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INTERNATIONAL

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2| JEUDI 28 JUILLET 2022

SANTÉ  EN  EUROPE

Les systèmes de santé 
européens à bout de souffle
De Stockholm à Athènes en passant par Bruxelles et Madrid, le vieillissement
de la population, l’augmentation des maladies chroniques et les carences
de la formation conduisent à un manque de blouses blanches inédit

L
a pénurie de soignants est géné­ cennie. « La situation des personnels dans nos Une partie des personnels européens sont
ralisée, étendue au monde entier. hôpitaux, nos maisons de retraite et nos cen­ rentrés sur le continent, les listes d’attente
L’Organisation mondiale de la tres de soins se détériore à vue d’œil. Si rien n’est pour les soins sont énormes : plus de 6,5 mil­
santé (OMS) estime qu’il man­ fait, le système risque de s’effondrer », a alerté lions de Britanniques patientent pendant
quera 15 millions de profession­ le président de la Chambre fédérale des méde­ des semaines ou des mois pour un rendez­
nels de la santé d’ici à 2030. Si cins, Klaus Reinhardt, lors du dernier congrès vous avec un spécialiste et de plus en plus
les pays à revenu faible sont particulière­ annuel de la profession, en novembre 2021. d’entre eux sont obligés de se faire soigner
ment touchés, tous les pays, quel que soit Face à cette pénurie, le recours à la dans le secteur privé, non remboursé, no­
leurniveau de développement, sont confron­ main­d’œuvre étrangère est massif. Outre­ tamment en cas de diagnostic de cancer. En
tés à des difficultés en matière de formation, Rhin, un médecin en exercice sur cinq est né avril 2022, seuls 65,2 % des patients ayant
de recrutement et de répartition de leur à l’étranger. Les Syriens forment le groupe le consulté un spécialiste pour un soupçon de
main­d’œuvre. La tendance est connue de­ plus important avec 5 000 médecins. Dans cancer avaient entamé un traitement dans
puis plusieurs années et les causes sont bien les maisons de retraite, plus du tiers des les deux mois suivant ce rendez­vous, selon
identifiées : la population mondiale est aides­soignants et des infirmiers vient de la British Medical Association, principal syn­
vieillissante, ce qui va nécessiter de plus en l’étranger, principalement des pays d’Eu­ PLUS DE 700 000  dicat de médecins du pays.
plus de soins, tout comme l’augmentation rope de l’Est et du Sud, mais aussi du Viet­ ESPAGNOLS  Manque de lits dans les services d’urgence
des maladies chroniques, alors qu’en paral­ nam et des Philippines. en aval, manque de médecins de ville en
lèle le personnel de santé ne se renouvelle Si plusieurs enquêtes réalisées à l’échelle ATTENDENT amont : tous les niveaux sont concernés. Les
pas assez à la suite de départs en retraite, et locale ou régionale tendent à indiquer que le médecins étaient encore 29 364 en septem­
que les capacités de formation sont limitées. nombre de soignants a retrouvé son niveau UNE OPÉRATION  bre 2015, moins de 28 000 au printemps
Tout cela a, de plus, été renforcé et aggravé d’avant la pandémie – voire aurait légère­ 2022 pour une population de 65 millions
par la crise sanitaire liée au Covid­19. Une ment augmenté –, les prochaines années
CHIRURGICALE,  d’habitants. Avant d’être poussé au départ, le palité sur deux est jugée en pénurie et 40 en
étude de l’OMS publiée en juillet montre s’annoncent difficiles, le vieillissement de la LE TEMPS MOYEN  7 juillet, le premier ministre, Boris Johnson, pénurie grave (moins de cinq médecins pour
