Vous êtes sur la page 1sur 20

Apprentissage

Texte 1

« Nous n’en sortirons pas sans cette évidence : c’est l’élève qui apprend, et lui seul. II apprend à sa
manière, comme n’a jamais appris ni n’apprendra personne. Il apprend avec son histoire, en
partant de ce qu’il sait et de ce qu’il est. Aucune pédagogie ne peut faire l’économie de ce
phénomène; toute pédagogie doit s’enraciner dans l’élève, dans ses connaissances empiriques, ses
représentations, son vécu. Apprendre, c’est toujours, d’abord, être impliqué et se dégager
progressivement de cette implication première pour accéder à l’abstraction ; c’est un parcours
singulier que personne ne peut faire à votre place.

C’est pourquoi la plupart des pédagogues affirment qu’il convient de partir de l’élève, de ses
besoins et de ses intérêts. Et ils ajoutent justement que l’on ne doit pas s’en tenir là, que l’on doit
aussi lui fournir des outils pour dépasser ces besoins et ces intérêts, lui permettre d’accéder à des
représentations épurées, à des connaissances scientifiques. La pédagogie, en ce sens, n’est rien
d’autre que l’art de la médiation, elle bricole dans l’intermédiaire, s’ingénie à construire une arche
entre l’enfant et le savoir. »
Philippe Meirieu, L’école, mode d’emploi, 1985, p. 95.

Texte 2

« La décision d’apprendre se prend seul et pour des raisons qui n’appartiennent pas, pourtant, à
celui qui la prend. Elle se prend, au contraire, pour se « décoller » de ce que l’on « est », pour « se
dégager » de ce que l’on dit et l’on sait de vous, pour « différer» de ce que l’on attend et de ce que
l’on a prévu. Car il y a toujours une multitude de « on », auprès de vous et en vous, qui savent
mieux que vous ce que vous pouvez et devez apprendre, ce qui est à votre portée, ce qui
correspond à votre profil, ce qui entre dans vos capacités ou renvoie à votre ascendance
astrologique.

Il y a toujours une multitude de « on » qui préféreraient, pour reprendre la distinction de Paul


Ricoeur, vous voir enfermé dans votre idem, dans votre « caractère » ou votre « personnalité »,
dans ce dont vous avez hérité et qui constitue votre identité stable plutôt que de vous laisser
exprimer votre ipse, ce par quoi vous décidez de différer de tout cela. Ceux-là ne vous autorisent
pas – c’est-à-dire n’acceptent pas de vous « rendre auteur » – d’autre chose que de la « mêmeté »
qui vous colle à la peau; quand vous pourriez prendre appui sur votre identité pour oser votre
différence, ils vous assignent à résidence en vous-même. Par leurs regards, par leurs gestes les plus

1
banals et par l’organisation de leur pédagogie, ils ne cessent de vous dire, au nom du sacro-saint
réalisme : « Voilà ce que tu es. Voilà ce que tu dois faire. » Or, apprendre c’est précisément déjouer
les pronostics de tous les prophètes et les prédictions de tous ceux qui vous veulent du bien et
disent connaître votre véritable « nature ».

Apprendre, c’est oser subvertir sa véritable « nature », c’est un acte de révolte contre tous les
fatalismes et tous les enfermements, c’est l’affirmation d’une liberté qui permet à un être de
déborder de lui-même.
Apprendre, au fond, c’est « se faire œuvre de soi-même ».

Philippe Meirieu, Frankenstein pédagogue, 1996 p. 68-69.

Texte 3

« Dans la lignée des mouvements d’éducation nouvelle, renforcée par la psychologie piagétienne,
on se rend compte que c’est l’élève qui construit son savoir à partir de son activité (manipulatoire
comme intellectuelle), et que personne n’est en mesure de se substituer à lui dans ses
réorganisations cognitives successives. C’est, ici, la part d’autostructuration de la connaissance. Le
rôle de l’enseignant est d’abord ici de mettre en place des dispositifs facilitants et de réguler des
apprentissages qui, en tant que tels, lui échappent.

L’autre pôle de la tension qu’il faut appréhender simultanément, c’est l’idée que l’essentiel des
connaissances que l’élève maîtrise, au terme de sa scolarité, ne résulte pas, loin de là, de ses
investigations et de ses découvertes personnelles. Les apports externes ont, eux aussi, une place
tout à fait centrale, et surtout l’objet du savoir se situe en rupture avec les intérêts, les besoins et
les questions des élèves au moins autant que dans leur prolongement. C’est là, la part
d’hétérostructuration des connaissances. »
[…]
Dans ce processus, on voit bien que le rôle de l’enseignant est tout à fait décisif, certains pourraient
même dire manipulateur. En réalité, il s’efforce de réussir la médiation vers un savoir qu’il sait ne
pas pouvoir donner, et auquel, pourtant, les élèves seraient incapables d’accéder de leur propre
mouvement. Il est contraint pour ce faire, d’intervenir de manière décisive, mais sur un mode qui
n’est pas substitutif à l’activité propre des élèves, sous peine de retomber dans un effet Topaze. Un
tel mode d’intervention, décisif mais non substitutif, peut être relié à ce que le psychologue
américain Jérôme Bruner a appelé la fonction d’étayage de l’adulte. »
Jean-Pierre Astolfi, L’école pour apprendre, 1992, p. 113-11

2
Texte 4

« Les pédagogues, depuis bien longtemps, n’ont cessé de dénoncer l’idée qu’il suffisait d’enseigner
pour que les élèves apprennent. […]

Bien évidemment, fera-t-on remarquer, il existe des situations d’enseignement qui fonctionnent
très bien et où les élèves ou les étudiants « absorbent » complètement et parfaitement la pensée
du maître. Ces situations relèvent d’un cas particulier que l’on pourrait décrire, en utilisant une
métaphore informatique, comme des situations où « les apprenants ont reformaté leur système
d’apprentissage dans le système d’exploitation du système d’enseignement ». Ces élèves-là ont
bénéficié de tout un environnement favorable qui leur a permis d’effectuer ce « reformatage »: ils
comprennent le cours parce qu’ils ont appris à entrer dans une rationalité linéaire ; ils attendent
les exemples au moment où ils arrivent et retiennent les formules de synthèse… Et ce ne sont pas
eux, évidemment, qui posent problème dans les classes. Pour les autres, en revanche, la résistance
est là et la transmission difficile. Pour les autres, la tentation nous guette en permanence de
basculer dans l’exclusion ou dans l’affrontement en espérant qu’ainsi nous « passerons en force »
et que la transmission s’effectuera. Mais on ne passe pas en force quand il s’agit d’une personne,
d’un sujet en formation, d’un « petit d’homme » qui s’essaye à grandir et que l’on ne peut brutaliser
sans risquer de le briser ou d’entrer avec lui, pour longtemps, dans un face-à-face qui se fait vite
corps-à-corps et qui nous entraîne, malgré nous, vers les solitudes désertiques où règnent « le
froid et la désolation ».

