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LA FABRICATION DES CARRIERES SYNDICALES

ENQUETE AUPRES DES CADRES « INTERMEDIAIRES » DE LA CFDT

Cécile Gayral
Cécile Guillaume

2011

1
SOMMAIRE

INTRODUCTION p.3

1- ENTRER DANS LE MILITANTISME, UNE AFFAIRE DE CIRCONSTANCES ? p.7


Une adhésion à caractère plutôt collectif p.7
Un lien variable entre adhésion et participation p.9
Sollicitation et effets de « vacance » p.11
Aléas et attachements, la vie des sections p.14
L’effet des cycles de vie p.17

2. APPRENDRE LE SYNDICALISME p.21


Un travail aux contours flous p.21
Un rôle de manager « transversal » ? p.25
Un usage variable de la formation p.28
Le collectif militant, matrice des apprentissages p.33

3. RESTER MILITANT, DEVENIR PERMANENT p.39


Sur-sélection et tensions avec la vie professionnelle p.39
Devenir permanent, une réponse à la stigmatisation ? p.43
Modèle du cumul et hybridation des mandats de permanent p.46

4. SORTIR DU MILITANTISME, MISSION IMPOSSIBLE ? p.53


Une reconversion laborieuse et solitaire p.56
Une demande de VAE qui émane des syndicalistes les moins qualifiés ? p.61
Gérer les carrières syndicales : la levée d’un tabou ou d’un privilège ? p.63

CONCLUSION p.66

BIBLIOGRAPHIE p.69

2
INTRODUCTION

La loi du 20 août 2008 sur la représentativité syndicale a remis la question de la carrière des
militants à l’agenda, en fixant une obligation de négocier pour les entreprises de plus de 300
salariés1. Certains accords de droit syndical, incluant notamment des mesures d’évolution
salariale et des heures de formation pour les mandatés, existaient déjà, mais rares étaient les
textes mentionnant des bilans de compétences et des dispositifs de VAE ou de certification.
Quelques expérimentations de formalisation des compétences syndicales, sous forme de
référentiels, avaient également été mises en œuvre, certaines avec l’aide de l’APEC, au niveau
des structures syndicales notamment à la CFDT et la CGT, mais pour un public restreint - les
permanents en structure - dans une visée de reconversion (Ubbiali, 1999). Dans le cadre de la
nouvelle loi, il s’agit de penser la gestion des parcours militants pour l’ensemble des
mandatés/élus d’entreprise2, dans la perspective d’une valorisation des compétences acquises3
ou d’une réintégration professionnelle, plus que d’une reconversion en dehors de l’entreprise.
En élargissant le public visé et en exigeant la formalisation de pratiques souvent informelles
et individualisées, la loi incite les entreprises (directions et syndicats) à « innover ». Aidées
par des consultants, souvent issus du monde syndical, et porteurs d’une volonté de
« développer un dialogue social innovant4 », quelques entreprises et collectivités territoriales
se sont engagées dans des dispositifs de validation des acquis ou de certification à destination
de leurs militants5. On retrouve ici des acteurs issus des cabinets conseil en stratégie sociale
étudiés par Baptiste Giraud (2007) qui « s’inscrivent moins dans un objectif d’éradication du
syndicalisme que dans une mission proclamée de civilisation des relations entre les syndicats
et le patronat ».

Derrière cette rhétorique de « l’innovation sociale » et l’inscription d’un nombre croissant


d’entreprises dans ce type de dispositifs négociés avec les organisations syndicales, plusieurs
objectifs parfois contradictoires coexistent. La plupart des entreprises mettent en avant leur
souhait de perfectionner « leurs » syndicalistes sur leur mandat en approfondissant leur
culture économique et sociale, mais aussi leurs compétences en communication, gestion du
temps et management6, pour favoriser un « meilleur » dialogue social. L’usage de la
formation alimente ici une visée de « dé-conflictualisation des relations professionnelles »
(Ethuin, Yon, 2011) et la valorisation plus ou moins explicitée de pratiques syndicales

1
La loi a rendu obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés, la négociation sur le déroulement de
carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales et l'exercice de leurs fonctions (Art. L2242-20, créé
par Loi n°2008-789 du 20 août 2008 - art. 7).
2
Même si dans les faits les dispositifs de certification ou de VAE sont souvent réservés aux syndicalistes ayant
de l’ancienneté dans leur mandat et un degré d’investissement élevé (40% de temps syndical et plus),
3
Pouvant déboucher sur une reclassification.
4
Voir le site de l’association Dialogues, cabinet fondé par deux anciens responsables de la CGT, avec l’appui
d’un certain nombre de DRH.
5
Ainsi le dispositif de certification en culture économique et sociale mis en œuvre, depuis 2010, par la direction
de la formation continue de SciencesPo à l’initiative de l’association Dialogues a-t-il été soutenu par AXA,
première entreprise à avoir inscrit des militants en formation, ensuite suivie par une dizaine d’autres entreprises
(PSA, LCL, Véolia, La Poste…) et collectivités territoriales.
6
Le dispositif mis en œuvre par SciencesPo comprend 10 jours de formation répartis en trois pôles :
communication orale/ gestion du temps, compréhension des enjeux économiques de l’entreprise, histoire et
enjeux du syndicalisme. Son contenu assez classique en matière de « compétences clés » véhicule une vision à la
fois « pacifiée » de la formation syndicale (Ethuin, Yon, 2011), mais aussi et surtout un travail de définition des
activités/compétences légitimes des syndicalistes qui évacue de fait les dimensions les plus conflictuelles de
l’action syndicale (savoir faire grévistes par exemple). On ne peut donc sans doute pas être étonné que certaines
organisations, comme SUD, n’est aujourd’hui jamais accepté d’envoyer des militants en formation.

3
orientées vers la négociation collective7. Ce faisant, certaines entreprises souhaitent donner
une autre image de l’engagement syndical, tout en minimisant les risques professionnels qui
lui sont généralement associés (plafonnement de carrière, voir répression syndicale), et
encourager des jeunes salariés à s’investir dans les mandats syndicaux. La plupart des
entreprises mettent aussi en avant la nécessité de préparer la réintégration professionnelle des
syndicalistes les plus investis (les permanents principalement), avec l’idée d’une alternance
souhaitable entre mandats syndicaux et carrière professionnelle, mais aussi pour anticiper le
risque d’une réintégration professionnelle forcée du fait de la perte de représentativité aux
élections. De manière moins explicite, quelques entreprises s’engagent dans cette démarche
pour éviter des procès pour discrimination syndicale, offrant une re-classification
professionnelle aux militants à l’issue de leur formation8.

De leur côté, les organisations syndicales ont des positions différentes à l’égard d’une
possible gestion des parcours et compétences syndicales. Certaines organisations refusent d’y
participer au nom soit d’une conception « désintéressée » de l’engagement syndical (refus
d’avoir des permanents, militantisme sur du temps bénévole…), soit d’un refus de s’en
remettre aux entreprises pour « fabriquer » les militants ou/et définir les formes légitimes de
l’activité syndicale. La CFDT, de son côté, est favorable à une reconnaissance de
l’engagement syndical dans le parcours professionnel, y compris dans la perspective d’un
reclassement ou d’une reconversion9, par le bais de dispositifs négociés avec les employeurs,
mais aussi par des moyens internes (formation, accompagnement, bilan de compétences…).
L’un des objectifs sous-jacents est de favoriser le renouvellement des militants et la
diversification de leur profil dans un contexte de départ des responsables en place à la
retraite10. Si le parallèle avec la « sécurisation des parcours professionnels », défendue par la
CFDT dans le cadre des négociations sur la modernisation du marché du travail en 2008, n’est
pas explicité dans les textes de congrès, il l’est davantage dans le cadre des échanges
informels avec certains responsables. L’expérience syndicale peut être appréhendée au travers
des compétences acquises, et les parcours militants doivent être gérés comme ceux des autres
salariés. A l’image de ce qui est défendu dans le champ professionnel, il s’agit de sécuriser les
trajectoires individuelles, militantes et professionnelles, des syndicalistes plus que le contrat
de travail. S’il ne s’agit pas en contrepartie d’assouplir le droit syndical en tant que tel, à
l’image des assouplissements consentis en matière de contrat de travail, les nouvelles règles

7
L’un des objectifs de la certification proposée par SciencesPo est par exemple de donner aux syndicalistes
davantage de culture économique et sociale, avec une vision européenne, pour qu’ils comprennent mieux
l’environnement de l’entreprise et ses contraintes, et « contextualisent » mieux leurs revendications. De même
l’université Paris Dauphine qui a été une des premières à lancer un Master 2 « Négociation et relations
sociales », ouvert aux cadres et aux syndicalistes, avec pour ambition « de permettre un échange serein,
constructif et porteur de perspectives entre les différentes parties prenantes du dialogue social en France, à la
lumière des pratiques et expériences tant françaises qu’étrangères » (cf. site web), est centré sur les « terrains et
nouvelles frontières de la négociation collective ».
8
Cela dit, une des entreprises qui avait systématisé ce principe dans sa charte sur la reconnaissance des parcours
syndicaux est depuis revenu en arrière, suite notamment à la demande de certains militants de refaire la
certification pour obtenir à nouveau une classification supérieure.
9
Article 3.2.11.5 du texte de résolution du congrès confédéral de juin 2010 : « La CFDT entend inscrire dans un
accord cadre interprofessionnel le principe de reconnaissance des militants syndicaux et le décliner dans les
entreprises et les fonctions publiques. L’organisation apportera un appui et un accompagnement aux militants et
aux permanents pour que leur engagement syndical soit reconnu et valorisé dans leur parcours professionnel et le
cas échéant pour leur reclassement. Cet accompagnement participera au renouvellement de nos forces
militantes ».
10
Article 3.2.11 du texte de résolution du congrès confédéral de juin 2010 : « L’accompagnement et le soutien
aux militants d’entreprise visent aussi à assurer le renouvellement générationnel de l’appareil militant de la
CFDT ainsi qu’à favoriser sa diversité et sa mixité afin que la sociologie militante de la CFDT soit à l’image de
celle du salariat. [...]. Un appui de l’organisation quant au parcours professionnel des militants sera nécessaire ».

4
de la représentativité syndicale soutenues par la CFDT, subordonnent la capacité de
désignation des délégués syndicaux par les organisations syndicales à leur capacité à se faire
élire par les salariés. On comprend pourquoi cette question de la sécurisation ou de la gestion
des parcours syndicaux revêt une actualité nouvelle.

Derrière ce discours et quelques expérimentations mises en œuvre par les fédérations, se


cache une réalité complexe et hétérogène, et une question finalement assez ancienne, celle du
« destin professionnel » des militants syndicaux. Principalement appréhendée sous l’angle de
la reconversion des permanents dans les années 1970 (et notamment des salariés du secrétariat
confédéral), cette question a pris une ampleur beaucoup plus large avec le développement du
droit syndical à partir des années 1980, dans le public comme dans le privé. S’il est difficile
de chiffrer le nombre de ces permanents syndicaux, ils composent aujourd’hui le cœur du
syndicalisme à la française, souvent décriés pour leur institutionnalisation et leur difficulté à
« laisser la place aux jeunes ». C’est d’ailleurs ce constat d’une difficulté à renouveler les
responsables qui a incité la CFDT à se pencher sur le devenir professionnel de ses militants,
même si l’on comprend que cette transposition d’un vocabulaire gestionnaire et cette vision
« utilitariste » de l’engagement syndical heurte encore certains responsables et militants, qui
pourtant se posent aussi la question de leur propre avenir.

Une enquête par récits de carrière


Cette enquête, réalisée, avec la collaboration de Cécile Gayral et financée par l’agence
d’objectifs de l’IRES, fait suite à d’autres travaux sur l’engagement militant (Guillaume,
2006) et la prise de responsabilité des femmes (Guillaume, 2005, 2007). Moins centrée sur les
motifs de l’engagement à la CFDT, elle s’intéresse aux facteurs qui contribuent à la
fidélisation des engagements, tant du côté du travail de l’organisation syndicale pour
sélectionner (Bevort, 1994) et former ses militants que des configurations professionnelles et
familiales qui soutiennent (ou contraignent) l’engagement.

Il s’agit donc de décrire les mécanismes de fabrication des parcours syndicaux au travers de
l’étude de « carrières militantes »11, de l’engagement initial à une éventuelle prise de
responsabilité dans les structures syndicales et/ou au désengagement. Cette approche permet
d’articuler les dimensions biographiques (configurations familiales et professionnelles) et
organisationnelles (dispositifs formels et informels de gestion des ressources militantes,
modes d’organisation et caractéristiques de l’activité militante) qui contribuent à façonner
l’engagement syndical. Plus spécifiquement, nous avons essayé de comprendre les
mécanismes d’apprentissage du « métier » syndical et de construction des « carrières »
syndicales, dans leurs dynamiques à la fois individuelles et collectives. Dans la perspective
d’une compréhension des possibilités de « valorisation » des expériences et compétences
syndicales, nous avons analysé les processus de continuité, de rupture mais également de
transfert des investissements du champ syndical vers le champ professionnel. Enfin, de
manière un peu plus large, et en nous appuyant sur d’autres enquêtes sur la formation
syndicale (Guillaume, 2011) et sur les effets de la loi sur la représentativité12 nous nous
sommes interrogés sur les écueils d’une éventuelle gestion des parcours syndicaux.

Dans le cadre de cette enquête par « récits de carrière », nous nous sommes intéressés plus
particulièrement aux syndicalistes d’entreprise, certains avec des responsabilités en structure,

11
Fillieule (O), Mayer (N.), « Devenirs militants », Revue Française de Science Politique, vol. 51, n°1-2, 2001.
12
La loi du 20 août 2008 et ses implications sur les pratiques syndicales en entreprise : sociologie des
appropriations pratiques d’un nouveau dispositif juridique, rapport de recherche pour la DARES, mai 2010
(avec Sophie Béroud, Marnix Dressen, Mailys Gantois, Donna Kesselma, Karel Yon)

5
mais la plupart ayant gardé des mandats en entreprise et souvent un temps d’activité
professionnelle. Contrairement à d’autres enquêtes sur les militants cédétistes (Barthélemy et
al., 2008 ; Guillaume, 2006) ou d’autres organisations (Béroud et al. 2011), cette recherche
porte sur des militants impliqués durablement dans leur engagement syndical. Ils ont pour la
plupart de nombreux mandats et depuis longtemps, même s’ils ne sont pas tous permanents.
Sur les 45 personnes interviewées, seulement 20 sont permanents syndicaux dont 3 salariés
d’une fédération ou d’un syndicat avec une mission de formation ou de développement. Les
autres permanents cumulent des mandats d’entreprise (délégué syndical, délégué syndical
central dans le secteur privé, secrétaires de section dans le public) et des mandats en structure
(principalement secrétaires de syndicats).

Les femmes sont sous-représentées dans l’enquête, seules 11 ont été interviewées, contre 34
hommes. Cette sur-représentation des hommes s’explique par la rareté des femmes dans la
population des responsables et notamment parmi les secrétaires de syndicat (25% en
moyenne) et par des effets de secteurs. Les interviewés proviennent de 7 fédérations
différentes, dont certaines assez féminisées comme les collectivités territoriales, les services et
l’agro-alimentaire, mais au sein desquelles elles restent sous-représentées parmi les
responsables. Aucune femme n’a été interviewée dans la fédération du bâtiment. Tous les
interviewés travaillent dans des grandes entreprises ou dans la fonction publique, les salariés
des PME sont donc les grands absents de cette enquête, de même que les personnes issues de
l’immigration (5 sur 45). Cette sous-représentation s’explique en partie par la difficulté des
salariés des TPE-PME (surtout pour les moins qualifiés) à obtenir tout d’abord un emploi
stable et ensuite du droit syndical nécessaire pour tenir des mandats en structures, qui ne sont
pas dotés de « droit » en propre, mais sont occupés par des militants qui parviennent à être
permanent en cumulant leurs mandats d’entreprise.

Fédérations Hommes femmes


Services 3 1
Protection Sociale 1 1
Collectivités territoriales 8 3
Bâtiment 6 0
Métallurgie 6 1
Agro-alimentaire 5 3
Chimie-énergie 5 2
Total 34 11

Sans surprise, la moyenne d’âge des interviewés est de 47 ans, seuls 3 d’entre eux ont moins
de 40 ans. 25 ont plus de 20 ans d’ancienneté dans le syndicalisme CFDT et seulement 6
moins de 10 ans. Tous n’ont pas eu une carrière linéaire dans l’activité syndicale, mais la
plupart sont toujours restés adhérents. Les niveaux de qualification sont très hétérogènes, avec
22 interviewés avec un niveau bac et + (9 femmes sur 11) et 23 avec un niveau BEP-CAP,
plutôt des hommes dans des métiers d’exécution, mais qui ont pu connaître une certaine
progression professionnelle au sein de leur entreprise. Cette proportion de militants avec des
bas niveaux de qualification est liée à une demande spécifique de notre part. Si l’on compare
avec les profils des délégués de congrès, notre enquête sur-représente cette catégorie de
militants13. 6 interviewés sont cadres, 18 sont techniciens ou agents de maîtrise et 21 ouvriers
ou employés. Enfin, la plupart des interviewés sont ou ont été mariés et ont des enfants.

13
Dans l’enquête passée par questionnaires au congrès confédéral de Grenoble en 2006, la proportion de
militants avec un niveau de diplôme inférieur au bac était de 37%. Idem on trouve une légère sous-représentation

6
1- ENTRER DANS LE MILITANTISME, UNE AFFAIRE DE CIRCONSTANCES ?

Si les motifs et les dispositions qui poussent à l’engagement syndical ont fait l’objet d’études
anciennes et récentes, soulignant le rôle de la socialisation politique et catholique (Guillaume,
Pochic, 2009), l’importance des interactions avec des militants de proximité (Duriez, Savicki,
2003) ou encore le rôle des conflits (Abdelnour et al., 2009) et des événements (Beaujolin-
Bellet, 2010) l’étude des dynamiques et formes de carrières professionnelles et militantes des
syndicalistes, est plus rare ou appréhendée par le prisme des enjeux de reconversion (Ubbiali,
1999). Une des difficultés d’une telle enquête tient tout d’abord à l’extrême hétérogénéité de
ces carrières militantes et professionnelles, selon le secteur d’activité, les caractéristiques de
l’entreprise, le type de mandats, les profils des militants. Chaque récit de carrière semble
avoir sa propre singularité, moins dans les raisons qui poussent à l’engagement, que les
conditions et les formes de ces carrières dans la durée.

Une adhésion à caractère plutôt collectif


L’enquête confirme trois modalités d’entrée dans le syndicalisme (Labbé, Croisat 1992), mais
le biais introduit par le choix des interviewés – des militants confirmés – a tendance à sur-
représenter les militants qui se sont inscrits dans une démarche collective, apaisée ou
conflictuelle, qui a contribué à la fidélisation de leur engagement. Contrairement à d’autres
recherches menées dans le secteur des TPE/PME (Guillaume, 2006), l’adhésion pour motif
individuel (désaccord avec la hiérarchie, harcèlement…) est minoritaire dans notre enquête et
n’est pas spécifique à une cohorte de militants. Elle est en revanche fréquente chez les salariés
de notre population qui ont eu des emplois, souvent précaires, dans des petites entreprises,
avant d’intégrer l’entreprise au sein de laquelle ils ont construit leur carrière syndicale, et
notamment les plus jeunes (y compris jeunes diplômés) qui ont connu des difficultés de primo
insertion. Ils ont parfois ont tenté de défendre leurs intérêts sans le recours des syndicats,
avant d’être approchés, « recrutés », par les organisations syndicales, à l’image de Michel :

« En fait, je me suis syndiqué en début 2004. J'ai été convaincu par un collègue avec qui j'avais
des affinités puisque la CFDT partait entre guillemets de zéro. Depuis les années 2000, dans la
structure où j'étais, l’établissement de Suresnes, la CFDT était surtout implantée dans le secteur
de l'informatique et il y avait eu une filialisation ce qui fait qu’une bonne partie des militants
était sortie de l’entreprise… À l'époque, j'avais été aussi approché par la CGT mais bon, je ne
me sentais pas complètement dans leurs lignes. L'établissement de Suresnes n'a jamais été un
centre de production mais dans le passé, c'était la CGT qui était historiquement majoritaire,
après il y a eu des mésententes et c'est la CGC qui a augmenté. En 2003, il y avait quelques
petits points où j'avais déjà été revendicatif en tant que thésard, on avait un problème c'est que
vu mon statut, je n'avais pas de comité d'établissement, enfin de comité d'entreprise, en termes
d'oeuvres sociales on va dire. N’étant pas salarié sur le site où je travaillais, je ne bénéficiait pas
des oeuvres sociales non plus et en fait, au-delà de ça, on a eu un souci car on avait un surcoût
pour manger à la cantine. Depuis le début de la thèse, c'était un problème qui devait se résoudre
et ce n'était toujours pas le cas. Ce qui fait que j'avais fait un courrier à la direction que j'avais
fait cosigner par les différents thésards. En gros, à l'époque, on payait 29 francs de plus, ce qui
fait 600 francs par mois… J'ai donc été recruté par la CFDT en début 2004. J'ai eu mes premiers
mandats en octobre 2004.
Vous adhérez. Mais pourquoi ?
Tout ce que j'avais vécu… Plusieurs choses se sont passées. Effectivement, mon premier vécu
que je vous ai donné comme éclairage, d'un point de vue contractuel, et j'ai bien vu l'envers du

des cadres et des techniciens-agents de maîtrise dans la population interviewée. En revanche, notre enquête sur-
représente les salariés stables, en contrat à durée indéterminée, et pour beaucoup ayant fait leur carrière dans la
même entreprise.

7
décor à ce niveau-là, je n'avais pas été très content de la manière dont j'avais été traité. Ce n'était
pas dramatique mais peu confortable, ce manque de visibilité à travers la multitude de CDD. J'ai
une vision de l'entreprise assez corporate et c'est assez frustrant de travailler pendant un certain
temps pour une entreprise dont je n'étais pas officiellement salarié. Il y avait le côté collectif où
je sentais que j'avais envie de m'y intéresser » (homme, ingénieur, 39 ans, délégué syndical
central, délégué syndical, élu CE et comité européen, secteur de la métallurgie)

L’adhésion pour motif collectif suite à une grève est plutôt caractéristique des années 1970-
1980, mais des conflits suite ou à un plan social et/ou une restructuration sont repérables dans
les années 1990-2000, dans l’industrie, mais aussi dans d’autres secteurs du tertiaire et dans le
secteur public (Abdelnour et al., 2009; Collovald, Mathieu, 2009).

« Puis grande grève en 89 ou les crèches ont toutes fermé à Paris pendant un mois et demi. Et là
je milite beaucoup dans cette action. On faisait grève car ils voulaient revoir tout le mode de
fonctionnement des crèches, c'était sur les normes d’encadrement. Ma crèche devient leader
dans le mouvement : j’étais avec cette militante qui était impliquée et faisait bien son boulot. Ca
me paraissait naturel de le faire : les conditions de travail étaient mauvaises, c’était difficile, un
milieu féminin pas reconnu. On était en plus très féministe. On s'engageait dans ce genre de
combats plus facilement…» (femme, éducatrice de jeunes enfants, 50 ans, secrétaire général du
syndicat, secteur des collectivités territoriales, permanente)

L’adhésion pour motif idéologique est plutôt caractéristique des militants ayant adhéré dans
les années 1970 et fortement politisés par ailleurs (membres ou sympathisant de partis
politiques de gauche), notamment dans le secteur public ou les entreprises fortement
syndiquées. Cela dit, comme l’avaient déjà souligné d’autres études (Guillaume, Pochic,
2009b) ces formes d’adhésion, étroitement liées à des modes de socialisation politique
structurée et/ou à des sociabilités formelles (structures associatives, mouvements de jeunesse,
mouvances politiques) sont en régression notable, même dans les milieux professionnels les
plus emblématiques de ce lien syndical, l’Éducation Nationale par exemple. En revanche,
dans une version moins politisée ou partisane, de nombreux salariés sont devenus adhérents
dans des contextes sociaux apaisés ou peu conflictuels, avec une présence syndicale forte et
souvent un collectif militant convivial et perçu comme accueillant. Ainsi, les équipes
syndicales jeunes attirent les jeunes salariés, et les équipes féminisées deviennent plus
attractives pour les femmes. Cette adhésion par « effet de ressemblance » est d’ailleurs au
cœur des campagnes de syndicalisation menée en Angleterre ou au Etats-Unis (Frege, Kelly,
2004).

« Les fonctionnaires de l’époque, c’était costume noir, cravate noir, ça ne riait pas. Moi j'avais
les cheveux longs, frisés, une gueule de baba cool. Moi j'étais un des décalés : il se trouvait qu’il
y avait d’autres barbus chevelus qui riaient aussi, et il se trouvait que c’était des gens de la
CFDT. Mon premier contact avec les gens de la CFDT, je l’ai eu par rigolade avec ces types-là :
ils n’étaient pas nombreux mais courageux, et au moins on pouvait rire, ce n'était pas un péché.
Les autres se prenaient vachement au sérieux. Mon chef de section, c'était affolant, le lundi
matin, il coupait ses feuilles en quatre, il taillait ses crayons. Il s'était vanté un jour de n'avoir
jamais fait un jour de grève. C'était un autre monde.... J’étais attiré tout de suite vers eux. Ils me
parlaient normalement. Dedans, il y avait tous les grades et ils se tutoyaient entre eux, ce qui me
paraissait extraordinaire. C'est après que j'ai su qu'ils étaient syndiqués » (homme, catégorie B,
54 ans, secrétaire général du syndicat, conseiller fédéral, secteur des collectivités territoriales).

De manière plus générale, et comme l’avait déjà souligné d’autres enquêtes (Guillaume, 2006;
Duriez, Sawicki, 2003), l’engagement syndical se construit au fil des interactions sociales,
avec une ou plusieurs personnes engagées syndicalement (un élu, un militant, une section).

8
Parfois, les salariés ne connaissent pas l’appartenance syndicale de ces personnes, mais cette
relation permet non seulement de démythifier/dédramatiser le syndicalisme tout en le rendant
plus familier et plus tangible. Cette relation de confiance est indispensable - pour ne pas dire
incontournable - pour faire le pas vers l’adhésion. Les nouveaux militants ont besoin d’être
accompagnés dans cette phase initiale d’engagement. Les qualités de cette personne sont
nombreuses et assez récurrentes : écoute, proximité, patience, disponibilité, réalisme,
accompagnement… Pour les plus jeunes, on perçoit que les modalités de construction de cette
légitimité sont spécifiques au contexte de resyndicalisation après une longue période de baisse
des adhésions et dans un climat général peu favorable au développement du syndicalisme. Les
exigences à l’égard du militant de référence n’en sont que plus grandes. Il se doit d’être
« exemplaire » syndicalement et professionnellement (quand il s’agit d’un collègue de
travail).

Un lien variable entre adhésion et participation


Si notre enquête ne remet pas en question le constat que les adhésions pour motif idéologique
sont plutôt rares parmi les militants les plus récents (indépendamment de leur âge), les
entretiens montrent que cette forme d’engagement ne conduit pas nécessairement à un
militantisme actif. De même, les militants qui adhèrent pour faire plaisir à leur(s) collègue(s)
proches ou parce que le taux de syndicalisation de leur univers de travail est élevé ne
deviennent pas nécessairement militants, soit parce qu’ils ne sont pas sollicités pour militer,
soit par peur d’être étiquetés ou par souhait de construire un parcours professionnel, ou par
manque de temps.

« J'ai travaillé dix ans en puériculture, à la pouponnière en CDD et ensuite comme fonctionnaire
de la ville de Paris. De 85 à 95, j’étais auxilliaire de puéricultrice, et j'utilisais toutes les
formations qu’il y avait à la ville de Paris sur ce domaine professionnel, et je travaillais avec un
militant CFDT, une femme qui avait monté, dans ce syndicat, la section CFDT petite enfance.
Elle avait 45 ans, et je la voyais faire plein de trucs. Souvent elle me demandait comme j'avais
une voiture : « tu ne veux pas m’aider à distribuer les tracts ? » des trucs comme ça. Par contre
elle ne m'a jamais demandé de me syndiquer et je trouvais ça très étonnant. Et j’ai mis deux ans
à me syndiquer à la CFDT ici. Moi, je lui disais que je voulais me syndiquer, elle me disait « oui
oui, on verra ». Ca a mis deux ans. On ne m'a non plus jamais demandé de militer, à part
quelques tracts » (femme, éducatrice de jeunes enfants, 50 ans, secrétaire général du syndicat,
secteur des collectivités territoriales, permanente)

Inversement, certains « sympathisants » deviennent adhérents au moment où on leur propose


d’être inscrit sur une liste électorale. Syndicalisation et participation vont alors de paire et
contribuent sans doute à une plus grande fidélisation des adhérents. Cela dit, l’offre de
militantisme est reçue différemment en fonction des trajectoires professionnelles. Quelles que
soient les générations de militants, l’engagement syndical comme la plupart des engagements
militants s’appuie sur une intégration sociale et professionnelle stable (McAdam, 2005). Si la
majorité des militants interviewés ont connu une intégration durable sur le marché du travail,
souvent dans la même entreprise, favorisant une démarche syndicale assez précoce, les plus
jeunes et les moins diplômés ont rencontré des difficultés de primo insertion professionnelle,
ce qui les a conduit à différer cet engagement. De même, les salariés qui ont adhéré dans le
cadre d’un conflit individuel ou collectif avec l’employeur ont souvent connu une trajectoire
syndicale discontinue, notamment du fait de la fréquence des licenciements ou des mobilités
professionnelles, suite à l’action syndicale (Beaujollin-Bellet, Grima, 2011), même si cette
première expérience peut être réactivée ultérieurement, à l’image de Jean-Pierre.

9
Jean Pierre connaît une trajectoire scolaire chaotique et obtient tant bien que mal un CAP
menuiserie en 1981. Peu passionné par ce métier, il suit une formation de maître-chien au
cours de son service militaire et tente d’en vivre à la sortie, sans succès. Après deux ans de
petits boulots dans le secteur de la sécurité, il retourne en formation et passe un CAP de
serrurier. Suite à un premier CDD, il est mis en inaptitude car il est atteint de la maladie de
Menière. Pendant deux ans, il enchaîne à nouveau les petits boulots : employé en grande
surface, préparateur dans l’industrie chimique, vendeur dans un tabac, responsable sécurité
dans les grands immeubles. Il se fait plusieurs fois licencié économique. Finalement en 1991,
il passe un autre CAP de pâtissieur-chocolatier et se fait embaucher dans un restaurant comme
réceptionniste marchandise. En 1997, père de trois enfants, il est licencié du jour au
lendemain par le nouveau propriétaire. Il se tourne alors vers l’inspection du travail, « qui m'a
orienté vers les prud’hommes et m’a dit de contacter un syndicat, que c’était le mieux ».
Paradoxalement, alors que son père était très engagé dans la section du Parti communiste de
sa ville, Jean-Pierre se détourne de la CGT. « J'ai contacté au départ la CGT, je discute un
peu avec la personne, puis je ne sais pas… y'a quelque chose dans ce discours qui ne passait
pas, qui me gênait. Donc j'ai été voir la CFDT. Là, ça s’est très bien passé : il m'a expliqué
tout ce qu'il fallait faire. Il m’a expliqué la démarche, vraiment très bien. Il est venu avec moi
à la conciliation. On a expliqué ce qu’on réclamait ».

En 1998, il intègre l’OPAC du Val de Marne sur un poste de gardien d’immeuble et adhère à
la CFDT sans militer car « en tant que gardien, on a quand même pas mal d'avantage, dont le
logement de fonction. Donc c’est vrai que financièrement j'étais plutôt à l'aise, donc pas
vraiment de revendication ». Il commence vraiment à militer en 2003, lors d’un mouvement
revendicatif sur les salaires : « il y a eu un mouvement suite à la NAO, le patron avait dit
« pas d'augmentation, pas de prime. Donc il y a eu un très fort mouvement : c'était en
intersyndical. La CFDT à l’époque n’était pas majoritaire dans les instances, elle avait des
élus. Et on a obtenu 500 euros de prime, et une augmentation générale. C'était vraiment le
premier mouvement ». Il est ensuite rapidement élu CE, DP et CHSCT et obtient un temps
syndical de deux jours par semaine. Il suit de nombreuses formations syndicales s’engage
dans le développement de la section et fait passer le nombre d’adhérents de 17 à 60. Cet
engagement est facilité par son nouveau poste de gardien remplaçant qui lui permet de
circuler facilement et par son divorce, qui libère du temps et le contraint à « s’occuper ». En
2005, il est élu trésorier du syndicat qui, suite à un crise interne en 2003, avait été mis sous
administration provisoire interco Val de Marne et a connu une grave crise lors des retraites en
2003. Il devient permanent syndical à 40 ans. Suite à la démission du secrétaire général, il est
élu fin 2008.