qu’au début de l’épidémie, en Europe, les ser­ population allemande nécessitant des be­ avait promis le recrutement de 6 000 nou­ 10 000 habitants).
vices hospitaliers, les soins dentaires et les soins toujours croissants. Une étude publiée D’ATTENTE EST  veaux médecins généralistes d’ici à 2024 et Le ministre entend toucher à un tabou en
services de santé mentale ont été les plus per­ fin juin par le cabinet de conseil PwC estime la construction ou la rénovation de 40 hôpi­ réformant le principe du financement à
turbés. Désormais, ce sont les soins primaires qu’il pourrait y avoir 1,8 million de postes va­ DE 123 JOURS. taux dans tout le pays. l’acte et en prenant en compte les autres rô­
et les soins d’urgence qui paient les consé­ cants dans l’ensemble du secteur en 2035, EN CATALOGNE, Mais cette dernière promesse « avance à les des médecins de première ligne, dans le
quences de la crise. Tous les pays d’Europe soit 35 %, contre environ 7 % aujourd’hui. un rythme glacial », confiait, en juillet, au domaine de la prévention notamment.
sont concernés par cette désorganisation des IL FAUT PATIENTER Guardian Saffron Cordery, directrice exécu­ Pour assurer la présence de généralistes sur
soins et la pénurie de soignants. Tour d’hori­ Au Royaume­Uni, le NHS au bord de la tive intérimaire de NHS Providers. Il y a des tout le territoire, il veut créer des cabinets
zon des principaux enjeux de la région. crise L’hôpital public britannique est en PLUS DE SIX MOIS « interrogations autour du niveau des finan­ publics où des médecins pourraient s’ins­
crise. Le fameux National Health Service cements disponibles » pour ce programme, taller. Il suggère aussi un allègement drasti­
En Allemagne, recours massif à la (NHS), acquis fondamental de l’après­guerre surtout depuis que le gouvernement John­ que des tâches administratives et une délé­
main­d’œuvre étrangère Le manque de per­ au Royaume­Uni, proposant un accès aux son, désormais intérimaire, n’est plus censé gation des tâches incombant aux généralis­
sonnels soignants n’est pas un problème soins presque totalement gratuit, était déjà que gérer les affaires courantes. tes au profit d’autres acteurs (pharmaciens,
nouveau outre­Rhin, mais il s’est aggravé au dans une situation difficile avant le Brexit et infirmiers, employés administratifs, etc.).
cours des dernières années. Selon une ré­ la pandémie, la conséquence de dix années L’ambition d’une réforme des généralis­ Autre idée encore : assurer la gratuité des
cente étude réalisée par le Centre de compé­ de sous­investissement. Il comptait sur une tes en Belgique Le manque de généralistes soins pour les moins de 25 ans, à condition
tences pour travailleurs qualifiés pour le mi­ forte proportion de citoyens étrangers pour est l’un des principaux problèmes du sys­ qu’ils ouvrent un dossier chez un médecin,
nistère de l’économie allemand, plus de pallier à son manque chronique de person­ tème de santé belge et le ministre fédéral de ce qui les fidéliserait chez un seul praticien.
35 000 postes étaient inoccupés dans l’en­ nels – 14,6 % des équipes étaient non britan­ la santé, Frank Vandenbroucke, un socialiste La carence d’infirmières et d’infirmiers
semble du secteur fin 2021, soit une augmen­ niques début 2021, dont 5,4 % venaient d’Eu­ flamand, ambitionne de réformer en pro­ est l’un des autres grands problèmes dans le
tation d’environ 40 % en l’espace d’une dé­ rope. Désormais, il craque de toutes parts. fondeur ce secteur. En Wallonie, une munici­ royaume et il a été aggravé par la crise liée