Philippe Meirieu, Frankenstein pédagogue, 1996, p. 64 et 66.

Les objectifs pédagogiques

Texte 1

« La première chose à écrire en commençant, c’est que la pédagogie par objectifs, ça n’existe pas,
et qu’il est dangereux et absurde de propager que définir des objectifs pédagogiques pourrait tenir
lieu de « pédagogie ». L’un des buts de cet ouvrage est de montrer les limites de cette technologie
des activités éducatives. Car c’est à condition d’en montrer les limites qu’on pourra en souligner la
portée. Et cette portée est grande, sans quoi on ne prendrait pas la peine d’y consacrer du temps. »

Daniel Hameline, Les objectifs pédagogiques, 1979, p. 27.

3
Texte 2

« Je propose ici de rechercher un terme générique qui puisse, même par mode de convention,
recouvrir tout énoncé où se trouvera évoquée cette action volontaire, en ce qu’elle est recherche
d’effets et invocation de raisons. Comme il est nécessaire de réserver les notions de « fins », « buts
» et « objectifs », je choisis le concept d’intention, pris en son sens le plus large: « Ce que se
proposent l’auteur ou les auteurs d’une action. » Et je pose cette banalité que toute action de
formation est la résultante d’un faisceau d’intentions, de provenances diverses, voire
contradictoires. Cela revient à dire, pour parler en termes rétrospectifs, qu’aucune action de
formation n’est compréhensible si l’on ne se représente pas un certain nombre d’intentions qui
ont pu présider à sa conception, à sa mise en œuvre, à son développement ou à sa suspension.

Je définis alors une « intention pédagogique » de la manière sui vante: « L’énoncé plus ou moins
explicite d’effets, attendus à plus ou moins longue échéance et avec plus ou moins de certitude et
d’intérêt par les formateurs, les personnes en formation, les prescripteurs ou les commanditaires
de la formation sans oublier la société. »
Quatre conditions pour qu’une intention pédagogique soit opérationnelle ».

Daniel Hameline, Les objectifs pédagogiques, 1979, p. 54.

Texte 3

« On s’accorde généralement, à la suite de Tyler (1950) et de Mager (1962; cf. 1971; cf. Girard,
1972; Hyman, 1974; Mc Donald Ross, 1973; Lattman, 1974; De Landsheere et De Landsheere,
1976; Fontaine, 1977, etc.), pour fixer quatre qualités vers lesquelles un énoncé d’intention
pédagogique doit tendre pour mériter l’appellation d’objectif pédagogique opérationnel.

1. Pour qu’une intention pédagogique tende à devenir opérationnelle, son contenu doit être
énoncé de la manière la moins équivoque possible.

2. Pour qu’une intention pédagogique tende à devenir opérationnelle, elle doit décrire une
activité de l’apprenant identifiable par un comportement observable.

3. Pour qu’une intention pédagogique tende à devenir opérationnelle, elle doit mentionner
les conditions dans lesquelles le comportement escompté doit se manifester.

4. Pour qu’une intention pédagogique tende à devenir opérationnelle, elle doit indiquer le
niveau d’exigence auquel l’apprentissage est tenu de se situer, et les critères qui serviront à
l’évaluation de cet apprentissage. »
Daniel Hameline, Les objectifs pédagogiques, 1979, p. 62.

4
Texte 4

« Définir des objectifs, planifier des opérations, mesurer des effets, distinguer des formes de
l’évaluation: toutes choses belles et bonnes. Et hautement recommandables. Mais ce peut être
pure agitation sous les apparences du calme. Ce peut être extrémisme déraisonnable sous les
oripeaux de la modération. Un extrémisme qui s’ignore, et qui ne sait pas qu’il est vénéneux.

Qui s’estime à couvert des risques de l’insanité, fait déjà la preuve qu’il est atteint par elle.

Toute action est insensée dès lors que l’acteur n’est plus en mesure de rendre compte lui-même à
d’autres en quoi, par cette action-là, son intention subit une passion essentielle. Et jusqu’à encourir
le risque que l’intention se retourne contre elle-même. »

Daniel Hameline, Les objectifs pédagogiques, 1979, p. 196-197.

Objectifs-obstacles

Texte 5

« Le problème principal pour l’enseignement, c’est bien ici de retenir, parmi la diversité des
objectifs possibles, celui qui se révélera le plus judicieux pour une séquence, ni trop facile à
atteindre ni hors de portée des élèves. Ici, l’idée d’objectif-obstacle intervient comme un outil
conceptuel important pour mieux pouvoir penser les choses. Martinand s’efforce, on l’aura
compris, de coupler ces deux points de vue, ce qui, du coup, les renouvelle partiellement. Au lieu
de définir séparément obstacles et objectifs et de les faire s’affronter, il propose d’utiliser la
caractérisation des obstacles comme un mode de sélection des objectifs. En quoi un objectif
possible est-il intéressant? demande-t-il. Deux raisons le conduisent à choisir ceux qui
correspondent à des obstacles franchissables au cours des activités.

« La première raison est que les objectifs doivent être en nombre limité, si l’on veut qu’ils puissent
réellement être utilisés par les enseignants. Or, les objectifs de type comportemental sont toujours
beaucoup trop nombreux, ponctuels et dispersés, pour être une aide permanente. La première
hypothèse est qu’il est possible de trouver un nombre limité de progrès décisifs, non acquis
spontanément, mais qui ont une signification du point de vue des attitudes et des capacités
correspondantes.