Certains militants, parfois novices du syndicalisme, passent en revanche rapidement du statut


d’adhérent à celui de militant. Quelles que soient les époques, ce militantisme accéléré est lié
à la dynamique du collectif syndical en place et aux évènements que traverse l’entreprise
(grève, conflits, restructurations...), mais aussi aux succès rencontrés dans l’action syndicale.
La parenthèse des négociations sur les 35 heures entre 1999 et 2001 a d’ailleurs contribué à
produire un nombre important de mandatés, même si leur fidélisation n’a pas toujours été
forte.

« Il n'y avait pas de syndicat dans l'entreprise, c'est moi qui l'ai monté, il fallait un syndicat pour
signer des 35 heures. L'employeur avait besoin d'un mandaté, et la branche Mutualité de la
protection sociale cherchait à s'implanter dans les entreprises par ce biais là. Ce biais était
intéressant car il y en a eu un paquet des mandatés qui ont, je pense, continué après. Peut-être
qu'il y en a qui ont arrêté après le mandat des 35 heures, mais je me suis prise au jeu » (femme,

10
vendeuse, 45 ans, secrétaire générale de l’union régionale Mine-Métaux, secteur de la
métallurgie)

La confirmation de l’engagement vient souvent du sentiment à la fois de légitimité et


d’efficacité de l’action menée (Barthélemy et al. 2008). Mais, comme le soulignent très peu
d’études, ce sont surtout les stratégies très offensives des directions qui contribuent non
seulement à faire monter les militants en compétences pour contrer l’offensive patronale, mais
aussi à confirmer les militants dans leurs engagements. La fréquence des situations de
restructuration permanente, moins médiatisée que les fermetures d’usines ou les grands
conflits sociaux, conduisent certains militants à acquérir des savoir et savoir-faire, de manière
plus ou moins individualisée, tant sur le plan économique que juridique pour tenir leur rôle
dans le cadre du comité d’entreprise et des négociations collectives.

« Ce qui me donne envie de m'impliquer davantage, c’est les victoires que j’ai eu à droite à
gauche. Les choses avancent. Par exemple, on est passé de 500 à 1500 euros de prime, ou les
négociations sur la pénibilité, sur les aménagements de postes. Là on travaille sur l’intégration
des personnes handicapées. On avance bien. Ca me fait plaisir. Puis surtout quand j'accompagne
mes collègues devant la DRH. Mon plus beau coup c’est quand même d’avoir réussi à obtenir la
requalification de la faute d’un nos adhérents qui a été pris à boire sur son lieu de travail. Il s’est
retrouvé dans cette situation parce que son boulot lui pesait, on lui avait tiré dessus plusieurs
fois, on lui avait tiré dessus avec un flash ball. On l'a complètement abandonné, donc il a
complètement craqué. En plus suite à tous ces problèmes dans son boulot, il était en train de
divorcer. Donc c’était un tout. J’ai réussi à faire prendre conscience à mon DRH que ce qui
l’avait amené là c'était de sa responsabilité, de pas l’avoir protégé en fin de compte. Lui voulait
partir, on a négocié son départ. Il est parti avec une très belle prime : il a gardé son logement de
fonction pendant plus d’un an, ça lui a permis de se reconstruire et de repartir sur de bonnes
bases. Je trouve que c’est mon plus beau coup. Au départ, il voulait le licencier pour faute
lourde. C’est le rapport de force qu’on a créé à notre avantage qui a fait que ça change pas mal
de choses. Il y a plein de choses qu'on a réussi à faite avancer, des victoires comme ça c'est
valorisant, c'est gratifiant. Je ne fais pas ça pour la gloire, parce que le métier de gardien, c'est
pas que c'est un métier dégradant, mais c’est vrai que c’est plus valorisant ce que je fais
actuellement » (homme, pâtissier, 45 ans, secrétaire général de syndicat, secteur des
collectivités territoriales)

« Puis ce qui nous a aussi beaucoup aidé, c’est qu’on est tombé à une époque sur un patron
facho, n’ayons pas peur des mots, qui aurait pu tout faire exploser, et qui nous a soudé dans un
combat très dur qui a duré quelque mois. Il nous a pourri la vie.Ca nous a énormément soudé, et
je pense que les gens ont apprécié qu'on tienne tête avec des arguments qui tenaient la route. On
a défendu beaucoup de gens, c'était vraiment un fou furieux. C’était un anti-syndicaliste
primaire et même ses manières de manager était catastrophique. Ca aide à se bagarrer quand on
a affaire avec un type comme ça. » (homme, technicien, 53 ans, élu CE-DP, délégué syndical
central, secrétaire adjoint CCE, secrétaire comité de groupe, grosse entreprise du secteur du
bâtiment)

Sollicitation et effets de « vacance »


En dehors des situations de carence de représentation syndicale ou de constitution d’une
nouvelle liste ou section syndicale, le passage de l’adhésion à la participation dépend
principalement de la cooptation ou de la sollicitation d’un ou des militants établis (et parfois
des pressions des collègues) qui proposent à l’adhérent de prendre un mandat ou d’être inscrit
sur une liste électorale. Les salariés pressentis pour tenir un mandat sont repérés
principalement au titre de la relation interpersonnelle de confiance qui s’est établit avec un
militant CFDT, et à l’identification de certains savoir-faire militants ou professionnels qui
pourraient être utiles pour tenir un mandat syndical. En 1989, Marc se présente aux élections

11
municipales de son village et n’est pas élu. Quelques mois plus tard la section CFDT de
l’abattoir de volailles dans lequel il travaille lui propose de devenir élu CE :

« En mars 89, c'est là qu'il y a les élections de l'abattoir volaille. Mes collègues, un ancien me
dit : « dis donc, tu t'es présenté aux élections municipales ? Nous on a des places, est ce que ça
t'intéresserait pas d'être au CE, parce qu'on t'entend dans le fond de la salle ? ». J'ai dit « CE,
c'est quoi ? ». Il me répond : « c'est un peu d'économie, un peu de chiffres ». Ca me gave, cette
affaire-là ce n'est pas mon truc. « Si vraiment je devais dire oui, ce serait en DP, mais pas en
CE ». Il me dit « on a plus de place en DP, il me reste une place en CE » »( homme, ouvrier, 45
ans, délégué syndical central, secteur de l’agro-alimentaire).

Le repérage des futurs élus correspond parfois à une stratégie électorale plus élaborée, en
fonction de leur capacité à représenter telle ou telle catégorie de salariés. C’est d’ailleurs
parfois à ce titre que certains volontaires sont dissuadés ou concurrencés par d’autres
candidats plus « représentatifs » de leur milieu de travail.

« En fait il y avait une personne qui se sentait capable, c'était une personne de catégorie B qui
n'était pas reconnue, qui ne faisait pas l'unanimité quand on interrogeait autour de nous, la
direction, l'administration, les directeurs, etc... Donc cette personne l'a vécu très mal ça, elle
voulait être secrétaire de section et elle n'avait pas la reconnaissance de l'environnement. Ca
c'était compliqué. Du coup elle ne s'est pas présentée. Ici, la majorité des salariés sont des
cadres A, donc on peut comprendre qu'un cadre B, ça puisse ne pas correspondre pour
l'ensemble des agents. C'est vrai que si tu n’es pas reconnu par les cadres…par exemple tu
accompagnes un agent pour une défense et que toi en tant que représentant syndical on ne te
reconnaît pas... C'est difficile, tu auras du mal à obtenir des choses de la part des cadres »
(femme, cadre, 40 ans, secrétaire de syndicat, secteur des collectivités territoriales)

La volonté de féminiser et dans une moindre mesure de rajeunir les militants a pu avoir des
effets sur les carrières de certaines jeunes femmes qui se sont vues proposées des mandats au
titre de l’objectif de féminisation, même si la politique mixité mise en place par la
confédération depuis 1982 connaît des déclinaisons très variables dans les sections
d’entreprise et semble plus « efficace » au niveau de l’appareil syndical hors entreprise
(Guillaume, 2007). Le repérage des futurs élus répond aussi parfois à des logiques très
pragmatiques liées à la rareté des vocations, ainsi Julie se retrouve tête de liste car ses
collègues ne sont pas assez disponibles pour tenir les permanences syndicales :

« Au départ, il fallait le nom d'une personne en tête de liste. Mes deux collègues habitant loin du
boulot, l’un était en travail posté, et l'autre avait un travail de labo avec quelques contraintes
d’horaires, j'étais la plus disponible. Avec la documentation, on peut répondre au téléphone plus
facilement. Donc ça s’est fait naturellement que ce soit moi qui soit le nom ; mais ce n’était pas
parce que je voulais être chef, c’est parce que j’étais disponible pour répondre au téléphone »
(femme, technicienne, 50 ans, déléguée syndicale centrale, présidente de la CAF, secteur de la
chimie).

S’il est difficile de « faire des adhérents », il semble encore plus compliqué de faire émerger
des militants. Depuis sa mise en œuvre au milieu des années 1980, la politique de
syndicalisation est l’objet de nombreux débats entre les tenants d’une approche quantitative
qui vise à faire un maximum d’adhésions, indépendamment du taux de rétention et du devenir
des nouveaux adhérents, et une approche qualitative qui mise sur l’adhésion d’un plus petit
nombre de salariés que le collectif cherche à fidéliser et impliquer. Dans les entreprises dans
lesquelles nous avons enquêté, la CFDT est bien implantée et fonctionne sur la base de
collectifs d’élus, plus ou moins étoffés. Si la syndicalisation est affichée comme un enjeu par

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les équipes, parfois dans une version très quantitative, la rareté des vocations militantes est
souvent évoquée comme une difficulté majeure. Dans ce contexte, les formations « nouveaux
adhérents » organisées par les syndicats ou les unions départementales, ou encore les
commission des branches dans les fédérations, ont un rôle clé dans la détection et la sélection
des futurs militants, d’autant que les occasions de rencontre avec les adhérents sont rares. Les
sections fonctionnent souvent en vase clos, resserrées autour d’un noyau d’élu, qui peinent
parfois à se réunir. Si ces constats ne sont pas nouveaux, l’individualisation et la
flexibilisation des conditions de travail et d’emploi accentuent encore cette restriction des
collectifs militants, entretenant en retour la crise des vocations (Béroud, Bouffartigue, 2009).

« Les formations syndicales, ça va aider à relever ce défi... J'ai toujours aimé aller en
formation... un des intérêts que je vois en étant animateur en formation, c'est cette possibilité
qu’on a de repérer les nouveaux militants. En particulier sur les formations « nouveaux
adhérents », on découvre des gens qu’on ne connaissait pas au niveau du syndicat et ça peut
amener des solutions. L'investissement des adhérents qui deviennent parfois des militants c'est
progressif : arriver à faire en sorte de donner envie de militer. Faut faire attention à l'image
qu'on donne : l’image du militant, c’est celle du mec débordé, qui n’arrive pas à tout faire, qui
court tout le temps » (homme, cadre B, 56 ans, secrétaire de syndicat, secteur des collectivités
territoriales)

A l’exception des militants qui montent une section syndicale et en deviennent le délégué, les
premiers mandats généralement tenus sont ceux d’élu DP-CE. Le rythme de la prise de
mandat est, pour sa part, très dépendant du fonctionnement des collectifs militants et du temps
que le nouveau militant est prêt à donner à l’activité syndicale, mais aussi de son vécu
professionnel. De nombreux militants disent avoir accepté un mandat par défaut de
reconnaissance professionnelle et parfois par ennui.

« À l'époque, je change de section syndicale. Je suis accueilli tout de suite. C'est là où on me


propose des mandats, le plus classique avec le CHSCT. À l'époque, pour nous, c'était des
désignations. On était deux. On m'a proposé d'être le deuxième. J'accepte. En 1987-88, je
commence à distribuer des tracts aux portails… Dans le travail que j'avais, c'était un travail
routinier, même si je n'ai pas fait beaucoup d'études, il y a des choses que je comprends. Je suis
un être normal avec un cerveau qui fonctionne. On fait vite le tour du travail. Je pense qu'il y
avait aussi la recherche d'autres choses, d'une autre activité. Voir autre chose que le travail et
s'intéresser à la vie en dehors de l'entreprise. À l'époque, on faisait beaucoup de choses
notamment des photocopies, j'ai passé des journées complètes sur des photocopieurs. En même
temps, j'étais en exécution. Après, je passais une moitié des journée à rentrer des documents sur
des terminaux informatiques et l'autre temps à faire des photocopies. À l'époque, le métier
n'était pas très valorisant, j'étais un peu bloqué sur ce que je ne voulais pas faire. Il y avait une
sorte de désamour du travail, quelque chose comme ça. Je découvre un pan de l'activité
nouveau. C'est intéressant. Le collectif aussi car j'aime bien travailler avec des gens. Un
collectif sympathique avec une bonne ambiance. » (homme, ouvrier, 52 ans, sans mandat
syndical suite à reconversion, secteur de l’énergie).

Une majorité des militants interviewés ont occupé des postes faiblement qualifiés du fait de
leur manque de diplôme. Or ce faible bagage scolaire est moins lié à une situation d’échec
scolaire, qu’à un arrêt subi des études ou une orientation professionnelle courte, liée à une
situation familiale difficile ou précaire. Nombre de militants interviewés sont issus de milieux
populaires avec des familles nombreuses, parfois monoparentales. L’arrêt des études les a
donc cantonné à des postes d’exécution, sans évolution de carrière, alors qu’ils se sentent
souvent capables d’apprendre et d’évoluer professionnellement. L’offre syndicale arrive donc
à point nommer pour leur proposer un espace alternatif d’évolution et d’acquisition de

13
compétences nouvelles. Contrairement à d’autres enquêtes menées auprès de militants plus
jeunes (Béroud et al., 2011; Guillaume, 2006; Rimbert, Crespo, 2005), le déclassement social
est moins clairement au cœur de l’engagement syndical, mais le syndicalisme représente aussi
un espace de reconversion (et de promotion) accessible, au moins dans les premiers mandats
de terrain, pour des salariés peu qualifiés.

« Mon chef est parti à la retraite. Le nouveau déléguait très peu et c'est un mec qui doit passer
15 heures par jour au travail. Je me suis retrouvé du jour au lendemain à ne plus voir les clients,
à ne plus être en réunion. Ca m'a pesé, je demandais un minimum de responsabilité et de
reconnaissance. J’avais deux solutions : soit je partais ou soit de mon simple mandat DS, je
prenais d’autres mandats. Puis il y a eu les élections de CE-DP qui se sont approchées, j’ai été
candidat, j’ai été élu. L'engrenage s’est fait comme ça. En fait, ils m'auraient proposé une
promotion, un poste à responsabilité, je ne sais pas si je serais aujourd’hui dans les mandats
syndicaux. Je me suis dit, je vais voir au syndicat si les mandats me plaisent, si ce qu’on fait au
niveau CE/DP c'est intéressant, si ça me plait, pourquoi pas, je continuerai. Et c’est vrai que ça
m’a plu » (homme, technicien, 43 ans, délégué syndical, élu CE, CCE et comité de branche,
secrétaire général du syndicat, élu au bureau fédéral, élu à la commission exécutive de l’union
régionale construction bois, grosse entreprise du secteur du BTP).
Cela dit, la décision d’entrer en militantisme, même dans les premiers mandats, est
subordonnée à une évaluation des risques professionnels induits. Un des rôles des
« passeurs » qui accompagnent les futurs militants dans l’adhésion et ensuite dans la prise de
mandat est souvent de rassurer le salarié sur son déroulement de carrière et d’aller ensuite
négocier avec la hiérarchie pour aménager son poste si besoin, mais surtout pour obtenir des
garanties de non-discrimination. Parfois c’est aussi grâce à l’intervention des RH ou de la
direction que les réticences de la hiérarchie intermédiaire sont contournées, quand l’entreprise
a besoin de représentants du personnel pour siéger dans les instances et souhaite favoriser la
prise de mandat d’un salarié.

« Justement, c'est la direction qui m'a un peu pris en main. On n'avait pas trop ce côté syndicat.
On était vraiment proche des salariés. C'est la direction qui me prenait en main. La première
formation pour le CHSCT, c'était la direction, dès que j'avais besoin de quelque chose, c'était la
direction qui me payait les déplacements… Même si je sais qu'au niveau du CHSCT, il y a des
obligations au niveau de l'employeur. Dès que j'avais besoin de quelque chose, il n'y avait pas
de souci. Même entre-temps, ils m'ont payé une formation à Orléans pour passer agent de
maîtrise d'ailleurs. Il y avait toute une gestion du management. Ils faisaient un amalgame de tout
mais je pense que c'était volontaire au point de vue du DRH. Ce n'était pas mon responsable car
il ne voulait plus entendre parler de moi. Je l'embêtais plus qu'autre chose, mais je faisais quand
même ma production. Je les intéressais énormément. » (homme, agent de maîtrise, 45 ans, élu
CE, délégué syndical, secrétaire adjoint du syndicat, secteur de la chimie)

Aléas et attachements, la vie des sections


Si les collectifs militants tentent effectivement de « sécuriser » la prise de mandat des
nouveaux élus, de nombreux événements viennent perturber le rythme de cette intégration.
Qu’il s’agisse de contextes de crise interne aux sections (conflits, malversations, désaccords
politiques) ou d’aléas plus individuels (départ d’un élu, conflit interpersonnel, licenciement,
maladie….), les carrières militantes sont souvent ponctuées de séquences inattendues qui
propulsent les individus au-devant de la scène. Le vivier de militants désireux et jugés
capables de prendre davantage de responsabilités étant restreint, nombre d’élus DP ou CE,
parfois suppléants, se sont ainsi trouvé mis en position de reprendre un mandat vacant de DS
ou secrétaire de CE, ou encore de chef de file dans une délégation paritaire, parfois contre leur
souhait.

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« Donc je deviens secrétaire de la section préfecture. Il y a un conseil de section trop content de
me pousser dans le dos et que j’y aille. Ce n'était pas vraiment ma vocation en fait, j’ai subi
l’histoire plutôt qu’autre chose. Il fallait se cracher dans les mains et puis y aller. Il y avait 90
adhérents. C'est le conseil syndical qui voté pour moi, il est composé d’une quinzaine de
conseillers, ils sont tous élus. Dans ce conseil, on élit un secrétaire de section. Mais à peine
rentré dans le local de la section que les soucis commencent : vous ouvrez l’ordinateur et vous
avez 100 messages de personnes qui veulent démissionner. Je deviens permanent. Et là d'un seul
coup, je me retrouve avec plein de responsabilités sans rien, sans aucune formation. Du jour au
lendemain, on fait des tas d'heures, on essaie de tout comprendre, puis c’est difficile. Et puis je
me retrouve seul : je suis permanent, les autres non, ils ont leur travail. Ils me disent du coup
« toi tu as le temps : vas y, fais ci, fais ça ». Je fais le double d'heure par rapport à quand je
travaillais : réunions, préparation, et puis tout était à reconstruire (homme, fonctionnaire
catégorie B, 54 ans, secrétaire général du syndicat, conseiller fédéral, secteur des collectivités
territoriales).
A certaines périodes et dans certains secteurs, cette accélération des carrières s’est joué dans
un climat de fortes tensions internes, avec le départ en masse des adhérents et des militants
dans certaines sections, comme en 1995 ou en 2003. L’implication demandée aux militants
qui sont restés affiliés à la CFDT et se sont retrouvés en position de leader, était alors énorme
et a mis effectivement à l’épreuve la force de leur engagement et de leur loyauté.
« La grosse cassure qui intervient en 2003, c'est les retraites, la réforme Fillon. Au début la
CFDT participe à toutes les mobilisations jusqu’au 13 mai pour la défense de la retraite par
répartition, et puis... Moi c'était quelque chose à laquelle je m'attendais car en 95, la CFDT
disait déjà « si on veut sauver les retraites par répartition, il faut pouvoir faire évoluer le
système, le conforter financièrement, faire en sorte que ça puisse fonctionner ». Mais en 2003,
c’est le syndicat départemental qui va voler en éclat : ils sont très opposés, ils continuent à
appeler les salariés à la grève. C’est un moment assez difficile pour moi, parce qu’on organise
un vote dans la section syndicale. Moi j'avais une position légitimiste. Je croyais profondément
qu'il fallait réformer nos systèmes de retraite pour les sauvegarder, mais je ne suis pas suivi par
une grosse partie de la section syndicale qui considère que ce que veut le gouvernement avec le
soutien CFDT n'est pas acceptable. Deux tiers de la section syndicale se prononce pour la
poursuite du mouvement, donc je suis objectivement désavoué et je me mets en retrait de
l’activité syndicale pendant 2-3 mois. Je dis aux collègues « vous faites ce choix-là, c'est pas
mes options, mais c'est respectable. Finalement mes collègues adhérents à la CFDT sont
directement sous l’emprise de la CGT qui imprime les revendications, qui reconduisent les AG
et ça abouti à la fin de l'année 2003 à un congrès qui est organisé par les responsables du
syndicat qui proposent deux choses : la désaffiliation du syndicat de la CFDT et son affiliation à
la FSU. Les choses sont un peu compliquées car au mois de septembre, les ponts n'ont jamais
été coupé avec les membrs de la section car malgré des positionnements différents, on a
toujours eu une forme de respect réciproque, d’écoute et de volonté de dialoguer. Donc on
rediscute, on se dit que ce qui arrive sur réforme de la retraite n'est pas anodin, mais que ce qui
nous rassemble est plus important que ce qui nous divise. Donc de nouveau on organise une
élection, avec d'autres sections syndicales qui ont envie de continuer la CFDT, on fait le choix
de s'organiser. On organise un congrès du syndicat, et on arrive à avoir 1/3 des mandats à ce
congrès de gens qui se prononce pour le maintien de la CFDT. Avec ceux qui veulent continuer
la CFDT, on se réunit pour recréer un syndicat CFDT, les autres partent à la FSU. On a dû
enclencher un gros travail de reconstruction qui est passé par une action assez volontariste, dans
les collectivité où on était pas implanté : distribution de tract, de journaux. Puis il y a aussi des
salariés qui nous ont sollicité pour créer des sections CFDT dans des endroits où on ne pensait
pas forcément aller. On a du répondre à ce type de demande. En 2003, on était vraiment au pied
du mur. La question de dire « c’est toi qui t’y colles… », quand on a été à l’origine de la
reconstruction du syndicat.. avec mon collègue qui a eu un rôle déterminant dans la résistance
qui était menée pour éviter la disparition de la CFDT, on a fait vraiment le choix d'un
investissement à 100% et là c’est devenu très compliqué au niveau professionnel. » (homme,

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fonctionnaire catégorie B, 56 ans, secrétaire général du syndicat, conseiller fédéral, secteur des
collectivités territoriales).

Plus que la force des dispositions ou même les compétences, ce sont les attachements au
collectif militant (Nicourd, 2009) et la loyauté à l’organisation syndicale qui explique
l’acceptation de ce que certains décrivent comme un « engrenage ». « Ne pas laisser tomber
le collectif », « rendre à l’organisation ce qu’elle nous a donné », autant d’expressions qui
soulignent l’ancrage des engagements syndicaux dans un tissu de relations sociales de
proximité. Contrairement aux salariés qui deviennent militants ou leaders d’un conflit sans
avoir eu d’expérience syndicale préalable et quittent souvent le syndicalisme (et l’entreprise)
une fois le mouvement social fini (Abdelnour et al., 2009), le fait d’être inscrit dans un
collectif stable, doté de moyens, fidélise les engagements dans la durée. Parmi les facteurs
facilitant la prise de mandat, on note la présence d’un collectif, le contexte de syndicalisation,
l’accueil, la taille du collectif, la disponibilité, la qualité du relationnel du militant référent, la
convivialité, l’horizontalité des échanges, les compétences et les ressources mises à
disposition des salariés, le champ d’action laissé. Inversement, l’isolement, l’absence de
collectif, la surcharge des militants et leur manque de disponibilité, la routinisation des
pratiques, l’entre soi, le déficit d’information et l’absence de sollicitation sont des facteurs
dissuasifs à la participation.

« Donc j'ai repris le travail après mon congé maternité, il y a eu des élections professionnelles,
on m’a sollicité pour être délégué du personnel et j’ai dit oui. Donc c’est là que ça a commencé.
C'est au fur et à mesure qu'on rentre et qu’on voit les dossiers qui apparaissent, les dossiers de
défense de salariés, des choses qui apparaissent injustes et on se dit, il ne faut pas laisser ça là.
Du coup, pour faire entendre ses idées, on se dit « je vais aller un peu plus loin. Tient, il y a un
poste au CE qu’on me propose, donc je le prends». Je m'absentais de mon poste de travail 2 -3
jours par mois pas plus, et puis progressivement un peu plus. Il faut dire qu'il y a des dossiers
intéressants quand on commence à s’intéresser un peu aux classifications, à l’égalité, à la
formation professionnelle à tout ça et qu’on s'aperçoit que les salariés ne connaissent pas. Puis,
il faut dire ce qui est, comme c’est des dossiers intéressants, si on travaille un peu dessus,
l'organisation elle vous aspire. Ca s'est fait relativement naturellement » (femme, chargée de
clientèle, 51 ans, élue CE, CCE et comité de groupe, membre de la commission de branche,
conseillère fédérale et prud’hommale, administratrice MSA, secteur de l’agro-alimentaire)

L’engagement ne s’exprime pas au travers d’une recherche « d’utilité sociale » désincarnée, à


vocation citoyenne (Simonet, 2010), mais dans une relation étroite avec une communauté
militante et professionnelle. C’est à la fois la stabilité dans l’emploi (Guillaume, Pochic,
2009a) et l’intensité des relations interpersonnelles avec les autres militants qui entretiennent
l’engagement dans la durée.

« Professionnellement, j'étais reconnu compétent, on me proposait dans le cadre de ce


rapprochement de prendre en charge un service. Ce que j’avais accepté, j’avais même rencontré
mes futurs responsables. C’était un service de gestion du portefeuille entreprise, je prenais une
dizaine de personnes, puis ça me plaisait bien. J’avais rencontré la responsable, on avait
échangé, ça devait se faire en 2007. Fin 2006, ma camarade CFDT m'annonce qu'elle aimerait
bien que je l'assiste en tant que DS dans ce groupe de 1000 personnes qui doit aussi préparer
d’autres rapprochements. Donc elle me dit « faut qu’on soit plusieurs, je ne pourrai pas tout
faire ». Cruel dilemme. Je suis rentré chez moi, j’en ai parlé à ma femme, et elle me dit « ne
fais pas ça, tu vas casser ta carrière, là tu as une opportunité ». Moi j’étais très partagé :
professionnellement ça m'intéressait de jouer ce challenge. Puis sachant qu’il allait y avoir des
rapprochements à venir, il vaut mieux être placé professionnellement, il ne faut pas se leurrer.
Dans le cadre du rapprochement, j’aurai au moins un poste de responsable. Alors que quand
vous êtes hyper mandaté, c'est pas forcément bien vu, même s’ils ne font pas la chasse aux

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représentants syndicaux. Donc ma camarade a joué sur la corde sensible en me disant qu'elle ne
pouvait pas y arriver seule, et que pour l'équipe, pour le collectif, il fallait que j'accepte de
m'investir. A chaque fois qu’on mentionne le collectif, je craque. Il a fallu annoncer à ma
responsable que je repartais dans le syndicalisme. Dans un groupe de 1000 salariés, on parle
davantage des partenaires sociaux, on nous associe plus à la vie de l'entreprise. C’est peut-être
plus respectueux que dans une petite structure. C'était aussi nouveau, intéressant. Il y a une autre
dimension : passer d'une structure de 80 personnes à 1000, les négociations ne sont pas les
mêmes, puis les relations avec la direction ne sont pas les mêmes non plus. Donc j'ai
accompagné des rapprochements dans le Nord, puisqu’il y avait des nouvelles structures qui
intégraient le groupe et donc des nouveaux mandatés. On avait une équipe CFDT, mais qui avait
besoin d'être soutenue sur trois sites : Lille, Arras et Dunkerque » (homme, agent de maîtrise, 52
ans, chef de fil CPAM, DSC, DP, grosse entreprise du secteur de la protection sociale).
Si les cas d’entreprises avec des relations sociales très difficiles sont rares dans la population
interviewée, certains militants ont néanmoins été dans l’obligation de s’engager toujours
davantage du fait de leurs prises de position contre la direction et par peur des représailles
pour les salariés et le collectif militant.
« A l’époque, il a fallu, personne d'autre ne voulait la place. Tout le monde avait peur. Il y avait
une crainte liée à plusieurs choses. Des personnes qui ne s'en sentent pas capables, qui ne sont
de très bons représentants du personnel, qui n’ont pas la capacité de tenir tête à une direction.
On a un directeur général qui n'est pas forcément un tendre, mais ça rejoint ce que je disais tout
à l’heure, quand vous maîtrisez un certain nombre d'éléments, c’est plus facile après de discuter
et de ne pas dire que des bêtises. Dons j’ai accepté de devenir délégué syndical, je ne me voyais
pas rester dans une entreprise sans représentation syndicale. Pour moi, à l’époque, je n'avais pas
trop le choix car je m'étais relativement engagé assez loin, notamment dans les prises de
position vis-à-vis de la direction. Revenir à l'atelier sans mandat, pour moi, cela aurait été
certainement très compliqué. Certains responsables en auraient profité pour me tailler des
croupières, il était hors de question que j'abandonne le travail qui avait été fait depuis des
années, que ce soit un vide » (homme, technicien, 51 ans, délégué syndical, secrétaire de CE,
secteur de l’agro-alimentaire).

L’effet des cycles de vie


Cela dit, la force des attachements syndicaux ne parvient pas toujours à faire accepter le coût
de l’engagement syndical sur la sphère privée. L’ensemble des entretiens souligne ainsi les
effets de cycle de vie sur les engagements syndicaux. L’arrivée d’un enfant ou le projet de
construction d’une maison qui freine un temps l’investissement. Si cette préoccupation est
très forte dans le discours de femmes, quelques jeunes militants hommes, en couple et avec
des enfants jeunes, sont également obligés de « modérer » leurs investissement syndical pour
se rendre plus disponible à la maison et aider leur femme à reprendre ou continuer une activité
professionnelle, au nom d’ailleurs de valeurs qu’ils défendent dans leur activité syndicale,
comme l’émancipation….
« Côté familial c'est dur. C’est pas évident de concilier d’être délégué syndical central et d’être
souvent à paris, et avoir des enfants en bas âges : j'ai ma fille qui va avoir 8 ans, et le petit qui va
avoir 4 ans. C’est pas évident. Par contre samedi dimanche c'est à eux. Ma femme a trouvé un
job. Elle ne travaillait pas avant. Depuis un an et demi elle commence à travailler, ça a changé la
vie. Elle se lance dans la compta, ça va changer la vie puisque j'étais habitué à rentrer et à la
voir à la maison, donc c’était quand même plus facile ; puis du jour au lendemain, elle bosse, les
choses prennent du retard, donc on se dit qu’il faut mettre la main à la pâte aussi. Elle en avait
marre de ne rien foutre. Elle voulait s’émanciper. Ce qui est compréhensible, puisque je lui ai
rabâché pendant des années : « il faut être émancipé, il faut faire de la formation », donc
j'assume. C'est bien. Même à la maison, ça lui a permis de se dire : il a pas tort, faut que je voie
d’autres horizons. C’est bien, je ne regrette pas son choix, c'est bien pour elle. Puis ça rapporte
du beurre dans les épinards. Par contre, il a fallu que je modifie mon organisation du travail.

17
Quand je rentre faut que je m'occupe des petits, donc je ne peux pas bosser. Avant je rentrais et
je bossais encore à la maison. Là, il faut que je m’occupe des petits, donc faut organiser le
travail différemment, il faut faire que ce qui est important, pas le superflu. Elle est
compréhensive, elle me laisse quand même faire mon boulot. On a un calendrier qui affiche
quand je suis à Paris, mais quand je suis à Mulhouse, je sais à quelle heure elle finit, donc je sais
que je dois aller chercher les gosses. Donc quand moi je finis le boulot, je vais chercher les
gosses. Après, c’est moi qui les gère du moment où on rentre jusqu’à ce qu’elle arrive. Puis
inversement, quand je ne suis pas là c'est elle qui s'en occupe » (homme, ouvrier, 34 ans, DSC,
grosse entreprise du secteur automobile).

