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Michalet Charles Albert. Une nouvelle approche de la spécialisation internationale. In: Revue d’économie industrielle, vol. 17,
3e trimestre 1981. pp. 61-75;
doi : https://doi.org/10.3406/rei.1981.2019
https://www.persee.fr/doc/rei_0154-3229_1981_num_17_1_2019
Résumé
Les analyses de l'insertion des économies nationales dans la division internationale du travail
obéissent encore au paradigme traditionnel de la théorie de l'échange international centré sur la
circulation des marchandises. Une nouvelle approche multidimensionnelle est proposée. Elle est
fondée sur la prise en compte d'ensembles hiérarchisés de modalités d'internationalisation comprenant
la dimension commerciale, production technologique et financière à la sortie comme à l'entrée. Ces
structures permettent de définir une nouvelle interprétation de la spécialisation internationale en termes
de compétitivité avec l'introduction de comptes empruntés à la théorie de l'économie industrielle. Enfin,
des propositions sont esquissées pour la définition d'une « bonne » spécialisation dans une optique
néointerventionniste.
Une nouvelle approche de la
spécialisation internationale
Charles-Albert
UniversitéDirecteur
de MICHALET
Paris du
X Nanterre
CEREM
(1) Dans un numéro récent consacré à la Nouvelle Division Internationale du Travail (n° 14, 1980),
La Revue d'Economlie Industrielle a apporté sa contribution à ce débat.
(2) Cf. C.A. MICHALET, Le capitalisme mondial, (Paris, PUF, 1976).
(3) Cette étude a été effectuée par l'équipe du Centre d'Etudes de la Recherche sur l'Entreprise
Multinationale (CEREM) dans le cadre d'une ATP de la DGRST consacré à la Division Internationale
du Travail. Nous reprenons en partie le chapitre consacré à la problématique générale.
Pour une économie donnée, son intégration à l'économie mondiale peut être
analysée à plusieurs niveaux différents. Dans l'étude empirique, nous avons
distingué entre les flux d'exportations/importations, les flux d'investissements
directs à l'entrée et à la sortie, les ventes et les achats de technologie, les réseaux
bancaires et les mouvements de capitaux bancaires. Les données portent sur la
période 1968-1978 ; sept zones ont été définies : Etats-Unis, CEE, reste OCDE,
Amérique Latine, POM, Reste PVD et pays de l'Est. Le découpage sectoriel est
le même pour les trois premières modalités d'internationalisation, il a été
déterminé par le plus petit commun dénominateur constitué par les statistiques
relatives aux flux d'investissements directs. Cette approche permet donc de
superposer, à l'entrée ou à la sortie, pour une période donnée, pour des zones et des
secteurs identiques, quatre dimensions de l'intégration de l'économie française dans
l'économie mondiale : l'internationalisation commerciale, l'internationalisation
de la production, l'internationalisation technologique et l'internationalisation
financière. Par là nous pensons rompre avec la démarche traditionnelle qui réfère
généralement le phénomène d'internationalisation à la seule dimension des
échanges dans l'optique traditionnelle des théories de la Division Internationale
du Travail.
(4) Sur tous ces points, M. DELAPIERRE et CA. MICHALET : Les Investissements étrangers en
France : stratégies et structures. (Paris, Calmann-Lévy, 1976).
(5) Cf. J.-P. THUILLIER : Les investissements directs européens aux Etats-Unis : investissements
croisés et centralisation du capital, à paraître.
(6) Cf. C. OMAN, The « new forms » of Investment in developing Countries, a state-of-the-art.
Working document. Center of Development, OCDE.
(7) Sur tous ces points v. B. MADEUF : L 'ordre technologique International (Paris, La
Documentation française, 1981).
Au total, la place d'une économie nationale dans la DIT ne peut donc être
réduite au modèle unidimensionnel du paradigme de l'échange international.
Mais il ne suffit pas de définir les différents niveaux de son intégration à
l'économie mondiale. L'analyse que nous venons de faire ne constitue qu'une étape. En
effet, le processus d'intégration ne résulte pas seulement de l'addition des
différentes modalités commerciales, productives, technologiques et financières. Il
s'agit maintenant de tirer les conséquences de leurs inter-relations. Le
phénomène d'intégration est multidimensionnel, il est aussi structuré.