La seconde raison est que, si l’éducation ne consiste pas à construire sur terrain vierge, mais à
transformer des attitudes, des représentations, des habiletés qui existent déjà et qui trouvent à
s’investir par ailleurs, c’est aux difficultés de ces transformations, plus qu’aux produits finaux, qu’il

5
faut se référer pour guider les activités didactiques. La seconde hypothèse est qu’il existe à un
moment donné du cheminement éducatif, dans une activité donnée, un obstacle décisif dont
l’aspect dominant se situe dans une des grandes catégories d’objectifs, attitudes, méthodes,
connaissances, langages, savoir-faire…1 ».
[…]
Martinand insiste sur le fait que si les obstacles ont une signification profonde par rapport aux
apprentissages à réussir, ce sont bien eux qu’il faut mettre au centre pour définir les véritables
objectifs. Une chose est de définir les objectifs à partir de la seule analyse des programmes et
contenus (ce que fait la pédagogie par objectifs), autre chose est de faire du franchissement d’un
obstacle l’objectif vraiment recherché. Citons-le à nouveau: « Dans la mesure où ces obstacles ont
une signification épistémologique profonde, je crois qu’ils fournissent la clé pour formuler les buts
les plus essentiels de l’éducation. Autrement dit, il s’agit d’exprimer les objectifs en termes
d’obstacles franchissables, car parmi la diversité des objectifs possibles, les objectifs intéressants
sont les objectifs-obstacles. » Il lui paraît ainsi légitime « de faire de leur franchissement les vrais
objectifs conceptuels ».
Jean-Pierre Astolfi, L’école pour apprendre, 1992, p. 134 à 136.

Texte 6

« Tout apprentissage est ainsi: ce qui le constitue est irréductible aux descriptions
comportementales qui peuvent en être faites. On peut accumuler les objectifs opérationnels sans
y trouver la moindre trace de l’intentionnalité susceptible de les relier dans une dynamique
mentale. « Il est tout aussi impossible, pourrait-on dire en reprenant la célèbre formule de Sartre,
d’atteindre l’opération mentale qui régit un apprentissage en entassant des objectifs que d’aboutir
à l’unité en ajoutant indéfiniment des chiffres à la droite, de 0,99. » Entre les comportements
observables et le geste mental qui les supporte, il y a une rupture, un saut qualitatif: on ne parle
pas de la même chose, on n’est pas dans le même domaine. C’est là la grande leçon de la
phénoménologie: « Il n’y aurait pas de pensée et de vérité, explique M. Merleau-Ponty, sans un
acte par lequel je surmonte la dispersion temporelle des phases de la pensée et la simple existence
de fait de mes événements psychiques. » Un acte, un geste, une certaine modalité de notre prise
sur le monde et les choses, une opération mentale par laquelle nous tentons de nous relier au

1
. Jean-Louis Martinand, Connaître et transformer la matière, Berne, Peter Lang, 1986.

6
savoir, une structuration fugace et qui disparaît sans doute avec le mouvement qui l’institue, mais
qui, un instant, nous met en correspondance avec les choses et nous permet de les comprendre. »

Philippe Meirieu, Apprendre… oui, mais comment, 1987, p. 108.

Objectifs et compétences

Texte 1

« Parfois, on ne parle de compétences que pour insister sur la nécessité d’exprimer les objectifs
d’un enseignement en termes de conduites ou de pratiques observables; on renoue alors avec la
« tradition » de la pédagogie de la maîtrise ou des diverses formes de pédagogie par objectifs. Ces
approches ne sont nullement dépassées, à condition d’en maîtriser les excès maintenant connus :
béhaviorisme sommaire, taxonomies interminables, fractionnement excessif des objectifs,
organisation de l’enseignement objectif par objectif, etc. [Hameline, 1979, Saint Onge, 1995].
Connaissant ces limites, on ne devrait plus, aujourd’hui, oser enseigner sans poursuivre des buts
explicites, communicables aux étudiants et sans en évaluer régulièrement, avec les apprenants, le
degré de réalisation, d’abord à des fins de régulation (évaluation formative), ensuite, lorsqu’il ne
reste plus de temps d’enseignement-apprentissage, à des fins certificatives.

Toutefois, parler à ce propos de compétence n’ajoute pas grand-chose à l’idée d’objectif. On peut
d’ailleurs enseigner et évaluer par objectifs sans se soucier du transfert des connaissances, encore
moins de leur mobilisation face à des situations complexes. L’assimilation d’une compétence à un
simple objectif d’apprentissage brouille les cartes et suggère, à tort, que chaque acquis scolaire
vérifiable est une compétence, alors que la pédagogie par objectifs est parfaitement compatible
avec un enseignement exclusivement centré sur les connaissances. »
Philippe Perrenoud, Construire des compétences dès l’école, 1997, p. 23-24.

Compétences

Texte 2

« (Il y a) difficulté à définir une compétence en dehors d’un type d’activités spécifié et sans rapport
avec un objet précis. Examinons celle-ci, dans son usage ordinaire, c’est-à-dire en dehors de
l’univers scolaire. Ce qu’on appelle compétence renvoie ordinairement à un champ d’activités
spécifié: un métier, une fonction, une technique. On parlera de la compétence d’un soudeur à l’arc,
d’un médecin, d’un cuisinier et la compétence du soudeur n’est pas celle du médecin; toute
compétence est exclusive, ce qui ne signifie pas qu’un individu unique ne puisse cumuler deux ou

7
plusieurs compétences, mais dans ce cas elles coexistent en lui sans se mêler: elles sont a priori
hétérogènes.

Il n’est pas inutile ici de rappeler le sens originel du mot « compétence », qui est juridique: il s’agit
du droit qu’à une juridiction de connaître une cause. Elle se détaille en compétence d’attribution
(qui fixe la nature des causes entrant dans la compétence) et en compétence territoriale (qui
prévoit le territoire sur lequel s’exerce la compétence). L’idée centrale est là, à l’évidence, celle de
limite: la compétence de telle instance judiciaire se définit par une délimitation territoriale
associée à une délimitation de la catégorie de causes judiciaires qu’elle peut prendre en compte.
Mais il est essentiel de noter également que cette délimitation se définit comme délimitation des
objets auxquels la compétence s’applique, délimitation à la fois qualitative (le type de causes) et
quantitative (la circonscription).

