Vous êtes sur la page 1sur 8

Revue d’économie industrielle

Changement technique et diffusion des innovations


Bertrand Quelin

Citer ce document / Cite this document :

Quelin Bertrand. Changement technique et diffusion des innovations . In: Revue d’économie industrielle, vol. 32, 2e trimestre
1985. pp. 119-125;

https://www.persee.fr/doc/rei_0154-3229_1985_num_32_1_2150

Fichier pdf généré le 09/04/2018


Recension

Changement technique et diffusion

des innovations

Bertrand QUELIN

Rubrique réalisée par le Centre de recherche en économie industrielle de


l'université Paris-Nord, sous la responsabilité de Jean-Marie CHEVALIER.

Le changement technique est un fait largement reconnu. Mais la science


économique a consacré relativement peu d'attention à la compréhension des processus
de développement et de diffusion des innovations. A cet égard, la référence aux
cadres analytiques traditionnels (demand-pull/technology-push) ne permet pas
d'apporter une réponse satisfaisante.

Cependant la réactualisation des thèses anciennes domine. La révolution


électronique et bio-technologique, l'enlisement de l'économie mondiale dans la crise
favorisent les interprétations technologiques (1). Et les thèses de Schumpeter (2)
connaissent un regain d'intérêt (3). Mais la difficulté majeure tient à l'intégration
de la technologie dans un cadre dynamique d'analyse structurelle du capitalisme.
Comment le changement technologique s'opère-t-il ? A la faveur de quelles
transformations économiques et industrielles les innovations deviennent-elles
dominantes ? L'existence même d'innovations n'assure pas leur propagation dans le tissu
économique.

Une première partie examine des ouvrages anglo-saxons — littérature


dominante — d'économie du changement technologique. La seconde est
consacrée à des études de la diffusion des innovations.

(1) G. SCHMEDER : « Les interprétations technologiques de la crise ». Critiques de l'économie


politique, n° 26-27, 1984, pp. 41-52.
(2) J. SCHUMPETER : Theory of economic development. Harvard University Press, 1934.
Business Cycles. Me Graw Hill. 1939.
(3) R. BOYER, B. COR1AT : « De la crise comme « destruction créatrice »... ou le retour de
SCHUMPETER ». Le Monde diplomatique, septembre 1984, p. 14-15.

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE - n° 32, 2ème trimestre 1X5 119


I. — L'ÉCONOMIE DU CHANGEMENT TECHNOLOGIQUE

Nathan ROSENBERG — Perspectives on Technology Cambridge. University Press.


New York. 1976. 353 p.

Réédition d'articles publiés dans de nombreuses revues américaines, cet ouvrage


s'articule autour de trois principaux axes : historique, technologique et
économique.

Après un examen des origines de la technologie aux États-Unis au XIXe siècle


(pp. 1-60), Rosenberg étudie dans la seconde partie la genèse et la formation des
technologies nouvelles. Il y critique la conception schumpeterienne de
l'innovation et ses implications pour l'analyse du changement technologique (ch. 4). Le
chapitre 7 est consacré à la conception économique de la science et du
changement technologique permanent développée chez Marx.

Dans la troisième partie, Rosenberg développe sa thèse de la transformation


technologique. La forme première de l'innovation ne lui assure que très rarement
une domination sur la technique en place. Seules des améliorations constantes et
une articulation offre-demande permettent la réelle diffusion de l'innovation. Loin
de la « destruction créatrice » schumpeterienne, l'auteur constate pour de
nombreuses innovations la coexistence sur une longue durée de l'ancienne et de la
nouvelle technologie. A partir d'une invention, une technologie évolue et se
transforme pour assurer sa domination. Parallèlement, la diffusion des innovations
dépend fortement du développement du secteur des biens d'équipement, et de
l'approfondissement de la division du travail en son sein. Ces quatre chapitres
permettent d'aborder théoriquement l'analyse du développement des industries
nouvelles et la restructuration de l'économie mondiale.

La dernière partie traite des liens entre la technologie et l'environnement.


L'auteur y analyse notamment (ch. 15) la thèse de l'invention « tirée » par la
demande développée par J. Schmookler (4). Puis il développe sa propre
conception des liens de l'activité scientifique et de la croissance économique où l'offre
joue un rôle déterminant. Des nombreuses références historiques, les
enseignements à retirer sont essentiels à notre compréhension économique de l'évolution
technologique et industrielle.

Paul STONEMAN — Economic Analysis of Technological Change. Oxford


University Press. 1983. 272 p.

