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DÉCLIN
Jean-François Mignot
Jean-François Mignot*
Dans le monde, il y a eu en 2013 trois fois moins d’adoptions internationales qu’en 2003. En
outre, la plupart des mineurs adoptés internationaux sont désormais « à besoins spécifiques »,
c’est-à-dire relativement âgés, en fratrie, ou touchés par une pathologie. On examine ici les
causes et les conséquences des évolutions de l’adoption internationale ces dix dernières années
en France et dans le monde.
L’adoption est l’institution juridique qui crée un lien de mais l’adoption internationale reste interdite. Une dizaine
filiation entre, d’une part, un individu ou un couple d’autres pays autorisent quant à eux l’adoption nationale
adoptant et, d’autre part, une personne adoptée. Dans mais ils interdisent spécifiquement l’adoption internatio-
cet article, nous nous intéressons aux adoptions interna- nale ou y posent des conditions extrêmement restrictives
tionales, qui conduisent l’adopté à changer de pays de (Nigeria, Namibie, Tanzanie, Bangladesh, etc.).
résidence habituelle, en nous limitant aux seules adop- Le nombre d’adoptions internationales de mineurs
tions de mineurs de 18 ans(1), qui représentent la plupart dans le monde est passé d’environ 2 500 par an pendant
des adoptions internationales. les années 1950 et 1960 à plus de 40 000 par an au milieu
De nos jours, sur près de 200 États reconnus par l’Orga- des années 2000 [3]. Dans ce contexte d’essor, l’adoption
nisation des Nations unies, 170 autorisent l’adoption internationale a été peu à peu encadrée juridiquement,
aussi bien internationale que nationale [1]. Dans ces pays,
les conditions que doivent remplir les personnes pour
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numéro 519 • Février 2015 • Population & Sociétés • bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques www.ined.fr
L’adoption internationale dans le monde : les raisons du déclin
pour lutter contre le trafic d’enfants (c’est-à-dire l’enlè- nombre d’adoptés internationaux. Parmi ces pays se
vement d’enfants à fin de revente) et plus généralement trouvent, par ordre d’importance décroissant : la Chine,
promouvoir l’intérêt des mineurs. Ainsi la Convention la Russie, le Guatemala, l’Ukraine et la Corée du Sud. Si
de La Haye sur la protection des enfants et la coopération l’on rapporte les adoptés internationaux mineurs de 5 ans
en matière d’adoption internationale, ouverte à la signa- à tous les mineurs de 5 ans du pays d’origine, les pays qui
ture en 1993, a aujourd’hui été signée par environ 90 pays, confient relativement le plus de mineurs à l’adoption
dont la France en 1998. Elle stipule qu’il est préférable, internationale sont la Bulgarie (181 pour 100 000), le Gua-
dans l’intérêt supérieur de l’enfant, que les enfants soient temala (112) et l’Ukraine (79) (figure 1). La Corée du Sud
adoptés par des proches de leur famille ou, à défaut, par (54 pour 100 000), la Russie (52 pour 100 000) et surtout la
des nationaux, l’adoption ne devant être internationale Chine (6 pour 100 000) confient à l’adoption internationale
qu’en dernier recours. En outre, l’adoption internationale une proportion moindre de leurs mineurs.
dans un État signataire doit se faire sans transaction En 2003, 90 % des adoptés internationaux sont accueil-
financière, et par l’intermédiaire d’une autorité centrale lis dans l’un des dix pays qui reçoivent le plus grand nombre
plutôt que par une démarche individuelle. La Convention d’adoptés internationaux. Parmi ces pays se trouvent, par
de La Haye contribue donc à restreindre le nombre ordre d’importance décroissant : les États-Unis, la France,
d’adoptions internationales. Mais pour comprendre la l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. Encore faut-il préciser que
situation actuelle, il convient tout d’abord de rappeler la 50 % des adoptés internationaux sont accueillis dans un seul
situation qui prévalait il y a une dizaine d’années. pays : les États-Unis. À eux trois, les États-Unis, la France et
l’Espagne adoptent plus des deux tiers des adoptés. Par
L’adoption internationale de mineurs en 2003 contraste, le Portugal et le Royaume-Uni (qui adoptent de
nombreux mineurs nationaux) et le Japon (qui adopte
Autour de 2003, on compte environ 40 000 adoptions presque exclusivement des majeurs nationaux) adoptent
internationales par an [1] [5] (encadré). Ce flux annuel très peu à l’international ; à eux trois, ces pays adoptent
implique en principe 170 États « émetteurs » et 170 États moins de 2 % des adoptés internationaux. Si l’on rapporte
« receveurs », mais il est en réalité concentré sur un petit les adoptés internationaux mineurs de 5 ans à tous les
nombre de pays d’origine, et sur un tout petit nombre mineurs de 5 ans du pays d’accueil, les pays qui accueillent
de pays d’accueil. relativement le plus de mineurs internationaux sont Chypre
En 2003, 70 % des adoptés internationaux sont origi- (192 pour 100 000), la Norvège (138) et la Suède (137)
naires de l’un des dix pays qui émettent le plus grand (figure 1).
