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I-CONFLITS FRONTALIERS :CAS DES GRANDS LACS AFRICAINS

Les pays de la sous région des Grands Lacs sont marqués par une dynamique régionale très complexe
avec des clivages locaux et des conflits nationaux qui prennent souvent des dimensions
transfrontalières.

Depuis les années 1960, chaque fois qu’un conflit a eu lieu dans un des États de la région, l’équilibre des
pays voisins a été lui aussi menacé. C’est le cas du génocide rwandais de 1994 qui a eu des répercussions
sur le déclenchement du premier conflit au Zaïre (RDC).

1. Contexte géographique

La région des Grands Lacs africains est une entité géopolitique organisée autour d’une suite de lacs dont
le lac Victoria, Edouard, Kivu, et Tanganyika lesquels constiituent les frontières naturelles entre les pays
qui les entourent. À savoir, le Kivu qui relève de la RDC, le Burundi, le Rwanda, la pointe Ouest du Kenya,
le sud de l’Ouganda et le Nord-Ouest de la Tanzanie. Tous ces pays sont peuplés de nombreuses ethnies
parmi lesquelles nous avons les Hutu (Bantous), les Tutsi (non-Bantous) et les Twa ou pygmées.Au cœur
de cette région, se trouve la province du Kivu, située dans la partie Est de la République Démocratique
du Congo et qui a une frontière avec les territoires Burundais de Cibitoke, Bubanza et Bujumbura, les
territoires de Cyangugu au Rwanda. ‘Le Kivu est une ‘province jadis florissante, convoitée pour ses
richesses minérales, traditionnel creuset de migrations transfrontalières, agitée de longue date par des
flambées de violences interethniques en particulier entre Hutu et Tutsi originaires du Rwanda et du
Burundi voisins’ (La documentation Française, Online).

2.Les zones frontalières concernées par le conflit.

Les ethnies Hutu et Tutsi vivent des deux côtés de la rivière Ruzizi. Pour la petite histoire sur les
migrations de la région, les Hutu du Kivu (Bafuliru, Babembe, Barega, Bashi, etc.), considérés comme
autochtones, seraient venus du Royaume de Bunyoro en Ouganda avant les années 1885 et d’après loi
de 1981 sur la nationalité congolaise, leur nationalité ne pourrait être autre que congolaise. Par contre,
les Rwandophones (les Banyamulenge et les Barundi) seraient quant à eux, issus de mouvements
migratoires datant d’après la mort du roi Léopold II en 1908, et considérés soit comme des immigrants
acceptés par l’administration coloniale belge, soit comme des immigrants clandestins, soit comme des
réfugiés sans papiers (Depelchin, 1974, p.32 ; Ruhimbuka, 2001, p. 28-27).Les conflits politiques dans
cette région n’ont pas permis la clarification de la situation des ethnies, au contraire ils ont contribué à
leur enlisement et à leur complication du fait de mouvements migratoires à double sens et de
l’infiltration continue des Banyarwanda et des Barundi dans la région (en particulier dans la plaine de la
Ruzizi au Sud Kivu.) Les visées de leur migration sont diverses : terre, pouvoir, commerce ou simple vol
de bétails pour retourner ensuite au Rwanda ou au Burundi.
Les conflits persistants qui découlent de cette confusion sur la nationalité vont culminer en 1996 par un
déchaînement de combats, de massacres interethniques, de pillages, de viols impliquant une dizaine
d’armées de la région et une multitude des milices constituées sur une base ethnique. Les Banyarwanda
(peuple Rwandophone) et les Barundi (population qui parle Kirundi) continuent à s’identifier par rapport
à leurs pays d’origine alors qu’ils vivent sur les territoires congolais. Les deux ethnies se feront aider par
les armées et les gouvernements rwandais et burundais pour revendiquer la reconnaissance de la
nationalité congolaise et le territoire. Les Barundi, quant à eux, ne revendiquent que le territoire.

3. Acteurs du conflit 

Les États et leurs armées, les groupes ethniques et les populations, les réfugiés ou les déplacés, l’ONU et
ses missions de paix dans la région (MONUSCO), la CUA et les organisations régionales CIRGL, les
représentants des associations de la société civile locale, les ONG et les bandes armées constituent les
principaux acteurs du conflit des Grands Lacs

Cependant, en dépit de tous ces conflits, de la ruralité et de l’explosion démographique, les populations
des deux ethnies de la région traversent la rivière Ruzizi pour aller chercher du travail comme main
d’œuvre agricole, faire des petits commerces ou enseigner afin d’améliorer leurs conditions de vie. Des
jeunes traversent pour poursuivre leurs études et des malades pour recevoir des soins médicaux
appropriés. Les échanges socio-économiques et culturels entre les populations des espaces
transfrontaliers sont donc intenses malgré les tensions et les conflits au sommet des États de la région.

