Vous êtes sur la page 1sur 4

ÉCONOMIE ALGERIENNE à FIN 2021 ET PERSPECTIVES

Le FMI aura-t-il raison ?


Rachid SEKAK
Économiste et ancien cadre supérieur du secteur bancaire

Apporter la contradiction sur la base de données chiffrées locales, avec les rapports des
institutions de Bretton Woods, est donc difficile. Il est malheureux que les analystes et
observateurs nationaux de notre économie soient obligés de commenter les seuls rapports
économiques complets existants : ceux des organisations internationales. Un contexte
international peu favorable pour le pays 
L’économie mondiale reste suspendue aux évolutions sanitaires. Notons néanmoins que le choc, pour
l’économie mondiale, a été moins grave que l’impact initial ne l’avait laissé craindre. Le Fonds
monétaire international a revu à la baisse à 3,12% la contraction de l’économie mondiale en 2020,
contre une prévision initiale de 4,90%.
Le choc a été violent mais les interventions étatiques et les soutiens publics ont été rapides et massifs
au double plan budgétaire et monétaire. Elles ont permis d’atténuer le choc.
Au plan budgétaire, des plans d’aide vigoureux ont été déployés en direction des entreprises et des
ménages. Une “certaine orthodoxie” a été remise en cause. Il fallait intervenir “quoi qu’il en coûte”.
Conséquences de ces interventions massives : une explosion des déficits publics et une forte hausse
des dettes publiques.
Au plan monétaire, des politiques monétaires non conventionnelles ont été déployées. On a fourni, un
peu partout, toute la liquidité nécessaire pour empêcher la destruction des appareils de production. On
partait d’un principe assez simple : l’impossibilité de relancer la machine avec des cadavres. Il fallait
sauver les entreprises. Les volets essentiels de ces politiques monétaires accommodantes étaient le
rachat de titres publics par les banques centrales et le maintien de taux d’intérêt proches de zéro.
Mais comme après un tremblement de terre, l’économie mondiale subit des répliques, un réajustement
des plaques tectoniques, pour arriver à stabiliser et à réorganiser les systèmes. A cet égard, on a pu
observer des dérèglements dans les chaînes de valeur mondiales (chaînes d’approvisionnement) se
traduisant par des pénuries.
En Algérie, la Covid-19 a aggravé les difficultés et les vulnérabilités antérieures à la pandémie et
renforcé la démonstration de la nécessité de profondes réformes structurelles pour modifier un mode
de fonctionnement obsolète de l’économie.
En 2019, la croissance de notre économie était déjà faible, à 0,80%. Nos déficits budgétaire et de
balance des paiements étaient déjà élevés et le recours au financement non conventionnel bien avancé,
avec un encours de plus de 8 000 milliards de dinars. Cela découlait de la crise économique qui
sévissait depuis 2014, de la situation politique bien spécifique liée aux événements de 2019 et surtout
de la relative “inaction” des gouvernements successifs sur la période 2014 -2018. Cette “inaction”
complique largement l’équation actuelle.
Les données qui figurent au tableau 1 permettent de cerner quatre éléments importants :
- Le déficit budgétaire est très élevé depuis 2014.
- Le déficit du compte courant de la balance des paiements est lourdement déficitaire depuis 2014.
- Un dépérissement continu des réserves de change est observé depuis 2014.
- Un épuisement total de l’épargne budgétaire, qui avait été constitué avant, jusqu’en 2013, au sein du
FFR, soit 5 563 milliards de dinars.
Une telle situation pré-Covid-19 a largement réduit les marges de manœuvre de nos autorités dans la
prise en charge des conséquences de la pandémie qui ont été gérées a minima.
La situation économique en 2021
Notre pays est à la recherche d’un nécessaire nouveau régime de croissance et le contexte international
décrit plus haut complique l’exercice car il ne nous est pas favorable. Nous subissons et allons subir les
contrecoups des réorganisations mondiales en cours, notamment la forte poussée des prix
internationaux des matières premières, des produits alimentaires et du coût du fret, qui vont
considérablement alourdir le coût de nos importations.
A contrario, sur le volet exportations, nos marges de manœuvre seront plus réduites pour tirer plein
avantage de la hausse des cours des hydrocarbures (pétrole et gaz). Notre offre est largement contrainte
et certains volets contractuels, liés à nos exportations de gaz, ne sont pas actuellement favorables.
Nous manquons d’agilité. Ceci sans compter l’impact de la croissance de la consommation intérieure