Figure 1. Fréquence des adoptions internationales par pays d’origine et par pays d’accueil, en 2003
Les 25 pays fournissant le plus d’enfants Les 25 pays accueillant le plus d’enfants
Nombre d’enfants fournis à l’adoption internationale Nombre d’enfants accueillis dans le cadre de l’adoption
pour 100 000 enfants de moins de 5 ans internationale pour 100 000 enfants de moins de 5 ans
Pays d’origine Pays d’accueil
Bulgarie Chypre
Guatemala Norvège
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Source : Nations unies, 2009. J.F. Mignot, Population et Sociétés n° 519, Ined, février 2015.
Alors qu’au niveau mondial, tous pays confondus, Pourquoi ce déclin des adoptions
85 % des adoptions de mineurs sont nationales, au sein internationales ?
des dix principaux pays d’accueil des adoptés internatio-
naux 61 % des adoptions de mineurs sont internationales. La forte baisse du nombre d’adoptions internationales
Toutefois, des situations très disparates subsistent. D’une dans le monde a plusieurs explications, mais toutes ces
part, 95 % des adoptés en Belgique, 94 % au Luxembourg explications ont un point commun : ce n’est pas la
et 90 % en France sont internationaux. D’autre part, seuls « demande » des couples ou des individus candidats à
1 % des adoptés au Portugal et 5 % au Royaume-Uni sont l’adoption qui a baissé, mais bien « l’offre » de mineurs
internationaux. Si depuis 2003 les pays d’accueil restent adoptables. On peut même affirmer qu’on connaît désor-
les mêmes, tel n’est pas le cas des pays d’origine ni, sur- mais une « pénurie » de mineurs adoptables à l’interna-
tout, du nombre d’adoptés internationaux. tional.
Cette pénurie s’explique d’abord par des raisons
Le nombre d’adoptions internationales a diminué structurelles, démographiques ou économiques. D’une
des deux tiers dans le monde depuis 2004 part, la baisse de la mortalité et la hausse du niveau de
vie des pays traditionnellement d’origine des adoptés
Dans les pays qui adoptent le plus de mineurs à l’interna- internationaux réduisent le nombre d’orphelins. D’autre
tional, et sans nul doute dans le monde, le nombre annuel part, la diffusion de la contraception et de l’interruption
de mineurs adoptés à l’international a chuté de près des volontaire de grossesse, et l’atténuation du stigmate
deux tiers depuis 2004 : il est passé de 42 194 à 15 188 entre associé aux naissances « illégitimes » réduisent le nombre
2004 et 2013 dans les dix pays qui adoptent le plus, soit une de naissances non désirées et d’enfants abandonnés.
chute de 64 % (figure 2). Par rapport au nombre d’adoptés Enfin, la hausse du niveau de vie permet aux pouvoirs
en 2004, le nombre d’adoptés en 2013 a baissé de « seule- publics de développer des politiques sociales et familiales
ment » 17 % en Italie (minimum) et 36 % au Canada, mais d’aide aux mineurs orphelins ou abandonnés, et elle
de 79 % en Espagne et de 80 % en Norvège (maximum). conduit aussi un plus grand nombre de couples stériles
En France, ce nombre a baissé de 67 %. à demander d’adopter des enfants. Au total, le nombre
de mineurs confiés à l’adoption internationale se réduit.