Tous évoquent, le temps « bénévole », notamment liés aux multiples déplacements, qu’il faut
consacrer à l’activité syndicale, en plus des heures de délégation ou pour pallier le manque de
droit syndical et continuer à tenir son poste.
« Ce n'est pas compliqué, c'est en faisant beaucoup d'heures. C'était un peu un compromis que
j'avais avec mon chef d'atelier même si il ne pouvait pas trop me voir à cause de ça, surtout un
élu CGT, vous vous rendez compte ! Ce n'est pas grave. Je faisais énormément d'heures, je crois
bien qu'on me les payait en plus à cette époque. J'ai travaillé en équipe en plus. Je tournais tous
les 15 jours. 15 jours du matin, 15 jours de l'après-midi. J'ai fait cela pendant 15 ans. Quand je
suis passé moniteur, on faisait 15 jours sur 15 jours. J'ai toujours été en équipe. À part
maintenant. Le matin par exemple, si j'étais de l'après-midi, je venais à neuf heures du matin et
je faisais ce que j'avais à faire au bureau du CE et après, j'allais à l'atelier. J'aimais ça,
m’occuper des gens comme je fais encore maintenant, c'était mon lot. Dès qu'il y avait quelque
chose à faire, il fallait que je vienne plutôt. Sans compter ce que je devais faire à la maison. Je
voyais pour appeler les bus, j'organisais beaucoup de sorties donc c'est moi qui appelais.
J'appelais même de la maison et cela ne me dérangeait pas, c'était en moi. Cela ne me dérangeait
pas » (homme, agent de maîtrise, 45 ans, élu CE, délégué syndical, secrétaire adjoint du
syndicat, secteur de la chimie)

Pour les élus aux comités européens ou de groupe, la dimension internationale des
déplacements accroît encore les contraintes de mobilité, notamment pour ceux qui habitent en
Province.
« Il y a des contraintes mais des compensations, des satisfactions, des frustrations… Je suis
conscient d'avoir un avantage par rapport à mes collègues, car je suis impliqué au niveau de
mon entreprise, de la coordination du groupe de la direction générale. L'avantage que j'ai, c'est
qu'étant en région parisienne, la plupart des réunions se font en région parisienne. Je vois
l'emploi du temps de certains de mes collègues de province qui doivent monter sur Paris. J'ai
pas mal d'heures de transport RER et autres, mais je reste en banlieue parisienne alors que
prendre l'avion, ce n'est pas triste non plus. Toulouse Nantes Marseille. Il y en a beaucoup qui
font la navette en avion. Ce n'est pas facile non plus. En termes de logistique, c'est un peu plus
facile d'être en région parisienne. Maintenant, avec le comité européen, on va se retrouver avec
d'autres contraintes. Là, je compte sur ma femme pour essayer de concilier un peu à travers des
jours de congé. Je peux me retrouver avec des réunions en Europe. Par exemple, au mois de
juin, je pars en réunion du 23 au 25 en Allemagne. J'aurais d'autres réunions après en
Angleterre, en Espagne… Cela n'arrivera pas trop souvent dans l'année, mais j'en aurai quand
même un certain nombre et dans ces cas-là, il y a un souci pour gérer les enfants. Dans ces cas-
là, je lui demande de prendre une journée de congé. Elle essaie de jouer sur son temps partiel »
(homme, ingénieur, 39 ans, délégué syndical central, délégué syndical, élu CE et comité
européen, secteur de la métallurgie)
Certains mandats, comme secrétaires de section ou secrétaire de syndicat ne sont pas dotés en
droit propre et les militants ne peuvent compter que sur les heures de délégation liées à
d’autres mandats ou sur du temps bénévole. Le soutien du conjoint, homme ou femme, est
donc essentiel dans la décision de s’engager plus avant dans le syndicalisme, comme le fait de

18
résider à Paris.
« J'ai beaucoup de chance, parce que j'habite Paris, j’ai pratiquement pas de délais de transports.
Que je vienne ici, que j'aille à la confédération, au CA, tout se situe sur Paris. Maintenant la
MSA, le CE euro. Il y a peut-être deux ou trois déplacements dans l'année ave le CE euro, mais
maintenant ma fille est grande, mais là j'avoue franchement... ça a aussi été un choix de vie. On
ne s'est marié qu'en 95 avec mon mari. Ca a toujours été un choix de vie, aussi bien personnel
que professionnel : c'est lié. On ne voulait pas avoir de délais de transport pour aller bosser,
quitte à loger plus petit, à payer plus cher. Ca a toujours été le choix. Quand ma fille est née, on
était dans un 35m2. Maintenant on a plus grand. Ma fille quand elle était petite, elle était à la
crèche, j'ai eu le pot d'avoir une place à la crèche : il y a eu des facteurs chance. L'appartement
dans lequel on est actuellement, dans le 20ème, ca a été un coup de bol » (femme, chargée de
clientèle, 51 ans, élue CE, CCE et comité de groupe, membre de la commission de branche,
conseillère fédérale et prud’hommale, administratrice MSA, secteur de l’agro-alimentaire)

C’est d’ailleurs cette absence de soutien familial qui rend souvent très difficile
l’investissement des femmes en situation monoparentale, d’autant que, comme le souligne
cette militante, l’organisation syndicale prend peu en considération ces difficultés
d’articulation vie professionnelle, syndicale et privée.
« J’ai mal vécu la période ou j’étais quasiment à mi temps sur mon activité syndicale et à mi
temps sur mon activité professionnelle. C'est compliqué d'être sur deux aspects. Quand on est
dans son monde professionnel, sans oublier la casquette syndicale, moi j’étais identifiée, tout le
monde savait que j’étais à la CFDT, mais en même temps, on ne peut pas toujours le
revendiquer, il faut être à notre place professionnellement, et c’est très compliqué à gérer.
Finalement, on finit par être bien nulle part, parce qu’entre les réunions, les interpellations, moi
j’avais des coups de fil tout le temps, c'était difficile de faire la part des choses. Et puis à
l’époque, mon fils est né en 87, donc je suis quand même maman, d’un enfant porteur de
handicap, difficile de gérer tout cela, de jongler sur tous les aspects. En plus j’étais en formation
(d’éducateur) pendant tout ce temps-là aussi. Donc ça a explosé, vraiment, c’est ingérable. Ici,
plus le temps avançait, plus on me demandait les choses et c’était très compliqué de tout faire :
j'avais l'impression du travail pas bien fait nulle part. Pourtant j’avais des conditions de vie
idéales. J’avais une employée de maison, et mon fils était à la crèche, même s’il allait souvent à
l’hôpital. Je suis très organisée donc j’arrivais à jongler, mais j’ai trouvé ça quand même
fatigant, éreintant, et la non prise en compte par organisation de mon problème personnel. Je
défendais plein de gens avec la même problématique que moi, et pour moi personne ne faisait
rien. J’ai trouvé cela injuste. Ils continuaient à charger la mule, puis on était pas assez nombreux
à avoir du droit syndical, c’était compliqué donc y'a eu des moments pénibles » (femme,
éducatrice, 50 ans, secrétaire générale de syndicat, conseillère fédérale, collectivité territoriale)

Les femmes militantes expriment d’ailleurs le plus de culpabilité à l’égard de cet


investissement qui déborde sur la vie familiale. Elles frisent parfois le burn-out, en palliant
leurs absences par une intense activité domestique le week-end. Contrainte (ou sacrifice) que
leurs homologues syndicalistes hommes ne connaissent pas et ne valorisent pas non plus.
« Parfois cela pète, ce n'est pas le calme plat chez moi. Par exemple, hier, je me suis sentie
obliger de leur laisser le repassage nickel, la machine faite, une sauce à spaghetti d'avance…
Des choses comme ça et je pense que les hommes ne se posent pas le même problème ! Je vois
que les copains font leurs valises le soir si ce n'est pas leurs femmes qui ne leur font pas les
valises ! C'est la caricature, mais c'est ça. Entre moi qui en fait trop et d'autres qui ne font rien,
j'ai beaucoup plus de travail, c'est clair. Ils ne s’en doutent pas. J'essaie de leur en parler
régulièrement. Parfois, je fais des interventions au bureau fédéral. J'essaie toujours de faire
adhérer et ne jamais aller contre. Je ne les montre pas du doigt mais de façon rigolote, je leur
explique. Je pense qu'ils commencent à intégrer. Je pense qu’ils ne s’en rendent pas compte en
fait du boulot que cela nous demande à nous de militer » (femme, vendeuse, 45 ans, secrétaire

19
générale Union Mines Métaux, secteur de la Mettalurgie).

Avec l’expérience, les militants cherchent à mieux cloisonner leurs différentes sphères de vie,
refusant de prendre des appels téléphoniques le soir ou le week-end, et s’autorisant même à
indiquer qu’ils ne sont pas joignables pendant la durée de leurs vacances. Un certain regret
pointe quand même dans les discours et nombreux sont ceux qui se sont laissés immergés par
l’activité syndicale, évoquant même leur divorce comme le résultat d’un engagement syndical
incontrôlé, qui empiète de plus en plus sur la vie familiale, à l’image de celui des cadres. Mais
c’est aussi suite à un divorce ou une séparation, ou lorsque les enfants sont plus grands que
certains militants reprennent du service et s’engagent alors pleinement, souvent sur du temps
bénévole, mais aussi en devenant permanent. Devenir permanent peut aussi permettre de
trouver une « solution » à cette impossibilité d’articuler les temps de vie, quitte à prendre des
risques parfois sous-évalués sur le plan professionnel.
« Le seul point un peu noir est ma vie familiale, puisque j’ai divorcé... J’ai retrouvé une
compagne et j’essaye de ne pas reproduire mes erreurs. Ce dimanche j'ai bossé deux heures,
mais c’est parce qu’on est en plein mouvement social dans la boite, mais les week-ends, je les
consacre à la famille. Je me rends compte que si on est là que le samedi dimanche et si on passe
son samedi et dimanche à travailler sur ses dossiers… C’est ce que je faisais dans mon
précédent mariage. Quand Lyonnaise Suez avait une branche énergie à Bruxelles, j’y allais
souvent et je partais le dimanche. Quand vous rentrez le vendredi soir tard et que vous êtes
crevé. Je crois que les gens ne s'imaginent pas la fatigue qu'on peut avoir de ce qu’on fait, même
si ce n’est pas un travail physique. Moi je l'ai connu cette fatigue car j'ai monté l'astreinte
pendant 25 ans, physiquement c'est dur ; mais là Bordeaux Paris en avion, c'est une heure, mais
ça fatigue, les réunions, ça fatigue, et le samedi matin, on a pas envie de se lever à 8h pour faire
le jardin, on a envie de faire la grasse matinée, le dimanche aussi. Puis je suis un fan de foot, des
girondins de Bordeaux. Je n’ai plus le temps de pratiquer de sport, ça me manque. Quand on
part le week-end, quand on rentre, on est submergé, on se retrouve avec 80-90 mails, la moitié
qui ne sert à rien. Là aussi je me mets des limites quand je suis à la montagne, les messages c'est
de 6 à 7, le soir, mais j'évite » (homme, technicien, 53 ans, élu CE-DP, délégué syndical central,
secrétaire adjoint CCE, secrétaire comité de groupe, grosse entreprise du secteur du bâtiment)

20
2. APPRENDRE LE SYNDICALISME

S’il est possible de répertorier « en théorie » les compétences nécessaires à l’exercice des
différents mandats syndicaux, comme l’ont fait certaines fédérations de la CFDT (Guillaume,
2011) ou d’autres organisations syndicales françaises et européennes (Rocca, 2003), la
distribution de ces savoir et savoir-faire est très variable d’un individu à l’autre, selon le type
de mandat tenu et l’ancienneté dans le mandat, mais aussi selon le contexte dans lequel évolue
le militant. Une des particularités des parcours syndicaux est de ne répondre à aucune forme
de structuration pré-établie ni même de « parcours type » et de dépendre principalement des
apprentissages et des appropriations faits en situation, au sein des collectifs militants (section,
syndicat, union départementale, commission de branche…), au cours des formations
syndicales dispensées par les organisations et surtout des événements qui ponctuent la vie de
l’entreprise (Beaujollin-Bellet, 2010). Les carrières syndicales sont rarement des trajectoires
linéaires et maîtrisées, mais sont ponctuées par des événements souvent inattendus : actualité
sociale brûlante, défection d’un militant qu’il faut remplacer, sollicitation d’une équipe….
Paradoxalement, certains militants anciens développent peu de compétences spécifiques
autres que celles de « représentation quotidienne des salariés » et s’en tiennent à quelques
heures de délégation pour les réunions DP-CE, alors que d’autres militants plus novices sont
contraints de mobiliser ou d’acquérir rapidement des compétences multiples, et parfois
expertes, pour faire face à l’actualité sociale et économique de leur entreprise
(restructurations, plan social, négociations).

Un travail aux contours flous


L’expression des militants sur les compétences à acquérir est très variée selon la nature des
mandats qu’ils tiennent. Si la plupart évoquent de nombreuses compétences à acquérir, les
savoir et savoir faire attendus sont multiples et parfois difficiles à nommer. Quand on leur
demande en quoi consiste leur activité, beaucoup mentionnent le fait qu’ils passent leur temps
en réunion de manière régulière et rythmée (programmation à l’avance) et ultra fréquente
quand l’entreprise traverse une période de réorganisation ou de crise économique. Le cumul
des mandats n’est pas sans lien avec cette impression de « réunionite », puisque chaque
mandat tenu implique la participation à des instances de consultation et de négociation
différentes.

« Actuellement, je suis DSC, DS de l'établissement de Suresnes, titulaire au C.E. de


l'établissement de Suresnes, représentant syndical au comité centrale entreprise France.
Désormais, je suis le représentant titulaire au comité européen. Plus toutes les réunions. Je
participe à un certain nombre de délégations pour les négociations au niveau du groupe en
France ce qui fait que c'est lourd. Au titre de représentant CFDT au comité européen, je suis
aussi membre du secrétariat de la coordination qui se réunit une fois par mois plus une réunion
par mois du conseil de groupe CFDT. En temps de fréquence de réunion, une réunion par mois,
comme je suis délégué syndical, je fais au moins une réunion par mois de délégué du personnel
et en tant que DSC, je suis dans toutes les négociations pour la France. Cela fait beaucoup. On
passe d'une réunion à une autre. J'ai la facilité de gérer mes congés comme je le veux. Sauf que
quand je veux, c'est quand je n'ai pas de réunions. Ce qui fait que quand on regarde dans la
sphère personnelle, cela a été galère. J'ai pris une semaine à Pâques pour partir en vacances avec
mes enfants. Il s'est avéré que j'ai raté deux à trois réunions. Il faut gérer à distance. C'est très
compliqué. Là par exemple, je prends du 14 juillet au 15 août, je sais que si je ne le prends pas à
ce moment-là, j'ai du mal après. Je prends une journée par-ci par-là. Même une journée, ce n'est
pas simple. Les jours où j’ai réunion et les jours où je n'ai pas réunion, je dois faire un compte
rendu et préparer la prochaine réunion. C'est un peu lourd. C'est le problème de la
professionnalisation qui est derrière » (homme, ingénieur, 39 ans, délégué syndical central,
délégué syndical, élu CE et comité européen, secteur de la métallurgie)

21
Cet investissement temporel, mais également l’organisation du travail militant au sein des
sections CFDT, conduit les militants à parler de leur activité syndicale comme d’un travail. Le
vocabulaire que les militants utilisent pour caractériser leur activité syndicale est très souvent
emprunté à celui de l’entreprise. L’activité est concrète, les résultats obtenus sont visibles et
mesurables, l’utilité de l’action est démontrable. Les militants font référence aux « objectifs »,
aux « projets », aux « méthodes de travail », aux « preuves à réaliser ». Ils agissent dans un
monde d’objets (thèmes de revendication, objectifs à atteindre), de procédures (applications
informatiques, texte légaux, dispositifs techniques) et d’acteurs (le délégué du personnel, le
délégué syndical, le représentant au CHSCT, le secrétaire du CE, la direction…)14. A la
CFDT, le souci de l’organisation et de la rationalisation de l’activité militante sur le plan de la
gestion des adhérents et des moyens, la déclinaison des grandes campagnes de syndicalisation
ou de formation (par exemple) et la récurrence d’une certaine rhétorique de la
« responsabilité » et des résultats contribuent à un cadrage assez professionnel de l’activité
syndicale (sans doute encore accentué par les exigences de la nouvelle loi sur la
représentativité syndicale de 2008 en matière de certification des comptes)

« Aujourd’hui ma profession, c'est syndicaliste, je suis une professionnelle du syndicalisme : je


fais un vrai travail, j'ai des responsabilités, j’ai un engagement et je suis élue, j’ai des comptes à
rendre au même titre que le Maire de Paris. Je suis son égale quand je suis en face de lui. Je
trouve que c'est important. Il y a un pilote dans l'avion, c'est moi. Ca donne des responsabilités,
des obligations, c'est pas facile tous les jours, mais c'est passionnant » (femme, éducatrice, 50
ans, secrétaire générale de syndicat, conseillère fédérale, collectivité territoriale)

« Ca devrait pas être un travail, mais c’en est un. C’est le problème qu’on va avoir sur le
syndicalisme. On ne peut plus avoir que de la bonne volonté, on est obligé d'être formé et
d’avoir une formation pointue: statuts, droit, réforme. C'est le coté embêtant : il ne faut plus se
contenter d'ouvrir votre grand bec comme ça en disant « aux armes camarade ». Il ne faut pas
être technocrate, mais il faut avoir les mêmes armes que ceux qui sont en face » (homme, 54
ans, fonctionnaire catégorie C, secrétaire de syndicat, secteur des collectivités territoriales).

Les militants évoquent les heures de préparation des réunions, de « travail » sur les dossiers,
de recherche d’informations juridiques et statutaires. Les militants expérimentent de nouvelles
compétences et valorisent fortement le travail concret de défense des salariés et de
négociation. Les militants utilisent tous des termes forts pour qualifier leur travail syndical :
« passionnant », « intéressant », « génial », « épanouissant ». Ces propos sont souvent mis en
valeur en opposition à leurs situations de travail qui semblent plus ternes ou routinisées. De
fait, les militants mettent l’accent sur l’autonomie qu’ils découvrent dans la gestion de leur
activité syndicale. Cet aspect est d’autant plus important et valorisé que les personnes étaient
en position subalterne dans l’entreprise ou soumises à des contraintes d’organisation
fermement établies par des horaires.

« Notre marque de fabrique est de communiquer beaucoup. En négociation salariale, à chaque


réunion, on sort un tract. On indique ce qui s'est passé, nos considérations. La CGT ne le fait
pas. C'est plus dogmatique. On s'adapte d'un dossier à un autre. Je pense que nous avons une
forme d'indépendance et d'analyse du dossier pour lequel nous sommes reconnus. C'est-à-dire
que l'on travaille, on épluche les différents dossiers sociaux. Il y a une reconnaissance de travail
et une fiabilité vis-à-vis de certains de nos militants. Quand ils ont une question, ils peuvent
14
ROZIER S., « Les justifications de l’engagement » in A . COLLOVALD (sous la dir.), L’humanitaire ou le
management des dévouements. Enquête sur un militantisme de « solidarité internationale » en faveur du Tiers-
Monde, Res Publica, 2002.

22
venir nous voir. Sur le terrain, on a une crédibilité aussi pour assumer les discours » (homme,
ingénieur, 39 ans, délégué syndical central, délégué syndical, élu CE et comité européen,
secteur de la métallurgie)

La technicité des compétences à acquérir semble néanmoins différente selon les mandats
tenus. Les mandats d’élu DP-CE requièrent d’abord et avant tout des compétences de
représentation des salariés, que les militants investissent prioritairement à l’aune de leur
capacité à « monter au créneau », à « ne pas se laisser faire » et à s’exprimer oralement. Cette
prise de parole peut à la fois sembler « naturelle » quand il s’agit de tenir tête à la hiérarchie
intermédiaire et plus difficile quand il s’agit de s’adresser à la direction, au sein d’instances
formelles et sous le regard des militants plus chevronnés.

« J'appréhendais énormément à chaque fois. En réunion devant une direction, très longtemps,
j'ai appréhendé de me jeter dans l'arène pour demander des choses et proposer… Jusqu'à pas si
longtemps que ça d'ailleurs. J'ai toujours eu du mal car je pense que je n'avais pas eu les bonnes
formations. J'avais envie, mais je n'y arrivais pas. J'arrive à m'exprimer, mais avec beaucoup de
mal, j'avais du mal à écrire. C'était une phrase avec deux ou trois fautes. J'ai beaucoup évolué.
J'avais beaucoup de mal, dès qu'il y avait une direction face de moi, j'étais bloqué. Il me
manquait quelque chose pour pouvoir me lancer. J'avais tout dans la tête. Je voulais formuler
mon truc, mais dès que je voulais parler…À chaque fois que j'étais en formation à la CGT,
c'était des semaines complètes… Ce n'était que de la protestation, il fallait refuser ça, ce n'était
pas la peine car les autres syndicats le font à notre place… Cela commençait à devenir barbant.
Cela commençait à m'embêter et de toute façon les gars de la CGT voyaient bien que je n'avais
pas le même comportement qu’eux. Je voulais essayer de négocier, me mettre autour de la table.
On a obtenu des choses comme des jours fériés, le 15 août… Ce n'était pas évident. Ce n'est que
du bourrage de crâne. J'avais demandé une fois une formation en communication à Tours. Ils
ont fait à l'époque une formation de trois jours sur la communication. C'est une des premières
qui m'a plu. C'était vers la fin de mon mandat. Je suis quand même resté CGT pendant 14 ans ».
(homme, agent de maîtrise, 45 ans, élu CE, délégué syndical, secrétaire adjoint du syndicat,
secteur de la chimie)

Bien sûr la capacité à gérer les conflits et à gérer ses émotions (Beaujollin, 2010) reste
nécessaire dans l’exercice de tous les mandats, mais elle n’est pas suffisante et surtout elle est
essentielle en période de grèves, répertoire d’action que la CFDT ne privilégie pas ou alors de
manière plutôt « contradictoire » (Giraud, 2006), entre volonté de s’inscrire à l’égal des autres
syndicats dans un rapport de force et de préserver dans le même temps une crédibilité dans
l’espace de la négociation.

« La lutte de 2007, après la fusion, il y a eu un gros coup de restructurations avec 12000 emplois
en moins dans le monde et avec 1500 emplois en France. Là, il y a eu un mouvement de
rébellion assez fort dans la boite qui a duré de février à mai. Mouvement qu'on soutenait, on
était leader. On est majoritaire chez nous donc sans nous il ne se passe pas grand-chose. On a
fait vraiment un travail intersyndical. Après ça a « clashé » avec la CGC. Mais on a travaillé en
commun avec les syndicats, mais dans l’intersyndicale c’est nous qui faisions le boulot, les
tracts, convoquer les réunions …. Ca c'était un moment important dans les 5 dernières année.
Depuis, on est en plan social permanent. 2007 a été particulièrement agité, en pleine campagne
électorale donc on a eu le droit à Sarkozi et Royal. On a rencontré les candidats qui avaient une
chance d’arriver au bout. C’est des épisodes assez marquants. C’est marquant de se retrouver à
l’Elysée en intersyndicale ou avec Raymond Soubie. J’étais le point d’entrée de l'intersyndicale
pour tout les médias, c'est aussi toute la pression que ça provoque. Je suis un mec plutôt
anxieux, j'ai plutôt appris à gérer ça : la pression, la panique, l'urgence, les priorités, les trucs
graves, pas graves » (homme, technicien, 52 ans, délégué syndical central, secteur de la
métallurgie)

23
Les mandats de délégués syndicaux (local et central) comme les mandats de secrétaires de
comité d’entreprise, comité européen ou groupe, sont souvent décrits comme nécessitant des
compétences techniques, notamment juridiques et économiques, pointues. Si certains militants
font le choix de se faire aider par des experts externes qu’ils mobilisent par le biais des
comités d’entreprises, l’inspection du travail ou encore les structures syndicales, d’autres
ressentent le besoin d’acquérir eux-mêmes les compétences nécessaires.
« Il y a eu la vente de la société en 2006. Il voulait la liquider en plusieurs partitions. On a
contre-attaqué. On a bloqué tout le système pendant deux ans. On a lancé une étude par un
expert comptable, on a mis un droit d’alerte, on a fait le nécessaire. On a réussi à faire capoter
une première fois la vente de la société, fin 2006. Début 2007, ils ont remis en vente la société.
On a été vendu, racheté par un groupe financier parisien. Ils ont créé une holding, les
actionnaires sont des salariés de l’entreprise, des cadres, ils sont 10 à être autour de 20% du
capital de la holding. C’était une bataille juridique, on n’a pas été jusqu'au tribunal, on a pris
des avocats, ils nous ont épaulé au fur et à mesure des démarches. Il y avait des réunions
officielles, des informations / consultations. Pour moi mentalement ça a été assez compliqué, du
haut de ma jeunesse, et puis derrière, des connaissances syndicale je n'étais pas non plus. Mais
tout s’est bien passé. Quand j'ai pris mon mandat en 2004, j’avais 27-28 ans, ça fait jeune pour
une structure aussi grosse. Depuis on a enclenché plein de négociation, on vient de finir la
GPEC, on va attaquer les négociations sur le tabac et l’alcool, sur le harcèlement, sur le stress.
On travaille pour le mieux, on se renseigne un peu partout, que ce soit au niveau des institutions
de la CFDT, des ergonomes, les médecins du travail, on pioche un peu l'info où il y en a. Je suis
du style à chercher quand il faut, je n'aime pas arriver à un endroit sans connaître le dossier, je
n'aime pas aller à l'improviste. Au début c’était assez compliqué » (homme, ouvrier, 32 ans,
délégué syndical, secrétaire de syndicat, secteur du bâtiment).

La CFDT, peut-être plus que d’autres organisations, est visiblement très touchée par la
technicisation de l’activité syndicale, même si elle tente d’y résister en re-valorisant la
fonction de représentation des salariés15. Plus que la tendance à la tendance à la juridicisation
des relations de travail (Pélisse, 2011), c’est à la fois l’intense activité contractuelle de
certaines entreprises (négociations nombreuses et sur des champs très divers), la multitude des
instances de consultation et d’information dans lesquelles les élus doivent siéger, le cumul des
mandats et la valorisation de la négociation d’entreprise comme répertoire d’action privilégié
par la CFDT qui contribuent à l’affirmation d’une légitimité militante plus experte, souvent
assez individualisée.
« Après il y a la dimension de négocier avec le patron et en relation avec l'équipe : leur
demander ce qu'ils nous donnent comme mandat, ne pas s'enfermer dans un mandat
contraignant, pouvoir se laisser des marges de manœuvre parce que des fois quand on est en
négociation, on sent que ça va basculer dans un sens ou dans un autre, donc il faut pouvoir se
laisser une marge de manœuvre. Mais avoir un mandat et ne pas oublier le mandat qu'on a et
rendre compte de son mandat à l’ensemble de l’équipe. On essaie, quand on le juge, on essaie
de demander un avis à nos adhérents, ce qui fait participer les adhérents. On prend quelques

15
Article 3.2.10 du texte de congrès confédéral de 2010 :
Face à la complexité croissante des problèmes à traiter, les ressources et connaissances nécessaires imposent
également de faire appel à des compétences externes à l’organisation. Dans ce but, la Confédération organise et
pilote stratégiquement un réseau d’experts avec un triple objectif.
• L’accès à des experts externes doit permettre d’aider les collectifs d’entreprise à mieux s’approprier les
questions en débat et à en faire part aux salariés.
• Les experts ne se substituent pas aux responsables syndicaux dans leurs missions. Ils sont un appui
indispensable au service de l’action syndicale.
• En ayant accès à des experts externes, les collectifs d’entreprise peuvent concentrer leur activité sur leur
fonction syndicale auprès des salariés sans avoir à devenir experts eux-mêmes.

24
précautions : on précise que le conseil syndical est souverain mais ne décidera qu’avec l’avis
des adhérents et expliquera sa décision » (femme, chargée de clientèle, 51 ans, élue CE, CCE et
comité de groupe, membre de la commission de branche, conseillère fédérale et prud’hommale,
administratrice MSA, secteur de l’agro-alimentaire)
Pour autant, cette « professionnalisation » semble assez hétérogène et les militants
reconnaissent eux-mêmes « faire plusieurs métiers » en fonction de leurs différents mandats.
S’il est finalement assez difficile de décrire les contours et les frontières de cette
professionnalité, comme pour d’autres fonctions de consultants par exemple (Cristofalo,
2011), cette identité de métier (Osty, 2003) repose avant tout sur la construction d’un rôle
social au carrefour de différentes intéractions, avec l’employeur, les salariés, les autres autres
organisations syndicales, les structures syndicale, les experts… (Guillaume, Mouret, 2004).
Cette professionnalisation des militants est à la fois indéniable et problématique, car les
militants peuvent à la fois être considérés (et se considérer) comme des professionnels du
syndicalisme (car dédiés à temps plein au syndicalisme) et ne pas pouvoir maîtriser
l’ensemble des dossiers. Cette professionnalisation est aussi vécue comme contrainte par
certains militants qui évoquent le cercle vicieux qu’elle induit. Plus les militants deviennent
« professionnels », plus la tâche apparaît trop ardue pour d’éventuels nouveaux militants, et
plus ils sont contraints de se professionnaliser davantage. En fonction de leurs trajectoires, les
militants s’approprient de manière assez différenciée les différentes composantes de l’activité
syndicale et revendiquent plus ou moins une « professionnalité syndicale ». Comme l’ont
montré d’autres enquêtes (Guillaume, 2006 ; Rimbert, Crespo, 2005), plus les militants sont
diplômés, plus ils ont des dispositions à aborder l’exercice syndical par son versant
intellectuel et « scolaire ».
« On est sur des sphères qui peuvent dépasser le cadre national. Même si on parle de
professionnalisation, je dirais que c'est de la professionnalisation à partir du moment où la
personne est à plein temps mais le côté professionnel en termes de compétence de métier, on ne
peut jamais l'avoir par rapport aux dossiers qui sont traités. C'est toujours difficile comme poste
à occuper. C'est de dire que c'est quelqu'un, qui, à travers cette discussion, doit être sur tous les
postes de l'entreprise. On doit pouvoir parler de marketing, de communication, de droit,
juridiques, techniques… Par définition, il ne peut pas être professionnel sur tous les sujets »
(homme, ingénieur, 39 ans, délégué syndical central, délégué syndical, élu CE et comité
européen, secteur de la métallurgie)

Un rôle de manager « transversal » ?


Les mandats de délégué syndical, secrétaire de section et surtout de secrétaire de syndicat sont
aussi évoqués du point de vue des compétences managériales à acquérir. Chargés d’animer et
de coordonner le collectif d’élus et de mandatés, ces militants sont encouragés à faire vivre la
démocratie syndicale, tout en s’assurant de la conformité à la ligne de l’organisation, mais
sans véritable pouvoir formel.

