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La psychosomatique et le cas Joyce

Method · March 2023


DOI: 10.13140/RG.2.2.28469.55520

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Nicolas Daniel Mathieu


Catholic University of the West
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Eskiss Carnet d’études psychanalytiques et anthropologiques

La psychosomatique et le cas Joyce

Date de publication : novembre 2022

Mots clés : Joyce, Lacan, Nom-du-Père, sinthome, suppléance

Citer l’article : Mathieu, N. (2022, 11). La psychosomatique et le cas. Récupéré sur Eskiss :
https://eskiss.hypotheses.org/495

Il s’agit de reprendre l’acception derridienne : dans un terme, il subsiste un terme de lui-même.


Une forme d’écho dont la résonnance discursive est évoquée par Lacan lors du séminaire sur
le cas Joyce et le sinthome, « les pulsions sont l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire [1] ».
Un écho dans les phénomènes psychosomatiques par le biais du désir. Une approche
symbolique dont Lacan dit dans Radiophonie [2] « de ce que le symbolique ayant pris corps
s’incorpore, le corps se fait verbe. ». « Le corps du sujet se fait le lit de l’autre » [3].

Selon Castanet [4], les phénomènes psychosomatiques émergeraient autant, dans la névrose
et la psychose que dans la perversion, seul le rapport à la jouissance diffère. Chez le sujet
névrosé, l’incorporation du symbolique induirait une séparation du corps et de la jouissance,
nous l’avons étayé, le phénomène psychosomatique serait une inscription de la jouissance sur
l’organisme. Chez le sujet psychotique, Castanet précise à propos de la paranoïa, il y’a « une
oscillation de la jouissance entre le corps et l’Autre. Dans la schizophrénie, c’est le corps dans
son ensemble qui est emparé par la jouissance. Dans le phénomène psychosomatique, il y a
un retour de cette jouissance sur le corps, sur quelques zones bien choisies ».

Du point de vue topologique, nous avons aussi établi précédemment que le nouage borroméen
à trois nœuds était assuré par un quart-élément. Un quart-élément dont la nature du Nom-du-
Père assurerait cette fonction. Or, lorsqu’il y a forclusion du Nom-du-Père, le quart-élément
Père-du-Nom se substituerait à lui. Chez le sujet psychotique, lorsque le délire est absent, le
nouage tient par un quart-élément que Lacan nomme le sinthome. Un quart-élément qui
porterait la fonction du dire. C’est-à-dire, non plus comme un père à l’intertexte patriarcal, mais
comme un père qui nomme. Un père à travers lequel le sujet transfèrerait le discours issu du
coinçage des nœuds. « Le père comme nom et comme celui qui nomme, ce n’est pas pareil.

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Le père est cet élément quart sans lequel rien n’est possible dans le nœud du symbolique, de
l’imaginaire et du réel [5] ».

Par le biais du sinthome, nous avons pu établir que : ce qui était refusé dans le symbolique,
dû à la forclusion du Nom-du-Père pouvait resurgir dans le réel par le dire du sinthome. Un
sinthome qui pourrait prendre la forme d’un transfert dans lequel va s’opérer le « il », l’autre, le
miroir du sujet qui permettrait au « il » et au « je » à la première personne de s’investir.
Néanmoins, le cas Joyce tend à écrire que le transfert peut s’opérer dans le soi et non
forcément dans un autre que soi. Qu’il pourrait s’opérer par le biais de l’égo, et non plus
directement par le grand Autre. Toutefois, nous ne disons pas que l’altérité est hors du jeu,
mais elle ne porte plus le dire. Elle nourrit l’égo, qui lui porterait le dire. Cette approche du
sinthome est intéressante, car il s’agit de l’émergence d’une fonction Père-du-Nom créée par
le sujet, pour le sujet, dont l’objet du transfert est le sujet lui-même. Ou, tout au moins pour la
part de l’Autre greffée dans la texture du sujet. Autre, qui voilerait finalement l’intégralité
textuelle du sujet. Nous écrivons que si Joyce a pu élever l’art à une fonction borroméenne,
cela n’aurait pu se faire sans l’acception freudienne « la psychologie individuelle est aussi,
d’emblée et simultanément, une psychologie sociale », car l’art est une forme collective du dire
culturel. Une forme du dire collectif qui pourrait s’approprier la fonction du mythe, si sa forme
matérielle s’abandonne et ne conserve plus que le verbe, l’action de dire.

