situations
incohérentes.
La collectivité dispose de très nombreux outils potentiels pour orienter les choix spatiaux ou
même, interdire certaines implantations. La puissance publique peut également pénaliser les
comportements non désirés ou, au contraire, favoriser les comportements jugés en adéquation
avec le bien commun, à travers les instruments d’urbanisme.
En matière d’urbanisme, l’idée reçue consiste à considérer que les maîtres d’ouvrage privés
sont réticents vis-à-vis de contraintes trop strictes. Ce constat est avéré pour les particuliers et
les promoteurs qui aspirent souvent à un maximum de liberté, et que souvent les instruments
d’urbanisme le leurs accordent. Est-ce que les instruments d’urbanisme ou autres sont
adaptés à cette mutation effrénée du tissu urbain ?
Il faut bien avouer que les instruments d’urbanisme sont d’abord complètement obsolètes et
ne peuvent pas, de ce fait, être de bons instruments de planification. Les PDAU et les Plans
d’Occupation du Sol (POS) sont réduits à de simples plans d’intentions générales qui
codifient le « droit à construire » et qui sont restés à l’échelle du nombre d’étages autorisés et
du nombre de planchers alors que les villes comme Annaba et autres cités héritées de la
période coloniale ont des règles d’architecture et d’intégration urbaine où il faut produire en
prenant en considération un héritage urbain afin d’exercer dans l’esprit d’une cohérence
d’ensemble.
Concernant la proposition visant à réguler le volet renouvellement urbain au sein d’un outil
stratégique local de type PDAU ou POS, la réflexion n’est pas tant à placer sur les outils à
mettre en place, mais davantage sur la motivation concrète des acteurs qui assument la
conception de cette vision stratégique. Ce constat amène à mettre en avant la meilleure
conscientisation et formation des décideurs publics aux enjeux et outils du renouvellement
urbain, et essayer de trouver un consensus entre acteurs public/acteurs privés.
Pour la ville coloniale, on assiste d’un côté à un désengagement financier de l’État, de l’autre
aux difficultés budgétaires de nombreuses collectivités locales, mais aussi à l’évolution du
comportement des détenteurs privés. Quand la puissance publique ne parvient pas aisément à
s’assurer l’unicité de la maîtrise immobilière et de la maîtrise d’ouvrage, il est légitime que
pour le contexte actuel, l’aménagement urbain s’oriente vers des formules qui associent les
divers détenteurs des tissus urbanisés. Mais, Comment peut-on guider une action dans la
quête de nouvelles formules de renouvellement propres à mobiliser les différents détenteurs
d’un foncier urbain particulièrement complexe où forces d’inerties interfèrent avec
stratégies d’acteurs aux intérêts souvent divergents?
Les liens qui unissent l’État et les acteurs privés sont donc très complexes, multiples et
contradictoires. L’État peut contrôler le renouvellement par deux moyens : le premier est
l’instauration de normes constructives, le second consiste à créer des opérations
d’aménagement urbain qui reposent sur l’implication des acteurs privés. Alors, la démolition-
reconstruction sortira de la sphère exclusivement privée et deviendra alors un outil de gestion
urbaine.
Quelle sera alors, dans ce nouveau contexte, la nature exacte des rapports entre les
différents acteurs publics et privés ? Comment les négociations entre ces acteurs
s’établissent-elles et pour quels partenariats ? La prise en compte des acteurs privés
favorisera-t-elle l’établissement de nouvelles règles du jeu ?
Nous devons aussi nous interroger sur le rôle des pouvoirs publics dans la gestion de la ville :
La démolition/reconstruction est-elle le signe d’un désengagement étatique par rapport au
renouvellement des tissus anciens ou au contraire, peut-elle être envisagée par les pouvoirs
locaux comme le remède qui permet de renouveler le tissu urbain grâce à l’implication des
acteurs privés ? L’évaluation des politiques publiques peut intervenir à différentes étapes :
- Elle peut être un volet ou une dimension du diagnostic. Il s’agit dans ce cas d’une approche
rétrospective: quelles ont été les interventions menées sur le territoire et pouvant avoir une
influence sur sa valorisation, sa dévalorisation, sa mutabilité et quels ont été leurs effets de
ce point de vue ?
- Elle peut être un volet ou une dimension de l’observation de veille. S’agissant de quartiers
dont la puissance publique observe l’évolution dans le but de déterminer si des actions de
renouvellement urbain doivent être engagées et à quel moment, l’évaluation portera sur des
politiques qui ne relèvent pas du renouvellement urbain, mais qui peuvent avoir des effets
induits sur les processus de valorisation/dévalorisation ou l’évolution de la mutabilité.