Or, en revenant à l’usage courant du mot, on retrouve les mêmes idées: ce qui définit une
compétence, c’est la délimitation des travaux qu’elle permet de mener à bien. Le principe de la
délimitation tient encore à l’objet auquel s’applique la compétence. Cette délimitation doit être
rigoureuse, afin d’offrir à la fois une garantie technique et une protection statutaire: faire faire des
travaux de plomberie par un maçon, c’est prendre un risque quant à la qualité du travail et c’est
aussi léser un corps de métier La valeur constitutive de la limite semble s’opposer radicalement à
l’idée de transversalité, laquelle implique une subversion des limites et la possibilité de passage
d’un domaine à un autre. Que serait une compétence sans limite? Une compétence sans objet? ”

Bernard Rey, Les compétences transversales en question, 1996, p. 23.

Texte 3

« La notion de compétence désignera ici une capacité de mobiliser diverses ressources cognitives
pour faire face à un type de situations. Cette définition insiste sur quatre aspects:

1. Les compétences ne sont pas elles-mêmes des savoirs, des savoir-faire ou des attitudes, mais
elles mobilisent, intègrent, orchestrent de telles ressources.

2. Cette mobilisation n’a de pertinence qu’en situation, chaque situation étant singulière, même si
on peut la traiter par analogie avec d’autres, déjà rencontrées.

3. L’exercice de la compétence passe par des opérations mentales, complexes, sous-tendues par
des schèmes de pensée , ceux qui permettent de déterminer (plus ou moins consciemment et

8
rapidement) et de réaliser (plus ou moins efficacement) une action relativement adaptée à la
situation.

4. Les compétences professionnelles se construisent, en formation, mais aussi au gré de la


navigation quotidienne d’un praticien, d’une situation de travail à une autre. »

Philippe Perrenoud, Dix nouvelles compétences pour enseigner, 1999, p. 17.

Compétences et connaissances

Texte 1

« Va-t-on à l’école pour acquérir des connaissances ou développer des compétences? Cette
question cache un malentendu et désigne un vrai dilemme.

Le malentendu consiste à croire qu’en développant des compétences, on renonce à transmettre


des connaissances. Presque toutes les actions humaines exigent des connaissances, parfois
sommaires, parfois très étendues, qu’elles soient issues de l’expérience personnelle, du sens
commun, de la culture partagée au sein d’un cercle de praticiens ou de la recherche technologique
ou scientifique. Plus les actions envisagées sont complexes, abstraites, médiatisées par des
technologies, fondées sur des modèles systémiques de la réalité, plus elles exigent des
connaissances étendues, pointues, organisées et fiables. »
Philippe Perrenoud, Construire des compétences dès l’école, 1997, p. 7.

Texte 2

« Avant de poursuivre, ne laissons pas croire que les concepts- outils (ou connaissances-
compétences) n’existent qu’en mathématiques Qu’est-ce qu’un pronom relatif? Qu’est-ce que
connaître le pronom relatif? Ce peut être connaître sa définition grammaticale: savoir, par
exemple, que sa forme dépend à la fois de son antécédent qui appartient à la proposition
principale et de sa fonction qui relève de la proposition relative. Mais il nous semble qu’une
véritable connaissance du pronom relatif consistera à savoir en user pour faciliter l’expression, à
savoir comment la proposition relative et le pronom relatif peuvent servir à déterminer, à qualifier,
à éviter des redites, à créer des effets, etc. Là encore, une connaissance est un pouvoir d’usage,
une compétence.

En présentant le savoir comme une compétence, on l’envisage comme pouvant être utilisé par
l’élève. C’est le signe qu’on se préoccupe de l’activité de celui-ci aussi bien dans l’apprentissage
que dans le bénéfice qu’il pourra retirer du savoir une fois acquis. En outre, les conditions sont

9
ainsi réunies pour que les connaissances, d’emblée perçues comme un pouvoir intellectuel,
prennent du sens aux yeux de l’élève. La notion de compétence s’inscrit donc dans le cadre d’une
pédagogie résolument centrée sur l’élève.

Cependant, ce qui donne là sens au savoir, c’est le projet d’en faire usage pour résoudre le
problème posé ou accomplir la tâche. Mais ce sens n’affleure que si l’élève a ce projet, c’est-à-dire
s’il s’est installé dans la réalisation de cette tâche. Or, cela présuppose qu’un certain nombre de
conditions aient été réalisées: que l’élève ait accepté d’entrer dans le jeu scolaire, c’est-à-dire qu’il
interprète l’école comme autre chose qu’une séquestration, qu’il saisisse le travail demandé par
l’enseignant non comme une injustifiable contrainte ni comme une brimade personnalisée, mais
comme une activité légitime au sein d’un apprentissage dont il sera le bénéficiaire, qu’il estime
que la tâche est à sa portée, soit parce qu’il la voit comme objet d’application d’une compétence
qu’il possède déjà, soit parce qu’il pense pouvoir, à l’occasion même de cette tâche, construire la
compétence qui convient, etc.

Ainsi, avant même que le savoir à acquérir ne puisse prendre sens au sein de son usage dans une
activité, il faut que l’activité ait été saisie par l’élève comme à faire et faisable, qu’elle ait été
découpée et constituée comme telle par une saisie intentionnelle particulière, au sein d’une
situation qui comporte bien d’autres éléments que le seul problème intellectuel posé par le maître
et à laquelle une autre intention aurait donné un sens, tout autre.

Par suite, si l’on veut vraiment élaborer une pédagogie qui se centre sur l’élève, il ne suffit pas de
porter son attention sur les mécanismes de construction ou d’exercice d’une compétence, qui
constituent en quelque sorte la partie terminale du processus. Il faut aussi s’occuper des actes
intentionnels qui, en amont, constituent la situation en lieu d’élaboration ou d’usage d’une
compétence. »

Bernard Rey, Les compétences transversales en question, 1996, p. 204-205.