Figure 2. Évolution du nombre d’adoptions En conséquence, les pays d’origine peuvent se permettre
internationales dans quatre de refuser un grand nombre de candidats.
grands pays d’accueil, 2003-2013 Plusieurs décisions de nature politique et juridique
ont contribué à aggraver la pénurie de mineurs adop-
tables à l’international depuis le milieu des années 2000
[3] [6]. Par exemple, depuis 2006, la Chine exige pour
10 000 confier un de ses mineurs à l’adoption internationale qu’il
États-Unis soit adopté par un couple hétérosexuel marié dont les
France membres ont le baccalauréat, travaillent, et ne souffrent
Espagne pas d’obésité pathologique, alors que jusque-là elle accep-
Italie tait qu’une partie des enfants soit confiée à des femmes
seules, parfois membres d’un couple lesbien [6]. En
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La pénurie d’enfants adoptables ne s’observe plus rience de leur pays d’origine ? Quoi qu’il en soit, le déclin
seulement dans les pays occidentaux, mais aussi de plus des adoptions ne sera pas sans conséquence dans les pays
en plus à l’international. Dans les pays d’origine tradi- d’accueil comme la France : on peut s’attendre à une
tionnels des adoptés internationaux, une part croissante augmentation des demandes de procréation médicale-
et aujourd’hui majoritaire des mineurs confiés à l’adop- ment assistée ainsi que de gestation pour autrui.
tion internationale sont désormais des « enfants à besoins
spécifiques », c’est-à-dire des enfants relativement âgés, Références
ou en fratrie, ou handicapés physiques ou mentaux. [1] Nations Unies, 2009, Child adoption: Trends and Policies,
New York, United Nations Publications, 486 p.
Le nombre d’adoptions internationales [2] Barraud Émilie, 2009, Kafala et migrations. L’adoption
baisse aussi en France entre la France et le Maghreb. Thèse d’anthropologie,
Aix-Marseille, 639 p.
En France, le nombre des adoptions internationales a [3] Selman Peter, 2012, « Global trends in intercountry
augmenté des années 1970 jusqu’au milieu des années adoption: 2001-2010 », Adoption Advocate, 44, p. 1-17.
2000, passant de 971 à 4 136 entre 1979 et 2005 [4] [7] [8]. [4] Ministère des Affaires Étrangères, 2014, Statistiques de
Pour les candidats français à l’adoption plénière(2), l’adop- l’adoption internationale de l’Agence française de l’adoption.
tion internationale a peu à peu compensé la pénurie de [5] Selman Peter, 2014, « Key tables for intercountry
mineurs nationaux adoptables [9]. Ainsi, dans la seconde adoption: receiving states 2003-2013 », Conférence de La
moitié des années 2000, 83 % des adoptés de façon plénière Haye de droit international privé.
en France sont des adoptés internationaux [10]. Mais de [6] Selman Peter, 2010, « The rise and fall of intercountry
2005 à 2013, le nombre des adoptions internationales a adoption in the 21st century », International Social Work,
52(5), p. 575-594.
chuté de 4 136 à 1 343, retombant à son niveau du tout
début des années 1980. En outre, comme dans la plupart [7] Houdaille Jacques, Nizard Alfred, 1977, « L’adoption »,
Population et sociétés, n° 108, p. 1-4.
des autres pays d’accueil, la part des adoptés internationaux
qui sont des « enfants à besoins spécifiques » a fortement [8] Halifax Juliette, Villeneuve-Gokalp Catherine, 2005,
« L’adoption en France : qui sont les adoptés, qui sont les
augmenté, atteignant 70 % si on les définit comme les
adoptants ? », Population et sociétés, n° 417, p. 1-4.
enfants de plus de 5 ans, en fratrie, ou souffrant d’une
[9] Denéchère Yves, 2011, Des enfants venus de loin. Histoire
pathologie [4]. En 2013, un tiers des adoptés internationaux
de l’adoption internationale en France, Paris, Armand Colin,
ont plus de 5 ans, et un quart présentent une pathologie. 408 p.
[10] Halifax Juliette, Labasque Marie-Véronique, 2013,
Conclusion Étude relative au devenir des enfants adoptés en France et
à l’international. Rapport final, Amiens, CREAI de Picardie,
Le déclin des adoptions internationales dans le monde 130 p.
depuis 2003 soulève plusieurs questions. Tout d’abord,
ce déclin est-il dans l’intérêt des enfants ? Certes, il est le
Résumé
signe d’un déclin du nombre d’enfants abandonnés. Mais
la baisse du nombre d’adoptions internationales est-elle Il y a dix ans on comptait environ 40 000 adoptions inter-
compensée par la hausse des adoptions nationales, plus nationales de mineurs dans le monde, très concentrées
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