Au Royaume­Uni, embouteillage d’ambulances devant les urgences


Du fait du manque de lits et de médecins, les malades, même dans un état grave, peuvent patienter des heures avant d’être admis à l’hôpital

londres ­ correspondante l’intérieur, dans l’attente qu’un lit malades juste en amont des ur­ soit disponible. Dans certains cas, postant, le 11 juillet, entre 8 heures et, malheureusement, des patients
ou qu’un brancard se libère aux ur­ gences hospitalières. l’attente est malheureusement fa­ et 20 heures, sur les parkings de vont en pâtir ou même en mourir ».

T ant que cela ne vous est pas


arrivé à vous directement
ou à quelqu’un de proche,
vous ne réalisez pas à quel point no­
tre système de santé est sur les ge­
gences. Le père de Debbie Blouet a
dû patienter jusqu’à 4 heures du
matin pour voir un médecin, qui
l’a renvoyé chez lui. Il lui a fallu at­
tendre le lendemain pour être hos­
Que serait­il arrivé au père de
Mme Blouet si sa fille n’avait pas
pu le transporter ? De plus en plus
de Britanniques se trouvent dé­
munis, alors que les onze sociétés
tale. La BBC a récemment relaté
l’histoire de Jamie Rees, 18 ans, qui
s’est effondré à la suite d’un arrêt
cardiaque au matin du 1er janvier.
L’ambulance a mis plus de 17 mi­
six hôpitaux anglais pour consta­
ter les temps d’attente des ambu­
lances. Au Royal Cornwall, en Cor­
nouailles, région particulière­
ment touchée par la pénurie de
Face à l’urgence, le gouverne­
ment intérimaire de Boris John­
son minimise la gravité de la situa­
tion et souligne qu’il a débloqué
150 millions de livres sterling (178
noux », témoigne la Britannique pitalisé. « Il va mieux, heureuse­ d’ambulances travaillant pour le nutes pour arriver sur place, alors lits, vingt­cinq ambulances fai­ millions d’euros) supplémentai­
Debby Blouet. Début juillet, son ment. Mais des gens vont mourir à NHS en Angleterre et au Pays de qu’en cas d’urgence absolue elles saient la queue dans l’après­midi, res cette année pour les services
père, un habitant des environs de cause de nos urgences saturées », Galles répondent de moins en sont censées arriver dans les 7 mi­ dont trois qui ont attendu au d’ambulances.
Stroud (dans le Gloucestershire, au s’inquiète Mme Blouet. moins vite, voire plus du tout, à nutes suivant l’appel. Quand moins dix heures. Au Worces­ Une réponse qui ne prend pas la
sud de l’Angleterre), âgé de 76 ans, Le sacro­saint NHS, le système l’appel. Le temps que des lits se li­ l’équipe est arrivée, le cerveau de tershire Royal, dans les Midlands, mesure du problème, estime l’op­
s’est soudain trouvé mal, avec de de santé public et gratuit britanni­ bèrent. Les sociétés d’ambulan­ Jamie n’avait pas été irrigué pen­ quinze ambulances ont patienté position travailliste, tandis que les
grandes difficultés pour respirer. que, vit une profonde crise. Epuisé ces britanniques ont toutes, si­ dant de longues minutes et il n’a pendant quatre heures. Il y avait deux finalistes dans la course à la
