Vous êtes sur la page 1sur 4

Dans les rues de Ruili, ville la plus confinée de

Chine
ProQuest document link

FULL TEXT
La cité qui vit du commerce avec la Birmanie attend avec impatience la réouverture des frontières, le 8 janvier
Ruili (Chine) - envoyé spécial
Reportage
Xiaoli, la vingtaine, longs cheveux tombant sur son chemisier blanc, est venue se promener le long du terminal de
Ruili, marquant la frontière entre la Chine et la Birmanie. Aujourd'hui, dans cette zone qui s'étend sur 2 kilomètres
carrés, le long de la grande «avenue de l'amitié sino-birmane », toutes les enseignes sont fermées. Dans cette ville
frontière, des milliers de boutiques bénéficiaient autrefois d'exemptions de taxes pour vendre des pierres de jade,
des produits agricoles, des meubles ou des bibelots. Mais seules quelques boutiques ont rouvert face au poste-
frontière, un grand édifice au toit doré dans le style des temples Dai, du nom de la minorité ethnique très présente
dans la région.
Vendeuse dans un commerce de jade, la jeune Birmane vit en Chine depuis huit ans et n'a pas pu rentrer chez elle
depuis trois ans. «Ma mère habite là, de l'autre côté, dans les montagnes àenviron trente minutes d'ici », dit-elle en
pointant Muse, la ville birmane mitoyenne. Depuis trois ans, en raison de l'épidémie de Covid-19, les échanges qui
faisaient la richesse de cette région, commerce côté chinois, casinos et trafics en tous genres côté birman, sont
àl'arrêt. Comme tout le monde ici, Xiaoli attend avec impatience le 8 janvier, qui doit voir l'ouverture des frontières
chinoises, et permettre àl'activité de reprendre.
«Grande muraille d'acier »
Le 7 décembre 2022, la Chine a dit adieu àsa stratégie zéro Covid, devenue intenable face àl'augmentation des cas
et àla colère exprimée par la population aux quatre coins du pays. Depuis, la Chine connaît une vague de SARS-
CoV-2 sans précédent, mais beaucoup l'acceptent comme le prix àpayer pour retrouver un semblant de liberté
après trois ans de contrôle. Ruili, la ville frontière située au sud-ouest de la Chine, dans la province du Yunnan, est
engourdie par ces trois ans de traumatisme : la ville a connu plus d'une dizaine de confinements, de plusieurs
semaines àchaque fois, ce qui fait d'elle la cité la plus confinée de Chine. Elle aurait perdu les deux tiers de sa
population, dont beaucoup étaient venus d'autres provinces faire des affaires.
A la frontière, pour endiguer la propagation du virus, des hauts murs de béton et de tôle ont été érigés : une
«grande muraille d'acier »selon le maire de la ville. D'après les autorités locales, 2,5 milliards de yuans (340 millions
d'euros) ont été dépensés pour «la prévention de l'épidémie »en 2020 et 2021, y compris pour la construction de ce
rempart de 10 mètres de haut et d'une longueur de 197 kilomètres, censé bloquer un total de 605 lieux de passage
possible.
Les barricades ont été placées autour de champs, de villages, et le long de la rivière Ruili, qui donne son nom àla
ville. Des canalisations ont été bouchées avec du ciment, et plusieurs épaisseurs de barbelés et de clôtures
électriques ont été installées dans les zones où le passage était facile. La plupart des Birmans ont été renvoyés.
En 2018, date des derniers chiffres officiels, 50 000 d'entre eux vivaient légalement àRuili, mais des milliers d'autres
traversaient la frontière pour travailler en Chine dans les champs, les cuisines des restaurants de la ville ou ses
salons de massage.
Au pied d'un pont permettant le passage vers la Birmanie, une petite rue a été complètement bordée par ces hauts
murs. Accrochée en haut d'une des palissades, une bannière proclame en sinogrammes blancs sur rouge : «Pour