d’énergie et des faibles niveaux d’investissement dans le domaine des hydrocarbures de ces dernières
années.
En 2021, une reprise modérée de la croissance a été observée à 4,10% (Banque mondiale) tirée par le
secteur des hydrocarbures, aidée par une hausse combinée des cours des hydrocarbures et des quantités
de gaz exportées.
Le déficit budgétaire s’est contracté, mais est resté élevé à environ 10% du PIB, malgré une hausse
sensible des recettes fiscales tirées des hydrocarbures. Cela s’est traduit par une hausse sensible de la
dette publique interne, à environ 60% du PIB. Le déficit courant de la balance des paiements est en
baisse sensible à environ 5% du PIB par rapport aux 12,70% observés en 2020. Le niveau des réserves
de change s’est stabilisé à environ 43 milliards de dollars et reste néanmoins à un niveau appréciable.
Cet élément favorable découle notamment d’un contrôle de “nature administrative” des importations
ayant conduit à une hausse modérée de ces dernières, largement inférieure à celle observée pour les
revenus d’exportations.
Le développement le plus significatif a résidé dans une accélération des pressions inflationnistes. 
La Banque d’Algérie a signalé une inflation à 9,2% en octobre 2021 et le FMI prévoit une inflation de
6,5% pour la globalité de l’année 2021. Cette inflation est largement une inflation par les coûts et
importée. 
La reprise observée en 2021 est fragile car elle découle, pour une large part, d’un facteur exogène : les
évolutions favorables du marché des hydrocarbures. 
Quelles perspectives pour 2022 et au-delà ?
Pour notre pays, les enjeux et les challenges restent les mêmes qu’avant la pandémie. Le dilemme est
compliqué à résoudre : comment relancer la croissance, préserver les équilibres sociaux, créer des
emplois et, en même temps, réduire le déficit budgétaire et le déficit de la balance des paiements ?
Les organisations internationales (FMI et Banque mondiale) considèrent que l’”outlook” de notre
économie reste incertain. La reprise économique observée en 2021 est jugée fragile. De concert, le
FMI et la Banque mondiale prévoient un tassement progressif de notre croissance à partir de 2022,
notamment à cause de la baisse qu’elles anticipent de la production du secteur des hydrocarbures et des
évolutions au niveau mondial en matière de modèles de consommation énergétique qui influenceront
inéluctablement à la baisse les cours.
Elles anticipent le maintien d’une inflation forte souvent à deux chiffres. 
Ces deux institutions remettent souvent implicitement en cause le relatif optimisme de nos autorités en
matière de croissance et de résorption de nos déséquilibres macroéconomiques.
Pour comprendre cela, il suffit de lire attentivement le dernier rapport (article IV) publié le 19
novembre 2021 qui contient les remarques de nos autorités suite aux constats du FMI. Un beau et
fécond dialogue à distance, que chacun de nos compatriotes devrait lire.
Le tableau 2 retrace les prévisions du FMI pour nos principaux indicateurs économiques. Nous aurions
aimé commenter ces prévisions en comparant ces données à celles publiées par nos autorités.
Malheureusement, ces données gouvernementales ne sont pas publiques... Et ce, malgré l’insistance
répétée de plusieurs organisations internationales, associations professionnelles et patronales, think-
tank et experts nationaux, qui ont mis en exergue l’importance vitale de la disponibilité de ces données
pour envisager les scénarios de sortie de crise.
Les rapports du Cnes et du ministère du Plan restent de lointains souvenirs !
Notre capacité prospective a beaucoup diminué ces 20 dernières années : carpe diem était la règle.
Le programme affiché par notre gouvernement est ambitieux, mais il ne contient pas de données
chiffrées. Aucun calendrier n’est fixé quant aux réformes structurelles, dont les coûts et les modes de
financement sont aussi inconnus. L’articulation entre les différentes réformes prévues est aussi
inconnue.
Apporter la contradiction sur la base de données chiffrées locales, avec les rapports des institutions de
Bretton Woods, est donc difficile. Il est malheureux que les analystes et observateurs nationaux de
notre économie soient obligés de commenter les seuls rapports économiques complets existants : ceux
des organisations internationales.
Les grandes tendances attendues du FMI
Les grandes tendances pour les six prochaines années qui apparaissent dans le dernier rapport dit
