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Écrire l'histoire

Histoire, Littérature, Esthétique 


13-14 | 2014
Archives

Récits d’archives
Nathalie Piégay-Gros

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/elh/473
DOI : 10.4000/elh.473
ISSN : 2492-7457

Éditeur
CNRS Éditions

Édition imprimée
Date de publication : 10 octobre 2014
Pagination : 73-87
ISBN : 978-2-271-08208-4
ISSN : 1967-7499
 

Référence électronique
Nathalie Piégay-Gros, « Récits d’archives », Écrire l'histoire [En ligne], 13-14 | 2014, mis en ligne le 10
octobre 2017, consulté le 23 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/elh/473  ; DOI :
https://doi.org/10.4000/elh.473

Tous droits réservés


Nathalie Piégay-Gros

Récits d’archives
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Quelques exemples suffisent à rap- indice supplémentaire de cette passion


peler que la passion des archives gagne des archives, qui se substitue à l’em-
tous les domaines de la société et de la pire du document. On a pu ainsi parler
création : augmentation extraordinaire d’archives à propos du recours à ses
des documents conservés1, expositions journaux intimes que fait Annie Ernaux
constituées principalement, si ce n’est dans Les Années4. Il nous semble, dans un
exclusivement, d’archives d’écrivain, premier temps, nécessaire de rétablir la
publication de livres de documents d’ar- distinction entre document et archives
chives2, recours aux archives dans les pour analyser les enjeux de l’inclusion
œuvres plastiques, installations et per- de ces dernières dans la fiction.
formances (Anselm Kiefer, Christian Bol- Rappelons pour commencer que le
tanski, Sophie Calle, Philip Auslander…), document est une forme5 sans auto-
dans les films documentaires et de fic- nomie, qui, déplacée dans l’œuvre,
tion (par exemple Harun Farocki). Autre change de statut. L’inflation actuelle des
indice de cette inflation de l’archive, qui documents dans la création narrative et
rejoint, sans aucun doute, la passion cinématographique, bien étudiée6, ne
de la commémoration et le régime du peut se comprendre si l’on ne prend pas
présentisme : la substitution fréquente la mesure d’un double héritage : celui
du terme « archive » (ou « archives ») à de la méthode de l’enquête propre au
celui de « document ». Or l’archive est xixe siècle, en particulier le naturalisme,
un document particulier, non pas par défini par son usage de la documenta-
sa nature (tout peut faire archive), mais tion et du document, d’une part ; d’autre
par le traitement qu’il a subi : il n’y a part, celui du dadaïsme et du surréa-
pas d’archive sans fonds d’archives, qui lisme, qui ont inventé un art du montage
suppose archivage, c’est-à-dire rencontre et de la combinatoire et fondé leur
avec une institution qui sélectionne, démarche sur un rapport singulier au
classe, inventorie, et prévoit les condi- document : rapport poétique, expéri-
tions de la consultation3. La non-distinc- mental, ethnographique. En outre, le
tion qui est faite, aujourd’hui, entre le récit documentaire engage une critique
document qui n’a été conservé que par de l’information, en réaction à une sura-
un individu, simple trace documentaire bondance toujours plus grande de docu-
donc, et l’archive institutionnelle est un ments, dont les modes de production et

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de circulation peuvent être interrogés, soient les formes d’expression qu’il peut
déplacés par la littérature7. prendre. À ce titre, il valorise l’expérience,
L’héritage naturaliste du xixe  siècle cherche même à engager une méthode
fait du document un enjeu majeur de la qui consisterait en une « expérimentation
critique du réalisme et des rapports qu’il de l’expérience13 ». On sait que l’écriture
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institue avec les savoirs ou avec l’héroïci- automatique en signera l’échec, mais les
sation et la mythologisation de la repré- documents produits ou recueillis mani-
sentation. Après que le document a été festent à chaque fois l’articulation pos-
considéré comme un matériau qui reste sible ou rêvée de l’art et de la vie, dans ce
dans les soubassements du roman (et que qu’elle a de plus contingent, de plus cir-
l’on peut attester, par exemple dans les constanciel : le document est en ce sens,
récits d’enquête de Zola8), il devient un et en ce sens seulement, poétique (et anti-
matériau exposé, voire constituant entiè- littéraire).
rement le corps du texte (Alexander Le soupçon porté sur le document
Kluge9). Quelles que soient les formes est poursuivi dans les fictions réa-
de son traitement, il contribue toujours à listes critiques des années soixante et
une critique des impensés et des ressorts soixante-dix, en réaction à l’hypermédia-
du réalisme : soupçon jeté sur l’authenti- tisation de l’information : le document
cité du document, violence du document apparaît comme un simulacre, le produit
brut, ou au contraire conscience qu’il est d’un système qui le valorise puis l’ou-
déjà une représentation, qui sera reprise blie, le manipule et le fait passer pour
par une représentation seconde. un réel qui n’est, peut-être, qu’images et
L’héritage dadaïste et surréaliste est représentations. Sa valeur d’information
plus complexe : il a promu les dispositifs ou d’illustration est souvent discutée ;
du montage, du collage et de l’assem- son statut de preuve peut être remis en
blage, et, sous une forme radicale, celle doute.
du ready-made. Le document, alors même Ces trois grands âges du rapport
qu’il est circonstanciel, c’est-à-dire sans que la littérature a entretenu avec le
autonomie, est, avec ces dispositifs, hissé document mériteraient assurément
au rang d’œuvre (ou d’objet) autonome10. des nuances, mais tous interrogent de
Et à ce titre, il constitue, à soi seul, une manière spécifique le rapport entre
critique de l’œuvre d’art et relève de la document et archive. Le paradigme réa-
démarche antilittéraire ou antiartistique liste et naturaliste valorise le document
de l’avant-garde dadaïste et surréaliste. comme produit de l’enquête : là réside
Pour autant, l’enquête ne disparaît pas son potentiel romanesque. Il peut être
de la démarche surréaliste : elle y est archivé a posteriori, en tant qu’il a été
même en un certain sens essentielle et un élément de la généalogie de l’œuvre,
explique la proximité des surréalistes mais dans l’œuvre, il n’est pas exposé en
avec l’ethnographie et la psychanalyse. tant que tel. Il est un hors-d’œuvre : il la
On peut parler, avec Michel Murat, d’une précède (c’est la valeur généalogique du
démarche « méta-documentaire11 » : le document, qui aujourd’hui fait oublier
surréalisme cherche à « documenter sa valeur première, d’enseignement et
le surréel12 » comme à enregistrer toutes d’information) et reste extérieure à elle.
les traces de l’inconscient, quelles que Le paradigme surréaliste valorise le