Cet ouvrage a l'ambition d'être un manuel qui synthétise les différentes


approches et théories du changement technologique et de ses impacts sur les structures
économiques.

Dans la première partie, Stoneman analyse l'apparition d'une nouvelle


technologie à travers les liens entre invention et innovation. Il examine la validité de
mesures de l'effort d'innovation, par les brevets déposés et déclarés puis par les dépen-

(4) J. SCHMOOKLER : Invention and economic growth. Harvard University Press. 1966.

120 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE - n° 32, 2ème trimestre 1985


ses engagées en Recherche-développement (ch. 3). Le modèle de « learning by
doing » d' Arrow est développé dans le chapitre suivant.

Fidèle à la séquence schumpeterienne — invention-innovation-diffusion —


l'auteur étudie dans la seconde partie la diffusion de l'innovation. L'étude de la
diffusion intra-firme et intra-sectorielle fait une large place aux modèles
précurseurs de Mansfield (5). Cependant, Stoneman se démarque du modèle épidémi-
que (ch. 9). Il développe un modèle dans lequel la structure du marché de l'offre
et l'intensité des économies d'apprentissage influencent fortement le sentier de
diffusion.

La troisième partie traite des effets du changement technique sur le volume de


la production et l'emploi, sur l'investissment et la répartition du revenu. Il est
intéressant de comparer le chapitre 16 consacré aux effets sur la structure du
marché au chapitre 15 de l'ouvrage de Scherer (6).

L'auteur consacre une trop faible place aux thèses de l'amélioration


progressive des innovations. Mais sa riche bibliographie et son caractère synthétique en
font un bon ouvrage d'introduction aux théories du progrès technique et du
changement technologique dans les sociétés industrielles.

Nathan ROSENBERG — Inside the black box : technology and economics.


Cambridge University Press. New York. 1ère ed. 1982. 304 p.

Cet ouvrage de Rosenberg regroupe aussi un certain nombre de ses articles. Un


excellent tour d'horizon des approches économiques du progrès technique ouvre
le recueil (pp. 1-32). L'auteur examine tour à tour les thèses sur l'innovation
(Schumpeter), la thèse d'Usher sur les forces qui influencent le processus
d'invention. Enfin il analyse le débat sur le caractère même de l'innovation : rupture
radicale ou processus d'améliorations continuelles.

Un autre article co-signé par C. Mowery (pp. 193-241) fait écho à ce dernier
dans lequel les deux auteurs analysent les thèses de l'innovation tirée par la demande
de marché.

La seconde partie de l'ouvrage (pp. 55-159) traite des caractéristiques


significatives de la technologie dans nos sociétés industrielles. Rappelant l'importance des
améliorations suivant l'innovation, Rosenberg analyse la superposition de
l'interdépendance technologique et des relations industrielles dans l'économie américaine.
La problématique de l'article consacré au comportement d'attente de l'entreprise
face à une technologie nouvelle et de ses liens avec la diffusion (ch. 5) est reprise
dans le chapitre 12 (pp. 280-291) pour analyser la compétition industrielle, la
diffusion internationale des innovations et le leadership américain. Enfin, l'auteur
développe deux études sectorielles : l'influence de l'offre énergétique sur la crois-

(5) E. MANSFIELD : Industrial Research and technological innovation. W.W. Norton. New York.
1968.
(6) F. M. SCHERER : Industrial market structure and economic performance. R. Me Nally.
Chicago 1970.

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE - n° 32, 2ème trimestre 1385 121


sanee économique (ch. 4) et le poids du « learning by doing » dans l'industrie
aéronautique (eh. 6). Bien que l'analyse du contexte international se réduise à deux
articles, cet ouvrage de Rosenberg est un excellent complément de son précédent
(cf. supra).

II. — LA DIFFUSION DES INNOVATIONS

Paul STONEMAN — Technological diffusion and the computer revolution : the


U.K. experience Cambridge University Press. 1976. 219 p.

Cette étude décrit et analyse l'informatisation et ses conséquences en Grande-


Bretagne. Stoneman se livre d'abord à un examen de la technologie
informatique, de son marché et de l'évolution de ses prix et performances. L'étude
s'attache à repérer les principaux facteurs qui influencent la diffusion de la technologie.

Puis, à la suite de l'étude de Chow (7), l'auteur recourt à une régression des
données recueillies sur le modèle logistique classique (de type épidémiologique).