4-Sources des conflits

D’une manière globale, les incompatibilités sources de conflits seraient la gestion de la terre, des
frontière et du voisin. Les dirigeants des États de la région, en particulier le Rwanda, ont besoin de ces
richesses pour asseoir leur pouvoir et surtout élargir leurs zones d’influence au-delà de leurs frontières
dans une région riche en minerais, dont les terres peuvent aussi servir de déversoir. Les dirigeants de la
RDC, invoquant des lois et normes peu claires, refusent le droit à la terre et au pouvoir coutumier aux
peuples Tutsi d’origine burundaise et rwandaise. De par ces positions, ils paraissent résister à la
tentative de la révision des frontières et du partage égal des ressources selon le principe de l’Union
Africaine consacrant la souveraineté et le respect de l’intangibilité des frontières issues de la
décolonisation. Les dirigeants congolais tirent leur pouvoir de la terre et des richesses du pays et ils ne
sont pas disposés à les partager avec d’autres.Comme on peut le constater, les trois parties poursuivent
des objectifs incompatibles qui les mettent en confrontation violente à l’image du conflit violent qui
persiste entre deux ethnies de la zone frontalière de Mutarule, située à l’est de la RDC, tout près du
Burundi.De plus la violence vient de la non-reconnaissance aux Barundi et aux Banyarwanda du droit à la
terre et au pouvoir à cause de lois et de dirigeants qui ne les protègent pas totalement.Ce qui favorise
les perceptions tendant à l’exclusion sociale et à la déshumanisation de l’une ou l’autre ethnie.

5-Effet des conflits sur la population

De façon générale, les populations de la région ont toutes des besoins à satisfaire (que ce soit la terre
ou tout autre moyen pour leur survie) et elle en deviennent vulnérables au point de se laisser
instrumentaliser par les politiques et les milices de leurs pays respectifs.Les réfugiés et les déplacés
internes sont souvent pris pour cibles par les parties en conflit. Ils sont à la fois les victimes et la
conséquence desdits conflits.Tous les pays de la région sont encore confrontés à l’injustice sociale, au
manque de démocratie ainsi qu’au problème de gestion des zones frontalières indispensable pour
maintenir une paix durable.Cependant, en dépit de tous ces conflits, de la ruralité et de l’explosion
démographique, les populations des deux ethnies de la région traversent la rivière Ruzizi pour aller
chercher du travail comme main d’œuvre agricole, faire des petits commerces ou enseigner afin
d’améliorer leurs conditions de vie. Des jeunes traversent pour poursuivre leurs études et des malades
pour recevoir des soins médicaux appropriés. Les échanges socio-économiques et culturels entre les
populations des espaces transfrontaliers sont donc intenses malgré les tensions et les conflits au
sommet des États de la région.

6-Tentative de règlement des conflits

Les efforts de l’ONU pour ramener la paix dans la région ont abouti à la cessation officielle des hostilités
en 2003-2004 et à l’engagement des pays de la région dans le processus de consolidation de la paix, par
le biais de la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL). Seulement voilà que
malgré la mise en œuvre de mécanismes de contrôle de la déstabilisation régionale, le défi de la
construction de la paix durable persiste. Les violences entraînent des pertes en vies humaines, des
déplacements de populations dans tous les sens, la destruction des infrastructures de base et le pillage
économique.La CIRGL est censée imaginer des actions susceptibles de ramener une paix durable dans la
région. Elle a pour objectif ambitieux de « lancer un processus dans le cadre duquel les dirigeants des
pays de la région des Grands Lacs chercheront ensemble à dégager un accord sur un certain nombre de
principes - relations de bon voisinage, stabilité, paix, développement, etc.- et définiront et mettront en
œuvre une série de programmes d’action en vue de mettre fin au retour cyclique des conflits et
d’apporter à l’ensemble de la région une paix durable, la stabilité, la sécurité, la démocratie et le
développement. » (Relief web). Sous ses auspices, les leaders de onze États de la sous-région se
rencontrent et signent des accords tels que la Déclaration de paix de Dar-es-Salaam (2004) et le Pacte de
Nairobi (2006).Dans un cadre régional de la CEPGL, des projets d’intérêt commun ont été lancés sans
trop de succès. Seule la libre circulation transfrontalière des personnes et de leurs biens semble être
garantie.Les groupes armés (Mai Mai, FDLR et FNL) ne sont pas dans la logique des peuples qui
s’entendent, et ont leurs propres intérêts et leur agenda. Leur argumentaire est autre/ailleurs. Certains
sous-traitent le travail des acteurs politico-militaires et d’autres s’improvisent en protecteurs des
‘communautés ethniques’ sans mandat de celles-ci.Les groupes de la société civile (ONG, associations,
Églises) qui n’appartiennent ni aux gouvernements ni à la population mais se disent représenter les
populations ‘forces vives’ (sans mandat de celles-ci) prennent une part active dans les conflits à travers
leurs discours, déclarations et positions pour ou contre l’une ou l’autre des parties en conflit. Certains
membres de la société civile, des églises et des organisations de droits de l’homme essaient de
sensibiliser la population à ne pas céder aux discours politiques des dirigeants.Les organisations de Droit
de l’Homme dénoncent les attitudes négatives des dirigeants, des groupes -milices et militaires -
nationaux. Par rapport aux acteurs politiques, les dirigeants et les membres de la société civile
entretiennent des relations difficiles. En tant qu’avocats du peuple, ils sont exposés à la méchanceté des
dirigeants politiques. Ce qui fait que les uns sont haïs en personne, voire tués par les services du
gouvernement, tandis que d’autres se rallient au pouvoir et jouent le jeu du gouvernement en
prétendant représenter la population par des ‘nous’ trompeurs.