« Il ne pouvait même plus se lever et par la pandémie et, avant elle, par multanément, déclaré un « acci­ jamais repris conscience. « On trois heures d’attente au Bristol succession de M. Johnson, les dé­
faire deux pas sans être très essouf­ dix ans de sous­investissements, dent critique » le 12 juillet, signi­ nous a dit qu’il y avait trente­deux Royal et au Royal Shrewsbury, et putés conservateurs Liz Truss et
flé. Il a appelé le 999 [le numéro des il lui manque jusqu’à 50 000 infir­ fiant qu’elles étaient incapables ambulances disponibles après mi­ plus de cinq heures au Heartlands, Rishi Sunak, évoquent à peine le
urgences], où on lui a dit qu’il n’y miers et 12 000 médecins rien de faire face à la demande. nuit le Jour de l’an, a déclaré sa à Birmingham. sujet. « Douze années de gestion ca­
avait pas d’ambulances de dispo­ qu’en Angleterre. L’accès aux mé­ mère, Naomi Rees­Issitt. Malheu­ Interrogé par la BBC, Martin Fla­ tastrophique par les gouverne­
nible pour l’amener à l’hôpital. Il decins généralistes devient de Une attente parfois fatale reusement, dix­sept d’entre elles herty, directeur exécutif de l’Asso­ ments conservateurs ont laissé les
a fallu que ma sœur, qui habite plus en plus ardu, 6,2 millions de Les médias britanniques et les ré­ étaient en chemin ou [attendaient] ciation des responsables des socié­ sociétés d’ambulances en crise. Les
plus près que moi de chez lui, à envi­ patients sont sur des listes d’at­ seaux sociaux débordent de té­ à l’extérieur des hôpitaux. » tés d’ambulances, reconnaît que travaillistes, eux, recruteront et re­
ron vingt minutes en voiture, le tente, pour un traitement du moignages, parfois terribles, de Le NHS cadenasse sa communi­ « la pression sur les ambulances est tiendront les équipes dont le NHS a
conduise elle­même. » cancer ou une opération. Mais ce personnes âgées obligées d’atten­ cation. Les sociétés d’ambulances sans précédent. (…) Le fait qu’un pa­ besoin pour prendre correctement
En arrivant à l’hôpital, vers sont les services d’ambulances dre pendant des heures sur le sol ne sont guère plus transparen­ tient très malade ou accidenté en charge les patients », a déclaré
18 heures, la fille et son père trou­ qui, désormais, constituent la de leur cuisine ou de leur salle à tes et ne communiquent pres­ puisse accéder rapidement à une Wes Streeting, ministre de la santé
vent le parking rempli d’ambu­ partie émergée de la crise, le pre­ manger, avec le col du fémur ou que aucun chiffre. Mais la BBC a ambulance est l’ultime filet de sé­ du cabinet fantôme du Labour. p
lances, avec leurs patients à mier goulot d’étranglement des l’épaule cassés, qu’une ambulance mené l’enquête, ses journalistes se curité du NHS. Or, il est compromis cécile ducourtieux
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En Suède, l’émergence
d’une médecine
à deux vitesses
L’essor des cliniques privées remet en cause
le modèle universel qui a fait la fierté du pays