(8) Sur tous ces points CA. MICHALET : Banque multinationale, firme multinationale et économie
mondiale (MELANGER, J. WEILLER, à paraître). Voir aussi : La dimension monétaire et
financière du capitalisme mondial, in Les Euros Crédits (Paris, Librairie Technique, 1981).
(9) Cf. rapport RYBICOFF : Commission de Finances du Sénat des Etats-Unis, 1973. Voir aussi
rapport Hufbauer-Adler (1971).
(10) Rapport du Comité d'Aide au développement de l'OCDE.
Bien entendu, le même raisonnement peut être appliqué dans le cas des
structures de pénétration de l'économie française.
(11) Etats-Unis, CEE, reste pays de l'OCDE, Amérique latine, POM, autres PVD, pays de l'Est.
Tout d'abord, la proposition que nous avons faite de saisir comme une
structure hiérarchisée les différentes formes de l'internationalisation, est beaucoup
plus englobante que la théorie traditionnelle qui se limite à l'échange de produits.
Il ne s'agit évidemment pas d'une généralisation de type post-ricardien étendant
le schéma à deux produits et deux pays à m produits et n pays. En revanche, il
pourrait être tentant de la situer dans le prolongement des tentatives
néotechniques qui ont cherché à expliquer la spécialisation d'un pays sur la base
d'une conception plus complexe de la dotation en facteurs. La difficulté ne serait
peut-être pas dans le fait de définir une dotation en facteurs plus large qui
expliquerait les structures dominantes variées qui ont été suggérées précédemment. Le
paradoxe, ou plutôt la contradiction dans les termes, provient du fait que la
dotation en facteurs qui doit déterminer ex ante la spécialisation — expliquer les
« structures à dominante » dans notre perspective — est elle-même déjà
internationalisée.
L'hypothèse de travail que nous proposons est axée sur l'idée d'une autonomie
relative des structures à dominante.
Les Groupes sont les porteurs de cette spécialisation qui ne peut plus être
référée exclusivement à la détermination a priori des dotations nationales. La
formation des structures à dominantes différenciées selon les zones de pénétration
résulte de la coopération entre les partenaires commerciaux, industriels,
financiers, technologiques. La répartition des rôles est variable selon la structure
industrielle des pays d'origine et/ou les régions d'expansion. Mais l'effet de
synergie contenu dans ces structures multifonctionnelles internationalisées
apparaît comme devant dorénavant servir à définir les avantages comparatifs des
Nations. Avantages comparatifs qui ne sont plus exclusivement le reflet des
dotations nationales initiales mais qui se définissent au niveau mondial. Finalement,
elles traduisent des avantages compétitifs. Cette dernière formulation nous
semble plus adéquate que celle d'avantages comparatifs dans la mesure où elle
englobe le comportement d'agents micro-économiques en concurrence.
(12) Cf. J.-M. LORENZI, O. PASTRE, J. TOLEDANO : La crise du XXe siècle, (Paris,
Económica, 1980).
(13) J.P. THUILLIER, Op. cit.
(14) C.A. MICHALET, Tendances récentes du capitalisme mondial, in Revue d'Economie
Industrielle, op. cit.
La rupture par rapport à la thèse néo-libérale ne peut donc pas être recherchée
dans des interprétations néo-protectionnistes. Elle doit être cherchée ailleurs,
dans une conception néo-interventionniste. A nos yeux, le changement
d'orientation doit se fonder sur les éléments qui permettent de sortir d'une «
spécialisation » internationale déterminée par les « avantages compétitifs », c'est-à-dire
en fin de compte, par la concurrence oligopolistique à l'échelle mondiale. Il s'agit
finalement de réagir contre la tendance qui transforme l'Etat-Nation en un
simple territoire amorphe. Cette ambition est aussi en rupture avec le libéralisme
classique où il fallait laisser faire le jeu des avantages comparatifs tels qu'ils res-
sortaient des dotations factorielles.
Notre démarche aboutit donc à reconnaître le rôle de l'Etat dans la maîtrise de
la spécialisation. Il s'agit en fait, pour lui, de reconquérir l'initiative des choix
définissant la participation de l'économie nationale dans l'économie mondiale. Si
l'option d'une fermeture de l'économie est éliminée, il reste alors à mettre au
point une nouvelle formule de concertation avec les Groupes visant dans le cadre
d'une programmation à moyen-long terme à choisir les structures
d'internationalisation qui correspondent le mieux à une stratégie industrielle commandée par la
recherche d'une accumulation autonome.