Par ce biais, nous pourrions écrire que l’art n’est plus un objet, mais une chose. Chez Joyce,
l’art est un signifiant, son discours est de l’ordre de l’inconscient. L’art prend ainsi la fonction
d’un père qui nomme et de la fonction phallique. Lacan rajoute, que l’art ne pourrait pas
prendre cette fonction sans le savoir-faire, l’action de produire et non pas au savoir. Cela nous
évoque les écrits de Kierkegaard à propos du savoir. La vérité de l’existence n’est pas fondée
sur le savoir, mais au contraire sur une faille dans le savoir. Autrement dit, la vérité du sujet se
[6]
trouve dans le non su, dans le négligeable . Un lieu où le sujet ne pense pas, mais où il
existe, car il s’agit d’accéder, finalement, à l’action de produire un dire comme un phénomène
de création ex nihilo. « Là où l’on pense qu’il n’y a rien, que c’est tout à fait négligeable, c’est
là que se trouve ce qu’il faut considérer. C’est là que se trouve le sujet : non pas dans ce qui
paraît majestueux, mais dans ce qui ne semble rien » [7].

L’action artistique de Joyce semble soumise à une contingence productrice en dehors du


savoir, mais plutôt de l’ordre du savoir-faire, un geste vrai et authentique puisqu’il s’agit d’être
là où le savoir ne peut pas encore se mobiliser et influer sur l’action. Car, si tel est le cas, la
contingence de la pensée vraie se trouve être un évènement créateur puisqu’elle contraint le

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sujet à inventer des figures en lieu et place pour combler le vide. Ce que sous-entend Lacan
lorsqu’il dit « ils ne savaient pas très bien ce qu’ils faisaient [8] » rejoint la question : peut-on
vivre l’action par son corps et la penser en même temps ? Car selon Kierkegaard, « lorsque
l’on pense à l’action, lorsque l’on peut en parler, c’est qu’on n’est pas en train de la vivre ».

Et, c’est en cet endroit-là précisément que pour Lacan, Joyce était le sinthome. « Joyce ne
savait pas qu’il faisait le sinthome, je veux dire qu’il le simulait. Il en était inconscient. Et c’est
de ce fait qu’il est un pur artificier, un homme de savoir-faire, ce qu’on appelle aussi bien un
artiste [9] ».

D’autant que l’idée du geste vrai et authentique de l’action artistique de Joyce nous évoque ce
dont nous avions écrit précédemment à propos de Picasso, de la plume de l’écrivain ou de la
ballerine. « Puisqu’il s’agit d’une holophrase émergeant de l’inconscient destinée à la réalité
extérieure. Nous pouvons écrire dans cette situation que le corps est le prolongement de
l’inconscient par le geste vrai et authentique. » [10]

Par cela, nous voudrions préciser qu’il semble raisonnable d’écrire que l’art, pour certains
sujets psychotiques et affectés par des lésions somatiques, semble être une suppléance aux
phénomènes psychosomatiques.