malmö (suède) ­
correspondante régionale « ON NOUS AVAIT PROMIS 
DES PETITS CABINETS 

E n France, Camilla Läckberg


est connue pour ses ro­
mans policiers, vendus à
près de 30 millions d’exemplaires
dans une soixantaine de pays. En
EMPLOYANT QUELQUES 
MÉDECINS ET ON 
Suède, cette influenceuse aux
SE RETROUVE AVEC 
296 000 followers sur Instagram, D’IMMENSES GROUPES »
diplômée de l’école de commerce
de Göteborg, est aussi une redou­ BENGT JÄRHULT
table businesswoman, aux inté­ médecin généraliste à la retraite
rêts multiples. C’est ainsi qu’en
décembre 2019 elle annonçait, à
grand renfort de publicité, son in­ l’établissement soit public ou
cursion dans le secteur de la privé, s’il est sous contrat avec la
santé, avec l’ouverture d’une cli­ région, l’acte est remboursé selon
nique privée, Hedda Care, à Stoc­ une grille tarifaire unique. Subti­
kholm, réservée aux femmes. lité : la région ne peut pas refuser
En quelques jours, ce projet est de passer un contrat avec une cli­
devenu le symbole des dérives nique privée, si elle respecte la loi.
d’un système de santé à deux vi­ Le conseil régional ne peut pas
tesses, de plus en plus éloigné du non plus peser sur le choix du lieu
modèle universel qui a fait la d’implantation de ces cabinets.
fierté des Suédois. Car la clinique En une dizaine d’années, le nom­
de la reine du polar, installée dans bre d’établissements privés a aug­
Un soignant devant le quartier chic de Stureplan, est menté de 80 %, surtout en méde­
l’entrée des urgences réservée à un public particulier : cine générale, où plus de quatre ca­
de l’hôpital Victoria, celui des patientes ayant souscrit binets sur dix sont privés (68 %
à Blackpool une assurance­santé privée, capa­ dans la région de Stockholm). Pour
(Royaume­Uni), ble de couvrir le tarif exorbitant les spécialités médicales, la privati­
le 17 juin 2020. des consultations. sation est allée plus ou moins vite,
LYNSEY ADDARIO/GETTY IMAGES En 2000, près de 100 000 Sué­ en fonction de la couleur politique
dois ont souscrit une assurance­ des conseils régionaux. Dirigée
santé privée. Aujourd’hui, ils sont par une majorité de droite, Stoc­
sept fois plus, dans un pays de kholm a ouvert une quarantaine
10 millions d’habitants. Dans 60 % de secteurs à la concurrence, con­
des cas, l’assurance est payée par tre trois ou quatre en moyenne
au Covid­19. Vingt mille postes sont En Grèce, départs à l’étranger et dans le sont tombés malades et qu’il leur reste à pren­ l’employeur. Selon l’organisation pour la plupart des autres régions.
aujourd’hui à pourvoir. Fatigués ou attirés privé La clinique ORL de l’hôpital Papaniko­ dre des reliquats de congés de 2020… », cons­ des assureurs suédois Svensk För­ Autre spécificité suédoise : en
par de meilleurs salaires (au Luxembourg laou, à Thessalonique, dans le nord de la tate, amer, le président de l’Union des em­ säkring, le tarif varie de 300 à plus d’être largement financés
voisin, notamment), les personnels ont dé­ Grèce, a suspendu, en juin, les opérations ployés du SAMU du nord de la mer Egée, Fili­ 600 couronnes (entre 29 et par les fonds publics, « presque
laissé la profession, obligeant parfois les chirurgicales et les gardes de nuit. Avec seu­ monas Chatzistamatis. 57 euros) en moyenne par mois. tous les établissements privés sont
hôpitaux à recourir à des filières douteu­ lement deux médecins à temps plein après L’avantage en cas de problèmes de contrôlés par des sociétés à but lu­
ses, qui les contraignent, dans certains cas, le départ de plusieurs autres soignants dans La Suède se prépare à un été difficile dans santé : la possibilité d’obtenir une cratif, autorisées à faire des pro­
à payer 10 000 euros par soignant recruté. le privé, le service ne peut plus fonctionner les hôpitaux La saison estivale s’annonce consultation rapidement, en évi­ fits », souligne John Lapidus. « Et,
La situation est inquiétante, selon les syndi­ correctement. Ce cas ne fait pas figure d’ex­ noire dans les hôpitaux suédois. A Gällivare, tant les longues files d’attente alors qu’on nous avait promis des
cats, qui affirment que le manque d’infir­ ception dans un pays qui, pendant la crise dans le comté du Norrbotten, au nord de la petits cabinets tout mignons em­
mières a entraîné de nombreux décès. « Il économique des années 2010­2018, a vu Suède, la direction de l’hôpital a décidé de Ouverture à la concurrence ployant quelques médecins, on se
faut venir avec des preuves », riposte le mi­ quelque 20 000 médecins partir à l’étranger fermer le service de pédiatrie pour deux se­ Rien d’exceptionnel jusque­là. retrouve avec d’immenses grou­