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document en tant qu’il est un instantané, de tout. Le soupçon gagne l’archive
une trace éphémère. Archivé, il s’ancre comme le document : le cinéma prend
dans une temporalité et une série qui acte de cette continuité16. « Archive »
n’étaient pas les siennes. Car il y a une devient synonyme de « document ».
résistance, voire une répulsion, du sur- Quoi qu’il en soit de ces distinctions,
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réalisme à l’archivage : c’est l’enregistre- il demeure que le récit documentaire,


ment immédiat et instantané des traces, entendu en son sens le plus large (qu’il
de fragments de réel, érigés parfois en soit référentiel ou fictionnel), et les récits
collection, qui fait sens. Il importe plus qui exposent des archives partagent des
que jamais à l’heure du « tout-archive » caractéristiques essentielles : polyphonie,
de rappeler que le projet d’une conser- hétérogénéité des voix et des matériaux
vation institutionnalisée est étrangère narratifs, intersémioticité du document
au surréalisme : « Que toute démarche qui prouve que « cela a été » (la photo joue
de mon esprit soit un pas, et non une un rôle de plus en plus grand), fragmen-
trace14 », écrivait Aragon dans la préface tation, modification du statut du texte ou
à l’édition de 1924 du Libertinage. C’est de l’image insérés dans une œuvre litté-
ainsi que le document est en un sens plus raire. Et, en retour, modification du dis-
difficilement détachable de l’œuvre, car cours et du statut littéraire de l’œuvre,
il n’en est ni un avant ni un pourtour : il dont la limite avec ce qu’elle n’est pas est
est l’œuvre – ou ce qui en tient lieu. Mais à chaque fois remise en cause. Les mêmes
tout est archivable, et l’exposition des formes de traitement du document et de
collections de Breton à Drouot en 2003 a l’archive sont observables : homogénéi-
été la première étape d’une transforma- sation ou au contraire accentuation du
tion du document en archive15. Autre- « choc », pour reprendre le terme que
ment dit, les dessins de Nadja, dans Benjamin employait à propos du surréa-
Nadja, conservés et exposés au musée lisme17, indexation ou à l’inverse citation
d’Art moderne ou archivés sur le site brute du document, etc. La manipulation
André Breton, n’ont pas le même statut. du document comme celle de l’archive
Surtout, le surréalisme, comme toute sont possibles (fabrique d’apocryphes
avant-garde, s’est avéré hostile à l’idée par exemple).
même d’archivage : le parti pris du docu- Une fois ces points communs relevés,
ment était résolument un ancrage dans et pris en compte le fait que la plupart
le présent, tourné vers le futur. La pas- des récits recourent aussi bien à des
sion, ou le mal d’archive, relèvent d’un documents qu’à des archives (c’est le
présentisme (le document est conservé cas par exemple des dispositifs inventés
et utilisé pour servir le présent) et d’une par Kluge, Enzensberger, Sebald18) sans
mémoire inquiète, voire pathologique. jamais cesser de réfléchir aux codes litté-
Mais le régime dominant est un rapport raires qui les déterminent en partie et les
à l’authenticité. orientent, il importe d’évaluer les parti-
Le paradigme de l’information situe cularités du récit d’archives.
dans une sorte de conaturalité le docu- La première, fondatrice des archives,
ment et le document d’archives : l’ère de est la mise en scène de l’archivage lui-
l’information sait que la péremption de même. Classer, trier, compiler, détruire,
toute information se solde par l’archivage établir des cotes, inventorier, telles sont

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les étapes qui peuvent être représentées veau contexte ; en un sens, le récit litté-
aussi bien dans des textes littéraires19 que raire ou historique archive à son tour les
dans des récits d’historiens20. documents qu’il a délocalisés. Mais sur-
L’enquête menée pour trouver tel ou tout, il insiste sur leur matérialité : c’est
tel document fait des fonds d’archives non seulement la visite aux archives qui
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un objet de la représentation. Ainsi, dans est relatée25, mais aussi la consultation de


L’Inconnue de la Seine, le narrateur raconte documents qui semblent porter avec eux
dans son journal comment il se rend aux leur propre passé.
archives photographiques Roger-Viollet L’émotion que suscite le contact avec
et y découvre un cliché de cette noyée les archives procède sans aucun doute
qu’il cherche à retrouver : « En me diri- de cela : leur usure, leur poussière, leur
geant vers la caisse où était assise une authenticité, sont tangibles. Claude
femme âgée occupée à classer un fichier, Simon, dans Les Géorgiques, a su rendre
j’ai lu au verso de la photo : “Inconnue compte avec une très grande force de ce
de la Seine  – Moulage de la tête d’une statut particulier des archives familiales.
inconnue trouvée noyée dans le canal Le roman montre comment, après avoir
de l’Ourcq en 1901  – R.  V. 41  033”21. » été longtemps encryptées dans un mur
Les citations sont plus longues dans le de la maison de famille, les archives sont
livre de Philippe Artières, qui inven- déchiffrées, citées –  puis récrites par le
torie ce qu’il a découvert aux archives romancier26 : la matérialité de l’archive
de l’Université grégorienne de Rome22. est évoquée (papier, couleur vieillie
On voit très bien par ces exemples qu’il de l’encre, types de registres où elle
n’y a pas d’archives sans institutionna- est conservée, etc.) tandis que certains
lisation et sans déplacement : archiver, dispositifs typographiques (ratures, dis-
c’est d’abord arracher à un temps, mais position verticale des listes) cherchent
aussi à un lieu. Michel de Certeau a à transcrire l’archive avec authenti-
montré comment la machine historique, cité, sans pour autant la reproduire
la machine érudite et la machine archi- sous forme photographique. Le roman
vistique s’étaient constituées en fonction fabrique un espace où ces archives sont
d’une « redistribution de l’espace23 ». L’ar- tantôt une forme en train de naître,
chive est non seulement un enregistre- tantôt un objet du passé en train d’être
ment et une conservation de documents déchiffré ou récrit. On peut parler alors
destinés à attester, enseigner, informer, d’effet d’archive. En résulte une indis-
mais une possibilité de fondation ou de tinction, une instabilité de l’archive, dont
« recommencement24 ». le lecteur ne sait pas si elle est reproduite
Il n’y a donc pas d’archives sans délo- dans le roman telle quelle ou si elle est
calisation, déplacement : le récit, qu’il récrite, modifiée.
soit historique, fictionnel ou autobiogra- Alors que les archives sont de plus
phique, est ce nouveau lieu de l’archive en plus dématérialisées, leur matéria-
où elle signifie différemment et réper- lité semble sacralisée. Consultables à
cute à nouveaux frais la voix, la plainte, distance, sous forme de listes, d’in-
le récit ou l’anecdote d’un individu dis- ventaires, de photographies, les fonds
paru. L’œuvre devient le lieu où l’archive d’archives se multiplient, se banalisent.
est déplacée, citée, montée dans un nou- Le récit littéraire et les créations des

