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Introduction
L’argumentation est l’action de convaincre et pousser ainsi l’autre à agir. Contrairement à la per-
suasion, elle vise à être comprise de tous et rechigne à utiliser des arguments fallacieux. L’argu-
ment est, en logique et en linguistique, l’ensemble des prémisses données en support à une conclu-
sion.
Une argumentation est composée d’une conclusion et d’un ou de plusieurs « éléments de preuve »,
que l’on appelle des prémisses ou des arguments, et qui constituent des raisons d’accepter cette
conclusion. On distingue trois grands groupes :
— l’art de démontrer : on s’appuie sur des faits, des preuves, une loi incontestable ;
— l’art de persuader : l’émetteur fait appel au sentiment des destinataires (émouvoir, rire ou en-
core provoquer) ;
— l’art de convaincre : l’auteur fait appel à la raison du destinataire, mais sans utiliser de faits
scientifiques.
Une argumentation convaincante peut bien souvent consister à simplement énoncer un fait, afin de
permettre à l’interlocuteur d’en avoir connaissance. Un argument n’est ni une démonstration, ni
une preuve :
— La démonstration est une conclusion logique. Démontrer, c’est établir la vérité d’une phrase
abstraite par des moyens strictement logiques.
— La preuve est une évidence concrète, empirique. Prouver, c’est montrer un objet ou causer
un événement.
Argumenter, c’est exhorter une personne à agir, en montrant que les conséquences de cette action
causent un bien, éthique, matériel, physique, psychologique, économique ou autre, accepté par
l’opinion générale. Par exemple, on peut démontrer que l’inflation nuit à la croissance écono-
mique, on peut prouver que la Terre est ronde. Ces conclusions deviennent des arguments quand
elles sont rattachées à un conseil pour déterminer une action ou quand elles déterminent une ac-
tion, une décision. Une démonstration change la connaissance ; une preuve change la connaissance
et la perception ; un argument change une décision d’agir. Persuader ou convaincre, c’est modifier
la décision d’agir d’une personne par des arguments.
Ce sont les prêtres, dans les sermons, les avocats, dans les plaidoyers, les politiciens, dans les dis-
cours, les compagnies, dans les messages publicitaires, qui emploient des arguments. S’abstenir du
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péché et faire le bien, faire absoudre un accusé, gagner des suffrages, vendre la marchandise sont
les actions souhaitées par ces communicateurs.
L’argumentation désigne également l’échange discursif effectif par lequel des interlocuteurs
tentent de défendre une position ou de faire accepter un point de vue.
Plus largement, l’argumentation est un champ d’études à la fois descriptif et critique qui s’inté-
resse à la mise en forme des arguments (oralement ou par écrit) en vue, notamment, de la persua-
sion d’un auditoire. En ce sens, l’argumentation est une branche de la rhétorique.
I Évolution et définitions
Une argumentation est jugée bonne ou mauvaise selon que les prémisses sont acceptables (logi-
quement ou consensuellement) et qu’elles sont jugées suffisantes pour soutenir la conclusion.
Lorsqu’une argumentation n’est pas conforme à ce cadre normatif ou à certaines règles d’inférence
logique, elle sera qualifiée de paralogisme (en anglais, on parle de fallacy).
Une argumentation peut, par ailleurs, être convaincante ou non pour tel ou tel public (auditoire, se-
lon l’ancienne rhétorique). Plusieurs facteurs peuvent faire en sorte qu’une bonne argumentation
ne convainque pas quelqu’un (préjugés, intérêt personnel, manque de connaissance du domaine,
aveuglement passionnel, impertinence, etc.). Ces mêmes facteurs peuvent également faire en sorte
qu’une mauvaise argumentation convainque néanmoins quelqu’un ; c’est ce qu’avait déjà observé
Aristote dans les Topiques et les Réfutations sophistiques.