En définitive,pour créer harmonie et équilibre, il est important de renforcer la société civile et


d’impliquer les dirigeants des États et leurs partenaires afin de les amener à concevoir des lois
‘d’exception’ spécifiques au contexte des zones frontalières. Ces lois et normes favoriseraient
l’intégration des communautés, la justice structurelle, la satisfaction des besoins fondamentaux, y
compris la sécurité, le social et l’économique. Tel serait le cas de dispositions légales portant par
exemple, sur une identité régionale, sur la redéfinition de la notion de bien commun et des frontières,
sur les mariages interethniques, etc.Comme tous les États de la région sont confrontés aux problèmes
de sous-développement, de sous-équipement et à l’insatisfaction des besoins fondamentaux, il faudra
redynamiser les activités de l’ensemble régional la CEPGL. Cette dernière pourra veiller à la mise en
œuvre des projets d’intégration régionale, d’intérêt commun et de gestion commune et concertée
(infrastructures frontalières ; moulin régional d’un coté de la frontière, école de l’autre côté de la
frontière, source d’eau potable, barrages Ruzizi Sinelac au Burundi, installation au Congo, etc.) pour
satisfaire les besoins des populations. Il sied à signaler que les populations vivant de la terre et de
l’élevage pourront voir créer des économies qui ne seront plus liées à la terre pour que la jeunesse ne
soit plus désœuvrées ni tentée de rejoindre des bandes armées.Pour ces dernières, il faudra chercher
à transformer leur motivation et l’enjeu derrière cette motivation. Comme elles font la guerre pour
contrôler les minerais et disposer des moyens permettant de satisfaire leurs besoins (écoles,
bourse,..), il faudra  ; les dividendes de la paix doivent aussi leur profiter si l’on veut les amener à faire
autre chose que la guerre. Ne dit-on pas que c’est le besoin qui rend manipulable ?

