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# CULTURE

Working Men’s Club Nouveaux rêches


 3 min • Par Lelo Jimmy Batista

Cet article est issu du n° 20220822


p.20 Paru le lundi 22 août 2022

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CULTURE/

«Libération» a rencontré à Paris Syd Minsky-Sargeant, le leader du


prometteur groupe electro-pop qui sort «Fear Fear». Un deuxième
album qui mise sur la tension et l’agressivité.

Il y a deux disques charnière dans le parcours d’un artiste : le


deuxième et le troisième. Le premier, il suffit d’y mettre tout ce qu’on a
et de le jouer tête baissée. Le deuxième, c’est plus compliqué. Il faut
confirmer. Continuer sur la même lancée, en mettant la barre deux ou
trois crans au-dessus. Avant un troisième qui viendra remettre les
compteurs à zéro en partant dans une direction différente, si possible
le sens inverse, histoire de bien montrer qu’on n’est pas du bois dont
on fait les commodes. Deux étapes habituellement observées de près,
jaugées, analysées, mais qui ne semblent aujourd’hui guère intéresser
que les antiquaires ou les gens du métier - qui se soucie encore parmi
le public du «tournant du deuxième album» à une époque où on peut
sortir 20 titres tous les quatre mois comme King Gizzard ou les Osees
ou réenregistrer à la hâte une chanson à cause des récriminations de
ses fans comme Beyoncé ? Et c’est regrettable, parce que ça aurait été
l’occasion de constater que Working Men’s Club a franchi l’étape avec
une classe et un aplomb peu communs.

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Après un premier disque épatant qui avait valu des comparaisons


flatteuses avec New Order, Happy Mondays ou Cabaret Voltaire, le
groupe britannique mené par le jeune surdoué Sydney Minsky-
Sargeant joue en effet une main impressionnante sur Fear Fear. Bien
qu’il reste immédiatement reconnaissable, le son du groupe réussit à
s’écarter des références trop évidentes pour évoluer sans heurts et très
habilement vers une sorte de synthèse entre les mélodies minimalistes
des premiers Depeche Mode et la techno pour stades d’Underworld,
le tout enveloppé dans un humour pervers et pince-sans-rire, digne
de Soft Cell ou des Pet Shop Boys. Un coup de maître passé un peu,
hélas, au-dessus de la tête d’un public sursollicité - ce qui n’a pas l’air
de bouleverser plus que ça son principal auteur.

Paroles plus dures et drôles


Masse anarchique de cheveux frisés, pantalon de survêtement, marcel
distendu, veste informe, sac banane jeté à la diable par dessus
l’épaule, Sydney Minsky-Sargeant évoque nettement plus l’ado traîné
de force à un repas de famille que la «future figure majeure de la
scène anglaise» décrite par ses pairs, qui n’hésitent pas à le comparer
à Mark E. Smith ou Paul Weller. Un gamin de tout juste 20 ans qui, cet
après-midi de juillet, dans un hôtel du nord de Paris, fait de son mieux
pour rester éveillé - arrivé la veille, il est sorti jusqu’au petit matin et
doit désormais faire des efforts surhumains pour aligner plus de trois
phrases.

Pas démonté, on s’accroche, évoquant l’état d’esprit profondément


discordant des deux disques - là où le premier maintenait un équilibre
constant entre colère et résignation, Fear Fear joue davantage la carte
de la tension et de l’agressivité. Au bout de quelques minutes, enfin,
Syd se redresse sur sa chaise et son regard s’allume : «On a beaucoup
changé depuis le précédent disque, à tous les niveaux. Déjà, nous ne
sommes physiquement plus le même groupe [le multi-instrumentiste
Rob Graham est parti, remplacé par Hannah Cobb, ndlr]. Nous
n’avons plus les mêmes points de vue. Le laps de temps entre les deux
disques est plus grand qu’on ne l’imagine - le premier album était
déjà vieux quand il est sorti fin 2020, il était bouclé depuis un an. On

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savait cette fois précisément ce qu’on voulait - une production plus


dense, plus affirmée - et on s’est donné le temps pour y arriver, même
s’il a fallu un peu se freiner en route. Au départ, je voulais faire un
double album avec une vingtaine de titres. Mais les chansons ne se
prêtaient pas à un tel format.»

Incrémenté de la sorte, l’irrésistible foisonnement de Fear Fear aurait


en effet viré à l’inévitable indigestion. Et noyé un des aspects les plus
notables du disque - ses paroles, plus dures, plus sombres et plus
drôles que celles du premier album. «C’est important pour moi de
garder un certain recul, de rire de nous-mêmes comme de ce qui nous
entoure. Le disque aborde parfois des sujets sérieux mais je ne veux
pas dicter de point de vue à l’auditeur, lui imposer un message clair,
évident. Certains groupes le font et je trouve ça pompeux et vain. Je
préfère jouer avec l’humour, la satire - mais sans moquerie. Toutes
mes chansons sont profondément sincères.»

«Sans codes ni idées préconçues»


Etat d’esprit salutaire qui, comme son approche de la musique, est un
produit direct de son environnement. Né à Londres, Syd a vécu à
King’s Cross avant de se retrouver ballotté, après la séparation de ses
parents entre Prestwich et Todmorden, bled humide et inerte situé
à 40 km de Manchester où il a passé l’essentiel de son adolescence. «Il
n’y avait rien à Todmorden et, sur le long terme, c’est devenu un
avantage. Vivre là m’a obligé à chercher des moyens de m’évader, ce
que je n’aurais peut-être pas fait à Londres ou Manchester, où les
distractions sont nombreuses, à portée de main. J’ai découvert les
choses à mon rythme, sans codes ni idées préconçues.» Pour la
première fois depuis le début de l’entretien, on entrevoit le Syd
Minsky-Sargeant qu’on imagine à l’écoute de ses disques - vif, alerte,
habité. «Quand j’étais gamin je faisais tout pour être accepté par les
autres, m’intégrer. Et puis je me suis rendu compte que j’étais très
bien comme ça, en marge. Aujourd’hui, je pense que ce n’est pas
nécessairement une bonne chose de s’intégrer. Il vaut mieux trouver
sa voie, même si elle implique d’être seul.»

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Epuisé par ce subit sursaut d’énergie Syd s’affaisse, les yeux mi-clos.
Avant qu’il ne s’endorme complètement, on évoque la prochaine
étape, cruciale, du troisième album. S’en soucie-t-il seulement ? Oui, à
en croire la presse anglaise - où il a évoqué la possibilité d’un disque
acoustique et d’un album solo. «C’est peut-être vrai, c’est peut-être
un énorme mensonge, lâche-t-il dans un grand sourire. Mais le fait est
que je travaille toujours sur des nouvelles chansons. Je ne m’arrête
jamais. J’ai passé ma vie à en écouter. Je ne voulais faire que ça. Et puis
j’ai eu envie d’en écrire. Et désormais, je ne fais plus que ça.»

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