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plasticiens investissent d’autant plus naire, comme une concrétion du temps
cette matérialité qu’elle semble en train et un catalyseur de la mémoire : elle n’est
de disparaître. Avec la reproductibilité pas la mémoire, ni le passé, mais ce qui
numérique, la valeur symbolique des leur sert de vecteur.
archives se modifie, et sans doute aussi La sacralité des archives n’est sans
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la façon dont elles font empreinte dans la doute pas étrangère à la puissance
mémoire de qui la consulte. Aujourd’hui, de secret qu’on leur suppose. Elles
l’archive est partout et tout le temps dis- contiennent du passé, de l’histoire (petite
ponible, instantanément : la lenteur de ou grande), quelque chose qui n’a pas été
la copie, patiente, au crayon, sous l’œil encore découvert, qui n’a pas été encore
vigilant si ce n’est méfiant des préposés à dit. Sur le mode paranoïaque (on nous
la conservation, devient chose plus rare. l’a caché) ou sur le mode hystérique
Dématérialisée, elle cesse pour le lecteur (on va mettre en scène et rendre visible
d’être un objet produit par la main – au l’histoire qui n’existe et ne consiste
sens propre : manuscrit27. Qu’un roman- qu’en tant qu’elle est adressée), le secret
cier comme Alain Blottière nous invite à des archives attise la curiosité, produit
consulter sur son site internet les archives déception et frustration et relance le
qu’il a partiellement utilisées pour écrire désir d’aller y voir de plus près, pour
Le Tombeau de Tommy le prouve : l’archive y découvrir, y lire, ce que nul, aupara-
est incluse dans l’œuvre, elle la suscite et vant, n’avait encore su de ce passé. C’est
la nourrit, mais elle est aussi son dehors, là, sans doute, la dimension romanesque
ce qui la dépasse. Quoique disponibles la plus forte du secret, que la nouvelle de
sur nos écrans d’ordinateur, ces docu- Henry James Les Papiers de Jeffrey Aspern
ments archivés font de la fiction un lieu exploite au point que le désir d’archives
radicalement autre pour les archives. l’emporte sur le désir de connaissance
Il y a là rupture manifeste : l’archive que ces mêmes archives permettraient
n’est plus le soubassement que le récit d’avoir. Le secret est affaire de dyna-
prend en charge sans le montrer. Elle mique, de circulation de l’affect et de
n’est pas une source de l’œuvre, mais un l’exclusivité supposée : il sépare et relie ;
régime de représentation et de significa- à ce double titre, il rejoint l’économie du
tion parallèle à la vie de l’œuvre qui l’a désir28.
exposée, rêvée, exploitée. Enfin, une différence essentielle
La sacralité de l’archive n’a donc pas caractérise le document du document
disparu alors même qu’on est passé d’un d’archives tel qu’il est exploité par
paradigme de la rareté (elle est précieuse le récit contemporain. Parce qu’il est
parce que rare, et restreinte dans son un élément du passé (lointain ou récent,
accessibilité) à un paradigme de la pro- peu importe : le fait même d’archiver
fusion, si ce n’est de l’excès. Dématéria- inscrit dans le passé), le document d’ar-
lisée, partout présente, l’archive n’est pas chive est toujours déficient. Négatif en ce
pour autant un document ordinaire. Elle sens qu’il peut être illisible, incomplet, il
reste un fragment du passé, conservé l’est aussi parce qu’il relève d’une peur
et restitué par l’œuvre qui lui impose de l’oubli et d’une conscience aiguë de
un autre agencement et une nouvelle la destruction. La passion de l’archive
destination. Elle apparaît, dans l’imagi- est « tragique et inquiète », comme l’écrit

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Derrida29. Concrétion du temps passé, où elle fait entendre la voix des pauvres,
l’archive rapproche du passé et s’oriente des sans-grade, des non-possédants, qui
vers l’avenir : mais pour nous signifier ne produisent pas d’archives, ou seule-
qu’il aura été – qu’il disparaîtra : ment lorsque le pouvoir, policier ou judi-
ciaire, s’exerce à leur encontre. Le travail
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Le concept d’archive n’est pas tourné d’Arlette Farge, la microhistoire, l’œuvre


vers le passé, contrairement à ce qu’on de Pierre Michon (Vies minuscules,
aurait tendance à penser. La mémoire, Les Onze), illustrent cette tendance du
c’est la question de l’avenir, et pour rapport contemporain à l’archive. La fic-
l’archive, c’est toujours le futur anté- tion, et plus particulièrement le roman,
rieur qui, en quelque sorte, décide de autorise une vision rapprochée de l’his-
son sens, de son existence. C’est tou- toire. Ce qui touche dans le rapport aux
jours dans cette temporalité-là que les archives, et ce qui motive souvent leur
archives se constituent30. consultation, puis la mise en récit de l’en-
quête, c’est le frottement avec des zones
Elles nous assurent que quelque chose non encore explorées ou marginales
sera perdu et, si nous archivons (gar- de l’histoire. La passion de l’archive va
dons, trions, jetons, classons), c’est que conduire à faire de ces marges un lieu
nous croyons lutter contre la pulsion de pour la mémoire32. Deux modalités nous
mort. Hélène Cixous a justement noté semblent dominer cet investissement des
la dimension funèbre des archives qui la nouveaux lieux de l’archive : la première
saisissait au moment où elle archivait les est la revendication de l’émotion propre
documents qu’elle allait donner à la BnF, à l’archive ; la seconde, qui lui est liée,
où un fonds allait être constitué31. l’assomption du sujet que la relation à
Comme le secret qui lui est attaché, l’archive autorise.
cette inflexion de l’archive vers la perte Poussiéreuse, souvent aride, l’archive
est un élément supplémentaire de son fait pourtant vibrer qui la consulte et la
pouvoir romanesque : parce que le roman recopie. Arlette Farge l’a noté avec une
défie et célèbre tout à la fois la perte, l’ar- sorte de ferveur dans Le Goût de l’archive.
chive développe avec lui une relation de Cette place de l’émotion était déjà pré-
stricte homologie. Elle oriente l’écriture sente dans tous ses travaux antérieurs.
du passé vers sa disparition et elle dit Dans Le Cours ordinaire des choses dans la
la passion de garder comme la certitude cité du XVIIIe  siècle, elle s’interroge ainsi
de la destruction, elle permet de restituer sur les raisons pour lesquelles elle
et d’instituer du passé quelque chose que
l’on sait perdu et que le roman ramène ressen[t] si intensément le travail
dans le corps et le temps du récit pour l’y effectué à partir des manuscrits de
perdre à nouveau. police. C’est-à-dire le travail sur la fonc-
Cette négativité de l’archive explique tion toujours mouvante entre les dits
certainement aussi qu’elle ait été si sou- de souffrance, la contrainte formelle
vent investie par le récit précisément là où de toute déclaration de justice quelle
elle manque : dans son statut minuscule, qu’elle soit, la farouche singularité de
dans les marges de la grande Histoire chaque événement. Ces trois niveaux
qu’elle permet de raconter autrement, là de lecture (ou d’appréhension du texte,