Cependant, l'intérêt de l'ouvrage réside dans l'examen des effets de la


production et de la diffusion des ordinateurs sur le volume de l'emploi (pp. 180-190).
En effet, l'auteur montre que le secteur informatique a créé peu d'emplois au cours
des années 60. A partir des années 70, l'extension de l'usage de l'informatique
aurait provoqué par ailleurs des effets négatifs sur la croissance de la demande
de travail (8).

Confrontée à de nombreux problèmes de mesures et de spécifications, cette étude


a le mérite de tenter une évaluation des effets sur l'emploi de l'informatisation,
à partir d'un modèle théorique.

Stephen DA VIES — The diffusion of process innovations. Cambridge


University Press. New York. 1979. 193 p.

L'auteur étudie la diffusion de 22 innovations de procédés industriels,


recensées dans différentes études anglaises (9).

Une analyse des fondements théoriques des précédentes études de diffusion


d'innovations permet à l'auteur de critiquer les hypothèses de Mansfield (10) :
la faiblesse de son échantillon et l'ajustement de ses données au modèle épidémi-

(7) G. C. CHOW : « Technological change and the demand for computers ». American Economie
Review, vol. 57. pp. 1117-1130. 1967.
(8) Une confusion est à éviter à ce stade : l'évolution de la demande de travail avec l'introduction
d'ordinateurs est comparée à celle sans informatisation. Cf. P. STONEMAN : « The effects of
computers on the demand for labour in the United Kingdom ». Economic Journal. Vol. 25.
septembre 1975. pp. 590-606.
(9) Presses à papier à commande numérique, photo-composeurs, ligne automatique de presses,
contrôle photo-électrique de découpe, machine-outil à commande numérique...
(10) E. MANSFIELD, op. cit.

122 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE - n° 32. 2ème trimestre 1985


que. Puis Davies développe son propre modèle de diffusion, proche d'un modèle
probabiliste utilisé dans l'étude de la diffusion, des nouveaux biens de
consommation (ch. 4).

Cette étude se situe dans le cadre de la diffusion inter-firme, c'est-à-dire de


l'imitation. Son originalité réside dans deux caractéristiques :

— une distinction de deux groupes d'innovations dans l'échantillon étudié :


distinction liée au degré de complexité technologique et donc aux coûts.
L'importance du « learning by doing » distingue nettement les deux groupes. La
diffusion est beaucoup plus lente pour les innovations les plus complexes (groupe B) ;

— l'utilisation d'un modèle de diffusion « ad hoc » associe alors une courbe


de diffusion log-normale aux innovations du groupe A et une courbe normale à
celles du groupe B. La forme de la courbe de diffusion est donc déterminée par
la nature de l'innovation.

Au terme de l'étude, l'auteur démontre un lien positif entre vitesse de diffusion


et taille de l'entreprise. Mais Davies échoue à établir un lien entre la diffusion
et la structure du marché et ne peut que soupçonner l'action de la concurrence
comme aiguillon de la vitesse de diffusion (ch. 7).

L'intérêt de cette étude réside surtout dans l'originalité de la démarche et


l'utilisation d'un modèle empirique. Cependant elle échoue dans sa démonstration de
l'action de certains déterminants (structure de marché, taux de concentration, degré
capitalistique de la firme) de la vitesse de diffusion.

Bêla GOLD, Gerhard ROSEGGER, Myles R. BOYLAN — Evaluating


technological innovations : Methods, Expectations and Findings. Lexington Books. 1980.
D.C. Health. Toronto.

Cet ouvrage associe une réflexion théorique menée par B. Gold et trois études
de diffusion de procédés industriels.

B. Gold analyse les fondements théoriques des modèles de diffusion,


particulièrement le modèle épidémique (11). Il développe trois réflexions fondamentales
pour la révision des bases conceptuelles des mesures de la diffusion :

— la définition des innovations : elles apparaissent fréquemment sous une


variété de formes et subissent de nombreuses améliorations. De quelles
innovations mesure-t-on le taux de diffusion ? Le rythme d'innovation joue donc un rôle
crucial dans le processus de diffusion ;

— la mesure du taux de diffusion : selon B. Gold, le nombre d'installations


ou de firmes utilisatrices n'établit pas si les engagements financiers sont réels ou

(11) On trouvera une traduction d'une partie de ces développements dans : B. GOLD : « Les
interactions entre les innovations technologiques et les prix des facteurs : concepts révisés et
perspectives ». Revue d'économie industrielle. N° 2. 4ème trimestre 1977.