nistre de la santé, sceptique. et près de 2 000 soignants être licenciés dans maines, en juillet. Les enfants qui y sont Sauf qu’en Suède, une grosse ma­ pes », ajoute Bengt Järhult, géné­
le secteur public. Un mouvement qui s’est hospitalisés vont être transférés à Sun­ jorité des cliniques privées, en raliste à la retraite, auteur d’un
Grèves en Espagne pour protester poursuivi pendant l’épidémie de Covid­19. derby, à 250 kilomètres de là. Un peu plus au contact avec les compagnies d’as­ brûlot titré « le médecin de dis­
contre le manque de ressources Plus de « Plusieurs de mes collègues expérimentés, sud, à Umea, toutes les opérations sont an­ surances, sont aussi sous contrat trict » (éditions Atlas, non tra­
700 000 Espagnols sont en attente d’une qui étaient à bout avec la crise du Covid­19 et nulées, jusqu’à nouvel ordre. Partout dans avec les régions, chargées de la duit). Exemple : le groupe de santé
opération chirurgicale, selon le rapport qui n’avaient aucune motivation pour rester, le pays, les services des urgences sont dé­ santé, et donc largement finan­ Capio, racheté par Ramsey Santé
trimestriel publié, début mai, par le minis­ se sont tournés vers le privé. Les plus jeunes bordés. Les patients attendent pendant des cées par l’argent des contribua­ en 2018, contrôle 160 établisse­
tère de la santé. Pour ces patients, le temps continuent de partir à l’étranger », note Chris­ heures, souvent dans les couloirs. En cause : bles. Or, si la plupart des établisse­ ments en Suède, dont l’hôpital
moyen d’attente est de 123 jours, avec de tos Karachristos, pneumologue à l’hôpital le manque de personnels. ments le démentent, plusieurs en­ Saint­Göran, à Stockholm.
grandes disparités selon les régions autono­ Papanikolaou. En Grèce, le salaire de base La pénurie de main­d’œuvre dans les hôpi­ quêtes journalistiques ont révélé Les défenseurs de ce système
mes, allant jusqu’à 183 jours en Aragon ou d’un médecin hospitalier est d’environ taux suédois n’est pas récente, mais elle est ces dernières années que les pa­ soulignent les avantages pour les
156 en Catalogne, où 30 % des patients 1 200 euros par mois et, après quinze ans en train de s’aggraver et révèle un problème tients dotés d’une assurance pri­ patients, qui ont désormais la « li­
attendent, en moyenne, plus de six mois d’ancienneté, de 1 900 euros seulement. « La encore plus profond : le manque de méde­ vée obtenaient, en général, un ren­ berté de choix ». Selon l’associa­
leur intervention. plupart des services hospitaliers manquent de cins généralistes, qui conduit les patients à dez­vous en priorité. « Cela va à tion des prestataires de soins pri­
Quant à la médecine de ville, elle ne se personnels, car les départs à la retraite ne sont se précipiter aux urgences, faute de pouvoir l’encontre de la loi sur la santé, qui vés Vardföretagarna, la concurren­
porte guère mieux : il n’est pas rare d’atten­ pas remplacés, il n’y a pas de recrutement de obtenir un rendez­vous rapidement dans un dit que les soins doivent être fournis ce a rendu la prise en charge plus
dre entre quinze jours et trois semaines personnel médical permanent », explique centre de soins. Selon un calcul réalisé par le en fonction des besoins », constate efficace, réduit des files d’attente
un rendez­vous chez le médecin à Madrid, également Christos Karachristos. Conseil national de compétences dans la John Lapidus, professeur d’écono­ et accru la satisfaction des patients
ce qui pousse de nombreux malades à se « En raison du manque d’anesthésistes, des santé, il faudrait en recruter 2 500 pour at­ mie à l’université de Göteborg. Cet qui choisissent les centres privés.
rendre aux urgences, saturant un peu plus chirurgies ne peuvent pas avoir lieu, ou sont teindre l’objectif d’un généraliste pour expert de l’Etat­providence sué­ La présidente du syndicat des mé­
un système à bout. retardées, et les patients se tournent finale­ 1 500 patients (6 000 si un médecin doit dois critique une privatisation decins, Sofia Rydgren Stale, se féli­
Canicule, fermetures de lits habituelles en ment vers le privé quand ils en ont les s’occuper de 1 000 patients), soit environ le « qui est en train de créer progres­ cite que ses 56 000 adhérents
été et reprise de l’épidémie de Covid­19 se moyens », souligne, de son côté, le prési­ double des effectifs actuels. sivement une équipe A et une aient, eux aussi, « le choix parmi de