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comme on voudra), mobiles et signi- Philippe Artières, dans Vie et mort de
fiants, convoquent l’intelligence et de Paul Gény, exprime également cette force
surcroît l’éclaboussent de sensations de l’émotion :
multiples. En un sens, dans ces textes, le
xviiie siècle se tient tout entier. Sa fébrile Le dossier semble avoir été dégraissé
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ferveur et ses peines infinies se nouent avant d’être archivé. On reconstitue


à travers une langue qu’en réalité per- assez difficilement les choses ; on com-
sonne ne parle ainsi, mais qui joue d’ef- prend que Bambino n’est en définitive
froi et de vérité, de beauté brouillée par pas resté très longtemps à l’hôpital :
la violence et le désordre33. moins de sept ans. Ma déception est
qu’il n’y a dedans ni autobiographie ni
Ailleurs, elle dira que l’émotion née rapports d’expertise. Dans la mesure
de l’archive est la « stupeur de l’intelli- où par trois fois les experts se sont pen-
gence34 ». Cette émotion paraît d’autant chés sur son cas, j’en espérais au moins
plus grande que ces archives font revivre un. Mais cette déception est en partie
(ou le promettent) des oubliés ou des compensée par la présence de lettres
vaincus de l’histoire : cette potentiali- de Bambino. Dans une recherche, c’est
sation du savoir (et de la mémoire) par toujours un moment singulier que de
l’émotion peut être reconnue, thématisée trouver de tels documents. Soudain, un
ou exaltée. Elle empreint les récits, fût-ce personnage s’incarne par ses écrits. Il
sur le mode de la retenue, qui racontent devient. Physiquement il fait présence.
la quête, puis la découverte des archives Cela est d’autant plus le cas lorsqu’il
d’où, peu à peu, un personnage émerge. s’agit de ces inconnus de l’histoire. Les
Marie Didier dit la façon dont Pussin, manuscrits de Foucault ne m’émeuvent
garçon tanneur qui finit « gouverneur pas comme ceux que j’ai pu lire encore
des fous » à Bicêtre, la hante depuis ces derniers mois dans les archives de
qu’elle a commencé à vouloir écrire sur la Fondation du Bon Sauveur à Picau-
sa vie après avoir cherché sa trace dans ville. Dans cet hôpital psychiatrique que
les ouvrages des aliénistes ou les livres nous avons investi avec le photographe
d’histoire de la psychiatrie, mais aussi Mathieu Pernot, j’ai croisé des centaines
dans les archives des hôpitaux. Le choix de traces de ces petites vies de rien,
de l’adresse à la deuxième personne comme ces deux lettres des familles
accentue sans aucun doute la force émo- demandant au médecin-chef d’autoriser
tive de la narration : la sortie de leurs parents [suit la citation
des deux lettres] 36.
Toi qui as connu le ventre vide, et
la paille et la merde, la gale, la teigne, Les archives sont des promesses : d’un
l’indifférence et le mépris des garçons retour du passé dans le présent, d’une
de salle, toi, Jean-Baptiste Pussin, tu rencontre avec une voix, un corps, des
as deux certitudes : tu n’es plus un détails, des fragments de vie qui disent
« bon pauvre » et tu es gouverneur des la peur et la souffrance. Leur potentiel
insensés. Avec ce nouveau pouvoir, tu romanesque est là, augmenté par l’émo-
ne peux supprimer l’horreur. Mais tu tion et l’ambition narrative qui obligent à
peux la combattre35. déclasser, à décaler, à prendre la mesure

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de l’écart sans lequel il n’y a pas d’écri- passions, selon une économie aristoté-
ture de l’histoire possible. Les dispositifs licienne de l’émotion esthétique, mais
inventés par Arlette Farge, qui alternent pour entrer dans une relation de sympa-
citations d’archives et mise en évidence thie avec ces voix du passé. Or la pitié,
de leurs significations, décodage de Barthes l’a montré dans son texte sur
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leurs conditions d’énonciation et de pro- Proust, « Longtemps je me suis couché de


duction, montrent cette juste distance bonne heure », et dans La Préparation du
qu’il faut garder entre l’émotion, voire roman38, est un moteur majeur du roman.
l’empathie, qui permet de faire revivre, Attisant l’intelligence, obligeant à désor-
de saisir une voix, un corps, et l’ambition donner, imposant l’émotion, l’archive
de connaissance. Coupé de sa situation rapproche l’historien du romancier.
d’énonciation et d’adresse originelle, le L’assomption du sujet écrivant est une
document d’archive a un statut différent conséquence directe de cette puissance
du témoignage, oral ou écrit : « Le docu- émotive de l’archive. Dans ces récits,
ment d’archive est ouvert à quiconque l’archive n’est pas un document qui
sait lire ; il n’a donc pas de destinataire aurait une valeur objective. Au contraire,
désigné, à la différence du témoignage elle permet d’articuler l’enquête docu-
oral adressé à un interlocuteur précis ; mentaire et le discours de l’intime.
en outre, le document dormant dans C’est pourquoi on observe aujourd’hui
les archives est non seulement muet, un tropisme autobiographique du récit
mais orphelin ; les témoignages qu’il d’archives : raconter l’histoire de ses
recèle se sont détachés des auteurs qui ancêtres en remontant à l’origine qu’est
les ont “enfantés”37. » Autrement dit, le fonds d’archives, c’est se raconter soi-
dans le devenir-archive du témoignage, même. Les limites entre les genres sont
le document devient orphelin, et sans clairement franchies : entre récit auto-
doute en acquiert une force émotive qui biographique et enquête historique,
peut être réinvestie, d’une façon plus entre « ego-histoire » et fiction, Jablonka
ou moins romantique, plus ou moins comme Artières font de l’archive un
tendue vers la réhabilitation, la résurrec- objet critique qui interroge l’identité et la
tion des morts et des faits passés. C’est mémoire de qui l’étudie et la rêve :
en quoi sans doute l’archive finit par
prendre autorité sur qui la consulte : elle La distinction entre nos histoires de
autorise à raconter, à sortir du désordre famille et ce qu’on voudrait appeler
des documents la voix et la forme qui l’Histoire, avec sa pompeuse majuscule,
y étaient englouties. Elle permet de n’a aucun sens. C’est rigoureusement la
reconstituer, de réhabiliter, de pallier même chose. Il n’y a pas, d’un côté, les
certains manques, de rectifier certaines grands de ce monde, avec leurs sceptres
erreurs. ou leurs interventions télévisées, et, de
On comprend dès lors comment se l’autre, le ressac de la vie quotidienne,
nouent le rapport à l’archive et le désir de les colères et les espoirs sans lendemain,
roman. Les archives permettent la pitié, les larmes anonymes, les inconnus dont
y compris à des époques où le roman le nom rouille au bas d’un monument
n’existe pas encore (au xviiie  siècle par aux morts ou dans quelque cimetière de
exemple). Non pas pour se purger des campagne. Il n’y a qu’une seule liberté,