« Difficile de définir ce qu'est le rôle d'un secrétaire de syndicat, il y a à la fois un rôle attendu
par l’organisation et aussi un rôle que l'on construit à partir de la représentation que l'on a de
cette responsabilité. L'expérience professionnelle que j'ai eu avant et en même temps qu'une
partie de mon militantisme a certainement influencé la manière dont j'envisage les choses. J'ai
vu la nécessité de produire un travail qui soit organisé avec les domaines de compétences des
uns et des autres, la nécessité de mutualiser. La difficulté c'est quand on est syndicaliste à plein
temps, on a une obligation d’avoir une approche la plus professionnelle possible. On continue
d'être payer par son employeur, donc pour moi c'est comme si on continuait son travail, à la fois
en quantité de travail et en qualité, on se doit d'être efficace et performant, et en même temps la
relation qu'on a avec les autres membres du syndicat n'est pas la même que dans un cadre
professionnel. L’organisation du travail ne repose pas sur l’obéissance hiérarchique. A un

25
moment donné on a été élu, on peut aussi ne plus l’être si on ne montre plus la confiance et le
soutien des membres de son équipe, des sections syndicales qui votent au congrès. Je pense que
ça influence pas mal les choses dans les représentations qu'on peut se faire d’un rôle de
secrétaire de syndicat. Je suis secrétaire depuis un peu plus de deux ans. Au début, j'avais un
certain nombre d'idée sur l’organisation du syndicat, sur la manière dont les choses devraient se
mettre en place, mais je pense que je suis allé trop vite en besogne et je ne me suis pas assez
préoccupé du niveau d'adhésion des autres membres de l'équipe par rapport à ça. Une des
particularités d’Interco, c’est qu’on est constitué en syndicats départementaux. Il y a des
objectifs du syndicat, qui sont presque toujours définis collectivement, mais en même temps il y
a une autre légitimité qui est celle des sections. Pour beaucoup d'animateur de section, de gens
qui sont en responsabilité dans leur section, ce qui va lui paraître le plus important c'est la
relation de proximité qu'ils ont dans leur section syndicale et pas forcément des objectifs plus
globaux du syndicat départemental. On le sent bien chez beaucoup de responsables de section :
il y a cette préoccupation et cette volonté de privilégier la CFDT sur leur lieu de travail, auprès
de l’employeur, auprès des salariés sans pour autant se soucier de ce que doit être une stratégie
plus globale. Moi je souhaitais une participation régulière aux réunions, à des manifs, à des
journées de formation syndicale… Je souhaite davantage créer une identité du syndicat
départemental, qui ne soit pas une simple juxtaposition de sections » (homme, cadre, 56 ans, élu
CTP/CAP, secrétaire de syndicat, secteur des collectivités territoriales)

Ce sont également ces militants qui sont censés porter la politique de syndicalisation de la
CFDT et contribuer au développement des adhésions. Selon leurs ressources, mais aussi leur
conception de l’activité militante, ils vont investir plus ou moins un des aspects de leur
fonction, certains se retranchant dans des activités de gestion des fichiers ou de remontée
d’information vers les structures fédérales (ou de représentation institutionnelle), d’autres se
tournant davantage vers le terrain et les actions de syndicalisation. Nombre de militants ont
d’ailleurs été repérés par l’organisation au titre de ces compétences de développement, et
continuent de valoriser cette logique de proximité, quitte à ne pas investir les instances
délibératives de l’organisation (bureau fédéral, congrès…).
« On en fait des campagnes de syndicalisation en permanence, c'est notre travail. On se construit
une crédibilité sur la pertinence de nos analyses, notre travail. On relaie difficilement les
positions de notre fédération parce qu’il ne s’occupe pas beaucoup de l’Etat. On est obligé de
fabriquer nous-mêmes nos revendications. On revient à mon idée de départ : déjà quand je vais
en conseil fédéral, mes collègues fédéraux sont secrétaires de syndicats. Quand je leur demande
sur quelles réformes ils sont : en fait eux ils gèrent les sections, et la fédé gère les syndicats, et
ça éloigne beaucoup du terrain. Quand je discute avec eux, j'ai souvent des difficultés, ils ont
l'air de trouver que je m'occupe de choses très terre à terre, mais c’est l’intérêt de mon boulot, je
ne me vois pas gérer des sections ou des choses comme ça. C'est le coté humain, qui
m'intéresse. C'est ce qu’on met en avant ici, c’est des femmes et des hommes. On essaie de faire
de l'humanisme, c’est notre créneau… » (homme, 54 ans, fonctionnaire catégorie C, secrétaire
de syndicat, secteur des collectivités territoriales).
Ces mandats marquent un « pallier » dans la carrière syndicale. Le travail syndical est plus
individualisé et nécessite davantage de compétences formelles d’écriture, de communication,
de gestion, que les militants les moins qualifiés ne possèdent pas toujours.
« Donc, je me suis retrouvé qu'on me propose ce poste alors que je ne m'y attendais pas. Moi je
ne pensais pas pouvoir tenir ce poste : il faut travailler sur la communication, beaucoup écrire,
faire des choses comme ça. Je n'aime pas écrire, pas lire, je suis très mauvais en français,
l'orthographe et moi ça fait deux, la grammaire et la conjugaison, c’est pire. Je ne me sentais pas
capable… Sur le plan technique, pour moi ça me paraissait tellement impossible que je
n'imaginais pas prendre ce poste. On m'a fait croire que c'était un travail d'équipe, que je ne
serai pas tout seul, qu’il y aurait des gens pour m'aider. J'ai accepté, avec certaines conditions,
mais même quand on met des conditions, le système s’il a envie de vous aspirer, il vous aspire :

26
on met un pied dedans, et au total on plonge. Même si au début on ne voulait pas, ça se fait. »
(homme, chauffeur de poids lourds, 51 ans, secrétaire de syndicat, secteur des collectivités
territoriales)

Les relations avec les autres structures syndicales ne sont pas toujours simples, certains
militants se retrouvant malgré eux pris dans des conflits politiques qui parfois les dépassent.
Les supports collectifs d’apprentissage sont rares et les militants s’épuisent parfois à
comprendre et faire fonctionner les structures qu’ils dirigent ou auxquelles ils participent,
sans aide. L’apprentissage des mandats peut alors sembler long et décourager les militants les
moins tenus par leurs engagements.

« J'ai pris un mandat en 2005, il y a eu le congrès de la fédé, au Mans, et à l'époque. Au


syndicat, on avait deux représentants au conseil fédéral, un au titre des 8 plus gros syndicats de
la fédération. Et à l'époque, un des deux voulait arrêter, donc je l’ai remplacé, j’ai été candidat,
j’ai été élu. J'ai intégré le conseil fédéral en 2005 et ça m'a montré un fonctionnement de la
CFDT dont on ne se rend pas compte tant qu’on n’est pas dans l’appareil. Il y avait un problème
de relations entre la fédération et les syndicats de la région On avait eu un secrétaire général de
fédération emblématique, qui avait eu historiquement des conflits avec des gens d’ici. Et j'étais
un peu naïf au départ. Quand ils m'ont dit « ce serait bien que tu sois candidat, que tu ailles au
conseil fédéral ». C’est les gens du syndicat qui me disait ça et ils étaient en conflit avec la fédé.
Et je ne me suis pas méfié, parce qu’en fait, pas mon intermédiaire, ils ont essayé de régler un
certain nombre de comptes. Et ici quand je suis arrivé et que j’ai été élu, j’ai été très bien élu. Et
en fait, les deux premières années ont été très difficiles, parce que j'étais entre le marteau et
l’enclume. Je me faisais violence d’aller en conseil fédéral, mais je ne regrette pas, j’y ai fait
mon trou. On m'a collé une étiquette, le contestataire d’office, celui qui dit non à tout, qui était
complètement fausse. La preuve, c’est qu’en 4 ans, ils s’en sont rendu compte, et ils ont bien
évolué par rapport à ça. Aujourd’hui j'ai un contrat de développement, financé par la fédération
et la confédération. C’est vrai qu’il y a eu une évolution parce que j'ai su leur démontrer aussi
que je n'étais pas un opposant » (homme, technicien, 43 ans, délégué syndical, élu CE, élu
comité de branche, secrétaire général de syndicat, élu commission exécutive de l’union
régionale construction bois, élu au bureau fédéral, secteur du bâtiment)

Par ailleurs, ces mandats ouvrent aussi « d’office » ou presque (et parfois sans avoir été
vraiment consulté avant d’y être nommé) la possibilité de siéger dans les instances fédérales,
considérées comme des espaces politiques où se débattent les analyses et positions de
l’organisation, selon des modalités assez codées et très ritualisées. Or cet impératif délibératif
est souvent vécu comme très impressionnant, de même que la dimension « politique » des
sujets qui sont abordés, notamment pour les moins qualifiés et ceux qui n’ont pas eu
l’occasion de participer, à l’échelon local (UD, UL, syndicat), à des espaces de débats
organisés. Selon les régions, l’ancienneté et l’intensité de la vie syndicale locale, ces espaces
de débats peuvent être quasi-inexistants (même s’il existent formellement), investis de
manière plutôt technique ou conviviale, ou au contraire être de « vrais » lieu de d’échanges
visant à débattre des textes de congrès. L’hétérogénéité des interventions des syndicats dans
les congrès confédéraux souligne bien les diverses formes que peut prendre la démocratie
syndicale, selon les endroits et les secteurs.

« Je suis arrivé au premier conseil fédéral, heureusement il y avait 50 % de renouvellement donc


je n'étais pas le seul nouveau. Comme je raconte souvent aux copains de la maison, c'est
toujours très impressionnant car c'est un conseil fédéral d'une trentaine de personnes plus les
chargés de mission et les secrétaires fédéraux qui sont invités. Autour de la table, ce sont des
gens qui ont de la bouteille, ils sont beaucoup plus anciens que moi, ils ont l'habitude de prendre
la parole avec une analyse politique. Ils ont l'habitude de parler. Le premier conseil fédéral cela
m'a toujours impressionné. Je suis encore impressionné aujourd'hui. Je prends soin de prendre la

27
parole sur des sujets où je me sens à l'aise. C'est une tactique de ne pas prendre la parole
n'importe comment. C'est sur trois jour et demi, le premier jour, je n'ai pas pris la parole tout de
suite et très vite on est venu me voir en me disant que je n'avais pas parlé. Le deuxième jour, j'ai
dû faire l'effort de parler. Je suis quand même toujours impressionné par cela. Un peu moins
maintenant. J'ai senti du doigt la dimension fédérale de l'organisation syndicale CFDT, ce n'est
pas rien. Cela m'a rassuré en tant qu'adhérent car je me disais qu'en face de moi, j'avais un
appareil qui tenait la route. Les secrétaires nationaux ne sont pas des zozos… Je ne les
connaissais pas. J'ai découvert sa dimension fédérale où j'ai encore énormément de choses à
apprendre car on y parle de plein de secteurs professionnels de la territoriale, de la justice en
passant par l'État. C'est très vaste » (homme, 49 ans, agent administratif, secrétaire de syndicat,
secteur des collectivités territoriales)

« Le secrétaire de syndicat a eu des soucis de santé, il était élu au CDF comme la plupart des
secrétaires de syndicat et il ne pouvait plus assister aux réunions. Le syndicat n'était plus
représenté au niveau du CDF. Il m'a demandé de passer au CDF. C'est autre chose ! C'est le
comité directeur fédéral ! C'est politique, je n'y arriverais jamais ! Il m'a dit de ne pas
m'inquiéter, que j'étais aussi capable qu’eux et que j’étais à la hauteur. Mais avec qui j'allais me
retrouver ? Des cadres, des gens que je ne connais pas… Cela me faisait peur. Comme
d'habitude, j'ai réfléchi et j'ai mis six mois pour dire oui. J'ai fini par dire oui ». (homme, agent
de maîtrise, 45 ans, élu CE, délégué syndical, secrétaire adjoint du syndicat, secteur de la
chimie)

Parmi les interviewés, pour la plupart militants d’entreprise, le constat d’une


professionnalisation localisée, fortement ancrée dans les réalités de l’entreprise prédomine,
comme dans d’autres enquêtes menées précédemment (Guillaume, Mouret, 2004). Les liens
entre les militants de terrain et les structures intermédiaires de l’organisation syndicale sont
parfois difficiles ou distendus. La professionnalisation des militants se construit souvent dans
un fonctionnement en vase clos, dans l’entre soi de la section (et parfois de l’intersyndicale) et
dans une distance forte avec les structures CFDT. Comme nous l’avons souligné dans d’autres
travaux, cet ancrage de terrain adossé à une dynamique progressive de professionnalisation
peut conduire à un effet de clôture du travail militant dans l’entreprise, n’encourageant ni la
sortie des militants vers des responsabilités syndicales dans les structures ni le renouvellement
des équipes en place (Sawicki, 2003).

Un usage variable de la formation syndicale


Les modalités d’acquisitions des compétences nécessaires à l’activité syndicale sont
essentiellement liées à des dispositifs informels de compagnonnage et de formation. Certains
mandats, comme élu CE ou CHSCT, font l’objet de formations spécialisées, mais les usages
de la formation syndicale pour les autres types de mandat sont très variables d’une fédération
à l’autre, et d’une période à l’autre (Guillaume, 2011), ce que confirment d’ailleurs les études
sur des militants plus récents soulignant un recours plus fort à la formation syndicale
(Barthélemy et al., 2008), tout du moins pour les formations de premier niveau.

Certains militants n’ont ainsi suivi que très peu de formations, ou alors tardivement, parfois
car on ne leur a pas proposé, mais aussi car ils ne l’ont pas demandé ou car ils n’ont jamais
réussi à prendre le temps d’en suivre.

28
« J'ai suivi des formations au niveau du CHS sur le bruit. Sur le CE, la formation à la
comptabilité qu’on a eu, c’était au fur et à mesure, avec le cabinet expert comptable qui venait
dans l’entreprise, mais je n’ai pas fait de formation élu CE. Ca s'est fait petit à petit. Une fois
qu'on avait le document de l'expert comptable, des explications derrière, moi je passais du temps
à examiner pour comprendre et recroiser. Puis quand je ne comprenais pas, je posais des
questions, je passais du temps. J'ai toujours été curieux, puis je n'hésite pas à téléphoner. A cette
époque-là, je ne sortais pas beaucoup de l'entreprise, je n'en éprouvais pas le besoin. A l'époque
notre DS était déjà détaché à mi temps, moi j’étais la personne que les salariés voyaient le plus.
Si en ayant une cinquantaine d'heures, vous êtes déjà parti à l’extérieur, en formation, en
réunion, là le risque était important de cassure. C'était l'analyse que j'ai faite. Donc je suis resté
dans l’entreprise et j'ai continué de me former sur le tas et avec les bouquins » (homme,
technicien, 51 ans, délégué syndical, secrétaire de CE, secteur de l’agro-alimentaire).

« J'ai fait une formation d'une semaine en tant que membre du C.E. Sinon, pas énorme. Si vous
voulez, à partir du moment où vous avez des personnes qui vous accompagnent et qui vous
donnent les clés, la formation est là quand vous êtes isolé et que vous n'avez pas d'éléments. Les
formations formelles, je les ai eu de manière informelle, à partir du moment où vous avez des
militants qui tiennent la route et qui ont une bonne consistance, vous vous appuyez dessus et
c'est comme une formation au fil de l'eau. Je considère que je suis très redevable à certaines
personnes pour m'avoir formé à ce niveau-là. J'ai eu une formation entre guillemets lourde,
accompagnée et informelle » (homme, ingénieur, 39 ans, délégué syndical central, délégué
syndical, élu CE et comité européen, secteur de la métallurgie)

A l’inverse d’autres militants, notamment dans le secteur du privé et plus jeunes, ont suivi de
très nombreuses formations, au fil de leur montée en responsabilité, à l’image de José, qui a
bénéficié de la nouvelle offre de formation mise sur pied par sa fédération.

29
Fils d’ouvrier, Paul termine son bac pro maintenance véhicule en alternance dans l’usine
automobile ou travaille son père. En 1996, il est embauché en CDI dans le service cablerie qui
ferme au bout de 3 ans. Il est ensuite muté dans un autre service, maintenance des services
techniques généraux, qui est externalisé, puis passe dans le service outillage central. Ces
mutations répétées ne lui permettent pas d’évoluer. A chaque fois il faut qu’il refasse ses
preuves. « Toutes les excuses sont bonnes pour ne pas donner. J’ai même des hiérarchique
qui m’ont répondu : « je préfère donner à une femme mariée qui a des enfants, plutôt qu'a toi
qui est célibataire et qui vit chez tes parents ». Il met du temps à se tourner vers les syndicats
qu’ils trouvent « trop contestataires ». Son père n’est pas syndiqué. A vingt ans, « il n’est pas
trop préoccupé par ce genre de choses ». Puis il se marie et sa femme tombe enceinte. « Je
commence à voir la vie autrement. Je me dis « attend, ça fait trois ans que je suis dans le
service, j’ai toujours rien eu parce que je suis jeune ». Il connaît les syndicats par les
panneaux d’affichage principalement. Un jour, il discute avec un collègue adhérent CFDT que
sa famille connaissait de la fermeture de son service. Dans le cadre de la réorganisation des
services, on lui propose à nouveau d’être muté. « La direction me proposait un poste inférieur
à celui que je tenais, et de quitter la maintenance pour passer en production. Je ne dénigre
pas ceux qui sont en production, mais je me suis dit « j'ai fait des études, j'ai un bagage dans
la boite, c’est pas pour retourner en arrière ».

Il adhère donc pour être défendu à la CFDT qui selon lui est « le syndicat qui cherchait le
meilleur rapport intérêt salarié / intérêt patron. Mais ce n’était pas compromis dans le sens
« on est des vendus ». Comparé à la CGT qui était toujours dans la contestation, en disant
« c'est des voyous, c’est des voleurs », ça fait belle lurette qu’ils sont dans le même refrain ».
Très vite la section lui propose d’être élu CHSCT. Il accepte car son collègue le rassure en lui
disant « tu verras, tu auras une évolution de carrière ». « En 2002, on avait déjà signé un
droit syndical qui datait de 2001. On avait un droit syndical qui garantissait une évolution
des militants dans la moyenne de la catégorie dont il fait partie. Je parle d’évolution
salariale ; au niveau discrimination, ça garantissait plusieurs choses ». On lui promet qu’il
sera suivi et obtiendra des formations syndicales et les responsables de la section « vont voir
mon chef direct, le directeur d'usine puis le directeur du site pour dire « on a un nouveau
militant dans ce service-là, faut pas qu'il se fasse plomber ». « Le directeur de mon usine a
été très compréhensif, il m’a mis en confiance, je n’ai pas eu de bâton dans les roues. On n’a
pas essayé de me couillonner parce que voilà je débute et qu’en CHSCT, il faut connaître
certaines règles, les législations aussi, ils m'ont même intégré dans des groupes de travail
avec les autres syndicats pour que je sache de quoi je parle. De l'autre coté, la section a fait
pareil, j'ai eu des formations ».

Deux ans plus tard, Paul devient membre de l’interCFDT du Groupe puis délégué syndical de
son site. En 2007, à 32 ans, il est désigné délégué syndical central, après avoir suivi une
formation organisée par la fédération. Trois personnes sont envoyées en formation, pendant
trois semaines, en résidentiel. A l’issue de la formation, ils rédigent un petit mémoire et la
fédération l’appelle en lui disant : « c’est toi que l’on voit en tant que délégué syndical
central ». Il hésite un peu car il est à nouveau papa et sa femme se remet à travailler, mais fini
par accepter et devient permanent. Il attend le résultat des élections de 2012 pour savoir si la
CFDT restera représentative sinon il est prêt à retourner à l’usine d’autant que l’entreprise l’a
promu technicien.

30
Les différences de moyens entre secteurs professionnels permettent de comprendre ces
disparités d’accès à la formation, même si certaines régions dotées d’Instituts de formation,
comme la région Ile-de-France où se sont déroulés la plupart des entretiens, tentent de
compenser le déficit de formation, notamment à destination des responsables intermédiaires
(secrétaires de syndicat, par exemple).

« La CFDT ne propose pas grand-chose. Au niveau fédéral rien. On a trouvé plus des formations
sur la région île de France avec l’IREFE, j'ai commencé une formation de management, de
responsable : ça me paraissait intéressant avec les responsabilités que j’allais avoir. Il n’y avait
pas grand-chose. Il n’y avait que l'IREFE qui proposait ce genre de formation. Après j’ai pris
d’autres formations. J'ai fait une première formation d'animateur de formation, on m’a jeté
dedans, sans m’en expliquer l’intérêt. Je peux être animateur de formation, mais je n'ai pas vu
l’intérêt de cette formation, car derrière avec la responsabilité du département, pour animer une
formation il faut du temps et faut pouvoir en donner. Moi je ne pouvais plus. La formation était
intéressante, mais pas adapté à mes besoins. Après j'ai travaillé avec les formation régionales, et
plutôt sur les universités d'été. On travaillait sur des thèmes » (homme, chauffeur de poids lourds,
51 ans, secrétaire de syndicat, secteur des collectivités territoriales)

Cela dit, même pour les militants issus des fédérations qui organisent de nombreux stages, le
recours à la formation syndicale est rarement mentionné spontanément par les militants quand
ils évoquent la façon dont ils ont construit leur parcours syndical. La formation est souvent
vue comme complémentaire par rapport à l’autoformation. Sans doute pour compenser leur
faible bagage scolaire de départ, de nombreux militants ont développé de grandes capacités
d’autodidaxie.

« Je me forme moi-même. Puis au début en tant qu’administrateur, on suit le chef, je ne me suis


pas trop impliqué au départ. Christian faisait tout, il connaissait tout, quand on faisait les
préparatoires, il nous expliquait les tenants et les aboutissants, ce qu’il fallait en penser, donc je
me suis laissé entraînée, mais je ne me suis pas investie vraiment. Je me suis intéressée, mais
pas impliquée. On est en 2003 quand je deviens administrateur. Donc je suis présente aux
réunions, je lis, j'écoute ce qui se dit, mais je ne vais pas plus fort, ce n’étais pas mon livre de
chevet à la maison. Je ne fais pas plus que ce qu’il faut. Et puis, on lit, on cherche sur internet,
on se pose des questions, on se remet en cause sur certains points, on demande aux copains, on
est en groupe, on a eu un peu de formations aussi » (femme, technicienne, 50 ans, déléguée
syndicale centrale, présidente de la CAF, secteur de la chimie).

« Et ces premiers mandats, comment on apprend ?


Bonne question, je ne sais pas comment j’ai appris vraiment. Première réunion, j'ai eu l'air d'un
con. Vous êtes là avec le directeur, ou alors quand vous arrivez en CCE, vous avez le DG qui
est là. Quand vous êtes salarié, le PDG vous le regardez de haut, puis après au fur et à mesure
des années, c'est quelqu’un comme vous. Donc comment j’ai appris ? Au début j'ai beaucoup
écouté, ensuite, chaque fois qu'il y avait une réunion, je faisais un compte-rendu, une note
d’info, je descendais dans les ateliers et je rapportais ça aux gars. Je n’étais jamais tout seul,
y’avais pas que moi. Puis après les gars posent des questions : « tu ne pourrais pas te renseigner
là-dessus ? Je n’ai pas eu ceci ? ». C'est du cas par cas et au jour le jour. Puis après, de temps en
temps, je ne dis pas que c’est mon bouquin de chevet, le code du travail, mais s'il fallait l'ouvrir,
je savais rechercher quelque chose, mais ce n’était pas un bouquin que j’aurais lu du matin au
soir, sinon je serais encore en train de le lire. La convention collective, oui, il y a des trucs
intéressants à l’intérieur pour renseigner les salariés » (homme, électricien, 41 ans, formateur
fédéral, secteur du bâtiment)

31
Comme la plupart des autodidactes, ils ont été aidés par leur mémoire et leur envie de
compenser un faible accès aux études, rarement lié à des situations d’échec scolaire, mais
plutôt à une incapacité matérielle à poursuivre des études (origine sociale modeste, perte d’un
parent dans l’enfance…).

« Tout ce qui était économique au CE, c'était très intéressant, je me suis rapproché et j'ai trouvé
ça très intéressant. Cela m'a permis de voir que le comité d'établissement. C'était économique
avant tout, même si c'est par la CGT que je l'ai appris. J'ai trouvé ça lourd, mais tellement
intéressant que je me suis accroché pour comprendre le système. Je pense que je l'ai compris
maintenant. Plus les discussions lors des formations avec les autres, car le bouquin, j'ai eu du
mal avec la lecture. J'ai beaucoup de mal. Ce n'est pas mon truc. C'est peut-être le fait de ne pas
avoir été beaucoup à l'école. J'ai beaucoup de mal à lire. Il fallait vraiment que ce soit un sujet
qui m’intéresse. C'est plus la formation que la lecture. C'est vrai que j'ai une bonne mémoire, je
retiens tout ce que j'entends. Cela m'aide beaucoup. Heureusement que j'ai de la mémoire »
(homme, agent de maîtrise, 45 ans, élu CE, délégué syndical, secrétaire adjoint du syndicat,
secteur de la chimie)

Selon certains responsables et formateurs, c’est aussi parce que les militants sont autodidactes
que les militants entretiennent une distance par rapport à la formation formalisée.

« Il n’y a aucun plan de formation des militants ici, mais parce qu’encore une fois, les militants
sont des gens qui sont issus de l'échec scolaire, il y a un rapport à l'éducation à la formation qui
est très distant, les gens, la plupart du temps ce sont des autodidactes. Mon ancien secrétaire
général était un maçon, c’est un mec brillantissime, mais dès qu'il parle de formation, il dit « je
n'y crois pas », il croit à l'autoformation. Il s’est formé tout seul, donc il pense que la formation
ne vient que comme ça et c’est vrai que la plupart des militants se construisent comme ça »
(homme, technicien, 55 ans, formateur fédéral, secteur du bâtiment)

Les femmes interviewées semblent en revanche investir fortement la sphère de la formation.


Cette appétence peut s’expliquer soit par leur niveau de diplôme plus élevé, soit par leur
manque de confiance en elle ou encore leur volonté de s’outiller pour se faire accepter dans
un monde d’hommes… Notre échantillon de femmes étant réduit, il nous est difficile de
trancher, mais ce recours à la formation avait déjà été constaté dans une enquête antérieure sur
l’engagement syndical des femmes, (Guillaume, 2005, 2007).

« On se forme. Autant, certains rechignent à se former, moi, j'ai fait toutes les formations
syndicales que j'ai pu faire. Même dans mon boulot, j'ai toujours fait toutes les formations. J'ai
fait toutes les formations DP, C.E. même si ce sont des formations de deux à trois jours, cela
donne les bases. Après, si on n'est pas plus bête que la moyenne, on s'en sort. On téléphone
quand il y a un problème. Je posais mes heures de délégation. Ce qui me plaisait beaucoup, c'est
quand il y avait des réunions régionales, qu'un confédéral descendait et nous expliquait les
retraites etc... À chaque fois je venais, et si je n'avais pas assez d'heures, je le faisais sur mon
temps personnel. Cela me plaisait vraiment. Je n'ai jamais rechigné. Par curiosité, cela me
plaisait. Les réunions où j'allais ne me touchaient pas forcément, cela ne m’aidait pas forcément
au quotidien dans mon rôle de délégué syndical, mais c'était pour la curiosité générale, cela me
plaisait. Et cela continue d'ailleurs. Je doute tout le temps de moi. J'ai toujours peur de ne pas
être à la hauteur et c'est pour ça que je bosse, que je me forme. J'essaie d'être correcte » (femme,
vendeuse, 45 ans, secrétaire générale de l’union régionale Mine-Métaux, secteur de la
métallurgie)

32
Le collectif militant, matrice des apprentissages
L’essentiel des apprentissages se déroule aussi et surtout dans le fil des interactions avec les
militants plus expérimentés, les experts (avocats, consultants…), les structures syndicales,
mais aussi les directions d’entreprise et les autres organisations syndicales présentes dans
l’entreprise. Le collectif militant CFDT reste le premier lieu de formation et
d’accompagnement, mais le compagnonnage peut aussi s’effectuer avec des militants d’autres
organisations, mais qui sont des collègues de travail élus dans les instances.

« Non, on a pas fait la grève, on a fait des AG, y'a eu des CTP, on a envahi le CTP, plein de
tracts, des communiqués de presse. Voilà. Et en collaboration avec ma collègue de la CGT qui
était la délégué syndicale : je l'adore. Elle qui m'a appris ce qui me manque : le coté agressif
dans la manière de tourner les choses sur le plan technique, le coté revendicatif, elle m'a appris
beaucoup sur la technique revendicative. Moi je lui ai appris comment être meilleur en terme de
négociation parce qu'elle est un peu trop rentre dedans. Oui, c'est elle qui m'a tout appris »
(femme, cadre, 40 ans, secrétaire générale de syndicat, secteur des collectivités territoriales)

Parfois le fonctionnement régulier en intersyndicale permet de dépasser les clivages


idéologiques entre organisations pour « monter » en compétence collectivement sur certains
dossiers nouveaux ou qui nécessitent des convictions partagées, comme les questions
d’inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes.

« Et donc vous vous acceptez de prendre ce mandat de délégué syndical ?


Oui, mais sans rien connaître, car j'étais en soutien et pas du tout pour être le leader. Je n'y
connaissais rien en droit du travail, en syndicat. A ma grande surprise, ça a plutôt bien
fonctionné. Premier achat c'est le Dalloz. Parce qu’on se dit qu’on ne fait pas le poids, il faut
connaître ses forces et ses faiblesses et puis si on veut monter au créneau et être crédible, il faut
quand même étayer son argumentation. Donc mon premier achat, ça a été ça : le code du travail.
J'ai commencé à lire ça, à décrypter. Le syndicat qui nous avait reçu, j'étais en contact étroit
avec eux. J'ai eu le droit à des formations : DP, CE, et puis ensuite j'ai été mis en relation avec
notre syndicat d’appartenance, qu’on ne connaissait pas du tout, qui était spécifique à notre
secteur d’activité. Donc là j’ai été mis en relation avec des gens qui nous ont appuyés. Et c'est à
partir de là qu'on se sent plus en confiance parce qu'on se rend compte qu’il y a des gens qui
tiennent la route, qui sont de bons conseils. Et surtout, et c’est un point important pour moi,
quand vous appelez quelqu’un, même s’il ne répond pas, il vous rappelle, ça c’est très
important. Je ne vous dit pas le nombre de coups de fil que j'ai passé. J'ai continué à avoir des
contacts avec UD Val D’Oise. Je passais les voir, y compris quand j’avais des tracts ou autres :
les premiers tracts, on ne se lance pas comme ça, il faut les faire valider. Voilà, ça a été mon
début de parcours » (homme, agent de maîtrise, 52 ans, chef de fil CPAM 95, DSC, DP, grosse
entreprise du secteur de la protection sociale).

L’accumulation d’expériences diverses au fil des mandats compense parfois la difficulté à


aller en formation, notamment pour les militants non permanents ou peu mobiles, comme
certaines mères de famille. L’idée d’une progressivité dans les apprentissages ou d’une
complémentarité dans les mandats explique les choix que font certains militants de quitter
certains mandats et d’en prendre d’autres.

« Donc 2005- 2010, j’ai appris pleins de choses : très intéressant, la MSA, tout ce qui est
l’action sanitaire et sociale, tout ce qui est la sécurité au travail, me retrouver à travailler avec
des agriculteurs. J’avais quelques années de plus ce qui me donnait la possibilité de prendre la
parole, affirmer des choses, une habitude plus forte dans la prise de parole et avoir une
connaissance des positions de la CFDT, ça a vraiment été très intéressant… J'ai fait les
formations interne à la MSA. Du coup, je suis moins motivée quand on me propose des
formations, je n’y vais pas forcément. Je suis au conseil fédéral : ça va faire deux ans. Les

33
élections ont eu lieu au congrès de Vannes en novembre 2009. Je trouvais que ça pouvait être
intéressant, ça pouvait compléter l'ouverture que je pouvais avoir sur le syndicat. J’ai
l’impression du coup que j’ai une grande palette : j’ai l’impression que je construis une chaîne,
les choses se complètent. Moi je ne le vis pas comme des fonctions qui n'ont aucun lien les unes
avec les autres. Pour moi, ce sont des choses complémentaires. Au niveau fédéral, je découvre
tout ce qui est organisation politique, comment on organise les décisions, comment la CFDT
positionne ses déclarations sur tel et tel sujet. L’envers du décor en fait. C’est intéressant, ça
demande plus de réflexion intellectuelle que les autres activités que je fais. On réfléchit, on se
positionne, on se retrouve avec des gens qui ont des connaissances totalement différentes des
nôtres, des gens d'horizons différents. Il y des formations qui étaient proposées et c'était à des
moments où je ne pouvais pas y aller, donc je ne les ai pas faites » (femme, formatrice, 46 ans,
DS DP, secrétaire adjointe du syndicat, mandaté à la MSA, secteur de l’enseignement agricole).

Plus rarement, quelques militants arrivent à multiplier les scènes de formation, entre le
collectif militant, les formations spécialisées et les formations à thèmes, et les échanges de
pratiques entre équipes syndicales.

« La CFDT, ce n'est pas comme je la voyais, en tout cas dans la vie de la section. Le DS était
toujours là. Il m'a fait rencontrer le secrétaire syndical, il pensait que j'avais des capacités de
faire autre chose que le C.E. J'ai rencontré le gars. Le gars m'a dit « on ne se connaît pas, moi je
suis le secrétaire général du syndicat, explique-moi ton parcours. » Je lui ai dit que j'étais un
moniteur plus ou moins reconnu, je leur ai prouvé que je pouvais le faire. J'ai arrêté trois ans, je
me suis défoncé pendant trois ans et plus aucune reconnaissance. J'ai envie de faire des choses
pour les gens. Il m'a dit qu'on s'était bien entendu et qu'il allait voir ce qu'il pouvait faire pour
moi. Petit à petit, il m'a demandé de rentrer au conseil et de faire un conseil des syndicats pour
être responsable de secteur de Tours (37). Je ne savais pas si j'allais y arriver. Il m'a dit qu'il
fallait que j’y aille doucement, que je faisais ça à mon rythme et que de toute façon, j'avais carte
blanche alors qu'il ne me connaissait même pas. Il me faisait vachement confiance. Plus cela
allait et plus j'avais confiance, cela commence à me plaire le système de confiance, le fait
d'avoir carte blanche… Il me disait de ne pas faire de conneries, de ne pas signer n'importe quoi
car je représentais quand même la CFDT. Ce n'était pas du tout ça à la CGT. En fin de compte,
quelque part, d'où mon évolution, cela m'a appris à me décoincer. Je ne pensais plus à la
direction, j'arrive à m'exprimer devant d'autres personnes en réunion et c'est ce qui a déclenché
je pense mon expression. C'est le fait d'avoir organisé des réunions, même si on n'était pas
beaucoup, au début, on était quatre à cinq, cela m'a permis d'animer. J'étais délégué syndical
tout de suite car le DS partait pour être DSC, ils avaient besoin d'un DS. On m'y a mis tout de
suite pratiquement. Encore une fois, ce que j'ai apprécié, c'est la confiance qu’on m'a apportée et
comme cela m'a plu, j'ai eu envie de m'investir. Je suis parti en formation et cela m'a plu, la
formation DS à Chartres. Je me suis dit que ce n'était pas si mal que ça, ils ne sont pas si bêtes
que ça, il y a des propositions, ce n'est pas de la contestation… Je ne connaissais pas la CFDT.
J'ai la formation « connaître et comprendre la CFDT ». C'était pas mal non plus. » (homme,
agent de maîtrise, 45 ans, élu CE, délégué syndical, secrétaire adjoint du syndicat, secteur de la
chimie)

A l’inverse, certains fonctionnements collectifs ne sont pas favorables au compagnonnage,


soit parce que les militants sont isolés, soit parce les militants sont en conflit à l’intérieur des
sections, soit parce que le travail militant est très cloisonné. La spécialisation accrue des
différents mandats, couplée à la restriction des collectifs militants, mais aussi parfois à
l’inexpérience des nouveaux militants (Baron et al., 2011) incitent les élus plus aguerris à
rationaliser le travail syndical, au profit d’une forte spécialisation des compétences et d’une
captation des mandats par un petit nombre de militants aguerris.