sont ajoutées pour provoquer de nouvelles dent des médecins hospitaliers de Réthym­ En 2021, 16 des 21 régions suédoises décla­ équipe B dans le secteur de la nombreux employeurs ».
saturations des urgences hospitalières dans non, en Crète, Emmanouil Christodoulakis. raient manquer de compétences dans le sec­ santé ». Il dénonce un système qui Mais il y a l’envers du décor :
plusieurs hôpitaux madrilènes, dénoncées La Grèce dispose de 3,4 infirmiers pour teur des soins primaires. En 2022, toutes les se mord la queue : « Plus le secteur « Les établissements privés ont
ces derniers jours par les professionnels. La 1 000 habitants, contre 11,9 infirmiers pour régions sont concernées. Selon Sofia de la santé est privatisé, plus il a re­ tendance à s’installer dans les cen­
crise du système de santé espagnol est si 1 000 habitants en France. Rydgren Stale, présidente du syndicat des cours à des financements privés, et tres­villes, et pas en banlieue ou
criante que l’on ne compte plus les manifes­ Plusieurs îles, comme Samothrace, n’ont médecins, les universités forment suffisam­ plus les assurances se développent, dans les campagnes. Ils évitent les
tations, lettres ouvertes et rassemblements pas d’ambulances. A Rhodes, sur les 15 sala­ ment de candidats. C’est ensuite que cela se plus il y a une pression pour ouvrir patients aux pathologies compli­
des blouses blanches. riés du SAMU grec, seulement cinq sont tou­ complique : « Il n’y a pas assez de postes en in­ des cliniques privées. » qués et peuvent proposer de meil­
Le 18 juin, plus de 8 000 infirmiers ont jours en poste après plusieurs départs à la re­ ternat, les files d’attente sont de plus en plus La réforme la plus significative a leurs salaires à leurs employés et
manifesté à l’appel de tous les syndicats de traite et transferts vers d’autres régions. « Et longues, parce que les régions n’ont pas eu lieu en 2009. Le gouverne­ des cadences moins infernales, ce
la profession pour dénoncer un « manque tout ça alors qu’environ 30 % des soignants suffisamment investi. » ment de centre droit fait alors vo­ qui contribue à la pénurie de per­
de ressources inacceptable » et une « charge Facteur aggravant : la désertion des méde­ ter une loi qui impose aux régions sonnel dans le secteur public »,
de travail insoutenable ». A Madrid, les mé­ cins. Dans une enquête réalisée au prin­ d’ouvrir à la concurrence les cabi­ note Bengt Järhult, très remonté
decins généralistes de la capitale ont fait temps par le syndicat, six sur dix se disent nets de médecine générale, jus­ contre le fait que ces sociétés pri­
grève, le 25 juin, après l’annonce de la sup­ prêts à réduire leur temps de travail ou à qu’alors majoritairement publics. vées, financées par l’argent pu­
pression d’une vingtaine de centres médi­ EN WALLONIE,  quitter la profession. « Nous avons vu une dé­ Les conseils régionaux peuvent blic, puissent faire des profits. A
caux destinés aux urgences. térioration des conditions de travail depuis également choisir de privatiser Stockholm, les affiches du Parti
« Ce dont on manque, c’est de médecins dis­
40 MUNICIPALITÉS  longtemps. La pandémie est la goutte qui a certaines spécialités, proposées social­démocrate promettent de
posés à travailler dans les conditions terri­ SE TROUVENT fait déborde le vase. Le problème principal jusque­là exclusivement par les « reprendre le contrôle du système
bles qu’on leur offre, avec parfois plus de concerne le déséquilibre entre les exigences et hôpitaux publics. de santé », à l’issue les législatives
50 patients par jour », corrige Angela Her­ EN PÉNURIE GRAVE,  les ressources. Les médecins rentrent chez eux Si les cliniques privées existaient du 11 septembre. Soutenue par la
nandez, porte­parole du principal syndicat avec le sentiment de ne pas en avoir fait assez, déjà, les Suédois devaient payer de majorité de l’opinion publique, la
médical de Madrid, Amyts, qui reconnaît AVEC MOINS DE CINQ  ils souffrent d’un stress éthique », explique leur poche les consultations. La ré­ gauche s’est engagée à réduire les
que c’est le serpent qui se mord la queue : MÉDECINS POUR  Mme Rydgren Stale. p forme bouleverse ce système : aux profits réalisés par le secteur privé
pour recruter, il faut améliorer les condi­ delphine roucaute, patients désormais de choisir sur le dos de l’Etat­providence. p
tions travail. Or, pour cela, il faut recruter. 10 000 HABITANTS avec nos correspondants leurs médecins. Peu importe que anne­françoise hivert

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