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une seule finitude, une seule tragédie un rayon de trente mètres au pied de
qui fait du passé notre plus grande l’immeuble, les autres propulsés dans
richesse et la vasque de poison dans tout le salon jusque sous les coussins du
laquelle notre cœur baigne. Faire de canapé, tandis que des guillotines irré-
l’histoire, c’est substituer à l’angoisse, gulières restent accrochées au cadre. Je
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intense au point de se suffire à elle- me précipite en bas et passe une demi-


même, le respect triste et doux qu’ins- heure sur la pelouse à ramasser les bouts
pire l’humaine condition. Voilà mon de verre, manquant à tout instant de me
travail ; et, en caressant cette archive de couper un doigt. Incident sans victimes,
tribunal, en suivant des yeux les lignes heureusement, et métaphore providen-
tracées par la plume du greffier, je res- tielle : courbé dans les archives comme
sens un soulagement indicible39. dans l’herbe, je pars à la recherche du
Praczew juif éparpillé aux quatre coins
Le personnage qui émerge de l’ar- du monde41.
chive a un statut particulier, qui résulte
du tissage de l’imagination, du savoir La scène de l’énonciation n’est plus
et du fantasme. Le narrateur enquêteur celle, impersonnelle, de l’historien, mais
ne s’interdit ni les apartés autobiogra- celle, autobiographique, de qui croise
phiques ni les allusions au temps présent l’interrogation sur sa propre histoire et
de l’écriture. Marie Didier, par exemple, sur l’Histoire.
relie l’histoire de Pussin et la situation L’archive est affaire de mémoire et
carcérale en France, mentionne sa propre de fantasme de l’origine. C’est pour-
histoire (allusion à sa maladie, aux quoi elle s’implante dans tous les récits :
conditions de l’écriture – isolée à la cam- historiques, autobiographiques, roma-
pagne, téléphonant à sa mère, gardant un nesques. Elle déjoue les clivages entre
petit-enfant au moment de Noël, se ren- les genres et déstabilise chacun de
dant à la Salpêtrière pour voir le tableau ces genres. Ainsi, l’autobiographie qui
représentant Pinel40, etc.). Sa démarche expose des documents problématise de
est celle d’un romantisme critique : elle façon paradoxale la tension entre vérité
restitue, réhabilite, fait revivre, sans des faits et authenticité de la narration ;
naïveté envers la totalisation impossible, le roman qui multiplie les références
mais en prenant acte de la puissance de aux archives dénie sans cesse sa capa-
l’émotion. Ivan Jablonka évoque quant cité d’imagination mais déplace ce déni
à lui cette situation dans un passage de sur le plan de l’invention d’un film qui
son « enquête » : est censé ne rien trahir de l’histoire qu’il
va reconstituer42. Pour tenir cet inte-
Au moment où j’écris ces lignes, un nable pari, Alain Blottière invente un
orage d’été éclate au-dessus de Paris. Je personnage, Gabriel, l’acteur qui joue
sors sur le balcon pour admirer le spec- le personnage historique (Thomas Elek,
tacle, un courant d’air s’engouffre dans membre du groupe Manouchian) et qui
l’appartement et fait claquer une fenêtre finit par s’identifier avec lui au point de
qui, sous la violence du choc, vole en disparaître après qu’il a tourné la scène
éclats. Elle se brise en mille morceaux de de la mise à mort du militant de la MOI.
toutes tailles, la plupart dispersés dans On pourrait multiplier les exemples de

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ce type de décloisonnement. Il est symp- reconnaître cette intrication de la subjec-
tomatique d’une constante hésitation tivation, de l’écriture et de la mémoire
entre le rapport historique et le rapport qu’est devenue l’archive. Pour conjurer
mémoriel à l’archive. Il montre aussi à ou moquer cette passion de l’archive, la
quel point les archives (pas seulement fabrique du faux (Boltanski, par exemple,
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privées et familiales, mais politiques, mais aussi Sophie Calle) s’est multipliée.
judiciaires, médicales…) sont devenues Les faux vrais documents autobiogra-
des éléments majeurs de la constitution phiques comme les fausses pièces d’ar-
de la subjectivité. Plus, elles apparaissent chives déjouent cette certitude que la
souvent comme des foyers de subjecti- subjectivité passe par la consignation des
vation : histoire, mémoire, identité, s’y traces du passé et qu’un sujet consistera,
cristallisent, dans un rapport qui mêle dans le futur, parce qu’il a amassé, classé,
l’affect, la mémoire et le désir de connais- transmis ses propres traces.
sance. Concrétion du passé, expression Sans pouvoir ici développer ce point,
de l’altérité, l’archive est donc un vecteur je voudrais néanmoins faire deux
critique des grandes formes contempo- remarques sur cette articulation entre
raines de la subjectivité. La littérature archives et subjectivation.
s’en fait l’écho de façon très forte : les Si l’écrivain est une sorte d’hyper-
archives des écrivains occupent une subjectivité, c’est qu’il produit des
place majeure dans notre imaginaire, documents qui feront archives. La lit-
mais aussi dans la réalité du marché, térature en prend acte : elle invente des
des institutions et de l’édition. C’est que écrivains imaginaires et les constitue par
l’écrivain est une figure majeure de la leurs écrits et leurs archives (Coetzee,
subjectivité. L’écrivain ne produit plus Volodine par exemple44). Et s’il en est
de brouillons : il est un trésor d’archives ainsi, c’est non seulement parce que
privilégié ; c’est le recueil de tout ce l’écrivain s’exprime (modèle roman-
qu’il aura écrit, gardé, consigné (notes, tique), mais parce qu’il produit des
manuscrits, papiers, images, photogra- archives qui seront ensuite conservées,
phies), qui va former l’œuvre-vie, ce interprétées, exposées, comme autant de
nouvel agencement où il n’y a de subjec- traces d’un moi qui consiste d’abord par
tivité qu’orientée vers un avenir qui doit, (en) ses traces.
du présent, garder tout ce qui aura été, Ces configurations indiquent que l’on
tout ce que le sujet aura été. Les manus- est passé d’un rapport historique à un
crits d’écrivains, archivés dans les rapport mémoriel aux archives. L’ar-
bibliothèques (et non aux Archives), chive est moins un objet autre, lointain,
sont un objet fétichisé, surévalué écono- étranger à sa propre histoire, qu’une
miquement, esthétisé (alors même que trace qui interroge la relation que chacun
la modernité a valorisé le ratage et dit entretient avec son passé, sa mémoire
le souci de ne pas laisser de trace43…). et son identité. L’inflation des archives
Ils sont le dépôt d’une subjectivité qui fait s’inscrit sans conteste dans le présen-
mémoire. Exposer, éditer les archives de tisme analysé par François Hartog, ce
l’écrivain, c’est patrimonialiser l’œuvre, présent monstre, en crise, vers lequel tout
en faire un objet de mémoire avant d’en converge et qui résorbe le passé comme
faire un objet de connaissance ; c’est aussi la tension vers l’avenir. Les archives sont