Selon Chaïm Perelman (Traité de l’argumentation, écrit en collaboration avec Lucie Olbrechts-Ty-
teca, 1959), l’argumentation est la manière de présenter et de disposer des arguments (raisonne-
ments ou raisons avancées n’ayant pas valeur de preuve mais qui s’imposent à tout être raison-
nable) à l’appui d’une thèse ou contre celle- ci, en vue d’obtenir l’adhésion par consentement d’un
auditoire. Elle se démarque de la démonstration qui repose sur des faits, lesquels emportent l’adhé-
sion par évidence devant un auditoire. La démonstration est monologique, elle est un enchaîne-
ment nécessaire de propositions, le parangon étant la démonstration mathématique, là où l’argu-
mentation est dialogique, raisonne sur du probable, est incomplète, et donc ouverte à la réfutation.
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Des approches philosophiques ont également été proposées par Karl-Otto Apel et Jürgen Haber-
mas dans le cadre d’une théorie de l’éthique de la discussion.
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B La comparaison et le distinguo
Par opposition avec l’analogie, la « comparaison » est un argument (à distinguer donc de la figure
de style du même nom) qui permet de définir ou d’exprimer une notion ou un objet en le rappro-
chant ou en le distinguant d’autres objets ayant une ou plusieurs propriétés en commun. On peut
par exemple comparer le fonctionnement du siphon avec celui du geyser. L’argument comparatif
met néanmoins de côté le contexte, en cela, c’est un argument simplificateur et manipulateur. Les
discours démagogiques l’utilisent beaucoup afin d’établir des « raccourcis de pensée » (par
exemple comparer la chute de l’Empire romain avec la situation américaine).
Le « distinguo » est, a contrario, une comparaison négative. Il consiste à « définir une notion ou un
objet en utilisant, pour le rejeter, un comparant inférieur ou inadéquat ». Les figures de l’antithèse
et de la correction y sont courantes.
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Argumentation
C L’incompatibilité
Il s’agit de « deux assertions qui ne peuvent coexister dans un même système, sans ipso facto, se
nier logiquement », comme dans la proposition un astre ne peut être à la fois une planète et une
étoile.
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L'« argument du gas- Argument qui consiste à respecter l'engage- « Notre banque ne peut renflouer Mr.
pillage » ment en faveur d'un projet afin que les efforts Untel, autrement elle perdra tous les
consentis ne soient pas perdus ; sorte de crédits accordés. »
« quitte ou double ».
L'« argument du dépas- Argument qui insiste sur la possibilité d'aller Lieu commun de la victoire électorale
sement » toujours plus loin dans un certain sens, sans comme dans : » Le triomphe du Front
que l'on entrevoie une limite dans cette direc- Populaire est écrasant (...) Maintenant il
tion, et cela avec un accroissement continu de faut agir » (Léon Blum).
valeur. Ou après une victoire syndicale : » Nous
avons gagné une bataille, mais le com-
bat continue ! »
L'« argument de la direc- Argument qui stipule que toute action ou idée « jusqu'où irons-nous ? ».
tion » sera poussée jusqu'au bout.
L’» exemple » est un argument s’appuyant sur un cas particulier et concret. C’est un argument
très courant permettant d’étayer une thèse. Il peut être aussi un moyen de réfutation, on l’appelle
alors le « contre-exemple ». Plus rarement, il permet de faire une preuve par l’exemple.
L’» illustration » permet une thèse considérée comme admise en lui donnant une apparence vi-
vante et concrète, en frappant l’imagination. Les fables de Jean de La Fontaine sont des illustra-
tions pédagogiques par exemple.
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Argumentation
Le « modèle » est un argument qui propose un personnage ou un groupe humain comme support
d’identification. Très proche de l’argument d’autorité, il se concrétise en politique par le culte de
la personnalité et dans la publicité à travers les allégories (la « mère Denis » par exemple). Il
existe aussi un argument modèle négative, se fondant sur des « anti-modèles » à ne pas imiter
(le personnage d’Harpagon de Molière pour l’avarice par exemple) ; Chaïm Perelman explique
que le recours aux concepts de Dieu ou de Diable se fonde sur la rhétorique du modèle et de
l’antimodèle, qui permet un raisonnement dialectique.