PDF GENERATED BY PROQUEST.COM Page 1 of 4


combattre l'épidémie, tout le monde est responsable. »Au bout de l'artère, on découvre quelques habitations et un
petit magasin qui vend des vêtements birmans, un peu d'épicerie et des pierres de jade également importées de
Birmanie. Un petit homme au teint hâlé par le soleil du sud tient la boutique avec sa femme. Lui est originaire du
Sichuan, dans le centre de la Chine, elle est chinoise de Birmanie. «Ici, il n'y a jamais d'hiver, les habitants passent
toute l'année en sandales ! Des gens viennent de toute la Chine pour s'installer dans la ville. Avant l'épidémie, Ruili,
c'était très animé, raconte-t-il avec nostalgie. Mais avec les restrictions, ça fait trois ans qu'on ne gagne plus
d'argent. Moi j'ai perdu au moins 500 000 yuans [68 000 euros] depuis 2020. »
En face, plusieurs habitations sont abandonnées. Des immigrés birmans y étaient installés. Dans une pièce où
filtre un peu de soleil, restent deux lits en bois, une bouteille de sauce pimentée, une plante desséchée, et,
accrochés au mur, un poster de Bouddha et un calendrier birman ouvert au mois d'août 2021. La ville de Ruili a
connu son premier confinement en septembre 2020, alors que le président chinois, Xi Jinping, venait de célébrer la
victoire «de tout le peuple contre le virus ».
Une femme chinoise avait passé illégalement la frontière, encore mal contrôlée àl'époque, et ramené àRuili le
Covid-19, qui circulait alors très fortement en Birmanie. Six mois plus tard, après l'apparition de nouveaux cas, le
maire de la ville est révoqué et critiqué àla télévision nationale. Son remplaçant avait une mission claire : empêcher
àtout prix le passage de la frontière. Outre la «muraille d'acier », tous les fonctionnaires de la ville ont été mobilisés
pour garder l'½il sur la frontière.
Ruili est devenue le symbole des excès de la lutte zéro Covid. En 2021, les critiques se multiplient en ligne : un
habitant raconte par exemple que son bébé a dû subir 74 tests PCR en quelques mois, d'autres dénoncent des
centres d'isolement qui manquent de tout, y compris de nourriture. Mais ces critiques ne sont que la partie
émergée de l'iceberg. «Depuis 2021, on ne peut plus rien publier en ligne àpropos de Ruili, raconte M. Yang, un père
de famille, rencontré devant le poste-frontière. Tout est censuré sur WeChat et sur Douyin [versions chinoises de
WhatsApp et TikTok] et ceux qui osent écrire quoi que ce soit de critique ont reçu la visite de policiers venus leur
faire la morale ! », peste cet homme trapu, qui ne donne que son nom de famille.
Originaire du Henan (province du centre est de la Chine) il est venu s'installer àRuili il y a vingt ans pour faire des
affaires. Après quelques petits boulots, il crée une entreprise d'import-export, notamment de céréales et de fruits.
«On a été confinés parfois vingt jours d'affilée. Une fois, ils nous ont libérés cinq jours et ils nous ont reconfinés
aussitôt. On ne pouvait même pas discuter avec les voisins sur le pas de la porte, c'était comme être en prison »,
décrit-il. Son activité est aussi largement touchée : «Avant il y avait bien un millier de camions qui traversaient la
frontière chaque jour, avec du jade, des produits agricoles, de l'acajou. Aujourd'hui, il y en a àpeine cent, et il faut
passer par une agence spécialisée, tous leurs employés sont en combinaison blanche, c'est beaucoup plus cher ! »
Comme tous les promeneurs venus sur la grand-place où trône un drapeau chinois hissé sur un mât de plus de
10 mètres, il attend avec impatience la date du 8 janvier. «Avant, on avait des permis pour passer côté birman sans
problème, on y allait pour les affaires, ou pour jouer au casino », regrette M. Yang.
«Beaucoup sont devenus fous »
Lora, une jeune Chinoise, a, elle, choisi d'abandonner sa ville natale mi-2021 pour s'installer àKunming, la capitale
du Yunnan. «Au début, je l'ai très mal vécu. On passait nos journées àregarder des séries, àregarder nos
téléphones. Je ne dormais pas la nuit. Mais au bout d'un moment, on s'habitue, je gardais un rythme pour
m'occuper de ma fille. Mais beaucoup de gens sont devenus fous, il y a eu beaucoup de suicides », raconte-t-elle.
Son couple n'a pas résisté aux confinements. Son commerce de jade non plus. «En 2019, les affaires marchaient
bien, je gagnais entre 20 000  et 30 000 yuans [entre 2 700 et 4 100 euros] par mois. Mi-2020, tout s'est arrêté, je
n'avais plus aucun revenu. J'ai bien enseigné un peu d'anglais en ligne, mais au bout de quelques mois, les enfants
n'arrivaient plus àse concentrer, les parents ont abandonné. »
Depuis la fin des restrictions, le commerce reprend doucement àRuili : dans un vaste marché de jade du centre-
ville, des acheteurs professionnels filment les bracelets et commentent la qualité en direct auprès des internautes.
On croise des Chinois, mais aussi des Birmans, des Kachin, et même des Rohingya, la minorité musulmane de
Birmanie, nombreux dans la ville «On a perdu énormément d'argent, mais ça ne peut qu'aller mieux, le printemps

PDF GENERATED BY PROQUEST.COM Page 2 of 4


arrive », dit la vendeuse d'un grand magasin. Devant l'établissement des annonces proposent des salaires
alléchants pour recruter de nouveaux vendeurs.
Simon Leplâtre

DETAILS

Publication title: Le Monde; Paris

First page: 3

Publication year: 2023

Publication date: Jan 4, 2023

Section: International

Publisher: La Société Editrice du Monde

Place of publication: Paris

Country of publication: France, Paris

Publication subject: General Interest Periodicals--France

ISSN: 03952037

Source type: Newspaper

Language of publication: French

Document type: News

ProQuest document ID: 2760068848

Document URL: https://www.proquest.com/newspapers/dans-les-rues-de-ruili-ville-la-plus-


confinée/docview/2760068848/se-2?accountid=17215

Copyright: Copyright La Société Editrice du Monde Jan 4, 2023

Last updated: 2023-01-03

Database: ProQuest Central

LINKS
Available at KU Leuven?

Database copyright  2023 ProQuest LLC. All rights reserved.

PDF GENERATED BY PROQUEST.COM Page 3 of 4


Terms and Conditions Contact ProQuest

PDF GENERATED BY PROQUEST.COM Page 4 of 4

Vous aimerez peut-être aussi