Compétence et performance

Texte 3

« Autre signification courante: on oppose la notion de compétence à celle de performance: la


performance observée serait un indicateur plus ou moins fiable d’une compétence, supposée plus
stable, qui n’est mesurable qu’indirectement. C’est une acception développée en linguistique aussi
bien qu’en psychométrie. Sa seule vertu est d’opposer des dispositions virtuelles à leur

10
actualisation, sans rien dire de leur nature « ontologique ». Elle est salutaire dans le débat sur
l’évaluation, elle fonde une critique des examens, qui jugent du niveau d’une personne sur la base
d’une performance ponctuelle, exigée dans des conditions très particulières. Nul ne se risquerait
à défendre une école qui viserait des performances sans lendemain, quand bien même le
bachotage, désavoué en doctrine, est encouragé en pratique. Que la compétence, invisible, ne soit
approchable qu’à travers des performances observables laisse entière la question de sa
conceptualisation. On pourrait certes décrire une famille d’actions qui renverrait à la compétence
sous-jacente, sans qu’on se demande comment elle fonctionne. On parviendrait peut-être, de la
sorte, à nommer, classer, répertorier les compétences en ajoutant le verbe « savoir » devant un
verbe caractérisant une famille d’actions semblables: savoir tourner une séquence vidéo, dénouer
un conflit, opérer un partage équitable, reconnaître une erreur, négocier un compromis, décrire
un incident, mettre fin à une relation, composer un repas, etc. Cependant, cette forme de
tautologie ne suffit pas lorsqu’on veut former à de telles compétences. On a alors besoin d’un
inventaire des ressources mobilisées et d’un modèle théorique de la mobilisation. Pour cela, il faut
se faire une idée de ce qui se passe dans la boîte noire des opérations mentales, au risque d’en
rester à des représentations métaphoriques en l’état des sciences de l’esprit. »

Philippe Perrenoud, Construire des compétences dès l’école, 1997, p. 24.

Texte 4

« […] Aucune compétence n’est donnée au départ, les potentialités du sujet ne se transforment
en compétences effectives qu’au gré d’apprentissages, qui ne surviennent pas spontanément, par
exemple au gré d’une maturation du système nerveux, et ne s’accomplissent pas au même degré
chez chaque être humain. Chacun doit apprendre à parler, quand bien même il en est
génétiquement capable. Les compétences, au sens où on en traitera ici, sont des acquis, des
apprentissages construits, non des virtualités de l’espèce. »

Philippe Perrenoud, Construire des compétences dès l’école, 1997, p. 25.


Compétence et savoir-faire

Texte 5

“ Dans divers contextes, compétence et savoir-faire paraissent des expressions interchangeables.


La notion de savoir-faire est assez ambiguë. Elle désigne, selon le contexte et le locuteur:

– soit une connaissance procédurale, un schéma de l’ordre de la représentation, un « savoir


comment faire »;
11
– soit un « savoir y faire », un schème d’une certaine complexité, existant à l’état pratique, qui
procède en général d’un entraînement intensif, à la manière du patineur, du virtuose, de
l’artisan dont les gestes sont devenus « une seconde nature », se sont fondus dans l’habitus;
– soit une compétence élémentaire, où la part de l’action manuelle. J’opterai pour la seconde
formule (le « savoir y faire »), avec trois conséquences:
• Un savoir-faire existe à l’état pratique, sans être toujours, tout de suite, associé à une
connaissance procédurale, correspond à une connaissance procédurale, il peut en dériver,
par automatisation, simplification et enrichissement progressifs; une procédure peut, à
l’inverse, résulter de la codification du savoir-faire préexistant à l’état pratique.
• Tout savoir-faire est une compétence, mais une compétence peut être plus complexe,
ouverte, flexible qu’un savoir-faire, plus articulée à des connaissances théoriques.
• Un savoir-faire peut fonctionner comme ressource mobilisable par procédurales, une ou
plusieurs compétences de plus haut niveau. ”

Philippe Perrenoud, Construire des compétences dès l’école, 1997, p. 34-35.

Compétences transversales

Texte 6

“ Toute discipline scolaire comporte des tâches qui lui sont propres et celles-ci requièrent des
compétences que cette discipline est en mesure de transmettre. Mais chacun sait bien qu’elles
exigent en même temps un grand nombre de compétences que la discipline ne peut faire acquérir
parce qu’elles lui sont extérieures.

[…] Deux catégories apparaissent:

– Il y a d’abord des compétences qui, exigées par les tâches d’une discipline, sont enseignées par
d’autres: ainsi en va-t-il de la capacité à calculer la dérivée d’une fonction, des compétences
syntaxiques et orthographiques ou de la capacité à lire efficacement. On pourrait contester qu’elles
soient dites « transversales »: ne sont-elles pas plutôt des compétences disciplinaires, même si
elles sont utilisées après coup dans d’autres disciplines que celles en lesquelles elles ont été
forgées?

Pourtant, les choses ne sont pas si simples. Les enseignants répètent à l’envi que les élèves ne
pensent jamais à utiliser dans une matière ce qu’ils ont appris dans une autre. Par exemple,
certains enfants qui ont une orthographe acceptable dans les exercices qui lui sont explicitement

12
consacrés, paraissent tout oublier dès qu’il est question de sciences, d’histoire ou d’autre chose.
Se pose ainsi très concrètement à l’occasion de telles difficultés la question de savoir à quelles
conditions une compétence stabilisée dans le cadre d’une discipline peut être mise en œuvre avec
succès dans une autre, c’est-à-dire comment une compétence peut devenir, au sens littéral, «
transversale ».

– Mais, parmi les compétences requises par une discipline sans être transmises par elle, il y a une
deuxième catégorie: celle des compétences dont la construction ne paraît relever, du moins à
première vue, d’aucune discipline. Parmi elles, il y a celles qu’on appelle parfois « méthodologiques
»: savoir se servir d’une table des matières, savoir organiser son travail, savoir prendre des notes
ou préparer un exposé, etc. Longtemps, beaucoup de professeurs du secondaire ont plus ou moins
explicitement rejeté la responsabilité de leur apprentissage sur les collègues qui les précèdent
dans le cursus et, parfois, avec aigreur. Les définir comme « transversales », c’est faire sortir de
l’implicite leur dévolution et laisser espérer que des dispositifs précis peuvent être mis en œuvre
pour les faire apprendre.