- Elle peut être liée à une politique de renouvellement urbain identifiée en tant que telle, dont
elle constitue alors un outil de pilotage stratégique.
Dans tous les cas de figure, elle vise à mieux comprendre l’influence de l’action privée sur les
mutations passées ou en cours, pour décider de sa poursuite, de son accentuation, de sa
relance, de son abandon ou de sa réorientation.
Enfin, il faut souligner combien le thème du renouvellement urbain est relié à d’autres
thèmes: patrimoine, désurbanisation, logement, mobilité,... pour ne citer que ceux-là. Il sera
primordial, dans la poursuite de l’étude, de développer les interactions entre ces thèmes. A
côté des maîtres d’ouvrage privés, d’autres acteurs interviennent dans le renouvellement
urbain et influencent dans cette étude son déroulement : architecte, entrepreneurs, pouvoirs
publics … n’ayant abordé que le rôle des acteurs privés, il serait aussi intéressant de
développer les aspects des autres acteurs dans une continuité de la recherche.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
LES OUVRAGES
ALLAIN Rémy, La morphologie urbaine : géographie, aménagement et architecture de la
ville, Ed : Armand Colin, Paris, 2004, 254 p.
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ANNEXE
ANNEXE I : CARTE DES POS DE LA VILLE D’ANNABA
ANNEXE II : LE GUIDE D’ENTRETIEN
1- Age : ………………………….
2- Sexe :
Masculin
Féminin
3- Profession(s) exercée(s) :………………………………………………………………….
Particulier
Société
Promoteur
5- Vous êtes :
Propriétaire
Locataire
9- Lieu de travail :
Sur place
Ailleurs - Dans quel quartier ? …………………………………………………….
Achat
Héritage
Autre (à préciser) : ………………………………………………………………………..
11- L’année d’acquisition du bien immobilier :………………………………………………
Particulier
Copropriétaires
Pouvoir public
Société
Nature de l’activité ………………………………………………….
Promoteur
Public
Privé
13- (En cas d’achat), le bien était-il déjà bâti au moment de l’acquisition ?
Oui Non
Habitation
Habitation + activité(s) - lesquelles :………………………………………………..
Bon état
Moyen
Dégradé
Ruine si oui, Existait-il un arrêté d’insalubrité ? Oui Non
Oui Non
Oui Non
Oui Non
22- Avez-vous l’impression que l’emplacement du projet dans un quartier ancien rend
l’obtention des autorisations administratives plus difficile ?
Oui Non
23- Par rapport aux prescriptions urbanistiques, avez-vous été forcés de modifier votre
projet initial ?
Oui Non
24- Votre projet a-t-il fait l’objet d’opposition de la part des voisins?
Oui Non
25- Avez-vous fait l’objet de plaintes des voisins relatives à votre projet ?
Oui Non
26- En cas de remarques ou plaintes, ont-elles entraîné des modifications dans le projet ?
Oui Non
27- En quelle année vous avez débuté les travaux de démolition ?....................................
Moins d’un an
Entre 1 et 3 ans
Entre 3 et 5 ans
Plus de 5 ans
29- Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à démolir?
Bien en indivision ;
Raison économique;
Dégradation avancée ;
Etat en ruine ;
Autre lesquelles ? …………………………………………………………….
30- Quelle est l’importance relative du coût de l’opération de démolition (en proportion du
coût total des travaux) ?
Entre 10 - 20%
Entre 20% - 40%
Entre 40% - 60%
Plus que 60%
31- En quelle année avez vous débuté les travaux de reconstruction ?...................................
32- Combien d’années les travaux de reconstruction ont ils duré ?..........................................
33- A quel terme prévoyez-vous d’achever les travaux (en cas de non achèvement des
travaux de reconstruction) ?
Moins de 6 mois
De 6 mois à 1 an
De 1 an à 3 ans
Plus de 3 ans
34- Quel a été votre mode de financement ?
Autofinancement
Crédit bancaire
Autre - lequel ?………………………………………………………………….
35- Quelle est l’affectation de l’immeuble (après la reconstruction) ?
Habitation - Combien de pièces ? ……………………………………………….
Activité(s) - le(s)quelle(s) ?.....................................................................................
Habitation + activité - Combien de pièces ? ……………………………………….
Autres - lesquelles ?…………………………………………………………………
36- Combien de surface « bâtie » occupe le bien immobilier ?..................................................
Résidentielle
Non résidentielle - lesquelles ?………………………………………………
Résidentielle
Non résidentielle - lesquelles ?………………………………………………
43- Quelles sont vos intentions futures concernant l’occupation de ce bien immobilier ?
Résidentielle
Non résidentielle - lesquelles ?……………………………………………
Le louer à usage :
Résidentielle
Non résidentielle - lesquelles ?……………………………………………