II-CONFLITS FRONTALIERS EN AFRIQUE DE L'OUEST


Les zones frontalières sont le lieu d’affrontements et de violences, qui accréditent a priori l’idée d’un
contrôle et d’une souveraineté étatiques limités sur les marges territoriales. Pour certaines banales, ces
dissensions colportent une dose plus élevée de danger pour les États car elles sont susceptibles de
s’amplifier et de générer des désordres, du moins dans les régions où l’autorité du pouvoir central tend
à se relâcher.En Afrique de l’ouest, la problématique des identités transfrontalières est une réalité
sociale qui a précédé la construction de l’État postcolonial. Ces identités transfrontalières se sont
toujours exprimées entre des peuples de différents espaces géographiques à travers des pratiques
culturelles similaires. Les frontières héritées de la colonisation et la construction des nouveaux États
postcoloniaux ont été des changements sociaux brusques qui fragiliseront des dynamiques
interculturelles entretenues et conservées entre des peuples. Ainsi, deux thèses majeures s’affrontent
sur l’origine et les rôles des frontières ouest-africaines.D’une part, prévaut l’idée selon laquelle les
frontières africaines sont arbitraires et donc construites à des fins coloniales dans le but de séparer les
États africains en micro-États. Cette thèse de la balkanisation du continent nie l’homogénéité
linguistique, identitaire et culturelle avant la colonisation. L’autre thèse postule pour l’argument selon
lequel, les frontières ont permis une dynamique de solidarité socioculturelle qui s’est développée par le
bas entre des peuples transfrontaliers.Une dynamique qui favorise une réelle intégration régionale. Le
concept de frontière n’avait de sens que dans les rapports qu’elle entretenait avec les autres formes de
différence, de discrimination sociale, juridictionnelle et culturelle, les formes de contact et d’imbrication
dans des espaces géographiques (Mbembe, 2005). Ainsi, le concept de frontière n’est toujours pas été
associé à l’existence d’un État au sens juridique du terme. À cet effet, il émerge souvent au sein des
camps de réfugiés de nouvelles figures de souverainetés différentes des systèmes juridiques des pays
hôtes. Tout en servant de lieux de replis et de conspirations politiques des rébellions, les camps de
réfugiés deviennent souvent des nations imaginaires et ainsi, émergent de nouvelles formes de
frontières. Au sein de celles-ci, se construisent de nouvelles formes de sociabilité, des idéologies, des
codes et des habitudes qui se transmettent et s’entretiennent entre acteurLa frontière est aussi une
imbrication d’espaces multiples qui se réinventent, s’ajustent, se réduisent, face aux guerres et
conquêtes et aux dynamiques migratoires (Koytoff, 1987). La Côte d’Ivoire et le Libéria, pays frontaliers
ayant des identités transfrontalières communes, n’ont pas écharpé pas à des formes de violences
généralisées transformées en guerres civiles. Au cours de celles-ci, des identités transfrontalières ont été
mobilisées et notre réflexion se charge de comprendre les déterminismes de ces mobilisations.Il s’agira
pour nous d’identifier en quoi les identités transfrontalières manipulées à des fins politiciennes, peuvent
être des sources d’instabilités en Afrique de l’ouest dans un premier mouvement de notre réflexion.
Puis, dans un second moment, comprendre en quoi la patrimonialisation de l’État comme un espace
privatisé constitue un processus de construction identitaire circonstanciel qui sape la cohésion sociale.

Les effets pervers des identités transfrontalières au service du marketing politique comme facteurs de
désintégration régionale dans l’espace Ouest-Africain
Porter une réflexion sur les identités transfrontalières nécessite indispensablement une analyse
historique sur l’évolution des frontières dans l’espace ouest africain. La configuration sociologique des
pays de l’Afrique de l’Ouest est marquée par des changements sociaux divers. L’Afrique contemporaine
est le fruit d’un ensemble d’interactions entre elle-même et le monde occidental au cours de plusieurs
siècles (Médard, 1983).

Le concept de frontière connaît une évolution en Afrique de l’Ouest et est influencé par des mutations
socio-politiques et économiques. Catherine Coquery-Vidrovitch, historienne française spécialiste de
l’Afrique, fait une catégorisation des frontières en Afrique noire en trois grands moments à savoir : les
frontières anciennes dites précoloniales, puis les frontières coloniales et enfin les nouvelles frontières
(Coquery-Vidrovitch, 1999:36). Les frontières anciennes dites précoloniales n’avaient pas le même rôle
que les frontières fixées par les occidentaux.

Ces frontières se matérialisent par des cours d’eau, des espaces et des forêts dont les rôles étaient de
limiter le pouvoir d’un chef, des espaces précis et de créer des zones d’échanges, de rivalités. Elles
créaient de nouvelles conquêtes entre les empires. Ainsi, à cette époque le concept de frontière était un
espace de régression culturelle. Au fil du temps, on assiste au passage des frontières anciennes aux
frontières coloniales. Cette mutation est due à l’arrivée des missionnaires occidentaux voulant délimiter
leur champ d’exercice. Le projet colonial a eu des influences sur les mentalités et les systèmes locaux de
gestion. La colonisation a permis de construire le mode de peuplement, le mode de vie en collectivité,
les idéologies et les valeurs, les institutions et la fabrication des élites (Médard, 1983).

L’accession aux indépendances des pays ouest africains en 1960 marque la naissance des nouveaux
États et des nouvelles frontières héritées de la colonisation. Les dirigeants marquent leur volonté de
créer une unité nationale afin de mobiliser les énergies des populations au sein d’un parti unique pour
amorcer une dynamique de développement. Cette idéologie politique présage la naissance de l’État
nation en Afrique. Cette dynamique d’unité nationale se concrétise au cours de la conférence de
l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) de 1963 qui portait sur le respect des frontières héritées de la
colonisation.

Ainsi, le principe de l’intangibilité des frontières en vue d’éviter les conflits armés a été le projet
politique qui marque la première décennie des indépendances. On assiste alors à la création des États
nations construits sur des partis uniques niant le caractère pluriel des composantes ethniques et des
identités transfrontalières. L’Afrique faisant partie intégrante du système monde, connaît des
changements sociaux suite à la chute du mur de Berlin et de l’arrivée de la démocratie.

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