C’est-à-dire que les phénomènes psychosomatiques pourraient matérialiser et incarner


l’objet a, non plus par le biais d’un blason organique, mais par l’action artistique. Lacan précise
à ce propos, le phénomène psychosomatique agit comme une suppléance et constitue le
quart-élément, c’est-à-dire le sinthome. Il n’est pas sans intérêt de voir la fonction du
phénomène psychosomatique dans certains cas de psychose. Rappelons-nous Joyce ou
Samuel Beckett. Pour tous les deux, la maladie psychosomatique apparaît dès que la
suppléance constituée par leur art d’écrire ne fonctionne plus. [11]

En cette période, l’intérêt de Lacan se porte sur la fonction de l’écrit comme suppléance, car
pour l’heure les lésions psychosomatiques sont considérées comme des traces écrites sur le
corps, comme nous l’avions suggéré précédemment. Nous le rappelons avec cette citation.
« C’est tout de même de l’ordre de l’écrit. Dans beaucoup de cas, nous ne savons pas les lire.
Il faudrait dire ici quelque chose qui introduirait la notion d’écrit dans le corps, quelque chose
qui est donné comme une énigme. Il n’est pas du tout étonnant que nous ayons ce sentiment
comme analyste ». [12]

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Il nous semble également intéressant de relever des échanges entre Lacan et son auditoire,
trois éléments de la relation entre la lecture du signe et les phénomènes psychosomatiques.
De sa position d’analyste à propos des signifiants et des patients psychosomatiques qui ne
semblent pas accéder au symbolique. Lacan répond qu’il y’aurait bien quelque chose de l’ordre
de l’écrit donné sous une forme énigmatique, mais que nous ne saurions lire. Un argument
que nous avons précédemment cité.

De la notion de coupure proposée par l’auditoire, entre ce que les patients voudraient dire et
ce qui est écrit. Lacan évoque en effet qu’entre les deux se loge peut-être une signature de
choses identiques aux hiéroglyphes en distinguant la signature du signe. Si elles sont bien de
l’ordre de l’écrit, elles ne sont pas à lire.

À la question : le patient psychosomatique s’exprimerait-il avec un langage hiéroglyphique,


tandis que le névrosé le fait avec un langage alphabétique ? Lacan évoque en effet qu’il faut
peut-être entrevoir le phénomène psychosomatique comme un hiéroglyphe. Une inscription
hiéroglyphique distinguant d’emblée le mot écrit et le mot parlé, où le corps dans le signifiant
ferait trait, et un trait qui serait de l’ordre de l’Un. Un trait qu’il nous faudrait appréhender selon
l’acception lacanienne du trait unaire. [13]

Par cela, Lacan sous-entend qu’entre le mot écrit, celui dont nous pouvons parler, car nous
pouvons le lire et le mot écrit, apparenté à un hiéroglyphe que nous pouvons lire, car nous ne
pouvons pas en quelque sorte le déchiffrer, il y a une écriture entre les deux qui permettrait de
passer de l’un à l’autre. Appréhendons ceci, comme le ferait Champollion. [14]
Lacan évoque
alors le passage au nombre, vers le comptage de la jouissance dont le phénomène
psychosomatique serait le témoignage plutôt qu’une subjectivation du désir. « Le corps se
laisse aller à écrire quelque chose qui est de l’ordre du nombre. » Selon Castanet, lorsque
Lacan se réfère aux travaux de Frege et semble penser le phénomène psychosomatique
comme une répétition qui s’organiserait comme la suite des nombres entiers. Frege considère
« qu’un nombre est ce que représente la classe de tous les ensembles équinumériques à un
ensemble donné ». [15]
Par cela, Frege explique comment du premier terme zéro, nous
obtenons la suite des nombres n+1. Son objectif est de théoriser l’identité et la discernabilité
des unités, afin qu’il puisse prouver que chacun des nombres est un concept à part entière.
Nous connaissons en partie cette acception à travers la notion de nombre cardinal. « Donner
un nombre c’est énoncer quelque chose d’un concept et affirmer qu’il y a quatre arbres devant
nous ne dit rien à propos de ces arbres : cette assertion concerne le concept “arbre devant
nous” et énonce que ce concept subsume quatre objets. »