D’autres, en revanche, sont telles qu’on entrevoit moins clairement les conditions qui pourraient
les faire acquérir: savoir distinguer cause et conséquence, savoir repérer toutes les combinaisons
entre plusieurs termes, savoir déduire, ou bien encore avoir envie d’apprendre, être autonome,
etc. Dresser des listes de telles compétences, les regrouper sous l’appellation de compétences
transversales, ce n’est, certes, pas résoudre le problème de leur apprentissage, mais c’est déjà
identifier les difficultés et les faire sortir de l’opacité du malaise ressenti. ”

Bernard Rey, Les compétences transversales en question, 1996, p. 17-18.

Texte 4

« Au cœur de l’intérêt pour les compétences transversales, il y a l’énigme du transfert. Pourquoi


tant d’élèves qui réussissent dans les situations où ils ont appris, sont-ils incapables de transférer
leur manière de faire à des activités légèrement différentes, relevant pourtant de la même
discipline? Tous les enseignants ressentent d’une manière vive cette difficulté. Une compétence,
pour être digne de ce nom, doit pouvoir être mise en œuvre dans d’autres et compétences
situations que celles au sein desquelles elle a été apprise. En ce sens, Évaluation toute compétence
véritable est « transversale » par rapport à une gamme de situations. »

Bernard Rey, Les compétences transversales en question, 1996, p. 18.

13
Texte 5

« Le savoir : le terme est parfois distingué de celui de connaissance ou d’information et se confond


alors avec celui de science. Le savoir, ce n’est plus dans ce cas ce qui est personnel, mais c’est ce
qui relève d’une communauté qui a décidé de statuer sur une connaissance pour l’ériger en savoir.
Dans ce cas, le savoir serait universel, la connaissance singulière. Jacques Legroux (1981) va dans
ce sens.

L’information, pour cet auteur, désigne des faits, des commentaires dont il est possible de prendre
connaissance dans son entourage par la radio, la télévision, la presse, une conférence, une
discussion, une lecture. L’information constitue une donnée extérieure à la personne, qu’il est
possible de stocker (livre, bande magnétique ou magnétoscopique, mémoire d’ordinateur) et de
redécouvrir identique à plusieurs années de distance.

Lorsque l’information est reçue par une personne, celle-ci se l’approprie, la fait sienne.
L’information externe devient sa connaissance propre. Ainsi le même discours est entendu
diversement par ses auditeurs, le même livre est perçu différemment selon ses lecteurs.

Pour chacun, l’information impersonnelle devient connaissance personnelle.

La connaissance est intérieure à la personne et, en tant que telle, n’est pas stockable ailleurs que
dans la mémoire du sujet où le temps la transforme. Elle risque de ne pas être identique chez un
sujet à plusieurs années de distance. »
Michel Develay, Donner du sens à l’école, 1996, p. 41-42.

Connaissances déclaratives et procédurales

Texte 6

“ Les connaissances déclaratives : le terme est emprunté à la psychologie cognitive, depuis un


article de Winograd (1975). « Les connaissances déclaratives sont celles qui s’expriment dans le
langage naturel ou un autre langage symbolique, et les connaissances procédurales dans l’activité
finalisée. » Conservons l’idée qui resterait à affiner, que les connaissances déclaratives sont de
l’ordre du discours, du savoir, alors que les connaissances procédurales sont de l’ordre de l’action,
du savoir-faire.

Nous avons déjà rencontré des élèves qui maîtrisent des connaissances déclaratives parce que
capables de réciter une règle de grammaire, une loi de physique, un théorème mathématique ou

14
un principe d’action pour analyser un texte, mais qui ne parviennent pas à appliquer cette règle,
cette loi, ce théorème, ce principe.

Inversement, certains élèves sont parfois capables d’appliquer un algorithme de résolution d’un
problème sans parvenir à expliciter ce qu’ils ont fait. Le passage du déclaratif au procédural, et,
inversement, est une question importante pour comprendre les difficultés d’apprentissage des
élèves. ”
Michel Develay, De l’apprentissage à l’enseignement, 1992, p. 36.

Représentations

Texte 1

Dans Pédagogie, Dictionnaire des concepts clés, Françoise Raynal et Alain Rieunier définissent ainsi
le terme de représentation mentale:

« Construction intellectuelle momentanée qui permet de donner du sens à une situation en


utilisant les connaissances stockées en mémoire et/ou les données issues de l’environnement. »
Mais, lorsqu’il est employé dans le champ des sciences cognitives, le terme de représentation a
une acception large et « renvoie principalement aux conceptions des apprenants et aux modèles
implicites et explicites auxquels ils se réfèrent pour décrire, expliquer comprendre un événement
ou une situation ».

“ […] L’enfant, en arrivant dans la classe, comme l’adulte en arrivant en formation, dispose de toute
une série de connaissances. Il « sait » comment marche une automobile, ce qu’est un rayon laser,
pourquoi il y a du vent et comment se reproduisent les plantes… Il sait ce que sont la « nature » et
la « fonction » d’un mot, ce que représente « l’infini », de la même manière qu’il « sait » pourquoi
on lui pose ce problème et ce que l’on attend de lui en lui faisant faire cet exercice… Certes, on
peut toujours faire abstraction de ce « savoir » et engager un apprentissage comme s’il n’en était
rien; on a alors toutes les chances de simplement superposer à ce « savoir » antérieur un « savoir
scolaire », vernis superficiel qui craquera dès que la situation scolaire qui l’a mis en place
disparaîtra. Vous pouvez expliquer à des enfants que ce qui fait pousser une graine, c’est l’eau, et
vérifier cette acquisition, sans toucher pour autant le moins du monde à la représentation selon
laquelle ce qui fait pousser la graine, c’est la terre: quelques jours après la leçon, l’enfant se sera «
libéré » de votre savoir savant et sera revenu à la confusion terriblement prégnante du lieu avec la
cause… En interrogeant récemment des élèves de première sur la Révolution de 1789, j’ai pu
constater que ceux-ci, alors qu’ils ont étudié au moins quatre fois dans leur scolarité cet

15
événement historique, croient et affirment toujours que, en 1789, on a guillotiné le roi et instauré
la République!