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pensées comme ce qui nous permet de sont comme un refuge dans un passé
nous comprendre, de nous exprimer, tout entier orienté vers le présent, un
de nous situer. La littérature, en tout cas, présent happé par la production inces-
les voit ainsi. sante de documents qui, tous, du moins
dans un fantasme conservateur qui frôle
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Nous avions commencé cette étude en la folie, devraient pouvoir être archivés.
rappelant les trois âges du document : Le flux de l’information a entraîné dans
celui de l’enquête naturaliste ; celui du son sillage celui de l’archivage, jusqu’à
ready-made surréaliste ; celui des fictions une forme de saturation de la mémoire.
réalistes critiques de l’âge hypermé- On peut alors distinguer trois types
diatique. À certains égards, le rapport de relations aux archives. Le premier
à l’archive suit l’évolution de ces trois est l’usage documentaire. Les archives
âges : les archives sont un matériau de sont un matériau qui illustre et prouve,
documentation dans les romans réa- comme le serait un document prélevé sur
listes, où elles forment un soubassement la réalité46. Il est remarquable que, dans
invisible. L’avant-garde dadaïste et sur- un très grand nombre de textes contem-
réaliste ne considère pas l’archive en tant porains, l’archive, le document et la lit-
que telle, mais le document : le régime térature se mêlent pour alimenter une
d’historicité de la modernité rend d’une mémoire composite, faite de modèles,
certaine façon incompatibles un usage de sources et de codes différents. L’ar-
de l’archive et la tension vers le futur. chive ne vaut pas en tant que document
Le surréalisme a fait un usage politique qui permet de construire un person-
et poétique du document. Il le tourne nage vraisemblable dont l’historicité est
souvent, comme l’a montré Benjamin, fiable. Elle est le terreau dont le person-
contre le roman et contre l’art lui-même : nage n’est pas coupé (ce qui est encore
« Le montage véritable part du docu- une expression du présentisme).
ment. Dans sa lutte fanatique contre Le second est un usage testimonial : les
l’œuvre d’art, c’est par le montage que le archives sont là pour attester et témoi-
dadaïsme s’est allié à la vie quotidienne. gner. Constituer des fonds, les exploiter,
Le premier, quoique de façon peu sûre, les faire connaître, les sauver, c’est lutter
il a proclamé le pouvoir absolu de l’au- contre l’oubli ou contre la négation des
thenticité45. » L’âge hypermédiatique que faits. Le roman, ou peut-être serait-il
nous connaissons oblige à une critique plus exact de dire « le récit », en fait un
du réalisme et des représentations ; il a usage important : que l’on songe par
développé un soupçon envers l’archive exemple à Dora Bruder de Modiano, ou
qui a alerté les historiens, soucieux, plus récemment aux Disparus de Daniel
comme Carlo Ginzburg, de maintenir Mendelsohn, qui mêle dans l’enquête le
une positivité des documents, des témoi- témoignage, les archives et la documen-
gnages et archives contre un relativisme tation historique et livresque.
qui pourrait nier l’évidence obstinée Le troisième est un usage mélanco-
des faits, que les traces attestent. Quelle lique (et à certains égards romantique : il
que soit la puissance romanesque des faut réhabiliter, faire revivre, en prenant
archives, leur force historique demeure. la mesure de l’émotion et de l’énergie qui
Mais dans cet âge hypermédiatique, elles viennent de l’archive), qui nous paraît

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largement dominant aujourd’hui. Le récit de la légitimité d’une esthétisation du
sauve ce que les archives cherchaient à malheur, du peu, de la plainte. On sai-
sauver. Elles servent moins à témoigner sira le cri sublime, mais pour le faire
ou à documenter qu’à attester : cela a eu résonner encore une fois dans le présent.
lieu (c’est le sens du rapprochement que On pourra fictionnaliser, tant qu’on reste
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fait Arlette Farge entre la photographie dans les limites du vraisemblable, mais
et l’archive policière du xviiie  siècle47). on se méfiera de la tentation littéraire.
L’archive est alors souvent sollicitée On doutera de la beauté, mais on finira
pour sa force imaginaire, sa puissance par y consentir. On cherchera à sauver
mémorielle, autant que pour sa capa- ce qui risquait d’être perdu. On ajou-
cité de représentation de la réalité. Je tera donc aux archives en les déplaçant
m’explique : dans nombre de récits dans une œuvre qui elle-même, qui sait,
contemporains, le personnage émerge s’archivera un jour pour constituer une
de l’archive. Ce n’est plus le personnage strate supplémentaire d’une mémoire
qui est construit à partir d’archives qui palimpseste.
le documentent, c’est l’archive qui fait Cet usage mélancolique peut être dis-
émerger un personnage (ou une sorte de tingué de l’usage nostalgique, qui carac-
métapersonnage, comme avec Gabriel, térisait en partie l’âge surréaliste. Certes,
acteur qui incarne Thomas Elek, lui- celui-ci est marqué d’abord par la tension
même né de documents et d’archives vers le futur, qui est propre à la moder-
– l’Affiche rouge, l’histoire de la MOI, les nité. Pour autant, le goût de la collecte et
fonds d’archives répertoriés sur le site celui du suranné, tôt remarqués par Ben-
de l’auteur, où ils ne valent ni comme jamin, montrent une conscience très vive
source, dans une approche généalo- de l’accélération du temps et de la rapide
gique de l’œuvre, ni comme documents péremption des formes, des objets, des
qui attesteraient, authentifieraient ce modes, des styles… Les recueillir, c’est
qui a été raconté, mais comme lieu de chercher non pas à les archiver pour
mémoire48). Non seulement le person- qu’ils échappent à la destruction, c’est
nage n’est plus coupé des archives qui d’abord en exploiter l’énergie révolu-
ont permis de le constituer, mais souvent tionnaire et les prendre dans un régime
elles sont présentées comme son berceau et un rythme qui sont ceux du choc.
originel. On y retourne non pas pour se La nostalgie est plus politique que la
documenter, mais pour opérer une sorte mélancolie, et l’époque actuelle, avec
de retour au réel, pour assurer le person- cette inflation de l’archive qui s’expose
nage de son identité et de sa mémoire. partout, y compris dans les récits, les
Ce rapport mélancolique à l’archive romans, les autobiographies, est d’abord
s’alimente à la certitude que de ce qui mélancolique : tournée vers le passé, elle
a eu lieu, on ne peut tout savoir ; on ne y retourne pour comprendre le présent
peut tout restituer. De ce rien qu’est l’ar- qui l’absorbe, plus que pour le connaître.
chive (moins que le canard, dit Arlette Les archives sont avant tout un lieu de
Farge) on fera un beau récit, en doutant mémoire.