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Par transversalité, Lacan écrit : le nombre « deux ne vient pas compléter le un pour faire deux,
mais doit rejeter un pour permettre au un d’exister. À elle seule, cette première répétition suffit
à expliquer la genèse des nombres entiers. » et « la véritable difficulté tient au fait que tout
nombre entier est lui-même une unité. » [16]

Il débute cette citation par « C’est cette question du 1 en + qui représente la clé de la genèse
des nombres et, au lieu de cette unité unifiante que constituerait le 2 dont je viens de vous
parler, je vous propose de considérer la genèse numérique du 2. Il faut que ce 2 constitue le
premier nombre entier qui n’existe pas en tant que nombre avant l’apparition du 2. Ce qui rend
la chose possible, c’est le fait que 2 est là pour garantir l’existence du premier 1. Mettez 2 à la
place de ce 1. Aussitôt, à la place du 2, vous voyez apparaître 3. Nous avons là quelque chose
que j’appellerai la marque avec quelque chose qui est marqué et quelque chose qui n’est pas
marqué. C’est avec la première marque que nous avons le statut de ce quelque chose ».

Nous devons alors comprendre le parallèle de Lacan avec les signifiants S1 et S2 du vel. Lacan
par le biais des travaux sur la suite numérique de Frege fait le parallèle avec l’holophrase et
les phénomènes psychosomatiques. Outre le glissement vers le passage au nombre et le
comptage de la jouissance, la question pourquoi le corps se laisse écrire quelque chose de
l’ordre du nombre demeure [17].

[1] Lacan, J. (op. cit, p. 17). Le séminaire, Livre XXIII, Le sinthome.

[2] Lacan, J. (1970). Radiophonie, Scilicet, n° 2/3

[3] Lacan, J. (1967). De la psychanalyse dans ses rapports avec la réalité, Scilicet, n° 2, p. 60.

[4] Castanet, D. (2004). Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptôme : Incidences


cliniques. L’en-je lacanien, n° 3, pp. 107-123. https://doi.org/10.3917/enje.003.0107.

[5] Aubert, J. (1987). Joyce avec Lacan. Paris : Bibliothèque des Analytica, Navarin.

[6] Kierkegaard, S. (2002). Post-scriptum aux Miettes philosophiques. Paris : Gallimard.

[7] Causse, J.D. (s.d.). Kierkegaard, la subjectivité et l’expérience mélancolique. Université Paul-
Valéry, Montpellier 3.

[8] Lacan, J. (séance du 9 avril 1974). Les non-dupes errent, séminaire inédit.

[9] Lacan, J. (op. cit, p. 61). Le séminaire, Livre XXIII, Le sinthome.

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[10] Mathieu, N. (2022, 11). Les apports de Jean Guir : Lacan et la psychosomatique. Récupéré sur
Eskiss : https://eskiss.hypotheses.org/670

[11] Castanet, D. (2004). Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptôme : Incidences


cliniques. L’en-je lacanien, n° 3,, pp. 107-123. https://doi.org/10.3917/enje.003.0107.

[12] Lacan, J. (1985). Conférence à Genève sur le symptôme (1975). Bloc-notes de la psychanalyse
n° 5, p. 19.

[13] Lacan, J. (1961-1962). Le séminaire, Livre IX, L’identification. Inédit.

[14] Champollion, J.-F. (1822). Manuscrit de la Grammaire égyptienne. Récupéré sur Les essentiels
de la littérature.

[15] Frege, G. (1884). Les fondements de l’arithmétique. Paris : Le Seuil, 1969.

[16] Lacan, J. (1966). De la structure en tant qu’immixtion d’un Autre préalable à tout sujet possible.
Bulletin de l’Association freudienne, n° 41, 1991.

[17] Castanet, D. (2004). Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptôme : Incidences


cliniques. L’en-je lacanien, n° 3, pp. 107-123. https://doi.org/10.3917/enje.003.0107.

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