On n’a donc aucune chance de faire progresser un sujet si l’on ne part pas de ses représentations,
si on ne les fait pas émerger, si on ne les « travaille pas », au sens où un potier travaille la terre,
c’est-à-dire non pour lui substituer autre chose mais pour la transformer. Car il y aurait beaucoup
d’illusion à croire que, quand on a repéré la représentation par un entretien, une mise en situation
ou un dessin, il suffit de l’exorciser pour la chasser de l’esprit de l’élève et lui substituer la vérité
scientifique. Un sujet ne passe pas ainsi de l’ignorance au savoir, il va d’une représentation à une
autre, plus performante, qui dispose d’un pouvoir explicatif plus grand et lui permet de mettre en
œuvre un projet plus ambitieux qui, lui-même, contribue à la structurer. Et chaque représentation
est, à la fois, un progrès et un obstacle; elle est même d’autant plus un obstacle qu’elle aura
constitué un progrès décisif et que, en raison de cela, le sujet lui sera d’autant plus attaché. ”

Philippe Meirieu, Apprendre… oui, mais comment, 1987, p. 59-60.

Texte 2

“ 1. De très nombreuses recherches en didactique ont montré qu’avant l’enseignement d’un


concept, les élèves disposent souvent déjà d’une représentation qu’ils s’en sont construite.

2. Surtout, ces représentations s’avèrent extrêmement résistantes à l’enseignement. Elles


perdurent jusque chez des étudiants avancés dans leur discipline et, bien sûr, chez les adultes.

3. Pour un certain nombre de domaines conceptuels, particulièrement dans l’enseignement


scientifique, les recherches ont permis de dresser une sorte de cartographie des représentations
fréquentes auxquelles l’enseignant peut s’attendre.

4. On note une certaine « cohabitation » entre deux types de réponses. Les unes mobilisant des
savoirs scolaires appris chaque fois que les élèves les reconnaissent comme tels sur le mode de la
« coutume didactique ». Les autres, résultant souvent de questions plus simples, font ressortir un
fonds de représentations inchangé.

5. On peut comprendre l’origine et le mode de fonctionnement de ces représentations dans la


double lignée des travaux épistémologiques de Bachelard (rupture avec la connaissance
commune) et de Piaget (rééquilibration majorante des schèmes disponibles).

6. Elles fonctionnent comme un mode d’organisation de la structure cognitive de l’individu, avec


une large diversité quant à leur origine. Ce caractère structural explique leur résistance didactique.

16
7. Il ne faudrait pourtant pas les réifier comme de simples « choses mentales » stables,
préexistantes au questionnement qui les identifie. Toute réponse est aussi une production
singulière, résultant d’un processus d’interaction.

8. Tout enseignement qui se veut efficace du point de vue de la transmission des savoirs, devrait
être précédé d’une phase d’« état des lieux théorique ». Un contrôle a posteriori n’est pas inutile
non plus. »

Jean-Pierre Astolfi, L’école pour apprendre, 1992, p. 91.


Texte 1

“ Si Bachelard alerte sur le fait que les erreurs des élèves sont les indices d’obstacles qui résistent
et qu’on tend à sous-estimer, Piaget a insisté pour sa part sur le fait qu’on ne peut pas brusquer les
étapes. À l’idée d’obstacle fait ici place celle de « schème », centrale chez cet auteur. Pour lui, les
schèmes sont les instruments de connaissance dont dispose un sujet pour comprendre et pour
interpréter la réalité extérieure. Ils se situent à différents niveaux, depuis les schèmes sensori-
moteurs de la petite enfance (schèmes de succion ou de préhension) jusqu’aux schèmes
opératoires les plus élaborés de la pensée formelle (schèmes de la proportionnalité) en passant
par une diversité de schèmes d’action.

Qu’est-ce qu’un schème?

Le mot schème est construit sur la même racine que schéma (du grec: skhêma, signifiant forme ou
figure), tous deux ayant un statut abstrait et stylisé, mais s’opposant un peu comme l’intention à
l’action:

– le schéma, bien qu’appartenant au domaine de l’image, conserve un statut d’objet, aussi épuré
soit-il ;

– le schème au contraire, n’est qu’une virtualité et ne désigne pas l’action elle-même, mais la
structure générale commune à un ensemble d’actions.

Les schèmes ne sont donc pas les actions ni les opérations en elles-mêmes, mais ce qu’il y a de
transposable, de généralisable ou de différenciable d’une situation à la suivante. Ils correspondent
à une « stylisation » des actions et opérations qui se « schématisent » par répétition, autrement
dit à la structure générale commune aux diverses répliques ou applications de la même action.
Nous dirons, avec Marie-Françoise Legendre-Bergeron, qu’ils se caractérisent par le fait qu’ils se
conservent dans leurs répétitions, se consolident par l’exercice et tendent à se généraliser au

17
contact du milieu, donnant alors lieu à des « différenciations » et des « coordinations » variées.
D’où l’apparition de nouvelles conduites, qui s’élaborent à partir des schèmes initiaux et de leurs
interactions adaptatives avec le milieu (Legendre-Bergeron, 1980).

N’oublions pas, de plus, que le schème constitue une totalité, c’est-à-dire un ensemble cohérent
d’éléments qui s’impliquent mutuellement et assurent la signification globale de l’acte. C’est ainsi
qu’il se distingue d’un simple automatisme ou d’un conditionnement. ”

Jean-Pierre Astolfi, L’erreur, un outil pour enseigner, 1997, p. 47-48.

Les déséquilibres, moteurs des apprentissages

Texte 1

“ Pour Piaget, l’évolution des schèmes au cours du développement est lié aux déséquilibres que
produisent les interactions de l’enfant avec l’expérience et le milieu et, surtout, aux «
rééquilibrations majorantes » qui peuvent s’ensuivre. Dans son ouvrage théorique majeur (1975),
L’équilibration des structures cognitives, il explique comment « l’une des sources du progrès dans
le développement des connaissances est à chercher dans les déséquilibres comme tels, qui seuls
obligent un sujet à dépasser son état actuel ». Seulement, ajoute-t-il, « si les déséquilibres
constituent un facteur essentiel – mais en premier lieu motivationnel – ils n’y parviennent qu’à la
condition de donner lieu à des dépassements, donc d’être surmontés et d’aboutir à des
rééquilibrations spécifiques. Ce sont ces déséquilibres qui sont le moteur de la recherche, car sans
eux la connaissance demeurerait statique. Ils ne jouent qu’un rôle de déclenchement, puisque leur
fécondité se mesure à la possibilité de les surmonter, autrement dit d’en sortir ».