34
« On est une entreprise très jeune, 38 ans d'âge moyen. Au niveau de la section, ça va de 24 ans
à 44 ans. Je pense que les gens ont voulu intégrer la section par rapport à la dynamique qu'il y
avait. Il y a aussi une reconnaissance par rapport aux salariés de l’entreprise. Avec les
acquisitions qu'il y a eu, la négociation annuelle, les accords d’entreprise et tout ce qui s’en suit,
il y a une reconnaissance qui est là, ça nous permet à nous de pouvoir évoluer plus vite, sur
l’augmentation des adhérents, sur le respect de chacun, sur le respect des élus. C'est ça qui a fait
grandir la section. On a un principe : donner de l'autonomie aux élus. Chaque élu a une activité
spécifique : ses moyens administratifs et ses moyens financiers. Chaque élu a les moyens qui lui
faut : un ordinateur, papier, écriture. Un est sur la formation, un est sur l'économie, un qui gère
la trésorerie, un autre qui gère tout ce qui est voyages et déplacements, il y en a d'autres c'est les
commissions, d’autres c’est la rencontre avec les salariés, il y a un peu de tout. Avant c'était pas
aussi formalisé. Aujourd’hui on donne un budget à chacun et ainsi de suite. On planifie tout en
début d’année. L'avantage c'est que ça donne les moyens à la personne, donc de l'autonomie et
de l'investissement du salarié » (homme, agent de maîtrise, 32 ans, secrétaire du syndicat des
Vosges, DS, DP, CHSCT, grosse entreprise du secteur du bâtiment)

Les sections ou syndicats en forte croissance peinent souvent à accompagner les nouveaux
militants et à faire émerger des militants, et sont parfois tentés par une vision plus restrictive
de la démocratie syndicale.

« Le syndicat est composé d'un conseil syndical où sont représentées toutes les sections des
départements et 10 membres qui sont élus par le congrès. On est actuellement en train de
travailler à une réforme des statuts parce qu’on s’aperçoit que c'est assez inflationniste sur le
nombre théorique des membres du conseil syndical. A chaque fois que l'on créé une nouvelle
section, ils sont membres de droit du conseil syndical. Aujourd’hui, on a presque une trentaine
de sections donc on a 30 représentants des sections plus 10 qui sont élus par le congrès, ça fait
40 personnes. Et ceux qui sont représentants de section peuvent venir avec un suppléant. On a à
la fois assez régulièrement des problèmes de quorum et, en même temps, on a des réunions
difficiles à gérer parce que c’est au moins 25 personnes qui sont susceptibles d’intervenir donc
les temps de parole sont difficile à gérer. Je pense qu'on va aller vers ce qui est le plus souvent
le mode fonctionnement retenu par d’autres syndicats CFDT en particulier dans la fédé Interco :
avoir un nombre plus restreint de conseillers élus par le congrès et non plus désignés par les
sections. On s'est beaucoup développé ces dernières années, après ce qu’on avait traversé après
2003, mais c’est vrai que maintenant il faut qu'on soit sur un travail de structurations du
syndicat. Et la difficulté c’est qu’on continue à être sollicité par des salariés qui ont des
difficultés et on va de nouveau créer des sections syndicales, avec des équipes qui ne sont pas
toujours en capacité de faire tourner la section. C’est une préoccupation pour laquelle on peine à
trouver des solutions organisationnelles. Souvent ce sont des gens qui ont un manque
d'expérience ou un manque de potentiel militant. Une des particularisé du syndicalisme
d’aujourd’hui, c’est qu’il faut arriver à maîtriser beaucoup de choses. Nous on a plusieurs
sections syndicales où on a des responsables syndicaux qui ont une mauvaise relation à l’écrit
ou ont des difficultés à prendre la parole quand on est dans une réunion face aux Maires. Mais
on a aussi des bonnes surprises : des gens qui au fil du temps se révèlent être des bons militants.
C’est pas évident dans une section syndicale de trouver des gens prêt à s'investir, à donner du
temps, à mettre parfois un peu en danger leur carrière ou les relations qu’ils ont dans leur
service » (homme, cadre, 56 ans, élu CTP :CAP, secrétaire de syndicat, secteur des collectivités
territoriales)

Par ailleurs, les collectifs sont souvent moins solidaires dans les instances dirigeantes des
fédérations ou des régions, où la représentation s’individualise fortement, et les nouveaux élus
dépendent du bon vouloir de leurs homologues (qu’ils ne connaissent souvent pas) pour être
formés. Ils bénéficient parfois de petites formations courtes, mais l’essentiel de la formation
se déroule sur le tas, au fil de l’épreuve de la prise de parole.

35
« On n'est pas du tout pris en charge. En fin de compte, ce qui s'est passé pour moi, c'est qu'il y
ait eu deux à trois personnes qui m'ont pris sous leurs ailes. Cela m'a aidé. Ils ont vu que j'étais
un peu coincé. Ils m'ont dit de venir à côté d’eux, que j'avais besoin de m'exprimer et que je
sortirai les choses… Que j'irai de moi-même, je n'étais pas obligé de m'exprimer à chaque fois.
À chaque réunion du CDF, j'étais assis à côté d’eux, syndicat de la Bretagne d'ailleurs, et puis
Johanna aussi qui m'ont pris sous leurs ailes. On est souvent ensemble d'ailleurs maintenant. Ce
qui est bien dans le CDF, c'est qu'il n'y a pas que le CDF mais il y a les à côtés, le café le soir, le
bar à Bierville… Il y a beaucoup d'échanges, cela permet de se dire les choses et comment on
voit les choses. Ils m'ont dit que quand je parlais, ils savaient que je venais de terrain, que quand
je disais les choses, c'était honnête, que je reste comme ça, et que je ne cherche pas à faire des
mots… Je n'y arrive pas à faire des tournures de phrases » (homme, agent de maîtrise, 45 ans,
élu CE, délégué syndical, secrétaire adjoint du syndicat, secteur de la chimie)

Plus généralement, l’offre de formation à destination des responsables en structure, et


notamment des secrétaires de syndicat ou d’unions départementales s’est fortement tarie
depuis la fin des années 1990 (Guillaume, 2011) à un moment où de nombreux responsables
partaient à la retraite. Les nouveaux militants appelés à les remplacer ont eu beaucoup de mal
à se sentir légitimes dans ces mandats et, même si les données statistiques manquent, la
difficulté à fidéliser des nouveaux responsables a incité certaines fédérations ou régions à
mettre sur pied des formations longues pour ce type de mandat, indépendamment de l’offre
confédérale qui s’est resserrée sur des modules courts ou spécialisés, comme par exemple la
formation des formateurs. Cette offre de formation prend acte, sans le dire, d’un phénomène
que l’on observe dans les récits de carrière des militants : ce sont les militants dotés des
qualifications les plus élevées qui semblent avoir le plus de facilités à investir leurs mandats
syndicaux, notamment par la mobilisation de compétences acquises dans le champ
professionnel ou scolaire. Constat que nous avions déjà fait dans l’analyse des propriétés
sociales des militants en responsabilité à la CFDT (Guillaume, Pochic, 2009a) et dont
témoigne ici un agent dont la carrière professionnelle a été accompagnée d’un retour en
formation lui permettant d’obtenir une licence et un poste d’encadrant.

« Pour moi il y a une forme de continuité entre activité professionnelle et activité syndicale :
écoute, capacité à animer des réunions, c'est des choses que j'ai acquises dans un cadre
professionnel, même s’il y avait aussi une interaction avec l’expérience syndicale de l’époque,
et que les choses que j’apprenais dans le cadre de la formation syndicale pouvait aussi me servir
dans un cadre professionnel. Ca je trouvais que c'était vraiment enrichissant. C'est vrai qu’une
des choses qui m’aide actuellement, c'est d'avoir eu une responsabilité professionnelle avec la
gestion d'un service avec une trentaine de personnes et avec un budget. Ca m'a aussi familiarisé
avec la prise de responsabilité. Encore maintenant je mobilise des compétences acquises dans
un cadre professionnel » (homme, agent catégorie B, 56 ans, secrétaire de syndicat, élu CTP, élu
CAP, collectivité territoriale)

Les militants ayant développé, par la formation initiale ou par l’expérience professionnelle
des compétences managériales, sans forcément avoir le statut de « cadre », sont plus à l’aise
dans le rapport avec les directions et dans la gestion des collectifs militants, y compris sur des
dimensions de contrôle des militants et éventuellement de sanction. Ils ont aussi
accessoirement plus d’autonomie dans l’organisation de leur travail pour assumer leurs tâches
syndicales.

« On a des conflits dans les syndicats comme on pourrait rencontrer dans un service: celui qui
ne vient pas le matin, celui qui est malade, celui qui tire au flan. Des conflits entre les
personnes. On est des chefs de service quelque part… même si les gens à la CFDT le refusent.

36
Moi je suis désolée, j'ai une équipe de 23 personnes, il faut que je les fasse vivre ensemble tous
les jours. Faut l’assumer ce rôle. Je suis bien contente d'avoir ma formation professionnelle
d'éducateur sur le travail en équipe, sinon…. On prend beaucoup, on est des éponges. Et en
même temps, il faut trancher, il faut savoir dire les choses. Pour moi on est des vrais chefs, on
est les pilotes, et on doit des comptes. » (femme, éducatrice, 50 ans, secrétaire générale de
syndicat, conseillère fédérale, collectivité territoriale)

Les militants qui rencontrent donc le plus de difficultés dans l’exercice de leur mandat sont
les militants les moins qualifiés, à l’image de Farid. Ils souffrent non seulement d’une absence
de formation et d’accompagnement au sein de l’organisation syndicale, encore accentuée dans
les périodes de crise interne, mais surtout d’un sentiment d’illégitimité dans les intéractions
avec l’employeur qui découle de leur faible niveau de qualification et de classification.

37
Farid passe le concours d’agent administratif à 18 ans. Il a arrêté ses études en seconde car il
est issu de l’assistance publique et « il n’était pas question que les enfants fassent des études,
c’était presque interdit, il fallait bosser ». Il fréquente les gens de la CFDT sans adhérer dans
la préfecture dans laquelle il travaille. Pendant des années, il reste sympathisant, sans prendre
de carte parce « qu’on ne proposait pas l’adhésion, mais on faisait partie du clan, ça n’avait
pas l'air important pour eux qu’on adhère ou qu’on n’adhère pas. C'était une bande de
copain qui se connaissait, qui discutait ensemble et on parlait politique, on était très
politisé ». En 1985, il se syndique et devient élu CAP. « Ca coulait de source, je défendais les
collègues dans le service ou j'étais, je n’avais pas peur de monter au créneau. C'était la
secrétaire du syndicat CFDT du ministère de l’intérieur qui me l’a proposé, c’était aussi une
ancienne de la préfecture, donc elle me connaissait, j'ai accepté tout de suite. C'était une
époque, où les gens ne se précipitent pas pour prendre des responsabilités ».
Il devient aussi élu CTP, mais ne prend pas d’heures de délégation. En 2003, il est élu
secrétaire de section « poussé dans le dos par ses collègues ». « La personne qui se proposait
de prendre la section ne convenait vraiment pas, elle était plus proche de l’extrême droite.
C’était le danger : à l’époque, il y avait plein de gens qui faisaient de l'entrisme, je me suis
dis : « il faut y aller ». Donc j’y suis allé, et j'ai vite regretté. C’était affreux, je suis arrivé du
jour au lendemain, je suis arrivé sur une section, je n'avais aucune formation, puis tout le
monde courrait partout à la CFDT, il fallait boucher les trous, personne n'avait le temps de
s’occuper de qui que ce soit, alors vous en preniez plein la tête avec les retraites, tout le
monde voulait démissionner. C’était à en être malade, moi j'en ai fait une maladie de peau,
tellement c’était stressant. Comme ils imaginaient que je connaissais bien la préfecture, ils
imaginaient que ça n’allait pas me poser de souci. Mais c'est une chose d’être adhérent,
d’être représentant CFDT, c’en est une autre de se retrouver responsable CFDT et du jour au
lendemain de se retrouver en face du préfet et de se prendre la tête avec lui. En plus j'avais
30 ans de boite, j’avais un réflexe hiérarchique que je respectais beaucoup trop, lui le sait et
il en profite ».
Avant de devenir permanent en 2005, il n’a jamais suivi de formations, ni même eu une
présentation de la CFDT. Il se retrouve sans l’avoir voulu secrétaire général de syndicat.
« C'est une responsabilité énorme, il fallait une bonne équipe : vous vous retrouvez avec 500
adhérents, vous représentez la CFDT : vous rencontrez le ministère de l'intérieur ! C'est une
responsabilité qui est affolante ». Il est « automatiquement » élu au conseil fédéral. « Au
départ je trouvais cela ridicule, je n’y connaissais rien. C'est presque le dîner de cons ». En
2006, il commence la formation « management syndical » à la région, mais « ça prenait trop
de temps ». Idem il abandonne une formation sur l’Europe à l’ISST, car ce n’était pas assez
concret. Il voit son activité syndicale comme un travail, « même si cela ne devrait pas en être
un. C’est le problème qu’on va avoir sur le syndicalisme : on ne peut plus avoir que de la
bonne volonté, on est obligé d'être formé et d’avoir une formation pointue. Il ne faut plus se
contenter d'ouvrir votre grand bec comme ça en disant « aux armes camarade », il ne faut
pas être technocrates, mais il faut avoir les mêmes armes que ceux qui sont en face ». Il
aimerait bien faire valoir une VAE, mais ça a l’air un peu compliqué, et cela prend du temps.
Son avenir est sûrement dans le syndicalisme, même s’il déplore de ne pas avoir eu de
progression professionnelle et s’inquiète à l’idée de devenir salarié du syndicat. « Une petite
catégorie C qui depuis 10 ans est là, travaille à la fédé, qui a un poste très important, et un
jour politiquement elle ne s'entend plus, qu'est ce qu'elle fait si on la menace de lui retirer le
droit syndical ? Elle rentre dans le rang ou elle se retrouve à faire les archives. C’est
pervers ».

38
3. RESTER MILITANT, DEVENIR PERMANENT

Si carrière syndicale et professionnelle s’articulent, certes difficilement, pendant de


nombreuses années, jusqu’au milieu de carrière, une fois le processus de repérage et
d’engagement enclenché, l’effet de sollicitation se fait souvent pressant, créant une tension
souvent intenable avec l’activité professionnelle.
Sur-sélection et tensions avec la vie professionnelle
Les raisons de cette sur-sélection sont multiples, liées à la fois au mode de structuration de
l’espace syndical qui organise la participation des militants avec des mandats d’entreprise aux
structures professionnelles et interprofessionnelles et aux critères de détection des futurs
permanents. Le « bon militant » fait l’objet d’une construction sociale complexe qui articule
idéalement : loyauté à l’organisation, disponibilité biographique, légitimité de terrain et
capacité d’apprentissage, droit syndical et donc souvent stabilité dans l’emploi. Ces critères
non explicités contribuent à créer l’idée d’une « rareté des vocations » très répandue dans les
structures syndicales et surtout à faciliter la prise de responsabilité de certains profils de
militants. On comprend mieux pourquoi certaines catégories de salariés – jeunes, femmes,
peu qualifiés, immigrés et issus des TPE-PME – continuent à être sous-représentés dans la
population des permanents.

Si l’effet de la politique mixité est très visible dans le parcours des femmes interviewées, leur
faible nombre dans l’échantillon proposé par la CFDT souligne leur difficulté à accéder aux
mandats de responsables (ou identifiées comme tels). Certaines se sont vues positionnées sur
des listes, et ont pu entrer dans les exécutifs de syndicats, d’unions départementales ou de
fédérations pour remplir les objectifs de féminisation attendus par la politique confédérale.
« C’est le secrétaire général qui m’a proposé d’être secrétaire fédérale en charge de
l’organisation, mais je n’ai été élue qu’en 2008, car on était entre deux congrès. Je n’ai pas
accepté de suite parce que je m'en faisais une idée qui n'était pas forcément la bonne. Je
m'imaginais qu’il allait falloir aller voir les Ministres, faire les grands discours, un rôle de
première ligne. Puis lui m’a rassurée, comme ils font toujours, parce que maintenant je connais
la mécanique, on dit pas tout pour pas faire peur et on rassure : c'est « t'inquiète pas, ça se
passera bien ». On fait tout pour mettre la personne en confiance pour qu’elle accepte. Et moi
j'avais la chance d'être une femme et jeune. C'est la chance qui fait qu'on peut accéder à la
responsabilité. Peut-être que si j'avais été un homme on ne me l'aurait proposé. Je dis peut-être
parce que je n’en sais rien, mais en tout cas, je sais que c’était un atout d’être jeune et une
femme » (femme, secrétaire, 46 ans, secrétaire fédérale, secteur de la chimie)

De la même façon, les quelques militants jeunes (35-39 ans) que nous avons interviewé ont
été repérés et sélectionnés au travers d’une politique volontariste « jeunes ». Leur faible
nombre (5) dans la population interviewée souligne une des difficultés du recrutement des
permanents, celle du destin professionnel des syndicalistes. Certains militants parviennent en
effet à maintenir une carrière professionnelle pendant de longues années, tout en prenant des
responsabilités syndicales dans leur entreprise, mais il s’agit souvent soit de salariés qualifiés,
soit de salariés moins qualifiés, mais qui parviennent à négocier un « poste » à part qui ne
vient pas perturber l’organisation du travail du service.
« Une journée par semaine, c’est variable, je travaille dans une agence bancaire. C'est pas
toujours facile parce qu'en tant que commercial, suivre une clientèle, c’est pas terrible. Au fil du
temps, c’est vrai que mon portefeuille s'est réduit. Généralement j'y suis 15 jours consécutifs au
mois d'août, généralement les 15 premiers jours d’août, il n’y a pas de réunion syndicale, donc
je vais à mon boulot. Ca permet à mes collègues de prendre des congés autrement. J'ai réussi à
ce que l'entreprise me mette en sur-effectif. Donc par rapport à mes collègues, quand je viens ils

39
sont ravis parce que c'est un plus, j'essaie de leur filer un coup de main » (femme, chargée de
clientèle, 51 ans, élue CE, CCE et comité de groupe, membre de la commission de branche,
conseillère fédérale et prud’hommale, administratrice MSA, secteur de l’agro-alimentaire)

Dans la fonction publique ou dans certaines grosses entreprises, la possibilité d’obtenir une
promotion interne par la voie des concours ou des formations internes, encourage le maintien
d’une double activité professionnelle et syndicale. Les militants qui tissent des liens les plus
évidents et stables entre expérience syndicale et activité professionnelle (souvent d’ailleurs en
refusant d’être permanent) sont fréquemment des professionnels qualifiés, sur des postes
d’experts ou d’encadrement intermédiaire, ou des postes autonomes comme les commerciaux,
dans des contextes apaisés et syndiqués (avec du droit syndical). Ainsi le cas de cette
militante, formatrice en CFA agricole, très investie dans les mandats interprofessionnels au
niveau du secteur.
« A la MSA je me suis axée sur l’action sanitaire et sociale parce que je m’y retrouvais. Du
coup j'ai mené des actions avec mes élèves en lien par la MSA. On a travaillé sur une
conférence sur les conduites addictives financée par la MSA. J’ai travaillé avec un
pédopsychiatre de l’hôpital de Tours, une association qui fait de l’information auprès des ados
et quelqu’un qui fait du théâtre. Les jeunes ont conçu des pièces, des mini scènes sur la
consommation de drogue, d'alcool, de tabac. Ils ont réfléchi avec le pédopsychiatre et ils ont fait
une représentation ouverte à tout public. C’était un sujet qui les touchait particulièrement, c’était
super ! Du coup je ne me sens pas coupable de me dire que je quitte l'établissement pour aller à
la MSA ou ailleurs, car j'y mets systématiquement un lien avec mon activité professionnelle.
L’année dernière on a monté un grand projet sur tout ce qui était sécurité : routière, domestique,
au travail. Du coup mon directeur a du mal à me reprocher mes absences » (femme, formatrice,
46 ans, DS DP, secrétaire adjointe du syndicat, mandaté à la MSA, secteur de l’enseignement
agricole).

Ces militants refusent souvent de devenir permanents et articulent investissement militant,


progression professionnelle et contraintes familiales, parfois d’autant plus facilement que la
CFDT est majoritaire dans l’entreprise et que le syndicalisme est plutôt bien accepté, à
l’image de Mireille.

40
Avec son BTS tourisme en poche, Mireille est embauchée en 1977 par Avis à Lyon. La même
année, elle se marie et tombe enceinte. Elle déménage à Saint Etienne pour suivre son mari
qui est muté et prend un congé parental de trois ans. Son deuxième enfant naît en 1979, elle
recommence son activité professionnelle en intérim en 1981 et enchaîne les missions de
secrétariat. Son mari est absent une semaine sur deux. Au bout de quelques missions courtes,
elle trouve un emploi de secrétaire de direction dans une petite entreprise industrielle qui lui
permet d’utiliser sa maîtrise de l’allemand. Le patron « n’est pas commode », mais les
relations ne se passent pas trop mal. Elle est une des seules femmes, avec la comptable, et est
assez appréciée des ouvriers à qui elle distribue les bulletins de salaire chaque mois. « Le jour
de la distribution, on arrivait avec nos jupes. On avait nos paires de bottes qui nous
attendaient, notre casque et on allait distribuer personnellement à chaque salarié son bulletin
de salaire ». En 1982, elle se trouve en charge d’organiser les premières élections DP-CE
dans l’entreprise. « Il n'y avait aucun syndicat dans l'entreprise, moi je n'étais pas du tout
syndiqué. Je n'ai pas baigné dans un milieu syndicaliste, j’ai baigné dans un milieu
républicain des droits et devoirs, obligation de voter, de respecter ce que les autres avaient
obtenu pour nous ».
Elle est élue sans étiquette à 99%, sans s’être présentée. Son patron est furieux, mais elle
prend son rôle à cœur et obtient un certain nombre de droits pour les salariés. Elle va se
former et rencontre la CFDT qui ne lui conseille pas de se syndiquer. En 1983, elle divorce et
retourne à Montpellier où son père l’aide à trouver du travail à la MSA. Elle arrive en plein
conflit sur les conditions de travail. Toutes les organisations syndicales sont présentes. Elle
les rencontre toutes et décide d’adhérer à la CFDT qui « est progressiste, participatif et ni
pour ni contre tout ». Ils sont étonnés qu’elle se syndique aussi tôt, et elle commence à
participer à la section syndicale qui se réunit tous les mois. En 1986, elle est élue DP et CE.
Puis elle se remarie en 1986, et a un petit garçon en 1987. Elle arrête tous ses mandats et
prend un congé parental de trois ans. La déléguée syndicale est devenue sa meilleure amie,
donc elle se tient au courant. En 1990, elle reprend son travail à 3/5ème, mais est incitée par
son chef de service à reprendre une formation pour devenir cadre. Elle n’a plus de mandat et
se consacre à sa formation qui requiert trois jours d’absence par mois, mais elle assiste aux
réunions de section. De 1993 à 1995, après l’obtention de son diplôme, elle repasse à temps
plein sur un poste d’agent de maîtrise, à la demande de son employeur. Elle occupe ensuite un
poste de cadre, mais doit se battre avec son chef de service (élu CFDT) pour obtenir le titre.
En 1994, elle redevient élue DP et CE, mais refuse d’être déléguée syndicale, car il aurait
fallu qu’elle fasse le choix d’arrêter son activité professionnelle. En 1997, elle divorce et se
retrouve avec 3 enfants à charge.
Peu de temps après, elle s’investit dans la création d’un syndicat agro-alimentaire
départemental. Elle se retrouve très vite secrétaire générale car celle qui est en place lui
demande de la remplacer. Au titre de son mandat de secrétaire générale, elle devient membre
du bureau régional, toujours avec ses heures de délégation DP-CE et est élue conseillère
fédérale. Elle accepte car cela l’intéresse beaucoup, mais elle a dû mal à tout concilier. Son
chef de service lui fait comprendre qu’elle ne va pas pouvoir continuer sur un poste
d’encadrement. En 2005, elle lâche son mandat de secrétaire de syndicat et ses mandats
d’entreprise pour se concentrer sur un nouveau mandat de négociatrice de branche. Elle refuse
un poste de responsable de formation, car on lui demande de laisser tous ses mandats et
accepte un poste moins prestigieux. En 2010, elle est élue au conseil d’administration de la
MSA et se désengage progressivement de tous les autres mandats pour faire de la place aux
jeunes.

41
A l’inverse de Mireille, nombre de militants notamment les moins qualifiés, mais aussi ceux
qui sont en conflit avec leur employeur, peinent à articuler mandat syndical et activité
professionnelle. Les récits de carrière révèlent la dynamique qui les conduit à s’engager plus
avant dans leurs mandats, à la fois car les instances syndicales les sollicitent, mais aussi parce
qu’ils se mettent progressivement en porte-à-faux avec leur équipe de travail (collègues et
chef) qui tolère mal leurs absences et perdent en qualification du fait de l’absence de
formation professionnelle et de l’évolution des technologies.
« Carrière professionnelle, faut oublier, pas de promotions. Les augmentations de salaires, je
n'ai eu que le coût de la vie, ils ne se sont jamais amusés à me mettre 0, mais je pense que ce
n'était pas l'envie qui lui manquait à mon chef de service. Je pense que je l’embêtais. Mon
responsable de site ce qui l’embêtait c’était mon planning, il était difficile à gérer sur mes
interventions. Parce qu’il y a des fois où je disais « la semaine prochaine, je suis là toute la
semaine », puis en début de semaine, j’avais une réunion qui arrivait et qui n’était pas prévue,
donc j’étais absent : c'était compliqué à gérer pour lui plus j'avançais dans le nombre d'heures de
délégation. Moi avec lui, je faisais des efforts parce que je ne voulais pas le pénaliser, pas
pénaliser le fonctionnement du service et surtout mes collègues qui me remplaçaient quand
j’étais absent, parce que ce que je ne faisais pas, c’était eux qui le faisaient. Donc j'essayais de
rendre leur vie le plus facile, mais c'est le patron du service technique, on s'est fritté. Même
quand il faisait des repas de fin d'année, il m’oubliait. Il avait envoyé un mail à tout le monde,
tous les salariés, et je n'étais pas dans la liste. J'ai été oublié. Moi la vision que j'en ai par mon
poste de SG du syndicat du Rhône, c'est que les élus et les DS sont à 95% professionnellement
ils sont cuits : peu ont des évolutions de carrière au sein d’une entreprise quand ils ont des
mandats de DS. Pour moi par exemple, normalement ils devraient me faire un entretien annuel,
ils ne veulent pas me le faire. Je les comprends aussi, je ne travaille plus au labo, donc ils ne
veulent pas le faire. J'ai vu mon patron de région hier, je lui ai dit « faut qu'on fasse mon
entretien annuel », et il m’a répondu « on va parler de quoi ? on va parler de vos mandats
syndicaux ». « Et pour mon plan de formation ? », je lui ai demandé et il ne m'a pas répondu.
Moi ça fait 5 ans que je n'ai pas de formation, depuis que je suis permanent, enfin pseudo
permanent » (homme, technicien, 43 ans, délégué syndical, élu CE, membre du CCE, élu comité
de branche, SG syndicat, grosse entreprise du secteur du bâtiment)

Le fait d’être cadre ou d’occuper certains postes donnant accès à des informations sur
l’entreprise (ses comptes, les décisions prises par le dirigeant, les données du personnel….),
mais aussi la difficulté à maîtriser son agenda du fait des réunions imposées par la direction,
rendent parfois compliqué le maintien d’une activité professionnelle.

« C’est pas évident pour moi, surtout sur la fonction de chef de service. A la fois car, je suis
identifié par le Maire comme un opposant et que je suis à la fois responsable d'un service, avec
la gestion du personnel, de temps en temps la nécessité de recadrer des collègues. Ce qui n'est
pas évident pour les collègues, c'est qu'ils ont une vision un peu brouillée. Ils m’identifient à la
fois comme responsable du service et responsable syndical. Relative schizophrénie, mais j’ai
toujours essayé de dissocier les choses, par souci d’honnêteté intellectuelle, mais à gérer c'est
tout sauf facile. En règle générale, j’évite de faire trop de syndicalisme dans mon service. Tout
ce qui est syndicalisme à l'intérieur du service, je laisse les autres s’en occuper, mais il peut y
avoir des moments ou on est soit même sur des contradictions ou sur des dilemmes » (homme,
cadre 56 ans, élu CTP/CAP, secrétaire du syndicat, secteur des collectivités territoriales)

« Officiellement, quand je deviens DSC j'ai déjà des mandats qui nous couvrent quasiment les
trois quarts de temps. En pratique, je concilie les deux en faisant à peu près du mi-temps. En
2005, oui je suis à moitié-moitié. C'est assez difficile à gérer, non pas en termes de charge de
travail puisque le travail, on est tous là… Mais plutôt en termes de fréquence de réunion, c'est à
ce moment-là que l'on devient moins fiable au niveau professionnel. La difficulté qu'il y a c'est
que quand vous avez un poste professionnel avec beaucoup de contacts avec le client, des

42
échéances qui tombent en termes de livrable, c'est compliqué car en même temps vous avez des
mandats exposés au niveau syndical avec un calendrier que vous ne gérez pas du tout car la
direction peut vous convoquer du jour au lendemain. J'exagère un peu mais on ne gère pas du
tout le calendrier, quand on reçoit une convocation pour une réunion qui aura lieu tel jour, à
telle heure, à tel endroit, il n'y a quasiment pas de marge de manoeuvre pour la faire bouger
quand professionnellement, vous aviez déjà depuis trois mois une réunion de bloquée. Il y a eu
des soucis à ce moment-là, il a fallu derrière reconfigurer petit à petit avec ma hiérarchie le
poste pour essayer d'être moins exposé en interface avec mes interlocuteurs techniques. La
transition s'est faite assez rapidement car derrière, le calendrier social montait en cadence. Je
dirais que la portion professionnelle s'est réduite et est passée de la moitié à moins d'un tiers
voire 10 à 20 %. Actuellement, c'est toujours le cas. Je garde un pied dans mon service. Mes
mandats me couvrent, le statut de DSC me couvre et rien qu'avec ce titre, je suis déjà
permanent. J'ai le statut et la possibilité d'être permanent. Je garde un pied dans mon service, je
vais quand je peux à des réunions internes. Je fais de la veille technologique et scientifique sur
le support, mais il n'y a plus vraiment d'études qui me sont confiées avec des clients. Mais cela
m'intéresse de garder un pied pour voir ce qui se passe dans le milieu professionnel. C'est un
peu symbolique » (homme, ingénieur, 39 ans, délégué syndical central, délégué syndical, élu
CE et comité européen, secteur de la métallurgie)

Devenir permanent, une réponse à la stigmatisation ?


Si les entreprises commencent à tenir un discours sur la nécessité pour les militants syndicaux
de pouvoir alterner des périodes de syndicalisme et des « retours à la vie professionnelle »,
sans être pénalisé et avec une reconnaissance du « parcours réalisé », elles semblent oublier
que le fait d’être ou d’avoir été militant a pour conséquence d’être d’abord perçu par les
autres au travers du prisme syndical. L’étiquette syndicale devient un « statut principal » qui
l’emporte sur tous les autres et autour de laquelle se redéfinit l’identité sociale des individus.
Or ce phénomène d’étiquetage s’accompagne le plus souvent d’une imputation de déviance,
par les directions et certains salariés, même dans les milieux syndiqués ou dans les entreprises
avec des relations sociales « apaisées ». Rares sont les milieux professionnels où les
syndicalistes sont perçus comme des « salariés normaux ». En ce sens, l’usage du terme de
« parcours » militant défendu par certaines organisations syndicales et repris par les directions
d’entreprise implique une normalisation de l’expérience syndicale qui fait l’impasse sur le
travail de redéfinition identitaire pour soi et pour autrui, corrélé au fait de devenir
syndicaliste.