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Notes

1 François Hartog note que la quantité des 7 Sur ce point, je suis la périodisation pro-
archives a été multipliée par cinq depuis 1945 posée par Jean-François Chevrier et Philippe
et que la loi de 1979, qui en donne un sens Roussin dans leur « Présentation » du premier
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très large, associe de manière significative la numéro de Communications consacré à cette


mémoire, le patrimoine, l’histoire et la nation. question (no 71, op. cit., p. 5-11).
« Proclamées mémoire, histoire, patrimoine de
la nation, les archives ont été, inévitablement, 8 Émile Zola, Carnets d’enquêtes. Une ethnogra-
rattrapées par le présent. » (Régimes d’historicité. phie inédite de la France, Plon (Terre humaine),
Présentisme et expériences du temps, Seuil (La 1993.
Librairie du xxe siècle), 2003, p. 129.)
9 Alexander Kluge, Stalingrad. Description d’une
2 En particulier par la Bibliothèque nationale de bataille, trad. de l’allemand par Anne Gaudu,
France ; on peut renvoyer aussi au catalogue Gallimard, 1966.
de l’exposition Les Archives de Picasso. « On est
ce que l’on garde ! », RMN, 2003. Voir également 10 Voir Jean-François Chevrier, Philippe Roussin :
Françoise Dolto, dans Archives de l’intime, sous « Le document s’apparente à l’œuvre quand il
la dir. de Yann Potin, Gallimard, 2008. n’est pas réduit à une documentation ou aux
procédures d’un genre documentaire. Il surgit
3 Sur cette distinction, voir Paul Ricœur, Temps dans sa matérialité, dans sa factualité, dans une
et récit, 3. Le Temps raconté, Seuil (Points), 1985, opacité historique qui appelle l’interprétation
p. 213 sqq. ou s’en passe. Mais tandis que l’idée reçue de
l’œuvre suppose une autonomie, une autosuf-
4 Véronique Montémont, « Vous et moi : usages fisance, relativisée par le contexte, le document
autobiographiques du matériau documen- n’est jamais suffisant ni fermé sur lui-même : il
taire », Littérature, no 166, 2012, p. 40-54, ici p. 42. est circonstanciel. » (« Présentation », Communi-
cations, no 79, art. cit., p. 5-6.)
5 Nous nous référons aux définitions et approches
données par Jean-François Chevrier et Phi- 11 Michel Murat, « Le jugement originel de la réa-
lippe Roussin dans les deux numéros de Com- lité », Communications, no 79, op. cit., p. 121-140,
munications consacrés au document qu’ils ont ici p. 130.
dirigés (no  71, Le Parti pris du document. Litté-
rature, photographie, cinéma et architecture au 12 Ibid., p. 121.
XXe  siècle, 2001 ; no  79, Des faits et des gestes. Le
parti pris du document. 2, 2006) : « Le document, 13 Ibid., p. 123.
que nous distinguons de la documentation et
du documentaire, n’est pas un genre (au sens 14 Louis Aragon, Le Libertinage, dans Œuvres roma-
où on l’entend aussi bien en littérature que nesques complètes, Gallimard (Bibliothèque de la
dans les arts visuels) mais une forme. À la dif- Pléiade), 1997, t. 1, p. 281.
férence du tableau de chevalet ou du roman,
cette forme n’a pas d’identité institutionnelle 15 Voir le site André Breton, <www.andrebreton.fr>,
ni d’histoire constituée. […] Les historiens cons. 28 mai 2014.
comme les anthropologues le mettent au jour
comme matériau ou le convoquent comme 16 Voir Lionel Ruffel, art. cit.
preuve dans le cours d’une recherche, d’un
récit ou d’une argumentation. Dans sa séduc- 17 Walter Benjamin, en particulier « Le surréa-
tion d’objet désenfoui, le document trouvé est lisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia
essentiellement archéologique. » (« Présenta- européenne », dans Œuvres, trad. de l’allemand
tion », Communications, no 79, op. cit., p. 5-7, ici par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et
p. 5.) Pierre Rusch, Gallimard (Folio. Essais), 2000,
t. 2.
6 Voir en particulier Lionel Ruffel, « Un réalisme
contemporain : les narrations documentaires », 18 Hans Magnus Enzensberger, Hammerstein ou
Littérature, no 166, 2012, p. 13-25. l’Intransigeance. Une histoire allemande, trad. de
l’allemand par Bernard Lortholary, Gallimard

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(Du monde entier), 2010 ; W.  G.  Sebald, Les penser. En y pensant continûment. Comme si
Anneaux de Saturne, trad. de l’allemand par la main, ce faisant, permettait à l’esprit d’être
Bernard Kreiss, Gallimard (Folio), 2010. simultanément complice et étranger au temps
et à ces femmes et hommes en train de se dire.
19 En particulier dans l’œuvre de Robert Pinget. Comme si la main, en reproduisant à sa façon
Voir Nathalie Piégay-Gros, Le Futur antérieur le moulé des syllabes et des mots d’autrefois,
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de l’archive, Rimouski (Québec), Tangence en conservant la syntaxe du siècle passé, s’in-