Par conséquent, « la source réelle du progrès est à rechercher dans la rééquilibration, non pas
naturellement d’un retour à la forme antérieure d’équilibre, dont l’insuffisance est responsable du
conflit auquel cette équilibration provisoire a abouti, mais d’une amélioration de cette forme
précédente. Néanmoins, conclut Piaget, sans le déséquilibre, il n’y aurait pas eu de rééquilibration
majorante » (Piaget, 1975).

La zone proximale de développement

Texte 1

“ Une situation d’apprentissage véritable suppose de manière simultanée et complémentaire, une


certaine déstabilisation (faute de quoi, il n’y a rien, vraiment, à apprendre) en même temps qu’un
point d’appui possible (sinon ce qu’il y a à apprendre n’est même pas repérable comme tel). Son

18
efficacité suppose qu’elle joue bien sur ce que Bruner appelle la zone proximale. Il reprend, ce
faisant, les travaux du grand psychologue russe Lev Vygotski, qu’il a contribué à diffuser en
Occident après la mort prématurée de ce dernier en 1934.

Aujourd’hui, avec même un effet de mode, on redécouvre Vygotski (qui aurait sans doute été le
challenger de Piaget) et, notamment, son concept central de zone proximale du développement
(ZPD) ou zone du développement proche, selon les traductions.

Alors que la tradition piagétienne place les possibilités didactiques sous la dépendance du
développement intellectuel et de ses fameux stades (au-delà de l’incompétence déclarée de
l’intéressé en pédagogie), Vygotski conceptualise l’apprentissage d’une manière qui lui « fait
prendre les devants » par rapport à l’état cognitif présent. Il ajoutait, suivant une expression restée
célèbre que « si l’enfant fait un pas par l’apprentissage, il avance de deux pas dans son
développement ». On sait que, pour Vygotski, la ZPD est une distance, celle qui sépare ce dont
l’enfant est capable quand il travaille seul, de ce qu’il est en mesure de réussir en collaboration
avec un adulte ou des pairs (cf. la « fonction de tutelle » chez Bruner). Et Vygotski d’ajouter : « Ce
que l’enfant sait faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain. » C’est
pourquoi certains préfèrent traduire l’expression de Vygotski par zone du développement
potentiel.
L’efficacité dans l’apprentissage consisterait ainsi à anticiper sur le développement, dans les limites,
évidemment, de la ZPD. Presque soixante ans après, on n’a pas le sentiment que ces perspectives
soient aujourd’hui dépassées, quand on les rapporte à la nature des activités scolaires auxquelles
sont confrontés journellement les élèves. Sur ce point, peut s’établir une parenté théorique avec
le concept d’objectif-obstacle. L’obstacle franchissable correspond bien à ce qui est susceptible
d’être réussi, même si la tâche n’est pas aisée, à condition que des activités didactiques cohérentes
soient mises en place à cet effet, activités qui font évidemment jouer la coopération, les activités
par groupes et l’aide magistrale. Et qui conduisent, du coup, à un progrès intellectuel, seul objectif
véritablement en jeu et possédant sa traduction en termes de développement. ”

Jean-Pierre Astolfi, L’école pour apprendre, 1992, p. 141-142.


Conflit socio-cognitif

Texte 1

« En réalité, seule la confrontation avec la différence peut susciter chez l’élève ce que les
psychologues nomment un « conflit socio-cognitif ». Un sujet, en effet, n’évolue que par la

19
nécessité d’intégrer dans son architecture psychique de nouvelles données qui l’amènent à la
reconfigurer et à accéder à un niveau supérieur de complexité. Il lui faut examiner d’autres
solutions aux problèmes qu’il rencontre que celles qui lui viennent spontanément à l’esprit ; il doit
introduire dans son système de pensée des faits nouveaux apportés par les autres ; il lui est
nécessaire de confronter ses représentations des phénomènes à celles d’autrui, de comparer ses
manières d’apprendre avec celles de ses camarades, de rapprocher ses conceptions d’autres façons
de voir pour repérer ce qu’elles ont en commun et ce qu’elles ont de différent. Bref, il doit se livrer
à une série d’exercices intellectuels qui lui permettent d’approcher et d’intégrer l’altérité, de
distinguer progressivement le « savoir » et le « croire », d’atteindre « ce qui résiste » au cœur des
différentes expériences et conceptions et qui peut constituer un point d’accord, un « savoir » où
s’articulent « ce qui réunit » – et doit être admis par tous – de « ce qui sépare » et relève des
différences légitimes et acceptables entre les visions, opinions et conceptions des uns et des
autres.

Certes, ce « conflit socio-cognitif » ne se produit pas spontanément et il requiert un contrôle


pédagogique strict pour éviter que la confrontation ne tourne à un conflit d’influences et au
triomphe de l’intimidation. Le maître ne doit pas, ici, s’absenter et laisser jouer la spontanéité : il
a à vérifier que chacun peut s’exprimer, être entendu et que la tâche commune requiert bien
l’intervention de tous. Mais, ces conditions une fois réunies, il découvre vite à quel point
l’interaction est efficace : elle permet non seulement l’enrichissement des plus « faibles », mais
aussi de ceux qu’on identifiait comme « les plus forts » et qui découvrent, à cette occasion, des
obstacles et objections qui leur permettent de s’approprier encore mieux des connaissances qu’ils
croyaient parfaitement acquises.

Chacun se voit contraint, à l’écoute des autres, de « réviser » son système de pensée, de mieux
asseoir certains de ses acquis, d’en relativiser d’autres. La confrontation ouvre, de plus, des
perspectives insoupçonnées : elle permet souvent des rapprochements inattendus qui s’avèrent
féconds, elle développe l’imagination et stimule la curiosité… »

Philippe Meirieu, Faire l’école, faire la classe, 2004, p. 48.

20

Vous aimerez peut-être aussi