« Pour être adhérent, on paye son timbre, on est pas affiché, la hiérarchie est pas censée savoir
qu'on est affilié à tel syndicat. C'est pour militer qu’on se pose la question : est ce que je
franchis le cap ou pas ? Parce que là on est affiché. Puis il faut dire qu’à l'époque, il y avait de la
répression syndicale, puis la CFDT c'était pas la meilleure organisation à rejoindre. Parce qu’on
était plus dans un esprit contestataire. On sortait de l'époque de répression en 89 ou la CGT et la
CFDT avaient bloqué l’usine. Encore aujourd’hui, il y a des gens qui me voient avec le badge
CFDT et qui me parle de 89 en me disant « vous avez bloqué l’usine ». Pendant des années, la
direction a fait comprendre aux salariés que la CFDT c’était pas bon. Faut savoir que moi quand
je suis rentré en tant qu'apprenti, mon maître d’apprentissage, il nous a pris tous, on était 12, et
il a clairement dit « ici y'a des syndicats, trois où vous pouvez aller, et deux où il ne faut pas
aller ». Il a cité ceux où on pouvait aller, et la CFDT n’en faisait pas partie. Il fallait aller à FO,
CFTC et CGC. Comme on était ouvrier, c’était les deux premiers. Comme je l'ai dit, c'est des
gens qui pendant des années ont reçu ce message-là de la part de la direction, donc c'est ancré et
aujourd’hui ça perdure, les anciens qui disent ça aux jeunes, et les jeunes qui commencent à
vieillir et qui disent la même chose. C’est une mentalité qui mettra un petit moment à changer.
Faut dire aussi que coté militant, les anciens qui ont connu la répression syndicale, pour eux
l’histoire n’est pas close non plus, ils s'en souviennent aussi. Les deux parties se rappellent le
passé » (homme, ouvrier, 34 ans, DSC, grosse entreprise du secteur automobile).

43
D’ailleurs, c’est bien du fait de leur étiquette syndicale que nombre de militants sont l’objet
de discriminations, sous la forme d’un plafonnement de carrière, d’une carrière salariale plate
et parfois d’une placardisation et de menaces de licenciement. D’autres sont placés dans
l’obligation de faire un choix entre activité professionnelle et mandat syndical, notamment
pour les postes d’encadrement, mais pas uniquement.

« Soit je passais au numérique et changeais de poste en interne, et donc on me dit « si ça


t’intéresse de faire la formation numérique, il faut que tu abandonnes tes mandats ».
Compliquée la réflexion, ça a été difficile à prendre. Abandonner les mandats c'était se dire, on
arrête le militantisme. En plus tout ce qui m'a fait progressé, ce n’est pas l'employeur qui
jusqu’à ce jour-là ne m’avait pas donné l'occasion de me former et d'évoluer. A l'époque, j’étais
militant depuis une dizaine d’années, mais se dire, je laisse tout tomber…. Décision que je n'ai
pas prise : la décision que j’ai prise c’est de faire le stage numérique, de dire à l’employeur
« vous me libérez sur mes heures de réunion, mais je m'engage à rester au travail en dehors des
heures de réunion ». Moi je continue mon mandat, et donc le temps pour faire la trésorerie, ce
sera après le travail. Donc on fait la formation, on sort de formation, la machine arrive, on est
opérationnel. Ca a duré 6-7 mois, puis les programmes étant terminés, je suis retourné militer
sur mes heures de délégation parce que c’était mon droit. Là, ça ne s’est pas très bien passé avec
mon patron parce qu’il était pas très content » (homme, ouvrier, 52 ans, secrétaire du syndicat,
membre du bureau de l’UD, chef de fil de la commission de branche, grosse entreprise du
secteur du bâtiment)

La négociation d’un accord de droit syndical à l’échelle d’une entreprise ne présage ni de son
application dans les services ni de l’acceptabilité de l’étiquette syndicale par les responsables
hiérarchiques. Rares sont les militants qui, comme Jacques, alternent période d’activité
syndicale à temps plein et retour dans leur activité professionnelle.

44
Jacques quitte sa famille à 19 ans pour entrer à Sciences-Po Paris avec sa mention au bac. Il
se fait « virer » au bout d’un an et « vivote » en fac pendant quelques années. Il finit par
obtenir sa licence d’histoire, mais vit dans une certaine marginalité, sans travail fixe, pendant
plus de 10 ans, par peur notamment d’être arrêté car il est objecteur de conscience. Il « ne va
même pas pointer à l’ANPE » et enchaîne les petits boulots dans le midi où il vit plus ou
moins en communauté avec sa copine. En 1986, il finit par passer les concours administratifs,
et est reçu au Ministère de la culture. Il devient gardien du parc de Saint Cloud, « en bas de
l’échelle » comme catégorie C. Il suit des formations pour préparer le concours catégorie B. Il
passe ensuite plusieurs concours et est reçu au Ministère des affaires étrangères. Il intègre le
service RH, en charge des commissions administratives paritaires et a donc des contacts avec
les syndicats, qu’il apprécie « mais je ne me syndique pas car je ne veux pas mélanger les
genres », surtout la première année, avant sa titularisation. En 1989, il se marie et sa femme
intègre également le ministère comme hôtesse d’accueil. Il a son premier enfant. En 1991, il
change de poste et intègre la direction financière et se syndique car « il se sent plus libre de
ses mouvements ».
Il choisit la CFDT par affinité, « même si je n’ai jamais adhéré à aucun parti avant ça, j’étais
plutôt anarcho-écolo quand j’étais jeune, et même à cette époque là, je lisais encore Charlie
Hebdo, Libé, ce genre de publications-là. L'autogestion, même si ce n’était plus à l’ordre du
jour, ça me plaisait bien, l'émancipation des gens : c’était des valeurs ». Il milite tout de
suite, « un peu à l'insu de mon plein gré ». Au moment où il se présente pour être élu au
conseil syndical, le syndicat traverse une grosse crise, car les responsables ont détourné de
l’argent. Il se retrouve trésorier « sans avoir jamais été militant d’un syndicat ou même
adhérent d'un syndicat, sans avoir aucun notion de trésorerie et chargé de faire le ménage.
C'est ce que j'appelle l'effet savonnette : on ne sait pas trop où on met les pied, on marche sur
la savonnette et on se retrouve embarqué dans un truc ». Il ne se plaît pas trop dans son
service, suit quelques formations syndicales et devient permanent. « Le monde syndical
m'attirait, mais je n'avais pas envie de faire la moitié. Les permanents de l’époque m’ont
proposé ça et sans trop réfléchir j'ai dit ok. Mais il n’y avait pas derrière un projet
particulier. C'était un peu pour voir ».
Suite à un conflit, il se retrouve seul permanent et sa femme devient également permanente,
« on travaillait en famille ». Son chef de service apprécie peu qu’il devienne permanent, mais
ne peut s’y opposer. Il prépare en parallèle le concours des instituts régionaux de
l’administration pour passer catégorie A et décide de partir en province pour améliorer son
cadre de vie. Il intègre fin 1993, l’agence pour l’enseignement à l’étranger qui vient d’être
décentralisée à Nantes et quitte son poste de permanent, après avoir essayé de reconstruire une
petite équipe. Il obtient son concours et commence sa formation à Nantes et monte une petite
section, « j'avais commencé à attraper le virus syndical et ça me plaisait bien de faire ça »,
mais il n’est là que pour un an. En 1995, il intègre le Ministère de la coopération. Sa femme le
quitte et part vivre en Angleterre avec son fils. Il s’implique peu dans la vie de la section
CFDT qui est « assez désorganisée ». En 1997, il redevient permanent, sur un poste de
trésorier et « remet de l’ordre dans la section ». En 2000, suite à la fusion des affaires
étrangères et de la coopération, il obtient une expatriation à Londres et continue à participer à
la vie du syndicat, mais de loin. En 2003, il part au Cambodge avec sa nouvelle compagne, et
accepte de ne plus avoir de responsabilités syndicales. Il écourte sa mission suite à un
désaccord avec l’ambassadeur et revient sur Paris… comme permanent syndical. Le syndicat
est florissant, beaucoup d’adhérents, bons résultats aux élections. Il est élu secrétaire général
en 2006. Il arrête en 2009, pour « passer la main » et après l’obtention de l’examen pour être
« principal A » (après 6 tentatives). En attendant que son administration lui accorde un
rendez-vous de carrière pour lui trouver un point de chute professionnel, il est élu secrétaire
général de la bourse du travail.

45
Contrairement aux discours tenus par certaines directions des ressources humaines, en partie
relayée par des cabinets conseils gravitant autour de la sphère syndicale (Cristofalo, 2011),
sur la nécessité de gérer les compétences de syndicalistes, comme celles des autres salariés et
d’organiser des aller-retour entre vie professionnelle et vie syndicale, les syndicalistes
interviewés témoignent plutôt d’une non reconnaissance de leur activité syndicale et d’une
placardisation, qui peut les inciter à se réengager syndicalement.

« Je suis parti de la CGT. Mon chef d'atelier a su que j'avais tout arrêté et il était ravi ! Je n'étais
pas pressé derrière. Ils étaient bien contents que j'arrête tout ça. Mais au niveau de la production,
cela ne dérangeait pas trop à l'époque. Pendant trois ans, j'ai été formé sur d'autres machines,
plus spécifiques d'ailleurs, on fait des flexibles pour les sous-marins nucléaires pour vous dire
l'importance et donc j'ai été formé sur ces machines. J'ai équipé un bateau, un porte-avion et un
sous-marin. Ce sont les chaufferies que nous équipons. Le tuyau est fait chez nous et le flexible
aussi. J'ai été formé sur ces machines-là. Je me suis dit que j'allais avoir des garanties au niveau
des responsabilités, du coefficient et du salaire. Et pas du tout. Plus j'en faisais et moins c'était
reconnu. Je pense que le délégué syndical CFDT à l'époque devait le sentir et il est venu me
voir. Il m'a dit que les élections approchaient et que ce serait bien que j'aille le voir, que j'aimais
bien représenter les salariés et que j'étais bien vu. Comme j'avais une expérience d'une
quinzaine d'années au CE, il y a un élu du CE qui est arrivé à la CFDT et il n'arrêtait pas de
venir me voir. Il ne me dérangeait pas ce gars là. Il me demandait des renseignements, comment
je faisais ceci ou cela. Il voyait bien que j'étais toujours dedans. Cela ne me dérangeait pas
d'expliquer les choses. Il avait dû le dire au DS, « ce serait bien que Farid revienne, il connaît
plein de choses. » Je pense que cela s'est fait comme ça. J'en suis presque sûr. Il est venu me
voir et je lui ai dit non, la CFDT avec les patrons… Les réflexions que les gens faisaient à
l'époque. La CFDT avait été mise en place par les patrons. Il m'a dit que cela n'avait rien à voir
avec cela et en plus, si je venais, je serais appuyé par telle direction. Je lui ai dit que ce n'était
pas la peine, tu as vu ce que j'ai là, je n'ai même pas de reconnaissance. Justement, il a dit qu'il
allait essayer de se battre pour ma reconnaissance. Cela me travaillait, j'avais envie de faire
quelque chose, mais ce qui m'embêtait, c'était de rentrer à la CFDT. Quand même, elle n'est pas
bien vue. Cela m'embêtait. Cela m'a travaillé pendant plusieurs jours. Il venait me voir
pratiquement tous les jours. Il me poussait à bout. C'était du harcèlement sans le vouloir, je ne
m'en suis pas rendu compte tout de suite. Il a quand même réussi ! Je lui ai dit d'accord mais par
contre, je ne veux pas m'occuper du syndicat, je veux juste rentrer au CE pour faire bouger les
choses. À la limite, le CE mais pas d'étiquette syndicale. Il revient me voir et il me dit qu'il ne
reste qu'une semaine pour déposer les listes. J'ai dit « OK, j'ai réfléchi, mais je te préviens, pas
de tracts dehors, je ne veux pas m'occuper du syndicat… » Il était très content. En fin de
compte, ce qu'il voulait faire et je ne l'ai pas compris tout de suite, c'était couper la chique à la
CGT qui était majoritaire. Je me suis mis sur la liste. Quand les gars de la CGT ont vu cela, ils
étaient fous. J'étais très bien vu par les salariés. Élections professionnelles, on passe et on
obtient le même nombre d'élus au siège. De la CGT majoritaire, on était devenu égalitaire.
(homme, agent de maîtrise, 45 ans, élu CE, délégué syndical, secrétaire adjoint du syndicat,
secteur de la chimie)

Modèle du cumul et hybridation des mandats de permanent


Par rapport à d’autres enquêtes menées dans des secteurs plus précaires (Béroud,
Bouffartigue, 2009), nos entretiens révèlent les effets de la structuration des instances de
représentation du personnel sur les carrières syndicales, dans des secteurs économiques en
croissance. Que ce soit dans la fonction publique territoriale au moment où se créent les
sections syndicales dans les années 1980, ou dans les années 2000 dans le secteur privé, avec
la mise en place de nouvelles instances de représentation du personnel dans les grands
groupes industriels qui s’internationalisent (comité de groupe, comité européen…), nombre de

46
militants ont été effectivement aspirés dans le syndicalisme par des collectifs en quête de
volontaires. L’élargissement progressif des champs couverts par la négociation collective
d’entreprise, et plus encore par la négociation annuelle obligatoire16, n’est pas sans incidence
sur la professionnalisation des militants, tant sur le plan du temps qu’ils dédient à leur activité
syndicale que des compétences spécialisées qu’ils acquièrent. L’exemple de ce militant CFDT
d’un grand groupe métallurgique est emblématique d’autres parcours de syndicalistes,
devenus permanents ou quasi-permanents en restant dans leur entreprise et en étant
progressivement aspirés par la création de nouveaux mandats et structures syndicales internes
à l’entreprise.

« Chez nous, on renouvelle les mandats tous les deux ans. Il y a le niveau groupe et le niveau
filiale. DSC c’est au niveau de la filiale. Au niveau groupe il y a un représentant syndical
groupe plus un adjoint. Le CCE, c’est au niveau de la filiale. Au niveau groupe, il y a le
coordinateur syndical et son adjoint dont le rôle est de piloter l’inter. L’inter représente toutes
les sections syndicales des filiales. Il y a un comité de groupe France. Dans chaque filiale, il y a
des DSC. L’inter, ça va jusqu’au DS et les secrétaires de CE. Il faut que ce soit gérable quand
même. On a une vingtaine d’établissements. Et là notre inter c’est le tout. On fait une réunion
dans 15 jours, on sera 60 personnes issues de toutes les filiales de France. Moi maintenant,
puisque j’ai cette casquette-là, en tant que représentant syndical groupe que je cumule avec ma
fonction de DSC dans ma filiale. Je suis le coordinateur et le secrétaire de l'inter. On a trouvé
intelligent qu'on ait des cumulards. Le cumul a un sens. C’est critiquable et contestable, mais on
ne peut pas mettre coordinateur un syndiqué de base de Lagnon par exemple qui n'est pas
impliqué dans son CE, qui n’est pas impliqué dans son CCE. Plus on prend de responsabilité,
plus il faut avoir des connaissances de la vie syndicale et la vie de l’entreprise, et si possible
appartenir à une filiale qui a un nombre significatif de salariés dans le groupe. Il se trouve qu’on
est la filiale la plus importante en France, et du coup beaucoup d’élus de la délégation centrale
viennent de chez nous au niveau du groupe. Moi et mon collègue qui est adjoint au niveau
groupe, il est aussi de ma filiale » (homme, agent de maîtrise, 52 ans, DSC filiale, représentant
syndical groupe, élu comité de groupe, élu comité euro, élu CE établissement, grosse entreprise
du secteur de la métallurgie)

Les carrières de permanent font par ailleurs l’objet de constructions variées, combinant du
droit syndical d’entreprise et des moyens détenus par les structures. La plupart des carrières
syndicales analysées sont construites sur le modèle du cumul des mandats, selon des
constructions plus ou moins claires. Si le nombre d’heures de délégation par mandat est fixé
par la loi, les arrangements avec les employeurs sont assez fréquents, au point que certaines
détachent complètement des militants pour gérer un PSE ou une restructuration ou encore
payent un permanent pour qu’il siège en tant que négociateur de branche.
« En gros, c'est un mi-temps que j'arrive à obtenir par mes heures de délégation et de congés
statutaires ou les jours de formation. Le droit syndical au niveau de l’entreprise n'est pas si mal
que ça, j'arrive à avoir des congés statutaires soit c'est la société qui paye ou soit c'est le CE car
on a un bon petit CE quand même. J'ai des journées au niveau du Groupe. Tous les jours de
Conseil fédéral, de formations…ce sont des journées « groupe ». Cela m'aide beaucoup. Sinon,

16
La loi (art. L. 132-27 Code du travail) dispose que la négociation doit porter:
• sur les salaires effectifs;
• sur la durée effective et l’organisation du temps de travail, notamment la mise en place du travail à temps
partiel à la demande des salariés;
• sur la prévoyance maladie dans les entreprises non couvertes par un accord d’entreprise sur ce thème;
• sur l’épargne salariale (intéressement, participation, plan d’épargne salariale,…) qui ne doit toutefois pas se
substituer aux augmentations salariales;
• sur les objectifs en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes.
La négociation annuelle PEUT porter sur la formation ou la réduction du temps de travail.

47
j'ai des journées groupe et les journées conventionnelles. On a des heures de délégation. En
temps syndical, j'arrive à joindre les deux bouts » (homme, agent de maîtrise, 45 ans, élu CE,
délégué syndical, secrétaire adjoint du syndicat, secteur de la chimie)

Le rôle des structures syndicales est aussi central dans la fabrication des carrières militantes,
car se sont elles qui procèdent à des processus, plus ou moins organisés, de sélection et de
désignation, dans les différentes sphères du syndicalisme. Si la partie « professionnelle » est
maintenant davantage soumise au principe électoral (désignation du DS soumise en partie aux
résultats électoraux), la sphère interprofessionnelle et paritaire est moins transparente et
explicite quant à ses modalités de désignation. Certains militants passent d’ailleurs d’une
sphère à l’autre, au grè des opportunités et des aléas politiques internes.
« J'ai quelque part été aidée par mon employeur, par la fédération et j'ai été soutenue…Car ils
m'ont donné des mandats, quelque part cela m'a sauvé aussi. C'était une façon de me maintenir
la tête hors de l'eau. Si je n'avais eu que des mandats régionaux, je n'existais plus à la CFDT. La
fédération de la métallurgie marche par structure par région et au niveau de la fédération,
chaque secrétaire national doit coiffer deux à trois régions. Celui qui coiffait la région du
Languedoc-Roussillon, on a sympathisé, je le voyais souvent car j'étais tout le temps fourré avec
les métaux, c'était ma soupape. Je me sentais en sécurité. Je me ressourçais. Ce n'était pas facile
cette période. Comme ils me soutenaient. C'est par Bernard et par Mario je suis arrivé à la
fédération car ils en ont parlé à Dominique. Je ne sais pas exactement ce qu'il s'est dit mais
j'imagine qu'ils avaient besoin de femmes en plus. En étant une femme, cela m'a aidé car au
bureau fédéral ils cherchaient des femmes. Ce n'est pas comme à la PSTE, c'est inversement
proportionnel. C'est à part pour vous expliquer pourquoi je suis arrivée là. On a été au congrès,
je me suis dégonflée pour aller expliquer à la fédération ce qui se passait dans ma région. J'ai
rencontré la confédération, j'ai expliqué. On ne nous a pas jugé, mais on nous a dit « c'est le
fédéralisme qui s'applique. » Cela veut dire que les structures ne se mêlent pas. Toute structure
est politique. La confédération n'a pas à mettre son nez dans ce qui se passe à la région. En clair,
c'était débrouillez-vous. Ils savaient quand même ce qui se passait car ils sont emmerdés avec
cette région depuis pas mal d'années, voire des décennies. N'empêche qu'on ne nous a pas dit
« fermer vos gueules, rentrez dans les rangs. » On nous a laissé faire. On est allé jusqu'au
congrès où on s’est fait battre car comme je vous l'ai expliqué, avec quelques syndicats, ils ont
60 % des mandats… (femme, vendeuse, 45 ans, secrétaire générale de l’union régionale Mine-
Métaux, secteur de la métallurgie)

« On a été fortement marqué durant des années sur des clivages très durs. Je n'ai donc pas été
élu. J'étais trop partisan des appareils fédéraux, et ils l'avaient senti. J'étais minoritaire. En plus,
j'étais de la branche des OPH, minoritaire et sans allié par rapport aux communaux. Je pense
que j'ai dû être rejeté sur cette conception d'ouverture. J'avais une équipe en face très sectaire.
Cela a fortement évolué. Il y avait un sectarisme dans le syndicat, notre syndicat de l'époque.
C'était très politique au départ, très sectaire après. J'ai vécu cela comme une injustice, en me
disant « qu'est ce que j'ai du mal faire » ? Je suis revenu dans ma section et c'est elle qui m'a
permis de rebondir. J'ai continué à faire mon travail de délégué syndical avec mes
responsabilités locales, j'étais toujours dans la branche fédérale des OPH, ils ne m'avaient pas
retiré le mandat ou quoi que ce soit. Avant cela et je n'en ai pas parlé, pour mon syndicat, j'étais
désigné dans l'interprofessionnel au niveau de l'union locale, l'union territoriale
interprofessionnelle. J'ai toujours représenté le syndicat. Ils m'ont laissé le mandat car c'était un
syndicat très sectaire et fermé, ce n'était pas leur priorité d'aller s'investir dans d'autres structures
CFDT. Là-dessus, ils me laissaient faire. J'ai fait ma place dans l'interprofessionnel, au début je
ne disais trop rien mais j'étais passionné par ce que j'entendais » (homme, 49 ans, agent
administratif, secrétaire de syndicat, secteur des collectivités territoriales)

48
Les structures syndicales complètent parfois certains mandats d’entreprise par des quarts ou
des moitiés de temps de délégation pour des mandats liés à l’activité des syndicats (secrétaire
général ou trésorier), des unions départementales ou encore des mandats interprofessionnels
(CAF, MSA…) et professionnels (négociateur de branche, conseiller fédéral) ou à des
missions ponctuelles de développement ou de formation. Dans les années 2000, de nombreux
militants ont en effet été repérés et valorisés par les instances fédérales pour leur capacité à
faire du développement syndical.
« J'arrive dans un fief où il y a la CFTC, y’a FO, la CGT et la CGC. Contexte syndical
totalement différent, et il a fallu tout reconstruire. La CFDT était implantée, il y avait un DS et 3
adhérents, au niveau des élections, 0, ça n’a jamais rien donné. J’avais envie de continuer ce
qu'on avait commencé et d’arriver sur cet établissement, ça m’a donné encore plus de
motivation syndicalement parlant. On a peut être mis 2 ans pour les déloger, mais on a délogé
tout le monde. On a gagné les élections après. Au début, j’étais DS, je n'avais que ce mandat-là
dans cette boite. J'assistais au CE en tant que représentant syndical. Je suis retrouvé en 3*8
comme électro, donc j’ai repris un poste normal d’électricien. J'ai prospecté. A force de
connaître les gens, puis je me suis présenté à eux, avec des idées. La première fois qu'on a fait
des élections, je ne suis pas dit qu’on était majoritaire, mais on a commencé à avoir des élus. On
avait peut-être un titulaire CE, et un DP. Donc on a commencé à récupérer des sièges. Moi
j'avais été élu au CE, je reprenais un poste de titulaire CE. Mon copain qui n’avait pas été élu, je
lui avais donné le mandat de représentant syndical au CE pour qu'il vienne au CE. O n a
commencé à tourner dans les ateliers, informer les gens, simplement aller les voir, dire bonjour.
On est monté à 23 adhérents sur 170 salariés. On a continué à prospecter, etc…On a fait les
élections, on était majoritaire en 2008 au niveau de l'entreprise à 52% et au niveau du groupe à
66%. Là, on était tranquille. Mais entre temps, il y a des choses qui m'ont beaucoup aidé : j'ai
bénéficié d'un plan de développement et d'un contrat de progrès » (homme, électricien, 41 ans,
formateur fédéral, secteur du bâtiment)

Ces militants ont suivi des formations fédérales et confédérales et pris des responsabilités
dans les syndicats, mais sont parfois restés cantonnés à des postes de développeurs.
« Ici au syndicat, tout le monde pensait que j’étais VRP. Mais je ne le renie pas. Pour eux, il
faut défendre tout le monde, et pour moi non. On parle du syndicalisme d'adhérent, mais qu'on
le pratique. Quand quelqu’un nous appelle, il a des droits s’il est adhérent, sinon il n'a pas de
droit. Comment on fait la différence sinon ? On ne peut pas revendiquer une chose et faire
l'inverse. Ou alors on dit : il sera adhérent plus tard. Ca veut dire qu’on a pas envie qu’il vienne
tout de suite. Le staff du syndicat ne reconnaît pas mes compétences. Quand ils faisaient la
commission exécutive, ils ne pensaient même pas que je pouvais y rentrer. Je pense que l'image
qu'ils avaient de moi c'était que j'étais incompétente. C'était ce que je ressentais. On ne me
demandait pas mon avis, donc je ne le donnais pas. Ce n’est pas facile dans une organisation
pour prendre la parole quand il y a des gens qui rebondissent très vite ; moi j’ai besoin de temps,
de regarder, de comprendre, il me faut plus de temps. Quand j’ai été élue en 2003, j’ai
l'impression que j'étais là par défaut. Donc ils m’ont mis responsable du développement. Je
n’étais pas légitime pour la plupart des gens parce que syndiquer et demander des comptes aux
gens comme je le faisais, ici, ce n’étais pas admis. En même temps j’étais mise en avant pour
ça. Petit à petit les gens ont compris que ce n’était pas du chiffre pour du chiffre, que c'était
vraiment de la force et de la représentativité, mais c’était long à mettre en place » (femme,
éducatrice, 50 ans, secrétaire générale de syndicat, conseillère fédérale, collectivité territoriale)

D’autres militants ont au contraire connu une carrière accélérée, soutenue par les fédérations
qui ont trouvé les moyens de financer ou organiser des postes de permanents, pour remplacer
des responsables sortants ou faire élire des militants davantage en ligne avec les orientations
de la confédération.

49
« J'ai mon collègue qui est toujours délégué syndical, il travaillait. Comment cela s'est fait ? Il a
fallu que je négocie du temps syndical. Il me fallait assez d'heures pour fonctionner localement
et il me fallait des heures pour fonctionner régionalement. On a fait appel à la fédération. Au
sein du droit syndical, on dispose dans notre fédération d'un volume de droit syndical qu'elle
redistribue dans les syndicats. Mon temps plein est pris sur le pot fédéral à partir de 2000 »
(homme, ouvrier, 52 ans, sans mandat syndical suite à reconversion, secteur de l’énergie).

Chargés de reconstruire le syndicat, ces militants se sont souvent retrouvés isolés, face à un
très fort enjeu de développement et sans visibilité sur la suite de leur parcours syndical et
professionnel.

« En 2002, je vais mal dans ma tête, j'ai besoin de partir. Je me mets sur le marché des
transferts. J'annonce au copain de la fédé que je veux partir, que s’ils ont quelque chose à me
proposer, ils me le proposent. En même temps en terme syndical je m'éclate à Grenoble. Mais
j'ai besoin de partir, car je ne vais pas bien. Donc en 2004, y'a une première tentative pour me
faire aller dans l'Aude, qui ne fonctionne pas, ils n'ont pas été capables de me trouver un poste.
15 jours après ce premier échec, un secrétaire national de la fédération me dit « moi je te
propose un poste ». Je suis employé communal, fonctionnaire de la territoriale, donc je veux
muter, récupérer mon grade pour aller dans une autre collectivité. Pour cela il faut que la
collectivité me recrute. On me recrute en fin de compte : je monte en février 2005 ici. J'avais du
temps syndical national. Entre temps, des choses se faisaient. Je couche à l'hôtel, la fédé payait
l’hôtel qui était à côté du syndicat : je faisais 8h / 21h. A l’époque le syndicat est sous tutelle de
la fédération et donc, en août 2005, j'obtiens ma mutation à la mairie d'Alfortville, c'est le
national et la fédé qui ont géré ma mutation. Le temps syndical qui était lié à mon temps, c'est le
temps syndical de la petite couronne. Je deviens le secrétaire général. Il n’y avait plus personne,
grosse crise depuis 2003, il a fallu que je remonte une équipe. Celui qui sont partis, sont ceux
qui ont été voir la FSU pour monter un autre syndicat. Il en est resté un petit peu, l’équipe qui
aurait du reprendre ne fait pas l’affaire, et la fédé vient me chercher. Dans ceux qui restent, la
fédé les virent, et moi, je reprends avec queue dalle. Très vite, je me suis retrouvé tout seul. Les
nationaux m’ont lâché très vite, donc j'ai fait quand même, j’ai fait à ma sauce. On a créé des
sections, on a fait des adhérents, on a toujours été en progression. Au moment des élections pro
en fin 2008, on est le 2ème syndicat à avoir monté le nombre de liste, la totalité des listes, à part
la CGT, tous les autres avaient monté moins de listes. Malgré tout on a eu des résultats pas forts
: on fait 10% mais on sauve les meubles. Mais on a créé des listes dans tous les endroits où on a
distribué. Le travail de terrain paye. La plupart des gens de mon bureau du syndicat, et aussi
d’une grosse partie des sections n'avait jamais fait d'associatif, ne s'était jamais investis dans
quoi que ce soit, bleu en terme d'engagement, en terme politique, en terme de structure….Gros
travail intéressant, mais j’ai décidé d’arrêter car je vais avoir 50 ans. Je me pose des questions, il
y a énormément de gens du syndicat qui se sont accroché à des mandats, qui ont terminé fous,
ou qui ont été virés comme des malpropres du jour au lendemain ; moi, la décision a été prise
très vite, je me suis dit : j’arrête. Je ne l’ai pas formulé comme ça auprès de la fédé, je n’ai
jamais eu d’ailleurs de discussions avec la fédé. C’est pas une histoire de moyens, c’est plutôt
qu’il n’y a pas de soutien, pas de suivi, on est dans la nature : les responsables de syndicat, on
est dans la nature » (homme, cuisinier, 50 ans, secrétaire de syndicat, secteur des collectivités
territoriales)

Si la plupart des militants anciens interviewés sont devenus permanents aux alentours de 45
ans, la structuration des instances de représentation du personnel et de négociation dans les
entreprises, couplée à la politique de développement menée par les structures syndicales (et
les effets de la crise de 2003), a conduit quelques militants beaucoup plus jeunes à devenir
permanents syndicaux (30-35 ans), ce qui les amène souvent à penser leur avenir dans
l’espace restreint du marché de l’emploi syndical.

50
« Je n'ai pas d'avenir. Pour l’instant, je suis bien en tant que délégué syndical central. Mon
avenir c'est évoluer dans le syndicalisme. Professionnellement pour moi c'est perdu. Donc c’est
pour ça que je dis que professionnellement je ne le vois pas. Mais syndicalement oui, c'est
progresser. J’ai 39 ans… il me reste 21 ans à faire, voir 23. Je ne peux pas me projeter dans 15
ans, je ne sais pas ce que je ferai. Je ne sais que pour l’instant, le syndicat me plait, ce que je
veux c'est évoluer. Quand je serai au max, on verra bien, pourquoi pas aller à la fédé. Je sais que
ma carrière pro c'est terminé, je suis à la ramasse. Ca fait 4 ans que je n'ai pas bossé. Le monde
professionnel évolue, comme tout. Il faudrait me faire des formations. Est ce que la direction
serait prête à me proposer un poste au niveau de ma classification maintenant, je ne pense pas.
Mon établissement est sur Compiègne. S'il faut évoluer, il faut peut être aller sur Paris tous les
jours. C’est pas une vie. Je ne vais peut être pas rester toute ma vie DSC. J'aime bien le
changement. Je suis trop jeune pour aller à la fédé. A la fédé, c'est maximum trois mandats, ça
fait 12 ans. J'ai 39 ans, donc 12 ans, ça fait 51 ans. Qu’est ce que je fais après ? Après c’est la
confédération. Mais c’est le goulot d’étranglement, c’est pareil. Déjà pour se faire une place à la
fédé c'est dur, alors à la confédération, c’est encore plus dur. Ca se renouvelle de plus en plus à
la fédé, mais c’est pareil : les places vont être de plus en plus dur à prendre. Mais ce qui est bien
c’est que c’est tout les deux ans. Pourquoi pas être délégué syndical groupe dans 2 ans, j'aurai
41 ans et à 48 ans à la fédé. Mais je ne sais pas, je n’ai pas de vision du tout. Puis être à la fédé,
je ne sais pas si ça me plairait : être sur Paris tous les jours, être dans un bureau ce n'est pas mon
style, je suis plus un homme de terrain. Après avec l’âge, si la direction me propose un poste à
la communication, ou à la formation je ne sais pas….» (homme, ouvrier, 39 ans, délégué
syndical central, grosse entreprise du secteur pharmaceutique)

Dans le champ du paritarisme, les mécanismes de désignation et de « chaises musicales »


entre organisations syndicales et la méconnaissance que les militants ont du fonctionnement
des institutions paritaires conduisent certains militants intéressés par les mandats
« interprofessionnels » à construire une carrière de permanent en passant d’un mandat à
l’autre, en s’appuyant sur le réseau qu’ils réussissent à construire, à l’image de ce militant,
permanent depuis 1996, au titre de ses mandats paritaires.