L’» argument par analogie » ou « a simili » est un argument qui compare deux rapports, soit
quatre termes, dans un raisonnement croisé, de type si a est à b ce que c est à d. Il s’agit donc de
faire comprendre une idée en la transposant dans un autre domaine, au moyen de l’analogie et
selon une certaine structure. La métaphore est une analogie poétique même si elle peut véhiculer
une volonté rhétorique de persuader l’interlocuteur. Jean-Jacques Robrieux cite Aristote comme
exemple d’argument analogique : « De même que les yeux de la chauve-souris sont éblouis par
la lumière du jour, de même notre intelligence est éblouie par les choses les plus naturellement
évidentes. »
L’analogie a un rôle puissamment heuristique (qui fait découvrir une vérité) et pédagogiques, ce-
pendant, le recours à l’image permet des détournements manipulateurs (c’est le cas en science par
exemple : la métaphore simplifie trop la théorie parfois).
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F Les arguments contraignants et de mauvaise foi
Ces types d’arguments sont hautement manipulateurs, mais à des degrés divers. Ainsi, les auteurs distinguent ceux fondés sur le bon sens, l’appel au
conformisme, la ruse ou la violence. Ils sont également peu logiques. Peu étudiés au cours des siècles, Jean-Jacques Robrieux remarque qu’ils font
« l’objet d’un regain d’intérêt théorique depuis quelques décennies seulement, au moment où les démocraties, le système consumériste et les médias
se sont mis à les employer abondamment ». Certains de ces arguments ont recours aux valeurs (ce sont les repères moraux admis par une société don-
née et partagées par tous), d’autres sont plus particulièrement des ruses sophistiques destinées à gagner à tous prix le débat. Ils sont : le proverbe, les
lieux communs et les questions.
Les « proverbes » et les « maximes » permettent d’exprimer des valeurs communes ou des vérités éternelles (le présent employé est ainsi appelé
« présent de vérité générale »).
Le « bon sens » et le « normal » permettent de se mettre sous l’autorité de normes générales mais floues. Ils permettent la recherche du consensus
et se présentent sous la forme de formules telles : « cela tombe sous le sens », « c’est évident que » etc.
Le « lieux communs » sont des arguments typiques qui peuvent être employés en toutes circonstances et permettant de manipuler le discours. Il
existe un nombre important de lieux communs dont le « lieu de quantité », qui fait appel au plus grand nombre (autorité des sondages, des élec-
tions) et qui prône de rejoindre la majorité. Le « lieu de qualité » est au contraire fondé sur le meilleur, l’unique et le singulier ; c’est le lieu de l’éli-
tisme et des poètes. Chaque milieu et même chaque domaine (littéraire, artistique, scientifique et religieux) a ses lieux communs propres.
Les « questions » sont des arguments se fondant sur l’interrogation, recherchée ou feinte, de l’interlocuteur.
Il existe en premier lieu les « questions dialectiques » qui cherchent à persuader sans recourir à l'agressivité.
Les « questions éristiques » sont elles polémiques ; elles cherchent à agresser l’interlocuteur. Le philosophe Arthur Schopenhauer en a proposé une
étude précise dans L’Art d’avoir toujours raison ou Dialectique éristique (1830 - 1831).
Dans le domaine de la mauvaise foi il existe un ensemble d’arguments particulièrement efficaces s’appuyant sur une déficience de logique formelle :
Tableau 7 - Arguments fallacieux
Bibliographie
Christian Plantin, L'argumentation, Seuil, coll. « Memo », Paris, 1996 (ISBN 2-0202-2956-0)
Pierre Oléron, L'argumentation, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 1996 (ISBN 2-1304-5513-1)
Gilbert Dispaux, La logique et le quotidien. Une analyse dialogique des mécanismes d'argumenta-
tion, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Arguments », 1984, 188p.
Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Premier
cycle », 1991, 256 p., 15 cm x 22 cm (ISBN 2-13-043917-9)
Chaïm Perelman, L'Empire rhétorique, Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque d'histoire de la philoso-
phie », 2002, 224 p. (ISBN 2-7116-1334-8)
John Woods, Douglas N. Walton, Critique de l’argumentation: logiques des sophismes ordinaires,
Paris, Éditions Kimé, 1992. (ISBN 2908212323)
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