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Hyperréalismes, à Strasbourg,

Jean-Claude Lebensztejn, commissaire de l’exposition ​Hyperréalismes ​au musée d’art


moderne de Strasbourg, porte une fois de plus son regard sur une forme d’art qui connut un
succès foudroyant aux états-unis dans les années 1960-1970, autrement dit au même
moment que l’art conceptuel.
Affublé de photo-realism, de radical realism, et revendiqué par Morley de surrealism,
l’​hyperréalisme, ​ s’il ne saurait se définir exactement dans l’une de ces catégories aura
néanmoins su articuler un rapport à la production d’image en relation avec son époque.
Un article de Richard Leydier paru dans le numéro 294 de ​Art Press​, fut consacré à cette
exposition qui s’est tenue en 2003.
Celui-ci souligne le rapport étroit qu’entretiennent les peintres hyperréalistes avec les
images et leur manières de diffusions contemporaines. En effet, la photographie, par la prise
de clichés, est toujours à l’origine du tableau. Les artistes, par les sujets traités, accordent
une nette importance aux images, Tom Blackwell constate quant à lui que,

«les images photographiques, le cinéma, la télévision sont une partie


aussi importante de notre réalité que les phénomènes véritables. Ils
affectent profondément notre perception… Je sais que pour ma part,
je vois “photographiquement”. Je compose sans cesse des images,
découpant des tranches de réalité, et cela a affecté la manière dont
je veux peindre» .

Blackwell souligne ici l’importance des nouveaux médias, de la masse d’images qu’ils
diffusent, assumant ainsi leur influence au sein de sa pratique artistique.
L’hyperréalisme qui avait pour vocation de représenter le monde dans sa neutralité, trouve
également son expression dans les techniques de productions picturales qui sont parfois
analogues aux procédés mécaniques : Chuck Close compose ses images en superposant
trois couches monochrome (bleu, rouge jaune), excatement comme la sérigraphie ou une
imprimante domestique. La surface peinte se pixellise, et pourrait déjà se référencer à une
image vue sur écrans. Beaucoup de ces peintres peignent par fragments, l’image se forme
petit à petit, une fois ces fragments associés. Cela pointe la question de l’abstraction dans
dans la peinture hyperréaliste, la fragmentation isolant les détails, les rendant autonomes.
Joseph Raffael déclare à propos :

”​J’ai le sentiment que chaque bout de n’importe quoi a sa propre vie,


sa propre valeur.”

La fragmentation pourrait également se regarder comme un agencement particulier de


signes, venant donner sur la toile un sens nouveau.

Les nouvelles technologies de la communication, leur lot d'images et leur processus de


production se mêlent ici dans une pratique picturale rigoureuse. Elle illustre généralement
des sujets banals, urbains, symbole d’une Amérique en plein essor : voitures, vitrines,
panneaux publicitaires; Et intègre ici une facette de son actualité.
Avec la reproduction fidèle d’espaces, de visages, de scène quotidienne, l’hyperréalisme
donne une nouvelle couche à l’expression de la réalité.
Notre actualité, où les supports d’images se virtualisent de plus en plus (se rendent visibles
sur des écrans), donne une nouvelle lecture à ces peintures. Produire une autre réalité, une
hyperréalité, q ​ ui malgré son fort caractère réaliste se plonge dans un éther virtuel. Ces
images qui, en reproduisant un décors quotidien, lui donnent dans sa mise à “plat”, une
puissance narrative qui résonne dans nos imaginaires. La relation à notre espace, à son
appréhension sous la forme d’un décor narratif s’énonce dans l’hyperréalisme.
Même si d’autres pratiques artistiques donnent au décors une vocation narrative, elle n’en
reste pas moins détachées d’un rapport au réel. Chose intéressante avec l’hyperréalisme
qui met en lumière une certaine dimension scénographique au sein de nos environnements.
Tom Blackwell, par son illustration de scènes urbaines aux Etats-Unis, archive les objets,
l'architecture, les décors qui l'entourent. La reproduction identique du réel la fait résonner
avec la volonté de réalisme du jeu vidéo ou de la réalité virtuelle.
Photographier une scène par la peinture, technique lente et rigoureuse, va dans une
certaine mesure à contresens d'autres techniques de production picturale, chose qui vient
nourrir la critique du “à quoi bon ?”.
L’expression de cette sur-réalité trouve sa possibilité dans la technique du peintre.
C’est cette technique qui rend alors la reproduction possible. Bien que l’une des critiques
majeures de l’hyperréalisme consiste à placer la reconnaissance dans la technique de
l’artiste et non dans la qualité de l’image produite, l’implication du phénomène technique
dans notre perception n'en est pas moins inintéressante.
Elsa Boyer dans ​Le conflit des perceptions​ s’intéresse aux phénomènes techniques et
technologiques ainsi qu’à leur implications dans nos perception.
En analysant les pensées de Husserl, Derrida et Stiegler, elle introduit au découpage
Husserlien entre perception originaire et non originaire une perception tertiaire qui serait
technologique.

“Une mélodie enregistrée que l’on viendrait ré-écouter se donne à


nous comme une perception primaire, originaire tandis qu'en réalité
celle-ci n’est qu’une trace de la musique alors jouée et enregistrée
dans le passé.
La manière dont Stiegler s’empare de la mélodie est d’emblée
originale, ni perception originaire, ni ressouvenir mais nouvelle
écoute.
La nouvelle audition ne peut se séparer de son caractère technique.
Une perception tertiaire rentre ici en jeu”.

Bien qu’elle s’intéresse essentiellement dans son ouvrage à des phénomènes techniques
contemporains, cet exemple peut néanmoins devenir pertinent dans la relation qu’entretient
la peinture réaliste avec la photographie et le réel.
Le tertiaire s’introduit comme mode de perception (nouvelle audition/vision) et objet
temporel. Le rapport entre primaire et secondaire n’obéit plus à la ligne droite et unilatérale
de la dérivation.Le souvenir apparaît sur support technique et s’affranchit de son caractère
même de souvenir en ce sens qu’il apparaît comme une perception primaire.
Le souvenir tertiaire est un passé non vécu.

Le sujet réel se photographie, puis se peint. La peinture s’actualisant sous notre regard est
en réalité passée par un double prisme de reproduction, celui de la photo et celui de l’artiste
(dont la volonté est ici de reproduire fidèlement cette photo).
Il est vrai toutefois, que s’il est possible de ne pas pouvoir distinguer l’écoute d’une musique
“live” de l’écoute d’une trace musicale pré-enregistrée, il apparaît compliqué de ne pas
remarquer la différence entre l’image d’un sujet, et le sujet lui-même.
La volonté de reproduction dans la peinture hyperréaliste reste circonscrite à une perception
visuelle.

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