(Confluences), 2012 ; Clothilde Roullier, troduisait dans le temps avec plus d’audace
« Pinget traqué : trouvailles et bizarreries du qu’au moyen de notes réfléchies, où l’intelli-
repérage archivistique », dans Martin Mége- gence aurait trié par avance ce qui lui semble
vand, Nathalie Piégay-Gros (dir.), Robert indispensable et laissé de côté le surplus de
Pinget. Matériau, marges, écriture, Presses l’archive. » (Arlette Farge, Le Goût de l’ar-
universitaires de Vincennes (Manuscrits chive [1989], Seuil (Points), 1997, p. 25.) On en
modernes), 2011, p. 69-77. verra un autre exemple dans le livre de Marie
Didier : « décrypter, recopier à la main des
20 Voir Philippe Artières, Vie et mort de Paul Gény. manuscrits que le commis de la bibliothèque
Récit, Seuil (Fiction & Cie), 2013 ; Ivan Jablonka, déposait sur la table dans une enveloppe de
Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus. Une velours afin de protéger la fragilité de leurs
enquête, Seuil, 2012 ; Alain Blottière, Le Tombeau feuilles »… (op. cit., p. 19).
de Tommy, Gallimard, 2009.
28 « Mais le devenir du secret le pousse à ne pas
21 Didier Blonde, L’Inconnue de la Seine, Galli- se contenter de cacher sa forme dans un simple
mard, 2012, p.  25. Page  45, il cite longuement contenant, ou de la troquer pour un contenant.
une archive de police où figure le relevé des Il faut maintenant que le secret acquière sa
corps déposés à la morgue, puis une page propre forme, en tant que secret. Le secret
entière du registre. s’élève du contenu fini à la forme infinie du
secret. C’est là que le secret atteint à l’imper-
22 Voir Philippe Artières, op. cit., p.  108 ; et ici ceptible absolu, au lieu de renvoyer à tout un
même, p. 182-184. jeu de perceptions et de réactions relatives.
On va d’un contenu bien déterminé, localisé
23 Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Gal- ou passé, à la forme générale a priori d’un
limard, 1975, p. 86. quelque chose qui s’est passé, non localisable. »
(Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux,
24 « L’archive instaure un lieu de recommen- Minuit, 1980, p. 353.)
cement », cité par Nathalie Léger, « Édito »,
Carnets de l’IMEC, no 1, 2014, p. 5, et Jean-Luc 29 Jacques Derrida, « Le futur antérieur de l’ar-
Nancy, « Où cela s’est-il passé ? », Le Lieu de l’ar- chive », dans Philippe Artières, Nathalie
chive, supplément à la Lettre de L’IMEC, 2011, Léger (dir.), Questions d’archives, IMEC, 2002,
p.  9. Jean-Luc Nancy commente cette opposi- p. 41-50, ici p. 41.
tion entre reconstitution et institution.
30 Ibid., p. 42.
25 Voir Marie Didier, Dans la nuit de Bicêtre [2006],
Gallimard (Folio), 2007. 31 Hélène Cixous, Tours promises, Galilée, 2004,
cité et commenté par Françoise Zonabend,
26 Claude Simon, Les Géorgiques, Minuit, 1981. « Conclusion : l’archive dans tous ses états »,
Sur cette question, voir Nathalie Piégay-Gros, Sociétés et représentations, no  19, Philippe
« L’imaginaire de l’archive », dans Anne-Lise Artières, Annick Arnaud (dir.), Lieux d’ar-
Blanc, Françoise Mignon (dir.), Claude Simon. chive. Une nouvelle cartographie : de la maison au
Rencontres, actes du colloque Claude Simon, musée, 2005, p. 235-248, ici p. 247.
octobre 2013, Perpignan, Presses universitaires
de Perpignan (à paraître). 32 On pourrait multiplier les exemples de cet
investissement des archives pour faire émerger
27 « Le goût de l’archive passe par ce geste les oubliés, les anonymes de l’histoire : ainsi,
artisan, lent et peu rentable, où l’on recopie dans L’Inconnue de la Seine, il s’agit de retrouver
les textes, morceaux après morceaux, sans le supposé modèle du masque funéraire de la
en transformer ni la forme, ni l’orthographe, noyée ; une femme sans autre visage que ce
ni même la ponctuation. Sans trop même y masque, sans identité, est l’objet d’une enquête

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dans les journaux, fonds d’archives photogra- contente de la vérité, je l’exalte et la protège. Je
phiques, archives de la police. voudrais qu’on sache que dans ce film tout est
vrai et que l’émotion, la compassion, la haine,
33 Arlette Farge (dir.), Le Cours ordinaire des choses l’amour sont aussi, pour qui le verra, plus vrais
dans la cité du XVIIIe siècle, Seuil (La Libraire du que devant un film de mensonges. » (Alain
xxe siècle), 1994, p. 29. Blottière, op. cit., p. 55-56.)
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34 Id., Des lieux pour l’histoire, Seuil (La Libraire du 43 Un exemple parmi d’autres : Henri Michaux :
xxe siècle), 1997, p. 26. « l’accomplissement du pur, fort, originel désir,
celui, fondamental, de ne pas laisser de trace »
35 Marie Didier, op. cit., p. 72. (Œuvres complètes, Gallimard (Bibliothèque de
la Pléiade), t. 3, 2004, p. 1067).
36 Philippe Artières, op. cit., p. 113.
44 Il est remarquable que, dans Écrivains (Seuil
37 Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, (Fiction & Cie), 2010), Antoine Volodine, par
Seuil, 2000, p. 213. dérision et provocation, évoque la destruction
des archives de l’un d’eux : voir « Remercie-
38 Roland Barthes, « Longtemps je me suis couché ments », p. 74.
de bonne heure », Collège de France, 1982 ;
La Préparation du roman, Seuil / IMEC, 2003. 45 Walter Benjamin, « La crise du roman », dans
Œuvres, op. cit., p. 192.
39 Ivan Jablonka, op. cit., p. 163-164.
46 Marie-Jeanne Zinetti, « Prélèvement/déplace-
40 Marie Didier, op. cit., p. 38. ment : le document au lieu de l’œuvre », Littéra-
ture, no 166, 2012, p. 26-39.
41 Ivan Jablonka, op. cit., p. 107.
47 Voir Arlette Farge, La Chambre à deux lits et le
42 Parmi de nombreux autres passages possibles, Cordonnier de Tel-Aviv. Essai, Seuil (Fiction &
cet extrait du Tombeau de Tommy : « À part Cie), 2000.
quelques détails de ce genre, je n’ai rien voulu
inventer. Car je n’ai pas raconté n’importe 48 Voir Alain Blottière, op. cit., p.  41 par
quelle histoire, le Tommy que je filme n’est pas exemple. Et <letombeaudetommy.net> (cons.
une reconstitution plus ou moins vraie, sché- 29  mai  2014) pour les archives de police, les
matisée, qui voudrait le rendre plus explicite, archives scolaires, les photographies et lettres.
identifiable, en mêlant fiction et réalité. Je me

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