« Je suis toujours suppléant à la CNAM, je veux rester suppléant parce qu’on a l'info. La CPAM
de Paris, elle est passée CGT, c’est l’accord régional, je ne suis donc plus président. Je suis
administrateur CRAMIF maintenant, et je vais revendiquer le poste de président en 2011. On a
réussi à faire notre trou à la CFDT. La CFDT au niveau régional, au moins dans la protection
sociale, on est reconnu comme partenaire. A la Sécurité Sociale, vous avez 50-100 personnes :
vous les retrouvez. Vous vous constituez votre réseau. Le gars qui est là, vous le retrouvez
pendant 10 – 15 ans sauf s’il y a une crise. C’est un petit monde, tout le monde connaît tout le
monde.. Je me suis rendu compte que les pince-fesses, les salons, vous entretenez le réseau et
vous entretenez le système, il faut y aller. J'arrive à la fin du mandat de l'URCAM, je ne suis
plus président de la CPAM, mais je devrais être à l'ARS, je vais être encore dans la maladie. A
la limite, je passerais bien à autre chose. Mais je vais avoir 54 ans, c'est le retour sur
investissement de la CFDT. Je dois ça à la CFDT : ils m'ont permis d'avoir une carrière pro, je
parle de mes mandats assurance maladie, intéressante avec certains avantages » (homme, cadre,
54 ans, administrateur CRAMIF, secteur de l’énergie)

A l’inverse, de nombreux militants refusent d’être permanent par peur de perdre le contact
avec le terrain, mais aussi parfois par crainte de perdre leur autonomie et leur liberté de parole
à l’égard de la CFDT, ou encore de ne pas être capable de revenir dans une activité
professionnelle si besoin. Comme beaucoup ne s’imaginent pas être permanent plus de 10 ans
et qu’ils ont en général 45 ans quand ils pourraient le devenir (ou le deviennent), ils anticipent
plutôt assez bien les difficultés qu’ils auront pour retrouver un emploi à 55 ans, même dans
leur entreprise d’origine.

51
« La perspective de revenir au travail ne me fait pas peur, mais quelque part, arrêter le
syndicalisme de façon importante... redevenir soit rien du tout, soit élu à mon CE point barre
localement, j'ai du mal à l'imaginer. Et je ne suis pas un fan du pouvoir, je n’ai pas d’états d’âme
là-dessus : si mes collègues votent pour moi, le boulot me plait, mais le jour où mes collègues
ne voteront pas pour moi ou s’il y a quelqu’un qui veut monter en puissance, qui me parait bien,
je retirerai ma candidature. Mais il y a quand même un truc qui me fait peur dans le fait de
retourner au travail. Je l'ai vu lors de mon dernier boulot, s'il faut acquérir des compétences
technologiques très pointues on est assez mal en tant que quinquagénaire par rapport à certains
jeunes qui déboulent sur certaines technologies intégrées dans leur formation initiale, les
apprendre en direct live au boulot... Je ne sais pas si c'est la perte d'intérêt pour le travail
technique ou si c’est les neurones qui ne sont plus là, j'ai bien senti sur mon dernier boulot que
j'avais du mal à être efficace comme je l’étais quand j’étais à 100% sur mon boulot d’avant »
(homme, technicien, 52 ans, délégué syndical central, grosse entreprise du secteur de la
métallurgie).

D’ailleurs certaines fédérations font tout pour éviter de salarier les militants, et les incitent à
garder un lien avec leur entreprise.

« Le secrétaire tient absolument à ce que j'ai une convention avec mon employeur et que je reste
détachée. C'est plus sécurisant au cas où, dans l'urgence, il fallait retrouver un boulot. À la
FGMM, je n'ai pas trop d'expérience autre. À la région, ce n'était pas comme cela mais je n'ai
pas eu le temps de me poser problème là. A la PSTE aussi, ils sont beaucoup issus de postes à
responsabilité donc c'est beaucoup plus facile de revenir. Mais c'est vrai qu'à la FGMM, le
problème semble assez crucial, ils font attention à cela. Autant, je me disais que ce n'est pas
grave et que je chercherai du boulot ailleurs mais ils sont attachés aux conventions » (femme,
vendeuse, 45 ans, secrétaire générale de l’union régionale Mine-Métaux, secteur de la
métallurgie)

52
4. SORTIR DU MILITANTISME : MISSION IMPOSSIBLE ?

Les permanents les plus âgés ont plutôt tendance à se projeter dans l’espace syndical et à
raisonner en termes de file d’attente, plus que de construction d’un « parcours » syndical à
proprement parler. En entreprise, les mandats sont délimités par des durées qui permettent aux
syndicalistes d’envisager de prendre la place d’un autre militant quand celui-ci partira à la
retraite ou sera « promu » sur un mandat plus prestigieux, dans l’entreprise ou en structure.

« Le plus simple serait que je finisse ma carrière avec mes mandats d'entreprise. Maintenant, je
peux avoir un problème personnel, je pense à la santé. C’est pas spécifique au syndicalisme,
mais à partir de 50 ans, on a un taux d’arrêt important. Mais il faut assurer la relève, préparer
celui qui relève. Je pense que le collègue qui bosse avec moi aujourd’hui, il est un peu plus
jeune que moi, il doit avoir 48 ans, il a la carrure pour prendre le relais. Mais il y a un travail à
faire. D’ailleurs d’ici deux ans, on va se reposer la question : on est en train de renouveler nos
mandats, 2010 jusque 2012. Moi je me représente, je n'ai pas de concurrent aujourd’hui. Mon
collègue que j’ai vu ce matin, secrétaire du CCE n’a pas de concurrent non plus. Moi je refais
un mandat de CCE de deux ans, mais je veux arrêter après, il faut que quelqu’un s'imagine
secrétaire de CCE dans deux ans. Je pense qu’il faudrait que je me pose la question dans deux
ans, soit d'en faire moins, soit de revenir dans un boulot à mi temps ou un temps partiel, mais
j’ai du mal à imaginer que j’abandonne tous mes mandats syndicaux. L’autre solution, c’est de
changer complètement. Le copain qui est au comité européen, il a 57 ans, il a failli partir avec
un plan social en cours. Il s'est positionné pour partir sur un plan social, mais il n’y a pas assez
de place. Il y a plus de volontaires que de départs. Lui secrétaire du comité euro, c'est un mec
qui est hyper organisé, qui a une tête beaucoup mieux faite que plein de gens, il a une activité
professionnelle, et il gère le comité euro. Il ne fait pas de la figuration. C'est peut-être un poste
qui se libère dans deux ans qui pourrait m’intéresser. Je saurai faire ça je pense. Mais là je ne
ferai pas ça en même temps que coordinateur CFDT. Secrétaire du comité européen et
coordinateur, ce n’est pas compatible, c’est trop de boulot des deux côtés » (homme, technicien,
52 ans, délégué syndical central, grosse entreprise du secteur de la métallurgie).

S’ils ne maîtrisent pas toutes les arcanes des processus décisionnels qui conduisent à la
désignation de tel ou tel militant sur les mandats hors entreprise et ne « candidatent » pas
explicitement, ils peuvent tenter de se positionner sur différents mandats en faisant savoir
qu’ils sont disponibles et en jouant de leur capital relationnel. Le caractère implicite des
désignations est ici encore plus forte que dans les mandats d’entreprise ou les militants
doivent être élus et sont appelés à l’être encore de manière plus systématique, y compris pour
accéder au mandat de délégué syndical, avec la nouvelle loi sur la représentativité syndicale.

« Moi j’ai 51 ans, et depuis 2001, je me pose cette question, je me la suis toujours posée.
Même si on est en responsabilité, on est obligé de se projeter, on se dit que l’intérêt d’un
syndicat c’est qu’il évolue. Depuis un moment, on dit il faut faire la place aux jeunes. Je suis
pour, mais je pense que quelqu’un qui rentre dans l’organisation, il doit avoir la possibilité
d’évoluer. Tout le monde ne peut avoir la place d’un François Chérèque, ça j’en suis persuadé,
mais on est très peu d'élus à la fin, ça se rétrécit. Même si on est contre la forme pyramidale du
management, on est quand même dedans. Moi quand je suis arrivé, j'avais 43 ans, on se dit : un
mandat, deux mandats, c’est bien, trois mandats, c'est trop. Là j’ai déjà fait deux mandats, et je
pense que celui-là, c’est celui qui est de trop. J’en ai fait deux et demi. Je rempile, mais je vise
autre chose maintenant. Je cherche une évolution. J'ai essayé de voir plusieurs choses au fur et à
mesure : le coté syndicat départemental devient pesant parce que 35 sections, 650 adhérents et
on est toujours sollicité par les personnes et j'ai l'impression qu'on est dans un système social qui
devient pesant. J’ai toute la misère du monde sur le dos et je ne supporte plus. Au 3ème mandat,
on arrive à saturation. En même temps, on a l’impression d’avoir tout vu, donc là, je vise la
place de secrétaire de l'union départementale, dans l’interpro, et d’y travailler. Aujourd’hui je

53
suis secrétaire adjoint de l’union départementale, je viens d’être élu trésorier, et je vise à terme
la place de secrétaire départemental, dans deux ans » (homme, chauffeur poids lourds, 51 ans,
secrétaire de syndicat, secrétaire adjoint de l’union départementale, secteur des collectivités
départementales)

Mais cette capacité à être sélectionnés par les structures dépend aussi de la légitimité que les
militants pensent avoir pour se positionner. Les militants les moins qualifiés, mais aussi
certaines femmes et les rares militants issus de l’immigration ont plutôt tendance à modérer
leurs ambitions, à conserver leurs mandats d’entreprise ou à chercher des solutions de
réintégration dans leur entreprise ou de reconversion hors du champ syndical, à l’image de
Karim.

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Karim est né en France en 1962, fils d’un père algérien venu travailler en France, comme
ouvrier dans le secteur automobile à Charleville. A la fin du collège, il est orienté en filière
d’apprentissage pour passer un CAP de plombier chauffagiste, qui ne l’intéresse pas, mais
c’est la seule voie disponible. Il obtient son bac pro en 1980 et entre dans l’usine de son père
comme intérimaire. Parallèlement il est sportif de haut niveau dans le football et joue dans un
club en Belgique. Il ne se préoccupe pas trop de son avenir professionnel, mais obtient un
CDI en 1981. Il prend des cours du soir et passe un CAP « moulage » qu’il obtient en 1986. Il
abandonne le football et tente d’obtenir une promotion, au titre de ses deux diplômes, mais le
DRH lui répond, « pour faire quoi ? Vous êtes un arabe, vous resterez un arabe ». A cette
époque, il est déjà adhérent à FO qui est en position très minoritaire dans l’entreprise, mais
« qui est honnête ». Il reste adhérent et continue son activité professionnelle. En 1991 et 1994,
ses deux enfants naissent. Puis en 1995, encouragé par ses professeurs, il fait une demande de
Fongecif pour obtenir le financement d’un BTS en fonderie. Son DRH refuse. Il prend « une
deuxième claque » et décide qu’il « faut faire changer les mentalités, et pour les faire
changer, il faut toujours qu’il y en ait un qui en bave plus que d’autres »
Il se tourne alors vers la CFDT qui vient d’être créé par un ami de son père. Très vite, il est
aspiré, parce que c’est un « semblable, deux arabes dans un syndicat » et puis parce que
l’entreprise dispose d’un droit syndical important. Il devient délégué syndical tout de suite,
sans connaître grand chose au syndicalisme. Avec son collègue, ils « prennent des claques,
des bougnoules, des croix gammées, des insultes, des voitures rayées », mais ils continuent
leur activité. Il comprend que ce qui dérange le plus, c’est que contrairement aux arabes
adhérents à la CGT, « nous on était éduqué, on était allé à l’école, on savait poser le verbe. Et
c’est peut-être ça qui gênait ». Progressivement, il se forme à l’union départementale. La
section s’étoffe. Karim est connu dans le quartier car il anime des activités sportives, mais la
CFDT reste très minoritaire. Il règne un climat anti-syndical dans l’entreprise et le syndicat
« jaune », la CSL, est largement majoritaire avec 80% aux élections. En 1999, son collègue
part à la retraite, il devient le responsable de la section qui vivote avec 5 militants. Ils essayent
de faire du développement, mais sans succès. Puis avec la fusion de l’entreprise et une autre
grosse entreprise du secteur, il commence à participer à l’interCFDT qui se crée. Il cotoit alors
des « dinosaures de la CFDT, des types avec 40 ans de syndicalisme derrière eux ».
Professionnellement, les choses se gâtent, son chef cherche à le faire partir du service, sous
prétexte de lui accorder une promotion. Il résiste. En 2003 il devient responsable de zone pour
l’interCFDT après avoir été « pressenti par des copains qui partaient ». Un peu intimidé face
à des élus issus des centres techniques ou de l’encadrement, il s’appuie sur ses compétences
sportives pour créer un esprit d’équipe.
En 2004, il divorce. Il s’en veut de ne pas avoir assez donné de temps à sa famille, entre son
travail en 3*8 et les réunions syndicales, mais il regrette aussi que son engagement n’ai peut-
être pas été assez compris. Puis en 2008, des militants s’en vont. A priori il n’est pas
« pressenti » pour prendre leur place, car il faut préparer la relève. Trois militants « qui
correspondent aux critères » de la fédération partent en formation pour savoir lequel sera
délégué syndical central. Celui qui prend le mandat entre en conflit avec l’adjoint qui
démissionne. On lui dit « qu’il va être mis sur une liste de succession, mais en 4ème position
seulement ». Lui rétorque « que ce n'est pas la peine de me mettre sur une liste, il y a bien
d'autres personne qui peuvent prendre le poste et qui sont légitimes ». Finalement les trois
autres refusent le mandat et c’est Karim qui est élu. En revanche il fait savoir « qu’il ne
faudra jamais compter sur lui pour être n°1, il ne sent pas légitime, sa section est une des plus
petite, il n’est pas sur de pouvoir fédérer plus largement. Il pense rester sur ses mandats
d’entreprise, d’abord parce que c’est l’entreprise qui le nourrit, mais aussi parce que la
question ne se pose pas de savoir s’il pourra devenir permanent en structures ».

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Comme le montrent très bien d’autres enquêtes (Béroud et al. 2011), la projection dans
l’espace interprofessionnel (UD, URI) est moins facile pour les militants les moins qualifiés
ou avec une légitimité construite sur la connaissance des réalités professionnelles de leur
secteur.
« J’étais même à l'URI, on m’avait sollicité parce qu’il n’y avait pas beaucoup de jeunes, on
m'avait sollicité, et là l’URI, pour être franc avec vous, je ne me sentais pas bien. Je me sentais
paumé. Est ce que c'est le fait que c'était de l'interpro ? J'avais l'impression de ne pas
comprendre ce qu’ils disaient, je ne me sentais pas à l’aise. J'ai voulu démissionner, mais ils
m’ont dit de ne pas démissionner, je leur ai dit que ce n'était pas compatible : je suis à l'URCB,
je suis à l’URI, j’ai mon contrat de développement, ça fait beaucoup. C’était le temps, je n'avais
pas envie de passer mon temps dans les réunions, je ne connaissais pas trop les gens. C’est peut-
être les messages, je n’étais pas dans mon univers, c’était peut-être trop politique. Pourtant à la
fédération, il y en a, mais ce n’est pas pareil. Au poste où je suis ici, c'est ce que je faisais avant
sans être salarié » (homme, électricien, 41 ans, formateur fédéral, secteur du bâtiment)

Certains militants se voient donc contraints de penser une réintégration professionnelle par
déficit de projection dans les structures, soit parce qu’ils sont frappés par la « limite » d’âge
qui prévaut aussi dans le champ syndical (au moins dans les discours), justifiée par la
nécessité de faire la place aux jeunes, soit parce qu’ils ne sont pas prêts à « rentrer dans le
rang » pour évoluer en structure.
« J'ai 50 ans. J’ai pas envie de travailler, mais j’ai un compagnon qui va prendre sa retraite
bientôt, donc voilà, les enseignants la prennent de bonne heure : c’est bien il pourra travailler
pour nous ! Après il faut le construire ce projet de réinsertion, pour l’instant je ne le fais pas, je
prépare le syndicat pour le prochain mandat et après je me donnerai le temps de le faire parce
que j’aurai trouvé mon remplaçant. Petit à petit il prendra plus de responsabilités jusqu’à
l’élection. En puis peut être que je ferai un nouveau mandat… mais je ne crois pas, je crois qu’il
faut que ça s'arrête. Mais j’aimerais bien que ce soit quelqu’un de jeune et puis ils ne me font
pas envie. Je suis passionnée parce que je fais là, mais l'image qu'ils me renvoient à la fédé ne
me donne pas envie. Puis je ne sais pas s’ils aimeraient bien, car je ne suis pas sympa, je sais
trop ce que je veux et ce que je ne veux pas, je le dis et je me fous qu’on dise que ce n’est pas
politiquement correct : je pense que ce n’est pas accepté » (femme, éducatrice, 50 ans, secrétaire
générale de syndicat, conseillère fédérale, collectivité territoriale)

Une reconversion laborieuse et solitaire


Certains entreprennent un gros travail de formation professionnelle, parfois aidés par leur
hiérarchie, mais rarement par leur organisation syndicale. Ils s’appuient parfois sur la
politique de formation de leur entreprise pour suivre des formations diplômantes.

« Je viens de terminer un parcours diplômant bac +3 en conseiller en patrimoine, métier que je


pense que je ne ferai jamais… J’ai fait cette formation sur 4 ans, en même temps qu'être
syndicaliste à 80% de mon temps, et je me suis rendu compte que ce n’était pas du tout un
métier qui me plairait. Mais une fois que j'ai entamé ce parcours de formation, moi je suis assez
formation, je crois beaucoup en la formation, quelle qu’elle soit, ne serait-ce que pour la
mobilité. Une fois entamé ce parcours, je voulais absolument le réussir, pour l’image aussi. Je
l'ai fini l'année dernière à 50 ans. Donc pour l’image, montrer que des femmes syndicalistes de
50 ans peuvent très bien réussir un parcours d’études supérieures de formation » (femme,
chargée de clientèle, 51 ans, élue CE, CCE et comité de groupe, membre de la commission de
branche, conseillère fédérale et prud’hommale, administratrice MSA, secteur de l’agro-
alimentaire)

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Les rares exemples de réintégration sont le fruit de démarches individuelles, plus ou moins
réussies, peu ou pas accompagnée par les structures syndicales et objectivement plus simples
dans le secteur public ou dans les grosses entreprises privées qui ont mis en place des
dispositifs de gestion des carrières syndicales, au moins sur le plan des classifications et du
salaire (souvent par un système « d’homologues »)
« J'ai annoncé en mai à un conseil que je partais, ça a assis tout le monde, et ça s'est pas bien
passé. On était en pleine préparation des élections donc j'ai dit que je faisais les élections. J'ai
même failli avoir un poste en septembre à la Mairie d'Alfortville. On a une chance dans la
fonction publique territoriale c’est que même en étant permanent, on peut retrouver un boulot.
C’est sûr qu’il est peut être pas à la hauteur de ce que j’ai fait avant, mais au moins, je suis
content de pouvoir trouver un boulot. Je me dis ça et avec une perspective de dire : je vais
passer les concours, etc… J'ai eu mon évaluation en décembre, ils me forment au français. Cette
année, je fais un cursus sécurité qui dure 25 jours. L’année dernière, j'ai réussi l’examen
d’adjoint technique première classe, je vais avoir un déroulement de carrière. J'ai besoin de
consolider mes connaissances, mes compétences. J'ai rien demandé à la CFDT. Il faudrait que la
CFDT permette d’avoir un cursus de formation, pas syndicale, mais de ses compétences
professionnelles. Le jour où les personnes entrent en responsabilités se demander comment elles
préparent leur départ. Cette question-là, elle n’est pas posée. Quand on est secrétaire de
syndicat, on est tout seul et c’est démerde toi. Je pense qu'on peut faire carrière dans le
syndicalisme. Mais aussi on peut organiser le turn over. La difficulté, c’est que beaucoup de
syndicats sont dans l’incapacité de réfléchir aux RH parce que quand ils en tiennent un, ils
veulent le tenir. En plus, cette image du mec bouffé fait peur. Moi j'ai trop vu de gens qui sont
coincés et qui ne veulent pas retourner au boulot. Moi je sais qu’ici dans le Val de Marne quand
j’ai annoncé que je partais, y’en a qui se disait « il ne retournera pas au boulot ». Moi quand je
leur disais « je vais repartir agent d’entretien », ils ne me croyaient pas. Pourtant, moi j’étais
agent d’entretien, je retourne agent d’entretien » (homme, cuisinier, 50 ans, secrétaire de
syndicat, secteur des collectivités territoriales).

Jusqu’à peu, ces dispositifs laissaient néanmoins de côté la question du déroulement de


carrière. La plupart des accords existants de reconnaissance des parcours syndicaux portent
uniquement sur une garantie formelle d’évolution des carrières des permanents en termes de
qualification et de salaires (et sont intégrés dans des accords de droit syndical),
indépendamment des compétences acquises par le syndicalisme. La difficulté à laquelle se
heurtent aujourd’hui les différents dispositifs mis en place, par les entreprises et/ou les
syndicats, tient précisément dans l’attente des militants de passer à une démarche plus
qualitative, différenciée et individualisée de validation des acquis de l’expérience syndicale et
d’accompagnement des parcours syndicaux.
« L'accord tel qu'il a été formaté avait un objectif, c'était de purger les éventuels recours futurs.
A EADS, notamment de la part de la CGT, des recours en justice pour discrimination syndicale.
Le but de faire un droit syndical est de mettre des règles dedans pour essayer de déminer le
terrain. La direction générale avait envie par rapport à cela de minimiser dans l'avenir les
recours en justice. Une partie de l'accord couvre le déroulement de carrière. Personnellement, je
considère que cela ne résout pas tout. Il y a une différenciation entre les mandats légers et les
mandats lourds. Ceux qui sont à moins de 50 % de leur temps ou ceux qui ont des activités à
plus de 50 % Pour faire simple, ceux qui sont au-dessus de 50 % sont censés avoir le nominal
en termes de politique salariale de l'entreprise. Sauf que par définition, cela résout le problème
des augmentations individuelles mais cela ne résout pas le plan de carrière. C'est bien de dire
que tous les ans, on a le nominal mais par rapport à un panel de référence, comment on gère les
promotions ? Ce n'est pas résolu. Pour y avoir pas mal participé et réfléchi, je ne trouve pas de
réponse simple. On ne peut pas être jugé sur son activité syndicale. À quoi fait-on référence ? Si
on part sur un panel de référence qui peut être des personnes embauchées en même temps que
lui, on a une dispersion, au fil des années, qui ne permet pas de savoir à qui on doit se

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raccrocher, c'est compliqué. Cela permet quand même de résoudre le cas d'un syndicaliste qui
serait très opposé à la direction et qui resterait 10 ans sans augmentation. Cela ne résoud pas
tout, mais quand même » (homme, ingénieur, 39 ans, délégué syndical central, délégué syndical,
élu CE et comité européen, secteur de la métallurgie)

Pour les moins qualifiés, le retour à la vie professionnelle se fait généralement dans un poste
assez équivalent à celui qu’ils avaient… et avec l’engagement de ne pas reprendre d’activité
syndicale.
« Une fois qu'on a dit qu'on ne voulait pas aller à Paris et ne pas être secrétaire général… On
retourne au travail. En sachant qu'EDF a beaucoup évolué et moi je n'ai pas été très bon dans
mon déroulement de carrière même si je n'ai pas à me plaindre. Tous les mois je survis. Quand
je suis parti détaché, j'avais une convention de détachement qui prévoyait une réintégration. J'en
ai parlé à mon délégué syndical, c'était très tôt, en 2006. J'ai dit que je voulais réintégrer.
Maintenant, il faut qu'on discute avec le chef pour savoir où je peux travailler. Dans le syndicat,
dans la structure fédérale, on m’a donné plein de conseils. « Fais une VAE…, valorise ton
parcours. » On me dit d'aller en formation pour attraper un niveau de cadre. Cela m'intéresse pas
plus que ça moi. En même temps, j'apprends quand je fais. Je ne me voyais pas partir en
formation. Faire de l'amphithéâtre… Je ne dis pas que je n'y serais pas arrivé. Je voulais changer
d'activité aussi et je pense que la VAE m'aurait figé. Après, on essaie de trouver des pistes.
J'étais au service ressource qui était un service tertiaire. Mon collègue tâte du terrain « tu reviens
dans ton service ? » J'ai un BEP qui traîne en électromécanique, j'ai travaillé un peu dans le
technique, pourquoi pas. Du coup, c'est l’option qui est prise. Je rencontre le DRH. Cela n'a pas
été si facile que ça avant que je le rencontre. Mon collègue les a entretenu et ils ne voulaient pas
que je revienne à la Centrale, une histoire d'effectifs. Je lui ai dit « tu sais ce que tu vas leur
dire ? Ils me paient alors que je ne fais rien pour l'entreprise. Je peux foutre la merde dans
l’entreprise. Je suis payé à l'époque de 2100 €, on me paie pour ça. Je redemande à bosser pour
l’entreprise, et ils ne veulent pas me prendre ! Tu leur demandes les raisons. Tu restes jusqu'à
savoir les raisons. Ils n’en avaient pas ». Après, j'ai eu deux entretiens, j'ai expliqué ma situation
personnelle car ils ne la connaissent pas tous. Le décès du fils. Ils voulaient valider le fait que je
ne reprenne pas de mandat. Je rencontre le chef de service travaux avec le manager de première
ligne. Il me propose de faire une immersion. Je fais le tour des entités. Après, on se rencontre la
fin de la semaine. Il me demande quand je peux commencer ? Je me suis retrouvé des années en
arrière à la recherche d'un emploi. Je fais mon immersion et elle est prolongée jusqu'au mois
d'août. Puis je suis muté d'office au service outillages. Cela tombe bien, je suis technicien en
fonction de technicien, on me propose un poste. J'ai des réseaux, je connais des techniciens et
les préparateurs, je connais les chargés d'affaires. Dans le travail qu’on me demande, c'est un
travail de relationnel. J'ai des relations avec les fournisseurs, avec les prestataires, cela passe
bien. J'ai un boulot qui m'intéresse et je suis content. Ils sont contents. Cela a été reconnu par
l'augmentation. » (homme, ouvrier, 52 ans, sans mandat syndical suite à reconversion, secteur
de l’énergie).

Rares sont ceux qui réussissent à ne pas retourner dans un poste équivalent, même après une
VAE, à l’image de Martine qui n’est pas redevenue caissière, mais relativise le niveau du
nouveau poste qu’elle occupe, même si son appellation peut sembler valorisante…

« Depuis bien je suis retournée à 30 heures à Auchan, comme caissière toujours. Entre temps j'ai
vu que j'allais recommencer à travailler derrière ma caisse donc en 2006 j'ai fait un bilan de
compétences, pour savoir ce que je pouvais faire, parce que je ne me voyais pas revenir et finir
ma vie professionelle derrière ma caisse. Je vais avoir 49 ans, on est en 2011, donc j'en avais 44.
J’ai trouvé un cursus avec une formation, un bac +2, mais le problème était que j'avais un
niveau BEP. Donc j'ai passé le bac en VAE, un bac pro services, en me servant de mon
expérience d’ hotesse de caisse mais aussi de mon expérience de syndicaliste, puisque dans les 4
thèmes que j'avais à présenter j'avais la mise en place d'un accord handicap par exemple. C'est

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très enrichissant la VAE, la validation d'acquis et puis derrière j'ai raté de 10 jours mon
inscription à la formation, en 2009 et c'était une formation de 11 mois donc j'ai attendu. J'ai
préparé mon dossier et je suis partie en formation début 2010 pour une formation sur la gestion
globale des déchets. J'ai fini toute la formation le 24 Janvier, et j'ai réintégré Auchan pour être
employée dans ce métier-là, et je n'avais pas du tout envie de revenir en caisse donc j'ai
demandé à aller travailler au centre de valorisation. Alors c'est un grand mot mais c'est juste
l’endroit où on récupère tous les cartons du magasin, tous les plastiques et on les pré-
conditionne pour les revendre. Et là je suis passée a 35 heures. » (femme, vendeuse, 49 ans, sans
mandat syndical suite à reconversion, secteur des services)

Même quand ils se spécialisent sur certains mandats et deviennent experts dans une activité
qu’ils peuvent éventuellement exercer en dehors du champ syndical, comme la formation, la
reconnaissance des compétences acquises par la voie syndicale reste difficile.
« A l’origine c’était pour deux ans. On était deux formateurs à la fédération. Je me souviens à
l’époque, je me disais au bout de deux ans, je retourne dans ma boite. Et après deux ans, j'ai
commencé à rechercher des organismes de formation, j’ai regardé à droite à gauche, je saisissais
les opportunités : j'ai eu quelques contacts. Mon idée c'était « je profiterais bien de cette
expérience à la fédé pour essayer de trouver un poste de formateur ». Puis ça ne s’est pas fait. A
l’époque, je me souviens maintenant, je me disais, ça me plairait bien de faire de la formation au
sein de mon entreprise. Vous savez dans les grands groupes, ils ont souvent des écoles de
formation : ça j’ai essayé. Ca aurait été une vraie opportunité, mais ça ne s’est pas fait. Ca leur
faisait peut être peur syndicalement qu’un militant devienne formateur : le loup dans la bergerie.
Pourtant, j’étais reconnu dans ce que je faisais, dans mon mandat syndical, donc les relations
avec la direction étaient assez bonnes, sauf que ça ne s’est pas fait comme ça, ça n’a pas
marché. Quand je leur ai proposé ça, ils m’ont dit « si vous avez un projet, présentez nous votre
projet », mais ça n’a pas été plus loin que ça. Moi j’attendais plutôt une offre. Pendant un
moment, mon idée c’était de développer une offre autour de la formation des chefs d'agence ou
chefs d’entreprise. Je me suis aperçu en négociant avec eux que la connaissance des OS et du
dialogue social était proche de 0. Ce que j'ai porté comme projet c’était de dire « embauchez
moi comme formateur et moi je les forme au dialogue social: connaissance des IRP, des OS, des
pratiques syndicales », mais ça n’a pas marché. Puis les directions ont changé. A chaque fois il
faut se faire reconnaître, etc... Puis finalement je me plaisais bien à la fédération : ça m'a donné
de l'autonomie dans mon travail, j’ai fait ce que j’ai voulu » (homme, technicien, 55 ans,
formateur fédéral, secteur du bâtiment)

Les conditions de la reconversion sont souvent les mêmes : cacher son étiquette syndicale et
faire jouer ses réseaux…
« On trouve une formation. Ca s'appelait le CESI. Donc CESI de Montpellier. Déjà il faut passer
un jury pour savoir s'il me prend ou pas; et puis ca se passe très bien. Je suis pris pour faire cette
formation. C'était en 2007. La formation se passe très bien. La formation, c’est « responsable
en RH ». C'est diplômant, certifié bac +4. J’obtiens mon diplôme en 2008. Toute ma formation,
je n’ai eu que des A. Mon stage, je l’ai obtenu par un pote, ancien élu CFDT qui avait trouvé du
boulot au CIRAD (centre international en recherche agronomique pour le développement). Et
donc le copain que je connaissais m’a dit « je joue au tennis avec le DRH du CIRAD donc je
vais lui en parler ». Le fameux DRH en question fait passer mon CV au responsable qui était un
ancien syndicaliste. J'avais peur que ça me ferme des portes. Les formateurs que j'ai eu m'ont dit
« il ne faut pas mettre ça sur votre CV, le tri de CV est fait pas des assistantes la plupart du
temps et quand il voit un CV comme ça, il l'écarte », mais j’ai eu mon stage et ils m’ont gardé
(homme, chef d’équipe, 41 ans, sans mandat syndical car reconversion, secteur des services).