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE - n° 32, 2ème trimestre 1985 123


bien si on est en présence d'une simple expérimentation. Gold préfère donc
l'indicateur du pourcentage de la production dû à l'innovation. Indicateur qui se révèle
cependant difficile à élaborer ;

— la population concernée : les modèles de saturation (de type épidémique)


supposent l'existence d'une population de firmes potentiellement adoptives. Qu'est-
ce qui permet d'évaluer cette population d'adopteurs ? Les améliorations
successives des innovations n'élargissent-elles pas cette population ?

Tels sont les pôles de la problématique développée par B. Gold (1ère et 4ème
partie). A partir de ces réflexions théoriques, G. Rosegger et M. Boylan
analysent la diffusion aux États-Unis de trois procédés industriels importants : la
coulée continue dans la métallurgie, le haut fourneau et le haut fourneau à
alimentation d'oxygène.

Otto HIERONYMI, André GABUS, Hermann HATTEMER, Eugénie SALLIN


— La diffusion de nouvelles technologies en Suisse. Ed. Georgi. St Saphorin 1983.
342 p.

Cette étude sur la diffusion de nouvelles technologies en Suisse a été entreprise


par le Centre d'économie appliquée de Battelle-Genève. Les technologies étudiées
sont les suivantes :

— l'électronique dans la montre,


— la commande numérique de machines-outils,
— les systèmes de communication de données,
— la photocomposition dans les arts graphiques,
— la métallurgie des poudres.

Parmi les stimulants de la diffusion, les auteurs ont relevé trois principaux
facteurs interdépendants :

— la recherche de gains de productivité,


— la spécialisation de la Suisse en produits de haute technicité,
— la structure du commerce extérieur.

Cependant, ils ne négligent pas le poids des ressources financières et le rôle que
peuvent jouer des qualifications adéquates. Deux facteurs importants tendent à
freiner l'introduction de technologies nouvelles dans la production :

— la specialisation.de certaines industries en produits de haute qualité mais


fabriqués en petites quantités ;

— la structure industrielle : les nombreuses entreprises de taille moyenne


possèdent des ressources limitées pour certaines ou bien se heurtent à un degré
d'intégration industrielle insuffisant qui les conduit à abandonner certains projets.

Enfin, les auteurs soulignent le rôle important que peuvent jouer les modes de
fonctionnement et la législation fiscale dans l'introduction de nouvelles
technologies.

124 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE - n° 32, 2ème trimestre 1985


R. LARUE de TOURNEMINE (sous la direction de) — L'innovation : vers une
nouvelle révolution technologique. Coll. Pluralisme. Documentation française.
Paris 1983.

Cet ouvrage collectif du BETA de l'université de Strasbourg analyse


l'innovation et ses enjeux dans la crise économique. Dans la première partie, M. Amen-
dola (professeur à l'université de Rome) replace l'innovation dans le cadre d'analyse
de la transition d'un état technologique à un autre. En effet, l'innovation offre
un double aspect : destruction de capacités de production et création de
structures industrielles nouvelles.

Dans cette problématique, l'analyse des enjeux s'articule autour de trois pôles :

— la réorganisation de secteurs de base (énergie, chimie) et l'émergence de


filières nouvelles (biotechnologie, photonique). Chacun des articles dégage les lois
d'émergence de ces nouveaux secteurs ;

— la diffusion de l'innovation dans le domaine des matériaux composites (12)


et dans l'industrie pharmaceutique. Ces articles précisent les conditions de la
propagation d'une innovation initialement circonscrite à des activités de pointe ;

— le rôle de l'État dans le secteur des télécommunications et en matière spatiale.

Les conséquences de l'innovation sur l'emploi sont traitées dans la troisième


partie. J.L. Gaffard replace le processus de l'innovation dans un contexte
économique de croissance. Pour l'auteur, les relations entre changement technique et
emploi s'inscrivent dans une problématique d'analyse dynamique.

(12) Voir la thèse d'état de E. ZUSCOVITCH sur l'apprentissage industriel. Pour l'auteur, le
processus apparaît séquentiel et cumulatif dont le but est la constitution d'un savoir-faire. Dans ce cadre
d'analyse, la diffusion de l'innovation repose sur les relations établies entre les firmes du tissu
industriel. L'auteur la qualifie de « diffusion par percolation » : la diffusion est facilitée par l'étroi-
tesse des liens de complémentarité et de dépendance. E. ZUSCOVITCH : Une approche méso-
économique du progrès technique : diffusion de l'innovation et apprentissage industriel. Thèse
d'État. Strasbourg. 1984. 443 p. + annexes.

REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE - n° 32, 2ème trimestre 1985 125

Vous aimerez peut-être aussi