“article IV” du FMI du 19 novembre 2021 peuvent être résumées de la manière suivante :
- Un tassement progressif de la croissance du fait d’un modèle qui reste trop dépendant du secteur des
hydrocarbures mais aussi “hyper-bureaucratisé”.
- Un solde budgétaire qui reste fortement déficitaire et qui alimente une hausse sensible et rapide de la
dette publique interne et des incertitudes fortes quant à son mode de financement.
- Un déficit courant de la balance des paiements qui reste élevé et qui d’induire un amenuisement
progressif des réserves de change. Le FMI signale aussi que les mesures administratives de
compression des importations risquent de conduire à de fortes distorsions (pénuries et rentes de
situation) et à pénaliser la croissance.
- Un risque inflationniste avéré, notamment celui d’une inflation importée liée à la hausse des cours
mondiaux notamment des céréales, des produits laitiers et de beaucoup d’intrants industriels, renforcé
par un ajustement du taux de change.
Les prophéties du FMI sont inquiétantes. Grosso modo, “rien n’aurait changé” ? Espérons qu’elles ne
se réaliseront pas car elles induiraient de très fortes tensions sociales. Mais, pour cela, il nous faudra
agir vite, dans un contexte compliqué et avec des marges de manœuvre de plus en plus réduites.
Les recommandations du FMI
L’ordonnance du FMI est tout à fait classique.
- La nécessité d’un ajustement budgétaire, notamment en protégeant les populations vulnérables de
manière différente et plus équitable (meilleur ciblage des subventions) et grâce à une meilleure collecte
des impôts et à une intégration progressif du secteur informel. 
- Une meilleure collecte de l’impôt ne signifiant pas un alourdissement de l’impôt pour les citoyens.
- Une réduction du financement monétaire, direct ou indirect, du déficit budgétaire. - Une accélération
du rythme des réformes structurelles, sur la base d’un calendrier précis, en vue de construire une
croissance durable tiré par le secteur privé. 
- L’amélioration/modification du pilotage et du management des entreprises publiques lourdement
déficitaires et dont les dettes de certaines sont abyssales et garanties par le Trésor. Ce qui,
implicitement, alourdit la dette publique interne.
- Un recours à l’endettement extérieur pour financer les projets jugés prioritaires permettant ainsi de
ralentir la baisse des réserves de change. 
- Ainsi que le classique “dogme” de la gestion “plus flexible” du taux de change pour améliorer le
compte courant de la balance des paiements.
Que faire, ou l’importance du consensus social
Il y a malgré tout un fort degré de pertinence dans les constats et les recommandations du FMI, qui
devront être pris en charge de manière courageuse, lucide, rationnelle et dans la concertation avec
l’ensemble des parties. Les faits sont là. Le diagnostic est largement partagé. Les défis économiques
pour notre pays sont connus. Bien évidement, des divergences peuvent exister avec l’approche du FMI
quant aux modes de prise en charge des constats et la marche vers les objectifs. La morosité ambiante,
qui s’installe même chez les plus optimistes d’entre nous, est inquiétante.
La crise économique et la pandémie ont détruit beaucoup d’emplois et beaucoup d’entreprises ont
disparu ou connaissent de grosses difficultés. De fortes tensions sociales émergent.
Il serait souhaitable de bousculer le mode de gouvernance économique car les recettes du passé ne
fonctionneront pas. Un changement profond est indispensable et non pas des aménagements de décrets
ou des adaptations de procédures.
Dans ce cadre, Il m’apparaît important de s’atteler à reconstruire la confiance et à faire adhérer par la
construction d’un consensus et d’une vision partagée. Dans une telle conjoncture, un appel à l’effort
partagé peut être entendu et aider à bousculer les “lassitudes acquises”.
La marginalisation des compétences est une hérésie qui coûte cher au pays. Le choix des hommes et
des femmes en fonction de leurs compétences avérées et de leurs expériences de résistance positive est
déterminant. Hommes et femmes de réflexion, ayant le goût et la vocation de l’action, le sens du
travail d’équipe et de la pluridisciplinarité et en mesure d’adhérer et de suivre une feuille de route sans
concession pour eux-mêmes.
Construisons ensemble et déployons un calendrier de vraies réformes structurelles, cohérentes et
simultanées. L’économie est une chose très sérieuse et de mauvaises décisions peuvent avoir
rapidement des conséquences politiques et sociales très graves.

Vous aimerez peut-être aussi