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La question de la reconversion professionnelle se pose de manière accrue pour les militants
devenus salariés de l’organisation syndicale, sur des mandats de développeur ou de formateur,
ou encore sur des mandats dits « techniques » de secrétaire fédéral ou confédéral. Souvent
recrutés pour leurs compétences techniques ou pour leur expérience de développement sur le
terrain, ces militants, en petit nombre, n’ont aucune visibilité ni sur leur avenir, ni même
parfois sur la durée de leur contrat de travail au sein de l’organisation qui dépend des
financements.
« Aujourd’hui, la fédération me dit « le poste de développeur, ça dure deux trois ans sur la
même personne, ça fait 10 ans que tu es en place ». Ils n’ont pas envie de me voir sur des
contrats de développement jusque mes 60 ans, j’en ai 52. Ils n’ont pas envie de m’y voir encore
huit ans, mais aujourd’hui il n’y a pas de remplaçant. Il y aurait pu y avoir Denis, mais il est en
déplacement toute année, et il est plutôt reparti sur sa carrière pro en disant « moi si je prends le
poste de développeur au syndicat, je ne serais plus chef d’équipe ». En clair moi il faudrait que
je réoriente sur mon entreprise. Quand j'ai fait mon entretien individuel, l’entreprise me dit «
éventuellement, on pourrait partir sur un plein temps interne », puis ils ont changé d’avis. Si je
perd mon job au niveau de la CFDT, la RH m’a dit « on n’a pas de poste pour vous, donc on ne
vous réintègre pas, votre contrat de détachement n’est pas si clair que ça » Mon contrat de
détachement, il a 11 ans : ça va être compliqué sur la réintégration. Aujourd’hui, je ne sais pas
j’attends. Ca m'inquiète un peu. Après ça peut être un boulot externe en dehors de l'entreprise
sur 1/3 temps; je me suis dit que je pourrais repartir sur une mission quelconque. Ca
nécessiterait un bilan de compétences. Retourner sur le marché du travail, c'est très compliqué.
Je ne vois pas où j’irais, ce que je ferais. J'ai des compétences comptables, compétences
juridiques, compétences de management, mais il faudrait vraiment faire un état de tout ça à
travers un bilan. Dans tout ce que j'ai traversé, à part les collègues proches, personne ne nous
aide, personne ne parle de reconversion en interne en disant « oui, il y a un souci, ce militant là,
il se retrouve sans boulot, sans job ». On arrête le contrat, mais vaille que vaille. Ca fait 10 ans
que j'ai des contrats d'un an. Ca fait 3-4 ans qu’on ne me met pas une pression, mais qu’on me
dit « faut pas t’enfermer dans le truc. Ca serait bien que tu réfléchisses, que tu trouves une autre
orientation pro ». Moi m'orienter vers un autre truc, alors que j'ai un métier qui me passionne, le
syndicalisme, l’associatif... c’est à moi de trouver ma porte de sortie » (homme, technicien, 52
ans, développeur, secteur du bâtiment).

Si la question de la reconversion des permanents n’est pas nouvelle (Ubbiali, 1999), certains
militants évoquent l’effet d’engorgement des structures syndicales et la démultiplication du
problème avec l’accroissement du nombre de permanents, dans les entreprises, mais aussi
dans les structures syndicales.

« Dans ma fédération, il y a des permanents qui sont là depuis 10 ans, et on se dit après, qu'est
ce qu'on va en faire ? C’est facile de recaser un secrétaire général, parce que souvent il se
retrouve à la confédération, mais les autres, on fait quoi ? Il faudrait que quand la personne
s'engage, lui dire dès le début : « dans 6 ans on est pas sûr de t’assurer un poste, donc il faudra
faire un bilan de compétence ». Il faut que la CFDT crée une sorte de liaison avec des
organismes, paritaires, de prévoyance, mais on ne peut pas tous y aller. Quand j’allais à la
fédération il y a 20 ans, la fédération c'était 4-5 personnes, aujourd’hui c'est 20 personnes. Il y a
des administratifs qui restent là, mais dedans, il y a des secrétaires fédéraux qui doivent faire
appliquer la politique fédérale décidée en congrès et qui sont salariés de la CFDT mais c'est pas
toujours facile de se reclasser après. Il faudrait créer une sorte de bureau de reclassement. »
(homme, technicien, 53 ans, élu DP-CE, délégué syndical central, secrétaire adjoint, secrétaire
du comité de groupe, secteur du bâtiment)

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La VAE syndicale, une demande des militants les moins qualifiés ?
Dans ce contexte, la préoccupation pour la validation ou la reconnaissance des acquis de
l’expérience syndicale semble donc particulièrement partagée par les militants au départ peu
qualifiés et qui sont devenus permanents. Si pour certains, l’engagement syndical correspond
effectivement à un attrait spécifique pour l’activité syndicale, par comparaison à une activité
professionnelle routinière et peu qualifiée, ces militants se trouvent rapidement confrontés à
un double problème. Ils sont dans l’incertitude quant à la possibilité de rester syndicaliste à
temps plein (risque de ne pas être ré-élu, concurrence pour les mandats, sélectivité interne du
recrutement syndical) et dans l’incapacité à pouvoir réintégrer leur activité professionnelle
d’origine ou d’en trouver une nouvelle qui reconnaisse le niveau de responsabilité qu’ils
avaient en tant que syndicaliste. Plus que la question de la reconnaissance des compétences
syndicales c’est d’abord la reconnaissance d’une trajectoire de promotion sociale que les
militants cherchent à faire valoir. Or les postes de cadres leur sont fréquemment refusés, soit
par manque d’expérience dans la fonction d’encadrement (ce qui n’est pas spécifique aux
syndicalistes, mais à tous les experts), soit par incompatibilité avec le fait d’avoir des mandats
syndicaux.

« Quand je suis parti à usine, en 91, il y avait un poste important qui était un poste de cadre :
c'était responsable sécurité. Comme pas mal d'administratif, j'ai postulé à ce poste-là
officiellement. Quand ils ont vu ma candidature, tout de suite, ils m’ont dit « avec tout ce que
t'as, ça ne va pas coller ». Et vu que c'est un poste cadre. Là, ils m’ont gâté, je suis resté 3 jours
à Paris : tests psycho et tutti quanti. J’ai eu le droit à la totale. Parce que soit-disant, il n'avait pas
grand chose dans mon dossier. Le résultat des tests était bon, rien ne m’empêchait à passer
cadre, mais le poste ce n'est pas moi qui l'ai eu. Ils ont mis quelqu’un qui avait toujours fait ça à
Danone. Déçu. Puis ce que j'ai oublié de dire aussi : 92, on ouvre l’usine de la Salvetta. J'ai
postulé pour être chef d'exploitation à Salvetta. Là c’est pareil, on me dit pas assez d’ancienneté
dans le métier, donc ils ont appelé quelqu’un de Saint Galmier qui avait plus de compétences
techniques que moi. Donc voilà des refus, j'en ai eu » (homme, technicien, 58 ans, délégué
syndical central, secrétaire de CE, grosse entreprise du secteur agro-alimentaire)

Certains envisagent alors de créer leur activité, de « reprendre une affaire », mais se retrouver
dans la position de l’employeur ou faire des prestations pour les employeurs peut leur paraître
incompatible avec leur expérience de syndicaliste. Ces constats interrogent la question de la
transposition des compétences syndicales dans la sphère professionnelle. On peut en effet se
demander si les compétences acquises sont mobilisables ou transférables indépendamment
des contextes dans lesquelles elles sont produites ? Un tel présupposé implique une vision dé-
conflictualisée et euphémisée des rapports sociaux dans les entreprises, minorant la dimension
contestataire et conflictuelle de l’action syndicale (Le Quentrec, 2007), mais aussi une vision
désocialisée de la carrière syndicale. L’analyse des récits de carrière des militants qualifiés ou
non rappelle s’il en est besoin que l’adhésion syndicale est d’abord liée à la défense des
intérêts des salariés. Qu’il s’agisse d’une adhésion pour motif individuel (désaccord avec la
hiérarchie, refus de promotion, menace de licenciements…) ou collectif (conflit, plan social,
restructuration), les salariés se syndiquent fréquemment à un moment où ils sont en conflit
avec l’employeur ou la hiérarchie (Guillaume, Pochic, 2009b), et cette expérience structure
durablement leur identité sociale, militante et professionnelle. Ces contextes d’adhésion
conduisent en effet souvent à une participation active dans l’action syndicale et une prise de
mandat qui marque l’entrée dans une « carrière », au sens interactionniste du terme, parfois
faite de discontinuités, mais qui devient une forme de socialisation secondaire. Pour certains,
la défense des intérêts des salariés devient « une seconde nature ». Même une fois qu’ils ont
quitté leur mandat, ils ne peuvent s’empêcher d’être syndicalistes.

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« Je ne ferai pas un deuxième mandat. Me spécialiser sur les offices publics de l’habitat, parce
que c’est mon métier, ça fait 10 ans que je pratique, le métier évolue à une vitesse grand V et les
conditions de travail ne suivent pas. Si on laisse faire, ça va être un métier qui va totalement être
dévalorisé, je parle des gardiens là. Mais même dans d’autres postes comme chargé de clientèle,
les conditions de travail se dégradent… Je pourrais travailler dans la commission de branche ou
au sein de la fédération comme fait mon secrétaire de section actuel. Il est à la commission de
branche au sein de la fédé. J'ai 45 ans, de toute façon je ne retournerai pas en tant qu'employé.
Mon rêve, ce serait de créer, j'ai pas encore de truc bien défini, créer ma propre boite.
Consultant peut-être, mais je ne pourrai pas aider un employeur je pense. Je ne pourrai pas aider
les patrons, j’ai un a priori total. J'ai l'impression que je tourne communiste ! Je suis dans un état
d'esprit, j'ai trouvé ma voie pour moi : c'est le social, je resterai dans la défense d'une façon ou
d'une autre. » (homme, gardien d’immeuble, 46 ans, secrétaire général de syndicat, secteur des
collectivités territoriales)

Ce sont aussi, paradoxalement, les militants peu qualifiés qui sont les plus rétifs par rapport à
toute démarche de VAE, refusant de « retourner à l’école », tout en ayant conscience que c’est
précisément l’obtention d’un diplôme de niveau supérieur qui pourrait leur ouvrir la voie à
une carrière promotionnelle, au-delà du plafond de leur métier d’origine (Monchatre, 2007).

« Moi j’ai eu des propositions dans la DRH. Moi je ne veux pas la VAE, je veux la
reconnaissance de l'expérience professionnelle (REP). Moi je ne veux pas aller repasser un
concours, je veux qu’on reconnaisse mon expérience. La VAE, c’est une démarche, mais pour
obtenir un diplôme, on ne l’a jamais en entier, il faut repartir à l'école ; alors que la REP c’est la
reconnaissance de ce qu’on est en train de faire, des postes occupés. Je trouve que c’est plus
juste pour nous syndicalistes des REP que des VAE. Je m'étais dit que j'allais préparer mon
concours des attachés, mais avec quel temps je vais préparer mon concours des attachés ? Moi
je ne crois pas que je puisse, je tire mon chapeau à celui qui le pourrait. Mais je trouve que je
suis hyper mal payé pour ce que je fais. Moi je suis détachée de la ville de Paris, moi je gagne
900 euros par mois. La reconnaissance, elle devrait être financière aussi. Moi dans la CE, dans
mon exécutif, je suis la plus mal payée » (femme, auxiliaire de puéricultrice, 50 ans, secrétaire
générale de syndicat, collectivités territoriales).

Conscients de leurs difficultés futures s’ils doivent se reconvertir ou réintégrer leur entreprise,
ils sont plutôt demandeurs d’un accompagnement continu, moins sur le versant syndical des
compétences à acquérir, que sur une montée en qualification professionnelle ou au moins une
garantie de « progression » professionnelle.

« Dès qu'on parle formation avec la région ou fédé, ça devient un problème d’argent et ça nous
empêche de faire des choses. Je suis très critique par rapport à tout ça. Aujourd’hui, la CFDT a
fait une caisse de grève et une caisse pour l’aide au juridique, si on parle d'un service à adhérent,
et il faut aussi penser au service au militant. On devrait pouvoir utiliser cet argent pour pouvoir
former nos collègues. Je ne dis pas former au niveau syndical, je dis former pour qu’ils aient
une carrière et que leur carrière puisse évoluer, qu'ils puissent avoir un parcours, une
valorisation. Ma façon de voir les choses c’est de dire « aujourd’hui on souhaite que les jeunes
viennent au syndicat, mais si on donne une responsabilité à ce jeune et que demain ce jeune il
s’en va du syndicat, sa carrière elle est restée bloquée ». Un militant, il a du mal aujourd’hui à
retourner dans le monde actif, car il y a ce problème d’évolution. Dans la fonction publique,
c'est encore plus criant. En général, les avancements c’est à la moyenne du grade, si pas
d'avancement, nous on avance pas, donc un militant peut rester bloquer sur une carrière ou
évoluer très doucement, alors que contrairement à l’agent qui est dans le service, lui risque
d’évoluer, d’avoir des promotions. Aujourd’hui, quand je vais dans différents endroits, au
niveau régional ou fédéral, voir au niveau national, il y a des gens qui sont là comme dans un
placard. On critique les patrons sur la mise au placard et quand on regarde dans les couloirs de

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la région ou de la fédération, y'a des gens qui sont là qui ont soit disant des missions, mais qui
sont dans un placard parce qu’on n’a pas été capable de faire leur reconversion. Dire que c'est à
la CFDT de reclasser les gens : non ! Mais leur donner un niveau d'évaluation par rapport à leur
compétence acquises et leur offrir une possibilité d'ouverture de carrière : c’est ça que je dis.
Mais chacun doit prendre conscience qu’il a un niveau. Moi je pense que j'ai un niveau qui a
évolué : comment je le valide ? Comment je le mets en valeur ? Si demain je retourne dans ma
mairie, je n’ai pas évolué… » (homme, chauffeur de poids lourd, 51 ans, secrétaire de syndicat,
secteur des collectivités territoriales).

D’ailleurs, certains militants mettent d’abord en avant l’accès à la formation professionnelle


comme moyen de « sécuriser » leurs destins professionnels.

« Dans le cadre du droit syndical local, c'est là où j'ai demandé l'appui de la fédération pour
construire et mettre en place une convention de mise à disposition. Je n'étais pas obligé de le
faire, mais j'ai tenu à le faire. C'était une convention qui me protégeait dans le sens où dans cette
convention, il est prévu que ma fonction reste agent social et que mon lieu de travail est ici. Je
veux rester au coeur de mon entreprise même si des semaines je ne suis pas souvent là, qu'ils
m'assurent un déroulement de carrière car cela devient de plus en plus difficile en tant que
fonctionnaire…Qu'ils maintiennent ma prime d'agent social. Que je puisse accéder à la
formation professionnelle comme tout salarié ici. À chaque fois, j'ai les offres de formation
professionnelle. J'y tiens. C'est une convention qui assure une durée de quatre ans et est sur la
base d'un mandat d'élu au CE, puisque je suis élu au comité d'entreprise et je suis délégué du
personnel en plus être délégué syndical, avec un préavis de six mois à l'issue de la convention.
Cela me rassure personnellement, je ne suis pas dans la nature, cela me sécurise par rapport à
ma réintégration. Je pense aussi que cela peut me valoriser car dans les évaluations annuelles
que je tiens à faire avec ma DRH… Cela l'embête un peu car elle ne sait jamais sur quoi. Donc
ce que je fais, c'est que je me fais évaluer par mon secrétaire général, qui est cadre, j'ai de la
chance qu'il ait de l'expérience professionnelle. Cela nous permet de faire une pause une fois par
an et de faire le bilan. Après je vais voir ma DRH et je discute avec elle de cela. L'année
dernière, j'ai fait l’entretien professionnel qui est obligatoire avec la responsable du service de
formation qui me dit que je pourrai faire une validation des acquis pour obtenir l'équivalent d'un
bac+2 vue l'expérience professionnelle » (homme, agent administratif, 49 ans, secrétaire de
syndicat, secteur des collectivités territoriales)

Gérer les carrières syndicales : la levée d’un tabou ou d’un privilège ?


La gestion des carrières militantes apparaît donc bien comme un problème, mais les réponses
qui sont apportées sont nuancées. Ceux qui s’expriment en faveur d’une gestion des carrières
syndicales, que ce soit par la voie de la négociation collective avec les employeurs, mais aussi
en interne par des dispositifs strictement syndicaux, évoquent la nécessité de changer l’image
du syndicalisme pour attirer des jeunes salariés dans l’activité syndicale et pour diversifier le
profil des militants.
« Si on veut des jeunes, il faut qu’ils puissent avoir une possibilité de retour au travail. C’est une
carrière. Syndicaliste c'est une profession, c'est tellement pointu dans certains domaines que
c'est un métier. On acquiert des expériences qu'on aurait pas eu autrement dans divers
domaines… Si on veut des jeunes syndicalistes, il faut permettre ça. Puis on peut très bien se
lasser au bout de x années d’être militant à plein temps et avoir envie de faire autre chose.
Effectivement, je pense que c’est très important. Quelqu’un qui commence le syndicalisme à 25
ans, ça va être long ! C'est à négocier avec l’entreprise, mais aussi avec l'organisation. Ca va
dépendre des endroits, mais est ce qu’il est bon que le salarié revienne dans la même entreprise
et dans un poste de DRH où il connaîtra une partie des salarié ? Je pense que l'organisation doit
aider à recaser ses militants. Ca doit être négocié au plus haut niveau de l'organisation si on
veut que ça aboutisse, puis que ce soit connu, qu’ils le disent aussi. Aujourd’hui, on entend
souvent de la part des militants que la CFDT ne sait pas reclasser ses militants, c’est les

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militants au plus haut niveau qui sont reclassés. Il faut peut-être faciliter et promouvoir la
reconnaissance via la VAE. Ca pourrait permettre d'avoir plus de diversité militante » (femme,
chargée de clientèle, 51 ans, élue CE, CCE et comité de groupe, membre de la commission de
branche, conseillère fédérale et prud’hommale, administratrice MSA, secteur de l’agro-
alimentaire)

La plupart insistent sur la nécessité de s’intéresser aux militants de terrain et d’adopter des
démarches collectives, là où les pratiques antérieures favorisaient des négociations spécifiques
pour les dirigeants syndicaux, renvoyant la grande masse des militants à des démarches
individuelles souvent hasardeuses. Comme le soulignent en effet d’autres enquêtes, les
reconversions « réussies » (même si souvent contraintes), notamment dans la sphère du
conseil, sont le fait de dirigeants syndicaux dotés de capitaux relationnels et d’une notoriété
auprès des sphères patronales qui les « habilitent, en pratique, à se mouvoir légitimement dans
la sphère de la gestion managériale ». (Giraud, 2007, p.79). Ce constat interpelle très
directement les contours de la professionnalité des syndicalistes qui bien souvent relève moins
de la construction d’une expertise bien définie, sauf à quelques exceptions dans le champ des
conditions de travail, que de la construction d’un rôle d’acteur social spécifique, qui sous-
traite la dimension la plus experte de ses interventions (Cristofalo, 2011).
« Il faut que la CFDT soit novatrice, il faut absolument qu'on s'inquiète. Alors vous avez des
entreprises, comme GDF où c’est plus facile, on reclasse plus facilement. Les secrétaires
nationaux de la conf, on les retrouve dans les grands groupes, j’ai l’impression que c’est à la
mode de les reclasser dans le développement durable; mais il faut s’inquiéter des militants qui
ne sont qu’au niveau des fédérations, c’est ceux là qui sont les plus fragiles. Le meilleur
exemple, c'est X, quand il négocie les retraites avec le SG du ministre de l'emploi qui quelques
années plus tard devient le patron de GDF, c’est plus facile pour se reclasser… mais le collègue
qui a vu sa boite fermer ou qui était dans une petite boite, à Marmande, c'est pas évident….»
(homme, technicien, 53 ans, élu CE-DP, délégué syndical central, secrétaire adjoint CCE,
secrétaire comité de groupe, grosse entreprise du secteur du bâtiment)

Devant la difficulté de la question, d’autres militants penchent donc plutôt pour l’interdiction
du temps plein chez les syndicalistes et le refus des permanents ou le raccourcissement des
carrières syndicales, à l’image d’ailleurs de certaines pratiques syndicales dans des
fédérations, comme le SGEN, qui a très peu de permanents. Mais cette option se heurte aussi
à la crise des vocations…
« Si les syndicalistes, pendant leur parcours militant, avaient gardé un pied dans entreprise, je ne
suis pas sure qu'ils n'aient pas trouvé leur place. Le problème c’est que le nombre de militants
n’est pas suffisant et effectivement on charge le militant et au bout d’un moment le militant est
permanent. J’ai toujours fait attention au niveau de ma branche et de mon syndicat à ce que
certains syndicalistes, on ne les délègue pas à plein temps, il faut qu'ils gardent un pied dans
entreprise et dans leur métier, qu’ils fassent évoluer leur poste, qu'ils soient reconnus dans leur
milieu professionnel, en dehors du milieu syndical » (femme, cadre, 50 ans, administratrice
MSA, secteur agro-alimentaire)

« C’est un peu à un stade embryonnaire, mais y’a cette possibilité au travers de la VAE de faire
reconnaître l’activité syndicale. Mais moi, je pense à la fois que les syndicats se préoccupent
davantage de ça, mais en même temps s’il n’y a pas de démarche volontariste de la part des
militants de dire « le militantisme ça peu être un parcours limité dans toute ma carrière pro », on
se prépare à beaucoup de désillusion. Il faut que ce soit pensé par l’individu et par le collectif.
Quand on a travaillé comme permanent pendant 10 ans, c’est pas évident de retourner au travail,
pour des questions de confiance en soi, d’estime de soi. La CFDT a une responsabilité par
rapport à ça. Quand on demande à des militants de s'investir, souvent c’est par palier, mais on

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doit se préoccuper de ce que vont devenir les salariés qui font ce choix-là. C’est à la fois le
problème de la reconversion, mais c’est aussi le problème du déroulement de carrière. Quand
vous avec une responsabilité syndicale, vous n’êtes plus dans votre service et quand il s'agit
d'envisager un avancement de grade, de promotion interne, on ne pense jamais à vous, pour la
bonne raison, c’est que vous n’êtes pas dans le service » (homme, cadre B, 56 ans, secrétaire de
syndicat, secteur des collectivités territoriales)

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CONCLUSION

On ne peut qu’être frappé par le « consensus » qui semble exister aujourd’hui, entre les
« partenaires sociaux » des grandes entreprises, sur la nécessité de reconnaître les
compétences des syndicalistes et de gérer leurs parcours. A l’issue de cette enquête, on
comprend mieux les « raisons » de cet accord, certes encore flou et divers dans ses modalités
pratiques. Depuis longtemps déjà, mais de manière accentuée depuis une dizaine d’année, les
militants des grandes entreprises et des administrations sont pris dans un processus de
professionnalisation, liés au développement du droit syndical et de la négociation collective
d’entreprise, à la rareté des vocations militantes et aux pratiques des entreprises en matière de
« dialogue social », qui les poussent à devenir permanents et à développer des compétences
spécialisées. De ce point de vue, c’est d’ailleurs moins l’accumulation de droits syndicaux
nouveaux émanant du législateur qui contribue à l’institutionnalisation du syndicalisme, que
la « managérialisation » des relations sociales par les directions d’entreprise (certes
encouragée par l’Etat et la philosophie Européenne du dialogue social), particulièrement
observable depuis le début des années 2000. Les justifications de certaines entreprises pour
envoyer leurs militants en formation afin qu’ils soient plus à même de jouer leur rôle dans le
« dialogue social » confortent cette interprétation, tout en mettant l’accent sur le risque
d’instrumentalisation ou de dé-conflictualisation des relations sociales.

Au-delà des débats sur la conception techniciste de la compétence syndicale (Willemez, 2007;
Le Quentrec, 2007), véhiculée par les dispositifs de VAE, l’idée d’un accompagnement des
« parcours » syndicaux nous semble achopper sur plusieurs points. Tout d’abord, si l’activité
syndicale en entreprise se caractérise par une rationalisation accrue et le développement de
savoir-faire très spécialisés (en partie liés au recours à l’expertise), l’étude menée souligne
que les formes de professionnalisation syndicale sont situées et localisées, et donc très
différentes d’un secteur ou d’une entreprise à l’autre. L’essentiel des apprentissages
syndicaux se déroule dans le fil des interactions avec les militants plus expérimentés et les
experts, mais aussi avec les directions d’entreprise. Les militants interviewés, figure
archétypale du syndicalisme à la française, sont des salariés stables dans des grands groupes
ou des administrations où il est encore possible de faire toute sa carrière. En fonction de leur
trajectoire et de leur contexte d’action, ils développent une conception de l’action syndicale
extrêmement spécifique, indissociable des caractéristiques sociales et économiques de leur
univers professionnel, dans une interaction souvent complexe et distante avec leurs structures
syndicales d’appartenance (Hege, Dufour, 1998). Nombre d’entre eux sont d’ailleurs assez
dubitatifs quand il s’agit de caractériser les compétences acquises par le syndicalisme et plus
encore de penser leur transférabilité à d’autres types d’activité non syndicale (voir à d’autres
contextes syndicaux). Ce constat nous invite à souligner la dimension fortement collective,
informelle et expérientielle des processus d’apprentissage, pour les mandats d’entreprise, et
donc le caractère très hétérogène des processus de professionnalisation syndicale (Guillaume,
Mouret, 2004).

La carrière syndicale est, en outre, décrite comme une succession de « paliers » qui requièrent
des compétences différentes en fonction des filières, plus ou moins technique ou politique,
empruntées par les militants. Certains militants acquièrent des compétences expertes
(formation, développement, trésorerie, droit) relativement « objectivées » et soutenues par les
dispositifs de formation syndicale, pouvant éventuellement déboucher sur une reconversion
ou une réintégration dans des champs professionnels proches. En revanche, la valorisation des
compétences « managériales » ou d’animation des militants avec des mandats de coordination
(comme DSC ou chef de file) ou de « direction politique » (comme secrétaire de syndicat,

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d’union départemental ou secrétaire fédéral) semble encore plus difficile et fait l’objet d’un
apprentissage individuel, peu accompagné par les structures syndicales. Du fait du caractère,
en théorie, associatif et collectif du syndicalisme, et de la naturalisation implicite des qualités
de « leadership», de nombreux militants ne s’autorisent donc pas à revendiquer une position
d’encadrant (ou de dirigeant) et à faire reconnaître leurs compétences managériales comme
pouvant relever du champ professionnel. Quand ils le font, ils se heurtent souvent à la sous-
évaluation de ces compétences par les directions d’entreprise, les acteurs du marché du
travail, mais aussi les organisations syndicales qui entretiennent une relation ambivalente avec
leurs cadres.

L’autre point d’achoppement réside dans les mécanismes de sélection-détection des militants
et les modalités de construction de leur carrière syndicale. Si certains militants s’appuient
effectivement sur leurs compétences professionnelles et scolaires, ou sur leurs capacités
d’autodidaxie, pour faire leur place dans le collectif syndical, on ne peut qu’être frappé par la
fragilité et la non-prévisibilité des carrières syndicales. Qu’il s’agisse d’aléas propres à la vie
des sections, de l’entreprise ou des cycles de vie individuels, les carrières militantes sont
fréquemment bousculées, accélérées ou au contraire interrompues en fonction des
événements. Contrairement à l’idée d’un parcours initiatique (ponctué de formations ad hoc)
préparant les militants à prendre progressivement des responsabilités, l’apprentissage du
syndicalisme est souvent assez chaotique, et rarement construit sur une « logique
compétence », même si ce registre est aujourd’hui fortement valorisé par certains nouveaux
entrants, souvent plus qualifiés (Crespo, Rimbert, 2004). D’autres critères de détection entrent
fréquemment en compte dans la sélection des militants, à commencer par la loyauté,
l’ancienneté ou la proximité aux salariés et la capacité de représentation (Guillaume, 2007) et
les collectifs sont fréquemment traversés par des luttes internes pour la définition des
orientations et répertoires d’action légitimes (et donc sur les modalités appropriées de
reconnaissance des savoir-faire syndicaux). En ce sens, les enjeux et la forme que doit prendre
une éventuelle politique de gestion des compétences et des parcours syndicaux sont fortement
débattus dans les collectifs et les structures. Ils sont d’ailleurs parfois tellement débattus que
les dispositifs concrets ne voient jamais le jour ou ne sont pas déployés (Guillaume, 2011).

Si les militants cédétistes investissent généralement leur activité syndicale de manière assez
« professionnelle », comme un travail pour lequel il faut se former, ils ne contrôlent que
rarement le rythme et les modalités (type de mandat, temps dédié à l’activité syndicale) de
leur carrière syndicale. En revanche tous mesurent les risques professionnels (et personnels)
que cet engagement induit. C’est donc une image assez paradoxale du militant syndical qui
ressort de cette enquête : toujours plus enclins ou poussés à cumuler les mandats17 et à se
professionnaliser (parfois avec le soutien des directions d’entreprises), les syndicalistes ne
peuvent ni se projeter avec certitude et durablement dans l’espace syndical, ni poursuivre une
carrière professionnelle (ou très rarement). Ce constat éclaire à lui seul la rareté des vocations
et le discours de certains militants sur la nécessité de penser une gestion des parcours
syndicaux, précisément pour permettre le renouvellement générationnel et attirer des jeunes.
L’enjeu non explicité de cette « bonne volonté » des entreprises, mais aussi des organisations
syndicales, à valider ou certifier les compétences militantes semble donc être celui de la
gestion de l’emploi des syndicalistes, dans les entreprises, mais aussi dans les structures
syndicales. Nombre de syndicalistes sont aujourd’hui très incertains quant à leur destin
professionnel, surtout s’ils sont peu qualifiés, ont peu suivi de formation professionnelle et

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Un des effets de la loi sur la représentativité est d’inciter à toujours plus de cumul, notamment pour les
délégués syndicaux, forcément élus sur une liste CE (et généralement enclin à prendre le poste de secrétaire de
CE, si son organisation est majoritaire).

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tiennent des mandats depuis longtemps. Par homologie, les structures syndicales se plaignent
souvent d’être engorgées par des militants en fin de carrière qui s’accrochent à leur siège par
défaut de projection dans l’espace professionnel et ne permettent donc pas le renouvellement
des responsables. Certaines organisations syndicales sont donc tentées de monter des
dispositifs, en accord avec les entreprises, pour elles aussi tenter de gérer le destin
professionnel de leurs permanents, qui plus est dans le cadre de la nouvelle loi sur la
représentativité qui a fait perdre leurs mandats à un certain nombre de militants et de
permanents dans les entreprises.

On peut néanmoins douter de l’efficacité de ces dispositifs pour les militants les plus
concernés par le plafonnement de carrière, dans le champ professionnel et syndical, et
s’étonner que l’accompagnement des parcours militants ne s’appuie pas d’abord sur une
politique de formation professionnelle continue des syndicalistes ou des programmes de
formation syndicale qui renoue avec la « matrice de l’éducation permanente » (Dubar, 2008).
Les militants qui ont le plus de mal à obtenir leur certification sont ceux qui ont en effet un
bagage scolaire faible et ont peu évolué professionnellement (donc eu peu accès à des
formations professionnelles). Ils sont les moins ajustés à la pédagogie et aux modes
d’évaluation des formations ou dispositifs proposés (Wagner, 2009). Rares sont ceux qui
peuvent compenser leur déficit en capital scolaire par un « capital scolaire de substitution »,
notamment dans les jeunes générations, du fait de l’affaiblissement des formations longues de
type passage-à-cadre dans les entreprises et de la technicisation des formations pour
responsables syndicaux dans certaines organisations (Guillaume, 2011). La participation des
organisations syndicales à des dispositifs individualisés de gestion des compétences militantes
nous semble donc comporter deux écueils majeurs. Le premier est que le bénéfice de ces
formations ne s’adresse qu’aux militants ajustés aux dispositifs pédagogiques, dans la
perspective d’une professionnalisation syndicale experte et individualisée, y compris dans les
structures syndicales externes à l’entreprise (Giraud, 2007) ou d’une reconversion dans les
secteurs les plus ouverts aux reconversions militantes (économie sociale, associatif…). Le
second est de donner les moyens aux employeurs pour appliquer leurs propres règles de
gestion du personnel, légitimées par la neutralité et l’extériorité des dispositifs négociés
(Maillard, 2007), et d’acter implicitement le recul des obligations des entreprises envers le
déroulement de carrière des syndicalistes (Monchatre, 2007).

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